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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Voyage d'un faux musulman à travers l'Afrique - Tombouctou. Le Niger, Jenné et le Désert - -Author: René Caillié - -Release Date: June 6, 2021 [eBook #65530] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously - made available by the Bibliothèque nationale de France - (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À -TRAVERS L'AFRIQUE *** - - - - - RENÉ CAILLIÉ - - VOYAGE - D’UN - FAUX MUSULMAN - A TRAVERS L’AFRIQUE - - TOMBOUCTOU - Le Niger, Jenné et le Désert. - - LIMOGES - EUGÈNE ARDANT ET Cie, ÉDITEURS. - - - - -VOYAGE - -A TOMBOUCTOU. - - -Supposons que vous ayez sous les yeux une carte du globe; que, sur cette -carte, vous vous établissiez à l’un des points qui représentent Brest, -Nantes, Rochefort ou Bordeaux, à la droite du petit carré qui représente -la France; que de là, votre doigt se promène au large sur cet espace -blanc qui figure la grande masse d’eau de l’Atlantique, et, laissant à -gauche l’Espagne, le Portugal, le détroit de Gibraltar, continue son -chemin en vue du cap Noun, du cap Boyador, du cap Blanc, du cap Vert, en -vue des établissements français et anglais du Sénégal et de la Gambie; -puis, reprenne enfin terre à ce petit filet noir qui marque l’embouchure -du Rio-Nunez:--parvenus là, vous avez fait douze ou quinze cents lieues, -et vous êtes au point de départ du voyage que nous allons entreprendre à -la suite de M. Caillié. - -A présent, notre ligne de route est bien facile à tracer, par _à peu -près_ s’entend. Il s’agit, en tournant le dos à la mer, de fixer sur la -carte un point à deux cents lieues environ de l’embouchure du Rio-Nunez, -et de joindre ce point d’une part avec cette embouchure, de l’autre avec -l’empire de Maroc, avec Fez et Tanger. Entrés en Afrique par le côté qui -fait face à l’Amérique, nous en sortirons par le côté qui fait face à -l’Europe; nous aurons fait sur le sol africain un coude de neuf à onze -cents lieues. - -Qu’y a-t-il à voir, à l’heure qu’il est, sur cette longue ligne? Que se -passe-t-il, dans ces régions sur lesquelles la carte est presque -entièrement muette, ou bien qu’est-ce que représentent le petit nombre -d’indications qu’elle donne? Sous quels aspects se présentent là et la -terre et les hommes? Le soleil, les nuages, les montagnes, les rivières, -ont-ils là les mêmes habitudes que chez nous? Le sol est-il pareil à -celui que nous foulons? se pare-t-il des mêmes couleurs, porte-t-il les -mêmes plantes, nourrit-il les mêmes animaux, et, creusé, laisse-t-il -voir les mêmes choses?--Enfin, s’il y a des hommes dans ces vastes -contrées, qui sont ces hommes? Quelle idée se font-ils de la vie -humaine? Quel parti tirent-ils de la terre et des choses qu’elle porte? -Quel parti tirent-ils de leurs semblables et d’eux-mêmes? Que -savent-ils? Qu’imaginent-ils? Ce même soleil qui, eux aussi, les -réchauffe et les éclaire, leur dit-il quelque chose des autres hommes -qu’il a réchauffés et éclairés avant que d’arriver à eux, de ceux qu’il -réchauffe et éclaire en même temps qu’eux: de nous, par exemple, qui -sommes de ceux-là? Ces hommes s’occupent-ils de nous, comme nous nous -occupons d’eux? Songent-ils également, de leur côté, à nous rendre -visite? - -Bien d’autres questions s’élèvent à la vue de ces espaces si voisins de -notre Europe, et si fort négligés par elle; de ces espaces où nos -croyances et nos sciences, nos langues et nos institutions sont presque -totalement inconnues. Ces hommes, en effet, ne pouvons-nous rien pour -eux? N’avons-nous à échanger avec eux que des regards indiscrets et -méfiants? Si différents qu’ils soient de nous par l’extérieur et le -costume, ou même par l’organisation et les habitudes, en sont-ils moins -nos pareils au nom des besoins universels de la nature humaine, au nom -du travail qui répond partout à ces besoins, au nom de la sympathie par -laquelle chacun de nous est associé aux plaisirs et surtout aux -souffrances des autres hommes? Qu’ils le reconnaissent ou non, ils -appartiennent à la grande famille dans laquelle nous ne voyons, nous, -que des frères nés pour être amis, des frères que l’erreur seule sépare. - -Deux questions surtout ont attiré, de nos jours, l’attention des -Européens vers cette partie de l’Afrique. - -L’une de ces questions se rapportait à un vaste courant d’eau qui -promettait à lui seul un puissant instrument aux recherches ultérieures. -Car, vous le savez, une rivière en ces régions brûlantes, ce n’est pas -seulement, comme ailleurs, _un chemin qui marche_[1], c’est un chemin -qui désaltère ceux qu’il porte, un chemin qui leur prépare devant eux -des vivres et un abri sur les rives que son eau fertilise. De là -l’importance de la question du NIGER, ce _Nil des Noirs_, mentionné il y -a plus de deux mille ans par l’historien grec _Hérodote_, retrouvé en -1795 par l’Anglais _Mungo-Parck_, et dont les sources principales furent -indiquées, en 1822, par l’Anglais _Laing_. Plus récemment, en 1850, deux -autres Anglais, _Richard Lander_ (ci-devant domestique du célèbre -voyageur Clapperton), et son frère _John_, se livrant hardiment au -courant du fleuve, l’ont descendu jusqu’à la mer. - - [1] Expression de _Pascal_. - -L’autre question, qui touchait de près à la première, était relative à -la ville de TOMBOUCTOU[2], voisine du fleuve, et comme lui, mystérieuse. -Ce nom, il faut le dire, exerçait une sorte d’enchantement sur -l’imagination des géographes. Ils ne pouvaient se représenter sans -enthousiasme une capitale grandie, comme par miracle, sous le souffle -desséchant du Désert: véritable port de cet océan de sable qu’on appelle -le _Sahara_, entrepôt florissant d’un commerce perpétuel entre le nord -et l’occident de l’Afrique. C’était à qui lui prêterait les plus larges -dimensions; les évaluations les plus modérées ne lui donnaient pas moins -de cent mille habitants. Un écrivain arabe, enchérissant sur les -exagérations de ses compatriotes, allait même jusqu’à dire: «C’est la -plus grande ville que Dieu ait créée.» - - [2] Ou _Temboctou_ ou _Ten-Boktoue_, comme on commence à l’écrire à - présent, d’après l’Arabe Ben-Batouta. - -Vous commencez à craindre que la réalité ne réponde pas à ces pompeuses -annonces; elles auront du moins servi à tourner l’attention de ce côté. -Si l’on n’a pas le singulier plaisir que l’on se promettait de -rencontrer un _Paris_ au milieu des sables, en revanche on aura quelques -pages de plus à ajouter à l’inventaire de notre planète, et au -recensement général de la famille humaine. - -Quant à nous, nous sommes, pour le moment du moins, condamnés à ne -visiter ces contrées lointaines que par les yeux d’autrui, et, pour -ainsi dire, par procuration.--Le voyageur qui se charge de les visiter -pour nous se fera-t-il toutes les questions que nous nous ferions en -pareil cas? Arrivera-t-il là-bas avec nos propres préoccupations? Par -lui serons-nous là comme si nous y étions nous-mêmes? C’est chose dont -on peut douter; toutefois, dans l’impossibilité où nous sommes, pour -longtemps peut-être, de nous transporter en personne à douze cents -lieues d’ici, cette ressource des récits d’emprunt (la seule qui nous -reste) n’est pas à dédaigner. Elle serait plus précieuse encore, si les -lecteurs de _voyages_ avaient le bon esprit de ne demander au voyageur -que ce qu’il sait, de ne pas le contraindre à parler des choses que les -circonstances du trajet ou bien le défaut de connaissances préalables ne -lui ont pas permis de remarquer. Loin de là, le voyageur est tenu, -d’ordinaire, de tout voir, de tout entendre, de tout comprendre; il est -tenu d’entrer dans le pays avec tous les moyens d’observation que -chacune de nos sciences modernes prête à ses disciples; il est tenu d’en -sortir sans oublier le nom d’une seule bicoque. Le lecteur gagne-t-il en -réalité quelque chose à ces exigences? eh mon Dieu non! Le voyageur fait -semblant d’être en état d’y satisfaire; il parle de tout; il ne laisse -pas en blanc une seule des stations de son itinéraire: toutes les -lacunes de ses notes ou de sa mémoire, il les remplit de la meilleure -grâce du monde: son honneur est sauf aux dépens de sa probité. - -Tâchons d’être justes, ne fût-ce que pour n’être pas trompés; et, -prenant notre voyageur pour ce qu’il est, ne le forçons pas à se donner -pour autre. Voyons ce que nous pouvons en conscience attendre de lui, et -ne lui demandons rien de plus. - -Dès l’ouverture de son livre[3], nous apprenons que c’est un jeune homme -de vingt-six à vingt-sept ans. Ni dans le village de Poitou[4] qu’il -quitta, nous dit-il, à seize ans pour la côte d’Afrique, avec soixante -francs pour toute fortune, et quelques lectures de voyages pour toute -instruction; ni dans ses différentes courses au Sénégal ou à la -Guadeloupe, il n’eut le loisir ou le moyen d’acquérir les connaissances -qu’un voyage de découverte exige.--De plus, s’il parcourt sur le globe -la ligne de route que nous venons de tracer sur la carte, c’est en -passant, c’est à la dérobée, à la hâte, dans des transes perpétuelles, -et comme en traversant un camp ennemi: sans autre défense que celle que -ses maux lui acquièrent de loin en loin dans les âmes compatissantes; -sans autre protection que la pitié ou le mépris qu’il inspire. Pauvre -mendiant dévot, marchant seul et à pied au milieu de tant de populations -étrangères, bien souvent, c’est à peine s’il ose lever les yeux de -dessus le grand chapelet musulman qui lui sert de passeport. - - [3] _Journal d’un voyage à Tombouctou et à Jenné_, etc., par René - CAILLIÉ. - - [4] _Mauzé_ près Thouars, département des Deux-Sèvres. - -Vous voyez qu’il est difficile de voyager dans des conditions plus -défavorables. Nous serions mal venus à vouloir qu’il sorte de là une -relation nourrie d’observations approfondies et savantes. Toutefois, un -pareil trajet peut nous apprendre encore bien des choses que nous -ignorons, et nous en rappeler d’autres auxquelles nous ne songeons pas. -En laissant même les indications que le voyageur a tâché de recueillir -sur les pays qui se trouvaient à droite et à gauche de sa route; en -laissant encore la longue liste de dénominations géographiques qu’il -s’est efforcé de compléter; il reste les choses qu’il a vues de ses -yeux, les choses que tout passant en Afrique pourrait apercevoir de -même, les choses sur lesquelles il ne peut y avoir de doute, sans -inculper, non pas les lumières, mais la bonne foi même de celui qui les -raconte: il reste les événements auxquels le voyageur a été mêlé, dans -lesquels il s’est trouvé tout ensemble acteur et spectateur. Le -_journal_ de M. CAILLIÉ serait réduit au récit de ses propres aventures, -qu’il n’en serait par là même sur l’Afrique qu’un témoignage plus -expressif et plus authentique. - -De ce que M. Caillié avoue franchement qu’il s’est mis en route sans -avoir pu jamais acquérir les connaissances qui peuvent donner le plus de -prix à une pareille entreprise, il ne s’ensuit pas qu’il soit parti sans -préparation aucune. Rien que pour entrer sur le territoire d’Afrique, il -faut se déguiser, se transformer, se composer un rôle. Ce rôle, il faut, -dans une si longue traversée, qu’il s’adapte également à chacun des pays -à parcourir; qu’il convienne aux ressources particulières du voyageur, -qu’il s’accommode à ses moyens d’observation. Une fois ce rôle composé, -il faut l’apprendre, il ne faut pas l’oublier un seul instant: il y va -de la vie. Ce rôle, quel qu’il soit, bien choisi et bien joué, est à lui -seul un renseignement précieux sur les contrées dont il ouvre la porte -au voyageur. - -Ainsi donc, à part ses résultats, et seulement pour être mise à -exécution, la traversée que nous nous proposons demande un -apprentissage. Celui de M. Caillié, commencé de bonne heure, et plus -long par le manque même d’encouragements et de secours, dura près de dix -années. Trois voyages successifs au Sénégal, deux essais malheureux pour -pénétrer dans l’intérieur à la suite des expéditions anglaises, le -familiarisèrent avec toutes les difficultés de sa tâche. Dans l’une de -ces tentatives, il vit par lui-même combien la foule des chameaux, la -richesse du bagage, et même une troupe de soldats armés, servent de peu -contre des hommes qui, s’obstinant à fermer aux Européens l’accès de -leur pays, comptent au nombre de leurs armes offensives le soleil et le -sable, et n’ont rien que leurs puits à défendre. Une retraite ruineuse -«et plus sinistre qu’une déroute» lui apprit qu’à moins de se frayer le -chemin par la force, l’étude de ces populations défiantes ne devait pas -se faire avec tant de bruit. - -Ainsi, le plus grand obstacle à la traversée que nous nous proposons, ce -sont les hommes. Des Arabes, en effet, de race plus ou moins mélangée, -ont pénétré partout en ces parages parmi les populations noires et -partout, avec le nom de Mahomet et ses lois sévères, ils ont implanté la -haine et le mépris des _Chrétiens_: mettant, sous ce nom, tous les -Européens _hors la loi_; nous dévouant tous tant que nous sommes, en -cette vie, au brigandage et à la filouterie des _Fidèles_, et dans -l’autre, aux flammes éternelles de l’enfer. - -Notre jeune voyageur[5] jugea que le plus court était d’apprendre leur -religion et leur langue. Il trouva tout simple d’abandonner les chances -de fortune que lui offrait le commerce[6], pour aller faire son -éducation musulmane chez les Musulmans eux-mêmes. Pour maîtres d’arabe -et d’islamisme, il choisit les Arabes (ou Maures) Braknas qui errent -avec leurs troupeaux entre le Sénégal et le Désert, à cinquante ou -soixante lieues de la côte. - - [5] M. Caillié avait alors vingt-quatre ans. - - [6] Un négociant lui avait fait l’avance d’une petite pacotille. - -Je ne m’arrêterai pas à vous raconter le traitement que lui valut de -leur part son apparente conversion aux croyances musulmanes. Ses hôtes -lui montrèrent à lire l’écriture arabe, et lui firent apprendre par cœur -force versets du Coran. Il fut même pourvu d’une planchette d’écolier, -et, comme les enfants, soumis, le matin avant le jour et le soir à la -nuit, à chanter à haute voix la gloire d’_Allah_ et de _Mohamed_, à la -lueur d’un petit feu. - -La langue usuelle de ces Arabes lui devait être par la suite du plus -grand secours. Leur société était du reste une excellente école de mœurs -africaines, de vie uniforme et simple, et par-dessus tout, de sobriété. -Chose étrange pour nous! Chose bien plus étrange encore pour l’estomac -du pauvre _voyageur_, leur principale nourriture, c’est le lait: aux -chefs, le lait de chameau; aux autres, le lait de vache, de chèvre ou de -brebis; dans la saison des pluies ils ne prennent pas autre chose. Une -simple bouillie de mil pilé et assaisonnée d’herbages supplée au lait -dans les temps de sécheresse. Un repas de viande séchée est le privilége -des plus riches, et pour eux-mêmes, un régal. Le reste est à l’avenant. - -Ces privations continues ne les dispensent pas du jeûne que la religion -leur impose, jeûne auprès duquel ce que les Européens appellent -aujourd’hui de ce nom n’est qu’un jeu. Ce jeûne, en dévot catéchumène, -_Abdallahi_[7], c’est le nom que M. Caillié s’était donné, y fut -astreint sans miséricorde. - - [7] Ce nom qui signifie _esclave de Dieu_ est de ceux que recherche - l’humilité musulmane. - -«Le soir (5 avril 1825) on aperçut la nouvelle lune. C’était celle du -Ramadan: le carême allait commencer. On fit de longues prières et -beaucoup de bouillie de mil...» C’était dans la saison des chaleurs, par -un vent d’est étouffant. Une tasse de lait aigre _avant_ et _après_ le -coucher du soleil; à onze heures du soir, une simple bouillie de mil: -tel était, tel est encore sur la rive droite du Sénégal le régime de _la -lune du jeûne_. - -«Le sixième jour, dit le voyageur, je crus que je ne pourrais soutenir -plus longtemps ces terribles mortifications. La chaleur augmentait; ma -soif était insupportable: j’avais la gorge desséchée; ma langue, gercée, -me faisait l’effet d’une râpe dans la bouche. Je crus que je -succomberais; je ne souffrais pas seul: tout le monde, autour de moi, -endurait les mêmes tourments. Enfin, les _Marabouts_ se baignèrent le -visage, la tête et une partie du corps. On me permit d’en faire autant; -mais j’étais observé avec la plus grande attention.» - -Une seule fois il avale avec frayeur une partie de l’eau avec laquelle -il était permis de se laver la bouche. - -«Je jeûnai ainsi dix-sept jours; le dix-huitième, je fus attaqué de la -fièvre; alors on me dispensa du jeûne, si toutefois on peut appeler ne -pas jeûner boire un peu d’eau dans la journée, car on ne me donna -absolument rien à manger.» - -Huit ou neuf mois de séjour parmi les Braknas ont mis le voyageur à même -de nous raconter à loisir tous les incidents, très-peu variés du reste, -de leur vie ambulante, de nous introduire dans leurs maisons portatives, -de nous montrer leur ameublement, leur costume; de nous faire voir -comment sont réparties chez eux, entre les diverses classes d’hommes -libres ou d’esclaves, les différentes fonctions industrielles, -commerciales, civiles, militaires, religieuses, etc. Ces curieux détails -nous mèneraient trop loin. Il ne faut pas oublier que nous avons -beaucoup de chemin à faire. - -Le _chrétien_, dont la conversion avait toujours laissé quelque -défiance, était allé aux bateaux français sur le fleuve, et, contre -l’espérance de ses hôtes, il était revenu partager leur fade bouillie de -mil. - -Il s’agissait d’_acheter un troupeau et deux Noirs_ pour établir chez -les Braknas son point de départ sur une base solide. Par malheur, le -gouverneur français, qui avait encouragé ses premiers essais, était -parti. M. Caillié vit ses offres repoussées, et des espérances qui lui -coûtaient déjà tant de fatigues, ruinées de fond en comble. Il se fit -empailleur d’oiseaux, pour vivre. Le gouverneur, revenu, ne répondit à -son empressement que par de vagues promesses. Les Anglais de -Sierra-Leone l’accueillirent mieux à tous égards. Les Français lui -avaient opposé M. de Beaufort et les railleries amères sur sa prétendue -conversion et sur son costume. Les Anglais, en lui opposant le major -Laing, également parti pour Temboctou, lui offrirent l’hospitalité la -plus généreuse. Près de deux ans s’écoulèrent ainsi dans des -désappointements continuels. - -M. Caillié ne se rebuta point. Il avait eu connaissance du prix proposé -en 1824 par la _Société de géographie_ de Paris, au voyageur qui -parviendrait le premier à Temboctou par la voie de la Sénégambie; il se -disait: «Mort ou vif, je l’obtiendrai; si je n’en jouis pas, ma sœur le -recueillera.» Il ajoute: «Je refusai tout arrangement; je voulus au -moins laisser à l’amie de mon enfance une propriété incontestable, le -mérite d’avoir tout fait par moi seul.» - -Il se lia à Free-town[8] avec des Noirs musulmans venus de l’intérieur: -puis, un jour, sous le sceau du secret, il leur apprit d’un air -très-mystérieux qu’il était né à Alexandrie en Égypte, qu’il avait été -fait prisonnier par l’armée française, et conduit au Sénégal pour faire -les affaires commerciales de son maître: qu’affranchi pour ses services, -il voulait retourner dans son pays natal, et reprendre la religion de -ses pères. - - [8] Chef-lieu de la colonie anglaise de Sierra-Leone. - -Telle est la fable sur la foi de laquelle allait reposer pendant près de -dix-sept mois la sûreté de sa vie. - -Une petite friponnerie lui fit sentir dès le lendemain qu’il ne pouvait -espérer, avec l’habit européen, vaincre les vieilles habitudes de ses -nouveaux amis d’Afrique; il s’empressa de gagner par mer un endroit où -il pût débarquer avec son costume arabe, et choisit pour tel -l’embouchure du Rio-Nunez, à cinquante lieues nord de Sierra-Leone. Il -avait converti en argent et en marchandises les _deux mille francs_ -d’économies qui composaient toute sa fortune; dix-sept cents francs -avaient été consacrés à des achats de poudre, de papier, de