diff options
| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-01-23 01:26:41 -0800 |
|---|---|---|
| committer | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-01-23 01:26:41 -0800 |
| commit | 60ad69322b144579d2f854646cb68b78c05bf832 (patch) | |
| tree | 0c653f23ff9db5139aaa63a5505bfe3a6232b148 | |
| parent | 83402f58292ca59638264ec3a77b0a2e337b46a9 (diff) | |
| -rw-r--r-- | .gitattributes | 4 | ||||
| -rw-r--r-- | LICENSE.txt | 11 | ||||
| -rw-r--r-- | README.md | 2 | ||||
| -rw-r--r-- | old/65339-0.txt | 2811 | ||||
| -rw-r--r-- | old/65339-0.zip | bin | 60478 -> 0 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/65339-h.zip | bin | 329834 -> 0 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/65339-h/65339-h.htm | 3902 | ||||
| -rw-r--r-- | old/65339-h/images/cover.jpg | bin | 182566 -> 0 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/65339-h/images/illu1.jpg | bin | 31306 -> 0 bytes | |||
| -rw-r--r-- | old/65339-h/images/illu2.jpg | bin | 50823 -> 0 bytes |
10 files changed, 17 insertions, 6713 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..d7b82bc --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,4 @@ +*.txt text eol=lf +*.htm text eol=lf +*.html text eol=lf +*.md text eol=lf diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..dba744d --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #65339 (https://www.gutenberg.org/ebooks/65339) diff --git a/old/65339-0.txt b/old/65339-0.txt deleted file mode 100644 index 085dbe4..0000000 --- a/old/65339-0.txt +++ /dev/null @@ -1,2811 +0,0 @@ -The Project Gutenberg eBook of Vengeances Corses, by Pierre-Paul Raoul -Colonna de Cesari Rocca - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and -most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Vengeances Corses - -Author: Pierre-Paul Raoul Colonna de Cesari Rocca - -Release Date: May 14, 2021 [eBook #65339] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -Produced by: Véronique Le Bris, Laurent Vogel and the Online Distributed - Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was - produced from images generously made available by the - Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at - http://gallica.bnf.fr) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VENGEANCES CORSES *** - - - - - - COLONNA DE CESARI ROCCA - - VENGEANCES - CORSES - - [Illustration] - - Collection A.-L. GUYOT, 51, Rue Monsieur-le-Prince PARIS. - 20 Centimes--Algérie, Colonies et Étranger: 25 Centimes (Port en plus) - - - - -OUVRAGES DU MÊME AUTEUR - -_En vente dans les Bureaux_ - -DE LA - -Collection A.-L. GUYOT - - - Histoire de la Corse, écrite pour la première fois d’après les sources - originales. Prix 3 fr. 50 - - Le Nid de l’Aigle, Napoléon, sa patrie, son foyer, sa race, d’après - des documents inédits. Prix 3 fr. 50 - - La Vendetta dans l’Histoire 0 fr. 65 - - - - - VENGEANCES CORSES - - CHRONIQUES ET RÉCITS - RECUEILLIS PAR - Colonna de Cesari Rocca - - PARIS - Collection A.-L. GUYOT - 51, rue Monsieur-le-Prince, 51 - - TOUS DROITS RÉSERVÉS - - - - -VENGEANCES CORSES - - - - -LA VENDETTA - - -«_Prima lex est ulcisci_--La première loi du Corse est de se venger», -dit un vieux distique anonyme attribué à Sénèque probablement à tort, -mais en tous cas fort ancien. Un Corse du moyen âge auquel on ne saurait -reprocher de ne pas aimer sa patrie dont il fut plus l’apologiste que -l’historien (_Petrus Cyrnæus_) écrivait: - -«Les Corses aiment les factions et ont soif de victoires; avides de -vengeance, s’ils ne peuvent l’obtenir ouvertement, ils emploient des -embûches, la ruse et tous les modes d’artifices pour atteindre leur -but.» - -«Qu’il soit vivant, qu’il soit mort, redoute le Corse qui n’a pas -satisfait sa vengeance», dit un proverbe italien du XVIIe siècle. - -Et Stendhal: - -«Ils ne songent qu’à deux choses: se venger de leur ennemi et aimer leur -maîtresse.» - -Ces quatre jugements portés en des siècles bien différents sur la -caractéristique essentielle des mœurs corses serviront d’épigraphes aux -pages qui vont suivre. - -La tendance de l’homme à se faire justice soi-même est instinctive. Par -loi de nature il écarte ou détruit tout obstacle à sa conservation ou à -son bien-être. Si un accident lui arrive, si un malheur le frappe, les -causes de cet accident, de ce malheur lui seront toujours un souvenir -pénible, même si ces causes sont d’ordre matériel. Mais quand la -catastrophe dont il a été victime a pour auteur un être conscient qui, -volontairement, a provoqué sa douleur ou son mécontentement, qui, -ensuite, a tiré de son succès une _satisfaction_ outrageante pour lui, -l’homme veut à son tour la _satisfaction_ adéquate qui ne se peut -obtenir que par une souffrance égale ou supérieure chez celui qui l’a -offensé. Quand la société préside à cet acte de compensation, c’est la -justice; sinon c’est la vengeance. - -Mais il est rare qu’un équilibre absolu soit établi entre le crime et la -sanction exercée par la justice individuelle, c’est-à-dire par la -vengeance. Celle-ci, d’ailleurs, eût-elle strictement observé la loi du -talion «dent pour dent, œil pour œil», il est certain que celui qui est -frappé par cette condamnation n’en appréciera pas l’équité. Si son -adversaire a été juge et partie, lui s’est trouvé accusé et partie. A -dater de l’exécution de la sentence mentalement prononcée, les rôles -s’intervertissent et l’accusé, le condamné de la veille, devient juge à -son tour. C’est la _vendetta_. - -La justice individuelle des Corses ne connaît qu’une pénalité: la -suppression, c’est-à-dire la mort. Il est rare qu’elle soit précédée de -cruautés inutiles. La haine même ne préside toujours pas à ces -sanglantes exécutions dont le préjugé a fait un devoir. «La haine, dit -Balzac, est le vice des âmes étroites, elles l’alimentent de toutes -leurs petitesses, elles en font le prétexte de leurs basses tyrannies. -La vengeance est l’effet d’une loi à laquelle obéissent les grandes -âmes. Dieu se venge et ne hait pas.» N’a-t-on pas vu un bandit offrir -deux de ses cartouches à un homme que ses représentations et ses prières -ne pouvaient empêcher de se déclarer son ennemi, en acceptant deux des -siennes, et lui dire les larmes aux yeux: - ---Puisque tu le veux, eh bien! que la destinée s’accomplisse! nous -sommes en guerre: à partir de demain, garde-toi! - -On conçoit par ce qui précède que la vendetta ne peut pas être -restreinte dans ses effets à deux individus seulement. C’est une guerre -de famille à famille; après chaque exécution, un nouveau justicier se -lève parmi les proches de la victime. Le sang appelle le sang. Ces duels -qui mettent en présence des races entières duraient parfois pendant -plusieurs générations. - -En Corse tout acte est producteur d’autres actes d’une importance égale, -ou supérieure: et cela provient de ce que nul ne conçoit de la part d’un -autre un mouvement, un geste irréfléchi. Si le germe de ce mouvement, de -ce geste échappe à son discernement, son inquiétude se manifeste par une -défiance dont il ne se départira qu’avec peine. - -Tous les peuples du Midi sont enclins à l’oisiveté. Le Corse ne fait -point exception; sa sobriété se contente des produits qu’une terre -favorable fournit sans exiger trop d’efforts. Mais alors que les -populations méridionales, baignées de soleil, respirent la gaieté et la -joie, le Corse est méditatif et presque taciturne; son isolement entre -la mer et la montagne ont développé chez lui le penchant à la réflexion. -Sans contact avec les civilisations extérieures, avec les sciences, les -lettres, les arts, en un mot avec tout ce qui aurait pu mûrir le génie -naturel de la race, son cerveau, par une activité contrastant avec -l’oisiveté de ses membres, s’arma pour la lutte, acquit les qualités et -les défauts exigés pour la défense de l’homme en société. - -Suivant un écrivain continental[1], auquel nous devons l’ouvrage le plus -judicieux qui ait été écrit sur notre île, le Corse est «naturellement -porté vers la justice, mais lorsqu’elle frappe au dehors de sa famille; -fort de raison et de logique lorsqu’il est désintéressé dans ses -jugements; sophiste lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts; d’une -grande pénétration d’esprit; curieux comme une femme des affaires des -autres, extrêmement secret sur ce qui le concerne. Il abhorre le -mensonge, et souvent n’aime pas dire toute la vérité: ce qui le rend -parfois contraint et embarrassé en société. Il est taciturne par -caractère, réservé par prudence, soupçonneux et méfiant en public, -expansif au sein de l’amitié.» - - [1] Robiquet. _Recherches historiques et statistiques sur la Corse_. - -Le Corse a une haute opinion de soi. En principe, il est rebelle à tout -esprit de hiérarchie. Nous verrons plus loin ce qui a fait de la Corse -le pays du monde où les inégalités sociales sont le moins sensibles. -Contentons-nous pour l’instant de le constater. Le dernier paysan corse -traite d’égal à égal avec ses compatriotes et les étrangers le plus haut -placés. Un sous-préfet de la Restauration, qui séjourna en Corse assez -longtemps pour connaître le pays et ses habitants, raconte que le berger -insulaire aborde avec hardiesse des inconnus, s’enquiert de ce qui les -concerne, et entame avec eux des discussions politiques. Enfin il le -dépeint comme très curieux. Un autre écrivain prétend qu’il y a dans son -cas moins de curiosité que d’orgueil. «Ce Corse, ajoute-t-il, dans cet -entretien, ne veut prouver autre chose, sinon que, dans son humble -position, il comprend les questions les plus élevées, et, tout en vous -parlant, il a la conviction que si le Ciel l’eût fait naître riche ou -favorisé par les circonstances, il serait devenu un homme supérieur.» - -Les Corses ont bonne opinion d’eux-mêmes, non seulement comme individus, -mais comme peuple. Quoique jaloux les uns des autres, ils ont de leurs -concitoyens les idées les plus avantageuses. Ce sentiment a été justifié -par la fortune rapide des Corses qui abandonnèrent leur patrie pour -courir les aventures. Presque toutes les familles ont eu un ou plusieurs -membres qui se sont élevés à un rang supérieur. Tous les villages ont -leurs gloires locales, dont l’honneur rejaillit sur sa parenté qui est -nombreuse, car on conserve le souvenir des alliances et des origines -pendant bien des générations. Avec le temps, les exemples de fortune se -sont multipliés. Cette fortune, tous les Corses l’espèrent et la visent; -la mauvaise fortune, tous les Corses la veulent dompter. - -Souvent la confiance en soi, la présomption même servent à merveille -l’ambition qui n’est pas complètement dénuée de mérite. C’est elle qui -lui inculque l’art de tirer profit des événements. Le Corse ne doute pas -de son jugement: pour lui, tout fait auquel il a prêté son attention est -utile ou nuisible: s’il est nuisible, il doit en amoindrir la portée ou -en empêcher le retour; s’il est utile, il doit s’en servir. - -Donc, toute pensée provoquée par des circonstances ambiantes est propre -à engendrer un acte. Cette sensibilité quand elle est poussée à l’excès, -cette perspicacité quand elle est faussée--et le cas est -fréquent--deviennent de la susceptibilité. L’esprit de clan, la -solidarité des membres d’une famille font le reste. - - * * * * * - -Ainsi naissent les _vendette_; pour des causes graves parfois, futiles -le plus souvent. Vers 1825, le village de Levie (arrondissement de -Sartène) fut troublé par une grave inimitié entre deux familles. En -voici la raison: - -Un coq s’était échappé de sa basse-cour. Sa propriétaire vint le -réclamer à la voisine qui avait hospitalisé, peut-être sans le savoir, -le volatile fugitif. Celle-ci refusa tout d’abord de se livrer à une -enquête, cependant sur les instances d’un prêtre qui avait vu le coq -passer d’un jardin dans l’autre elle consentit à visiter son poulailler. -Furieuse de la forme de restitution, la propriétaire de la bête tordit -le cou de l’animal et le jeta à la figure de l’autre femme, en lui -disant: «Puisque ce coq est à toi, mange-le.» Les hommes accoururent, on -déchargea les fusils, un enfant fut tué. Les représailles durèrent deux -ans. - -Vers 1880, un individu nommé Rocchini trouva son chien expirant sur la -route devant la maison Taffani. Le lendemain, il assommait un chien des -Taffani. Quelques jours se passent. Cette fois, ce n’est plus un chien, -c’est un Rocchini que l’on trouve mort. Un Rocchini vaut un Taffani. La -lutte commence, Rocchini par ci, Taffani par là, ainsi de suite jusqu’à -ce qu’il n’en reste plus qu’un seul--c’était un Rocchini, on le -guillotina sur la place publique de Sartène. - -Alors que dans tous les pays, les guerres privées ne survenaient -qu’entre gens appartenant aux classes supérieures, chaque individu en -Corse nourri d’un sentiment égalitaire, fort de son indépendance -personnelle, encouragé par les ressources que la nature mettait à sa -disposition, adopta l’habitude de se faire justice soi-même. Ce droit -que la morale traditionnelle ne contestait pas fut bientôt un devoir. - -Dans d’autres pays, la société _épousa la querelle_, si l’on peut -s’exprimer ainsi, de celui qui avait été lésé dans sa personne, dans son -honneur ou dans ses biens. Ainsi naquit la justice. Bien ou mal rendue, -elle inspira assez de terreur aux masses pour réduire considérablement -le nombre des homicides et faire du meurtre un crime _aristocratique_. -Sur le continent, il y eut des répressions capables de faire réfléchir -ceux qui étaient à leur portée. Sur le continent, on put faire et -appliquer des lois préventives, interdire le port des armes à la -multitude, imposer la trêve de Dieu. Tout conspirait à interdire à la -justice le sol de la Corse. La politique génoise entra dans la -conjuration. - -La maxime «Diviser pour régner» fut de tout temps la base de toutes les -opérations politiques conçues par les Génois. C’est pourquoi non -seulement ils ne firent aucun effort pour mettre fin aux guerres -intestines, mais encore ils les encouragèrent. - -Dès qu’un homme s’élevait assez pour devenir redoutable, la république -lui opposait un de ses égaux de la veille; elle mettait aux prises deux -ambitions, deux susceptibilités qui se brisaient l’une l’autre; le -vaincu gagnait le maquis, devenait un bandit. - -L’histoire de la Corse est celle du banditisme et de la vendetta; tous -ses héros ont vécu des jours ou des années dans la montagne, traqués -comme des bêtes fauves. Giudice de Cinarca, considéré par ses -contemporains comme le souverain de la Corse, vécut en bandit pour -venger la mort de son père[2]. Son descendant Rinuccio delle Rocca, -seigneur puissant, fut réduit, dit un contemporain, à fuir toujours -comme la bête sauvage poursuivie par les chasseurs. Pour dépister ses -ennemis, il ferrait son cheval tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers; -comme on empoisonnait les sources proches des cavernes où on le croyait -réfugié, il supportait patiemment la soif pendant des jours entiers, -attendant, pour se désaltérer, qu’il pût boire l’eau d’une fontaine dont -il avait la clef. Peut-être aurait-il résisté longtemps encore si deux -de ses cousins, par vendetta, ne l’avaient fait périr dans une -embuscade. - - [2] Sa biographie dans la _Vendetta dans l’Histoire_. - - - - -LE FUSIL - - -L’introduction des armes à feu en Corse permit aux haines individuelles -de se satisfaire avec plus de facilité et de violence. «Auparavant, -écrit Filippini, vers 1580, lorsqu’on ne se servait point d’armes -semblables, si des ennemis mortels se rencontraient, l’un des partis -n’osait le plus souvent attaquer l’autre, bien que celui-ci comptât -trois ou quatre hommes de moins. Aujourd’hui, un homme qui a contre un -autre un peu de colère, qui n’oserait pas avec une autre arme le -regarder en face, l’attend caché dans un buisson ou dans un bois, et -tire sur lui comme sur un animal. Le meurtrier est inconnu et la justice -reste impuissante. - -«En outre, les Corses se sont si bien exercés au maniement de ces -arquebuses qu’en cas de guerre, le parti contre lequel ils se -déclareraient aurait à courir des dangers. Les enfants de huit à dix -ans, eux-mêmes, qui peuvent à peine porter une arquebuse et lâcher la -détente passent leur journée à tirer à la cible, et ne fût-elle pas plus -large qu’un écu, ils l’atteignent. - -«Et pourtant, je me souviens que, lorsque pour notre malheur, la guerre -éclata en Corse, en l’année 1553, pas un seul insulaire, à l’exception -de ceux qui avaient appris sur le continent à manier les armes, ne -savait adapter la corde à la serpentine. Lorsque Paul de Thermes[3] eut -par des récompenses et de magnifiques promesses, gagné à la cause des -Français les populations toujours avides de nouveautés et de changement, -en les voyant si bien disposées en sa faveur, mais sans armes, il envoya -exprès chercher à Marseille des armes pour les leur distribuer. On -souriait en voyant comment s’y prenaient les Corses pour manier leurs -arquebuses, ils ne savaient même pas les charger, et ce n’était qu’en -tremblant qu’ils mettaient le feu. Aujourd’hui, tous les Corses, en -n’importe quel endroit de l’île, manient des arquebuses à rouet, et les -soldats réguliers, eux-mêmes, ne les tiennent pas avec plus de soin. -J’avais donc raison de dire tout à l’heure que les populations et -particulièrement les Corses, étant d’humeur inconstante, on peut prévoir -sans peine à quels dangers et à quelles pertes se trouveront exposés à -l’avenir les habitants de l’île.» - - [3] Général chargé par Henri II de conduire l’expédition de Corse. - -Les Corses étaient effrayés eux-mêmes des crimes et des délits de tout -ordre qui se commettaient dans l’île et ils réclamaient une répression -sévère. De même que les gouverneurs avaient imaginé de vendre les ports -d’armes, ils consentirent de temps en temps à opérer un désarmement, -mais c’était pour pouvoir revendre les armes confisquées. Le même fusil, -dit-on, fut vendu jusqu’à sept fois. - - * * * * * - -Si l’on s’en rapporte à la _Justification de la révolution de la Corse_, -ouvrage dont le but est clairement exprimé par le titre, et que les -Génois eux-mêmes ne réfutèrent que faiblement, on jugera de l’état de la -Corse sous la domination génoise. - -Dès qu’un homicide se commettait, dit la _Justification_, les parents du -mort recouraient à la justice contre l’assassin; les parents de -l’assassin accouraient pour empêcher l’action de la justice; il y avait -entre les parties une première lutte devant le greffier pour en obtenir -un procès-verbal favorable; une seconde devant le juge qui émettait son -avis; une troisième devant le gouverneur de qui émanait la sentence. Si -les parties avaient quelques moyens pécuniaires, on profitait de -l’occasion pour faire une moisson abondante: les plus offrants gagnaient -toujours leur procès; mais si c’étaient les parents du mort, on ne -condamnait l’assassin qu’à une peine légère, et simplement pour leur -donner une sorte de satisfaction, tandis que si c’étaient les parents du -meurtrier, le meurtrier lui-même était exempté de toute peine afflictive -ou infamante; et si on ne pouvait ou altérer les pièces, ou torturer le -sens de la loi, par suite de la vigilance importune de la partie qui en -réclamait l’observation, on faisait intervenir l’autorité despotique du -gouverneur qui, étalant mal à propos une clémence et une miséricorde -intéressées, arrêtait le cours de la procédure et de la justice par ces -fameux décrets de _non procedatur_ dont la vertu absolvait de toute -peine les coupables les plus convaincus. Que si les assassins étaient -pauvres, alors, pour faire parade d’une justice incorruptible, ils -étaient condamnés au bannissement; mais bientôt, pour une pièce de -quatre-vingts francs (genovina) on accordait un sauf-conduit de six -mois, même aux bannis pour peine capitale, avec permis de port d’armes, -afin que pouvant parcourir l’île en toute sécurité, ils fussent non -seulement en état de se défendre contre leurs ennemis, mais même de -commettre de nouveaux attentats; quelquefois, on les faisait embarquer -pour Gênes où, admis au service de la République, ils étaient élevés à -des grades honorables, et même à celui de colonel. Enfin, au bout de peu -d’années, tous les bannis, absous par des grâces générales ou -particulières, retournaient chez eux d’un air de triomphe et plus -insolents que jamais. - -Et quelles étaient les funestes conséquences de cette impunité? -l’absolution d’un homicide devenant le germe de plusieurs autres. Les -individus offensés, voyant l’offenseur promener insolemment sous leurs -yeux son audace impunie, se rendaient par eux-mêmes cette justice que le -gouvernement leur avait refusée. Ainsi, dans cette succession rapide et -réciproque de forfaits, trente ou quarante assassinats étaient la suite -d’un premier crime, et, de là, la destruction de plusieurs familles qui -s’y trouvaient, même involontairement engagées. - - * * * * * - -En l’espace de trente-deux ans (1683-1715) les registres de la -République constatent 28,715 meurtres. En 1714, un jésuite corse, le -Père Murati, délégué à Gênes, obtint qu’il ne serait plus délivré aucun -port d’armes, à condition qu’une redevance de deux _seini_ (0 fr. 40) -par feu indemniserait la République du tort que lui causait la -suppression des patentes. Le nouveau gouverneur Pallavicini, chargé -d’opérer le désarmement, ne rencontra dans sa tâche aucun obstacle, et -la police de l’île parut entrer dans une meilleure voie; -malheureusement, de toutes les mesures prises, une seule survécut: -l’impôt auquel les malheureux insulaires s’étaient volontairement -soumis. - - * * * * * - -Les lois ont été abrogées, refaites, modifiées; les gouvernements ont -disparu; les régimes les plus divers se sont succédé; le fusil est resté -le fidèle compagnon du Corse, et aujourd’hui encore, pour endormir son -enfant, la mère chante sur un rythme monotone: - - _Quando voi sarete grandi - Vi manderemo alla scola - La carchera e lo stiletto - L’archibugia e la pistola._ - - Lorsque vous serez grand, - Nous vous enverrons à l’école - La cartouchière et le stylet, - L’arquebuse et le pistolet. - - - - -RÈGLES & COUTUMES DE LA VENDETTA - - -Le deuil avait autrefois en Corse, et il a conservé jusqu’à nos jours -dans certains villages de l’intérieur, un caractère particulier et des -formes tout à fait dramatiques. - -Si dans une maison il se trouve un malade, les parents et les amis, -hommes et femmes, s’y réunissent, les hommes dans un appartement, les -femmes dans un autre pour assister la famille et veiller nuit et jour -avec elle. - -Le malade mort, le soir même, à l’_Angelus_, le prêtre se rend auprès de -lui, et devant la foule réunie, il récite le rosaire et les litanies -chantées alternativement par lui et par les assistants. - -Le prêtre parti, tout le village, à l’exception des ennemis de la -famille, passe la nuit auprès du corps; à minuit, on leur sert une -collation. - -Dans certaines localités, les _voceratrice_, sortes de professionnelles -de la douleur, se réunissent autour du lit du défunt. Chacune à son tour -se détache et vient psalmodier les mérites du mort, «en gesticulant, -tournant autour de lui, lui parlant, feignant de l’écouter, le faisant -répondre, le touchant, lui prenant les mains, comme s’il était vivant». - -Cette première cérémonie faite, on enlève le cadavre pour le porter à -l’église, et, aussitôt, les _voceratrice_ se lamentent à la fois. La -messe finie, on porte le corps au cimetière, et tout le monde retourne à -la maison mortuaire où un dîner réunit les membres du clergé, la famille -et les amis. En Balagne[4] ce sont les habitants du village qui portent -à la famille du mort pour elle et les étrangers qui sont venus -différents mets qui forment ce qu’on appelle le _conforto_. - - [4] Région qui comprend la partie septentrionale de l’arrondissement - de Calvi. - - * * * * * - -Si le mort a été tué, les lamentations prennent un autre caractère; les -_voceratrice_ ressemblent à des furies et chacun de leur cri est un cri -de vengeance. Elles déchirent leurs vêtements, s’arrachent les cheveux -et s’ensanglantent avec leurs ongles la figure et la poitrine. Souvent, -elles sucent les plaies du mort et conservent sa chemise et ses -vêtements ensanglantés pour les montrer à ses enfants. On en a vu -profiter de la circonstance pour rappeler la mort d’une personne tuée -depuis douze ans, et qui n’avait pas été vengée, demander vengeance pour -elle et l’obtenir! Les hommes, dans ce cas, n’assistent pas à la -cérémonie en vains spectateurs. Ils s’arrachent la barbe et les cheveux -et se déchirent le visage en criant: _Ohime! Ohime!_ (hélas! hélas!) Les -hommes en signe de deuil ne se coupent plus la barbe, et on n’ouvre -jamais les croisées jusqu’à ce que le mort ait été vengé. «Nous -connaissons un gendarme, dit M. Gracieux Faure, qui écrivait en 1858, -dont le père fut tué un vendredi, il y a plus de vingt ans, et qui -depuis cette époque n’a jamais, en signe de deuil, manqué de jeûner le -vendredi au pain et à l’eau. Nous avons vu s’ouvrir, en 1858, des volets -qui étaient demeurés fermés depuis 1830; voici dans quelle circonstance: -trois jeunes gens avaient été tués à cette époque; ils étaient -orphelins: leur tante et leur oncle qui était prêtre, ne pouvant -personnellement les venger, s’enfermèrent chez eux et se condamnèrent à -une réclusion si rigoureuse que, jusqu’à la fin de leur vie, ni l’un ni -l’autre n’a jamais revu le soleil. - -«Si leurs neveux eussent été vengés par la mort de trois de leurs -ennemis, le deuil eût cessé par là même, et la maison se fût ouverte -comme par le passé: mais le meurtrier seul ayant été tué, une -demi-persienne seulement fut ouverte; l’oncle passa ainsi dix-sept ans, -et sa sœur vingt-huit, au milieu de ténèbres volontaires. Celle-ci est -morte tout récemment laissant une fortune considérable, et, par son -testament, elle a légué une certaine somme à ceux qui devaient la porter -en terre, à la condition qu’ils feraient un long détour pour éviter de -passer devant la maison de ses anciens ennemis. Elle a voulu, en outre, -que son cercueil fût scellé dans le mur, et que la clef en fût jetée -dans le fleuve voisin, pour le cas peu probable où le tombeau de sa -famille deviendrait la propriété de ses adversaires.» - -Tel est le sort auquel se condamnait, il y a peu d’années, une famille -forcée par des circonstances exceptionnelles de renoncer à sa vengeance. -Mais ces circonstances étaient excessivement rares, le sang versé -appelait le sang et la guerre était déclarée. Presque toujours on -avertissait avant de commencer les hostilités par la formule -sacramentelle: «Garde-toi». «Le Corse, dit Paul de Saint-Victor, -conserva toujours jusque dans ses crimes une grandeur native; la -carabine de ces bandits avait à sa manière l’honneur de l’épée du duel. -Une sorte de droit des gens réglait la guerre de vendetta; elle avait -ses cartels, ses défis, ses délais, ses trêves, ses lieux d’asile. Les -clauses de ce code des buissons furent toujours observées avec une -loyauté scrupuleuse.» - -Pour se faire une idée de la profondeur avec laquelle la vendetta et son -code étaient encore ancrés, il y a vingt ans, dans les mœurs corses, il -suffit de lire cette ordonnance, qui fut affichée sur le territoire d’un -chef-lieu de canton de l’arrondissement de Sartène: - -«ARTICLE PREMIER.--Il est formellement interdit de porter des armes sur -le territoire de la commune de Levie. - -«ART. II.--Exception est faite pour les personnes notoirement en état -d’inimitié.» - -Et notez que le brave homme de maire, qui a rédigé et fait placarder -cette ordonnance en 1886, se considérait comme ayant des idées très -avancées. - - * * * * * - -Quand le terrible «Garde-toi» avait été prononcé, la catastrophe était -prochaine, à moins--ce qui était fort rare--que l’un des partis _refusât -l’inimitié_. Un homme qui avait été provoqué par un outrage personnel, -ou par le meurtre d’un des siens, n’était pas absolument et -inévitablement tenu à la vengeance. Cela n’était pas très honorable; -mais on en cite quelques exemples. Pour refuser l’inimitié, il n’était -pas nécessaire d’avoir directement ou par autrui, un entretien avec ses -ennemis; il suffisait de ne porter ni fusil, ni pistolet, ni autres -armes. Dès lors, cet homme devenait inviolable et on aurait regardé -comme lâche et infâme celui qui l’aurait frappé. - - * * * * * - -Si l’inimitié a été acceptée, si la famille réunie en conseil a déclaré -que l’honneur exige une vengeance, on voit immédiatement s’entremettre -les _parolanti_ ou _paceri_ (conciliateurs). Souvent, par des -concessions demandées à propos, ils faisaient tomber les armes au plus -fort de la lutte et réconciliaient des familles prêtes à s’entr’égorger. -Se portant garants de la sincérité et de la durée du traité conclu, les -_paceri_ en répondaient sur leur tête et sur leurs biens. Fallait-il -fixer par écrit les conditions de la paix? ils se chargeaient de ce -soin. Pour qu’ils pussent se livrer en toute sécurité à cette belle -mission, les _paceri_ jouissaient du privilège de l’inviolabilité. A -leur approche, les hostilités étaient suspendues, les stylets rentraient -dans le fourreau, et les trêves duraient aussi longtemps que les -négociations pacifiques n’étaient pas rompues. Le moindre outrage fait à -ces hommes de bien se dévouant pour la paix générale eût suffi pour -déshonorer un parti ou une race. - -Si les _parolanti_ échouaient, la situation des familles ennemies -devenait épouvantable. Il n’était pour eux plus de refuge, plus d’abri -où la mort ne les frôlât pas à chaque instant. Lorsqu’ils voulaient se -transporter d’un lieu dans un autre, dit Salvatore Viale, ils -voyageaient comme les pèlerins de l’Asie en caravane, avec trois troupes -de bretteurs, l’une armée pour les escorter, les deux autres pour battre -les maquis à droite et à gauche, afin de rompre ou d’empêcher les -embuscades. Tel qui se trouvait trop pauvre ou dénué d’amis pour -employer ce moyen se croyait au moins obligé de dissimuler le voyage -qu’il allait entreprendre. La défiance était si grande que non seulement -il cachait ce voyage à ses proches, mais encore à sa femme et à ses -enfants eux-mêmes; ou s’il leur disait qu’il allait à la montagne, -c’était pour descendre avec plus de sécurité dans la plaine. Souvent, il -choisissait comme l’heure le plus favorable à son départ le moment où -éclatait une tempête nocturne. Il comprenait si bien le danger qu’il -allait courir que, dans ces occasions, il renfermait dans un paquet -cacheté le testament qui contenait ses dernières volontés. S’il -traversait un bois ou longeait un précipice, il appuyait l’index sur la -détente d’un pistolet et tressaillait au moindre bruit des branches, -menacé à chaque instant par l’apparition du canon d’un fusil. - -Les murailles dans lesquelles vivaient les familles en état d’inimitié -portaient l’indice plus ou moins apparent de leur situation; les -ouvertures étaient à moitié murées comme celles des monastères et -défendues par des mâchicoulis; les jardins étaient entourés de remparts: -la terrasse bâtie au-dessus du toit était protégée par un parapet -crénelé. Dans plusieurs localités, les habitations comportaient un four -et un puits, afin qu’en cas de siège on pût sans sortir faire face à -tous les besoins du ménage. On reconnaissait facilement l’état -d’inimitié auquel ces demeures étaient soumises lorsque, contrairement à -l’usage, on n’apercevait pas de linge étendu pour sécher aux fenêtres et -que celles-ci étaient fermées comme dans les lieux où règne la malaria. - -L’étranger, admis à une hospitalité généreuse, s’étonnait de voir le -chef de famille se promener le long de la salle, s’avançant ou reculant -tour à tour d’une fenêtre à l’autre dans l’attitude d’un maître -d’escrime. La légende a gardé le souvenir d’un prêtre qui, par suite -d’une inimitié que lui avaient légué ses ancêtres, resta dix ans en état -de quarantaine domestique. Fatigué de compter et de mesurer sans cesse -ses pas, il avait tracé des lignes de divers côtés pour marquer l’espace -dans lequel il pourrait dégourdir ses jambes sans risquer sa vie. - -Dans certains villages, des générations presque entières passèrent sans -prendre aucune part à la vie sociale. On assure que dans -l’arrondissement de Sartène, de petits enfants, portés sur les fonts -baptismaux le jour de leur naissance, ne purent reparaître à l’église -qu’après que l’âge eut blanchi leurs cheveux. - - * * * * * - -Quelquefois en approchant d’une maison d’aspect inhabité, le voyageur -lisait, collée sur un arbre, à quelques mètres de l’habitation, une -affiche ainsi conçue: - -«Il est défendu à tout médecin, notaire, curé, fonctionnaire public, -soldat, gendarme, ouvrier, de porter secours et assistance à X...» - -Ces avis étaient généralement plus respectés que ceux que placardent les -agents de l’autorité. Pour avoir contrevenu à une interdiction de ce -genre, un Lucquois eut l’oreille coupée. Le moindre accident qui puisse -arriver au délinquant est d’être mis à nu et fustigé avec un faisceau de -verges et d’orties. L’exécution a toujours lieu en présence de témoins -pour que l’exemple en soit salutaire. - - - - -LE BANDITISME - - -Autrefois, un acte de vengeance ne poussait pas toujours dans le maquis -l’individu qui s’en était rendu socialement coupable. Par suite de la -répression, le nombre des bandits a considérablement augmenté -proportionnellement aux meurtres relevés dans l’île. Il va de soi que -tout _prévenu_ qui se refuse à reconnaître l’arbitrage des tribunaux se -trouve par là même hors la loi. C’est le _bandit_. - -La Corse est le seul pays où le mot _bandit_ soit encore employé dans -son acception primitive: banni. Il désigne, non pas celui qui fait -partie d’une _bande_, mais l’individu au ban de la société, qui -justement vit presque toujours isolé. - -Cependant, l’acception injurieuse du mot se généralisant, les Corses, -pour exprimer l’état d’un compatriote qui a pris le maquis, disent -qu’«il est dans le malheur». Cette locution, d’un fatalisme douloureux, -est souvent justifiée. - -Le bandit n’est pas toujours un criminel, pas même un meurtrier; les -condamnations à quelques jours de prison pour un simple délit, les -contraventions les plus futiles, la loi du recrutement, auquel la -population, malgré ses goûts belliqueux, se montrait assez réfractaire, -les luttes électorales, plus chaudes en Corse que partout ailleurs, ont -jeté des quantités d’insulaires dans le maquis. Tous n’y restèrent pas, -et nous pourrions citer plus d’un bandit qui a fourni par la suite une -très honorable carrière dans l’administration ou dans l’armée. D’autres -entraînés par les circonstances ont fait de nombreuses victimes et ont -fini par porter leur tête sur l’échafaud. Cependant, on peut dire du -banditisme, comme du journalisme, qu’il mène à tout, à la condition d’en -sortir. - -Les bandits d’autrefois furent des personnages quasi-historiques: s’ils -se trouvèrent hors la loi, ce fut plus comme adversaires du gouvernement -que comme criminels. Nul ne songeait guère à leur reprocher leurs actes -de _vendette_; mais leur ambition, leur influence sur les masses et -l’usage qu’ils en faisaient les rendaient dangereux pour la -_tranquillité de l’Etat_. Quand ils voulaient venir à composition et se -mettre au service du gouvernement, ils étaient bien accueillis et bien -rétribués, non seulement les grands chefs, qui maniaient des milliers -d’hommes, mais encore les plus vulgaires assassins[5]. - - [5] Lire dans la _Vendetta dans l’histoire_, les biographies de - Giudice delle Rocca et de Ferrando da Quenza. On trouvera plus loin - celle de Sampiero Corso, père et grand-père de maréchaux de France. - - * * * * * - -En 1768, la Corse étant passée sous la domination française, le nouveau -régime se montra trop sévère, car il oublia souvent qu’il avait affaire -non à des criminels de droit commun, mais à des hommes qui ne voulaient -pas plus reconnaître au roi de France le droit de les acheter qu’à la -république celui de les vendre. - -Le premier édit concernant la vendetta est du mois de juin de 1769. Il -est ainsi conçu: «L’assassinat prémédité avec guet-apens sera puni du -supplice de la roue. Voulons que, en cas qu’il ait été commis par -vengeance ou querelle de famille, en haine transmise, la maison du -coupable soit rasée et sa postérité déclarée incapable de remplir jamais -aucune fonction publique.» - -Les ordonnances de mars et de juin 1770 s’expriment ainsi: - -«Ceux de nos sujets corses qui seront arrêtés porteurs d’armes à feu, ou -dans les maisons desquels il en sera trouvé, seront punis de mort. La -peine de mort sera prononcée contre les malfaiteurs connus dans l’île -sous le nom de bandits. - -«Considérant que les bandits n’ont pour but que le vol et l’assassinat, -en vertu des pouvoirs à nous donnés par Sa Majesté, déclarons par ces -présentes que dans la marche que nous allons faire contre les bandits, -ceux qui seront pris seront pendus, à l’heure même, au premier arbre et -sans autre forme de procès.» - -La justice ne se contenta pas d’exécuter les édits à la lettre; elle -inventa des supplices nouveaux contre les gens qui portaient des armes -sans permission. Quand on en trouvait, on pliait deux grosses branches -d’arbres de façon à les rapprocher, à l’une on attachait les jambes, à -l’autre les bras du coupable, puis on rendait à l’arbre sa liberté. Les -branches en reprenant leur position naturelle brisaient le corps du -supplicié. - -Il est vrai qu’au XVIIIe siècle il exista des bandits qui eussent été -plus justement qualifiés brigands. Jaussin, pharmacien en chef de -l’armée française en 1739, raconte le fait suivant qui est -particulièrement typique: - -Il avait logé trois semaines chez un prétendu bourgeois qui avait de -bonnes manières et une maison de belle apparence. Il lui laissa donc -avec confiance sa cassette contenant pour 4.000 livres d’argenterie, de -bijoux et d’argent qui, à son retour, lui fut remise intacte. - -Ce fidèle dépositaire n’était, toutefois, ainsi que ses deux frères, son -oncle et son cousin, qu’un _ladro publico_ (voleur public), la bande -assassina vers ce temps plusieurs soldats, vivandiers et autres -passants. - -Le chef, arrêté et conduit à Ajaccio, fut interrogé devant -_l’apothicaire-major_, qui, s’étonnant de ce qu’il ne l’avait ni volé, -ni assassiné au lieu des pauvres hères qu’il avait dépouillés, reçut -pour réponse: «Je m’en serais bien gardé, monsieur, c’eût été violer les -lois de l’hospitalité.» - -Jaussin sollicite sa grâce, et l’obtint sous condition qu’il servirait -dans le Royal-Corse. Après quelques mois, il déserta pour retourner à -son premier métier. - -Ce respect de l’hospitalité fut toujours un des points caractéristiques -de la race corse, même parmi les gens en état d’inimitié. - - * * * * * - -Napoléon disait à Sainte-Hélène: «Je voulais consacrer trente mille -hommes à la pacification de la Corse et trente millions à sa prospérité, -mais absorbé par les soins de la guerre et les affaires du continent, -j’avais renvoyé à la paix l’exécution de ce dessein; le temps m’a -manqué.» La Corse, sous l’Empire, progressa peu; elle n’eut pas à se -louer, dit-on, de Miot et des autres administrateurs que le continent -lui envoya. Le général Morand les dépassa tous. En 1808, il s’imagina -que les Anglais recrutaient des soldats dans le Fiumorbo. Par un procédé -indigne d’un soldat, il s’empara de cent cinquante-huit suspects, qui -furent garrottés et emmenés comme des criminels. Dix d’entre eux furent -fusillés. Les autres, déportés à Embrun, y périrent du climat et des -mauvais traitements, à l’exception d’une vingtaine que l’on rapatria en -1810. - - * * * * * - -Le gouvernement de la Restauration supposant, non sans quelque raison, -que les Corses resteraient en grande majorité attachés à la dynastie -impériale, soumit malencontreusement l’île à des lois d’exception. Une -maladresse du général Berthier causa les premiers malentendus. Celui-ci, -dès 1814, frappait le département d’une contribution extraordinaire de -500.000 francs sous prétexte que les besoins impérieux du service public -l’exigeaient. Les gros contribuables de Bastia (taxée pour sa part à -cent mille francs) prirent une résolution énergique. L’un d’eux se rend -chez le sous-préfet qui l’accueille à peu près en ces termes: «Je sais -que vous êtes une douzaine de désespérés qui n’avez rien à perdre, et -qui voulez provoquer un mouvement populaire à la faveur duquel vous -comptez gagner quelque chose; mais vos mesures sont mal prises; -l’autorité n’ignore rien; elle saura prévenir vos desseins et punir les -coupables. - ---Eh bien, monsieur, répondit l’autre, puisque vous êtes si bien -instruit, que tardez-vous à agir? Vous n’avez point de temps à perdre, -car, dans l’instant même, vous allez cesser d’être sous-préfet, et, -avant deux heures, il y aura probablement de la _chair fraîche_ dans la -ville.» - -Il sortit en disant ces mots et rencontra sur l’escalier un des -principaux chefs de la conspiration, qui montait à la sous-préfecture. -Ils retournèrent ensemble pour avertir leurs amis et ameuter le peuple. - -Il était onze heures du matin. Le sous-préfet et le maire, pour empêcher -le désordre, coururent chez le général commandant la place, mais -celui-ci n’avait pas encore mis ses bottes que la citadelle était prise -par les conjurés. - -Nous passerons rapidement sur les détails de cette affaire héroï-comique -qu’il nous fallait tout au moins rappeler pour expliquer la sévérité du -régime de Louis XVIII. Alors que le reste de la France bénéficiait de -l’institution des jurys, le gouvernement maintint à Bastia une cour -prévôtale dont les décisions, empreintes d’une rigueur excessive, -réveillèrent les passions. Les préfets voulurent rattacher quelques -crimes ordinaires à des ramifications politiques; on abusa de la -guillotine, et l’opinion publique s’émut de voir tomber des têtes -innocentes. - -Ces maladresses, auxquelles s’ajoutèrent de véritables dénis de justice, -indignèrent l’opinion publique. On manifesta ouvertement en faveur des -bandits qui s’affilièrent aux sociétés secrètes et se firent presque -tous carbonari. D’anciens soldats de Napoléon, d’anciens officiers même -se mêlèrent à eux et les dirigèrent. Enfin, les traités d’extradition -coupant aux bandits toute retraite, ils s’organisèrent en bandes et se -donnèrent des chefs, des constitutions. Ils devinrent alors réellement -redoutables. - -En 1816, le marquis de Rivière, gouverneur de la Corse, dans un accès de -zèle intempestif, résolut de saisir les diamants de Murat que celui-ci -avait confiés à un ancien officier de l’empereur, le commandant -Poli.