summaryrefslogtreecommitdiff
diff options
context:
space:
mode:
authornfenwick <nfenwick@pglaf.org>2025-01-23 08:48:43 -0800
committernfenwick <nfenwick@pglaf.org>2025-01-23 08:48:43 -0800
commit69c73f355e4ea97349b982ce4857ea79153c96d7 (patch)
tree62aff0c09392b223cde090f7a8831b2bba3b5ed9
Initial commit
-rw-r--r--64614-0.txt1910
-rw-r--r--64614-0.zipbin0 -> 35521 bytes
-rw-r--r--64614-h.zipbin0 -> 1294523 bytes
-rw-r--r--64614-h/64614-h.htm2211
-rw-r--r--64614-h/images/colophon.jpgbin0 -> 19659 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/colophon1.jpgbin0 -> 65632 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/cover.jpgbin0 -> 227955 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-012.jpgbin0 -> 39405 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-016.jpgbin0 -> 10447 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-018.jpgbin0 -> 36170 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-023.jpgbin0 -> 12146 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-026.jpgbin0 -> 42026 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-033.jpgbin0 -> 67129 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-035.jpgbin0 -> 18018 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-039.jpgbin0 -> 40029 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-047.jpgbin0 -> 16357 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-049.jpgbin0 -> 68049 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-052.jpgbin0 -> 36912 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-057.jpgbin0 -> 35046 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-058.jpgbin0 -> 50601 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-061.jpgbin0 -> 104722 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-065.jpgbin0 -> 24477 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-068.jpgbin0 -> 32194 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-079.jpgbin0 -> 74541 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-088.jpgbin0 -> 20296 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-091.jpgbin0 -> 56922 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-093.jpgbin0 -> 20995 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-097.jpgbin0 -> 52681 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-101.jpgbin0 -> 44099 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-106.jpgbin0 -> 8610 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-107.jpgbin0 -> 46649 bytes
-rw-r--r--64614-h/images/illu-108.jpgbin0 -> 8196 bytes
32 files changed, 4121 insertions, 0 deletions
diff --git a/64614-0.txt b/64614-0.txt
new file mode 100644
index 0000000..9efba93
--- /dev/null
+++ b/64614-0.txt
@@ -0,0 +1,1910 @@
+The Project Gutenberg eBook of La Poupée, by Léo Larguier
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
+most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
+of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
+www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
+will have to check the laws of the country where you are located before
+using this eBook.
+
+Title: La Poupée
+
+Author: Léo Larguier
+
+Illustrator: Chas Laborde
+
+Release Date: February 23, 2021 [eBook #64614]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+Produced by: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed
+ Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
+ produced from images generously made available by the
+ Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+ http://gallica.bnf.fr)
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA POUPÉE ***
+
+
+
+
+ LÉO LARGUIER
+
+ LA POUPÉE
+ _DESSINS DE CHAS LABORDE_
+
+ [Illustration]
+
+ COLLECTION
+ “LA ROSE ET LE LAURIER”
+ _G. BRIFFAUT, Éditeur_
+ 4, RUE DE FURSTENBERG, PARIS
+
+
+
+
+ LA POUPÉE
+
+ IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE VOLUME:
+
+
+ 10 exemplaires sur japon impérial contenant un dessin original de
+ l’artiste et une suite en noir, numérotés de 1 à 10.
+
+ 10 exemplaires sur japon impérial contenant un dessin original de
+ l’artiste, numérotés de 11 à 20.
+
+ 750 exemplaires sur vélin, numérotés de 21 à 770.
+
+
+ EXEMPLAIRE Nº 133
+
+
+
+
+ LÉO LARGUIER
+
+ LA POUPÉE
+
+ DESSINS DE
+ CHAS LABORDE
+
+ [Illustration]
+
+ _COLLECTION DE
+ “LA ROSE ET LE LAURIER”_
+ G. BRIFFAUT, ÉDITEUR
+ 4, RUE DE FURSTENBERG, PARIS (VIᵉ)
+
+ M CM XXV
+
+ «..._Tu n’as jamais été dans tes jours les plus rares
+ Qu’un instrument banal sous mon archet vainqueur,
+ Et comme un air qui sonne au bois creux des guitares,
+ J’ai fait chanter mon rêve au vide de ton cœur._..»
+
+ LOUIS BOUILHET
+ (_A une Femme._)
+
+
+Puisque vous aimez les antiquaires, me dit mon ami Ange Laurentier, chez
+qui je passais cette semaine d’extrême automne, allez donc jusqu’à la
+Tremblée; on m’a affirmé que le fou qui habitait, ou plus exactement,
+qui se cachait dans ce pavillon délabré, était mort et qu’il laissait
+tout son bien à un valet de chambre.
+
+Je crois que cet héritier doit vouloir vendre ce bric-à-brac; et vous y
+ferez peut-être des découvertes intéressantes.
+
+On aperçoit de la route la maison et les grands arbres qui l’abritent.
+Vous ne pouvez pas vous tromper. Vous sonnerez à une petite porte
+peinte en vert.
+
+La Tremblée, où vivait, si l’on peut dire, M. Olivier Camors, est à
+trois kilomètres d’ici, et ce sera l’occasion d’une promenade
+charmante...
+
+Je partis, lorsque nous eûmes déjeuné, persuadé que ce vieux serviteur
+ne me laisserait point pénétrer dans le domaine abandonné, et je ne me
+hâtais pas, goûtant l’après-midi d’automne comme une immense symphonie
+en or majeur.
+
+De la route que je suivais, bordée de peupliers sensibles, presque
+dépouillés, aux coteaux qui fermaient l’horizon, je pouvais admirer les
+jaunes légers, les ocres, les rouges sanguins, les fauves dorures et les
+pourpres, toutes les nuances et toutes les teintes de la saison.
+
+Mon ami n’avait pu me donner aucun renseignement précis touchant cet
+Olivier Camors qui, après une vie passablement remplie, était venu
+s’enterrer à la Tremblée. Il ne savait que ce qui circulait dans le
+pays: de vagues racontars, inexacts sans doute, puisque nul n’avait
+franchi les murs de cette propriété ruinée et que le valet de chambre,
+aussi mystérieux que son maître, ne parlait à personne et ne sortait
+guère que pour faire quelques provisions au chef-lieu.
+
+On savait à peu près son âge. Il avait été capitaine et blessé, en 1915,
+aux attaques de Champagne.
+
+Ange Laurentier, qui l’avait entrevu à la gare, avait gardé le souvenir
+d’un homme svelte et d’une beauté remarquable, mais très fatigué. Le
+pavillon était inhabité depuis des années lorsqu’il était arrivé, et il
+avait fallu que son domestique escaladât le mur pour arracher les
+ronces et la vigne vierge qui, ayant poussé derrière la porte,
+l’empêchaient de s’ouvrir.
+
+[Illustration]
+
+Un ouvrier, qu’on avait appelé pour réparer les gouttières et poser des
+tuiles au toit, n’avait vu que le vieux serviteur et il n’était pas
+entré dans la maison. C’est tout ce que j’avais pu apprendre, et
+personne ne savait autre chose. Il n’y avait aucune sonnette à la petite
+porte verte que cachaient presque jusqu’à la serrure des retombées de
+glycines et les branches qui couronnaient le mur.
+
+On eût pu croire qu’une dame en crinoline venait de la refermer derrière
+elle.
+
+Je frappai fortement du bout de mon bâton...
+
+Contre toute attente, une clé grinça presque immédiatement dans le pêne,
+et un vieil homme au visage glabre et fripé, en tricot de laine, avec
+une calotte étoffée de Scapin, apparut dans l’entre-bâillement.
+
+Je n’avais préparé aucune phrase astucieuse et je fus obligé de dire
+franchement que je savais que la maison contenait de vieux meubles et
+des toiles anciennes et que rien au monde ne m’intéressait plus que
+cela.
+
+Le valet de chambre me regarda de son œil froid, tout embrumé et couleur
+d’étain.
+
+--Antiquaire, dit-il, ou artiste?
+
+Je sentais que, selon ma réponse, la porte verte allait se refermer pour
+toujours.
+
+--Artiste, répondis-je assez décontenancé.
+
+Il souleva son bonnet et s’effaça pour me laisser entrer.
+
+--Veuillez me suivre, fit-il, je n’ai pas l’intention d’habiter plus
+longtemps cette maison et je ne suis pas fâché de la montrer à un
+connaisseur, avant mon départ.
+
+Il referma soigneusement la porte derrière lui.
+
+Le parc sauvage où je pénétrai était retourné à la nature, et, à travers
+ce prodigieux fouillis végétal, le vieillard se dirigea vers des herbes
+foulées, indiquant sans doute le chemin qui devait conduire à la maison.
+Elle apparut à un tournant comme enchâssée dans les arbres gaufrés d’or
+par l’automne.
+
+Les marches du perron étaient disjointes et l’herbe poussait drue dans
+leurs fentes.
+
+Tous les volets étaient clos.
+
+On songeait à ces vieilles demeures où moururent d’une maladie de
+langueur, parce que leur fiancé avait été tué dans un duel, de
+touchantes et poétiques jeunes filles appelées Adélazie ou Aloïda, qui
+portaient des mitaines et des repentirs, et qui lisaient au crépuscule
+un livre de M. de Lamennais, s’interrompant pour faire le signe de la
+croix, quand l’angélus venant d’une lointaine chapelle passait, ainsi
+qu’un ange, sur les murailles couvertes de lierre et de pariétaires.
+
+Le vieux serviteur qui me précédait poussa un battant du portail massif
+et me fit entrer dans le corridor obscur qui avait une odeur de cave, de
+fruits, de murs humides et d’ombre.
+
+Je pénétrai derrière lui dans la bibliothèque.
+
+[Illustration]
+
+Une branche qui avait brisé les vitres empêchait la fenêtre de se fermer
+complètement, et j’aperçus dans le jardin dévasté un arbuste coiffé d’un
+chapeau de jardinier, au cœur d’une minuscule corbeille.
+
+--Cette pièce a beaucoup souffert, me dit mon guide. Elle était depuis
+longtemps dans cet état quand nous sommes arrivés à la Tremblée. Voyez,
+il n’y a plus rien, l’humidité et les bêtes ont tout mangé.
+
+Il atteignit un livre sur un rayon.
+
+Le cuir glacé d’or éteint semblait à peu près intact, mais quand je
+l’eus ouvert, je m’aperçus qu’il était creux comme ces fruits dont les
+insectes ont rongé la pulpe sous la peau desséchée.
+
+Il n’y avait plus, contre le dos de la reliure, qu’une poignée de bourre
+blanchâtre, pareille à du coton taché de rouille.
+
+C’était une très belle édition des œuvres de Léonard et je découvris un
+bout de feuillet sur lequel je pus encore lire ces vers qui devaient
+faire partie de quelque _Temple de Gnide_:
+
+ «... _Des remparts de Corinthe il vint trente beautés_
+ _Dont les cheveux croulaient en boucles ondoyantes;_
+ _Dix autres qui n’avaient que des grâces naissantes,_
+ _Venaient de Salamine et comptaient treize étés_...»
+
+J’en examinai quelques autres.
+
+Tous paraissaient souffrir des plus affligeantes maladies de peau.
+
+Voltaire avait un eczéma, Diderot des moisissures bleuâtres, J.-J.
+Rousseau des dartres farineuses.
+
+Les livres aux couvertures claires étaient vert-de-grisés comme des
+cuivres, les vélins ivoirins et roides étaient cariés comme des dents,
+les petits poètes du XVIIIᵉ siècle avaient des reliures éraflées et
+griffées ainsi que des souliers légers égratignés par les ronces.
+
+[Illustration]
+
+Je remis moi-même le livre creux à sa place, sur la planchette
+vermoulue, et je feuilletai un album plein de pensées, de mauvais vers
+et de fleurs sèches qui avait dû appartenir à quelque ancienne jeune
+fille.
+
+--On a tout laissé périr, monsieur, reprit mon guide. Je dois vous dire
+cependant que ce n’est pas mon maître qui est responsable; il a trouvé
+presque toute la maison dans cet état. Il y en avait sans doute pour
+beaucoup d’argent. Je lui ai entendu conter qu’un de ses parents, M.
+d’Herbaupair, avait eu la manie des collections, mais vous allez voir ce
+que sont devenus ces trésors.
+
+Les tableaux étaient dans un cabinet où il a plu pendant trente ans, et
+ils sont pareils aux livres... Si vous désirez les voir?...
+
+Je le suivis dans une autre salle.
+
+Il ouvrit les volets avec quelque difficulté.
+
+Des cadres, dont la dorure était devenue noire, ne montraient que des
+peintures effacées.
+
+Les vagues choses qui restaient encore étaient bien faites pour donner
+des regrets éternels à un homme épris de tableaux anciens.
+
+Ce pan de ciel bleu-vert, au coin d’une baguette, ne pouvait avoir été
+peint que par Guardi, au-dessus des vieux palais qu’il aimait et que
+doublait l’eau d’un canal italien. Je vis le pied d’un verre dont le
+cristal n’avait pu être poli que par Chardin; et il y avait eu là des
+toiles inconnues de Watteau, de Fragonard, de Largillière, de Boilly, de
+David, des pastels de La Tour, des sanguines et des dessins de Claude
+Lorrain et de Poussin.
+
+--A combien, monsieur, estimez-vous ce que contenaient ces cadres
+inutiles? me demanda le serviteur.
+
+Effaré, je haussai les épaules.
+
+--Je ne sais pas exactement, balbutiai-je, à plus d’un million,
+certainement.
+
+Du bout de ses doigts maigres, il se gratta la tête sous le bonnet de
+Scapin, et ses lèvres sèches esquissèrent une grimace.
+
+--Vous savez sans doute, reprit-il, que M. Olivier Camors m’a donné tout
+ce qu’il possédait. L’argent?... mon Dieu, il n’était plus très riche...
+peut-être trois mille francs de rente, ce qui, par les temps que nous
+traversons... mais il y a une seule pièce intacte dans cette maison qui
+tombe en ruine, et je veux avoir votre avis, parce que je crois que ce
+qu’elle renferme vaut plus que tout le reste. Voulez-vous
+m’accompagner?...
+
+Je n’avais jamais vu de plus beaux meubles du XVIIIᵉ siècle que ceux qui
+ornaient la chambre où il me fit entrer.
+
+Des tapisseries, dont les rouges étaient devenus groseille clair,
+s’encadraient dans des panneaux de bois liserés de vert tendre, et sur
+la cheminée de marbre, une pendule d’écaille et deux flambeaux d’argent
+se reflétaient dans l’eau morte d’une glace, dont le trumeau était
+assurément de Boucher.
+
+Le lit, les fauteuils et les chaises à médaillons, les pâtes tendres
+qu’on avait peut-être fabriquées pour la reine, les soies et les étoffes
+merveilleuses, tout formait un ensemble sans une seule tache, d’une
+harmonie et d’une pureté uniques.
+
+--Vous êtes riche avec ceci, dis-je au vieillard qui me regardait avec
+inquiétude.
+
+--Oui, c’est ce que j’ai entendu dire par mon maître, mais je ne savais
+pas très bien... Pourriez-vous m’aider, me donner l’adresse d’un
+antiquaire sérieux et me dire à peu près ce que vaut tout cela?
+
+Je fis de mon mieux et à ma connaissance, et je compris que je lui
+rendais service.
+
+Il me désigna un fauteuil.
+
+--Voulez-vous m’attendre un moment, fit-il, je voudrais vous offrir un
+verre de vin. Je crois que vous n’en aurez jamais goûté de plus vieux.
+
+[Illustration]
+
+Il revint au bout de quelques minutes, portant sur un plateau deux
+coupes de cristal épais et une bouteille. La poussière et les toiles
+d’araignées ne cachaient pas complètement un liquide d’un blond lumineux
+et chaud.
+
+Il en émietta le cachet de cire, avec précaution.
+
+--On n’est jamais sûr, murmura-t-il... j’espère que celui-ci sera bon
+malgré son âge, qui doit approcher du mien... Vous permettez, monsieur,
+que je me serve d’abord pour m’assurer?...
+
+Il se versa un doigt d’élixir doré et, la tête renversée, il le huma
+longuement et le porta à ses lèvres.
+
+--Je pense qu’il ne vous déplaira pas, dit-il en souriant, et il emplit
+ma coupe jusqu’au bord.
+
+Il fallait une grande complaisance pour comprendre la saveur fanée de ce
+vin clair et dépouillé, mais je crois que, de ma vie, je n’avais bu
+pareille liqueur. J’en fis compliment au vieillard.
+
+--Mon maître, me répondit-il, n’en buvait presque jamais. Le matin du
+jour où il mourut, cependant, il me pria de lui en apporter un flacon.
+Il était assis, là, où vous êtes, et...
+
+Il se tut pendant quelques secondes.
+
+--Le drôle d’homme! soupira-t-il.
+
+Je sentis que je n’allais par tarder à recevoir ses confidences et à
+connaître un peu le mystérieux défunt.
+
+--Tenez, monsieur, reprit-il, je veux vous montrer encore quelque chose.
+Ce ne sont que des papiers, mais je suis sûr qu’ils vous intéresseront.
+J’ai un petit ouvrage à terminer et ces pages inachevées vous
+renseigneront mieux que je ne le ferais moi-même.
+
+Il tira un cahier d’une commode sûrement signée Riesener, et il le posa
+sur le plateau d’une table qui n’était qu’un éblouissant semis de
+marqueterie. Il approcha ma coupe et la bouteille pleine encore aux
+trois quarts, et il m’offrit un cigare hollandais qui se serait effrité
+si je l’avais serré entre mes doigts, tant il était sec de vieillesse.
+
+--Je vous laisse, me dit-il en refermant la porte. Vous en avez pour un
+moment, mais avec ce manuscrit, cette bouteille et ce cigare, vous ne
+vous ennuierez peut-être pas complètement.
+
+Autrefois, de belles chambrières offraient ici des boissons froides. Il
+y en avait une surtout...
+
+[Illustration]
+
+Une petite flamme dansa, me sembla-t-il, dans son œil d’étain. Je me
+versai un autre verre de vin, j’allumai le cigare et je me mis à dévorer
+les pages qu’on va lire. Je leur donne un titre qu’elles n’avaient pas
+dans le cahier, et je n’ajoute à ces curieux fragments que cette ligne
+de mon encre...
+
+
+
+
+II
+
+LE JOURNAL D’OLIVIER CAMORS
+
+
+ _Avril 1920._
+
+Me voici pour toujours à la Tremblée. J’en ai passé, hier, la petite
+porte verte, sans un regret, sans tourner la tête, comme ces fugitifs
+qui franchissent la clôture d’une trappe.
+
+J’admire les écrivains qui vomissent leur époque, selon l’expression de
+l’un d’entre eux, mais qui ne manquent pas un apéritif, dans les cafés
+où ils ont coutume d’aller, pas un dîner, pas une répétition générale.
+Je connais le romantisme de ces farceurs. Moi, j’ai eu le courage de
+fuir.
+
+Que ferais-je d’ailleurs à Paris? Il ne me reste que quelques milliers
+de francs de rente.
+
+Ce n’est pas cela pourtant qui m’a décidé... Fini... Je ne veux voir
+personne... J’ai fait la guerre. J’ai jeté dans un tiroir les croix et
+les médailles qu’on m’y donna. J’ai vendu mes livres. Tout cela était
+inutile dans ma retraite. Les rubans et la littérature, les ragots de
+MM. de Goncourt, la roublardise facile de M. Jules Lemaître, le Parnasse
+et les histoires de la plaine Monceau, les calembredaines, les talents
+moyens, les génies assommants et les idées générales n’ont pas cours
+dans le domaine où je suis venu. Je vais refaire le monde autour de moi.
+Je vais faire la paix pour moi seul, sans traités solennels, et je me
+moque des Bulgares, ces coupeurs de nez, d’oreilles et de lèvres, et des
+Turcs et des Allemands, ces gros blonds qui sont tous membres d’une
+société de tir ou de gymnastique, et je me moque aussi de cent mille
+choses que prennent au sérieux mes contemporains.
+
+Il n’y aura plus rien dans mes jours.
+
+Jusqu’à hier, je les ai remplis avec ce qu’ils appellent la vie. Ils
+étaient partagés en petites tranches étiquetées dont je respectais,
+comme tout le monde, le numérotage.
+
+J’y jetais des journaux et des lettres insignifiantes, des besognes que
+je croyais très importantes, des plaisirs et des obligations ridicules.
+Je prenais à peine le temps de déjeuner parce que j’attendais à quatre
+heures Thérèse ou Simone, qui ne venaient pas, et qui m’envoyaient un
+télégramme bourré des mêmes mensonges.
+
+Il n’y aura plus rien dans mes jours. Je suis désormais en paix...
+
+ * * * * *
+
+Je ne daterai plus ces lignes que j’écris au hasard. A quoi bon? Je dors
+mal. La solitude ne m’a pas versé encore sa divine tisane de pavots et,
+pendant toute cette nuit, j’ai encore songé à la guerre. J’ai refait les
+étapes du calvaire champenois... Nous avancions dans une ombre de
+guet-apens et notre colonne était tâtée, si je peux dire, effleurée
+maladroitement par la gerbe d’un projecteur ennemi. Nous allions
+au-dessous de cette queue de comète sinistre, faite d’une buée fauve,
+d’un poudroiement cruel, et je bronchais à chaque pas contre les troncs
+des pins coupés au ras du sol.
+
+Puis ce fut l’heure H qui sonna, l’instant vertigineux du bond hors des
+parallèles de départ, et la soif terrible, et une odeur de place
+tumultueuse, une nuit de quatorze juillet, quand, les feux d’artifice
+tirés, il reste dans la chaleur orageuse une persistante odeur de
+poudre.
+
+J’ai senti de nouveau ce sournois parfum de bonbon anglais qu’exhalent
+les gaz lacrymogènes et je me suis débattu dans les ouates jaunes des
+autres gaz empoisonnés, de ceux que le docteur Faust fabriquait dans son
+laboratoire et qui ont fait de moi, à quarante ans, un vieillard
+toussotant qui n’a peut-être plus longtemps à souffrir.
+
+ * * * * *
+
+J’ai trouvé un vieil atlas de géographie qui portait sur sa couverture
+fanée ce nom: Palmyre d’Herbaupair.
+
+C’était la sœur de ma mère, et elle mourut à la Tremblée; elle se tua au
+fond du parc, un soir qu’elle avait grimpé sur la plus haute branche
+d’un pin, rompue sous son poids.
+
+Je me souviens...
+
+Ma tante Palmyre était une colossale demoiselle d’une trentaine
+d’années. Sa stature avait effrayé tous les épouseurs. Aucun homme n’eût
+pu offrir son bras à cette géante, qui semblait faite pour les amours
+d’un dieu ou d’un taureau mythologique.
+
+Immense et enfantine, elle ne s’occupait jamais à des travaux féminins,
+mais elle dévastait le parc, dénichait les corbeaux et jouait avec une
+meute de grands chiens qui l’adoraient.