tabac, de -verroteries, d’ambre, de corail, de mouchoirs de soie, de couteaux, -ciseaux, miroirs, clous de girofle, de trois pièces de guinée bleue et -d’un parapluie. Tout cela ne pesait pas cinquante kilogrammes. Le reste -en or et en argent tenait dans sa ceinture. Quelques Anglais lui -procurèrent divers médicaments, de la crème de tartre, du jalap, du -calomélas, divers sels purgatifs, du sulfate de quinine, des emplâtres -de diachylon, enfin du nitrate d’argent. M. Caillié se pourvut, en -outre, de deux petites boussoles, et remplit les poches de son costume -arabe des feuillets d’un Coran qu’il avait déchiré. - -Parti de Sierra-Leone, le 22 mars 1827, il arrive au village de Kakondy, -sur la rive du Rio-Nunez, le 31. Un coup de fortune pour lui ce fut, -dans ce village, la rencontre d’un négociant français[9] qui se fit un -plaisir de mettre son expérience du pays au service de son jeune -compatriote. Il fit venir quelques Noirs voyageurs, fort considérés, -leur livra le voyageur avec les recommandations les plus vives et des -présents plus expressifs encore. Ces présents représentaient la valeur -d’un bœuf en marchandises. - - [9] M. Castagnet. - - - - -DÉPART. - - -«Le 19 avril 1827, dit M. Caillié, je pris congé de M. Castagnet. -L’avouerai-je! je pleurais en quittant mon généreux ami et pourtant ces -regrets bien sincères ne pouvaient altérer la joie que j’avais -d’entreprendre enfin ce voyage.» A deux heures de marche de Kakondy, sur -la rive gauche du Rio-Nunez, les tombeaux de cinq voyageurs anglais -(entre autres, du major Peddie) durent assombrir la longue perspective -de nouveautés, mais aussi de fatigues et de périls qui s’ouvrait enfin -devant l’impatient voyageur. Une fois qu’il aura mis derrière lui les -hautes montagnes boisées qu’il voit à l’horizon, il lui faudra marcher -bien longtemps avant qu’un mot français revienne frapper son oreille, et -l’invite à déposer enfin non plus seulement sa couverture de laine et -ses sandales, mais encore ce fardeau de défiances, de mensonges et de -faux-semblants qui lui pèse encore plus. - -Nos compagnons de voyage, au départ, sont cinq Noirs libres, -_Mandingues_ aux cheveux crépus, au nez aquilin, aux lèvres minces, et -trois Noirs esclaves. Tous, à l’exception du chef noir Ibrahim et de sa -femme, portent sur leur tête des charges énormes dans de longues -corbeilles. Un _Foulah_ (au teint marron-clair, cheveux crépus, lèvres -minces) porte sur sa tête le bagage du voyageur. - -Le voyage commence le plus heureusement du monde. Les Noirs, moyennant -quelques morceaux d’étoffe, ont pour Abdallahi toutes les attentions -possibles. Les Foulahs rencontrés en route, les uns chargés de sel -qu’ils voiturent dans l’intérieur à trente ou quarante lieues de là, sur -leur tête, les autres apportant à la côte des cuirs, de la cire, du riz -que les marchands européens se disputent, en apprenant que le blanc est -Arabe ne peuvent se lasser de le regarder et de le plaindre, viennent -s’asseoir à terre près de lui, prennent ses jambes sur leurs genoux, et -les pressent doucement pour le délasser. «Tu dois bien souffrir, lui -disent-ils, car tu n’es pas habitué à faire une route aussi pénible.» -Ils vont eux-mêmes chercher des feuilles pour lui faire un lit: «Tiens, -voilà pour toi, car tu ne sais pas comme nous dormir sur la pierre.» - -Émerveillé de cette dévotion charitable, étendu sur son lit de -feuillage, le voyageur couche sans crainte à la belle étoile: -quelquefois sous de magnifiques ombrages, quelquefois sous des appentis -de branches et de paille destinés à abriter les passants. Partout, le -guide Ibrahim s’empresse de débiter et d’embellir l’histoire -d’Abdallahi, le faisant naître à la _Mecque_ même, la seule ville du -monde dont le nom soit parvenu à ces peuples. Partout à la nouvelle de -l’arrivée d’un compatriote du Prophète, les hommes et les femmes -accourent, non plus avec la curiosité méprisante des bords du Sénégal, -mais avec une sorte d’ingénuité respectueuse, se tenant à distance du -saint étranger, lui ouvrant cordialement leurs cabanes, lui apportant -quelquefois la seule chose qu’ils possèdent, de petites galettes de riz -mêlé de miel et de piment, séchées au soleil, le pain de maïs jaune et -frais, assaisonné de miel et de pistaches grillées et pilées, du lait, -des fruits: présents que les femmes lui offrent souvent à genoux. - -Un exemple vous donnera une idée plus précise de ces bergers -montagnards: «Un soir que la petite caravane avait, comme d’ordinaire, -fait halte auprès d’une source pour y passer la nuit, je vis un jeune -Foulah qui ne pouvait se lasser de me regarder. Il me proposa de le -suivre à son camp, pour boire du lait. Comme je ne voulais pas y aller -seul, il engagea un de mes compagnons de voyage à m’accompagner: deux -d’entre eux s’y prêtèrent avec complaisance. Le jeune homme marchait -devant nous pour nous enseigner la route, et avait soin d’ôter de -grosses pierres qui se trouvaient sur mon passage. Arrivé à son camp, -qui était tout près de notre halte, il s’empressa de sortir une peau de -bœuf sur laquelle il me pria de m’asseoir. Ce camp se composait de cinq -ou six cases en paille presque rondes et très-basses: il fallait se -mettre en deux pour y entrer. L’ameublement se composait de quelques -nattes, peaux de mouton et calebasses pour mettre du lait; le lit, de -quatre piquets sur lesquels étaient placés en long des morceaux de bois -recouverts d’une peau de bœuf. Il alla avertir sa vieille mère et ses -sœurs, et leur dit que j’étais un Arabe compatriote du Prophète, et -allant à la Mecque. Elles me regardèrent avec beaucoup de curiosité, et -en faisant plusieurs gestes crièrent _La allah il allah_, etc. (Il n’y a -d’autre Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète)--à quoi je répondis -par la formule ordinaire. Elles s’assirent à une petite distance de moi, -et me regardèrent tout à leur aise. Le jeune Foulah alla me chercher du -lait dans une calebasse qu’il eut soin de laver (excessive politesse de -leur part), puis m’apporta un peu de viande frite; je l’engageai à en -manger avec moi; mais, en me montrant du doigt la lune, il me dit d’un -air timide et riant: Je jeûne, c’est le Ramadan.» - -Nous traversons ainsi des montagnes verdoyantes, coupées de ravins au -fond desquels grondent de nombreux ruisseaux: marchant le plus souvent à -l’ombre de hautes forêts[10], sans autre incident que la rencontre de -quelques singes roux qui aboient comme des chiens. A l’un des nombreux -passages à gué de rivières grossies tout-à-coup par les orages, le -voyageur faillit être emporté par le courant: les noirs effrayés -criaient à tue-tête: _Allah il allah_, etc. (Dieu est Dieu et Mahomet -est son prophète). - - [10] «Peuplées, dit M. Caillié, d’une foule d’oiseaux _dont les - couleurs varient à l’infini_.» - -Du reste, le voyageur essuie chaque jour un violent orage et quelquefois -plusieurs. Les pluies qui commencent en avril durent six mois -consécutifs en ces montagnes. Mouillé jusqu’aux os, il marche pieds et -jambes nus par des chemins inondés. Ce pays montagneux est habité par -des Foulahs qui y promènent leurs troupeaux, et semé de villages -d’esclaves noirs cultivateurs. La vie paraît y être facile pour tous; le -lait des vaches et des brebis, un peu de riz qui croît facilement dans -la plaine, suffisent à leur nourriture, avec le fruit du nédé, du -pistachier, de l’oranger, du bananier. Vous venez d’entrer chez le bon -jeune Foulah; visitez à présent les villages de Noirs esclaves: vous les -trouvez entourés de belles plantations de bananiers, ananas, cassave, -ignames, choux caraïbes: le tout bien soigné par les femmes, pendant que -les hommes sont aux champs de riz ou de _foigné_. - -Le corps, la tête surtout, graissés de beurre, vêtus, du reste, comme -les Mandingues, d’une chemise sans col et sans manche et d’une large et -courte culotte de grosse toile de coton blanche arrêtée seulement à la -ceinture par une coulisse, les Foulahs se tiennent très-droit, mettent -beaucoup de sérieux dans leurs démarches, et se croient très-supérieurs -aux Noirs. Leurs armes ordinaires de voyage sont des flèches -empoisonnées et des lances. Cependant, le fer n’est pas rare dans leurs -montagnes et M. Caillié a vu chez eux plusieurs fourneaux de cinq à six -pieds de haut, de dix-huit à vingt de tour avec une cheminée à la voûte -et quatre trous à la base. - -Le 28 avril, grand jour de fête; séjour, pour la célébration de la -Pâque; le matin, prière en commun, plus solennelle que de coutume; les -marchands se prosternent à la file et Abdallahi avec eux. «Au sortir de -la prière, on se dispose à tuer le bœuf (acheté la veille en commun -entre douze ou quinze).» Les Mandingues passèrent près d’une heure à -égaliser les lots de viande: ils prirent chacun un petit morceau de bois -pour les mesurer; des coups de fusil et des chants à la louange -d’Ibrahim (qui fournit la poudre), répondent par avance au plaisir -promis par le copieux repas qui s’apprête. Sans avoir pris part à -l’achat du bœuf (le moment serait en effet mal choisi pour paraître -riche), Abdallahi est appelé à prendre part au festin. Ce jour-là une -petite querelle des jours précédents au sujet du cadeau de M. Castagnet, -est mise en oubli. «En entrant dans la case d’Ibrahim, je vis une grande -calebasse de riz bouilli, sur lequel on avait mis de la viande en assez -grande quantité. Nous nous assîmes autour et chacun mit la main au plat. -Le riz fini, Ibrahim distribua la viande.» le reste du bœuf est exposé -toute la nuit à la fumée, et mis pour les jours suivants dans des sacs -de cuir. Quant à la peau, on l’échange contre une provision de riz. - -Le 29, nous arrivons sur des roches rougeâtres et poreuses à la petite -montagne de granit noir qui sépare le pays d’_Irnanké_ où nous étions -tout-à-l’heure, du _Fouta-dhialon_ où nous allons entrer. Le voyageur ne -peut pas garder les sandales du pays, et marche pieds nus sur les -roches[11]. - - [11] M. Caillié dit ici: «Aux roches succédèrent des pierres _de - nature volcanique_. - -Le premier village du Fouta-dhialon vous donnera une idée des autres. -Une haie vive lui sert de muraille; les cases grandes et bien tenues, -appuyées là sur une terre jaune et fertile, sont entourées de belles -cultures potagères dont les femmes et les enfants ont le plus grand -soin. Ils se donnent même la peine de balayer les allées qui conduisent -à leur case. Du reste toujours même sobriété. - -Le dîner du chef, obligeamment offert, après la prière, à Ibrahim et à -Abdallahi, n’est autre chose que du riz cuit à l’eau assaisonné de lait -aigre. Ils le partagent assis à terre sur une natte, auprès d’un petit -feu, que l’humidité rend nécessaire. «Après ce léger repas, ajoute le -voyageur, la femme du chef vint s’asseoir avec nous; elle écoutait en -silence la conversation qui roulait sur les _Chrétiens_ dont ils parlent -toujours avec mépris. Elle eut la complaisance de me donner un peu de -lait, qu’elle m’engagea à boire, puis alla chercher quelques figues et -bananes, les mit dans une calebasse bien propre, et nous les donna à mon -guide et à moi. Cette femme avait une physionomie extrêmement douce; son -vêtement consistait en deux bandes de toile de coton fabriquée dans le -pays et de la plus grande propreté. Elle n’exhalait pas l’odeur de -beurre rance des femmes foulahs du pays d’Irnanké.» - -Le pays est généralement découvert; la route, suivie par Ibrahim, -traverse tour-à-tour des monticules pierreux et des plaines de terre -jaune ou de sable noir également fertiles: plaines arrosées par un grand -nombre de rivières rapides, du moins après les violents orages qu’essuie -chaque jour le voyageur. - -Le blanc excite toujours la curiosité de tous. Les habitants, au teint -noir ou marron, accourent en foule pour le voir. Quelques-uns ont le -corps tout couvert d’ulcères. Abdallahi prend pitié de leurs infirmités, -et devient leur médecin. «Je leur distribuai, dit-il, quelques -caustiques (du nitrate d’argent, autrement dit _pierre infernale_) avec -de la charpie: ils m’envoyèrent un bon souper en signe de -reconnaissance.» - -La case où il séjourne ne désemplit pas; les questions et les présents -se succèdent. Plusieurs grands marabouts lui viennent rendre visite. Le -chef d’un village voisin lui envoie du lait et une _noix de colats_, -signe de grande considération. Les femmes, plus par curiosité que par -dévotion, lui apportent de la cassave, du lait, des oranges, du riz, et -les lui présentent à genoux. Indisposé, il reçoit, en cadeau, une grosse -poule. Les chefs de village lui offrent leur souper de riz au lait -aigre. Un cordonnier lui donne une paire de sandales. Le voyageur note -sur son chemin des champs de tabac d’une petite espèce et de coton semé -à la volée et mal soigné. - -Le chef d’un de ces villages, très-honoré de recevoir dans sa case -(grande et belle case à deux portes) un compatriote du Prophète, vient -près de son hôte, lui passe les mains sur la tête, puis se frotte -dévotement la figure. Ce vieillard s’agenouillait pour la prière, à -l’ombre d’un oranger, sur de petits tas de cailloux bien piquants; -Abdallahi dut l’imiter. Ce vieillard lui présente un enfant de quatre à -cinq ans à qui toutes les prières musulmanes n’avaient pu rendre la vue: -les parents repoussent avec horreur l’idée de conduire le malade à la -colonie de Sierra-Leone, et de remettre leur enfant aux mains des -chrétiens. - -Le 7 mai, un violent orage, contre lequel le parapluie du voyageur lui -est d’un faible secours, fait entrer Abdallahi dans la case d’une bonne -vieille négresse qui s’empresse de lui donner l’hospitalité, et le -régale de quelques morceaux de cassave rôtis sur les charbons; ses deux -garçons qui reviennent tout nus des champs, apprenant qu’un Arabe allant -à la Mecque est chez leur mère, lui rendent aussitôt visite: «Ils -s’informèrent de ma santé d’un ton fort doux, et m’engagèrent à partager -leur case qui était beaucoup plus grande. Avant de m’emmener chez eux, -ils eurent soin d’aller chercher une grande natte pour me couvrir, car -la pluie continuait toujours: Ils me firent asseoir dans leur case, sur -une peau de mouton, près du feu. Ils m’offrirent un peu de lait aigre -que, peut-être, ils réservaient pour leur souper. La bonne mère fit -bouillir pour eux et pour elle un peu de foigné (graminée qui croît en -abondance en ces montagnes) assaisonné d’herbage, le tout sans beurre et -sans sel. Ibrahim m’envoya mon souper de riz au lait: ni les jeunes -garçons ni la mère ne voulurent y toucher _parce qu’ils_ sont esclaves. -Nous fîmes la prière ensemble, et nous nous couchâmes sur des nattes.» - -Le 8, la caravane traverse à gué avec bien de la peine une rivière d’une -centaine de pas de large, dont l’eau bouillonne sur un lit de granit -noir aux roches coupantes et glissantes (le _Bâ-Fing_ où Rivière-Noire, -principal affluent du Sénégal). - -Viennent ensuite des gorges de montagnes de trois mètres de haut, tantôt -couvertes de hautes forêts, peuplées de mille oiseaux aux couleurs -éclatantes et de singes rouges, tantôt ne présentant autre chose que des -roches nues de granit. Dans l’un des villages de la vaste plaine qui -succède à ces monts, arriva la nouvelle qu’un homme de l’endroit avait -été tué dans une bataille. «Les femmes du défunt, accompagnées de leurs -parentes ou amies, se promenèrent dans les rues en chantant d’une voix -glapissante, se frappant tour-à-tour dans les mains et sur le front. Une -demi-heure après, ajoute M. Caillié, je les vis reparaître, toutes -vêtues de blanc: elles avaient l’air calme et résigné. Elles reprirent -aussitôt leurs occupations ordinaires. Les hommes, assis à terre devant -la mosquée, paraissaient consternés de la mort de leur camarade, et -blâmaient hautement la conduite de leur souverain.» - -Le 9 mai, après bien des villages et bien des camps habités par des -Noirs esclaves ou par des Foulahs au teint marron-clair, nous arrivons -au premier village du Fouta habité par des Noirs libres, par des -Mandingues. Les compagnons de voyage d’Abdallahi arrivent chez eux les -uns après les autres et la caravane diminue à chaque pas. Chacun, à son -retour, s’empresse de faire fête à l’Arabe, et de le montrer à ses -femmes et à ses enfants. - -Le 10 mai, dans un village peuplé mi-partie de Foulahs et de Mandingues, -Abdallahi est conduit devant la mosquée où grand nombre de Mandingues -étaient assis par terre autour de deux grandes calebasses pleines de riz -pilé, trempé dans l’eau et partagé en poignées; le tout paré de quelques -_noix_ de colats ouvertes, roses et blanches. Un marabout fit quelques -gestes et prononça quelques paroles; puis les poignées de riz furent -distribuées aux assistants comme une sorte de pain bénit. Les absents -eux-mêmes eurent leur part. Abdallahi, assis à terre sur une peau de -mouton, en reçut deux morceaux «qu’il lui fut, dit-il, impossible de -manger, tant il les trouva fades.» Cette cérémonie avait lieu en -l’honneur de deux jeunes enfants à qui l’on avait rasé la tête pour la -première fois. - -Le même jour, après la station accoutumée, au coucher du soleil pour la -prière, les coups de fusil des compagnons d’Ibrahim annoncent son entrée -dans son village. - - - - -CAMBAYA. - - -«Une seconde décharge eut lieu dans la cour de mon guide en l’honneur de -notre arrivée. La joie était peinte sur tous les visages. Je voyais ces -bons nègres embrasser leurs petits enfants, et les presser dans leurs -bras... Les femmes plus réservées avaient l’air timide: en abordant leur -mari, elles posaient un genou en terre en signe de salutation, et ne lui -adressaient aucune question. Les voisins accoururent en foule féliciter -leurs amis sur l’heureuse issue de leur voyage. On tendit des peaux de -bœuf dans la cour, et l’on s’assit en ronde au clair de la lune. On -causa des circonstances de la route, du prix des marchandises et -principalement du sel.» Puis, sitôt qu’on eut aperçu le visage et le -costume étranger de l’Arabe, on se demanda de toutes parts «quel est cet -homme»? Ibrahim de raconter l’histoire, et les questions de pleuvoir sur -le pauvre Abdallahi. A neuf heures, souper de riz et de viande, dévoré -aussitôt par une vingtaine d’assistants. - -Le foule retirée, Abdallahi est appelé par Ibrahim pour partager avec -lui une bouillie de mil, et goûter le lait de ses vaches; puis est -pourvu pour sa nuit, d’une peau de bœuf dans la case enfumée d’une des -femmes de son hôte[12]. La fumée dans toutes ces cases n’a d’autre issue -que le toit recouvert en paille, et du feu y est allumé la nuit, en tout -temps; un plafond de bambous, soutenu sur des piquets plantés en terre, -sert à retenir la suie qui retombe continuellement du toit. - - [12] «Cette femme était couchée au milieu de la case, entourée de - quelques enfants.» - -Un séjour de deux ou trois semaines permet au voyageur de se reposer de -ses premières fatigues, et de voir chez eux ces noirs Mandingues qu’il a -eu tout le temps d’étudier en route. - -Dès le lendemain, visite au père d’Ibrahim, chef du village. Vieux et -aveugle, couché dans sa case sur un banc de terre à six pouces du sol, -ce chef se lève sur son séant à l’arrivée d’Abdallahi; après la -salutation musulmane, il lui promène la main sur tout le corps en -disant: Arabe, tu es bon.--Visite à tous les amis d’Ibrahim: excellent -accueil de la part de tous. Trois jours après l’arrivée, quelques coups -de fusil les appellent dans sa cour pour une distribution de tabac qu’il -voulait leur faire. Il est à noter que les Mandingues en font une grande -consommation: les femmes ont l’habitude de s’en frotter les dents. -Ibrahim distribue aussi quelques aunes de cotonnade à chacune de ses -trois femmes: ces largesses lui attirent les bénédictions des vieillards -et les louanges des femmes qui sautent autour de lui en chantant. - -Pendant les vingt jours que M. Caillié passe à Cambaya, il est logé chez -le maître d’école, le saint du village, vieux et pauvre, mais nourri par -les riches et servi par les enfants. Quant à ceux-ci, ils apprennent à -lire dans l’Arabe du Coran. On n’exige des filles que les premiers -versets. Les garçons sont obligés de l’apprendre tout entier par -cœur.