--Ce dernier les avait mis en dépôt; il ne refusa pas de les -remettre à Rivière, mais il allégua qu’il ne pouvait toucher au dépôt -sans l’autorisation des héritiers du roi de Naples. Irrité, le -gouverneur fit perquisitionner chez toutes les personnes qu’il supposait -avoir eu des relations avec Murat, chez leurs parents et leurs amis. Ce -fut ainsi que la femme du général Franceschetti, fille du notaire -Colonna Ceccaldi, chez qui Murat avait déjà reçu l’hospitalité à -Vescovato, fut dépouillée de tous ses vêtements par ordre du préfet. On -ne trouva rien. Rivière, accompagné du général Delaunay, commandant la -division, et du préfet Saint-Genest, entreprit contre le commandant -Poli, une bruyante expédition qui sombra dans le ridicule. Il perdit des -hommes, se vit dépouiller de ses bagages et s’enfuit en laissant un -nombre important de prisonniers. Sans la présence d’esprit d’un officier -qui coupa la corde qui remorquait le gouverneur, celui-ci était pris au -lasso par un habile montagnard. - - * * * * * - -Déconsidéré par cette burlesque expédition dont Rivière vengea la honte -sur deux malheureux jeunes gens accusés de carbonarisme, le gouvernement -de la Restauration s’aliéna toutes les sympathies. Ce fut l’âge d’or du -banditisme. Ce fut l’époque où les bandits les plus notoires, condamnés -plusieurs fois à mort, se montraient au théâtre dans une loge voisine de -celle du préfet; où l’administration et la justice rencontrèrent contre -elles coalisées toutes les forces de la Corse. Comme presque toutes les -familles avaient quelqu’un de ses membres dans le maquis, le pouvoir eut -tout le monde contre lui. - -Le maire d’une commune d’Ajaccio possédait une maison à deux étages, le -premier était occupé par le propriétaire et par sa famille; il avait -loué le rez-de-chaussée à la gendarmerie et le second était habité par -des locataires moins notoires, mais faisant tous profession de -banditisme. Tandis que les gendarmes battaient nuit et jour la campagne, -ceux-ci vidaient tranquillement quelques bouteilles, jouant à la scopa -avec le maire et ses adjoints. Cela dura près d’une année et quand on -connut la retraite des bandits, on voulut procéder à leur arrestation. -Inutile, avertis à temps ils avaient changé de domicile. - -Le curé de Poggio-di-Nazza, dans le Fiumorbo, prenant, en 1818, -possession de sa paroisse et sachant que ses ouailles nourrissaient des -sentiments hostiles à son égard, entra dans l’église armé à la façon des -bandits. Comme on s’en étonnait, il déposa son fusil contre l’autel en -disant: «Voici le Père», puis plaçant un pistolet sur l’autel: «Voici le -Fils», et tirant de sa soutane un stylet, il ajouta «Voici le -Saint-Esprit». - -Les protestations contre lui furent dès lors plus discrètes. - -Dans le Fiumorbo, un chef de bande était à la fois juge de paix du -canton et maire de son village. Quand on requérait ses bons offices, il -s’avançait le chapeau à la main: «Qui désirez-vous, disait-il en -souriant: est-ce le juge de paix ou le maire? car, si c’était le -bandit?...» Un geste vers son fusil déposé dans un coin de la salle -complétait la phrase. - -On raconte que cet énergique individu, qui n’avait pas alors plus de -vingt-cinq ans, est mort officier de la Légion d’honneur et membre du -conseil général. - - * * * * * - -Le plus célèbre chef de bande était alors Théodore Poli[6], surnommé le -Roi de la Montagne: tous les bandits sollicitaient l’honneur de servir -sous ses ordres. Avec ses compagnons Gallocchio et Gambini, il s’empara -un jour du bourreau de Bastia et le fit fusiller à trois cents mètres du -tribunal, à l’endroit même où un de ses hommes avait été exécuté -quelques jours auparavant. - - [6] Il n’avait aucun lien de parenté, même éloignée, avec le - commandant Poli. - -La bande subvenait à ses besoins par des contributions levées sur les -fonctionnaires et les curés. - -«Messieurs, disait Théodore à ces derniers, vous n’avez ni femme ni -enfants, vous pouvez contribuer à notre entretien. Pour vous éviter tout -dérangement, un collecteur se présentera chez vous tous les mois, -recevra l’impôt et vous donnera quittance.» - -Les ecclésiastiques se soumirent, seul le curé de Guillaza envoya -brutalement promener le percepteur. Théodore jugea que cette résistance -était d’un mauvais exemple et pouvait devenir contagieuse. Le lendemain, -il se rendit en personne au presbytère. Le curé était un homme -déterminé, qui avait calculé la portée de ses actes, et s’était décidé à -ne plus sortir qu’avec son fusil. Il disait sa messe lorsque Théodore, -accompagné de deux de ses lieutenants, entre dans l’église et -s’agenouille pieusement. La cérémonie terminée, le Roi de la Montagne -s’approche du curé et lui dit: - ---Vous êtes encore à jeun, envoyez cet enfant dire à votre servante de -vous apporter à manger. Seulement, il est inutile qu’elle vous apporte -du vin, attendu que celui de ma gourde vaut probablement mieux que le -vôtre. - -Seul contre trois, le curé est forcé d’obéir; la servante arrive, il -mange de bon appétit, et fait même honneur au vin de Théodore, pour lui -montrer que sa présence ne l’impressionne pas. Celui-ci, de son côté, a -la discrétion de ne faire aucune allusion à l’objet de sa visite, mais -dès que le repas est terminé: - ---Eh bien, monsieur le curé, êtes-vous disposé à réparer l’injure -qu’hier vous m’avez faite et à payer l’impôt? - ---Moins que jamais. - ---Et pourquoi? - ---Parce que vous n’avez aucun droit de lever des contributions. - ---Il me serait pénible d’user à votre égard de mon autorité; veuillez, -s’il vous plaît, nous épargner à tous deux ce désagrément. - ---Je ne payerai pas. - ---C’est votre dernier mot? - ---Oui. - ---Saisissez monsieur le curé, et couchez-le par terre. - -En un instant, l’ecclésiastique saisi par quatre mains de fer est étendu -sur le dos. - ---Persistez-vous toujours? reprend le bandit. - ---Toujours. - ---Brusco, allume! - -Et aussitôt, sans faire la moindre observation, Brusco allume une de ces -torches en bois résineux que les bandits portaient toujours, pour -s’éclairer au besoin pendant la nuit, et met le feu par le bas aux -vêtements du prisonnier. Celui-ci sentant déjà la flamme demande qu’on -éteigne et offre de payer. - ---Voici mes dix francs. - ---Ceci est pour l’impôt, mais, en punition de votre conduite, vous -voudrez bien y ajouter cent cinquante francs à titre d’amende; total -cent soixante. Vous devrez vous estimer heureux d’en être quitte à si -peu de frais. Seulement, pas de récidive. - -Il fallut payer bon gré, mal gré. Grâce à cet acte de rigueur, Théodore -vit l’impôt ecclésiastique rentrer désormais sans difficulté chaque -mois, et son trésor se remplir tout seul pour ainsi dire sans qu’il eût -besoin de s’en mêler davantage. - -Le budget assuré, restait la question du vêtement et de la chaussure. -Les bandits étaient plus forts qu’il ne fallait pour emporter d’assaut -les villages et la plupart des villes de Corse et dévaliser les -magasins; mais ce moyen aurait eu de graves inconvénients, le premier de -leur créer une multitude d’ennemis; le second de nuire à leur réputation -de probité, à laquelle le plus grand nombre tenait sincèrement. Théodore -résolut donc, au lieu de s’adresser aux marchands de drap et aux -cordonniers, de mettre à contribution la gendarmerie en personne. - ---De cette façon, disait-il, comme le traitement du clergé et les -appointements des gendarmes leur viennent de l’Etat, en définitive, ce -sera l’Etat qui aura l’honneur de nous salarier indirectement. - -Toutefois, ajoute M. Gracieux Faure, à qui nous devons ces pittoresques -détails, la méthode employée à l’égard du clergé n’était point -applicable aux gendarmes, car ceux-ci n’étaient pas d’humeur à se -laisser attirer dans la montagne pour se dépouiller de leurs vêtements -et les céder aux bandits. Il fut donc arrêté que, vu le peu d’espoir -qu’il y avait à les décider à apporter volontairement leur tribut, on -irait le chercher soi-même jusque dans l’intérieur des casernes. - -Dans la troupe de Théodore, tout individu convaincu d’attentat à la -propriété privée était rayé des contrôles. Si le cas était assez grave -pour compromettre la _dignité_ du banditisme, le délinquant était passé -par les armes. - -Les bandits généralement respectueux de la vie de leurs compatriotes et -des étrangers ne ménageaient pas la force publique représentée par la -magistrature judiciaire: en 1820, un juge d’instruction, nommé Colonna -d’Istria, fut tué sur la route d’Ajaccio à Bastelica où il avait -commencé une information criminelle; en 1832, M. de Susini, procureur du -roi à Sartène, fut assassiné par un contumace qu’il avait été obligé de -poursuivre. Théodore attaqua lui-même le conseiller Arena dans la forêt -de Vizzavona. - -Ces traditions se sont pieusement conservées dans le maquis; on put -voir, il y a peu d’années, un bandit coiffé du képi préfectoral: il en -avait lui-même effectué la saisie sur la tête du premier magistrat de -son département, dont le prestige se trouva, de ce chef, -considérablement amoindri. - - * * * * * - -A côté des magistrats et des gendarmes, figurait une catégorie -d’individus envers laquelle les bandits se montraient inexorables, -c’était celle des témoins qui avaient déposé contre eux devant les -tribunaux. Les représailles qu’ils exerçaient furent telles qu’on en -arriva à ne plus trouver de témoins pour affirmer les faits les plus -notoires: «Il est, disait M. Bertrand, avocat général à la Cour de -Bastia, quelquefois difficile de faire répéter, en Cour d’assises, -devant l’accusé, la vérité dite au juge d’instruction dans le -tête-à-tête du cabinet. - -«--L’avete veduto, si o no? (L’avez-vous vu, oui ou non?) demande le -président. - -«--Si, Signor, ma non sono sicuro, li occhi sono fatti d’acqua. (Oui -monsieur, mais je ne suis pas sûr, les yeux _sont faits d’eau_) répond -le témoin, voulant, par là, dire que l’organe de la vue est imparfait et -qu’une erreur est possible. - -La dénonciation et le faux témoignage, quoique rares, ont été le prélude -de sanglantes _vendette_ et ont frayé la carrière de plus d’un bandit. -Vers 1860, un jeune homme appartenant à la famille Giacomoni, une des -meilleures du canton de Sainte-Lucie-de-Tallano, fut condamné -injustement aux travaux forcés comme assassin. Deux dépositions -provenant l’une d’un juge de paix, l’autre d’un médecin, avaient -contribué pour une grande part à sa condamnation: «Que j’aie les yeux -crevés comme Sainte-Lucie, si je mens!» avait dit le magistrat devant le -tribunal. Persuadé de l’innocence du condamné, son frère qui terminait -ses études sur le continent, s’embarqua pour la Corse, arrive de nuit -chez le juge de paix, le confesse, et lui fait répéter la formule de son -serment. Quand l’autre a obéi sous l’impulsion de la terreur, de son -poignard il lui fait sauter les deux yeux. Depuis, on ne l’appela plus -que Sainte-Lucie. - -D’accord avec un autre de ses frères, il adressa au médecin le billet -suivant: - - «De la montagne, - - «Nous avons l’honneur de vous informer que lorsque la Providence nous - fera la grâce de vous mettre sur notre chemin, le moindre déplaisir - qui puisse vous arriver est l’ablation du nez et des oreilles. Notre - courtoisie et notre éducation ne nous permettent pas de vous - surprendre sans vous avoir correctement prévenu. - - «SAINTE-LUCIE et GIACOMONI.» - -Effrayé, le docteur se retira à Ajaccio, où il eut l’imprudence de se -croire en sûreté. Pendant quelques semaines il put supposer que son -persécuteur l’avait oublié. Il n’en était rien. - -Appelé par un malade, il passait un jour devant le portique de -Notre-Dame, quand il se vit interpeller. - ---Un mot, docteur! - -Avant qu’il ait pu se reconnaître, Sainte-Lucie lui déchargeait son -pistolet dans la poitrine. - -On pourrait croire que ce meurtre commis en plein jour, devant une -cathédrale, dans un chef-lieu de département, n’est pas resté impuni. -Détrompez-vous: voici ce qui arriva. - -Pendant que l’on portait secours à la victime, Sainte-Lucie s’éloigna. -Le premier moment de stupeur passé, plusieurs personnes se lancèrent à -sa poursuite. Sur le point d’être atteint, le bandit s’arrêta -brusquement, et mettant à découvert un long stylet, il attendit les -assaillants d’une mine si ferme que les plus courageux reculèrent. - -Profitant de leur hésitation, Sainte-Lucie se mit à fuir vers la porte -de la ville. Un douanier dont l’attention avait été éveillée par les -cris de la foule le coucha en joue: «Arrête, s’écria l’assassin, je me -rends.» Et s’approchant dans l’attitude de la soumission, il saisit le -canon du fusil qu’il arracha des mains du douanier poignardé. - -On le vit, après cet exploit, muni de son trophée, se diriger au pas de -course vers la plage, puis quitter la route qui borde le golfe pour -disparaître dans la montagne. - -Sainte-Lucie fut par la suite un des plus fameux bandits de l’île. Très -supérieur à la masse par son éducation, il jouissait d’une autorité sans -bornes sur les autres bandits. En 1847, il quitta la Corse avec le -consentement tacite des autorités. L’année suivante, il était capitaine -dans l’armée romaine. Quelque temps après, il vint à Paris où il excita -la curiosité des journalistes. L’un d’eux, Germond de Lavigne, lui -consacra toute une série de chroniques dans _la Liberté_. - - * * * * * - -Nous avons dit tout à l’heure qu’en 1820, M. Colonna d’Istria, juge -d’instruction, fut assassiné sur la route d’Ajaccio à Bastelica. Un -bandit appelé le _Rosso_ (le Roux) fut accusé de ce crime, et il se -trouva des témoins pour déposer contre lui. Le Rosso était innocent; il -passait pour très honnête et très scrupuleux; sa mauvaise étoile et les -préjugés locaux l’avaient jeté dans le maquis, mais sa douceur et sa -probité étaient connues de tous. Cependant, sur la déposition d’ennemis -personnels, il fut condamné à mort--par défaut naturellement. - -Jusque-là, le Rosso, loin de chercher à se faire redouter, s’était -appliqué à vivre en bonne intelligence avec ses compatriotes et à -mériter leur estime. Cette condamnation le remplit de douleur et de -colère. Le premier des faux témoins qu’il rencontre est un nommé -_Pasqualini_. Il tire dessus et lui casse un bras. Pasqualini se -précipite dans un groupe de paysannes qui passaient avec leurs fagots -sur la tête en criant: «Sauvez-moi, sauvez-moi». Elles jettent bas leurs -fardeaux et lui font un rempart de leur corps. Le Rosso arrive -implacable, l’arrache de leurs bras et l’achève à coups de stylet sous -leurs yeux en disant: «Il m’a fait condamner injustement à mort, et moi -je l’exécute avec justice.» - -Les autres témoins succombèrent, l’un après l’autre, sous ses coups. -Quand il eut _lavé son honneur_ dans le sang de ses ennemis, il gagna la -plage et se fit conduire en Sardaigne. Il mourut gardien d’un fanal dans -l’île d’Asinara. - - * * * * * - -L’organisation bien entendue des bandits ne permettait plus à la -gendarmerie de lutter contre eux. C’est pourquoi en 1823 on créa un -bataillon de _voltigeurs corses_, composé uniquement de volontaires. Ces -soldats, qui connaissaient admirablement les mœurs, la langue et la -nature physique du pays, firent des prodiges, mais il ne leur fallut pas -moins de dix-sept ans pour rétablir l’ordre et la sécurité. On licencia -le bataillon en 1850; malgré le progrès obtenu, les préfets purent -s’apercevoir que cette mesure était prématurée. - -En effet, le banditisme, quoique réduit à des individualités, ne -disparut pas plus que la vendetta. Pour quelques-uns, il fut encore une -carrière: témoins les fameux Bellacoscia dont le plus jeune est mort en -1907. Dès 1869, Napoléon III, à qui on demandait leur grâce, dut refuser -à cause de la complication de leur casier judiciaire. Les magistrats de -la république, comme ceux des régimes qui avaient précédé, les -condamnèrent à mort un certain nombre de fois. Ils ne s’en portèrent pas -plus mal, continuèrent à lever des impôts dans leur canton, à exécuter -des _contribuables_ récalcitrants, à recevoir les visites des voyageurs -notables et à assurer l’élection du candidat de leur choix dans -l’arrondissement d’Ajaccio. - - - - -SAMPIERO CORSO - - -A l’attaque de Borgo-Forte en 1526, le commandant des troupes -pontificales fut blessé grièvement à la cuisse d’un coup de fauconneau. -Il s’appelait Jean de Médicis et était âgé de vingt-huit ans. L’ablation -immédiate de la jambe ayant été jugée nécessaire, il éclaira lui-même le -chirurgien et ne voulut supporter que personne tînt la bougie pendant -cette cruelle opération. - -Il mourut huit jours après. Ses soldats prirent le deuil, et arborèrent -leurs bannières et leurs enseignes noires. Ce qui leur fit donner le nom -de _Bandes-Noires_. - -Du vivant de Jean de Médicis, n’entrait pas qui voulait dans ces -terribles bandes. Pour être enrôlé, il fallait passer sous les yeux du -maître. Si le candidat plaisait, on l’invitait à montrer sa force et son -adresse en luttant avec les vieux soldats éprouvés. Quand un soldat -briguait la haute paye, il venait s’offrir aux coups du général qui -jugeait lui-même de l’habileté et de la résistance du sujet. Et comme -pour obtenir un avancement il fallait que le candidat vainquît à pied et -à cheval un gradé qui ne devait sa position qu’à ses succès dans une -épreuve analogue, Jean de Médicis perfectionnait chaque jour les cadres -de ses troupes. Les exploits étaient récompensés largement; les lâches -étaient renvoyés quand ils n’étaient pas poignardés de la main du -général. - -Après avoir débuté dans les rangs les plus infimes, le corse Sampiero da -Bastelica était parvenu, tout jeune, aux grades les plus élevés. On -racontait de lui des choses surprenantes: il avait abattu un taureau -furieux d’un seul coup d’épée. Attaqué un jour inopinément par sept -hommes armés, il en tue deux et déploie une vigueur si terrible que les -cinq autres prennent la fuite[7]. A Rome, raconte Brantôme, il offre à -l’ambassadeur de France de mettre fin aux guerres impériales en se -saisissant de Charles-Quint, quand il passerait sur le pont Saint-Ange, -au milieu de ses chevaliers, et en le précipitant dans le Tibre. - - [7] Carboni, _Compendio della storia ligure_. - -Un duel qu’il eut avec un de ses collègues, quand il servait sous les -ordres de Jean de Médicis, achèvera le portrait de ce soldat dont ses -contemporains admirèrent la bravoure et l’énergie constante au milieu -des circonstances les plus pénibles d’une vie bizarrement accidentée. - -Sampiero Corso et Giovanni da Torino étaient donc en désaccord. Jean de -Médicis, connaissant leur humeur et sachant que ce désaccord était -appelé à un dénouement tragique s’il n’y mettait ordre, employa tous les -moyens qu’il avait en son pouvoir pour les réconcilier. N’y pouvant -parvenir, de dépit, il déchira sa cape en deux, leur en donna chacun la -moitié et deux bonnes épées. Puis il les enferma dans une salle, en leur -disant qu’ils en sortiraient quand ils se seraient mis d’accord. - -Sans préambules inutiles, _ils furent tout de suite d’accord_ pour en -venir aux mains. Giovanni da Torino «donna, dit Brantôme, une estocade -au front de Sampiero, petite pourtant, mais d’importance, d’autant que -le sang lui commença aussitôt à lui couler sur les yeux et le long du -visage, si bien qu’à tous les coups, il lui fallait porter la main pour -essuyer ses yeux.» - -Alors Giovanni da Torino abaissant son épée, lui dit: - ---Sampiero Corso, arrête-toi et bande un peu ta plaie. - -L’autre le prit au mot, sortit son mouchoir et banda sa blessure le -mieux qu’il put. Puis le combat recommença, mais avec une telle âpreté -que Sampiero fit sauter au loin l’épée de Giovanni. Ce fut au tour de -Sampiero à suspendre le combat en disant à son adversaire: - ---Giovanni da Torino, ramasse ton épée, car je ne veux pas profiter d’un -avantage pour te blesser. - -On pourrait supposer qu’après cet échange de courtoisies, les deux -champions étaient bien près de se tendre la main et de faire la paix. -Ils n’y pensaient même pas, et les gens qui suivaient les péripéties du -combat à travers les fentes des portes, les virent se porter des coups -tels que d’un commun accord, ils vinrent supplier Giovanni de Médicis -d’intervenir. - -Quand celui-ci entra dans la salle, il les trouva «tous deux, l’un deçà -et l’autre delà, tombés et couchés par terre, n’en pouvant plus, pour -les grandes blessures qu’ils s’étaient entredonnées et du grand sang -répandu.» - - * * * * * - -En 1545, Sampiero se rendait en Corse où il épousait Vannina, fille de -Francesco, seigneur d’Ornano, mais Sampiero n’était pas un homme que -l’amour arrache à ses ambitions. Il était marié depuis peu, lorsqu’il -apprit que Pier Lugi Farnese (fils du pape Paul III), généralissime des -troupes de l’Eglise, venait d’être tué. Laissant sa femme à Santa-Maria -d’Ornano, chez son père, il s’embarqua pour Civita Vecchia, et courut à -Rome solliciter un poste auquel sa bravoure et sa réputation le -semblaient désigner. Mais ses espérances ne s’étant pas réalisées, il -revint presque aussitôt. - -Au cours de son voyage, Sampiero avait eu, disait-on, une conférence -intime avec Cesare Fregoso, génois considérable, mais exilé et alors au -service du roi de France. Il avait été décidé dans cette entrevue, au -dire de rapports d’espions, que Sampiero irait en Corse, et tenterait de -s’emparer par surprise de la forteresse de Bonifacio, afin de pouvoir -entraîner plus facilement les populations de l’île à la révolte. - -Vraies ou supposées, ces menées inquiétèrent la Banque de San-Giorgio, -qui était alors souveraine de la Corse et le gouverneur Giovan-Maria -Spinola fut avisé d’avoir à procéder à l’arrestation de Sampiero. -Celui-ci appelé à Bastia, s’y rendit avec Francesco d’Ornano, ce dont il -se repentit sur le champ car le gouverneur le retint dans la citadelle. -Francesco passa aussitôt sur le continent, et informa le roi de cette -arrestation non justifiée. Henri II envoya des députés à Gênes et -Sampiero fut remis en liberté. - -Il était temps: le gouverneur avait bien reconnu l’inconsistance de -l’accusation, mais, ayant pu apprécier le caractère énergique et -vindicatif de Sampiero, sachant son influence sur les populations, il -était convaincu d’éviter à sa patrie de terribles dangers en le faisant -mettre à mort. - -Libre, Sampiero ne se fit point d’illusion sur l’importance du péril -auquel il venait d’échapper. Et l’on peut déclarer hardiment que dès -l’instant où il fut hors de sa prison, Sampiero déclara la _vendetta_ à -la république. - -Il employa dès lors son activité à lui susciter des ennemis. Lié avec le -cardinal du Bellay, il fit rappeler par celui-ci au roi Henri II les -projets de son père sur la Corse; l’île était possession génoise et -Gênes l’alliée de Charles-Quint: la conquête en serait facile. En 1553, -l’expédition fut décidée. - -La campagne des Français en Corse, la soumission de l’île sont du -ressort de l’histoire générale. Sampiero se montra à la hauteur des -circonstances et justifia l’espoir que le roi avait mis en lui. -Malheureusement, le traité de Cateau-Cambresis qui enlevait plus à la -France en un jour «qu’on ne lui aurait ôté en trente ans de revers» -rendit la Corse aux Génois. - - * * * * * - -Mais Sampiero n’oubliait pas. Pendant quatre ans, il ne cessa de -parcourir l’Europe, sollicitant de tous aide et secours. Reçu par les -cours de Navarre et de Florence avec beaucoup d’égards, il n’en obtint -cependant que des promesses. Il résolut alors de s’adresser aux princes -musulmans. Khaïr-Eddin Barberousse, le célèbre corsaire, l’accueillit en -Alger avec de grands honneurs. Il s’apprêtait à se rendre à -Constantinople, quand il reçut l’accablante nouvelle que sa femme -entretenait des intelligences avec les Génois, qu’elle avait tenté de -s’enfuir et que sans l’intervention d’Antonio da San-Firenzo, son ami -dévoué, qui l’avait retenue, elle emportait son fils à Gênes où elle -avait décidé de se retirer. - -Ce fut un coup de foudre pour Sampiero qui s’empressa de rentrer à -Marseille. Là, un de ses compatriotes, riche négociant, Tomaso Lencio, -le mit au courant des moindres détails de l’affaire à laquelle certains -écrivains ont voulu mêler une amoureuse intrigue. Il ne résulte pas des -documents qu’ils aient été bien informés. Voici, d’après Filippini, -contemporain de Sampiero, ce qui s’était passé: - -Pendant la guerre précédente, les Génois avaient pu estimer la mesure du -ressentiment que Sampiero nourrissait contre eux; ils savaient que ce -ressentiment n’était pas apaisé et ils s’efforçaient de le réduire à -l’impuissance. Ayant appris qu’il se disposait à faire un voyage dans le -Levant, ils n’épargnèrent aucun effort pour que Vannina, sa femme, allât -résider à Gênes; ils pensaient que s’ils réussissaient, ils n’auraient -plus rien à craindre de lui. Pour arriver à ce but, ils se servirent -d’un certain Agostino Baccigalupo, qui se rendait souvent à Marseille -pour ses affaires, et du prêtre Michel’ Angelo Ombrone, en qui Sampiero -avait la plus grande confiance et qu’il avait même chargé de l’éducation -de ses fils, Alphonso et Anton’ Francesco. Ces deux personnages -exposèrent à Vannina qu’en allant à Gênes, elle assurerait à jamais sa -tranquillité et son repos, parce qu’elle rentrerait ainsi en possession -de deux maisons d’une valeur considérable que Sampiero avait vendues -dans cette ville, et qu’elle obtiendrait plus tard le pardon de -Sampiero. A force d’insister sur ces raisons, Agostino et Michele Angelo -firent si bien que Vannina entra dans leurs vues, «la femme étant, comme -on dit, mobile par tempérament.» - -Sa résolution étant prise, continue Filippini après sa judicieuse -observation, comme il n’y avait personne qui pût l’arrêter, elle fit -partir d’avance, en secret, tout ce qu’elle possédait de plus précieux; -puis, elle s’embarqua sur une frégate bien armée et quitta Marseille -pendant la nuit, emmenant Anton’ Francesco, son plus jeune fils; le -prêtre Michel’ Angelo Ombrone l’accompagnait. - -Le lendemain matin, Antonio de San-Firenzo, à qui Sampiero avait confié -le soin de veiller sur Vannina, apprenant sa fuite, monta sur un autre -vaisseau armé et se mit à sa poursuite. Un matin (le surlendemain -probablement), au point du jour, il l’atteignit au cap d’Antibes. - -Dès que Vannina vit le bateau qui portait Antonio, elle comprit qu’elle -serait rejointe et voulut gagner la côte pour se sauver, mais elle n’en -eut pas le temps. Antonio de San-Firenzo, qui était accompagné de douze -corses, l’arrêta au nom du comte de Fiesque, général des galères du roi, -et la remit au nom du roi de France au commandant de la forteresse -d’Antibes, pour qu’il l’envoyât sous escorte à Aix où se tenait la -grande Cour de Provence. Au dire de Vannina, qui raconte elle-même son -arrestation dans une lettre adressée aux membres du gouvernement génois, -le 15 janvier 1563, Antonio se conduisit brutalement avec elle, la -menaça de mort et l’accusa de s’enfuir pour conclure, sous les auspices -de la république, un nouveau mariage avec un gentilhomme génois. - -Sampiero, comme nous l’avons dit, s’embarqua donc pour Marseille. Comme -chacun, sur le navire, se perdait en conjectures sur la conduite de -Vannina, un bavard se mit à dire étourdiment qu’il savait depuis quelque -temps déjà ce qui devait arriver. Sampiero, fort irrité, lui demanda -pourquoi il avait gardé le silence jusqu’à ce moment. L’autre répondit -«qu’il craignait de mourir comme Florio da Corte, que Vannina avait fait -assassiner par un de ses esclaves, pour arrêter le cours de ses -indiscrétions.» L’imprudent ne survécut pas à son audacieuse confidence. -Sans daigner répondre, Sampiero le poignarda de sa propre main. - -Arrivé à Marseille, renseigné comme nous l’avons dit par Tomaso Lencio, -Sampiero partit pour Aix où était sa femme. Il arriva de nuit devant la -maison; il y attendit, en se promenant, le lever du soleil. Le premier -valet qui sortit lui apprit que sa femme était encore couchée. Il entra -et la trouva au lit, surprise de son arrivée. - -On a peu de détails sur cette entrevue et sur le drame qui devait -succéder. Filippini, qui dédiait son histoire au fils de Sampiero et de -Vannina ne pouvait aisément s’étendre sur des points aussi délicats. -Sampiero voulut sur-le-champ conduire sa femme à Marseille, mais les -autorités de la ville, probablement averties, s’y opposèrent. Cependant, -Vannina ayant déclaré qu’elle était prête à suivre son mari partout où -il voudrait l’emmener, ils se rendirent à Marseille. - -En arrivant chez lui, Sampiero trouva la maison entièrement dépouillée, -Vannina, comme nous l’avons dit, ayant expédié à Gênes ce qu’elle -possédait de plus précieux. Sampiero en fut exaspéré, car il ne pouvait -plus douter que Vannina n’eût quitté Marseille sans espoir de retour. -Néanmoins, il ne donna pas cours immédiatement à sa colère. L’acte -auquel il se résolut fut mûrement réfléchi et semble-t-il froidement -exécuté. Quand, après plusieurs jours de vie commune, il lui eut -signifié sa résolution de la faire mourir, elle ne s’abandonna pas à des -supplications inutiles et la seule faveur qu’elle sollicita fut de -recevoir la mort de sa propre main. Soumission à la fatalité, -résignation à une volonté qu’elle savait inexorable, ou habileté suprême -d’une coquette qui entrevoit dans cette émouvante flatterie une dernière -chance de salut!... Où les chroniqueurs ont-ils cueilli ce poétique -détail? On racontait à la cour que Sampiero, sensible à sa prière, la -prit dans ses bras, l’embrassa, puis l’étrangla avec une écharpe qu’elle -avait brodée de ses propres mains. - -Suivant l’usage corse, Vannina d’Ornano, n’ayant pas de frère, c’était à -ses cousins que revenait le devoir de venger sa mort. - -Ce fut, il est vrai, de la main des plus proches parents de Vannina que -périt Sampiero, mais il serait bien hasardé d’affirmer que nul autre -motif n’arma leurs bras. Dans cette vendetta, il est hors de doute que -l’intérêt personnel et l’inimitié politique remplissent les principaux -rôles. Mais ces rôles furent préparés par les haines que provoqua le -caractère violent et tyrannique de Sampiero. - -Vannina avait eu dix cousins germains, tous petits-fils d’Alfonso -d’Ornano, l’un des hommes les plus sanguinaires de son temps et qui -finit par être assassiné lui-même par de proches parents. Ses trois fils -firent peu parler d’eux. Toute la sève batailleuse et féroce du -grand-père passa aux petits-fils. Vannina en eut-elle sa part? -N’avons-nous pas vu un compagnon de Sampiero lui déclarer qu’elle avait -fait tuer par son esclave un corse dont elle redoutait les -indiscrétions. Vannina fut la fille unique de Francesco. Bernardino, -second fils d’Alfonso, eut six fils, leur destinée est un tableau de -l’époque, du pays, de la race. - -Les deux aînés s’entretuèrent, et voici dans quelles conditions: «Ces -jeunes gens braves et _distingués_, dit Ceccaldi, qui fut leur -contemporain, avaient épousé tous les deux des femmes fort belles. Ils -devinrent extrêmement jaloux l’un de l’autre, si bien qu’un jour, ils -mirent les armes à la main et s’entretuèrent. Je veux dire qu’Anton’ -Guglielmo tua Anton’ Paolo et qu’un serviteur d’Anton’ Paolo le tua à -son tour.» - -Bernardino, leur frère, à une époque où le courage et l’adresse étaient -vertus courantes, étonna ses contemporains par un fait d’armes sans -précédent. Pendant la guerre de Corse, il avait pris parti contre les -Génois. Après la prise de San-Firenzo par les Français, il se trouva -rester avec le commandant en chef Jourdan des Ursins, dans la place que -les ennemis ne tardèrent pas à venir assiéger. Pendant trois mois, la -garnison supporta héroïquement le blocus et repoussa les assauts des -Génois; les vivres venant à manquer, on commença à manger «les rats, les -souris et les lézards», mais la famine décimant les soldats, plus