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-The Project Gutenberg eBook of Voyage d'un faux musulman à travers
-l'Afrique, by René Caillié
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Voyage d'un faux musulman à travers l'Afrique
- Tombouctou. Le Niger, Jenné et le Désert
-
-Author: René Caillié
-
-Release Date: June 6, 2021 [eBook #65530]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously
- made available by the Bibliothèque nationale de France
- (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À
-TRAVERS L'AFRIQUE ***
-
-
-
-
- RENÉ CAILLIÉ
-
- VOYAGE
- D’UN
- FAUX MUSULMAN
- A TRAVERS L’AFRIQUE
-
- TOMBOUCTOU
- Le Niger, Jenné et le Désert.
-
- LIMOGES
- EUGÈNE ARDANT ET Cie, ÉDITEURS.
-
-
-
-
-VOYAGE
-
-A TOMBOUCTOU.
-
-
-Supposons que vous ayez sous les yeux une carte du globe; que, sur cette
-carte, vous vous établissiez à l’un des points qui représentent Brest,
-Nantes, Rochefort ou Bordeaux, à la droite du petit carré qui représente
-la France; que de là, votre doigt se promène au large sur cet espace
-blanc qui figure la grande masse d’eau de l’Atlantique, et, laissant à
-gauche l’Espagne, le Portugal, le détroit de Gibraltar, continue son
-chemin en vue du cap Noun, du cap Boyador, du cap Blanc, du cap Vert, en
-vue des établissements français et anglais du Sénégal et de la Gambie;
-puis, reprenne enfin terre à ce petit filet noir qui marque l’embouchure
-du Rio-Nunez:--parvenus là, vous avez fait douze ou quinze cents lieues,
-et vous êtes au point de départ du voyage que nous allons entreprendre à
-la suite de M. Caillié.
-
-A présent, notre ligne de route est bien facile à tracer, par _à peu
-près_ s’entend. Il s’agit, en tournant le dos à la mer, de fixer sur la
-carte un point à deux cents lieues environ de l’embouchure du Rio-Nunez,
-et de joindre ce point d’une part avec cette embouchure, de l’autre avec
-l’empire de Maroc, avec Fez et Tanger. Entrés en Afrique par le côté qui
-fait face à l’Amérique, nous en sortirons par le côté qui fait face à
-l’Europe; nous aurons fait sur le sol africain un coude de neuf à onze
-cents lieues.
-
-Qu’y a-t-il à voir, à l’heure qu’il est, sur cette longue ligne? Que se
-passe-t-il, dans ces régions sur lesquelles la carte est presque
-entièrement muette, ou bien qu’est-ce que représentent le petit nombre
-d’indications qu’elle donne? Sous quels aspects se présentent là et la
-terre et les hommes? Le soleil, les nuages, les montagnes, les rivières,
-ont-ils là les mêmes habitudes que chez nous? Le sol est-il pareil à
-celui que nous foulons? se pare-t-il des mêmes couleurs, porte-t-il les
-mêmes plantes, nourrit-il les mêmes animaux, et, creusé, laisse-t-il
-voir les mêmes choses?--Enfin, s’il y a des hommes dans ces vastes
-contrées, qui sont ces hommes? Quelle idée se font-ils de la vie
-humaine? Quel parti tirent-ils de la terre et des choses qu’elle porte?
-Quel parti tirent-ils de leurs semblables et d’eux-mêmes? Que
-savent-ils? Qu’imaginent-ils? Ce même soleil qui, eux aussi, les
-réchauffe et les éclaire, leur dit-il quelque chose des autres hommes
-qu’il a réchauffés et éclairés avant que d’arriver à eux, de ceux qu’il
-réchauffe et éclaire en même temps qu’eux: de nous, par exemple, qui
-sommes de ceux-là? Ces hommes s’occupent-ils de nous, comme nous nous
-occupons d’eux? Songent-ils également, de leur côté, à nous rendre
-visite?
-
-Bien d’autres questions s’élèvent à la vue de ces espaces si voisins de
-notre Europe, et si fort négligés par elle; de ces espaces où nos
-croyances et nos sciences, nos langues et nos institutions sont presque
-totalement inconnues. Ces hommes, en effet, ne pouvons-nous rien pour
-eux? N’avons-nous à échanger avec eux que des regards indiscrets et
-méfiants? Si différents qu’ils soient de nous par l’extérieur et le
-costume, ou même par l’organisation et les habitudes, en sont-ils moins
-nos pareils au nom des besoins universels de la nature humaine, au nom
-du travail qui répond partout à ces besoins, au nom de la sympathie par
-laquelle chacun de nous est associé aux plaisirs et surtout aux
-souffrances des autres hommes? Qu’ils le reconnaissent ou non, ils
-appartiennent à la grande famille dans laquelle nous ne voyons, nous,
-que des frères nés pour être amis, des frères que l’erreur seule sépare.
-
-Deux questions surtout ont attiré, de nos jours, l’attention des
-Européens vers cette partie de l’Afrique.
-
-L’une de ces questions se rapportait à un vaste courant d’eau qui
-promettait à lui seul un puissant instrument aux recherches ultérieures.
-Car, vous le savez, une rivière en ces régions brûlantes, ce n’est pas
-seulement, comme ailleurs, _un chemin qui marche_[1], c’est un chemin
-qui désaltère ceux qu’il porte, un chemin qui leur prépare devant eux
-des vivres et un abri sur les rives que son eau fertilise. De là
-l’importance de la question du NIGER, ce _Nil des Noirs_, mentionné il y
-a plus de deux mille ans par l’historien grec _Hérodote_, retrouvé en
-1795 par l’Anglais _Mungo-Parck_, et dont les sources principales furent
-indiquées, en 1822, par l’Anglais _Laing_. Plus récemment, en 1850, deux
-autres Anglais, _Richard Lander_ (ci-devant domestique du célèbre
-voyageur Clapperton), et son frère _John_, se livrant hardiment au
-courant du fleuve, l’ont descendu jusqu’à la mer.
-
- [1] Expression de _Pascal_.
-
-L’autre question, qui touchait de près à la première, était relative à
-la ville de TOMBOUCTOU[2], voisine du fleuve, et comme lui, mystérieuse.
-Ce nom, il faut le dire, exerçait une sorte d’enchantement sur
-l’imagination des géographes. Ils ne pouvaient se représenter sans
-enthousiasme une capitale grandie, comme par miracle, sous le souffle
-desséchant du Désert: véritable port de cet océan de sable qu’on appelle
-le _Sahara_, entrepôt florissant d’un commerce perpétuel entre le nord
-et l’occident de l’Afrique. C’était à qui lui prêterait les plus larges
-dimensions; les évaluations les plus modérées ne lui donnaient pas moins
-de cent mille habitants. Un écrivain arabe, enchérissant sur les
-exagérations de ses compatriotes, allait même jusqu’à dire: «C’est la
-plus grande ville que Dieu ait créée.»
-
- [2] Ou _Temboctou_ ou _Ten-Boktoue_, comme on commence à l’écrire à
- présent, d’après l’Arabe Ben-Batouta.
-
-Vous commencez à craindre que la réalité ne réponde pas à ces pompeuses
-annonces; elles auront du moins servi à tourner l’attention de ce côté.
-Si l’on n’a pas le singulier plaisir que l’on se promettait de
-rencontrer un _Paris_ au milieu des sables, en revanche on aura quelques
-pages de plus à ajouter à l’inventaire de notre planète, et au
-recensement général de la famille humaine.
-
-Quant à nous, nous sommes, pour le moment du moins, condamnés à ne
-visiter ces contrées lointaines que par les yeux d’autrui, et, pour
-ainsi dire, par procuration.--Le voyageur qui se charge de les visiter
-pour nous se fera-t-il toutes les questions que nous nous ferions en
-pareil cas? Arrivera-t-il là-bas avec nos propres préoccupations? Par
-lui serons-nous là comme si nous y étions nous-mêmes? C’est chose dont
-on peut douter; toutefois, dans l’impossibilité où nous sommes, pour
-longtemps peut-être, de nous transporter en personne à douze cents
-lieues d’ici, cette ressource des récits d’emprunt (la seule qui nous
-reste) n’est pas à dédaigner. Elle serait plus précieuse encore, si les
-lecteurs de _voyages_ avaient le bon esprit de ne demander au voyageur
-que ce qu’il sait, de ne pas le contraindre à parler des choses que les
-circonstances du trajet ou bien le défaut de connaissances préalables ne
-lui ont pas permis de remarquer. Loin de là, le voyageur est tenu,
-d’ordinaire, de tout voir, de tout entendre, de tout comprendre; il est
-tenu d’entrer dans le pays avec tous les moyens d’observation que
-chacune de nos sciences modernes prête à ses disciples; il est tenu d’en
-sortir sans oublier le nom d’une seule bicoque. Le lecteur gagne-t-il en
-réalité quelque chose à ces exigences? eh mon Dieu non! Le voyageur fait
-semblant d’être en état d’y satisfaire; il parle de tout; il ne laisse
-pas en blanc une seule des stations de son itinéraire: toutes les
-lacunes de ses notes ou de sa mémoire, il les remplit de la meilleure
-grâce du monde: son honneur est sauf aux dépens de sa probité.
-
-Tâchons d’être justes, ne fût-ce que pour n’être pas trompés; et,
-prenant notre voyageur pour ce qu’il est, ne le forçons pas à se donner
-pour autre. Voyons ce que nous pouvons en conscience attendre de lui, et
-ne lui demandons rien de plus.
-
-Dès l’ouverture de son livre[3], nous apprenons que c’est un jeune homme
-de vingt-six à vingt-sept ans. Ni dans le village de Poitou[4] qu’il
-quitta, nous dit-il, à seize ans pour la côte d’Afrique, avec soixante
-francs pour toute fortune, et quelques lectures de voyages pour toute
-instruction; ni dans ses différentes courses au Sénégal ou à la
-Guadeloupe, il n’eut le loisir ou le moyen d’acquérir les connaissances
-qu’un voyage de découverte exige.--De plus, s’il parcourt sur le globe
-la ligne de route que nous venons de tracer sur la carte, c’est en
-passant, c’est à la dérobée, à la hâte, dans des transes perpétuelles,
-et comme en traversant un camp ennemi: sans autre défense que celle que
-ses maux lui acquièrent de loin en loin dans les âmes compatissantes;
-sans autre protection que la pitié ou le mépris qu’il inspire. Pauvre
-mendiant dévot, marchant seul et à pied au milieu de tant de populations
-étrangères, bien souvent, c’est à peine s’il ose lever les yeux de
-dessus le grand chapelet musulman qui lui sert de passeport.
-
- [3] _Journal d’un voyage à Tombouctou et à Jenné_, etc., par René
- CAILLIÉ.
-
- [4] _Mauzé_ près Thouars, département des Deux-Sèvres.
-
-Vous voyez qu’il est difficile de voyager dans des conditions plus
-défavorables. Nous serions mal venus à vouloir qu’il sorte de là une
-relation nourrie d’observations approfondies et savantes. Toutefois, un
-pareil trajet peut nous apprendre encore bien des choses que nous
-ignorons, et nous en rappeler d’autres auxquelles nous ne songeons pas.
-En laissant même les indications que le voyageur a tâché de recueillir
-sur les pays qui se trouvaient à droite et à gauche de sa route; en
-laissant encore la longue liste de dénominations géographiques qu’il
-s’est efforcé de compléter; il reste les choses qu’il a vues de ses
-yeux, les choses que tout passant en Afrique pourrait apercevoir de
-même, les choses sur lesquelles il ne peut y avoir de doute, sans
-inculper, non pas les lumières, mais la bonne foi même de celui qui les
-raconte: il reste les événements auxquels le voyageur a été mêlé, dans
-lesquels il s’est trouvé tout ensemble acteur et spectateur. Le
-_journal_ de M. CAILLIÉ serait réduit au récit de ses propres aventures,
-qu’il n’en serait par là même sur l’Afrique qu’un témoignage plus
-expressif et plus authentique.
-
-De ce que M. Caillié avoue franchement qu’il s’est mis en route sans
-avoir pu jamais acquérir les connaissances qui peuvent donner le plus de
-prix à une pareille entreprise, il ne s’ensuit pas qu’il soit parti sans
-préparation aucune. Rien que pour entrer sur le territoire d’Afrique, il
-faut se déguiser, se transformer, se composer un rôle. Ce rôle, il faut,
-dans une si longue traversée, qu’il s’adapte également à chacun des pays
-à parcourir; qu’il convienne aux ressources particulières du voyageur,
-qu’il s’accommode à ses moyens d’observation. Une fois ce rôle composé,
-il faut l’apprendre, il ne faut pas l’oublier un seul instant: il y va
-de la vie. Ce rôle, quel qu’il soit, bien choisi et bien joué, est à lui
-seul un renseignement précieux sur les contrées dont il ouvre la porte
-au voyageur.
-
-Ainsi donc, à part ses résultats, et seulement pour être mise à
-exécution, la traversée que nous nous proposons demande un
-apprentissage. Celui de M. Caillié, commencé de bonne heure, et plus
-long par le manque même d’encouragements et de secours, dura près de dix
-années. Trois voyages successifs au Sénégal, deux essais malheureux pour
-pénétrer dans l’intérieur à la suite des expéditions anglaises, le
-familiarisèrent avec toutes les difficultés de sa tâche. Dans l’une de
-ces tentatives, il vit par lui-même combien la foule des chameaux, la
-richesse du bagage, et même une troupe de soldats armés, servent de peu
-contre des hommes qui, s’obstinant à fermer aux Européens l’accès de
-leur pays, comptent au nombre de leurs armes offensives le soleil et le
-sable, et n’ont rien que leurs puits à défendre. Une retraite ruineuse
-«et plus sinistre qu’une déroute» lui apprit qu’à moins de se frayer le
-chemin par la force, l’étude de ces populations défiantes ne devait pas
-se faire avec tant de bruit.
-
-Ainsi, le plus grand obstacle à la traversée que nous nous proposons, ce
-sont les hommes. Des Arabes, en effet, de race plus ou moins mélangée,
-ont pénétré partout en ces parages parmi les populations noires et
-partout, avec le nom de Mahomet et ses lois sévères, ils ont implanté la
-haine et le mépris des _Chrétiens_: mettant, sous ce nom, tous les
-Européens _hors la loi_; nous dévouant tous tant que nous sommes, en
-cette vie, au brigandage et à la filouterie des _Fidèles_, et dans
-l’autre, aux flammes éternelles de l’enfer.
-
-Notre jeune voyageur[5] jugea que le plus court était d’apprendre leur
-religion et leur langue. Il trouva tout simple d’abandonner les chances
-de fortune que lui offrait le commerce[6], pour aller faire son
-éducation musulmane chez les Musulmans eux-mêmes. Pour maîtres d’arabe
-et d’islamisme, il choisit les Arabes (ou Maures) Braknas qui errent
-avec leurs troupeaux entre le Sénégal et le Désert, à cinquante ou
-soixante lieues de la côte.
-
- [5] M. Caillié avait alors vingt-quatre ans.
-
- [6] Un négociant lui avait fait l’avance d’une petite pacotille.
-
-Je ne m’arrêterai pas à vous raconter le traitement que lui valut de
-leur part son apparente conversion aux croyances musulmanes. Ses hôtes
-lui montrèrent à lire l’écriture arabe, et lui firent apprendre par cœur
-force versets du Coran. Il fut même pourvu d’une planchette d’écolier,
-et, comme les enfants, soumis, le matin avant le jour et le soir à la
-nuit, à chanter à haute voix la gloire d’_Allah_ et de _Mohamed_, à la
-lueur d’un petit feu.
-
-La langue usuelle de ces Arabes lui devait être par la suite du plus
-grand secours. Leur société était du reste une excellente école de mœurs
-africaines, de vie uniforme et simple, et par-dessus tout, de sobriété.
-Chose étrange pour nous! Chose bien plus étrange encore pour l’estomac
-du pauvre _voyageur_, leur principale nourriture, c’est le lait: aux
-chefs, le lait de chameau; aux autres, le lait de vache, de chèvre ou de
-brebis; dans la saison des pluies ils ne prennent pas autre chose. Une
-simple bouillie de mil pilé et assaisonnée d’herbages supplée au lait
-dans les temps de sécheresse. Un repas de viande séchée est le privilége
-des plus riches, et pour eux-mêmes, un régal. Le reste est à l’avenant.
-
-Ces privations continues ne les dispensent pas du jeûne que la religion
-leur impose, jeûne auprès duquel ce que les Européens appellent
-aujourd’hui de ce nom n’est qu’un jeu. Ce jeûne, en dévot catéchumène,
-_Abdallahi_[7], c’est le nom que M. Caillié s’était donné, y fut
-astreint sans miséricorde.
-
- [7] Ce nom qui signifie _esclave de Dieu_ est de ceux que recherche
- l’humilité musulmane.
-
-«Le soir (5 avril 1825) on aperçut la nouvelle lune. C’était celle du
-Ramadan: le carême allait commencer. On fit de longues prières et
-beaucoup de bouillie de mil...» C’était dans la saison des chaleurs, par
-un vent d’est étouffant. Une tasse de lait aigre _avant_ et _après_ le
-coucher du soleil; à onze heures du soir, une simple bouillie de mil:
-tel était, tel est encore sur la rive droite du Sénégal le régime de _la
-lune du jeûne_.
-
-«Le sixième jour, dit le voyageur, je crus que je ne pourrais soutenir
-plus longtemps ces terribles mortifications. La chaleur augmentait; ma
-soif était insupportable: j’avais la gorge desséchée; ma langue, gercée,
-me faisait l’effet d’une râpe dans la bouche. Je crus que je
-succomberais; je ne souffrais pas seul: tout le monde, autour de moi,
-endurait les mêmes tourments. Enfin, les _Marabouts_ se baignèrent le
-visage, la tête et une partie du corps. On me permit d’en faire autant;
-mais j’étais observé avec la plus grande attention.»
-
-Une seule fois il avale avec frayeur une partie de l’eau avec laquelle
-il était permis de se laver la bouche.
-
-«Je jeûnai ainsi dix-sept jours; le dix-huitième, je fus attaqué de la
-fièvre; alors on me dispensa du jeûne, si toutefois on peut appeler ne
-pas jeûner boire un peu d’eau dans la journée, car on ne me donna
-absolument rien à manger.»
-
-Huit ou neuf mois de séjour parmi les Braknas ont mis le voyageur à même
-de nous raconter à loisir tous les incidents, très-peu variés du reste,
-de leur vie ambulante, de nous introduire dans leurs maisons portatives,
-de nous montrer leur ameublement, leur costume; de nous faire voir
-comment sont réparties chez eux, entre les diverses classes d’hommes
-libres ou d’esclaves, les différentes fonctions industrielles,
-commerciales, civiles, militaires, religieuses, etc. Ces curieux détails
-nous mèneraient trop loin. Il ne faut pas oublier que nous avons
-beaucoup de chemin à faire.
-
-Le _chrétien_, dont la conversion avait toujours laissé quelque
-défiance, était allé aux bateaux français sur le fleuve, et, contre
-l’espérance de ses hôtes, il était revenu partager leur fade bouillie de
-mil.
-
-Il s’agissait d’_acheter un troupeau et deux Noirs_ pour établir chez
-les Braknas son point de départ sur une base solide. Par malheur, le
-gouverneur français, qui avait encouragé ses premiers essais, était
-parti. M. Caillié vit ses offres repoussées, et des espérances qui lui
-coûtaient déjà tant de fatigues, ruinées de fond en comble. Il se fit
-empailleur d’oiseaux, pour vivre. Le gouverneur, revenu, ne répondit à
-son empressement que par de vagues promesses. Les Anglais de
-Sierra-Leone l’accueillirent mieux à tous égards. Les Français lui
-avaient opposé M. de Beaufort et les railleries amères sur sa prétendue
-conversion et sur son costume. Les Anglais, en lui opposant le major
-Laing, également parti pour Temboctou, lui offrirent l’hospitalité la
-plus généreuse. Près de deux ans s’écoulèrent ainsi dans des
-désappointements continuels.
-
-M. Caillié ne se rebuta point. Il avait eu connaissance du prix proposé
-en 1824 par la _Société de géographie_ de Paris, au voyageur qui
-parviendrait le premier à Temboctou par la voie de la Sénégambie; il se
-disait: «Mort ou vif, je l’obtiendrai; si je n’en jouis pas, ma sœur le
-recueillera.» Il ajoute: «Je refusai tout arrangement; je voulus au
-moins laisser à l’amie de mon enfance une propriété incontestable, le
-mérite d’avoir tout fait par moi seul.»
-
-Il se lia à Free-town[8] avec des Noirs musulmans venus de l’intérieur:
-puis, un jour, sous le sceau du secret, il leur apprit d’un air
-très-mystérieux qu’il était né à Alexandrie en Égypte, qu’il avait été
-fait prisonnier par l’armée française, et conduit au Sénégal pour faire
-les affaires commerciales de son maître: qu’affranchi pour ses services,
-il voulait retourner dans son pays natal, et reprendre la religion de
-ses pères.
-
- [8] Chef-lieu de la colonie anglaise de Sierra-Leone.
-
-Telle est la fable sur la foi de laquelle allait reposer pendant près de
-dix-sept mois la sûreté de sa vie.
-
-Une petite friponnerie lui fit sentir dès le lendemain qu’il ne pouvait
-espérer, avec l’habit européen, vaincre les vieilles habitudes de ses
-nouveaux amis d’Afrique; il s’empressa de gagner par mer un endroit où
-il pût débarquer avec son costume arabe, et choisit pour tel
-l’embouchure du Rio-Nunez, à cinquante lieues nord de Sierra-Leone. Il
-avait converti en argent et en marchandises les _deux mille francs_
-d’économies qui composaient toute sa fortune; dix-sept cents francs
-avaient été consacrés à des achats de poudre, de papier, de tabac, de
-verroteries, d’ambre, de corail, de mouchoirs de soie, de couteaux,
-ciseaux, miroirs, clous de girofle, de trois pièces de guinée bleue et
-d’un parapluie. Tout cela ne pesait pas cinquante kilogrammes. Le reste
-en or et en argent tenait dans sa ceinture. Quelques Anglais lui
-procurèrent divers médicaments, de la crème de tartre, du jalap, du
-calomélas, divers sels purgatifs, du sulfate de quinine, des emplâtres
-de diachylon, enfin du nitrate d’argent. M. Caillié se pourvut, en
-outre, de deux petites boussoles, et remplit les poches de son costume
-arabe des feuillets d’un Coran qu’il avait déchiré.
-
-Parti de Sierra-Leone, le 22 mars 1827, il arrive au village de Kakondy,
-sur la rive du Rio-Nunez, le 31. Un coup de fortune pour lui ce fut,
-dans ce village, la rencontre d’un négociant français[9] qui se fit un
-plaisir de mettre son expérience du pays au service de son jeune
-compatriote. Il fit venir quelques Noirs voyageurs, fort considérés,
-leur livra le voyageur avec les recommandations les plus vives et des
-présents plus expressifs encore. Ces présents représentaient la valeur
-d’un bœuf en marchandises.
-
- [9] M. Castagnet.
-
-
-
-
-DÉPART.
-
-
-«Le 19 avril 1827, dit M. Caillié, je pris congé de M. Castagnet.
-L’avouerai-je! je pleurais en quittant mon généreux ami et pourtant ces
-regrets bien sincères ne pouvaient altérer la joie que j’avais
-d’entreprendre enfin ce voyage.» A deux heures de marche de Kakondy, sur
-la rive gauche du Rio-Nunez, les tombeaux de cinq voyageurs anglais
-(entre autres, du major Peddie) durent assombrir la longue perspective
-de nouveautés, mais aussi de fatigues et de périls qui s’ouvrait enfin
-devant l’impatient voyageur. Une fois qu’il aura mis derrière lui les
-hautes montagnes boisées qu’il voit à l’horizon, il lui faudra marcher
-bien longtemps avant qu’un mot français revienne frapper son oreille, et
-l’invite à déposer enfin non plus seulement sa couverture de laine et
-ses sandales, mais encore ce fardeau de défiances, de mensonges et de
-faux-semblants qui lui pèse encore plus.
-
-Nos compagnons de voyage, au départ, sont cinq Noirs libres,
-_Mandingues_ aux cheveux crépus, au nez aquilin, aux lèvres minces, et
-trois Noirs esclaves. Tous, à l’exception du chef noir Ibrahim et de sa
-femme, portent sur leur tête des charges énormes dans de longues
-corbeilles. Un _Foulah_ (au teint marron-clair, cheveux crépus, lèvres
-minces) porte sur sa tête le bagage du voyageur.
-
-Le voyage commence le plus heureusement du monde. Les Noirs, moyennant
-quelques morceaux d’étoffe, ont pour Abdallahi toutes les attentions
-possibles. Les Foulahs rencontrés en route, les uns chargés de sel
-qu’ils voiturent dans l’intérieur à trente ou quarante lieues de là, sur
-leur tête, les autres apportant à la côte des cuirs, de la cire, du riz
-que les marchands européens se disputent, en apprenant que le blanc est
-Arabe ne peuvent se lasser de le regarder et de le plaindre, viennent
-s’asseoir à terre près de lui, prennent ses jambes sur leurs genoux, et
-les pressent doucement pour le délasser. «Tu dois bien souffrir, lui
-disent-ils, car tu n’es pas habitué à faire une route aussi pénible.»
-Ils vont eux-mêmes chercher des feuilles pour lui faire un lit: «Tiens,
-voilà pour toi, car tu ne sais pas comme nous dormir sur la pierre.»
-
-Émerveillé de cette dévotion charitable, étendu sur son lit de
-feuillage, le voyageur couche sans crainte à la belle étoile:
-quelquefois sous de magnifiques ombrages, quelquefois sous des appentis
-de branches et de paille destinés à abriter les passants. Partout, le
-guide Ibrahim s’empresse de débiter et d’embellir l’histoire
-d’Abdallahi, le faisant naître à la _Mecque_ même, la seule ville du
-monde dont le nom soit parvenu à ces peuples. Partout à la nouvelle de
-l’arrivée d’un compatriote du Prophète, les hommes et les femmes
-accourent, non plus avec la curiosité méprisante des bords du Sénégal,
-mais avec une sorte d’ingénuité respectueuse, se tenant à distance du
-saint étranger, lui ouvrant cordialement leurs cabanes, lui apportant
-quelquefois la seule chose qu’ils possèdent, de petites galettes de riz
-mêlé de miel et de piment, séchées au soleil, le pain de maïs jaune et
-frais, assaisonné de miel et de pistaches grillées et pilées, du lait,
-des fruits: présents que les femmes lui offrent souvent à genoux.
-
-Un exemple vous donnera une idée plus précise de ces bergers
-montagnards: «Un soir que la petite caravane avait, comme d’ordinaire,
-fait halte auprès d’une source pour y passer la nuit, je vis un jeune
-Foulah qui ne pouvait se lasser de me regarder. Il me proposa de le
-suivre à son camp, pour boire du lait. Comme je ne voulais pas y aller
-seul, il engagea un de mes compagnons de voyage à m’accompagner: deux
-d’entre eux s’y prêtèrent avec complaisance. Le jeune homme marchait
-devant nous pour nous enseigner la route, et avait soin d’ôter de
-grosses pierres qui se trouvaient sur mon passage. Arrivé à son camp,
-qui était tout près de notre halte, il s’empressa de sortir une peau de
-bœuf sur laquelle il me pria de m’asseoir. Ce camp se composait de cinq
-ou six cases en paille presque rondes et très-basses: il fallait se
-mettre en deux pour y entrer. L’ameublement se composait de quelques
-nattes, peaux de mouton et calebasses pour mettre du lait; le lit, de
-quatre piquets sur lesquels étaient placés en long des morceaux de bois
-recouverts d’une peau de bœuf. Il alla avertir sa vieille mère et ses
-sœurs, et leur dit que j’étais un Arabe compatriote du Prophète, et
-allant à la Mecque. Elles me regardèrent avec beaucoup de curiosité, et
-en faisant plusieurs gestes crièrent _La allah il allah_, etc. (Il n’y a
-d’autre Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète)--à quoi je répondis
-par la formule ordinaire. Elles s’assirent à une petite distance de moi,
-et me regardèrent tout à leur aise. Le jeune Foulah alla me chercher du
-lait dans une calebasse qu’il eut soin de laver (excessive politesse de
-leur part), puis m’apporta un peu de viande frite; je l’engageai à en
-manger avec moi; mais, en me montrant du doigt la lune, il me dit d’un
-air timide et riant: Je jeûne, c’est le Ramadan.»
-
-Nous traversons ainsi des montagnes verdoyantes, coupées de ravins au
-fond desquels grondent de nombreux ruisseaux: marchant le plus souvent à
-l’ombre de hautes forêts[10], sans autre incident que la rencontre de
-quelques singes roux qui aboient comme des chiens. A l’un des nombreux
-passages à gué de rivières grossies tout-à-coup par les orages, le
-voyageur faillit être emporté par le courant: les noirs effrayés
-criaient à tue-tête: _Allah il allah_, etc. (Dieu est Dieu et Mahomet
-est son prophète).
-
- [10] «Peuplées, dit M. Caillié, d’une foule d’oiseaux _dont les
- couleurs varient à l’infini_.»
-
-Du reste, le voyageur essuie chaque jour un violent orage et quelquefois
-plusieurs. Les pluies qui commencent en avril durent six mois
-consécutifs en ces montagnes. Mouillé jusqu’aux os, il marche pieds et
-jambes nus par des chemins inondés. Ce pays montagneux est habité par
-des Foulahs qui y promènent leurs troupeaux, et semé de villages
-d’esclaves noirs cultivateurs. La vie paraît y être facile pour tous; le
-lait des vaches et des brebis, un peu de riz qui croît facilement dans
-la plaine, suffisent à leur nourriture, avec le fruit du nédé, du
-pistachier, de l’oranger, du bananier. Vous venez d’entrer chez le bon
-jeune Foulah; visitez à présent les villages de Noirs esclaves: vous les
-trouvez entourés de belles plantations de bananiers, ananas, cassave,
-ignames, choux caraïbes: le tout bien soigné par les femmes, pendant que
-les hommes sont aux champs de riz ou de _foigné_.
-
-Le corps, la tête surtout, graissés de beurre, vêtus, du reste, comme
-les Mandingues, d’une chemise sans col et sans manche et d’une large et
-courte culotte de grosse toile de coton blanche arrêtée seulement à la
-ceinture par une coulisse, les Foulahs se tiennent très-droit, mettent
-beaucoup de sérieux dans leurs démarches, et se croient très-supérieurs
-aux Noirs. Leurs armes ordinaires de voyage sont des flèches
-empoisonnées et des lances. Cependant, le fer n’est pas rare dans leurs
-montagnes et M. Caillié a vu chez eux plusieurs fourneaux de cinq à six
-pieds de haut, de dix-huit à vingt de tour avec une cheminée à la voûte
-et quatre trous à la base.
-
-Le 28 avril, grand jour de fête; séjour, pour la célébration de la
-Pâque; le matin, prière en commun, plus solennelle que de coutume; les
-marchands se prosternent à la file et Abdallahi avec eux. «Au sortir de
-la prière, on se dispose à tuer le bœuf (acheté la veille en commun
-entre douze ou quinze).» Les Mandingues passèrent près d’une heure à
-égaliser les lots de viande: ils prirent chacun un petit morceau de bois
-pour les mesurer; des coups de fusil et des chants à la louange
-d’Ibrahim (qui fournit la poudre), répondent par avance au plaisir
-promis par le copieux repas qui s’apprête. Sans avoir pris part à
-l’achat du bœuf (le moment serait en effet mal choisi pour paraître
-riche), Abdallahi est appelé à prendre part au festin. Ce jour-là une
-petite querelle des jours précédents au sujet du cadeau de M. Castagnet,
-est mise en oubli. «En entrant dans la case d’Ibrahim, je vis une grande
-calebasse de riz bouilli, sur lequel on avait mis de la viande en assez
-grande quantité. Nous nous assîmes autour et chacun mit la main au plat.
-Le riz fini, Ibrahim distribua la viande.» le reste du bœuf est exposé
-toute la nuit à la fumée, et mis pour les jours suivants dans des sacs
-de cuir. Quant à la peau, on l’échange contre une provision de riz.
-
-Le 29, nous arrivons sur des roches rougeâtres et poreuses à la petite
-montagne de granit noir qui sépare le pays d’_Irnanké_ où nous étions
-tout-à-l’heure, du _Fouta-dhialon_ où nous allons entrer. Le voyageur ne
-peut pas garder les sandales du pays, et marche pieds nus sur les
-roches[11].
-
- [11] M. Caillié dit ici: «Aux roches succédèrent des pierres _de
- nature volcanique_.
-
-Le premier village du Fouta-dhialon vous donnera une idée des autres.
-Une haie vive lui sert de muraille; les cases grandes et bien tenues,
-appuyées là sur une terre jaune et fertile, sont entourées de belles
-cultures potagères dont les femmes et les enfants ont le plus grand
-soin. Ils se donnent même la peine de balayer les allées qui conduisent
-à leur case. Du reste toujours même sobriété.
-
-Le dîner du chef, obligeamment offert, après la prière, à Ibrahim et à
-Abdallahi, n’est autre chose que du riz cuit à l’eau assaisonné de lait
-aigre. Ils le partagent assis à terre sur une natte, auprès d’un petit
-feu, que l’humidité rend nécessaire. «Après ce léger repas, ajoute le
-voyageur, la femme du chef vint s’asseoir avec nous; elle écoutait en
-silence la conversation qui roulait sur les _Chrétiens_ dont ils parlent
-toujours avec mépris. Elle eut la complaisance de me donner un peu de
-lait, qu’elle m’engagea à boire, puis alla chercher quelques figues et
-bananes, les mit dans une calebasse bien propre, et nous les donna à mon
-guide et à moi. Cette femme avait une physionomie extrêmement douce; son
-vêtement consistait en deux bandes de toile de coton fabriquée dans le
-pays et de la plus grande propreté. Elle n’exhalait pas l’odeur de
-beurre rance des femmes foulahs du pays d’Irnanké.»
-
-Le pays est généralement découvert; la route, suivie par Ibrahim,
-traverse tour-à-tour des monticules pierreux et des plaines de terre
-jaune ou de sable noir également fertiles: plaines arrosées par un grand
-nombre de rivières rapides, du moins après les violents orages qu’essuie
-chaque jour le voyageur.
-
-Le blanc excite toujours la curiosité de tous. Les habitants, au teint
-noir ou marron, accourent en foule pour le voir. Quelques-uns ont le
-corps tout couvert d’ulcères. Abdallahi prend pitié de leurs infirmités,
-et devient leur médecin. «Je leur distribuai, dit-il, quelques
-caustiques (du nitrate d’argent, autrement dit _pierre infernale_) avec
-de la charpie: ils m’envoyèrent un bon souper en signe de
-reconnaissance.»
-
-La case où il séjourne ne désemplit pas; les questions et les présents
-se succèdent. Plusieurs grands marabouts lui viennent rendre visite. Le
-chef d’un village voisin lui envoie du lait et une _noix de colats_,
-signe de grande considération. Les femmes, plus par curiosité que par
-dévotion, lui apportent de la cassave, du lait, des oranges, du riz, et
-les lui présentent à genoux. Indisposé, il reçoit, en cadeau, une grosse
-poule. Les chefs de village lui offrent leur souper de riz au lait
-aigre. Un cordonnier lui donne une paire de sandales. Le voyageur note
-sur son chemin des champs de tabac d’une petite espèce et de coton semé
-à la volée et mal soigné.
-
-Le chef d’un de ces villages, très-honoré de recevoir dans sa case
-(grande et belle case à deux portes) un compatriote du Prophète, vient
-près de son hôte, lui passe les mains sur la tête, puis se frotte
-dévotement la figure. Ce vieillard s’agenouillait pour la prière, à
-l’ombre d’un oranger, sur de petits tas de cailloux bien piquants;
-Abdallahi dut l’imiter. Ce vieillard lui présente un enfant de quatre à
-cinq ans à qui toutes les prières musulmanes n’avaient pu rendre la vue:
-les parents repoussent avec horreur l’idée de conduire le malade à la
-colonie de Sierra-Leone, et de remettre leur enfant aux mains des
-chrétiens.
-
-Le 7 mai, un violent orage, contre lequel le parapluie du voyageur lui
-est d’un faible secours, fait entrer Abdallahi dans la case d’une bonne
-vieille négresse qui s’empresse de lui donner l’hospitalité, et le
-régale de quelques morceaux de cassave rôtis sur les charbons; ses deux
-garçons qui reviennent tout nus des champs, apprenant qu’un Arabe allant
-à la Mecque est chez leur mère, lui rendent aussitôt visite: «Ils
-s’informèrent de ma santé d’un ton fort doux, et m’engagèrent à partager
-leur case qui était beaucoup plus grande. Avant de m’emmener chez eux,
-ils eurent soin d’aller chercher une grande natte pour me couvrir, car
-la pluie continuait toujours: Ils me firent asseoir dans leur case, sur
-une peau de mouton, près du feu. Ils m’offrirent un peu de lait aigre
-que, peut-être, ils réservaient pour leur souper. La bonne mère fit
-bouillir pour eux et pour elle un peu de foigné (graminée qui croît en
-abondance en ces montagnes) assaisonné d’herbage, le tout sans beurre et
-sans sel. Ibrahim m’envoya mon souper de riz au lait: ni les jeunes
-garçons ni la mère ne voulurent y toucher _parce qu’ils_ sont esclaves.
-Nous fîmes la prière ensemble, et nous nous couchâmes sur des nattes.»
-
-Le 8, la caravane traverse à gué avec bien de la peine une rivière d’une
-centaine de pas de large, dont l’eau bouillonne sur un lit de granit
-noir aux roches coupantes et glissantes (le _Bâ-Fing_ où Rivière-Noire,
-principal affluent du Sénégal).
-
-Viennent ensuite des gorges de montagnes de trois mètres de haut, tantôt
-couvertes de hautes forêts, peuplées de mille oiseaux aux couleurs
-éclatantes et de singes rouges, tantôt ne présentant autre chose que des
-roches nues de granit. Dans l’un des villages de la vaste plaine qui
-succède à ces monts, arriva la nouvelle qu’un homme de l’endroit avait
-été tué dans une bataille. «Les femmes du défunt, accompagnées de leurs
-parentes ou amies, se promenèrent dans les rues en chantant d’une voix
-glapissante, se frappant tour-à-tour dans les mains et sur le front. Une
-demi-heure après, ajoute M. Caillié, je les vis reparaître, toutes
-vêtues de blanc: elles avaient l’air calme et résigné. Elles reprirent
-aussitôt leurs occupations ordinaires. Les hommes, assis à terre devant
-la mosquée, paraissaient consternés de la mort de leur camarade, et
-blâmaient hautement la conduite de leur souverain.»
-
-Le 9 mai, après bien des villages et bien des camps habités par des
-Noirs esclaves ou par des Foulahs au teint marron-clair, nous arrivons
-au premier village du Fouta habité par des Noirs libres, par des
-Mandingues. Les compagnons de voyage d’Abdallahi arrivent chez eux les
-uns après les autres et la caravane diminue à chaque pas. Chacun, à son
-retour, s’empresse de faire fête à l’Arabe, et de le montrer à ses
-femmes et à ses enfants.
-
-Le 10 mai, dans un village peuplé mi-partie de Foulahs et de Mandingues,
-Abdallahi est conduit devant la mosquée où grand nombre de Mandingues
-étaient assis par terre autour de deux grandes calebasses pleines de riz
-pilé, trempé dans l’eau et partagé en poignées; le tout paré de quelques
-_noix_ de colats ouvertes, roses et blanches. Un marabout fit quelques
-gestes et prononça quelques paroles; puis les poignées de riz furent
-distribuées aux assistants comme une sorte de pain bénit. Les absents
-eux-mêmes eurent leur part. Abdallahi, assis à terre sur une peau de
-mouton, en reçut deux morceaux «qu’il lui fut, dit-il, impossible de
-manger, tant il les trouva fades.» Cette cérémonie avait lieu en
-l’honneur de deux jeunes enfants à qui l’on avait rasé la tête pour la
-première fois.
-
-Le même jour, après la station accoutumée, au coucher du soleil pour la
-prière, les coups de fusil des compagnons d’Ibrahim annoncent son entrée
-dans son village.
-
-
-
-
-CAMBAYA.
-
-
-«Une seconde décharge eut lieu dans la cour de mon guide en l’honneur de
-notre arrivée. La joie était peinte sur tous les visages. Je voyais ces
-bons nègres embrasser leurs petits enfants, et les presser dans leurs
-bras... Les femmes plus réservées avaient l’air timide: en abordant leur
-mari, elles posaient un genou en terre en signe de salutation, et ne lui
-adressaient aucune question. Les voisins accoururent en foule féliciter
-leurs amis sur l’heureuse issue de leur voyage. On tendit des peaux de
-bœuf dans la cour, et l’on s’assit en ronde au clair de la lune. On
-causa des circonstances de la route, du prix des marchandises et
-principalement du sel.» Puis, sitôt qu’on eut aperçu le visage et le
-costume étranger de l’Arabe, on se demanda de toutes parts «quel est cet
-homme»? Ibrahim de raconter l’histoire, et les questions de pleuvoir sur
-le pauvre Abdallahi. A neuf heures, souper de riz et de viande, dévoré
-aussitôt par une vingtaine d’assistants.
-
-Le foule retirée, Abdallahi est appelé par Ibrahim pour partager avec
-lui une bouillie de mil, et goûter le lait de ses vaches; puis est
-pourvu pour sa nuit, d’une peau de bœuf dans la case enfumée d’une des
-femmes de son hôte[12]. La fumée dans toutes ces cases n’a d’autre issue
-que le toit recouvert en paille, et du feu y est allumé la nuit, en tout
-temps; un plafond de bambous, soutenu sur des piquets plantés en terre,
-sert à retenir la suie qui retombe continuellement du toit.
-
- [12] «Cette femme était couchée au milieu de la case, entourée de
- quelques enfants.»
-
-Un séjour de deux ou trois semaines permet au voyageur de se reposer de
-ses premières fatigues, et de voir chez eux ces noirs Mandingues qu’il a
-eu tout le temps d’étudier en route.
-
-Dès le lendemain, visite au père d’Ibrahim, chef du village. Vieux et
-aveugle, couché dans sa case sur un banc de terre à six pouces du sol,
-ce chef se lève sur son séant à l’arrivée d’Abdallahi; après la
-salutation musulmane, il lui promène la main sur tout le corps en
-disant: Arabe, tu es bon.--Visite à tous les amis d’Ibrahim: excellent
-accueil de la part de tous. Trois jours après l’arrivée, quelques coups
-de fusil les appellent dans sa cour pour une distribution de tabac qu’il
-voulait leur faire. Il est à noter que les Mandingues en font une grande
-consommation: les femmes ont l’habitude de s’en frotter les dents.
-Ibrahim distribue aussi quelques aunes de cotonnade à chacune de ses
-trois femmes: ces largesses lui attirent les bénédictions des vieillards
-et les louanges des femmes qui sautent autour de lui en chantant.
-
-Pendant les vingt jours que M. Caillié passe à Cambaya, il est logé chez
-le maître d’école, le saint du village, vieux et pauvre, mais nourri par
-les riches et servi par les enfants. Quant à ceux-ci, ils apprennent à
-lire dans l’Arabe du Coran. On n’exige des filles que les premiers
-versets. Les garçons sont obligés de l’apprendre tout entier par
-cœur.--Toutes les nuits, vers trois heures du matin, le vieux maître et
-Abdallahi quittaient ensemble la case enfumée pour aller à la mosquée
-rendre grâce au Seigneur. La prière faite, Abdallahi revenait s’étendre
-à terre sur sa natte. Mais le pieux vieillard continuait de prier. Quant
-aux Mandingues dont il gourmandait en vain la tiédeur, ils ne faisaient
-la prière qu’à cinq ou six heures et dans leur case.
-
-Le vieux maître d’école tomba malade, Abdallahi devint son médecin et
-moyennant cinq feuilles de tabac, obtint de l’avare Ibrahim une poule
-pour sa convalescence. La petite pharmacie du voyageur fut bientôt
-assaillie de tous côtés; «les uns avaient des ulcères aux bras et aux
-jambes ou la fièvre ou le mal de ventre.» Ils avaient vu le voyageur
-donner à Ibrahim quelques prises de _jalap_, tous ils voulaient du
-_jalap_. Du reste, mêmes importunités pour le tabac, la poudre, les
-ciseaux, les étoffes. Quant à Ibrahim, il voulait tout acheter.
-
-Malgré les désagréments que ses refus lui attirent quelquefois, le
-voyageur était parvenu à dissiper tous les doutes, à force d’assiduité
-tant aux cinq prières, qu’à l’étude et à la récitation du Coran; à force
-d’empressement auprès des vieillards vénérés. Du reste sa peau était
-déjà tellement brunie par le soleil qu’on pouvait aisément le prendre
-pour un Maure. Un seul noir persistait à le traiter de Chrétien: M.
-Caillié le voyant passer le pria gravement d’écrire pour lui sur sa
-planchette un verset du Coran qu’il désirait apprendre. Cet homme devint
-dès-lors son meilleur ami; il lui donna même quelques griffonnages
-arabes, précieux talisman qu’Abdallahi dut recevoir avec les marques de
-la plus vive reconnaissance. Les habitants de ces contrées (les Foulahs
-surtout qui sont d’une humeur plus belliqueuse que les Mandingues) ne
-vont pas en voyage ou à la guerre, sans avoir le corps couvert de ces
-écritures qu’ils regardent comme un bouclier magique.
-
-Le 14 mai, Ibrahim mène Abdallahi aux champs où travaillent ses
-esclaves. Ils préparaient la terre pour la semence. Les hommes, tout nus
-sous un soleil brûlant, remuaient la terre à un pied de profondeur avec
-une pioche à manche court et très incliné, fabriquée dans le pays et qui
-est là, comme dans presque tous les pays traversés par notre voyageur,
-le seul instrument aratoire. Les femmes, à moitié nues, leurs enfants
-attachés sur le dos, ramassaient des herbes sèches, et les mettaient en
-tas pour les brûler sur le sol, seul amendement que la terre reçoive en
-ces contrées. Une pauvre vieille était occupée à faire cuire leur dîner
-consistant en bouillie de mil sans sel et sans beurre, assaisonnée
-d’herbages. Le maître à qui la vieille en offrit, n’y voulut pas goûter.
-M. Caillié apprit que les esclaves ont deux jours de la semaine pour
-travailler au champ qui est affecté à leur subsistance.
-
-Le 25, un tambour de guerre, fabriqué, à grand’peine les jours
-précédents par une vingtaine de Mandingues, avec un tronc d’arbre creusé
-par le feu et une peau de mouton tannée, rempli du reste d’écritures
-arabes, appelle la commune de Cambaya à un ouvrage qui l’intéresse tout
-entière; il s’agit de reconstruire un pont, de quarante pieds de long et
-six ou sept de large, sur la Tankisso, rivière dont les débordements
-fertilisent les plaines voisines. Tout le monde y met la main en
-chantant. Les femmes apportent le dîner de leur mari. C’est une partie
-de plaisir qui se renouvelle plusieurs jours de suite. Il s’agit tout
-simplement de gros piquets, plantés très-près l’un de l’autre au milieu
-du ruisseau; puis de traverses supportées en partie par les branches
-d’arbres qui l’ombragent; puis de troncs d’arbres posés en long sur ces
-traverses et ajustés par des branchages flexibles. Quelques bâtons de
-distance en distance servent de garde-fou.
-
-Un évènement important coïncide avec le séjour de M. Caillié dans le
-village d’Ibrahim: un soir, après la prière, le vieux chef aveugle fait
-lire à haute voix par un marabout une lettre circulaire arrivée de la
-capitale[13], «lettre écrite des deux côtés sur un papier large de trois
-pouces et long de cinq.» Puis le courrier reprit sa dépêche et se remit
-en route. Il s’agissait de la déposition par les principaux marabouts du
-marabout régnant, et de la nomination de son successeur. Le vieux chef
-fit une prière pour le nouveau souverain, puis on parla politique.