+
+Il n’y avait pas de domestiques mâles à la Tremblée, Jean vivait à Paris
+avec mon père, et, en été, elle allait se baigner dans le bassin. Je
+sais que je la vis un jour, à
+
+[Illustration]
+
+midi, alors qu’elle en sortait, ruisselante et criblée de soleil,
+presque surnaturelle dans sa formidable nudité, avec ses grands cheveux
+roux mouillés et retombant en mèches massives sur ses épaules de marbre.
+
+[Illustration]
+
+Elle me prit entre ses larges bras et m’emporta en courant, le visage
+serré contre sa poitrine de déesse ou de phénomène de foire.
+
+Etrange famille qui va finir avec moi!
+
+Ma mère était une mince et délicate jeune femme, toujours malade, et mon
+grand-père d’Herbaupair était un petit homme falot et chétif, qui
+n’avait eu dans sa vie qu’une passion: celle des antiquités.
+
+C’est lui qui rassembla tout ce que la pluie, l’humidité et plus de
+trente ans d’abandon détruisirent à la Tremblée.
+
+Je l’aperçus une seule fois et il ne prit point garde à moi. Il ne
+s’intéressait qu’aux enfants peints par Boilly.
+
+Il portait un costume assez bizarre et il jouait perpétuellement avec
+une grosse loupe dont j’avais bien envie...
+
+ * * * * *
+
+J’ai déniché derrière une porte une peinture qui représente une vue
+ocreuse de Rome.
+
+Devant cette vision noble et glorieuse, cette terre fauve que ne
+déshonorent aucun pâturage, aucun bétail à l’engrais, devant les arcs
+ruinés et les aqueducs écroulés, je songe à l’épouvantable ennui que
+m’infligeait tout ce qui touchait à Rome, au temps où j’achevais mes
+classes, au collège.
+
+Les vertus civiques et militaires de ses grands hommes, leurs mots
+historiques, leurs pompeuses attitudes me glaçaient. Je tenais les
+Romains pour un peuple de bavards, de faiseurs de routes et de lois, et
+Auguste me semblait le personnage le plus ridicule et le plus pompier de
+l’Histoire. Combien me plaisait davantage ce que j’appelais l’opposition
+orientale à la République et à l’Empire!
+
+J’aimais les princes efféminés qu’allait vaincre facilement quelque
+militaire de carrière, aux joues et aux lèvres bleuies par le rasoir;
+les princesses étranges qui regrettaient Ecbatane ou Césarée, la
+Bactriane et la Cappadoce, dans la ville capitale; ces belles barbares
+qui troublaient les césars et les proconsuls avec leur teint de
+fellahines et leurs parfums inconnus. Mais j’étais naturellement un
+mauvais élève, puisque je n’admirais pas ces juges de paix, ces agents
+voyers et ces briscards coloniaux...
+
+ * * * * *
+
+Je voudrais connaître mes nouveaux compagnons, les arbres qui
+m’entourent, et je ne sais le nom d’aucun.
+
+D’ailleurs, ils ont poussé si drus, si mêlés les uns aux autres qu’ils
+ne forment plus qu’une foule végétale.
+
+Je veux tout de même me familiariser avec eux...
+
+ * * * * *
+
+Ce matin, bien avant l’aube, j’ai dû fuir le lit où je n’avais pas dormi
+et aller dans le parc.
+
+Je suis de plus en plus sollicité par le côté mystérieux et obscur du
+monde.
+
+La terre avait le réveil pénible des hommes qui remontent lentement des
+gouffres du sommeil et du songe, des abîmes de la nuit.
+
+Elle avait l’air d’hésiter, il me semblait qu’elle allait lâcher un
+secret. L’aile fermée que chacun porte en soi allait-elle se déployer en
+moi?
+
+[Illustration]
+
+Mais non, chaque chose a repris sa place, le soleil s’est levé, et cette
+inquiétude infinie n’était que dans mon cœur...
+
+ * * * * *
+
+Un grand oiseau de mer, venant on ne sait d’où, a traversé ce soir, vers
+cinq heures, le ciel d’été, orange et mauve.
+
+Il allait, le cou tendu, sans un frémissement de plumes dans l’azur
+tiède, comme une grande chose soyeuse et bien lancée.
+
+J’ai entendu le bruit d’un coup de fusil.
+
+Tout le monde doit en parler au village, comme si l’homme qui saigne les
+porcs, le tailleur bossu, l’épicière, l’aubergiste, les vieux qui
+tettent des pipes vides et les vieilles qui se chauffent au soleil
+avaient vu le ciel se creuser et aperçu, dans une échappée vermeille, le
+passage d’un être surnaturel...
+
+ * * * * *
+
+J’ai retrouvé des vers que j’écrivis en Champagne, pendant la guerre, un
+soir inhumain que je songeais au tableau de Bœcklin: _L’Ile des Morts_.
+
+La contrée la plus tragique et la plus désolée du monde était en avant
+de Somme-Suippe; c’était un aride paysage calcaire et minéral. Tout y
+était pâle de la pâleur mortuaire des craies.
+
+C’est seulement au versant des astres éteints et des globes morts qu’on
+eût pu trouver ces lividités de sel et de plâtre.
+
+Ce coin du front était nettoyé comme un os, ce secteur blanc,
+squelettique et spectral avait l’air d’être sous un suaire. Je
+m’aperçois que ce poème maladroit est tout en rimes féminines. Cela ne
+me déplaît pas. Les rimes sourdes confèrent aux strophes une pesanteur
+étrange, mais voici cette poésie à laquelle j’ai donné le nom du
+tableau:
+
+
+L’ILE DES MORTS
+
+ Des cyprès, des rocs blancs hors du monde... C’est l’Ile
+ Où vivent les grands morts quand ils quittent la terre;
+ Un crépuscule doux, vaporeux et tranquille
+ Y répand ses clartés de perle et son mystère.
+
+ Son bois sacré de pins, de lauriers métalliques
+ Semble attendre toujours de pures chasseresses,
+ Et dans le bleu divin des soirs mélancoliques
+ On dirait que, toujours, vont passer des druidesses.
+
+ Victor Hugo, vêtu de la cape marine
+ Qu’il portait à Jersey, poursuit un vaste rêve...
+ Lorsque sort Beethoven, Musset et Lamartine
+ Saluent, et le martyr de la musique lève
+
+ Son énorme chapeau trop enfoncé... Banville
+ Au jardin de Ronsard cueille des roses blanches
+ Et des œillets qu’il veut offrir au bon Virgile.
+ Lord Byron à Chénier dit des vers sous les branches...
+
+ Hésiode et Gautier ont des barbes pareilles;
+ Shakspeare et Rabelais dans l’herbe rient ensemble;
+ Dante, toujours coiffé de capuces vermeilles,
+ Sur le bras de Balzac pose sa main qui tremble.
+
+ Ils sont là tous, dans l’île aux lumières sereines.
+ Aucun souffle n’émeut les arbres du rivage,
+ Les heures ne fuient pas et sont élyséennes.
+ Rarement une barque aborde sur la plage.
+
+ C’est l’asile où tout n’est que paix harmonieuse,
+ Où la table toujours est mise sous les roses
+ Des rosiers aussi hauts que le pin et l’yeuse;
+ C’est l’Ile du silence et des apothéoses.
+
+ Mais quand passent, venant d’une affreuse bataille,
+ Dans un lourd battement d’aile vierge et meurtrie
+ Des âmes de soldats, courbant leur grande taille,
+ Gœthe et Schiller, pensifs, maudissent leur patrie...
+
+ * * * * *
+
+Je passe aujourd’hui l’après-midi allongé sur mon lit, à regarder le
+ciel au-dessus des arbres.
+
+Au plus profond, au plus intime de moi, dans ces régions intérieures où
+ne peut vivre aucun mensonge, il n’y a peut-être que le désir d’en avoir
+fini vite avec les misères que je traîne, et je me sens soulevé par
+l’espoir des grandes migrations inconnues.
+
+Tout arrivera sans doute comme je l’imagine.
+
+Un matin ou un soir, lorsque Jean entrera, il me trouvera à cette place,
+immobile et couché, tel que je le suis maintenant.
+
+Il constatera que je suis mort.
+
+Mort!... savent-ils ce qu’ils disent, ceux qui prononcent ce mot?
+
+Invisible, mon âme flottera au-dessus de tout ce qu’elle aura laissé et,
+après quelques formalités qui ne me regarderont plus, quand on aura fait
+disparaître ce... Comment dire?... Cet amas de phosphate et de matières
+ammoniacales, elle prendra son vol vers les blancs et bleus paysages
+fugitifs et changeants, que je contemple de ma croisée.
+
+Immense ivresse des affranchissements!
+
+Je parcourrai le ciel, je m’engagerai dans ces ravins d’ombre effilochée
+au penchant des collines neigeuses que composent les nuages;
+j’escaladerai des pics et des falaises d’écume, des glaciers brumeux; je
+traverserai de vaporeux défilés pour gagner des champs de neige tiède,
+des moissons floconneuses. Je serai submergé par des marées,
+j’assisterai à des débâcles de nuées que je verrai fondre comme des
+blocs polaires, et je partirai vers les régions supérieures où
+n’atteignent pas les oiseaux,... puis... puis... je ne sais plus ce qui
+arrivera... Mais je passe cet après-midi dans les nuages, l’esprit
+presque délivré...
+
+ * * * * *
+
+Je ne suis tout de même pas assez loin du village.
+
+Il me semble, quand je veille, que je l’entends dormir. Une étoile se
+noie dans l’abreuvoir et la lune est derrière le clocher trapu et sans
+idéalisme de sa petite église romane.
+
+Je l’imagine cette nuit et l’humble bourgade abrite toutes les
+situations éternisées par l’art des écrivains.
+
+Sous un ciel nocturne, dont la pureté religieuse fait songer à un grand
+vers bleu sombre de Virgile, autour de cette place provinciale pareille
+à celles où Coppée fit rêver de poétiques receveurs de l’enregistrement,
+un héros ou une héroïne littéraires habitent dans chaque maison.
+
+Ici, vit le _Père Goriot_, de Balzac; là, _Eugénie Grandet_ range le
+linge qu’elle a elle-même lavé, tandis que l’avare _Grandet_ recompte
+ses billets. Derrière le géranium de telle croisée, relisant une lettre
+de _Vincent_, il y a _Mireille_, blanche de la blancheur ardente des
+camélias. _Léon_, le clerc de notaire qui passe dans le roman de
+Flaubert, songe à Paris, aux actrices, aux salons, en parcourant des
+échos mondains dans un journal. _Emma Bovary_ tourne le dos à son mari
+qui semble tirer, en dormant, sur le tuyau d’une invisible pipe car il
+dort, avec cette croupe chaude à portée de sa main... Dans des chambres
+obscures ronflent les paysans de Zola. Un vieux, dont on convoite
+l’héritage, est secoué par une crise d’asthme pendant que son fils, qui
+préférerait dormir, est obligé de besogner sa grosse femme qui fait
+craquer le lit, sans se soucier de son beau-père ni de son dernier né
+qui braille, travaillé par la dentition ou la colique. Et les cochons
+grognent dans les étables, et les rats volent du lard dans les buffets.
+Quelle farce obscure et monotone emportée autour du soleil à une vitesse
+de quatre cent douze lieues par minute!...
+
+[Illustration]
+
+ * * * * *
+
+Le vent a emporté un journal dans le parc.
+
+Sa première page était étalée bien à plat, sur l’herbe. Je n’avais qu’à
+me pencher pour lire et je ne l’ai pas fait.
+
+Que m’aurait-il appris?
+
+Je sais ce qu’il contenait sans l’avoir regardé: on doit toujours se
+battre en Orient, et la famine et le choléra occupent sérieusement les
+armées rouges. Des garçons sans scrupules ont volé, dans un rapide, les
+bijoux des grosses dames qui vont si souvent aux cabinets. On a entôlé
+un rentier qui avait eu la faiblesse de suivre dans un garni deux
+filles, dont les mollets polissons n’étaient pas à comparer à ceux de sa
+digne épouse, et cela ainsi jusqu’aux rébus de la quatrième page
+proposés à des œdipes qui gagnent un stylographe ou une fiole de parfum
+chimique.
+
+[Illustration]
+
+J’en ai fait une boule que j’ai lancée par-dessus le mur... Un train
+sifflait au loin...
+
+ * * * * *
+
+Il y a plus d’un mois que je n’avais ouvert ce carnet. Les gaz que le
+docteur Faust fabriquait chez Mᵐᵉ Bertha Krupp agissent de mieux en
+mieux. Chose curieuse, à mesure que mes forces déclinent et que le mal
+me gagne, je suis de plus en plus poursuivi par des images de femmes.
+
+Je ne peux pourtant pas sortir, dans l’état où je suis, et séduire
+quelque fille du village. La plus minable me rirait au nez.
+
+ * * * * *
+
+_Gustave. Poste restante. B. 21. Hôtel de Ville. Envoi discret de
+catalogues..._ J’ai lu cette adresse, au hasard, avant de quitter Paris,
+et je ne sais pourquoi elle me hante à la façon d’un leit-motiv.
+
+Je viens d’écrire à ce commerçant discret. Il expédie des paquets de
+tissus caoutchoutés qui deviennent, quand on les gonfle, de véritables
+femmes. Ce sont les seules qui puissent me convenir. On m’a affirmé que
+des explorateurs et certains solitaires n’en souhaitent pas d’autres.
+
+J’ai coupé toutes les ficelles qui me rattachaient au monde; si
+quelqu’un parlait de moi aux gens du village, on lui dirait que je suis
+fou. C’est peut-être vrai. Pourquoi n’aimerais-je pas une grande
+poupée?... Hé... pas si grande... j’ai donné les mesures. Je suis de
+l’avis de Michelet. Il faut que sa tête arrive à la hauteur de mon
+cœur...
+
+ * * * * *
+
+Lorsqu’on frappera à la porte verte, ce sera Elle!
+
+[Illustration]
+
+Je ne pense plus qu’à son arrivée. J’ai commandé un petit trousseau: des
+bas de soie, une chemise, un peignoir, un bonnet de dentelles, un flacon
+d’essence de rose, un autre de musc; mais j’ignore tout de cette
+inconnue, et comment l’appellerai-je? Je vais songer à un nom.
+
+ * * * * *
+
+Je ne crois pas trouver.
+
+On peut étiqueter, une fois pour toutes, les choses immobiles. Elles ne
+changent jamais. Le nom qu’on leur donne les désigne toujours. Mais les
+femmes!...
+
+J’en ai connu une qui s’appelait Marie. Cela lui allait parfaitement
+jusqu’à midi. Ses cheveux châtains, mouillés et lissés au sortir du
+bain, en faisaient une grasse et bourgeoise madone. Elle avait des
+réveils enfantins et sa toilette était pudique et secrète.
+
+Le déjeuner troublait légèrement toutes ces candeurs.
+
+Après un verre de vieux bordeaux et un doigt de chartreuse, elle
+s’appelait Sapho, Lucrèce, Mercédès ou Rosa.
+
+Le prénom d’une femme, qui prend son café au lait ou qui brode en
+compagnie de sa mère, ne lui convient plus le soir, quand elle est nue.
+
+Elle s’appelle Marthe, Thérèse ou Monique, et cela est très bien ainsi.
+Elle coud, elle suce le bout de son doigt où une piqûre d’aiguille a
+fait brusquement éclore une petite coccinelle de corail sombre; elle
+confectionne une tarte devant le fourneau, elle lit un roman honnête, et
+elle peut porter le nom qu’elle a reçu.
+
+Si elle met sur ses cheveux un grand chapeau de soleil et qu’elle aille
+dans le jardin, elle s’évade déjà. Elle doit s’appeler Charlotte,
+Isabelle, ou Rosine. Charlotte, c’est comme un abricot plein de taches
+de rousseur, et si Rosine est un prénom enveloppé dans une large feuille
+de rose rose, Isabelle a le blanc crème des gloires de Dijon.
+
+La nuit est venue. Elle est seule avec son mari et elle pousse le verrou
+de la porte, toute pareille à ces amantes potelées et vermeilles qui
+font le même geste dans les estampes galantes du XVIIIᵉ siècle. Un sein
+gonflé s’échappe hors de son corsage, un de ses bas tombe sur sa jambe
+ronde. Elle est alors Rosette ou Fanchon...
+
+Le voici en chemise, avec ses mules de satin bleu, les bras arrondis,
+les mains à son chignon qu’elle tord. Elle est devenue la gaillarde
+bourgeoise des contes italiens qui va prendre son plaisir avec un beau
+capitaine ou un jeune capucin paillard qu’elle a gavé d’oie rôtie et de
+vin vieux...
+
+Elle jette ses pantoufles minuscules et ses derniers voiles, et, sans un
+peigne, sans une bague, elle est une femme des premiers âges du monde,
+elle est Laïs ou Phryné, Atalante, Chloé, Amaryllis... mais aucun de ces
+noms ne lui convient longtemps et, quand elle s’endort sur le bras qui
+l’a étreinte, elle redevient presque la petite fille alourdie de sommeil
+qu’on appelait Moune, Ninette ou Lili...
+
+ * * * * *
+
+Au fond, il n’y a rien de très cocasse dans le désir que j’ai de cette
+poupée.
+
+Mon grand’père d’Herbaupair, après avoir fait deux enfants à sa femme,
+l’abandonna à la Tremblée et n’aima plus que les visages et les corps
+peints sur des toiles. Je l’imagine dans une rue de Paris, vers 1860. Il
+était absolument normal.
+
+Devant ou derrière lui, sur le trottoir mouillé de pluie, un homme de
+son âge suivait une lorette ou une modiste qui jouait de la croupe et
+soulevait sa jupe sur de gros jarrets qui tendaient ses bas blancs.
+
+Il obtenait un rendez-vous pour le soir, se ruinait en vespetro et en
+marasquin pour régaler la belle qui finissait par se laisser conduire à
+l’hôtel. Les draps y étaient douteux et humides; il gelait dans la
+chambre
+
+[Illustration]
+
+inhospitalière; la fille, qui montrait soudain une rapacité sordide de
+commerçante, tarifait ses charmes douteux et ses caresses, et le
+galantin dégrisé ne songeait qu’à fuir, et il faisait le simulacre de
+l’amour, honteux comme tous les simulacres, en écoutant les
+
+[Illustration]
+
+vidangeurs, seuls maîtres de la rue à cette heure déserte et noire. Mon
+grand-père, lui, se rendait tranquillement à de mystérieux rendez-vous
+chez les brocanteurs auvergnats, cherchant les seules femmes qu’il
+aimât: les nymphes de Fragonard, les laitières de Greuze et les belles
+dames poudrées des anciens pastels... Ses amours étaient les plus
+belles... Il se ruina presque cependant pour une fille rencontrée à la
+terrasse de Tortoni...
+
+ * * * * *
+
+Elle devrait être ici.
+
+Je suis de plus en plus nerveux, depuis que je l’attends. La moindre
+chose m’irrite, et j’ai failli avoir une épouvantable crise pour avoir
+vu un crapaud. Sa hideur, ses pustules ne m’ont pas trop répugné, c’est
+son attitude qui m’a rendu furieux.
+
+Ce crapaud, que mon domestique protège, est une sorte de divinité
+bouddhique, ventrue, molle et grenue; il allait lent, solennel,
+important, ridicule, et je comprenais qu’il se savait sacré. Il avait la
+majesté pompeuse et bête des dieux auxquels il est interdit de toucher;
+la suffisance des gens en place; l’orgueil tranquille et béat de ceux
+qui se croient indispensables, quelque chose de prudhommesque et de
+despotique, et, alors, j’ai eu brusquement envie de lui prouver à coups
+de trique, à coups de pierre, que tout ce dont il était si fier ne
+tenait pas debout, que ses occupations d’aide jardinier et de garde
+champêtre n’étaient pas plus sérieuses que celles des araignées, des
+limaces et des rats, et qu’il n’avait pas le droit d’avoir une attitude
+aussi grotesque, et qu’il n’était qu’un crapaud, un sale crapaud dans le
+parc d’un homme en train de mourir.
+
+J’en ai été secoué toute la journée...
+
+ * * * * *
+
+J’ai prié mon domestique de différer aujourd’hui son voyage à la ville
+où il va faire des achats.
+
+[Illustration]
+
+Je crois qu’elle ne tardera pas à arriver et je ne veux pas être obligé,
+moi-même, d’ouvrir la porte et de voir le facteur.
+
+Il ira un autre jour, quoique ces voyages,--je le devine,--l’enchantent.
+
+Je la connais, cette sous-préfecture! Des courtiers en vins boivent de
+la bière à la terrasse du café d’Orient; les jeunes filles d’un
+pensionnat sortent pour la promenade; une jeune femme, chaussée de blanc
+et coiffée d’une charlotte de mousseline, descend la grand’rue. Elle
+s’arrête chez le pâtissier en renom.
+
+Sous une gaze jaune, qui les défend contre les mouches, des babas ivres
+de rhum sucré défaillent dans des assiettes à filets dorés... La jeune
+femme sort, saluée par un vieux roquentin vêtu de flanelle bleue à
+rayures, un avocat dont les aventures et l’éloquence sont célèbres
+jusqu’au chef-lieu.
+
+C’est dans cette rue déserte où j’ai passé, il y a plus de vingt ans,
+que Jean fait ses emplettes, puis il boit un bock ou un apéritif près de
+la gare, seul comme un vieux comique lugubre de l’Eden-Café, qui est le
+concert le plus couru de l’endroit.
+
+L’Eden-Café! J’y ai connu l’amour pour la première fois!
+
+C’est la maison mère d’une sorte de prostitution artistique. C’est de là
+que, tous les samedis, on expédie aux bourgs environnants deux ou trois
+chanteuses et un pianiste, qui est en même temps un diseur de monologues
+idiots. Ils arrivent, le soir, au café chantant où ils sont engagés. Les
+vieilles, qui mangent leur soupe devant la porte, les méprisent; les
+ménagères et les jeunes filles admirent l’élégance tapageuse de ces
+femmes; quant aux hommes, même pour les plus rustiques, elles
+représentent vaguement tout ce qu’ils imaginaient de la haute noce et
+du théâtre.
+
+[Illustration]
+
+Elles laissent dans la petite gare un sillage de parfums grossiers, et
+plus d’un adolescent mange distraitement sa salade, sans écouter le père
+qui parle de la foire prochaine ou des vignes qui ont soif.
+
+Elles sont aux filles du village ce qu’est une bouteille de champagne
+fabriquée avec des acides au petit vin naturel du pays; elles sont le
+mal, l’inconnu, l’attrait dangereux et charmant, l’extrême civilisation.
+Elles sont surtout de pauvres êtres, d’humbles servantes et comme les
+bonnes à tout faire de la chanson stupide et de la muse polissonne; et
+les bellâtres du canton qui s’offrent la gommeuse ou la grande bringue
+navrée qui roucoule des bêtises sentimentales, s’imaginent qu’ils ont
+aimé des divas illustres et des étoiles de théâtre!...
+
+ * * * * *
+
+On a frappé ce matin à la porte du parc, et j’ai brusquement retrouvé la
+première émotion du premier rendez-vous... Elle?...