encore -que la lutte, Jourdan des Ursins dut se résoudre à capituler. Comme -Andrea d’Oria, qui commandait les troupes génoises, ne voulait pas que -les Corses bénéficiassent de la capitulation, Bernardino, autant pour ne -pas compromettre le succès des négociations que pour ne pas -«s’abandonner à la disposition d’un ennemi victorieux, dit Brantôme, -prit avec ses gens une résolution téméraire. La ville était investie de -tous côtés par des lignes si étroitement fermées que personne n’en -pouvait sortir. Cet officier, peu frappé de l’évidence du danger, après -avoir tué tous ceux qui lui firent résistance, forcé les lignes et fait -un grand carnage, s’échappa enfin des mains des ennemis, et fit voir, -par son exemple, que rien n’est impossible au courage animé par -l’exaspération.» - -Cet homme qui avait affronté tous les périls, qui avait presque dompté -la mort, périt victime d’une basse trahison. Bernardino était cantonné -avec sa compagnie à Mocale, village distant de Calvi d’environ trois -milles. Un officier génois, Léonardo Giustiniano se concerta avec le -maître de la maison où Bernardino était logé, et fit partir pendant la -nuit son lieutenant avec une partie de la compagnie. Celui-ci assaillit -Bernardino à l’improviste, tua sept des Corses qui se trouvaient avec -lui, et le laissa lui-même si grièvement blessé qu’il mourut au bout de -quelques jours. - -Quant aux romanesques aventures du quatrième fils de Bernardino, appelé -Pier’ Giovanni, il faudrait un volume pour les raconter. Banni de Corse -par la justice française, pour avoir enlevé la fille d’un gentilhomme -corse, il tomba, pour comble de malheur, entre les mains des Turcs qui -l’emmenèrent en esclavage. Sampiero le rencontra en Alger et le ramena -en Corse. Les hasards d’une rencontre le firent tomber aux mains du -capitaine génois Francesco Giustiniano. Celui-ci, redoutant que Sampiero -ne fût dans les environs et ne voulant pas s’exposer à se faire arracher -une capture aussi honorable, le fit décapiter et envoya sa tête à Bastia -pour y être exposée au bout d’une pique. - -Telle est la version de Giustiniano même. Suivant Filippini, l’insolence -de Pier’ Giovanni aurait précipité sa perte. Les Génois étaient -accompagnés d’un détachement de cavalerie sarde. Dès qu’il se vit -prisonnier, Pier’ Giovanni se tourna vers les gardes et leur dit: -«Messieurs et honorables chevaliers, je vous prie de bien vouloir -m’arracher la vie de vos propres mains pour ne pas me laisser tomber -vivant entre les mains de mes ennemis.» Irrité de ce langage, Francesco -Giustiniano descendit de cheval et poignarda de sa propre main Pier’ -Giovanni. Dans la compagnie du capitaine Sorfaglio, qui était de la -suite de Giustiniano se trouvait un soldat du nom de Luca Bonaparte. -Nous aurons l’occasion de retrouver ce personnage. - -Restait un frère: Orlando. Quoique d’esprit moins remuant, il eut la -malechance d’être soupçonné également par Sampiero et par les Génois. -Par crainte du premier, il se retira à Ajaccio où les seconds -l’emprisonnèrent et lui appliquèrent la torture. «Outre la peine de la -corde, dit Filippini, il subit encore le feu aux pieds et aux mains à -deux reprises, et comme il ne fit aucun aveu on le laissa en prison -pendant trois ans.» - -Nous n’avons pas encore parlé des enfants de Paolo, le troisième fils -d’Alfonso, sous les verrous, tout à l’heure à l’œuvre. Pour l’instant, -revenons à Sampiero. - - * * * * * - -Le 12 juin 1564, celui-ci débarqua avec vingt-cinq Corses et vingt-cinq -Français. Quelques jours après il était à la tête d’une petite armée -avec laquelle il soutint l’effort des troupes de la république, -commandées par ses meilleurs généraux pendant trente mois. - -Cette lutte dépassa en horreur toutes les précédentes. Les ennemis ne -connaissaient plus de ménagements. Sampiero jetait les prisonniers en -pâture à ses chiens; les Génois torturaient les Corses tombés entre -leurs mains avant de les pendre; les femmes, elles-mêmes, se livraient -sur les prisonniers à de monstrueuses cruautés. L’exaspération était à -son comble. Les d’Oria brûlaient des villages entiers, malgré les -efforts des Corses à leur service pour les en empêcher. Pour les -insulaires, pas de neutralité possible; les habitants de Pozzo di Borgo, -sommés de se rendre par un capitaine génois, répondirent par la bouche -d’un de leurs chefs: «Dans un cas comme dans l’autre, nous serons -brûlés, que ce soit par les gens de Sampiero ou par vous. Puisque notre -sort est inévitable, nous préférons mourir de votre main que de celle de -nos compatriotes. - -Ils voyaient juste. Les Génois soupçonnant leur fidélité, mirent le feu -à leurs maisons et comme ils s’enfuyaient vers le camp de Sampiero, -celui-ci, les accusant d’espionnage, les fit dévorer par ses chiens. - -A Vescovato, Sampiero jeta dans le feu les prisonniers génois, et -poignarda de sa propre main les capitaines corses qu’il prit dans leurs -rangs. Nous avons vu, à propos de la mort de Pier’ Giovanni d’Ornano, -que les officiers Génois ne dédaignaient pas d’employer cette méthode à -l’occasion. - -Nous avons déjà dit que les instincts violents et la nature autoritaire -de Sampiero furent cause de sa perte. Déjà plusieurs de ses compagnons, -las de son despotisme, l’avaient abandonné. Au mois de novembre 1566, -Sampiero, qui résidait alors à Vico, eut avec un de ses plus précieux -lieutenants, Ercole d’Istria, une discussion qui s’échauffa. Celui-ci -qui s’attendait à être mieux traité par Sampiero, lui garda rancune et -résolut de le quitter. - -Sampiero qui avait pénétré son dessein, le surveillait de près. Un jour, -Ercole partit, mais Sampiero le rejoignit et le ramena à Vico «parce -qu’il savait combien il avait à perdre au départ d’un pareil homme». -Lorsqu’ils furent arrivés, Ercole demanda à Sampiero ce qu’il voulait -faire de lui. Sampiero lui répondit qu’il voulait l’envoyer à la Cour de -France pour servir ses intérêts et son honneur. Ercole ayant répliqué -qu’il devait au moins le laisser aller dans sa maison pour y prendre des -habits, Sampiero refusa, disant qu’il n’avait qu’à écrire qu’on les lui -envoyât. Il écrivit donc chez lui pour les demander, mais, dans cette -lettre, il glissa un pli à l’adresse de Raffaello Giustiniano qui -commandait pour les Génois à Ajaccio. Il l’informait de tout de qui -était arrivé et lui indiquait le jour où l’ambassade de Sampiero -s’embarquerait dans le golfe de Sagone. Il pressait Raffaello d’envoyer -par mer une troupe armée pour le faire lui-même prisonnier. - -Raffaello, après avoir reçu la lettre d’Ercole, ne perdit point de -temps; il envoya aussitôt plusieurs frégates du côté du port de Sagone. -Ercole ne pouvait croire fermement que Sampiero eût dit la vérité en -déclarant qu’il voulait l’envoyer en France. Cependant, on lui avait -rapporté certain propos tenu par Sampiero qui ne laissait pas de doute -sur sa destinée, s’il ne se rendait pas à ses désirs. Le chef ne parlait -de rien moins que de le poignarder de sa propre main. - -L’ambassade de Sampiero se composait de ses plus brillants compagnons: -Léonardo da Casanova, plus tard maréchal de camp au service de la -France, d’Anton’ Panovano de Pozzo di Brando, de Domenico Cataccinolo, -riche bourgeois de Bonifacio, de Paris de San-Firenzo et d’Anton’ -Francesco Cirnucolo, dit le Piovanello (petit curé) de Calvi. Avec eux, -partait Ercole d’Istria qu’il recommandait chaudement au roi, espérant -que, s’il revenait satisfait, il oublierait son ressentiment et serait, -dans la suite, un appui sûr et fidèle. Il voulait surtout le mettre dans -l’impossibilité de se rendre à Ajaccio parce qu’il redoutait de le voir -passer à l’ennemi. - -Sampiero se rendit donc à Sagone avec ses partisans; il fit d’abord -embarquer ses ambassadeurs puis les trois hommes auxquels il avait en -quelque sorte confié la surveillance d’Ercole. Il dit ensuite à celui-ci -de joindre ses compagnons et ajouta que s’il refusait, il aurait lieu de -s’en repentir. Ercole déplorant le côté délicat de sa situation si -l’attaque qu’il avait provoquée se produisait, se décida à obéir. - -Mais, à peine le bateau s’éloignait-il de Sagone que les soldats génois -envoyés par Raffaello arrivaient par mer. Ceux-ci aperçurent le vaisseau -des Corses encore peu éloigné du rivage, et comme le temps était fort -mauvais, ils comprirent qu’il serait obligé de rebrousser chemin et -s’arrêtèrent pour l’attendre. En effet, la tempête menaçant, ils le -virent bientôt changer de direction et revenir vers la côte. Ils se -cachèrent alors avec leur vaisseau, et, lorsque les Corses furent auprès -d’eux, ils les assaillirent à l’improviste. - -Ceux-ci, qui n’avaient à attendre aucun secours, se jetèrent à la nage -pour gagner la côte. Les deux ambassadeurs, Léonardo et Antonpadovano -seuls s’échappèrent; Cattaciuolo se noya. Ercole, Paris et le Piovanello -furent pris et conduits à Ajaccio. Le commissaire général Fornari, -récemment arrivé, reçut Ercole avec affabilité et fit jeter les deux -autres en prison. - -Sur-le-champ, on instruisit leur procès. Ercole d’Istria, courtoisement -invité à dire ce qu’il savait, donna libre cours à son ressentiment et -fit une déposition copieuse. Aux deux autres, on appliqua la torture. - -Torture cruelle s’il en fut et qui me dura pas moins de huit jours. A la -quatrième séance, le malheureux Piovanello était fou. Sans répondre aux -questions qu’on lui adressait au cours des pires supplices, il chantait -le _Gloria in excelsis_ et le _Miserere_. - -Le cinquième jour, il dit au chancelier, chargé d’écrire sa déposition: -«Toutes mes chairs seront brûlées, mais tout cela retombera sur ta -tête.» - -On lui étendit les pieds sur des charbons ardents; il se tourna alors -vers le commissaire: «Seigneur Autome, dit-il, vous êtes le bienvenu et -je suis votre serviteur.» Puis il perdit connaissance: «Il s’endormit, -raconte le procès-verbal et quoiqu’on lui appliqua, pendant environ une -heure, la question du feu, il ne répondit pas, persévérant dans un -profond sommeil.» - -Un matin, le geôlier le trouva mort dans sa prison. Depuis plusieurs -jours, déclara cet homme, jour et nuit, il criait et chantait _à la -façon des Corses quand ils se lamentent_. Il appelait le diable à haute -voix et disait qu’il voulait se laisser mourir de faim et de froid. Il -se couchait tout nu sur des boulets de canon qui étaient dans sa prison. -(Ceci se passait dans la première semaine de janvier 1567). - -S’il faut en croire Filippini, ces boulets auraient fourni au Piovanello -le moyen d’échapper au bourreau. Ayant mis l’un de ces boulets dans une -embrasure assez élevée au-dessus du sol, et plaçant l’autre à terre, -juste au-dessous du premier, il s’étendit sur le pavé, appuya sa tête -sur le boulet d’en bas comme s’il voulait dormir, puis, faisant tomber -l’autre en se servant des cordons de ses chausses, il s’écrasa la tête. - -Le 11 janvier 1567, le commissaire rendit le jugement suivant, dont -l’horreur macabre dépasse l’imagination. Cette sentence fut prononcée, -ironie navrante, _après invocation du nom de Notre Seigneur -Jésus-Christ_, suivant la formule consacrée. - -«1º Le cadavre de Gio Francesco Cernucolo, appelé le Piovanello de -Calvi, sera extrait de la prison, attaché sur un mulet et transporté au -lieu affecté aux exécutions pour y être suspendu à la potence par un -pied, la tête tournée vers la terre. - -«2º Paris de San-Firenzo est condamné à la mort naturelle. Le susdit -Paris ne pouvant marcher, ses pieds ayant été brûlés, sera extrait de sa -prison et conduit à un prêtre pour qu’il lui confesse ses péchés. Puis, -il sera placé à cheval sur un mulet qui marchera côte à côte avec -l’autre. Il sera conduit ainsi au-delà de la porte de cette ville, à -l’endroit où est une batterie d’artillerie et là, il sera pendu par un -pied, la tête en bas et, ainsi, sera arquebusé par les soldats. Ensuite, -son cadavre sera transporté sur le mulet au lieu de justice pour y être -attaché par un pied à la potence, la tête tournée vers la terre.» - - * * * * * - -De la mort de ces deux hommes, Sampiero conçut une vive douleur. Les -représailles ne se firent pas attendre. Le lendemain ou le surlendemain, -un officier génois, Ettore Ravaschiere, tomba entre les mains des -Corses. Ceux-ci le lièrent et lâchèrent sur lui quelques chiens des plus -féroces qui commencèrent à le déchirer. Alors, le Génois se tournant -vers Antonio de San-Firenzo qui commandait, lui dit qu’un soldat et un -homme d’honneur ne devait pas souffrir sous ses yeux une pareille -monstruosité. Sensible à ces reproches, Antonio fit éloigner les chiens -et dit à Ettore qu’il n’avait pas à s’étonner d’être traité ainsi quand -les Génois déployaient contre les Corses tant de rigueurs et de cruautés -en recourant au meurtre, aux galères, à l’incendie et à d’autres -traitements barbares; il lui reprocha la mort de Paris de San-Firenzo -sur qui les génois avaient déchargé leurs arquebuses comme sur une -cible; enfin, après tous ces reproches et beaucoup d’autres encore, il -le tua d’un coup d’arquebuse. Lorsque le commissaire d’Ajaccio apprit -cet événement, il infligea à un Corse, détenu dans la prison, le -supplice qu’avait subi Paris de San-Firenzo. - -La crainte qu’éprouvait Ercole d’Istria de tomber aux mains de Sampiero -le fit hâter sa vengeance. Il y employa un religieux Corse, Fra Ambrogio -da Bastelica et un autre individu du même village qui servait d’écuyer à -Sampiero et qui en était très particulièrement aimé; on l’appelait la -capitaine Vittolo. Raffaello Giustiniano était en relations quotidiennes -avec ces différents personnages. Fra Ambrogio, à cause de son habit -religieux, pouvait aller aisément à Ajaccio, sans que l’on s’étonnât de -ses démarches. Vittolo lui-même, dit-on, s’y rendit parfois secrètement. - -L’affaire, d’ailleurs, ne traîna pas. Le 13 janvier, Sampiero, qui -résidait toujours à Vico, fut avisé que les habitants de la seigneurie -della Rocca se disposaient à se révolter contre lui. «Quelques -personnes, dignes de foi, écrit Filippini, prétendent que cet avis avait -été envoyé à Sampiero par Fra Ambrogio, Ercole, Raffaello et Vittolo, -qui avaient résolu de le faire périr, ce qui ne tarda pas à arriver, en -effet.» - -Pour se rendre dans la seigneurie della Rocca, Sampiero devait rejoindre -la route d’Ajaccio à Sartène, au village de Cauro. Comme il se -détournait légèrement de cet itinéraire, Vittolo, qui campait dans cet -endroit avec une vingtaine d’hommes, fit en sorte que Sampiero le crût -en danger et se portât à son secours. Les Génois avaient groupé non loin -de là, dans la plaine de Campoloro, toute leur cavalerie et une -infanterie «aussi nombreuse que possible». Raffaello Giustiniano -commandait la cavalerie; avec lui se trouvaient Ercole d’Istria et les -cousins de Vannina, Michel’ Angelo, Gio-Antonio et Gio-Francesco -d’Ornano, fils de Paolo (troisième fils d’Alfonso). - -Michel’ Angelo était le lieutenant de Giustiniano: il partit en avant -avec ses frères, quelques cavaliers et une compagnie de fantassins. Les -deux troupes ennemies engagées dans un défilé se rencontrèrent plus tôt -qu’elles ne s’y attendaient. Sampiero, constatant l’inégalité de la -lutte, ordonna à son fils de s’enfuir et à sa troupe de battre en -retraite. Suivant son habitude, il restait à l’arrière-garde et -protégeait la retraite. - -Giovan’ Antonio d’Ornano le joignit le premier. Sampiero fondit sur lui -et lui tira à bout portant un coup d’arquebuse qui ne le blessa que -légèrement à la gorge. Sampiero prit une autre arquebuse et voulut en -finir avec Giovan’ Antonio, mais le coup ne partit pas. On raconta que -Vittolo avait mélangé de la terre à la poudre qui chargeait les armes de -Sampiero. Giovan’ Antonio se rapprocha alors de son ennemi et tenta de -le saisir par le milieu du corps; mais celui-ci se servant alors de son -arquebuse comme d’une massue, en porta un coup si vigoureux sur la tête -de Giovan’ Antonio que ce dernier en fut étourdi et faillit tomber de -cheval. Néanmoins, il eut encore la force d’enlacer son adversaire; tous -deux luttaient, faisant des efforts pour se désarçonner, quand Michel’ -Angelo d’Ornano accourut au secours de son frère. Il porta, dit-on, à -Sampiero, un coup d’épée qui le blessa au front. Sampiero, aveuglé par -le sang, fut jeté à bas de son cheval par les frères Ornano et criblé de -coups d’épée. Selon une autre version, il aurait été frappé par derrière -d’un coup d’arquebuse qui l’aurait traversé de part en part. - -Cette version était fort contestée par Michel’ Angelo et ses frères qui -entendaient partager entre eux trois, à l’exclusion de tout autre, la -somme promise à qui ferait périr Sampiero--«parce que, disaient-ils, eux -trois seulement, sans reculer devant la grandeur du péril, avaient mis -fin à la guerre de Corse en tuant l’irréconciliable ennemi de la -république, car, c’étaient eux trois, et nul autre, qui l’avaient -frappé.» - -«Mais les soldats génois alléguaient que pendant que les cavaliers -étaient aux prises, c’étaient eux-mêmes qui, en tirant des coups -d’arquebuse d’un endroit fort avantageux, avaient frappé Sampiero dans -le flanc et l’avaient tué.» On fit une enquête. Le collet et la -chemisette de drap portés par Sampiero étaient percés de tant de trous -que des experts ne purent se prononcer. - -Michel’ Angelo trancha la tête de Sampiero et la rapporta en triomphe à -Ajaccio (17 janvier 1567). On ne saurait croire aux transports des -Génois à la nouvelle de sa mort, si nous n’en trouvions la preuve -authentique dans la correspondance des officiers: «Dieu soit loué! -commence le commissaire général Fornari, dans sa lettre au Sénat. Ce -matin, j’ai fait mettre la tête du rebelle Sampiero sur une pique à la -porte de la ville et une jambe sur le bastion; je n’ai pu réunir le -reste du corps, parce que les cavaliers et les soldats ont voulu en -avoir chacun un morceau pour piquer à leurs lances en guise de -trophées.» - - - - -LE CAPORAL BONAPARTE - - -Par suite de quelles circonstances le capitaine Giovan-Antonio d’Ornano -en vint-il à souffleter sur la voie publique Luca Bonaparte, caporal -dans l’armée génoise? Les dépositions faites par les témoins, lors du -procès qui en résulta, offrent de trop sensibles différences pour qu’il -se puisse rien affirmer. D’après le capitaine, Luca aurait appliqué -l’épithète de traîtres à la collectivité des Corses et, en riposte, -Ornano avait détaché sur la face du caporal un soufflet retentissant. - -Giovan-Antonio était un homme de mœurs violentes, et, depuis la mort du -terrible chef corse Sampiero, que lui et ses frères avaient tué de leurs -propres mains, l’orgueil et la jactance des Ornano ne connaissaient plus -de limite; car ils estimaient que l’importance du service rendu par eux -à la république devait leur assurer à jamais l’impunité. - -Au reçu du soufflet, Luca, bondissant, avait porté la main à son épée, -mais avant qu’il eût pu s’en servir, trois compagnons de -Giovan-Antonio--tous Ornano--dégaînaient, et l’un d’eux, qui jadis avait -eu les pieds brûlés, en subissant la torture, brandissait sur la tête du -caporal le bâton dont il se servait ordinairement pour s’appuyer, geste -que l’instruction lui reprocha. - -L’affaire prenait un caractère de haute gravité; car déjà Corses et -Génois se rangeaient qui d’un côté, qui de l’autre; et Ajaccio était une -ville où les rixes dégénéraient le plus souvent en batailles. La -présence d’esprit d’un officier supérieur de l’armée génoise, Fabrizio -Spinola, arrêta le sang prêt à couler; il fit emmener sur-le-champ Luca -Bonaparte et ajourna l’arrestation de Giovan-Antonio, qui se trouva fort -surpris lorsqu’il fut invité, le lendemain, à se rendre auprès du -commissaire. Celui-ci, après l’avoir retenu quelque temps, l’autorisa, -moyennant une caution assez forte, à garder les arrêts dans sa maison. -Ce dont les Ornano se trouvèrent fort irrités; et, sur un ton gouailleur -et impertinent, ils demandèrent la mise en liberté de leur frère: «Parce -que nous avons tué Sampiero de Bastelica, chef des rebelles, dirent-ils, -voilà que nous sommes les assassins de Luca Bonaparte, soldat de la -garnison d’Ajaccio. Giovan-Antonio a souffleté un soldat. Eh bien! -d’après les statuts criminels de Corse, ce fait est passible d’une -amende de dix à cent livres. Il paiera son amende, mais, pour Dieu, -qu’on le laisse tranquille!...» Les petits ont toujours tort; les -supérieurs de Luca l’engagèrent à faire la paix avec les Ornano, et -comme, jugeant tout arrangement dans ce sens indigne d’un soldat, il ne -s’y décidait pas, on l’expédia sur Calvi avec quelque avancement (1572). - - * * * * * - -Plusieurs années avaient passé, et l’aventure du caporal Bonaparte était -oubliée, quand, un matin, les domestiques de Giovan-Antonio trouvèrent -sur le seuil de la maison leur maître expirant, la main gauche collée à -une blessure qui lui déchirait le flanc, la main droite traversée d’un -poignard brisé. On remarqua en outre sur la porte une traînée de sang -partant à hauteur d’homme d’une tache d’un rouge plus noir, figurant un -astérisque ou l’empreinte de cinq doigts écartés. En regardant de plus -près, on retrouva la pointe du poignard enfoncée dans le bois de la -porte à l’endroit figurant la paume de la main. Alors on comprit que le -capitaine avait été littéralement cloué à sa propre demeure. - -Il expira sans avoir prononcé une parole. Le commissaire d’Ajaccio -ouvrit une enquête; mais la ville était peuplée de trop de gens ayant à -se plaindre de Giovan-Antonio pour qu’on pût donner préférence à l’un -d’eux. Un réfugié français de Toulon, marié à une bohémienne se livrant -à divers métiers inavouables, fut cependant arrêté, mais peu de temps, -car il établit par témoins qu’il était resté jusqu’à l’aube à une veille -mortuaire. Il ajouta, qu’assez avant dans la nuit, Giovan-Antonio était -venu quérir chez lui des simples pour se soulager d’un mal de dents. - -L’enquête, poussée sans aucun zèle, n’aboutit pas. Les Ornano -soupçonnèrent du meurtre une famille de Bastelica avec laquelle ils -restèrent en inimitié pendant vingt ans. Cependant, certains se -remémorèrent le soufflet donné par Giovan-Antonio au caporal Bonaparte, -et de nouvelles rumeurs circulèrent relativement à la mort de celui-là. - -Luca, venu secrètement à Ajaccio, après s’être informé des habitudes de -Giovan-Antonio, apprit que le capitaine avait accoutumé, certaines -nuits, de passer quelques heures dans l’hospitalière maison. Cette fois -justement, Luca dut attendre son ennemi jusqu’à l’aube; d’aucuns dirent -qu’il était caché lui-même chez la bohémienne, et que, lorsqu’il -entendit Ornano se préparer à partir, il courut d’une haleine se blottir -sous le porche où il avait médité d’accomplir sa vengeance. - -Le duel--s’il y eut duel--ne dura pas longtemps; selon les uns, -Giovan-Antonio, se sentant blessé, s’efforça de se rapprocher du -portail, et, à sa surprise, vit que Luca lui laissant le champ libre, -prenait le côté opposé; un coup d’épée dans le flanc le précipita contre -la porte les bras étendus, désarmé. - -Ce fut alors que, de son poignard, Luca aurait fixé sur le bois la main -qui l’avait souffleté. Suivant une autre version, Bonaparte, après avoir -blessé mortellement Giovan-Antonio, l’aurait soulevé par les bras et -aurait exécuté froidement ses terribles représailles. Mais, de tout -ceci, on ne saurait rien affirmer; si une partie de cette chronique -légendaire repose ponctuellement sur des documents, l’autre ne peut -appuyer son authenticité que sur un récit sorti plus tard de la bouche -de Luca Bonaparte, car le mystère le plus profond régna toujours sur cet -événement[8]. - - [8] Extrait du _Nid de l’Aigle, Napoléon, sa Patrie, son Foyer, sa - Race_, par Colonna de Cesari Rocca. - -Giovan-Antonio fut le trisaïeul de Louis d’Ornano, qui épousa Isabelle -Bonaparte. De cette union naquit Philippe-Antoine d’Ornano, maréchal de -France, mort gouverneur des Invalides en 1864. - - - - -NASONE - - -Jeune encore, Nasone (grand-nez) à qui les dimensions exagérées de son -nez avaient valu ce surnom, vint s’établir à San-Martino di Lota, non -loin de Bastia. Soit que sa taille gigantesque (il atteignait presque -deux mètres) et son énorme corpulence humiliassent ses voisins, soit que -la vue de son nez leur fût intolérable, Nasone, dont la bonté et la -sottise s’ébattaient en paix dans un crâne vide et démesuré, se vit -bientôt l’objet d’une animosité sourde de la part des habitants de -San-Martino. - -L’un d’eux, la lui manifesta de la façon la plus méprisante pour qui -connaît les mœurs corses. Il afficha la prétention de passer de force -dans une vigne appartenant à Nasone. Celui-ci s’y opposa. D’où procès. - -Dans toutes les juridictions successivement épuisées: citation au -possessoire, assignation devant le tribunal de 1re instance au -pétitoire, appel à la cour, recours en cassation, Nasone obtint gain de -cause; on s’imagina l’affaire réglée, et l’état des frais et dépens fut -présenté au vaincu. Celui-ci répondit à la sentence qui le condamnait en -déclarant la vendetta à l’adversaire favorisé des hasards d’une justice -légale. - -Implicitement, venait d’être prononcé le fameux «Garde-toi» corse: _Se -il sole ti vede, il mio piombo ti tocca_[9]. - - [9] Si le soleil te voit, mon plomb te touche. - -Alors, Nasone se retrancha dans sa demeure; il en barricada les fenêtres -pour y établir des «archere». - -La première fois qu’après avoir laissé s’écouler un long intervalle, il -risqua de s’aventurer hors de sa retraite, son ennemi armé d’une -serpette sauta sur lui; il s’ensuivit une lutte terrible dans laquelle -Nasone fut terrassé, sa force ayant succombé sous l’adresse rusée de son -adversaire; mais au moment où celui-ci s’apprêtait à lui écraser la tête -d’un tronc d’arbre, des paysans accourus interrompirent la besogne du -meurtrier qui gagna le maquis. - -De cet instant la vie de Nasone fut une suite de supplices, car la haine -qui le poursuivait avait résolu maintenant, avant le coup de la _mala -morte_, la mutilation de ce corps de géant. - -Et cela dura trois ans, trois ans au cours desquels Nasone fut la cible -de cette volonté homicide qui osa, à quelques kilomètres de Bastia, et -sous les yeux de la gendarmerie, commandée à cette époque par le colonel -de Guénée, quatre attaques consécutives--véritables assauts livrés à une -redoute corporelle pour la démantibuler pièce à pièce--et inouïes -d’audace. - -Successivement, Nasone eut la gorge perforée, le crâne fendu, la main -fracassée; et quand il parut au bandit que l’état de sa victime était -bien selon le souhait de son diabolique désir, il songea à abattre -définitivement ce débris humain. - -A cette fin, il poussa la hardiesse jusqu’à attendre Nasone au coin d’un -bois un jour où celui-ci se rendait au marché, et, près de l’usine même -de Toga, il lui tira un coup de fusil presque à bout portant: la balle -entra par l’œil et alla sortir par l’oreille; Nasone tomba inanimé; -longtemps, il demeura sans mouvements et l’on put croire que la vie -allait abandonner ce grand corps abîmé; il n’en fut rien. - -Cependant, il comprit qu’il ne pouvait séjourner plus longtemps à -San-Martino di Lota, et il s’en fut chercher un asile dans un des -quartiers les plus populeux de Bastia. On y vit alors errer, vivant -symbole de l’implacable vendetta, en des allures apeurées d’animal -traqué, cette chose innommable qu’est un homme auquel il ne reste plus -d’intacts qu’une jambe, une main, un œil et une oreille. - -D’ailleurs, là encore, il ne pouvait vivre en repos; sa profession de -cultivateur ne lui faisait-elle pas une nécessité de visiter de temps à -autre sa petite exploitation rurale? Il avait imaginé, afin d’éviter une -terre trop perfide, de se fier à la mer pour ce court trajet. Et, de -loin en loin, on le voyait avec tout un arsenal d’armes, de munitions, -partir à l’arrière d’un canot qui longeait à une distance prudente une -côte scrutée d’un regard inquiet. Puis quand étaient passés les -pittoresques villages de Casavecchie, d’Astima, de Guaïtella, de -Sainte-Lucie, quand on était parvenu à la hauteur de San-Martino di -Lota, l’esquif était dirigé vers une petite crique où Nasone débarquait. -Après avoir fait éclairer le sentier par deux de ses parents, il se -dirigeait en toute hâte vers sa propriété. - -... Une nuit, sur l’ordre d’un colonel, quatre gendarmes quittèrent leur -caserne, et, en secret, furent introduits dans la maison de campagne de -Nasone. Le surlendemain, le pourchassé lui-même voyageait en grand -apparat, et venait s’y installer ostensiblement. Il avait espéré que sa -présence allait attirer le bandit auquel cinq fusils qui portaient loin -le plomb étaient prêts à faire accueil. - -Celui-ci flaira-t-il le piège? toujours est-il qu’il ne vint pas; mais -cependant que la petite garnison faisait honneur au vin, à la viande -salée et au «bruccio», prévenu que la campagne était libre, il mettait -le feu à la grange de Nasone et ravageait ses récoltes. - -Dans cette nouvelle défaite, en sa nature superstitieuse de Corse, -Nasone vit peut-être le signe de la fatalité; ce qu’il y a de certain, -c’est qu’il se reconnut vaincu, et demanda à capituler. Son bourreau -daigna accepter d’entrer en pourparlers et fixa à telles conditions la -paix dont pourrait jouir Nasone: qu’il eut à _accorder le passage -interdit_, à payer les frais du procès, et, en outre, à lui verser 1.200 -francs, afin de lui donner les moyens de gagner l’Amérique. - -Nasone ayant consenti, put regagner sa demeure et voir la fin de cette -persécution démoniaque dont il avait été le misérable objet. - -Jusqu’à sa mort pourtant, cette atroce vendetta devait avoir une -effroyable répercussion. Non seulement elle avait modelé à coups de -fusil un être au physique d’épouvante, mais encore dans la moelle de cet -être, elle avait infiltré le poison subtil et torturant de la peur. - -Un pas qui semblait s’acharner un peu après le sien, Nasone, le sentait -à ses talons; un froissement insolite de feuillages, et sa colossale -stature était secouée d’un tremblement nerveux. - -Et rien que je sache de plus pitoyable que la pensée de cette force -démembrée, tourmentée par cette peur d’enfant. - - - - -GALLOCCHIO - - -Le voyageur qui se rend à Ampriani, chef-lieu d’une petite commune de -l’arrondissement de Corte, aperçoit sur une colline qui domine la rive -gauche de Corsigliese, affluent du Tavignano, au milieu d’un épais -massif de châtaigniers, une maison isolée qui précède le village. - -Elle était habitée en 18.. par Antonmarchi (Louis), propriétaire aisé, -laborieux, mais avare et détesté de tous ses voisins. Il avait plusieurs -enfants mâles et trois filles. L’aîné, qui devait perpétuer la famille, -d’après l’antique usage du pays, s’appelait Joseph, mais on l’avait -surnommé Gallocchio (petit coq), parce qu’il était très petit de taille -et très éveillé. Dès son enfance, il avait eu à subir la tyrannie et les -mauvais instincts de son père: car ce vieillard n’était entouré que -d’ennemis, et il savait bien que le jour où les infirmités -l’atteindraient, ceux-ci, et ils étaient nombreux, ne manqueraient pas -de se venger de toutes les méchancetés qu’il leur avait fait endurer. -Pour s’en défendre, il cherchait à inculquer ses sentiments de haine et -de vengeance dans l’esprit de son fils. - -Un jour que ce dernier rentrait pleurant et couvert de sang au domicile -paternel, Antonmarchi lui demanda pourquoi il avait été battu et quels -étaient ses agresseurs. L’enfant, pour se justifier, allégua que deux de -ses camarades plus âgés que lui, s’étaient réunis contre lui et qu’il -avait succombé dans la lutte. A ces mots, son père le maltraita si -brutalement que l’enfant en fit une maladie; il lui répétait sans cesse: -_Dans notre famille, un homme doit en terrasser quatre._ - -Il est facile de prévoir quels devaient être les résultats d’une telle -éducation. Cependant, Gallocchio grandissait et intéressait ceux qui le -connaissaient, soit par les mauvais traitements que son père lui faisait -subir, soit par son intelligence précoce. - -Le curé d’Ampriani l’attira chez lui; il lui apprit à lire, à écrire, à -compter, et même quelque peu de latin. Mais son père n’approuvait par ce -genre d’éducation, et il aimait mieux le voir courir dans les maquis et -s’exercer au maniement des armes à feu. - -Lorsqu’il eut atteint sa dix-huitième année, son père voulut le marier, -soit pour éviter qu’il embrassât la carrière ecclésiastique, soit pour -qu’il se conformât aux usages du pays qui exigent que les jeunes gens se -marient fort jeunes. - -Gallocchio dut subir la volonté paternelle et se marier: ceci le -contraria vivement, et le porta à s’adonner au travail avec une énergie -qui n’est pas habituelle aux Corses. Il apporta dans la culture d’un -petit enclos qui faisait partie du hameau de Casevecchie toute la -passion de son âge et toute la volonté que met une âme fortement trempée -dans l’accomplissement d’un devoir qu’elle s’est imposée. Il paraissait -heureux de ce genre de vie, et son père, qui profitait de son travail, -semblait avoir oublié ses idées de mariage, lorsque des voisins riches, -émerveillés de sa conduite, de son amour pour le travail et de sa bonne -mine, conçurent l’idée de l’avoir pour gendre. - -Gallocchio ne comprit rien aux politesses dont il était l’objet de la -part de ses voisins; malgré les provocations de Rosola, il ne paraissait -point faire attention aux beaux yeux de sa fille Louise, qui était -cependant une superbe enfant de quinze ans; soit qu’il n’éprouvât aucun -penchant pour elle, soit qu’il crût que c’était porter trop haut ses -prétentions. Mais comme cette femme était ambitieuse et volontaire, elle -l’attira chez elle, elle lui fit part de ses projets et le présenta à -Louise comme son futur époux. A cet âge, et dans les conditions où ils -se trouvaient l’un et l’autre, ces jeunes enfants s’aimèrent, ce qui fit -le bonheur des deux familles. - -Antonmarchi, le père, trouvait dans cette union deux avantages qu’il -n’avait jamais osé espérer; d’abord, il s’alliait à une famille -nombreuse et puissante, ce qui lui donnait toute sécurité pour sa -personne; en second lieu, il était fier de voir que son fils épousait -une riche héritière. Gallocchio n’envisageait pas les choses de la même -manière; il craignait de prendre un engagement, qui pour tout autre que -lui, habitué à peser les actions avec un bon sens au-dessus de son âge, -eût réalisé à la fois le bonheur de son cœur et les rêves de son -ambition. Il fit souvent part de ses inquiétudes au père et à la mère de -Louise; tous deux repoussèrent bien loin cette réserve et n’eurent point -de peine à lui faire partager leurs espérances. Si bien qu’il fut décidé -que l’_abbraccio_ aurait lieu immédiatement. «_N’oubliez pas_, dit -Gallocchio à Rosola et à son mari, _qu’à partir de ce jour vous avez -engagé votre âme au diable_.» - -Ces paroles sont textuelles, et elles ont un sens très significatif pour -quiconque connaît les mœurs corses. - -L’_abbraccio_ ou l’_amicitia_ précède toujours le mariage; lorsque les -deux familles sont d’accord pour faire une demande de mariage, celle du -futur se rend au domicile de la future. La jeune fille se place au -milieu de tous ses parents, le jeune homme en fait de même, et c’est en -leur présence que les vieillards règlent les conventions de la dot et de -tout ce qui a trait aux questions d’intérêt. Lorsque tout le monde est -d’accord, le père du jeune homme se lève et demande à la jeune fille si -elle veut sérieusement et librement prendre son fils pour mari et -accomplir les devoirs que le titre d’épouse lui imposera. Si elle répond -affirmativement, elle s’assied. Puis, le père de la fiancée adresse les -mêmes questions au jeune homme. S’il répond de la même manière, il se -met debout, s’avance vers la jeune fille, les parents se lèvent -également, se prennent par la main et forment cercle autour des futurs -époux. - -Quelqu’un de la troupe chante des vers composés pour la circonstance et -l’on fait une ronde en chantant en cadence. Lorsque les chants sont -finis, le fiancé donne solennellement le baiser des fiançailles en -présence de toute la famille, la fiancée le rend à son fiancé; puis on -tire des coups de pistolet, on chante, et tous, parents ou amis, -prennent part au banquet de fiançailles. - -L’abbraccio n’a aucun caractère légal, ceci n’est pas douteux, mais -d’après les mœurs et les coutumes de la Corse, c’est lui seul qui -enchaîne les époux l’un à l’autre. Le consentement donné devant -l’officier de l’état civil, la bénédiction nuptiale elle-même ne fait -que confirmer un engagement contracté au sein de la famille. Ceci est -digne de remarque, surtout chez une nation très attachée à ses principes -religieux, et qui n’a jamais eu à subir les déchirements des luttes de -religion. L’abbraccio est un engagement si complet, si absolu et si -solennel que souvent la jeune fille vit maritalement, dès ce moment, -avec son fiancé. Le plus grand crime que l’un et l’autre puisse -commettre, l’affront le plus sanglant qu’ils puissent faire, l’action la -plus immorale dont ils puissent se rendre coupables serait de manquer à -la parole donnée. L’affront serait si sanglant que la famille toute -entière serait