-
- [13] La ville de Timbo. M. Caillié ne paraît pas avoir aperçu autre
- chose sur les relations des villages Foulahs et Mandingues avec le
- gouvernement central.
-
-M. Caillié affirme que chaque Mandingue est un chef révéré dans sa
-famille: sa case, placée au milieu des cases de ses femmes, n’a d’autre
-ornement que ses armes, arcs et flèches, lances ou fusil, accrochés à la
-muraille; ni d’autre meuble que la peau de bœuf sur laquelle il couche
-et les jarres contenant la provision de grain de l’année, que le mari
-distribue par portions à chacune de ses femmes.
-
-Pour les femmes, elles sont, dit-il, très-gaies, nullement jalouses
-entre elles, très-soumises à leur mari, qui les pourvoit de riz et leur
-donne à chacune une vache à traire matin et soir. Les parents sont
-très-indulgents pour les enfants et les enfants sont doux et dociles.
-L’autorité des vieillards, invoquée seule dans les différends, fait loi.
-
-Quant aux deux populations distinctes de Foulahs au teint marron et de
-Noirs mandingues, il ne paraît pas que leur réunion sous les mêmes
-règlements et dans les mêmes villages entraîne aucune discorde, malgré
-la différence de leurs langues, de leurs habitudes et même de leurs
-prétentions[14]. Du reste, Mandingues ou Foulahs, il nous suffirait
-d’assister à leurs repas pour comprendre comment sont possibles, au bord
-du Tankisso, tant de choses qui ne le sont pas au bord de la Seine.
-
- [14] Un bon vieux Foulah, nommé _Guibi_, voisin d’Ibrahim--qui fit
- cadeau à Abdallahi d’un gros pain de maïs, au miel et aux pistaches,
- pour sa route--lui disait souvent _que les foulahs étaient les
- blancs d’Afrique_.
-
-«Ils ont l’habitude d’inviter tous ceux avec qui ils se trouvent ou qui
-passent auprès d’eux, à partager le dîner que leurs femmes leur
-apportent. Si l’invité ne s’assied pas auprès de la calebasse, le chef
-lui donne une poignée de riz qu’il a tournée longtemps dans sa main,
-puis trempée dans la sauce: cette politesse ne peut se refuser sans
-injure. Une autre politesse c’est, au commencement du repas, de tourner
-le riz avec la main pour le refroidir. Le chef verse lui-même la sauce
-sur le riz, mange la première poignée, puis engage les autres à
-l’imiter. Le repas commence toujours par l’invocation: Bismillah etc.
-(au nom de Dieu clément et miséricordieux).»
-
-Mais il est temps qu’Abdallahi fasse ses présents d’adieu à Ibrahim qui
-lui a servi en toute occasion de truchement et d’avocat. Il lui fait un
-joli cadeau d’ambre, d’indienne, de poudre, de papier, de ciseaux et
-mouchoirs de soie. En sage Mandingue, Ibrahim prie Abdallahi de n’en
-parler à personne. M. Caillié donne, en outre, quelques coups de poudre
-au bon vieux chef aveugle, dont il reçoit la bénédiction accompagnée de
-recommandations utiles, et fait un petit présent au bon vieux Foulah
-Guibi, en souvenir de son pain de maïs. Le 30 mai, nous nous remettons
-en marche. Le Foulah Guibi et le Mandingue Ibrahim reconduisent le
-voyageur jusqu’au nouveau pont, et le suivent longtemps des yeux, criant
-par trois fois à tue-tête _Samalécoum_ (la paix soit avec toi); puis
-encore: _Allam kisselak_ (Dieu te préserve en route).
-
-Nous voici sur la route de Kankan, ombragée d’arbres _à beurre_, avec
-une quinzaine de compagnons de voyage. Au noir Ibrahim a succédé le
-vieux noir _Lamfia_, comme lui accompagné d’une de ses femmes, qui porte
-la vaisselle et fait la cuisine de la petite caravane. Partout le vieux
-guide conte l’histoire d’Abdallahi. Abdallahi n’est plus un simple
-Arabe, c’est un homme de la plus haute noblesse musulmane, un descendant
-direct du Prophète, un _chérif_. Partout le guide sert au chérif
-d’interprète et de défenseur, avec l’autorité que lui donne son grand
-âge: autorité qui est souveraine en Afrique.
-
-A une lieue de Cambaya, nous trouvons un village en noces: le chef à qui
-M. Caillié avait donné le matin de la crème de tartre, épousait, le
-soir, sa quatrième femme. Le voyageur voit disposer en plein air les
-apprêts du souper: deux moutons bouillis dans de grands pots de terre:
-et d’énormes piles de riz cuit à l’eau et pétri en pain de sucre.
-
-La fiancée, selon M. Caillié, s’achète là moyennant un, deux, trois
-esclaves donnés à sa mère: puis le mariage se consomme sans aucune
-formalité religieuse, après une fête de nuit dont le mari fait les
-frais. Toute la nuit les nègres et négresses (esclaves) dansèrent au son
-d’un petit tambour.
-
-Les orages qui n’avaient pas cessé pendant le séjour à Cambaya,
-continuent toujours. Le voyageur, perpétuellement mouillé, a bien de la
-peine à garantir ses notes de la pluie dans le portefeuille de cuir non
-tanné qui les enveloppe: obligé souvent, à son grand regret, d’étaler
-ses marchandises pour les faire sécher. Nous traversons ainsi des
-plaines où le tambour résonne dès le point du jour, et anime les
-travailleurs. La curiosité que le chérif excite est toujours la même.
-Son parapluie, qui ne lui est pas toujours inutile contre la pluie ou
-contre le soleil, commence à jouer un grand rôle. C’est à qui verra
-comment il s’ouvre et se ferme.
-
-Le 6 juin, nous nous arrêtons au premier village du _Baleya_. Ce
-village, que le voyageur nomme Saraya, et auquel il donne de sept à huit
-cents habitants, est, comme la plupart des villages où nous aurons à
-passer, entouré de deux murs en terre entre lesquels les bestiaux
-passent la nuit. Les hameaux des esclaves sont seulement entourés de
-haies vives. Quant aux habitants, ce ne sont ni des Foulahs ni des
-Mandingues, mais des Noirs anciens possesseurs du pays et assez peu
-zélés musulmans, que l’on désigne sous le nom de _Dhialonkés_.
-
-Une heureuse rencontre, dans le village suivant, c’est celle du fils du
-chef de _Kankan_, venu là pour vendre un cheval (c’est la première fois
-que M. Caillié parle de cheval depuis son départ); Abdallahi-le-Chérif
-achète aisément sa protection avec une feuille de papier. L’intérieur
-des cases, construites en paille, est toujours le même, tapissé d’arcs,
-de flèches et de lances. Celle du chef a pour tout meuble une jarre à
-mettre de l’eau, une peau de bœuf et quelques nattes. Les habitants,
-assemblés sous un gros bombax (_arbre à soie_), dansent tous les soirs,
-à la lumière de la lune, au son d’un petit tambour et d’un flageolet de
-bambou; ou bien la lance ou l’arc à la main, figurent avec des gestes de
-menace, de douleur, de triomphe, de sérieuses pantomimes guerrières. Ces
-peuples, au dire de M. Caillié, boivent _en secret_ une espèce de bière
-fabriquée avec du mil et du miel. Leur corps est tout ruisselant de
-beurre rance. La plupart des femmes ont pour tout vêtement une _pagne_
-ou bande de toile de cinq pieds de long sur deux de large qu’elles se
-tournent autour des reins; elles ne se couvrent les épaules et la
-poitrine les jours de fête. M. Caillié nous les représente le teint fort
-noir, les cheveux crépus, ornés de grains de verre et beurrés, le nez
-légèrement aquilin, avec de grands yeux et des lèvres minces;
-«très-douces, et soumises à leurs maris.»
-
-Le 11 juin, nous arrivons, dans le pays d’_Amana_, au bord d’une rivière
-de huit ou neuf cents pieds de large et de huit à neuf pieds de
-profondeur, qui coule vers le levant; cette rivière c’est le _Dhiolibâ_,
-c’est le NIGER. Pour passer deux ou trois cents marchands noirs avec
-leurs ânes et leur bagage, il n’y avait en tout que quatre bateaux ou
-pirogues de vingt-cinq pieds de long, sur trois de large et un de
-profondeur. Il fallut une demi-journée pour que tout le monde fût sur la
-rive droite: demi-journée pendant laquelle le voyageur, assis au soleil
-sans abri[15], put contempler à l’aise le fleuve de Mungo-Parck. Vous
-supposerez sans peine qu’il suivait d’un œil de regret cette eau qui
-devait arriver avant lui près du but mystérieux de ses longs efforts. Ce
-passage du Dhiolibâ (13 juin) offre du reste le tableau le plus animé;
-les marchands noirs, de ceux que l’on nomme _Saracolets_, disputent sur
-le prix du bac. Tous veulent passer les premiers, et parlent tous
-ensemble; ils ont du reste toutes les peines du monde à faire embarquer
-leurs ânes. Aux cris de la rive gauche, répondent en signe de joie les
-coups de fusil de la rive droite. Pendant ce temps-là, grand nombre de
-femmes et de jeunes filles se baignent dans le fleuve, sans faire le
-moins du monde attention aux gens qui les regardent; puis s’en
-retournent au village de _Couroussa_, une calebasse sur la tête et une
-pagne autour des reins. Le chef de village dont les esclaves tiennent le
-bac de Couroussa, fit grâce du passage à M. Caillié en faveur de sa
-qualité de Chérif.
-
- [15] Un énorme bombax, seul arbre du rivage, ne pouvait suffire à
- abriter la foule.
-
-
-
-
-KANKAN.
-
-
-Après quatre jours de marche, le long du fleuve, sur des routes inondées
-et par un soleil brûlant: après quatre nuits de fièvre et d’insomnie sur
-des roches recouvertes de paille, le voyageur arrive épuisé à la ville
-chef-lieu de Kankan. Son vieux guide qui avait eu la complaisance de
-prendre et de fermer le parapluie à l’approche des lieux habités, voulut
-à toute force qu’il l’ouvrît pour faire son entrée dans sa ville natale.
-L’arrivée de Lamfia ressemble à celle d’Ibrahim. Toute la famille
-accourt saluer le chef. Le voyageur est retenu trois jours par la
-fatigue et par la fièvre, dans la case que lui donne son guide, en
-commun avec un Foulah de la caravane.
-
-Le chef de la ville, vieillard mandingue, père du jeune cavalier
-rencontré en chemin par Abdallahi, reçoit très-bien le Chérif, se fait
-conter au long sa touchante histoire par le vieux Lamfia, et lui promet
-de le faire conduire à Jenné par la première occasion. Quelques
-formalités de police africaine, un interrogatoire public, une décision
-expresse du conseil des vieillards sur la route qu’il lui convient de
-prendre, donnent une sorte de légalité à son séjour parmi les Noirs de
-Kankan, lui servent de défense contre les doutes qui pourraient s’élever
-encore sur la vérité de ses récits, et lui fournissent un précédent dont
-il pourra se prévaloir, au besoin, dans les autres villes. Lamfia, vieux
-guide à qui le vieux chef et son conseil de vieillards remettent le
-voyageur, avait de lui tout le soin possible. «Nous mangions ensemble,
-dit M. Caillié, et deux fois par jour on nous donnait de très-bon riz,
-avec une sauce aux pistaches et aux ognons: tous les soirs, il faisait
-allumer du feu dans ma case. Le jour de mon arrivée, je lui fis cadeau
-d’une brasse de belle guinée bleue qu’il avait paru désirer, de trois
-brasses de belle indienne et de six feuilles de papier; il parut
-très-content et me remercia beaucoup. Il passait une partie de la
-journée auprès de moi, occupé à coudre des étoffes du pays.»
-
-Abdallahi fait vendre par le guide un baril de poudre et une pièce de
-guinée. «Je me défis de ces objets à _soixante pour cent de bénéfice_,
-parce que je ne voulais prendre pour paiement que de l’or, et que cet
-article était très-rare dans le pays à cause de la guerre entre Bouré et
-Kankan qui intercepte toutes les communications. Pour que la vente fût
-meilleure, le vieux Lamfia écrivit quelques mots arabes sur la
-planchette consacrée, lava l’écriture avec de l’eau et aspergea de cette
-eau les marchandises à vendre.»
-
-Le marché de Kankan est fourni par les Noirs voyageurs de marchandises
-européennes, telles que fusils, poudre, pierres à feu, indienne de
-couleur, ambre, corail, verroteries, menue quincaillerie,--puis aussi de
-toiles blanches tissées dans les environs, de poteries en terre grise
-fabriquées dans le pays; de volaille, moutons, chèvres, bœufs; riz,
-foigné, ignames, cassave, etc. Le sel est (après l’or, sans doute) le
-premier article d’échange. Quant à l’or (tiré par le lavage, des sables
-des environs, notamment autour de _Bouré_), il est mis en circulation
-sous forme de boucles d’oreilles ou bien en petits grains qui tiennent
-dans un tuyau de plume, et se pèse dans de petites balances très-justes,
-avec des graines noires sur le poids desquelles les marchands de ce pays
-ne se trompent jamais.
-
-Le 6 juillet, grande fête musulmane du Salam. Des vieillards en manteau
-rouge bordé de jaune, à la main droite une lance, sur la tête un bonnet
-rouge et chantant tous _la il allah_, Dieu est Dieu, etc., attirent la
-foule des Noirs dans une grande plaine à l’est de la ville. L’assemblée
-en costume mandingue (large culotte, blouse sans manche et bonnet
-pointu) est bigarrée par quelques habits rouges de soldats anglais, de
-vieux manteaux et de vieux chapeaux européens, autres défroques
-dépareillées: au reste, tous les hommes étaient armés de fusils, de
-lances, d’arcs et de flèches: au moment de la prière, chacun mit ses
-armes à terre. A chaque instant arrivaient des vieillards à manteau
-rouge, suivis d’une foule de Noirs. Peu après, parut le chef, à cheval,
-précédé d’un drapeau de taffetas rose, escorté de deux ou trois cents
-Mandingues, rangés en haie et tous armés de fusils. Le _chef de la
-religion_ venait ensuite avec une nombreuse garde et précédé d’un
-drapeau de taffetas blanc, avec un morceau rose, en cœur, au milieu. Cet
-homme avait sur les épaules un manteau de belle écarlate, garnis de
-frange et de galons en or: cadeau du major Peddie qui, lors de son
-départ pour l’intérieur de l’Afrique, envoyait de tous côtés des
-présents aux chefs pour se les rendre favorables. Les vieillards à
-manteaux rouges avaient pris modèle sur celui de leur prince en Mahomet.
-Deux gros tambours pareils à celui de Cambaya conduisaient la fête.
-«L’_Almany_ fit la prière avec beaucoup de piété; il paraissait
-très-recueilli. C’était un spectacle frappant de voir une aussi grande
-assemblée se _prosterner_ pour adorer Dieu. Après la prière, les
-vieillards formèrent un dais avec des pagnes blanches. L’Almany se plaça
-sur un petit siége que l’on avait apporté exprès; il fit une longue
-lecture en Arabe, que _bien certainement personne ne comprenait_.
-
-«Cette lecture finie, le vieux chef de la ville ayant à côté de lui un
-homme qui répétait à haute voix ce qu’il disait, appela l’attention de
-ses concitoyens sur les changements de direction que la guerre de Bouré
-devait apporter dans leur commerce... Les femmes assistèrent à la fête,
-se tenant à une distance respectueuse des hommes. Après la cérémonie, on
-immola l’agneau pascal pour se régaler le reste du jour.»
-
-Le voyageur qui s’était déjà aperçu qu’on avait touché à son papier,
-reconnut le lendemain de la fête que ses plus belles verroteries et un
-rasoir avaient disparu de son bagage. Le voleur était le vieillard même
-qui l’avait si bien soigné et protégé jusque-là. Cette affaire fit du
-bruit: Lamfia proposa l’épreuve du fer rouge sur la langue; le chef et
-le conseil des vieillards lui imposèrent silence, mais déclarèrent en
-même temps qu’il n’y avait pas lieu à le punir, faute de preuve directe
-contre lui. Abdallahi avait transporté ses effets chez un bon vieil
-Arabe établi dans le pays; mais le conseil des vieillards prenant en
-considération l’extrême pauvreté de cet homme hospitalier, donnèrent
-pour hôte au Chérif un Foulah très-riche et très-dévot[16]. Ses effets
-visités, ses étoffes mesurées furent mis prudemment dans un magasin
-fermant à clef.
-
- [16] Cet homme, riche en troupeaux de bœufs à bosse et de vaches,
- possédait le plus beau cheval que M. Caillié ait vu dans cette
- partie de l’Afrique: il l’avait eu moyennant _cinq Noirs et deux
- bœufs_. Le prix courant d’un esclave à Kankan est d’un baril de
- poudre de vingt-cinq livres, un mauvais fusil et deux brasses de
- soie rose. Un Mandingue qui possède une dizaine d’esclaves n’a plus
- besoin de voyager.
-
-Comme on pouvait s’y attendre, Lamfia ne tarda pas à démentir tout ce
-qu’il avait affirmé; et bien que la colère du vieillard inspirât d’abord
-peu de confiance, ces dénégations ne pouvaient manquer d’agir peu-à-peu.
-La place n’était pas tenable pour Abdallahi, malgré son assiduité aux
-dévotions prescrites. Toutefois, bien nourri, passablement logé, il dut,
-malgré ces désagréments, trouver ses derniers huit jours supportables:
-il avait le plaisir de partager tous les soirs avec le pauvre vieil
-Arabe _Mohamed_, le souper du riche Foulah.
-
-Le 16 juillet, après un mois de repos, le voyageur laisse à son hôte le
-petit pot de fer blanc dans lequel il buvait, et reçoit sa bénédiction.
-Le bon vieil Arabe reconduit Abdallahi au-delà de la petite rivière qui
-coule à l’est de la ville, et avant de se quitter pour ne se plus
-revoir, le jeune homme et le vieillard cassent en deux une _noix de
-colats_ qu’ils mangent ensemble.
-
-La petite caravane, composée d’une quinzaine de Mandingues ou de
-Foulahs, profite de l’obscurité pour traverser des bois infestés de
-brigands. «Marchant très-vite et dans le plus grand silence, dans des
-herbes si hautes qu’elles dépassaient nos têtes, nous fûmes surpris par
-la pluie; pour comble de malheur, la nuit devint très-obscure, nous
-avancions sans savoir où poser le pied. Vers huit heures, ayant perdu la
-trace de la route, nous fûmes obligés de nous arrêter, et, assis à
-terre, de recevoir la pluie sur le dos sans oser ni tousser ni cracher.
-
-«Lorsque la pluie eut cessé, un de nos compagnons déchira un morceau de
-sa pagne, la mit en charpie, y mêla un peu de poudre, puis plaçant cette
-préparation dans le bassinet de son fusil, il obtint du feu. Quelques
-branches d’arbre coupées nous firent une cahute. Mais les essaims de
-moustiques ne nous laissèrent pas de repos. Deux de nos compagnons armés
-de poignards et de lances allèrent à la recherche de l’eau. Le feu
-allumé non sans peine, nous fîmes griller quatre ignames et quelques
-pistaches pour notre souper; puis nous nous étendîmes auprès du feu sur
-des feuilles d’arbre toutes mouillées.» Le voyageur a tout le temps de
-réfléchir aux difficultés que la saison des pluies lui prépare, dans le
-silence de cette longue nuit; silence qu’interrompent seuls le chant de
-quelques oiseaux nocturnes et le coassement des grenouilles.
-
-Le voyageur marche plusieurs lieues de suite avec de l’eau à mi-jambe
-sur des routes inondées, et compte huit petites rivières passées à gué
-en un seul jour. La pluie l’empêche de mettre ses sandales; il a bientôt
-le talon du pied gauche écorché. Il arrive ainsi le soir au premier
-village du Ouassoulo.
-
-Les habitants (Foulahs au teint marron-clair, mais étrangers aux
-croyances et aux pratiques musulmanes) sont d’une grande malpropreté,
-d’une extrême douceur et d’une gaîté perpétuelle. La musique qui anime
-leurs danses, la moitié de la nuit, se compose de cornes droites de bois
-creux recouvertes, à l’extrémité la plus large, d’une peau de mouton, et
-percées d’un petit trou sur le côté; d’une grosse caisse, d’un tambour
-de basque et d’un cliquetis d’anneaux de fer: les musiciens se
-distinguent par leurs panaches de plumes d’autruche et leurs franges de
-plumes de pintade. Quelques-uns agitent de gros haricots dans une sorte
-de casserole de bois, recouverte d’un filet. Les musiciens se promènent
-à la file: les femmes et les garçons suivent en dansant et frappant dans
-leurs mains.
-
-Ce qui frappe le plus le voyageur dans les fertiles plaines du
-Ouassoulo, c’est le travail des champs, accompli par des mains libres.
-«Je voyais, dit-il, beaucoup d’ouvriers répandus dans la campagne qui
-piochaient la terre et la remuaient aussi bien que nos vignerons en
-France; ce ne sont plus les esclaves des Mandingues qui se contentent
-d’effleurer le sol pour détruire les mauvaises herbes, mais de vrais
-laboureurs qui se donnent de la peine pour avoir une belle et abondante
-récolte. Ils en sont bien récompensés, car leur riz et tout ce qu’ils
-cultivent, croît plus vite et produit davantage...
-
-«Je les ai vus labourer le champ qui venait d’être récolté pour
-l’ensemencer de nouveau. Les femmes étaient occupées à sarcler les beaux
-champs de riz dont la campagne est couverte. Je fus étonné de trouver
-dans l’intérieur de l’Afrique, l’agriculture à un tel degré
-d’avancement: leurs champs sont aussi bien soignés que les nôtres, soit
-en sillons, soit à plat, selon que la position du sol le permet par
-rapport à l’inondation.
-
-«Je remarquai du riz en épi, à côté de celui qui ne faisait que sortir
-de terre. La campagne est généralement très-découverte; les cultivateurs
-ne réservent parmi les grands végétaux que l’arbre à beurre et le nédé
-qui sont très-répandus et de la plus grande utilité. Je n’ai pas vu
-comme dans le Fouta et le Buleya des arbres coupés à quatre ou cinq
-pieds de terre. Les Foulahs du Ouassoulo ont soin d’arracher le pied et
-ne laissent rien en terre qui puisse leur nuire.»
-
-Ces Foulahs font peu de commerce; et pour eux, infidèles, voyager à
-travers les villages musulmans, ce serait s’exposer infailliblement à y
-être retenus comme esclaves.
-
-«J’ai cherché, dit M. Caillié, à découvrir s’ils ont une religion, s’ils
-adorent ou les fétiches, ou la lune, ou le soleil, ou les étoiles; je ne
-les ai vus pratiquer aucun culte et je crois qu’ils vivent insouciants à
-ce sujet et ne s’occupent que très-peu de la divinité.»
-
-Autant les Musulmans de Kankan sont propres, autant les Foulahs du
-Ouassoulo, si industrieux! sont sales et dégoûtants. Leurs habits jaunes
-ou noirs ne sont jamais lavés. Le nez plein de tabac, la peau infectée
-de beurre rance, la figure tailladée et les dents limées, ils sont tous
-robustes et bien portants; leur culture et leurs bestiaux fournissent
-abondamment à leur subsistance: la nourriture des esclaves des
-Mandingues leur suffit: la viande est, chez eux, réservée pour les jours
-de fête et le sel est de luxe. Les femmes fabriquent elles-mêmes leur
-vaisselle de terre, filent et tissent le coton. Elles mettent un genou
-en terre lorsqu’elles présentent quelque chose à leur mari. Les hommes
-portent comme les femmes des bracelets aux mains et aux pieds, des
-colliers de verre et des boucles d’oreille, tressent comme elles leurs
-cheveux enduits de beurre. Ce sont eux qui élèvent la volaille et
-donnent les premiers soins aux poulets. Des chiens gardent les
-habitations séparées de chaque famille.
-
-Le 21 juillet, à deux heures de l’après-midi, Abdallahi rend visite au
-chef du Ouassoulo qu’il trouve couché dans sa case auprès de son chien
-(d’une espèce à oreilles longues, museau pointu, poil rouge). Ce chef,
-chez lequel M. Caillié remarque une théière en étain, un plat et
-plusieurs bols de cuivre qui lui paraissent d’origine portugaise, avait
-une très-grande boucle d’oreille en or à l’oreille gauche et point à la
-droite. Il use de tabac en poudre et à fumer comme ses sujets et est
-aussi malpropre qu’eux. Sa case est tapissée d’arcs, de flèches, de
-carquois, de lances, de deux selles pour ses chevaux et d’un grand
-chapeau de paille. Le même jour, il reçoit le voyageur dans son écurie,
-assis sur une peau de bœuf auprès d’un beau cheval. «Il nous fit asseoir
-à côté de lui et me donna quelques noix de colats. Il distribua devant
-nous à quelques-unes de ses femmes des ignames que l’on venait de
-récolter.» Ce chef qui n’est pas plus que ses sujets astreint aux
-restrictions du Coran, à beaucoup de femmes: chacune d’elles a sa case
-particulière, ce qui forme un petit village.--Ses sujets lui font
-souvent des _cadeaux_ en bestiaux.
-
-Nulle part, le voyageur ne reçoit plus de compliments et un plus cordial
-accueil[17]. «C’est un blanc, disent-ils en ouvrant de grands yeux, ah!
-comme il est bien!» La longueur de son nez étonne presque autant qu’elle
-réjouit. Tous les soirs, M. Caillié les voit allumer des poignées de
-paille, et contempler le blanc, demandant au guide si cette blancheur de
-peau est bien naturelle. Le parapluie du voyageur excite presque autant
-leur curiosité que sa personne. Ils ne peuvent concevoir comment on peut
-à volonté ouvrir et fermer cette machine: ceux qui l’ont vue courent
-avertir leurs voisins, et la case où loge le voyageur ne désemplit pas.
-
- [17] Un chef de famille va même jusqu’à lui donner un mouton.
-
-J’omets, comme vous pensez, les nombreuses rivières que nous avons à
-passer, le plus souvent à gué, quelquefois sur des ponts à moitié
-démolis; quelquefois aussi dans des bateaux formés tout simplement de
-troncs d’arbre assemblés côte à côte avec des lianes; à l’un de ces
-passages dans un bateau de ce genre qui faisait eau comme un panier, le
-guide d’Abdallahi, noir Mandingue d’une douceur et d’une piété bien rare
-entre ses pareils, _Arafanba_, chantait à haute voix les prières du
-Coran.
-
-Le 27 juillet, nous arrivons à _Sambatikila_, village de noirs musulmans
-isolé au milieu de villages de noirs _Bambaras_, qui parlent Mandingue
-comme les Ouassoulos, et sont comme eux non pas sans superstition, mais
-sans culte: du reste, aussi sales. Le vieux chef musulman, habillé en
-Arabe, la tête couverte d’un turban à raies rouges et blanches, reçoit
-Abdallahi, couché dans sa cour, sous un petit hangar. «Il se mit sur son
-séant, dit M. Caillié, et me tendit la main avec les salutations
-d’usage. Après m’avoir touché, il se porta la main sur la poitrine et
-sur la figure, car il est très-religieux et plein de confiance dans la
-sainteté des Arabes.»
-
-Mais la table de ce fervent islamiste était très-mal servie. Il avait
-interdit le marché sous prétexte qu’il dérangeait la prière. Ses fils
-s’informaient bien si le voyageur avait de l’eau chaude pour les
-ablutions, mais non s’il avait de quoi manger.
-
-La famine menaçait ce malheureux pays; on ne faisait plus qu’un repas
-par jour. Les noirs mandingues de Sambatikila, sous prétexte d’étudier
-le Coran, aiment mieux se passer de déjeuner que de travailler de leurs
-mains à la terre.
-
-Malgré ce jeûne forcé, dont le voyageur eut en passant sa bonne part,
-ils étaient tous joyeux et ne manquaient jamais d’aller, tous les
-matins, chanter les louanges de Dieu et du Prophète. Le vieux chef
-lui-même avait bien soin de chanter de temps en temps.
-
-Le prix courant d’un esclave est là de trente briques de sel (de dix
-pouces de long, trois de large et deux d’épaisseur); ou bien d’un baril
-de poudre, avec huit masses de verroterie marron-clair; ou bien encore
-d’un fusil avec deux brasses de taffetas rose.
-
-Chassé par la famine, M. Caillié se remet en route le 2 août, avec une
-plaie au pied gauche. Le vieux chef lui recommande instamment de ne pas
-l’oublier auprès des vénérables chéiks de la Mecque, et tire d’un vieux
-chiffon un petit bracelet d’argent qu’Abdallahi lui paie avec un morceau
-d’indienne de couleur, du papier et quelques grains de verre.
-
-Un Foulah et trois Mandingues reconduisent le voyageur à demi-lieue de
-là: entre autres le bon et pieux Mandingue Arafanba, que nous laissons à
-Sambatikila.
-
-Le 3 août, après un jour et demi de marche, par la pluie, au milieu de
-grandes herbes et de buissons ou bien dans les bourbiers de villages
-idolâtres, le voyageur arrive avec la fièvre et le frisson à un autre
-petit village de noirs musulmans, ombragé de bombax et de baobabs: à
-_Timé_. Une bonne vieille négresse lui offre l’hospitalité: Abdallahi
-s’endort à terre, sur une natte, auprès du feu.
-
-
-
-
-TIMÉ.
-
-
-Les pluies qui continuent d’inonder le pays, la plaie de son pied, la
-crainte d’être obligé de rester en route en quelqu’un des villages
-idolâtres qui restent à traverser, font prendre au voyageur la
-résolution de passer le mois d’août à Timé, _sous la protection de
-Mahomet_ et d’un vieux chef vénérable. Du reste, un marché, tenu une
-fois la semaine et approvisionné de tout, hors de sel, le rassurait ici
-sur la subsistance. La bonne négresse lui apportait elle-même deux fois
-par jour, une petite portion de riz et de mil bouilli.
-
-Toutefois, le voyageur, habitué à des maisons pourvues de cheminée et de
-fenêtres, n’est pas très à son aise dans sa case de terre, à travers
-laquelle filtre la pluie fine et froide qui tombe sans interruption,
-enfermé qu’il est dans un bain de vapeur et de fumée. Les Mandingues
-passaient le temps à coudre leurs habits, et les femmes, sur qui tombe
-toute la peine, vaquaient au dehors à la provision d’eau et de bois,
-pieds nus dans la boue des chemins.
-
-La plaie du voyageur ne guérissait pas. Une seconde plaie se déclara à
-la fin d’août: le mois de septembre amenait chaque jour un orage et des
-torrents de pluie.--A mesure que les pluies cessent, en octobre, les
-chaleurs augmentent. La plaie du voyageur allait mieux: ses hôtes, après
-lui avoir prodigué tous les soins (payés du reste en étoffes, ciseaux,
-tabac, sel, etc.), après avoir épuisé à son service toutes leurs
-connaissances médicales et tous leurs secrets religieux, tels, par
-exemple, que la tisane toute puissante obtenue par le lavage d’un
-griffonnage arabe; ses hôtes, de plus en plus exigeants et maussades,
-pressaient assez clairement son départ. Les importunités des femmes ne
-lui laissaient pas de repos. Enhardies peu-à-peu, elles assaillaient en
-foule sa case pour avoir des grains de verre, contrefaisaient ses
-gestes, ses paroles, sa maladresse à manger la bouillie sans cuillère;
-riant aux éclats non-seulement de la longueur de son nez, mais même des
-cataplasmes qui recouvraient sa jambe et de la difficulté de sa
-marche[18].
-
- [18] «Je demandais à Baba (l’un des fils de la bonne vieille hôtesse),
- pourquoi il ne plaisantait jamais avec ses femmes; «c’est,
- répondit-il, que je n’en pourrais plus rien faire: elles se
- moqueraient de moi quand je leur _commanderais_ quelque chose.» Les
- hommes en effet ne leur parlent qu’en maîtres, et répondent par des
- coups de fouet à leurs criailleries. Elles n’oseraient lever la main
- pour se défendre.
-
-Mais un plus grand malheur le menaçait: laissons parler M. Caillié
-lui-même. «Vers le 10 novembre, après plus de trois mois de séjour, la
-plaie de mon pied était presque fermée; j’avais l’espoir de profiter de
-la première occasion et de me mettre enfin en route pour Jenné, mais
-hélas! à cette même époque de violentes douleurs dans la mâchoire
-m’apprirent que j’étais atteint du scorbut, affreuse maladie que
-j’éprouvai dans toute son horreur. Mon palais fut entièrement dépouillé,
-une partie des os se détachèrent; mes dents semblaient ne plus tenir
-dans leurs alvéoles. Je craignais que mon cerveau ne fût attaqué par la
-force des douleurs que je ressentais dans le crâne. Je fus plus de
-quinze jours sans trouver un quart d’heure de sommeil. Pour comble de
-douleur, la plaie de mon pied se rouvrit et je voyais s’évanouir tout
-espoir de partir. Que l’on s’imagine ma situation! seul dans l’intérieur
-d’un pays sauvage, couché sur la terre humide, sans autre oreiller que
-le sac de cuir qui contenait mon bagage, sans autre garde ni médecin que
-la bonne vieille négresse qui, deux fois par jour, m’apportait un peu
-d’eau de riz; je devins un véritable squelette et finis par inspirer de
-la pitié aux rieuses elles-mêmes... Au bout de six semaines, je
-commençai à me trouver mieux.»
-
-Son hôte qui l’avait négligé, lui amène, par un retour de pitié, une
-vieille femme qui le traite à la manière du pays et le guérit. Vers le
-milieu de décembre, il put aller avec un bâton, se ranimer au soleil, au
-rendez-vous des vieillards.
-
-Enfin, après bien des obstacles trop longs à redire, le départ avec l’un
-des fils de la bonne vieille est fixé à la première quinzaine de
-janvier. La veille du départ est marquée par une bruyante solennité: un
-jeune noir célébrait les funérailles de sa mère. La _fête_, animée par
-un grand luxe de musique, par des danses processionnelles, des
-psalmodies lugubres, par une pantomime guerrière et force coups de
-fusil, se termine par un copieux repas suivi de danses.
-
-Le 9 janvier 1828, après les petits cadeaux d’usage, le voyageur encore
-faible, se remet en route, au bruit des sonnettes que portent à la
-ceinture les Mandingues avec lesquels il part. Les arbres avaient en
-partie perdu leurs feuilles et les herbes avaient été arrachées pour le
-chauffage.
-
-Une trentaine de négresses ouvrent la marche, la tête chargée de noix de
-colats; suivent à la file, quarante à cinquante noirs également chargés;
-le cortége est fermé par une quinzaine d’ânes que conduisent huit chefs.
-Aux haltes, les femmes broient le mil et font chauffer l’eau pour le
-bain habituel des hommes. Les noirs esclaves sont chargés de
-l’approvisionnement de bois: quant aux noirs libres, ils se couchent en
-attendant le souper ou bien échangent quelques _noix de colats_ contre
-la monnaie du pays[19] qu’ils amassent pour l’achat du mil, et qui leur
-sert aussi pour payer les _droits de passe_. Leur grande affaire après
-le repos, c’est de visiter leur charge de noix de colats et d’y mettre
-des feuilles fraîches.
-
- [19] Cette monnaie est une petite coquille de celles que nos
- classifications appellent des _porcelaines_, et que les Africains
- nomment des _Cauris_.
-
-De janvier en mars, pendant deux mois de marche vers le nord,
-interrompue par un seul jour de repos, le voyageur traverse à peine
-quelques villages de noirs musulmans; partout il rencontre des Foulahs
-_Bambaras_, simples et inoffensifs, presque nus, parés de coquillages,
-insouciants de l’avenir, toujours en fêtes, souvent enivrés sans
-scrupule de mil fermenté, passant la moitié des nuits à danser, hommes
-et femmes, en rond, autour d’un grand feu:--pleins de respect du reste
-pour les pratiques musulmanes et de foi à la toute puissance de
-l’écriture arabe. A cela près, ils paraissent très-indifférents aux
-questions théologiques, et ne s’occupent nullement de création ou de vie
-à venir; pour eux, point d’animaux _impurs_: des petites pattes de
-souris dans leurs sauces apprennent au voyageur que ces peuples trouvent
-tout simple de manger les ennemis de leur mil, pris au piége dans leurs
-jarres de terre; ils engraissent aussi par troupeaux des chiens pour la
-table.
-
-Leur insouciance des choses de l’autre monde s’étend à celles de
-celui-ci; ils sont très-malpropres, logent dans des cahutes de terre que
-chauffe comme un four le feu qu’ils y entretiennent en tout temps, et
-d’où la fumée (qui n’a plus même un toit de paille pour issue) chasse
-perpétuellement le voyageur, réduit à coucher à la belle étoile.
-
-Du reste, les marchés, sur le chemin, sont assez bien pourvus des choses
-nécessaires. Dès le 16 janvier, les petites coquilles deviennent
-indispensables. Elles représentent à-peu-près partout un demi-centime.
-Une belle poule coûte quatre-vingts de ces coquilles[20].
-
- [20] Ces peuples ne comptent pas comme nous par _centaines_, mais par
- _quatre-vingtaines_. Le nombre cent se dit chez eux: _une
- quatre-vingtaine-et-vingt_.
-
-Les provisions de grains et de racines, principalement de riz et
-d’ignames, exposées partout en plein air dans de petits magasins en
-paille, sans autre défense que quelques chiffons d’écriture arabe,
-attestent assez et l’abondance des vivres, conséquence du sol, et la
-confiance réciproque des musulmans et des infidèles. Toutefois, il ne
-faudrait pas exposer de même des verroteries, des ciseaux, etc. Le
-voyageur qui, lui aussi, étale au marché sa petite boutique a bien soin
-de ne pas leur montrer beaucoup d’étoffe ou de verroterie à la fois.
-
-Une particularité bien sensible après le brutal asservissement des
-femmes à Timé, c’est que, dans les villages Bambaras, les femmes
-viennent s’asseoir à côté des hommes et, tout en filant le coton,
-prennent part à la conversation[21].
-
- [21] Une autre particularité qui distingue cette région, c’est la mode
- que suivent la plupart des femmes d’avoir un morceau de bois (de la
- largeur d’une pièce de un franc et très-mince), incrusté dans la
- chair, au-dessous de la lèvre inférieure. Les petites filles en ont
- un de la grosseur d’un pois qu’elles changent successivement pour un
- morceau plus grand.
-
- Ailleurs, le morceau de bois est remplacé par une pointe d’étain de
- deux pouces de long et de la grosseur d’un tuyau de plume, retenu
- dans la bouche par une petite plaque du même métal.
-
-A part l’autorité universelle des vieillards, le seul magistrat, aperçu
-par le voyageur, c’est un homme enfermé dans une sorte de sac noir à
-coulisse, les mains et les pieds nus, la tête ornée de plumes d’autruche
-blanches, avec quatre ouvertures garnies d’écarlate pour les yeux, le
-nez et la bouche. Cet homme assis, un fouet à la main, à l’entrée des
-villages, auprès d’un tas de petites coquilles, recevait les droits de
-passe. Le fouet de cet étrange douanier était aussi chargé de la police
-des rues.
-
-Le 19 janvier (à _Tongrera_, l’un des principaux villages musulmans), le
-voyageur perd l’espoir d’aller à Jenné. La caravane se dirige d’un autre
-côté. Mais quatre jours après, il a la joie de lui voir reprendre sa
-première direction. A Tangrera, M. Caillié voit piler du tabac par des
-noirs esclaves, non plus vert comme dans les villages précédents, mais
-de couleur marron-clair et d’une très-bonne odeur.
-
-La caravane, grossie en route, n’était pas alors de moins de cinq cents
-noirs ou négresses et de quatre-vingts ânes; comme toutes les contrées
-traversées jusqu’ici par M. Caillié, cette partie de l’Afrique abonde en
-arbres à beurre et en nédés; en avançant vers le nord, le baobab devient
-moins commun et l’arbre à soie le surpasse en grosseur. Les _ronniers_
-atteignent en plusieurs endroits une hauteur prodigieuse.
-
-A l’approche du royaume de Jenné, la caravane, intimidée par des bruits
-de guerre, prend une attitude de défense. Les hommes aux charges de
-colats, tous armés d’arcs et de flèches, se placent à l’avant-garde; les
-vieillards et les ânes restent en arrière, les femmes au centre.
-
-Enfin, nous entrons, le 21 février, sur le territoire du dévot et
-belliqueux roi de Jenné, qui, laissant aux esclaves la culture de la
-terre et les ouvrages manuels, et le commerce aux Arabes et aux noirs,
-s’occupe exclusivement, lui et les siens (Foulahs graves et fiers), de
-l’étude du Coran, et ne travaille qu’à la propagation de la foi
-musulmane, à l’agrandissement du patrimoine du Prophète: imposant à tous
-ses voisins des tributs ou des mosquées.
-
-Abdallahi reçoit partout la bénédiction de ces propagateurs de
-l’islamisme. En les quittant, il leur souffle sur la main, et, eux,
-s’empressent de la reporter à leur visage en remerciant Dieu. Au reste,
-plus de musique ni de danses: plus d’autre chant que les lentes et
-lugubres psalmodies du Coran. Aux cahutes rondes de terre ou de paille
-succèdent des constructions carrées en briques jaunes, séchées au
-soleil. La cherté croissante des vivres annonce le voisinage d’une
-grande ville; l’abondance du poisson frais, annonce celui d’une grande
-rivière. Jusqu’ici M. Caillié n’avait pas encore rencontré un seul
-mendiant.
-
-Le seul fait qui fasse évènement dans les souvenirs de la route, c’est
-une querelle du vieux Kaimou, chef ou doyen d’âge de la caravane, avec
-sa femme. Le mari en vint aux coups, et, chose inouïe dans ces contrées,
-la femme se permit de résister à son seigneur et maître. Toutefois au
-bout de trois ou quatre jours, les époux cassèrent une noix de colats
-qu’ils mangèrent ensemble.
-
-Le 10 mars, nous nous retrouvons de nouveau en face des eaux blanchâtres
-du Dhiolibâ, ou du moins d’une branche de ce fleuve, qui ne paraît guère
-avoir, là, que cinq cents pieds de large, et coule lentement au
-nord-est. Il faut traverser deux autres branches (dont une à gué) pour
-arriver à la ville de Jenné, qui forme une île enclavée dans une île
-beaucoup plus grande. M. Caillié arrive à Jenné[22], le 11 mars, dans
-l’après-midi.
-
- [22] _Jenné_ ou _Djenné_, ou _Dkienné_.
-
-
-
-
-JENNÉ.
-
-
-«Il y avait plusieurs noirs sur le rivage; mon guide s’adressa à l’un
-d’eux pour lui demander un logement: c’était un Mandingue d’assez bonne
-mine; il nous conduisit dans sa maison.» Le vieux Kaimou et sa suite
-s’installent aussitôt dans les magasins du rez-de-chaussée: Abdallahi,
-en qualité d’Arabe, est logé dans une chambre haute.
-
-Le vieux guide, en conduisant le voyageur à cette chambre qui n’a qu’une
-natte pour tout meuble, le félicite de l’heureuse issue de son voyage,
-et lui rappelle ses services. Abdallahi reconnaissant le comble de joie
-avec une paire de ciseaux, deux aunes d’indienne de couleur, trois
-feuilles de papier et trente grains de verroterie rouge: valeur de cinq
-francs en France; joignez à ces largesses quelques petits cadeaux
-d’étoffe pendant la route, et vous rappelant que le guide avait défrayé
-le voyageur d’une partie de sa nourriture durant six semaines, convenez
-qu’il est difficile de voyager à meilleur compte.
-
-Le lendemain, présentation d’Abdallahi à quelques riches Arabes du lieu,
-qui le conduisent avec son vieux guide et son hôte chez un Chérif. Là,
-récit circonstancié du voyage et de ses motifs; questions sans fin sur
-les chrétiens, sur leurs usages et surtout sur leurs méfaits.
-
-L’interrogatoire terminé, le Chérif dit à l’hôte d’Abdallahi de le
-conduire chez le chef de la ville: ce chef, Foulah de la famille royale,
-très-âgé, très-gros et presque aveugle, caché d’abord derrière une
-porte, qui s’ouvre à l’arrivée d’un Arabe, se fait raconter l’histoire
-d’Abdallahi, et décide qu’il restera chez le Chérif jusqu’à ce qu’une
-occasion se présente pour aller à Tombouctou.
-
-Le pèlerin arabe, qui s’est dit de riche famille, a presque aussitôt
-deux hôtes: le Chérif qui lui envoie régulièrement deux bons repas; et
-certain autre Arabe qui lui donne un petit corridor et une natte dans
-une maison qui servait à la fois de logement aux esclaves et de magasin
-aux marchandises. Dès le second jour, un adroit barbier lui rase
-religieusement la tête. Voici, du reste, un échantillon de la sensualité
-Jennéenne.
-
-«Le 16 mars, vers quatre heures, on me fit appeler chez le Chérif; la
-vente de mes marchandises (vente de corail, d’ambre, de verroterie,
-d’étoffe[23], dans laquelle les deux hôtes d’Abdallahi se départirent un
-peu de leur délicatesse habituelle) l’avait très-bien disposé en ma
-faveur. J’entrai dans une grande chambre assez propre, éclairée par une
-ouverture à la voûte: une lampe où l’on brûle du beurre végétal était
-accrochée par une corde au plafond. Un matelas, tendu par terre sur une
-natte, un chandelier en cuivre de fabrication européenne, avec une
-bougie du pays et une petite armoire creusée dans le mur et fermant avec
-une serrure comme les nôtres, composaient tout l’ameublement. Quelques
-sacs de grain étaient debout dans un coin de la pièce. Je montai par un
-grand escalier sur la terrasse où je vis plusieurs petites galeries à
-compartiments, sans meuble. On me fit asseoir auprès d’une natte, sur un
-petit coussin rond en cuir. Je me trouvai en compagnie de sept Arabes et
-d’un noir, marchands de Jenné.
-
- [23] «Le produit de cette vente était évalué à trente mille cauris. Le
- chérif acheta pour moi de l’étoffe du pays pour cette valeur: il me
- dit qu’elle se vendait très-bien à Tombouctou.»
-
-«Le Chérif fit apporter, au milieu de nous, une petite table ronde,
-ornée symétriquement de plaques d’ivoire et de cuivre, et que je pris
-d’abord pour une table de jeu, quand un grand plat d’étain, couvert d’un
-énorme morceau de mouton aux ognons, m’apprit le motif de ce
-rendez-vous. Le Chérif tira d’un panier couvert de petits pains d’une
-demi-livre, faits avec de la farine de froment et du levain, qu’il
-distribua par morceaux, et que je trouvai délicieux. Nous mîmes tous les
-doigts au plat, mais avec une sorte de politesse. La conversation fut
-assez gaie, les pauvres chrétiens en firent tous les frais.
-
-«Après le repas, vint le thé. Le Chérif étala ce qu’il avait de plus
-beau, et ne manqua pas de faire voir au noir sa supériorité. Nous étions
-servis par une jeune et jolie négresse esclave. On apporta dans une
-boîte un petit service en porcelaine que le Chérif posa sur un plateau
-en cuivre. Les tasses, très-petites, nous furent données dans des
-soucoupes à pied, de la forme d’un coquetier. Nous primes chacun quatre
-de ces tasses de thé avec du sucre blanc et après le dîner, dont le
-Chérif avait très-bien fait les honneurs, nous allâmes faire un tour de
-promenade au bord de la rivière. Nous nous assîmes sur le rivage pour
-voir passer les pirogues; puis nous fîmes la prière tous ensemble, car
-il était trop tard pour aller à la mosquée.