+
+C’était un mendiant que Jean a chassé.
+
+Ma gorge s’est desserrée, la petite aiguille qui s’affolait à la pointe
+de mon cœur s’est immobilisée. J’ai été tout pareil à ces jeunes gens
+qui attendent leur maîtresse, vers quatre heures, à Paris. Ils ont
+épousseté eux-mêmes et rangé leur appartement derrière leur femme de
+ménage. Ils ont mis des fleurs dans les vases, vaporisé dans la chambre
+quelque parfum, préparé deux heures à l’avance l’assiette de gâteaux,
+les tasses à thé et la bouteille de porto. Ils ont surtout regardé la
+pendule. Le livre qu’ils essayaient de lire, pour tuer le temps, ne les
+intéressait pas. Ils ont frotté un à un les flacons de la toilette,
+compté les anneaux des rideaux sur leur tringle de cuivre, en disant:
+elle viendra... oui... non... oui... non... oui... non... heureux si le
+dernier anneau tombait sur oui.
+
+A quatre heures, on sonne! Éperdus, ils vont ouvrir, et se trouvent nez
+à nez avec une vieille dame asthmatique et poussive, qui s’excuse à
+peine et qui s’est trompée d’étage.
+
+J’ai été tout pareil à ces amants inquiets...
+
+ * * * * *
+
+Un quart d’heure après le départ de ce mendiant on a de nouveau frappé à
+la porte, trois coups impérieux, durs, comme de quelqu’un qui
+s’impatienterait en trouvant le vantail verrouillé, quand il veut entrer
+chez lui et que les serviteurs tardent à ouvrir.
+
+[Illustration]
+
+C’était Elle!...»
+
+ * * * * *
+
+Le vieux domestique survint à ce moment dans la chambre où je lisais.
+
+--Eh bien, monsieur, dit-il en essayant de sourire, croyez-vous que feu
+mon maître était un drôle d’homme?
+
+Il se pencha vers la table:
+
+--Ah! vous en êtes à son arrivée à la Tremblée. Vous n’en avez plus pour
+longtemps. Ce que je ne digère point, par exemple, c’est qu’il m’a
+traité de vieux comique lugubre. Je suis scrupuleux et susceptible. Oh!
+je ne me plains pas, quoique, vous savez, les trois mille francs de
+rente dont j’hérite, je ne les ai pas volés. Ni son père, ni lui ne
+m’ont jamais payé mes gages, et je suis à leur service depuis plus de
+quarante ans... Enfin, il n’aurait pas dû dire cela de moi... Achevez
+donc cette bouteille...
+
+Il remplit ma coupe de vieux vin doré!
+
+--Je vous laisse, fit-il, vous allez en avoir fini avec ce cahier. Je
+vous ferai ensuite une surprise. Je vous montrerai la demoiselle; elle
+est encore ici, et elle est vierge et veuve, monsieur, car mon maître
+est mort le jour où il l’a reçue. Le temps se gâte, je crois qu’il va
+faire un gros orage...
+
+Je repris tout de suite ma lecture:
+
+ * * * * *
+
+«Elle est enfin ici!
+
+Je n’ai pas encore coupé les ficelles qui entourent sa boîte. Elle est
+comme une voyageuse un peu lasse qui se reposerait et ne voudrait pas se
+montrer trop vite à ses hôtes.
+
+J’ai fait moi-même une toilette plus soignée. Je me négligeais depuis
+quelque temps.
+
+J’ai coupé ma barbe et ma moustache, j’ai mis un costume de flanelle
+blanche et j’ai l’air d’un monsieur très fatigué dans un parc de ville
+d’eaux.
+
+Quand je passe devant les volets de la chambre, instinctivement je
+marche sur la pointe des pieds.
+
+ * * * * *
+
+Je crois que je prendrai mes repas devant elle. Autrefois, j’aimais
+beaucoup manger en compagnie des femmes.
+
+Un dîner d’hommes fait toujours penser à ces banquets où d’anciens
+militaires du même régiment, d’authentiques badernes sorties de la même
+école, la même année, se régalent à prix fixe, coude à coude et vêtus
+d’habits funèbres, à l’immense table d’un salon de société que ne décore
+aucune fleur.
+
+Les hommes seuls manquent généralement de tenue, et il ne faut pas
+croire qu’on a meilleur appétit et qu’on est plus à l’aise en manches de
+chemise et en pantoufles.
+
+C’est comme si l’on affirmait que le café bu dans une épaisse tasse de
+faïence est plus savoureux que dans la fine et immatérielle coquille
+d’œuf d’une porcelaine chinoise.
+
+Un vrai repas, bien ordonné, est la plus aimable des choses. C’est un
+luxe de civilisés qu’il faut entourer de toutes les délicatesses.
+
+On ne mange pas du foie gras truffé, ni un sorbet à la framboise, en
+sabots et en tricot de laine, sur un coin de table de cuisine, devant
+une chandelle qui fume, mais en habit, avec du linge fin, sur une nappe
+fleurie et à la faveur de bougies voilées d’abat-jour qui tamisent une
+lumière égale.
+
+Rien alors n’est plus charmant à regarder que les jeunes femmes qui sont
+la guirlande et la parure de la table.
+
+La soie ou le velours des robes décolletées ont l’odeur des ombrelles
+crépitantes chauffées au grand soleil de juillet. Des parfums naturels
+et des effluves d’essences rares s’y ajoutent. Les petits carrés de
+truffes ou les crevettes qui garnissent un filet de sole ont un goût
+unique, si une belle brune montre, en levant le bras pour enfoncer un
+œillet dans son chignon, le creux touffu de son aisselle, si, au moment
+où vous avalez une cuillerée de fraises des bois assaisonnées au
+champagne, une blonde grasse montre ses épaules de neige et découvre
+vaguement un sein dont la pointe doit être pareille, sous les dentelles
+de son corsage, au fruit qui parfume votre palais.
+
+Les gens qui prétendent que les vrais gourmands doivent s’enfermer
+seuls, pour savourer des plats choisis, sont de timides maladroits.
+
+Il faut se défier d’eux et les plaindre.
+
+Ils passent assurément d’épouvantables nuits, car l’amour doit venir
+naturellement après le dessert, comme les pêches et les muscats viennent
+après les glaces et la frangipane.
+
+La gastronomie n’est pas un art à l’usage des ermites. Lorsqu’on couche
+seul, il est plus raisonnable de prendre, le soir, un bouillon léger, la
+moindre des choses, un peu de confiture et une tasse de tilleul.
+
+Les femmes, quoi qu’on dise, savent apprécier un bon repas. Cela se voit
+à la façon dont elles mangent. Elles ne remplissent jamais leur assiette
+et ne s’empiffrent pas de grosses viandes. Elles savent ce qu’un os de
+côtelette ou de poulet peut garder de chair savoureuse et de peau
+rissolée.
+
+Que d’épais bâfreurs rient de leur préférence pour les carcasses et les
+croupions. C’est le reproche que pourrait faire un âne qui tond un pré
+au lapin de garenne qui choisit les herbes parfumées, serpolets, thyms
+et menthes sauvages... Mais à quoi vais-je penser, moi qui ne prends
+plus que quelques fruits et des biscuits trempés dans un doigt de vieux
+vin?...
+
+ * * * * *
+
+Elle ne mangera pas. J’ai souffert quand j’étais jeune du peu de goût
+dont mes amies de passage faisaient preuve, au restaurant. Je me
+souviens à peine de leurs visages, mais ils reviennent parfois à la
+seule vue ou à l’évocation du plat qu’elles préféraient.
+
+Ne déjeunant et ne dînant jamais chez moi, j’ai beaucoup regardé les
+femmes qui m’entouraient. Je songe à une fille avec qui je dînais assez
+souvent.
+
+Sa mère était concierge dans une maison ouvrière, du côté de Montmartre
+et son père rentrait saoul à peu près chaque soir, quand elle était
+enfant.
+
+La loge sans air et sans lumière sentait le débarras et le compartiment
+de troisième classe où ont dormi dix voyageurs. Elle faisait les courses
+pendant que sa mère balayait l’escalier, et elle rapportait quelques
+sous de pain chaud, de la charcuterie et de l’eau-de-vie. Elle s’était
+régalée de veau piqué, de mirotons et de salades.
+
+Par quel miracle était-elle devenue la splendide créature que j’admirais
+pendant ces repas?
+
+Son teint était d’une neige fouettée de roses, ses dents étaient des
+perles humides, naturellement claires. Elle avait une taille de
+duchesse, des bras de Vénus, de longues jambes rondes et fines, une
+toison énorme dont la nuance allait du maïs mûr au cognac brûlé, et on
+eût juré que, née d’un mylord spleenétique et d’une blanche lady, dans
+un château au bord d’un lac, elle n’avait été nourrie que de beurrées,
+de crême fraîche, de gâteaux et de puissants rosbifs anglais...
+
+ * * * * *
+
+Épouser une femme qui s’intéresse à la cuisine est une garantie de
+bonheur conjugal. Même si elle n’est pas des plus jolies, la santé et la
+bonne humeur qui sont les conséquences de la bonne chère, la
+transfigureront, et elle sera une compagne infiniment plus agréable
+qu’une fille belle, froide, et rassasiée dès le potage.
+
+Si le mari qui rentre chez lui, las de sa journée, trouve un repas
+négligé, un de ces dîners dont s’est occupée toute seule une servante,
+il est perdu.
+
+La vie ne lui réservera que déboires. Après un bouillon rapidement
+bâclé, trop chaud ou trop froid, plein de grumeaux et sentant le
+graillon, l’affaire qui le tourmente n’aura aucune chance d’aboutir
+selon ses désirs.
+
+S’il a l’impression de manger le poisson sur un évier, et le rôti sec et
+la salade assaisonnée avec trop de sel et trop de vinaigre, il ne peut
+réussir ce qu’il entreprendra le lendemain, et la nuit qui suit un dîner
+sans harmonie ne peut pas être heureuse.
+
+Mais aucun des soucis que nous traînons avec nous ne résistera à
+l’onction d’un bon potage, au morceau de bœuf dont le sang gicle sous le
+couteau, au velours d’une crême simple et parfaite.
+
+Ce n’est pas moi qui blâmerai le
+
+[Illustration]
+
+célibataire qui épouse sa cuisinière. De tous les mariages de raison,
+celui-là est peut-être le plus raisonnable.
+
+De la table au lit il n’y a qu’un pas et on le franchit sans effort.
+
+Il est à remarquer que les premiers désirs des jeunes hommes vont aux
+cuisinières bien en chair.
+
+L’amour des maigreurs distinguées ne vient que plus tard, mais la
+première impression est toujours la meilleure et la plus vraie.
+
+Quel est l’adolescent qui n’a pas imaginé le paradis comme une cuisine
+voluptueuse aux buffets pleins de volailles à la gelée, et dont les culs
+de casseroles, polis et clairs ainsi que des miroirs, reflétaient une
+accorte fille à la croupe dodue, aux mollets rebondis, aux bras chauds
+et aux seins ronds, en train d’ôter une chemise rustique?
+
+ * * * * *
+
+Si les fiancés pouvaient observer leurs futures à l’heure des repas,
+cela éviterait bien des malentendus et des divorces.
+
+En tout cas, si j’avais quelques conseils à donner aux jeunes hommes, je
+leur dirais:
+
+--Ne demeurez pas là, extasiés comme des benêts, à regarder ses dents
+quand elle boit et à vous demander par quel miracle le pain qu’elle
+avale, le gigot froid, les pommes de terre, la salade, la confiture et
+les gâteaux secs vont se changer en roses et en lys sur ce visage que
+vous convoitez.
+
+Examinez-la calmement.
+
+--Elle a bon appétit, mais ne se hâte point. Elle prend son temps et
+elle mange posément, accueillant également tous les plats sans y revenir
+jamais?...
+
+Elle est sérieuse, patiente et dévouée. Epousez-la. C’est la compagne
+des bons et des mauvais jours, celle qui ne choisira pas ailleurs et qui
+ne désirera jamais que ce qu’elle possède.
+
+--Elle a un gros appétit, et elle se hâte comme si elle était pressée
+par l’heure d’un train, dans un buffet de gare. Elle est joyeuse
+cependant et de bonne humeur. Elle sourit franchement entre deux
+bouchées?...
+
+Si vous êtes sûr de vous, vous aurez là une femme excellente, un peu
+ronde et brusque; son amour sera peut-être légèrement tyrannique, mais
+il sera, aussi, robuste et solide.
+
+Souvenez-vous, par exemple, qu’elle reprend toujours d’un plat qui lui a
+plu...
+
+--Elle déchiquette sa côtelette comme un poisson pour n’en sucer que
+l’os; elle cherche, de la pointe de son couteau, une boulette de
+moelle?
+
+Méfiez-vous. Elle est chicanière et soupçonneuse, jalouse aussi. Elle
+fouillera dans vos poches quand vous changerez de veston...
+
+--Elle met de chaque côté de son assiette, soigneusement, à gauche la
+mie de pain, à droite la croûte?
+
+Vous ne la connaîtrez jamais complètement. Elle est ambiguë, méthodique,
+froide et secrète. Le mariage, pour elle, comporte trois cérémonies: à
+la mairie, à l’église et au tribunal où se prononce le divorce.
+
+--Si elle prend la cuisse d’un poulet rôti, épousez-la.
+
+Elle n’est pas très délicate, mais elle est simple, bien portante et
+sans détours. Elle marchera toujours sur la bonne route...
+
+Si j’avais fait métier d’écrire, j’aurais sûrement composé un curieux
+ouvrage sur la cuisine...
+
+ * * * * *
+
+Demain, elle existera!...
+
+C’est dans ce pays que j’ai vu, pour la première fois, une femme nue. Je
+crois que peu d’adolescents ont été aussi favorisés que moi et c’est le
+souvenir le plus prodigieux de ma quinzième année.
+
+J’étais un enfant studieux, sage et maladif, et, pendant les vacances,
+mes seules distractions étaient la pêche et la lecture des poètes
+romantiques.
+
+Un après-midi que je lisais les _Orientales_, sous un arbre, une petite
+charrette anglaise passa sur la route et un jeune homme vêtu de blanc me
+fit un salut amical.
+
+J’allai à lui, à travers le parc.
+
+C’était mon ami de classe Alexandre Boreuil, le fils d’un antiquaire de
+la place du Forum que l’on disait fort riche.
+
+Je lui offris de se rafraîchir, mais il refusa, craignant d’être en
+retard. Il avait une course à faire à quelques kilomètres, et il me
+désigna une place à côté de lui, sous le tendelet de toile écrue qui
+faisait une ombre claire à sa voiture.
+
+Il allait, me confiait-il, porter un antique objet d’art au propriétaire
+d’un château des environs dont j’avais vaguement entendu parler.
+
+Je savais que ce voisin, fort bizarre et solitaire, vivait au milieu
+d’admirables collections, et j’acceptai la place que m’offrait
+Alexandre.
+
+--Vous devez vous ennuyer? commença-t-il.
+
+--Mais non, répondis-je, et je tirai les _Orientales_ de ma poche.
+
+Il ouvrit le bouquin, déclama une strophe, éclata de rire, et il écrasa,
+en refermant le volume, une abeille qui semblait butiner les vers.
+
+Il arrêta son cheval devant une petite porte en bois épais, toute
+cloutée de bronze.
+
+Le bouton de la sonnerie disparaissait sous le feuillage, et il nous
+fallut le chercher entre les luisantes feuilles bleues d’un feston de
+lierre.
+
+La porte s’ouvrit et Alexandre, ayant attaché son cheval et entravé les
+roues, prit, en portant le précieux objet dans une boîte, un sentier
+plein de mousse, sous des arbres de Judée.
+
+Je le suivais, et nous aperçûmes brusquement le château.
+
+Une vieille servante guida mon ami,--car je demeurai sur la terrasse,--à
+travers un immense vestibule, vers un salon que j’apercevais devant moi
+et qui devait servir de bibliothèque.
+
+Quatre portes-fenêtres étaient ouvertes sur le jardin, et les vieux
+arbres et les stores de toile jaune tamisaient à souhait l’ardente
+lumière.
+
+Un homme était assis au milieu de la vaste pièce. Il paraissait
+quarante-cinq ans. Une crinière grise et drue, rejetée en arrière; une
+barbe épaisse, aux boucles distinctes comme celles des bronzes antiques,
+en faisait un être d’un grand caractère.
+
+On imaginait au fond du parc une victoria vernie, avec un cocher
+solennel.
+
+[Illustration]
+
+Je vis entrer Alexandre. Il tendait sa boîte à l’homme qui coupa les
+ficelles et tira, du coton qui l’enveloppait, un petit Bacchus
+d’ivoire. Du plat de sa main velue, il caressait la statuette, comme un
+voluptueux caresse l’épaule bien potelée d’une maîtresse.
+
+Lorsqu’il se leva, Alexandre prit congé, mais il s’égara sans doute dans
+les couloirs, car il fut un assez long moment sans paraître.
+
+C’est alors que j’eus la révélation de la femme.
+
+Une grande fille entra, blonde, élancée, robuste et nue. Elle n’avait
+aux pieds que des sandales retenues aux chevilles par des bandelettes
+dorées, et un peigne d’écaille à son chignon.
+
+Dans les clartés adoucies et tranquilles de l’immense salon plein de
+livres, de marbres et de miroirs, elle allait sans gêne, habituée
+certainement à vivre ainsi. Elle s’assit, croisa ses longues jambes
+blanches et prit le petit Bacchus pour l’examiner. Puis, elle arrangea
+sa coiffure dans une glace et, me tournant le dos, quitta le salon, les
+bras arrondis sur sa tête et pareille à une grande amphore d’albâtre. Je
+ne racontai pas cela à mon ami, et j’appris ensuite que cet homme était
+un singulier original, vivant seul avec cette femme nue, dans ce château
+où personne ne venait jamais.
+
+ * * * * *
+
+Elle existe!... Ah! la chose n’a pas été commode... J’ai ouvert la boîte
+dans l’ombre, j’ai développé la toile sur mon lit, mais avant de lui
+donner la vie avec ce qui me reste de souffle, je l’ai habillée d’un
+peignoir de soie chinoise, j’ai mis des bas à ses jambes plates et je
+l’ai chaussée, comme j’ai pu, de mules blanches... Je l’ai vue naître
+
+[Illustration]
+
+par degrés... L’étoffe s’est soulevée lentement, un pied s’est
+brusquement étiré, et son visage clair s’est tourné vers moi avec ses
+yeux immobiles, étonnés et extasiés. Je l’ai coiffée d’un bonnet de
+dentelles et je suis resté près d’elle, en lui tenant la main, et je lui
+ai dit:
+
+«--Tu n’es rien sans doute qu’une illusion, mais que sont les plus
+grandes amours?
+
+[Illustration]
+
+«Telle femme pour qui un amant désespéré s’est tué n’aurait pas obtenu
+un seul baiser d’un autre homme. L’amour est en nous, il n’est pas
+nécessaire que celle qui en est l’objet le partage. Le vieux Shakespeare
+a dit que l’amour et la beauté étaient dans l’œil du contemplateur et
+qu’ils naissent du regard qui sait transfigurer la matière.
+
+«Tu n’es qu’une énorme bulle que j’ai soufflée, mais il en est de même
+de tout ce que nous imaginons.
+
+«Ecoute, je n’ai pas de secrets pour toi. J’ai été pris, il y a quelques
+années, par une fille rencontrée dans un café. A présent qu’il n’y a
+plus autour de son image l’atmosphère que je créais, je puis affirmer
+qu’elle était ignoble.
+
+«Ses cheveux teints étaient une filasse décolorée, sa gorge était
+dévastée, et je mourrais de honte si je devais m’attabler encore avec
+elle dans les restaurants où elle m’entraînait et où elle mangeait comme
+un maçon, en persécutant de ses œillades les hommes qui dînaient seuls.
+
+«Eh bien, je la transfigurais. Je faisais de sa fausse chevelure une
+toison de courtisane médicéenne et de dogaresse, et la poitrine de
+marbre des Vénus me semblait fade à côté des deux gourdes molles que
+j’embrassais, pendant qu’elle gloussait comme une poissarde chatouillée.
+
+«Les grandes héroïnes n’ont sans doute existé que dans le cœur éperdu de
+ceux qui les aimèrent. La divine, la pure Laure que chanta Pétrarque
+était une jeune femme qui couchait toutes les nuits avec son mari, le
+sieur de Sade, un rude gentilhomme peu lavé qui devait ronfler après
+avoir fait l’amour comme un soudard.
+
+«Laure accomplissait peut-être sans joie ces devoirs conjugaux, et je
+crois volontiers qu’elle avait plus de noblesse et d’allure que Tata--ma
+maîtresse était connue sous ce nom imbécile--mais je crois aussi que,
+pendant quelques mois, je fus un plus grand poète que l’altissime
+sonnetiste qui célébra la dame de Vaucluse, parce que transfigurer ce
+chameau demandait beaucoup plus de dons poétiques et d’idéalisme.
+
+«Certains soirs, le foulard ou le velours de sa jupe qui avait balayé
+toutes les banquettes du café me semblaient tissés d’une surnaturelle
+soie, et je sentais mille cœurs battre dans ma poitrine quand elle
+m’enlaçait négligemment de ses bras qui avaient traîné partout.
+
+«Tu es aussi réelle a présent que toutes les femmes que j’ai possédées
+et qui ne m’aimaient pas, celles dont l’amant qui n’arrive pas à les
+émouvoir est
+
+ «_comme un musicien_
+ «_Tourmentant le clavier d’un clavecin sans cordes_...»
+
+«Je ne peux te donner un nom. A mon gré, lourde et parfumée de musc, tu
+seras
+
+[Illustration]
+
+la fille du Sud qu’on trouve près du vieux port et qui vous entraîne
+dans une maison obscure et moisie. Elle sent les coquillages, le soleil
+et l’eau croupie où meurent les poissons. Une chandelle éclaire sa
+mansarde chaude dont la croisée donne sur un bassin plein de navires. Le
+matelot à peu près ivre qu’elle a ramené ne saurait y reconnaître le
+sien. Il est allongé sur le grabat et il regarde cette femme qu’il ne
+connaît pas. Elle a dans son chignon massif un œillet qu’a flétri le
+parfum trop fort de ses cheveux gras. Elle marche vers la couche, nue,
+robuste, et son corps splendide et dur qu’a glacé la sueur montre, dans
+l’ombre où clignote la bougie, des seins flétris, et son amour ressemble
+à une brutale rixe...