déshonorée, et que celui qui aurait rompu son engagement -serait hué sur la place publique comme celui qui, sur le continent, -aurait forfait à l’honneur. - -La cérémonie civile et religieuse du mariage avait été fixée au 15 août -suivant, d’après l’usage généralement suivi. - -Depuis l’abbraccio, les fiancés avaient continué à se fréquenter -publiquement et leur amour avait grandi avec l’espérance d’un bonheur -prochain. Les deux familles semblaient devoir jouir d’une félicité -mutuelle, lorsque tout à coup Gallocchio apprit que Louise devenait -infidèle et qu’elle allait se marier avec un de ses cousins qui était -beaucoup plus riche que lui. - -Il employa auprès de Rosola et de Louise toute l’éloquence que donne une -âme ardente et pure, lorsqu’elle est sous l’empire d’un amour sincère, -pour leur faire abandonner un projet qui serait la cause de la mort d’un -grand nombre d’hommes. Il leur représenta l’opprobre que leur manquement -à la foi jurée ferait retomber non seulement sur lui-même, mais encore -sur toute sa famille, ajoutant que quant à lui, il ferait peut-être le -sacrifice de son affection pour le bonheur de Louise, si elle -l’exigeait, mais qu’il ne pouvait sacrifier l’honneur de sa famille dont -il allait devenir le dépositaire. - -Louise, sommée devant sa mère de s’expliquer, répondit qu’elle était -liée par l’abbraccio avec son fiancé, qu’elle l’aimait, qu’elle -l’épouserait ou bien qu’elle ne se marierait jamais. Malgré cette -réponse, conforme au mouvement de son cœur et à la parole donnée, Rosola -employa tous les moyens pour obliger sa fille à violer son serment. - -Louise, pour se soustraire à la tyrannie de sa mère résolut, d’accord -avec son fiancé, de fuir la maison paternelle et d’aller demander -protection à l’un de ses oncles, ce qui fut exécuté dès le lendemain. - -Les parents de Louise se mirent aussitôt à sa recherche. Son père -semblait avoir changé de résolution, approuva son choix et lui donna sa -parole que son mariage avec Gallocchio serait célébré aussitôt après -l’accomplissement des formalités légales. Cependant, il demanda, avant -de se retirer, la permission à son fiancé de parler à Louise sans -témoins. - -Le lendemain de cette scène, au matin, Gallocchio s’aperçut que sa -fiancée s’était sauvée pendant la nuit; il se mit à sa poursuite et la -rejoignit au village d’Ampriani. Il la trouva entourée de tous ses -parents et la somma de s’expliquer publiquement, ce qu’elle fit en -disant: _Je vous ai suivi de mon plein gré, je vous ai quitté de même; -j’ai été par vous, traitée et respectée comme une sœur, mais je ne puis -résister plus longtemps aux obsessions de mes parents._ - ---Hier, reprend Gallocchio, je me serais fait tuer pour vous, -aujourd’hui, je vous méprise et je vous rends votre liberté. Je ne me -marierai jamais, parce que je suis votre fiancé, mais j’exige que vous -agissiez de même tant que je vivrai. - -Il fallait à Gallocchio une grande force d’âme pour ne pas laver -immédiatement cette injure dans des flots de sang et braver ouvertement -l’opinion publique. Son père, dont la haine, un instant assoupie, -s’était réveillée plus ardente que jamais, le poussait à entrer en -vendetta. Mais il ne s’y croyait pas obligé parce que l’outrage, d’après -lui, retombait bien plus sur la jeune fille et sur sa famille que sur -lui-même; puis il lui était difficile de passer subitement d’un amour -vrai à une haine sanglante. - -Les choses en étaient là, lorsqu’il apprit que la famille de Louise, -d’accord avec ses cousins, avait déposé au parquet de Bastia une plainte -contre lui, sous prétexte qu’il avait _enlevé Louise de vive force_. -Cette action infâme le trouva moins de sang-froid que la trahison de sa -fiancée. - -Cependant, il pria instamment Rosola de retirer cette dénonciation, -qu’elle savait bien être un mensonge; que sans cela, il serait contraint -d’entrer en vendetta avec sa famille; son mari et elle, jurèrent que -cela était fait et qu’ils n’avaient rien à redouter de leur part. - -Malgré cette assurance formelle, les gendarmes se présentèrent le -lendemain au domicile de Gallocchio pour l’arrêter; mais, prévenu à -temps par des amis dévoués, il avait pris la fuite. Il alla trouver le -curé qui l’avait élevé, et le pria de se rendre auprès de Rosola et -d’employer toute son influence vis-à-vis de cette famille pour la faire -renoncer à des poursuites injustes contre lui. Il employa également le -_Parolante_, homme de paix; mais toutes ses démarches devinrent -inutiles. Sa prudence et sa modération passèrent même aux yeux de ses -ennemis, pour une lâcheté. Après cette dernière tentative, Gallocchio, -poussé par son père, déclara la vendetta à cette famille parjure, en -employant les termes consacrés: «Je me garde, gardez-vous.» - -La famille de Rosola, qui était nombreuse, puissante et à laquelle deux -cousins jeunes et braves, vinrent prêter l’appui de leurs bras, -considéra Gallocchio comme un adversaire peu redoutable; elle pensa en -venir facilement à bout; sa déception devait être prochaine. - -Antonmarchi, qui surveillait le mari de Rosola bien plus activement que -son fils, apprit qu’il était allé voir une de ses parentes -dangereusement malade, et qu’il traverserait infailliblement une gorge -qui était le seul endroit par lequel il pût passer; il sut également -qu’il ne serait accompagné que d’un Lucquois. Il persuada à son fils, -soit en employant les menaces, soit en excitant le sentiment de haine -qu’il lui supposait contre le mari de Rosola, soit en lui montrant le -mépris dans lequel il tomberait lui-même dans l’opinion publique en ne -tirant pas vengeance de l’affront que tous les deux venaient de subir, -il persuada, disons-nous, à son fils de se poster dans le chemin par où -il devait passer et de le tuer. Gallocchio se rendit à l’endroit que son -père avait désigné et éprouva un serrement de cœur, auquel il ne -s’attendait pas, à l’idée de tuer le père de Louise. S’il l’avait -rencontré dans un de ces moments de crise qu’il ressentit à la nouvelle -de l’outrage que sa famille recevait, il comprenait alors que, s’élancer -sur son fusil et satisfaire sa vengeance, c’était peut-être un acte -légitime; mais attendre, caché dans un maquis, qu’un homme vînt se -mettre au bout de sa carabine pour le tuer, cette idée lui faisait -battre le cœur avec tant de violence qu’un moment il hésita et voulut -fuir. Mais la crainte d’être tué par son père le retint. - -C’est alors qu’il pactisa avec sa conscience, qu’il trouva des biais -pour légitimer son attaque et qu’il fit appel au hasard de la question -de savoir s’il tuerait cet homme. Il traça sur la terre un cercle -étroit, prit trois petites pierres, les lança en l’air en fermant les -yeux, et jura de se retirer si aucune pierre ne tombait dans le cercle, -et de le tuer si une seule y rentrait. Le destin fit que l’une de ces -pierres s’arrêta au milieu du rond, juste au moment où le mari de Rosola -vint à passer. Il était à cheval et suivi d’un Lucquois. Comme tous les -Corses de cette époque, il était armé d’une carabine et de deux -pistolets; il reconnut Gallocchio et déchargea sur lui un de ses -pistolets. Il le manqua, mais son ennemi lui logea une balle dans l’œil -droit et l’étendit raide mort. Le Lucquois qui était étranger à cette -scène, le regarda de sang-froid et vit Gallocchio fuir comme un moufflon -à travers le maquis. - -Le Lucquois prit tout ce qui appartenait à son maître et continua sa -route, tenant en laisse le cheval qu’il montait. Lorsque Rosola vit -venir cet homme seul, elle se douta du malheur qui lui était arrivé et -chercha à exciter les habitants du village à la poursuite de Gallocchio, -mais ils restèrent insensibles à ses larmes et à ses propositions. - -Gallocchio, après ce premier crime, se dirigea en toute hâte vers Matra -et trouva un des cousins de Louise occupé dans sa vigne avec un de ses -neveux, enfant d’une dizaine d’années; il le coucha en joue avant que -son ennemi eût eu le temps de prendre son fusil, qu’il avait eu -l’imprudence de laisser loin de lui, le fit mettre à genoux, lui permit -de faire son acte de contrition, et lui fracassa le crâne. L’enfant, -toujours à genoux, les mains jointes, faisait sa prière pendant cette -lugubre exécution. Gallocchio le traita avec bonté, car les enfants et -les femmes ne sont point compris dans la vendetta et il lui fit jurer -sur le corps de son oncle qu’il ne violerait jamais la foi donnée et -qu’il ne persécuterait pas l’innocent. - -Il rechargea son fusil et disparut dans les maquis. - -Rosola, veuve, privée de l’appui de ses neveux, conçut le projet -infernal de trouver un protecteur dans la famille même de Gallocchio et -de recommencer la lutte; elle jeta les yeux sur Cesario, cousin germain -de Gallocchio qui avait six frères, tous aussi énergiques que lui-même. -Celui-ci employa des amis communs pour empêcher son cousin d’être -l’instrument de la haine d’une femme parjure, il eut même une entrevue -avec lui à ce sujet; mais tout fut inutile. Le mariage de Cesario avec -Louise se célébra peu de temps après. - -Selon les usages corses, le fiancé et la fiancée ne peuvent jamais, sous -quelque prétexte que ce soit, violer la foi jurée par abbraccio, -puisque, à leur point de vue, c’est le consentement mutuel qui seul lie -les époux. Si le fiancé meurt après l’abbraccio, mais avant la -consécration du mariage à l’église, sa fiancée est considérée comme -veuve et doit se soumettre au deuil consacré par les coutumes; c’est -celui des femmes qui ont perdu leur mari. La première aimée, elle doit -être entièrement vêtue de noir depuis les pieds jusqu’à la tête et ne -jamais sortir de la maison; ses cheveux sont cachés avec le plus grand -soin, et des personnes dignes de foi nous ont affirmé qu’il était -d’usage anciennement de se teindre les dents et les ongles en noir. La -seconde année, elle peut laisser apparaître ses cheveux et introduire -quelques objets de couleur dans sa toilette; puis, - - Sur les ailes du temps la tristesse s’envole, - Le temps ramène les plaisirs. - -Si, au contraire le mariage a été consacré, la femme peut commettre le -délit d’adultère sans déshonorer son mari; elle peut le quitter, -cohabiter avec un autre homme même publiquement, sans que le mari soit -obligé, par les mœurs du pays, d’entrer en vendetta avec lui; la femme -qui, dans ce cas, a manqué à ses devoirs, se déshonore seule et ne peut -rendre son mari ou sa famille responsable de sa honte. Elle avait deux -chemins à prendre, celui de la vertu ou celui du vice; elle a choisi ce -dernier, elle est tombée sous le mépris public et n’est pas digne qu’un -homme d’honneur expose sa vie, puisque la mort ne lui rendrait pas -l’estime publique qu’elle a perdue à tout jamais. C’est pour cela que -les secondes noces sont toujours d’un mauvais œil en Corse; car, comme -le dit Tacite: _Ne tanquam maritum, sed tanquam matrimonium ament._ - -Le soir même de son mariage, Cesario se disposait à se mettre au lit, -lorsqu’il entendit un léger bruit à la croisée; il voulut ouvrir, -pensant que c’étaient des musiciens qui venaient lui donner la sérénade. -Sa femme lui cria: «Malheureux, garde-toi d’ouvrir!» mais il était trop -tard; une balle de Gallocchio l’avait atteint au front et l’étendit sans -vie sur le plancher. - -Cette dernière vengeance assouvie, Gallocchio prit la campagne et ne -chercha point à tuer les six frères de Cesario, bien qu’ils le -traquassent avec l’aide de la gendarmerie. - -D’autre part, comme il était condamné par contumace à la peine de mort -et que l’extradition avait été obtenue avec les pays voisins, il lui -était impossible de se rendre ou de fuir. Néanmoins, les gendarmes ne -s’acharnaient point à sa poursuite, car ils savaient bien qu’ils ne -réussiraient point à l’atteindre et qu’il n’était point d’humeur à se -laisser inquiéter. Des amis dévoués s’intéressèrent à lui, l’autorité -ferma les yeux, et il put se rendre à Athènes, où il prit du service -dans l’armée de l’indépendance. Lorsqu’il était sur le bateau qui devait -le conduire en Italie, des voltigeurs corses se présentèrent pour -s’assurer que le capitaine ne transportait aucun bandit. Ils ne firent -qu’une perquisition sommaire, sur l’assurance que leur donna le -capitaine, dont la bonne foi, d’ailleurs, était entière, qu’il n’avait -aucun suspect à bord. - -Cependant, un petit mousse avait reconnu Gallocchio, et en jouant sur -les mots, il s’écria: «Nous avons un petit coq qui est transi comme une -poule mouillée». Il était, en disant cela, auprès de la cage à poulets -et personne n’y fit attention; heureusement pour le bandit! - -Sur le même bateau, se trouvaient plusieurs officiers qui venaient -défendre la cause des Hellènes; la conversation devint intime entre eux, -et Gallocchio dut se nommer. Cependant, lorsqu’il arriva à Athènes, il -n’osa pas se présenter au général Tiburce Sebastiani, qui commandait en -Morée. Sans protecteur, il devint officier et sut mériter l’estime de -ses supérieurs et l’affection de ses camarades. Il semblait être heureux -dans sa nouvelle patrie, lorsque dans les premiers jours de l’année 18.. -le hasard fit tomber entre ses mains un journal de la Corse. Il lut que -son jeune frère, âgé de neuf ans à peine, venait d’être assassiné -traîtreusement par l’un des six frères de Cesario. A cette nouvelle, il -entra dans un accès de fureur insensée, car la famille de Cesario venait -de violer sur la personne de cet enfant toutes les règles de la -vendetta. Aussitôt, il donne sa démission et rentre en Corse. La nuit -même de son arrivée, il rencontre un de ses cousins, celui peut-être qui -a tué son frère; il va le tuer, lorsqu’il s’aperçoit qu’il est blessé. -Il s’approche de lui, panse sa blessure et lui dit: «Tu es incapable de -te défendre à cause de tes blessures, tu n’as rien à craindre de moi -maintenant, mais après ta guérison nous nous rencontrerons.» - -Quelques jours plus tard, Gallocchio se trouva en présence d’un autre -frère de Cesario; ils étaient armés tous les deux, ils firent feu en -même temps, mais aucun ne fut atteint. Ils se jetèrent alors l’un sur -l’autre, le stylet à la main, luttant avec une énergie incroyable. Enfin -Gallocchio, qui est plus leste, parvient à lui enfoncer son arme dans la -poitrine: il l’étend raide mort. - -Dès six frères de Cesario, Gallocchio en tua quatre; les deux autres -n’échappèrent à sa vengeance que parce qu’ils étaient détenus dans la -prison de Bastia, en raison de l’assassinat qu’ils avaient commis sur -son jeune frère. - -Gallocchio a été tué en 1845, alors qu’il était miné par la fièvre et -par les fatigues, par un misérable du nom de Lento Casanova, qui avait -été acheté par ses ennemis, et qui lui fracassa la tête avec une hache -pendant qu’il dormait. Ce vil meurtrier est exécré dans le pays et, si -nos renseignements sont exacts, il a été tué par ses compatriotes. - -Gallocchio possédait les sympathies d’un grand nombre d’insulaires; ses -malheurs, son courage, sa probité et sa piété en avaient fait l’idole -des Corses. Ils chantèrent des _lamenti_ en son honneur, et il est resté -comme le type le plus parfait et le plus infortuné de ces hommes mis -hors la loi pour un faux point d’honneur. - -Il a laissé ses mémoires, écrits en italien; on y remarque beaucoup -d’ordre et d’exactitude. Le style est pittoresque et nerveux. Il les a -légués à M. Arrighi, conseiller de la Cour impériale de Bastia[10]. - - [10] Recueillis par Léonard de Saint-Germain, _Itinéraire d’un Voyage - en Corse_. - - -FIN - - - - -TABLE DES MATIÈRES - - - Chapitres Pages - - La Vendetta 7 - Le Fusil 19 - Règles et Coutumes de la Vendetta 26 - Le Banditisme 37 - Sampiero Corso 62 - Le Caporal Bonaparte 93 - Nasone 99 - Gallocchio 105 - - -_Grande Imprimerie de Troyes, 126, rue Thiers_ - - - - -HAUTE NOUVEAUTÉ! - -ACCORDÉONS avec voix en acier incassables! - -[Illustration] - -Au prix exceptionnel de 5 fr. 50, nous expédions, contre remboursement, -notre superbe accordéon à 2 chœurs, avec 10 touches, 2 registres, 2 -basses, 50 voix extra-fortes, avec double soufflet; ressorts en spirales -incassables et brevetés, pour les touches et les basses; clavier ouvert, -d’un son d’orgue. Accordéons à 3 chœurs, 7 fr. 50; à 4 chœurs, 9 fr. 50; -à 6 chœurs, 20 fr.; à 2 rangées avec 21 touches et 4 basses, 12 fr. 50. -Avec cloche, 40 centimes en plus; et avec appareil de trémolo italien, -produisant un son d’orgue, 0 fr. 50 en plus. Accordéons à 2 chœurs, mais -avec voix en acier, 1 fr. 50 en plus; à 3 chœurs, 2 fr. 50 en plus; à 4 -chœurs et à 2 rangs de 21 touches, 3 fr. en plus; à 6 chœurs, 5 fr. en -plus. - -Essayez nos voix en acier qui sont les meilleures et produisent la -musique la plus forte et la plus harmonieuse. - -Méthode française gratis. Frais de transport, 1 fr. 25. Nouveau -catalogue gratis et franco. Port de lettre, 25 centimes. - -CITHARE--GUITARE - -[Illustration] - -Instrument merveilleux, avec 41 cordes et 5 accords, s’apprend de suite, -on peut jouer tous les airs, même sans connaître la musique, ne coûte -que 10 fr. Le même instrument, mais avec 6 accords et 49 cordes, ne -coûte que 12 fr. 50. Port, 1 fr. 25. Emballage et méthode française -GRATIS. 25 feuilles de musique à glisser sous les cordes, d’une valeur -de 2 fr. 50, sont livrées gratuitement avec chaque cithare. Catalogue -gratis et franco. Affranchir les lettres à 0 fr. 25. - -_Innombrables Références_ - - S’adresser directement à - HERFELD & Cie - NEUENRADE, Nº 23 (Allemagne) - - - - -COLLECTION A.-L. GUYOT - -PARIS.--_51, rue Monsieur-le-Prince, 51_--PARIS - - -ROMANS D’AVENTURES - - Th. Cahu.--Une Fortune dans les Nuages 2 vol. - -- Les Naufragés du Ciel 1 vol. - -- L’Ile désolée 2 vol. - P. de Sémant.--_Aventures de Dache_: - Le Perruquier des Zouaves 1 vol. - Le Sergent Dache 1 vol. - Vincent Huet.--Le Disparu 1 vol. - -- Les Cavernes de Hall el Oued 1 vol. - G. Guitton et Lerouge.--La Conspiration des Milliardaires 2 vol. - -- A coups de Milliards 2 vol. - -- Le Régiment des Hypnotiseurs 2 vol. - -- La Revanche du Vieux Monde 2 vol. - Capitaine Marryat.--Le Vaisseau Fantôme 2 vol. - -- Le Spectre de l’Océan 2 vol. - W. de Fonvielle.--Aventures d’un chercheur d’or au Klondike 2 vol. - Edgard Poë.--Aventures extraordinaires d’Arthur Gordon Pym 1 vol. - -- Contes extraordinaires 2 vol. - Henri Renou.--Les Mystères du Grand Chaco 1 vol. - -- L’Or du Gambusino 1 vol. - Bret-Harte.--Prisonniers des Neiges 1 vol. - - -Chez tous les libraires: 0 fr. 20.--Franco-poste: 0 fr. 25 - -ALGÉRIE, COLONIES ET ÉTRANGER: 25 CENTIMES (Port en plus) - - - -Notes du transcripteur - - -L’orthographe et la ponctuation sont conformes à l’original. Les erreurs -manifestement dues aux typographes ont été corrigées. On a également -désigné du nom de «Paolo» le troisième fils d’Alfonso d’Orlando (noté -«Polo» puis «Pola» dans l’original). - -On a indiqué _ainsi_ les passages en italique dans l’original. - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VENGEANCES CORSES *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for an eBook, except by following -the terms of the trademark license, including paying royalties for use -of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for -copies of this eBook, complying with the trademark license is very -easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation -of derivative works, reports, performances and research. Project -Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may -do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected -by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the -person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph -1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm -electronic works. See paragraph 1.E below. - -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the -Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. If an individual work is unprotected by copyright law in the -United States and you are located in the United States, we do not -claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, -displaying or creating derivative works based on the work as long as -all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope -that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting -free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm -works in compliance with the terms of this agreement for keeping the -Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily -comply with the terms of this agreement by keeping this work in the -same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when -you share it without charge with others. - -1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern -what you can do with this work. Copyright laws in most countries are -in a constant state of change. If you are outside the United States, -check the laws of your country in addition to the terms of this -agreement before downloading, copying, displaying, performing, -distributing or creating derivative works based on this work or any -other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no -representations concerning the copyright status of any work in any -country other than the United States. - -1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: - -1.E.1. The following sentence, with active links to, or other -immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear -prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work -on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the -phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, -performed, viewed, copied or distributed: - - This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and - most other parts of the world at no cost and with almost no - restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it - under the terms of the Project Gutenberg License included with this - eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the - United States, you will have to check the laws of the country where - you are located before using this eBook. - -1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is -derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not -contain a notice indicating that it is posted with permission of the -copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in -the United States without paying any fees or charges. If you are -redistributing or providing access to a work with the phrase "Project -Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply -either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or -obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm -trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted -with the permission of the copyright holder, your use and distribution -must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any -additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms -will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works -posted with the permission of the copyright holder found at the -beginning of this work. - -1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm -License terms from this work, or any files containing a part of this -work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. - -1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this -electronic work, or any part of this electronic work, without -prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with -active links or immediate access to the full terms of the Project -Gutenberg-tm License. - -1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, -compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including -any word processing or hypertext form. However, if you provide access -to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format -other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official -version posted on the official Project Gutenberg-tm website -(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense -to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means -of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain -Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the -full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. - -1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, -performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works -unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing -access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works -provided that: - -* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from - the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method - you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed - to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has - agreed to donate royalties under this paragraph to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid - within 60 days following each date on which you prepare (or are - legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty - payments should be clearly marked as such and sent to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in - Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg - Literary Archive Foundation." - -* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies - you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he - does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm - License. You must require such a user to return or destroy all - copies of the works possessed in a physical medium and discontinue - all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm - works. - -* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of - any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the - electronic work is discovered and reported to you within 90 days of - receipt of the work. - -* You comply with all other terms of this agreement for free - distribution of Project Gutenberg-tm works. - -1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project -Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than -are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing -from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of -the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set -forth in Section 3 below. - -1.F. - -1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable -effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread -works not protected by U.S. copyright law in creating the Project -Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm -electronic works, and the medium on which they may be stored, may -contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate -or corrupt data, transcription errors, a copyright or other -intellectual property infringement, a defective or damaged disk or -other medium, a computer virus, or computer codes that damage or -cannot be read by your equipment. - -1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right -of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project -Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project -Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all -liability to you for damages, costs and expenses, including legal -fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT -LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE -PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE -TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE -LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR -INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH -DAMAGE. - -1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a -defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can -receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a -written explanation to the person you received the work from. If you -received the work on a physical medium, you must return the medium -with your written explanation. The person or entity that provided you -with the defective work may elect to provide a replacement copy in -lieu of a refund. If you received the work electronically, the person -or entity providing it to you may choose to give you a second -opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If -the second copy is also defective, you may demand a refund in writing -without further opportunities to fix the problem. - -1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth -in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO -OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT -LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. - -1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied -warranties or the exclusion or limitation of certain types of -damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement -violates the law of the state applicable to this agreement, the -agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or -limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or -unenforceability of any provision of this agreement shall not void the -remaining provisions. - -1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in -accordance with this agreement, and any volunteers associated with the -production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm -electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, -including legal fees, that arise directly or indirectly from any of -the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this -or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or -additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any -Defect you cause. - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm - -Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation's website -and official page at www.gutenberg.org/contact - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without -widespread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular -state visit www.gutenberg.org/donate - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works - -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our website which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This website includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/65339-0.zip b/old/65339-0.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index e1b4d09..0000000 --- a/old/65339-0.zip +++ /dev/null diff --git a/old/65339-h.zip b/old/65339-h.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index 19f5e60..0000000 --- a/old/65339-h.zip +++ /dev/null diff --git a/old/65339-h/65339-h.htm b/old/65339-h/65339-h.htm deleted file mode 100644 index 041481b..0000000 --- a/old/65339-h/65339-h.htm +++ /dev/null @@ -1,3902 +0,0 @@ -<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" - "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> - -<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> -<head> -<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=UTF-8" /> -<title> - The Project Gutenberg eBook of Vengences corses, by Colonna de Cesari Rocca. -</title> -<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> -<style type="text/css"> - -p { text-align: justify; line-height: 1.2em; text-indent: 1.5em; - margin: .3em 0;} - -h1 { text-align: center; line-height: 1.5em; margin: 1em 0; } -h2 { text-align: center; line-height: 1.5em; margin: 4em 0 2em 0; } - -div.c, p.c { text-align: center; line-height: 1.5em; text-indent: 0; - margin: 1em 0; } - -.large { font-size: 130%; } -.xlarge {font-size: 150%; } -.small { font-size: 90%; } -.xsmall, small { font-size: 90%; } - -.b { font-weight: bold; } -.sans-serif { font-family: sans-serif; } - -.sc { font-variant: small-caps; font-style: normal; } - -.poetry { text-align: left; margin: 1em 0 1em 5%; } -.verse { padding-left: 3em; text-indent: -3em; } -.i3 { text-indent: -1em; } - -p.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.2em; clear: right; } -.sign { margin: 1em 5% 1em 20%; text-align: right; } -.ind { margin: 1em 0 1em 10%; } - - -hr { width: 20%; margin: 1em 40%; } -.asterism { text-align: center; margin: 1em 0; line-height: .6em; font-size: 90%; } - -a { text-decoration: none; } - -sup { font-size: smaller; vertical-align: 20%; } - -li { list-style: none; } - -table { margin: 1em auto; } -td { vertical-align: top; padding: 0 .1em; } -td.bot { vertical-align: bottom; min-width: 2em; } -td.r div { text-align: right; } -td.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.7em; text-align: left; } -td.drap2 { text-indent: -1.5em; padding-left: 3em; text-align: left; } -td.w3 { width: 3em; } - -span.fl { float: right; text-indent: 0; } - - -.trnote { font-family: sans-serif; font-size: 95%; padding: .5em; - margin: 4em 5% 1em 5%; border: thin dotted; background: #F7F7F7; } -.trnote h2 { margin: .5em 0; } - -.fnanchor { font-size: 80%; vertical-align: 0.35em; padding: 0 .15em; - text-decoration: none; font-style: normal; } -.footnote { margin: 1em 0 1em 30%; font-size: 90%; } -.footnote .label { } -.footnote + .footnote { margin-top: -.5em; } - -div.gap, p.gap { margin-top: 2.5em; } -.break, .chapter { margin-top: 4em; } - -img { max-width: 100%; } -img.h700 { height: 700px; } -div.figc { text-align: center; } - - -@media screen { - body { max-width: 40em; width: 80%; margin: 0 auto; } -} - -@media handheld { - .break, .chapter { page-break-before: always; } - .hidehand { display: none; } - .top2em { padding-top: 2em; } - .top4em { padding-top: 4em; } - .nobreak { page-break-before: avoid; } -} - -</style> -</head> -<body> - -<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of Vengeances Corses, by Pierre-Paul Raoul Colonna de Cesari Rocca</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and -most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you -are not located in the United States, you will have to check the laws of the -country where you are located before using this eBook. -</div> - -<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: Vengeances Corses</div> - -<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Pierre-Paul Raoul Colonna de Cesari Rocca</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: May 14, 2021 [eBook #65339]</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div> - -<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Véronique Le Bris, Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)</div> - -<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VENGEANCES CORSES ***</div> -<div class="figc hidehand"><img src="images/cover.jpg" class="h700" alt="" /></div> -<div class="break"></div> -<p class="c sans-serif large top4em">COLONNA DE CESARI ROCCA</p> - -<p class="c sans-serif xlarge b">VENGEANCES<br /> -CORSES</p> - - -<p class="c gap">Collection A.-L. GUYOT, 51, Rue Monsieur-le-Prince PARIS.<br /> -<i>20 Centimes</i> — Algérie, Colonies et Étranger : <i>25 Centimes</i> (Port en plus)</p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c gap large top4em b">OUVRAGES DU MÊME AUTEUR</p> - -<p class="c"><i>En vente dans les Bureaux</i><br /> -<span class="xsmall">DE LA</span><br /> -<b class="large">Collection A.-L. GUYOT</b></p> - - -<p class="drap"><b>Histoire de la Corse</b>, <i>écrite pour la première -fois d’après les sources originales</i>. -Prix -<span class="fl"><b>3</b> fr. <b>50</b></span></p> - -<p class="drap"><b>Le Nid de l’Aigle, Napoléon, sa patrie, -son foyer, sa race</b>, <i>d’après des documents -inédits</i>. Prix -<span class="fl"><b>3</b> fr. <b>50</b></span></p> - -<p class="drap"><b>La Vendetta dans l’Histoire</b> -<span class="fl"><b>0</b> fr. <b>65</b></span></p> - -<div class="break"></div> - -<h1 class="top4em">VENGEANCES CORSES</h1> - -<p class="c"><span class="xlarge">CHRONIQUES ET RÉCITS</span><br /> -<span class="small">RECUEILLIS PAR</span><br /> -<b class="large">Colonna de Cesari Rocca</b></p> - - -<p class="c gap"><span class="large">PARIS</span><br /> -<b>Collection A.-L. GUYOT</b><br /> -<i class="small sans-serif">51, rue Monsieur-le-Prince, 51</i></p> - -<p class="c xsmall">TOUS DROITS RÉSERVÉS</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="c xlarge">VENGEANCES CORSES</p> - - - - -<h2 class="nobreak" id="ch1">LA VENDETTA</h2> - - -<p>« <i lang="la" xml:lang="la">Prima lex est ulcisci</i> — La première loi -du Corse est de se venger », dit un vieux distique -anonyme attribué à Sénèque probablement -à tort, mais en tous cas fort ancien. Un -Corse du moyen âge auquel on ne saurait reprocher -de ne pas aimer sa patrie dont il fut -plus l’apologiste que l’historien (<i lang="la" xml:lang="la">Petrus Cyrnæus</i>) -écrivait :</p> - -<p>« Les Corses aiment les factions et ont soif -de victoires ; avides de vengeance, s’ils ne peuvent -l’obtenir ouvertement, ils emploient des -embûches, la ruse et tous les modes d’artifices -pour atteindre leur but. »</p> - -<p>« Qu’il soit vivant, qu’il soit mort, redoute -le Corse qui n’a pas satisfait sa vengeance », -dit un proverbe italien du <small>XVII</small><sup>e</sup> siècle.</p> - -<p>Et Stendhal :</p> - -<p>« Ils ne songent qu’à deux choses : se venger -de leur ennemi et aimer leur maîtresse. »</p> - -<p>Ces quatre jugements portés en des siècles -bien différents sur la caractéristique essentielle -des mœurs corses serviront d’épigraphes -aux pages qui vont suivre.