--Toutes les nuits, vers trois heures du matin, le vieux maître et -Abdallahi quittaient ensemble la case enfumée pour aller à la mosquée -rendre grâce au Seigneur. La prière faite, Abdallahi revenait s’étendre -à terre sur sa natte. Mais le pieux vieillard continuait de prier. Quant -aux Mandingues dont il gourmandait en vain la tiédeur, ils ne faisaient -la prière qu’à cinq ou six heures et dans leur case. - -Le vieux maître d’école tomba malade, Abdallahi devint son médecin et -moyennant cinq feuilles de tabac, obtint de l’avare Ibrahim une poule -pour sa convalescence. La petite pharmacie du voyageur fut bientôt -assaillie de tous côtés; «les uns avaient des ulcères aux bras et aux -jambes ou la fièvre ou le mal de ventre.» Ils avaient vu le voyageur -donner à Ibrahim quelques prises de _jalap_, tous ils voulaient du -_jalap_. Du reste, mêmes importunités pour le tabac, la poudre, les -ciseaux, les étoffes. Quant à Ibrahim, il voulait tout acheter. - -Malgré les désagréments que ses refus lui attirent quelquefois, le -voyageur était parvenu à dissiper tous les doutes, à force d’assiduité -tant aux cinq prières, qu’à l’étude et à la récitation du Coran; à force -d’empressement auprès des vieillards vénérés. Du reste sa peau était -déjà tellement brunie par le soleil qu’on pouvait aisément le prendre -pour un Maure. Un seul noir persistait à le traiter de Chrétien: M. -Caillié le voyant passer le pria gravement d’écrire pour lui sur sa -planchette un verset du Coran qu’il désirait apprendre. Cet homme devint -dès-lors son meilleur ami; il lui donna même quelques griffonnages -arabes, précieux talisman qu’Abdallahi dut recevoir avec les marques de -la plus vive reconnaissance. Les habitants de ces contrées (les Foulahs -surtout qui sont d’une humeur plus belliqueuse que les Mandingues) ne -vont pas en voyage ou à la guerre, sans avoir le corps couvert de ces -écritures qu’ils regardent comme un bouclier magique. - -Le 14 mai, Ibrahim mène Abdallahi aux champs où travaillent ses -esclaves. Ils préparaient la terre pour la semence. Les hommes, tout nus -sous un soleil brûlant, remuaient la terre à un pied de profondeur avec -une pioche à manche court et très incliné, fabriquée dans le pays et qui -est là, comme dans presque tous les pays traversés par notre voyageur, -le seul instrument aratoire. Les femmes, à moitié nues, leurs enfants -attachés sur le dos, ramassaient des herbes sèches, et les mettaient en -tas pour les brûler sur le sol, seul amendement que la terre reçoive en -ces contrées. Une pauvre vieille était occupée à faire cuire leur dîner -consistant en bouillie de mil sans sel et sans beurre, assaisonnée -d’herbages. Le maître à qui la vieille en offrit, n’y voulut pas goûter. -M. Caillié apprit que les esclaves ont deux jours de la semaine pour -travailler au champ qui est affecté à leur subsistance. - -Le 25, un tambour de guerre, fabriqué, à grand’peine les jours -précédents par une vingtaine de Mandingues, avec un tronc d’arbre creusé -par le feu et une peau de mouton tannée, rempli du reste d’écritures -arabes, appelle la commune de Cambaya à un ouvrage qui l’intéresse tout -entière; il s’agit de reconstruire un pont, de quarante pieds de long et -six ou sept de large, sur la Tankisso, rivière dont les débordements -fertilisent les plaines voisines. Tout le monde y met la main en -chantant. Les femmes apportent le dîner de leur mari. C’est une partie -de plaisir qui se renouvelle plusieurs jours de suite. Il s’agit tout -simplement de gros piquets, plantés très-près l’un de l’autre au milieu -du ruisseau; puis de traverses supportées en partie par les branches -d’arbres qui l’ombragent; puis de troncs d’arbres posés en long sur ces -traverses et ajustés par des branchages flexibles. Quelques bâtons de -distance en distance servent de garde-fou. - -Un évènement important coïncide avec le séjour de M. Caillié dans le -village d’Ibrahim: un soir, après la prière, le vieux chef aveugle fait -lire à haute voix par un marabout une lettre circulaire arrivée de la -capitale[13], «lettre écrite des deux côtés sur un papier large de trois -pouces et long de cinq.» Puis le courrier reprit sa dépêche et se remit -en route. Il s’agissait de la déposition par les principaux marabouts du -marabout régnant, et de la nomination de son successeur. Le vieux chef -fit une prière pour le nouveau souverain, puis on parla politique. - - [13] La ville de Timbo. M. Caillié ne paraît pas avoir aperçu autre - chose sur les relations des villages Foulahs et Mandingues avec le - gouvernement central. - -M. Caillié affirme que chaque Mandingue est un chef révéré dans sa -famille: sa case, placée au milieu des cases de ses femmes, n’a d’autre -ornement que ses armes, arcs et flèches, lances ou fusil, accrochés à la -muraille; ni d’autre meuble que la peau de bœuf sur laquelle il couche -et les jarres contenant la provision de grain de l’année, que le mari -distribue par portions à chacune de ses femmes. - -Pour les femmes, elles sont, dit-il, très-gaies, nullement jalouses -entre elles, très-soumises à leur mari, qui les pourvoit de riz et leur -donne à chacune une vache à traire matin et soir. Les parents sont -très-indulgents pour les enfants et les enfants sont doux et dociles. -L’autorité des vieillards, invoquée seule dans les différends, fait loi. - -Quant aux deux populations distinctes de Foulahs au teint marron et de -Noirs mandingues, il ne paraît pas que leur réunion sous les mêmes -règlements et dans les mêmes villages entraîne aucune discorde, malgré -la différence de leurs langues, de leurs habitudes et même de leurs -prétentions[14]. Du reste, Mandingues ou Foulahs, il nous suffirait -d’assister à leurs repas pour comprendre comment sont possibles, au bord -du Tankisso, tant de choses qui ne le sont pas au bord de la Seine. - - [14] Un bon vieux Foulah, nommé _Guibi_, voisin d’Ibrahim--qui fit - cadeau à Abdallahi d’un gros pain de maïs, au miel et aux pistaches, - pour sa route--lui disait souvent _que les foulahs étaient les - blancs d’Afrique_. - -«Ils ont l’habitude d’inviter tous ceux avec qui ils se trouvent ou qui -passent auprès d’eux, à partager le dîner que leurs femmes leur -apportent. Si l’invité ne s’assied pas auprès de la calebasse, le chef -lui donne une poignée de riz qu’il a tournée longtemps dans sa main, -puis trempée dans la sauce: cette politesse ne peut se refuser sans -injure. Une autre politesse c’est, au commencement du repas, de tourner -le riz avec la main pour le refroidir. Le chef verse lui-même la sauce -sur le riz, mange la première poignée, puis engage les autres à -l’imiter. Le repas commence toujours par l’invocation: Bismillah etc. -(au nom de Dieu clément et miséricordieux).» - -Mais il est temps qu’Abdallahi fasse ses présents d’adieu à Ibrahim qui -lui a servi en toute occasion de truchement et d’avocat. Il lui fait un -joli cadeau d’ambre, d’indienne, de poudre, de papier, de ciseaux et -mouchoirs de soie. En sage Mandingue, Ibrahim prie Abdallahi de n’en -parler à personne. M. Caillié donne, en outre, quelques coups de poudre -au bon vieux chef aveugle, dont il reçoit la bénédiction accompagnée de -recommandations utiles, et fait un petit présent au bon vieux Foulah -Guibi, en souvenir de son pain de maïs. Le 30 mai, nous nous remettons -en marche. Le Foulah Guibi et le Mandingue Ibrahim reconduisent le -voyageur jusqu’au nouveau pont, et le suivent longtemps des yeux, criant -par trois fois à tue-tête _Samalécoum_ (la paix soit avec toi); puis -encore: _Allam kisselak_ (Dieu te préserve en route). - -Nous voici sur la route de Kankan, ombragée d’arbres _à beurre_, avec -une quinzaine de compagnons de voyage. Au noir Ibrahim a succédé le -vieux noir _Lamfia_, comme lui accompagné d’une de ses femmes, qui porte -la vaisselle et fait la cuisine de la petite caravane. Partout le vieux -guide conte l’histoire d’Abdallahi. Abdallahi n’est plus un simple -Arabe, c’est un homme de la plus haute noblesse musulmane, un descendant -direct du Prophète, un _chérif_. Partout le guide sert au chérif -d’interprète et de défenseur, avec l’autorité que lui donne son grand -âge: autorité qui est souveraine en Afrique. - -A une lieue de Cambaya, nous trouvons un village en noces: le chef à qui -M. Caillié avait donné le matin de la crème de tartre, épousait, le -soir, sa quatrième femme. Le voyageur voit disposer en plein air les -apprêts du souper: deux moutons bouillis dans de grands pots de terre: -et d’énormes piles de riz cuit à l’eau et pétri en pain de sucre. - -La fiancée, selon M. Caillié, s’achète là moyennant un, deux, trois -esclaves donnés à sa mère: puis le mariage se consomme sans aucune -formalité religieuse, après une fête de nuit dont le mari fait les -frais. Toute la nuit les nègres et négresses (esclaves) dansèrent au son -d’un petit tambour. - -Les orages qui n’avaient pas cessé pendant le séjour à Cambaya, -continuent toujours. Le voyageur, perpétuellement mouillé, a bien de la -peine à garantir ses notes de la pluie dans le portefeuille de cuir non -tanné qui les enveloppe: obligé souvent, à son grand regret, d’étaler -ses marchandises pour les faire sécher. Nous traversons ainsi des -plaines où le tambour résonne dès le point du jour, et anime les -travailleurs. La curiosité que le chérif excite est toujours la même. -Son parapluie, qui ne lui est pas toujours inutile contre la pluie ou -contre le soleil, commence à jouer un grand rôle. C’est à qui verra -comment il s’ouvre et se ferme. - -Le 6 juin, nous nous arrêtons au premier village du _Baleya_. Ce -village, que le voyageur nomme Saraya, et auquel il donne de sept à huit -cents habitants, est, comme la plupart des villages où nous aurons à -passer, entouré de deux murs en terre entre lesquels les bestiaux -passent la nuit. Les hameaux des esclaves sont seulement entourés de -haies vives. Quant aux habitants, ce ne sont ni des Foulahs ni des -Mandingues, mais des Noirs anciens possesseurs du pays et assez peu -zélés musulmans, que l’on désigne sous le nom de _Dhialonkés_. - -Une heureuse rencontre, dans le village suivant, c’est celle du fils du -chef de _Kankan_, venu là pour vendre un cheval (c’est la première fois -que M. Caillié parle de cheval depuis son départ); Abdallahi-le-Chérif -achète aisément sa protection avec une feuille de papier. L’intérieur -des cases, construites en paille, est toujours le même, tapissé d’arcs, -de flèches et de lances. Celle du chef a pour tout meuble une jarre à -mettre de l’eau, une peau de bœuf et quelques nattes. Les habitants, -assemblés sous un gros bombax (_arbre à soie_), dansent tous les soirs, -à la lumière de la lune, au son d’un petit tambour et d’un flageolet de -bambou; ou bien la lance ou l’arc à la main, figurent avec des gestes de -menace, de douleur, de triomphe, de sérieuses pantomimes guerrières. Ces -peuples, au dire de M. Caillié, boivent _en secret_ une espèce de bière -fabriquée avec du mil et du miel. Leur corps est tout ruisselant de -beurre rance. La plupart des femmes ont pour tout vêtement une _pagne_ -ou bande de toile de cinq pieds de long sur deux de large qu’elles se -tournent autour des reins; elles ne se couvrent les épaules et la -poitrine les jours de fête. M. Caillié nous les représente le teint fort -noir, les cheveux crépus, ornés de grains de verre et beurrés, le nez -légèrement aquilin, avec de grands yeux et des lèvres minces; -«très-douces, et soumises à leurs maris.» - -Le 11 juin, nous arrivons, dans le pays d’_Amana_, au bord d’une rivière -de huit ou neuf cents pieds de large et de huit à neuf pieds de -profondeur, qui coule vers le levant; cette rivière c’est le _Dhiolibâ_, -c’est le NIGER. Pour passer deux ou trois cents marchands noirs avec -leurs ânes et leur bagage, il n’y avait en tout que quatre bateaux ou -pirogues de vingt-cinq pieds de long, sur trois de large et un de -profondeur. Il fallut une demi-journée pour que tout le monde fût sur la -rive droite: demi-journée pendant laquelle le voyageur, assis au soleil -sans abri[15], put contempler à l’aise le fleuve de Mungo-Parck. Vous -supposerez sans peine qu’il suivait d’un œil de regret cette eau qui -devait arriver avant lui près du but mystérieux de ses longs efforts. Ce -passage du Dhiolibâ (13 juin) offre du reste le tableau le plus animé; -les marchands noirs, de ceux que l’on nomme _Saracolets_, disputent sur -le prix du bac. Tous veulent passer les premiers, et parlent tous -ensemble; ils ont du reste toutes les peines du monde à faire embarquer -leurs ânes. Aux cris de la rive gauche, répondent en signe de joie les -coups de fusil de la rive droite. Pendant ce temps-là, grand nombre de -femmes et de jeunes filles se baignent dans le fleuve, sans faire le -moins du monde attention aux gens qui les regardent; puis s’en -retournent au village de _Couroussa_, une calebasse sur la tête et une -pagne autour des reins. Le chef de village dont les esclaves tiennent le -bac de Couroussa, fit grâce du passage à M. Caillié en faveur de sa -qualité de Chérif. - - [15] Un énorme bombax, seul arbre du rivage, ne pouvait suffire à - abriter la foule. - - - - -KANKAN. - - -Après quatre jours de marche, le long du fleuve, sur des routes inondées -et par un soleil brûlant: après quatre nuits de fièvre et d’insomnie sur -des roches recouvertes de paille, le voyageur arrive épuisé à la ville -chef-lieu de Kankan. Son vieux guide qui avait eu la complaisance de -prendre et de fermer le parapluie à l’approche des lieux habités, voulut -à toute force qu’il l’ouvrît pour faire son entrée dans sa ville natale. -L’arrivée de Lamfia ressemble à celle d’Ibrahim. Toute la famille -accourt saluer le chef. Le voyageur est retenu trois jours par la -fatigue et par la fièvre, dans la case que lui donne son guide, en -commun avec un Foulah de la caravane. - -Le chef de la ville, vieillard mandingue, père du jeune cavalier -rencontré en chemin par Abdallahi, reçoit très-bien le Chérif, se fait -conter au long sa touchante histoire par le vieux Lamfia, et lui promet -de le faire conduire à Jenné par la première occasion. Quelques -formalités de police africaine, un interrogatoire public, une décision -expresse du conseil des vieillards sur la route qu’il lui convient de -prendre, donnent une sorte de légalité à son séjour parmi les Noirs de -Kankan, lui servent de défense contre les doutes qui pourraient s’élever -encore sur la vérité de ses récits, et lui fournissent un précédent dont -il pourra se prévaloir, au besoin, dans les autres villes. Lamfia, vieux -guide à qui le vieux chef et son conseil de vieillards remettent le -voyageur, avait de lui tout le soin possible. «Nous mangions ensemble, -dit M. Caillié, et deux fois par jour on nous donnait de très-bon riz, -avec une sauce aux pistaches et aux ognons: tous les soirs, il faisait -allumer du feu dans ma case. Le jour de mon arrivée, je lui fis cadeau -d’une brasse de belle guinée bleue qu’il avait paru désirer, de trois -brasses de belle indienne et de six feuilles de papier; il parut -très-content et me remercia beaucoup. Il passait une partie de la -journée auprès de moi, occupé à coudre des étoffes du pays.» - -Abdallahi fait vendre par le guide un baril de poudre et une pièce de -guinée. «Je me défis de ces objets à _soixante pour cent de bénéfice_, -parce que je ne voulais prendre pour paiement que de l’or, et que cet -article était très-rare dans le pays à cause de la guerre entre Bouré et -Kankan qui intercepte toutes les communications. Pour que la vente fût -meilleure, le vieux Lamfia écrivit quelques mots arabes sur la -planchette consacrée, lava l’écriture avec de l’eau et aspergea de cette -eau les marchandises à vendre.» - -Le marché de Kankan est fourni par les Noirs voyageurs de marchandises -européennes, telles que fusils, poudre, pierres à feu, indienne de -couleur, ambre, corail, verroteries, menue quincaillerie,--puis aussi de -toiles blanches tissées dans les environs, de poteries en terre grise -fabriquées dans le pays; de volaille, moutons, chèvres, bœufs; riz, -foigné, ignames, cassave, etc. Le sel est (après l’or, sans doute) le -premier article d’échange. Quant à l’or (tiré par le lavage, des sables -des environs, notamment autour de _Bouré_), il est mis en circulation -sous forme de boucles d’oreilles ou bien en petits grains qui tiennent -dans un tuyau de plume, et se pèse dans de petites balances très-justes, -avec des graines noires sur le poids desquelles les marchands de ce pays -ne se trompent jamais. - -Le 6 juillet, grande fête musulmane du Salam. Des vieillards en manteau -rouge bordé de jaune, à la main droite une lance, sur la tête un bonnet -rouge et chantant tous _la il allah_, Dieu est Dieu, etc., attirent la -foule des Noirs dans une grande plaine à l’est de la ville. L’assemblée -en costume mandingue (large culotte, blouse sans manche et bonnet -pointu) est bigarrée par quelques habits rouges de soldats anglais, de -vieux manteaux et de vieux chapeaux européens, autres défroques -dépareillées: au reste, tous les hommes étaient armés de fusils, de -lances, d’arcs et de flèches: au moment de la prière, chacun mit ses -armes à terre. A chaque instant arrivaient des vieillards à manteau -rouge, suivis d’une foule de Noirs. Peu après, parut le chef, à cheval, -précédé d’un drapeau de taffetas rose, escorté de deux ou trois cents -Mandingues, rangés en haie et tous armés de fusils. Le _chef de la -religion_ venait ensuite avec une nombreuse garde et précédé d’un -drapeau de taffetas blanc, avec un morceau rose, en cœur, au milieu. Cet -homme avait sur les épaules un manteau de belle écarlate, garnis de -frange et de galons en or: cadeau du major Peddie qui, lors de son -départ pour l’intérieur de l’Afrique, envoyait de tous côtés des -présents aux chefs pour se les rendre favorables. Les vieillards à -manteaux rouges avaient pris modèle sur celui de leur prince en Mahomet. -Deux gros tambours pareils à celui de Cambaya conduisaient la fête. -«L’_Almany_ fit la prière avec beaucoup de piété; il paraissait -très-recueilli. C’était un spectacle frappant de voir une aussi grande -assemblée se _prosterner_ pour adorer Dieu. Après la prière, les -vieillards formèrent un dais avec des pagnes blanches. L’Almany se plaça -sur un petit siége que l’on avait apporté exprès; il fit une longue -lecture en Arabe, que _bien certainement personne ne comprenait_. - -«Cette lecture finie, le vieux chef de la ville ayant à côté de lui un -homme qui répétait à haute voix ce qu’il disait, appela l’attention de -ses concitoyens sur les changements de direction que la guerre de Bouré -devait apporter dans leur commerce... Les femmes assistèrent à la fête, -se tenant à une distance respectueuse des hommes. Après la cérémonie, on -immola l’agneau pascal pour se régaler le reste du jour.» - -Le voyageur qui s’était déjà aperçu qu’on avait touché à son papier, -reconnut le lendemain de la fête que ses plus belles verroteries et un -rasoir avaient disparu de son bagage. Le voleur était le vieillard même -qui l’avait si bien soigné et protégé jusque-là. Cette affaire fit du -bruit: Lamfia proposa l’épreuve du fer rouge sur la langue; le chef et -le conseil des vieillards lui imposèrent silence, mais déclarèrent en -même temps qu’il n’y avait pas lieu à le punir, faute de preuve directe -contre lui. Abdallahi avait transporté ses effets chez un bon vieil -Arabe établi dans le pays; mais le conseil des vieillards prenant en -considération l’extrême pauvreté de cet homme hospitalier, donnèrent -pour hôte au Chérif un Foulah très-riche et très-dévot[16]. Ses effets -visités, ses étoffes mesurées furent mis prudemment dans un magasin -fermant à clef. - - [16] Cet homme, riche en troupeaux