-
-«Le 18, on salua la nouvelle lune par une décharge de mousqueterie, et
-le 19 commença le jeûne du Ramadan,» jeûne apparent qui ne ressemble en
-rien à l’impitoyable austérité des bords du Sénégal: simple interversion
-d’habitudes qui consiste à faire de bons repas la nuit et à dormir le
-jour.
-
-La ville de Jenné est entourée d’un mur d’enceinte, qui, selon M.
-Caillié, peut avoir trois kilomètres de tour environ, et enferme une
-population de huit à dix mille âmes. Bâtie sur un terrain d’alluvion, de
-nature argileuse et rougeâtre, elle est préservée des inondations
-périodiques du fleuve par son élévation de sept à huit pieds au-dessus
-des eaux. Les maisons aussi grandes que celles des villages de France,
-sont construites en briques rondes, séchées au soleil; les plus hautes
-n’ont qu’un étage; elles sont toutes à terrasse, et ne reçoivent de jour
-que sur les cours. Leur unique entrée est pourvue d’une porte en
-planches qui paraissent avoir été faites à la scie: cette porte est
-fermée, en dedans, avec une double chaîne de fer et en dehors avec une
-serrure de bois du pays ou bien un cadenas européen. Les rues étroites
-et tortueuses sont exactement balayées chaque jour. Le seul édifice qui
-se fasse remarquer au milieu de toutes ces terrasses à peu près
-pareilles, est une grande mosquée en terre, dominée par deux tours
-massives, peu élevées et abandonnées aux hirondelles. La prière se fait
-dans une cour extérieure. Quelques baobabs, dattiers, ronniers y sèment
-un peu de verdure sur un fonds rougeâtre.
-
-De la terrasse de sa maison, le voyageur ne voit au loin qu’une campagne
-découverte, des marais à perte de vue et à l’ouest une branche du
-fleuve.
-
-Le marché de Jenné est assez bien approvisionné de marchandises
-d’Europe, la plupart de fabrication anglaise; verroterie, faux ambre,
-faux corail, soufre en bâton, poudre, pierres à feu, fusils,
-quincaillerie, écarlate, toile de coton, etc. Des bouchers y étalent la
-viande fraîche ou fumée. Les marchands vont aussi criant par les rues
-les noix de colats, le miel, le beurre végétal et animal, le lait, le
-sel, le bois à brûler apporté par les femmes de quatre et cinq lieues.
-Le chaume de mil se vend de même en détail pour la cuisine. Les
-principaux commerçants sont les Arabes qui, au nombre de trente ou
-quarante, occupent les plus belles maisons de la ville, et font tenir
-leurs boutiques par leurs esclaves. Assis sur une natte, devant leur
-porte, à côté des planches de sel qu’ils étalent, ils accaparent sans
-peine par leurs correspondants tous les articles recherchés, laissant
-aux Foulahs maîtres du pays et aux Mandingues le commerce des choses
-communes. Entre les choses qui se vendent au marché de Jenné, il faut
-compter les hommes, les femmes, les enfants. «Je les ai vus, dit M.
-Caillié, promener tout nus dans les rues; on les criait à 25, 30 ou 40
-mille cauris, suivant leur âge.» Du reste, le voyageur paraît avoir
-reconnu que les noirs esclaves sont beaucoup mieux traités par les
-noirs, les Foulahs ou les Arabes qu’ils ne le sont par les blancs dans
-nos colonies d’Amérique. «De Jenné à Tombouctou, dit-il, la plupart des
-esclaves sont des domestiques de confiance qui, en l’absence de leur
-maître, gardent la maison ou bien emballent les marchandises et les
-portent aux embarcations.»
-
-M. Caillié est surtout frappé du mouvement commercial et industriel qui
-règne dans la ville, mouvement auquel il n’est plus habitué depuis
-longtemps. Le rigide Foulah, _Ségo-Ahmadou_, dont Jenné était la
-capitale, importuné par ce mouvement même, qu’il se soucie assez peu
-d’arrêter par ses guerres perpétuelles contre les infidèles d’alentour,
-jugeant que tout ce bruit détournait les vrais croyants de leurs
-devoirs, s’est fondé une autre ville à la droite du fleuve: cette ville
-où tous les enfants vont apprendre le Coran par cœur dans des écoles
-gratuites, s’appelle _El-Lamdou-Lillahi_ (à la gloire de Dieu). Ce
-prince et le chef de Jenné n’imposent aucun droit, aucune contribution,
-mais reçoivent parfois des cadeaux.
-
-Les infidèles (tributaires de Ségo-Ahmadou) sont obligés de faire la
-prière pour entrer à Jenné.
-
-Hommes, femmes, enfants sont tous proprement vêtus[24]. Les femmes ont
-toutes l’entre-deux du nez percé. Les unes y portent un anneau d’or ou
-d’argent, les autres un morceau de soie rose. Elles portent au poignet
-des bracelets en argent, de forme ronde; et à la cheville un cercle
-plat, de fer argenté, large de quatre doigts.
-
- [24] Le voyageur vit avec plaisir que, dans ce pays, on pouvait porter
- un mouchoir de poche sans être ridicule; sur toute la route qu’il
- venait de parcourir il eût été dangereux de se moucher autrement
- qu’avec les doigts.
-
-Le voyageur s’était décidé à laisser son parapluie au Chérif, qui devait
-lui procurer une embarcation pour Tombouctou. Ce parapluie avait fait
-pour le moins autant d’effet à Jenné que dans les moindres villages
-musulmans ou infidèles; le Chérif parut fort content du cadeau, et, les
-trois nuits suivantes, régala son hôte de dattes, de melons d’eau, de
-pain frais; le jour du départ, il lui annonça qu’il avait payé 300
-cauris au propriétaire du bateau pour qu’il fût défrayé de sa nourriture
-pendant toute la route; lui donna quatre bougies de cire jaune, fit
-emballer et porter à bord son ballot d’étoffe, et lui prépara une pâte
-de farine de mil et de miel, à mettre, en chemin, dans son eau. Un jeune
-Arabe, en retour d’une paire de ciseaux, joignit à ces provisions du
-pain de froment séché au four.
-
-
-
-
-NAVIGATION SUR LE NIGER.
-
-
-Le 23 mars, à neuf heures du matin--après un séjour de treize jours,
-Abdallahi, reconduit par ce jeune Arabe, par le Chérif et par son second
-hôte, dont il avait conservé les bonnes grâces au moyen d’une aune de
-très-jolie indienne, du reste spécialement adressé et recommandé par une
-lettre du Chérif à son correspondant de Tombouctou, part, aux cris de
-_Samalécoum_ (la paix soit avec vous), sur un petit bateau chargé de
-marchandises sèches et d’une vingtaine d’esclaves à vendre[25], qu’un
-bateau plus grand attend sur le fleuve.
-
- [25] Hommes, femmes, enfants: les plus grands étaient aux fers.
-
-«Vers les deux heures, nous atteignîmes le majestueux Dhiolibâ, qui
-vient lentement de l’ouest. Il est, en cet endroit, très-profond, et a
-trois fois la largeur de la Seine au Pont-Neuf. Ses rives sont
-très-basses et très-découvertes.».
-
-Les cinq semaines que M. Caillié passe sur le Dhiolibâ sont pour lui des
-plus pénibles: injurié, menacé par les mariniers noirs, en l’absence de
-leur maître; réduit, par eux, à la ration de riz cuit à l’eau qu’ils
-donnent (esclaves eux-mêmes) aux esclaves enchaînés qu’ils voiturent;
-passant les nuits sur le bateau, plié en deux sur le tas des bagages;
-obligé, les derniers jours, de se tenir caché pour échapper aux
-investigations des Touariks du rivage, qui viennent armés de lances et
-de poignards sur de petits bateaux, se faire payer des droits de passe;
-assez traitables pour les noirs, mais impitoyables pour les Arabes:
-sachant bien que si les Arabes n’ont pas, comme le disent les nègres, de
-l’or sous la peau, ils n’en manquent pas pour cela.
-
-Toutefois, un jeune Foulah est auprès du voyageur qui le console et
-l’encourage; qui descend à terre pour lui chercher du lait, et lui rend
-tous les services possibles. Le voyageur descend lui-même quelquefois
-lors des haltes qui interrompent fréquemment la marche de la flottille.
-
-Le 25 mars, hommes et marchandises passent sur le grand bateau, déjà
-chargé de mil, de riz, de miel, de beurre végétal, de coton, d’étoffe.
-Six autres bateaux pareils avaient même destination. Ces bateaux,
-auxquels M. Caillié suppose soixante tonneaux de jaugeage, sont
-construits avec des planches de cinq pieds de long (sur huit pouces de
-large et un pouce d’épaisseur), ajustées et _cousues_ avec des cordes du
-pays qui se conservent longtemps sous l’eau.
-
-Le moindre vent menace de submerger ces embarcations fragiles; lorsque
-les rives sont à découvert, les mariniers, tous noirs esclaves, tirent
-les bateaux à la cordelle, ou s’ils peuvent atteindre le fond, le
-repoussent avec des perches de quatre à cinq mètres, composées le plus
-souvent de deux morceaux bout à bout. Lorsque les rives sont boisées ou
-le fleuve trop profond, ils naviguent avec des rames plates d’un mètre
-de long: les rameurs tout nus manœuvrent très-vite et observent la
-mesure.
-
-Cette navigation est lente et périlleuse, retardée par le moindre vent,
-par les nombreux bancs de sable, par les déchargements qu’ils exigent;
-enfin, par les nombreux accidents, que tous ces retards n’empêchent pas.
-M. Caillié cite deux grands bateaux submergés, et un noir noyé.
-
-Quant aux rives du fleuve, elles présentent presque partout des plaines
-immenses et marécageuses où se distinguent à peine les cahutes de paille
-des Foulahs musulmans, qui, de leurs pauvres villages, apportent aux
-bateaux du lait et du poisson, et dont les troupeaux errent par la
-campagne, en attendant que la crue du fleuve les refoule ailleurs; ou
-les tentes des Touariks, qui comptent encore moins sur le produit de
-leurs troupeaux que sur celui des droits de passe qu’ils imposent. L’eau
-est toute couverte d’oiseaux aquatiques qui semblent peu redouter les
-flèches des bergers et des pêcheurs du rivage. Une seule fois des
-mugissements de bête féroce se font entendre la nuit; une seule fois des
-pas d’éléphant sont aperçus sur le sable. Le voyageur voit à plusieurs
-reprises des hippopotames se jouer lourdement dans le fleuve, et cite
-quelques caïmans qui élèvent la tête à fleur d’eau, et semblent menacer
-les pirogues.
-
-Le 1er avril, le fleuve s’élargit, on ne voit même plus la terre à
-l’ouest; le lac Debo où Dhiébou se déploie comme une mer intérieure.
-Trois décharges de mousqueterie saluent cette vaste nappe d’eau: _Salam!
-Salam_, cria de toutes ses forces l’équipage de chaque embarcation; le
-voyageur lui-même ne pouvait revenir de sa surprise.
-
-Le 5 avril, la flottille, augmentée de quarante grandes embarcations, se
-remet en route au bruit des cris de joie et des coups de fusil.
-
-Le 17, de nouveaux coups de fusil saluent la nouvelle lune et la fin du
-carême. Le lendemain matin, les noirs vont se prosterner à la file dans
-la plaine; ils aperçoivent de loin les dattiers de _Cabra_, qui leur
-annoncent la fin de leurs peines. Abdallahi, caché tout le jour parmi le
-bagage, est privé de cette vue consolante. A la nuit, il sort de sa
-cachette, et respire, confondu dès-lors avec les noirs par les féroces
-douaniers du rivage. Les bateaux ne repartent pas sans leur avoir laissé
-chacun deux sacs de mil.
-
-Enfin le 19, vers une heure de l’après-midi, après avoir vu, vers six
-heures, le fleuve se partager en deux branches, le voyageur arrive au
-port de Cabra. Un petit bateau, tiré à la cordelle par les noirs,
-l’amène, à trois heures, au village, par un petit canal encombré
-d’herbes et de vase. Ce village ou plutôt cette petite ville, située sur
-une petite hauteur qui la préserve de l’inondation, est une sorte de
-transit entre Tombouctou et le fleuve.
-
-Dans ce mouvement de gens de toute couleur occupés au déchargement et au
-transport des marchandises, ou bien à célébrer gaiement la fête du
-Ramadan, personne ne fait attention à Abdallahi. Des Arabes avec
-lesquels il était venu du port, l’invitent à partager leur souper de
-riz; il passe, comme eux, la nuit dehors, couché sur une natte.
-
-Le lendemain, il cherche en vain le correspondant du Chérif parmi les
-Arabes venus à Cabra, sur de beaux chevaux, recevoir leurs marchandises:
-ses esclaves, noirs bien vêtus et armés de fusils, envoyés à sa place,
-complimentent le pèlerin de sa part et l’emmènent.
-
-
-
-
-TOMBOUCTOU.
-
-
-Parti vers trois heures, le voyageur arrive avec eux à la ville par une
-route de sable mouvant, le plus souvent dénué de verdure, au moment où
-le soleil touchait à l’horizon. «Je voyais donc, s’écrie-t-il, cette
-capitale du Soudan, qui, depuis si longtemps, était le but de tous mes
-désirs. En entrant dans cette cité mystérieuse, objet des recherches des
-nations civilisées de l’Europe, je fus saisi d’un sentiment inexprimable
-de satisfaction: je n’avais jamais éprouvé une sensation pareille et ma
-joie était extrême. Mais il fallut en comprimer les élans... Revenu de
-mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j’avais sous les yeux
-ne répondait pas à mon attente: je m’étais fait de la grandeur et de la
-richesse de cette ville une tout autre idée: elle n’offre au premier
-aspect, qu’un amas de maisons en terre, mal construites; dans toutes les
-directions, on ne voit que des plaines immenses de sable mouvant, d’un
-blanc tirant sur le jaune et de la plus grande aridité. Le ciel à
-l’horizon est d’un rouge pâle. Tout est triste dans la nature: le plus
-grand silence y règne. On n’entend pas le chant d’un seul oiseau... Je
-conjecture qu’antérieurement le fleuve passait près de la ville, il en
-est maintenant à près de trois lieues au nord.»
-
-La réception toute paternelle qui, sur les recommandations écrites du
-chérif de Jenné et sur les explications verbales du propriétaire du
-bateau, attendait Abdallahi chez son hôte, dut adoucir un peu l’amertume
-de ce désappointement. «Sidi Abdallahi Chébir, dit M. Caillié, me fit
-appeler pour souper avec lui. L’on nous servit une bouillie de mil au
-mouton. Nous étions six autour du plat: on mangeait avec les doigts,
-mais aussi proprement que possible. Sidi ne me questionna pas; il me
-parut doux, tranquille et très-réservé. C’était un homme de quarante à
-quarante-cinq ans, haut de cinq pieds environ, gros et marqué de petite
-vérole; son maintien avait quelque chose d’imposant. Il parlait peu et
-avec calme.» Ce pieux musulman donne au voyageur toutes les commodités
-désirables, notamment une chambre séparée dont il lui livre la clef.
-Deux fois par jour, il lui envoie un plat de riz ou de mil très-bien
-assaisonné avec du bœuf ou du mouton[26].
-
- [26] La maison occupée à Tombouctou par M. Caillié, n’était séparée
- que par la largeur de la rue de celle qu’y avait habité le
- malheureux major Laing en 1826. M. Caillié qui, à Jenné même, avait
- entendu parler du Chrétien venu, disait-on, _pour écrire la ville,
- et tout ce qu’elle contenait_, put recueillir de nombreux détails
- sur la fin déplorable de la bouche même de l’hôte du major: Arabe
- dont notre voyageur reçut plusieurs fois des dattes et, lors de son
- départ, une culotte en coton bleu.
-
-Quant aux constructions et aux habitudes de la ville, elles ne
-présentent rien de nouveau à qui vient de voir Jenné: mêmes maisons à
-terrasse, sans fenêtre et sans cheminée, mêmes briques rondes, séchées
-au soleil; même répartition des diverses branches du commerce entre les
-Arabes et les indigènes.
-
-La ville, qui dessine un triangle, paraît avoir une lieue de tour et
-contenir au plus dix à douze mille habitants. Les maisons n’ont que le
-rez-de-chaussée et quelques-unes un cabinet au-dessus de la porte
-d’entrée. Les rues sont propres et assez larges pour trois cavaliers de
-front. Au milieu de la ville et au-dehors, des cases rondes en paille
-servent de logement aux pauvres et aux esclaves.
-
-M. Caillié compte huit mosquées, dont deux grandes, surmontées d’une
-tour en briques avec un escalier intérieur[27]. Du haut de ces tours, où
-M. Caillié prenait ses notes à son aise, on ne découvre au loin qu’une
-plaine immense de sable blanc, dont l’uniformité est à peine rompue, çà
-et là, par quelques arbrisseaux rabougris ou bien par quelques buttes de
-sable. Le voyageur donnerait presque le nombre des arbres qui ombragent
-Tombouctou. Il cite entre autres quelques palmachristi et au centre de
-la ville un palmier doum, sur une sorte de place entourée de cases
-rondes.
-
- [27] Ces deux mosquées ont paru au voyageur d’une construction
- ancienne. Mais ce qui est plus remarquable, c’est qu’il a cru
- distinguer, dans la plus grande, des parties qui, par leur élégance,
- contrastent complètement avec le reste, et paraissent appartenir à
- une époque plus reculée. Ce sont trois galeries soutenues chacune
- par dix arcades de dix pieds de haut et de six pieds de large.
-
-Le bois est extrêmement rare à Tombouctou; les plus riches seuls en
-brûlent; les autres ne brûlent que le crottin de chameau. Le fourrage
-pour les chameaux, les chevaux, les ânes, les bœufs et vaches, les
-moutons, les chèvres, vient de trois et quatre lieues. Un tabac d’une
-petite espèce est la seule culture autour de la ville. L’eau se vend au
-marché, tirée de quelques citernes découvertes et chauffées par le
-soleil ou bien apportée du fleuve par Cabra. Vous avez vu quels
-approvisionnements viennent de Jenné: ces approvisionnements sont à la
-merci des Touariks qui peuvent refuser le passage aux embarcations et ne
-l’accordent qu’à force d’exactions, tant à bord des bateaux que dans la
-ville même.
-
-Tombouctou ne reçoit d’ailleurs que du sel, apporté à dos de chameau de
-plusieurs endroits du désert; c’est avec ce sel qu’elle paie tout le
-reste.
-
-La ville appartient aux Noirs; mais les négociants arabes, sans
-participer directement au gouvernement, ont, au nom de leur religion et
-de leur richesse, beaucoup d’ascendant dans les conseils. Du reste,
-Arabes et noirs sont tous zélés musulmans. Le roi de Tombouctou, auquel
-le voyageur rend une courte visite avec son hôte, est lui-même un noir.
-«Ce prince, dit-il, me parut d’un caractère affable. Il pouvait avoir
-cinquante-cinq ans. Ses cheveux étaient blancs et crépus; il était de
-taille ordinaire, avait une belle physionomie, le teint noir-foncé, le
-nez aquilin, les lèvres minces, une barbe grise et de grands yeux. Ses
-habits, comme ceux des Arabes, étaient faits en étoffes d’Europe; il
-portait un bonnet rouge avec un grand morceau de mousseline autour, en
-forme de turban... Il se rendait souvent à la mosquée.»
-
-Tous les habitants de Tombouctou font deux bons repas par jour. Les
-noirs aisés font, comme les Arabes, leur déjeuner avec du pain de
-froment, du thé et du beurre de vache. Le commerce est l’occupation de
-tous. Ici, comme à Jenné, les plus belles maisons sont aux Arabes. Les
-plus riches ont des matelas de coton, les autres couchent sur des nattes
-ou sur une peau de bœuf, tendue à quelques pouces de terre sur quatre
-piquets. Les Arabes, établis là pour quelques années seulement, ne
-prennent pas d’autres femmes que leurs esclaves.
-
-La parure des femmes est la même qu’à Jenné: mêmes tresses de cheveux,
-mêmes grains de verre, d’ambre ou de corail au cou; mêmes anneaux ronds
-ou plats aux bras et aux pieds, mêmes boucles d’_oreille_ et de _nez_.
-
-Au marché, même vente publique d’hommes et de femmes. Du reste, selon M.
-Caillié, c’est toujours avec regret que ces malheureux s’éloignent de
-cette ville, si triste qu’en soit le séjour: bien nourris, bien vêtus,
-rarement battus, assujétis d’ailleurs aux cinq prières, ils ne peuvent
-quitter Tombouctou pour une autre servitude sans être assurés de perdre
-au change.
-
-Au tableau que fait le voyageur de la douceur des hommes envers les
-femmes et les esclaves, on serait tenté de craindre que le voyageur ne
-se soit trop pressé de généraliser les consolantes observations que lui
-fournissait la maison du bon Sidi Abdallahi Chébir.
-
-Une occasion s’était présentée pour traverser le désert; mais avant de
-repartir, Abdallahi avait paru vouloir se reposer une quinzaine de
-jours. «Tu peux rester ici plus longtemps, si tu le veux, lui dit son
-hôte. Tu me feras plaisir et tu ne manqueras de rien.» Cet excellent
-homme alla même jusqu’à proposer au voyageur de l’établir dans la ville.
-Le départ fut enfin fixé au 4 mai.
-
-Pendant les quatorze jours que M. Caillié est resté dans cette ville
-célèbre, la chaleur y fut excessive; le vent d’est ne cessa pas de
-souffler; le marché ne se tenait que le soir vers trois heures; les
-nuits elles-mêmes furent d’un calme étouffant: le voyageur ne savait où
-se réfugier contre cette atmosphère brûlante.
-
-Toutefois, si quelque chose eût pu lui faire oublier l’excessive chaleur
-du jour, le calme étouffant des nuits, les tourbillons de poussière, le
-morne silence des rues, la désespérante nudité des campagnes, c’eût été
-le gracieux accueil de son hôte. Du reste à l’affabilité des habitants,
-à la douceur de leurs manières, à la simplicité de leurs relations, au
-calme religieux empreint sur tous les visages, il est aisé de voir que
-si Tombouctou est le désert, c’est le désert humanisé par tout ce qu’une
-paisible aisance peut apporter de consolation dans un exil volontaire.
-
-Quant à ces autres Arabes avec qui M. Caillié va se remettre en route,
-sous une même couleur de peau, ce n’est plus le même peuple. Ces
-commis-voyageurs par qui Maroc et Tombouctou se donnent la main à
-travers les sables: ces voituriers du Sahara, endurcis au mal, qui, pour
-un peu d’or, font chaque année par deux fois leurs deux ou trois cents
-lieues, malgré le soleil et malgré le vent, malgré la faim, malgré la
-soif, sans autre ressource pendant trois ou quatre mois de fatigues que
-du riz cuit à l’eau, du chameau séché, de l’eau tiède, salée ou
-croupie:--ces hommes peuvent-ils ressembler aux heureux négociants de la
-ville qui, tranquillement couchés auprès des planches de sel qu’ils
-étalent à leur porte, font tenir leurs boutiques par leurs esclaves, et
-ont tout loisir de causer entre eux, d’étudier le Coran, et d’être
-calmes, justes et bons.
-
-Par malheur, le voyageur n’avait pour sortir de Tombouctou qu’une seule
-porte, la porte du nord[28]; il fallait qu’il suivît jusqu’au bout la
-ligne que nous avons tracée sur la carte, sous peine de voir
-l’authenticité de ses récits mise en doute, et de perdre le fruit de
-tant de fatigues.
-
- [28] Il ne faudrait pas prendre cette expression à la lettre; car M.
- Caillié nous apprend que la ville de Tombouctou n’est pas entourée
- de murs.
-
-Les présents du départ sont ici des échanges. Abdallahi, _le pauvre_,
-comme on l’appelle à Tombouctou, fait à grand’peine accepter à son dévot
-et généreux hôte sa vieille couverture de laine et le pot de fer blanc
-qui lui sert pour ses _ablutions_. Il en reçoit en retour une magnifique
-couverture de coton, une chemise de coton toute neuve, deux sacs en cuir
-pour sa provision d’eau, du pain de froment cuit au four, comme notre
-biscuit, du doknou[29], du beurre de vache fondu, une bonne quantité de
-riz, et surtout de chaudes recommandations pour son correspondant
-d’El-Arouan. Les trente mille cauris d’étoffe, provenant de la vente de
-Jenné, servirent à payer la location d’un chameau.
-
- [29] Ce nom désigne la _pâte de farine de mil et de miel_, que l’on
- délaie, en chemin, avec de l’eau.
-
-
-
-
-LE DÉSERT.
-
-
-Le jour du départ (4 mai 1828), avant le lever du soleil, le riche Sidi
-était debout pour partager une dernière fois avec le pauvre pèlerin son
-thé et son pain frais au beurre. Quelques heures après, le voyageur, que
-les adieux ont retardé et qui rejoint la caravane à la course, chemine
-lentement vers la France, assez durement assis entre des ballots, sur un
-chameau chargé; heureux en comparaison de tel noir esclave, qui
-vainement s’appuie sur la croupe des chameaux, vainement se couche à
-terre, relevé et chassé en avant à coups de verges et de cordes.
-
-Il faut aller à plus de demi-lieue de la ville pour trouver quelques
-arbustes. Viennent alors quelques buissons rabougris, quelques herbes
-couvertes de sable que les chameaux broutent en marchant; quelques
-gommiers élancés au maigre ombrage. Puis, la végétation s’efface
-peu-à-peu, la terre devient de plus en plus nue et désolée: dès le
-troisième jour, plus rien que des sillons ou des vagues sablonneuses,
-creusés ou relevés par le vent, des plaines uniformes de sable uni et
-presque mouvant, sans trace de chemin frayé; plus rien que la
-réverbération du soleil sur ce sable où les pieds ne peuvent poser sans
-douleur.
-
-Les seuls êtres que l’on rencontre en ces solitudes sont des corbeaux et
-des vautours qui font leur pâture des chameaux morts en route; ou des
-Touariks, qui, regardant le désert comme leur domaine, mettent à
-contribution les caravanes qui le traversent. Deux de ces hommes, montés
-sur le même chameau, au bras gauche le bouclier de cuir, le poignard au
-côté, à la main droite une pique, accourent se joindre à la caravane. Ce
-fut à qui leur donnerait de l’eau, bien que l’on n’en dût pas trouver de
-cinq jours. Ce qu’on avait de meilleur fut pour eux; tant est grande la
-terreur que leur seul nom inspire.
-
-Enfin, le 9 mai, après six jours de marche (le plus souvent _de nuit_),
-après cinq jours de calme étouffant, après cinq jours pendant lesquels
-des nuages qui semblent cloués à la voûte céleste, n’accordent pas une
-goutte d’eau aux ardentes prières des voyageurs,--on retrouve enfin un
-peu d’herbe, et l’on aperçoit de loin les chameaux d’El-Arouan. Les
-compagnons de route de M. Caillié lui montrent l’endroit où, deux années
-auparavant, gisait le corps du major Laing, abandonné aux oiseaux de
-proie du désert, et lui redisent les détails de sa mort funeste. A neuf
-heures du soir, les aboiements de chiens annoncent le voisinage de la
-ville. Ces aboiements rappellent au voyageur qu’il n’a pas vu de chien à
-Tombouctou. Le voyageur passe une très-bonne nuit hors de la ville,
-étendu à terre sur sa couverture, auprès du bagage: réveillé seulement à
-minuit pour prendre sa part d’une bouillie de mil apportée d’El-Arouan.
-
-Pendant les dix jours qu’Abdallahi reste dans cette singulière ville, il
-échappe à grand’peine à la défiance et aux exigences des Arabes et des
-noirs qui veulent absolument qu’il leur donne du tabac, et vont même
-jusqu’à le traiter de _chrétien_; mais ses recommandations de
-Tombouctou, et la protection de son hôte, correspondant de Sidi,
-viennent à son secours; il s’en tire encore une fois à force de zèle
-religieux et grâce aussi à la crédulité des vieillards qui disaient en
-arabe: «Remercions Dieu qu’il soit venu parmi nous.»
-
-Pendant ces dix jours, le vent d’est souffle sans interruption, et tient
-le voyageur emprisonné; impossible de tenir les portes ouvertes à cause
-du sable qui pénètre partout et entre même par les fentes de la porte.
-M. Caillié reste tout le jour couché à terre, obligé de se recouvrir
-d’un drap pour se préserver de la poussière; sans autre rafraîchissement
-pour son gosier desséché que de l’eau saumâtre et chaude, même dans les
-courants d’air auquel on l’expose. Impossible, même aux esclaves, de
-marcher pieds nus dans la ville; pour toute rosée, retombe, la nuit, le
-sable que le vent a soulevé pendant le jour. Et pourtant trois mille
-hommes[30], Arabes ou noirs esclaves (Arabes, enfermés le plus souvent,
-avec un linge sur la bouche pour se préserver du sable: esclaves que
-leurs maîtres ménagent forcément pour qu’ils vivent); trois mille hommes
-se résignent à passer douze ou quinze ans dans cet entrepôt de commerce,
-pour se préparer quelque repos sur leurs vieux jours, dans les
-verdoyantes campagnes de Barbarie[31].
-
- [30] Ce chiffre est probablement trop fort, on peut penser que M.
- Caillié, en donnant avec raison peut-être _cinq cents_ maisons à
- El-Arouan, a eu tort de donner à chaque maison _six_ habitants.
-
- [31] Encore cet espoir même n’est-il pas laissé aux noirs _esclaves_,
- bien plus nombreux à El-Arouan, que les Arabes.
-
-Les maisons, crépies avec de la terre jaune, ressemblent à celles de
-Jenné et de Tombouctou, aux toits près, qui sont plats de même, mais de
-joncs et non de bois. Du reste, point de marché à El-Arouan; de la
-viande séchée, pour tout régal: pour seul combustible, le crottin de
-chameau. Point de végétation, point de culture, point de fourrage.
-
-L’hôte d’Abdallahi, l’un des plus riches commerçants de la ville et
-musulman zélé, pour l’amour du Prophète, grand soin du voyageur. Il lui
-envoie régulièrement, sur les onze heures, un plat de riz à la viande: à
-huit heures du soir, une bouillie de mil assaisonnée de sel et de
-beurre. Pour l’amour du Prophète aussi, il le pourvoit de cinquante
-livres de riz, de cinquante livres de doknou, de dix livres de beurre
-fondu. M. Caillié répond à ces libéralités par son dernier morceau
-d’étoffe de couleur, une paire de ciseaux et quelques pièces d’argent,
-lesquelles sont reçues comme une rareté. Les petites coquilles n’ont pas
-cours à El-Arouan; et les petits morceaux d’or ou d’argent, qui y
-servent seuls de monnaie, ne portent pas d’empreinte. Un Arabe
-d’El-Arouan donne au voyageur un troisième sac de cuir pour sa provision
-d’eau.
-
-La caravane qui n’était en partant de Tombouctou que de six cents
-chameaux, en compte au départ d’El-Arouan, le 19 mai, huit cents de
-plus; non pas à la file, mais dispersés au large dans la plaine, ceux
-qui appartiennent au même maître, marchant par troupe distincte et
-rapprochés les uns des autres. Après deux ou trois heures de marche sur
-un terrain de sable dur, entrecoupé de monticules de sable mouvant, l’on
-rencontre cinq maisons en briques jaunes, écoles religieuses où les
-enfants de la ville viennent étudier le Coran: puis au-delà, des puits
-assez profonds d’eau saumâtre, auxquels on s’arrête pour boire une
-dernière fois à longs traits.
-
-Au milieu de ces vastes solitudes, les puits de Mourat (c’est le nom des
-cinq maisons) entourés de quatorze cents chameaux et de quatre cents
-hommes, offraient le tableau mouvant d’une ville populeuse. C’était un
-vacarme affreux, D’un côté l’on voyait des chameaux chargés d’ivoire, de
-plumes d’autruche, de gomme, de ballots de toute espèce et aussi de
-noirs (hommes, femmes et enfants), qu’on allait _vendre_, avec le reste,
-dans les marchés de Maroc. Plus loin, les Arabes (et Abdallahi avec eux)
-prosternés, imploraient l’assistance divine.--Au-devant s’étendait un
-horizon sans bornes, où le ciel et la terre mêlaient leurs teintes de
-feu. Tout ce que l’on distinguait devant soi, c’était une plaine immense
-de sable éclatant, nuancée à peine par l’ombre de quelques roches
-saillantes ou les ondulations de quelques monticules arrondis.
-
-A cette vue, les chameaux poussèrent de longs mugissements. Les
-esclaves, les lèvres immobiles et les yeux au ciel, semblaient penser
-encore à leurs vertes montagnes, à leurs frais pâturages, à leurs vieux
-arbres si feuillus, à leurs jeux et à leurs danses. Ils ne songeaient
-guère à se débattre contre l’impitoyable cupidité de leurs oppresseurs
-qui, à cette heure même, la face contre terre, en appelaient à la
-commisération d’Allah et de toute la force de leurs poumons invoquaient,
-_pour eux-mêmes, le Dieu clément et miséricordieux_[32].
-
- [32] Besm allah alrohman elrahim _au nom de Dieu clément et
- miséricordieux_. Cette formule, répétée en tête de tous les
- chapitres du Coran, est pour les musulmans ce que _le signe de la
- croix_ est pour les chrétiens.
-
-Quant au voyageur, il échappe au désespoir par l’enthousiasme: Une sorte
-d’ardeur belliqueuse brille dans ses yeux. Ce mur de sable qui se dresse
-au loin devant lui, lui apparaît comme une place imprenable à l’assaut
-de laquelle il faut monter pour l’honneur de la France. S’il s’élance
-gaîment sur son chameau, c’est aussi que cette France est en avant qui
-l’appelle, avec les souvenirs de l’enfance et les espérances de l’âge
-mûr.
-
-Enfin, l’on se remet en marche. Tous les hommes portent deux bandes de
-toile de coton sur les yeux et sur la bouche pour se préserver à la fois
-de la poussière et de l’air chaud et sec qui fatigue les poumons.
-
-Le premier jour, calme étouffant: soif dévorante; point d’appétit; une
-seule distribution d’eau; vers dix heures du soir, un repas de riz chaud
-au beurre fondu. Ce repas n’était pas désaltérant.
-
-Le lendemain à dix heures du matin, l’on dresse les tentes pour marcher
-pendant la nuit. «On nous donna à chacun, dit M. Caillié, une calebasse
-d’eau contenant près de trois bouteilles que nous avalâmes d’un seul
-trait: cette eau tiède nous remplissait l’estomac sans nous désaltérer.
-J’aurais bien mieux aimé en avoir moins à la fois et plus souvent; mais
-les Maures qui présidaient aux distributions ne voulurent entendre à
-aucun nouvel arrangement, et s’en tinrent à leur vieille habitude. Du
-reste, il n’y avait de préférence pour personne.» Les Maures dont
-c’était le tour de conduire les chameaux, et qui marchaient à pied en
-fredonnant des airs, ne buvaient comme les autres qu’aux distributions
-générales.
-
-Le vent (vent d’est auquel succède le vent d’ouest, au coucher du
-soleil) ne cesse de soulever une poussière brûlante. Le 21, à dix heures
-du matin, après avoir marché toute la nuit sur un sable uni et
-complètement aride, on dresse les tentes, et l’on s’étend sur le sable.
-«Malgré toutes les précautions que j’avais prises, dit le voyageur, la
-chaleur fut si forte, ma soif si ardente qu’il me fut impossible de
-dormir: ma bouche était en feu et ma langue collée à mon palais.
-
-«J’étais comme expirant sur le sable... Je ne songeais qu’à l’eau, aux
-rivières, aux ruisseaux. Dans mon impatience, je maudissais mes
-compagnons, le pays, les chameaux, que sais-je! le soleil même qui ne
-regagnait pas assez vite les bornes de l’horizon.
-
-«L’endroit était d’une aridité affreuse; pas un seul petit brin d’herbe
-ne reposait l’œil. Les chameaux, exténués de fatigue et de jeûne,
-couchés près des tentes, la tête entre les jambes, attendaient
-tranquillement le signal du départ. Enfin il fut donné: à quatre heures
-et demie, Sidi-Ali (le propriétaire du chameau qui portait Abdallahi)
-jeta quelques poignées de doknou dans une grande calebasse, versa de
-l’eau dessus et mêla le tout avec ses mains, en y plongeant les bras
-jusqu’aux coudes: spectacle repoussant pour tout autre que des affamés;
-car l’eau était si précieuse que le vieux Ali n’avait pas lavé ses mains
-depuis plusieurs jours. Quoique ce breuvage fût tiède et fort sale, nous
-le bûmes à longs traits et avec délices.
-
-«Après s’être désaltérés, les Maures visitèrent leur bagage et les
-plaies de leurs chameaux, faisant écouler le sang et le pus, coupant les
-chairs mortes, couvrant les chairs vives de sel pour empêcher la
-gangrène.
-
-«Quelquefois c’était en sortant de panser ces plaies, que Sidi-Ali
-venait préparer notre breuvage sans même se nettoyer les mains, ou si,
-par hasard, il les lavait, il faisait boire à un de ses noirs l’eau dont
-il s’était servi. On ne peut pas s’imaginer l’horreur et le dégoût que
-me causait le mépris de cet homme pour ses semblables.»
-
-Le 22 mai, le vent d’est continue d’échauffer l’atmosphère: la soif
-augmente avec la chaleur, et l’eau diminue sensiblement. Le vent
-dessèche les outres: l’eau filtre à travers les pores. Abdallahi essaie
-d’acheter quelques outres de plus; mais les outres n’ont plus de prix.
-Il se résigne à se traîner, dans les haltes, d’une tente à l’autre, et à
-mendier, le chapelet à la main, quelques gouttes d’eau _pour l’amour de
-Dieu_. Le moment était mal choisi; le pauvre mendiant augmentait, en
-pure perte, sa soif et sa lassitude.
-
-Le 23, le vent d’est soulève des trombes de sable qui, dans leur course,
-menacent de balayer hommes et chameaux tous ensemble. L’une de ces
-trombes fait tournoyer les tentes, comme des brins de paille. Le sable
-soulevé cache le ciel et le soleil, comme un brouillard épais; les
-gémissements sourds et plaintifs des chameaux répondent aux lamentations
-des noirs et aux cris d’effroi des fidèles qui répètent de toutes parts:
-_Allah il allah_, etc. (Dieu est Dieu, et Mahomet est son Prophète.)
-
-«Tout le temps que dura cette affreuse tempête, nous restâmes étendus
-sur le sol, sans mouvement, mourant de soif, brûlés par le sable et
-battus par le vent. Le calme rétabli, nous nous disposâmes à partir; on
-prépara le doknou et l’on nous distribua à boire. Pour savourer le
-plaisir que me promettait ma portion d’eau, je mis la tête dans ma
-calebasse; je ne prenais pas même le temps de respirer; j’éprouvai
-aussitôt un malaise général et presque la même soif.»
-
-Vers quatre heures, les chameaux, agitant lentement le cou et ruminant,
-reprirent tristement leur marche vers le nord, sans que l’on eût besoin
-de leur montrer le chemin, sur un terrain sablonneux, couvert de roches
-de quatre à cinq pieds de hauteur.
-
-Les hommes, envoyés le 22, à la recherche des puits, ne revenaient pas.
-Après une journée perdue à les attendre, on fait route de 24 vers quatre
-heures du soir, toujours vers le nord, sur un sol plus uni que la
-veille, mais également couvert de roches. Cette nuit-là, pas un œil ne
-se ferme, et la caravane marche en avant sans autre bruit que le
-piétinement des chameaux: les conducteurs eux-mêmes se taisent et se
-relaient plus souvent que de coutume.
-
-Le 25, vers neuf heures du matin, on fait halte dans une plaine de sable
-dur où croît un peu d’herbe, aussitôt dévorée par les chameaux. «Il ne
-restait plus qu’une outre et demie d’eau pour onze bouches; on devenait
-de plus en plus économe. Après avoir bu quelques gouttes d’eau, l’on
-s’étendit à terre, en attendant les hommes envoyés à la provision. Vers
-dix heures, ces malheureux arrivèrent, à moitié morts de soif.» Les
-puits tant cherchés, trouvés enfin et déblayés, étaient à sec. «Pressés
-par une soif ardente, ils s’étaient décidés à tuer un chameau _pour se
-partager l’eau contenue dans son estomac!_
-
-«Vers quatre heures du soir, après avoir bu le reste de notre eau, la
-caravane, plus altérée que jamais, se remit en rente. Vers neuf heures,
-on fit, comme à l’ordinaire, halte pour la prière; un Maure, qui nous
-accompagnait, nous donna à chacun un peu de son eau. La nuit comme les
-précédentes fut très-chaude.»
-
-Enfin, le 26, après avoir marché toute la matinée sur un sol dur,
-couvert de roches rouges ou noires et feuilletées, après avoir gravi une
-côte de trois à quatre cents pieds, on descend dans un bas-fond de gros
-sable jaune, entouré de montagnes roses. Là, sont les puits de Télig,
-comblés par le sable. «Les Maures se mirent aussitôt à les déblayer, et,
-pour la première fois depuis sept jours, l’on fit boire les pauvres
-chameaux qui, sentant le voisinage de l’eau, étaient indomptables. Quand
-on les chassait à coups de cordes, ils couraient dans la campagne et
-revenaient en ruminant s’accroupir autour des puits et poser leur tête
-sur le sable frais qu’on en retire. La première eau fut très-noire et
-bourbeuse, et malgré la quantité de sable qu’elle contenait encore, les
-chameaux se la disputaient avec acharnement. Ces puits dont l’eau est
-très-abondante, mais saumâtre, n’ont pas plus de trois à quatre pieds de
-profondeur.
-
-«Lorsque l’eau fut buvable, j’allai mettre ma tête entre celles des
-chameaux, un Maure me donna à boire dans son seau de cuir, car on
-n’avait pas pris le temps de déballer les calebasses.»
-
-Ce jour, véritable fête pour les chameaux, est employé tout entier à les
-faire boire: ils ne pouvaient se désaltérer et se disputaient dans
-l’auge jusqu’à la dernière goutte; les Maures, occupés de leurs
-chameaux, ne songeaient pas à dresser les tentes; le vent d’est qui
-soulevait des tourbillons de poussière, et un soleil ardent, sans abri,
-gâtent un peu les plaisirs de cette journée; toutefois l’abondance de
-l’eau permet de faire cuire un peu de riz: premier repas, depuis le 19
-au soir.
-
-Les puits de Télig sont, au dire des Maures, à quatre ou cinq heures de
-marche (à l’est) des mines de Toudéni, d’où se tirent les planches de
-sel qui s’importent de Tombouctou à Jenné et ailleurs.
-
-Le 27, départ vers trois heures du soir; et deux heures après, halte sur
-une veine de sable gris mouvant. Quelques pieds d’herbages épineux
-soulagent un peu les chameaux, qui n’ont presque rien mangé depuis sept
-jours. Avant de quitter les puits, on avait tué deux de ces animaux[33]
-qui ne pouvaient aller plus loin, et étaient près de périr de fatigue.
-On distribua cette viande à tous ceux qui en voulurent. Elle servit pour
-le souper. Ali en fit bouillir quelques morceaux, et dans le bouillon
-fit cuire un peu de riz qui conserva le mauvais goût du chameau. Quant à
-la viande, les Maures la dévorèrent avec avidité et si dure qu’elle fût,
-la trouvèrent excellente.
-
- [33] M. Caillié vit tuer ainsi quatre chameaux avant d’arriver au Camp
- d’Ali.
-
-La chaleur paraît plus supportable au voyageur: la soif est désormais
-moins pressante; l’eau n’est plus aussi rare, les puits sont plus
-rapprochés les uns des autres. Le désert ne finit pas ici, mais ici
-finissent ses plus terribles rigueurs.
-
-A mesure que la nature paraît s’humaniser et s’adoucir, la cruauté des
-compagnons d’Abdallahi se déploie plus à l’aise. En même temps que le
-soleil et le vent d’est deviennent plus traitables, la défiance et la
-dureté de cœur de ces hommes augmentent: ils tournent contre le chrétien
-converti le peu de loisir et de gaîté que leur laisse à présent leur
-position meilleure.
-
-L’exemple d’Ali les encourage. Ce propriétaire de chameaux, dont les
-mains sales et gercées pétrissaient et délayaient si gracieusement la
-pâte de mil et de miel, petit homme de quatre pieds, à la figure ridée,
-aux yeux noirs et méchants, à la bouche grande, au menton allongé, à la
-barbe grise, n’était plus, au désert, l’humble vieillard qui, les yeux
-baissés, le chapelet à la main, les saintes invocations sur les lèvres,
-avait séduit par ces dehors et l’honnête _Sidi_ de Tombouctou et son
-pieux correspondant d’El-Arouan et notre Abdallahi, promettant à tous
-d’avoir pour le pauvre voyageur les tendres soins d’un père. Que dis-je?
-il abusait encore les autres compagnies de la caravane, affectant de
-s’être chargé du pauvre pèlerin par pure charité musulmane, quand il
-avait reçu d’avance de Sidi en bon et bel or, la valeur de cent vingt
-francs, et d’en avoir tout le soin imaginable, au moment même où il
-venait de lui refuser l’eau commune à présent, et qu’il ne refusait pas
-aux esclaves. Si le voyageur buvait, Ali fredonnait le petit air avec
-lequel il faisait boire ses chameaux. Dans le langage d’Ali, Abdallahi
-et sa monture n’avaient qu’un seul et même nom; dès qu’il avait prononcé
-le mot de _Gageba_, les noirs, enhardis par la cruelle gaîté des Arabes,
-dansaient autour de l’homme à qui s’adressait ce nom de chameau, lui
-montrant tour-à-tour le morceau de bois qu’ils avaient ordre de lui
-passer au nez et la branche d’épines qu’ils devaient lui mettre dans les
-yeux. «Tu vois bien cet esclave, lui disaient les Maures, eh bien! je le
-préfère à toi.» Puis esclave et maître, de ricaner aux éclats.
-
-Il faut ajouter qu’Abdallahi mangeait à part, depuis que ses compagnons
-de route s’étaient aperçus avec horreur qu’il avait eu le scorbut. Du
-reste, il n’avait pu parvenir à enlever et faire sauter comme eux le riz
-dans la main, à le pétrir rapidement en petites boulettes, et le jeter,
-en humant, dans la bouche. Les Arabes de Jenné entre autres, lui voyant
-renverser à terre quelques gouttes de bouillie de mil, s’en étaient pris
-de cette maladresse aux chrétiens, qui, disaient-ils, ne lui avaient pas
-même appris à manger décemment. Les Arabes du désert moins polis,
-ouvraient une bouche énorme, y plongeaient les deux mains à la fois,
-avec des grimaces hideuses, et criaient de toute leur force: «Il
-ressemble à un chrétien.»--S’il leur demandait de l’eau: «Donne-nous,
-répondaient-ils, ton coussabe et ton cadenas, et tu auras à boire.» Ce
-coussabe (chemise de coton, présent de Sidi) et ce cadenas étaient avec
-sa couverture de coton et son sac de cuir, tout ce qui restait à M.
-Caillié d’apparent. Sa seule ressource était de dire à ces Maures que
-leurs fusils venaient de France,--ou bien d’avoir recours aux autres
-compagnies de la caravane. Là, questionné à l’envi sur sa conversion,
-sur sa fuite et surtout sur les ridicules et les crimes des chrétiens,
-il voyait ses réponses payées d’un peu d’eau, de mil et de miel.
-
-Le 3 mai, puits de Cramès, à sec; le 1er juin, entre plusieurs gros
-blocs de sel, puits de Trasas, eau salée; le 5, puits d’Amoul-Gragim,
-eau bourbeuse et salée; le 9, puits d’Amoul-Taf, eau douce, mais peu
-abondante: enfin le 12, les chameaux descendent avec peine par un
-sentier étroit dans un profond ravin entouré de roches énormes: au fond
-de ce ravin, un joli bosquet de dattiers ombrage une eau abondante,
-fraîche et limpide. Il faut avoir marché depuis le 4 mai sur un sable nu
-et brûlant, pour savoir quelle volupté attend le voyageur à ces puits
-d’El-Ekseif, et l’arrête.