+
+«Tu seras, si je le désire, une jeune femme du Nord, blonde, docile et
+molle. Pendant le silence cruel d’une nuit de gel sur la mer ou
+brillent des îlots de glace, ton corps chaud frissonnera à peine quand
+je l’étreindrai sous les couvertures... Tu deviendras tour à tour la
+belle poitrinaire qui consume d’amour ses derniers jours, sous les
+eucalyptus de la villa; la jeune fille du château qui a donné
+rendez-vous au fils du jardinier; la petite bourgeoise qui trompe le
+notaire avec le soldat qu’elle loge; la pierreuse qui vous pousse, une
+nuit de pluie, vers son hôtel, à travers une rue dont le trottoir luit
+comme de l’ébène mouillé... Tu seras toutes les femmes: la chaste
+pupille aux tresses blondes de l’anabaptiste et la cadette déjà grasse
+et ambrée du rabbin; la jeune duchesse svelte, pâle et mélancolique; la
+brute foraine aux poignets garrottés de cuir, aux jarrets épais qui
+lutte avec des hercules efflanqués; la Hollandaise aux bras de lait et
+de roses; la Chinoise
+
+[Illustration]
+
+qu’éclaire une ronde lanterne de papier; la créole qui fume un cigare
+parmi les cannes à sucre; l’alerte modiste qu’on a connue avenue de
+l’Opéra; la bergère en sabots dont le baiser a l’odeur fraîche d’une
+pomme sous une averse de septembre; la blanche et froide lady qui porte
+à son col de cygne des perles de vice-reine; la nouvelle épousée
+défaillante et timide, et la veuve de trente ans qui croyait se consoler
+en allant au mois de Marie...
+
+«A ce soir... J’allumerai les flambeaux d’argent dans cette belle
+chambre qui est désormais la tienne, au milieu du parc sauvage où nous
+serons seuls comme au cœur vierge d’un éden...»
+
+ * * * * *
+
+Je posai mon cigare éteint dans le plateau et j’achevais la bouteille
+que M. Olivier Camors aurait peut-être entamée, lorsque le valet de
+chambre entra.
+
+--Eh bien, monsieur, vous avez terminé votre lecture... qu’en
+dites-vous? C’est fort curieux, n’est-ce pas? Le journal de mon défunt
+maître s’arrête là; il n’a pas soupé avec la demoiselle en baudruche,
+puisqu’il est mort au cours de l’après-midi, vers quatre heures, et
+brusquement.
+
+Quand je dis brusquement, je me trompe; il agonisait depuis son arrivée
+à la Tremblée. Enfin, quoi qu’il en soit, il est mort l’après-midi du
+jour où il écrivit ces dernières lignes et il ne put exécuter aucun de
+ses projets galants. Triste! J’ai connu quelques histoires semblables
+d’hommes qui attendirent une femme aimée pendant longtemps et qui
+disparurent avant d’avoir pu savoir le goût de sa peau.
+
+S’il y avait eu quelque chose entre eux, je ne l’aurais pas gardée, vous
+pouvez me croire. Ah! non, par exemple, je ne l’aurais pas gardée! Je
+suis vieux, il y a longtemps que j’ai renoncé à toutes les
+plaisanteries, mais celle-là... non celle-là est trop forte... Venez,
+monsieur, je l’ai descendue du grenier, elle est dans le corridor et en
+plein courant d’air; si quelque fenêtre s’ouvrait... Avec ce temps c’est
+dangereux parce que...
+
+Il n’acheva pas sa phrase.
+
+Un formidable coup de vent inclina les branches des arbres qui
+balayèrent la façade et nous entendîmes un bruit de vitres brisées et de
+croisée qui se referme trop fort.
+
+Je courus derrière le vieillard qui se hâtait, et nous arrivâmes sur le
+perron juste à temps pour voir s’envoler, comme un ballon d’enfant, la
+maîtresse de feu M. Olivier Camors.
+
+Elle était nue, avec des bas blancs et des pantoufles, car le vent de
+l’orage qui éclatait avait dû arracher son peignoir.
+
+A la hauteur du toit, elle bascula et fit un plongeon. J’aperçus sa tête
+souriante aux yeux immobiles et extasiés. Elle avait perdu son bonnet et
+elle ressemblait à une de ces jeannettes de carton colorié sur
+lesquelles les anciennes modistes essayaient leurs coiffes. Elle
+dansait, se redressait, tanguait, les seins gonflés et son corps était
+d’un blanc de plâtre légèrement teinté de rose.
+
+--Est-elle godiche? dit le domestique effaré.
+
+Elle dépassa la cime rebroussée et furieuse d’un vieux marronnier, et
+les remous et les courants aériens, qui devaient être plus violents et
+plus rapides, l’enlevèrent, lui firent faire deux ou trois bonds si
+prodigieux qu’elle ne fut bientôt plus à mes yeux qu’une poupée de
+petite fille dans un ciel tumultueux parsemé de feuilles mortes.
+
+--Elle est capable d’aller relancer mon ancien maître jusqu’au paradis,
+murmura le vieux serviteur goguenard, sans la quitter des yeux...
+
+Plus haut que les plus lointaines hirondelles, elle ne fut bientôt qu’un
+point tremblant, une bulle affolée et, s’il est vrai que les âmes
+mettent un temps assez long avant de quitter les lieux où elles furent
+affranchies, celle de l’étrange mort dut voir passer la femme qu’il
+avait animée de son dernier souffle et qui s’en allait charmante,
+puérile, maladroite et ridicule, dans l’infini...
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+
+
+
+OUVRAGES
+
+DU MÊME AUTEUR
+
+
+LA MAISON DU POÈTE Poésies
+LES ISOLEMENTS --
+JACQUES Roman en vers
+ORCHESTRES Poésies
+LES HEURES DÉCHIRÉES Notes
+FRANÇOIS PAIN, GENDARME --
+L’ABDICATION DE RIS-ORANGIS Roman
+L’HEURE DES TZIGANES Théâtre
+LES BONAPARTE --
+LES CHARMETTES --
+LA LUMIÈRE DU SOIR --
+THÉOPHILE GAUTIER Étude
+L’APRÈS-MIDI CHEZ L’ANTIQUAIRE (_L’Édition_).
+
+
+_A paraître_:
+
+LE DIMANCHE AVEC PAUL CÉZANNE (_L’Édition_).
+PARIS MORT ET VIF...
+LA JOURNÉE DU CÉLIBATAIRE (_L’Édition_).
+LA TRAHISON D’EURYDICE Roman
+MONSIEUR LE CURÉ --
+ART POÉTIQUE Poésies
+LE DIMANCHE DE L’AMATEUR.
+
+[Illustration]
+
+
+ACHEVÉ D’IMPRIMER LE VINGT-CINQ AVRIL MIL NEUF CENT VINGT-CINQ, SUR LES
+PRESSES DE COULOUMA, MAITRE IMPRIMEUR A ARGENTEUIL, H. BARTHÉLEMY ÉTANT
+ DIRECTEUR, POUR LE COMPTE DE G. BRIFFAUT, ÉDITEUR A PARIS.
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA POUPÉE ***
+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions will
+be renamed.
+
+Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
+law means that no one owns a United States copyright in these works,
+so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the
+United States without permission and without paying copyright
+royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
+of this license, apply to copying and distributing Project
+Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
+concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
+and may not be used if you charge for an eBook, except by following
+the terms of the trademark license, including paying royalties for use
+of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
+copies of this eBook, complying with the trademark license is very
+easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
+of derivative works, reports, performances and research. Project
+Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may
+do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
+by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
+license, especially commercial redistribution.
+
+START: FULL LICENSE
+
+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
+
+To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
+distribution of electronic works, by using or distributing this work
+(or any other work associated in any way with the phrase "Project
+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full
+Project Gutenberg-tm License available with this file or online at
+www.gutenberg.org/license.
+
+Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project
+Gutenberg-tm electronic works
+
+1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
+and accept all the terms of this license and intellectual property
+(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
+the terms of this agreement, you must cease using and return or
+destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your
+possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
+Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound
+by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the
+person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph
+1.E.8.
+
+1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
+agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
+electronic works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the
+Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
+of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
+works in the collection are in the public domain in the United
+States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
+United States and you are located in the United States, we do not
+claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
+displaying or creating derivative works based on the work as long as
+all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
+that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting
+free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm
+works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
+Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily
+comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
+same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when
+you share it without charge with others.
+
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
+in a constant state of change. If you are outside the United States,
+check the laws of your country in addition to the terms of this
+agreement before downloading, copying, displaying, performing,
+distributing or creating derivative works based on this work or any
+other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no
+representations concerning the copyright status of any work in any
+country other than the United States.
+
+1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
+
+1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
+immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear
+prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work
+on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the
+phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed,
+performed, viewed, copied or distributed:
+
+ This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
+ most other parts of the world at no cost and with almost no
+ restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
+ under the terms of the Project Gutenberg License included with this
+ eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the
+ United States, you will have to check the laws of the country where
+ you are located before using this eBook.
+
+1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is
+derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
+contain a notice indicating that it is posted with permission of the
+copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
+the United States without paying any fees or charges. If you are
+redistributing or providing access to a work with the phrase "Project
+Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply
+either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
+obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm
+trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.
+
+1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
+with the permission of the copyright holder, your use and distribution
+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
+additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
+will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works
+posted with the permission of the copyright holder found at the
+beginning of this work.
+
+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
+prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
+active links or immediate access to the full terms of the Project
+Gutenberg-tm License.
+
+1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
+any word processing or hypertext form. However, if you provide access
+to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
+other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
+version posted on the official Project Gutenberg-tm website
+(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
+to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
+of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
+Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
+full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.
+
+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
+performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
+
+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
+access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
+provided that:
+
+* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
+ to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
+ agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
+ Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
+ within 60 days following each date on which you prepare (or are
+ legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
+ payments should be clearly marked as such and sent to the Project
+ Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
+ Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
+ Literary Archive Foundation."
+
+* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or destroy all
+ copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
+ all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
+ works.
+
+* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
+ any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
+ receipt of the work.
+
+* You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
+Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
+are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
+from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
+the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set
+forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
+Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
+electronic works, and the medium on which they may be stored, may
+contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
+or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
+intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
+other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
+cannot be read by your equipment.
+
+1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
+Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
+Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
+liability to you for damages, costs and expenses, including legal
+fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
+LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
+PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
+written explanation to the person you received the work from. If you
+received the work on a physical medium, you must return the medium
+with your written explanation. The person or entity that provided you
+with the defective work may elect to provide a replacement copy in
+lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
+or entity providing it to you may choose to give you a second
+opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
+the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
+without further opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
+OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
+LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of
+damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
+violates the law of the state applicable to this agreement, the
+agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
+limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
+unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
+remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
+accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
+production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
+electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
+including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
+the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
+or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
+additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
+Defect you cause.
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of
+computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
+exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
+from people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
+generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
+Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
+www.gutenberg.org
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
+U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's business office is located at 809 North 1500 West,
+Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
+to date contact information can be found at the Foundation's website
+and official page at www.gutenberg.org/contact
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without
+widespread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
+DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
+state visit www.gutenberg.org/donate
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations. To
+donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
+Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
+freely shared with anyone. For forty years, he produced and
+distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
+volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
+the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
+necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
+edition.
+
+Most people start at our website which has the main PG search
+facility: www.gutenberg.org
+
+This website includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
diff --git a/64614-0.zip b/64614-0.zip
new file mode 100644
index 0000000..f8e02f9
--- /dev/null
+++ b/64614-0.zip
Binary files differ
diff --git a/64614-h.zip b/64614-h.zip
new file mode 100644
index 0000000..7c32fdf
--- /dev/null
+++ b/64614-h.zip
Binary files differ
diff --git a/64614-h/64614-h.htm b/64614-h/64614-h.htm
new file mode 100644
index 0000000..f30041f
--- /dev/null
+++ b/64614-h/64614-h.htm
@@ -0,0 +1,2211 @@
+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN"
+"http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd">
+
+<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr">
+ <head> <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" />
+<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=utf-8" />
+<title>
+ The Project Gutenberg eBook of La Poupée, par Léo Larguier.
+</title>
+<style type="text/css">
+
+a:link {background-color:#F8E7C9;color:blue;text-decoration:none;}
+
+ link {background-color:#F8E7C9;color:blue;text-decoration:none;}
+
+a:visited {background-color:#F8E7C9;color:purple;text-decoration:none;}
+
+a:hover {background-color:#F8E7C9;color:#FF0000;text-decoration:underline;}
+
+p.ast {text-align:center;text-indent:0%;
+letter-spacing:.2em;}
+
+big {font-size: 130%;}
+
+body{margin-left:4%;margin-right:6%;
+background:#F8E7C9;color:black;font-family:"Times New Roman", serif;
+font-size:large;}
+
+.c {text-align:center;text-indent:0%;}
+
+.figcenter {margin:3% auto 3% auto;clear:both;
+text-align:center;text-indent:0%;}
+
+.figleft {float:left;clear:left;margin-left:0;margin-bottom:1em;margin-top:1em;margin-right:1em;padding:0;text-align:center;}
+
+.figright {float:right;clear:right;margin-left:1em;margin-bottom:1em;margin-top:1em;margin-right:0;padding:0;text-align:center;}
+
+.hang {text-indent:-2%;margin-left:10%;
+margin-right:10%;font-size:75%;}
+
+ hr {width:90%;margin:2em auto 2em auto;clear:both;color:black;}
+
+ h1 {margin-top:5%;text-align:center;clear:both;
+font-size:300%;
+font-weight:normal;letter-spacing:.2em;}
+
+ h2 {margin-top:4%;margin-bottom:2%;text-align:center;clear:both;
+ font-size:100%;font-weight:normal;}
+
+ hr.full {width: 60%;margin:2% auto 2% auto;border-top:1px solid black;
+padding:.1em;border-bottom:1px solid black;border-left:none;border-right:none;}
+
+ img {border:none;}
+
+.letra {font-size:250%;float:left;margin-top:-1%;}
+ @media print, handheld
+ { .letra
+ {font-size:250%;padding:0%;}
+ }
+
+.nind {text-indent:0%;}
+
+ p {margin-top:.2em;text-align:justify;margin-bottom:.2em;text-indent:4%;}
+
+.pagenum {font-style:normal;position:absolute;
+left:95%;font-size:55%;text-align:right;color:gray;
+background-color:#F8E7C9;font-variant:normal;font-style:normal;font-weight:normal;text-decoration:none;text-indent:0em;}
+@media print, handheld
+{.pagenum
+ {display: none;}
+ }
+
+.r {text-align:right;margin-right: 5%;}
+
+.redd {color:#DB351D;}
+
+.rt {text-align:right;}
+
+small {font-size: 70%;}
+
+.smcap {font-variant:small-caps;font-size:100%;}
+
+table {margin-top:2%;margin-bottom:2%;margin-left:auto;margin-right:auto;border:none;}
+
+div.poetry {text-align:center;}
+div.poem {font-size:90%;margin:auto auto;text-indent:0%;
+display: inline-block; text-align: left;}
+.poem .stanza {margin-top: 1em;margin-bottom:1em;}
+.poem span.i0 {display: block; margin-left: 0em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;}
+.poem span.i11 {display: block; margin-left: 11em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;}
+.poem span.i12 {display: block; margin-left: 14em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;}
+</style>
+ </head>
+<body>
+
+<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of La Poupée, by Léo Larguier</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
+most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
+of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
+at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
+are not located in the United States, you will have to check the laws of the
+country where you are located before using this eBook.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: La Poupée</div>
+
+<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Léo Larguier</div>
+
+<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Illustrator: Chas Laborde</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: February 23, 2021 [eBook #64614]</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div>
+
+<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)</div>
+
+<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA POUPÉE ***</div>
+<hr class="full" />
+
+<div class="figcenter">
+<a href="images/cover.jpg">
+<img src="images/cover.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p class="c">LÉO LARGUIER</p>
+
+<h1><span class="redd">LA POUPÉE</span></h1>
+
+<p class="c"><i>DESSINS DE CHAS LABORDE</i><br /><br /><br />
+<img src="images/colophon.jpg"
+width="150"
+alt=""
+/>
+<br /><br /><br />
+
+COLLECTION<br />
+<span class="redd">“LA ROSE ET LE LAURIER”</span><br />
+<i>G. BRIFFAUT, Éditeur</i><br />
+4, RUE DE FURSTENBERG, PARIS</p>
+
+<p class="c">LA POUPÉE<br /><br /><br />
+<small>IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE VOLUME:</small></p>
+
+<p class="hang">10 exemplaires sur japon impérial contenant un dessin original de
+l’artiste et une suite en noir, numérotés de 1 à 10.</p>
+
+<p class="hang">10 exemplaires sur japon impérial contenant un dessin original de
+l’artiste, numérotés de 11 à 20.</p>
+
+<p class="hang">750 exemplaires sur vélin, numérotés de 21 à 770.</p>
+
+<p class="c"><span class="smcap">Exemplaire Nº 133</span></p>
+
+<hr />
+
+<p class="c">LÉO LARGUIER</p>
+
+<h1>LA POUPÉE</h1>
+
+<p class="c">DESSINS DE<br />
+CHAS LABORDE<br />
+<br />
+<img src="images/colophon1.jpg"
+width="400"
+alt=""
+/>
+<br />
+<br />
+<i>COLLECTION DE<br />
+“LA ROSE ET LE LAURIER”</i><br />
+G. BRIFFAUT, <span class="smcap">Éditeur</span><br />
+4, RUE DE FURSTENBERG, PARIS (VIᵉ)<br />
+&mdash;&mdash;<br />
+M CM XXV<br />
+</p>
+
+<div class="poetry">
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<span class="i0">«...<i>Tu n’as jamais été dans tes jours les plus rares</i><br /></span>
+<span class="i0"><i>Qu’un instrument banal sous mon archet vainqueur,</i><br /></span>
+<span class="i0"><i>Et comme un air qui sonne au bois creux des guitares,</i><br /></span>
+<span class="i0"><i>J’ai fait chanter mon rêve au vide de ton cœur.</i>..»<br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i11">&nbsp; &nbsp; <span class="smcap">Louis</span> BOUILHET<br /></span>
+<span class="i12">(<i>A une Femme.</i>)<br /></span>
+<span class="pagenum"><a name="page_1" id="page_1">{1}</a></span></div></div>
+</div>
+
+<p class="nind"><span class="letra">P</span><span class="smcap">uisque</span> vous aimez les antiquaires, me dit mon ami Ange Laurentier, chez
+qui je passais cette semaine d’extrême automne, allez donc jusqu’à la
+Tremblée; on m’a affirmé que le fou qui habitait, ou plus exactement,
+qui se cachait dans ce pavillon délabré, était mort et qu’il laissait
+tout son bien à un valet de chambre.</p>
+
+<p>Je crois que cet héritier doit vouloir vendre ce bric-à-brac; et vous y
+ferez peut-être des découvertes intéressantes.</p>
+
+<p>On aperçoit de la route la maison et les grands arbres qui l’abritent.
+<span class="pagenum"><a name="page_2" id="page_2">{2}</a></span>Vous ne pouvez pas vous tromper. Vous sonnerez à une petite porte
+peinte en vert.</p>
+
+<p>La Tremblée, où vivait, si l’on peut dire, M. Olivier Camors, est à
+trois kilomètres d’ici, et ce sera l’occasion d’une promenade
+charmante...</p>
+
+<p>Je partis, lorsque nous eûmes déjeuné, persuadé que ce vieux serviteur
+ne me laisserait point pénétrer dans le domaine abandonné, et je ne me
+hâtais pas, goûtant l’après-midi d’automne comme une immense symphonie
+en or majeur.</p>
+
+<p>De la route que je suivais, bordée de peupliers sensibles, presque
+dépouillés, aux coteaux qui fermaient l’horizon, je pouvais admirer les
+jaunes légers, les ocres, les rouges sanguins, les fauves dorures et les
+pourpres, toutes les nuances et toutes les teintes de la saison.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_3" id="page_3">{3}</a></span></p><p>Mon ami n’avait pu me donner aucun renseignement précis touchant cet
+Olivier Camors qui, après une vie passablement remplie, était venu
+s’enterrer à la Tremblée. Il ne savait que ce qui circulait dans le
+pays: de vagues racontars, inexacts sans doute, puisque nul n’avait
+franchi les murs de cette propriété ruinée et que le valet de chambre,
+aussi mystérieux que son maître, ne parlait à personne et ne sortait
+guère que pour faire quelques provisions au chef-lieu.</p>
+
+<p>On savait à peu près son âge. Il avait été capitaine et blessé, en 1915,
+aux attaques de Champagne.</p>
+
+<p>Ange Laurentier, qui l’avait entrevu à la gare, avait gardé le souvenir
+d’un homme svelte et d’une beauté remarquable, mais très fatigué. Le
+pavillon était inhabité depuis des années lorsqu’il était arrivé, et il
+avait fallu que son domestique escaladât<span class="pagenum"><a name="page_4" id="page_4">{4}</a></span> le mur pour arracher les
+ronces et la vigne vierge qui, ayant poussé derrière la porte,
+l’empêchaient de s’ouvrir.</p>
+
+
+<div class="figcenter" style="width: 480px;">
+<a href="images/illu-012.jpg">
+<img src="images/illu-012.jpg" width="480" height="324" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Un ouvrier, qu’on avait appelé pour réparer les gouttières et poser des
+tuiles au toit, n’avait vu que le vieux serviteur et il n’était pas
+entré dans la maison. C’est tout ce que j’avais pu apprendre, et
+personne ne savait autre chose. Il n’y avait aucune sonnette à la petite
+porte verte que cachaient presque jusqu’à la serrure des retombées<span class="pagenum"><a name="page_5" id="page_5">{5}</a></span> de
+glycines et les branches qui couronnaient le mur.</p>
+
+<p>On eût pu croire qu’une dame en crinoline venait de la refermer derrière
+elle.</p>
+
+<p>Je frappai fortement du bout de mon bâton...</p>
+
+<p>Contre toute attente, une clé grinça presque immédiatement dans le pêne,
+et un vieil homme au visage glabre et fripé, en tricot de laine, avec
+une calotte étoffée de Scapin, apparut dans l’entre-bâillement.</p>
+
+<p>Je n’avais préparé aucune phrase astucieuse et je fus obligé de dire
+franchement que je savais que la maison contenait de vieux meubles et
+des toiles anciennes et que rien au monde ne m’intéressait plus que
+cela.</p>
+
+<p>Le valet de chambre me regarda de son œil froid, tout embrumé et couleur
+d’étain.</p>
+
+<p>&mdash;Antiquaire, dit-il, ou artiste?<span class="pagenum"><a name="page_6" id="page_6">{6}</a></span></p>
+
+<p>Je sentais que, selon ma réponse, la porte verte allait se refermer pour
+toujours.</p>
+
+<p>&mdash;Artiste, répondis-je assez décontenancé.</p>
+
+<p>Il souleva son bonnet et s’effaça pour me laisser entrer.</p>
+
+<p>&mdash;Veuillez me suivre, fit-il, je n’ai pas l’intention d’habiter plus
+longtemps cette maison et je ne suis pas fâché de la montrer à un
+connaisseur, avant mon départ.</p>
+
+<p>Il referma soigneusement la porte derrière lui.</p>
+
+<p>Le parc sauvage où je pénétrai était retourné à la nature, et, à travers
+ce prodigieux fouillis végétal, le vieillard se dirigea vers des herbes
+foulées, indiquant sans doute le chemin qui devait conduire à la maison.