de bœufs à bosse et de vaches, - possédait le plus beau cheval que M. Caillié ait vu dans cette - partie de l’Afrique: il l’avait eu moyennant _cinq Noirs et deux - bœufs_. Le prix courant d’un esclave à Kankan est d’un baril de - poudre de vingt-cinq livres, un mauvais fusil et deux brasses de - soie rose. Un Mandingue qui possède une dizaine d’esclaves n’a plus - besoin de voyager. - -Comme on pouvait s’y attendre, Lamfia ne tarda pas à démentir tout ce -qu’il avait affirmé; et bien que la colère du vieillard inspirât d’abord -peu de confiance, ces dénégations ne pouvaient manquer d’agir peu-à-peu. -La place n’était pas tenable pour Abdallahi, malgré son assiduité aux -dévotions prescrites. Toutefois, bien nourri, passablement logé, il dut, -malgré ces désagréments, trouver ses derniers huit jours supportables: -il avait le plaisir de partager tous les soirs avec le pauvre vieil -Arabe _Mohamed_, le souper du riche Foulah. - -Le 16 juillet, après un mois de repos, le voyageur laisse à son hôte le -petit pot de fer blanc dans lequel il buvait, et reçoit sa bénédiction. -Le bon vieil Arabe reconduit Abdallahi au-delà de la petite rivière qui -coule à l’est de la ville, et avant de se quitter pour ne se plus -revoir, le jeune homme et le vieillard cassent en deux une _noix de -colats_ qu’ils mangent ensemble. - -La petite caravane, composée d’une quinzaine de Mandingues ou de -Foulahs, profite de l’obscurité pour traverser des bois infestés de -brigands. «Marchant très-vite et dans le plus grand silence, dans des -herbes si hautes qu’elles dépassaient nos têtes, nous fûmes surpris par -la pluie; pour comble de malheur, la nuit devint très-obscure, nous -avancions sans savoir où poser le pied. Vers huit heures, ayant perdu la -trace de la route, nous fûmes obligés de nous arrêter, et, assis à -terre, de recevoir la pluie sur le dos sans oser ni tousser ni cracher. - -«Lorsque la pluie eut cessé, un de nos compagnons déchira un morceau de -sa pagne, la mit en charpie, y mêla un peu de poudre, puis plaçant cette -préparation dans le bassinet de son fusil, il obtint du feu. Quelques -branches d’arbre coupées nous firent une cahute. Mais les essaims de -moustiques ne nous laissèrent pas de repos. Deux de nos compagnons armés -de poignards et de lances allèrent à la recherche de l’eau. Le feu -allumé non sans peine, nous fîmes griller quatre ignames et quelques -pistaches pour notre souper; puis nous nous étendîmes auprès du feu sur -des feuilles d’arbre toutes mouillées.» Le voyageur a tout le temps de -réfléchir aux difficultés que la saison des pluies lui prépare, dans le -silence de cette longue nuit; silence qu’interrompent seuls le chant de -quelques oiseaux nocturnes et le coassement des grenouilles. - -Le voyageur marche plusieurs lieues de suite avec de l’eau à mi-jambe -sur des routes inondées, et compte huit petites rivières passées à gué -en un seul jour. La pluie l’empêche de mettre ses sandales; il a bientôt -le talon du pied gauche écorché. Il arrive ainsi le soir au premier -village du Ouassoulo. - -Les habitants (Foulahs au teint marron-clair, mais étrangers aux -croyances et aux pratiques musulmanes) sont d’une grande malpropreté, -d’une extrême douceur et d’une gaîté perpétuelle. La musique qui anime -leurs danses, la moitié de la nuit, se compose de cornes droites de bois -creux recouvertes, à l’extrémité la plus large, d’une peau de mouton, et -percées d’un petit trou sur le côté; d’une grosse caisse, d’un tambour -de basque et d’un cliquetis d’anneaux de fer: les musiciens se -distinguent par leurs panaches de plumes d’autruche et leurs franges de -plumes de pintade. Quelques-uns agitent de gros haricots dans une sorte -de casserole de bois, recouverte d’un filet. Les musiciens se promènent -à la file: les femmes et les garçons suivent en dansant et frappant dans -leurs mains. - -Ce qui frappe le plus le voyageur dans les fertiles plaines du -Ouassoulo, c’est le travail des champs, accompli par des mains libres. -«Je voyais, dit-il, beaucoup d’ouvriers répandus dans la campagne qui -piochaient la terre et la remuaient aussi bien que nos vignerons en -France; ce ne sont plus les esclaves des Mandingues qui se contentent -d’effleurer le sol pour détruire les mauvaises herbes, mais de vrais -laboureurs qui se donnent de la peine pour avoir une belle et abondante -récolte. Ils en sont bien récompensés, car leur riz et tout ce qu’ils -cultivent, croît plus vite et produit davantage... - -«Je les ai vus labourer le champ qui venait d’être récolté pour -l’ensemencer de nouveau. Les femmes étaient occupées à sarcler les beaux -champs de riz dont la campagne est couverte. Je fus étonné de trouver -dans l’intérieur de l’Afrique, l’agriculture à un tel degré -d’avancement: leurs champs sont aussi bien soignés que les nôtres, soit -en sillons, soit à plat, selon que la position du sol le permet par -rapport à l’inondation. - -«Je remarquai du riz en épi, à côté de celui qui ne faisait que sortir -de terre. La campagne est généralement très-découverte; les cultivateurs -ne réservent parmi les grands végétaux que l’arbre à beurre et le nédé -qui sont très-répandus et de la plus grande utilité. Je n’ai pas vu -comme dans le Fouta et le Buleya des arbres coupés à quatre ou cinq -pieds de terre. Les Foulahs du Ouassoulo ont soin d’arracher le pied et -ne laissent rien en terre qui puisse leur nuire.» - -Ces Foulahs font peu de commerce; et pour eux, infidèles, voyager à -travers les villages musulmans, ce serait s’exposer infailliblement à y -être retenus comme esclaves. - -«J’ai cherché, dit M. Caillié, à découvrir s’ils ont une religion, s’ils -adorent ou les fétiches, ou la lune, ou le soleil, ou les étoiles; je ne -les ai vus pratiquer aucun culte et je crois qu’ils vivent insouciants à -ce sujet et ne s’occupent que très-peu de la divinité.» - -Autant les Musulmans de Kankan sont propres, autant les Foulahs du -Ouassoulo, si industrieux! sont sales et dégoûtants. Leurs habits jaunes -ou noirs ne sont jamais lavés. Le nez plein de tabac, la peau infectée -de beurre rance, la figure tailladée et les dents limées, ils sont tous -robustes et bien portants; leur culture et leurs bestiaux fournissent -abondamment à leur subsistance: la nourriture des esclaves des -Mandingues leur suffit: la viande est, chez eux, réservée pour les jours -de fête et le sel est de luxe. Les femmes fabriquent elles-mêmes leur -vaisselle de terre, filent et tissent le coton. Elles mettent un genou -en terre lorsqu’elles présentent quelque chose à leur mari. Les hommes -portent comme les femmes des bracelets aux mains et aux pieds, des -colliers de verre et des boucles d’oreille, tressent comme elles leurs -cheveux enduits de beurre. Ce sont eux qui élèvent la volaille et -donnent les premiers soins aux poulets. Des chiens gardent les -habitations séparées de chaque famille. - -Le 21 juillet, à deux heures de l’après-midi, Abdallahi rend visite au -chef du Ouassoulo qu’il trouve couché dans sa case auprès de son chien -(d’une espèce à oreilles longues, museau pointu, poil rouge). Ce chef, -chez lequel M. Caillié remarque une théière en étain, un plat et -plusieurs bols de cuivre qui lui paraissent d’origine portugaise, avait -une très-grande boucle d’oreille en or à l’oreille gauche et point à la -droite. Il use de tabac en poudre et à fumer comme ses sujets et est -aussi malpropre qu’eux. Sa case est tapissée d’arcs, de flèches, de -carquois, de lances, de deux selles pour ses chevaux et d’un grand -chapeau de paille. Le même jour, il reçoit le voyageur dans son écurie, -assis sur une peau de bœuf auprès d’un beau cheval. «Il nous fit asseoir -à côté de lui et me donna quelques noix de colats. Il distribua devant -nous à quelques-unes de ses femmes des ignames que l’on venait de -récolter.» Ce chef qui n’est pas plus que ses sujets astreint aux -restrictions du Coran, à beaucoup de femmes: chacune d’elles a sa case -particulière, ce qui forme un petit village.--Ses sujets lui font -souvent des _cadeaux_ en bestiaux. - -Nulle part, le voyageur ne reçoit plus de compliments et un plus cordial -accueil[17]. «C’est un blanc, disent-ils en ouvrant de grands yeux, ah! -comme il est bien!» La longueur de son nez étonne presque autant qu’elle -réjouit. Tous les soirs, M. Caillié les voit allumer des poignées de -paille, et contempler le blanc, demandant au guide si cette blancheur de -peau est bien naturelle. Le parapluie du voyageur excite presque autant -leur curiosité que sa personne. Ils ne peuvent concevoir comment on peut -à volonté ouvrir et fermer cette machine: ceux qui l’ont vue courent -avertir leurs voisins, et la case où loge le voyageur ne désemplit pas. - - [17] Un chef de famille va même jusqu’à lui donner un mouton. - -J’omets, comme vous pensez, les nombreuses rivières que nous avons à -passer, le plus souvent à gué, quelquefois sur des ponts à moitié -démolis; quelquefois aussi dans des bateaux formés tout simplement de -troncs d’arbre assemblés côte à côte avec des lianes; à l’un de ces -passages dans un bateau de ce genre qui faisait eau comme un panier, le -guide d’Abdallahi, noir Mandingue d’une douceur et d’une piété bien rare -entre ses pareils, _Arafanba_, chantait à haute voix les prières du -Coran. - -Le 27 juillet, nous arrivons à _Sambatikila_, village de noirs musulmans -isolé au milieu de villages de noirs _Bambaras_, qui parlent Mandingue -comme les Ouassoulos, et sont comme eux non pas sans superstition, mais -sans culte: du reste, aussi sales. Le vieux chef musulman, habillé en -Arabe, la tête couverte d’un turban à raies rouges et blanches, reçoit -Abdallahi, couché dans sa cour, sous un petit hangar. «Il se mit sur son -séant, dit M. Caillié, et me tendit la main avec les salutations -d’usage. Après m’avoir touché, il se porta la main sur la poitrine et -sur la figure, car il est très-religieux et plein de confiance dans la -sainteté des Arabes.» - -Mais la table de ce fervent islamiste était très-mal servie. Il avait -interdit le marché sous prétexte qu’il dérangeait la prière. Ses fils -s’informaient bien si le voyageur avait de l’eau chaude pour les -ablutions, mais non s’il avait de quoi manger. - -La famine menaçait ce malheureux pays; on ne faisait plus qu’un repas -par jour. Les noirs mandingues de Sambatikila, sous prétexte d’étudier -le Coran, aiment mieux se passer de déjeuner que de travailler de leurs -mains à la terre. - -Malgré ce jeûne forcé, dont le voyageur eut en passant sa bonne part, -ils étaient tous joyeux et ne manquaient jamais d’aller, tous les -matins, chanter les louanges de Dieu et du Prophète. Le vieux chef -lui-même avait bien soin de chanter de temps en temps. - -Le prix courant d’un esclave est là de trente briques de sel (de dix -pouces de long, trois de large et deux d’épaisseur); ou bien d’un baril -de poudre, avec huit masses de verroterie marron-clair; ou bien encore -d’un fusil avec deux brasses de taffetas rose. - -Chassé par la famine, M. Caillié se remet en route le 2 août, avec une -plaie au pied gauche. Le vieux chef lui recommande instamment de ne pas -l’oublier auprès des vénérables chéiks de la Mecque, et tire d’un vieux -chiffon un petit bracelet d’argent qu’Abdallahi lui paie avec un morceau -d’indienne de couleur, du papier et quelques grains de verre. - -Un Foulah et trois Mandingues reconduisent le voyageur à demi-lieue de -là: entre autres le bon et pieux Mandingue Arafanba, que nous laissons à -Sambatikila. - -Le 3 août, après un jour et demi de marche, par la pluie, au milieu de -grandes herbes et de buissons ou bien dans les bourbiers de villages -idolâtres, le voyageur arrive avec la fièvre et le frisson à un autre -petit village de noirs musulmans, ombragé de bombax et de baobabs: à -_Timé_. Une bonne vieille négresse lui offre l’hospitalité: Abdallahi -s’endort à terre, sur une natte, auprès du feu. - - - - -TIMÉ. - - -Les pluies qui continuent d’inonder le pays, la plaie de son pied, la -crainte d’être obligé de rester en route en quelqu’un des villages -idolâtres qui restent à traverser, font prendre au voyageur la -résolution de passer le mois d’août à Timé, _sous la protection de -Mahomet_ et d’un vieux chef vénérable. Du reste, un marché, tenu une -fois la semaine et approvisionné de tout, hors de sel, le rassurait ici -sur la subsistance. La bonne négresse lui apportait elle-même deux fois -par jour, une petite portion de riz et de mil bouilli. - -Toutefois, le voyageur, habitué à des maisons pourvues de cheminée et de -fenêtres, n’est pas très à son aise dans sa case de terre, à travers -laquelle filtre la pluie fine et froide qui tombe sans interruption, -enfermé qu’il est dans un bain de vapeur et de fumée. Les Mandingues -passaient le temps à coudre leurs habits, et les femmes, sur qui tombe -toute la peine, vaquaient au dehors à la provision d’eau et de bois, -pieds nus dans la boue des chemins. - -La plaie du voyageur ne guérissait pas. Une seconde plaie se déclara à -la fin d’août: le mois de septembre amenait chaque jour un orage et des -torrents de pluie.--A mesure que les pluies cessent, en octobre, les -chaleurs augmentent. La plaie du voyageur allait mieux: ses hôtes, après -lui avoir prodigué tous les soins (payés du reste en étoffes, ciseaux, -tabac, sel, etc.), après avoir épuisé à son service toutes leurs -connaissances médicales et tous leurs secrets religieux, tels, par -exemple, que la tisane toute puissante obtenue par le lavage d’un -griffonnage arabe; ses hôtes, de plus en plus exigeants et maussades, -pressaient assez clairement son départ. Les importunités des femmes ne -lui laissaient pas de repos. Enhardies peu-à-peu, elles assaillaient en -foule sa case pour avoir des grains de verre, contrefaisaient ses -gestes, ses paroles, sa maladresse à manger la bouillie sans cuillère; -riant aux éclats non-seulement de la longueur de son nez, mais même des -cataplasmes qui recouvraient sa jambe et de la difficulté de sa -marche[18]. - - [18] «Je demandais à Baba (l’un des fils de la bonne vieille hôtesse), - pourquoi il ne plaisantait jamais avec ses femmes; «c’est, - répondit-il, que je n’en pourrais plus rien faire: elles se - moqueraient de moi quand je leur _commanderais_ quelque chose.» Les - hommes en effet ne leur parlent qu’en maîtres, et répondent par des - coups de fouet à leurs criailleries. Elles n’oseraient lever la main - pour se défendre. - -Mais un plus grand malheur le menaçait: laissons parler M. Caillié -lui-même. «Vers le 10 novembre, après plus de trois mois de séjour, la -plaie de mon pied était presque fermée; j’avais l’espoir de profiter de -la première occasion et de me mettre enfin en route pour Jenné, mais -hélas! à cette même époque de violentes douleurs dans la mâchoire -m’apprirent que j’étais atteint du scorbut, affreuse maladie que -j’éprouvai dans toute son horreur. Mon palais fut entièrement dépouillé, -une partie des os se détachèrent; mes dents semblaient ne plus tenir -dans leurs alvéoles. Je craignais que mon cerveau ne fût attaqué par la -force des douleurs que je ressentais dans le crâne. Je fus plus de -quinze jours sans trouver un quart d’heure de sommeil. Pour comble de -douleur, la plaie de mon pied se rouvrit et je voyais s’évanouir tout -espoir de partir. Que l’on s’imagine ma situation! seul dans l’intérieur -d’un pays sauvage, couché sur la terre humide, sans autre oreiller que -le sac de cuir qui contenait mon bagage, sans autre garde ni médecin que -la bonne vieille négresse qui, deux fois par jour, m’apportait un peu -d’eau de riz; je devins un véritable squelette et finis par inspirer de -la pitié aux rieuses elles-mêmes... Au bout de six semaines, je -commençai à me trouver mieux.» - -Son hôte qui l’avait négligé, lui amène, par un retour de pitié, une -vieille femme qui le traite à la manière du pays et le guérit. Vers le -milieu de décembre, il put aller avec un bâton, se ranimer au soleil, au -rendez-vous des vieillards. - -Enfin, après bien des obstacles trop longs à redire, le départ avec l’un -des fils de la bonne vieille est fixé à la première quinzaine de -janvier. La veille du départ est marquée par une bruyante solennité: un -jeune noir célébrait les funérailles de sa mère. La _fête_, animée par -un grand luxe de musique, par des danses processionnelles, des -psalmodies lugubres, par une pantomime guerrière et force coups de -fusil, se termine par un copieux repas suivi de danses. - -Le 9 janvier 1828, après les petits cadeaux d’usage, le voyageur encore -faible, se remet en route, au bruit des sonnettes que portent à la -ceinture les Mandingues avec lesquels il part. Les arbres avaient en -partie perdu leurs feuilles et les herbes avaient été arrachées pour le -chauffage. - -Une trentaine de négresses ouvrent la marche, la tête chargée de noix de -colats; suivent à la file, quarante à cinquante noirs également chargés; -le cortége est fermé par une quinzaine d’ânes que conduisent huit chefs. -Aux haltes, les femmes broient le mil et font chauffer l’eau pour le -bain habituel des hommes. Les noirs esclaves sont chargés de -l’approvisionnement de bois: quant aux noirs libres, ils se couchent en -attendant le souper ou bien échangent quelques _noix de colats_ contre -la monnaie du pays[19] qu’ils amassent pour l’achat du mil, et qui leur -sert aussi pour payer les _droits de passe_. Leur grande affaire après -le repos, c’est de visiter leur charge de noix de colats et d’y mettre -des feuilles fraîches. - - [19] Cette monnaie est une petite coquille de celles que nos - classifications appellent des _porcelaines_, et que les Africains - nomment des _Cauris_. - -De janvier en mars, pendant deux mois de marche vers le nord, -interrompue par un seul jour de repos, le voyageur traverse à peine -quelques villages de noirs musulmans; partout il rencontre des Foulahs -_Bambaras_, simples et inoffensifs, presque nus, parés de coquillages, -insouciants de l’avenir, toujours en fêtes, souvent enivrés sans -scrupule de mil fermenté, passant la moitié des nuits à danser, hommes -et femmes, en rond, autour d’un grand feu:--pleins de respect du reste -pour les pratiques musulmanes et de foi à la toute puissance de -l’écriture arabe. A cela près, ils paraissent très-indifférents aux -questions théologiques, et ne s’occupent nullement de création ou de vie -à venir; pour eux, point d’animaux _impurs_: des petites pattes de -souris dans leurs sauces apprennent au voyageur que ces peuples trouvent -tout simple de manger les ennemis de leur mil, pris au piége dans leurs -jarres de terre; ils engraissent aussi par troupeaux des chiens pour la -table. - -Leur insouciance des choses de l’autre monde s’étend à celles de -celui-ci; ils sont très-malpropres, logent dans des cahutes de terre que -chauffe comme un four le feu qu’ils y entretiennent en tout temps, et -d’où la fumée (qui n’a plus même un toit de paille pour issue) chasse -perpétuellement le voyageur, réduit à coucher à la belle étoile. - -Du reste, les marchés, sur le chemin, sont assez bien pourvus des choses -nécessaires. Dès le 16 janvier, les petites coquilles deviennent -indispensables. Elles représentent à-peu-près partout un demi-centime. -Une belle poule coûte quatre-vingts de ces coquilles[20]. - - [20] Ces peuples ne comptent pas comme nous par _centaines_, mais par - _quatre-vingtaines_. Le nombre cent se dit chez eux: _une - quatre-vingtaine-et-vingt_. - -Les provisions de grains et de racines, principalement de riz et -d’ignames, exposées partout en plein air dans de petits magasins en -paille, sans autre défense que quelques chiffons d’écriture arabe, -attestent assez et l’abondance des vivres, conséquence du sol, et la -confiance réciproque des musulmans et des infidèles. Toutefois, il ne -faudrait pas exposer de même des verroteries, des ciseaux, etc. Le -voyageur qui, lui aussi, étale au marché sa petite boutique a bien soin -de ne pas leur montrer beaucoup d’étoffe ou de verroterie à la fois. - -Une particularité