</p> - -<p>La tendance de l’homme à se faire justice -soi-même est instinctive. Par loi de nature il -écarte ou détruit tout obstacle à sa conservation -ou à son bien-être. Si un accident lui arrive, si -un malheur le frappe, les causes de cet accident, -de ce malheur lui seront toujours un souvenir -pénible, même si ces causes sont d’ordre -matériel. Mais quand la catastrophe dont il a -été victime a pour auteur un être conscient qui, -volontairement, a provoqué sa douleur ou son -mécontentement, qui, ensuite, a tiré de son succès -une <i>satisfaction</i> outrageante pour lui, -l’homme veut à son tour la <i>satisfaction</i> adéquate -qui ne se peut obtenir que par une souffrance -égale ou supérieure chez celui qui l’a -offensé. Quand la société préside à cet acte de -compensation, c’est la justice ; sinon c’est la -vengeance.</p> - -<p>Mais il est rare qu’un équilibre absolu soit -établi entre le crime et la sanction exercée par -la justice individuelle, c’est-à-dire par la vengeance. -Celle-ci, d’ailleurs, eût-elle strictement -observé la loi du talion « dent pour dent, œil -pour œil », il est certain que celui qui est -frappé par cette condamnation n’en appréciera -pas l’équité. Si son adversaire a été juge et -partie, lui s’est trouvé accusé et partie. A dater -de l’exécution de la sentence mentalement prononcée, -les rôles s’intervertissent et l’accusé, le -condamné de la veille, devient juge à son tour. -C’est la <i>vendetta</i>.</p> - -<p>La justice individuelle des Corses ne connaît -qu’une pénalité : la suppression, c’est-à-dire la -mort. Il est rare qu’elle soit précédée de cruautés -inutiles. La haine même ne préside toujours -pas à ces sanglantes exécutions dont le -préjugé a fait un devoir. « La haine, dit Balzac, -est le vice des âmes étroites, elles l’alimentent -de toutes leurs petitesses, elles en font -le prétexte de leurs basses tyrannies. La vengeance -est l’effet d’une loi à laquelle obéissent -les grandes âmes. Dieu se venge et ne hait -pas. » N’a-t-on pas vu un bandit offrir deux -de ses cartouches à un homme que ses représentations -et ses prières ne pouvaient empêcher -de se déclarer son ennemi, en acceptant -deux des siennes, et lui dire les larmes aux -yeux :</p> - -<p>— Puisque tu le veux, eh bien ! que la destinée -s’accomplisse ! nous sommes en guerre : -à partir de demain, garde-toi !</p> - -<p>On conçoit par ce qui précède que la vendetta -ne peut pas être restreinte dans ses effets à -deux individus seulement. C’est une guerre de -famille à famille ; après chaque exécution, un -nouveau justicier se lève parmi les proches de -la victime. Le sang appelle le sang. Ces duels -qui mettent en présence des races entières duraient -parfois pendant plusieurs générations.</p> - -<p>En Corse tout acte est producteur d’autres -actes d’une importance égale, ou supérieure : -et cela provient de ce que nul ne conçoit de la -part d’un autre un mouvement, un geste irréfléchi. -Si le germe de ce mouvement, de ce -geste échappe à son discernement, son inquiétude -se manifeste par une défiance dont il ne se -départira qu’avec peine.</p> - -<p>Tous les peuples du Midi sont enclins à l’oisiveté. -Le Corse ne fait point exception ; sa -sobriété se contente des produits qu’une terre -favorable fournit sans exiger trop d’efforts. -Mais alors que les populations méridionales, -baignées de soleil, respirent la gaieté et la joie, -le Corse est méditatif et presque taciturne ; son -isolement entre la mer et la montagne ont développé -chez lui le penchant à la réflexion. Sans -contact avec les civilisations extérieures, avec -les sciences, les lettres, les arts, en un mot avec -tout ce qui aurait pu mûrir le génie naturel de -la race, son cerveau, par une activité contrastant -avec l’oisiveté de ses membres, s’arma -pour la lutte, acquit les qualités et les défauts -exigés pour la défense de l’homme en société.</p> - -<p>Suivant un écrivain continental<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>, auquel -nous devons l’ouvrage le plus judicieux qui ait -été écrit sur notre île, le Corse est « naturellement -porté vers la justice, mais lorsqu’elle -frappe au dehors de sa famille ; fort de raison -et de logique lorsqu’il est désintéressé dans ses -jugements ; sophiste lorsqu’il s’agit de ses propres -intérêts ; d’une grande pénétration d’esprit ; -curieux comme une femme des affaires -des autres, extrêmement secret sur ce qui le -concerne. Il abhorre le mensonge, et souvent -n’aime pas dire toute la vérité : ce qui le rend -parfois contraint et embarrassé en société. Il -est taciturne par caractère, réservé par prudence, -soupçonneux et méfiant en public, expansif -au sein de l’amitié. »</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Robiquet. <i>Recherches historiques et statistiques -sur la Corse</i>.</p> -</div> -<p>Le Corse a une haute opinion de soi. En -principe, il est rebelle à tout esprit de hiérarchie. -Nous verrons plus loin ce qui a fait de -la Corse le pays du monde où les inégalités sociales -sont le moins sensibles. Contentons-nous -pour l’instant de le constater. Le dernier paysan -corse traite d’égal à égal avec ses compatriotes -et les étrangers le plus haut placés. Un -sous-préfet de la Restauration, qui séjourna -en Corse assez longtemps pour connaître le -pays et ses habitants, raconte que le berger insulaire -aborde avec hardiesse des inconnus, -s’enquiert de ce qui les concerne, et entame -avec eux des discussions politiques. Enfin il le -dépeint comme très curieux. Un autre écrivain -prétend qu’il y a dans son cas moins de -curiosité que d’orgueil. « Ce Corse, ajoute-t-il, -dans cet entretien, ne veut prouver autre chose, -sinon que, dans son humble position, il comprend -les questions les plus élevées, et, tout en -vous parlant, il a la conviction que si le Ciel -l’eût fait naître riche ou favorisé par les circonstances, -il serait devenu un homme supérieur. »</p> - -<p>Les Corses ont bonne opinion d’eux-mêmes, -non seulement comme individus, mais comme -peuple. Quoique jaloux les uns des autres, ils -ont de leurs concitoyens les idées les plus -avantageuses. Ce sentiment a été justifié par la -fortune rapide des Corses qui abandonnèrent -leur patrie pour courir les aventures. Presque -toutes les familles ont eu un ou plusieurs membres -qui se sont élevés à un rang supérieur. -Tous les villages ont leurs gloires locales, dont -l’honneur rejaillit sur sa parenté qui est nombreuse, -car on conserve le souvenir des alliances -et des origines pendant bien des générations. -Avec le temps, les exemples de fortune -se sont multipliés. Cette fortune, tous les Corses -l’espèrent et la visent ; la mauvaise fortune, -tous les Corses la veulent dompter.</p> - -<p>Souvent la confiance en soi, la présomption -même servent à merveille l’ambition qui n’est -pas complètement dénuée de mérite. C’est elle -qui lui inculque l’art de tirer profit des événements. -Le Corse ne doute pas de son jugement : -pour lui, tout fait auquel il a prêté son attention -est utile ou nuisible : s’il est nuisible, il -doit en amoindrir la portée ou en empêcher -le retour ; s’il est utile, il doit s’en servir.</p> - -<p>Donc, toute pensée provoquée par des circonstances -ambiantes est propre à engendrer -un acte. Cette sensibilité quand elle est poussée -à l’excès, cette perspicacité quand elle est faussée — et -le cas est fréquent — deviennent de -la susceptibilité. L’esprit de clan, la solidarité -des membres d’une famille font le reste.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Ainsi naissent les <i lang="it" xml:lang="it">vendette</i> ; pour des causes -graves parfois, futiles le plus souvent. Vers -1825, le village de Levie (arrondissement de -Sartène) fut troublé par une grave inimitié -entre deux familles. En voici la raison :</p> - -<p>Un coq s’était échappé de sa basse-cour. Sa -propriétaire vint le réclamer à la voisine qui -avait hospitalisé, peut-être sans le savoir, le -volatile fugitif. Celle-ci refusa tout d’abord de -se livrer à une enquête, cependant sur les instances -d’un prêtre qui avait vu le coq passer -d’un jardin dans l’autre elle consentit à visiter -son poulailler. Furieuse de la forme de restitution, -la propriétaire de la bête tordit le cou -de l’animal et le jeta à la figure de l’autre femme, -en lui disant : « Puisque ce coq est à toi, -mange-le. » Les hommes accoururent, on déchargea -les fusils, un enfant fut tué. Les représailles -durèrent deux ans.</p> - -<p>Vers 1880, un individu nommé Rocchini trouva -son chien expirant sur la route devant la -maison Taffani. Le lendemain, il assommait un -chien des Taffani. Quelques jours se passent. -Cette fois, ce n’est plus un chien, c’est un Rocchini -que l’on trouve mort. Un Rocchini vaut -un Taffani. La lutte commence, Rocchini par ci, -Taffani par là, ainsi de suite jusqu’à ce qu’il -n’en reste plus qu’un seul — c’était un Rocchini, -on le guillotina sur la place publique de -Sartène.</p> - -<p>Alors que dans tous les pays, les guerres privées -ne survenaient qu’entre gens appartenant -aux classes supérieures, chaque individu en -Corse nourri d’un sentiment égalitaire, fort de -son indépendance personnelle, encouragé par -les ressources que la nature mettait à sa disposition, -adopta l’habitude de se faire justice soi-même. -Ce droit que la morale traditionnelle ne -contestait pas fut bientôt un devoir.</p> - -<p>Dans d’autres pays, la société <i>épousa la querelle</i>, -si l’on peut s’exprimer ainsi, de celui -qui avait été lésé dans sa personne, dans son -honneur ou dans ses biens. Ainsi naquit la justice. -Bien ou mal rendue, elle inspira assez de -terreur aux masses pour réduire considérablement -le nombre des homicides et faire du -meurtre un crime <i>aristocratique</i>. Sur le continent, -il y eut des répressions capables de faire -réfléchir ceux qui étaient à leur portée. Sur le -continent, on put faire et appliquer des lois -préventives, interdire le port des armes à la -multitude, imposer la trêve de Dieu. Tout -conspirait à interdire à la justice le sol de la -Corse. La politique génoise entra dans la conjuration.</p> - -<p>La maxime « Diviser pour régner » fut de -tout temps la base de toutes les opérations politiques -conçues par les Génois. C’est pourquoi -non seulement ils ne firent aucun effort pour -mettre fin aux guerres intestines, mais encore -ils les encouragèrent.</p> - -<p>Dès qu’un homme s’élevait assez pour devenir -redoutable, la république lui opposait -un de ses égaux de la veille ; elle mettait -aux prises deux ambitions, deux susceptibilités -qui se brisaient l’une l’autre ; le vaincu gagnait -le maquis, devenait un bandit.</p> - -<p>L’histoire de la Corse est celle du banditisme -et de la vendetta ; tous ses héros ont vécu des -jours ou des années dans la montagne, traqués -comme des bêtes fauves. Giudice de Cinarca, -considéré par ses contemporains comme le souverain -de la Corse, vécut en bandit pour venger -la mort de son père<a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>. Son descendant -Rinuccio delle Rocca, seigneur puissant, fut réduit, -dit un contemporain, à fuir toujours comme -la bête sauvage poursuivie par les chasseurs. -Pour dépister ses ennemis, il ferrait son -cheval tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers ; -comme on empoisonnait les sources proches des -cavernes où on le croyait réfugié, il supportait -patiemment la soif pendant des jours entiers, -attendant, pour se désaltérer, qu’il pût boire -l’eau d’une fontaine dont il avait la clef. Peut-être -aurait-il résisté longtemps encore si deux -de ses cousins, par vendetta, ne l’avaient fait -périr dans une embuscade.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Sa biographie dans la <i>Vendetta dans l’Histoire</i>.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch2">LE FUSIL</h2> - - -<p>L’introduction des armes à feu en Corse permit -aux haines individuelles de se satisfaire -avec plus de facilité et de violence. « Auparavant, -écrit Filippini, vers 1580, lorsqu’on ne -se servait point d’armes semblables, si des ennemis -mortels se rencontraient, l’un des partis -n’osait le plus souvent attaquer l’autre, bien que -celui-ci comptât trois ou quatre hommes de -moins. Aujourd’hui, un homme qui a contre un -autre un peu de colère, qui n’oserait pas avec -une autre arme le regarder en face, l’attend -caché dans un buisson ou dans un bois, et tire -sur lui comme sur un animal. Le meurtrier est -inconnu et la justice reste impuissante.</p> - -<p>« En outre, les Corses se sont si bien exercés -au maniement de ces arquebuses qu’en cas de -guerre, le parti contre lequel ils se déclareraient -aurait à courir des dangers. Les enfants -de huit à dix ans, eux-mêmes, qui peuvent à -peine porter une arquebuse et lâcher la détente -passent leur journée à tirer à la cible, et ne -fût-elle pas plus large qu’un écu, ils l’atteignent.</p> - -<p>« Et pourtant, je me souviens que, lorsque -pour notre malheur, la guerre éclata en Corse, -en l’année 1553, pas un seul insulaire, à l’exception -de ceux qui avaient appris sur le continent -à manier les armes, ne savait adapter la -corde à la serpentine. Lorsque Paul de Thermes<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a> -eut par des récompenses et de magnifiques -promesses, gagné à la cause des Français -les populations toujours avides de nouveautés -et de changement, en les voyant si bien disposées -en sa faveur, mais sans armes, il envoya -exprès chercher à Marseille des armes pour les -leur distribuer. On souriait en voyant comment -s’y prenaient les Corses pour manier leurs arquebuses, -ils ne savaient même pas les charger, -et ce n’était qu’en tremblant qu’ils mettaient le -feu. Aujourd’hui, tous les Corses, en n’importe -quel endroit de l’île, manient des arquebuses à -rouet, et les soldats réguliers, eux-mêmes, ne -les tiennent pas avec plus de soin. J’avais donc -raison de dire tout à l’heure que les populations -et particulièrement les Corses, étant -d’humeur inconstante, on peut prévoir sans -peine à quels dangers et à quelles pertes se -trouveront exposés à l’avenir les habitants de -l’île. »</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Général chargé par Henri II de conduire l’expédition -de Corse.</p> -</div> -<p>Les Corses étaient effrayés eux-mêmes des -crimes et des délits de tout ordre qui se commettaient -dans l’île et ils réclamaient une répression -sévère. De même que les gouverneurs -avaient imaginé de vendre les ports d’armes, -ils consentirent de temps en temps à opérer un -désarmement, mais c’était pour pouvoir revendre -les armes confisquées. Le même fusil, dit-on, -fut vendu jusqu’à sept fois.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Si l’on s’en rapporte à la <i>Justification de la -révolution de la Corse</i>, ouvrage dont le but est -clairement exprimé par le titre, et que les Génois -eux-mêmes ne réfutèrent que faiblement, -on jugera de l’état de la Corse sous la domination -génoise.</p> - -<p>Dès qu’un homicide se commettait, dit la -<i>Justification</i>, les parents du mort recouraient à -la justice contre l’assassin ; les parents de l’assassin -accouraient pour empêcher l’action de -la justice ; il y avait entre les parties une première -lutte devant le greffier pour en obtenir -un procès-verbal favorable ; une seconde devant -le juge qui émettait son avis ; une troisième devant -le gouverneur de qui émanait la sentence. -Si les parties avaient quelques moyens pécuniaires, -on profitait de l’occasion pour faire -une moisson abondante : les plus offrants gagnaient -toujours leur procès ; mais si c’étaient -les parents du mort, on ne condamnait l’assassin qu’à -une peine légère, et simplement pour -leur donner une sorte de satisfaction, tandis -que si c’étaient les parents du meurtrier, le -meurtrier lui-même était exempté de toute -peine afflictive ou infamante ; et si on ne pouvait -ou altérer les pièces, ou torturer le sens -de la loi, par suite de la vigilance importune de -la partie qui en réclamait l’observation, on faisait -intervenir l’autorité despotique du gouverneur -qui, étalant mal à propos une clémence et -une miséricorde intéressées, arrêtait le cours -de la procédure et de la justice par ces fameux -décrets de <i lang="la" xml:lang="la">non procedatur</i> dont la vertu absolvait -de toute peine les coupables les plus convaincus. -Que si les assassins étaient pauvres, -alors, pour faire parade d’une justice incorruptible, -ils étaient condamnés au bannissement ; -mais bientôt, pour une pièce de quatre-vingts -francs (<span lang="it" xml:lang="it">genovina</span>) on accordait un sauf-conduit -de six mois, même aux bannis pour -peine capitale, avec permis de port d’armes, -afin que pouvant parcourir l’île en toute sécurité, -ils fussent non seulement en état de se -défendre contre leurs ennemis, mais même de -commettre de nouveaux attentats ; quelquefois, -on les faisait embarquer pour Gênes où, admis -au service de la République, ils étaient élevés -à des grades honorables, et même à celui de -colonel. Enfin, au bout de peu d’années, tous -les bannis, absous par des grâces générales ou -particulières, retournaient chez eux d’un air de -triomphe et plus insolents que jamais.</p> - -<p>Et quelles étaient les funestes conséquences -de cette impunité ? l’absolution d’un homicide -devenant le germe de plusieurs autres. Les individus -offensés, voyant l’offenseur promener -insolemment sous leurs yeux son audace impunie, -se rendaient par eux-mêmes cette justice -que le gouvernement leur avait refusée. -Ainsi, dans cette succession rapide et réciproque -de forfaits, trente ou quarante assassinats -étaient la suite d’un premier crime, et, de là, -la destruction de plusieurs familles qui s’y -trouvaient, même involontairement engagées.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>En l’espace de trente-deux ans (1683-1715) -les registres de la République constatent 28,715 -meurtres. En 1714, un jésuite corse, le Père -Murati, délégué à Gênes, obtint qu’il ne serait -plus délivré aucun port d’armes, à condition -qu’une redevance de deux <i lang="it" xml:lang="it">seini</i> (0 fr. 40) par -feu indemniserait la République du tort que -lui causait la suppression des patentes. Le nouveau -gouverneur Pallavicini, chargé d’opérer le -désarmement, ne rencontra dans sa tâche aucun -obstacle, et la police de l’île parut entrer dans -une meilleure voie ; malheureusement, de toutes -les mesures prises, une seule survécut : l’impôt -auquel les malheureux insulaires s’étaient volontairement -soumis.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Les lois ont été abrogées, refaites, modifiées ; -les gouvernements ont disparu ; les régimes les -plus divers se sont succédé ; le fusil est resté -le fidèle compagnon du Corse, et aujourd’hui -encore, pour endormir son enfant, la mère -chante sur un rythme monotone :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse"><i lang="it" xml:lang="it">Quando voi sarete grandi</i></div> -<div class="verse"><i lang="it" xml:lang="it">Vi manderemo alla scola</i></div> -<div class="verse"><i lang="it" xml:lang="it">La carchera e lo stiletto</i></div> -<div class="verse"><i lang="it" xml:lang="it">L’archibugia e la pistola.</i></div> -</div> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Lorsque vous serez grand,</div> -<div class="verse">Nous vous enverrons à l’école</div> -<div class="verse">La cartouchière et le stylet,</div> -<div class="verse">L’arquebuse et le pistolet.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch3">RÈGLES & COUTUMES DE LA VENDETTA</h2> - - -<p>Le deuil avait autrefois en Corse, et il a conservé -jusqu’à nos jours dans certains villages -de l’intérieur, un caractère particulier et des -formes tout à fait dramatiques.</p> - -<p>Si dans une maison il se trouve un malade, -les parents et les amis, hommes et femmes, s’y -réunissent, les hommes dans un appartement, -les femmes dans un autre pour assister la famille -et veiller nuit et jour avec elle.</p> - -<p>Le malade mort, le soir même, à l’<i lang="la" xml:lang="la">Angelus</i>, -le prêtre se rend auprès de lui, et devant la -foule réunie, il récite le rosaire et les litanies -chantées alternativement par lui et par les assistants.</p> - -<p>Le prêtre parti, tout le village, à l’exception -des ennemis de la famille, passe la nuit auprès -du corps ; à minuit, on leur sert une collation.</p> - -<p>Dans certaines localités, les <i lang="it" xml:lang="it">voceratrice</i>, sortes -de professionnelles de la douleur, se réunissent -autour du lit du défunt. Chacune à son -tour se détache et vient psalmodier les mérites -du mort, « en gesticulant, tournant autour de -lui, lui parlant, feignant de l’écouter, le faisant -répondre, le touchant, lui prenant les mains, -comme s’il était vivant ».</p> - -<p>Cette première cérémonie faite, on enlève -le cadavre pour le porter à l’église, et, aussitôt, -les <i lang="it" xml:lang="it">voceratrice</i> se lamentent à la fois. La messe -finie, on porte le corps au cimetière, et tout le -monde retourne à la maison mortuaire où un -dîner réunit les membres du clergé, la famille -et les amis. En Balagne<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a> ce sont les habitants -du village qui portent à la famille du -mort pour elle et les étrangers qui sont venus -différents mets qui forment ce qu’on appelle -le <i lang="it" xml:lang="it">conforto</i>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> Région qui comprend la partie septentrionale -de l’arrondissement de Calvi.</p> -</div> -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Si le mort a été tué, les lamentations prennent -un autre caractère ; les <i lang="it" xml:lang="it">voceratrice</i> ressemblent -à des furies et chacun de leur cri est -un cri de vengeance. Elles déchirent leurs vêtements, -s’arrachent les cheveux et s’ensanglantent -avec leurs ongles la figure et la poitrine. -Souvent, elles sucent les plaies du mort -et conservent sa chemise et ses vêtements ensanglantés -pour les montrer à ses enfants. On -en a vu profiter de la circonstance pour rappeler -la mort d’une personne tuée depuis douze -ans, et qui n’avait pas été vengée, demander -vengeance pour elle et l’obtenir ! Les hommes, -dans ce cas, n’assistent pas à la cérémonie en -vains spectateurs. Ils s’arrachent la barbe et les -cheveux et se déchirent le visage en criant : -<i lang="it" xml:lang="it">Ohime ! Ohime !</i> (hélas ! hélas !) Les hommes -en signe de deuil ne se coupent plus la barbe, -et on n’ouvre jamais les croisées jusqu’à ce que -le mort ait été vengé. « Nous connaissons un -gendarme, dit M. Gracieux Faure, qui écrivait -en 1858, dont le père fut tué un vendredi, il y a -plus de vingt ans, et qui depuis cette époque -n’a jamais, en signe de deuil, manqué de jeûner -le vendredi au pain et à l’eau. Nous avons vu -s’ouvrir, en 1858, des volets qui étaient demeurés -fermés depuis 1830 ; voici dans quelle circonstance : -trois jeunes gens avaient été tués -à cette époque ; ils étaient orphelins : leur tante -et leur oncle qui était prêtre, ne pouvant personnellement -les venger, s’enfermèrent chez -eux et se condamnèrent à une réclusion si rigoureuse -que, jusqu’à la fin de leur vie, ni l’un -ni l’autre n’a jamais revu le soleil.</p> - -<p>« Si leurs neveux eussent été vengés par la -mort de trois de leurs ennemis, le deuil eût cessé -par là même, et la maison se fût ouverte -comme par le passé : mais le meurtrier seul -ayant été tué, une demi-persienne seulement -fut ouverte ; l’oncle passa ainsi dix-sept ans, et -sa sœur vingt-huit, au milieu de ténèbres volontaires. -Celle-ci est morte tout récemment -laissant une fortune considérable, et, par son -testament, elle a légué une certaine somme à -ceux qui devaient la porter en terre, à la condition -qu’ils feraient un long détour pour éviter -de passer devant la maison de ses anciens -ennemis. Elle a voulu, en outre, que son cercueil -fût scellé dans le mur, et que la clef en -fût jetée dans le fleuve voisin, pour le cas peu -probable où le tombeau de sa famille deviendrait -la propriété de ses adversaires. »</p> - -<p>Tel est le sort auquel se condamnait, il y a -peu d’années, une famille forcée par des circonstances -exceptionnelles de renoncer à sa -vengeance. Mais ces circonstances étaient excessivement -rares, le sang versé appelait le -sang et la guerre était déclarée. Presque toujours -on avertissait avant de commencer les -hostilités par la formule sacramentelle : « Garde-toi ». -« Le Corse, dit Paul de Saint-Victor, -conserva toujours jusque dans ses crimes une -grandeur native ; la carabine de ces bandits -avait à sa manière l’honneur de l’épée du duel. -Une sorte de droit des gens réglait la guerre -de vendetta ; elle avait ses cartels, ses défis, ses -délais, ses trêves, ses lieux d’asile. Les clauses -de ce code des buissons furent toujours observées -avec une loyauté scrupuleuse. »</p> - -<p>Pour se faire une idée de la profondeur avec -laquelle la vendetta et son code étaient encore -ancrés, il y a vingt ans, dans les mœurs corses, -il suffit de lire cette ordonnance, qui fut affichée -sur le territoire d’un chef-lieu de canton -de l’arrondissement de Sartène :</p> - -<p>« <span class="sc">Article premier.</span> — Il est formellement -interdit de porter des armes sur le territoire de -la commune de Levie.</p> - -<p>« <span class="sc">Art. II.</span> — Exception est faite pour les -personnes notoirement en état d’inimitié. »</p> - -<p>Et notez que le brave homme de maire, qui -a rédigé et fait placarder cette ordonnance en -1886, se considérait comme ayant des idées -très avancées.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Quand le terrible « Garde-toi » avait été -prononcé, la catastrophe était prochaine, à -moins — ce qui était fort rare — que l’un des -partis <i>refusât l’inimitié</i>. Un homme qui avait -été provoqué par un outrage personnel, ou par -le meurtre d’un des siens, n’était pas absolument -et inévitablement tenu à la vengeance. -Cela n’était pas très honorable ; mais on en cite -quelques exemples. Pour refuser l’inimitié, il -n’était pas nécessaire d’avoir directement ou -par autrui, un entretien avec ses ennemis ; il -suffisait de ne porter ni fusil, ni pistolet, ni autres -armes. Dès lors, cet homme devenait inviolable -et on aurait regardé comme lâche et -infâme celui qui l’aurait frappé.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Si l’inimitié a été acceptée, si la famille réunie -en conseil a déclaré que l’honneur exige -une vengeance, on voit immédiatement s’entremettre -les <i lang="it" xml:lang="it">parolanti</i> ou <i lang="it" xml:lang="it">paceri</i> (conciliateurs). -Souvent, par des concessions demandées à propos, -ils faisaient tomber les armes au plus fort -de la lutte et réconciliaient des familles prêtes -à s’entr’égorger. Se portant garants de la sincérité -et de la durée du traité conclu, les <i lang="it" xml:lang="it">paceri</i> -en répondaient sur leur tête et sur leurs biens. -Fallait-il fixer par écrit les conditions de la -paix ? ils se chargeaient de ce soin. Pour qu’ils -pussent se livrer en toute sécurité à cette belle -mission, les <i lang="it" xml:lang="it">paceri</i> jouissaient du privilège de -l’inviolabilité. A leur approche, les hostilités -étaient suspendues, les stylets rentraient dans -le fourreau, et les trêves duraient aussi longtemps -que les négociations pacifiques n’étaient -pas rompues. Le moindre outrage fait à ces -hommes de bien se dévouant pour la paix générale -eût suffi pour déshonorer un parti ou -une race.</p> - -<p>Si les <i lang="it" xml:lang="it">parolanti</i> échouaient, la situation des -familles ennemies devenait épouvantable. Il -n’était pour eux plus de refuge, plus d’abri où -la mort ne les frôlât pas à chaque instant. -Lorsqu’ils voulaient se transporter d’un lieu -dans un autre, dit Salvatore Viale, ils voyageaient -comme les pèlerins de l’Asie en caravane, -avec trois troupes de bretteurs, l’une armée -pour les escorter, les deux autres pour battre -les maquis à droite et à gauche, afin de -rompre ou d’empêcher les embuscades. Tel qui -se trouvait trop pauvre ou dénué d’amis pour -employer ce moyen se croyait au moins obligé -de dissimuler le voyage qu’il allait entreprendre. -La défiance était si grande que non seulement -il cachait ce voyage à ses proches, mais -encore à sa femme et à ses enfants eux-mêmes ; -ou s’il leur disait qu’il allait à la montagne, -c’était pour descendre avec plus de sécurité dans -la plaine. Souvent, il choisissait comme l’heure -le plus favorable à son départ le moment où -éclatait une tempête nocturne. Il comprenait -si bien le danger qu’il allait courir que, dans -ces occasions, il renfermait dans un paquet cacheté -le testament qui contenait ses dernières -volontés. S’il traversait un bois ou longeait un -précipice, il appuyait l’index sur la détente d’un -pistolet et tressaillait au moindre bruit des -branches, menacé à chaque instant par l’apparition -du canon d’un fusil.</p> - -<p>Les murailles dans lesquelles vivaient les -familles en état d’inimitié portaient l’indice -plus ou moins apparent de leur situation ; les -ouvertures étaient à moitié murées comme -celles des monastères et défendues par des mâchicoulis ; -les jardins étaient entourés de remparts : -la terrasse bâtie au-dessus du toit était -protégée par un parapet crénelé. Dans plusieurs -localités, les habitations comportaient un four -et un puits, afin qu’en cas de siège on pût sans -sortir faire face à tous les besoins du ménage. -On reconnaissait facilement l’état d’inimitié -auquel ces demeures étaient soumises lorsque, -contrairement à l’usage, on n’apercevait pas -de linge étendu pour sécher aux fenêtres et que -celles-ci étaient fermées comme dans les lieux -où règne la malaria.</p> - -<p>L’étranger, admis à une hospitalité généreuse, -s’étonnait de voir le chef de famille se promener -le long de la salle, s’avançant ou reculant -tour à tour d’une fenêtre à l’autre dans -l’attitude d’un maître d’escrime. La légende a -gardé le souvenir d’un prêtre qui, par suite -d’une inimitié que lui avaient légué ses ancêtres, -resta dix ans en état de quarantaine domestique. -Fatigué de compter et de mesurer sans -cesse ses pas, il avait tracé des lignes de divers -côtés pour marquer l’espace dans lequel il -pourrait dégourdir ses jambes sans risquer sa -vie.</p> - -<p>Dans certains villages, des générations presque -entières passèrent sans prendre aucune -part à la vie sociale. On assure que dans l’arrondissement -de Sartène, de petits enfants, -portés sur les fonts baptismaux le jour de -leur naissance, ne purent reparaître à l’église -qu’après que l’âge eut blanchi leurs cheveux.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Quelquefois en approchant d’une maison -d’aspect inhabité, le voyageur lisait, collée sur -un arbre, à quelques mètres de l’habitation, une -affiche ainsi conçue :</p> - -<p>« Il est défendu à tout médecin, notaire, curé, -fonctionnaire public, soldat, gendarme, ouvrier, -de porter secours et assistance à X… »</p> - -<p>Ces avis étaient généralement plus respectés -que ceux que placardent les agents de l’autorité. -Pour avoir contrevenu à une interdiction -de ce genre, un Lucquois eut l’oreille coupée. -Le moindre accident qui puisse arriver au délinquant -est d’être mis à nu et fustigé avec un -faisceau de verges et d’orties. L’exécution a -toujours lieu en présence de témoins pour que -l’exemple en soit salutaire.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch4">LE BANDITISME</h2> - - -<p>Autrefois, un acte de vengeance ne poussait -pas toujours dans le maquis l’individu qui s’en -était rendu socialement coupable. Par suite de -la répression, le nombre des bandits a considérablement -augmenté proportionnellement -aux meurtres relevés dans l’île. Il va de soi -que tout <i>prévenu</i> qui se refuse à reconnaître -l’arbitrage des tribunaux se trouve par là même -hors la loi. C’est le <i>bandit</i>.</p> - -<p>La Corse est le seul pays où le mot <i>bandit</i> -soit encore employé dans son acception primitive : -banni. Il désigne, non pas celui qui fait -partie d’une <i>bande</i>, mais l’individu au ban de -la société, qui justement vit presque toujours -isolé.</p> - -<p>Cependant, l’acception injurieuse du mot se -généralisant, les Corses, pour exprimer l’état -d’un compatriote qui a pris le maquis, disent -qu’« il est dans le malheur ». Cette locution, -d’un fatalisme douloureux, est souvent justifiée.</p> - -<p>Le bandit n’est pas toujours un criminel, pas -même un meurtrier ; les condamnations à quelques -jours de prison pour un simple délit, les -contraventions les plus futiles, la loi du recrutement, -auquel la population, malgré ses goûts -belliqueux, se montrait assez réfractaire, les -luttes électorales, plus chaudes en Corse que -partout ailleurs, ont jeté des quantités d’insulaires -dans le maquis. Tous n’y restèrent pas, et -nous pourrions citer plus d’un bandit qui a -fourni par la suite une très honorable carrière -dans l’administration ou dans l’armée. D’autres -entraînés par les circonstances ont fait de -nombreuses victimes et ont fini par porter leur -tête sur l’échafaud. Cependant, on peut dire -du banditisme, comme du journalisme, qu’il -mène à tout, à la condition d’en sortir.</p> - -<p>Les bandits d’autrefois furent des personnages -quasi-historiques : s’ils se trouvèrent -hors la loi, ce fut plus comme adversaires du -gouvernement que comme criminels. Nul ne -songeait guère à leur reprocher leurs actes -de <i lang="it" xml:lang="it">vendette</i> ; mais leur ambition, leur influence -sur les masses et l’usage qu’ils en faisaient -les rendaient dangereux pour la <i>tranquillité de -l’Etat</i>. Quand ils voulaient venir à composition -et se mettre au service du gouvernement, ils -étaient bien accueillis et bien rétribués, non -seulement les grands chefs, qui maniaient des -milliers d’hommes, mais encore les plus vulgaires -assassins<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> Lire dans la <i>Vendetta dans l’histoire</i>, les biographies -de Giudice delle Rocca et de Ferrando da -Quenza. On trouvera plus loin celle de Sampiero -Corso, père et grand-père de maréchaux de France.</p> -</div> -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>En 1768, la Corse étant passée sous la domination -française, le nouveau régime se montra -trop sévère, car il oublia souvent qu’il avait -affaire non à des criminels de droit commun, -mais à des hommes qui ne voulaient pas plus -reconnaître au roi de France le droit de les -acheter qu’à la république celui de les vendre.</p> - -<p>Le premier édit concernant la vendetta est -du mois de juin de 1769. Il est ainsi conçu : -« L’assassinat prémédité avec guet-apens sera -puni du supplice de la roue. Voulons que, en -cas qu’il ait été commis par vengeance ou querelle -de famille, en haine transmise, la maison -du coupable soit rasée et sa postérité déclarée -incapable de remplir jamais aucune fonction -publique. »</p> - -<p>Les ordonnances de mars et de juin 1770 -s’expriment ainsi :</p> - -<p>« Ceux de nos sujets corses qui seront arrêtés -porteurs d’armes à feu, ou dans les maisons -desquels il en sera trouvé, seront punis de -mort. La peine de mort sera prononcée contre -les malfaiteurs connus dans l’île sous le nom -de bandits.</p> - -<p>« Considérant que les bandits n’ont pour but -que le vol et l’assassinat, en vertu des pouvoirs -à nous donnés par Sa Majesté, déclarons par ces -présentes que dans la marche que nous allons -faire contre les bandits, ceux qui seront pris -seront pendus, à l’heure même, au premier arbre -et sans autre forme de procès. »</p> - -<p>La justice ne se contenta pas d’exécuter les -édits à la lettre ; elle inventa des supplices -nouveaux contre les gens qui portaient des armes -sans permission. Quand on en trouvait, on -pliait deux grosses branches d’arbres de façon -à les rapprocher, à l’une on attachait les jambes, -à l’autre les bras du coupable, puis on rendait -à l’arbre sa liberté. Les branches en reprenant -leur position naturelle brisaient le -corps du supplicié.</p> - -<p>Il est vrai qu’au <small>XVIII</small><sup>e</sup> siècle il exista des -bandits qui eussent été plus justement qualifiés -brigands. Jaussin, pharmacien en chef de -l’armée française en 1739, raconte le fait suivant qui -est particulièrement typique :</p> - -<p>Il avait logé trois semaines chez un prétendu -bourgeois qui avait de bonnes manières et une -maison de belle apparence. Il lui laissa donc -avec confiance sa cassette contenant pour 4.000 -livres d’argenterie, de bijoux et d’argent qui, -à son retour, lui fut remise intacte.</p> - -<p>Ce fidèle dépositaire n’était, toutefois, ainsi -que ses deux frères, son oncle et son cousin, -qu’un <i lang="it" xml:lang="it">ladro publico</i> (voleur public), la bande -assassina vers ce temps plusieurs soldats, vivandiers -et autres passants.</p> - -<p>Le chef, arrêté et conduit à Ajaccio, fut interrogé -devant <i>l’apothicaire-major</i>, qui, s’étonnant -de ce qu’il ne l’avait ni volé, ni assassiné -au lieu des pauvres hères qu’il avait dépouillés, -reçut pour réponse : « Je m’en serais bien -gardé, monsieur, c’eût été violer les lois de -l’hospitalité. »</p> - -<p>Jaussin sollicite sa grâce, et l’obtint sous -condition qu’il servirait dans le Royal-Corse. -Après quelques mois, il déserta pour retourner -à son premier métier.</p> - -<p>Ce respect de l’hospitalité fut toujours un -des points caractéristiques de la race corse, -même parmi les gens en état d’inimitié.