+Elle apparut à un tournant comme enchâssée dans les arbres gaufrés d’or
+par l’automne.<span class="pagenum"><a name="page_7" id="page_7">{7}</a></span></p>
+
+<p>Les marches du perron étaient disjointes et l’herbe poussait drue dans
+leurs fentes.</p>
+
+<p>Tous les volets étaient clos.</p>
+
+<p>On songeait à ces vieilles demeures où moururent d’une maladie de
+langueur, parce que leur fiancé avait été tué dans un duel, de
+touchantes et poétiques jeunes filles appelées Adélazie ou Aloïda, qui
+portaient des mitaines et des repentirs, et qui lisaient au crépuscule
+un livre de M. de Lamennais, s’interrompant pour faire le signe de la
+croix, quand l’angélus venant d’une lointaine chapelle passait, ainsi
+qu’un ange, sur les murailles couvertes de lierre et de pariétaires.</p>
+
+<p>Le vieux serviteur qui me précédait poussa un battant du portail massif
+et me fit entrer dans le corridor obscur qui avait une odeur de cave, de
+fruits, de murs humides et d’ombre.<span class="pagenum"><a name="page_8" id="page_8">{8}</a></span></p>
+
+<p>Je pénétrai derrière lui dans la bibliothèque.</p>
+
+<div class="figleft" style="width: 155px;">
+<a href="images/illu-016.jpg">
+<img src="images/illu-016.jpg" width="155" height="332" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Une branche qui avait brisé les vitres empêchait la fenêtre de se fermer
+complètement, et j’aperçus dans le jardin dévasté un arbuste coiffé d’un
+chapeau de jardinier, au cœur d’une minuscule corbeille.</p>
+
+<p>&mdash;Cette pièce a beaucoup souffert, me dit mon guide. Elle était depuis
+longtemps dans cet état quand nous sommes arrivés à la Tremblée. Voyez,
+il n’y a plus rien, l’humidité et les bêtes ont tout mangé.</p>
+
+<p>Il atteignit un livre sur un rayon.</p>
+
+<p>Le cuir glacé d’or éteint semblait à peu près intact, mais quand je
+l’eus ouvert, je m’aperçus qu’il était creux comme ces fruits<span class="pagenum"><a name="page_9" id="page_9">{9}</a></span> dont les
+insectes ont rongé la pulpe sous la peau desséchée.</p>
+
+<p>Il n’y avait plus, contre le dos de la reliure, qu’une poignée de bourre
+blanchâtre, pareille à du coton taché de rouille.</p>
+
+<p>C’était une très belle édition des œuvres de Léonard et je découvris un
+bout de feuillet sur lequel je pus encore lire ces vers qui devaient
+faire partie de quelque <i>Temple de Gnide</i>:</p>
+
+<div class="poetry">
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<span class="i0">«... <i>Des remparts de Corinthe il vint trente beautés</i><br /></span>
+<span class="i0"><i>Dont les cheveux croulaient en boucles ondoyantes;</i><br /></span>
+<span class="i0"><i>Dix autres qui n’avaient que des grâces naissantes,</i><br /></span>
+<span class="i0"><i>Venaient de Salamine et comptaient treize étés</i>...»<br /></span>
+</div></div>
+</div>
+
+<p>J’en examinai quelques autres.</p>
+
+<p>Tous paraissaient souffrir des plus affligeantes maladies de peau.</p>
+
+<p>Voltaire avait un eczéma, Diderot des moisissures bleuâtres, J.-J.
+Rousseau des dartres farineuses.<span class="pagenum"><a name="page_10" id="page_10">{10}</a></span></p>
+
+<p>Les livres aux couvertures claires étaient vert-de-grisés comme des
+cuivres, les vélins ivoirins et roides étaient cariés comme des dents,
+les petits poètes du <small>XVIII</small>ᵉ siècle avaient des reliures éraflées et
+griffées ainsi que des souliers légers égratignés par les ronces.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 488px;">
+<a href="images/illu-018.jpg">
+<img src="images/illu-018.jpg" width="488" height="326" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Je remis moi-même le livre creux à sa place, sur la planchette
+vermoulue, et je feuilletai un album plein de pensées, de mauvais vers
+et de fleurs sèches qui avait dû<span class="pagenum"><a name="page_11" id="page_11">{11}</a></span> appartenir à quelque ancienne jeune
+fille.</p>
+
+<p>&mdash;On a tout laissé périr, monsieur, reprit mon guide. Je dois vous dire
+cependant que ce n’est pas mon maître qui est responsable; il a trouvé
+presque toute la maison dans cet état. Il y en avait sans doute pour
+beaucoup d’argent. Je lui ai entendu conter qu’un de ses parents, M.
+d’Herbaupair, avait eu la manie des collections, mais vous allez voir ce
+que sont devenus ces trésors.</p>
+
+<p>Les tableaux étaient dans un cabinet où il a plu pendant trente ans, et
+ils sont pareils aux livres... Si vous désirez les voir?...</p>
+
+<p>Je le suivis dans une autre salle.</p>
+
+<p>Il ouvrit les volets avec quelque difficulté.</p>
+
+<p>Des cadres, dont la dorure était devenue noire, ne montraient que des
+peintures effacées.</p>
+
+<p>Les vagues choses qui restaient encore<span class="pagenum"><a name="page_12" id="page_12">{12}</a></span> étaient bien faites pour donner
+des regrets éternels à un homme épris de tableaux anciens.</p>
+
+<p>Ce pan de ciel bleu-vert, au coin d’une baguette, ne pouvait avoir été
+peint que par Guardi, au-dessus des vieux palais qu’il aimait et que
+doublait l’eau d’un canal italien. Je vis le pied d’un verre dont le
+cristal n’avait pu être poli que par Chardin; et il y avait eu là des
+toiles inconnues de Watteau, de Fragonard, de Largillière, de Boilly, de
+David, des pastels de La Tour, des sanguines et des dessins de Claude
+Lorrain et de Poussin.</p>
+
+<p>&mdash;A combien, monsieur, estimez-vous ce que contenaient ces cadres
+inutiles? me demanda le serviteur.</p>
+
+<p>Effaré, je haussai les épaules.</p>
+
+<p>&mdash;Je ne sais pas exactement, balbutiai-je, à plus d’un million,
+certainement.<span class="pagenum"><a name="page_13" id="page_13">{13}</a></span></p>
+
+<p>Du bout de ses doigts maigres, il se gratta la tête sous le bonnet de
+Scapin, et ses lèvres sèches esquissèrent une grimace.</p>
+
+<p>&mdash;Vous savez sans doute, reprit-il, que M. Olivier Camors m’a donné tout
+ce qu’il possédait. L’argent?... mon Dieu, il n’était plus très riche...
+peut-être trois mille francs de rente, ce qui, par les temps que nous
+traversons... mais il y a une seule pièce intacte dans cette maison qui
+tombe en ruine, et je veux avoir votre avis, parce que je crois que ce
+qu’elle renferme vaut plus que tout le reste. Voulez-vous
+m’accompagner?...</p>
+
+<p>Je n’avais jamais vu de plus beaux meubles du <small>XVIII</small>ᵉ siècle que ceux qui
+ornaient la chambre où il me fit entrer.</p>
+
+<p>Des tapisseries, dont les rouges étaient devenus groseille clair,
+s’encadraient dans des panneaux de bois liserés de vert tendre, et sur
+la cheminée de marbre, une pendule<span class="pagenum"><a name="page_14" id="page_14">{14}</a></span> d’écaille et deux flambeaux d’argent
+se reflétaient dans l’eau morte d’une glace, dont le trumeau était
+assurément de Boucher.</p>
+
+<p>Le lit, les fauteuils et les chaises à médaillons, les pâtes tendres
+qu’on avait peut-être fabriquées pour la reine, les soies et les étoffes
+merveilleuses, tout formait un ensemble sans une seule tache, d’une
+harmonie et d’une pureté uniques.</p>
+
+<p>&mdash;Vous êtes riche avec ceci, dis-je au vieillard qui me regardait avec
+inquiétude.</p>
+
+<p>&mdash;Oui, c’est ce que j’ai entendu dire par mon maître, mais je ne savais
+pas très bien... Pourriez-vous m’aider, me donner l’adresse d’un
+antiquaire sérieux et me dire à peu près ce que vaut tout cela?</p>
+
+<p>Je fis de mon mieux et à ma connaissance, et je compris que je lui
+rendais service.</p>
+
+<p>Il me désigna un fauteuil.</p>
+
+<p>&mdash;Voulez-vous m’attendre un moment,<span class="pagenum"><a name="page_15" id="page_15">{15}</a></span> fit-il, je voudrais vous offrir un
+verre de vin. Je crois que vous n’en aurez jamais goûté de plus vieux.</p>
+
+<div class="figright" style="width: 293px;">
+<a href="images/illu-023.jpg">
+<img src="images/illu-023.jpg" width="293" height="260" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Il revint au bout de quelques minutes, portant sur un plateau deux
+coupes de cristal épais et une bouteille. La poussière et les toiles
+d’araignées ne cachaient pas complètement un liquide d’un blond lumineux
+et chaud.</p>
+
+<p>Il en émietta le cachet de cire, avec précaution.</p>
+
+<p>&mdash;On n’est jamais sûr, murmura-t-il... j’espère que celui-ci sera bon
+malgré son âge, qui doit approcher du mien... Vous permettez, monsieur,
+que je me serve d’abord pour m’assurer?...</p>
+
+<p>Il se versa un doigt d’élixir doré et,<span class="pagenum"><a name="page_16" id="page_16">{16}</a></span> la tête renversée, il le huma
+longuement et le porta à ses lèvres.</p>
+
+<p>&mdash;Je pense qu’il ne vous déplaira pas, dit-il en souriant, et il emplit
+ma coupe jusqu’au bord.</p>
+
+<p>Il fallait une grande complaisance pour comprendre la saveur fanée de ce
+vin clair et dépouillé, mais je crois que, de ma vie, je n’avais bu
+pareille liqueur. J’en fis compliment au vieillard.</p>
+
+<p>&mdash;Mon maître, me répondit-il, n’en buvait presque jamais. Le matin du
+jour où il mourut, cependant, il me pria de lui en apporter un flacon.
+Il était assis, là, où vous êtes, et...</p>
+
+<p>Il se tut pendant quelques secondes.</p>
+
+<p>&mdash;Le drôle d’homme! soupira-t-il.</p>
+
+<p>Je sentis que je n’allais par tarder à recevoir ses confidences et à
+connaître un peu le mystérieux défunt.<span class="pagenum"><a name="page_17" id="page_17">{17}</a></span></p>
+
+<p>&mdash;Tenez, monsieur, reprit-il, je veux vous montrer encore quelque chose.
+Ce ne sont que des papiers, mais je suis sûr qu’ils vous intéresseront.
+J’ai un petit ouvrage à terminer et ces pages inachevées vous
+renseigneront mieux que je ne le ferais moi-même.</p>
+
+<p>Il tira un cahier d’une commode sûrement signée Riesener, et il le posa
+sur le plateau d’une table qui n’était qu’un éblouissant semis de
+marqueterie. Il approcha ma coupe et la bouteille pleine encore aux
+trois quarts, et il m’offrit un cigare hollandais qui se serait effrité
+si je l’avais serré entre mes doigts, tant il était sec de vieillesse.</p>
+
+<p>&mdash;Je vous laisse, me dit-il en refermant la porte. Vous en avez pour un
+moment, mais avec ce manuscrit, cette bouteille et ce cigare, vous ne
+vous ennuierez peut-être pas complètement.</p>
+
+<p>Autrefois, de belles chambrières offraient<span class="pagenum"><a name="page_18" id="page_18">{18}</a></span> ici des boissons froides. Il
+y en avait une surtout...</p>
+
+<div class="figcenter">
+<a href="images/illu-026.jpg">
+<img src="images/illu-026.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Une petite flamme dansa, me sembla-t-il, dans son œil d’étain. Je me
+versai un autre verre de vin, j’allumai le cigare et je me mis à dévorer
+les pages qu’on va lire. Je leur donne un titre qu’elles n’avaient pas
+dans le cahier, et je n’ajoute à ces curieux fragments que cette ligne
+de mon encre...<span class="pagenum"><a name="page_19" id="page_19">{19}</a></span></p>
+
+<h2><a name="II" id="II"></a>II<br /><br />
+<small>LE JOURNAL D’OLIVIER CAMORS</small></h2>
+
+<p class="r">
+<i>Avril 1920.</i><br />
+</p>
+
+<p class="nind"><span class="letra">M</span><span class="smcap">e</span> voici pour toujours à la Tremblée. J’en ai passé, hier, la petite
+porte verte, sans un regret, sans tourner la tête, comme ces fugitifs
+qui franchissent la clôture d’une trappe.</p>
+
+<p>J’admire les écrivains qui vomissent leur époque, selon l’expression de
+l’un d’entre eux, mais qui ne manquent pas un apéritif, dans les cafés
+où ils ont coutume d’aller, pas un dîner, pas une répétition générale.
+Je connais le romantisme de ces farceurs. Moi, j’ai eu le courage de
+fuir.</p>
+
+<p>Que ferais-je d’ailleurs à Paris? Il ne<span class="pagenum"><a name="page_20" id="page_20">{20}</a></span> me reste que quelques milliers
+de francs de rente.</p>
+
+<p>Ce n’est pas cela pourtant qui m’a décidé... Fini... Je ne veux voir
+personne... J’ai fait la guerre. J’ai jeté dans un tiroir les croix et
+les médailles qu’on m’y donna. J’ai vendu mes livres. Tout cela était
+inutile dans ma retraite. Les rubans et la littérature, les ragots de
+MM. de Goncourt, la roublardise facile de M. Jules Lemaître, le Parnasse
+et les histoires de la plaine Monceau, les calembredaines, les talents
+moyens, les génies assommants et les idées générales n’ont pas cours
+dans le domaine où je suis venu. Je vais refaire le monde autour de moi.
+Je vais faire la paix pour moi seul, sans traités solennels, et je me
+moque des Bulgares, ces coupeurs de nez, d’oreilles et de lèvres, et des
+Turcs et des Allemands, ces gros blonds qui sont tous<span class="pagenum"><a name="page_21" id="page_21">{21}</a></span> membres d’une
+société de tir ou de gymnastique, et je me moque aussi de cent mille
+choses que prennent au sérieux mes contemporains.</p>
+
+<p>Il n’y aura plus rien dans mes jours.</p>
+
+<p>Jusqu’à hier, je les ai remplis avec ce qu’ils appellent la vie. Ils
+étaient partagés en petites tranches étiquetées dont je respectais,
+comme tout le monde, le numérotage.</p>
+
+<p>J’y jetais des journaux et des lettres insignifiantes, des besognes que
+je croyais très importantes, des plaisirs et des obligations ridicules.
+Je prenais à peine le temps de déjeuner parce que j’attendais à quatre
+heures Thérèse ou Simone, qui ne venaient pas, et qui m’envoyaient un
+télégramme bourré des mêmes mensonges.</p>
+
+<p>Il n’y aura plus rien dans mes jours. Je suis désormais en paix...<span class="pagenum"><a name="page_22" id="page_22">{22}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Je ne daterai plus ces lignes que j’écris au hasard. A quoi bon? Je dors
+mal. La solitude ne m’a pas versé encore sa divine tisane de pavots et,
+pendant toute cette nuit, j’ai encore songé à la guerre. J’ai refait les
+étapes du calvaire champenois... Nous avancions dans une ombre de
+guet-apens et notre colonne était tâtée, si je peux dire, effleurée
+maladroitement par la gerbe d’un projecteur ennemi. Nous allions
+au-dessous de cette queue de comète sinistre, faite d’une buée fauve,
+d’un poudroiement cruel, et je bronchais à chaque pas contre les troncs
+des pins coupés au ras du sol.</p>
+
+<p>Puis ce fut l’heure H qui sonna, l’instant vertigineux du bond hors des
+parallèles de départ, et la soif terrible, et une<span class="pagenum"><a name="page_23" id="page_23">{23}</a></span> odeur de place
+tumultueuse, une nuit de quatorze juillet, quand, les feux d’artifice
+tirés, il reste dans la chaleur orageuse une persistante odeur de
+poudre.</p>
+
+<p>J’ai senti de nouveau ce sournois parfum de bonbon anglais qu’exhalent
+les gaz lacrymogènes et je me suis débattu dans les ouates jaunes des
+autres gaz empoisonnés, de ceux que le docteur Faust fabriquait dans son
+laboratoire et qui ont fait de moi, à quarante ans, un vieillard
+toussotant qui n’a peut-être plus longtemps à souffrir.</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>J’ai trouvé un vieil atlas de géographie qui portait sur sa couverture
+fanée ce nom: Palmyre d’Herbaupair.</p>
+
+<p>C’était la sœur de ma mère, et elle mourut à la Tremblée; elle se tua au
+fond du<span class="pagenum"><a name="page_24" id="page_24">{24}</a></span> parc, un soir qu’elle avait grimpé sur la plus haute branche
+d’un pin, rompue sous son poids.</p>
+
+<p>Je me souviens...</p>
+
+<p>Ma tante Palmyre était une colossale demoiselle d’une trentaine
+d’années. Sa stature avait effrayé tous les épouseurs. Aucun homme n’eût
+pu offrir son bras à cette géante, qui semblait faite pour les amours
+d’un dieu ou d’un taureau mythologique.</p>
+
+<p>Immense et enfantine, elle ne s’occupait jamais à des travaux féminins,
+mais elle dévastait le parc, dénichait les corbeaux et jouait avec une
+meute de grands chiens qui l’adoraient.</p>
+
+<p>Il n’y avait pas de domestiques mâles à la Tremblée, Jean vivait à Paris
+avec mon père, et, en été, elle allait se baigner dans le bassin. Je
+sais que je la vis un jour, à<span class="pagenum"><a name="page_25" id="page_25">{25}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" >
+<a href="images/illu-033.jpg">
+<img src="images/illu-033.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_27" id="page_27">{27}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_26" id="page_26">{26}</a></span></p>
+
+<p class="nind">midi, alors qu’elle en sortait, ruisselante et criblée de soleil,
+presque surnaturelle dans sa formidable nudité, avec ses grands cheveux
+roux mouillés et retombant en mèches massives sur ses épaules de marbre.</p>
+
+<div class="figright" style="width: 296px;">
+<a href="images/illu-035.jpg">
+<img src="images/illu-035.jpg" width="296" height="218" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Elle me prit entre ses larges bras et m’emporta en courant, le visage
+serré contre sa poitrine de déesse ou de phénomène de foire.</p>
+
+<p>Etrange famille qui va finir avec moi!</p>
+
+<p>Ma mère était une mince et délicate jeune femme, toujours malade, et mon
+grand-père d’Herbaupair était un petit homme falot et chétif, qui
+n’avait eu dans sa vie qu’une passion: celle des antiquités.</p>
+
+<p>C’est lui qui rassembla tout ce que la pluie, l’humidité et plus de
+trente<span class="pagenum"><a name="page_28" id="page_28">{28}</a></span> ans d’abandon détruisirent à la Tremblée.</p>
+
+<p>Je l’aperçus une seule fois et il ne prit point garde à moi. Il ne
+s’intéressait qu’aux enfants peints par Boilly.</p>
+
+<p>Il portait un costume assez bizarre et il jouait perpétuellement avec
+une grosse loupe dont j’avais bien envie...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>J’ai déniché derrière une porte une peinture qui représente une vue
+ocreuse de Rome.</p>
+
+<p>Devant cette vision noble et glorieuse, cette terre fauve que ne
+déshonorent aucun pâturage, aucun bétail à l’engrais, devant les arcs
+ruinés et les aqueducs écroulés, je songe à l’épouvantable ennui que
+m’infligeait tout ce qui touchait à Rome, au temps où j’achevais mes
+classes, au collège.</p>
+
+<p>Les vertus civiques et militaires de ses<span class="pagenum"><a name="page_29" id="page_29">{29}</a></span> grands hommes, leurs mots
+historiques, leurs pompeuses attitudes me glaçaient. Je tenais les
+Romains pour un peuple de bavards, de faiseurs de routes et de lois, et
+Auguste me semblait le personnage le plus ridicule et le plus pompier de
+l’Histoire. Combien me plaisait davantage ce que j’appelais l’opposition
+orientale à la République et à l’Empire!</p>
+
+<p>J’aimais les princes efféminés qu’allait vaincre facilement quelque
+militaire de carrière, aux joues et aux lèvres bleuies par le rasoir;
+les princesses étranges qui regrettaient Ecbatane ou Césarée, la
+Bactriane et la Cappadoce, dans la ville capitale; ces belles barbares
+qui troublaient les césars et les proconsuls avec leur teint de
+fellahines et leurs parfums inconnus. Mais j’étais naturellement un
+mauvais élève, puisque je n’admirais pas ces juges de paix, ces agents
+voyers et ces briscards coloniaux...<span class="pagenum"><a name="page_30" id="page_30">{30}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Je voudrais connaître mes nouveaux compagnons, les arbres qui
+m’entourent, et je ne sais le nom d’aucun.</p>
+
+<p>D’ailleurs, ils ont poussé si drus, si mêlés les uns aux autres qu’ils
+ne forment plus qu’une foule végétale.</p>
+
+<p>Je veux tout de même me familiariser avec eux...</p>
+
+<p>&nbsp;</p>
+
+<p>Ce matin, bien avant l’aube, j’ai dû fuir le lit où je n’avais pas dormi
+et aller dans le parc.</p>
+
+<p>Je suis de plus en plus sollicité par le côté mystérieux et obscur du
+monde.</p>
+
+<p>La terre avait le réveil pénible des hommes qui remontent lentement des
+gouffres du sommeil et du songe, des abîmes de la nuit.<span class="pagenum"><a name="page_31" id="page_31">{31}</a></span></p>
+
+<p>Elle avait l’air d’hésiter, il me semblait qu’elle allait lâcher un
+secret. L’aile fermée que chacun porte en soi allait-elle se déployer en
+moi?</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 489px;">
+<a href="images/illu-039.jpg">
+<img src="images/illu-039.jpg" width="489" height="219" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Mais non, chaque chose a repris sa place, le soleil s’est levé, et cette
+inquiétude infinie n’était que dans mon cœur...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Un grand oiseau de mer, venant on ne sait d’où, a traversé ce soir, vers
+cinq heures, le ciel d’été, orange et mauve.</p>
+
+<p>Il allait, le cou tendu, sans un<span class="pagenum"><a name="page_32" id="page_32">{32}</a></span> frémissement de plumes dans l’azur
+tiède, comme une grande chose soyeuse et bien lancée.</p>
+
+<p>J’ai entendu le bruit d’un coup de fusil.</p>
+
+<p>Tout le monde doit en parler au village, comme si l’homme qui saigne les
+porcs, le tailleur bossu, l’épicière, l’aubergiste, les vieux qui
+tettent des pipes vides et les vieilles qui se chauffent au soleil
+avaient vu le ciel se creuser et aperçu, dans une échappée vermeille, le