bien sensible après le brutal asservissement des -femmes à Timé, c’est que, dans les villages Bambaras, les femmes -viennent s’asseoir à côté des hommes et, tout en filant le coton, -prennent part à la conversation[21]. - - [21] Une autre particularité qui distingue cette région, c’est la mode - que suivent la plupart des femmes d’avoir un morceau de bois (de la - largeur d’une pièce de un franc et très-mince), incrusté dans la - chair, au-dessous de la lèvre inférieure. Les petites filles en ont - un de la grosseur d’un pois qu’elles changent successivement pour un - morceau plus grand. - - Ailleurs, le morceau de bois est remplacé par une pointe d’étain de - deux pouces de long et de la grosseur d’un tuyau de plume, retenu - dans la bouche par une petite plaque du même métal. - -A part l’autorité universelle des vieillards, le seul magistrat, aperçu -par le voyageur, c’est un homme enfermé dans une sorte de sac noir à -coulisse, les mains et les pieds nus, la tête ornée de plumes d’autruche -blanches, avec quatre ouvertures garnies d’écarlate pour les yeux, le -nez et la bouche. Cet homme assis, un fouet à la main, à l’entrée des -villages, auprès d’un tas de petites coquilles, recevait les droits de -passe. Le fouet de cet étrange douanier était aussi chargé de la police -des rues. - -Le 19 janvier (à _Tongrera_, l’un des principaux villages musulmans), le -voyageur perd l’espoir d’aller à Jenné. La caravane se dirige d’un autre -côté. Mais quatre jours après, il a la joie de lui voir reprendre sa -première direction. A Tangrera, M. Caillié voit piler du tabac par des -noirs esclaves, non plus vert comme dans les villages précédents, mais -de couleur marron-clair et d’une très-bonne odeur. - -La caravane, grossie en route, n’était pas alors de moins de cinq cents -noirs ou négresses et de quatre-vingts ânes; comme toutes les contrées -traversées jusqu’ici par M. Caillié, cette partie de l’Afrique abonde en -arbres à beurre et en nédés; en avançant vers le nord, le baobab devient -moins commun et l’arbre à soie le surpasse en grosseur. Les _ronniers_ -atteignent en plusieurs endroits une hauteur prodigieuse. - -A l’approche du royaume de Jenné, la caravane, intimidée par des bruits -de guerre, prend une attitude de défense. Les hommes aux charges de -colats, tous armés d’arcs et de flèches, se placent à l’avant-garde; les -vieillards et les ânes restent en arrière, les femmes au centre. - -Enfin, nous entrons, le 21 février, sur le territoire du dévot et -belliqueux roi de Jenné, qui, laissant aux esclaves la culture de la -terre et les ouvrages manuels, et le commerce aux Arabes et aux noirs, -s’occupe exclusivement, lui et les siens (Foulahs graves et fiers), de -l’étude du Coran, et ne travaille qu’à la propagation de la foi -musulmane, à l’agrandissement du patrimoine du Prophète: imposant à tous -ses voisins des tributs ou des mosquées. - -Abdallahi reçoit partout la bénédiction de ces propagateurs de -l’islamisme. En les quittant, il leur souffle sur la main, et, eux, -s’empressent de la reporter à leur visage en remerciant Dieu. Au reste, -plus de musique ni de danses: plus d’autre chant que les lentes et -lugubres psalmodies du Coran. Aux cahutes rondes de terre ou de paille -succèdent des constructions carrées en briques jaunes, séchées au -soleil. La cherté croissante des vivres annonce le voisinage d’une -grande ville; l’abondance du poisson frais, annonce celui d’une grande -rivière. Jusqu’ici M. Caillié n’avait pas encore rencontré un seul -mendiant. - -Le seul fait qui fasse évènement dans les souvenirs de la route, c’est -une querelle du vieux Kaimou, chef ou doyen d’âge de la caravane, avec -sa femme. Le mari en vint aux coups, et, chose inouïe dans ces contrées, -la femme se permit de résister à son seigneur et maître. Toutefois au -bout de trois ou quatre jours, les époux cassèrent une noix de colats -qu’ils mangèrent ensemble. - -Le 10 mars, nous nous retrouvons de nouveau en face des eaux blanchâtres -du Dhiolibâ, ou du moins d’une branche de ce fleuve, qui ne paraît guère -avoir, là, que cinq cents pieds de large, et coule lentement au -nord-est. Il faut traverser deux autres branches (dont une à gué) pour -arriver à la ville de Jenné, qui forme une île enclavée dans une île -beaucoup plus grande. M. Caillié arrive à Jenné[22], le 11 mars, dans -l’après-midi. - - [22] _Jenné_ ou _Djenné_, ou _Dkienné_. - - - - -JENNÉ. - - -«Il y avait plusieurs noirs sur le rivage; mon guide s’adressa à l’un -d’eux pour lui demander un logement: c’était un Mandingue d’assez bonne -mine; il nous conduisit dans sa maison.» Le vieux Kaimou et sa suite -s’installent aussitôt dans les magasins du rez-de-chaussée: Abdallahi, -en qualité d’Arabe, est logé dans une chambre haute. - -Le vieux guide, en conduisant le voyageur à cette chambre qui n’a qu’une -natte pour tout meuble, le félicite de l’heureuse issue de son voyage, -et lui rappelle ses services. Abdallahi reconnaissant le comble de joie -avec une paire de ciseaux, deux aunes d’indienne de couleur, trois -feuilles de papier et trente grains de verroterie rouge: valeur de cinq -francs en France; joignez à ces largesses quelques petits cadeaux -d’étoffe pendant la route, et vous rappelant que le guide avait défrayé -le voyageur d’une partie de sa nourriture durant six semaines, convenez -qu’il est difficile de voyager à meilleur compte. - -Le lendemain, présentation d’Abdallahi à quelques riches Arabes du lieu, -qui le conduisent avec son vieux guide et son hôte chez un Chérif. Là, -récit circonstancié du voyage et de ses motifs; questions sans fin sur -les chrétiens, sur leurs usages et surtout sur leurs méfaits. - -L’interrogatoire terminé, le Chérif dit à l’hôte d’Abdallahi de le -conduire chez le chef de la ville: ce chef, Foulah de la famille royale, -très-âgé, très-gros et presque aveugle, caché d’abord derrière une -porte, qui s’ouvre à l’arrivée d’un Arabe, se fait raconter l’histoire -d’Abdallahi, et décide qu’il restera chez le Chérif jusqu’à ce qu’une -occasion se présente pour aller à Tombouctou. - -Le pèlerin arabe, qui s’est dit de riche famille, a presque aussitôt -deux hôtes: le Chérif qui lui envoie régulièrement deux bons repas; et -certain autre Arabe qui lui donne un petit corridor et une natte dans -une maison qui servait à la fois de logement aux esclaves et de magasin -aux marchandises. Dès le second jour, un adroit barbier lui rase -religieusement la tête. Voici, du reste, un échantillon de la sensualité -Jennéenne. - -«Le 16 mars, vers quatre heures, on me fit appeler chez le Chérif; la -vente de mes marchandises (vente de corail, d’ambre, de verroterie, -d’étoffe[23], dans laquelle les deux hôtes d’Abdallahi se départirent un -peu de leur délicatesse habituelle) l’avait très-bien disposé en ma -faveur. J’entrai dans une grande chambre assez propre, éclairée par une -ouverture à la voûte: une lampe où l’on brûle du beurre végétal était -accrochée par une corde au plafond. Un matelas, tendu par terre sur une -natte, un chandelier en cuivre de fabrication européenne, avec une -bougie du pays et une petite armoire creusée dans le mur et fermant avec -une serrure comme les nôtres, composaient tout l’ameublement. Quelques -sacs de grain étaient debout dans un coin de la pièce. Je montai par un -grand escalier sur la terrasse où je vis plusieurs petites galeries à -compartiments, sans meuble. On me fit asseoir auprès d’une natte, sur un -petit coussin rond en cuir. Je me trouvai en compagnie de sept Arabes et -d’un noir, marchands de Jenné. - - [23] «Le produit de cette vente était évalué à trente mille cauris. Le - chérif acheta pour moi de l’étoffe du pays pour cette valeur: il me - dit qu’elle se vendait très-bien à Tombouctou.» - -«Le Chérif fit apporter, au milieu de nous, une petite table ronde, -ornée symétriquement de plaques d’ivoire et de cuivre, et que je pris -d’abord pour une table de jeu, quand un grand plat d’étain, couvert d’un -énorme morceau de mouton aux ognons, m’apprit le motif de ce -rendez-vous. Le Chérif tira d’un panier couvert de petits pains d’une -demi-livre, faits avec de la farine de froment et du levain, qu’il -distribua par morceaux, et que je trouvai délicieux. Nous mîmes tous les -doigts au plat, mais avec une sorte de politesse. La conversation fut -assez gaie, les pauvres chrétiens en firent tous les frais. - -«Après le repas, vint le thé. Le Chérif étala ce qu’il avait de plus -beau, et ne manqua pas de faire voir au noir sa supériorité. Nous étions -servis par une jeune et jolie négresse esclave. On apporta dans une -boîte un petit service en porcelaine que le Chérif posa sur un plateau -en cuivre. Les tasses, très-petites, nous furent données dans des -soucoupes à pied, de la forme d’un coquetier. Nous primes chacun quatre -de ces tasses de thé avec du sucre blanc et après le dîner, dont le -Chérif avait très-bien fait les honneurs, nous allâmes faire un tour de -promenade au bord de la rivière. Nous nous assîmes sur le rivage pour -voir passer les pirogues; puis nous fîmes la prière tous ensemble, car -il était trop tard pour aller à la mosquée. - -«Le 18, on salua la nouvelle lune par une décharge de mousqueterie, et -le 19 commença le jeûne du Ramadan,» jeûne apparent qui ne ressemble en -rien à l’impitoyable austérité des bords du Sénégal: simple interversion -d’habitudes qui consiste à faire de bons repas la nuit et à dormir le -jour. - -La ville de Jenné est entourée d’un mur d’enceinte, qui, selon M. -Caillié, peut avoir trois kilomètres de tour environ, et enferme une -population de huit à dix mille âmes. Bâtie sur un terrain d’alluvion, de -nature argileuse et rougeâtre, elle est préservée des inondations -périodiques du fleuve par son élévation de sept à huit pieds au-dessus -des eaux. Les maisons aussi grandes que celles des villages de France, -sont construites en briques rondes, séchées au soleil; les plus hautes -n’ont qu’un étage; elles sont toutes à terrasse, et ne reçoivent de jour -que sur les cours. Leur unique entrée est pourvue d’une porte en -planches qui paraissent avoir été faites à la scie: cette porte est -fermée, en dedans, avec une double chaîne de fer et en dehors avec une -serrure de bois du pays ou bien un cadenas européen. Les rues étroites -et tortueuses sont exactement balayées chaque jour. Le seul édifice qui -se fasse remarquer au milieu de toutes ces terrasses à peu près -pareilles, est une grande mosquée en terre, dominée par deux tours -massives, peu élevées et abandonnées aux hirondelles. La prière se fait -dans une cour extérieure. Quelques baobabs, dattiers, ronniers y sèment -un peu de verdure sur un fonds rougeâtre. - -De la terrasse de sa maison, le voyageur ne voit au loin qu’une campagne -découverte, des marais à perte de vue et à l’ouest une branche du -fleuve. - -Le marché de Jenné est assez bien approvisionné de marchandises -d’Europe, la plupart de fabrication anglaise; verroterie, faux ambre, -faux corail, soufre en bâton, poudre, pierres à feu, fusils, -quincaillerie, écarlate, toile de coton, etc. Des bouchers y étalent la -viande fraîche ou fumée. Les marchands vont aussi criant par les rues -les noix de colats, le miel, le beurre végétal et animal, le lait, le -sel, le bois à brûler apporté par les femmes de quatre et cinq lieues. -Le chaume de mil se vend de même en détail pour la cuisine. Les -principaux commerçants sont les Arabes qui, au nombre de trente ou -quarante, occupent les plus belles maisons de la ville, et font tenir -leurs boutiques par leurs esclaves. Assis sur une natte, devant leur -porte, à côté des planches de sel qu’ils étalent, ils accaparent sans -peine par leurs correspondants tous les articles recherchés, laissant -aux Foulahs maîtres du pays et aux Mandingues le commerce des choses -communes. Entre les choses qui se vendent au marché de Jenné, il faut -compter les hommes, les femmes, les enfants. «Je les ai vus, dit M. -Caillié, promener tout nus dans les rues; on les criait à 25, 30 ou 40 -mille cauris, suivant leur âge.» Du reste, le voyageur paraît avoir -reconnu que les noirs esclaves sont beaucoup mieux traités par les -noirs, les Foulahs ou les Arabes qu’ils ne le sont par les blancs dans -nos colonies d’Amérique. «De Jenné à Tombouctou, dit-il, la plupart des -esclaves sont des domestiques de confiance qui, en l’absence de leur -maître, gardent la maison ou bien emballent les marchandises et les -portent aux embarcations.» - -M. Caillié est surtout frappé du mouvement commercial et industriel qui -règne dans la ville, mouvement auquel il n’est plus habitué depuis -longtemps. Le rigide Foulah, _Ségo-Ahmadou_, dont Jenné était la -capitale, importuné par ce mouvement même, qu’il se soucie assez peu -d’arrêter par ses guerres perpétuelles contre les infidèles d’alentour, -jugeant que tout ce bruit détournait les vrais croyants de leurs -devoirs, s’est fondé une autre ville à la droite du fleuve: cette ville -où tous les enfants vont apprendre le Coran par cœur dans des écoles -gratuites, s’appelle _El-Lamdou-Lillahi_ (à la gloire de Dieu). Ce -prince et le chef de Jenné n’imposent aucun droit, aucune contribution, -mais reçoivent parfois des cadeaux. - -Les infidèles (tributaires de Ségo-Ahmadou) sont obligés de faire la -prière pour entrer à Jenné. - -Hommes, femmes, enfants sont tous proprement vêtus[24]. Les femmes ont -toutes l’entre-deux du nez percé. Les unes y portent un anneau d’or ou -d’argent, les autres un morceau de soie rose. Elles portent au poignet -des bracelets en argent, de forme ronde; et à la cheville un cercle -plat, de fer argenté, large de quatre doigts. - - [24] Le voyageur vit avec plaisir que, dans ce pays, on pouvait porter - un mouchoir de poche sans être ridicule; sur toute la route qu’il - venait de parcourir il eût été dangereux de se moucher autrement - qu’avec les doigts. - -Le voyageur s’était décidé à laisser son parapluie au Chérif, qui devait -lui procurer une embarcation pour Tombouctou. Ce parapluie avait fait -pour le moins autant d’effet à Jenné que dans les moindres villages -musulmans ou infidèles; le Chérif parut fort content du cadeau, et, les -trois nuits suivantes, régala son hôte de dattes, de melons d’eau, de -pain frais; le jour du départ, il lui annonça qu’il avait payé 300 -cauris au propriétaire du bateau pour qu’il fût défrayé de sa nourriture -pendant toute la route; lui donna quatre bougies de cire jaune, fit -emballer et porter à bord son ballot d’étoffe, et lui prépara une pâte -de farine de mil et de miel, à mettre, en chemin, dans son eau. Un jeune -Arabe, en retour d’une paire de ciseaux, joignit à ces provisions du -pain de froment séché au four. - - - - -NAVIGATION SUR LE NIGER. - - -Le 23 mars, à neuf heures du matin--après un séjour de treize jours, -Abdallahi, reconduit par ce jeune Arabe, par le Chérif et par son second -hôte, dont il avait conservé les bonnes grâces au moyen d’une aune de -très-jolie indienne, du reste spécialement adressé et recommandé par une -lettre du Chérif à son correspondant de Tombouctou, part, aux cris de -_Samalécoum_ (la paix soit avec vous), sur un petit bateau chargé de -marchandises sèches et d’une vingtaine d’esclaves à vendre[25], qu’un -bateau plus grand attend sur le fleuve. - - [25] Hommes, femmes, enfants: les plus grands étaient aux fers. - -«Vers les deux heures, nous atteignîmes le majestueux Dhiolibâ, qui -vient lentement de l’ouest. Il est, en cet endroit, très-profond, et a -trois fois la largeur de la Seine au Pont-Neuf. Ses rives sont -très-basses et très-découvertes.». - -Les cinq semaines que M. Caillié passe sur le Dhiolibâ sont pour lui des -plus pénibles: injurié, menacé par les mariniers noirs, en l’absence de -leur maître; réduit, par eux, à la ration de riz cuit à l’eau qu’ils -donnent (esclaves eux-mêmes) aux esclaves enchaînés qu’ils voiturent; -passant les nuits sur le bateau, plié en deux sur le tas des bagages; -obligé, les derniers jours, de se tenir caché pour échapper aux -investigations des Touariks du rivage, qui viennent armés de lances et -de poignards sur de petits bateaux, se faire payer des droits de passe; -assez traitables pour les noirs, mais impitoyables pour les Arabes: -sachant bien que si les Arabes n’ont pas, comme le disent les nègres, de -l’or sous la peau, ils n’en manquent pas pour cela. - -Toutefois, un jeune Foulah est auprès du voyageur qui le console et -l’encourage; qui descend à terre pour lui chercher du lait, et lui rend -tous les services possibles. Le voyageur descend lui-même quelquefois -lors des haltes qui interrompent fréquemment la marche de la flottille. - -Le 25 mars, hommes et marchandises passent sur le grand bateau, déjà -chargé de mil, de riz, de miel, de beurre végétal, de coton, d’étoffe. -Six autres bateaux pareils avaient même destination. Ces bateaux, -auxquels M. Caillié suppose soixante tonneaux de jaugeage, sont -construits avec des planches de cinq pieds de long (sur huit pouces de -large et un pouce d’épaisseur), ajustées et _cousues_ avec des cordes du -pays qui se conservent longtemps sous l’eau. - -Le moindre vent menace de submerger ces embarcations fragiles; lorsque -les rives sont à découvert, les mariniers, tous noirs esclaves, tirent -les bateaux à la cordelle, ou s’ils peuvent atteindre le fond, le -repoussent avec des perches de quatre à cinq mètres, composées le plus -souvent de deux morceaux bout à bout. Lorsque les rives sont boisées ou -le fleuve trop profond, ils naviguent avec des rames plates d’un mètre -de long: les rameurs tout nus manœuvrent très-vite et observent la -mesure. - -Cette navigation est lente et périlleuse, retardée par le moindre vent, -par les nombreux bancs de sable, par les déchargements qu’ils exigent; -enfin, par les nombreux accidents, que tous ces retards n’empêchent pas. -M. Caillié cite deux grands bateaux submergés, et un noir noyé. - -Quant aux rives du fleuve, elles présentent presque partout des plaines -immenses et marécageuses où se distinguent à peine les cahutes de paille -des Foulahs musulmans, qui, de leurs pauvres villages, apportent aux -bateaux du lait et du poisson, et dont les troupeaux errent par la -campagne, en attendant que la crue du fleuve les refoule ailleurs; ou -les tentes des Touariks, qui comptent encore moins sur le produit de -leurs troupeaux que sur celui des droits de passe qu’ils imposent. L’eau -est toute couverte d’oiseaux aquatiques qui semblent peu redouter les -flèches des bergers et des pêcheurs du rivage. Une seule fois des -mugissements de bête féroce se font entendre la nuit; une seule fois des -pas d’éléphant sont aperçus sur le sable. Le voyageur voit à plusieurs -reprises des hippopotames se jouer lourdement dans le fleuve, et cite -quelques caïmans qui élèvent la tête à fleur d’eau, et semblent menacer -les pirogues. - -Le 1er avril, le fleuve s’élargit, on ne voit même plus la terre à -l’ouest; le lac Debo où Dhiébou se déploie comme une mer intérieure. -Trois décharges de mousqueterie saluent cette vaste nappe d’eau: _Salam! -Salam_, cria de toutes ses forces l’équipage de chaque embarcation; le -voyageur lui-même ne pouvait revenir de sa surprise. - -Le 5 avril, la flottille, augmentée de quarante grandes embarcations, se -remet en route au bruit des cris de joie et des coups de fusil. - -Le 17, de nouveaux coups de fusil saluent la nouvelle lune et la fin du -carême. Le lendemain matin, les noirs vont se prosterner à la file dans -la plaine; ils aperçoivent de loin les dattiers de _Cabra_, qui leur -annoncent la fin de leurs peines. Abdallahi, caché tout le jour parmi le -bagage, est privé de cette vue consolante. A la nuit, il sort de sa -cachette, et respire, confondu dès-lors avec les noirs par les féroces -douaniers du rivage. Les bateaux ne repartent pas sans leur avoir laissé -chacun deux sacs de mil. - -Enfin le 19, vers une heure de l’après-midi, après avoir vu, vers six -heures, le fleuve se partager en deux branches, le voyageur arrive au -port de Cabra. Un petit bateau, tiré à la cordelle par les noirs, -l’amène, à trois heures, au village, par un petit canal encombré -d’herbes et de vase. Ce village ou plutôt cette petite ville, située sur -une petite hauteur qui la préserve de l’inondation, est une sorte de -transit entre Tombouctou et le fleuve. - -Dans ce mouvement de gens de toute couleur occupés au déchargement et au -transport des marchandises, ou bien à célébrer gaiement la fête du -Ramadan, personne ne fait attention à Abdallahi. Des Arabes avec -lesquels il était venu du port, l’invitent à partager leur souper de -riz; il passe, comme eux, la nuit dehors, couché sur une natte. - -Le lendemain, il cherche en vain le correspondant du Chérif parmi les -Arabes venus à Cabra, sur de beaux chevaux, recevoir leurs marchandises: -ses esclaves, noirs bien vêtus et armés de fusils, envoyés à sa place, -complimentent le pèlerin de sa part et l’emmènent. - - - - -TOMBOUCTOU. - - -Parti vers trois heures, le voyageur arrive avec eux à la ville par une -route de sable mouvant, le plus souvent dénué de verdure, au moment où -le soleil touchait à l’horizon. «Je voyais donc, s’écrie-t-il, cette -capitale du Soudan, qui, depuis si longtemps, était le but de tous mes -désirs. En entrant dans cette cité mystérieuse, objet des recherches des -nations civilisées de l’Europe, je fus saisi d’un sentiment inexprimable -de satisfaction: je n’avais jamais éprouvé une sensation pareille et ma -joie était extrême. Mais il fallut en comprimer les élans... Revenu de -mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j’avais sous les yeux -ne répondait pas à mon attente: je m’étais fait de la grandeur et de la -richesse de cette ville une tout autre idée: elle n’offre au premier -aspect, qu’un amas de maisons en terre, mal construites; dans toutes les -directions, on ne voit que des plaines immenses de sable mouvant, d’un -blanc tirant sur le jaune et de la plus grande aridité. Le ciel à -l’horizon est d’un rouge pâle. Tout est triste dans la nature: le plus -grand silence y règne. On n’entend pas le chant d’un seul oiseau... Je -conjecture qu’antérieurement le fleuve passait près de la ville, il en -est maintenant à près de trois lieues au nord.» - -La réception toute paternelle qui, sur les recommandations écrites du -chérif de Jenné et sur les explications verbales du propriétaire du -bateau, attendait Abdallahi chez son hôte, dut adoucir un peu l’amertume -de ce désappointement. «Sidi Abdallahi Chébir, dit M. Caillié, me fit -appeler pour souper avec lui. L’on nous servit une bouillie de mil au -mouton. Nous étions six autour du plat: on mangeait avec les doigts, -mais aussi proprement que possible. Sidi ne me questionna pas; il me -parut doux, tranquille et très-réservé. C’était un homme de quarante à -quarante-cinq ans, haut de cinq pieds environ, gros et marqué de petite -vérole; son maintien avait quelque chose d’imposant. Il parlait peu et -avec calme.» Ce pieux musulman donne au voyageur toutes les commodités -désirables, notamment une chambre séparée dont il lui livre la clef. -Deux fois par jour, il lui envoie un plat de riz ou de mil très-bien -assaisonné avec du bœuf ou du mouton[26]. - - [26] La maison occupée à Tombouctou par M. Caillié, n’était séparée - que par la largeur de la rue de celle qu’y avait habité le - malheureux major Laing en 1826. M. Caillié qui, à Jenné même, avait - entendu parler du Chrétien venu, disait-on, _pour écrire la ville, - et tout ce qu’elle contenait_, put recueillir de nombreux détails - sur la fin déplorable de la bouche même de l’hôte du major: Arabe - dont notre voyageur reçut plusieurs fois des dattes et, lors de son - départ, une culotte en coton bleu. - -Quant aux constructions et aux habitudes de la ville, elles ne -présentent rien de nouveau à qui vient de voir Jenné: mêmes maisons à -terrasse, sans fenêtre et sans cheminée, mêmes briques rondes, séchées -au soleil; même répartition des diverses branches du commerce entre les -Arabes et les indigènes. - -La ville, qui dessine un triangle, paraît avoir une lieue de tour et -contenir au plus dix à douze mille habitants. Les maisons n’ont que le -rez-de-chaussée et quelques-unes un cabinet au-dessus de la porte -d’entrée. Les rues sont propres et assez larges pour trois cavaliers de -front. Au milieu de la ville et au-dehors, des cases rondes en paille -servent de logement aux pauvres et aux esclaves. - -M. Caillié compte huit mosquées, dont deux grandes, surmontées d’une -tour en briques avec un escalier intérieur[27]. Du haut de ces tours, où -M. Caillié prenait ses notes à son aise, on ne découvre au loin qu’une -plaine immense de sable blanc, dont l’uniformité est à peine rompue, çà -et là, par quelques arbrisseaux rabougris ou bien par quelques buttes de -sable. Le voyageur donnerait presque le nombre des arbres qui ombragent -Tombouctou. Il cite entre autres quelques palmachristi et au centre de -la ville un palmier doum, sur une sorte de place entourée de cases -rondes. - - [27] Ces deux mosquées ont paru au voyageur d’une construction - ancienne. Mais ce qui est plus remarquable, c’est qu’il a cru - distinguer, dans la plus grande, des parties qui, par leur élégance, - contrastent complètement avec le reste, et paraissent appartenir à - une époque plus reculée. Ce sont trois galeries soutenues chacune - par dix arcades de dix pieds de haut et de six pieds de large. - -Le bois est extrêmement rare à Tombouctou; les plus riches seuls en -brûlent; les autres ne brûlent que le crottin de chameau. Le fourrage -pour les chameaux, les chevaux, les ânes, les bœufs et vaches, les -moutons, les chèvres, vient de trois et quatre lieues. Un tabac d’une -petite espèce est la seule culture autour de la ville. L’eau se vend au -marché, tirée de quelques citernes découvertes et chauffées par le -soleil ou bien apportée du fleuve par Cabra. Vous avez vu quels -approvisionnements viennent de Jenné: ces approvisionnements sont à la -merci des Touariks qui peuvent refuser le passage aux embarcations et ne -l’accordent qu’à force d’exactions, tant à bord des bateaux que dans la -ville même. - -Tombouctou ne reçoit d’ailleurs que du sel, apporté à dos de chameau de -plusieurs endroits du désert; c’est avec ce sel qu’elle paie tout le -reste. - -La ville appartient aux Noirs; mais les négociants arabes, sans -participer directement au gouvernement, ont, au nom de leur religion et -de leur richesse, beaucoup d’ascendant dans les conseils. Du reste, -Arabes et noirs sont tous zélés musulmans. Le roi de Tombouctou, auquel -le voyageur rend une courte visite avec son hôte, est lui-même un noir. -«Ce prince, dit-il, me parut d’un caractère affable. Il pouvait avoir -cinquante-cinq ans. Ses cheveux étaient blancs et crépus; il était de -taille ordinaire, avait une belle physionomie, le teint noir-foncé, le -nez aquilin, les lèvres minces, une barbe grise et de grands yeux. Ses -habits, comme ceux des Arabes, étaient faits en étoffes d’Europe; il -portait un bonnet rouge avec un grand morceau de mousseline autour, en -forme de turban... Il se rendait souvent à la mosquée.» - -Tous les habitants de Tombouctou font deux bons repas par jour. Les -noirs aisés font, comme les Arabes, leur déjeuner avec du pain de -froment, du thé et du beurre de vache. Le commerce est l’occupation de -tous. Ici, comme à Jenné, les plus belles maisons sont aux Arabes. Les -plus riches ont des matelas de coton, les autres couchent sur des nattes -ou sur une peau de bœuf, tendue à quelques pouces de terre sur quatre -piquets. Les Arabes, établis là pour quelques années seulement, ne -prennent pas d’autres femmes que leurs esclaves. - -La parure des femmes est la même qu’à Jenné: mêmes tresses de cheveux, -mêmes grains de verre, d’ambre ou de corail au cou; mêmes anneaux ronds -ou plats aux bras et aux pieds, mêmes boucles d’_oreille_ et de _nez_. - -Au marché, même vente publique d’hommes et de femmes. Du reste, selon M. -Caillié, c’est toujours avec regret que ces malheureux s’éloignent de -cette ville, si triste qu’en soit le séjour: bien nourris, bien vêtus, -rarement battus, assujétis d’ailleurs aux cinq prières, ils ne peuvent -quitter Tombouctou pour une autre servitude sans être assurés de perdre -au change. - -Au tableau que fait le voyageur de la douceur des hommes envers les -femmes et les esclaves, on serait tenté de craindre que le voyageur ne -se soit trop pressé de généraliser les consolantes observations que lui -fournissait la maison du bon Sidi Abdallahi Chébir. - -Une occasion s’était présentée pour traverser le désert; mais avant de -repartir, Abdallahi avait paru vouloir se reposer une quinzaine de -jours. «Tu peux rester ici plus longtemps, si tu le veux, lui dit son -hôte. Tu me feras plaisir et tu ne manqueras de rien.» Cet excellent -homme alla même jusqu’à proposer au voyageur de l’établir dans la ville. -Le départ fut enfin fixé au 4 mai. - -Pendant les quatorze jours que M. Caillié est resté dans cette ville -célèbre, la chaleur y fut excessive; le vent d’est ne cessa pas de -souffler; le marché ne se tenait que le soir vers trois heures; les -nuits elles-mêmes furent d’un calme étouffant: le voyageur ne savait où -se réfugier contre cette atmosphère brûlante. - -Toutefois, si quelque chose eût pu lui faire oublier l’excessive chaleur -du jour, le calme étouffant des nuits, les tourbillons de poussière, le -morne silence des rues, la désespérante nudité des campagnes, c’eût été -le gracieux accueil de son hôte. Du reste à l’affabilité des habitants, -à la douceur de leurs manières, à la simplicité de leurs relations, au -calme religieux empreint sur tous les visages, il est aisé de voir que -si Tombouctou est le désert, c’est le désert humanisé par tout ce qu’une -paisible aisance peut apporter de consolation dans un exil volontaire. - -Quant à ces autres Arabes avec qui M. Caillié va se remettre en route, -sous une même couleur de peau, ce n’est plus le même peuple. Ces -commis-voyageurs par qui Maroc et Tombouctou se donnent la main à -travers les sables: ces voituriers du Sahara, endurcis au mal, qui, pour -un peu d’or, font chaque année par deux fois leurs deux ou trois cents -lieues, malgré le soleil et malgré le vent, malgré la faim, malgré la -soif, sans autre ressource pendant trois ou quatre mois de fatigues que -du riz cuit à l’eau, du chameau séché, de l’eau tiède, salée ou -croupie:--ces hommes peuvent-ils ressembler aux heureux négociants de la -ville qui, tranquillement couchés auprès des planches de sel qu’ils -étalent à leur porte, font tenir leurs boutiques par leurs esclaves, et -ont tout loisir de causer entre eux, d’étudier le Coran, et d’être -calmes, justes et bons. - -Par malheur, le voyageur n’avait pour sortir de Tombouctou qu’une seule -porte, la porte du nord[28]; il fallait qu’il suivît jusqu’au bout la -ligne que nous avons tracée sur la carte, sous peine de voir -l’authenticité de ses récits mise en doute, et de perdre le fruit de -tant de fatigues. - - [28] Il ne faudrait pas prendre cette expression à la lettre; car M. - Caillié nous apprend que la ville de Tombouctou n’est pas entourée - de murs. - -Les présents du départ sont ici des échanges. Abdallahi, _le pauvre_, -comme on l’appelle à Tombouctou, fait à grand’peine accepter à son dévot -et généreux hôte sa vieille couverture de laine et le pot de fer blanc -qui lui sert pour ses _ablutions_. Il en reçoit en retour une magnifique -couverture de coton, une chemise de coton toute neuve, deux sacs en cuir -pour sa provision d’eau, du pain de froment cuit au four, comme notre -biscuit, du doknou[29], du beurre de vache fondu, une bonne quantité de -riz, et surtout de chaudes recommandations pour son correspondant -d’El-Arouan. Les trente mille cauris d’étoffe, provenant de la vente de -Jenné, servirent à payer la location d’un chameau. - - [29] Ce nom désigne la _pâte de farine de mil et de miel_, que l’on - délaie, en chemin, avec de l’eau. - - - - -LE DÉSERT. - - -Le jour du départ (4 mai 1828), avant le lever du soleil, le riche Sidi -était debout pour partager une dernière fois avec le pauvre pèlerin son -thé et son pain frais au beurre. Quelques heures après, le voyageur, que -les adieux ont retardé et qui rejoint la caravane à la course, chemine -lentement vers la France, assez durement assis entre des ballots, sur un -chameau chargé; heureux en comparaison de tel noir esclave, qui -vainement s’appuie sur la croupe des chameaux, vainement se couche à -terre, relevé et chassé en avant à coups de verges et de cordes. - -Il faut aller à plus de demi-lieue de la ville pour trouver quelques -arbustes. Viennent alors quelques buissons rabougris, quelques herbes -couvertes de sable que les chameaux broutent en marchant; quelques -gommiers élancés au maigre ombrage. Puis, la végétation s’efface -peu-à-peu, la terre devient de plus en plus nue et désolée: dès le -troisième jour, plus rien que des sillons ou des vagues sablonneuses, -creusés ou relevés par le vent, des plaines uniformes de sable uni et -presque mouvant, sans trace de chemin frayé; plus rien que la -réverbération du soleil sur ce sable où les pieds ne peuvent poser sans -douleur. - -Les seuls êtres que l’on rencontre en ces solitudes sont des corbeaux et -des vautours qui font leur pâture des chameaux morts en route; ou des -Touariks, qui, regardant le désert comme leur domaine, mettent à -contribution les caravanes qui le traversent. Deux de ces hommes, montés -sur le même chameau, au bras gauche le bouclier de cuir, le poignard au -côté, à la main droite une pique, accourent se joindre à la caravane. Ce -fut à qui leur donnerait de l’eau, bien que l’on n’en dût pas trouver de -cinq jours. Ce qu’on avait de meilleur fut pour eux; tant est grande la -terreur que leur seul nom inspire. - -Enfin, le 9 mai, après six jours de marche (le plus souvent _de nuit_), -après cinq jours de calme étouffant, après cinq jours pendant lesquels -des nuages qui semblent cloués à la voûte céleste, n’accordent pas une -goutte d’eau aux ardentes prières des voyageurs,--on retrouve enfin un -peu d’herbe, et l’on aperçoit de loin les chameaux d’El-Arouan. Les -compagnons de route de M. Caillié lui montrent l’endroit où, deux années -auparavant, gisait le corps du major Laing, abandonné aux oiseaux de -proie du désert, et lui redisent les détails de sa mort funeste. A neuf -heures du soir, les aboiements de chiens annoncent le voisinage de la -ville. Ces aboiements rappellent au voyageur qu’il n’a pas vu de chien à -Tombouctou. Le voyageur passe une très-bonne nuit hors de la ville, -étendu à terre sur sa couverture, auprès du bagage: réveillé seulement à -minuit pour prendre sa part d’une bouillie de mil apportée d’El-Arouan. - -Pendant les dix jours qu’Abdallahi reste dans cette singulière ville, il -échappe à grand’peine à la défiance et aux exigences des Arabes et des -noirs qui veulent absolument qu’il leur donne du tabac, et vont même -jusqu’à le traiter de _chrétien_; mais ses recommandations de -Tombouctou, et la protection de son hôte, correspondant de Sidi, -viennent à son secours; il s’en tire encore une fois à force de zèle -religieux et grâce aussi à la crédulité des vieillards qui disaient en -arabe: «Remercions Dieu qu’il soit venu parmi nous.» - -Pendant ces dix jours, le vent d’est souffle sans interruption, et tient -le voyageur emprisonné; impossible de tenir les portes ouvertes à cause -du sable qui pénètre partout et entre même par les fentes de la porte. -M. Caillié reste tout le jour couché à terre, obligé de se recouvrir -d’un drap pour se préserver de la poussière; sans autre rafraîchissement -pour son gosier desséché que de l’eau saumâtre et chaude, même dans les -courants d’air auquel on l’expose. Impossible, même aux esclaves, de -marcher pieds nus dans la ville; pour toute rosée, retombe, la nuit, le -sable que le vent a soulevé pendant le jour. Et pourtant trois mille -hommes[30], Arabes ou noirs esclaves (Arabes, enfermés le plus souvent, -avec un linge sur la bouche pour se préserver du sable: esclaves que -leurs maîtres ménagent forcément pour qu’ils vivent); trois mille hommes -se résignent à passer douze ou quinze ans dans cet entrepôt de commerce, -pour se préparer quelque repos sur leurs vieux jours, dans les -verdoyantes campagnes de Barbarie[31]. - - [30] Ce chiffre est probablement trop fort, on peut penser que M. - Caillié, en donnant avec raison peut-être _cinq cents_ maisons à - El-Arouan, a eu tort de donner à chaque maison _six_ habitants. - - [31] Encore cet espoir même n’est-il pas laissé aux noirs _esclaves_, - bien plus nombreux à El-Arouan, que les Arabes. - -Les maisons, crépies avec de la terre jaune, ressemblent à celles de -Jenné et de Tombouctou, aux toits près, qui sont plats de même, mais de -joncs et non de bois. Du reste, point de marché à El-Arouan; de la -viande séchée, pour tout régal: pour seul combustible, le crottin de -chameau. Point de végétation, point de culture, point de fourrage. - -L’hôte d’Abdallahi, l’un des plus riches commerçants de la ville et -musulman zélé, pour l’amour du Prophète, grand soin du voyageur. Il lui -envoie régulièrement, sur les onze heures, un plat de riz à la viande: à -huit heures du soir, une bouillie de mil assaisonnée de sel et de -beurre. Pour l’amour du Prophète aussi, il le pourvoit de cinquante -livres de riz, de cinquante livres de doknou, de dix livres de beurre -fondu. M. Caillié répond à ces libéralités par son dernier morceau -d’étoffe de couleur, une paire de ciseaux et quelques pièces d’argent, -lesquelles sont reçues comme une rareté. Les petites coquilles n’ont pas -cours à El-Arouan; et les petits morceaux d’or ou d’argent, qui y -servent seuls de monnaie, ne portent pas d’empreinte. Un Arabe -d’El-Arouan donne au voyageur un troisième sac de cuir pour sa provision -d’eau. - -La caravane qui n’était en partant de Tombouctou que de six cents -chameaux, en compte au départ d’El-Arouan, le 19 mai, huit cents de -plus; non pas à la file, mais dispersés au large dans la plaine, ceux -qui appartiennent au même maître, marchant par troupe distincte et -rapprochés les uns des autres. Après deux ou trois heures de marche sur -un terrain de sable dur, entrecoupé de monticules de sable mouvant, l’on -rencontre cinq maisons en briques jaunes, écoles religieuses où les -enfants de la ville viennent étudier le Coran: puis au-delà, des puits -assez profonds d’eau saumâtre, auxquels on s’arrête pour boire une -dernière fois à longs traits. - -Au milieu de ces vastes solitudes, les puits de Mourat (c’est le nom des -cinq maisons) entourés de quatorze cents chameaux et de quatre cents -hommes, offraient le tableau mouvant d’une ville populeuse. C’était un -vacarme affreux, D’un côté l’on voyait des chameaux chargés d’ivoire, de -plumes d’autruche, de gomme, de ballots de toute espèce et aussi de -noirs (hommes, femmes et enfants), qu’on allait _vendre_, avec le reste, -dans les marchés de Maroc. Plus loin, les Arabes (et Abdallahi avec eux) -prosternés, imploraient l’assistance divine.