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Napoléon disait à Sainte-Hélène : « Je voulais -consacrer trente mille hommes à la pacification -de la Corse et trente millions à sa prospérité, -mais absorbé par les soins de la guerre -et les affaires du continent, j’avais renvoyé à la -paix l’exécution de ce dessein ; le temps m’a -manqué. » La Corse, sous l’Empire, progressa -peu ; elle n’eut pas à se louer, dit-on, de Miot -et des autres administrateurs que le continent -lui envoya. Le général Morand les dépassa -tous. En 1808, il s’imagina que les Anglais recrutaient -des soldats dans le Fiumorbo. Par -un procédé indigne d’un soldat, il s’empara de -cent cinquante-huit suspects, qui furent garrottés -et emmenés comme des criminels. Dix d’entre -eux furent fusillés. Les autres, déportés à -Embrun, y périrent du climat et des mauvais -traitements, à l’exception d’une vingtaine que -l’on rapatria en 1810.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Le gouvernement de la Restauration supposant, -non sans quelque raison, que les Corses -resteraient en grande majorité attachés à la -dynastie impériale, soumit malencontreusement -l’île à des lois d’exception. Une maladresse du -général Berthier causa les premiers malentendus. -Celui-ci, dès 1814, frappait le département -d’une contribution extraordinaire de -500.000 francs sous prétexte que les besoins -impérieux du service public l’exigeaient. Les -gros contribuables de Bastia (taxée pour sa -part à cent mille francs) prirent une résolution -énergique. L’un d’eux se rend chez le sous-préfet -qui l’accueille à peu près en ces termes : -« Je sais que vous êtes une douzaine de -désespérés qui n’avez rien à perdre, et qui voulez -provoquer un mouvement populaire à la -faveur duquel vous comptez gagner quelque -chose ; mais vos mesures sont mal prises ; l’autorité -n’ignore rien ; elle saura prévenir vos -desseins et punir les coupables.</p> - -<p>— Eh bien, monsieur, répondit l’autre, puisque -vous êtes si bien instruit, que tardez-vous -à agir ? Vous n’avez point de temps à perdre, -car, dans l’instant même, vous allez cesser d’être -sous-préfet, et, avant deux heures, il y aura -probablement de la <i>chair fraîche</i> dans la ville. »</p> - -<p>Il sortit en disant ces mots et rencontra sur -l’escalier un des principaux chefs de la conspiration, -qui montait à la sous-préfecture. Ils -retournèrent ensemble pour avertir leurs amis -et ameuter le peuple.</p> - -<p>Il était onze heures du matin. Le sous-préfet -et le maire, pour empêcher le désordre, coururent -chez le général commandant la place, -mais celui-ci n’avait pas encore mis ses bottes -que la citadelle était prise par les conjurés.</p> - -<p>Nous passerons rapidement sur les détails de -cette affaire héroï-comique qu’il nous fallait -tout au moins rappeler pour expliquer la sévérité -du régime de Louis XVIII. Alors que le -reste de la France bénéficiait de l’institution -des jurys, le gouvernement maintint à Bastia -une cour prévôtale dont les décisions, empreintes -d’une rigueur excessive, réveillèrent les -passions. Les préfets voulurent rattacher quelques -crimes ordinaires à des ramifications politiques ; -on abusa de la guillotine, et l’opinion -publique s’émut de voir tomber des têtes innocentes.</p> - -<p>Ces maladresses, auxquelles s’ajoutèrent de -véritables dénis de justice, indignèrent l’opinion -publique. On manifesta ouvertement en -faveur des bandits qui s’affilièrent aux sociétés -secrètes et se firent presque tous carbonari. D’anciens -soldats de Napoléon, d’anciens officiers -même se mêlèrent à eux et les dirigèrent. Enfin, -les traités d’extradition coupant aux bandits -toute retraite, ils s’organisèrent en bandes -et se donnèrent des chefs, des constitutions. Ils -devinrent alors réellement redoutables.</p> - -<p>En 1816, le marquis de Rivière, gouverneur -de la Corse, dans un accès de zèle intempestif, -résolut de saisir les diamants de Murat que celui-ci -avait confiés à un ancien officier de l’empereur, -le commandant Poli. — Ce dernier les -avait mis en dépôt ; il ne refusa pas de les remettre -à Rivière, mais il allégua qu’il ne pouvait -toucher au dépôt sans l’autorisation des -héritiers du roi de Naples. Irrité, le gouverneur -fit perquisitionner chez toutes les personnes -qu’il supposait avoir eu des relations avec Murat, -chez leurs parents et leurs amis. Ce fut -ainsi que la femme du général Franceschetti, -fille du notaire Colonna Ceccaldi, chez qui Murat -avait déjà reçu l’hospitalité à Vescovato, -fut dépouillée de tous ses vêtements par ordre -du préfet. On ne trouva rien. Rivière, accompagné -du général Delaunay, commandant la division, -et du préfet Saint-Genest, entreprit contre -le commandant Poli, une bruyante expédition -qui sombra dans le ridicule. Il perdit des -hommes, se vit dépouiller de ses bagages et -s’enfuit en laissant un nombre important de -prisonniers. Sans la présence d’esprit d’un officier -qui coupa la corde qui remorquait le -gouverneur, celui-ci était pris au lasso par un -habile montagnard.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Déconsidéré par cette burlesque expédition -dont Rivière vengea la honte sur deux malheureux -jeunes gens accusés de carbonarisme, le -gouvernement de la Restauration s’aliéna toutes -les sympathies. Ce fut l’âge d’or du banditisme. -Ce fut l’époque où les bandits les plus -notoires, condamnés plusieurs fois à mort, se -montraient au théâtre dans une loge voisine -de celle du préfet ; où l’administration et la -justice rencontrèrent contre elles coalisées toutes -les forces de la Corse. Comme presque toutes -les familles avaient quelqu’un de ses membres -dans le maquis, le pouvoir eut tout le -monde contre lui.</p> - -<p>Le maire d’une commune d’Ajaccio possédait -une maison à deux étages, le premier était occupé -par le propriétaire et par sa famille ; il -avait loué le rez-de-chaussée à la gendarmerie -et le second était habité par des locataires -moins notoires, mais faisant tous profession de -banditisme. Tandis que les gendarmes battaient -nuit et jour la campagne, ceux-ci vidaient tranquillement -quelques bouteilles, jouant à la -<span lang="it" xml:lang="it">scopa</span> avec le maire et ses adjoints. Cela dura -près d’une année et quand on connut la retraite -des bandits, on voulut procéder à leur arrestation. -Inutile, avertis à temps ils avaient changé -de domicile.</p> - -<p>Le curé de Poggio-di-Nazza, dans le Fiumorbo, -prenant, en 1818, possession de sa paroisse -et sachant que ses ouailles nourrissaient -des sentiments hostiles à son égard, entra dans -l’église armé à la façon des bandits. Comme on -s’en étonnait, il déposa son fusil contre l’autel -en disant : « Voici le Père », puis plaçant un -pistolet sur l’autel : « Voici le Fils », et tirant -de sa soutane un stylet, il ajouta « Voici -le Saint-Esprit ».</p> - -<p>Les protestations contre lui furent dès lors -plus discrètes.</p> - -<p>Dans le Fiumorbo, un chef de bande était à -la fois juge de paix du canton et maire de son -village. Quand on requérait ses bons offices, il -s’avançait le chapeau à la main : « Qui désirez-vous, -disait-il en souriant : est-ce le juge -de paix ou le maire ? car, si c’était le bandit ?… » -Un geste vers son fusil déposé dans un -coin de la salle complétait la phrase.</p> - -<p>On raconte que cet énergique individu, qui -n’avait pas alors plus de vingt-cinq ans, est -mort officier de la Légion d’honneur et membre -du conseil général.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Le plus célèbre chef de bande était alors -Théodore Poli<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a>, surnommé le Roi de la Montagne : -tous les bandits sollicitaient l’honneur -de servir sous ses ordres. Avec ses compagnons -Gallocchio et Gambini, il s’empara un jour du -bourreau de Bastia et le fit fusiller à trois cents -mètres du tribunal, à l’endroit même où un de -ses hommes avait été exécuté quelques jours -auparavant.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Il n’avait aucun lien de parenté, même éloignée, -avec le commandant Poli.</p> -</div> -<p>La bande subvenait à ses besoins par des -contributions levées sur les fonctionnaires et les -curés.</p> - -<p>« Messieurs, disait Théodore à ces derniers, -vous n’avez ni femme ni enfants, vous pouvez -contribuer à notre entretien. Pour vous éviter -tout dérangement, un collecteur se présentera -chez vous tous les mois, recevra l’impôt et vous -donnera quittance. »</p> - -<p>Les ecclésiastiques se soumirent, seul le curé -de Guillaza envoya brutalement promener -le percepteur. Théodore jugea que cette résistance -était d’un mauvais exemple et pouvait -devenir contagieuse. Le lendemain, il se rendit -en personne au presbytère. Le curé était un -homme déterminé, qui avait calculé la portée -de ses actes, et s’était décidé à ne plus sortir -qu’avec son fusil. Il disait sa messe lorsque -Théodore, accompagné de deux de ses lieutenants, -entre dans l’église et s’agenouille pieusement. -La cérémonie terminée, le Roi de la -Montagne s’approche du curé et lui dit :</p> - -<p>— Vous êtes encore à jeun, envoyez cet enfant -dire à votre servante de vous apporter à -manger. Seulement, il est inutile qu’elle vous -apporte du vin, attendu que celui de ma gourde -vaut probablement mieux que le vôtre.</p> - -<p>Seul contre trois, le curé est forcé d’obéir ; -la servante arrive, il mange de bon appétit, et -fait même honneur au vin de Théodore, pour -lui montrer que sa présence ne l’impressionne -pas. Celui-ci, de son côté, a la discrétion de ne -faire aucune allusion à l’objet de sa visite, -mais dès que le repas est terminé :</p> - -<p>— Eh bien, monsieur le curé, êtes-vous disposé -à réparer l’injure qu’hier vous m’avez -faite et à payer l’impôt ?</p> - -<p>— Moins que jamais.</p> - -<p>— Et pourquoi ?</p> - -<p>— Parce que vous n’avez aucun droit de lever -des contributions.</p> - -<p>— Il me serait pénible d’user à votre égard -de mon autorité ; veuillez, s’il vous plaît, nous -épargner à tous deux ce désagrément.</p> - -<p>— Je ne payerai pas.</p> - -<p>— C’est votre dernier mot ?</p> - -<p>— Oui.</p> - -<p>— Saisissez monsieur le curé, et couchez-le -par terre.</p> - -<p>En un instant, l’ecclésiastique saisi par quatre -mains de fer est étendu sur le dos.</p> - -<p>— Persistez-vous toujours ? reprend le bandit.</p> - -<p>— Toujours.</p> - -<p>— Brusco, allume !</p> - -<p>Et aussitôt, sans faire la moindre observation, -Brusco allume une de ces torches en bois -résineux que les bandits portaient toujours, -pour s’éclairer au besoin pendant la nuit, et -met le feu par le bas aux vêtements du prisonnier. -Celui-ci sentant déjà la flamme demande -qu’on éteigne et offre de payer.</p> - -<p>— Voici mes dix francs.</p> - -<p>— Ceci est pour l’impôt, mais, en punition -de votre conduite, vous voudrez bien y ajouter -cent cinquante francs à titre d’amende ; total -cent soixante. Vous devrez vous estimer heureux -d’en être quitte à si peu de frais. Seulement, -pas de récidive.</p> - -<p>Il fallut payer bon gré, mal gré. Grâce à cet -acte de rigueur, Théodore vit l’impôt ecclésiastique -rentrer désormais sans difficulté chaque -mois, et son trésor se remplir tout seul pour -ainsi dire sans qu’il eût besoin de s’en mêler -davantage.</p> - -<p>Le budget assuré, restait la question du vêtement -et de la chaussure. Les bandits étaient -plus forts qu’il ne fallait pour emporter d’assaut -les villages et la plupart des villes de Corse -et dévaliser les magasins ; mais ce moyen -aurait eu de graves inconvénients, le premier -de leur créer une multitude d’ennemis ; le second -de nuire à leur réputation de probité, à -laquelle le plus grand nombre tenait sincèrement. -Théodore résolut donc, au lieu de s’adresser -aux marchands de drap et aux cordonniers, -de mettre à contribution la gendarmerie -en personne.</p> - -<p>— De cette façon, disait-il, comme le traitement -du clergé et les appointements des gendarmes -leur viennent de l’Etat, en définitive, ce -sera l’Etat qui aura l’honneur de nous salarier -indirectement.</p> - -<p>Toutefois, ajoute M. Gracieux Faure, à qui -nous devons ces pittoresques détails, la méthode -employée à l’égard du clergé n’était point -applicable aux gendarmes, car ceux-ci n’étaient -pas d’humeur à se laisser attirer dans la montagne -pour se dépouiller de leurs vêtements et -les céder aux bandits. Il fut donc arrêté que, -vu le peu d’espoir qu’il y avait à les décider à -apporter volontairement leur tribut, on irait -le chercher soi-même jusque dans l’intérieur -des casernes.</p> - -<p>Dans la troupe de Théodore, tout individu -convaincu d’attentat à la propriété privée était -rayé des contrôles. Si le cas était assez grave -pour compromettre la <i>dignité</i> du banditisme, -le délinquant était passé par les armes.</p> - -<p>Les bandits généralement respectueux de la -vie de leurs compatriotes et des étrangers ne -ménageaient pas la force publique représentée -par la magistrature judiciaire : en 1820, un -juge d’instruction, nommé Colonna d’Istria, fut -tué sur la route d’Ajaccio à Bastelica où il -avait commencé une information criminelle ; -en 1832, M. de Susini, procureur du roi à Sartène, -fut assassiné par un contumace qu’il -avait été obligé de poursuivre. Théodore attaqua -lui-même le conseiller Arena dans la forêt -de Vizzavona.</p> - -<p>Ces traditions se sont pieusement conservées -dans le maquis ; on put voir, il y a peu d’années, -un bandit coiffé du képi préfectoral : il -en avait lui-même effectué la saisie sur la tête -du premier magistrat de son département, dont -le prestige se trouva, de ce chef, considérablement -amoindri.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>A côté des magistrats et des gendarmes, figurait -une catégorie d’individus envers laquelle -les bandits se montraient inexorables, c’était -celle des témoins qui avaient déposé contre eux -devant les tribunaux. Les représailles qu’ils -exerçaient furent telles qu’on en arriva à ne -plus trouver de témoins pour affirmer les faits -les plus notoires : « Il est, disait M. Bertrand, -avocat général à la Cour de Bastia, quelquefois -difficile de faire répéter, en Cour d’assises, devant -l’accusé, la vérité dite au juge d’instruction -dans le tête-à-tête du cabinet.</p> - -<p>« — <span lang="it" xml:lang="it">L’avete veduto, si o no ?</span> (L’avez-vous -vu, oui ou non ?) demande le président.</p> - -<p>« — <span lang="it" xml:lang="it">Si, Signor, ma non sono sicuro, li occhi -sono fatti d’acqua.</span> (Oui monsieur, mais je ne -suis pas sûr, les yeux <i>sont faits d’eau</i>) répond -le témoin, voulant, par là, dire que l’organe de -la vue est imparfait et qu’une erreur est possible.</p> - -<p>La dénonciation et le faux témoignage, quoique -rares, ont été le prélude de sanglantes <i lang="it" xml:lang="it">vendette</i> -et ont frayé la carrière de plus d’un bandit. -Vers 1860, un jeune homme appartenant à -la famille Giacomoni, une des meilleures du -canton de Sainte-Lucie-de-Tallano, fut condamné -injustement aux travaux forcés comme -assassin. Deux dépositions provenant l’une d’un -juge de paix, l’autre d’un médecin, avaient contribué -pour une grande part à sa condamnation : -« Que j’aie les yeux crevés comme Sainte-Lucie, -si je mens ! » avait dit le magistrat -devant le tribunal. Persuadé de l’innocence du -condamné, son frère qui terminait ses études -sur le continent, s’embarqua pour la Corse, arrive -de nuit chez le juge de paix, le confesse, -et lui fait répéter la formule de son serment. -Quand l’autre a obéi sous l’impulsion de la terreur, -de son poignard il lui fait sauter les deux -yeux. Depuis, on ne l’appela plus que Sainte-Lucie.</p> - -<p>D’accord avec un autre de ses frères, il adressa -au médecin le billet suivant :</p> - -<blockquote> -<p class="ind">« De la montagne,</p> - -<p>« Nous avons l’honneur de vous informer -que lorsque la Providence nous fera la grâce -de vous mettre sur notre chemin, le moindre -déplaisir qui puisse vous arriver est l’ablation -du nez et des oreilles. Notre courtoisie -et notre éducation ne nous permettent -pas de vous surprendre sans vous avoir correctement -prévenu.</p> - -<p class="sign">« <span class="small">SAINTE-LUCIE</span> et <span class="small">GIACOMONI</span>. »</p> -</blockquote> - -<p>Effrayé, le docteur se retira à Ajaccio, où il -eut l’imprudence de se croire en sûreté. Pendant -quelques semaines il put supposer que -son persécuteur l’avait oublié. Il n’en était rien.</p> - -<p>Appelé par un malade, il passait un jour devant -le portique de Notre-Dame, quand il se vit -interpeller.</p> - -<p>— Un mot, docteur !</p> - -<p>Avant qu’il ait pu se reconnaître, Sainte-Lucie -lui déchargeait son pistolet dans la poitrine.</p> - -<p>On pourrait croire que ce meurtre commis en -plein jour, devant une cathédrale, dans un -chef-lieu de département, n’est pas resté impuni. -Détrompez-vous : voici ce qui arriva.</p> - -<p>Pendant que l’on portait secours à la victime, -Sainte-Lucie s’éloigna. Le premier moment -de stupeur passé, plusieurs personnes se lancèrent -à sa poursuite. Sur le point d’être atteint, -le bandit s’arrêta brusquement, et mettant -à découvert un long stylet, il attendit les -assaillants d’une mine si ferme que les plus -courageux reculèrent.</p> - -<p>Profitant de leur hésitation, Sainte-Lucie se -mit à fuir vers la porte de la ville. Un douanier -dont l’attention avait été éveillée par les -cris de la foule le coucha en joue : « Arrête, -s’écria l’assassin, je me rends. » Et s’approchant -dans l’attitude de la soumission, il saisit -le canon du fusil qu’il arracha des mains du -douanier poignardé.</p> - -<p>On le vit, après cet exploit, muni de son trophée, -se diriger au pas de course vers la plage, -puis quitter la route qui borde le golfe pour -disparaître dans la montagne.</p> - -<p>Sainte-Lucie fut par la suite un des plus fameux -bandits de l’île. Très supérieur à la masse -par son éducation, il jouissait d’une autorité -sans bornes sur les autres bandits. En 1847, il -quitta la Corse avec le consentement tacite des -autorités. L’année suivante, il était capitaine -dans l’armée romaine. Quelque temps après, il -vint à Paris où il excita la curiosité des journalistes. -L’un d’eux, Germond de Lavigne, lui -consacra toute une série de chroniques dans <i>la -Liberté</i>.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Nous avons dit tout à l’heure qu’en 1820, -M. Colonna d’Istria, juge d’instruction, fut assassiné -sur la route d’Ajaccio à Bastelica. Un -bandit appelé le <i>Rosso</i> (le Roux) fut accusé de -ce crime, et il se trouva des témoins pour déposer -contre lui. Le Rosso était innocent ; il -passait pour très honnête et très scrupuleux ; -sa mauvaise étoile et les préjugés locaux l’avaient -jeté dans le maquis, mais sa douceur -et sa probité étaient connues de tous. Cependant, -sur la déposition d’ennemis personnels, -il fut condamné à mort — par défaut naturellement.</p> - -<p>Jusque-là, le Rosso, loin de chercher à se -faire redouter, s’était appliqué à vivre en bonne -intelligence avec ses compatriotes et à mériter -leur estime. Cette condamnation le remplit -de douleur et de colère. Le premier des -faux témoins qu’il rencontre est un nommé -<i>Pasqualini</i>. Il tire dessus et lui casse un bras. -Pasqualini se précipite dans un groupe de -paysannes qui passaient avec leurs fagots sur -la tête en criant : « Sauvez-moi, sauvez-moi ». -Elles jettent bas leurs fardeaux et lui font un -rempart de leur corps. Le Rosso arrive implacable, -l’arrache de leurs bras et l’achève à -coups de stylet sous leurs yeux en disant : « Il -m’a fait condamner injustement à mort, et moi -je l’exécute avec justice. »</p> - -<p>Les autres témoins succombèrent, l’un après -l’autre, sous ses coups. Quand il eut <i>lavé son -honneur</i> dans le sang de ses ennemis, il gagna -la plage et se fit conduire en Sardaigne. Il mourut -gardien d’un fanal dans l’île d’Asinara.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>L’organisation bien entendue des bandits ne -permettait plus à la gendarmerie de lutter contre -eux. C’est pourquoi en 1823 on créa un bataillon -de <i>voltigeurs corses</i>, composé uniquement -de volontaires. Ces soldats, qui connaissaient -admirablement les mœurs, la langue et -la nature physique du pays, firent des prodiges, -mais il ne leur fallut pas moins de dix-sept -ans pour rétablir l’ordre et la sécurité. On -licencia le bataillon en 1850 ; malgré le progrès -obtenu, les préfets purent s’apercevoir que -cette mesure était prématurée.</p> - -<p>En effet, le banditisme, quoique réduit à des -individualités, ne disparut pas plus que la vendetta. -Pour quelques-uns, il fut encore une -carrière : témoins les fameux Bellacoscia dont -le plus jeune est mort en 1907. Dès 1869, Napoléon -III, à qui on demandait leur grâce, dut -refuser à cause de la complication de leur casier -judiciaire. Les magistrats de la république, -comme ceux des régimes qui avaient -précédé, les condamnèrent à mort un certain -nombre de fois. Ils ne s’en portèrent pas plus -mal, continuèrent à lever des impôts dans leur -canton, à exécuter des <i>contribuables</i> récalcitrants, -à recevoir les visites des voyageurs notables -et à assurer l’élection du candidat de -leur choix dans l’arrondissement d’Ajaccio.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch5">SAMPIERO CORSO</h2> - - -<p>A l’attaque de Borgo-Forte en 1526, le commandant -des troupes pontificales fut blessé -grièvement à la cuisse d’un coup de fauconneau. -Il s’appelait Jean de Médicis et était âgé de -vingt-huit ans. L’ablation immédiate de la -jambe ayant été jugée nécessaire, il éclaira lui-même -le chirurgien et ne voulut supporter que -personne tînt la bougie pendant cette cruelle -opération.</p> - -<p>Il mourut huit jours après. Ses soldats prirent -le deuil, et arborèrent leurs bannières et -leurs enseignes noires. Ce qui leur fit donner -le nom de <i>Bandes-Noires</i>.</p> - -<p>Du vivant de Jean de Médicis, n’entrait pas -qui voulait dans ces terribles bandes. Pour être -enrôlé, il fallait passer sous les yeux du maître. -Si le candidat plaisait, on l’invitait à montrer -sa force et son adresse en luttant avec les -vieux soldats éprouvés. Quand un soldat briguait -la haute paye, il venait s’offrir aux coups -du général qui jugeait lui-même de l’habileté -et de la résistance du sujet. Et comme pour -obtenir un avancement il fallait que le candidat -vainquît à pied et à cheval un gradé qui ne devait -sa position qu’à ses succès dans une épreuve -analogue, Jean de Médicis perfectionnait chaque -jour les cadres de ses troupes. Les exploits -étaient récompensés largement ; les lâches -étaient renvoyés quand ils n’étaient pas -poignardés de la main du général.</p> - -<p>Après avoir débuté dans les rangs les plus -infimes, le corse Sampiero da Bastelica était -parvenu, tout jeune, aux grades les plus élevés. -On racontait de lui des choses surprenantes : -il avait abattu un taureau furieux d’un -seul coup d’épée. Attaqué un jour inopinément -par sept hommes armés, il en tue deux et déploie -une vigueur si terrible que les cinq autres -prennent la fuite<a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>. A Rome, raconte Brantôme, -il offre à l’ambassadeur de France de -mettre fin aux guerres impériales en se saisissant -de Charles-Quint, quand il passerait sur -le pont Saint-Ange, au milieu de ses chevaliers, -et en le précipitant dans le Tibre.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Carboni, <i lang="it" xml:lang="it">Compendio della storia ligure</i>.</p> -</div> -<p>Un duel qu’il eut avec un de ses collègues, -quand il servait sous les ordres de Jean de -Médicis, achèvera le portrait de ce soldat dont -ses contemporains admirèrent la bravoure et -l’énergie constante au milieu des circonstances -les plus pénibles d’une vie bizarrement accidentée.</p> - -<p>Sampiero Corso et Giovanni da Torino étaient -donc en désaccord. Jean de Médicis, connaissant -leur humeur et sachant que ce désaccord -était appelé à un dénouement tragique s’il n’y -mettait ordre, employa tous les moyens qu’il -avait en son pouvoir pour les réconcilier. N’y -pouvant parvenir, de dépit, il déchira sa cape -en deux, leur en donna chacun la moitié et -deux bonnes épées. Puis il les enferma dans -une salle, en leur disant qu’ils en sortiraient -quand ils se seraient mis d’accord.</p> - -<p>Sans préambules inutiles, <i>ils furent tout de -suite d’accord</i> pour en venir aux mains. Giovanni -da Torino « donna, dit Brantôme, une estocade -au front de Sampiero, petite pourtant, -mais d’importance, d’autant que le sang lui -commença aussitôt à lui couler sur les yeux et -le long du visage, si bien qu’à tous les coups, il -lui fallait porter la main pour essuyer ses -yeux. »</p> - -<p>Alors Giovanni da Torino abaissant son épée, -lui dit :</p> - -<p>— Sampiero Corso, arrête-toi et bande un -peu ta plaie.</p> - -<p>L’autre le prit au mot, sortit son mouchoir -et banda sa blessure le mieux qu’il put. Puis -le combat recommença, mais avec une telle -âpreté que Sampiero fit sauter au loin l’épée -de Giovanni. Ce fut au tour de Sampiero à suspendre -le combat en disant à son adversaire :</p> - -<p>— Giovanni da Torino, ramasse ton épée, car -je ne veux pas profiter d’un avantage pour te -blesser.</p> - -<p>On pourrait supposer qu’après cet échange de -courtoisies, les deux champions étaient bien -près de se tendre la main et de faire la paix. -Ils n’y pensaient même pas, et les gens qui suivaient -les péripéties du combat à travers les -fentes des portes, les virent se porter des coups -tels que d’un commun accord, ils vinrent supplier -Giovanni de Médicis d’intervenir.</p> - -<p>Quand celui-ci entra dans la salle, il les trouva -« tous deux, l’un deçà et l’autre delà, tombés -et couchés par terre, n’en pouvant plus, -pour les grandes blessures qu’ils s’étaient entredonnées -et du grand sang répandu. »</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>En 1545, Sampiero se rendait en Corse où -il épousait Vannina, fille de Francesco, seigneur -d’Ornano, mais Sampiero n’était pas un -homme que l’amour arrache à ses ambitions. -Il était marié depuis peu, lorsqu’il apprit que -Pier Lugi Farnese (fils du pape Paul III), généralissime -des troupes de l’Eglise, venait d’être -tué. Laissant sa femme à Santa-Maria d’Ornano, -chez son père, il s’embarqua pour Civita -Vecchia, et courut à Rome solliciter un poste -auquel sa bravoure et sa réputation le semblaient -désigner. Mais ses espérances ne s’étant -pas réalisées, il revint presque aussitôt.</p> - -<p>Au cours de son voyage, Sampiero avait eu, -disait-on, une conférence intime avec Cesare -Fregoso, génois considérable, mais exilé et -alors au service du roi de France. Il avait été -décidé dans cette entrevue, au dire de rapports -d’espions, que Sampiero irait en Corse, et tenterait -de s’emparer par surprise de la forteresse -de Bonifacio, afin de pouvoir entraîner -plus facilement les populations de l’île à la révolte.</p> - -<p>Vraies ou supposées, ces menées inquiétèrent -la Banque de San-Giorgio, qui était alors -souveraine de la Corse et le gouverneur Giovan-Maria -Spinola fut avisé d’avoir à procéder -à l’arrestation de Sampiero. Celui-ci appelé à -Bastia, s’y rendit avec Francesco d’Ornano, ce -dont il se repentit sur le champ car le gouverneur -le retint dans la citadelle. Francesco -passa aussitôt sur le continent, et informa le -roi de cette arrestation non justifiée. Henri II -envoya des députés à Gênes et Sampiero fut -remis en liberté.</p> - -<p>Il était temps : le gouverneur avait bien reconnu -l’inconsistance de l’accusation, mais, -ayant pu apprécier le caractère énergique et -vindicatif de Sampiero, sachant son influence -sur les populations, il était convaincu d’éviter -à sa patrie de terribles dangers en le faisant -mettre à mort.</p> - -<p>Libre, Sampiero ne se fit point d’illusion sur -l’importance du péril auquel il venait d’échapper. -Et l’on peut déclarer hardiment que dès -l’instant où il fut hors de sa prison, Sampiero -déclara la <i>vendetta</i> à la république.</p> - -<p>Il employa dès lors son activité à lui susciter -des ennemis. Lié avec le cardinal du Bellay, il -fit rappeler par celui-ci au roi Henri II les projets -de son père sur la Corse ; l’île était possession -génoise et Gênes l’alliée de Charles-Quint : -la conquête en serait facile. En 1553, -l’expédition fut décidée.</p> - -<p>La campagne des Français en Corse, la soumission -de l’île sont du ressort de l’histoire -générale. Sampiero se montra à la hauteur des -circonstances et justifia l’espoir que le roi -avait mis en lui. Malheureusement, le traité -de Cateau-Cambresis qui enlevait plus à la -France en un jour « qu’on ne lui aurait ôté -en trente ans de revers » rendit la Corse aux -Génois.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Mais Sampiero n’oubliait pas. Pendant quatre -ans, il ne cessa de parcourir l’Europe, sollicitant -de tous aide et secours. Reçu par les -cours de Navarre et de Florence avec beaucoup -d’égards, il n’en obtint cependant que des promesses. -Il résolut alors de s’adresser aux princes -musulmans. Khaïr-Eddin Barberousse, le -célèbre corsaire, l’accueillit en Alger avec de -grands honneurs. Il s’apprêtait à se rendre à -Constantinople, quand il reçut l’accablante nouvelle -que sa femme entretenait des intelligences -avec les Génois, qu’elle avait tenté de s’enfuir -et que sans l’intervention d’Antonio da -San-Firenzo, son ami dévoué, qui l’avait retenue, -elle emportait son fils à Gênes où elle -avait décidé de se retirer.</p> - -<p>Ce fut un coup de foudre pour Sampiero -qui s’empressa de rentrer à Marseille. Là, un -de ses compatriotes, riche négociant, Tomaso -Lencio, le mit au courant des moindres détails -de l’affaire à laquelle certains écrivains ont -voulu mêler une amoureuse intrigue. Il ne -résulte pas des documents qu’ils aient été bien -informés. Voici, d’après Filippini, contemporain -de Sampiero, ce qui s’était passé :</p> - -<p>Pendant la guerre précédente, les Génois -avaient pu estimer la mesure du ressentiment -que Sampiero nourrissait contre eux ; ils savaient -que ce ressentiment n’était pas apaisé -et ils s’efforçaient de le réduire à l’impuissance. -Ayant appris qu’il se disposait à faire un -voyage dans le Levant, ils n’épargnèrent aucun -effort pour que Vannina, sa femme, allât résider -à Gênes ; ils pensaient que s’ils réussissaient, ils -n’auraient plus rien à craindre de lui. Pour arriver -à ce but, ils se servirent d’un certain Agostino -Baccigalupo, qui se rendait souvent à Marseille -pour ses affaires, et du prêtre Michel’ Angelo -Ombrone, en qui Sampiero avait la plus -grande confiance et qu’il avait même chargé de -l’éducation de ses fils, Alphonso et Anton’ Francesco. -Ces deux personnages exposèrent à Vannina -qu’en allant à Gênes, elle assurerait à jamais -sa tranquillité et son repos, parce qu’elle rentrerait -ainsi en possession de deux maisons -d’une valeur considérable que Sampiero avait -vendues dans cette ville, et qu’elle obtiendrait -plus tard le pardon de Sampiero. A force d’insister -sur ces raisons, Agostino et Michele Angelo -firent si bien que Vannina entra dans leurs -vues, « la femme étant, comme on dit, mobile -par tempérament. »</p> - -<p>Sa résolution étant prise, continue Filippini -après sa judicieuse observation, comme il n’y -avait personne qui pût l’arrêter, elle fit partir -d’avance, en secret, tout ce qu’elle possédait -de plus précieux ; puis, elle s’embarqua sur -une frégate bien armée et quitta Marseille pendant -la nuit, emmenant Anton’ Francesco, son -plus jeune fils ; le prêtre Michel’ Angelo Ombrone -l’accompagnait.</p> - -<p>Le lendemain matin, Antonio de San-Firenzo, -à qui Sampiero avait confié le soin de veiller -sur Vannina, apprenant sa fuite, monta sur un -autre vaisseau armé et se mit à sa poursuite. -Un matin (le surlendemain probablement), au -point du jour, il l’atteignit au cap d’Antibes.</p> - -<p>Dès que Vannina vit le bateau qui portait -Antonio, elle comprit qu’elle serait rejointe et -voulut gagner la côte pour se sauver, mais elle -n’en eut pas le temps. Antonio de San-Firenzo, -qui était accompagné de douze corses, l’arrêta -au nom du comte de Fiesque, général des galères -du roi, et la remit au nom du roi de France -au commandant de la forteresse d’Antibes, pour -qu’il l’envoyât sous escorte à Aix où se tenait la -grande Cour de Provence. Au dire de Vannina, -qui raconte elle-même son arrestation dans -une lettre adressée aux membres du gouvernement -génois, le 15 janvier 1563, Antonio se -conduisit brutalement avec elle, la menaça de -mort et l’accusa de s’enfuir pour conclure, -sous les auspices de la république, un nouveau -mariage avec un gentilhomme génois.</p> - -<p>Sampiero, comme nous l’avons dit, s’embarqua -donc pour Marseille. Comme chacun, sur le -navire, se perdait en conjectures sur la conduite -de Vannina, un bavard se mit à dire étourdiment -qu’il savait depuis quelque temps déjà -ce qui devait arriver. Sampiero, fort irrité, lui -demanda pourquoi il avait gardé le silence jusqu’à -ce moment. L’autre répondit « qu’il craignait -de mourir comme Florio da Corte, que -Vannina avait fait assassiner par un de ses -esclaves, pour arrêter le cours de ses indiscrétions. » -L’imprudent ne survécut pas à son audacieuse -confidence. Sans daigner répondre, -Sampiero le poignarda de sa propre main.</p> - -<p>Arrivé à Marseille, renseigné comme nous -l’avons dit par Tomaso Lencio, Sampiero partit -pour Aix où était sa femme. Il arriva de -nuit devant la maison ; il y attendit, en se promenant, -le lever du soleil. Le premier valet -qui sortit lui apprit que sa femme était encore -couchée. Il entra et la trouva au lit, surprise -de son arrivée.</p> - -<p>On a peu de détails sur cette entrevue et sur -le drame qui devait succéder. Filippini, qui -dédiait son histoire au fils de Sampiero et de -Vannina ne pouvait aisément s’étendre sur des -points aussi délicats. Sampiero voulut sur-le-champ -conduire sa femme à Marseille, mais -les autorités de la ville, probablement averties, -s’y opposèrent. Cependant, Vannina -ayant déclaré qu’elle était prête à suivre son -mari partout où il voudrait l’emmener, ils se -rendirent à Marseille.</p> - -<p>En arrivant chez lui, Sampiero trouva la -maison entièrement dépouillée, Vannina, comme -nous l’avons dit, ayant expédié à Gênes -ce qu’elle possédait de plus précieux. Sampiero -en fut exaspéré, car il ne pouvait plus douter -que Vannina n’eût quitté Marseille sans espoir -de retour. Néanmoins, il ne donna pas cours -immédiatement à sa colère. L’acte auquel il se -résolut fut mûrement réfléchi et semble-t-il -froidement exécuté. Quand, après plusieurs -jours de vie commune, il lui eut signifié sa résolution -de la faire mourir, elle ne s’abandonna -pas à des supplications inutiles et la seule faveur -qu’elle sollicita fut de recevoir la mort de -sa propre main. Soumission à la fatalité, résignation -à une volonté qu’elle savait inexorable, -ou habileté suprême d’une coquette qui entrevoit -dans cette émouvante flatterie une dernière -chance de salut !… Où les chroniqueurs -ont-ils cueilli ce poétique détail ? On racontait -à la cour que Sampiero, sensible à sa prière, la -prit dans ses bras, l’embrassa, puis l’étrangla -avec une écharpe qu’elle avait brodée de ses -propres mains.</p> - -<p>Suivant l’usage corse, Vannina d’Ornano, -n’ayant pas de frère, c’était à ses cousins que -revenait le devoir de venger sa mort.</p> - -<p>Ce fut, il est vrai, de la main des plus proches -parents de Vannina que périt Sampiero, -mais il serait bien hasardé d’affirmer que nul -autre motif n’arma leurs bras. Dans cette vendetta, -il est hors de doute que l’intérêt personnel -et l’inimitié politique remplissent les -principaux rôles. Mais ces rôles furent préparés -par les haines que provoqua le caractère violent -et tyrannique de Sampiero.</p> - -<p>Vannina avait eu dix cousins germains, tous -petits-fils d’Alfonso d’Ornano, l’un des hommes -les plus sanguinaires de son temps et qui finit -par être assassiné lui-même par de proches parents. -Ses trois fils firent peu parler d’eux. Toute la -sève batailleuse et féroce du grand-père -passa aux petits-fils. Vannina en eut-elle sa -part ? N’avons-nous pas vu un compagnon de -Sampiero lui déclarer qu’elle avait fait tuer par -son esclave un corse dont elle redoutait les indiscrétions. -Vannina fut la fille unique de -Francesco. Bernardino, second fils d’Alfonso, -eut six fils, leur destinée est un tableau de -l’époque, du pays, de la race.