-
-Le seul incident, depuis les puits de Télig, est la visite de quelques
-gros serpents qui inquiètent, à plusieurs reprises, le sommeil des
-voyageurs. J’oublie une alerte de la caravane, effrayée par quelques
-chameaux aperçus dans le lointain: alerte qui met tous les Maures en
-armes, et vaut au pauvre Abdallahi l’aumône d’un peu d’eau et d’un
-morceau de chameau bouilli de la part de trois ou quatre Marabouts en
-prière, restés seuls au camp avec les esclaves.
-
-Le 27, après _quatorze_ autres jours de marche, de haltes et de départ à
-toute heure du jour et de la nuit (quatorze jours pendant lesquels la
-provision d’eau est renouvelée quatre fois), un coup de fusil annonce un
-homme envoyé par Ali qui avait pris les devants, et porteur de lettres
-sur l’état des marchés du Tafilet.
-
-Dans les défilés de hautes montagnes où la caravane est engagée, le
-chameau qui porte Abdallahi se prend de peur, fait un écart et jette le
-voyageur, les reins sur le gravier. Un Maure vint à son secours, le prit
-dans ses bras et le soulagea beaucoup en le serrant fortement contre sa
-poitrine. Ce Maure, qui n’était pas de la société d’Ali, le remit
-lui-même sur le chameau, qu’il fit coucher pour cela. J’omets les
-souffrances et les avanies que cette terrible chute occasionne au
-voyageur resté seul sur sa monture, dans les passages escarpés de
-l’Atlas.
-
-Le 29, rencontre des femmes et des enfants des Maures, accourus du camp
-d’El-Harib au-devant de leur mari, de leur père: scène de joie et de
-caresses, qui réconcilie un moment le voyageur avec ses odieux
-compagnons de voyage.--A 9 heures, arrivée aux douze ou quinze tentes
-d’Ali et de sa famille: un de ses fils emprunte à M. Caillié sa
-couverture de coton pour faire meilleure figure à son retour auprès de
-ses parents et de ses connaissances.
-
-
-
-
-EL-HARIB.
-
-
-Le séjour de M. Caillié au camp d’Ali n’est pas des plus agréables. Le
-voyageur, à part quelques bons morceaux de mouton cuit à point sous des
-pierres chaudes, est astreint par son avare guide à un régime de mil
-bouilli et de dattes aussi dures que le fer. Pour échapper aux douleurs
-que ces dattes lui causent et aux plaies dont elles menacent son palais,
-il mendie d’une tente à l’autre quelques gouttes de lait de chameau. Il
-est réduit à chercher, contre les incroyables vexations des fils et des
-filles d’Ali, un refuge sous la tente d’un pauvre vieux forgeron, dont
-la vieille mère le prend en pitié: ce vieux forgeron avait fait le
-voyage de la Mecque et était très-vénéré pour cela.
-
-Par bonheur, la réputation de ses médicaments, tout en lui attirant
-d’assez fâcheuses corvées, contribue aussi à lui redonner un peu
-d’importance.
-
-Un exemple vous donnera une idée des connaissances médicales d’El-Harib:
-c’est celui d’un saint-docteur musulman auquel M. Caillié, pour faire
-diversion à ses maux, se fait un devoir de rendre visite à une lieue de
-là. Il le trouve entouré de vieillards et de la foule d’infirmes et de
-malades, accourue de tous côtés. Pour tout remède, le saint homme posait
-gravement la main sur la partie malade, puis la frottait doucement en
-marmotant une prière.--Cet homme n’avait pour tout bien que la
-connaissance du Coran; mais, ajoute le voyageur, en Afrique, cette
-connaissance vaut une métairie. Elle lui attirait de toutes parts des
-étoffes pour ses habits et ses tentes; il ne manquait ni de monture, ni
-d’orge pour sa nourriture et celle de ses amis. Il recevait tout cela en
-échange de ses écritures, dont la puissance magique arrêtait, disait-on,
-les maladies présentes, préservait des maladies à venir, éloignait les
-voleurs.
-
-Arrivé le 29 juin, M. Caillié repart le 12 juillet à cinq heures du
-matin, sans autre déjeuner qu’un peu de lait acheté avec un grain de
-verre de son chapelet: escorté par les _Berbers_, sans lesquels on ne
-peut faire un pas en sûreté dans ces dépendances de l’empire de Maroc.
-
-Le 23 juillet, après avoir traversé de magnifiques forêts de dattiers
-qui recouvrent des récoltes d’orge, de froment, de légumes; après avoir
-senti les dents des chiens qui défendent l’approche des tentes des
-Berbers, avoir visité par distraction la petite ville de Mimeina, et
-marché plus d’une semaine au milieu de bergers montagnards; bien reçu
-par les uns, mal mené par les autres, dévotieusement rasé par Ali
-lui-même, protégé du reste contre cet homme par la présence de deux
-religieux arabes que le vieil avare nourrit, héberge et voiture, et
-auxquels il serait bien fâché de paraître mauvais musulman; Abdallahi
-arrive enfin à Ghourland, chef-lieu du Tafilet. Pendant que la foule des
-Maures et des Juifs, sales et mal vêtus, entoure le bagage de la
-caravane, lui, prend sur son épaule son sac de cuir, et suit son guide
-chez le chef de la ville.
-
-Le temps qu’il reste en cette ville, il prend humblement à la porte de
-ce chef, ses rares et maigres repas, composés de bouillie d’orge, de
-quelques onces de pain et des dattes: en un mot, la nourriture des
-esclaves. Cependant un Maure, qui sait les trois premières règles de
-l’arithmétique, qui possède une montre et aussi une boussole (laquelle,
-selon M. Caillié, aurait appartenu au major Laing)--prend en amitié le
-dévot égyptien, et lui fait oublier quelquefois ses peines; il lui parle
-des connaissances européennes qu’il admire, tout en abhorrant les
-_chrétiens_ (non sur la parole d’autrui, mais pour les avoir vus de près
-au cap Mojador et à Maroc). Il lui dit, un jour, qu’il était à Tripoli,
-au moment où Bonaparte était en Égypte, et lui demanda son âge. Couvert
-de haillons, noirci par le soleil et malade, M. Caillié lui persuada
-sans peine qu’il avait trente-quatre ans.
-
-La seule maison où le voyageur soit admis est celle d’un Juif qui lui
-change une pièce anglaise de vingt-quatre sous. Ici commence
-l’emprisonnement des femmes; elles ne sortent qu’enveloppées de la tête
-aux pieds.
-
-Le 2 août, après bien des démarches vaines auprès du Bacha, après avoir
-vendu sa dernière chemise au marché, le voyageur se remet en route, sur
-un âne, à quatre heures du soir. Le caravane d’ânes et de mulets, dont
-sa monture fait partie, est honorée de la présence de quelques marchands
-de dattes de la race de Mahomet, Chérifs devant lesquels les musulmans
-et les Juifs même ne passent pas sans ôter et prendre à leurs mains
-leurs sandales, avec une inclinaison respectueuse. Abdallahi, dans ce
-trajet, vit le plus souvent de leurs restes. Une autre bonne fortune est
-celle qui lui donne pour compagnon de route un favori de l’empereur,
-lequel escorte sa femme dérobée aux regards sous un pavillon d’écarlate,
-et voyage avec assez de libéralité.
-
-Du reste, le voyageur n’est pas heureux dans les épreuves auxquelles il
-met la charité et la patience des musulmans, soit qu’il quête, le
-chapelet à la main, des dattes par les villes et villages: soit qu’il
-fatigue de sa toux opiniâtre les voyageurs couchés comme lui à terre, à
-la porte des églises musulmanes.
-
-A cela près, les jardins fruitiers, entourés de murs ou de fossés, qui
-bordent la route, délassent délicieusement ses yeux, auxquels sont
-encore tout présents les plaines arides qu’il vient de traverser. Les
-figuiers, les poiriers, les abricotiers, les raisins et les roses lui
-feraient prendre le Tafilet pour le paradis terrestre, si les hautes et
-nombreuses montagnes qui barrent le passage à l’horizon, ne lui
-annonçaient que ses fatigues ne sont pas terminées, et qu’à défaut de
-force, il va lui falloir du courage encore.
-
-La 11 août, ânes, mulets et hommes, également épuisés, arrivent à
-Soforo, petite ville murée comme les autres, dans une belle plaine de
-maïs et d’oliviers. Ce que M. Caillié y vit de plus remarquable, ce sont
-deux moulins à eau et, à la tour de la mosquée, une mauvaise horloge. Il
-avait troqué la veille, contre de l’eau et un petit gâteau de froment à
-l’anis, sa dernière emplâtre de diachylon, pour le mal de pied d’un
-Chérif.
-
-
-
-
-FEZ ET MÉQUINAZ.
-
-
-Le 12 août vers midi, il entre à Fez avec les Juifs qui se rendaient au
-marché en grand nombre. Les deux jours que le voyageur passe en cette
-ville (la plus belle, dit-il, qu’il ait vue en Afrique), il couche à
-l’écurie, seule hôtellerie des étrangers, à côté des ânes et des mulets,
-et va prendre ses repas à la mosquée.
-
-Sans nous arrêter davantage à Fez, prenons le chemin de Méquinaz, où M.
-Caillié se rend sous prétexte de parler à l’empereur. Partis le matin à
-sept heures (14 août), nous arrivons à cinq heures du soir, en compagnie
-de deux Mauresses à demi voilées, très-blanches et très-rieuses. M.
-Caillié en avait une en croupe sur sa mule. La journée avait été assez
-gaie: le pauvre cavalier avait vu ses soins payés d’une tranche de melon
-et d’un morceau de pain.
-
-Repoussé de l’écurie sur la paille de laquelle il demande la permission
-de s’étendre, enviant son gîte à la mule qui l’avait porté, le voyageur
-s’était établi pour sa nuit dans la maison de Dieu; étendu à terre, il
-commençait à goûter du repos, quand le portier du saint lieu vint le
-pousser rudement du pied et lui crier d’une voix rauque de se lever et
-de sortir; prenant son sac de cuir, il sortit sans savoir où poser sa
-tête. Il pensa tristement aux pièces d’argent et aux quatre boucles d’or
-de Bouré qui lui restaient, et qu’il était obligé de cacher. Il était si
-faible qu’à la vue de tant d’humiliations et de fatigues, il ne put
-retenir ses larmes. Un marchand de légumes lui permit à grand’peine de
-s’abriter sous sa boutique: mais le froid ne le laissa pas dormir.
-
-Le lendemain matin, M. Caillié, son sac sur le dos, se dirige à pied
-vers _Rabat_[34]; mais ses jambes refusent de le porter, il revient à
-Méquinaz. Cette fois, un bon barbier lui donne hospitalité. Le 16, il
-repart, sur un âne: si faible qu’il ne peut y monter seul. Le 17, halte,
-vers midi, au milieu d’un camp militaire, qu’il quitte le 18, à trois
-heures du matin; le même jour, nous arrivons à Rabat.
-
- [34] Ou _Arbate_.
-
-Les Maures, à qui le voyageur présente quelques pièces anglaises à
-changer, le renvoient aux chrétiens, et lui indiquent le _Consul_ de
-France: «Je frappai à la porte, et le cœur me battit, en pensant que
-j’allais voir un Français.»
-
-Le consul où plutôt l’_agent consulaire_ pour la France, à Rabat, était
-un Juif. Ce Juif fait subir un interrogatoire au voyageur, lui donne
-quelques sous sur ses pièces anglaises, lui recommande la prudence, et
-l’envoie dîner dans la rue et coucher à l’écurie. Mais, la prudence
-elle-même interdit ce gîte à M. Caillié. Les chiens qui font la nuit la
-police de la ville, le forcent d’aller chercher le repos dans un
-cimetière au bord de la mer. Ses repas consistaient en pain et raisin:
-quelquefois, ajoute-t-il, je me permettais d’acheter un morceau de
-poisson frit.
-
-M. Caillié avait vu avec douleur un brick portugais partir pour
-Gibraltar, sans avoir pu obtenir de l’agent consulaire la faveur d’y
-être embarqué. Le 2 septembre, après quinze jours de ce fatigant
-vagabondage et de vaine attente, M. Caillié écrit au vice-consul de
-France à Tanger, et, pouvant à peine se tenir, se met lui-même en route
-pour cette ville. L’âne qui le porte enfonce jusqu’aux jarrets dans un
-sable mouvant, le long de la mer, et l’oblige à descendre. Dans une
-halte, le voyageur, enveloppé de sa vieille couverture, essuie un
-violent accès de fièvre.
-
-A Larache, il voit deux bâtiments français en croisière. Cette vue lui
-donne des forces. «Les montagnes, qui avoisinent TANGER, me furent,
-dit-il, bien pénibles à gravir. Enfin, malade et exténué de fatigues,
-j’atteignis cette ville le 7 septembre à la nuit tombante.»
-
-
-
-
-TANGER.
-
-
-«Comme j’entrais à pied, la sentinelle ne me dit rien, ce qui m’évite
-une explication avec le gouverneur.
-
-«Je déposai mon sac à l’écurie, et dès le même soir, je courus dans la
-ville pour découvrir le consulat de France. Je vis plusieurs mâts de
-pavillon: l’obscurité m’empêcha de reconnaître le nôtre. Je n’osais
-m’adresser aux musulmans. Je passai à l’écurie une nuit bien agitée...
-
-«Rendu, le lendemain, dans la rue où j’avais vu les mâts de pavillon,
-j’aperçus une porte ouverte. Un _chrétien_ était auprès; après avoir
-regardé autour de moi, je lui demandai, en anglais, la résidence du
-consul britannique: «Vous y êtes,» répondit-il; je voulus entrer; mais
-cet homme s’y opposa en me repoussant avec horreur, tant j’étais sale et
-défiguré. Je lui demandai la demeure de notre consul: il me répondit
-brusquement: _Il est mort._ Mais un Juif qu’il appela m’enseigna la
-porte du vice-consul, et d’un air curieux me demanda qui j’étais et ce
-que je voulais à un _chrétien_. Sans lui répondre je m’éloignai un
-peu... Je retournai, quelques minutes après, à la porte du vice-consul,
-et, comme elle était entr’ouverte, j’y entrai: une femme juive appela M.
-_Delaporte_ qui me reçut avec empressement, et me fit monter dans un
-appartement où je ne pouvais être aperçu de personne... Dans son
-transport, il alla jusqu’à m’embrasser et à me serrer dans ses bras,
-sans répugnance pour ma personne ni pour les sales lambeaux dont j’étais
-couvert. Enfin, je ne saurais trop parler de la réception que me fit cet
-homme généreux.»
-
-
-
-
-RETOUR.
-
-
-Le voyageur ne passe plus qu’une seule nuit à l’écurie, et rentre au
-consulat par une porte de derrière: M. Delaporte obtient[35] du
-commandant de la station navale française, à Cadix, une goëlette sur
-laquelle, le 28 septembre, notre compatriote s’embarque pour Toulon,
-déguisé en matelot.
-
- [35] «M. Caillié s’est présenté à moi sous le costume d’un derviche
- mendiant, costume qu’il ne démentait pas, je vous assure. Il a
- simulé pendant son voyage le culte mahométan. Si les Maures le
- soupçonnaient chez moi ou au consulat, ce serait un homme perdu; je
- réclame donc de votre humanité, de votre amour, de votre admiration
- pour les grandes entreprises, de m’aider à sauver cet intrépide
- voyageur, en m’envoyant un des bâtiments sous vos ordres.»
-
- _Lettre de M. Delaporte au commandant de la station française, à
- Cadix._
-
-Dix jours après, Abdallahi revoyait la France. La Société de Géographie,
-sur les bienveillantes sollicitations de M. Delaporte et de M. Jomard,
-tendait la main au voyageur: une avance de _cinq cents francs_ lui
-annonçait à Toulon la réception qui l’attendait à Paris. Une indemnité
-provisoire de trois mille francs et la croix de la Légion-d’Honneur
-vint, au bout de quelques semaines, le rassurer sur les dispositions du
-gouvernement à son égard. Le 5 décembre 1828, le PRIX _de Tombouctou_
-lui fut adjugé, en séance générale.
-
-Pendant que le voyageur arrive au port et s’y repose, les choses qu’il a
-vues sur son chemin continuent d’être les mêmes. Sur le sol d’Afrique,
-le bien et le mal sont également vivaces: comme les nuages qui
-s’abattent six mois de suite sur les montagnes, comme les rivières qui
-inondent périodiquement les plaines, comme le vent d’est qui embrase
-sans interruption le désert; hommes et femmes, enfants et vieillards
-parcourent là constamment le même cercle d’habitudes uniformes. Toujours
-même costume, même lit et même table; mêmes huttes enfumées, même
-musique et mêmes danses. Aujourd’hui, comme il y a cinquante ans, les
-noirs voyageurs de Cambaya et de Kankan sautent de roche en roche au
-bord des précipices leur long bâton à la main et leur longue corbeille
-de sel sur la tête. Ceux de Timé, que leur attirail de sonnettes
-annonce, barbotent dans les mêmes marécages avec leurs énormes charges
-de noix de colats, qu’ils portent si loin, avec tant de peine et si peu
-de lucre; les bateaux de Jenné se traînent lentement sur le fleuve, au
-gré du vent ou du calme, arrêtés tant de fois par les bancs de sable ou
-les douaniers armés du rivage; et, sur cette terrible plaine de sable,
-Arabes au visage couvert, noirs esclaves et chameaux, cheminent
-toujours, haletant, sous le soleil et par les chaudes bouffées du vent
-d’est, après une gorgée d’eau tiède, salée ou bourbeuse. Tout cela n’est
-pas un roman, mais de l’histoire. Non pas de l’histoire ancienne, mais
-de l’histoire actuelle et vivante.
-
-Si nous entreprenions aujourd’hui de parcourir le même itinéraire que M.
-Caillié, nous retrouverions sans doute à chaque pas les mêmes types
-d’hôtes, de guides, de marchands exerçant le même négoce si pénible et
-si peu fructueux: l’économe _Ibrahim_, le vieux fourbe _Lamfia_,
-l’honnête, le généreux _Arafanba_, _Karamo-Osila_ de Timé, le vieux
-tartufe _Ali_. Le pauvre vieux maître d’école de Cambaya, le pauvre
-vieux Maure de Kankan, la vieille négresse de Timé, le Chérif de Jenné,
-le grave et libéral Sidi-Abdallahi de Temboctou, le pauvre vieux
-forgeron d’El-Harib, le bon barbier de Méquinaz et tant d’autres que
-j’oublie.
-
-Si donc nous nous retournions pour embrasser d’un coup-d’œil et dans
-toute sa longueur la route où nous n’avons jusqu’ici cheminé que pas à
-pas, voyant peu de chose à la fois devant nous et presque rien sur les
-côtés, le spectacle qui s’offrirait à nous ne serait pas d’un autre
-temps, ce serait la réalité même que le soleil éclaire à l’heure qu’il
-nous éclaire, à cela près qu’il s’élève, là-bas, plus haut au-dessus de
-l’horizon.
-
-Cette revue, pour être complète, devrait suivre la distribution (sur
-cette longue ligne) des terrains, des produits minéralogiques, des
-arbres et des plantes, des diverses cultures, des divers ordres
-d’animaux domestiques et sauvages.
-
-Arrêtons-nous seulement à considérer les différents peuples que nous
-venons de visiter. Les différences, qui se présentent d’abord, sont
-celles de la couleur de la peau: le teint noir, marron ou bronzé; les
-cheveux crépus et les cheveux lisses.--Après cela, la classification la
-plus naturelle est celle des peuples gais et des peuples sérieux: de
-ceux qui ont un système de croyances bien arrêté, un lieu commun de
-pratiques journalières ou annuelles, un but pareil en cette vie et en
-l’autre, une seule et même ambition, une seule et même loi et de ceux
-qui n’ont rien de tel. Sur toute cette ligne, la religion de ceux qui en
-ont une, est la musulmane; la juive ne commence à se montrer que dans
-l’empire de Maroc. Encore ceux qui n’ont pas de religion constituée,
-reçoivent avec le plus grand respect tout ce qui leur vient de la
-musulmane. Musulmans et autres, noirs marrons ou bronzés, tous ils
-s’accordent dans leur croyance au pouvoir magique de l’écriture (de
-l’écriture arabe, la seule qu’ils connaissent); à la puissance
-miraculeuse des formules coraniques.
-
-Du reste, parmi les _Fidèles_, nul doute sur la mission du Prophète, sur
-la divine origine du Saint-Livre, sur l’autre vie, le paradis et
-l’enfer. La dévotion est là bien souvent tout en mouvements automatiques
-des bras et des lèvres, mais la foi est aussi profonde qu’aveugle. Ils
-s’arrêtent devant une bouchée de porc, devant une goutte de bière ou
-d’eau-de-vie, comme devant le précipice qu’ils voient de leurs yeux.
-Chacun croit de sa religion ce qu’il en sait et tout ce qu’il en sait,
-plutôt plus que moins. Ils n’en discutent ou n’en démontrent pas plus la
-vérité qu’ils ne discutent ou démontrent la présence du soleil à l’heure
-de midi, et son influence bienfaisante ou terrible.
-
-Cette religion n’est pas de nature à les animer d’un zèle bien vif pour
-l’exploitation de notre planète et l’amélioration du sort des hommes
-dans leur terrestre séjour.
-
-Dans ces régions, l’industrie, qui satisfait bien juste aux besoins les
-plus pressants, est presque entièrement abandonnée aux esclaves[36], et
-ne s’exerce que sur les produits qui s’offrent pour ainsi dire
-d’eux-mêmes. Le minerai de fer qui se ramasse en beaucoup d’endroits à
-fleur de terre, l’or qui, principalement autour de Bourré, invite au
-lavage du sable, le sel qui se voit par bloc dans le désert, la glaise
-qui fournit les briques et les poteries,--telles sont les seules
-ressources empruntées directement au sol même.
-
- [36] Notamment l’agriculture, laquelle n’emploie qu’un seul outil,
- pioche à manche incliné.
-
-Les autres opérations (tannage, tissage, fabrication de savon, etc.)
-sont celles que la culture grossière du pays ou la garde des troupeaux
-indiquent dès l’abord, ou bien sont venues à la suite des conquêtes
-musulmanes.
-
-Quant aux productions de l’industrie européenne, de l’industrie anglaise
-surtout, elles arrivent là sans éveiller la moindre émulation. Il y a
-trop d’intermédiaires inconnus entre une simple aiguille telle qu’elle
-sort de nos fabriques et le morceau de fer d’où les Africains savent que
-nos ouvriers la tirent. A Timé, un des fils de son hôtesse, montrant à
-M. Caillié un morceau d’étoffe de couleur, donné par le voyageur à la
-bonne vieille, lui demanda qui avait fait ces fleurs sur l’étoffe.
-Apprenant que c’étaient les blancs, il reprit en conservant son sérieux:
-«qu’il croyait qu’il n’y avait que Dieu qui pût faire d’aussi belles
-choses.»--Il ne leur vient pas à l’idée de rivaliser avec les blancs.
-
-Tous, ils aspirent à se donner le moins de mouvement possible, non pas,
-comme les européens en faisant faire leur ouvrage à l’air, à l’eau, à la
-vapeur: mais en augmentant le nombre des machines humaines qui
-manœuvrent pour eux, à leur commandement.
-
-La seule activité est l’activité commerciale. Et ici encore, malgré les
-fatigues de la marche et le poids des fardeaux, aucune idée
-d’amélioration ne se fait jour. Il n’est pas question de chemins. Quant
-aux rivières, elles se passent le plus souvent à gué; c’est grand
-hasard, si quelques ponts chancelants dispensent parfois de ces
-dangereuses traversées. Les transports sont lents et pénibles, sur la
-tête des hommes et des femmes, ou tout au plus à dos d’ânes, de mulets
-où de bœufs à bosse, ou, dans le désert, de chameaux. Le cheval paraît
-réservé pour la selle. Quant à la navigation sur le fleuve, il suffit de
-nous rappeler qu’elle est, comme l’agriculture, stationnaire et par la
-même raison.
-
-Nulle idée du mieux, nulle recherche, nulle invention: aucune initiative
-de réforme; aucune direction scientifique et utilitaire; règne absolu
-des habitudes anciennes; règne absolu des _vieillards_ qui les
-représentent, et par qui la chaîne des traditions est tenue entre les
-générations mortes et les générations naissantes.
-
-Hommes et femmes, enfants et vieillards ont, à l’avance, chacun leur
-rôle, et le répètent tel que l’ont dit leur père et leur mère, tel que
-le répéteront leurs fils et leurs filles. Les choses sont, pensent-ils,
-pour être comme elles sont; et de fait, elles sont comme elles ont été.
-Tel homme ou telle femme sont nés pour être menés au marché et criés à
-l’enchère, quand tel autre homme où telle autre femme ont besoin de
-_faire de l’argent_,--ou bien pour être donné en _indemnité_, en
-_paiement de bail_, en _dot_. Tout cela leur paraît invariablement
-arrêté pour jamais, comme le cours de la lune par lequel ils comptent
-les mois et les années. Il en est de même de l’assujétissement de la
-femme à l’homme.
-
-Leurs courses commerciales leur montrent partout mêmes couleurs de peau
-et mêmes coutumes religieuses ou civiles, ne portent pas à leurs
-illusions la moindre atteinte: enchantés de leur pays, ils supposent que
-nous autres blancs, nous habitons, tous sous un même chef, quelques
-misérables îles au milieu de la mer[37], et que nous aspirons à nous
-emparer de leurs belles campagnes. Pour eux, non pas seulement
-l’Amérique, mais l’Europe elle-même est encore à découvrir.
-
- [37] Cette idée provient sans doute de leurs relations avec les
- Anglais de la côte.
-
---Quant au voyageur, nous savions d’avance que son récit ne répondrait
-le plus souvent aux questions des savants que par des renseignements
-vagues; s’il cite des champs de fleurs blanches, le botaniste voudrait
-qu’il en décrivît les étamines et le pistil, qu’il en déterminât le
-genre et l’espèce; s’il rencontre à plusieurs reprises des pierres
-auxquelles il suppose une origine volcanique, le minéralogiste voudrait
-savoir si ce sont des trachites ou des basaltes, etc. Ces questions ont
-leurs conséquences. M. Caillié note avec le plus grand soin la nature du
-terrain tel qu’il croit pouvoir la déterminer à la simple vue. Mais on
-sait que, pour ces sortes d’observations, il ne suffit pas toujours de
-voir, il faut toucher, et toucher avec les pierres de touche que les
-découvertes chimiques mettent aux mains des observateurs. Il en est de
-même des autres remarques d’histoire naturelle, de géologie, de
-pathologie, comme aussi de langues et de mœurs. M. Caillié n’est ni
-linguiste, ni moraliste, ni naturaliste, ni chimiste, ni géologue, ni
-médecin. Toutefois, c’est un courageux éclaireur qui a dénoncé à
-l’attention de l’Europe des peuples et des pays oubliés. Son exemple
-trouvera et a trouvé déjà des imitateurs.
-
-
-
-
-LA CHASSE AU LION.
-
-
-Le plus bel animal de la création, à mon avis, c’est le lion. Il est
-l’image de la force intellectuelle chez la bête, de l’audace et du
-raisonnement: de la force, parce que nul mieux que lui ne peut résister
-à tous les quadrupèdes; de l’audace, parce qu’il est doué de cette
-qualité au suprême degré; et enfin du raisonnement, parce qu’il sait
-être généreux ou cruel, suivant l’occasion.
-
-De toutes les ménageries connues, de toutes les cages des jardins
-zoologiques du monde, le plus beau spécimen de lion qui ait jamais
-existé depuis vingt ans était et est encore, sans contredit, le lion
-Brutus, appartenant au dompteur Peson, que tout Paris a vu et admiré. Ce
-monstrueux animal, qui eût pu, d’un coup de griffe, arracher la poitrine
-de celui qui le cravachait à certains moments de la représentation
-belluaire, se contentait de hausser la crinière et de cligner de l’œil,
-preuve évidente qu’il dédaignait ce sentiment qu’on appelle la
-vengeance.
-
-Le roi des animaux a, comme qualité inhérente à son espèce, l’affection
-la plus cordiale pour sa famille et pour ses enfants, mais je n’en dirai
-pas autant de sa compagne, qui assiste bien souvent, placide et
-impassible, à un combat entre son «époux» et un rival préféré.
-
-La race léonine tend à disparaître comme celle de tous les carnassiers
-dangereux. Nous sommes loin de l’époque où cinq cents lions étaient
-introduits à la fois dans l’amphithéâtre-cirque de Rome,--lors de
-l’inauguration du second consulat de Pompée, pour y être massacrés par
-les belluaires ou déchirés par leurs congénères. C’est Pline qui affirme
-le fait: on doit le croire.
-
-Les lions africains sont les seuls connus, car c’est seulement sur le
-sol torride de cette partie du monde que naissent et grandissent les
-rois des animaux. Les voyageurs dans l’Afrique australe ont publié de
-nombreuses descriptions de leurs chasses aux lions. Anderson, Gordon
-Cumming, Jules Gérard, Bombonnel, Chassaing, Chéret, Livingstone ont
-tous été les héros de ces chasses excentriques qui demandent de l’audace
-et encore de l’audace. Les récits de ces «entreprises aventureuses» ont
-été publiés dans des volumes qui, à eux seuls, forment des
-bibliothèques. Je ne raconterai pas ce que l’on peut trouver dans les
-livres de ces voyageurs émérites. Je crois plus opportun de donner ici
-de l’inédit et je trouve cet élément de succès dans la correspondance
-d’un de mes amis--un héros inconnu--qui a voyagé dans l’Afrique australe
-et a rapporté de ces excursions lointaines des documents à l’aide
-desquels on peut intéresser le public le plus blasé.
-
-«La première fois que le rugissement du lion frappa mon oreille, je fus
-saisi d’une terreur insurmontable. J’étais couché sous ma tente de
-voyage et je me levai d’un bond pour mieux écouter au dehors.
-
-»Je ne m’étais pas trompé: c’était bien le cri rauque du roi des
-animaux. Le quadrupède ne devait pas être à plus d’un mille de notre
-campement. Je compris que le carnassier avait senti les émanations de
-nos chevaux et des bœufs destinés à traîner les chariots sur lesquels se
-trouvait notre bagage. Il fallait se mettre en état de défense, et
-j’ordonnai à mon guide boschiman de prendre les précautions nécessaires.
-Il se hâta de faire resserrer le cercle formé par les véhicules, au
-centre desquels il ramena les moutons et les bêtes de trait. Cela fait,
-nous attendîmes, perchés sur les chariots, l’approche du ou des
-carnassiers, car il nous semblait que les ennemis de notre repos étaient
-en nombre.
-
-»Les rugissements léonins se rapprochèrent de plus en plus; à un moment
-donné, cependant, le silence se fit. C’était une menace imminente: le
-danger était devant nous. Mais où le voir, où le deviner? La nuit était
-obscure, quoique parfois la lune se montrât à travers les nuages.
-Pendant une de ces «éclaircies,» un natif placé près de moi pour me
-passer mes armes de chasse et les charger au besoin me poussa le coude
-et me dit dans son langage:
-
-»--Là! derrière cet arbre touffu, à droite, il est là. C’est un _mangeur
-d’hommes_.»
-
-»Je regardai: en effet, un énorme lion, rampant à travers les jungles,
-s’avançait dans notre direction. Un rugissement épouvantable retentit de
-nouveau, qui me fit frémir de la tête aux pieds.
-
-»Je distinguai aussitôt les cris de deux de mes Boschimen, et un instant
-après l’un d’eux, nommé Raft, arriva en courant près de moi, sans
-pouvoir prononcer une parole, tant sa terreur était grande. Ses yeux
-sortaient de leurs orbites. Enfin il s’écria:
-
-»--Le lion! le lion! Il a emporté Tato et l’a enlevé près du feu, à mes
-côtés. J’ai frappé à la tête le terrible animal avec un tison enflammé,
-mais il n’a pas voulu lâcher sa proie. Tato est mort! Grand Dieu! Tato
-est bien mort! Courons à la recherche de son cadavre.»
-
-«En entendant ces paroles, tous mes hommes se ruèrent vers le feu et
-s’emparèrent de brandons enflammés.
-
-»Je ne pus m’empêcher d’exprimer ma colère en les voyant agir de la
-sorte, et je leur dis que le lion ferait d’autres victimes s’ils ne se
-tenaient pas tranquilles. Ne fallait-il pas prendre des mesures de
-prudence? Ils comprirent ce raisonnement et se rangèrent autour de moi
-pour écouter mes conseils.
-
-»Je fis d’abord lâcher mes chiens, qui tiraient sur leurs chaînes et
-voulaient s’élancer hors du campement; mais ceux-ci, au lieu de se jeter
-à droite, vers l’endroit où s’était réfugié le lion assassin, se
-précipitèrent à gauche, sur une autre piste.
-
-»Nous entendions les chiens aboyer avec force, tandis que, de temps à
-autre, les rugissements de l’animal frappaient nos oreilles. Parfois le
-lion s’élançait vers eux et les _hounds_ revenaient vers nos chariots.
-
-»Cela dura jusqu’au jour. Dès que le crépuscule nous permit de voir à
-quelques pas devant nous, tous les Boschimen armés de fusils
-s’avancèrent par mes ordres à droite, à quatre mètres de distance les
-uns des autres. Je m’étais placé au milieu et je formais la pointe du
-triangle.
-
-»Nous parvînmes ainsi près d’un ravin où le lion avait traîné
-l’infortuné Tato. L’un de mes hommes avait trouvé la jambe de ce brave
-camarade, coupée au-dessus du genou. Le soulier était encore au pied.
-L’herbe et le buisson étaient couverts de sang et les fragments des
-habits de Tato épars çà et là.
-
-»Le lion avait traîné le cadavre de notre compagnon à environ six cents
-mètres de notre camp, le long du courant d’eau, au milieu d’un taillis
-de roseaux et d’arbres morts emportés par les inondations.
-
-»A des foulées nombreuses, je compris que le carnassier n’était pas loin
-de nous. Les chiens débouchés s’élancèrent en avant et nous les
-suivîmes, le doigt sur la détente de nos carabines.
-
-»Tout à coup nous nous trouvâmes au milieu d’une sorte de clairière à
-l’extrémité de laquelle, adossé contre l’angle d’une souche déracinée,
-était un énorme lion tenant sous une de ses pattes les restes informes
-du malheureux Tato et frappant ses flancs avec sa queue, dans le
-paroxysme de la fureur,--_quærens quem devoret_.
-
-»En apercevant l’animal féroce, mon sang bouillonnait de rage, mes dents
-claquaient, mais j’étais cependant maître de moi. Je me sentais prêt à
-répondre à l’attaque du carnassier s’il s’élançait sur moi.
-
-»--Tu vas mourir, mon vieux lion!» lui disais-je _in petto_.
-
-»Et j’épaulai l’animal.
-
-»Une seconde après, j’avais fait feu et une balle traversait l’épaule du
-meurtrier de Tato.
-
-»Il tomba sous le coup, puis se releva. Je l’achevai en lui logeant une
-seconde balle en plein crâne.
-
-»Lorsque nous pûmes prudemment approcher de ce splendide animal, nous
-reculâmes d’horreur. Le ventre du pauvre Tato était ouvert et ses
-entrailles sortaient toutes sanglantes. La tête détachée du tronc gisait
-à trois pas du corps: le bras droit était dévoré et l’épaule déchiquetée
-comme avec un râteau.
-
-»Le lion fut dépouillé par mes Boschimen, et sa peau fut emportée au
-campement, tandis que les amis de Tato creusaient une fosse pour l’y
-enterrer. Au milieu du deuil que causa la mort du serviteur fidèle, on
-éprouva cependant la joie de voir sa fin terrible vengée par le chef
-blanc, et tous les Boschimen me baisèrent la main en signe de respect.»
-
-Ce récit émouvant n’est pas le seul que nous puissions raconter à nos
-lecteurs.
-
-»Un jour, raconte le même auteur, un homme de ma suite revenait d’un
-_kraal_ voisin de mon campement; il s’éloigna un peu du sentier battu
-pour tuer à l’affût, près d’une source, un _springbock_, si faire se
-pouvait. Quand il parvint à cet endroit, le soleil était déjà
-très-élevé. Ne voyant pas de gibier, le nègre alla poser son fusil près
-d’une roche et, après s’être désaltéré, alluma sa pipe et finit par
-fermer les yeux. Lorsqu’il se réveilla, quelle ne fut pas sa terreur en
-voyant un énorme lion couché à trois pas de lui et le regardant
-fixement!
-
-»L’épouvante avait glacé la voix du chasseur: il respirait à peine, et
-quand il recouvra sa présence d’esprit il songea à ressaisir son arme
-afin de tirer sur le roi des animaux. Le lion avait surpris ce mouvement
-et avait poussé un rugissement terrible. Le nègre fit encore un ou deux
-essais, mais le fusil se trouvait hors de sa portée; il dut renoncer à
-s’en emparer, car le félin ouvrait démesurément sa gueule chaque fois
-que l’homme remuait la main. La journée s’écoula de cette façon. La nuit
-vint. Le lion n’avait pas bougé de place et les heures s’écoulèrent dans
-cet horrible supplice moral.
-
-»Vers midi, le Hottentot vit le lion se lever tranquillement et, le cou
-tourné de son côté, se rendre à la source pour s’y désaltérer.
-
-»A ce moment suprême, une bande de cavaliers boschimen parut à
-l’horizon: le lion entendit le bruit que produisaient les pas des
-chevaux et crut prudent de se jeter dans un fourré qu’il traversa
-rapidement pour pénétrer dans le forêt.
-
-»Le Hottentot était sauvé, mais ses cheveux crépus avaient blanchi dans
-l’espace de vingt-quatre heures.»
-
-Je terminerai cet article par un fait qui m’a été raconté par le
-commandant Garnier.
-
-Un Arabe des environs de Guelma apprit un matin qu’un grand vieux lion à
-crinière noire s’était montré dans les environs de son douar. On avait
-construit des fosses dans lesquelles le vieux carnassier ne voulait pas
-se laisser prendre, et il décimait chaque nuit le bétail du canton.
-L’Arabe quitta un jour la battue qui s’opérait dans la montagne et alla
-se poster près d’un ravin. A peine avait-il fait deux cents pas qu’il se
-trouva face à face avec le lion. Au moment où il armait son fusil, son
-arme fut tordue, il fut jeté sur le dos, les deux épaules entre les
-griffes du lion, qui le regardait fixement; c’en était fait de lui sans
-un de ses camarades, nommé Ahmed-Zim, qui avait vu ce qui se passait.
-Sans prendre son fusil, sans même songer aux pistolets qu’il portait à
-sa ceinture, n’écoutant que son amitié pour son compagnon, il vola à son
-secours et sauta intrépidement sur le lion, le yatagan au poing. Il
-frappait d’estoc et de taille, et ceux qui accouraient vers le lieu du
-combat n’osaient pas se servir de leurs armes, de peur de tuer leur
-courageux ami. Un d’eux cependant, plus hardi que les autres, parvint à
-fracasser la tête du lion d’un coup de pistolet tiré dans l’oreille à
-bout portant.
-
-Le lion abattu pesait deux cent cinquante kilos. Sa peau était
-déchiquetée en lanières et le sang en ruisselait de toutes parts.
-
-Ahmed-Zim n’avait reçu aucune blessure, mais son ami avait le bras et
-les épaules affreusement déchirés.
-
-
-FIN.
-
-
-
-
-TABLE
-
-
- M. Caillié et son voyage. 5
- Départ. 26
- Cambaya. 42
- Kankan. 59
- Timé. 78
- Jenné. 90
- Navigation sur le Niger. 101
- Tombouctou. 107
- Le Désert. 119
- El-Harib. 143
- Fez et Méquinaz. 149
- Tanger. 154
- Retour. 136
-
- La chasse aux lions. 168
-
-
-FIN DE LA TABLE.
-
-
-Limoges.--Impr. EUGÈNE ARDANT et Cie.
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À TRAVERS
-L'AFRIQUE ***
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- The Project Gutenberg eBook of Voyage d’un faux musulman à travers l’Afrique, by René Caillié.
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-<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of Voyage d'un faux musulman à travers l'Afrique, by René Caillié</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
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- <div style='display:table-cell; padding-right:0.5em'>Title:</div>
- <div style='display:table-cell; padding-right:0.5em'>Voyage d'un faux musulman à travers l'Afrique</div>
- </div>
- <div style='display:table-row;'>
- <div style='display:table-cell'></div>
- <div style='display:table-cell'>Tombouctou. Le Niger, Jenné et le Désert</div>
- </div>
-</div>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: René Caillié</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: June 6, 2021 [eBook #65530]</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div>
-
-<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)</div>
-
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À TRAVERS L'AFRIQUE ***</div>
-<p class="c large">RENÉ CAILLIÉ</p>
-
-<h1>VOYAGE<br />
-<span class="xsmall">D’UN</span><br />
-<span class="large">FAUX MUSULMAN</span><br />
-A TRAVERS L’AFRIQUE</h1>
-
-<p class="c">TOMBOUCTOU<br />
-Le Niger, Jenné et le Désert.</p>
-
-
-<p class="c gap"><span class="large">LIMOGES</span><br />
-EUGÈNE ARDANT ET C<sup>ie</sup>, <span class="small">ÉDITEURS</span>.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch1">VOYAGE<br />
-A TOMBOUCTOU.</h2>
-
-
-<p>Supposons que vous ayez sous les yeux
-une carte du globe ; que, sur cette carte,
-vous vous établissiez à l’un des points qui
-représentent Brest, Nantes, Rochefort ou
-Bordeaux, à la droite du petit carré qui
-représente la France ; que de là, votre doigt
-se promène au large sur cet espace blanc
-qui figure la grande masse d’eau de l’Atlantique,
-et, laissant à gauche l’Espagne,
-le Portugal, le détroit de Gibraltar, continue
-son chemin en vue du cap Noun, du
-cap Boyador, du cap Blanc, du cap Vert,
-en vue des établissements français et anglais
-du Sénégal et de la Gambie ; puis,
-reprenne enfin terre à ce petit filet noir qui
-marque l’embouchure du Rio-Nunez : — parvenus
-là, vous avez fait douze ou quinze
-cents lieues, et vous êtes au point de départ
-du voyage que nous allons entreprendre
-à la suite de M. Caillié.</p>
-
-<p>A présent, notre ligne de route est bien
-facile à tracer, par <i>à peu près</i> s’entend. Il
-s’agit, en tournant le dos à la mer, de fixer
-sur la carte un point à deux cents lieues
-environ de l’embouchure du Rio-Nunez, et
-de joindre ce point d’une part avec cette
-embouchure, de l’autre avec l’empire de
-Maroc, avec Fez et Tanger. Entrés en
-Afrique par le côté qui fait face à l’Amérique,
-nous en sortirons par le côté qui fait
-face à l’Europe ; nous aurons fait sur le sol
-africain un coude de neuf à onze cents
-lieues.</p>
-
-<p>Qu’y a-t-il à voir, à l’heure qu’il est, sur
-cette longue ligne ? Que se passe-t-il, dans
-ces régions sur lesquelles la carte est presque
-entièrement muette, ou bien qu’est-ce
-que représentent le petit nombre d’indications
-qu’elle donne ? Sous quels aspects
-se présentent là et la terre et les hommes ?
-Le soleil, les nuages, les montagnes, les
-rivières, ont-ils là les mêmes habitudes que
-chez nous ? Le sol est-il pareil à celui que
-nous foulons ? se pare-t-il des mêmes couleurs,
-porte-t-il les mêmes plantes, nourrit-il
-les mêmes animaux, et, creusé, laisse-t-il
-voir les mêmes choses ? — Enfin, s’il y a
-des hommes dans ces vastes contrées, qui
-sont ces hommes ? Quelle idée se font-ils de
-la vie humaine ? Quel parti tirent-ils de la
-terre et des choses qu’elle porte ? Quel
-parti tirent-ils de leurs semblables et d’eux-mêmes ?
-Que savent-ils ? Qu’imaginent-ils ?
-Ce même soleil qui, eux aussi, les réchauffe
-et les éclaire, leur dit-il quelque
-chose des autres hommes qu’il a réchauffés
-et éclairés avant que d’arriver à eux, de
-ceux qu’il réchauffe et éclaire en même
-temps qu’eux : de nous, par exemple, qui
-sommes de ceux-là ? Ces hommes s’occupent-ils
-de nous, comme nous nous occupons
-d’eux ? Songent-ils également, de
-leur côté, à nous rendre visite ?</p>
-
-<p>Bien d’autres questions s’élèvent à la vue
-de ces espaces si voisins de notre Europe,
-et si fort négligés par elle ; de ces espaces
-où nos croyances et nos sciences, nos langues
-et nos institutions sont presque totalement
-inconnues. Ces hommes, en effet, ne
-pouvons-nous rien pour eux ? N’avons-nous
-à échanger avec eux que des regards indiscrets
-et méfiants ? Si différents qu’ils soient
-de nous par l’extérieur et le costume, ou
-même par l’organisation et les habitudes,
-en sont-ils moins nos pareils au nom des
-besoins universels de la nature humaine, au
-nom du travail qui répond partout à ces
-besoins, au nom de la sympathie par laquelle
-chacun de nous est associé aux plaisirs et
-surtout aux souffrances des autres hommes ?
-Qu’ils le reconnaissent ou non, ils appartiennent
-à la grande famille dans laquelle
-nous ne voyons, nous, que des frères nés
-pour être amis, des frères que l’erreur seule
-sépare.</p>
-
-<p>Deux questions surtout ont attiré, de nos
-jours, l’attention des Européens vers cette
-partie de l’Afrique.</p>
-
-<p>L’une de ces questions se rapportait à un
-vaste courant d’eau qui promettait à lui
-seul un puissant instrument aux recherches
-ultérieures. Car, vous le savez, une rivière
-en ces régions brûlantes, ce n’est pas seulement,
-comme ailleurs, <i>un chemin qui
-marche</i><a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>, c’est un chemin qui désaltère
-ceux qu’il porte, un chemin qui leur prépare
-devant eux des vivres et un abri sur
-les rives que son eau fertilise. De là l’importance
-de la question du <span class="sc">Niger</span>, ce <i>Nil des
-Noirs</i>, mentionné il y a plus de deux mille
-ans par l’historien grec <i>Hérodote</i>, retrouvé
-en 1795 par l’Anglais <i>Mungo-Parck</i>, et
-dont les sources principales furent indiquées,
-en 1822, par l’Anglais <i>Laing</i>. Plus
-récemment, en 1850, deux autres Anglais,
-<i>Richard Lander</i> (ci-devant domestique du
-célèbre voyageur Clapperton), et son frère
-<i>John</i>, se livrant hardiment au courant du
-fleuve, l’ont descendu jusqu’à la mer.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Expression de <i>Pascal</i>.</p>
-</div>
-<p>L’autre question, qui touchait de près à
-la première, était relative à la ville de <span class="sc">Tombouctou</span><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>,
-voisine du fleuve, et comme
-lui, mystérieuse. Ce nom, il faut le dire,
-exerçait une sorte d’enchantement sur l’imagination
-des géographes. Ils ne pouvaient
-se représenter sans enthousiasme
-une capitale grandie, comme par miracle,
-sous le souffle desséchant du Désert : véritable
-port de cet océan de sable qu’on appelle
-le <i>Sahara</i>, entrepôt florissant d’un
-commerce perpétuel entre le nord et l’occident
-de l’Afrique. C’était à qui lui prêterait
-les plus larges dimensions ; les évaluations
-les plus modérées ne lui donnaient pas
-moins de cent mille habitants. Un écrivain
-arabe, enchérissant sur les exagérations de
-ses compatriotes, allait même jusqu’à dire :
-« C’est la plus grande ville que Dieu ait
-créée. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Ou <i>Temboctou</i> ou <i>Ten-Boktoue</i>, comme on
-commence à l’écrire à présent, d’après l’Arabe Ben-Batouta.</p>
-</div>
-<p>Vous commencez à craindre que la réalité
-ne réponde pas à ces pompeuses annonces ;
-elles auront du moins servi à tourner
-l’attention de ce côté. Si l’on n’a pas le singulier
-plaisir que l’on se promettait de rencontrer
-un <i>Paris</i> au milieu des sables, en
-revanche on aura quelques pages de plus à
-ajouter à l’inventaire de notre planète, et
-au recensement général de la famille
-humaine.</p>
-
-<p>Quant à nous, nous sommes, pour le moment
-du moins, condamnés à ne visiter ces
-contrées lointaines que par les yeux d’autrui,
-et, pour ainsi dire, par procuration. — Le
-voyageur qui se charge de les visiter
-pour nous se fera-t-il toutes les questions
-que nous nous ferions en pareil cas ? Arrivera-t-il
-là-bas avec nos propres préoccupations ?