+passage d’un être surnaturel...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>J’ai retrouvé des vers que j’écrivis en Champagne, pendant la guerre, un
+soir inhumain que je songeais au tableau de Bœcklin: <i>L’Ile des Morts</i>.</p>
+
+<p>La contrée la plus tragique et la plus désolée du monde était en avant
+de<span class="pagenum"><a name="page_33" id="page_33">{33}</a></span> Somme-Suippe; c’était un aride paysage calcaire et minéral. Tout y
+était pâle de la pâleur mortuaire des craies.</p>
+
+<p>C’est seulement au versant des astres éteints et des globes morts qu’on
+eût pu trouver ces lividités de sel et de plâtre.</p>
+
+<p>Ce coin du front était nettoyé comme un os, ce secteur blanc,
+squelettique et spectral avait l’air d’être sous un suaire. Je
+m’aperçois que ce poème maladroit est tout en rimes féminines. Cela ne
+me déplaît pas. Les rimes sourdes confèrent aux strophes une pesanteur
+étrange, mais voici cette poésie à laquelle j’ai donné le nom du
+tableau:</p>
+
+<p class="c">L’ILE DES MORTS</p>
+
+<div class="poetry">
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<span class="i0">Des cyprès, des rocs blancs hors du monde... C’est l’Ile<br /></span>
+<span class="i0">Où vivent les grands morts quand ils quittent la terre;<br /></span>
+<span class="i0">Un crépuscule doux, vaporeux et tranquille<br /></span>
+<span class="i0">Y répand ses clartés de perle et son mystère.<span class="pagenum"><a name="page_34" id="page_34">{34}</a></span><br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i0">Son bois sacré de pins, de lauriers métalliques<br /></span>
+<span class="i0">Semble attendre toujours de pures chasseresses,<br /></span>
+<span class="i0">Et dans le bleu divin des soirs mélancoliques<br /></span>
+<span class="i0">On dirait que, toujours, vont passer des druidesses.<br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i0">Victor Hugo, vêtu de la cape marine<br /></span>
+<span class="i0">Qu’il portait à Jersey, poursuit un vaste rêve...<br /></span>
+<span class="i0">Lorsque sort Beethoven, Musset et Lamartine<br /></span>
+<span class="i0">Saluent, et le martyr de la musique lève<br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i0">Son énorme chapeau trop enfoncé... Banville<br /></span>
+<span class="i0">Au jardin de Ronsard cueille des roses blanches<br /></span>
+<span class="i0">Et des œillets qu’il veut offrir au bon Virgile.<br /></span>
+<span class="i0">Lord Byron à Chénier dit des vers sous les branches...<br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i0">Hésiode et Gautier ont des barbes pareilles;<br /></span>
+<span class="i0">Shakspeare et Rabelais dans l’herbe rient ensemble;<br /></span>
+<span class="i0">Dante, toujours coiffé de capuces vermeilles,<br /></span>
+<span class="i0">Sur le bras de Balzac pose sa main qui tremble.<br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i0">Ils sont là tous, dans l’île aux lumières sereines.<br /></span>
+<span class="i0">Aucun souffle n’émeut les arbres du rivage,<br /></span>
+<span class="i0">Les heures ne fuient pas et sont élyséennes.<br /></span>
+<span class="i0">Rarement une barque aborde sur la plage.<br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i0">C’est l’asile où tout n’est que paix harmonieuse,<br /></span>
+<span class="i0">Où la table toujours est mise sous les roses<br /></span>
+<span class="i0">Des rosiers aussi hauts que le pin et l’yeuse;<br /></span>
+<span class="i0">C’est l’Ile du silence et des apothéoses.<span class="pagenum"><a name="page_35" id="page_35">{35}</a></span><br /></span>
+</div><div class="stanza">
+<span class="i0">Mais quand passent, venant d’une affreuse bataille,<br /></span>
+<span class="i0">Dans un lourd battement d’aile vierge et meurtrie<br /></span>
+<span class="i0">Des âmes de soldats, courbant leur grande taille,<br /></span>
+<span class="i0">Gœthe et Schiller, pensifs, maudissent leur patrie...<br /></span>
+</div></div>
+</div>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Je passe aujourd’hui l’après-midi allongé sur mon lit, à regarder le
+ciel au-dessus des arbres.</p>
+
+<p>Au plus profond, au plus intime de moi, dans ces régions intérieures où
+ne peut vivre aucun mensonge, il n’y a peut-être que le désir d’en avoir
+fini vite avec les misères que je traîne, et je me sens soulevé par
+l’espoir des grandes migrations inconnues.</p>
+
+<p>Tout arrivera sans doute comme je l’imagine.</p>
+
+<p>Un matin ou un soir, lorsque Jean entrera, il me trouvera à cette place,
+immobile et couché, tel que je le suis maintenant.<span class="pagenum"><a name="page_36" id="page_36">{36}</a></span></p>
+
+<p>Il constatera que je suis mort.</p>
+
+<p>Mort!... savent-ils ce qu’ils disent, ceux qui prononcent ce mot?</p>
+
+<p>Invisible, mon âme flottera au-dessus de tout ce qu’elle aura laissé et,
+après quelques formalités qui ne me regarderont plus, quand on aura fait
+disparaître ce... Comment dire?... Cet amas de phosphate et de matières
+ammoniacales, elle prendra son vol vers les blancs et bleus paysages
+fugitifs et changeants, que je contemple de ma croisée.</p>
+
+<p>Immense ivresse des affranchissements!</p>
+
+<p>Je parcourrai le ciel, je m’engagerai dans ces ravins d’ombre effilochée
+au penchant des collines neigeuses que composent les nuages;
+j’escaladerai des pics et des falaises d’écume, des glaciers brumeux; je
+traverserai de vaporeux défilés pour gagner des champs de neige tiède,
+des moissons<span class="pagenum"><a name="page_37" id="page_37">{37}</a></span> floconneuses. Je serai submergé par des marées,
+j’assisterai à des débâcles de nuées que je verrai fondre comme des
+blocs polaires, et je partirai vers les régions supérieures où
+n’atteignent pas les oiseaux,... puis... puis... je ne sais plus ce qui
+arrivera... Mais je passe cet après-midi dans les nuages, l’esprit
+presque délivré...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Je ne suis tout de même pas assez loin du village.</p>
+
+<p>Il me semble, quand je veille, que je l’entends dormir. Une étoile se
+noie dans l’abreuvoir et la lune est derrière le clocher trapu et sans
+idéalisme de sa petite église romane.</p>
+
+<p>Je l’imagine cette nuit et l’humble<span class="pagenum"><a name="page_38" id="page_38">{38}</a></span> bourgade abrite toutes les
+situations éternisées par l’art des écrivains.</p>
+
+<p>Sous un ciel nocturne, dont la pureté religieuse fait songer à un grand
+vers bleu sombre de Virgile, autour de cette place provinciale pareille
+à celles où Coppée fit rêver de poétiques receveurs de l’enregistrement,
+un héros ou une héroïne littéraires habitent dans chaque maison.</p>
+
+<p>Ici, vit le <i>Père Goriot</i>, de Balzac; là, <i>Eugénie Grandet</i> range le
+linge qu’elle a elle-même lavé, tandis que l’avare <i>Grandet</i> recompte
+ses billets. Derrière le géranium de telle croisée, relisant une lettre
+de <i>Vincent</i>, il y a <i>Mireille</i>, blanche de la blancheur ardente des
+camélias. <i>Léon</i>, le clerc de notaire qui passe dans le roman de
+Flaubert, songe à Paris, aux actrices, aux salons, en parcourant des
+échos mondains dans un journal. <i>Emma Bovary</i> tourne le dos à son<span class="pagenum"><a name="page_39" id="page_39">{39}</a></span> mari
+qui semble tirer, en dormant, sur le tuyau d’une invisible pipe car il
+dort, avec cette croupe chaude à portée de sa main... Dans des chambres
+obscures ronflent les paysans de Zola. Un vieux, dont on convoite
+l’héritage, est secoué par une crise d’asthme pendant que son fils, qui
+préférerait dormir, est obligé de besogner sa grosse femme qui fait
+craquer le lit, sans se soucier de son beau-père ni de son dernier né
+qui braille, travaillé par la dentition ou la colique. Et les cochons
+grognent dans les étables, et les rats volent du lard dans les buffets.
+Quelle farce obscure et monotone emportée autour du soleil à une vitesse
+de quatre cent douze lieues par minute!...</p>
+
+<div class="figright" style="width: 239px;">
+<a href="images/illu-047.jpg">
+<img src="images/illu-047.jpg" width="239" height="290" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_40" id="page_40">{40}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Le vent a emporté un journal dans le parc.</p>
+
+<p>Sa première page était étalée bien à plat, sur l’herbe. Je n’avais qu’à
+me pencher pour lire et je ne l’ai pas fait.</p>
+
+<p>Que m’aurait-il appris?</p>
+
+<p>Je sais ce qu’il contenait sans l’avoir regardé: on doit toujours se
+battre en Orient, et la famine et le choléra occupent sérieusement les
+armées rouges. Des garçons sans scrupules ont volé, dans un rapide, les
+bijoux des grosses dames qui vont si souvent aux cabinets. On a entôlé
+un rentier qui avait eu la faiblesse de suivre dans un garni deux
+filles, dont les mollets polissons n’étaient pas à comparer à ceux de sa
+digne épouse, et cela ainsi jusqu’aux rébus de la quatrième page
+proposés à des œdipes<span class="pagenum"><a name="page_41" id="page_41">{41}</a></span> qui gagnent un stylographe ou une fiole de parfum
+chimique.</p>
+
+<div class="figcenter">
+<a href="images/illu-049.jpg">
+<img src="images/illu-049.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>J’en ai fait une boule que j’ai lancée par-dessus le mur... Un train
+sifflait au loin...<span class="pagenum"><a name="page_42" id="page_42">{42}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Il y a plus d’un mois que je n’avais ouvert ce carnet. Les gaz que le
+docteur Faust fabriquait chez Mᵐᵉ Bertha Krupp agissent de mieux en
+mieux. Chose curieuse, à mesure que mes forces déclinent et que le mal
+me gagne, je suis de plus en plus poursuivi par des images de femmes.</p>
+
+<p>Je ne peux pourtant pas sortir, dans l’état où je suis, et séduire
+quelque fille du village. La plus minable me rirait au nez.</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p><i>Gustave. Poste restante. B. 21. Hôtel de Ville. Envoi discret de
+catalogues...</i> J’ai lu cette adresse, au hasard, avant de quitter Paris,
+et je ne sais pourquoi elle me hante à la façon d’un leit-motiv.<span class="pagenum"><a name="page_43" id="page_43">{43}</a></span></p>
+
+<p>Je viens d’écrire à ce commerçant discret. Il expédie des paquets de
+tissus caoutchoutés qui deviennent, quand on les gonfle, de véritables
+femmes. Ce sont les seules qui puissent me convenir. On m’a affirmé que
+des explorateurs et certains solitaires n’en souhaitent pas d’autres.</p>
+
+<p>J’ai coupé toutes les ficelles qui me rattachaient au monde; si
+quelqu’un parlait de moi aux gens du village, on lui dirait que je suis
+fou. C’est peut-être vrai. Pourquoi n’aimerais-je pas une grande
+poupée?... Hé... pas si grande... j’ai donné les mesures. Je suis de
+l’avis de Michelet. Il faut que sa tête arrive à la hauteur de mon
+cœur...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Lorsqu’on frappera à la porte verte, ce sera Elle!<span class="pagenum"><a name="page_44" id="page_44">{44}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 522px;">
+<a href="images/illu-052.jpg">
+<img src="images/illu-052.jpg" width="522" height="377" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Je ne pense plus qu’à son arrivée. J’ai commandé un petit trousseau: des
+bas de soie, une chemise, un peignoir, un bonnet de dentelles, un flacon
+d’essence de rose, un autre de musc; mais j’ignore tout de cette
+inconnue, et comment l’appellerai-je? Je vais songer à un nom.</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Je ne crois pas trouver.</p>
+
+<p>On peut étiqueter, une fois pour toutes,<span class="pagenum"><a name="page_45" id="page_45">{45}</a></span> les choses immobiles. Elles ne
+changent jamais. Le nom qu’on leur donne les désigne toujours. Mais les
+femmes!...</p>
+
+<p>J’en ai connu une qui s’appelait Marie. Cela lui allait parfaitement
+jusqu’à midi. Ses cheveux châtains, mouillés et lissés au sortir du
+bain, en faisaient une grasse et bourgeoise madone. Elle avait des
+réveils enfantins et sa toilette était pudique et secrète.</p>
+
+<p>Le déjeuner troublait légèrement toutes ces candeurs.</p>
+
+<p>Après un verre de vieux bordeaux et un doigt de chartreuse, elle
+s’appelait Sapho, Lucrèce, Mercédès ou Rosa.</p>
+
+<p>Le prénom d’une femme, qui prend son café au lait ou qui brode en
+compagnie de sa mère, ne lui convient plus le soir, quand elle est nue.</p>
+
+<p>Elle s’appelle Marthe, Thérèse ou<span class="pagenum"><a name="page_46" id="page_46">{46}</a></span> Monique, et cela est très bien ainsi.
+Elle coud, elle suce le bout de son doigt où une piqûre d’aiguille a
+fait brusquement éclore une petite coccinelle de corail sombre; elle
+confectionne une tarte devant le fourneau, elle lit un roman honnête, et
+elle peut porter le nom qu’elle a reçu.</p>
+
+<p>Si elle met sur ses cheveux un grand chapeau de soleil et qu’elle aille
+dans le jardin, elle s’évade déjà. Elle doit s’appeler Charlotte,
+Isabelle, ou Rosine. Charlotte, c’est comme un abricot plein de taches
+de rousseur, et si Rosine est un prénom enveloppé dans une large feuille
+de rose rose, Isabelle a le blanc crème des gloires de Dijon.</p>
+
+<p>La nuit est venue. Elle est seule avec son mari et elle pousse le verrou
+de la porte, toute pareille à ces amantes potelées et vermeilles qui
+font le même geste dans les estampes galantes du <small>XVIII</small>ᵉ siècle. Un sein<span class="pagenum"><a name="page_47" id="page_47">{47}</a></span>
+gonflé s’échappe hors de son corsage, un de ses bas tombe sur sa jambe
+ronde. Elle est alors Rosette ou Fanchon...</p>
+
+<p>Le voici en chemise, avec ses mules de satin bleu, les bras arrondis,
+les mains à son chignon qu’elle tord. Elle est devenue la gaillarde
+bourgeoise des contes italiens qui va prendre son plaisir avec un beau
+capitaine ou un jeune capucin paillard qu’elle a gavé d’oie rôtie et de
+vin vieux...</p>
+
+<p>Elle jette ses pantoufles minuscules et ses derniers voiles, et, sans un
+peigne, sans une bague, elle est une femme des premiers âges du monde,
+elle est Laïs ou Phryné, Atalante, Chloé, Amaryllis... mais aucun de ces
+noms ne lui convient longtemps et, quand elle s’endort sur le bras qui
+l’a étreinte, elle redevient presque la petite fille alourdie de sommeil
+qu’on appelait Moune, Ninette ou Lili...<span class="pagenum"><a name="page_48" id="page_48">{48}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Au fond, il n’y a rien de très cocasse dans le désir que j’ai de cette
+poupée.</p>
+
+<p>Mon grand’père d’Herbaupair, après avoir fait deux enfants à sa femme,
+l’abandonna à la Tremblée et n’aima plus que les visages et les corps
+peints sur des toiles. Je l’imagine dans une rue de Paris, vers 1860. Il
+était absolument normal.</p>
+
+<p>Devant ou derrière lui, sur le trottoir mouillé de pluie, un homme de
+son âge suivait une lorette ou une modiste qui jouait de la croupe et
+soulevait sa jupe sur de gros jarrets qui tendaient ses bas blancs.</p>
+
+<p>Il obtenait un rendez-vous pour le soir, se ruinait en vespetro et en
+marasquin pour régaler la belle qui finissait par se laisser conduire à
+l’hôtel. Les draps y étaient douteux et humides; il gelait dans la
+chambre<span class="pagenum"><a name="page_49" id="page_49">{49}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 509px;">
+<a href="images/illu-057.jpg">
+<img src="images/illu-057.jpg" width="509" height="533" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p class="nind">inhospitalière; la fille, qui montrait soudain une rapacité sordide de
+commerçante, tarifait ses charmes douteux et ses caresses, et le
+galantin dégrisé ne songeait qu’à fuir, et il faisait le simulacre de
+l’amour, honteux comme tous les simulacres, en écoutant les<span class="pagenum"><a name="page_50" id="page_50">{50}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 522px;">
+<a href="images/illu-058.jpg">
+<img src="images/illu-058.jpg" width="522" height="375" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p class="nind">vidangeurs, seuls maîtres de la rue à cette heure déserte et noire. Mon
+grand-père, lui, se rendait tranquillement à de mystérieux rendez-vous
+chez les brocanteurs auvergnats, cherchant les seules femmes qu’il
+aimât: les nymphes de Fragonard, les laitières de Greuze et les belles
+dames poudrées des anciens pastels... Ses amours étaient les plus
+belles... Il se ruina presque<span class="pagenum"><a name="page_51" id="page_51">{51}</a></span> cependant pour une fille rencontrée à la
+terrasse de Tortoni...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Elle devrait être ici.</p>
+
+<p>Je suis de plus en plus nerveux, depuis que je l’attends. La moindre
+chose m’irrite, et j’ai failli avoir une épouvantable crise pour avoir
+vu un crapaud. Sa hideur, ses pustules ne m’ont pas trop répugné, c’est
+son attitude qui m’a rendu furieux.</p>
+
+<p>Ce crapaud, que mon domestique protège, est une sorte de divinité
+bouddhique, ventrue, molle et grenue; il allait lent, solennel,
+important, ridicule, et je comprenais qu’il se savait sacré. Il avait la
+majesté pompeuse et bête des dieux auxquels il est interdit de toucher;
+la suffisance des gens en place; l’orgueil tranquille et béat de<span class="pagenum"><a name="page_52" id="page_52">{52}</a></span> ceux
+qui se croient indispensables, quelque chose de prudhommesque et de
+despotique, et, alors, j’ai eu brusquement envie de lui prouver à coups
+de trique, à coups de pierre, que tout ce dont il était si fier ne
+tenait pas debout, que ses occupations d’aide jardinier et de garde
+champêtre n’étaient pas plus sérieuses que celles des araignées, des
+limaces et des rats, et qu’il n’avait pas le droit d’avoir une attitude
+aussi grotesque, et qu’il n’était qu’un crapaud, un sale crapaud dans le
+parc d’un homme en train de mourir.</p>
+
+<p>J’en ai été secoué toute la journée...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>J’ai prié mon domestique de différer aujourd’hui son voyage à la ville
+où il va faire des achats.<span class="pagenum"><a name="page_53" id="page_53">{53}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter">
+<a href="images/illu-061.jpg">
+<img src="images/illu-061.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_55" id="page_55">{55}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_54" id="page_54">{54}</a></span></p>
+
+<p>Je crois qu’elle ne tardera pas à arriver et je ne veux pas être obligé,
+moi-même, d’ouvrir la porte et de voir le facteur.</p>
+
+<p>Il ira un autre jour, quoique ces voyages,&mdash;je le devine,&mdash;l’enchantent.</p>
+
+<p>Je la connais, cette sous-préfecture! Des courtiers en vins boivent de
+la bière à la terrasse du café d’Orient; les jeunes filles d’un
+pensionnat sortent pour la promenade; une jeune femme, chaussée de blanc
+et coiffée d’une charlotte de mousseline, descend la grand’rue. Elle
+s’arrête chez le pâtissier en renom.</p>
+
+<p>Sous une gaze jaune, qui les défend contre les mouches, des babas ivres
+de rhum sucré défaillent dans des assiettes à filets dorés... La jeune
+femme sort, saluée par un vieux roquentin vêtu de flanelle bleue à
+rayures, un avocat dont les aventures et l’éloquence sont célèbres
+jusqu’au chef-lieu.<span class="pagenum"><a name="page_56" id="page_56">{56}</a></span></p>
+
+<p>C’est dans cette rue déserte où j’ai passé, il y a plus de vingt ans,
+que Jean fait ses emplettes, puis il boit un bock ou un apéritif près de
+la gare, seul comme un vieux comique lugubre de l’Eden-Café, qui est le
+concert le plus couru de l’endroit.</p>
+
+<p>L’Eden-Café! J’y ai connu l’amour pour la première fois!</p>
+
+<p>C’est la maison mère d’une sorte de prostitution artistique. C’est de là
+que, tous les samedis, on expédie aux bourgs environnants deux ou trois
+chanteuses et un pianiste, qui est en même temps un diseur de monologues
+idiots. Ils arrivent, le soir, au café chantant où ils sont engagés. Les
+vieilles, qui mangent leur soupe devant la porte, les méprisent; les
+ménagères et les jeunes filles admirent l’élégance tapageuse de ces
+femmes; quant aux hommes, même pour les plus rustiques, elles
+représentent<span class="pagenum"><a name="page_57" id="page_57">{57}</a></span> vaguement tout ce qu’ils imaginaient de la haute noce et
+du théâtre.</p>
+
+<div class="figright" style="width: 297px;">
+<a href="images/illu-065.jpg">
+<img src="images/illu-065.jpg" width="297" height="459" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Elles laissent dans la petite gare un sillage de parfums grossiers, et
+plus d’un adolescent mange distraitement sa salade, sans écouter le père
+qui parle de la foire prochaine ou des vignes qui ont soif.</p>
+
+<p>Elles sont aux filles du village ce qu’est une bouteille de champagne
+fabriquée avec des acides au petit vin naturel du pays; elles sont le
+mal, l’inconnu, l’attrait dangereux et charmant, l’extrême civilisation.