</p> - -<p>Les deux aînés s’entretuèrent, et voici dans -quelles conditions : « Ces jeunes gens braves -et <i>distingués</i>, dit Ceccaldi, qui fut leur contemporain, -avaient épousé tous les deux des -femmes fort belles. Ils devinrent extrêmement -jaloux l’un de l’autre, si bien qu’un jour, ils -mirent les armes à la main et s’entretuèrent. Je -veux dire qu’Anton’ Guglielmo tua Anton’ Paolo -et qu’un serviteur d’Anton’ Paolo le tua à son -tour. »</p> - -<p>Bernardino, leur frère, à une époque où le -courage et l’adresse étaient vertus courantes, -étonna ses contemporains par un fait d’armes -sans précédent. Pendant la guerre de Corse, il -avait pris parti contre les Génois. Après la -prise de San-Firenzo par les Français, il se -trouva rester avec le commandant en chef Jourdan -des Ursins, dans la place que les ennemis -ne tardèrent pas à venir assiéger. Pendant trois -mois, la garnison supporta héroïquement le -blocus et repoussa les assauts des Génois ; les -vivres venant à manquer, on commença à manger -« les rats, les souris et les lézards », mais -la famine décimant les soldats, plus encore que -la lutte, Jourdan des Ursins dut se résoudre -à capituler. Comme Andrea d’Oria, qui commandait -les troupes génoises, ne voulait pas que les -Corses bénéficiassent de la capitulation, Bernardino, -autant pour ne pas compromettre le -succès des négociations que pour ne pas « s’abandonner -à la disposition d’un ennemi victorieux, -dit Brantôme, prit avec ses gens une résolution -téméraire. La ville était investie de -tous côtés par des lignes si étroitement fermées -que personne n’en pouvait sortir. Cet officier, -peu frappé de l’évidence du danger, après avoir -tué tous ceux qui lui firent résistance, forcé les -lignes et fait un grand carnage, s’échappa enfin -des mains des ennemis, et fit voir, par son -exemple, que rien n’est impossible au courage -animé par l’exaspération. »</p> - -<p>Cet homme qui avait affronté tous les périls, -qui avait presque dompté la mort, périt victime -d’une basse trahison. Bernardino était cantonné -avec sa compagnie à Mocale, village distant -de Calvi d’environ trois milles. Un officier -génois, Léonardo Giustiniano se concerta avec -le maître de la maison où Bernardino était logé, -et fit partir pendant la nuit son lieutenant -avec une partie de la compagnie. Celui-ci assaillit -Bernardino à l’improviste, tua sept des -Corses qui se trouvaient avec lui, et le laissa -lui-même si grièvement blessé qu’il mourut au -bout de quelques jours.</p> - -<p>Quant aux romanesques aventures du quatrième -fils de Bernardino, appelé Pier’ Giovanni, -il faudrait un volume pour les raconter. -Banni de Corse par la justice française, pour -avoir enlevé la fille d’un gentilhomme corse, il -tomba, pour comble de malheur, entre les mains -des Turcs qui l’emmenèrent en esclavage. Sampiero -le rencontra en Alger et le ramena en -Corse. Les hasards d’une rencontre le firent -tomber aux mains du capitaine génois Francesco -Giustiniano. Celui-ci, redoutant que Sampiero -ne fût dans les environs et ne voulant -pas s’exposer à se faire arracher une capture -aussi honorable, le fit décapiter et envoya sa -tête à Bastia pour y être exposée au bout d’une -pique.</p> - -<p>Telle est la version de Giustiniano même. -Suivant Filippini, l’insolence de Pier’ Giovanni -aurait précipité sa perte. Les Génois étaient accompagnés -d’un détachement de cavalerie sarde. -Dès qu’il se vit prisonnier, Pier’ Giovanni se -tourna vers les gardes et leur dit : « Messieurs -et honorables chevaliers, je vous prie de bien -vouloir m’arracher la vie de vos propres mains -pour ne pas me laisser tomber vivant entre les -mains de mes ennemis. » Irrité de ce langage, -Francesco Giustiniano descendit de cheval -et poignarda de sa propre main Pier’ Giovanni. -Dans la compagnie du capitaine Sorfaglio, qui -était de la suite de Giustiniano se trouvait un -soldat du nom de Luca Bonaparte. Nous aurons -l’occasion de retrouver ce personnage.</p> - -<p>Restait un frère : Orlando. Quoique d’esprit -moins remuant, il eut la malechance d’être -soupçonné également par Sampiero et par les -Génois. Par crainte du premier, il se retira à -Ajaccio où les seconds l’emprisonnèrent et lui -appliquèrent la torture. « Outre la peine de la -corde, dit Filippini, il subit encore le feu aux -pieds et aux mains à deux reprises, et comme -il ne fit aucun aveu on le laissa en prison pendant -trois ans. »</p> - -<p>Nous n’avons pas encore parlé des enfants de -Paolo, le troisième fils d’Alfonso, sous les verrous, -tout à l’heure à l’œuvre. Pour l’instant, -revenons à Sampiero.</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Le 12 juin 1564, celui-ci débarqua avec vingt-cinq -Corses et vingt-cinq Français. Quelques -jours après il était à la tête d’une petite armée -avec laquelle il soutint l’effort des troupes de -la république, commandées par ses meilleurs -généraux pendant trente mois.</p> - -<p>Cette lutte dépassa en horreur toutes les précédentes. -Les ennemis ne connaissaient plus de -ménagements. Sampiero jetait les prisonniers -en pâture à ses chiens ; les Génois torturaient -les Corses tombés entre leurs mains avant de -les pendre ; les femmes, elles-mêmes, se livraient -sur les prisonniers à de monstrueuses -cruautés. L’exaspération était à son comble. -Les d’Oria brûlaient des villages entiers, -malgré les efforts des Corses à leur service -pour les en empêcher. Pour les insulaires, pas -de neutralité possible ; les habitants de Pozzo -di Borgo, sommés de se rendre par un capitaine -génois, répondirent par la bouche d’un de -leurs chefs : « Dans un cas comme dans l’autre, -nous serons brûlés, que ce soit par les -gens de Sampiero ou par vous. Puisque notre -sort est inévitable, nous préférons mourir de -votre main que de celle de nos compatriotes.</p> - -<p>Ils voyaient juste. Les Génois soupçonnant -leur fidélité, mirent le feu à leurs maisons et -comme ils s’enfuyaient vers le camp de Sampiero, -celui-ci, les accusant d’espionnage, les fit -dévorer par ses chiens.</p> - -<p>A Vescovato, Sampiero jeta dans le feu les -prisonniers génois, et poignarda de sa propre -main les capitaines corses qu’il prit dans leurs -rangs. Nous avons vu, à propos de la mort de -Pier’ Giovanni d’Ornano, que les officiers Génois -ne dédaignaient pas d’employer cette méthode -à l’occasion.</p> - -<p>Nous avons déjà dit que les instincts violents -et la nature autoritaire de Sampiero furent -cause de sa perte. Déjà plusieurs de ses -compagnons, las de son despotisme, l’avaient -abandonné. Au mois de novembre 1566, Sampiero, -qui résidait alors à Vico, eut avec un de -ses plus précieux lieutenants, Ercole d’Istria, -une discussion qui s’échauffa. Celui-ci qui s’attendait -à être mieux traité par Sampiero, lui -garda rancune et résolut de le quitter.</p> - -<p>Sampiero qui avait pénétré son dessein, le -surveillait de près. Un jour, Ercole partit, -mais Sampiero le rejoignit et le ramena à Vico -« parce qu’il savait combien il avait à perdre -au départ d’un pareil homme ». Lorsqu’ils -furent arrivés, Ercole demanda à Sampiero ce -qu’il voulait faire de lui. Sampiero lui répondit -qu’il voulait l’envoyer à la Cour de France -pour servir ses intérêts et son honneur. Ercole -ayant répliqué qu’il devait au moins le laisser -aller dans sa maison pour y prendre des habits, -Sampiero refusa, disant qu’il n’avait qu’à écrire -qu’on les lui envoyât. Il écrivit donc chez lui -pour les demander, mais, dans cette lettre, il -glissa un pli à l’adresse de Raffaello Giustiniano -qui commandait pour les Génois à Ajaccio. -Il l’informait de tout de qui était arrivé et lui -indiquait le jour où l’ambassade de Sampiero -s’embarquerait dans le golfe de Sagone. Il pressait -Raffaello d’envoyer par mer une troupe -armée pour le faire lui-même prisonnier.</p> - -<p>Raffaello, après avoir reçu la lettre d’Ercole, -ne perdit point de temps ; il envoya aussitôt -plusieurs frégates du côté du port de Sagone. -Ercole ne pouvait croire fermement que Sampiero -eût dit la vérité en déclarant qu’il voulait -l’envoyer en France. Cependant, on lui -avait rapporté certain propos tenu par Sampiero -qui ne laissait pas de doute sur sa destinée, -s’il ne se rendait pas à ses désirs. Le chef -ne parlait de rien moins que de le poignarder -de sa propre main.</p> - -<p>L’ambassade de Sampiero se composait de -ses plus brillants compagnons : Léonardo da Casanova, -plus tard maréchal de camp au service -de la France, d’Anton’ Panovano de Pozzo -di Brando, de Domenico Cataccinolo, riche -bourgeois de Bonifacio, de Paris de San-Firenzo -et d’Anton’ Francesco Cirnucolo, dit le Piovanello -(petit curé) de Calvi. Avec eux, partait -Ercole d’Istria qu’il recommandait chaudement -au roi, espérant que, s’il revenait satisfait, il -oublierait son ressentiment et serait, dans la -suite, un appui sûr et fidèle. Il voulait surtout -le mettre dans l’impossibilité de se rendre -à Ajaccio parce qu’il redoutait de le voir -passer à l’ennemi.</p> - -<p>Sampiero se rendit donc à Sagone avec ses -partisans ; il fit d’abord embarquer ses ambassadeurs -puis les trois hommes auxquels il avait -en quelque sorte confié la surveillance d’Ercole. -Il dit ensuite à celui-ci de joindre ses -compagnons et ajouta que s’il refusait, il aurait -lieu de s’en repentir. Ercole déplorant le -côté délicat de sa situation si l’attaque qu’il -avait provoquée se produisait, se décida à -obéir.</p> - -<p>Mais, à peine le bateau s’éloignait-il de Sagone -que les soldats génois envoyés par Raffaello -arrivaient par mer. Ceux-ci aperçurent -le vaisseau des Corses encore peu éloigné du rivage, -et comme le temps était fort mauvais, ils -comprirent qu’il serait obligé de rebrousser -chemin et s’arrêtèrent pour l’attendre. En -effet, la tempête menaçant, ils le virent bientôt -changer de direction et revenir vers la -côte. Ils se cachèrent alors avec leur vaisseau, -et, lorsque les Corses furent auprès d’eux, ils -les assaillirent à l’improviste.</p> - -<p>Ceux-ci, qui n’avaient à attendre aucun secours, -se jetèrent à la nage pour gagner la -côte. Les deux ambassadeurs, Léonardo et Antonpadovano -seuls s’échappèrent ; Cattaciuolo -se noya. Ercole, Paris et le Piovanello furent -pris et conduits à Ajaccio. Le commissaire -général Fornari, récemment arrivé, reçut Ercole -avec affabilité et fit jeter les deux autres en -prison.</p> - -<p>Sur-le-champ, on instruisit leur procès. Ercole -d’Istria, courtoisement invité à dire ce -qu’il savait, donna libre cours à son ressentiment -et fit une déposition copieuse. Aux deux -autres, on appliqua la torture.</p> - -<p>Torture cruelle s’il en fut et qui me dura pas -moins de huit jours. A la quatrième séance, le -malheureux Piovanello était fou. Sans répondre -aux questions qu’on lui adressait au cours -des pires supplices, il chantait le <i lang="la" xml:lang="la">Gloria in -excelsis</i> et le <i lang="la" xml:lang="la">Miserere</i>.</p> - -<p>Le cinquième jour, il dit au chancelier, chargé -d’écrire sa déposition : « Toutes mes chairs -seront brûlées, mais tout cela retombera sur ta -tête. »</p> - -<p>On lui étendit les pieds sur des charbons -ardents ; il se tourna alors vers le commissaire : -« Seigneur Autome, dit-il, vous êtes le bienvenu -et je suis votre serviteur. » Puis il perdit -connaissance : « Il s’endormit, raconte le -procès-verbal et quoiqu’on lui appliqua, pendant -environ une heure, la question du feu, il -ne répondit pas, persévérant dans un profond -sommeil. »</p> - -<p>Un matin, le geôlier le trouva mort dans sa -prison. Depuis plusieurs jours, déclara cet -homme, jour et nuit, il criait et chantait <i>à la -façon des Corses quand ils se lamentent</i>. Il appelait -le diable à haute voix et disait qu’il voulait -se laisser mourir de faim et de froid. Il se -couchait tout nu sur des boulets de canon qui -étaient dans sa prison. (Ceci se passait dans -la première semaine de janvier 1567).</p> - -<p>S’il faut en croire Filippini, ces boulets auraient -fourni au Piovanello le moyen d’échapper -au bourreau. Ayant mis l’un de ces boulets -dans une embrasure assez élevée au-dessus du -sol, et plaçant l’autre à terre, juste au-dessous -du premier, il s’étendit sur le pavé, appuya -sa tête sur le boulet d’en bas comme s’il voulait -dormir, puis, faisant tomber l’autre en -se servant des cordons de ses chausses, il -s’écrasa la tête.</p> - -<p>Le 11 janvier 1567, le commissaire rendit le -jugement suivant, dont l’horreur macabre dépasse -l’imagination. Cette sentence fut prononcée, -ironie navrante, <i>après invocation du nom -de Notre Seigneur Jésus-Christ</i>, suivant la formule -consacrée.</p> - -<p>« 1<sup>o</sup> Le cadavre de Gio Francesco Cernucolo, -appelé le Piovanello de Calvi, sera extrait -de la prison, attaché sur un mulet et transporté -au lieu affecté aux exécutions pour y être suspendu -à la potence par un pied, la tête tournée -vers la terre.</p> - -<p>« 2<sup>o</sup> Paris de San-Firenzo est condamné à -la mort naturelle. Le susdit Paris ne pouvant -marcher, ses pieds ayant été brûlés, sera extrait -de sa prison et conduit à un prêtre pour -qu’il lui confesse ses péchés. Puis, il sera placé -à cheval sur un mulet qui marchera côte à côte -avec l’autre. Il sera conduit ainsi au-delà de -la porte de cette ville, à l’endroit où est une -batterie d’artillerie et là, il sera pendu par un -pied, la tête en bas et, ainsi, sera arquebusé -par les soldats. Ensuite, son cadavre sera -transporté sur le mulet au lieu de justice pour -y être attaché par un pied à la potence, la tête -tournée vers la terre. »</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>De la mort de ces deux hommes, Sampiero -conçut une vive douleur. Les représailles ne se -firent pas attendre. Le lendemain ou le surlendemain, -un officier génois, Ettore Ravaschiere, -tomba entre les mains des Corses. Ceux-ci le -lièrent et lâchèrent sur lui quelques chiens des -plus féroces qui commencèrent à le déchirer. -Alors, le Génois se tournant vers Antonio de -San-Firenzo qui commandait, lui dit qu’un soldat -et un homme d’honneur ne devait pas souffrir -sous ses yeux une pareille monstruosité. -Sensible à ces reproches, Antonio fit éloigner -les chiens et dit à Ettore qu’il n’avait pas à -s’étonner d’être traité ainsi quand les Génois -déployaient contre les Corses tant de rigueurs -et de cruautés en recourant au meurtre, aux -galères, à l’incendie et à d’autres traitements -barbares ; il lui reprocha la mort de Paris de -San-Firenzo sur qui les génois avaient déchargé -leurs arquebuses comme sur une cible ; -enfin, après tous ces reproches et beaucoup -d’autres encore, il le tua d’un coup d’arquebuse. -Lorsque le commissaire d’Ajaccio apprit -cet événement, il infligea à un Corse, détenu -dans la prison, le supplice qu’avait subi Paris -de San-Firenzo.</p> - -<p>La crainte qu’éprouvait Ercole d’Istria de -tomber aux mains de Sampiero le fit hâter sa -vengeance. Il y employa un religieux Corse, -Fra Ambrogio da Bastelica et un autre individu -du même village qui servait d’écuyer à -Sampiero et qui en était très particulièrement -aimé ; on l’appelait la capitaine Vittolo. Raffaello -Giustiniano était en relations quotidiennes -avec ces différents personnages. Fra Ambrogio, -à cause de son habit religieux, pouvait -aller aisément à Ajaccio, sans que l’on s’étonnât -de ses démarches. Vittolo lui-même, dit-on, -s’y rendit parfois secrètement.</p> - -<p>L’affaire, d’ailleurs, ne traîna pas. Le 13 janvier, -Sampiero, qui résidait toujours à Vico, -fut avisé que les habitants de la seigneurie -della Rocca se disposaient à se révolter contre -lui. « Quelques personnes, dignes de foi, écrit -Filippini, prétendent que cet avis avait été envoyé -à Sampiero par Fra Ambrogio, Ercole, -Raffaello et Vittolo, qui avaient résolu de le -faire périr, ce qui ne tarda pas à arriver, en -effet. »</p> - -<p>Pour se rendre dans la seigneurie della -Rocca, Sampiero devait rejoindre la route d’Ajaccio -à Sartène, au village de Cauro. Comme il -se détournait légèrement de cet itinéraire, Vittolo, -qui campait dans cet endroit avec une vingtaine -d’hommes, fit en sorte que Sampiero -le crût en danger et se portât à son secours. -Les Génois avaient groupé non loin de là, dans -la plaine de Campoloro, toute leur cavalerie et -une infanterie « aussi nombreuse que possible ». -Raffaello Giustiniano commandait la cavalerie ; -avec lui se trouvaient Ercole d’Istria et -les cousins de Vannina, Michel’ Angelo, Gio-Antonio -et Gio-Francesco d’Ornano, fils de Paolo -(troisième fils d’Alfonso).</p> - -<p>Michel’ Angelo était le lieutenant de Giustiniano : -il partit en avant avec ses frères, quelques -cavaliers et une compagnie de fantassins. -Les deux troupes ennemies engagées dans un -défilé se rencontrèrent plus tôt qu’elles ne s’y -attendaient. Sampiero, constatant l’inégalité de -la lutte, ordonna à son fils de s’enfuir et à sa -troupe de battre en retraite. Suivant son habitude, -il restait à l’arrière-garde et protégeait -la retraite.</p> - -<p>Giovan’ Antonio d’Ornano le joignit le premier. -Sampiero fondit sur lui et lui tira à bout -portant un coup d’arquebuse qui ne le blessa -que légèrement à la gorge. Sampiero prit une -autre arquebuse et voulut en finir avec Giovan’ Antonio, -mais le coup ne partit pas. On -raconta que Vittolo avait mélangé de la terre -à la poudre qui chargeait les armes de Sampiero. -Giovan’ Antonio se rapprocha alors de -son ennemi et tenta de le saisir par le milieu -du corps ; mais celui-ci se servant alors de son -arquebuse comme d’une massue, en porta un -coup si vigoureux sur la tête de Giovan’ Antonio -que ce dernier en fut étourdi et faillit -tomber de cheval. Néanmoins, il eut encore -la force d’enlacer son adversaire ; tous deux -luttaient, faisant des efforts pour se désarçonner, -quand Michel’ Angelo d’Ornano accourut -au secours de son frère. Il porta, dit-on, à -Sampiero, un coup d’épée qui le blessa au front. -Sampiero, aveuglé par le sang, fut jeté à bas de -son cheval par les frères Ornano et criblé de -coups d’épée. Selon une autre version, il aurait -été frappé par derrière d’un coup d’arquebuse -qui l’aurait traversé de part en part.</p> - -<p>Cette version était fort contestée par Michel’ Angelo -et ses frères qui entendaient partager -entre eux trois, à l’exclusion de tout autre, -la somme promise à qui ferait périr Sampiero — « parce -que, disaient-ils, eux trois seulement, -sans reculer devant la grandeur du péril, -avaient mis fin à la guerre de Corse en -tuant l’irréconciliable ennemi de la république, -car, c’étaient eux trois, et nul autre, -qui l’avaient frappé. »</p> - -<p>« Mais les soldats génois alléguaient que pendant -que les cavaliers étaient aux prises, c’étaient -eux-mêmes qui, en tirant des coups d’arquebuse -d’un endroit fort avantageux, avaient -frappé Sampiero dans le flanc et l’avaient -tué. » On fit une enquête. Le collet et la chemisette -de drap portés par Sampiero étaient -percés de tant de trous que des experts ne purent -se prononcer.</p> - -<p>Michel’ Angelo trancha la tête de Sampiero -et la rapporta en triomphe à Ajaccio (17 janvier -1567). On ne saurait croire aux transports -des Génois à la nouvelle de sa mort, si nous -n’en trouvions la preuve authentique dans la -correspondance des officiers : « Dieu soit loué ! -commence le commissaire général Fornari, -dans sa lettre au Sénat. Ce matin, j’ai fait -mettre la tête du rebelle Sampiero sur une -pique à la porte de la ville et une jambe sur -le bastion ; je n’ai pu réunir le reste du corps, -parce que les cavaliers et les soldats ont voulu -en avoir chacun un morceau pour piquer à -leurs lances en guise de trophées. »</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch6">LE CAPORAL BONAPARTE</h2> - - -<p>Par suite de quelles circonstances le capitaine -Giovan-Antonio d’Ornano en vint-il à -souffleter sur la voie publique Luca Bonaparte, -caporal dans l’armée génoise ? Les dépositions -faites par les témoins, lors du procès qui en -résulta, offrent de trop sensibles différences -pour qu’il se puisse rien affirmer. D’après le -capitaine, Luca aurait appliqué l’épithète de -traîtres à la collectivité des Corses et, en riposte, -Ornano avait détaché sur la face du caporal -un soufflet retentissant.</p> - -<p>Giovan-Antonio était un homme de mœurs -violentes, et, depuis la mort du terrible chef -corse Sampiero, que lui et ses frères avaient -tué de leurs propres mains, l’orgueil et la jactance -des Ornano ne connaissaient plus de limite ; -car ils estimaient que l’importance du -service rendu par eux à la république devait -leur assurer à jamais l’impunité.</p> - -<p>Au reçu du soufflet, Luca, bondissant, avait -porté la main à son épée, mais avant qu’il eût -pu s’en servir, trois compagnons de Giovan-Antonio — tous -Ornano — dégaînaient, et l’un -d’eux, qui jadis avait eu les pieds brûlés, en -subissant la torture, brandissait sur la tête du -caporal le bâton dont il se servait ordinairement -pour s’appuyer, geste que l’instruction -lui reprocha.</p> - -<p>L’affaire prenait un caractère de haute gravité ; -car déjà Corses et Génois se rangeaient -qui d’un côté, qui de l’autre ; et Ajaccio était -une ville où les rixes dégénéraient le plus -souvent en batailles. La présence d’esprit d’un -officier supérieur de l’armée génoise, Fabrizio -Spinola, arrêta le sang prêt à couler ; il fit -emmener sur-le-champ Luca Bonaparte et -ajourna l’arrestation de Giovan-Antonio, qui -se trouva fort surpris lorsqu’il fut invité, le -lendemain, à se rendre auprès du commissaire. -Celui-ci, après l’avoir retenu quelque temps, -l’autorisa, moyennant une caution assez forte, -à garder les arrêts dans sa maison. Ce dont les -Ornano se trouvèrent fort irrités ; et, sur un -ton gouailleur et impertinent, ils demandèrent -la mise en liberté de leur frère : « Parce que -nous avons tué Sampiero de Bastelica, chef -des rebelles, dirent-ils, voilà que nous sommes -les assassins de Luca Bonaparte, soldat de la -garnison d’Ajaccio. Giovan-Antonio a souffleté -un soldat. Eh bien ! d’après les statuts criminels -de Corse, ce fait est passible d’une amende -de dix à cent livres. Il paiera son amende, mais, -pour Dieu, qu’on le laisse tranquille !… » Les -petits ont toujours tort ; les supérieurs de Luca -l’engagèrent à faire la paix avec les Ornano, et -comme, jugeant tout arrangement dans ce sens -indigne d’un soldat, il ne s’y décidait pas, on -l’expédia sur Calvi avec quelque avancement -(1572).</p> - -<div class="asterism">*<br />* *</div> -<p>Plusieurs années avaient passé, et l’aventure -du caporal Bonaparte était oubliée, quand, un -matin, les domestiques de Giovan-Antonio -trouvèrent sur le seuil de la maison leur maître -expirant, la main gauche collée à une blessure -qui lui déchirait le flanc, la main droite -traversée d’un poignard brisé. On remarqua -en outre sur la porte une traînée de sang partant -à hauteur d’homme d’une tache d’un rouge -plus noir, figurant un astérisque ou l’empreinte -de cinq doigts écartés. En regardant de plus -près, on retrouva la pointe du poignard enfoncée -dans le bois de la porte à l’endroit figurant -la paume de la main. Alors on comprit que le -capitaine avait été littéralement cloué à sa propre -demeure.</p> - -<p>Il expira sans avoir prononcé une parole. Le -commissaire d’Ajaccio ouvrit une enquête ; -mais la ville était peuplée de trop de gens -ayant à se plaindre de Giovan-Antonio pour -qu’on pût donner préférence à l’un d’eux. Un -réfugié français de Toulon, marié à une bohémienne -se livrant à divers métiers inavouables, -fut cependant arrêté, mais peu de temps, car il -établit par témoins qu’il était resté jusqu’à -l’aube à une veille mortuaire. Il ajouta, qu’assez -avant dans la nuit, Giovan-Antonio était -venu quérir chez lui des simples pour se soulager -d’un mal de dents.</p> - -<p>L’enquête, poussée sans aucun zèle, n’aboutit -pas. Les Ornano soupçonnèrent du meurtre une -famille de Bastelica avec laquelle ils restèrent -en inimitié pendant vingt ans. Cependant, certains -se remémorèrent le soufflet donné par -Giovan-Antonio au caporal Bonaparte, et de -nouvelles rumeurs circulèrent relativement à -la mort de celui-là.</p> - -<p>Luca, venu secrètement à Ajaccio, après s’être -informé des habitudes de Giovan-Antonio, -apprit que le capitaine avait accoutumé, certaines -nuits, de passer quelques heures dans -l’hospitalière maison. Cette fois justement, Luca -dut attendre son ennemi jusqu’à l’aube ; -d’aucuns dirent qu’il était caché lui-même chez -la bohémienne, et que, lorsqu’il entendit Ornano -se préparer à partir, il courut d’une haleine -se blottir sous le porche où il avait médité -d’accomplir sa vengeance.</p> - -<p>Le duel — s’il y eut duel — ne dura pas -longtemps ; selon les uns, Giovan-Antonio, se -sentant blessé, s’efforça de se rapprocher du -portail, et, à sa surprise, vit que Luca lui laissant -le champ libre, prenait le côté opposé ; un -coup d’épée dans le flanc le précipita contre la -porte les bras étendus, désarmé.</p> - -<p>Ce fut alors que, de son poignard, Luca aurait -fixé sur le bois la main qui l’avait souffleté. -Suivant une autre version, Bonaparte, après -avoir blessé mortellement Giovan-Antonio, -l’aurait soulevé par les bras et aurait exécuté -froidement ses terribles représailles. Mais, de -tout ceci, on ne saurait rien affirmer ; si une -partie de cette chronique légendaire repose -ponctuellement sur des documents, l’autre ne -peut appuyer son authenticité que sur un récit -sorti plus tard de la bouche de Luca Bonaparte, -car le mystère le plus profond régna toujours -sur cet événement<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> Extrait du <i>Nid de l’Aigle, Napoléon, sa Patrie, -son Foyer, sa Race</i>, par Colonna de Cesari Rocca.</p> -</div> -<p>Giovan-Antonio fut le trisaïeul de Louis -d’Ornano, qui épousa Isabelle Bonaparte. De -cette union naquit Philippe-Antoine d’Ornano, -maréchal de France, mort gouverneur des Invalides -en 1864.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch7">NASONE</h2> - - -<p>Jeune encore, Nasone (grand-nez) à qui les -dimensions exagérées de son nez avaient valu -ce surnom, vint s’établir à San-Martino di Lota, -non loin de Bastia. Soit que sa taille gigantesque -(il atteignait presque deux mètres) et son -énorme corpulence humiliassent ses voisins, -soit que la vue de son nez leur fût intolérable, -Nasone, dont la bonté et la sottise s’ébattaient -en paix dans un crâne vide et démesuré, se vit -bientôt l’objet d’une animosité sourde de la -part des habitants de San-Martino.</p> - -<p>L’un d’eux, la lui manifesta de la façon la -plus méprisante pour qui connaît les mœurs -corses. Il afficha la prétention de passer de force -dans une vigne appartenant à Nasone. Celui-ci -s’y opposa. D’où procès.</p> - -<p>Dans toutes les juridictions successivement -épuisées : citation au possessoire, assignation -devant le tribunal de 1<sup>re</sup> instance au pétitoire, -appel à la cour, recours en cassation, Nasone -obtint gain de cause ; on s’imagina l’affaire réglée, -et l’état des frais et dépens fut présenté -au vaincu. Celui-ci répondit à la sentence qui -le condamnait en déclarant la vendetta à l’adversaire -favorisé des hasards d’une justice légale.</p> - -<p>Implicitement, venait d’être prononcé le fameux -« Garde-toi » corse : <i lang="it" xml:lang="it">Se il sole ti vede, -il mio piombo ti tocca</i><a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> Si le soleil te voit, mon plomb te touche.</p> -</div> -<p>Alors, Nasone se retrancha dans sa demeure ; -il en barricada les fenêtres pour y établir des -« archere ».</p> - -<p>La première fois qu’après avoir laissé s’écouler -un long intervalle, il risqua de s’aventurer -hors de sa retraite, son ennemi armé d’une serpette -sauta sur lui ; il s’ensuivit une lutte terrible -dans laquelle Nasone fut terrassé, sa force -ayant succombé sous l’adresse rusée de son adversaire ; -mais au moment où celui-ci s’apprêtait -à lui écraser la tête d’un tronc d’arbre, des -paysans accourus interrompirent la besogne du -meurtrier qui gagna le maquis.</p> - -<p>De cet instant la vie de Nasone fut une suite -de supplices, car la haine qui le poursuivait -avait résolu maintenant, avant le coup de la -<i lang="it" xml:lang="it">mala morte</i>, la mutilation de ce corps de géant.</p> - -<p>Et cela dura trois ans, trois ans au cours -desquels Nasone fut la cible de cette volonté -homicide qui osa, à quelques kilomètres de -Bastia, et sous les yeux de la gendarmerie, -commandée à cette époque par le colonel de -Guénée, quatre attaques consécutives — véritables -assauts livrés à une redoute corporelle -pour la démantibuler pièce à pièce — et -inouïes d’audace.</p> - -<p>Successivement, Nasone eut la gorge perforée, -le crâne fendu, la main fracassée ; et quand -il parut au bandit que l’état de sa victime était -bien selon le souhait de son diabolique désir, -il songea à abattre définitivement ce débris -humain.</p> - -<p>A cette fin, il poussa la hardiesse jusqu’à attendre -Nasone au coin d’un bois un jour où celui-ci -se rendait au marché, et, près de l’usine -même de Toga, il lui tira un coup de fusil -presque à bout portant : la balle entra par l’œil -et alla sortir par l’oreille ; Nasone tomba inanimé ; -longtemps, il demeura sans mouvements -et l’on put croire que la vie allait abandonner -ce grand corps abîmé ; il n’en fut rien.</p> - -<p>Cependant, il comprit qu’il ne pouvait séjourner -plus longtemps à San-Martino di Lota, et -il s’en fut chercher un asile dans un des quartiers -les plus populeux de Bastia. On y vit alors -errer, vivant symbole de l’implacable vendetta, -en des allures apeurées d’animal traqué, cette -chose innommable qu’est un homme auquel il ne -reste plus d’intacts qu’une jambe, une main, -un œil et une oreille.</p> - -<p>D’ailleurs, là encore, il ne pouvait vivre en -repos ; sa profession de cultivateur ne lui faisait-elle -pas une nécessité de visiter de temps -à autre sa petite exploitation rurale ? Il avait -imaginé, afin d’éviter une terre trop perfide, de -se fier à la mer pour ce court trajet. Et, de loin -en loin, on le voyait avec tout un arsenal d’armes, -de munitions, partir à l’arrière d’un canot -qui longeait à une distance prudente une côte -scrutée d’un regard inquiet. Puis quand étaient -passés les pittoresques villages de Casavecchie, -d’Astima, de Guaïtella, de Sainte-Lucie, quand -on était parvenu à la hauteur de San-Martino -di Lota, l’esquif était dirigé vers une petite crique -où Nasone débarquait. Après avoir fait -éclairer le sentier par deux de ses parents, il se -dirigeait en toute hâte vers sa propriété.</p> - -<p>… Une nuit, sur l’ordre d’un colonel, quatre -gendarmes quittèrent leur caserne, et, en secret, furent -introduits dans la maison de campagne -de Nasone. Le surlendemain, le pourchassé -lui-même voyageait en grand apparat, -et venait s’y installer ostensiblement. Il avait -espéré que sa présence allait attirer le bandit -auquel cinq fusils qui portaient loin le plomb -étaient prêts à faire accueil.</p> - -<p>Celui-ci flaira-t-il le piège ? toujours est-il -qu’il ne vint pas ; mais cependant que la petite -garnison faisait honneur au vin, à la viande -salée et au « <span lang="it" xml:lang="it">bruccio</span> », prévenu que la campagne -était libre, il mettait le feu à la grange -de Nasone et ravageait ses récoltes.</p> - -<p>Dans cette nouvelle défaite, en sa nature superstitieuse -de Corse, Nasone vit peut-être le -signe de la fatalité ; ce qu’il y a de certain, c’est -qu’il se reconnut vaincu, et demanda à capituler. -Son bourreau daigna accepter d’entrer en -pourparlers et fixa à telles conditions la paix -dont pourrait jouir Nasone : qu’il eut à <i>accorder -le passage interdit</i>, à payer les frais du -procès, et, en outre, à lui verser 1.200 francs, -afin de lui donner les moyens de gagner l’Amérique.</p> - -<p>Nasone ayant consenti, put regagner sa demeure -et voir la fin de cette persécution démoniaque -dont il avait été le misérable objet.</p> - -<p>Jusqu’à sa mort pourtant, cette atroce vendetta -devait avoir une effroyable répercussion. -Non seulement elle avait modelé à coups de fusil -un être au physique d’épouvante, mais encore -dans la moelle de cet être, elle avait infiltré -le poison subtil et torturant de la peur.</p> - -<p>Un pas qui semblait s’acharner un peu après -le sien, Nasone, le sentait à ses talons ; un froissement -insolite de feuillages, et sa colossale -stature était secouée d’un tremblement nerveux.</p> - -<p>Et rien que je sache de plus pitoyable que -la pensée de cette force démembrée, tourmentée -par cette peur d’enfant.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch8">GALLOCCHIO</h2> - - -<p>Le voyageur qui se rend à Ampriani, chef-lieu -d’une petite commune de l’arrondissement -de Corte, aperçoit sur une colline qui domine -la rive gauche de Corsigliese, affluent du Tavignano, -au milieu d’un épais massif de châtaigniers, -une maison isolée qui précède le village.</p> - -<p>Elle était habitée en 18.. par Antonmarchi -(Louis), propriétaire aisé, laborieux, mais avare -et détesté de tous ses voisins. Il avait plusieurs -enfants mâles et trois filles. L’aîné, qui devait -perpétuer la famille, d’après l’antique usage -du pays, s’appelait Joseph, mais on l’avait -surnommé Gallocchio (petit coq), parce qu’il -était très petit de taille et très éveillé. Dès -son enfance, il avait eu à subir la tyrannie et -les mauvais instincts de son père : car ce -vieillard n’était entouré que d’ennemis, et il -savait bien que le jour où les infirmités l’atteindraient, -ceux-ci, et ils étaient nombreux, -ne manqueraient pas de se venger de toutes les -méchancetés qu’il leur avait fait endurer. Pour -s’en défendre, il cherchait à inculquer ses sentiments -de haine et de vengeance dans l’esprit -de son fils.</p> - -<p>Un jour que ce dernier rentrait pleurant et -couvert de sang au domicile paternel, Antonmarchi -lui demanda pourquoi il avait été battu -et quels étaient ses agresseurs. L’enfant, pour -se justifier, allégua que deux de ses camarades -plus âgés que lui, s’étaient réunis contre lui et -qu’il avait succombé dans la lutte. A ces mots, -son père le maltraita si brutalement que l’enfant -en fit une maladie ; il lui répétait sans -cesse : <i>Dans notre famille, un homme doit en -terrasser quatre.</i></p> - -<p>Il est facile de prévoir quels devaient être -les résultats d’une telle éducation. Cependant, -Gallocchio grandissait et intéressait ceux qui le -connaissaient, soit par les mauvais traitements -que son père lui faisait subir, soit par son intelligence -précoce.</p> - -<p>Le curé d’Ampriani l’attira chez lui ; il lui -apprit à lire, à écrire, à compter, et même quelque -peu de latin. Mais son père n’approuvait -par ce genre d’éducation, et il aimait mieux le -voir courir dans les maquis et s’exercer au -maniement des armes à feu.</p> - -<p>Lorsqu’il eut atteint sa dix-huitième année, -son père voulut le marier, soit pour éviter qu’il -embrassât la carrière ecclésiastique, soit pour -qu’il se conformât aux usages du pays qui exigent -que les jeunes gens se marient fort jeunes.</p> - -<p>Gallocchio dut subir la volonté paternelle et -se marier : ceci le contraria vivement, et le -porta à s’adonner au travail avec une énergie -qui n’est pas habituelle aux Corses. Il apporta -dans la culture d’un petit enclos qui faisait -partie du hameau de Casevecchie toute la passion -de son âge et toute la volonté que met une -âme fortement trempée dans l’accomplissement -d’un devoir qu’elle s’est imposée. Il paraissait -heureux de ce genre de vie, et son père, qui -profitait de son travail, semblait avoir oublié -ses idées de mariage, lorsque des voisins riches, -émerveillés de sa conduite, de son amour pour -le travail et de sa bonne mine, conçurent l’idée -de l’avoir pour gendre.</p> - -<p>Gallocchio ne comprit rien aux politesses dont -il était l’objet de la part de ses voisins ; malgré -les provocations de Rosola, il ne paraissait -point faire attention aux beaux yeux de sa fille -Louise, qui était cependant une superbe enfant de -quinze ans ; soit qu’il n’éprouvât aucun -penchant pour elle, soit qu’il crût que c’était -porter trop haut ses prétentions. Mais comme -cette femme était ambitieuse et volontaire, elle -l’attira chez elle, elle lui fit part de ses projets -et le présenta à Louise comme son futur époux. -A cet âge, et dans les conditions où ils se trouvaient -l’un et l’autre, ces jeunes enfants s’aimèrent, -ce qui fit le bonheur des deux familles.</p> - -<p>Antonmarchi, le père, trouvait dans cette -union deux avantages qu’il n’avait jamais osé -espérer ; d’abord, il s’alliait à une famille nombreuse -et puissante, ce qui lui donnait toute -sécurité pour sa personne ; en second lieu, il -était fier de voir que son fils épousait une riche -héritière. Gallocchio n’envisageait pas les choses -de la même manière ; il craignait de prendre -un engagement, qui pour tout autre que lui, -habitué à peser les actions avec un bon sens -au-dessus de son âge, eût réalisé à la fois le -bonheur de son cœur et les rêves de son ambition. -Il fit souvent part de ses inquiétudes au -père et à la mère de Louise ; tous deux repoussèrent -bien loin cette réserve et n’eurent point -de peine à lui faire partager leurs espérances. -Si bien qu’il fut décidé que l’<i lang="it" xml:lang="it">abbraccio</i> aurait -lieu immédiatement. « <i>N’oubliez pas</i>, dit Gallocchio -à Rosola et à son mari, <i>qu’à partir de ce -jour vous avez engagé votre âme au diable</i>. »</p> - -<p>Ces paroles sont textuelles, et elles ont un -sens très significatif pour quiconque connaît -les mœurs corses.