--Au-devant s’étendait un -horizon sans bornes, où le ciel et la terre mêlaient leurs teintes de -feu. Tout ce que l’on distinguait devant soi, c’était une plaine immense -de sable éclatant, nuancée à peine par l’ombre de quelques roches -saillantes ou les ondulations de quelques monticules arrondis. - -A cette vue, les chameaux poussèrent de longs mugissements. Les -esclaves, les lèvres immobiles et les yeux au ciel, semblaient penser -encore à leurs vertes montagnes, à leurs frais pâturages, à leurs vieux -arbres si feuillus, à leurs jeux et à leurs danses. Ils ne songeaient -guère à se débattre contre l’impitoyable cupidité de leurs oppresseurs -qui, à cette heure même, la face contre terre, en appelaient à la -commisération d’Allah et de toute la force de leurs poumons invoquaient, -_pour eux-mêmes, le Dieu clément et miséricordieux_[32]. - - [32] Besm allah alrohman elrahim _au nom de Dieu clément et - miséricordieux_. Cette formule, répétée en tête de tous les - chapitres du Coran, est pour les musulmans ce que _le signe de la - croix_ est pour les chrétiens. - -Quant au voyageur, il échappe au désespoir par l’enthousiasme: Une sorte -d’ardeur belliqueuse brille dans ses yeux. Ce mur de sable qui se dresse -au loin devant lui, lui apparaît comme une place imprenable à l’assaut -de laquelle il faut monter pour l’honneur de la France. S’il s’élance -gaîment sur son chameau, c’est aussi que cette France est en avant qui -l’appelle, avec les souvenirs de l’enfance et les espérances de l’âge -mûr. - -Enfin, l’on se remet en marche. Tous les hommes portent deux bandes de -toile de coton sur les yeux et sur la bouche pour se préserver à la fois -de la poussière et de l’air chaud et sec qui fatigue les poumons. - -Le premier jour, calme étouffant: soif dévorante; point d’appétit; une -seule distribution d’eau; vers dix heures du soir, un repas de riz chaud -au beurre fondu. Ce repas n’était pas désaltérant. - -Le lendemain à dix heures du matin, l’on dresse les tentes pour marcher -pendant la nuit. «On nous donna à chacun, dit M. Caillié, une calebasse -d’eau contenant près de trois bouteilles que nous avalâmes d’un seul -trait: cette eau tiède nous remplissait l’estomac sans nous désaltérer. -J’aurais bien mieux aimé en avoir moins à la fois et plus souvent; mais -les Maures qui présidaient aux distributions ne voulurent entendre à -aucun nouvel arrangement, et s’en tinrent à leur vieille habitude. Du -reste, il n’y avait de préférence pour personne.» Les Maures dont -c’était le tour de conduire les chameaux, et qui marchaient à pied en -fredonnant des airs, ne buvaient comme les autres qu’aux distributions -générales. - -Le vent (vent d’est auquel succède le vent d’ouest, au coucher du -soleil) ne cesse de soulever une poussière brûlante. Le 21, à dix heures -du matin, après avoir marché toute la nuit sur un sable uni et -complètement aride, on dresse les tentes, et l’on s’étend sur le sable. -«Malgré toutes les précautions que j’avais prises, dit le voyageur, la -chaleur fut si forte, ma soif si ardente qu’il me fut impossible de -dormir: ma bouche était en feu et ma langue collée à mon palais. - -«J’étais comme expirant sur le sable... Je ne songeais qu’à l’eau, aux -rivières, aux ruisseaux. Dans mon impatience, je maudissais mes -compagnons, le pays, les chameaux, que sais-je! le soleil même qui ne -regagnait pas assez vite les bornes de l’horizon. - -«L’endroit était d’une aridité affreuse; pas un seul petit brin d’herbe -ne reposait l’œil. Les chameaux, exténués de fatigue et de jeûne, -couchés près des tentes, la tête entre les jambes, attendaient -tranquillement le signal du départ. Enfin il fut donné: à quatre heures -et demie, Sidi-Ali (le propriétaire du chameau qui portait Abdallahi) -jeta quelques poignées de doknou dans une grande calebasse, versa de -l’eau dessus et mêla le tout avec ses mains, en y plongeant les bras -jusqu’aux coudes: spectacle repoussant pour tout autre que des affamés; -car l’eau était si précieuse que le vieux Ali n’avait pas lavé ses mains -depuis plusieurs jours. Quoique ce breuvage fût tiède et fort sale, nous -le bûmes à longs traits et avec délices. - -«Après s’être désaltérés, les Maures visitèrent leur bagage et les -plaies de leurs chameaux, faisant écouler le sang et le pus, coupant les -chairs mortes, couvrant les chairs vives de sel pour empêcher la -gangrène. - -«Quelquefois c’était en sortant de panser ces plaies, que Sidi-Ali -venait préparer notre breuvage sans même se nettoyer les mains, ou si, -par hasard, il les lavait, il faisait boire à un de ses noirs l’eau dont -il s’était servi. On ne peut pas s’imaginer l’horreur et le dégoût que -me causait le mépris de cet homme pour ses semblables.» - -Le 22 mai, le vent d’est continue d’échauffer l’atmosphère: la soif -augmente avec la chaleur, et l’eau diminue sensiblement. Le vent -dessèche les outres: l’eau filtre à travers les pores. Abdallahi essaie -d’acheter quelques outres de plus; mais les outres n’ont plus de prix. -Il se résigne à se traîner, dans les haltes, d’une tente à l’autre, et à -mendier, le chapelet à la main, quelques gouttes d’eau _pour l’amour de -Dieu_. Le moment était mal choisi; le pauvre mendiant augmentait, en -pure perte, sa soif et sa lassitude. - -Le 23, le vent d’est soulève des trombes de sable qui, dans leur course, -menacent de balayer hommes et chameaux tous ensemble. L’une de ces -trombes fait tournoyer les tentes, comme des brins de paille. Le sable -soulevé cache le ciel et le soleil, comme un brouillard épais; les -gémissements sourds et plaintifs des chameaux répondent aux lamentations -des noirs et aux cris d’effroi des fidèles qui répètent de toutes parts: -_Allah il allah_, etc. (Dieu est Dieu, et Mahomet est son Prophète.) - -«Tout le temps que dura cette affreuse tempête, nous restâmes étendus -sur le sol, sans mouvement, mourant de soif, brûlés par le sable et -battus par le vent. Le calme rétabli, nous nous disposâmes à partir; on -prépara le doknou et l’on nous distribua à boire. Pour savourer le -plaisir que me promettait ma portion d’eau, je mis la tête dans ma -calebasse; je ne prenais pas même le temps de respirer; j’éprouvai -aussitôt un malaise général et presque la même soif.» - -Vers quatre heures, les chameaux, agitant lentement le cou et ruminant, -reprirent tristement leur marche vers le nord, sans que l’on eût besoin -de leur montrer le chemin, sur un terrain sablonneux, couvert de roches -de quatre à cinq pieds de hauteur. - -Les hommes, envoyés le 22, à la recherche des puits, ne revenaient pas. -Après une journée perdue à les attendre, on fait route de 24 vers quatre -heures du soir, toujours vers le nord, sur un sol plus uni que la -veille, mais également couvert de roches. Cette nuit-là, pas un œil ne -se ferme, et la caravane marche en avant sans autre bruit que le -piétinement des chameaux: les conducteurs eux-mêmes se taisent et se -relaient plus souvent que de coutume. - -Le 25, vers neuf heures du matin, on fait halte dans une plaine de sable -dur où croît un peu d’herbe, aussitôt dévorée par les chameaux. «Il ne -restait plus qu’une outre et demie d’eau pour onze bouches; on devenait -de plus en plus économe. Après avoir bu quelques gouttes d’eau, l’on -s’étendit à terre, en attendant les hommes envoyés à la provision. Vers -dix heures, ces malheureux arrivèrent, à moitié morts de soif.» Les -puits tant cherchés, trouvés enfin et déblayés, étaient à sec. «Pressés -par une soif ardente, ils s’étaient décidés à tuer un chameau _pour se -partager l’eau contenue dans son estomac!_ - -«Vers quatre heures du soir, après avoir bu le reste de notre eau, la -caravane, plus altérée que jamais, se remit en rente. Vers neuf heures, -on fit, comme à l’ordinaire, halte pour la prière; un Maure, qui nous -accompagnait, nous donna à chacun un peu de son eau. La nuit comme les -précédentes fut très-chaude.» - -Enfin, le 26, après avoir marché toute la matinée sur un sol dur, -couvert de roches rouges ou noires et feuilletées, après avoir gravi une -côte de trois à quatre cents pieds, on descend dans un bas-fond de gros -sable jaune, entouré de montagnes roses. Là, sont les puits de Télig, -comblés par le sable. «Les Maures se mirent aussitôt à les déblayer, et, -pour la première fois depuis sept jours, l’on fit boire les pauvres -chameaux qui, sentant le voisinage de l’eau, étaient indomptables. Quand -on les chassait à coups de cordes, ils couraient dans la campagne et -revenaient en ruminant s’accroupir autour des puits et poser leur tête -sur le sable frais qu’on en retire. La première eau fut très-noire et -bourbeuse, et malgré la quantité de sable qu’elle contenait encore, les -chameaux se la disputaient avec acharnement. Ces puits dont l’eau est -très-abondante, mais saumâtre, n’ont pas plus de trois à quatre pieds de -profondeur. - -«Lorsque l’eau fut buvable, j’allai mettre ma tête entre celles des -chameaux, un Maure me donna à boire dans son seau de cuir, car on -n’avait pas pris le temps de déballer les calebasses.» - -Ce jour, véritable fête pour les chameaux, est employé tout entier à les -faire boire: ils ne pouvaient se désaltérer et se disputaient dans -l’auge jusqu’à la dernière goutte; les Maures, occupés de leurs -chameaux, ne songeaient pas à dresser les tentes; le vent d’est qui -soulevait des tourbillons de poussière, et un soleil ardent, sans abri, -gâtent un peu les plaisirs de cette journée; toutefois l’abondance de -l’eau permet de faire cuire un peu de riz: premier repas, depuis le 19 -au soir. - -Les puits de Télig sont, au dire des Maures, à quatre ou cinq heures de -marche (à l’est) des mines de Toudéni, d’où se tirent les planches de -sel qui s’importent de Tombouctou à Jenné et ailleurs. - -Le 27, départ vers trois heures du soir; et deux heures après, halte sur -une veine de sable gris mouvant. Quelques pieds d’herbages épineux -soulagent un peu les chameaux, qui n’ont presque rien mangé depuis sept -jours. Avant de quitter les puits, on avait tué deux de ces animaux[33] -qui ne pouvaient aller plus loin, et étaient près de périr de fatigue. -On distribua cette viande à tous ceux qui en voulurent. Elle servit pour -le souper. Ali en fit bouillir quelques morceaux, et dans le bouillon -fit cuire un peu de riz qui conserva le mauvais goût du chameau. Quant à -la viande, les Maures la dévorèrent avec avidité et si dure qu’elle fût, -la trouvèrent excellente. - - [33] M. Caillié vit tuer ainsi quatre chameaux avant d’arriver au Camp - d’Ali. - -La chaleur paraît plus supportable au voyageur: la soif est désormais -moins pressante; l’eau n’est plus aussi rare, les puits sont plus -rapprochés les uns des autres. Le désert ne finit pas ici, mais ici -finissent ses plus terribles rigueurs. - -A mesure que la nature paraît s’humaniser et s’adoucir, la cruauté des -compagnons d’Abdallahi se déploie plus à l’aise. En même temps que le -soleil et le vent d’est deviennent plus traitables, la défiance et la -dureté de cœur de ces hommes augmentent: ils tournent contre le chrétien -converti le peu de loisir et de gaîté que leur laisse à présent leur -position meilleure. - -L’exemple d’Ali les encourage. Ce propriétaire de chameaux, dont les -mains sales et gercées pétrissaient et délayaient si gracieusement la -pâte de mil et de miel, petit homme de quatre pieds, à la figure ridée, -aux yeux noirs et méchants, à la bouche grande, au menton allongé, à la -barbe grise, n’était plus, au désert, l’humble vieillard qui, les yeux -baissés, le chapelet à la main, les saintes invocations sur les lèvres, -avait séduit par ces dehors et l’honnête _Sidi_ de Tombouctou et son -pieux correspondant d’El-Arouan et notre Abdallahi, promettant à tous -d’avoir pour le pauvre voyageur les tendres soins d’un père. Que dis-je? -il abusait encore les autres compagnies de la caravane, affectant de -s’être chargé du pauvre pèlerin par pure charité musulmane, quand il -avait reçu d’avance de Sidi en bon et bel or, la valeur de cent vingt -francs, et d’en avoir tout le soin imaginable, au moment même où il -venait de lui refuser l’eau commune à présent, et qu’il ne refusait pas -aux esclaves. Si le voyageur buvait, Ali fredonnait le petit air avec -lequel il faisait boire ses chameaux. Dans le langage d’Ali, Abdallahi -et sa monture n’avaient qu’un seul et même nom; dès qu’il avait prononcé -le mot de _Gageba_, les noirs, enhardis par la cruelle gaîté des Arabes, -dansaient autour de l’homme à qui s’adressait ce nom de chameau, lui -montrant tour-à-tour le morceau de bois qu’ils avaient ordre de lui -passer au nez et la branche d’épines qu’ils devaient lui mettre dans les -yeux. «Tu vois bien cet esclave, lui disaient les Maures, eh bien! je le -préfère à toi.» Puis esclave et maître, de ricaner aux éclats. - -Il faut ajouter qu’Abdallahi mangeait à part, depuis que ses compagnons -de route s’étaient aperçus avec horreur qu’il avait eu le scorbut. Du -reste, il n’avait pu parvenir à enlever et faire sauter comme eux le riz -dans la main, à le pétrir rapidement en petites boulettes, et le jeter, -en humant, dans la bouche. Les Arabes de Jenné entre autres, lui voyant -renverser à terre quelques gouttes de bouillie de mil, s’en étaient pris -de cette maladresse aux chrétiens, qui, disaient-ils, ne lui avaient pas -même appris à manger décemment. Les Arabes du désert moins polis, -ouvraient une bouche énorme, y plongeaient les deux mains à la fois, -avec des grimaces hideuses, et criaient de toute leur force: «Il -ressemble à un chrétien.»--S’il leur demandait de l’eau: «Donne-nous, -répondaient-ils, ton coussabe et ton cadenas, et tu auras à boire.» Ce -coussabe (chemise de coton, présent de Sidi) et ce cadenas étaient avec -sa couverture de coton et son sac de cuir, tout ce qui restait à M. -Caillié d’apparent. Sa seule ressource était de dire à ces Maures que -leurs fusils venaient de France,--ou bien d’avoir recours aux autres -compagnies de la caravane. Là, questionné à l’envi sur sa conversion, -sur sa fuite et surtout sur les ridicules et les crimes des chrétiens, -il voyait ses réponses payées d’un peu d’eau, de mil et de miel. - -Le 3 mai, puits de Cramès, à sec; le 1er juin, entre plusieurs gros -blocs de sel, puits de Trasas, eau salée; le 5, puits d’Amoul-Gragim, -eau bourbeuse et salée; le 9, puits d’Amoul-Taf, eau douce, mais peu -abondante: enfin le 12, les chameaux descendent avec peine par un -sentier étroit dans un profond ravin entouré de roches énormes: au fond -de ce ravin, un joli bosquet de dattiers ombrage une eau abondante, -fraîche et limpide. Il faut avoir marché depuis le 4 mai sur un sable nu -et brûlant, pour savoir quelle volupté attend le voyageur à ces puits -d’El-Ekseif, et l’arrête. - -Le seul incident, depuis les puits de Télig, est la visite de quelques -gros serpents qui inquiètent, à plusieurs reprises, le sommeil des -voyageurs. J’oublie une alerte de la caravane, effrayée par quelques -chameaux aperçus dans le lointain: alerte qui met tous les Maures en -armes, et vaut au pauvre Abdallahi l’aumône d’un peu d’eau et d’un -morceau de chameau bouilli de la part de trois ou quatre Marabouts en -prière, restés seuls au camp avec les esclaves. - -Le 27, après _quatorze_ autres jours de marche, de haltes et de départ à -toute heure du jour et de la nuit (quatorze jours pendant lesquels la -provision d’eau est renouvelée quatre fois), un coup de fusil annonce un -homme envoyé par Ali qui avait pris les devants, et porteur de lettres -sur l’état des marchés du Tafilet. - -Dans les défilés de hautes montagnes où la caravane est engagée, le -chameau qui porte Abdallahi se prend de peur, fait un écart et jette le -voyageur, les reins sur le gravier. Un Maure vint à son secours, le prit -dans ses bras et le soulagea beaucoup en le serrant fortement contre sa -poitrine. Ce Maure, qui n’était pas de la société d’Ali, le remit -lui-même sur le chameau, qu’il fit coucher pour cela. J’omets les -souffrances et les avanies que cette terrible chute occasionne au -voyageur resté seul sur sa monture, dans les passages escarpés de -l’Atlas. - -Le 29, rencontre des femmes et des enfants des Maures, accourus du camp -d’El-Harib au-devant de leur mari, de leur père: scène de joie et de -caresses, qui réconcilie un moment le voyageur avec ses odieux -compagnons de voyage.--A 9 heures, arrivée aux douze ou quinze tentes -d’Ali et de sa famille: un de ses fils emprunte à M. Caillié sa -couverture de coton pour faire meilleure figure à son retour auprès de -ses parents et de ses connaissances. - - - - -EL-HARIB. - - -Le séjour de M. Caillié au camp d’Ali n’est pas des plus agréables. Le -voyageur, à part quelques bons morceaux de mouton cuit à point sous des -pierres chaudes, est astreint par son avare guide à un régime de mil -bouilli et de dattes aussi dures que le fer. Pour échapper aux douleurs -que ces dattes lui causent et aux plaies dont elles menacent son palais, -il mendie d’une tente à l’autre quelques gouttes de lait de chameau. Il -est réduit à chercher, contre les incroyables vexations des fils et des -filles d’Ali, un refuge sous la tente d’un pauvre vieux forgeron, dont -la vieille mère le prend en pitié: ce vieux forgeron avait fait le -voyage de la Mecque et était très-vénéré pour cela. - -Par bonheur, la réputation de ses médicaments, tout en lui attirant -d’assez fâcheuses corvées, contribue aussi à lui redonner un peu -d’importance. - -Un exemple vous donnera une idée des connaissances médicales d’El-Harib: -c’est celui d’un saint-docteur musulman auquel M. Caillié, pour faire -diversion à ses maux, se fait un devoir de rendre visite à une lieue de -là. Il le trouve entouré de vieillards et de la foule d’infirmes et de -malades, accourue de tous côtés. Pour tout remède, le saint homme posait -gravement la main sur la partie malade, puis la frottait doucement en -marmotant une prière.--Cet homme n’avait pour tout bien que la -connaissance du Coran; mais, ajoute le voyageur, en Afrique, cette -connaissance vaut une métairie. Elle lui attirait de toutes parts des -étoffes pour ses habits et ses tentes; il ne manquait ni de monture, ni -d’orge pour sa nourriture et celle de ses amis. Il recevait tout cela en -échange de ses écritures, dont la puissance magique arrêtait, disait-on, -les maladies présentes, préservait des maladies à venir, éloignait les -voleurs. - -Arrivé le 29 juin, M. Caillié repart le 12 juillet à cinq heures du -matin, sans autre déjeuner qu’un peu de lait acheté avec un grain de -verre de son chapelet: escorté par les _Berbers_, sans lesquels on ne -peut faire un pas en sûreté dans ces dépendances de l’empire de Maroc. - -Le 23 juillet, après avoir traversé de magnifiques forêts de dattiers -qui recouvrent des récoltes d’orge, de froment, de légumes; après avoir -senti les dents des chiens qui défendent l’approche des tentes des -Berbers, avoir visité par distraction la petite ville de Mimeina, et -marché plus d’une semaine au milieu de bergers montagnards; bien reçu -par les uns, mal mené par les autres, dévotieusement rasé par Ali -lui-même, protégé du reste contre cet homme par la présence de deux -religieux arabes que le vieil avare nourrit, héberge et voiture, et -auxquels il serait bien fâché de paraître mauvais musulman; Abdallahi -arrive enfin à Ghourland, chef-lieu du Tafilet. Pendant que la foule des -Maures et des Juifs, sales et mal vêtus, entoure le bagage de la -caravane, lui, prend sur son épaule son sac de cuir, et suit son guide -chez le chef de la ville. - -Le temps qu’il reste en cette ville, il prend humblement à la porte de -ce chef, ses rares et maigres repas, composés de bouillie d’orge, de -quelques onces de pain et des dattes: en un mot, la nourriture des -esclaves. Cependant un Maure, qui sait les trois premières règles de -l’arithmétique, qui possède une montre et aussi une boussole (laquelle, -selon M. Caillié, aurait appartenu au major Laing)--prend en amitié le -dévot égyptien, et lui fait oublier quelquefois ses peines; il lui parle -des connaissances européennes qu’il admire, tout en abhorrant les -_chrétiens_ (non sur la parole d’autrui, mais pour les avoir vus de près -au cap Mojador et à Maroc). Il lui dit, un jour, qu’il était à Tripoli, -au moment où Bonaparte était en Égypte, et lui demanda son âge. Couvert -de haillons, noirci par le soleil et malade, M. Caillié lui persuada -sans peine qu’il avait trente-quatre ans. - -La seule maison où le voyageur soit admis est celle d’un Juif qui lui -change une pièce anglaise de vingt-quatre sous. Ici commence -l’emprisonnement des femmes; elles ne sortent qu’enveloppées de la tête -aux pieds. - -Le 2 août, après bien des démarches vaines auprès du Bacha, après avoir -vendu sa dernière chemise au marché, le voyageur se remet en route, sur -un âne, à quatre heures du soir. Le caravane d’ânes et de mulets, dont -sa monture fait