+Elles sont surtout de pauvres êtres, d’humbles<span class="pagenum"><a name="page_58" id="page_58">{58}</a></span> servantes et comme les
+bonnes à tout faire de la chanson stupide et de la muse polissonne; et
+les bellâtres du canton qui s’offrent la gommeuse ou la grande bringue
+navrée qui roucoule des bêtises sentimentales, s’imaginent qu’ils ont
+aimé des divas illustres et des étoiles de théâtre!...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>On a frappé ce matin à la porte du parc, et j’ai brusquement retrouvé la
+première émotion du premier rendez-vous... Elle?...</p>
+
+<p>C’était un mendiant que Jean a chassé.</p>
+
+<p>Ma gorge s’est desserrée, la petite aiguille qui s’affolait à la pointe
+de mon cœur s’est immobilisée. J’ai été tout pareil à ces jeunes gens
+qui attendent leur maîtresse, vers quatre heures, à Paris. Ils ont
+épousseté eux-<span class="pagenum"><a name="page_59" id="page_59">{59}</a></span>mêmes et rangé leur appartement derrière leur femme de
+ménage. Ils ont mis des fleurs dans les vases, vaporisé dans la chambre
+quelque parfum, préparé deux heures à l’avance l’assiette de gâteaux,
+les tasses à thé et la bouteille de porto. Ils ont surtout regardé la
+pendule. Le livre qu’ils essayaient de lire, pour tuer le temps, ne les
+intéressait pas. Ils ont frotté un à un les flacons de la toilette,
+compté les anneaux des rideaux sur leur tringle de cuivre, en disant:
+elle viendra... oui... non... oui... non... oui... non... heureux si le
+dernier anneau tombait sur oui.</p>
+
+<p>A quatre heures, on sonne! Éperdus, ils vont ouvrir, et se trouvent nez
+à nez avec une vieille dame asthmatique et poussive, qui s’excuse à
+peine et qui s’est trompée d’étage.</p>
+
+<p>J’ai été tout pareil à ces amants inquiets...<span class="pagenum"><a name="page_60" id="page_60">{60}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Un quart d’heure après le départ de ce mendiant on a de nouveau frappé à
+la porte, trois coups impérieux, durs, comme de quelqu’un qui
+s’impatienterait en trouvant le vantail verrouillé, quand il veut entrer
+chez lui et que les serviteurs tardent à ouvrir.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 503px;">
+<a href="images/illu-068.jpg">
+<img src="images/illu-068.jpg" width="503" height="260" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>C’était Elle!...»</p>
+
+<p class="ast">. . . . . . . . . . . .</p>
+
+<p>Le vieux domestique survint à ce moment dans la chambre où je lisais.<span class="pagenum"><a name="page_61" id="page_61">{61}</a></span></p>
+
+<p>&mdash;Eh bien, monsieur, dit-il en essayant de sourire, croyez-vous que feu
+mon maître était un drôle d’homme?</p>
+
+<p>Il se pencha vers la table:</p>
+
+<p>&mdash;Ah! vous en êtes à son arrivée à la Tremblée. Vous n’en avez plus pour
+longtemps. Ce que je ne digère point, par exemple, c’est qu’il m’a
+traité de vieux comique lugubre. Je suis scrupuleux et susceptible. Oh!
+je ne me plains pas, quoique, vous savez, les trois mille francs de
+rente dont j’hérite, je ne les ai pas volés. Ni son père, ni lui ne
+m’ont jamais payé mes gages, et je suis à leur service depuis plus de
+quarante ans... Enfin, il n’aurait pas dû dire cela de moi... Achevez
+donc cette bouteille...</p>
+
+<p>Il remplit ma coupe de vieux vin doré!</p>
+
+<p>&mdash;Je vous laisse, fit-il, vous allez en avoir fini avec ce cahier. Je
+vous ferai<span class="pagenum"><a name="page_62" id="page_62">{62}</a></span> ensuite une surprise. Je vous montrerai la demoiselle; elle
+est encore ici, et elle est vierge et veuve, monsieur, car mon maître
+est mort le jour où il l’a reçue. Le temps se gâte, je crois qu’il va
+faire un gros orage...</p>
+
+<p>Je repris tout de suite ma lecture:</p>
+
+<p class="ast">. . . . . . . . . . . .</p>
+
+<p>«Elle est enfin ici!</p>
+
+<p>Je n’ai pas encore coupé les ficelles qui entourent sa boîte. Elle est
+comme une voyageuse un peu lasse qui se reposerait et ne voudrait pas se
+montrer trop vite à ses hôtes.</p>
+
+<p>J’ai fait moi-même une toilette plus soignée. Je me négligeais depuis
+quelque temps.</p>
+
+<p>J’ai coupé ma barbe et ma moustache, j’ai mis un costume de flanelle
+blanche et j’ai l’air d’un monsieur très fatigué dans un parc de ville
+d’eaux.<span class="pagenum"><a name="page_63" id="page_63">{63}</a></span></p>
+
+<p>Quand je passe devant les volets de la chambre, instinctivement je
+marche sur la pointe des pieds.</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Je crois que je prendrai mes repas devant elle. Autrefois, j’aimais
+beaucoup manger en compagnie des femmes.</p>
+
+<p>Un dîner d’hommes fait toujours penser à ces banquets où d’anciens
+militaires du même régiment, d’authentiques badernes sorties de la même
+école, la même année, se régalent à prix fixe, coude à coude et vêtus
+d’habits funèbres, à l’immense table d’un salon de société que ne décore
+aucune fleur.</p>
+
+<p>Les hommes seuls manquent généralement de tenue, et il ne faut pas
+croire qu’on a meilleur appétit et qu’on est plus à l’aise en manches de
+chemise et en pantoufles.<span class="pagenum"><a name="page_64" id="page_64">{64}</a></span></p>
+
+<p>C’est comme si l’on affirmait que le café bu dans une épaisse tasse de
+faïence est plus savoureux que dans la fine et immatérielle coquille
+d’œuf d’une porcelaine chinoise.</p>
+
+<p>Un vrai repas, bien ordonné, est la plus aimable des choses. C’est un
+luxe de civilisés qu’il faut entourer de toutes les délicatesses.</p>
+
+<p>On ne mange pas du foie gras truffé, ni un sorbet à la framboise, en
+sabots et en tricot de laine, sur un coin de table de cuisine, devant
+une chandelle qui fume, mais en habit, avec du linge fin, sur une nappe
+fleurie et à la faveur de bougies voilées d’abat-jour qui tamisent une
+lumière égale.</p>
+
+<p>Rien alors n’est plus charmant à regarder que les jeunes femmes qui sont
+la guirlande et la parure de la table.</p>
+
+<p>La soie ou le velours des robes décolletées ont l’odeur des ombrelles
+crépitantes<span class="pagenum"><a name="page_65" id="page_65">{65}</a></span> chauffées au grand soleil de juillet. Des parfums naturels
+et des effluves d’essences rares s’y ajoutent. Les petits carrés de
+truffes ou les crevettes qui garnissent un filet de sole ont un goût
+unique, si une belle brune montre, en levant le bras pour enfoncer un
+œillet dans son chignon, le creux touffu de son aisselle, si, au moment
+où vous avalez une cuillerée de fraises des bois assaisonnées au
+champagne, une blonde grasse montre ses épaules de neige et découvre
+vaguement un sein dont la pointe doit être pareille, sous les dentelles
+de son corsage, au fruit qui parfume votre palais.</p>
+
+<p>Les gens qui prétendent que les vrais gourmands doivent s’enfermer
+seuls, pour savourer des plats choisis, sont de timides maladroits.</p>
+
+<p>Il faut se défier d’eux et les plaindre.</p>
+
+<p>Ils passent assurément d’épouvantables<span class="pagenum"><a name="page_66" id="page_66">{66}</a></span> nuits, car l’amour doit venir
+naturellement après le dessert, comme les pêches et les muscats viennent
+après les glaces et la frangipane.</p>
+
+<p>La gastronomie n’est pas un art à l’usage des ermites. Lorsqu’on couche
+seul, il est plus raisonnable de prendre, le soir, un bouillon léger, la
+moindre des choses, un peu de confiture et une tasse de tilleul.</p>
+
+<p>Les femmes, quoi qu’on dise, savent apprécier un bon repas. Cela se voit
+à la façon dont elles mangent. Elles ne remplissent jamais leur assiette
+et ne s’empiffrent pas de grosses viandes. Elles savent ce qu’un os de
+côtelette ou de poulet peut garder de chair savoureuse et de peau
+rissolée.</p>
+
+<p>Que d’épais bâfreurs rient de leur préférence pour les carcasses et les
+croupions. C’est le reproche que pourrait faire un âne<span class="pagenum"><a name="page_67" id="page_67">{67}</a></span> qui tond un pré
+au lapin de garenne qui choisit les herbes parfumées, serpolets, thyms
+et menthes sauvages... Mais à quoi vais-je penser, moi qui ne prends
+plus que quelques fruits et des biscuits trempés dans un doigt de vieux
+vin?...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Elle ne mangera pas. J’ai souffert quand j’étais jeune du peu de goût
+dont mes amies de passage faisaient preuve, au restaurant. Je me
+souviens à peine de leurs visages, mais ils reviennent parfois à la
+seule vue ou à l’évocation du plat qu’elles préféraient.</p>
+
+<p>Ne déjeunant et ne dînant jamais chez moi, j’ai beaucoup regardé les
+femmes qui m’entouraient. Je songe à une fille avec qui je dînais assez
+souvent.<span class="pagenum"><a name="page_68" id="page_68">{68}</a></span></p>
+
+<p>Sa mère était concierge dans une maison ouvrière, du côté de Montmartre
+et son père rentrait saoul à peu près chaque soir, quand elle était
+enfant.</p>
+
+<p>La loge sans air et sans lumière sentait le débarras et le compartiment
+de troisième classe où ont dormi dix voyageurs. Elle faisait les courses
+pendant que sa mère balayait l’escalier, et elle rapportait quelques
+sous de pain chaud, de la charcuterie et de l’eau-de-vie. Elle s’était
+régalée de veau piqué, de mirotons et de salades.</p>
+
+<p>Par quel miracle était-elle devenue la splendide créature que j’admirais
+pendant ces repas?</p>
+
+<p>Son teint était d’une neige fouettée de roses, ses dents étaient des
+perles humides, naturellement claires. Elle avait une taille de
+duchesse, des bras de Vénus, de longues jambes rondes et fines, une
+toison énorme<span class="pagenum"><a name="page_69" id="page_69">{69}</a></span> dont la nuance allait du maïs mûr au cognac brûlé, et on
+eût juré que, née d’un mylord spleenétique et d’une blanche lady, dans
+un château au bord d’un lac, elle n’avait été nourrie que de beurrées,
+de crême fraîche, de gâteaux et de puissants rosbifs anglais...</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Épouser une femme qui s’intéresse à la cuisine est une garantie de
+bonheur conjugal. Même si elle n’est pas des plus jolies, la santé et la
+bonne humeur qui sont les conséquences de la bonne chère, la
+transfigureront, et elle sera une compagne infiniment plus agréable
+qu’une fille belle, froide, et rassasiée dès le potage.</p>
+
+<p>Si le mari qui rentre chez lui, las de sa journée, trouve un repas
+négligé, un de ces<span class="pagenum"><a name="page_70" id="page_70">{70}</a></span> dîners dont s’est occupée toute seule une servante,
+il est perdu.</p>
+
+<p>La vie ne lui réservera que déboires. Après un bouillon rapidement
+bâclé, trop chaud ou trop froid, plein de grumeaux et sentant le
+graillon, l’affaire qui le tourmente n’aura aucune chance d’aboutir
+selon ses désirs.</p>
+
+<p>S’il a l’impression de manger le poisson sur un évier, et le rôti sec et
+la salade assaisonnée avec trop de sel et trop de vinaigre, il ne peut
+réussir ce qu’il entreprendra le lendemain, et la nuit qui suit un dîner
+sans harmonie ne peut pas être heureuse.</p>
+
+<p>Mais aucun des soucis que nous traînons avec nous ne résistera à
+l’onction d’un bon potage, au morceau de bœuf dont le sang gicle sous le
+couteau, au velours d’une crême simple et parfaite.</p>
+
+<p>Ce n’est pas moi qui blâmerai le<span class="pagenum"><a name="page_71" id="page_71">{71}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter">
+<a href="images/illu-079.jpg">
+<img src="images/illu-079.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_73" id="page_73">{73}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_72" id="page_72">{72}</a></span></p>
+
+<p class="nind">célibataire qui épouse sa cuisinière. De tous les mariages de raison,
+celui-là est peut-être le plus raisonnable.</p>
+
+<p>De la table au lit il n’y a qu’un pas et on le franchit sans effort.</p>
+
+<p>Il est à remarquer que les premiers désirs des jeunes hommes vont aux
+cuisinières bien en chair.</p>
+
+<p>L’amour des maigreurs distinguées ne vient que plus tard, mais la
+première impression est toujours la meilleure et la plus vraie.</p>
+
+<p>Quel est l’adolescent qui n’a pas imaginé le paradis comme une cuisine
+voluptueuse aux buffets pleins de volailles à la gelée, et dont les culs
+de casseroles, polis et clairs ainsi que des miroirs, reflétaient une
+accorte fille à la croupe dodue, aux mollets rebondis, aux bras chauds
+et aux seins ronds, en train d’ôter une chemise rustique?<span class="pagenum"><a name="page_74" id="page_74">{74}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Si les fiancés pouvaient observer leurs futures à l’heure des repas,
+cela éviterait bien des malentendus et des divorces.</p>
+
+<p>En tout cas, si j’avais quelques conseils à donner aux jeunes hommes, je
+leur dirais:</p>
+
+<p>&mdash;Ne demeurez pas là, extasiés comme des benêts, à regarder ses dents
+quand elle boit et à vous demander par quel miracle le pain qu’elle
+avale, le gigot froid, les pommes de terre, la salade, la confiture et
+les gâteaux secs vont se changer en roses et en lys sur ce visage que
+vous convoitez.</p>
+
+<p>Examinez-la calmement.</p>
+
+<p>&mdash;Elle a bon appétit, mais ne se hâte point. Elle prend son temps et
+elle mange posément, accueillant également tous les plats sans y revenir
+jamais?...</p>
+
+<p>Elle est sérieuse, patiente et dévouée.<span class="pagenum"><a name="page_75" id="page_75">{75}</a></span> Epousez-la. C’est la compagne
+des bons et des mauvais jours, celle qui ne choisira pas ailleurs et qui
+ne désirera jamais que ce qu’elle possède.</p>
+
+<p>&mdash;Elle a un gros appétit, et elle se hâte comme si elle était pressée
+par l’heure d’un train, dans un buffet de gare. Elle est joyeuse
+cependant et de bonne humeur. Elle sourit franchement entre deux
+bouchées?...</p>
+
+<p>Si vous êtes sûr de vous, vous aurez là une femme excellente, un peu
+ronde et brusque; son amour sera peut-être légèrement tyrannique, mais
+il sera, aussi, robuste et solide.</p>
+
+<p>Souvenez-vous, par exemple, qu’elle reprend toujours d’un plat qui lui a
+plu...</p>
+
+<p>&mdash;Elle déchiquette sa côtelette comme un poisson pour n’en sucer que
+l’os; elle cherche, de la pointe de son couteau, une boulette de
+moelle?<span class="pagenum"><a name="page_76" id="page_76">{76}</a></span></p>
+
+<p>Méfiez-vous. Elle est chicanière et soupçonneuse, jalouse aussi. Elle
+fouillera dans vos poches quand vous changerez de veston...</p>
+
+<p>&mdash;Elle met de chaque côté de son assiette, soigneusement, à gauche la
+mie de pain, à droite la croûte?</p>
+
+<p>Vous ne la connaîtrez jamais complètement. Elle est ambiguë, méthodique,
+froide et secrète. Le mariage, pour elle, comporte trois cérémonies: à
+la mairie, à l’église et au tribunal où se prononce le divorce.</p>
+
+<p>&mdash;Si elle prend la cuisse d’un poulet rôti, épousez-la.</p>
+
+<p>Elle n’est pas très délicate, mais elle est simple, bien portante et
+sans détours. Elle marchera toujours sur la bonne route...</p>
+
+<p>Si j’avais fait métier d’écrire, j’aurais sûrement composé un curieux
+ouvrage sur la cuisine...<span class="pagenum"><a name="page_77" id="page_77">{77}</a></span></p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Demain, elle existera!...</p>
+
+<p>C’est dans ce pays que j’ai vu, pour la première fois, une femme nue. Je
+crois que peu d’adolescents ont été aussi favorisés que moi et c’est le
+souvenir le plus prodigieux de ma quinzième année.</p>
+
+<p>J’étais un enfant studieux, sage et maladif, et, pendant les vacances,
+mes seules distractions étaient la pêche et la lecture des poètes
+romantiques.</p>
+
+<p>Un après-midi que je lisais les <i>Orientales</i>, sous un arbre, une petite
+charrette anglaise passa sur la route et un jeune homme vêtu de blanc me
+fit un salut amical.</p>
+
+<p>J’allai à lui, à travers le parc.</p>
+
+<p>C’était mon ami de classe Alexandre Boreuil, le fils d’un antiquaire de
+la place du Forum que l’on disait fort riche.<span class="pagenum"><a name="page_78" id="page_78">{78}</a></span></p>
+
+<p>Je lui offris de se rafraîchir, mais il refusa, craignant d’être en
+retard. Il avait une course à faire à quelques kilomètres, et il me
+désigna une place à côté de lui, sous le tendelet de toile écrue qui
+faisait une ombre claire à sa voiture.</p>
+
+<p>Il allait, me confiait-il, porter un antique objet d’art au propriétaire
+d’un château des environs dont j’avais vaguement entendu parler.</p>
+
+<p>Je savais que ce voisin, fort bizarre et solitaire, vivait au milieu
+d’admirables collections, et j’acceptai la place que m’offrait
+Alexandre.</p>
+
+<p>&mdash;Vous devez vous ennuyer? commença-t-il.</p>
+
+<p>&mdash;Mais non, répondis-je, et je tirai les <i>Orientales</i> de ma poche.</p>
+
+<p>Il ouvrit le bouquin, déclama une strophe, éclata de rire, et il écrasa,
+en refermant<span class="pagenum"><a name="page_79" id="page_79">{79}</a></span> le volume, une abeille qui semblait butiner les vers.</p>
+
+<p>Il arrêta son cheval devant une petite porte en bois épais, toute
+cloutée de bronze.</p>
+
+<p>Le bouton de la sonnerie disparaissait sous le feuillage, et il nous
+fallut le chercher entre les luisantes feuilles bleues d’un feston de
+lierre.</p>
+
+<p>La porte s’ouvrit et Alexandre, ayant attaché son cheval et entravé les
+roues, prit, en portant le précieux objet dans une boîte, un sentier
+plein de mousse, sous des arbres de Judée.</p>
+
+<p>Je le suivais, et nous aperçûmes brusquement le château.</p>
+
+<p>Une vieille servante guida mon ami,&mdash;car je demeurai sur la terrasse,&mdash;à
+travers un immense vestibule, vers un salon que j’apercevais devant moi
+et qui devait servir de bibliothèque.<span class="pagenum"><a name="page_80" id="page_80">{80}</a></span></p>
+
+<p>Quatre portes-fenêtres étaient ouvertes sur le jardin, et les vieux
+arbres et les stores de toile jaune tamisaient à souhait l’ardente
+lumière.</p>
+
+<p>Un homme était assis au milieu de la vaste pièce. Il paraissait
+quarante-cinq ans. Une crinière grise et drue, rejetée en arrière; une
+barbe épaisse, aux boucles distinctes comme celles des bronzes antiques,
+en faisait un être d’un grand caractère.</p>
+
+<p>On imaginait au fond du parc une victoria vernie, avec un cocher
+solennel.</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 521px;">
+<a href="images/illu-088.jpg">
+<img src="images/illu-088.jpg" width="521" height="215" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>Je vis entrer Alexandre. Il tendait sa boîte à l’homme qui coupa les
+ficelles et tira, du<span class="pagenum"><a name="page_81" id="page_81">{81}</a></span> coton qui l’enveloppait, un petit Bacchus
+d’ivoire. Du plat de sa main velue, il caressait la statuette, comme un
+voluptueux caresse l’épaule bien potelée d’une maîtresse.</p>
+
+<p>Lorsqu’il se leva, Alexandre prit congé, mais il s’égara sans doute dans
+les couloirs, car il fut un assez long moment sans paraître.</p>
+
+<p>C’est alors que j’eus la révélation de la femme.</p>
+
+<p>Une grande fille entra, blonde, élancée, robuste et nue. Elle n’avait
+aux pieds que des sandales retenues aux chevilles par des bandelettes
+dorées, et un peigne d’écaille à son chignon.</p>
+
+<p>Dans les clartés adoucies et tranquilles de l’immense salon plein de
+livres, de marbres et de miroirs, elle allait sans gêne, habituée
+certainement à vivre ainsi. Elle s’assit, croisa ses longues jambes
+blanches<span class="pagenum"><a name="page_82" id="page_82">{82}</a></span> et prit le petit Bacchus pour l’examiner. Puis, elle arrangea
+sa coiffure dans une glace et, me tournant le dos, quitta le salon, les
+bras arrondis sur sa tête et pareille à une grande amphore d’albâtre. Je
+ne racontai pas cela à mon ami, et j’appris ensuite que cet homme était
+un singulier original, vivant seul avec cette femme nue, dans ce château
+où personne ne venait jamais.</p>
+
+<p class="ast">*<br />* *</p>
+
+<p>Elle existe!... Ah! la chose n’a pas été commode... J’ai ouvert la boîte
+dans l’ombre, j’ai développé la toile sur mon lit, mais avant de lui
+donner la vie avec ce qui me reste de souffle, je l’ai habillée d’un
+peignoir de soie chinoise, j’ai mis des bas à ses jambes plates et je
+l’ai chaussée, comme j’ai pu, de mules blanches... Je l’ai vue naître<span class="pagenum"><a name="page_83" id="page_83">{83}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter">
+<a href="images/illu-091.jpg">
+<img src="images/illu-091.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_85" id="page_85">{85}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_84" id="page_84">{84}</a></span></p>
+
+<p class="nind">par degrés... L’étoffe s’est soulevée lentement, un pied s’est
+brusquement étiré, et son visage clair s’est tourné vers moi avec ses
+yeux immobiles, étonnés et extasiés. Je l’ai coiffée d’un bonnet de
+dentelles et je suis resté près d’elle, en lui tenant la main, et je lui
+ai dit:</p>
+
+<p>«&mdash;Tu n’es rien sans doute qu’une illusion, mais que sont les plus
+grandes amours?</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 495px;">
+<a href="images/illu-093.jpg">
+<img src="images/illu-093.jpg" width="495" height="186" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p>«Telle femme pour qui un amant désespéré s’est tué n’aurait pas obtenu
+un seul baiser d’un autre homme. L’amour est en nous, il n’est pas
+nécessaire que celle qui en est l’objet le partage. Le vieux Shakespeare
+a dit que l’amour et la beauté étaient<span class="pagenum"><a name="page_86" id="page_86">{86}</a></span> dans l’œil du contemplateur et
+qu’ils naissent du regard qui sait transfigurer la matière.</p>
+
+<p>«Tu n’es qu’une énorme bulle que j’ai soufflée, mais il en est de même
+de tout ce que nous imaginons.</p>
+
+<p>«Ecoute, je n’ai pas de secrets pour toi. J’ai été pris, il y a quelques
+années, par une fille rencontrée dans un café. A présent qu’il n’y a
+plus autour de son image l’atmosphère que je créais, je puis affirmer
+qu’elle était ignoble.</p>
+
+<p>«Ses cheveux teints étaient une filasse décolorée, sa gorge était
+dévastée, et je mourrais de honte si je devais m’attabler encore avec
+elle dans les restaurants où elle m’entraînait et où elle mangeait comme
+un maçon, en persécutant de ses œillades les hommes qui dînaient seuls.</p>
+
+<p>«Eh bien, je la transfigurais. Je faisais de<span class="pagenum"><a name="page_87" id="page_87">{87}</a></span> sa fausse chevelure une
+toison de courtisane médicéenne et de dogaresse, et la poitrine de
+marbre des Vénus me semblait fade à côté des deux gourdes molles que
+j’embrassais, pendant qu’elle gloussait comme une poissarde chatouillée.</p>
+
+<p>«Les grandes héroïnes n’ont sans doute existé que dans le cœur éperdu de
+ceux qui les aimèrent. La divine, la pure Laure que chanta Pétrarque
+était une jeune femme qui couchait toutes les nuits avec son mari, le
+sieur de Sade, un rude gentilhomme peu lavé qui devait ronfler après
+avoir fait l’amour comme un soudard.</p>
+
+<p>«Laure accomplissait peut-être sans joie ces devoirs conjugaux, et je
+crois volontiers qu’elle avait plus de noblesse et d’allure que Tata&mdash;ma
+maîtresse était connue sous ce nom imbécile&mdash;mais je crois aussi que,
+pendant quelques mois, je fus un plus grand<span class="pagenum"><a name="page_88" id="page_88">{88}</a></span> poète que l’altissime
+sonnetiste qui célébra la dame de Vaucluse, parce que transfigurer ce
+chameau demandait beaucoup plus de dons poétiques et d’idéalisme.</p>
+
+<p>«Certains soirs, le foulard ou le velours de sa jupe qui avait balayé
+toutes les banquettes du café me semblaient tissés d’une surnaturelle
+soie, et je sentais mille cœurs battre dans ma poitrine quand elle
+m’enlaçait négligemment de ses bras qui avaient traîné partout.</p>
+
+<p>«Tu es aussi réelle a présent que toutes les femmes que j’ai possédées
+et qui ne m’aimaient pas, celles dont l’amant qui n’arrive pas à les
+émouvoir est</p>
+
+<div class="poetry">
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<span class="i12">«<i>comme un musicien</i><br /></span>
+<span class="i0">«<i>Tourmentant le clavier d’un clavecin sans cordes</i>...»<br /></span>
+</div></div>
+</div>
+
+<p>«Je ne peux te donner un nom. A mon gré, lourde et parfumée de musc, tu
+seras<span class="pagenum"><a name="page_89" id="page_89">{89}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter">
+<a href="images/illu-097.jpg">
+<img src="images/illu-097.jpg" height="550" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_91" id="page_91">{91}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_90" id="page_90">{90}</a></span></p>
+
+<p class="nind">la fille du Sud qu’on trouve près du vieux port et qui vous entraîne
+dans une maison obscure et moisie. Elle sent les coquillages, le soleil
+et l’eau croupie où meurent les poissons. Une chandelle éclaire sa
+mansarde chaude dont la croisée donne sur un bassin plein de navires. Le
+matelot à peu près ivre qu’elle a ramené ne saurait y reconnaître le
+sien. Il est allongé sur le grabat et il regarde cette femme qu’il ne
+connaît pas. Elle a dans son chignon massif un œillet qu’a flétri le
+parfum trop fort de ses cheveux gras. Elle marche vers la couche, nue,
+robuste, et son corps splendide et dur qu’a glacé la sueur montre, dans
+l’ombre où clignote la bougie, des seins flétris, et son amour ressemble
+à une brutale rixe...</p>
+
+<p>«Tu seras, si je le désire, une jeune femme du Nord, blonde, docile et
+molle. Pendant le silence cruel d’une nuit de gel<span class="pagenum"><a name="page_92" id="page_92">{92}</a></span> sur la mer ou
+brillent des îlots de glace, ton corps chaud frissonnera à peine quand
+je l’étreindrai sous les couvertures... Tu deviendras tour à tour la
+belle poitrinaire qui consume d’amour ses derniers jours, sous les
+eucalyptus de la villa; la jeune fille du château qui a donné
+rendez-vous au fils du jardinier; la petite bourgeoise qui trompe le
+notaire avec le soldat qu’elle loge; la pierreuse qui vous pousse, une
+nuit de pluie, vers son hôtel, à travers une rue dont le trottoir luit
+comme de l’ébène mouillé... Tu seras toutes les femmes: la chaste
+pupille aux tresses blondes de l’anabaptiste et la cadette déjà grasse
+et ambrée du rabbin; la jeune duchesse svelte, pâle et mélancolique; la
+brute foraine aux poignets garrottés de cuir, aux jarrets épais qui
+lutte avec des hercules efflanqués; la Hollandaise aux bras de lait et
+de roses; la Chinoise<span class="pagenum"><a name="page_93" id="page_93">{93}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 494px;">
+<a href="images/illu-101.jpg">
+<img src="images/illu-101.jpg" width="494" height="506" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p class="nind">qu’éclaire une ronde lanterne de papier; la créole qui fume un cigare
+parmi les cannes à sucre; l’alerte modiste qu’on a connue avenue de
+l’Opéra; la bergère en sabots dont le baiser a l’odeur fraîche d’une
+pomme sous une averse de septembre; la blanche et froide lady qui porte