-Par lui serons-nous là comme si nous
-y étions nous-mêmes ? C’est chose dont on
-peut douter ; toutefois, dans l’impossibilité
-où nous sommes, pour longtemps peut-être,
-de nous transporter en personne à douze
-cents lieues d’ici, cette ressource des récits
-d’emprunt (la seule qui nous reste) n’est
-pas à dédaigner. Elle serait plus précieuse
-encore, si les lecteurs de <i>voyages</i> avaient le
-bon esprit de ne demander au voyageur que
-ce qu’il sait, de ne pas le contraindre à parler
-des choses que les circonstances du trajet
-ou bien le défaut de connaissances préalables
-ne lui ont pas permis de remarquer.
-Loin de là, le voyageur est tenu, d’ordinaire,
-de tout voir, de tout entendre, de
-tout comprendre ; il est tenu d’entrer dans
-le pays avec tous les moyens d’observation
-que chacune de nos sciences modernes
-prête à ses disciples ; il est tenu d’en sortir
-sans oublier le nom d’une seule bicoque.
-Le lecteur gagne-t-il en réalité quelque
-chose à ces exigences ? eh mon Dieu non !
-Le voyageur fait semblant d’être en état
-d’y satisfaire ; il parle de tout ; il ne laisse
-pas en blanc une seule des stations de son
-itinéraire : toutes les lacunes de ses notes
-ou de sa mémoire, il les remplit de la meilleure
-grâce du monde : son honneur est
-sauf aux dépens de sa probité.</p>
-
-<p>Tâchons d’être justes, ne fût-ce que pour
-n’être pas trompés ; et, prenant notre
-voyageur pour ce qu’il est, ne le forçons
-pas à se donner pour autre. Voyons ce que
-nous pouvons en conscience attendre de
-lui, et ne lui demandons rien de plus.</p>
-
-<p>Dès l’ouverture de son livre<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>, nous
-apprenons que c’est un jeune homme de
-vingt-six à vingt-sept ans. Ni dans le village
-de Poitou<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a> qu’il quitta, nous dit-il, à
-seize ans pour la côte d’Afrique, avec soixante
-francs pour toute fortune, et quelques
-lectures de voyages pour toute instruction ;
-ni dans ses différentes courses au Sénégal
-ou à la Guadeloupe, il n’eut le loisir ou le
-moyen d’acquérir les connaissances qu’un
-voyage de découverte exige. — De plus,
-s’il parcourt sur le globe la ligne de route
-que nous venons de tracer sur la carte,
-c’est en passant, c’est à la dérobée, à la
-hâte, dans des transes perpétuelles, et
-comme en traversant un camp ennemi :
-sans autre défense que celle que ses maux
-lui acquièrent de loin en loin dans les âmes
-compatissantes ; sans autre protection que
-la pitié ou le mépris qu’il inspire. Pauvre
-mendiant dévot, marchant seul et à pied
-au milieu de tant de populations étrangères,
-bien souvent, c’est à peine s’il ose lever
-les yeux de dessus le grand chapelet musulman
-qui lui sert de passeport.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> <i>Journal d’un voyage à Tombouctou et à Jenné</i>,
-etc., par René <span class="sc">Caillié</span>.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> <i>Mauzé</i> près Thouars, département des Deux-Sèvres.</p>
-</div>
-<p>Vous voyez qu’il est difficile de voyager
-dans des conditions plus défavorables. Nous
-serions mal venus à vouloir qu’il sorte de
-là une relation nourrie d’observations approfondies
-et savantes. Toutefois, un pareil
-trajet peut nous apprendre encore bien des
-choses que nous ignorons, et nous en rappeler
-d’autres auxquelles nous ne songeons
-pas. En laissant même les indications que
-le voyageur a tâché de recueillir sur les
-pays qui se trouvaient à droite et à gauche
-de sa route ; en laissant encore la longue
-liste de dénominations géographiques qu’il
-s’est efforcé de compléter ; il reste les choses
-qu’il a vues de ses yeux, les choses que
-tout passant en Afrique pourrait apercevoir
-de même, les choses sur lesquelles il
-ne peut y avoir de doute, sans inculper,
-non pas les lumières, mais la bonne foi
-même de celui qui les raconte : il reste les
-événements auxquels le voyageur a été
-mêlé, dans lesquels il s’est trouvé tout ensemble
-acteur et spectateur. Le <i>journal</i> de
-M. <span class="sc">Caillié</span> serait réduit au récit de ses
-propres aventures, qu’il n’en serait par là
-même sur l’Afrique qu’un témoignage plus
-expressif et plus authentique.</p>
-
-<p>De ce que M. Caillié avoue franchement
-qu’il s’est mis en route sans avoir pu jamais
-acquérir les connaissances qui peuvent
-donner le plus de prix à une pareille entreprise,
-il ne s’ensuit pas qu’il soit parti sans
-préparation aucune. Rien que pour entrer
-sur le territoire d’Afrique, il faut se déguiser,
-se transformer, se composer un rôle.
-Ce rôle, il faut, dans une si longue traversée,
-qu’il s’adapte également à chacun des
-pays à parcourir ; qu’il convienne aux ressources
-particulières du voyageur, qu’il
-s’accommode à ses moyens d’observation.
-Une fois ce rôle composé, il faut l’apprendre,
-il ne faut pas l’oublier un seul instant :
-il y va de la vie. Ce rôle, quel qu’il soit,
-bien choisi et bien joué, est à lui seul un
-renseignement précieux sur les contrées
-dont il ouvre la porte au voyageur.</p>
-
-<p>Ainsi donc, à part ses résultats, et seulement
-pour être mise à exécution, la traversée
-que nous nous proposons demande un
-apprentissage. Celui de M. Caillié, commencé
-de bonne heure, et plus long par le
-manque même d’encouragements et de secours,
-dura près de dix années. Trois voyages
-successifs au Sénégal, deux essais malheureux
-pour pénétrer dans l’intérieur à la
-suite des expéditions anglaises, le familiarisèrent
-avec toutes les difficultés de sa
-tâche. Dans l’une de ces tentatives, il vit
-par lui-même combien la foule des chameaux,
-la richesse du bagage, et même une
-troupe de soldats armés, servent de peu
-contre des hommes qui, s’obstinant à fermer
-aux Européens l’accès de leur pays,
-comptent au nombre de leurs armes offensives
-le soleil et le sable, et n’ont rien que
-leurs puits à défendre. Une retraite ruineuse
-« et plus sinistre qu’une déroute »
-lui apprit qu’à moins de se frayer le chemin
-par la force, l’étude de ces populations
-défiantes ne devait pas se faire avec tant
-de bruit.</p>
-
-<p>Ainsi, le plus grand obstacle à la traversée
-que nous nous proposons, ce sont les
-hommes. Des Arabes, en effet, de race
-plus ou moins mélangée, ont pénétré partout
-en ces parages parmi les populations
-noires et partout, avec le nom de Mahomet
-et ses lois sévères, ils ont implanté la haine
-et le mépris des <i>Chrétiens</i> : mettant, sous
-ce nom, tous les Européens <i>hors la loi</i> ;
-nous dévouant tous tant que nous sommes,
-en cette vie, au brigandage et à la filouterie
-des <i>Fidèles</i>, et dans l’autre, aux flammes
-éternelles de l’enfer.</p>
-
-<p>Notre jeune voyageur<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a> jugea que le
-plus court était d’apprendre leur religion
-et leur langue. Il trouva tout simple d’abandonner
-les chances de fortune que lui offrait
-le commerce<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a>, pour aller faire son éducation
-musulmane chez les Musulmans eux-mêmes.
-Pour maîtres d’arabe et d’islamisme,
-il choisit les Arabes (ou Maures)
-Braknas qui errent avec leurs troupeaux
-entre le Sénégal et le Désert, à cinquante
-ou soixante lieues de la côte.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> M. Caillié avait alors vingt-quatre ans.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Un négociant lui avait fait l’avance d’une
-petite pacotille.</p>
-</div>
-<p>Je ne m’arrêterai pas à vous raconter le
-traitement que lui valut de leur part son
-apparente conversion aux croyances musulmanes.
-Ses hôtes lui montrèrent à lire l’écriture
-arabe, et lui firent apprendre par
-cœur force versets du Coran. Il fut même
-pourvu d’une planchette d’écolier, et,
-comme les enfants, soumis, le matin avant
-le jour et le soir à la nuit, à chanter à haute
-voix la gloire d’<i>Allah</i> et de <i>Mohamed</i>, à la
-lueur d’un petit feu.</p>
-
-<p>La langue usuelle de ces Arabes lui devait
-être par la suite du plus grand secours.
-Leur société était du reste une excellente
-école de mœurs africaines, de vie uniforme
-et simple, et par-dessus tout, de sobriété.
-Chose étrange pour nous ! Chose bien plus
-étrange encore pour l’estomac du pauvre
-<i>voyageur</i>, leur principale nourriture, c’est
-le lait : aux chefs, le lait de chameau ; aux
-autres, le lait de vache, de chèvre ou de
-brebis ; dans la saison des pluies ils ne prennent
-pas autre chose. Une simple bouillie
-de mil pilé et assaisonnée d’herbages supplée
-au lait dans les temps de sécheresse.
-Un repas de viande séchée est le privilége
-des plus riches, et pour eux-mêmes, un
-régal. Le reste est à l’avenant.</p>
-
-<p>Ces privations continues ne les dispensent
-pas du jeûne que la religion leur impose,
-jeûne auprès duquel ce que les Européens
-appellent aujourd’hui de ce nom n’est
-qu’un jeu. Ce jeûne, en dévot catéchumène,
-<i>Abdallahi</i><a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>, c’est le nom que M. Caillié
-s’était donné, y fut astreint sans miséricorde.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Ce nom qui signifie <i>esclave de Dieu</i> est de
-ceux que recherche l’humilité musulmane.</p>
-</div>
-<p>« Le soir (5 avril 1825) on aperçut la
-nouvelle lune. C’était celle du Ramadan :
-le carême allait commencer. On fit de longues
-prières et beaucoup de bouillie de
-mil… » C’était dans la saison des chaleurs,
-par un vent d’est étouffant. Une tasse de
-lait aigre <i>avant</i> et <i>après</i> le coucher du
-soleil ; à onze heures du soir, une simple
-bouillie de mil : tel était, tel est encore sur
-la rive droite du Sénégal le régime de <i>la
-lune du jeûne</i>.</p>
-
-<p>« Le sixième jour, dit le voyageur, je
-crus que je ne pourrais soutenir plus longtemps
-ces terribles mortifications. La chaleur
-augmentait ; ma soif était insupportable :
-j’avais la gorge desséchée ; ma langue,
-gercée, me faisait l’effet d’une râpe
-dans la bouche. Je crus que je succomberais ;
-je ne souffrais pas seul : tout le
-monde, autour de moi, endurait les mêmes
-tourments. Enfin, les <i>Marabouts</i> se baignèrent
-le visage, la tête et une partie du corps.
-On me permit d’en faire autant ; mais
-j’étais observé avec la plus grande attention. »</p>
-
-<p>Une seule fois il avale avec frayeur une
-partie de l’eau avec laquelle il était permis
-de se laver la bouche.</p>
-
-<p>« Je jeûnai ainsi dix-sept jours ; le dix-huitième,
-je fus attaqué de la fièvre ; alors
-on me dispensa du jeûne, si toutefois on
-peut appeler ne pas jeûner boire un peu
-d’eau dans la journée, car on ne me donna
-absolument rien à manger. »</p>
-
-<p>Huit ou neuf mois de séjour parmi les
-Braknas ont mis le voyageur à même de
-nous raconter à loisir tous les incidents,
-très-peu variés du reste, de leur vie ambulante,
-de nous introduire dans leurs maisons
-portatives, de nous montrer leur ameublement,
-leur costume ; de nous faire voir
-comment sont réparties chez eux, entre les
-diverses classes d’hommes libres ou d’esclaves,
-les différentes fonctions industrielles,
-commerciales, civiles, militaires, religieuses,
-etc. Ces curieux détails nous mèneraient
-trop loin. Il ne faut pas oublier que
-nous avons beaucoup de chemin à faire.</p>
-
-<p>Le <i>chrétien</i>, dont la conversion avait
-toujours laissé quelque défiance, était allé
-aux bateaux français sur le fleuve, et, contre
-l’espérance de ses hôtes, il était revenu
-partager leur fade bouillie de mil.</p>
-
-<p>Il s’agissait d’<i>acheter un troupeau et
-deux Noirs</i> pour établir chez les Braknas
-son point de départ sur une base solide.
-Par malheur, le gouverneur français, qui
-avait encouragé ses premiers essais, était
-parti. M. Caillié vit ses offres repoussées, et
-des espérances qui lui coûtaient déjà tant
-de fatigues, ruinées de fond en comble. Il se
-fit empailleur d’oiseaux, pour vivre. Le
-gouverneur, revenu, ne répondit à son
-empressement que par de vagues promesses.
-Les Anglais de Sierra-Leone l’accueillirent
-mieux à tous égards. Les Français lui
-avaient opposé M. de Beaufort et les railleries
-amères sur sa prétendue conversion
-et sur son costume. Les Anglais, en lui
-opposant le major Laing, également parti
-pour Temboctou, lui offrirent l’hospitalité la
-plus généreuse. Près de deux ans s’écoulèrent
-ainsi dans des désappointements continuels.</p>
-
-<p>M. Caillié ne se rebuta point. Il avait eu
-connaissance du prix proposé en 1824 par
-la <i>Société de géographie</i> de Paris, au voyageur
-qui parviendrait le premier à Temboctou
-par la voie de la Sénégambie ; il se disait :
-« Mort ou vif, je l’obtiendrai ; si je
-n’en jouis pas, ma sœur le recueillera. » Il
-ajoute : « Je refusai tout arrangement ; je
-voulus au moins laisser à l’amie de mon
-enfance une propriété incontestable, le
-mérite d’avoir tout fait par moi seul. »</p>
-
-<p>Il se lia à Free-town<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a> avec des Noirs
-musulmans venus de l’intérieur : puis, un
-jour, sous le sceau du secret, il leur apprit
-d’un air très-mystérieux qu’il était né à
-Alexandrie en Égypte, qu’il avait été fait
-prisonnier par l’armée française, et conduit
-au Sénégal pour faire les affaires commerciales
-de son maître : qu’affranchi pour ses
-services, il voulait retourner dans son pays
-natal, et reprendre la religion de ses
-pères.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> Chef-lieu de la colonie anglaise de Sierra-Leone.</p>
-</div>
-<p>Telle est la fable sur la foi de laquelle
-allait reposer pendant près de dix-sept mois
-la sûreté de sa vie.</p>
-
-<p>Une petite friponnerie lui fit sentir dès le
-lendemain qu’il ne pouvait espérer, avec
-l’habit européen, vaincre les vieilles habitudes
-de ses nouveaux amis d’Afrique ; il
-s’empressa de gagner par mer un endroit
-où il pût débarquer avec son costume
-arabe, et choisit pour tel l’embouchure du
-Rio-Nunez, à cinquante lieues nord de
-Sierra-Leone. Il avait converti en argent
-et en marchandises les <i>deux mille francs</i>
-d’économies qui composaient toute sa fortune ;
-dix-sept cents francs avaient été consacrés
-à des achats de poudre, de papier,
-de tabac, de verroteries, d’ambre, de corail,
-de mouchoirs de soie, de couteaux, ciseaux,
-miroirs, clous de girofle, de trois pièces de
-guinée bleue et d’un parapluie. Tout cela
-ne pesait pas cinquante kilogrammes. Le
-reste en or et en argent tenait dans sa ceinture.
-Quelques Anglais lui procurèrent
-divers médicaments, de la crème de tartre,
-du jalap, du calomélas, divers sels purgatifs,
-du sulfate de quinine, des emplâtres
-de diachylon, enfin du nitrate d’argent.
-M. Caillié se pourvut, en outre, de deux
-petites boussoles, et remplit les poches de
-son costume arabe des feuillets d’un Coran
-qu’il avait déchiré.</p>
-
-<p>Parti de Sierra-Leone, le 22 mars 1827,
-il arrive au village de Kakondy, sur la rive
-du Rio-Nunez, le 31. Un coup de fortune
-pour lui ce fut, dans ce village, la rencontre
-d’un négociant français<a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a> qui se fit un
-plaisir de mettre son expérience du pays au
-service de son jeune compatriote. Il fit venir
-quelques Noirs voyageurs, fort considérés,
-leur livra le voyageur avec les recommandations
-les plus vives et des présents plus
-expressifs encore. Ces présents représentaient
-la valeur d’un bœuf en marchandises.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> M. Castagnet.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch2">DÉPART.</h2>
-
-
-<p>« Le 19 avril 1827, dit M. Caillié, je pris
-congé de M. Castagnet. L’avouerai-je ! je
-pleurais en quittant mon généreux ami et
-pourtant ces regrets bien sincères ne pouvaient
-altérer la joie que j’avais d’entreprendre
-enfin ce voyage. » A deux heures
-de marche de Kakondy, sur la rive gauche
-du Rio-Nunez, les tombeaux de cinq voyageurs
-anglais (entre autres, du major Peddie)
-durent assombrir la longue perspective
-de nouveautés, mais aussi de fatigues et de
-périls qui s’ouvrait enfin devant l’impatient
-voyageur. Une fois qu’il aura mis derrière
-lui les hautes montagnes boisées qu’il voit à
-l’horizon, il lui faudra marcher bien longtemps
-avant qu’un mot français revienne
-frapper son oreille, et l’invite à déposer
-enfin non plus seulement sa couverture de
-laine et ses sandales, mais encore ce fardeau
-de défiances, de mensonges et de
-faux-semblants qui lui pèse encore plus.</p>
-
-<p>Nos compagnons de voyage, au départ,
-sont cinq Noirs libres, <i>Mandingues</i> aux
-cheveux crépus, au nez aquilin, aux lèvres
-minces, et trois Noirs esclaves. Tous, à
-l’exception du chef noir Ibrahim et de sa
-femme, portent sur leur tête des charges
-énormes dans de longues corbeilles. Un
-<i>Foulah</i> (au teint marron-clair, cheveux crépus,
-lèvres minces) porte sur sa tête le
-bagage du voyageur.</p>
-
-<p>Le voyage commence le plus heureusement
-du monde. Les Noirs, moyennant
-quelques morceaux d’étoffe, ont pour Abdallahi
-toutes les attentions possibles. Les
-Foulahs rencontrés en route, les uns chargés
-de sel qu’ils voiturent dans l’intérieur
-à trente ou quarante lieues de là, sur leur
-tête, les autres apportant à la côte des cuirs,
-de la cire, du riz que les marchands européens
-se disputent, en apprenant que le
-blanc est Arabe ne peuvent se lasser de le
-regarder et de le plaindre, viennent s’asseoir
-à terre près de lui, prennent ses jambes
-sur leurs genoux, et les pressent doucement
-pour le délasser. « Tu dois bien
-souffrir, lui disent-ils, car tu n’es pas habitué
-à faire une route aussi pénible. » Ils
-vont eux-mêmes chercher des feuilles pour
-lui faire un lit : « Tiens, voilà pour toi, car
-tu ne sais pas comme nous dormir sur la
-pierre. »</p>
-
-<p>Émerveillé de cette dévotion charitable,
-étendu sur son lit de feuillage, le voyageur
-couche sans crainte à la belle étoile : quelquefois
-sous de magnifiques ombrages, quelquefois
-sous des appentis de branches et de
-paille destinés à abriter les passants. Partout,
-le guide Ibrahim s’empresse de débiter
-et d’embellir l’histoire d’Abdallahi, le
-faisant naître à la <i>Mecque</i> même, la seule
-ville du monde dont le nom soit parvenu à
-ces peuples. Partout à la nouvelle de l’arrivée
-d’un compatriote du Prophète, les
-hommes et les femmes accourent, non plus
-avec la curiosité méprisante des bords du
-Sénégal, mais avec une sorte d’ingénuité
-respectueuse, se tenant à distance du saint
-étranger, lui ouvrant cordialement leurs
-cabanes, lui apportant quelquefois la seule
-chose qu’ils possèdent, de petites galettes
-de riz mêlé de miel et de piment, séchées
-au soleil, le pain de maïs jaune et frais,
-assaisonné de miel et de pistaches grillées
-et pilées, du lait, des fruits : présents que
-les femmes lui offrent souvent à genoux.</p>
-
-<p>Un exemple vous donnera une idée plus
-précise de ces bergers montagnards : « Un
-soir que la petite caravane avait, comme
-d’ordinaire, fait halte auprès d’une source
-pour y passer la nuit, je vis un jeune Foulah
-qui ne pouvait se lasser de me regarder.
-Il me proposa de le suivre à son camp, pour
-boire du lait. Comme je ne voulais pas y
-aller seul, il engagea un de mes compagnons
-de voyage à m’accompagner : deux
-d’entre eux s’y prêtèrent avec complaisance.
-Le jeune homme marchait devant nous
-pour nous enseigner la route, et avait soin
-d’ôter de grosses pierres qui se trouvaient
-sur mon passage. Arrivé à son camp, qui
-était tout près de notre halte, il s’empressa
-de sortir une peau de bœuf sur laquelle il
-me pria de m’asseoir. Ce camp se composait
-de cinq ou six cases en paille presque
-rondes et très-basses : il fallait se mettre
-en deux pour y entrer. L’ameublement se
-composait de quelques nattes, peaux de
-mouton et calebasses pour mettre du lait ;
-le lit, de quatre piquets sur lesquels étaient
-placés en long des morceaux de bois recouverts
-d’une peau de bœuf. Il alla avertir sa
-vieille mère et ses sœurs, et leur dit que
-j’étais un Arabe compatriote du Prophète,
-et allant à la Mecque. Elles me regardèrent
-avec beaucoup de curiosité, et en faisant
-plusieurs gestes crièrent <i>La allah il
-allah</i>, etc. (Il n’y a d’autre Dieu que Dieu
-et Mahomet est son prophète) — à quoi je
-répondis par la formule ordinaire. Elles
-s’assirent à une petite distance de moi, et
-me regardèrent tout à leur aise. Le jeune
-Foulah alla me chercher du lait dans une
-calebasse qu’il eut soin de laver (excessive
-politesse de leur part), puis m’apporta un
-peu de viande frite ; je l’engageai à en
-manger avec moi ; mais, en me montrant
-du doigt la lune, il me dit d’un air timide
-et riant : Je jeûne, c’est le Ramadan. »</p>
-
-<p>Nous traversons ainsi des montagnes
-verdoyantes, coupées de ravins au fond desquels
-grondent de nombreux ruisseaux :
-marchant le plus souvent à l’ombre de hautes
-forêts<a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>, sans autre incident que la rencontre
-de quelques singes roux qui aboient
-comme des chiens. A l’un des nombreux
-passages à gué de rivières grossies tout-à-coup
-par les orages, le voyageur faillit
-être emporté par le courant : les noirs
-effrayés criaient à tue-tête : <i>Allah il allah</i>,
-etc. (Dieu est Dieu et Mahomet est son
-prophète).</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> « Peuplées, dit M. Caillié, d’une foule d’oiseaux
-<i>dont les couleurs varient à l’infini</i>. »</p>
-</div>
-<p>Du reste, le voyageur essuie chaque
-jour un violent orage et quelquefois plusieurs.
-Les pluies qui commencent en avril
-durent six mois consécutifs en ces montagnes.
-Mouillé jusqu’aux os, il marche pieds
-et jambes nus par des chemins inondés. Ce
-pays montagneux est habité par des Foulahs
-qui y promènent leurs troupeaux, et
-semé de villages d’esclaves noirs cultivateurs.
-La vie paraît y être facile pour tous ;
-le lait des vaches et des brebis, un peu de
-riz qui croît facilement dans la plaine, suffisent
-à leur nourriture, avec le fruit du
-nédé, du pistachier, de l’oranger, du bananier.
-Vous venez d’entrer chez le bon jeune
-Foulah ; visitez à présent les villages de
-Noirs esclaves : vous les trouvez entourés
-de belles plantations de bananiers, ananas,
-cassave, ignames, choux caraïbes : le tout
-bien soigné par les femmes, pendant que
-les hommes sont aux champs de riz ou de
-<i>foigné</i>.</p>
-
-<p>Le corps, la tête surtout, graissés de
-beurre, vêtus, du reste, comme les Mandingues,
-d’une chemise sans col et sans manche
-et d’une large et courte culotte de
-grosse toile de coton blanche arrêtée seulement
-à la ceinture par une coulisse, les
-Foulahs se tiennent très-droit, mettent
-beaucoup de sérieux dans leurs démarches,
-et se croient très-supérieurs aux Noirs.
-Leurs armes ordinaires de voyage sont des
-flèches empoisonnées et des lances. Cependant,
-le fer n’est pas rare dans leurs montagnes
-et M. Caillié a vu chez eux plusieurs
-fourneaux de cinq à six pieds de
-haut, de dix-huit à vingt de tour avec une
-cheminée à la voûte et quatre trous à la
-base.</p>
-
-<p>Le 28 avril, grand jour de fête ; séjour,
-pour la célébration de la Pâque ; le matin,
-prière en commun, plus solennelle que de
-coutume ; les marchands se prosternent
-à la file et Abdallahi avec eux. « Au sortir
-de la prière, on se dispose à tuer le bœuf
-(acheté la veille en commun entre douze ou
-quinze). » Les Mandingues passèrent près
-d’une heure à égaliser les lots de viande :
-ils prirent chacun un petit morceau de
-bois pour les mesurer ; des coups de fusil et
-des chants à la louange d’Ibrahim (qui
-fournit la poudre), répondent par avance
-au plaisir promis par le copieux repas qui
-s’apprête. Sans avoir pris part à l’achat du
-bœuf (le moment serait en effet mal choisi
-pour paraître riche), Abdallahi est appelé
-à prendre part au festin. Ce jour-là une
-petite querelle des jours précédents au
-sujet du cadeau de M. Castagnet, est mise
-en oubli. « En entrant dans la case d’Ibrahim,
-je vis une grande calebasse de riz
-bouilli, sur lequel on avait mis de la viande
-en assez grande quantité. Nous nous assîmes
-autour et chacun mit la main au plat.
-Le riz fini, Ibrahim distribua la viande. »
-le reste du bœuf est exposé toute la nuit à
-la fumée, et mis pour les jours suivants
-dans des sacs de cuir. Quant à la peau, on
-l’échange contre une provision de riz.</p>
-
-<p>Le 29, nous arrivons sur des roches rougeâtres
-et poreuses à la petite montagne
-de granit noir qui sépare le pays d’<i>Irnanké</i>
-où nous étions tout-à-l’heure, du <i>Fouta-dhialon</i>
-où nous allons entrer. Le voyageur
-ne peut pas garder les sandales du pays, et
-marche pieds nus sur les roches<a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> M. Caillié dit ici : « Aux roches succédèrent
-des pierres <i>de nature volcanique</i>.</p>
-</div>
-<p>Le premier village du Fouta-dhialon vous
-donnera une idée des autres. Une haie vive
-lui sert de muraille ; les cases grandes et
-bien tenues, appuyées là sur une terre
-jaune et fertile, sont entourées de belles
-cultures potagères dont les femmes et les
-enfants ont le plus grand soin. Ils se donnent
-même la peine de balayer les allées
-qui conduisent à leur case. Du reste toujours
-même sobriété.</p>
-
-<p>Le dîner du chef, obligeamment offert,
-après la prière, à Ibrahim et à Abdallahi,
-n’est autre chose que du riz cuit à l’eau
-assaisonné de lait aigre. Ils le partagent
-assis à terre sur une natte, auprès d’un
-petit feu, que l’humidité rend nécessaire.
-« Après ce léger repas, ajoute le voyageur,
-la femme du chef vint s’asseoir avec nous ;
-elle écoutait en silence la conversation qui
-roulait sur les <i>Chrétiens</i> dont ils parlent
-toujours avec mépris. Elle eut la complaisance
-de me donner un peu de lait, qu’elle
-m’engagea à boire, puis alla chercher quelques
-figues et bananes, les mit dans une
-calebasse bien propre, et nous les donna à
-mon guide et à moi. Cette femme avait une
-physionomie extrêmement douce ; son vêtement
-consistait en deux bandes de toile de
-coton fabriquée dans le pays et de la plus
-grande propreté. Elle n’exhalait pas l’odeur
-de beurre rance des femmes foulahs du pays
-d’Irnanké. »</p>
-
-<p>Le pays est généralement découvert ; la
-route, suivie par Ibrahim, traverse tour-à-tour
-des monticules pierreux et des plaines
-de terre jaune ou de sable noir également
-fertiles : plaines arrosées par un grand
-nombre de rivières rapides, du moins après
-les violents orages qu’essuie chaque jour le
-voyageur.</p>
-
-<p>Le blanc excite toujours la curiosité de
-tous. Les habitants, au teint noir ou marron,
-accourent en foule pour le voir. Quelques-uns
-ont le corps tout couvert d’ulcères.
-Abdallahi prend pitié de leurs infirmités, et
-devient leur médecin. « Je leur distribuai,
-dit-il, quelques caustiques (du nitrate d’argent,
-autrement dit <i>pierre infernale</i>) avec
-de la charpie : ils m’envoyèrent un bon
-souper en signe de reconnaissance. »</p>
-
-<p>La case où il séjourne ne désemplit pas ;
-les questions et les présents se succèdent.
-Plusieurs grands marabouts lui viennent
-rendre visite. Le chef d’un village voisin
-lui envoie du lait et une <i>noix de colats</i>,
-signe de grande considération. Les femmes,
-plus par curiosité que par dévotion,
-lui apportent de la cassave, du lait, des
-oranges, du riz, et les lui présentent à
-genoux. Indisposé, il reçoit, en cadeau,
-une grosse poule. Les chefs de village lui
-offrent leur souper de riz au lait aigre. Un
-cordonnier lui donne une paire de sandales.
-Le voyageur note sur son chemin des
-champs de tabac d’une petite espèce et de
-coton semé à la volée et mal soigné.</p>
-
-<p>Le chef d’un de ces villages, très-honoré
-de recevoir dans sa case (grande et belle
-case à deux portes) un compatriote du Prophète,
-vient près de son hôte, lui passe les
-mains sur la tête, puis se frotte dévotement
-la figure. Ce vieillard s’agenouillait pour
-la prière, à l’ombre d’un oranger, sur de
-petits tas de cailloux bien piquants ; Abdallahi
-dut l’imiter. Ce vieillard lui présente
-un enfant de quatre à cinq ans à qui toutes
-les prières musulmanes n’avaient pu rendre
-la vue : les parents repoussent avec horreur
-l’idée de conduire le malade à la colonie de
-Sierra-Leone, et de remettre leur enfant
-aux mains des chrétiens.</p>
-
-<p>Le 7 mai, un violent orage, contre lequel
-le parapluie du voyageur lui est d’un faible
-secours, fait entrer Abdallahi dans la case
-d’une bonne vieille négresse qui s’empresse
-de lui donner l’hospitalité, et le régale de
-quelques morceaux de cassave rôtis sur les
-charbons ; ses deux garçons qui reviennent
-tout nus des champs, apprenant qu’un
-Arabe allant à la Mecque est chez leur mère,
-lui rendent aussitôt visite : « Ils s’informèrent
-de ma santé d’un ton fort doux, et
-m’engagèrent à partager leur case qui était
-beaucoup plus grande. Avant de m’emmener
-chez eux, ils eurent soin d’aller chercher
-une grande natte pour me couvrir,
-car la pluie continuait toujours : Ils me
-firent asseoir dans leur case, sur une peau
-de mouton, près du feu. Ils m’offrirent un
-peu de lait aigre que, peut-être, ils réservaient
-pour leur souper. La bonne mère
-fit bouillir pour eux et pour elle un peu de
-foigné (graminée qui croît en abondance
-en ces montagnes) assaisonné d’herbage,
-le tout sans beurre et sans sel. Ibrahim
-m’envoya mon souper de riz au lait : ni les
-jeunes garçons ni la mère ne voulurent y
-toucher <i>parce qu’ils</i> sont esclaves. Nous
-fîmes la prière ensemble, et nous nous
-couchâmes sur des nattes. »</p>
-
-<p>Le 8, la caravane traverse à gué avec
-bien de la peine une rivière d’une centaine
-de pas de large, dont l’eau bouillonne sur
-un lit de granit noir aux roches coupantes
-et glissantes (le <i>Bâ-Fing</i> où Rivière-Noire,
-principal affluent du Sénégal).</p>
-
-<p>Viennent ensuite des gorges de montagnes
-de trois mètres de haut, tantôt couvertes
-de hautes forêts, peuplées de mille
-oiseaux aux couleurs éclatantes et de singes
-rouges, tantôt ne présentant autre chose
-que des roches nues de granit. Dans l’un
-des villages de la vaste plaine qui succède à
-ces monts, arriva la nouvelle qu’un homme
-de l’endroit avait été tué dans une bataille.
-« Les femmes du défunt, accompagnées de
-leurs parentes ou amies, se promenèrent
-dans les rues en chantant d’une voix glapissante,
-se frappant tour-à-tour dans les
-mains et sur le front. Une demi-heure
-après, ajoute M. Caillié, je les vis reparaître,
-toutes vêtues de blanc : elles avaient
-l’air calme et résigné. Elles reprirent aussitôt
-leurs occupations ordinaires. Les hommes,
-assis à terre devant la mosquée, paraissaient
-consternés de la mort de leur camarade,
-et blâmaient hautement la conduite
-de leur souverain. »</p>
-
-<p>Le 9 mai, après bien des villages et bien
-des camps habités par des Noirs esclaves
-ou par des Foulahs au teint marron-clair,
-nous arrivons au premier village du Fouta
-habité par des Noirs libres, par des Mandingues.
-Les compagnons de voyage d’Abdallahi
-arrivent chez eux les uns après les
-autres et la caravane diminue à chaque pas.
-Chacun, à son retour, s’empresse de faire
-fête à l’Arabe, et de le montrer à ses femmes
-et à ses enfants.</p>
-
-<p>Le 10 mai, dans un village peuplé mi-partie
-de Foulahs et de Mandingues, Abdallahi
-est conduit devant la mosquée où grand
-nombre de Mandingues étaient assis par
-terre autour de deux grandes calebasses
-pleines de riz pilé, trempé dans l’eau et
-partagé en poignées ; le tout paré de quelques
-<i>noix</i> de colats ouvertes, roses et blanches.
-Un marabout fit quelques gestes et
-prononça quelques paroles ; puis les poignées
-de riz furent distribuées aux assistants
-comme une sorte de pain bénit. Les
-absents eux-mêmes eurent leur part. Abdallahi,
-assis à terre sur une peau de mouton,
-en reçut deux morceaux « qu’il lui fut,
-dit-il, impossible de manger, tant il les
-trouva fades. » Cette cérémonie avait lieu
-en l’honneur de deux jeunes enfants à qui
-l’on avait rasé la tête pour la première
-fois.</p>
-
-<p>Le même jour, après la station accoutumée,
-au coucher du soleil pour la prière,
-les coups de fusil des compagnons d’Ibrahim
-annoncent son entrée dans son village.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch3">CAMBAYA.</h2>
-
-
-<p>« Une seconde décharge eut lieu dans la
-cour de mon guide en l’honneur de notre
-arrivée. La joie était peinte sur tous les
-visages. Je voyais ces bons nègres embrasser
-leurs petits enfants, et les presser dans
-leurs bras… Les femmes plus réservées
-avaient l’air timide : en abordant leur mari,
-elles posaient un genou en terre en signe de
-salutation, et ne lui adressaient aucune
-question. Les voisins accoururent en foule
-féliciter leurs amis sur l’heureuse issue de
-leur voyage. On tendit des peaux de bœuf
-dans la cour, et l’on s’assit en ronde au
-clair de la lune. On causa des circonstances
-de la route, du prix des marchandises et
-principalement du sel. » Puis, sitôt qu’on
-eut aperçu le visage et le costume étranger
-de l’Arabe, on se demanda de toutes parts
-« quel est cet homme » ? Ibrahim de raconter
-l’histoire, et les questions de pleuvoir
-sur le pauvre Abdallahi. A neuf heures,
-souper de riz et de viande, dévoré aussitôt
-par une vingtaine d’assistants.</p>
-
-<p>Le foule retirée, Abdallahi est appelé par
-Ibrahim pour partager avec lui une bouillie
-de mil, et goûter le lait de ses vaches ; puis
-est pourvu pour sa nuit, d’une peau de
-bœuf dans la case enfumée d’une des femmes
-de son hôte<a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>. La fumée dans toutes
-ces cases n’a d’autre issue que le toit recouvert
-en paille, et du feu y est allumé la
-nuit, en tout temps ; un plafond de bambous,
-soutenu sur des piquets plantés en
-terre, sert à retenir la suie qui retombe
-continuellement du toit.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> « Cette femme était couchée au milieu de la
-case, entourée de quelques enfants. »</p>
-</div>
-<p>Un séjour de deux ou trois semaines permet
-au voyageur de se reposer de ses premières
-fatigues, et de voir chez eux ces
-noirs Mandingues qu’il a eu tout le temps
-d’étudier en route.</p>
-
-<p>Dès le lendemain, visite au père d’Ibrahim,
-chef du village. Vieux et aveugle,
-couché dans sa case sur un banc de terre à
-six pouces du sol, ce chef se lève sur son
-séant à l’arrivée d’Abdallahi ; après la salutation
-musulmane, il lui promène la main
-sur tout le corps en disant : Arabe, tu es
-bon. — Visite à tous les amis d’Ibrahim :
-excellent accueil de la part de tous. Trois
-jours après l’arrivée, quelques coups de
-fusil les appellent dans sa cour pour une
-distribution de tabac qu’il voulait leur faire.
-Il est à noter que les Mandingues en font
-une grande consommation : les femmes
-ont l’habitude de s’en frotter les dents.
-Ibrahim distribue aussi quelques aunes de
-cotonnade à chacune de ses trois femmes :
-ces largesses lui attirent les bénédictions
-des vieillards et les louanges des femmes
-qui sautent autour de lui en chantant.</p>
-
-<p>Pendant les vingt jours que M. Caillié
-passe à Cambaya, il est logé chez le maître
-d’école, le saint du village, vieux et pauvre,
-mais nourri par les riches et servi par les
-enfants. Quant à ceux-ci, ils apprennent à
-lire dans l’Arabe du Coran. On n’exige des
-filles que les premiers versets. Les garçons
-sont obligés de l’apprendre tout entier par
-cœur. — Toutes les nuits, vers trois heures
-du matin, le vieux maître et Abdallahi
-quittaient ensemble la case enfumée pour
-aller à la mosquée rendre grâce au Seigneur.
-La prière faite, Abdallahi revenait
-s’étendre à terre sur sa natte. Mais le
-pieux vieillard continuait de prier. Quant
-aux Mandingues dont il gourmandait en
-vain la tiédeur, ils ne faisaient la prière
-qu’à cinq ou six heures et dans leur case.</p>
-
-<p>Le vieux maître d’école tomba malade,
-Abdallahi devint son médecin et moyennant
-cinq feuilles de tabac, obtint de l’avare
-Ibrahim une poule pour sa convalescence.
-La petite pharmacie du voyageur fut bientôt
-assaillie de tous côtés ; « les uns avaient
-des ulcères aux bras et aux jambes ou la
-fièvre ou le mal de ventre. » Ils avaient vu
-le voyageur donner à Ibrahim quelques
-prises de <i>jalap</i>, tous ils voulaient du <i>jalap</i>.
-Du reste, mêmes importunités pour le tabac,
-la poudre, les ciseaux, les étoffes. Quant à
-Ibrahim, il voulait tout acheter.</p>
-
-<p>Malgré les désagréments que ses refus
-lui attirent quelquefois, le voyageur était
-parvenu à dissiper tous les doutes, à force
-d’assiduité tant aux cinq prières, qu’à l’étude
-et à la récitation du Coran ; à force
-d’empressement auprès des vieillards vénérés.
-Du reste sa peau était déjà tellement
-brunie par le soleil qu’on pouvait aisément
-le prendre pour un Maure. Un seul noir
-persistait à le traiter de Chrétien : M. Caillié
-le voyant passer le pria gravement d’écrire
-pour lui sur sa planchette un verset du
-Coran qu’il désirait apprendre. Cet homme
-devint dès-lors son meilleur ami ; il lui
-donna même quelques griffonnages arabes,
-précieux talisman qu’Abdallahi dut recevoir
-avec les marques de la plus vive reconnaissance.
-Les habitants de ces contrées
-(les Foulahs surtout qui sont d’une humeur
-plus belliqueuse que les Mandingues) ne
-vont pas en voyage ou à la guerre, sans
-avoir le corps couvert de ces écritures
-qu’ils regardent comme un bouclier magique.</p>
-
-<p>Le 14 mai, Ibrahim mène Abdallahi aux
-champs où travaillent ses esclaves. Ils préparaient
-la terre pour la semence. Les
-hommes, tout nus sous un soleil brûlant,
-remuaient la terre à un pied de profondeur
-avec une pioche à manche court et très
-incliné, fabriquée dans le pays et qui est là,
-comme dans presque tous les pays traversés
-par notre voyageur, le seul instrument
-aratoire. Les femmes, à moitié nues, leurs
-enfants attachés sur le dos, ramassaient des
-herbes sèches, et les mettaient en tas pour
-les brûler sur le sol, seul amendement que
-la terre reçoive en ces contrées. Une pauvre
-vieille était occupée à faire cuire leur dîner
-consistant en bouillie de mil sans sel et
-sans beurre, assaisonnée d’herbages. Le
-maître à qui la vieille en offrit, n’y voulut
-pas goûter. M. Caillié apprit que les esclaves
-ont deux jours de la semaine pour travailler
-au champ qui est affecté à leur subsistance.</p>
-
-<p>Le 25, un tambour de guerre, fabriqué, à
-grand’peine les jours précédents par une
-vingtaine de Mandingues, avec un tronc
-d’arbre creusé par le feu et une peau de
-mouton tannée, rempli du reste d’écritures
-arabes, appelle la commune de Cambaya à
-un ouvrage qui l’intéresse tout entière ; il
-s’agit de reconstruire un pont, de quarante
-pieds de long et six ou sept de large, sur la
-Tankisso, rivière dont les débordements
-fertilisent les plaines voisines. Tout le monde
-y met la main en chantant. Les femmes
-apportent le dîner de leur mari. C’est une
-partie de plaisir qui se renouvelle plusieurs
-jours de suite. Il s’agit tout simplement de
-gros piquets, plantés très-près l’un de l’autre
-au milieu du ruisseau ; puis de traverses
-supportées en partie par les branches d’arbres
-qui l’ombragent ; puis de troncs d’arbres
-posés en long sur ces traverses et ajustés
-par des branchages flexibles. Quelques
-bâtons de distance en distance servent de
-garde-fou.</p>
-
-<p>Un évènement important coïncide avec
-le séjour de M. Caillié dans le village d’Ibrahim :
-un soir, après la prière, le vieux
-chef aveugle fait lire à haute voix par un
-marabout une lettre circulaire arrivée de la
-capitale<a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>, « lettre écrite des deux côtés
-sur un papier large de trois pouces et long
-de cinq. » Puis le courrier reprit sa dépêche
-et se remit en route. Il s’agissait de la
-déposition par les principaux marabouts du
-marabout régnant, et de la nomination de
-son successeur. Le vieux chef fit une prière
-pour le nouveau souverain, puis on parla
-politique.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> La ville de Timbo. M. Caillié ne paraît pas
-avoir aperçu autre chose sur les relations des villages
-Foulahs et Mandingues avec le gouvernement
-central.</p>
-</div>
-<p>M. Caillié affirme que chaque Mandingue
-est un chef révéré dans sa famille : sa
-case, placée au milieu des cases de ses femmes,
-n’a d’autre ornement que ses armes,
-arcs et flèches, lances ou fusil, accrochés
-à la muraille ; ni d’autre meuble que la
-peau de bœuf sur laquelle il couche et les
-jarres contenant la provision de grain de
-l’année, que le mari distribue par portions
-à chacune de ses femmes.</p>
-
-<p>Pour les femmes, elles sont, dit-il, très-gaies,
-nullement jalouses entre elles, très-soumises
-à leur mari, qui les pourvoit de
-riz et leur donne à chacune une vache à
-traire matin et soir. Les parents sont très-indulgents
-pour les enfants et les enfants
-sont doux et dociles. L’autorité des vieillards,
-invoquée seule dans les différends,
-fait loi.</p>
-
-<p>Quant aux deux populations distinctes
-de Foulahs au teint marron et de Noirs
-mandingues, il ne paraît pas que leur réunion
-sous les mêmes règlements et dans les
-mêmes villages entraîne aucune discorde,
-malgré la différence de leurs langues, de
-leurs habitudes et même de leurs prétentions<a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>.
-Du reste, Mandingues ou Foulahs,
-il nous suffirait d’assister à leurs repas
-pour comprendre comment sont possibles,
-au bord du Tankisso, tant de choses qui ne
-le sont pas au bord de la Seine.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> Un bon vieux Foulah, nommé <i>Guibi</i>, voisin
-d’Ibrahim — qui fit cadeau à Abdallahi d’un gros
-pain de maïs, au miel et aux pistaches, pour sa
-route — lui disait souvent <i>que les foulahs étaient
-les blancs d’Afrique</i>.</p>
-</div>
-<p>« Ils ont l’habitude d’inviter tous ceux
-avec qui ils se trouvent ou qui passent
-auprès d’eux, à partager le dîner que leurs
-femmes leur apportent. Si l’invité ne s’assied
-pas auprès de la calebasse, le chef lui
-donne une poignée de riz qu’il a tournée
-longtemps dans sa main, puis trempée dans
-la sauce : cette politesse ne peut se refuser
-sans injure. Une autre politesse c’est, au
-commencement du repas, de tourner le riz
-avec la main pour le refroidir. Le chef
-verse lui-même la sauce sur le riz, mange
-la première poignée, puis engage les autres
-à l’imiter. Le repas commence toujours par
-l’invocation : Bismillah etc. (au nom de
-Dieu clément et miséricordieux). »</p>
-
-<p>Mais il est temps qu’Abdallahi fasse ses
-présents d’adieu à Ibrahim qui lui a servi
-en toute occasion de truchement et d’avocat.