</p> - -<p>L’<i lang="it" xml:lang="it">abbraccio</i> ou l’<i lang="it" xml:lang="it">amicitia</i> précède toujours le -mariage ; lorsque les deux familles sont d’accord -pour faire une demande de mariage, celle -du futur se rend au domicile de la future. La -jeune fille se place au milieu de tous ses parents, -le jeune homme en fait de même, et c’est -en leur présence que les vieillards règlent les -conventions de la dot et de tout ce qui a trait -aux questions d’intérêt. Lorsque tout le monde -est d’accord, le père du jeune homme se lève et -demande à la jeune fille si elle veut sérieusement -et librement prendre son fils pour mari et accomplir -les devoirs que le titre d’épouse lui -imposera. Si elle répond affirmativement, elle -s’assied. Puis, le père de la fiancée adresse les -mêmes questions au jeune homme. S’il répond -de la même manière, il se met debout, s’avance -vers la jeune fille, les parents se lèvent également, -se prennent par la main et forment cercle -autour des futurs époux.</p> - -<p>Quelqu’un de la troupe chante des vers composés -pour la circonstance et l’on fait une ronde -en chantant en cadence. Lorsque les chants -sont finis, le fiancé donne solennellement le -baiser des fiançailles en présence de toute la -famille, la fiancée le rend à son fiancé ; puis -on tire des coups de pistolet, on chante, et -tous, parents ou amis, prennent part au banquet -de fiançailles.</p> - -<p>L’<span lang="it" xml:lang="it">abbraccio</span> n’a aucun caractère légal, ceci -n’est pas douteux, mais d’après les mœurs et -les coutumes de la Corse, c’est lui seul qui enchaîne -les époux l’un à l’autre. Le consentement -donné devant l’officier de l’état civil, la bénédiction -nuptiale elle-même ne fait que confirmer -un engagement contracté au sein de la famille. -Ceci est digne de remarque, surtout chez -une nation très attachée à ses principes religieux, -et qui n’a jamais eu à subir les déchirements -des luttes de religion. L’<span lang="it" xml:lang="it">abbraccio</span> est -un engagement si complet, si absolu et si solennel -que souvent la jeune fille vit maritalement, -dès ce moment, avec son fiancé. Le plus -grand crime que l’un et l’autre puisse commettre, -l’affront le plus sanglant qu’ils puissent -faire, l’action la plus immorale dont ils puissent -se rendre coupables serait de manquer à la parole -donnée. L’affront serait si sanglant que la -famille toute entière serait déshonorée, et que -celui qui aurait rompu son engagement serait -hué sur la place publique comme celui qui, -sur le continent, aurait forfait à l’honneur.</p> - -<p>La cérémonie civile et religieuse du mariage -avait été fixée au 15 août suivant, d’après l’usage -généralement suivi.</p> - -<p>Depuis l’<span lang="it" xml:lang="it">abbraccio</span>, les fiancés avaient continué -à se fréquenter publiquement et leur amour -avait grandi avec l’espérance d’un bonheur -prochain. Les deux familles semblaient devoir -jouir d’une félicité mutuelle, lorsque tout à -coup Gallocchio apprit que Louise devenait infidèle -et qu’elle allait se marier avec un de ses -cousins qui était beaucoup plus riche que lui.</p> - -<p>Il employa auprès de Rosola et de Louise toute -l’éloquence que donne une âme ardente et -pure, lorsqu’elle est sous l’empire d’un amour -sincère, pour leur faire abandonner un projet -qui serait la cause de la mort d’un grand nombre -d’hommes. Il leur représenta l’opprobre que -leur manquement à la foi jurée ferait retomber -non seulement sur lui-même, mais encore sur -toute sa famille, ajoutant que quant à lui, il -ferait peut-être le sacrifice de son affection -pour le bonheur de Louise, si elle l’exigeait, -mais qu’il ne pouvait sacrifier l’honneur de sa -famille dont il allait devenir le dépositaire.</p> - -<p>Louise, sommée devant sa mère de s’expliquer, -répondit qu’elle était liée par l’<span lang="it" xml:lang="it">abbraccio</span> -avec son fiancé, qu’elle l’aimait, qu’elle l’épouserait -ou bien qu’elle ne se marierait jamais. -Malgré cette réponse, conforme au mouvement -de son cœur et à la parole donnée, Rosola employa -tous les moyens pour obliger sa fille à -violer son serment.</p> - -<p>Louise, pour se soustraire à la tyrannie de sa -mère résolut, d’accord avec son fiancé, de fuir -la maison paternelle et d’aller demander protection -à l’un de ses oncles, ce qui fut exécuté -dès le lendemain.</p> - -<p>Les parents de Louise se mirent aussitôt à -sa recherche. Son père semblait avoir changé -de résolution, approuva son choix et lui donna -sa parole que son mariage avec Gallocchio serait -célébré aussitôt après l’accomplissement des -formalités légales. Cependant, il demanda, avant -de se retirer, la permission à son fiancé de parler -à Louise sans témoins.</p> - -<p>Le lendemain de cette scène, au matin, Gallocchio -s’aperçut que sa fiancée s’était sauvée -pendant la nuit ; il se mit à sa poursuite et la -rejoignit au village d’Ampriani. Il la trouva -entourée de tous ses parents et la somma de -s’expliquer publiquement, ce qu’elle fit en disant : -<i>Je vous ai suivi de mon plein gré, je vous -ai quitté de même ; j’ai été par vous, traitée et -respectée comme une sœur, mais je ne puis résister -plus longtemps aux obsessions de mes -parents.</i></p> - -<p>— Hier, reprend Gallocchio, je me serais fait -tuer pour vous, aujourd’hui, je vous méprise et -je vous rends votre liberté. Je ne me marierai -jamais, parce que je suis votre fiancé, mais -j’exige que vous agissiez de même tant que -je vivrai.</p> - -<p>Il fallait à Gallocchio une grande force d’âme -pour ne pas laver immédiatement cette injure -dans des flots de sang et braver ouvertement -l’opinion publique. Son père, dont la -haine, un instant assoupie, s’était réveillée -plus ardente que jamais, le poussait à entrer -en vendetta. Mais il ne s’y croyait pas obligé -parce que l’outrage, d’après lui, retombait bien -plus sur la jeune fille et sur sa famille que -sur lui-même ; puis il lui était difficile de passer -subitement d’un amour vrai à une haine -sanglante.</p> - -<p>Les choses en étaient là, lorsqu’il apprit que -la famille de Louise, d’accord avec ses cousins, -avait déposé au parquet de Bastia une plainte -contre lui, sous prétexte qu’il avait <i>enlevé -Louise de vive force</i>. Cette action infâme le -trouva moins de sang-froid que la trahison de -sa fiancée.</p> - -<p>Cependant, il pria instamment Rosola de retirer -cette dénonciation, qu’elle savait bien être -un mensonge ; que sans cela, il serait contraint -d’entrer en vendetta avec sa famille ; son mari -et elle, jurèrent que cela était fait et qu’ils n’avaient -rien à redouter de leur part.</p> - -<p>Malgré cette assurance formelle, les gendarmes -se présentèrent le lendemain au domicile -de Gallocchio pour l’arrêter ; mais, prévenu à -temps par des amis dévoués, il avait pris la -fuite. Il alla trouver le curé qui l’avait élevé, -et le pria de se rendre auprès de Rosola et d’employer -toute son influence vis-à-vis de cette famille -pour la faire renoncer à des poursuites -injustes contre lui. Il employa également le <i lang="it" xml:lang="it">Parolante</i>, -homme de paix ; mais toutes ses démarches -devinrent inutiles. Sa prudence et sa -modération passèrent même aux yeux de ses -ennemis, pour une lâcheté. Après cette dernière -tentative, Gallocchio, poussé par son père, -déclara la vendetta à cette famille parjure, en -employant les termes consacrés : « Je me garde, -gardez-vous. »</p> - -<p>La famille de Rosola, qui était nombreuse, -puissante et à laquelle deux cousins jeunes et -braves, vinrent prêter l’appui de leurs bras, -considéra Gallocchio comme un adversaire peu -redoutable ; elle pensa en venir facilement à -bout ; sa déception devait être prochaine.</p> - -<p>Antonmarchi, qui surveillait le mari de Rosola -bien plus activement que son fils, apprit -qu’il était allé voir une de ses parentes dangereusement -malade, et qu’il traverserait infailliblement -une gorge qui était le seul endroit -par lequel il pût passer ; il sut également qu’il -ne serait accompagné que d’un Lucquois. Il -persuada à son fils, soit en employant les menaces, -soit en excitant le sentiment de haine -qu’il lui supposait contre le mari de Rosola, -soit en lui montrant le mépris dans lequel -il tomberait lui-même dans l’opinion publique -en ne tirant pas vengeance de l’affront que -tous les deux venaient de subir, il persuada, -disons-nous, à son fils de se poster dans le -chemin par où il devait passer et de le tuer. -Gallocchio se rendit à l’endroit que son père -avait désigné et éprouva un serrement de -cœur, auquel il ne s’attendait pas, à l’idée de -tuer le père de Louise. S’il l’avait rencontré -dans un de ces moments de crise qu’il ressentit -à la nouvelle de l’outrage que sa famille -recevait, il comprenait alors que, s’élancer -sur son fusil et satisfaire sa vengeance, -c’était peut-être un acte légitime ; mais attendre, -caché dans un maquis, qu’un homme vînt -se mettre au bout de sa carabine pour le tuer, -cette idée lui faisait battre le cœur avec tant -de violence qu’un moment il hésita et voulut -fuir. Mais la crainte d’être tué par son père le -retint.</p> - -<p>C’est alors qu’il pactisa avec sa conscience, -qu’il trouva des biais pour légitimer son attaque -et qu’il fit appel au hasard de la question -de savoir s’il tuerait cet homme. Il traça -sur la terre un cercle étroit, prit trois petites -pierres, les lança en l’air en fermant les yeux, -et jura de se retirer si aucune pierre ne tombait -dans le cercle, et de le tuer si une seule -y rentrait. Le destin fit que l’une de ces pierres -s’arrêta au milieu du rond, juste au moment -où le mari de Rosola vint à passer. Il était à -cheval et suivi d’un Lucquois. Comme tous -les Corses de cette époque, il était armé d’une -carabine et de deux pistolets ; il reconnut Gallocchio -et déchargea sur lui un de ses pistolets. -Il le manqua, mais son ennemi lui logea -une balle dans l’œil droit et l’étendit raide -mort. Le Lucquois qui était étranger à cette -scène, le regarda de sang-froid et vit Gallocchio -fuir comme un moufflon à travers le -maquis.</p> - -<p>Le Lucquois prit tout ce qui appartenait à -son maître et continua sa route, tenant en laisse -le cheval qu’il montait. Lorsque Rosola vit -venir cet homme seul, elle se douta du malheur -qui lui était arrivé et chercha à exciter les habitants -du village à la poursuite de Gallocchio, -mais ils restèrent insensibles à ses larmes et à -ses propositions.</p> - -<p>Gallocchio, après ce premier crime, se dirigea -en toute hâte vers Matra et trouva un des -cousins de Louise occupé dans sa vigne avec un -de ses neveux, enfant d’une dizaine d’années ; -il le coucha en joue avant que son ennemi eût -eu le temps de prendre son fusil, qu’il avait eu -l’imprudence de laisser loin de lui, le fit mettre -à genoux, lui permit de faire son acte de -contrition, et lui fracassa le crâne. L’enfant, -toujours à genoux, les mains jointes, faisait -sa prière pendant cette lugubre exécution. Gallocchio -le traita avec bonté, car les enfants et -les femmes ne sont point compris dans la vendetta -et il lui fit jurer sur le corps de son oncle -qu’il ne violerait jamais la foi donnée et -qu’il ne persécuterait pas l’innocent.</p> - -<p>Il rechargea son fusil et disparut dans les -maquis.</p> - -<p>Rosola, veuve, privée de l’appui de ses neveux, -conçut le projet infernal de trouver un -protecteur dans la famille même de Gallocchio -et de recommencer la lutte ; elle jeta les yeux -sur Cesario, cousin germain de Gallocchio qui -avait six frères, tous aussi énergiques que lui-même. -Celui-ci employa des amis communs -pour empêcher son cousin d’être l’instrument -de la haine d’une femme parjure, il eut même -une entrevue avec lui à ce sujet ; mais tout fut -inutile. Le mariage de Cesario avec Louise se -célébra peu de temps après.</p> - -<p>Selon les usages corses, le fiancé et la fiancée -ne peuvent jamais, sous quelque prétexte -que ce soit, violer la foi jurée par <span lang="it" xml:lang="it">abbraccio</span>, -puisque, à leur point de vue, c’est le consentement -mutuel qui seul lie les époux. Si le fiancé -meurt après l’<span lang="it" xml:lang="it">abbraccio</span>, mais avant la consécration -du mariage à l’église, sa fiancée est -considérée comme veuve et doit se soumettre au -deuil consacré par les coutumes ; c’est celui des -femmes qui ont perdu leur mari. La première -aimée, elle doit être entièrement vêtue de noir -depuis les pieds jusqu’à la tête et ne jamais -sortir de la maison ; ses cheveux sont cachés -avec le plus grand soin, et des personnes dignes -de foi nous ont affirmé qu’il était d’usage -anciennement de se teindre les dents et les -ongles en noir. La seconde année, elle peut -laisser apparaître ses cheveux et introduire -quelques objets de couleur dans sa toilette ; -puis,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Sur les ailes du temps la tristesse s’envole,</div> -<div class="verse i3">Le temps ramène les plaisirs.</div> -</div> - -<p>Si, au contraire le mariage a été consacré, la -femme peut commettre le délit d’adultère sans -déshonorer son mari ; elle peut le quitter, cohabiter -avec un autre homme même publiquement, -sans que le mari soit obligé, par les -mœurs du pays, d’entrer en vendetta avec lui ; -la femme qui, dans ce cas, a manqué à ses devoirs, -se déshonore seule et ne peut rendre son -mari ou sa famille responsable de sa honte. Elle -avait deux chemins à prendre, celui de la vertu -ou celui du vice ; elle a choisi ce dernier, elle -est tombée sous le mépris public et n’est pas -digne qu’un homme d’honneur expose sa vie, -puisque la mort ne lui rendrait pas l’estime -publique qu’elle a perdue à tout jamais. C’est -pour cela que les secondes noces sont toujours -d’un mauvais œil en Corse ; car, comme le dit -Tacite : <i lang="la" xml:lang="la">Ne tanquam maritum, sed tanquam -matrimonium ament.</i></p> - -<p>Le soir même de son mariage, Cesario se -disposait à se mettre au lit, lorsqu’il entendit -un léger bruit à la croisée ; il voulut ouvrir, -pensant que c’étaient des musiciens qui venaient lui -donner la sérénade. Sa femme lui cria : « Malheureux, -garde-toi d’ouvrir ! » mais il était -trop tard ; une balle de Gallocchio l’avait atteint -au front et l’étendit sans vie sur le plancher.</p> - -<p>Cette dernière vengeance assouvie, Gallocchio -prit la campagne et ne chercha point à tuer les -six frères de Cesario, bien qu’ils le traquassent -avec l’aide de la gendarmerie.</p> - -<p>D’autre part, comme il était condamné par -contumace à la peine de mort et que l’extradition -avait été obtenue avec les pays voisins, il -lui était impossible de se rendre ou de fuir. -Néanmoins, les gendarmes ne s’acharnaient -point à sa poursuite, car ils savaient bien qu’ils -ne réussiraient point à l’atteindre et qu’il n’était -point d’humeur à se laisser inquiéter. Des -amis dévoués s’intéressèrent à lui, l’autorité -ferma les yeux, et il put se rendre à Athènes, -où il prit du service dans l’armée de l’indépendance. -Lorsqu’il était sur le bateau qui devait -le conduire en Italie, des voltigeurs corses se -présentèrent pour s’assurer que le capitaine ne -transportait aucun bandit. Ils ne firent qu’une -perquisition sommaire, sur l’assurance que -leur donna le capitaine, dont la bonne foi, d’ailleurs, -était entière, qu’il n’avait aucun suspect -à bord.</p> - -<p>Cependant, un petit mousse avait reconnu -Gallocchio, et en jouant sur les mots, il s’écria : -« Nous avons un petit coq qui est transi comme -une poule mouillée ». Il était, en disant cela, -auprès de la cage à poulets et personne n’y fit -attention ; heureusement pour le bandit !</p> - -<p>Sur le même bateau, se trouvaient plusieurs -officiers qui venaient défendre la cause des -Hellènes ; la conversation devint intime entre -eux, et Gallocchio dut se nommer. Cependant, -lorsqu’il arriva à Athènes, il n’osa pas se présenter -au général Tiburce Sebastiani, qui commandait -en Morée. Sans protecteur, il devint -officier et sut mériter l’estime de ses supérieurs -et l’affection de ses camarades. Il semblait -être heureux dans sa nouvelle patrie, -lorsque dans les premiers jours de l’année 18.. -le hasard fit tomber entre ses mains un journal -de la Corse. Il lut que son jeune frère, âgé de -neuf ans à peine, venait d’être assassiné traîtreusement -par l’un des six frères de Cesario. -A cette nouvelle, il entra dans un accès de fureur -insensée, car la famille de Cesario venait -de violer sur la personne de cet enfant toutes -les règles de la vendetta. Aussitôt, il donne sa -démission et rentre en Corse. La nuit même de -son arrivée, il rencontre un de ses cousins, celui -peut-être qui a tué son frère ; il va le tuer, -lorsqu’il s’aperçoit qu’il est blessé. Il s’approche -de lui, panse sa blessure et lui dit : « Tu es -incapable de te défendre à cause de tes blessures, -tu n’as rien à craindre de moi maintenant, -mais après ta guérison nous nous rencontrerons. »</p> - -<p>Quelques jours plus tard, Gallocchio se trouva -en présence d’un autre frère de Cesario ; ils -étaient armés tous les deux, ils firent feu en -même temps, mais aucun ne fut atteint. Ils se -jetèrent alors l’un sur l’autre, le stylet à la -main, luttant avec une énergie incroyable. Enfin -Gallocchio, qui est plus leste, parvient à lui -enfoncer son arme dans la poitrine : il l’étend -raide mort.</p> - -<p>Dès six frères de Cesario, Gallocchio en tua -quatre ; les deux autres n’échappèrent à sa vengeance -que parce qu’ils étaient détenus dans -la prison de Bastia, en raison de l’assassinat -qu’ils avaient commis sur son jeune frère.</p> - -<p>Gallocchio a été tué en 1845, alors qu’il était -miné par la fièvre et par les fatigues, par un -misérable du nom de Lento Casanova, qui avait -été acheté par ses ennemis, et qui lui fracassa -la tête avec une hache pendant qu’il dormait. -Ce vil meurtrier est exécré dans le pays et, -si nos renseignements sont exacts, il a été tué -par ses compatriotes.</p> - -<p>Gallocchio possédait les sympathies d’un -grand nombre d’insulaires ; ses malheurs, son -courage, sa probité et sa piété en avaient fait -l’idole des Corses. Ils chantèrent des <i lang="it" xml:lang="it">lamenti</i> en -son honneur, et il est resté comme le type le -plus parfait et le plus infortuné de ces hommes -mis hors la loi pour un faux point d’honneur.</p> - -<p>Il a laissé ses mémoires, écrits en italien ; on -y remarque beaucoup d’ordre et d’exactitude. -Le style est pittoresque et nerveux. Il les a légués -à M. Arrighi, conseiller de la Cour impériale -de Bastia<a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> Recueillis par Léonard de Saint-Germain, <i>Itinéraire -d’un Voyage en Corse</i>.</p> -</div> - -<p class="c gap">FIN</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2> - - -<table summary=""> -<tr><td class="drap small">Chapitres</td> -<td class="bot r small"><div>Pages</div></td></tr> -<tr><td class="drap">La Vendetta</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch1">7</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Fusil</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch2">19</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Règles et Coutumes de la Vendetta</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch3">26</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Banditisme</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch4">37</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Sampiero Corso</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch5">62</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Caporal Bonaparte</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch6">93</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Nasone</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch7">99</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Gallocchio</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch8">105</a></div></td></tr> -</table> - -<p class="c gap small"><i>Grande Imprimerie de Troyes, 126, rue Thiers</i></p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c large top2em">HAUTE NOUVEAUTÉ !</p> - -<p class="c b large">ACCORDÉONS avec voix en acier incassables !</p> - -<div class="figc"><img src="images/illu1.jpg" alt="" /></div> -<p>Au prix exceptionnel de <b>5</b> fr. <b>50</b>, -nous expédions, contre remboursement, -notre superbe accordéon à 2 -chœurs, avec 10 touches, 2 registres, -2 basses, 50 voix extra-fortes, avec -double soufflet ; ressorts en spirales -incassables et brevetés, pour les touches -et les basses ; clavier ouvert, -d’un son d’orgue. Accordéons à <b>3</b> -chœurs, <b>7</b> fr. <b>50</b> ; à <b>4</b> chœurs, -<b>9</b> fr. <b>50</b> ; à <b>6</b> chœurs, <b>20</b> fr. ; à -<b>2 rangées</b> avec <b>21</b> touches et -<b>4</b> basses, <b>12</b> fr. <b>50</b>. Avec cloche, -<b>40</b> centimes en plus ; et avec appareil -de trémolo italien, produisant un -son d’orgue, <b>0</b> fr. <b>50</b> en plus. Accordéons -à 2 chœurs, <b>mais avec -voix en acier</b>, <b>1</b> fr. <b>50</b> en plus ; à 3 chœurs, <b>2</b> fr. <b>50</b> en plus ; à -4 chœurs et à 2 rangs de 21 touches, <b>3</b> fr. en plus ; à 6 chœurs, <b>5</b> fr. -en plus.</p> - -<p>Essayez nos voix en acier qui sont les meilleures et produisent la -musique la plus forte et la plus harmonieuse.</p> - -<p>Méthode française gratis. Frais -de transport, <b>1</b> fr. <b>25</b>. Nouveau -catalogue gratis et franco. Port -de lettre, <b>25</b> centimes.</p> - -<p class="c b large">CITHARE — GUITARE</p> - -<div class="figc"><img src="images/illu2.jpg" alt="" /></div> -<p>Instrument merveilleux, avec -41 cordes et 5 accords, s’apprend -de suite, on peut jouer tous les -airs, même sans connaître la -musique, ne coûte que <b>10</b> fr. -Le même instrument, mais avec -<b>6 accords et 49 cordes, -ne coûte que 12</b> fr. <b>50</b>. -Port, <b>1</b> fr. <b>25</b>. Emballage et -méthode française GRATIS. 25 -feuilles de musique à glisser -sous les cordes, d’une valeur de -<b>2</b> fr. <b>50</b>, sont livrées gratuitement -avec chaque cithare. Catalogue -gratis et franco. Affranchir -les lettres à <b>0</b> fr. <b>25</b>.</p> - -<p class="c"><i>Innombrables Références</i></p> - -<p class="c">S’adresser directement à<br /> -<span class="b large sans-serif">HERFELD & C<sup>ie</sup></span><br /> -<b>NEUENRADE, N<sup>o</sup> 23</b> (Allemagne)</p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c top2em"><b class="large">COLLECTION A.-L. GUYOT</b><br /> -PARIS. — <i class="sans-serif">51, rue Monsieur-le-Prince, 51</i> — PARIS</p> - - -<p class="c gap b large sans-serif">ROMANS D’AVENTURES</p> - -<table summary=""> -<tr><td class="drap"><b>Th. Cahu.</b> — Une Fortune dans les Nuages</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — Les Naufragés du Ciel</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — L’Ile désolée</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>P. de Sémant.</b> — <i>Aventures de Dache :</i></td></tr> -<tr><td class="drap2">Le Perruquier des Zouaves</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap2">Le Sergent Dache</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Vincent Huet.</b> — Le Disparu</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — Les Cavernes de Hall el Oued</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>G. Guitton</b> et <b>Lerouge.</b> — La Conspiration des Milliardaires</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — A coups de Milliards</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — Le Régiment des Hypnotiseurs</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — La Revanche du Vieux Monde</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Capitaine Marryat.</b> — Le Vaisseau Fantôme</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — Le Spectre de l’Océan</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>W. de Fonvielle.</b> — Aventures d’un chercheur d’or au Klondike</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Edgard Poë.</b> — Aventures extraordinaires d’Arthur Gordon Pym</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — Contes extraordinaires</td> -<td class="bot w3">2 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Henri Renou.</b> — Les Mystères du Grand Chaco</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"> — L’Or du Gambusino</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Bret-Harte.</b> — Prisonniers des Neiges</td> -<td class="bot w3">1 vol.</td></tr> -</table> - -<p class="c gap">Chez tous les libraires : <b>0</b> fr. <b>20</b>. — Franco-poste : <b>0</b> fr. <b>25</b></p> - -<p class="c"><span class="xsmall">ALGÉRIE, COLONIES ET ÉTRANGER</span> : <b>25</b> <span class="xsmall">CENTIMES</span> (Port en plus)</p> - - -<div class="trnote"> -<h2 class="nobreak">Notes du transcripteur</h2> - - -<p>L’orthographe et la ponctuation sont conformes à l’original. Les erreurs -manifestement dues aux typographes ont été corrigées. On a également -désigné du nom de « Paolo » le troisième fils d’Alfonso d’Orlando (noté -« Polo » puis « Pola » dans l’original).</p> - -<p>L’image de couverture a été « restaurée », en retirant les tampons divers -et en osant une reconstitution des trois premières lettres du mot -« Vengeances », masquées dans l’original par une étiquette de la BNF.</p> - -</div> -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VENGEANCES CORSES ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for an eBook, except by following -the terms of the trademark license, including paying royalties for use -of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for -copies of this eBook, complying with the trademark license is very -easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation -of derivative works, reports, performances and research. Project -Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may -do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected -by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. -</div> - -<div style='margin:0.83em 0; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE<br /> -<span style='font-size:smaller'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE<br /> -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</span> -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase “Project -Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg™ License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person -or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™ -electronic works. See paragraph 1.E below. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the -Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. If an individual work is unprotected by copyright law in the -United States and you are located in the United States, we do not -claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, -displaying or creating derivative works based on the work as long as -all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope -that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting -free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™ -works in compliance with the terms of this agreement for keeping the -Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily -comply with the terms of this agreement by keeping this work in the -same format with its attached full Project Gutenberg™ License when -you share it without charge with others. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern -what you can do with this work. Copyright laws in most countries are -in a constant state of change. If you are outside the United States, -check the laws of your country in addition to the terms of this -agreement before downloading, copying, displaying, performing, -distributing or creating derivative works based on this work or any -other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no -representations concerning the copyright status of any work in any -country other than the United States. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.1. The following sentence, with active links to, or other -immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear -prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work -on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the -phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed, -performed, viewed, copied or distributed: -</div> - -<blockquote> - <div style='display:block; margin:1em 0'> - This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most - other parts of the world at no cost and with almost no restrictions - whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms - of the Project Gutenberg License included with this eBook or online - at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you - are not located in the United States, you will have to check the laws - of the country where you are located before using this eBook. - </div> -</blockquote> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is -derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not -contain a notice indicating that it is posted with permission of the -copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in -the United States without paying any fees or charges. If you are -redistributing or providing access to a work with the phrase “Project -Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply -either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or -obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™ -trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted -with the permission of the copyright holder, your use and distribution -must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any -additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms -will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works -posted with the permission of the copyright holder found at the -beginning of this work. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™ -License terms from this work, or any files containing a part of this -work or any other work associated with Project Gutenberg™. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this -electronic work, or any part of this electronic work, without -prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with -active links or immediate access to the full terms of the Project -Gutenberg™ License. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, -compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including -any word processing or hypertext form. However, if you provide access -to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format -other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official -version posted on the official Project Gutenberg™ website -(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense -to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means -of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain -Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the -full Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, -performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works -unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing -access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works -provided that: -</div> - -<div style='margin-left:0.7em;'> - <div style='text-indent:-0.7em'> - • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from - the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method - you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed - to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has - agreed to donate royalties under this paragraph to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid - within 60 days following each date on which you prepare (or are - legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty - payments should be clearly marked as such and sent to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in - Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg - Literary Archive Foundation.” - </div> - - <div style='text-indent:-0.7em'> - • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies - you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he - does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™ - License. You must require such a user to return or destroy all - copies of the works possessed in a physical medium and discontinue - all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™ - works. - </div> - - <div style='text-indent:-0.7em'> - • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of - any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the - electronic work is discovered and reported to you within 90 days of - receipt of the work. - </div> - - <div style='text-indent:-0.7em'> - • You comply with all other terms of this agreement for free - distribution of Project Gutenberg™ works. - </div> -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project -Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than -are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing -from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of -the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set -forth in Section 3 below. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable -effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread -works not protected by U.S. copyright law in creating the Project -Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™ -electronic works, and the medium on which they may be stored, may -contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate -or corrupt data, transcription errors, a copyright or other -intellectual property infringement, a defective or damaged disk or -other medium, a computer virus, or computer codes that damage or -cannot be read by your equipment. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right -of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project -Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project -Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all -liability to you for damages, costs and expenses, including legal -fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT -LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE -PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE -TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE -LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR -INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH -DAMAGE. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a -defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can -receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a -written explanation to the person you received the work from. If you -received the work on a physical medium, you must return the medium -with your written explanation. The person or entity that provided you -with the defective work may elect to provide a replacement copy in -lieu of a refund. If you received the work electronically, the person -or entity providing it to you may choose to give you a second -opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If -the second copy is also defective, you may demand a refund in writing -without further opportunities to fix the problem. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth -in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO -OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT -LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied -warranties or the exclusion or limitation of certain types of -damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement -violates the law of the state applicable to this agreement, the -agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or -limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or -unenforceability of any provision of this agreement shall not void the -remaining provisions. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in -accordance with this agreement, and any volunteers associated with the -production, promotion and distribution of Project Gutenberg™ -electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, -including legal fees, that arise directly or indirectly from any of -the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this -or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or -additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any -Defect you cause. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™ -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s -goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg™ and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state’s laws. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation’s website -and official page at www.gutenberg.org/contact -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state -visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Please check the Project Gutenberg web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of -volunteer support. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Most people start at our website which has the main PG search -facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -This website includes information about Project Gutenberg™, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. -</div> - -</div> - -</body> -</html> diff --git a/old/65339-h/images/cover.jpg b/old/65339-h/images/cover.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 3d17049..0000000 --- a/old/65339-h/images/cover.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/65339-h/images/illu1.jpg b/old/65339-h/images/illu1.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 61b555d..0000000 --- a/old/65339-h/images/illu1.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/65339-h/images/illu2.jpg b/old/65339-h/images/illu2.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 72ad2bc..0000000 --- a/old/65339-h/images/illu2.jpg +++ /dev/null |