+à son col de cygne des perles de vice-reine; la<span class="pagenum"><a name="page_94" id="page_94">{94}</a></span> nouvelle épousée
+défaillante et timide, et la veuve de trente ans qui croyait se consoler
+en allant au mois de Marie...</p>
+
+<p>«A ce soir... J’allumerai les flambeaux d’argent dans cette belle
+chambre qui est désormais la tienne, au milieu du parc sauvage où nous
+serons seuls comme au cœur vierge d’un éden...»</p>
+
+<p class="ast">. . . . . . . . . . . .</p>
+
+<p>Je posai mon cigare éteint dans le plateau et j’achevais la bouteille
+que M. Olivier Camors aurait peut-être entamée, lorsque le valet de
+chambre entra.</p>
+
+<p>&mdash;Eh bien, monsieur, vous avez terminé votre lecture... qu’en
+dites-vous? C’est fort curieux, n’est-ce pas? Le journal de mon défunt
+maître s’arrête là; il n’a pas soupé avec la demoiselle en baudruche,
+puisqu’il est mort au cours de l’après-midi, vers quatre heures, et
+brusquement.<span class="pagenum"><a name="page_95" id="page_95">{95}</a></span></p>
+
+<p>Quand je dis brusquement, je me trompe; il agonisait depuis son arrivée
+à la Tremblée. Enfin, quoi qu’il en soit, il est mort l’après-midi du
+jour où il écrivit ces dernières lignes et il ne put exécuter aucun de
+ses projets galants. Triste! J’ai connu quelques histoires semblables
+d’hommes qui attendirent une femme aimée pendant longtemps et qui
+disparurent avant d’avoir pu savoir le goût de sa peau.</p>
+
+<p>S’il y avait eu quelque chose entre eux, je ne l’aurais pas gardée, vous
+pouvez me croire. Ah! non, par exemple, je ne l’aurais pas gardée! Je
+suis vieux, il y a longtemps que j’ai renoncé à toutes les
+plaisanteries, mais celle-là... non celle-là est trop forte... Venez,
+monsieur, je l’ai descendue du grenier, elle est dans le corridor et en
+plein courant d’air; si quelque fenêtre s’ouvrait... Avec ce temps c’est
+dangereux parce que...<span class="pagenum"><a name="page_96" id="page_96">{96}</a></span></p>
+
+<p>Il n’acheva pas sa phrase.</p>
+
+<p>Un formidable coup de vent inclina les branches des arbres qui
+balayèrent la façade et nous entendîmes un bruit de vitres brisées et de
+croisée qui se referme trop fort.</p>
+
+<p>Je courus derrière le vieillard qui se hâtait, et nous arrivâmes sur le
+perron juste à temps pour voir s’envoler, comme un ballon d’enfant, la
+maîtresse de feu M. Olivier Camors.</p>
+
+<p>Elle était nue, avec des bas blancs et des pantoufles, car le vent de
+l’orage qui éclatait avait dû arracher son peignoir.</p>
+
+<p>A la hauteur du toit, elle bascula et fit un plongeon. J’aperçus sa tête
+souriante aux yeux immobiles et extasiés. Elle avait perdu son bonnet et
+elle ressemblait à une de ces jeannettes de carton colorié sur
+lesquelles les anciennes modistes essayaient leurs coiffes. Elle
+dansait, se redressait,<span class="pagenum"><a name="page_97" id="page_97">{97}</a></span> tanguait, les seins gonflés et son corps était
+d’un blanc de plâtre légèrement teinté de rose.</p>
+
+<p>&mdash;Est-elle godiche? dit le domestique effaré.</p>
+
+<p>Elle dépassa la cime rebroussée et furieuse d’un vieux marronnier, et
+les remous et les courants aériens, qui devaient être plus violents et
+plus rapides, l’enlevèrent, lui firent faire deux ou trois bonds si
+prodigieux qu’elle ne fut bientôt plus à mes yeux qu’une poupée de
+petite fille dans un ciel tumultueux parsemé de feuilles mortes.</p>
+
+<p>&mdash;Elle est capable d’aller relancer mon ancien maître jusqu’au paradis,
+murmura le vieux serviteur goguenard, sans la quitter des yeux...</p>
+
+<p>Plus haut que les plus lointaines hirondelles, elle ne fut bientôt qu’un
+point tremblant, une bulle affolée et, s’il est vrai que<span class="pagenum"><a name="page_98" id="page_98">{98}</a></span> les âmes
+mettent un temps assez long avant de quitter les lieux où elles furent
+affranchies, celle de l’étrange mort dut voir passer la femme qu’il
+avait animée de son dernier souffle et qui s’en allait charmante,
+puérile, maladroite et ridicule, dans l’infini...</p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 344px;">
+<a href="images/illu-106.jpg">
+<img src="images/illu-106.jpg" width="344" height="221" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_99" id="page_99">{99}</a></span></p>
+
+<div class="figcenter" style="width: 513px;">
+<a href="images/illu-107.jpg">
+<img src="images/illu-107.jpg" width="513" height="449" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<h2>OUVRAGES<br />
+DU MÊME AUTEUR</h2>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td><span class="smcap">La Maison du Poète</span></td><td class="rt">Poésies</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Les Isolements</span></td><td class="rt">&mdash;</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Jacques</span></td><td class="rt">Roman en vers</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Orchestres</span></td><td class="rt">Poésies</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Les Heures déchirées</span></td><td class="rt">Notes</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">François Pain, Gendarme</span></td><td class="rt">&mdash;</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">L’Abdication de Ris-Orangis</span></td><td class="rt">Roman</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">L’Heure des Tziganes</span></td><td class="rt">Théâtre</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Les Bonaparte</span></td><td class="rt">&mdash;</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Les Charmettes</span></td><td class="rt">&mdash;</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">La Lumière du Soir</span></td><td class="rt">&mdash;</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Théophile Gautier</span></td><td class="rt">Étude</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">L’Après-Midi chez l’Antiquaire</span> (<i>L’Édition</i>).</td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td><span class="pagenum"><a name="page_100" id="page_100">{100}</a></span></td></tr>
+
+<tr><td class="c"><i>A paraître</i>:</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Le Dimanche avec Paul Cézanne</span> (<i>L’Édition</i>).</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Paris mort et vif...</span></td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">La Journée du Célibataire</span> (<i>L’Édition</i>).</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">La Trahison d’Eurydice</span></td><td class="rt">Roman</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Monsieur le Curé</span></td><td class="rt">&mdash;</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Art Poétique</span></td><td class="rt">Poésies</td></tr>
+<tr><td><span class="smcap">Le Dimanche de l’Amateur.</span></td></tr>
+</table>
+
+<div class="figcenter" style="width: 291px;">
+<a href="images/illu-108.jpg">
+<img src="images/illu-108.jpg" width="291" height="203" alt="[pas d'image disponible.]" /></a>
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="page_101" id="page_101">{101}</a></span></p>
+
+<div class="poetry"><div class="poem"><small>
+ACHEVÉ D’IMPRIMER LE VINGT-CINQ AVRIL<br />
+MIL NEUF CENT VINGT-CINQ, SUR LES<br />
+PRESSES DE COULOUMA, MAITRE IMPRI<br />
+MEUR
+A ARGENTEUIL, H. BARTHÉLEMY<br /> ÉTANT
+DIRECTEUR, POUR LE COMPTE<br />
+DE G. BRIFFAUT, ÉDITEUR A PARIS.</small></div></div>
+
+<hr class="full" />
+<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA POUPÉE ***</div>
+<div style='text-align:left'>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Updated editions will replace the previous one&#8212;the old editions will
+be renamed.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
+law means that no one owns a United States copyright in these works,
+so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
+States without permission and without paying copyright
+royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
+of this license, apply to copying and distributing Project
+Gutenberg&#8482; electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG&#8482;
+concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
+and may not be used if you charge for an eBook, except by following
+the terms of the trademark license, including paying royalties for use
+of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
+copies of this eBook, complying with the trademark license is very
+easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
+of derivative works, reports, performances and research. Project
+Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may
+do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
+by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
+license, especially commercial redistribution.
+</div>
+
+<div style='margin:0.83em 0; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE<br />
+<span style='font-size:smaller'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE<br />
+PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</span>
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+To protect the Project Gutenberg&#8482; mission of promoting the free
+distribution of electronic works, by using or distributing this work
+(or any other work associated in any way with the phrase &#8220;Project
+Gutenberg&#8221;), you agree to comply with all the terms of the Full
+Project Gutenberg&#8482; License available with this file or online at
+www.gutenberg.org/license.
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg&#8482; electronic works
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg&#8482;
+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
+and accept all the terms of this license and intellectual property
+(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
+the terms of this agreement, you must cease using and return or
+destroy all copies of Project Gutenberg&#8482; electronic works in your
+possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
+Project Gutenberg&#8482; electronic work and you do not agree to be bound
+by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
+or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.B. &#8220;Project Gutenberg&#8221; is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg&#8482; electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg&#8482; electronic works if you follow the terms of this
+agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg&#8482;
+electronic works. See paragraph 1.E below.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (&#8220;the
+Foundation&#8221; or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
+of Project Gutenberg&#8482; electronic works. Nearly all the individual
+works in the collection are in the public domain in the United
+States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
+United States and you are located in the United States, we do not
+claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
+displaying or creating derivative works based on the work as long as
+all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
+that you will support the Project Gutenberg&#8482; mission of promoting
+free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg&#8482;
+works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
+Project Gutenberg&#8482; name associated with the work. You can easily
+comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
+same format with its attached full Project Gutenberg&#8482; License when
+you share it without charge with others.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
+what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
+in a constant state of change. If you are outside the United States,
+check the laws of your country in addition to the terms of this
+agreement before downloading, copying, displaying, performing,
+distributing or creating derivative works based on this work or any
+other Project Gutenberg&#8482; work. The Foundation makes no
+representations concerning the copyright status of any work in any
+country other than the United States.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
+immediate access to, the full Project Gutenberg&#8482; License must appear
+prominently whenever any copy of a Project Gutenberg&#8482; work (any work
+on which the phrase &#8220;Project Gutenberg&#8221; appears, or with which the
+phrase &#8220;Project Gutenberg&#8221; is associated) is accessed, displayed,
+performed, viewed, copied or distributed:
+</div>
+
+<blockquote>
+ <div style='display:block; margin:1em 0'>
+ This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
+ other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+ whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
+ of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
+ at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
+ are not located in the United States, you will have to check the laws
+ of the country where you are located before using this eBook.
+ </div>
+</blockquote>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.2. If an individual Project Gutenberg&#8482; electronic work is
+derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
+contain a notice indicating that it is posted with permission of the
+copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
+the United States without paying any fees or charges. If you are
+redistributing or providing access to a work with the phrase &#8220;Project
+Gutenberg&#8221; associated with or appearing on the work, you must comply
+either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
+obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg&#8482;
+trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.3. If an individual Project Gutenberg&#8482; electronic work is posted
+with the permission of the copyright holder, your use and distribution
+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
+additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
+will be linked to the Project Gutenberg&#8482; License for all works
+posted with the permission of the copyright holder found at the
+beginning of this work.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg&#8482;
+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg&#8482;.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
+prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
+active links or immediate access to the full terms of the Project
+Gutenberg&#8482; License.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
+compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
+any word processing or hypertext form. However, if you provide access
+to or distribute copies of a Project Gutenberg&#8482; work in a format
+other than &#8220;Plain Vanilla ASCII&#8221; or other format used in the official
+version posted on the official Project Gutenberg&#8482; website
+(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
+to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
+of obtaining a copy upon request, of the work in its original &#8220;Plain
+Vanilla ASCII&#8221; or other form. Any alternate format must include the
+full Project Gutenberg&#8482; License as specified in paragraph 1.E.1.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
+performing, copying or distributing any Project Gutenberg&#8482; works
+unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
+access to or distributing Project Gutenberg&#8482; electronic works
+provided that:
+</div>
+
+<div style='margin-left:0.7em;'>
+ <div style='text-indent:-0.7em'>
+ &bull; You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg&#8482; works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
+ to the owner of the Project Gutenberg&#8482; trademark, but he has
+ agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
+ Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
+ within 60 days following each date on which you prepare (or are
+ legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
+ payments should be clearly marked as such and sent to the Project
+ Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
+ Section 4, &#8220;Information about donations to the Project Gutenberg
+ Literary Archive Foundation.&#8221;
+ </div>
+
+ <div style='text-indent:-0.7em'>
+ &bull; You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg&#8482;
+ License. You must require such a user to return or destroy all
+ copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
+ all use of and all access to other copies of Project Gutenberg&#8482;
+ works.
+ </div>
+
+ <div style='text-indent:-0.7em'>
+ &bull; You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
+ any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
+ receipt of the work.
+ </div>
+
+ <div style='text-indent:-0.7em'>
+ &bull; You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg&#8482; works.
+ </div>
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
+Gutenberg&#8482; electronic work or group of works on different terms than
+are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
+from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
+the Project Gutenberg&#8482; trademark. Contact the Foundation as set
+forth in Section 3 below.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
+Gutenberg&#8482; collection. Despite these efforts, Project Gutenberg&#8482;
+electronic works, and the medium on which they may be stored, may
+contain &#8220;Defects,&#8221; such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
+or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
+intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
+other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
+cannot be read by your equipment.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the &#8220;Right
+of Replacement or Refund&#8221; described in paragraph 1.F.3, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
+Gutenberg&#8482; trademark, and any other party distributing a Project
+Gutenberg&#8482; electronic work under this agreement, disclaim all
+liability to you for damages, costs and expenses, including legal
+fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
+LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
+PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
+TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
+receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
+written explanation to the person you received the work from. If you
+received the work on a physical medium, you must return the medium
+with your written explanation. The person or entity that provided you
+with the defective work may elect to provide a replacement copy in
+lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
+or entity providing it to you may choose to give you a second
+opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
+the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
+without further opportunities to fix the problem.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you &#8216;AS-IS&#8217;, WITH NO
+OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
+LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of
+damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
+violates the law of the state applicable to this agreement, the
+agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
+limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
+unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
+remaining provisions.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg&#8482; electronic works in
+accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
+production, promotion and distribution of Project Gutenberg&#8482;
+electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
+including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
+the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
+or any Project Gutenberg&#8482; work, (b) alteration, modification, or
+additions or deletions to any Project Gutenberg&#8482; work, and (c) any
+Defect you cause.
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of
+computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
+exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
+from people in all walks of life.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
+goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
+generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
+Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
+U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
+Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
+to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
+and official page at www.gutenberg.org/contact
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
+public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
+DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
+visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations. To
+donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
+Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
+freely shared with anyone. For forty years, he produced and
+distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
+volunteer support.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
+the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
+necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
+edition.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Most people start at our website which has the main PG search
+facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+</div>
+
+</div>
+
+</body>
+</html>
diff --git a/64614-h/images/colophon.jpg b/64614-h/images/colophon.jpg
new file mode 100644
index 0000000..216eedc
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/colophon.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/colophon1.jpg b/64614-h/images/colophon1.jpg
new file mode 100644
index 0000000..64d3ac5
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/colophon1.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/cover.jpg b/64614-h/images/cover.jpg
new file mode 100644
index 0000000..cba8258
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/cover.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-012.jpg b/64614-h/images/illu-012.jpg
new file mode 100644
index 0000000..be5b0ed
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-012.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-016.jpg b/64614-h/images/illu-016.jpg
new file mode 100644
index 0000000..3af9c2a
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-016.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-018.jpg b/64614-h/images/illu-018.jpg
new file mode 100644
index 0000000..1e993f5
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-018.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-023.jpg b/64614-h/images/illu-023.jpg
new file mode 100644
index 0000000..89a9b21
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-023.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-026.jpg b/64614-h/images/illu-026.jpg
new file mode 100644
index 0000000..4b23c0e
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-026.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-033.jpg b/64614-h/images/illu-033.jpg
new file mode 100644
index 0000000..6ecf14c
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-033.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-035.jpg b/64614-h/images/illu-035.jpg
new file mode 100644
index 0000000..4909f6a
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-035.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-039.jpg b/64614-h/images/illu-039.jpg
new file mode 100644
index 0000000..e7406df
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-039.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-047.jpg b/64614-h/images/illu-047.jpg
new file mode 100644
index 0000000..435609b
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-047.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-049.jpg b/64614-h/images/illu-049.jpg
new file mode 100644
index 0000000..091ae77
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-049.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-052.jpg b/64614-h/images/illu-052.jpg
new file mode 100644
index 0000000..c6ca93e
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-052.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-057.jpg b/64614-h/images/illu-057.jpg
new file mode 100644
index 0000000..27c1b18
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-057.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-058.jpg b/64614-h/images/illu-058.jpg
new file mode 100644
index 0000000..4530ace
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-058.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-061.jpg b/64614-h/images/illu-061.jpg
new file mode 100644
index 0000000..4b36362
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-061.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-065.jpg b/64614-h/images/illu-065.jpg
new file mode 100644
index 0000000..999506f
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-065.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-068.jpg b/64614-h/images/illu-068.jpg
new file mode 100644
index 0000000..ecc49b6
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-068.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-079.jpg b/64614-h/images/illu-079.jpg
new file mode 100644
index 0000000..11532d4
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-079.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-088.jpg b/64614-h/images/illu-088.jpg
new file mode 100644
index 0000000..3f88a34
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-088.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-091.jpg b/64614-h/images/illu-091.jpg
new file mode 100644
index 0000000..ed851f5
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-091.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-093.jpg b/64614-h/images/illu-093.jpg
new file mode 100644
index 0000000..31a6f45
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-093.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-097.jpg b/64614-h/images/illu-097.jpg
new file mode 100644
index 0000000..0260125
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-097.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-101.jpg b/64614-h/images/illu-101.jpg
new file mode 100644
index 0000000..987cc95
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-101.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-106.jpg b/64614-h/images/illu-106.jpg
new file mode 100644
index 0000000..923262a
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-106.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-107.jpg b/64614-h/images/illu-107.jpg
new file mode 100644
index 0000000..da76518
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-107.jpg
Binary files differ
diff --git a/64614-h/images/illu-108.jpg b/64614-h/images/illu-108.jpg
new file mode 100644
index 0000000..26986d7
--- /dev/null
+++ b/64614-h/images/illu-108.jpg
Binary files differ