-Il lui fait un joli cadeau d’ambre, d’indienne,
-de poudre, de papier, de ciseaux et
-mouchoirs de soie. En sage Mandingue,
-Ibrahim prie Abdallahi de n’en parler à
-personne. M. Caillié donne, en outre, quelques
-coups de poudre au bon vieux chef
-aveugle, dont il reçoit la bénédiction accompagnée
-de recommandations utiles, et fait
-un petit présent au bon vieux Foulah Guibi,
-en souvenir de son pain de maïs. Le 30 mai,
-nous nous remettons en marche. Le Foulah
-Guibi et le Mandingue Ibrahim reconduisent
-le voyageur jusqu’au nouveau pont,
-et le suivent longtemps des yeux, criant
-par trois fois à tue-tête <i>Samalécoum</i> (la
-paix soit avec toi) ; puis encore : <i>Allam
-kisselak</i> (Dieu te préserve en route).</p>
-
-<p>Nous voici sur la route de Kankan, ombragée
-d’arbres <i>à beurre</i>, avec une quinzaine
-de compagnons de voyage. Au noir
-Ibrahim a succédé le vieux noir <i>Lamfia</i>,
-comme lui accompagné d’une de ses femmes,
-qui porte la vaisselle et fait la cuisine
-de la petite caravane. Partout le vieux
-guide conte l’histoire d’Abdallahi. Abdallahi
-n’est plus un simple Arabe, c’est un
-homme de la plus haute noblesse musulmane,
-un descendant direct du Prophète,
-un <i>chérif</i>. Partout le guide sert au chérif
-d’interprète et de défenseur, avec l’autorité
-que lui donne son grand âge : autorité qui
-est souveraine en Afrique.</p>
-
-<p>A une lieue de Cambaya, nous trouvons
-un village en noces : le chef à qui M. Caillié
-avait donné le matin de la crème de tartre,
-épousait, le soir, sa quatrième femme. Le
-voyageur voit disposer en plein air les
-apprêts du souper : deux moutons bouillis
-dans de grands pots de terre : et d’énormes
-piles de riz cuit à l’eau et pétri en pain de
-sucre.</p>
-
-<p>La fiancée, selon M. Caillié, s’achète là
-moyennant un, deux, trois esclaves donnés
-à sa mère : puis le mariage se consomme
-sans aucune formalité religieuse, après une fête
-de nuit dont le mari fait les frais. Toute
-la nuit les nègres et négresses (esclaves)
-dansèrent au son d’un petit tambour.</p>
-
-<p>Les orages qui n’avaient pas cessé pendant
-le séjour à Cambaya, continuent
-toujours. Le voyageur, perpétuellement
-mouillé, a bien de la peine à garantir ses
-notes de la pluie dans le portefeuille de
-cuir non tanné qui les enveloppe : obligé
-souvent, à son grand regret, d’étaler ses
-marchandises pour les faire sécher. Nous
-traversons ainsi des plaines où le tambour
-résonne dès le point du jour, et anime les
-travailleurs. La curiosité que le chérif
-excite est toujours la même. Son parapluie,
-qui ne lui est pas toujours inutile contre la
-pluie ou contre le soleil, commence à jouer
-un grand rôle. C’est à qui verra comment il
-s’ouvre et se ferme.</p>
-
-<p>Le 6 juin, nous nous arrêtons au premier
-village du <i>Baleya</i>. Ce village, que le
-voyageur nomme Saraya, et auquel il
-donne de sept à huit cents habitants, est,
-comme la plupart des villages où nous
-aurons à passer, entouré de deux murs en
-terre entre lesquels les bestiaux passent la
-nuit. Les hameaux des esclaves sont seulement
-entourés de haies vives. Quant aux
-habitants, ce ne sont ni des Foulahs ni des
-Mandingues, mais des Noirs anciens possesseurs
-du pays et assez peu zélés musulmans,
-que l’on désigne sous le nom de <i>Dhialonkés</i>.</p>
-
-<p>Une heureuse rencontre, dans le village
-suivant, c’est celle du fils du chef de <i>Kankan</i>,
-venu là pour vendre un cheval (c’est
-la première fois que M. Caillié parle de
-cheval depuis son départ) ; Abdallahi-le-Chérif
-achète aisément sa protection avec
-une feuille de papier. L’intérieur des cases,
-construites en paille, est toujours le même,
-tapissé d’arcs, de flèches et de lances. Celle
-du chef a pour tout meuble une jarre à
-mettre de l’eau, une peau de bœuf et quelques
-nattes. Les habitants, assemblés sous
-un gros bombax (<i>arbre à soie</i>), dansent
-tous les soirs, à la lumière de la lune, au
-son d’un petit tambour et d’un flageolet de
-bambou ; ou bien la lance ou l’arc à la
-main, figurent avec des gestes de menace,
-de douleur, de triomphe, de sérieuses pantomimes
-guerrières. Ces peuples, au dire
-de M. Caillié, boivent <i>en secret</i> une espèce
-de bière fabriquée avec du mil et du miel.
-Leur corps est tout ruisselant de beurre
-rance. La plupart des femmes ont pour tout
-vêtement une <i>pagne</i> ou bande de toile de
-cinq pieds de long sur deux de large qu’elles
-se tournent autour des reins ; elles ne
-se couvrent les épaules et la poitrine les
-jours de fête. M. Caillié nous les représente
-le teint fort noir, les cheveux crépus, ornés
-de grains de verre et beurrés, le nez légèrement
-aquilin, avec de grands yeux et des
-lèvres minces ; « très-douces, et soumises à
-leurs maris. »</p>
-
-<p>Le 11 juin, nous arrivons, dans le pays
-d’<i>Amana</i>, au bord d’une rivière de huit ou
-neuf cents pieds de large et de huit à neuf
-pieds de profondeur, qui coule vers le levant ;
-cette rivière c’est le <i>Dhiolibâ</i>, c’est
-le <span class="sc">Niger</span>. Pour passer deux ou trois cents
-marchands noirs avec leurs ânes et leur
-bagage, il n’y avait en tout que quatre
-bateaux ou pirogues de vingt-cinq pieds de
-long, sur trois de large et un de profondeur.
-Il fallut une demi-journée pour que tout le
-monde fût sur la rive droite : demi-journée
-pendant laquelle le voyageur, assis au
-soleil sans abri<a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>, put contempler à l’aise
-le fleuve de Mungo-Parck. Vous supposerez
-sans peine qu’il suivait d’un œil de regret
-cette eau qui devait arriver avant lui
-près du but mystérieux de ses longs efforts.
-Ce passage du Dhiolibâ (13 juin) offre du
-reste le tableau le plus animé ; les marchands
-noirs, de ceux que l’on nomme
-<i>Saracolets</i>, disputent sur le prix du bac.
-Tous veulent passer les premiers, et parlent
-tous ensemble ; ils ont du reste toutes les
-peines du monde à faire embarquer leurs ânes.
-Aux cris de la rive gauche, répondent
-en signe de joie les coups de fusil de la
-rive droite. Pendant ce temps-là, grand
-nombre de femmes et de jeunes filles se
-baignent dans le fleuve, sans faire le moins
-du monde attention aux gens qui les regardent ;
-puis s’en retournent au village de
-<i>Couroussa</i>, une calebasse sur la tête et une
-pagne autour des reins. Le chef de village
-dont les esclaves tiennent le bac de Couroussa,
-fit grâce du passage à M. Caillié en
-faveur de sa qualité de Chérif.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> Un énorme bombax, seul arbre du rivage, ne
-pouvait suffire à abriter la foule.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch4">KANKAN.</h2>
-
-
-<p>Après quatre jours de marche, le long du
-fleuve, sur des routes inondées et par un
-soleil brûlant : après quatre nuits de fièvre
-et d’insomnie sur des roches recouvertes de
-paille, le voyageur arrive épuisé à la ville
-chef-lieu de Kankan. Son vieux guide qui
-avait eu la complaisance de prendre et de
-fermer le parapluie à l’approche des lieux
-habités, voulut à toute force qu’il l’ouvrît
-pour faire son entrée dans sa ville natale.
-L’arrivée de Lamfia ressemble à celle
-d’Ibrahim. Toute la famille accourt saluer le
-chef. Le voyageur est retenu trois jours par
-la fatigue et par la fièvre, dans la case que
-lui donne son guide, en commun avec un
-Foulah de la caravane.</p>
-
-<p>Le chef de la ville, vieillard mandingue,
-père du jeune cavalier rencontré en chemin
-par Abdallahi, reçoit très-bien le Chérif, se
-fait conter au long sa touchante histoire
-par le vieux Lamfia, et lui promet de le
-faire conduire à Jenné par la première
-occasion. Quelques formalités de police
-africaine, un interrogatoire public, une
-décision expresse du conseil des vieillards
-sur la route qu’il lui convient de prendre,
-donnent une sorte de légalité à son séjour
-parmi les Noirs de Kankan, lui servent de
-défense contre les doutes qui pourraient
-s’élever encore sur la vérité de ses récits,
-et lui fournissent un précédent dont il
-pourra se prévaloir, au besoin, dans les
-autres villes. Lamfia, vieux guide à qui le
-vieux chef et son conseil de vieillards remettent
-le voyageur, avait de lui tout le soin
-possible. « Nous mangions ensemble, dit
-M. Caillié, et deux fois par jour on nous
-donnait de très-bon riz, avec une sauce aux
-pistaches et aux ognons : tous les soirs, il
-faisait allumer du feu dans ma case. Le
-jour de mon arrivée, je lui fis cadeau d’une
-brasse de belle guinée bleue qu’il avait paru
-désirer, de trois brasses de belle indienne et
-de six feuilles de papier ; il parut très-content
-et me remercia beaucoup. Il passait
-une partie de la journée auprès de moi,
-occupé à coudre des étoffes du pays. »</p>
-
-<p>Abdallahi fait vendre par le guide un
-baril de poudre et une pièce de guinée. « Je
-me défis de ces objets à <i>soixante pour cent
-de bénéfice</i>, parce que je ne voulais prendre
-pour paiement que de l’or, et que cet article
-était très-rare dans le pays à cause de
-la guerre entre Bouré et Kankan qui intercepte
-toutes les communications. Pour que
-la vente fût meilleure, le vieux Lamfia
-écrivit quelques mots arabes sur la planchette
-consacrée, lava l’écriture avec de
-l’eau et aspergea de cette eau les marchandises
-à vendre. »</p>
-
-<p>Le marché de Kankan est fourni par les
-Noirs voyageurs de marchandises européennes,
-telles que fusils, poudre, pierres à
-feu, indienne de couleur, ambre, corail,
-verroteries, menue quincaillerie, — puis
-aussi de toiles blanches tissées dans les environs,
-de poteries en terre grise fabriquées
-dans le pays ; de volaille, moutons, chèvres,
-bœufs ; riz, foigné, ignames, cassave, etc.
-Le sel est (après l’or, sans doute) le premier
-article d’échange. Quant à l’or (tiré par le
-lavage, des sables des environs, notamment
-autour de <i>Bouré</i>), il est mis en circulation
-sous forme de boucles d’oreilles ou bien en
-petits grains qui tiennent dans un tuyau
-de plume, et se pèse dans de petites balances
-très-justes, avec des graines noires sur
-le poids desquelles les marchands de ce
-pays ne se trompent jamais.</p>
-
-<p>Le 6 juillet, grande fête musulmane du
-Salam. Des vieillards en manteau rouge
-bordé de jaune, à la main droite une lance,
-sur la tête un bonnet rouge et chantant tous
-<i>la il allah</i>, Dieu est Dieu, etc., attirent la
-foule des Noirs dans une grande plaine à
-l’est de la ville. L’assemblée en costume
-mandingue (large culotte, blouse sans
-manche et bonnet pointu) est bigarrée par
-quelques habits rouges de soldats anglais,
-de vieux manteaux et de vieux chapeaux
-européens, autres défroques dépareillées :
-au reste, tous les hommes étaient armés de
-fusils, de lances, d’arcs et de flèches : au
-moment de la prière, chacun mit ses armes
-à terre. A chaque instant arrivaient des
-vieillards à manteau rouge, suivis d’une
-foule de Noirs. Peu après, parut le chef, à
-cheval, précédé d’un drapeau de taffetas
-rose, escorté de deux ou trois cents Mandingues,
-rangés en haie et tous armés de fusils.
-Le <i>chef de la religion</i> venait ensuite
-avec une nombreuse garde et précédé d’un
-drapeau de taffetas blanc, avec un morceau
-rose, en cœur, au milieu. Cet homme avait
-sur les épaules un manteau de belle écarlate,
-garnis de frange et de galons en or :
-cadeau du major Peddie qui, lors de son
-départ pour l’intérieur de l’Afrique, envoyait
-de tous côtés des présents aux chefs
-pour se les rendre favorables. Les vieillards
-à manteaux rouges avaient pris modèle sur
-celui de leur prince en Mahomet. Deux
-gros tambours pareils à celui de Cambaya
-conduisaient la fête. « L’<i>Almany</i> fit la
-prière avec beaucoup de piété ; il paraissait
-très-recueilli. C’était un spectacle frappant
-de voir une aussi grande assemblée se <i>prosterner</i>
-pour adorer Dieu. Après la prière,
-les vieillards formèrent un dais avec des
-pagnes blanches. L’Almany se plaça sur un
-petit siége que l’on avait apporté exprès ;
-il fit une longue lecture en Arabe, que
-<i>bien certainement personne ne comprenait</i>.</p>
-
-<p>« Cette lecture finie, le vieux chef de la
-ville ayant à côté de lui un homme qui
-répétait à haute voix ce qu’il disait, appela
-l’attention de ses concitoyens sur les changements
-de direction que la guerre de
-Bouré devait apporter dans leur commerce…
-Les femmes assistèrent à la fête, se tenant à
-une distance respectueuse des hommes.
-Après la cérémonie, on immola l’agneau
-pascal pour se régaler le reste du jour. »</p>
-
-<p>Le voyageur qui s’était déjà aperçu qu’on
-avait touché à son papier, reconnut le lendemain
-de la fête que ses plus belles verroteries
-et un rasoir avaient disparu de son
-bagage. Le voleur était le vieillard même
-qui l’avait si bien soigné et protégé jusque-là.
-Cette affaire fit du bruit : Lamfia proposa
-l’épreuve du fer rouge sur la langue ;
-le chef et le conseil des vieillards lui imposèrent
-silence, mais déclarèrent en même
-temps qu’il n’y avait pas lieu à le punir,
-faute de preuve directe contre lui. Abdallahi
-avait transporté ses effets chez un bon
-vieil Arabe établi dans le pays ; mais le
-conseil des vieillards prenant en considération
-l’extrême pauvreté de cet homme hospitalier,
-donnèrent pour hôte au Chérif un
-Foulah très-riche et très-dévot<a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>. Ses
-effets visités, ses étoffes mesurées furent mis
-prudemment dans un magasin fermant à clef.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> Cet homme, riche en troupeaux de bœufs à
-bosse et de vaches, possédait le plus beau cheval
-que M. Caillié ait vu dans cette partie de l’Afrique :
-il l’avait eu moyennant <i>cinq Noirs et deux bœufs</i>.
-Le prix courant d’un esclave à Kankan est d’un
-baril de poudre de vingt-cinq livres, un mauvais
-fusil et deux brasses de soie rose. Un Mandingue
-qui possède une dizaine d’esclaves n’a plus besoin
-de voyager.</p>
-</div>
-<p>Comme on pouvait s’y attendre, Lamfia
-ne tarda pas à démentir tout ce qu’il avait
-affirmé ; et bien que la colère du vieillard
-inspirât d’abord peu de confiance, ces dénégations
-ne pouvaient manquer d’agir peu-à-peu.
-La place n’était pas tenable pour
-Abdallahi, malgré son assiduité aux dévotions
-prescrites. Toutefois, bien nourri,
-passablement logé, il dut, malgré ces désagréments,
-trouver ses derniers huit jours
-supportables : il avait le plaisir de partager
-tous les soirs avec le pauvre vieil Arabe
-<i>Mohamed</i>, le souper du riche Foulah.</p>
-
-<p>Le 16 juillet, après un mois de repos, le
-voyageur laisse à son hôte le petit pot de
-fer blanc dans lequel il buvait, et reçoit sa
-bénédiction. Le bon vieil Arabe reconduit
-Abdallahi au-delà de la petite rivière qui
-coule à l’est de la ville, et avant de se quitter
-pour ne se plus revoir, le jeune homme
-et le vieillard cassent en deux une <i>noix de
-colats</i> qu’ils mangent ensemble.</p>
-
-<p>La petite caravane, composée d’une quinzaine
-de Mandingues ou de Foulahs, profite
-de l’obscurité pour traverser des bois
-infestés de brigands. « Marchant très-vite
-et dans le plus grand silence, dans des herbes
-si hautes qu’elles dépassaient nos têtes,
-nous fûmes surpris par la pluie ; pour comble
-de malheur, la nuit devint très-obscure,
-nous avancions sans savoir où poser le pied.
-Vers huit heures, ayant perdu la trace de la
-route, nous fûmes obligés de nous arrêter,
-et, assis à terre, de recevoir la pluie sur le
-dos sans oser ni tousser ni cracher.</p>
-
-<p>« Lorsque la pluie eut cessé, un de nos
-compagnons déchira un morceau de sa
-pagne, la mit en charpie, y mêla un peu
-de poudre, puis plaçant cette préparation
-dans le bassinet de son fusil, il obtint du
-feu. Quelques branches d’arbre coupées
-nous firent une cahute. Mais les essaims de
-moustiques ne nous laissèrent pas de repos.
-Deux de nos compagnons armés de poignards
-et de lances allèrent à la recherche
-de l’eau. Le feu allumé non sans peine,
-nous fîmes griller quatre ignames et quelques
-pistaches pour notre souper ; puis
-nous nous étendîmes auprès du feu sur des
-feuilles d’arbre toutes mouillées. » Le
-voyageur a tout le temps de réfléchir aux
-difficultés que la saison des pluies lui prépare,
-dans le silence de cette longue nuit ;
-silence qu’interrompent seuls le chant de
-quelques oiseaux nocturnes et le coassement
-des grenouilles.</p>
-
-<p>Le voyageur marche plusieurs lieues de
-suite avec de l’eau à mi-jambe sur des routes
-inondées, et compte huit petites rivières
-passées à gué en un seul jour. La pluie
-l’empêche de mettre ses sandales ; il a
-bientôt le talon du pied gauche écorché. Il
-arrive ainsi le soir au premier village du
-Ouassoulo.</p>
-
-<p>Les habitants (Foulahs au teint marron-clair,
-mais étrangers aux croyances et aux
-pratiques musulmanes) sont d’une grande
-malpropreté, d’une extrême douceur et
-d’une gaîté perpétuelle. La musique qui
-anime leurs danses, la moitié de la nuit, se
-compose de cornes droites de bois creux
-recouvertes, à l’extrémité la plus large,
-d’une peau de mouton, et percées d’un petit
-trou sur le côté ; d’une grosse caisse, d’un
-tambour de basque et d’un cliquetis d’anneaux
-de fer : les musiciens se distinguent
-par leurs panaches de plumes d’autruche et
-leurs franges de plumes de pintade. Quelques-uns
-agitent de gros haricots dans une
-sorte de casserole de bois, recouverte d’un
-filet. Les musiciens se promènent à la file :
-les femmes et les garçons suivent en dansant
-et frappant dans leurs mains.</p>
-
-<p>Ce qui frappe le plus le voyageur dans
-les fertiles plaines du Ouassoulo, c’est le
-travail des champs, accompli par des mains
-libres. « Je voyais, dit-il, beaucoup d’ouvriers
-répandus dans la campagne qui piochaient
-la terre et la remuaient aussi bien
-que nos vignerons en France ; ce ne sont
-plus les esclaves des Mandingues qui se
-contentent d’effleurer le sol pour détruire
-les mauvaises herbes, mais de vrais laboureurs
-qui se donnent de la peine pour avoir
-une belle et abondante récolte. Ils en sont
-bien récompensés, car leur riz et tout ce
-qu’ils cultivent, croît plus vite et produit
-davantage…</p>
-
-<p>« Je les ai vus labourer le champ qui
-venait d’être récolté pour l’ensemencer de
-nouveau. Les femmes étaient occupées à
-sarcler les beaux champs de riz dont la campagne
-est couverte. Je fus étonné de trouver
-dans l’intérieur de l’Afrique, l’agriculture
-à un tel degré d’avancement : leurs
-champs sont aussi bien soignés que les
-nôtres, soit en sillons, soit à plat, selon
-que la position du sol le permet par rapport
-à l’inondation.</p>
-
-<p>« Je remarquai du riz en épi, à côté de
-celui qui ne faisait que sortir de terre. La
-campagne est généralement très-découverte ;
-les cultivateurs ne réservent parmi
-les grands végétaux que l’arbre à beurre et
-le nédé qui sont très-répandus et de la plus
-grande utilité. Je n’ai pas vu comme dans
-le Fouta et le Buleya des arbres coupés à
-quatre ou cinq pieds de terre. Les Foulahs
-du Ouassoulo ont soin d’arracher le pied et
-ne laissent rien en terre qui puisse leur
-nuire. »</p>
-
-<p>Ces Foulahs font peu de commerce ; et
-pour eux, infidèles, voyager à travers les
-villages musulmans, ce serait s’exposer
-infailliblement à y être retenus comme
-esclaves.</p>
-
-<p>« J’ai cherché, dit M. Caillié, à découvrir
-s’ils ont une religion, s’ils adorent ou les
-fétiches, ou la lune, ou le soleil, ou les
-étoiles ; je ne les ai vus pratiquer aucun
-culte et je crois qu’ils vivent insouciants à
-ce sujet et ne s’occupent que très-peu de la
-divinité. »</p>
-
-<p>Autant les Musulmans de Kankan sont
-propres, autant les Foulahs du Ouassoulo,
-si industrieux ! sont sales et dégoûtants.
-Leurs habits jaunes ou noirs ne sont jamais
-lavés. Le nez plein de tabac, la peau infectée
-de beurre rance, la figure tailladée et
-les dents limées, ils sont tous robustes et
-bien portants ; leur culture et leurs bestiaux
-fournissent abondamment à leur subsistance :
-la nourriture des esclaves des Mandingues
-leur suffit : la viande est, chez
-eux, réservée pour les jours de fête et le sel
-est de luxe. Les femmes fabriquent elles-mêmes
-leur vaisselle de terre, filent et tissent
-le coton. Elles mettent un genou en
-terre lorsqu’elles présentent quelque chose
-à leur mari. Les hommes portent comme
-les femmes des bracelets aux mains et aux
-pieds, des colliers de verre et des boucles
-d’oreille, tressent comme elles leurs cheveux
-enduits de beurre. Ce sont eux qui
-élèvent la volaille et donnent les premiers
-soins aux poulets. Des chiens gardent les
-habitations séparées de chaque famille.</p>
-
-<p>Le 21 juillet, à deux heures de l’après-midi,
-Abdallahi rend visite au chef du
-Ouassoulo qu’il trouve couché dans sa case
-auprès de son chien (d’une espèce à oreilles
-longues, museau pointu, poil rouge). Ce
-chef, chez lequel M. Caillié remarque une
-théière en étain, un plat et plusieurs bols
-de cuivre qui lui paraissent d’origine portugaise,
-avait une très-grande boucle d’oreille
-en or à l’oreille gauche et point à la
-droite. Il use de tabac en poudre et à fumer
-comme ses sujets et est aussi malpropre
-qu’eux. Sa case est tapissée d’arcs, de flèches,
-de carquois, de lances, de deux selles
-pour ses chevaux et d’un grand chapeau de
-paille. Le même jour, il reçoit le voyageur
-dans son écurie, assis sur une peau de bœuf
-auprès d’un beau cheval. « Il nous fit
-asseoir à côté de lui et me donna quelques
-noix de colats. Il distribua devant nous à
-quelques-unes de ses femmes des ignames
-que l’on venait de récolter. » Ce chef qui
-n’est pas plus que ses sujets astreint aux
-restrictions du Coran, à beaucoup de femmes :
-chacune d’elles a sa case particulière,
-ce qui forme un petit village. — Ses sujets
-lui font souvent des <i>cadeaux</i> en bestiaux.</p>
-
-<p>Nulle part, le voyageur ne reçoit plus de
-compliments et un plus cordial accueil<a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a>.
-« C’est un blanc, disent-ils en ouvrant de
-grands yeux, ah ! comme il est bien ! » La
-longueur de son nez étonne presque autant
-qu’elle réjouit. Tous les soirs, M. Caillié les
-voit allumer des poignées de paille, et contempler
-le blanc, demandant au guide si
-cette blancheur de peau est bien naturelle.
-Le parapluie du voyageur excite presque
-autant leur curiosité que sa personne. Ils
-ne peuvent concevoir comment on peut à
-volonté ouvrir et fermer cette machine :
-ceux qui l’ont vue courent avertir leurs voisins,
-et la case où loge le voyageur ne
-désemplit pas.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> Un chef de famille va même jusqu’à lui donner
-un mouton.</p>
-</div>
-<p>J’omets, comme vous pensez, les nombreuses
-rivières que nous avons à passer,
-le plus souvent à gué, quelquefois sur des
-ponts à moitié démolis ; quelquefois aussi
-dans des bateaux formés tout simplement
-de troncs d’arbre assemblés côte à côte avec
-des lianes ; à l’un de ces passages dans un
-bateau de ce genre qui faisait eau comme
-un panier, le guide d’Abdallahi, noir Mandingue
-d’une douceur et d’une piété bien
-rare entre ses pareils, <i>Arafanba</i>, chantait à
-haute voix les prières du Coran.</p>
-
-<p>Le 27 juillet, nous arrivons à <i>Sambatikila</i>,
-village de noirs musulmans isolé au milieu
-de villages de noirs <i>Bambaras</i>, qui parlent
-Mandingue comme les Ouassoulos, et sont
-comme eux non pas sans superstition, mais
-sans culte : du reste, aussi sales. Le vieux
-chef musulman, habillé en Arabe, la tête
-couverte d’un turban à raies rouges et
-blanches, reçoit Abdallahi, couché dans sa
-cour, sous un petit hangar. « Il se mit sur
-son séant, dit M. Caillié, et me tendit la
-main avec les salutations d’usage. Après
-m’avoir touché, il se porta la main sur la
-poitrine et sur la figure, car il est très-religieux
-et plein de confiance dans la sainteté
-des Arabes. »</p>
-
-<p>Mais la table de ce fervent islamiste était
-très-mal servie. Il avait interdit le marché
-sous prétexte qu’il dérangeait la prière. Ses
-fils s’informaient bien si le voyageur avait
-de l’eau chaude pour les ablutions, mais
-non s’il avait de quoi manger.</p>
-
-<p>La famine menaçait ce malheureux pays ;
-on ne faisait plus qu’un repas par jour. Les
-noirs mandingues de Sambatikila, sous
-prétexte d’étudier le Coran, aiment mieux
-se passer de déjeuner que de travailler de
-leurs mains à la terre.</p>
-
-<p>Malgré ce jeûne forcé, dont le voyageur
-eut en passant sa bonne part, ils étaient
-tous joyeux et ne manquaient jamais d’aller,
-tous les matins, chanter les louanges
-de Dieu et du Prophète. Le vieux chef lui-même
-avait bien soin de chanter de temps
-en temps.</p>
-
-<p>Le prix courant d’un esclave est là de
-trente briques de sel (de dix pouces de long,
-trois de large et deux d’épaisseur) ; ou bien
-d’un baril de poudre, avec huit masses de
-verroterie marron-clair ; ou bien encore
-d’un fusil avec deux brasses de taffetas rose.</p>
-
-<p>Chassé par la famine, M. Caillié se remet
-en route le 2 août, avec une plaie au pied
-gauche. Le vieux chef lui recommande
-instamment de ne pas l’oublier auprès des
-vénérables chéiks de la Mecque, et tire d’un
-vieux chiffon un petit bracelet d’argent
-qu’Abdallahi lui paie avec un morceau d’indienne
-de couleur, du papier et quelques
-grains de verre.</p>
-
-<p>Un Foulah et trois Mandingues reconduisent
-le voyageur à demi-lieue de là :
-entre autres le bon et pieux Mandingue
-Arafanba, que nous laissons à Sambatikila.</p>
-
-<p>Le 3 août, après un jour et demi de marche,
-par la pluie, au milieu de grandes herbes
-et de buissons ou bien dans les bourbiers
-de villages idolâtres, le voyageur
-arrive avec la fièvre et le frisson à un autre
-petit village de noirs musulmans, ombragé
-de bombax et de baobabs : à <i>Timé</i>. Une
-bonne vieille négresse lui offre l’hospitalité :
-Abdallahi s’endort à terre, sur une natte,
-auprès du feu.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch5">TIMÉ.</h2>
-
-
-<p>Les pluies qui continuent d’inonder le
-pays, la plaie de son pied, la crainte d’être
-obligé de rester en route en quelqu’un des
-villages idolâtres qui restent à traverser,
-font prendre au voyageur la résolution de
-passer le mois d’août à Timé, <i>sous la protection
-de Mahomet</i> et d’un vieux chef vénérable.
-Du reste, un marché, tenu une fois
-la semaine et approvisionné de tout, hors
-de sel, le rassurait ici sur la subsistance.
-La bonne négresse lui apportait elle-même
-deux fois par jour, une petite portion de riz
-et de mil bouilli.</p>
-
-<p>Toutefois, le voyageur, habitué à des
-maisons pourvues de cheminée et de fenêtres,
-n’est pas très à son aise dans sa case
-de terre, à travers laquelle filtre la pluie
-fine et froide qui tombe sans interruption,
-enfermé qu’il est dans un bain de vapeur
-et de fumée. Les Mandingues passaient le
-temps à coudre leurs habits, et les femmes,
-sur qui tombe toute la peine, vaquaient au
-dehors à la provision d’eau et de bois, pieds
-nus dans la boue des chemins.</p>
-
-<p>La plaie du voyageur ne guérissait pas.
-Une seconde plaie se déclara à la fin d’août :
-le mois de septembre amenait chaque jour
-un orage et des torrents de pluie. — A
-mesure que les pluies cessent, en octobre,
-les chaleurs augmentent. La plaie du
-voyageur allait mieux : ses hôtes, après lui
-avoir prodigué tous les soins (payés du
-reste en étoffes, ciseaux, tabac, sel, etc.),
-après avoir épuisé à son service toutes
-leurs connaissances médicales et tous leurs
-secrets religieux, tels, par exemple, que la
-tisane toute puissante obtenue par le lavage
-d’un griffonnage arabe ; ses hôtes, de plus
-en plus exigeants et maussades, pressaient
-assez clairement son départ. Les importunités
-des femmes ne lui laissaient pas de
-repos. Enhardies peu-à-peu, elles assaillaient
-en foule sa case pour avoir des grains
-de verre, contrefaisaient ses gestes, ses
-paroles, sa maladresse à manger la bouillie
-sans cuillère ; riant aux éclats non-seulement
-de la longueur de son nez, mais
-même des cataplasmes qui recouvraient sa
-jambe et de la difficulté de sa marche<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> « Je demandais à Baba (l’un des fils de la
-bonne vieille hôtesse), pourquoi il ne plaisantait
-jamais avec ses femmes ; « c’est, répondit-il, que
-je n’en pourrais plus rien faire : elles se moqueraient
-de moi quand je leur <i>commanderais</i> quelque
-chose. » Les hommes en effet ne leur parlent qu’en
-maîtres, et répondent par des coups de fouet à
-leurs criailleries. Elles n’oseraient lever la main
-pour se défendre.</p>
-</div>
-<p>Mais un plus grand malheur le menaçait :
-laissons parler M. Caillié lui-même. « Vers
-le 10 novembre, après plus de trois mois de
-séjour, la plaie de mon pied était presque
-fermée ; j’avais l’espoir de profiter de la
-première occasion et de me mettre enfin en
-route pour Jenné, mais hélas ! à cette même
-époque de violentes douleurs dans la mâchoire
-m’apprirent que j’étais atteint du
-scorbut, affreuse maladie que j’éprouvai
-dans toute son horreur. Mon palais fut entièrement
-dépouillé, une partie des os se
-détachèrent ; mes dents semblaient ne plus
-tenir dans leurs alvéoles. Je craignais que
-mon cerveau ne fût attaqué par la force des
-douleurs que je ressentais dans le crâne.
-Je fus plus de quinze jours sans trouver un
-quart d’heure de sommeil. Pour comble de
-douleur, la plaie de mon pied se rouvrit et
-je voyais s’évanouir tout espoir de partir.
-Que l’on s’imagine ma situation ! seul dans
-l’intérieur d’un pays sauvage, couché sur
-la terre humide, sans autre oreiller que le
-sac de cuir qui contenait mon bagage, sans
-autre garde ni médecin que la bonne vieille
-négresse qui, deux fois par jour, m’apportait
-un peu d’eau de riz ; je devins un véritable
-squelette et finis par inspirer de la
-pitié aux rieuses elles-mêmes… Au bout
-de six semaines, je commençai à me trouver
-mieux. »</p>
-
-<p>Son hôte qui l’avait négligé, lui amène,
-par un retour de pitié, une vieille femme
-qui le traite à la manière du pays et le guérit.
-Vers le milieu de décembre, il put aller
-avec un bâton, se ranimer au soleil, au
-rendez-vous des vieillards.</p>
-
-<p>Enfin, après bien des obstacles trop longs
-à redire, le départ avec l’un des fils de la
-bonne vieille est fixé à la première quinzaine
-de janvier. La veille du départ est
-marquée par une bruyante solennité : un
-jeune noir célébrait les funérailles de sa
-mère. La <i>fête</i>, animée par un grand luxe
-de musique, par des danses processionnelles,
-des psalmodies lugubres, par une
-pantomime guerrière et force coups de
-fusil, se termine par un copieux repas suivi
-de danses.</p>
-
-<p>Le 9 janvier 1828, après les petits cadeaux
-d’usage, le voyageur encore faible, se remet
-en route, au bruit des sonnettes que portent
-à la ceinture les Mandingues avec
-lesquels il part. Les arbres avaient en partie
-perdu leurs feuilles et les herbes avaient
-été arrachées pour le chauffage.</p>
-
-<p>Une trentaine de négresses ouvrent la
-marche, la tête chargée de noix de colats ;
-suivent à la file, quarante à cinquante noirs
-également chargés ; le cortége est fermé
-par une quinzaine d’ânes que conduisent
-huit chefs. Aux haltes, les femmes broient
-le mil et font chauffer l’eau pour le bain
-habituel des hommes. Les noirs esclaves
-sont chargés de l’approvisionnement de
-bois : quant aux noirs libres, ils se couchent
-en attendant le souper ou bien échangent
-quelques <i>noix de colats</i> contre la
-monnaie du pays<a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a> qu’ils amassent pour
-l’achat du mil, et qui leur sert aussi pour
-payer les <i>droits de passe</i>. Leur grande
-affaire après le repos, c’est de visiter leur
-charge de noix de colats et d’y mettre des
-feuilles fraîches.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> Cette monnaie est une petite coquille de celles
-que nos classifications appellent des <i>porcelaines</i>,
-et que les Africains nomment des <i>Cauris</i>.</p>
-</div>
-<p>De janvier en mars, pendant deux mois
-de marche vers le nord, interrompue par un
-seul jour de repos, le voyageur traverse à
-peine quelques villages de noirs musulmans ;
-partout il rencontre des Foulahs
-<i>Bambaras</i>, simples et inoffensifs, presque
-nus, parés de coquillages, insouciants de
-l’avenir, toujours en fêtes, souvent enivrés
-sans scrupule de mil fermenté, passant la
-moitié des nuits à danser, hommes et femmes,
-en rond, autour d’un grand feu : — pleins
-de respect du reste pour les pratiques
-musulmanes et de foi à la toute puissance
-de l’écriture arabe. A cela près, ils paraissent
-très-indifférents aux questions théologiques,
-et ne s’occupent nullement de création
-ou de vie à venir ; pour eux, point
-d’animaux <i>impurs</i> : des petites pattes de
-souris dans leurs sauces apprennent au
-voyageur que ces peuples trouvent tout
-simple de manger les ennemis de leur mil,
-pris au piége dans leurs jarres de terre ; ils
-engraissent aussi par troupeaux des chiens
-pour la table.</p>
-
-<p>Leur insouciance des choses de l’autre
-monde s’étend à celles de celui-ci ; ils sont
-très-malpropres, logent dans des cahutes de
-terre que chauffe comme un four le feu
-qu’ils y entretiennent en tout temps, et
-d’où la fumée (qui n’a plus même un toit de
-paille pour issue) chasse perpétuellement
-le voyageur, réduit à coucher à la belle
-étoile.</p>
-
-<p>Du reste, les marchés, sur le chemin,
-sont assez bien pourvus des choses nécessaires.
-Dès le 16 janvier, les petites coquilles
-deviennent indispensables. Elles représentent
-à-peu-près partout un demi-centime.
-Une belle poule coûte quatre-vingts de ces
-coquilles<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> Ces peuples ne comptent pas comme nous
-par <i>centaines</i>, mais par <i>quatre-vingtaines</i>. Le nombre
-cent se dit chez eux : <i>une quatre-vingtaine-et-vingt</i>.</p>
-</div>
-<p>Les provisions de grains et de racines,
-principalement de riz et d’ignames, exposées
-partout en plein air dans de petits magasins
-en paille, sans autre défense que quelques
-chiffons d’écriture arabe, attestent assez
-et l’abondance des vivres, conséquence
-du sol, et la confiance réciproque des
-musulmans et des infidèles. Toutefois, il
-ne faudrait pas exposer de même des verroteries,
-des ciseaux, etc. Le voyageur qui,
-lui aussi, étale au marché sa petite boutique
-a bien soin de ne pas leur montrer beaucoup
-d’étoffe ou de verroterie à la fois.</p>
-
-<p>Une particularité bien sensible après le
-brutal asservissement des femmes à Timé,
-c’est que, dans les villages Bambaras, les
-femmes viennent s’asseoir à côté des hommes
-et, tout en filant le coton, prennent part
-à la conversation<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a> Une autre particularité qui distingue cette
-région, c’est la mode que suivent la plupart des
-femmes d’avoir un morceau de bois (de la largeur
-d’une pièce de un franc et très-mince), incrusté
-dans la chair, au-dessous de la lèvre inférieure.
-Les petites filles en ont un de la grosseur d’un
-pois qu’elles changent successivement pour un
-morceau plus grand.</p>
-
-<p>Ailleurs, le morceau de bois est remplacé par
-une pointe d’étain de deux pouces de long et de
-la grosseur d’un tuyau de plume, retenu dans la
-bouche par une petite plaque du même métal.</p>
-</div>
-<p>A part l’autorité universelle des vieillards,
-le seul magistrat, aperçu par le voyageur,
-c’est un homme enfermé dans une sorte de
-sac noir à coulisse, les mains et les pieds
-nus, la tête ornée de plumes d’autruche
-blanches, avec quatre ouvertures garnies
-d’écarlate pour les yeux, le nez et la bouche.
-Cet homme assis, un fouet à la main,
-à l’entrée des villages, auprès d’un tas de
-petites coquilles, recevait les droits de
-passe. Le fouet de cet étrange douanier
-était aussi chargé de la police des rues.</p>
-
-<p>Le 19 janvier (à <i>Tongrera</i>, l’un des principaux
-villages musulmans), le voyageur
-perd l’espoir d’aller à Jenné. La caravane
-se dirige d’un autre côté. Mais quatre jours
-après, il a la joie de lui voir reprendre sa
-première direction. A Tangrera, M. Caillié
-voit piler du tabac par des noirs esclaves,
-non plus vert comme dans les villages précédents,
-mais de couleur marron-clair et
-d’une très-bonne odeur.</p>
-
-<p>La caravane, grossie en route, n’était
-pas alors de moins de cinq cents noirs ou
-négresses et de quatre-vingts ânes ; comme
-toutes les contrées traversées jusqu’ici par
-M. Caillié, cette partie de l’Afrique abonde
-en arbres à beurre et en nédés ; en avançant
-vers le nord, le baobab devient moins
-commun et l’arbre à soie le surpasse en
-grosseur. Les <i>ronniers</i> atteignent en plusieurs
-endroits une hauteur prodigieuse.</p>
-
-<p>A l’approche du royaume de Jenné, la
-caravane, intimidée par des bruits de
-guerre, prend une attitude de défense. Les
-hommes aux charges de colats, tous armés
-d’arcs et de flèches, se placent à l’avant-garde ;
-les vieillards et les ânes restent en
-arrière, les femmes au centre.</p>
-
-<p>Enfin, nous entrons, le 21 février, sur le
-territoire du dévot et belliqueux roi de
-Jenné, qui, laissant aux esclaves la culture
-de la terre et les ouvrages manuels, et le
-commerce aux Arabes et aux noirs, s’occupe
-exclusivement, lui et les siens (Foulahs
-graves et fiers), de l’étude du Coran,
-et ne travaille qu’à la propagation de la foi
-musulmane, à l’agrandissement du patrimoine
-du Prophète : imposant à tous ses
-voisins des tributs ou des mosquées.</p>
-
-<p>Abdallahi reçoit partout la bénédiction
-de ces propagateurs de l’islamisme. En les
-quittant, il leur souffle sur la main, et, eux,
-s’empressent de la reporter à leur visage
-en remerciant Dieu. Au reste, plus de musique
-ni de danses : plus d’autre chant que
-les lentes et lugubres psalmodies du Coran.
-Aux cahutes rondes de terre ou de paille
-succèdent des constructions carrées en briques
-jaunes, séchées au soleil. La cherté
-croissante des vivres annonce le voisinage
-d’une grande ville ; l’abondance du poisson
-frais, annonce celui d’une grande rivière.
-Jusqu’ici M. Caillié n’avait pas encore rencontré
-un seul mendiant.</p>
-
-<p>Le seul fait qui fasse évènement dans les
-souvenirs de la route, c’est une querelle
-du vieux Kaimou, chef ou doyen d’âge de
-la caravane, avec sa femme. Le mari en
-vint aux coups, et, chose inouïe dans ces
-contrées, la femme se permit de résister à
-son seigneur et maître. Toutefois au bout
-de trois ou quatre jours, les époux cassèrent
-une noix de colats qu’ils mangèrent
-ensemble.</p>
-
-<p>Le 10 mars, nous nous retrouvons de
-nouveau en face des eaux blanchâtres du
-Dhiolibâ, ou du moins d’une branche de ce
-fleuve, qui ne paraît guère avoir, là, que
-cinq cents pieds de large, et coule lentement
-au nord-est. Il faut traverser deux
-autres branches (dont une à gué) pour
-arriver à la ville de Jenné, qui forme une
-île enclavée dans une île beaucoup plus
-grande. M. Caillié arrive à Jenné<a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a>, le
-11 mars, dans l’après-midi.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> <i>Jenné</i> ou <i>Djenné</i>, ou <i>Dkienné</i>.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch6">JENNÉ.</h2>
-
-
-<p>« Il y avait plusieurs noirs sur le rivage ;
-mon guide s’adressa à l’un d’eux pour lui
-demander un logement : c’était un Mandingue
-d’assez bonne mine ; il nous conduisit
-dans sa maison. » Le vieux Kaimou et sa
-suite s’installent aussitôt dans les magasins
-du rez-de-chaussée : Abdallahi, en qualité
-d’Arabe, est logé dans une chambre haute.</p>
-
-<p>Le vieux guide, en conduisant le voyageur
-à cette chambre qui n’a qu’une natte
-pour tout meuble, le félicite de l’heureuse
-issue de son voyage, et lui rappelle ses services.
-Abdallahi reconnaissant le comble
-de joie avec une paire de ciseaux, deux
-aunes d’indienne de couleur, trois feuilles
-de papier et trente grains de verroterie
-rouge : valeur de cinq francs en France ;
-joignez à ces largesses quelques petits cadeaux
-d’étoffe pendant la route, et vous
-rappelant que le guide avait défrayé le
-voyageur d’une partie de sa nourriture
-durant six semaines, convenez qu’il est
-difficile de voyager à meilleur compte.</p>
-
-<p>Le lendemain, présentation d’Abdallahi à
-quelques riches Arabes du lieu, qui le conduisent
-avec son vieux guide et son hôte
-chez un Chérif. Là, récit circonstancié du
-voyage et de ses motifs ; questions sans fin
-sur les chrétiens, sur leurs usages et surtout
-sur leurs méfaits.</p>
-
-<p>L’interrogatoire terminé, le Chérif dit à
-l’hôte d’Abdallahi de le conduire chez le
-chef de la ville : ce chef, Foulah de la
-famille royale, très-âgé, très-gros et presque
-aveugle, caché d’abord derrière une porte,
-qui s’ouvre à l’arrivée d’un Arabe, se fait
-raconter l’histoire d’Abdallahi, et décide
-qu’il restera chez le Chérif jusqu’à ce
-qu’une occasion se présente pour aller à
-Tombouctou.</p>
-
-<p>Le pèlerin arabe, qui s’est dit de riche
-famille, a presque aussitôt deux hôtes : le
-Chérif qui lui envoie régulièrement deux
-bons repas ; et certain autre Arabe qui lui
-donne un petit corridor et une natte dans
-une maison qui servait à la fois de logement
-aux esclaves et de magasin aux marchandises.
-Dès le second jour, un adroit
-barbier lui rase religieusement la tête.
-Voici, du reste, un échantillon de la sensualité
-Jennéenne.</p>
-
-<p>« Le 16 mars, vers quatre heures, on me
-fit appeler chez le Chérif ; la vente de mes
-marchandises (vente de corail, d’ambre, de
-verroterie, d’étoffe<a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a>, dans laquelle les
-deux hôtes d’Abdallahi se départirent un
-peu de leur délicatesse habituelle) l’avait
-très-bien disposé en ma faveur. J’entrai
-dans une grande chambre assez propre,
-éclairée par une ouverture à la voûte : une
-lampe où l’on brûle du beurre végétal était
-accrochée par une corde au plafond. Un
-matelas, tendu par terre sur une natte, un
-chandelier en cuivre de fabrication européenne,
-avec une bougie du pays et une
-petite armoire creusée dans le mur et fermant
-avec une serrure comme les nôtres,
-composaient tout l’ameublement. Quelques
-sacs de grain étaient debout dans un coin
-de la pièce. Je montai par un grand escalier
-sur la terrasse où je vis plusieurs petites
-galeries à compartiments, sans meuble.
-On me fit asseoir auprès d’une natte, sur
-un petit coussin rond en cuir. Je me trouvai
-en compagnie de sept Arabes et d’un
-noir, marchands de Jenné.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> « Le produit de cette vente était évalué à trente
-mille cauris. Le chérif acheta pour moi de l’étoffe
-du pays pour cette valeur : il me dit qu’elle se
-vendait très-bien à Tombouctou. »</p>
-</div>
-<p>« Le Chérif fit apporter, au milieu de
-nous, une petite table ronde, ornée symétriquement
-de plaques d’ivoire et de cuivre,
-et que je pris d’abord pour une table de
-jeu, quand un grand plat d’étain, couvert
-d’un énorme morceau de mouton aux
-ognons, m’apprit le motif de ce rendez-vous.
-Le Chérif tira d’un panier couvert de petits
-pains d’une demi-livre, faits avec de la
-farine de froment et du levain, qu’il distribua
-par morceaux, et que je trouvai délicieux.
-Nous mîmes tous les doigts au plat,
-mais avec une sorte de politesse. La conversation
-fut assez gaie, les pauvres chrétiens
-en firent tous les frais.</p>
-
-<p>« Après le repas, vint le thé. Le Chérif
-étala ce qu’il avait de plus beau, et ne manqua
-pas de faire voir au noir sa supériorité.
-Nous étions servis par une jeune et jolie
-négresse esclave. On apporta dans une boîte
-un petit service en porcelaine que le Chérif
-posa sur un plateau en cuivre. Les tasses,
-très-petites, nous furent données dans des
-soucoupes à pied, de la forme d’un coquetier.
-Nous primes chacun quatre de ces
-tasses de thé avec du sucre blanc et après
-le dîner, dont le Chérif avait très-bien fait
-les honneurs, nous allâmes faire un tour
-de promenade au bord de la rivière. Nous
-nous assîmes sur le rivage pour voir passer
-les pirogues ; puis nous fîmes la prière tous
-ensemble, car il était trop tard pour aller
-à la mosquée.</p>
-
-<p>« Le 18, on salua la nouvelle lune par
-une décharge de mousqueterie, et le 19
-commença le jeûne du Ramadan, » jeûne
-apparent qui ne ressemble en rien à l’impitoyable
-austérité des bords du Sénégal :
-simple interversion d’habitudes qui consiste
-à faire de bons repas la nuit et à dormir le
-jour.</p>
-
-<p>La ville de Jenné est entourée d’un mur
-d’enceinte, qui, selon M. Caillié, peut avoir
-trois kilomètres de tour environ, et enferme
-une population de huit à dix mille âmes.
-Bâtie sur un terrain d’alluvion, de nature
-argileuse et rougeâtre, elle est préservée
-des inondations périodiques du fleuve par
-son élévation de sept à huit pieds au-dessus
-des eaux. Les maisons aussi grandes que
-celles des villages de France, sont construites
-en briques rondes, séchées au soleil ;
-les plus hautes n’ont qu’un étage ; elles
-sont toutes à terrasse, et ne reçoivent de
-jour que sur les cours. Leur unique entrée
-est pourvue d’une porte en planches qui
-paraissent avoir été faites à la scie : cette
-porte est fermée, en dedans, avec une double
-chaîne de fer et en dehors avec une
-serrure de bois du pays ou bien un cadenas
-européen. Les rues étroites et tortueuses
-sont exactement balayées chaque jour. Le
-seul édifice qui se fasse remarquer au milieu
-de toutes ces terrasses à peu près pareilles,
-est une grande mosquée en terre,
-dominée par deux tours massives, peu élevées
-et abandonnées aux hirondelles. La
-prière se fait dans une cour extérieure.
-Quelques baobabs, dattiers, ronniers y
-sèment un peu de verdure sur un fonds
-rougeâtre.</p>
-
-<p>De la terrasse de sa maison, le voyageur
-ne voit au loin qu’une campagne découverte,
-des marais à perte de vue et à l’ouest
-une branche du fleuve.</p>
-
-<p>Le marché de Jenné est assez bien approvisionné
-de marchandises d’Europe, la
-plupart de fabrication anglaise ; verroterie,
-faux ambre, faux corail, soufre en bâton,
-poudre, pierres à feu, fusils, quincaillerie,
-écarlate, toile de coton, etc. Des bouchers
-y étalent la viande fraîche ou fumée. Les
-marchands vont aussi criant par les rues les
-noix de colats, le miel, le beurre végétal et
-animal, le lait, le sel, le bois à brûler apporté
-par les femmes de quatre et cinq
-lieues. Le chaume de mil se vend de même
-en détail pour la cuisine. Les principaux
-commerçants sont les Arabes qui, au nombre
-de trente ou quarante, occupent les
-plus belles maisons de la ville, et font tenir
-leurs boutiques par leurs esclaves. Assis
-sur une natte, devant leur porte, à côté des
-planches de sel qu’ils étalent, ils accaparent
-sans peine par leurs correspondants tous
-les articles recherchés, laissant aux Foulahs
-maîtres du pays et aux Mandingues le
-commerce des choses communes. Entre les
-choses qui se vendent au marché de Jenné,
-il faut compter les hommes, les femmes,
-les enfants. « Je les ai vus, dit M. Caillié,
-promener tout nus dans les rues ; on les
-criait à 25, 30 ou 40 mille cauris, suivant
-leur âge. » Du reste, le voyageur paraît
-avoir reconnu que les noirs esclaves sont
-beaucoup mieux traités par les noirs, les
-Foulahs ou les Arabes qu’ils ne le sont par
-les blancs dans nos colonies d’Amérique.
-« De Jenné à Tombouctou, dit-il, la plupart
-des esclaves sont des domestiques de confiance
-qui, en l’absence de leur maître,
-gardent la maison ou bien emballent les
-marchandises et les portent aux embarcations. »</p>
-
-<p>M. Caillié est surtout frappé du mouvement
-commercial et industriel qui règne
-dans la ville, mouvement auquel il n’est
-plus habitué depuis longtemps. Le rigide
-Foulah, <i>Ségo-Ahmadou</i>, dont Jenné était
-la capitale, importuné par ce mouvement
-même, qu’il se soucie assez peu d’arrêter
-par ses guerres perpétuelles contre les infidèles
-d’alentour, jugeant que tout ce bruit
-détournait les vrais croyants de leurs devoirs,
-s’est fondé une autre ville à la droite du
-fleuve : cette ville où tous les enfants vont
-apprendre le Coran par cœur dans des écoles
-gratuites, s’appelle <i>El-Lamdou-Lillahi</i>
-(à la gloire de Dieu). Ce prince et le chef
-de Jenné n’imposent aucun droit, aucune
-contribution, mais reçoivent parfois des
-cadeaux.</p>
-
-<p>Les infidèles (tributaires de Ségo-Ahmadou)
-sont obligés de faire la prière pour
-entrer à Jenné.</p>
-
-<p>Hommes, femmes, enfants sont tous proprement
-vêtus<a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a>. Les femmes ont toutes
-l’entre-deux du nez percé. Les unes y portent
-un anneau d’or ou d’argent, les autres
-un morceau de soie rose. Elles portent au
-poignet des bracelets en argent, de forme
-ronde ; et à la cheville un cercle plat, de
-fer argenté, large de quatre doigts.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> Le voyageur vit avec plaisir que, dans ce
-pays, on pouvait porter un mouchoir de poche sans
-être ridicule ; sur toute la route qu’il venait de
-parcourir il eût été dangereux de se moucher
-autrement qu’avec les doigts.</p>
-</div>
-<p>Le voyageur s’était décidé à laisser son
-parapluie au Chérif, qui devait lui procurer
-une embarcation pour Tombouctou. Ce
-parapluie avait fait pour le moins autant
-d’effet à Jenné que dans les moindres villages
-musulmans ou infidèles ; le Chérif parut
-fort content du cadeau, et, les trois
-nuits suivantes, régala son hôte de dattes,
-de melons d’eau, de pain frais ; le jour du
-départ, il lui annonça qu’il avait payé 300
-cauris au propriétaire du bateau pour qu’il
-fût défrayé de sa nourriture pendant toute
-la route ; lui donna quatre bougies de cire
-jaune, fit emballer et porter à bord son ballot
-d’étoffe, et lui prépara une pâte de farine
-de mil et de miel, à mettre, en chemin,
-dans son eau. Un jeune Arabe, en retour
-d’une paire de ciseaux, joignit à ces provisions
-du pain de froment séché au four.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch7">NAVIGATION SUR LE NIGER.</h2>
-
-
-<p>Le 23 mars, à neuf heures du matin — après
-un séjour de treize jours, Abdallahi,
-reconduit par ce jeune Arabe, par le Chérif
-et par son second hôte, dont il avait conservé
-les bonnes grâces au moyen d’une
-aune de très-jolie indienne, du reste spécialement
-adressé et recommandé par une
-lettre du Chérif à son correspondant de
-Tombouctou, part, aux cris de <i>Samalécoum</i>
-(la paix soit avec vous), sur un petit bateau
-chargé de marchandises sèches et d’une
-vingtaine d’esclaves à vendre<a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a>, qu’un
-bateau plus grand attend sur le fleuve.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> Hommes, femmes, enfants : les plus grands
-étaient aux fers.</p>
-</div>
-<p>« Vers les deux heures, nous atteignîmes
-le majestueux Dhiolibâ, qui vient lentement
-de l’ouest. Il est, en cet endroit, très-profond,
-et a trois fois la largeur de la Seine
-au Pont-Neuf. Ses rives sont très-basses et
-très-découvertes. ».</p>
-
-<p>Les cinq semaines que M. Caillié passe
-sur le Dhiolibâ sont pour lui des plus pénibles :
-injurié, menacé par les mariniers
-noirs, en l’absence de leur maître ; réduit,
-par eux, à la ration de riz cuit à l’eau qu’ils
-donnent (esclaves eux-mêmes) aux esclaves
-enchaînés qu’ils voiturent ; passant les
-nuits sur le bateau, plié en deux sur le tas
-des bagages ; obligé, les derniers jours, de
-se tenir caché pour échapper aux investigations
-des Touariks du rivage, qui viennent
-armés de lances et de poignards sur
-de petits bateaux, se faire payer des droits
-de passe ; assez traitables pour les noirs,
-mais impitoyables pour les Arabes : sachant
-bien que si les Arabes n’ont pas, comme
-le disent les nègres, de l’or sous la peau,
-ils n’en manquent pas pour cela.</p>
-
-<p>Toutefois, un jeune Foulah est auprès du
-voyageur qui le console et l’encourage ;
-qui descend à terre pour lui chercher du
-lait, et lui rend tous les services possibles.
-Le voyageur descend lui-même quelquefois
-lors des haltes qui interrompent fréquemment
-la marche de la flottille.</p>
-
-<p>Le 25 mars, hommes et marchandises
-passent sur le grand bateau, déjà chargé de
-mil, de riz, de miel, de beurre végétal, de
-coton, d’étoffe. Six autres bateaux pareils
-avaient même destination. Ces bateaux,
-auxquels M. Caillié suppose soixante tonneaux
-de jaugeage, sont construits avec
-des planches de cinq pieds de long (sur huit
-pouces de large et un pouce d’épaisseur),
-ajustées et <i>cousues</i> avec des cordes du pays
-qui se conservent longtemps sous l’eau.</p>
-
-<p>Le moindre vent menace de submerger
-ces embarcations fragiles ; lorsque les rives
-sont à découvert, les mariniers, tous noirs
-esclaves, tirent les bateaux à la cordelle, ou
-s’ils peuvent atteindre le fond, le repoussent
-avec des perches de quatre à cinq mètres,
-composées le plus souvent de deux
-morceaux bout à bout. Lorsque les rives
-sont boisées ou le fleuve trop profond, ils
-naviguent avec des rames plates d’un mètre
-de long : les rameurs tout nus manœuvrent
-très-vite et observent la mesure.</p>
-
-<p>Cette navigation est lente et périlleuse,
-retardée par le moindre vent, par les nombreux
-bancs de sable, par les déchargements
-qu’ils exigent ; enfin, par les nombreux
-accidents, que tous ces retards n’empêchent
-pas. M. Caillié cite deux grands
-bateaux submergés, et un noir noyé.</p>
-
-<p>Quant aux rives du fleuve, elles présentent
-presque partout des plaines immenses
-et marécageuses où se distinguent à peine
-les cahutes de paille des Foulahs musulmans,
-qui, de leurs pauvres villages, apportent
-aux bateaux du lait et du poisson,
-et dont les troupeaux errent par la campagne,
-en attendant que la crue du fleuve les
-refoule ailleurs ; ou les tentes des Touariks,
-qui comptent encore moins sur le produit
-de leurs troupeaux que sur celui des droits
-de passe qu’ils imposent. L’eau est toute
-couverte d’oiseaux aquatiques qui semblent
-peu redouter les flèches des bergers et des
-pêcheurs du rivage. Une seule fois des mugissements
-de bête féroce se font entendre
-la nuit ; une seule fois des pas d’éléphant
-sont aperçus sur le sable. Le voyageur voit
-à plusieurs reprises des hippopotames se
-jouer lourdement dans le fleuve, et cite
-quelques caïmans qui élèvent la tête à fleur
-d’eau, et semblent menacer les pirogues.</p>
-
-<p>Le 1<sup>er</sup> avril, le fleuve s’élargit, on ne
-voit même plus la terre à l’ouest ; le lac
-Debo où Dhiébou se déploie comme une
-mer intérieure. Trois décharges de mousqueterie
-saluent cette vaste nappe d’eau :
-<i>Salam ! Salam</i>, cria de toutes ses forces
-l’équipage de chaque embarcation ; le
-voyageur lui-même ne pouvait revenir de
-sa surprise.</p>
-
-<p>Le 5 avril, la flottille, augmentée de quarante
-grandes embarcations, se remet en
-route au bruit des cris de joie et des coups
-de fusil.</p>
-
-<p>Le 17, de nouveaux coups de fusil saluent
-la nouvelle lune et la fin du carême.
-Le lendemain matin, les noirs vont se prosterner
-à la file dans la plaine ; ils aperçoivent
-de loin les dattiers de <i>Cabra</i>, qui leur
-annoncent la fin de leurs peines. Abdallahi,
-caché tout le jour parmi le bagage, est
-privé de cette vue consolante. A la nuit, il
-sort de sa cachette, et respire, confondu
-dès-lors avec les noirs par les féroces douaniers
-du rivage. Les bateaux ne repartent
-pas sans leur avoir laissé chacun deux sacs
-de mil.</p>
-
-<p>Enfin le 19, vers une heure de l’après-midi,
-après avoir vu, vers six heures, le
-fleuve se partager en deux branches, le
-voyageur arrive au port de Cabra. Un petit
-bateau, tiré à la cordelle par les noirs, l’amène,
-à trois heures, au village, par un
-petit canal encombré d’herbes et de vase.
-Ce village ou plutôt cette petite ville, située
-sur une petite hauteur qui la préserve de
-l’inondation, est une sorte de transit entre
-Tombouctou et le fleuve.</p>
-
-<p>Dans ce mouvement de gens de toute
-couleur occupés au déchargement et au
-transport des marchandises, ou bien à célébrer
-gaiement la fête du Ramadan, personne
-ne fait attention à Abdallahi. Des Arabes
-avec lesquels il était venu du port, l’invitent
-à partager leur souper de riz ; il passe,
-comme eux, la nuit dehors, couché sur une
-natte.</p>
-
-<p>Le lendemain, il cherche en vain le correspondant
-du Chérif parmi les Arabes
-venus à Cabra, sur de beaux chevaux, recevoir
-leurs marchandises : ses esclaves, noirs
-bien vêtus et armés de fusils, envoyés à sa
-place, complimentent le pèlerin de sa part
-et l’emmènent.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch8">TOMBOUCTOU.</h2>
-
-
-<p>Parti vers trois heures, le voyageur
-arrive avec eux à la ville par une route de
-sable mouvant, le plus souvent dénué de
-verdure, au moment où le soleil touchait à
-l’horizon. « Je voyais donc, s’écrie-t-il,
-cette capitale du Soudan, qui, depuis si
-longtemps, était le but de tous mes désirs.
-En entrant dans cette cité mystérieuse,
-objet des recherches des nations civilisées
-de l’Europe, je fus saisi d’un sentiment
-inexprimable de satisfaction : je n’avais
-jamais éprouvé une sensation pareille et ma
-joie était extrême. Mais il fallut en comprimer
-les élans… Revenu de mon enthousiasme,
-je trouvai que le spectacle que
-j’avais sous les yeux ne répondait pas à
-mon attente : je m’étais fait de la grandeur
-et de la richesse de cette ville une tout autre
-idée : elle n’offre au premier aspect,
-qu’un amas de maisons en terre, mal construites ;
-dans toutes les directions, on ne
-voit que des plaines immenses de sable
-mouvant, d’un blanc tirant sur le jaune et
-de la plus grande aridité. Le ciel à l’horizon
-est d’un rouge pâle. Tout est triste dans la
-nature : le plus grand silence y règne. On
-n’entend pas le chant d’un seul oiseau… Je
-conjecture qu’antérieurement le fleuve passait
-près de la ville, il en est maintenant à
-près de trois lieues au nord. »</p>
-
-<p>La réception toute paternelle qui, sur les
-recommandations écrites du chérif de Jenné
-et sur les explications verbales du propriétaire
-du bateau, attendait Abdallahi chez
-son hôte, dut adoucir un peu l’amertume
-de ce désappointement. « Sidi Abdallahi
-Chébir, dit M. Caillié, me fit appeler pour
-souper avec lui. L’on nous servit une bouillie
-de mil au mouton. Nous étions six autour
-du plat : on mangeait avec les doigts,
-mais aussi proprement que possible. Sidi
-ne me questionna pas ; il me parut doux,
-tranquille et très-réservé. C’était un homme
-de quarante à quarante-cinq ans, haut de
-cinq pieds environ, gros et marqué de
-petite vérole ; son maintien avait quelque
-chose d’imposant. Il parlait peu et avec
-calme. » Ce pieux musulman donne au
-voyageur toutes les commodités désirables,
-notamment une chambre séparée dont il
-lui livre la clef. Deux fois par jour, il lui
-envoie un plat de riz ou de mil très-bien
-assaisonné avec du bœuf ou du mouton<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> La maison occupée à Tombouctou par M. Caillié,
-n’était séparée que par la largeur de la rue de
-celle qu’y avait habité le malheureux major Laing
-en 1826. M. Caillié qui, à Jenné même, avait entendu
-parler du Chrétien venu, disait-on, <i>pour
-écrire la ville, et tout ce qu’elle contenait</i>, put recueillir
-de nombreux détails sur la fin déplorable de la
-bouche même de l’hôte du major : Arabe dont notre
-voyageur reçut plusieurs fois des dattes et, lors de
-son départ, une culotte en coton bleu.</p>
-</div>
-<p>Quant aux constructions et aux habitudes
-de la ville, elles ne présentent rien de
-nouveau à qui vient de voir Jenné : mêmes
-maisons à terrasse, sans fenêtre et sans cheminée,
-mêmes briques rondes, séchées au
-soleil ; même répartition des diverses branches
-du commerce entre les Arabes et les
-indigènes.</p>
-
-<p>La ville, qui dessine un triangle, paraît
-avoir une lieue de tour et contenir au plus
-dix à douze mille habitants. Les maisons
-n’ont que le rez-de-chaussée et quelques-unes
-un cabinet au-dessus de la porte d’entrée.
-Les rues sont propres et assez larges
-pour trois cavaliers de front. Au milieu de
-la ville et au-dehors, des cases rondes en
-paille servent de logement aux pauvres et
-aux esclaves.</p>
-
-<p>M. Caillié compte huit mosquées, dont
-deux grandes, surmontées d’une tour en
-briques avec un escalier intérieur<a id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a>. Du
-haut de ces tours, où M. Caillié prenait ses
-notes à son aise, on ne découvre au loin
-qu’une plaine immense de sable blanc, dont
-l’uniformité est à peine rompue, çà et là,
-par quelques arbrisseaux rabougris ou bien
-par quelques buttes de sable. Le voyageur
-donnerait presque le nombre des arbres qui
-ombragent Tombouctou. Il cite entre autres
-quelques palmachristi et au centre de la
-ville un palmier doum, sur une sorte de
-place entourée de cases rondes.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_27" href="#FNanchor_27"><span class="label">[27]</span></a> Ces deux mosquées ont paru au voyageur
-d’une construction ancienne. Mais ce qui est plus
-remarquable, c’est qu’il a cru distinguer, dans la
-plus grande, des parties qui, par leur élégance,
-contrastent complètement avec le reste, et paraissent
-appartenir à une époque plus reculée. Ce sont
-trois galeries soutenues chacune par dix arcades
-de dix pieds de haut et de six pieds de large.</p>
-</div>
-<p>Le bois est extrêmement rare à Tombouctou ;
-les plus riches seuls en brûlent ; les
-autres ne brûlent que le crottin de chameau.
-Le fourrage pour les chameaux, les chevaux,
-les ânes, les bœufs et vaches, les
-moutons, les chèvres, vient de trois et quatre
-lieues. Un tabac d’une petite espèce
-est la seule culture autour de la ville. L’eau
-se vend au marché, tirée de quelques citernes
-découvertes et chauffées par le soleil
-ou bien apportée du fleuve par Cabra. Vous
-avez vu quels approvisionnements viennent
-de Jenné : ces approvisionnements sont à la
-merci des Touariks qui peuvent refuser le
-passage aux embarcations et ne l’accordent
-qu’à force d’exactions, tant à bord des
-bateaux que dans la ville même.</p>
-
-<p>Tombouctou ne reçoit d’ailleurs que du
-sel, apporté à dos de chameau de plusieurs
-endroits du désert ; c’est avec ce sel qu’elle
-paie tout le reste.</p>
-
-<p>La ville appartient aux Noirs ; mais les
-négociants arabes, sans participer directement
-au gouvernement, ont, au nom de leur religion
-et de leur richesse, beaucoup d’ascendant
-dans les conseils. Du reste, Arabes
-et noirs sont tous zélés musulmans. Le roi
-de Tombouctou, auquel le voyageur rend
-une courte visite avec son hôte, est lui-même
-un noir. « Ce prince, dit-il, me parut
-d’un caractère affable. Il pouvait avoir
-cinquante-cinq ans. Ses cheveux étaient
-blancs et crépus ; il était de taille ordinaire,
-avait une belle physionomie, le teint noir-foncé,
-le nez aquilin, les lèvres minces, une
-barbe grise et de grands yeux. Ses habits,
-comme ceux des Arabes, étaient faits en
-étoffes d’Europe ; il portait un bonnet rouge
-avec un grand morceau de mousseline autour,
-en forme de turban… Il se rendait
-souvent à la mosquée. »</p>
-
-<p>Tous les habitants de Tombouctou font
-deux bons repas par jour. Les noirs aisés
-font, comme les Arabes, leur déjeuner avec
-du pain de froment, du thé et du beurre de
-vache. Le commerce est l’occupation de
-tous. Ici, comme à Jenné, les plus belles
-maisons sont aux Arabes. Les plus riches
-ont des matelas de coton, les autres couchent
-sur des nattes ou sur une peau de
-bœuf, tendue à quelques pouces de terre
-sur quatre piquets. Les Arabes, établis là
-pour quelques années seulement, ne prennent
-pas d’autres femmes que leurs
-esclaves.</p>
-
-<p>La parure des femmes est la même qu’à
-Jenné : mêmes tresses de cheveux, mêmes
-grains de verre, d’ambre ou de corail au
-cou ; mêmes anneaux ronds ou plats aux
-bras et aux pieds, mêmes boucles d’<i>oreille</i>
-et de <i>nez</i>.</p>
-
-<p>Au marché, même vente publique d’hommes
-et de femmes. Du reste, selon M. Caillié,
-c’est toujours avec regret que ces malheureux
-s’éloignent de cette ville, si triste
-qu’en soit le séjour : bien nourris, bien
-vêtus, rarement battus, assujétis d’ailleurs
-aux cinq prières, ils ne peuvent quitter
-Tombouctou pour une autre servitude sans
-être assurés de perdre au change.</p>
-
-<p>Au tableau que fait le voyageur de la
-douceur des hommes envers les femmes et
-les esclaves, on serait tenté de craindre que
-le voyageur ne se soit trop pressé de généraliser
-les consolantes observations que lui
-fournissait la maison du bon Sidi Abdallahi
-Chébir.</p>
-
-<p>Une occasion s’était présentée pour traverser
-le désert ; mais avant de repartir,
-Abdallahi avait paru vouloir se reposer une
-quinzaine de jours. « Tu peux rester ici
-plus longtemps, si tu le veux, lui dit son
-hôte. Tu me feras plaisir et tu ne manqueras
-de rien. » Cet excellent homme alla
-même jusqu’à proposer au voyageur de
-l’établir dans la ville. Le départ fut enfin
-fixé au 4 mai.</p>
-
-<p>Pendant les quatorze jours que M. Caillié
-est resté dans cette ville célèbre, la chaleur
-y fut excessive ; le vent d’est ne cessa
-pas de souffler ; le marché ne se tenait que
-le soir vers trois heures ; les nuits elles-mêmes
-furent d’un calme étouffant : le voyageur
-ne savait où se réfugier contre cette
-atmosphère brûlante.</p>
-
-<p>Toutefois, si quelque chose eût pu lui
-faire oublier l’excessive chaleur du jour,
-le calme étouffant des nuits, les tourbillons
-de poussière, le morne silence des rues, la
-désespérante nudité des campagnes, c’eût
-été le gracieux accueil de son hôte. Du
-reste à l’affabilité des habitants, à la douceur
-de leurs manières, à la simplicité de
-leurs relations, au calme religieux empreint
-sur tous les visages, il est aisé de voir que
-si Tombouctou est le désert, c’est le désert
-humanisé par tout ce qu’une paisible aisance
-peut apporter de consolation dans un exil
-volontaire.</p>
-
-<p>Quant à ces autres Arabes avec qui
-M. Caillié va se remettre en route, sous une
-même couleur de peau, ce n’est plus le
-même peuple. Ces commis-voyageurs par
-qui Maroc et Tombouctou se donnent la
-main à travers les sables : ces voituriers du
-Sahara, endurcis au mal, qui, pour un peu
-d’or, font chaque année par deux fois leurs
-deux ou trois cents lieues, malgré le soleil
-et malgré le vent, malgré la faim, malgré
-la soif, sans autre ressource pendant trois
-ou quatre mois de fatigues que du riz cuit
-à l’eau, du chameau séché, de l’eau tiède,
-salée ou croupie : — ces hommes peuvent-ils
-ressembler aux heureux négociants de
-la ville qui, tranquillement couchés auprès
-des planches de sel qu’ils étalent à leur
-porte, font tenir leurs boutiques par leurs
-esclaves, et ont tout loisir de causer entre
-eux, d’étudier le Coran, et d’être calmes,
-justes et bons.</p>
-
-<p>Par malheur, le voyageur n’avait pour
-sortir de Tombouctou qu’une seule porte,
-la porte du nord<a id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a> ; il fallait qu’il suivît
-jusqu’au bout la ligne que nous avons
-tracée sur la carte, sous peine de voir l’authenticité
-de ses récits mise en doute, et de
-perdre le fruit de tant de fatigues.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_28" href="#FNanchor_28"><span class="label">[28]</span></a> Il ne faudrait pas prendre cette expression à
-la lettre ; car M. Caillié nous apprend que la ville
-de Tombouctou n’est pas entourée de murs.</p>
-</div>
-<p>Les présents du départ sont ici des échanges.
-Abdallahi, <i>le pauvre</i>, comme on l’appelle
-à Tombouctou, fait à grand’peine
-accepter à son dévot et généreux hôte sa
-vieille couverture de laine et le pot de fer
-blanc qui lui sert pour ses <i>ablutions</i>. Il en
-reçoit en retour une magnifique couverture
-de coton, une chemise de coton toute
-neuve, deux sacs en cuir pour sa provision
-d’eau, du pain de froment cuit au four,
-comme notre biscuit, du doknou<a id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a>, du
-beurre de vache fondu, une bonne quantité
-de riz, et surtout de chaudes recommandations
-pour son correspondant d’El-Arouan.
-Les trente mille cauris d’étoffe, provenant
-de la vente de Jenné, servirent à payer
-la location d’un chameau.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_29" href="#FNanchor_29"><span class="label">[29]</span></a> Ce nom désigne la <i>pâte de farine de mil et de
-miel</i>, que l’on délaie, en chemin, avec de l’eau.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch9">LE DÉSERT.</h2>
-
-
-<p>Le jour du départ (4 mai 1828), avant le
-lever du soleil, le riche Sidi était debout
-pour partager une dernière fois avec le
-pauvre pèlerin son thé et son pain frais au
-beurre. Quelques heures après, le voyageur,
-que les adieux ont retardé et qui rejoint la
-caravane à la course, chemine lentement
-vers la France, assez durement assis entre
-des ballots, sur un chameau chargé ; heureux
-en comparaison de tel noir esclave,
-qui vainement s’appuie sur la croupe des
-chameaux, vainement se couche à terre,
-relevé et chassé en avant à coups de verges
-et de cordes.</p>
-
-<p>Il faut aller à plus de demi-lieue de la
-ville pour trouver quelques arbustes. Viennent
-alors quelques buissons rabougris, quelques
-herbes couvertes de sable que les
-chameaux broutent en marchant ; quelques
-gommiers élancés au maigre ombrage.
-Puis, la végétation s’efface peu-à-peu, la
-terre devient de plus en plus nue et désolée :
-dès le troisième jour, plus rien que des
-sillons ou des vagues sablonneuses, creusés
-ou relevés par le vent, des plaines uniformes
-de sable uni et presque mouvant, sans trace
-de chemin frayé ; plus rien que la réverbération
-du soleil sur ce sable où les pieds ne
-peuvent poser sans douleur.</p>
-
-<p>Les seuls êtres que l’on rencontre en ces
-solitudes sont des corbeaux et des vautours
-qui font leur pâture des chameaux morts en
-route ; ou des Touariks, qui, regardant le
-désert comme leur domaine, mettent à contribution
-les caravanes qui le traversent.
-Deux de ces hommes, montés sur le même
-chameau, au bras gauche le bouclier de
-cuir, le poignard au côté, à la main droite
-une pique, accourent se joindre à la caravane.
-Ce fut à qui leur donnerait de l’eau,
-bien que l’on n’en dût pas trouver de cinq
-jours. Ce qu’on avait de meilleur fut pour
-eux ; tant est grande la terreur que leur
-seul nom inspire.</p>
-
-<p>Enfin, le 9 mai, après six jours de marche
-(le plus souvent <i>de nuit</i>), après cinq
-jours de calme étouffant, après cinq jours
-pendant lesquels des nuages qui semblent
-cloués à la voûte céleste, n’accordent pas
-une goutte d’eau aux ardentes prières des
-voyageurs, — on retrouve enfin un peu
-d’herbe, et l’on aperçoit de loin les chameaux
-d’El-Arouan. Les compagnons de
-route de M. Caillié lui montrent l’endroit
-où, deux années auparavant, gisait le corps
-du major Laing, abandonné aux oiseaux de
-proie du désert, et lui redisent les détails de
-sa mort funeste. A neuf heures du soir, les
-aboiements de chiens annoncent le voisinage
-de la ville. Ces aboiements rappellent
-au voyageur qu’il n’a pas vu de chien à
-Tombouctou. Le voyageur passe une très-bonne
-nuit hors de la ville, étendu à terre
-sur sa couverture, auprès du bagage :
-réveillé seulement à minuit pour prendre sa
-part d’une bouillie de mil apportée d’El-Arouan.</p>
-
-<p>Pendant les dix jours qu’Abdallahi reste
-dans cette singulière ville, il échappe à
-grand’peine à la défiance et aux exigences
-des Arabes et des noirs qui veulent absolument
-qu’il leur donne du tabac, et vont
-même jusqu’à le traiter de <i>chrétien</i> ; mais
-ses recommandations de Tombouctou, et la
-protection de son hôte, correspondant de
-Sidi, viennent à son secours ; il s’en tire
-encore une fois à force de zèle religieux et
-grâce aussi à la crédulité des vieillards qui
-disaient en arabe : « Remercions Dieu qu’il
-soit venu parmi nous. »</p>
-
-<p>Pendant ces dix jours, le vent d’est souffle
-sans interruption, et tient le voyageur
-emprisonné ; impossible de tenir les portes
-ouvertes à cause du sable qui pénètre partout
-et entre même par les fentes de la porte.
-M. Caillié reste tout le jour couché à terre,
-obligé de se recouvrir d’un drap pour se
-préserver de la poussière ; sans autre rafraîchissement
-pour son gosier desséché que de
-l’eau saumâtre et chaude, même dans les
-courants d’air auquel on l’expose. Impossible,
-même aux esclaves, de marcher pieds
-nus dans la ville ; pour toute rosée, retombe,
-la nuit, le sable que le vent a soulevé pendant
-le jour. Et pourtant trois mille hommes<a id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a>,
-Arabes ou noirs esclaves (Arabes,
-enfermés le plus souvent, avec un linge
-sur la bouche pour se préserver du sable :
-esclaves que leurs maîtres ménagent forcément
-pour qu’ils vivent) ; trois mille hommes
-se résignent à passer douze ou quinze
-ans dans cet entrepôt de commerce, pour
-se préparer quelque repos sur leurs vieux
-jours, dans les verdoyantes campagnes de
-Barbarie<a id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_30" href="#FNanchor_30"><span class="label">[30]</span></a> Ce chiffre est probablement trop fort, on peut
-penser que M. Caillié, en donnant avec raison
-peut-être <i>cinq cents</i> maisons à El-Arouan, a eu
-tort de donner à chaque maison <i>six</i> habitants.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_31" href="#FNanchor_31"><span class="label">[31]</span></a> Encore cet espoir même n’est-il pas laissé aux
-noirs <i>esclaves</i>, bien plus nombreux à El-Arouan,
-que les Arabes.</p>
-</div>
-<p>Les maisons, crépies avec de la terre
-jaune, ressemblent à celles de Jenné et de
-Tombouctou, aux toits près, qui sont plats
-de même, mais de joncs et non de bois. Du
-reste, point de marché à El-Arouan ; de la
-viande séchée, pour tout régal : pour seul
-combustible, le crottin de chameau. Point
-de végétation, point de culture, point de
-fourrage.</p>
-
-<p>L’hôte d’Abdallahi, l’un des plus riches
-commerçants de la ville et musulman zélé,
-pour l’amour du Prophète, grand soin du
-voyageur. Il lui envoie régulièrement, sur
-les onze heures, un plat de riz à la viande :
-à huit heures du soir, une bouillie de mil
-assaisonnée de sel et de beurre. Pour l’amour
-du Prophète aussi, il le pourvoit de
-cinquante livres de riz, de cinquante livres
-de doknou, de dix livres de beurre fondu.
-M. Caillié répond à ces libéralités par son
-dernier morceau d’étoffe de couleur, une
-paire de ciseaux et quelques pièces d’argent,
-lesquelles sont reçues comme une rareté.
-Les petites coquilles n’ont pas cours à El-Arouan ;
-et les petits morceaux d’or ou
-d’argent, qui y servent seuls de monnaie,
-ne portent pas d’empreinte. Un Arabe d’El-Arouan
-donne au voyageur un troisième
-sac de cuir pour sa provision d’eau.</p>
-
-<p>La caravane qui n’était en partant de
-Tombouctou que de six cents chameaux,
-en compte au départ d’El-Arouan, le 19 mai,
-huit cents de plus ; non pas à la file, mais
-dispersés au large dans la plaine, ceux qui
-appartiennent au même maître, marchant
-par troupe distincte et rapprochés les uns
-des autres. Après deux ou trois heures de
-marche sur un terrain de sable dur, entrecoupé
-de monticules de sable mouvant, l’on
-rencontre cinq maisons en briques jaunes,
-écoles religieuses où les enfants de la ville
-viennent étudier le Coran : puis au-delà,
-des puits assez profonds d’eau saumâtre,
-auxquels on s’arrête pour boire une dernière
-fois à longs traits.</p>
-
-<p>Au milieu de ces vastes solitudes, les
-puits de Mourat (c’est le nom des cinq maisons)
-entourés de quatorze cents chameaux
-et de quatre cents hommes, offraient le
-tableau mouvant d’une ville populeuse.
-C’était un vacarme affreux, D’un côté l’on
-voyait des chameaux chargés d’ivoire, de
-plumes d’autruche, de gomme, de ballots
-de toute espèce et aussi de noirs (hommes,
-femmes et enfants), qu’on allait <i>vendre</i>,
-avec le reste, dans les marchés de Maroc.
-Plus loin, les Arabes (et Abdallahi avec eux)
-prosternés, imploraient l’assistance divine. — Au-devant
-s’étendait un horizon sans
-bornes, où le ciel et la terre mêlaient leurs
-teintes de feu. Tout ce que l’on distinguait
-devant soi, c’était une plaine immense de
-sable éclatant, nuancée à peine par l’ombre
-de quelques roches saillantes ou les ondulations
-de quelques monticules arrondis.</p>
-
-<p>A cette vue, les chameaux poussèrent de
-longs mugissements. Les esclaves, les lèvres
-immobiles et les yeux au ciel, semblaient
-penser encore à leurs vertes montagnes,
-à leurs frais pâturages, à leurs vieux
-arbres si feuillus, à leurs jeux et à leurs
-danses. Ils ne songeaient guère à se débattre
-contre l’impitoyable cupidité de leurs
-oppresseurs qui, à cette heure même, la
-face contre terre, en appelaient à la commisération
-d’Allah et de toute la force de leurs
-poumons invoquaient, <i>pour eux-mêmes, le
-Dieu clément et miséricordieux</i><a id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_32" href="#FNanchor_32"><span class="label">[32]</span></a> Besm allah alrohman elrahim <i>au nom de Dieu
-clément et miséricordieux</i>. Cette formule, répétée en
-tête de tous les chapitres du Coran, est pour les
-musulmans ce que <i>le signe de la croix</i> est pour les
-chrétiens.</p>
-</div>
-<p>Quant au voyageur, il échappe au désespoir
-par l’enthousiasme : Une sorte d’ardeur
-belliqueuse brille dans ses yeux. Ce mur de
-sable qui se dresse au loin devant lui, lui
-apparaît comme une place imprenable à
-l’assaut de laquelle il faut monter pour
-l’honneur de la France. S’il s’élance gaîment
-sur son chameau, c’est aussi que
-cette France est en avant qui l’appelle, avec
-les souvenirs de l’enfance et les espérances
-de l’âge mûr.</p>
-
-<p>Enfin, l’on se remet en marche. Tous les
-hommes portent deux bandes de toile de
-coton sur les yeux et sur la bouche pour se
-préserver à la fois de la poussière et de l’air
-chaud et sec qui fatigue les poumons.</p>
-
-<p>Le premier jour, calme étouffant : soif
-dévorante ; point d’appétit ; une seule distribution
-d’eau ; vers dix heures du soir,
-un repas de riz chaud au beurre fondu. Ce
-repas n’était pas désaltérant.</p>
-
-<p>Le lendemain à dix heures du matin,
-l’on dresse les tentes pour marcher pendant
-la nuit. « On nous donna à chacun, dit
-M. Caillié, une calebasse d’eau contenant
-près de trois bouteilles que nous avalâmes
-d’un seul trait : cette eau tiède nous remplissait
-l’estomac sans nous désaltérer.
-J’aurais bien mieux aimé en avoir moins
-à la fois et plus souvent ; mais les Maures
-qui présidaient aux distributions ne voulurent
-entendre à aucun nouvel arrangement,
-et s’en tinrent à leur vieille habitude. Du
-reste, il n’y avait de préférence pour personne. »
-Les Maures dont c’était le tour de
-conduire les chameaux, et qui marchaient
-à pied en fredonnant des airs, ne buvaient
-comme les autres qu’aux distributions
-générales.</p>
-
-<p>Le vent (vent d’est auquel succède le
-vent d’ouest, au coucher du soleil) ne cesse
-de soulever une poussière brûlante. Le 21,
-à dix heures du matin, après avoir marché
-toute la nuit sur un sable uni et complètement
-aride, on dresse les tentes, et l’on
-s’étend sur le sable. « Malgré toutes les
-précautions que j’avais prises, dit le voyageur,
-la chaleur fut si forte, ma soif si ardente
-qu’il me fut impossible de dormir :
-ma bouche était en feu et ma langue collée
-à mon palais.</p>
-
-<p>« J’étais comme expirant sur le sable…
-Je ne songeais qu’à l’eau, aux rivières,
-aux ruisseaux. Dans mon impatience, je
-maudissais mes compagnons, le pays, les
-chameaux, que sais-je ! le soleil même qui
-ne regagnait pas assez vite les bornes de
-l’horizon.</p>
-
-<p>« L’endroit était d’une aridité affreuse ;
-pas un seul petit brin d’herbe ne reposait
-l’œil. Les chameaux, exténués de fatigue
-et de jeûne, couchés près des tentes, la tête
-entre les jambes, attendaient tranquillement
-le signal du départ. Enfin il fut donné : à
-quatre heures et demie, Sidi-Ali (le propriétaire
-du chameau qui portait Abdallahi)
-jeta quelques poignées de doknou dans
-une grande calebasse, versa de l’eau dessus
-et mêla le tout avec ses mains, en y plongeant
-les bras jusqu’aux coudes : spectacle
-repoussant pour tout autre que des affamés ;
-car l’eau était si précieuse que le vieux Ali
-n’avait pas lavé ses mains depuis plusieurs
-jours. Quoique ce breuvage fût tiède et
-fort sale, nous le bûmes à longs traits et
-avec délices.</p>
-
-<p>« Après s’être désaltérés, les Maures visitèrent
-leur bagage et les plaies de leurs
-chameaux, faisant écouler le sang et le pus,
-coupant les chairs mortes, couvrant les
-chairs vives de sel pour empêcher la gangrène.</p>
-
-<p>« Quelquefois c’était en sortant de panser
-ces plaies, que Sidi-Ali venait préparer notre
-breuvage sans même se nettoyer les mains,
-ou si, par hasard, il les lavait, il faisait
-boire à un de ses noirs l’eau dont il s’était
-servi. On ne peut pas s’imaginer l’horreur
-et le dégoût que me causait le mépris de
-cet homme pour ses semblables. »</p>
-
-<p>Le 22 mai, le vent d’est continue d’échauffer
-l’atmosphère : la soif augmente
-avec la chaleur, et l’eau diminue sensiblement.
-Le vent dessèche les outres : l’eau
-filtre à travers les pores. Abdallahi essaie
-d’acheter quelques outres de plus ; mais les
-outres n’ont plus de prix. Il se résigne à se
-traîner, dans les haltes, d’une tente à l’autre,
-et à mendier, le chapelet à la main,
-quelques gouttes d’eau <i>pour l’amour de
-Dieu</i>. Le moment était mal choisi ; le pauvre
-mendiant augmentait, en pure perte,
-sa soif et sa lassitude.</p>
-
-<p>Le 23, le vent d’est soulève des trombes
-de sable qui, dans leur course, menacent
-de balayer hommes et chameaux tous ensemble.
-L’une de ces trombes fait tournoyer
-les tentes, comme des brins de paille. Le
-sable soulevé cache le ciel et le soleil,
-comme un brouillard épais ; les gémissements
-sourds et plaintifs des chameaux répondent
-aux lamentations des noirs et aux
-cris d’effroi des fidèles qui répètent de toutes
-parts : <i>Allah il allah</i>, etc. (Dieu est Dieu,
-et Mahomet est son Prophète.)</p>
-
-<p>« Tout le temps que dura cette affreuse
-tempête, nous restâmes étendus sur le sol,
-sans mouvement, mourant de soif, brûlés
-par le sable et battus par le vent. Le calme
-rétabli, nous nous disposâmes à partir ; on
-prépara le doknou et l’on nous distribua à
-boire. Pour savourer le plaisir que me promettait
-ma portion d’eau, je mis la tête
-dans ma calebasse ; je ne prenais pas même
-le temps de respirer ; j’éprouvai aussitôt un
-malaise général et presque la même soif. »</p>
-
-<p>Vers quatre heures, les chameaux, agitant
-lentement le cou et ruminant, reprirent
-tristement leur marche vers le nord,
-sans que l’on eût besoin de leur montrer le
-chemin, sur un terrain sablonneux, couvert
-de roches de quatre à cinq pieds de hauteur.</p>
-
-<p>Les hommes, envoyés le 22, à la recherche
-des puits, ne revenaient pas. Après une journée
-perdue à les attendre, on fait route
-de 24 vers quatre heures du soir, toujours
-vers le nord, sur un sol plus uni que la
-veille, mais également couvert de roches.
-Cette nuit-là, pas un œil ne se ferme, et la
-caravane marche en avant sans autre bruit
-que le piétinement des chameaux : les conducteurs
-eux-mêmes se taisent et se relaient
-plus souvent que de coutume.</p>
-
-<p>Le 25, vers neuf heures du matin, on fait
-halte dans une plaine de sable dur où croît
-un peu d’herbe, aussitôt dévorée par les
-chameaux. « Il ne restait plus qu’une outre
-et demie d’eau pour onze bouches ; on devenait
-de plus en plus économe. Après avoir
-bu quelques gouttes d’eau, l’on s’étendit à
-terre, en attendant les hommes envoyés à
-la provision. Vers dix heures, ces malheureux
-arrivèrent, à moitié morts de soif. »
-Les puits tant cherchés, trouvés enfin et
-déblayés, étaient à sec. « Pressés par une
-soif ardente, ils s’étaient décidés à tuer un
-chameau <i>pour se partager l’eau contenue
-dans son estomac !</i></p>
-
-<p>« Vers quatre heures du soir, après avoir
-bu le reste de notre eau, la caravane, plus
-altérée que jamais, se remit en rente. Vers
-neuf heures, on fit, comme à l’ordinaire,
-halte pour la prière ; un Maure, qui nous
-accompagnait, nous donna à chacun un
-peu de son eau. La nuit comme les précédentes
-fut très-chaude. »</p>
-
-<p>Enfin, le 26, après avoir marché toute la
-matinée sur un sol dur, couvert de roches
-rouges ou noires et feuilletées, après avoir
-gravi une côte de trois à quatre cents pieds,
-on descend dans un bas-fond de gros sable
-jaune, entouré de montagnes roses. Là,
-sont les puits de Télig, comblés par le sable.
-« Les Maures se mirent aussitôt à les déblayer,
-et, pour la première fois depuis
-sept jours, l’on fit boire les pauvres chameaux
-qui, sentant le voisinage de l’eau,
-étaient indomptables. Quand on les chassait
-à coups de cordes, ils couraient dans la
-campagne et revenaient en ruminant s’accroupir
-autour des puits et poser leur tête
-sur le sable frais qu’on en retire. La première
-eau fut très-noire et bourbeuse, et
-malgré la quantité de sable qu’elle contenait
-encore, les chameaux se la disputaient
-avec acharnement. Ces puits dont l’eau est
-très-abondante, mais saumâtre, n’ont pas
-plus de trois à quatre pieds de profondeur.</p>
-
-<p>« Lorsque l’eau fut buvable, j’allai mettre
-ma tête entre celles des chameaux, un
-Maure me donna à boire dans son seau de
-cuir, car on n’avait pas pris le temps de
-déballer les calebasses. »</p>
-
-<p>Ce jour, véritable fête pour les chameaux,
-est employé tout entier à les faire boire :
-ils ne pouvaient se désaltérer et se disputaient
-dans l’auge jusqu’à la dernière
-goutte ; les Maures, occupés de leurs chameaux,
-ne songeaient pas à dresser les
-tentes ; le vent d’est qui soulevait des tourbillons
-de poussière, et un soleil ardent,
-sans abri, gâtent un peu les plaisirs de
-cette journée ; toutefois l’abondance de
-l’eau permet de faire cuire un peu de riz :
-premier repas, depuis le 19 au soir.</p>
-
-<p>Les puits de Télig sont, au dire des
-Maures, à quatre ou cinq heures de marche
-(à l’est) des mines de Toudéni, d’où se tirent
-les planches de sel qui s’importent de Tombouctou
-à Jenné et ailleurs.</p>
-
-<p>Le 27, départ vers trois heures du soir ;
-et deux heures après, halte sur une veine
-de sable gris mouvant. Quelques pieds
-d’herbages épineux soulagent un peu les
-chameaux, qui n’ont presque rien mangé
-depuis sept jours. Avant de quitter les puits,
-on avait tué deux de ces animaux<a id="FNanchor_33" href="#Footnote_33" class="fnanchor">[33]</a> qui
-ne pouvaient aller plus loin, et étaient près
-de périr de fatigue. On distribua cette
-viande à tous ceux qui en voulurent. Elle
-servit pour le souper. Ali en fit bouillir
-quelques morceaux, et dans le bouillon fit
-cuire un peu de riz qui conserva le mauvais
-goût du chameau. Quant à la viande, les
-Maures la dévorèrent avec avidité et si
-dure qu’elle fût, la trouvèrent excellente.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_33" href="#FNanchor_33"><span class="label">[33]</span></a> M. Caillié vit tuer ainsi quatre chameaux
-avant d’arriver au Camp d’Ali.</p>
-</div>
-<p>La chaleur paraît plus supportable au
-voyageur : la soif est désormais moins
-pressante ; l’eau n’est plus aussi rare, les
-puits sont plus rapprochés les uns des autres.
-Le désert ne finit pas ici, mais ici
-finissent ses plus terribles rigueurs.</p>
-
-<p>A mesure que la nature paraît s’humaniser
-et s’adoucir, la cruauté des compagnons
-d’Abdallahi se déploie plus à l’aise.
-En même temps que le soleil et le vent
-d’est deviennent plus traitables, la défiance
-et la dureté de cœur de ces hommes augmentent :
-ils tournent contre le chrétien
-converti le peu de loisir et de gaîté que
-leur laisse à présent leur position meilleure.</p>
-
-<p>L’exemple d’Ali les encourage. Ce propriétaire
-de chameaux, dont les mains
-sales et gercées pétrissaient et délayaient
-si gracieusement la pâte de mil et de miel,
-petit homme de quatre pieds, à la figure
-ridée, aux yeux noirs et méchants, à la
-bouche grande, au menton allongé, à la
-barbe grise, n’était plus, au désert, l’humble
-vieillard qui, les yeux baissés, le chapelet
-à la main, les saintes invocations sur
-les lèvres, avait séduit par ces dehors et
-l’honnête <i>Sidi</i> de Tombouctou et son pieux
-correspondant d’El-Arouan et notre Abdallahi,
-promettant à tous d’avoir pour le pauvre
-voyageur les tendres soins d’un père.
-Que dis-je ? il abusait encore les autres compagnies
-de la caravane, affectant de s’être
-chargé du pauvre pèlerin par pure charité
-musulmane, quand il avait reçu d’avance
-de Sidi en bon et bel or, la valeur de cent
-vingt francs, et d’en avoir tout le soin imaginable,
-au moment même où il venait de
-lui refuser l’eau commune à présent, et
-qu’il ne refusait pas aux esclaves. Si le
-voyageur buvait, Ali fredonnait le petit air
-avec lequel il faisait boire ses chameaux.
-Dans le langage d’Ali, Abdallahi et sa monture
-n’avaient qu’un seul et même nom ;
-dès qu’il avait prononcé le mot de <i>Gageba</i>,
-les noirs, enhardis par la cruelle gaîté des
-Arabes, dansaient autour de l’homme à qui
-s’adressait ce nom de chameau, lui montrant
-tour-à-tour le morceau de bois qu’ils
-avaient ordre de lui passer au nez et la
-branche d’épines qu’ils devaient lui mettre
-dans les yeux. « Tu vois bien cet esclave,
-lui disaient les Maures, eh bien ! je le préfère
-à toi. » Puis esclave et maître, de ricaner
-aux éclats.</p>
-
-<p>Il faut ajouter qu’Abdallahi mangeait à
-part, depuis que ses compagnons de route
-s’étaient aperçus avec horreur qu’il avait
-eu le scorbut. Du reste, il n’avait pu parvenir
-à enlever et faire sauter comme eux le
-riz dans la main, à le pétrir rapidement en
-petites boulettes, et le jeter, en humant,
-dans la bouche. Les Arabes de Jenné entre
-autres, lui voyant renverser à terre quelques
-gouttes de bouillie de mil, s’en étaient
-pris de cette maladresse aux chrétiens, qui,
-disaient-ils, ne lui avaient pas même appris
-à manger décemment. Les Arabes du désert
-moins polis, ouvraient une bouche énorme,
-y plongeaient les deux mains à la fois, avec
-des grimaces hideuses, et criaient de toute
-leur force : « Il ressemble à un chrétien. » — S’il
-leur demandait de l’eau : « Donne-nous,
-répondaient-ils, ton coussabe et ton
-cadenas, et tu auras à boire. » Ce coussabe
-(chemise de coton, présent de Sidi) et ce
-cadenas étaient avec sa couverture de coton
-et son sac de cuir, tout ce qui restait à
-M. Caillié d’apparent. Sa seule ressource était
-de dire à ces Maures que leurs fusils
-venaient de France, — ou bien d’avoir recours
-aux autres compagnies de la caravane.
-Là, questionné à l’envi sur sa conversion,
-sur sa fuite et surtout sur les ridicules
-et les crimes des chrétiens, il voyait ses
-réponses payées d’un peu d’eau, de mil et
-de miel.</p>
-
-<p>Le 3 mai, puits de Cramès, à sec ; le
-1<sup>er</sup> juin, entre plusieurs gros blocs de sel,
-puits de Trasas, eau salée ; le 5, puits d’Amoul-Gragim,
-eau bourbeuse et salée ; le 9,
-puits d’Amoul-Taf, eau douce, mais peu
-abondante : enfin le 12, les chameaux descendent
-avec peine par un sentier étroit
-dans un profond ravin entouré de roches
-énormes : au fond de ce ravin, un joli bosquet
-de dattiers ombrage une eau abondante,
-fraîche et limpide. Il faut avoir marché
-depuis le 4 mai sur un sable nu et brûlant,
-pour savoir quelle volupté attend le
-voyageur à ces puits d’El-Ekseif, et l’arrête.</p>
-
-<p>Le seul incident, depuis les puits de
-Télig, est la visite de quelques gros serpents
-qui inquiètent, à plusieurs reprises,
-le sommeil des voyageurs. J’oublie une
-alerte de la caravane, effrayée par quelques
-chameaux aperçus dans le lointain : alerte
-qui met tous les Maures en armes, et vaut
-au pauvre Abdallahi l’aumône d’un peu
-d’eau et d’un morceau de chameau bouilli
-de la part de trois ou quatre Marabouts en
-prière, restés seuls au camp avec les
-esclaves.</p>
-
-<p>Le 27, après <i>quatorze</i> autres jours de
-marche, de haltes et de départ à toute
-heure du jour et de la nuit (quatorze jours
-pendant lesquels la provision d’eau est renouvelée
-quatre fois), un coup de fusil annonce
-un homme envoyé par Ali qui avait
-pris les devants, et porteur de lettres sur
-l’état des marchés du Tafilet.</p>
-
-<p>Dans les défilés de hautes montagnes où
-la caravane est engagée, le chameau qui
-porte Abdallahi se prend de peur, fait un
-écart et jette le voyageur, les reins sur le
-gravier. Un Maure vint à son secours, le
-prit dans ses bras et le soulagea beaucoup
-en le serrant fortement contre sa poitrine.
-Ce Maure, qui n’était pas de la société d’Ali,
-le remit lui-même sur le chameau, qu’il fit
-coucher pour cela. J’omets les souffrances et
-les avanies que cette terrible chute occasionne
-au voyageur resté seul sur sa monture,
-dans les passages escarpés de l’Atlas.</p>
-
-<p>Le 29, rencontre des femmes et des enfants
-des Maures, accourus du camp d’El-Harib
-au-devant de leur mari, de leur père :
-scène de joie et de caresses, qui réconcilie
-un moment le voyageur avec ses odieux
-compagnons de voyage. — A 9 heures,
-arrivée aux douze ou quinze tentes d’Ali
-et de sa famille : un de ses fils emprunte à
-M. Caillié sa couverture de coton pour
-faire meilleure figure à son retour auprès
-de ses parents et de ses connaissances.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch10">EL-HARIB.</h2>
-
-
-<p>Le séjour de M. Caillié au camp d’Ali
-n’est pas des plus agréables. Le voyageur,
-à part quelques bons morceaux de mouton
-cuit à point sous des pierres chaudes, est
-astreint par son avare guide à un régime
-de mil bouilli et de dattes aussi dures que
-le fer. Pour échapper aux douleurs que ces
-dattes lui causent et aux plaies dont elles
-menacent son palais, il mendie d’une tente
-à l’autre quelques gouttes de lait de chameau.
-Il est réduit à chercher, contre les
-incroyables vexations des fils et des filles
-d’Ali, un refuge sous la tente d’un pauvre
-vieux forgeron, dont la vieille mère le prend
-en pitié : ce vieux forgeron avait fait le
-voyage de la Mecque et était très-vénéré
-pour cela.</p>
-
-<p>Par bonheur, la réputation de ses médicaments,
-tout en lui attirant d’assez fâcheuses
-corvées, contribue aussi à lui redonner
-un peu d’importance.</p>
-
-<p>Un exemple vous donnera une idée des
-connaissances médicales d’El-Harib : c’est
-celui d’un saint-docteur musulman auquel
-M. Caillié, pour faire diversion à ses maux,
-se fait un devoir de rendre visite à une
-lieue de là. Il le trouve entouré de vieillards
-et de la foule d’infirmes et de malades,
-accourue de tous côtés. Pour tout remède,
-le saint homme posait gravement la main
-sur la partie malade, puis la frottait doucement
-en marmotant une prière. — Cet
-homme n’avait pour tout bien que la connaissance
-du Coran ; mais, ajoute le voyageur,
-en Afrique, cette connaissance vaut
-une métairie. Elle lui attirait de toutes
-parts des étoffes pour ses habits et ses tentes ;
-il ne manquait ni de monture, ni d’orge
-pour sa nourriture et celle de ses amis. Il
-recevait tout cela en échange de ses écritures,
-dont la puissance magique arrêtait,
-disait-on, les maladies présentes, préservait
-des maladies à venir, éloignait les voleurs.</p>
-
-<p>Arrivé le 29 juin, M. Caillié repart le
-12 juillet à cinq heures du matin, sans
-autre déjeuner qu’un peu de lait acheté
-avec un grain de verre de son chapelet :
-escorté par les <i>Berbers</i>, sans lesquels on ne
-peut faire un pas en sûreté dans ces dépendances
-de l’empire de Maroc.</p>
-
-<p>Le 23 juillet, après avoir traversé de magnifiques
-forêts de dattiers qui recouvrent
-des récoltes d’orge, de froment, de légumes ;
-après avoir senti les dents des chiens qui
-défendent l’approche des tentes des Berbers,
-avoir visité par distraction la petite ville de
-Mimeina, et marché plus d’une semaine au
-milieu de bergers montagnards ; bien reçu
-par les uns, mal mené par les autres, dévotieusement
-rasé par Ali lui-même, protégé
-du reste contre cet homme par la présence
-de deux religieux arabes que le vieil avare
-nourrit, héberge et voiture, et auxquels il
-serait bien fâché de paraître mauvais musulman ;
-Abdallahi arrive enfin à Ghourland,
-chef-lieu du Tafilet. Pendant que la foule
-des Maures et des Juifs, sales et mal vêtus,
-entoure le bagage de la caravane, lui, prend
-sur son épaule son sac de cuir, et suit son
-guide chez le chef de la ville.</p>
-
-<p>Le temps qu’il reste en cette ville, il
-prend humblement à la porte de ce chef, ses
-rares et maigres repas, composés de bouillie
-d’orge, de quelques onces de pain et des
-dattes : en un mot, la nourriture des esclaves.
-Cependant un Maure, qui sait les trois
-premières règles de l’arithmétique, qui possède
-une montre et aussi une boussole (laquelle,
-selon M. Caillié, aurait appartenu
-au major Laing) — prend en amitié le dévot
-égyptien, et lui fait oublier quelquefois ses
-peines ; il lui parle des connaissances européennes
-qu’il admire, tout en abhorrant les
-<i>chrétiens</i> (non sur la parole d’autrui, mais
-pour les avoir vus de près au cap Mojador
-et à Maroc). Il lui dit, un jour, qu’il était à
-Tripoli, au moment où Bonaparte était en
-Égypte, et lui demanda son âge. Couvert
-de haillons, noirci par le soleil et malade,
-M. Caillié lui persuada sans peine qu’il
-avait trente-quatre ans.</p>
-
-<p>La seule maison où le voyageur soit
-admis est celle d’un Juif qui lui change une
-pièce anglaise de vingt-quatre sous. Ici
-commence l’emprisonnement des femmes ;
-elles ne sortent qu’enveloppées de la tête
-aux pieds.</p>
-
-<p>Le 2 août, après bien des démarches
-vaines auprès du Bacha, après avoir vendu
-sa dernière chemise au marché, le voyageur
-se remet en route, sur un âne, à quatre
-heures du soir. Le caravane d’ânes et
-de mulets, dont sa monture fait partie, est
-honorée de la présence de quelques marchands
-de dattes de la race de Mahomet,
-Chérifs devant lesquels les musulmans et
-les Juifs même ne passent pas sans ôter et
-prendre à leurs mains leurs sandales, avec
-une inclinaison respectueuse. Abdallahi,
-dans ce trajet, vit le plus souvent de leurs
-restes. Une autre bonne fortune est celle
-qui lui donne pour compagnon de route un
-favori de l’empereur, lequel escorte sa
-femme dérobée aux regards sous un pavillon
-d’écarlate, et voyage avec assez de
-libéralité.</p>
-
-<p>Du reste, le voyageur n’est pas heureux
-dans les épreuves auxquelles il met la charité
-et la patience des musulmans, soit qu’il
-quête, le chapelet à la main, des dattes par
-les villes et villages : soit qu’il fatigue de
-sa toux opiniâtre les voyageurs couchés
-comme lui à terre, à la porte des églises
-musulmanes.</p>
-
-<p>A cela près, les jardins fruitiers, entourés
-de murs ou de fossés, qui bordent la
-route, délassent délicieusement ses yeux,
-auxquels sont encore tout présents les plaines
-arides qu’il vient de traverser. Les
-figuiers, les poiriers, les abricotiers, les raisins
-et les roses lui feraient prendre le Tafilet
-pour le paradis terrestre, si les hautes et
-nombreuses montagnes qui barrent le passage
-à l’horizon, ne lui annonçaient que ses
-fatigues ne sont pas terminées, et qu’à
-défaut de force, il va lui falloir du courage
-encore.</p>
-
-<p>La 11 août, ânes, mulets et hommes,
-également épuisés, arrivent à Soforo, petite
-ville murée comme les autres, dans une
-belle plaine de maïs et d’oliviers. Ce que
-M. Caillié y vit de plus remarquable, ce
-sont deux moulins à eau et, à la tour de la
-mosquée, une mauvaise horloge. Il avait
-troqué la veille, contre de l’eau et un petit
-gâteau de froment à l’anis, sa dernière emplâtre
-de diachylon, pour le mal de pied
-d’un Chérif.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch11">FEZ ET MÉQUINAZ.</h2>
-
-
-<p>Le 12 août vers midi, il entre à Fez avec
-les Juifs qui se rendaient au marché en
-grand nombre. Les deux jours que le voyageur
-passe en cette ville (la plus belle, dit-il,
-qu’il ait vue en Afrique), il couche à
-l’écurie, seule hôtellerie des étrangers, à
-côté des ânes et des mulets, et va prendre
-ses repas à la mosquée.</p>
-
-<p>Sans nous arrêter davantage à Fez, prenons
-le chemin de Méquinaz, où M. Caillié
-se rend sous prétexte de parler à l’empereur.
-Partis le matin à sept heures (14 août),
-nous arrivons à cinq heures du soir, en
-compagnie de deux Mauresses à demi voilées,
-très-blanches et très-rieuses. M. Caillié
-en avait une en croupe sur sa mule. La
-journée avait été assez gaie : le pauvre
-cavalier avait vu ses soins payés d’une
-tranche de melon et d’un morceau de pain.</p>
-
-<p>Repoussé de l’écurie sur la paille de
-laquelle il demande la permission de s’étendre,
-enviant son gîte à la mule qui l’avait
-porté, le voyageur s’était établi pour sa
-nuit dans la maison de Dieu ; étendu à
-terre, il commençait à goûter du repos,
-quand le portier du saint lieu vint le pousser
-rudement du pied et lui crier d’une
-voix rauque de se lever et de sortir ; prenant
-son sac de cuir, il sortit sans savoir
-où poser sa tête. Il pensa tristement aux
-pièces d’argent et aux quatre boucles d’or
-de Bouré qui lui restaient, et qu’il était
-obligé de cacher. Il était si faible qu’à la
-vue de tant d’humiliations et de fatigues,
-il ne put retenir ses larmes. Un marchand
-de légumes lui permit à grand’peine de
-s’abriter sous sa boutique : mais le froid ne
-le laissa pas dormir.</p>
-
-<p>Le lendemain matin, M. Caillié, son sac
-sur le dos, se dirige à pied vers <i>Rabat</i><a id="FNanchor_34" href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a> ;
-mais ses jambes refusent de le porter, il
-revient à Méquinaz. Cette fois, un bon barbier
-lui donne hospitalité. Le 16, il repart,
-sur un âne : si faible qu’il ne peut y monter
-seul. Le 17, halte, vers midi, au milieu
-d’un camp militaire, qu’il quitte le 18, à
-trois heures du matin ; le même jour, nous
-arrivons à Rabat.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_34" href="#FNanchor_34"><span class="label">[34]</span></a> Ou <i>Arbate</i>.</p>
-</div>
-<p>Les Maures, à qui le voyageur présente
-quelques pièces anglaises à changer, le
-renvoient aux chrétiens, et lui indiquent le
-<i>Consul</i> de France : « Je frappai à la porte,
-et le cœur me battit, en pensant que j’allais
-voir un Français. »</p>
-
-<p>Le consul où plutôt l’<i>agent consulaire</i>
-pour la France, à Rabat, était un Juif. Ce
-Juif fait subir un interrogatoire au voyageur,
-lui donne quelques sous sur ses pièces
-anglaises, lui recommande la prudence,
-et l’envoie dîner dans la rue et coucher à
-l’écurie. Mais, la prudence elle-même interdit
-ce gîte à M. Caillié. Les chiens qui
-font la nuit la police de la ville, le forcent
-d’aller chercher le repos dans un cimetière
-au bord de la mer. Ses repas consistaient
-en pain et raisin : quelquefois, ajoute-t-il,
-je me permettais d’acheter un morceau de
-poisson frit.</p>
-
-<p>M. Caillié avait vu avec douleur un brick
-portugais partir pour Gibraltar, sans avoir
-pu obtenir de l’agent consulaire la faveur
-d’y être embarqué. Le 2 septembre, après
-quinze jours de ce fatigant vagabondage et
-de vaine attente, M. Caillié écrit au vice-consul
-de France à Tanger, et, pouvant à
-peine se tenir, se met lui-même en route
-pour cette ville. L’âne qui le porte enfonce
-jusqu’aux jarrets dans un sable mouvant,
-le long de la mer, et l’oblige à descendre.
-Dans une halte, le voyageur, enveloppé de
-sa vieille couverture, essuie un violent accès
-de fièvre.</p>
-
-<p>A Larache, il voit deux bâtiments français
-en croisière. Cette vue lui donne des forces.
-« Les montagnes, qui avoisinent
-<span class="sc">Tanger</span>, me furent, dit-il, bien pénibles à
-gravir. Enfin, malade et exténué de fatigues,
-j’atteignis cette ville le 7 septembre
-à la nuit tombante. »</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch12">TANGER.</h2>
-
-
-<p>« Comme j’entrais à pied, la sentinelle ne
-me dit rien, ce qui m’évite une explication
-avec le gouverneur.</p>
-
-<p>« Je déposai mon sac à l’écurie, et dès le
-même soir, je courus dans la ville pour
-découvrir le consulat de France. Je vis
-plusieurs mâts de pavillon : l’obscurité
-m’empêcha de reconnaître le nôtre. Je
-n’osais m’adresser aux musulmans. Je passai
-à l’écurie une nuit bien agitée…</p>
-
-<p>« Rendu, le lendemain, dans la rue où
-j’avais vu les mâts de pavillon, j’aperçus
-une porte ouverte. Un <i>chrétien</i> était auprès ;
-après avoir regardé autour de moi,
-je lui demandai, en anglais, la résidence
-du consul britannique : « Vous y êtes, »
-répondit-il ; je voulus entrer ; mais cet
-homme s’y opposa en me repoussant avec
-horreur, tant j’étais sale et défiguré. Je lui
-demandai la demeure de notre consul : il
-me répondit brusquement : <i>Il est mort.</i> Mais
-un Juif qu’il appela m’enseigna la porte du
-vice-consul, et d’un air curieux me demanda
-qui j’étais et ce que je voulais à un <i>chrétien</i>.
-Sans lui répondre je m’éloignai un peu…
-Je retournai, quelques minutes après, à la
-porte du vice-consul, et, comme elle était
-entr’ouverte, j’y entrai : une femme juive
-appela M. <i>Delaporte</i> qui me reçut avec empressement,
-et me fit monter dans un appartement
-où je ne pouvais être aperçu de
-personne… Dans son transport, il alla jusqu’à
-m’embrasser et à me serrer dans ses
-bras, sans répugnance pour ma personne
-ni pour les sales lambeaux dont j’étais couvert.
-Enfin, je ne saurais trop parler de la
-réception que me fit cet homme généreux. »</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch13">RETOUR.</h2>
-
-
-<p>Le voyageur ne passe plus qu’une seule
-nuit à l’écurie, et rentre au consulat par
-une porte de derrière : M. Delaporte obtient<a id="FNanchor_35" href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a>
-du commandant de la station navale
-française, à Cadix, une goëlette sur
-laquelle, le 28 septembre, notre compatriote
-s’embarque pour Toulon, déguisé en
-matelot.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_35" href="#FNanchor_35"><span class="label">[35]</span></a> « M. Caillié s’est présenté à moi sous le costume
-d’un derviche mendiant, costume qu’il ne
-démentait pas, je vous assure. Il a simulé pendant
-son voyage le culte mahométan. Si les Maures le
-soupçonnaient chez moi ou au consulat, ce serait
-un homme perdu ; je réclame donc de votre humanité,
-de votre amour, de votre admiration pour les
-grandes entreprises, de m’aider à sauver cet intrépide
-voyageur, en m’envoyant un des bâtiments
-sous vos ordres. »</p>
-
-<p><i>Lettre de M. Delaporte au commandant de la station
-française, à Cadix.</i></p>
-</div>
-<p>Dix jours après, Abdallahi revoyait la
-France. La Société de Géographie, sur les
-bienveillantes sollicitations de M. Delaporte
-et de M. Jomard, tendait la main au
-voyageur : une avance de <i>cinq cents francs</i>
-lui annonçait à Toulon la réception qui
-l’attendait à Paris. Une indemnité provisoire
-de trois mille francs et la croix de la Légion-d’Honneur
-vint, au bout de quelques semaines,
-le rassurer sur les dispositions du gouvernement
-à son égard. Le 5 décembre 1828,
-le <span class="xsmall">PRIX</span> <i>de Tombouctou</i> lui fut adjugé, en
-séance générale.</p>
-
-<p>Pendant que le voyageur arrive au port
-et s’y repose, les choses qu’il a vues sur son
-chemin continuent d’être les mêmes. Sur
-le sol d’Afrique, le bien et le mal sont également
-vivaces : comme les nuages qui
-s’abattent six mois de suite sur les montagnes,
-comme les rivières qui inondent périodiquement
-les plaines, comme le vent
-d’est qui embrase sans interruption le désert ;
-hommes et femmes, enfants et vieillards
-parcourent là constamment le même
-cercle d’habitudes uniformes. Toujours
-même costume, même lit et même table ;
-mêmes huttes enfumées, même musique et
-mêmes danses. Aujourd’hui, comme il y a
-cinquante ans, les noirs voyageurs de Cambaya
-et de Kankan sautent de roche en
-roche au bord des précipices leur long bâton
-à la main et leur longue corbeille de
-sel sur la tête. Ceux de Timé, que leur
-attirail de sonnettes annonce, barbotent
-dans les mêmes marécages avec leurs énormes
-charges de noix de colats, qu’ils portent
-si loin, avec tant de peine et si peu de
-lucre ; les bateaux de Jenné se traînent
-lentement sur le fleuve, au gré du vent ou
-du calme, arrêtés tant de fois par les bancs
-de sable ou les douaniers armés du rivage ;
-et, sur cette terrible plaine de sable, Arabes
-au visage couvert, noirs esclaves et
-chameaux, cheminent toujours, haletant,
-sous le soleil et par les chaudes bouffées du
-vent d’est, après une gorgée d’eau tiède,
-salée ou bourbeuse. Tout cela n’est pas un
-roman, mais de l’histoire. Non pas de l’histoire
-ancienne, mais de l’histoire actuelle
-et vivante.</p>
-
-<p>Si nous entreprenions aujourd’hui de
-parcourir le même itinéraire que M. Caillié,
-nous retrouverions sans doute à chaque pas
-les mêmes types d’hôtes, de guides, de marchands
-exerçant le même négoce si pénible
-et si peu fructueux : l’économe <i>Ibrahim</i>, le
-vieux fourbe <i>Lamfia</i>, l’honnête, le généreux
-<i>Arafanba</i>, <i>Karamo-Osila</i> de Timé, le
-vieux tartufe <i>Ali</i>. Le pauvre vieux maître
-d’école de Cambaya, le pauvre vieux Maure
-de Kankan, la vieille négresse de Timé, le
-Chérif de Jenné, le grave et libéral Sidi-Abdallahi
-de Temboctou, le pauvre vieux
-forgeron d’El-Harib, le bon barbier de Méquinaz
-et tant d’autres que j’oublie.</p>
-
-<p>Si donc nous nous retournions pour embrasser
-d’un coup-d’œil et dans toute sa
-longueur la route où nous n’avons jusqu’ici
-cheminé que pas à pas, voyant peu de chose
-à la fois devant nous et presque rien sur les
-côtés, le spectacle qui s’offrirait à nous ne
-serait pas d’un autre temps, ce serait la
-réalité même que le soleil éclaire à l’heure
-qu’il nous éclaire, à cela près qu’il s’élève,
-là-bas, plus haut au-dessus de l’horizon.</p>
-
-<p>Cette revue, pour être complète, devrait
-suivre la distribution (sur cette longue
-ligne) des terrains, des produits minéralogiques,
-des arbres et des plantes, des diverses
-cultures, des divers ordres d’animaux
-domestiques et sauvages.</p>
-
-<p>Arrêtons-nous seulement à considérer les
-différents peuples que nous venons de visiter.
-Les différences, qui se présentent d’abord,
-sont celles de la couleur de la peau :
-le teint noir, marron ou bronzé ; les cheveux
-crépus et les cheveux lisses. — Après
-cela, la classification la plus naturelle est
-celle des peuples gais et des peuples sérieux :
-de ceux qui ont un système de croyances
-bien arrêté, un lieu commun de pratiques
-journalières ou annuelles, un but pareil
-en cette vie et en l’autre, une seule et
-même ambition, une seule et même loi et
-de ceux qui n’ont rien de tel. Sur toute
-cette ligne, la religion de ceux qui en ont
-une, est la musulmane ; la juive ne commence
-à se montrer que dans l’empire de
-Maroc. Encore ceux qui n’ont pas de religion
-constituée, reçoivent avec le plus grand
-respect tout ce qui leur vient de la musulmane.
-Musulmans et autres, noirs marrons
-ou bronzés, tous ils s’accordent dans leur
-croyance au pouvoir magique de l’écriture
-(de l’écriture arabe, la seule qu’ils connaissent) ;
-à la puissance miraculeuse des formules
-coraniques.</p>
-
-<p>Du reste, parmi les <i>Fidèles</i>, nul doute
-sur la mission du Prophète, sur la divine
-origine du Saint-Livre, sur l’autre vie, le
-paradis et l’enfer. La dévotion est là bien
-souvent tout en mouvements automatiques
-des bras et des lèvres, mais la foi est aussi
-profonde qu’aveugle. Ils s’arrêtent devant
-une bouchée de porc, devant une goutte de
-bière ou d’eau-de-vie, comme devant le
-précipice qu’ils voient de leurs yeux. Chacun
-croit de sa religion ce qu’il en sait et
-tout ce qu’il en sait, plutôt plus que moins.
-Ils n’en discutent ou n’en démontrent pas
-plus la vérité qu’ils ne discutent ou démontrent
-la présence du soleil à l’heure de midi, et
-son influence bienfaisante ou terrible.</p>
-
-<p>Cette religion n’est pas de nature à les
-animer d’un zèle bien vif pour l’exploitation
-de notre planète et l’amélioration du
-sort des hommes dans leur terrestre séjour.</p>
-
-<p>Dans ces régions, l’industrie, qui satisfait
-bien juste aux besoins les plus pressants,
-est presque entièrement abandonnée
-aux esclaves<a id="FNanchor_36" href="#Footnote_36" class="fnanchor">[36]</a>, et ne s’exerce que sur les
-produits qui s’offrent pour ainsi dire d’eux-mêmes.
-Le minerai de fer qui se ramasse
-en beaucoup d’endroits à fleur de terre, l’or
-qui, principalement autour de Bourré, invite
-au lavage du sable, le sel qui se voit
-par bloc dans le désert, la glaise qui fournit
-les briques et les poteries, — telles sont les
-seules ressources empruntées directement
-au sol même.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_36" href="#FNanchor_36"><span class="label">[36]</span></a> Notamment l’agriculture, laquelle n’emploie
-qu’un seul outil, pioche à manche incliné.</p>
-</div>
-<p>Les autres opérations (tannage, tissage,
-fabrication de savon, etc.) sont celles que
-la culture grossière du pays ou la garde des
-troupeaux indiquent dès l’abord, ou bien
-sont venues à la suite des conquêtes musulmanes.</p>
-
-<p>Quant aux productions de l’industrie
-européenne, de l’industrie anglaise surtout,
-elles arrivent là sans éveiller la moindre
-émulation. Il y a trop d’intermédiaires inconnus
-entre une simple aiguille telle
-qu’elle sort de nos fabriques et le morceau
-de fer d’où les Africains savent que nos ouvriers
-la tirent. A Timé, un des fils de son
-hôtesse, montrant à M. Caillié un morceau
-d’étoffe de couleur, donné par le voyageur
-à la bonne vieille, lui demanda qui avait
-fait ces fleurs sur l’étoffe. Apprenant que
-c’étaient les blancs, il reprit en conservant
-son sérieux : « qu’il croyait qu’il n’y avait
-que Dieu qui pût faire d’aussi belles choses. » — Il
-ne leur vient pas à l’idée de
-rivaliser avec les blancs.</p>
-
-<p>Tous, ils aspirent à se donner le moins de
-mouvement possible, non pas, comme les
-européens en faisant faire leur ouvrage à
-l’air, à l’eau, à la vapeur : mais en augmentant
-le nombre des machines humaines qui
-manœuvrent pour eux, à leur commandement.</p>
-
-<p>La seule activité est l’activité commerciale.
-Et ici encore, malgré les fatigues de
-la marche et le poids des fardeaux, aucune
-idée d’amélioration ne se fait jour. Il n’est
-pas question de chemins. Quant aux rivières,
-elles se passent le plus souvent à gué ;
-c’est grand hasard, si quelques ponts chancelants
-dispensent parfois de ces dangereuses
-traversées. Les transports sont lents et
-pénibles, sur la tête des hommes et des
-femmes, ou tout au plus à dos d’ânes, de
-mulets où de bœufs à bosse, ou, dans le
-désert, de chameaux. Le cheval paraît
-réservé pour la selle. Quant à la navigation
-sur le fleuve, il suffit de nous rappeler
-qu’elle est, comme l’agriculture, stationnaire
-et par la même raison.</p>
-
-<p>Nulle idée du mieux, nulle recherche,
-nulle invention : aucune initiative de réforme ;
-aucune direction scientifique et
-utilitaire ; règne absolu des habitudes anciennes ;
-règne absolu des <i>vieillards</i> qui
-les représentent, et par qui la chaîne des
-traditions est tenue entre les générations
-mortes et les générations naissantes.</p>
-
-<p>Hommes et femmes, enfants et vieillards
-ont, à l’avance, chacun leur rôle, et le
-répètent tel que l’ont dit leur père et leur
-mère, tel que le répéteront leurs fils et leurs
-filles. Les choses sont, pensent-ils, pour
-être comme elles sont ; et de fait, elles sont
-comme elles ont été. Tel homme ou telle
-femme sont nés pour être menés au marché
-et criés à l’enchère, quand tel autre homme
-où telle autre femme ont besoin de <i>faire de
-l’argent</i>, — ou bien pour être donné en
-<i>indemnité</i>, en <i>paiement de bail</i>, en <i>dot</i>.
-Tout cela leur paraît invariablement arrêté
-pour jamais, comme le cours de la lune par
-lequel ils comptent les mois et les années.
-Il en est de même de l’assujétissement de
-la femme à l’homme.</p>
-
-<p>Leurs courses commerciales leur montrent
-partout mêmes couleurs de peau et
-mêmes coutumes religieuses ou civiles, ne
-portent pas à leurs illusions la moindre
-atteinte : enchantés de leur pays, ils supposent
-que nous autres blancs, nous habitons,
-tous sous un même chef, quelques misérables
-îles au milieu de la mer<a id="FNanchor_37" href="#Footnote_37" class="fnanchor">[37]</a>, et que
-nous aspirons à nous emparer de leurs belles
-campagnes. Pour eux, non pas seulement
-l’Amérique, mais l’Europe elle-même
-est encore à découvrir.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_37" href="#FNanchor_37"><span class="label">[37]</span></a> Cette idée provient sans doute de leurs relations
-avec les Anglais de la côte.</p>
-</div>
-<p>— Quant au voyageur, nous savions d’avance
-que son récit ne répondrait le plus
-souvent aux questions des savants que par
-des renseignements vagues ; s’il cite des
-champs de fleurs blanches, le botaniste
-voudrait qu’il en décrivît les étamines et le
-pistil, qu’il en déterminât le genre et l’espèce ;
-s’il rencontre à plusieurs reprises des
-pierres auxquelles il suppose une origine
-volcanique, le minéralogiste voudrait savoir
-si ce sont des trachites ou des basaltes,
-etc. Ces questions ont leurs conséquences.
-M. Caillié note avec le plus grand soin la
-nature du terrain tel qu’il croit pouvoir la
-déterminer à la simple vue. Mais on sait
-que, pour ces sortes d’observations, il ne
-suffit pas toujours de voir, il faut toucher,
-et toucher avec les pierres de touche que
-les découvertes chimiques mettent aux
-mains des observateurs. Il en est de même
-des autres remarques d’histoire naturelle,
-de géologie, de pathologie, comme aussi
-de langues et de mœurs. M. Caillié n’est ni
-linguiste, ni moraliste, ni naturaliste, ni
-chimiste, ni géologue, ni médecin. Toutefois,
-c’est un courageux éclaireur qui a
-dénoncé à l’attention de l’Europe des peuples
-et des pays oubliés. Son exemple trouvera
-et a trouvé déjà des imitateurs.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch14">LA CHASSE AU LION.</h2>
-
-
-<p>Le plus bel animal de la création, à mon
-avis, c’est le lion. Il est l’image de la force
-intellectuelle chez la bête, de l’audace et du
-raisonnement : de la force, parce que nul
-mieux que lui ne peut résister à tous les quadrupèdes ;
-de l’audace, parce qu’il est doué
-de cette qualité au suprême degré ; et enfin
-du raisonnement, parce qu’il sait être généreux
-ou cruel, suivant l’occasion.</p>
-
-<p>De toutes les ménageries connues, de toutes
-les cages des jardins zoologiques du
-monde, le plus beau spécimen de lion qui
-ait jamais existé depuis vingt ans était et
-est encore, sans contredit, le lion Brutus,
-appartenant au dompteur Peson, que tout
-Paris a vu et admiré. Ce monstrueux animal,
-qui eût pu, d’un coup de griffe, arracher
-la poitrine de celui qui le cravachait à
-certains moments de la représentation belluaire,
-se contentait de hausser la crinière
-et de cligner de l’œil, preuve évidente qu’il
-dédaignait ce sentiment qu’on appelle la
-vengeance.</p>
-
-<p>Le roi des animaux a, comme qualité inhérente
-à son espèce, l’affection la plus cordiale
-pour sa famille et pour ses enfants,
-mais je n’en dirai pas autant de sa compagne,
-qui assiste bien souvent, placide et
-impassible, à un combat entre son « époux »
-et un rival préféré.</p>
-
-<p>La race léonine tend à disparaître comme
-celle de tous les carnassiers dangereux.
-Nous sommes loin de l’époque où cinq
-cents lions étaient introduits à la fois dans
-l’amphithéâtre-cirque de Rome, — lors de
-l’inauguration du second consulat de Pompée,
-pour y être massacrés par les belluaires
-ou déchirés par leurs congénères. C’est
-Pline qui affirme le fait : on doit le croire.</p>
-
-<p>Les lions africains sont les seuls connus,
-car c’est seulement sur le sol torride de cette
-partie du monde que naissent et grandissent
-les rois des animaux. Les voyageurs dans
-l’Afrique australe ont publié de nombreuses
-descriptions de leurs chasses aux lions. Anderson,
-Gordon Cumming, Jules Gérard,
-Bombonnel, Chassaing, Chéret, Livingstone
-ont tous été les héros de ces chasses excentriques
-qui demandent de l’audace et encore
-de l’audace. Les récits de ces « entreprises
-aventureuses » ont été publiés dans des volumes
-qui, à eux seuls, forment des bibliothèques.
-Je ne raconterai pas ce que l’on
-peut trouver dans les livres de ces voyageurs
-émérites. Je crois plus opportun de
-donner ici de l’inédit et je trouve cet élément
-de succès dans la correspondance
-d’un de mes amis — un héros inconnu — qui
-a voyagé dans l’Afrique australe et a
-rapporté de ces excursions lointaines des
-documents à l’aide desquels on peut intéresser
-le public le plus blasé.</p>
-
-<p>« La première fois que le rugissement du
-lion frappa mon oreille, je fus saisi d’une
-terreur insurmontable. J’étais couché sous
-ma tente de voyage et je me levai d’un
-bond pour mieux écouter au dehors.</p>
-
-<p>» Je ne m’étais pas trompé : c’était bien
-le cri rauque du roi des animaux. Le quadrupède
-ne devait pas être à plus d’un mille
-de notre campement. Je compris que le
-carnassier avait senti les émanations de
-nos chevaux et des bœufs destinés à traîner
-les chariots sur lesquels se trouvait notre
-bagage. Il fallait se mettre en état de défense,
-et j’ordonnai à mon guide boschiman
-de prendre les précautions nécessaires. Il se
-hâta de faire resserrer le cercle formé par
-les véhicules, au centre desquels il ramena
-les moutons et les bêtes de trait. Cela fait,
-nous attendîmes, perchés sur les chariots,
-l’approche du ou des carnassiers, car il
-nous semblait que les ennemis de notre
-repos étaient en nombre.</p>
-
-<p>» Les rugissements léonins se rapprochèrent
-de plus en plus ; à un moment
-donné, cependant, le silence se fit. C’était
-une menace imminente : le danger était
-devant nous. Mais où le voir, où le deviner ?
-La nuit était obscure, quoique parfois la
-lune se montrât à travers les nuages. Pendant
-une de ces « éclaircies, » un natif
-placé près de moi pour me passer mes armes
-de chasse et les charger au besoin me
-poussa le coude et me dit dans son langage :</p>
-
-<p>»  — Là ! derrière cet arbre touffu, à droite,
-il est là. C’est un <i>mangeur d’hommes</i>. »</p>
-
-<p>» Je regardai : en effet, un énorme lion,
-rampant à travers les jungles, s’avançait
-dans notre direction. Un rugissement épouvantable
-retentit de nouveau, qui me fit
-frémir de la tête aux pieds.</p>
-
-<p>» Je distinguai aussitôt les cris de deux
-de mes Boschimen, et un instant après l’un
-d’eux, nommé Raft, arriva en courant près
-de moi, sans pouvoir prononcer une parole,
-tant sa terreur était grande. Ses yeux sortaient
-de leurs orbites. Enfin il s’écria :</p>
-
-<p>»  — Le lion ! le lion ! Il a emporté Tato
-et l’a enlevé près du feu, à mes côtés. J’ai
-frappé à la tête le terrible animal avec un
-tison enflammé, mais il n’a pas voulu lâcher
-sa proie. Tato est mort ! Grand Dieu !
-Tato est bien mort ! Courons à la recherche
-de son cadavre. »</p>
-
-<p>« En entendant ces paroles, tous mes
-hommes se ruèrent vers le feu et s’emparèrent
-de brandons enflammés.</p>
-
-<p>» Je ne pus m’empêcher d’exprimer ma
-colère en les voyant agir de la sorte, et je
-leur dis que le lion ferait d’autres victimes
-s’ils ne se tenaient pas tranquilles. Ne fallait-il
-pas prendre des mesures de prudence ?
-Ils comprirent ce raisonnement et se rangèrent
-autour de moi pour écouter mes conseils.</p>
-
-<p>» Je fis d’abord lâcher mes chiens, qui tiraient
-sur leurs chaînes et voulaient s’élancer
-hors du campement ; mais ceux-ci, au
-lieu de se jeter à droite, vers l’endroit où
-s’était réfugié le lion assassin, se précipitèrent
-à gauche, sur une autre piste.</p>
-
-<p>» Nous entendions les chiens aboyer
-avec force, tandis que, de temps à autre,
-les rugissements de l’animal frappaient nos
-oreilles. Parfois le lion s’élançait vers eux
-et les <i lang="en" xml:lang="en">hounds</i> revenaient vers nos chariots.</p>
-
-<p>» Cela dura jusqu’au jour. Dès que le
-crépuscule nous permit de voir à quelques
-pas devant nous, tous les Boschimen armés
-de fusils s’avancèrent par mes ordres à
-droite, à quatre mètres de distance les uns
-des autres. Je m’étais placé au milieu et je
-formais la pointe du triangle.</p>
-
-<p>» Nous parvînmes ainsi près d’un ravin
-où le lion avait traîné l’infortuné Tato.
-L’un de mes hommes avait trouvé la jambe
-de ce brave camarade, coupée au-dessus du
-genou. Le soulier était encore au pied.
-L’herbe et le buisson étaient couverts de
-sang et les fragments des habits de Tato
-épars çà et là.</p>
-
-<p>» Le lion avait traîné le cadavre de notre
-compagnon à environ six cents mètres de
-notre camp, le long du courant d’eau, au
-milieu d’un taillis de roseaux et d’arbres
-morts emportés par les inondations.</p>
-
-<p>» A des foulées nombreuses, je compris
-que le carnassier n’était pas loin de nous.
-Les chiens débouchés s’élancèrent en avant
-et nous les suivîmes, le doigt sur la détente
-de nos carabines.</p>
-
-<p>» Tout à coup nous nous trouvâmes au
-milieu d’une sorte de clairière à l’extrémité
-de laquelle, adossé contre l’angle d’une
-souche déracinée, était un énorme lion
-tenant sous une de ses pattes les restes informes
-du malheureux Tato et frappant ses
-flancs avec sa queue, dans le paroxysme de
-la fureur, — <i lang="la" xml:lang="la">quærens quem devoret</i>.</p>
-
-<p>» En apercevant l’animal féroce, mon
-sang bouillonnait de rage, mes dents claquaient,
-mais j’étais cependant maître de
-moi. Je me sentais prêt à répondre à l’attaque
-du carnassier s’il s’élançait sur moi.</p>
-
-<p>»  — Tu vas mourir, mon vieux lion ! » lui
-disais-je <i lang="it" xml:lang="it">in petto</i>.</p>
-
-<p>» Et j’épaulai l’animal.</p>
-
-<p>» Une seconde après, j’avais fait feu et
-une balle traversait l’épaule du meurtrier
-de Tato.</p>
-
-<p>» Il tomba sous le coup, puis se releva.
-Je l’achevai en lui logeant une seconde
-balle en plein crâne.</p>
-
-<p>» Lorsque nous pûmes prudemment approcher
-de ce splendide animal, nous reculâmes
-d’horreur. Le ventre du pauvre Tato
-était ouvert et ses entrailles sortaient toutes
-sanglantes. La tête détachée du tronc gisait
-à trois pas du corps : le bras droit était dévoré
-et l’épaule déchiquetée comme avec un
-râteau.</p>
-
-<p>» Le lion fut dépouillé par mes Boschimen,
-et sa peau fut emportée au campement,
-tandis que les amis de Tato creusaient une
-fosse pour l’y enterrer. Au milieu du deuil
-que causa la mort du serviteur fidèle, on
-éprouva cependant la joie de voir sa fin terrible
-vengée par le chef blanc, et tous les
-Boschimen me baisèrent la main en signe
-de respect. »</p>
-
-<p>Ce récit émouvant n’est pas le seul que
-nous puissions raconter à nos lecteurs.</p>
-
-<p>» Un jour, raconte le même auteur, un
-homme de ma suite revenait d’un <i>kraal</i> voisin
-de mon campement ; il s’éloigna un peu
-du sentier battu pour tuer à l’affût, près
-d’une source, un <i>springbock</i>, si faire se pouvait.
-Quand il parvint à cet endroit, le soleil
-était déjà très-élevé. Ne voyant pas de gibier,
-le nègre alla poser son fusil près d’une roche
-et, après s’être désaltéré, alluma sa pipe
-et finit par fermer les yeux. Lorsqu’il se
-réveilla, quelle ne fut pas sa terreur en
-voyant un énorme lion couché à trois pas
-de lui et le regardant fixement !</p>
-
-<p>» L’épouvante avait glacé la voix du chasseur :
-il respirait à peine, et quand il recouvra
-sa présence d’esprit il songea à ressaisir
-son arme afin de tirer sur le roi des animaux.
-Le lion avait surpris ce mouvement
-et avait poussé un rugissement terrible. Le
-nègre fit encore un ou deux essais, mais le
-fusil se trouvait hors de sa portée ; il dut renoncer
-à s’en emparer, car le félin ouvrait
-démesurément sa gueule chaque fois que
-l’homme remuait la main. La journée s’écoula
-de cette façon. La nuit vint. Le lion
-n’avait pas bougé de place et les heures
-s’écoulèrent dans cet horrible supplice
-moral.</p>
-
-<p>» Vers midi, le Hottentot vit le lion se
-lever tranquillement et, le cou tourné de
-son côté, se rendre à la source pour s’y
-désaltérer.</p>
-
-<p>» A ce moment suprême, une bande de
-cavaliers boschimen parut à l’horizon : le
-lion entendit le bruit que produisaient les
-pas des chevaux et crut prudent de se jeter
-dans un fourré qu’il traversa rapidement
-pour pénétrer dans le forêt.</p>
-
-<p>» Le Hottentot était sauvé, mais ses cheveux
-crépus avaient blanchi dans l’espace
-de vingt-quatre heures. »</p>
-
-<p>Je terminerai cet article par un fait qui
-m’a été raconté par le commandant Garnier.</p>
-
-<p>Un Arabe des environs de Guelma apprit
-un matin qu’un grand vieux lion à crinière
-noire s’était montré dans les environs de son
-douar. On avait construit des fosses dans
-lesquelles le vieux carnassier ne voulait pas
-se laisser prendre, et il décimait chaque nuit
-le bétail du canton. L’Arabe quitta un jour
-la battue qui s’opérait dans la montagne et
-alla se poster près d’un ravin. A peine avait-il
-fait deux cents pas qu’il se trouva face à
-face avec le lion. Au moment où il armait
-son fusil, son arme fut tordue, il fut jeté sur
-le dos, les deux épaules entre les griffes du
-lion, qui le regardait fixement ; c’en était
-fait de lui sans un de ses camarades, nommé
-Ahmed-Zim, qui avait vu ce qui se passait.
-Sans prendre son fusil, sans même songer
-aux pistolets qu’il portait à sa ceinture, n’écoutant
-que son amitié pour son compagnon,
-il vola à son secours et sauta intrépidement
-sur le lion, le yatagan au poing. Il frappait
-d’estoc et de taille, et ceux qui accouraient
-vers le lieu du combat n’osaient pas se servir
-de leurs armes, de peur de tuer leur courageux
-ami. Un d’eux cependant, plus hardi
-que les autres, parvint à fracasser la tête du
-lion d’un coup de pistolet tiré dans l’oreille
-à bout portant.</p>
-
-<p>Le lion abattu pesait deux cent cinquante
-kilos. Sa peau était déchiquetée en lanières
-et le sang en ruisselait de toutes parts.</p>
-
-<p>Ahmed-Zim n’avait reçu aucune blessure,
-mais son ami avait le bras et les épaules
-affreusement déchirés.</p>
-
-
-<p class="c gap small">FIN.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">TABLE</h2>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td class="drap">M. Caillié et son voyage.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch1">5</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Départ.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch2">26</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Cambaya.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch3">42</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Kankan.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch4">59</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Timé.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch5">78</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Jenné.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch6">90</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Navigation sur le Niger.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch7">101</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Tombouctou.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch8">107</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Le Désert.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch9">119</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">El-Harib.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch10">143</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Fez et Méquinaz.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch11">149</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Tanger.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch12">154</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Retour.</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch13">136</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap pad">La chasse aux lions.</td>
-<td class="bot r pad"><div><a href="#ch14">168</a></div></td></tr>
-</table>
-
-<p class="c gap small">FIN DE LA TABLE.</p>
-
-
-<p class="c gap small">Limoges. — Impr. <span class="sc">Eugène Ardant</span> et C<sup>ie</sup>.</p>
-
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À TRAVERS L'AFRIQUE ***</div>
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-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
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-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
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-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
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-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
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-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
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-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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-</div>
-
-</div>
-
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