partie, est honorée de la présence de quelques marchands -de dattes de la race de Mahomet, Chérifs devant lesquels les musulmans -et les Juifs même ne passent pas sans ôter et prendre à leurs mains -leurs sandales, avec une inclinaison respectueuse. Abdallahi, dans ce -trajet, vit le plus souvent de leurs restes. Une autre bonne fortune est -celle qui lui donne pour compagnon de route un favori de l’empereur, -lequel escorte sa femme dérobée aux regards sous un pavillon d’écarlate, -et voyage avec assez de libéralité. - -Du reste, le voyageur n’est pas heureux dans les épreuves auxquelles il -met la charité et la patience des musulmans, soit qu’il quête, le -chapelet à la main, des dattes par les villes et villages: soit qu’il -fatigue de sa toux opiniâtre les voyageurs couchés comme lui à terre, à -la porte des églises musulmanes. - -A cela près, les jardins fruitiers, entourés de murs ou de fossés, qui -bordent la route, délassent délicieusement ses yeux, auxquels sont -encore tout présents les plaines arides qu’il vient de traverser. Les -figuiers, les poiriers, les abricotiers, les raisins et les roses lui -feraient prendre le Tafilet pour le paradis terrestre, si les hautes et -nombreuses montagnes qui barrent le passage à l’horizon, ne lui -annonçaient que ses fatigues ne sont pas terminées, et qu’à défaut de -force, il va lui falloir du courage encore. - -La 11 août, ânes, mulets et hommes, également épuisés, arrivent à -Soforo, petite ville murée comme les autres, dans une belle plaine de -maïs et d’oliviers. Ce que M. Caillié y vit de plus remarquable, ce sont -deux moulins à eau et, à la tour de la mosquée, une mauvaise horloge. Il -avait troqué la veille, contre de l’eau et un petit gâteau de froment à -l’anis, sa dernière emplâtre de diachylon, pour le mal de pied d’un -Chérif. - - - - -FEZ ET MÉQUINAZ. - - -Le 12 août vers midi, il entre à Fez avec les Juifs qui se rendaient au -marché en grand nombre. Les deux jours que le voyageur passe en cette -ville (la plus belle, dit-il, qu’il ait vue en Afrique), il couche à -l’écurie, seule hôtellerie des étrangers, à côté des ânes et des mulets, -et va prendre ses repas à la mosquée. - -Sans nous arrêter davantage à Fez, prenons le chemin de Méquinaz, où M. -Caillié se rend sous prétexte de parler à l’empereur. Partis le matin à -sept heures (14 août), nous arrivons à cinq heures du soir, en compagnie -de deux Mauresses à demi voilées, très-blanches et très-rieuses. M. -Caillié en avait une en croupe sur sa mule. La journée avait été assez -gaie: le pauvre cavalier avait vu ses soins payés d’une tranche de melon -et d’un morceau de pain. - -Repoussé de l’écurie sur la paille de laquelle il demande la permission -de s’étendre, enviant son gîte à la mule qui l’avait porté, le voyageur -s’était établi pour sa nuit dans la maison de Dieu; étendu à terre, il -commençait à goûter du repos, quand le portier du saint lieu vint le -pousser rudement du pied et lui crier d’une voix rauque de se lever et -de sortir; prenant son sac de cuir, il sortit sans savoir où poser sa -tête. Il pensa tristement aux pièces d’argent et aux quatre boucles d’or -de Bouré qui lui restaient, et qu’il était obligé de cacher. Il était si -faible qu’à la vue de tant d’humiliations et de fatigues, il ne put -retenir ses larmes. Un marchand de légumes lui permit à grand’peine de -s’abriter sous sa boutique: mais le froid ne le laissa pas dormir. - -Le lendemain matin, M. Caillié, son sac sur le dos, se dirige à pied -vers _Rabat_[34]; mais ses jambes refusent de le porter, il revient à -Méquinaz. Cette fois, un bon barbier lui donne hospitalité. Le 16, il -repart, sur un âne: si faible qu’il ne peut y monter seul. Le 17, halte, -vers midi, au milieu d’un camp militaire, qu’il quitte le 18, à trois -heures du matin; le même jour, nous arrivons à Rabat. - - [34] Ou _Arbate_. - -Les Maures, à qui le voyageur présente quelques pièces anglaises à -changer, le renvoient aux chrétiens, et lui indiquent le _Consul_ de -France: «Je frappai à la porte, et le cœur me battit, en pensant que -j’allais voir un Français.» - -Le consul où plutôt l’_agent consulaire_ pour la France, à Rabat, était -un Juif. Ce Juif fait subir un interrogatoire au voyageur, lui donne -quelques sous sur ses pièces anglaises, lui recommande la prudence, et -l’envoie dîner dans la rue et coucher à l’écurie. Mais, la prudence -elle-même interdit ce gîte à M. Caillié. Les chiens qui font la nuit la -police de la ville, le forcent d’aller chercher le repos dans un -cimetière au bord de la mer. Ses repas consistaient en pain et raisin: -quelquefois, ajoute-t-il, je me permettais d’acheter un morceau de -poisson frit. - -M. Caillié avait vu avec douleur un brick portugais partir pour -Gibraltar, sans avoir pu obtenir de l’agent consulaire la faveur d’y -être embarqué. Le 2 septembre, après quinze jours de ce fatigant -vagabondage et de vaine attente, M. Caillié écrit au vice-consul de -France à Tanger, et, pouvant à peine se tenir, se met lui-même en route -pour cette ville. L’âne qui le porte enfonce jusqu’aux jarrets dans un -sable mouvant, le long de la mer, et l’oblige à descendre. Dans une -halte, le voyageur, enveloppé de sa vieille couverture, essuie un -violent accès de fièvre. - -A Larache, il voit deux bâtiments français en croisière. Cette vue lui -donne des forces. «Les montagnes, qui avoisinent TANGER, me furent, -dit-il, bien pénibles à gravir. Enfin, malade et exténué de fatigues, -j’atteignis cette ville le 7 septembre à la nuit tombante.» - - - - -TANGER. - - -«Comme j’entrais à pied, la sentinelle ne me dit rien, ce qui m’évite -une explication avec le gouverneur. - -«Je déposai mon sac à l’écurie, et dès le même soir, je courus dans la -ville pour découvrir le consulat de France. Je vis plusieurs mâts de -pavillon: l’obscurité m’empêcha de reconnaître le nôtre. Je n’osais -m’adresser aux musulmans. Je passai à l’écurie une nuit bien agitée... - -«Rendu, le lendemain, dans la rue où j’avais vu les mâts de pavillon, -j’aperçus une porte ouverte. Un _chrétien_ était auprès; après avoir -regardé autour de moi, je lui demandai, en anglais, la résidence du -consul britannique: «Vous y êtes,» répondit-il; je voulus entrer; mais -cet homme s’y opposa en me repoussant avec horreur, tant j’étais sale et -défiguré. Je lui demandai la demeure de notre consul: il me répondit -brusquement: _Il est mort._ Mais un Juif qu’il appela m’enseigna la -porte du vice-consul, et d’un air curieux me demanda qui j’étais et ce -que je voulais à un _chrétien_. Sans lui répondre je m’éloignai un -peu... Je retournai, quelques minutes après, à la porte du vice-consul, -et, comme elle était entr’ouverte, j’y entrai: une femme juive appela M. -_Delaporte_ qui me reçut avec empressement, et me fit monter dans un -appartement où je ne pouvais être aperçu de personne... Dans son -transport, il alla jusqu’à m’embrasser et à me serrer dans ses bras, -sans répugnance pour ma personne ni pour les sales lambeaux dont j’étais -couvert. Enfin, je ne saurais trop parler de la réception que me fit cet -homme généreux.» - - - - -RETOUR. - - -Le voyageur ne passe plus qu’une seule nuit à l’écurie, et rentre au -consulat par une porte de derrière: M. Delaporte obtient[35] du -commandant de la station navale française, à Cadix, une goëlette sur -laquelle, le 28 septembre, notre compatriote s’embarque pour Toulon, -déguisé en matelot. - - [35] «M. Caillié s’est présenté à moi sous le costume d’un derviche - mendiant, costume qu’il ne démentait pas, je vous assure. Il a - simulé pendant son voyage le culte mahométan. Si les Maures le - soupçonnaient chez moi ou au consulat, ce serait un homme perdu; je - réclame donc de votre humanité, de votre amour, de votre admiration - pour les grandes entreprises, de m’aider à sauver cet intrépide - voyageur, en m’envoyant un des bâtiments sous vos ordres.» - - _Lettre de M. Delaporte au commandant de la station française, à - Cadix._ - -Dix jours après, Abdallahi revoyait la France. La Société de Géographie, -sur les bienveillantes sollicitations de M. Delaporte et de M. Jomard, -tendait la main au voyageur: une avance de _cinq cents francs_ lui -annonçait à Toulon la réception qui l’attendait à Paris. Une indemnité -provisoire de trois mille francs et la croix de la Légion-d’Honneur -vint, au bout de quelques semaines, le rassurer sur les dispositions du -gouvernement à son égard. Le 5 décembre 1828, le PRIX _de Tombouctou_ -lui fut adjugé, en séance générale. - -Pendant que le voyageur arrive au port et s’y repose, les choses qu’il a -vues sur son chemin continuent d’être les mêmes. Sur le sol d’Afrique, -le bien et le mal sont également vivaces: comme les nuages qui -s’abattent six mois de suite sur les montagnes, comme les rivières qui -inondent périodiquement les plaines, comme le vent d’est qui embrase -sans interruption le désert; hommes et femmes, enfants et vieillards -parcourent là constamment le même cercle d’habitudes uniformes. Toujours -même costume, même lit et même table; mêmes huttes enfumées, même -musique et mêmes danses. Aujourd’hui, comme il y a cinquante ans, les -noirs voyageurs de Cambaya et de Kankan sautent de roche en roche au -bord des précipices leur long bâton à la main et leur longue corbeille -de sel sur la tête. Ceux de Timé, que leur attirail de sonnettes -annonce, barbotent dans les mêmes marécages avec leurs énormes charges -de noix de colats, qu’ils portent si loin, avec tant de peine et si peu -de lucre; les bateaux de Jenné se traînent lentement sur le fleuve, au -gré du vent ou du calme, arrêtés tant de fois par les bancs de sable ou -les douaniers armés du rivage; et, sur cette terrible plaine de sable, -Arabes au visage couvert, noirs esclaves et chameaux, cheminent -toujours, haletant, sous le soleil et par les chaudes bouffées du vent -d’est, après une gorgée d’eau tiède, salée ou bourbeuse. Tout cela n’est -pas un roman, mais de l’histoire. Non pas de l’histoire ancienne, mais -de l’histoire actuelle et vivante. - -Si nous entreprenions aujourd’hui de parcourir le même itinéraire que M. -Caillié, nous retrouverions sans doute à chaque pas les mêmes types -d’hôtes, de guides, de marchands exerçant le même négoce si pénible et -si peu fructueux: l’économe _Ibrahim_, le vieux fourbe _Lamfia_, -l’honnête, le généreux _Arafanba_, _Karamo-Osila_ de Timé, le vieux -tartufe _Ali_. Le pauvre vieux maître d’école de Cambaya, le pauvre -vieux Maure de Kankan, la vieille négresse de Timé, le Chérif de Jenné, -le grave et libéral Sidi-Abdallahi de Temboctou, le pauvre vieux -forgeron d’El-Harib, le bon barbier de Méquinaz et tant d’autres que -j’oublie. - -Si donc nous nous retournions pour embrasser d’un coup-d’œil et dans -toute sa longueur la route où nous n’avons jusqu’ici cheminé que pas à -pas, voyant peu de chose à la fois devant nous et presque rien sur les -côtés, le spectacle qui s’offrirait à nous ne serait pas d’un autre -temps, ce serait la réalité même que le soleil éclaire à l’heure qu’il -nous éclaire, à cela près qu’il s’élève, là-bas, plus haut au-dessus de -l’horizon. - -Cette revue, pour être complète, devrait suivre la distribution (sur -cette longue ligne) des terrains, des produits minéralogiques, des -arbres et des plantes, des diverses cultures, des divers ordres -d’animaux domestiques et sauvages. - -Arrêtons-nous seulement à considérer les différents peuples que nous -venons de visiter. Les différences, qui se présentent d’abord, sont -celles de la couleur de la peau: le teint noir, marron ou bronzé; les -cheveux crépus et les cheveux lisses.--Après cela, la classification la -plus naturelle est celle des peuples gais et des peuples sérieux: de -ceux qui ont un système de croyances bien arrêté, un lieu commun de -pratiques journalières ou annuelles, un but pareil en cette vie et en -l’autre, une seule et même ambition, une seule et même loi et de ceux -qui n’ont rien de tel. Sur toute cette ligne, la religion de ceux qui en -ont une, est la musulmane; la juive ne commence à se montrer que dans -l’empire de Maroc. Encore ceux qui n’ont pas de religion constituée, -reçoivent avec le plus grand respect tout ce qui leur vient de la -musulmane. Musulmans et autres, noirs marrons ou bronzés, tous ils -s’accordent dans leur croyance au pouvoir magique de l’écriture (de -l’écriture arabe, la seule qu’ils connaissent); à la puissance -miraculeuse des formules coraniques. - -Du reste, parmi les _Fidèles_, nul doute sur la mission du Prophète, sur -la divine origine du Saint-Livre, sur l’autre vie, le paradis et -l’enfer. La dévotion est là bien souvent tout en mouvements automatiques -des bras et des lèvres, mais la foi est aussi profonde qu’aveugle. Ils -s’arrêtent devant une bouchée de porc, devant une goutte de bière ou -d’eau-de-vie, comme devant le précipice qu’ils voient de leurs yeux. -Chacun croit de sa religion ce qu’il en sait et tout ce qu’il en sait, -plutôt plus que moins. Ils n’en discutent ou n’en démontrent pas plus la -vérité qu’ils ne discutent ou démontrent la présence du soleil à l’heure -de midi, et son influence bienfaisante ou terrible. - -Cette religion n’est pas de nature à les animer d’un zèle bien vif pour -l’exploitation de notre planète et l’amélioration du sort des hommes -dans leur terrestre séjour. - -Dans ces régions, l’industrie, qui satisfait bien juste aux besoins les -plus pressants, est presque entièrement abandonnée aux esclaves[36], et -ne s’exerce que sur les produits qui s’offrent pour ainsi dire -d’eux-mêmes. Le minerai de fer qui se ramasse en beaucoup d’endroits à -fleur de terre, l’or qui, principalement autour de Bourré, invite au -lavage du sable, le sel qui se voit par bloc dans le désert, la glaise -qui fournit les briques et les poteries,--telles sont les seules -ressources empruntées directement au sol même. - - [36] Notamment l’agriculture, laquelle n’emploie qu’un seul outil, - pioche à manche incliné. - -Les autres opérations (tannage, tissage, fabrication de savon, etc.) -sont celles que la culture grossière du pays ou la garde des troupeaux -indiquent dès l’abord, ou bien sont venues à la suite des conquêtes -musulmanes. - -Quant aux productions de l’industrie européenne, de l’industrie anglaise -surtout, elles arrivent là sans éveiller la moindre émulation. Il y a -trop d’intermédiaires inconnus entre une simple aiguille telle qu’elle -sort de nos fabriques et le morceau de fer d’où les Africains savent que -nos ouvriers la tirent. A Timé, un des fils de son hôtesse, montrant à -M. Caillié un morceau d’étoffe de couleur, donné par le voyageur à la -bonne vieille, lui demanda qui avait fait ces fleurs sur l’étoffe. -Apprenant que c’étaient les blancs, il reprit en conservant son sérieux: -«qu’il croyait qu’il n’y avait que Dieu qui pût faire d’aussi belles -choses.»--Il ne leur vient pas à l’idée de rivaliser avec les blancs. - -Tous, ils aspirent à se donner le moins de mouvement possible, non pas, -comme les européens en faisant faire leur ouvrage à l’air, à l’eau, à la -vapeur: mais en augmentant le nombre des machines humaines qui -manœuvrent pour eux, à leur commandement. - -La seule activité est l’activité commerciale. Et ici encore, malgré les -fatigues de la marche et le poids des fardeaux, aucune idée -d’amélioration ne se fait jour. Il n’est pas question de chemins. Quant -aux rivières, elles se passent le plus souvent à gué; c’est grand -hasard, si quelques ponts chancelants dispensent parfois de ces -dangereuses traversées. Les transports sont lents et pénibles, sur la -tête des hommes et des femmes, ou tout au plus à dos d’ânes, de mulets -où de bœufs à bosse, ou, dans le désert, de chameaux. Le cheval paraît -réservé pour la selle. Quant à la navigation sur le fleuve, il suffit de -nous rappeler qu’elle est, comme l’agriculture, stationnaire et par la -même raison. - -Nulle idée du mieux, nulle recherche, nulle invention: aucune initiative -de réforme; aucune direction scientifique et utilitaire; règne absolu -des habitudes anciennes; règne absolu des _vieillards_ qui les -représentent, et par qui la chaîne des traditions est tenue entre les -générations mortes et les générations naissantes. - -Hommes et femmes, enfants et vieillards ont, à l’avance, chacun leur -rôle, et le répètent tel que l’ont dit leur père et leur mère, tel que -le répéteront leurs fils et leurs filles. Les choses sont, pensent-ils, -pour être comme elles sont; et de fait, elles sont comme elles ont été. -Tel homme ou telle femme sont nés pour être menés au marché et criés à -l’enchère, quand tel autre homme où telle autre femme ont besoin de -_faire de l’argent_,--ou bien pour être donné en _indemnité_, en -_paiement de bail_, en _dot_. Tout cela leur paraît invariablement -arrêté pour jamais, comme le cours de la lune par lequel ils comptent -les mois et les années. Il en est de même de l’assujétissement de la -femme à l’homme. - -Leurs courses commerciales leur montrent partout mêmes couleurs de peau -et mêmes coutumes religieuses ou civiles, ne portent pas à leurs -illusions la moindre atteinte: enchantés de leur pays, ils supposent que -nous autres blancs, nous habitons, tous sous un même chef, quelques -misérables îles au milieu de la mer[37], et que nous aspirons à nous -emparer de leurs belles campagnes. Pour eux, non pas seulement -l’Amérique, mais l’Europe elle-même est encore à découvrir. - - [37] Cette idée provient sans doute de leurs relations avec les - Anglais de la côte. - ---Quant au voyageur, nous savions d’avance que son récit ne répondrait -le plus souvent aux questions des savants que par des renseignements -vagues; s’il cite des champs de fleurs blanches, le botaniste voudrait -qu’il en décrivît les étamines et le pistil, qu’il en déterminât le -genre et l’espèce; s’il rencontre à plusieurs reprises des pierres -auxquelles il suppose une origine volcanique, le minéralogiste voudrait -savoir si ce sont des trachites ou des basaltes, etc. Ces questions ont -leurs conséquences. M. Caillié note avec le plus grand soin la nature du -terrain tel qu’il croit pouvoir la déterminer à la simple vue. Mais on -sait que, pour ces sortes d’observations, il ne suffit pas toujours de -voir, il faut toucher, et toucher avec les pierres de touche que les -découvertes chimiques mettent aux mains des observateurs. Il en est de -même des autres remarques d’histoire naturelle, de géologie, de -pathologie, comme aussi de langues et de mœurs. M. Caillié n’est ni -linguiste, ni moraliste, ni naturaliste, ni chimiste, ni géologue, ni -médecin. Toutefois, c’est un courageux éclaireur qui a dénoncé à -l’attention de l’Europe des peuples et des pays oubliés. Son exemple -trouvera et a trouvé déjà des imitateurs. - - - - -LA CHASSE AU LION. - - -Le plus bel animal de la création, à mon avis, c’est le lion. Il est -l’image de la force intellectuelle chez la bête, de l’audace et du -raisonnement: de la force, parce que nul mieux que lui ne peut résister -à tous les quadrupèdes; de l’audace, parce qu’il est doué de cette -qualité au suprême degré; et enfin du raisonnement, parce qu’il sait -être généreux ou cruel, suivant l’occasion. - -De toutes les ménageries connues, de toutes les cages des jardins -zoologiques du monde, le plus beau spécimen de lion qui ait jamais -existé depuis vingt ans était et est encore, sans contredit, le lion -Brutus, appartenant au dompteur Peson, que tout Paris a vu et admiré. Ce -monstrueux animal, qui eût pu, d’un coup de griffe, arracher la poitrine -de celui qui le cravachait à certains moments de la représentation -belluaire, se contentait de hausser la crinière et de cligner de l’œil, -preuve évidente qu’il dédaignait ce sentiment qu’on appelle la -vengeance. - -Le roi des animaux a, comme qualité inhérente à son espèce, l’affection -la plus cordiale pour sa famille et pour ses enfants, mais je n’en dirai -pas autant de sa compagne, qui assiste bien souvent, placide et -impassible, à un combat entre son «époux» et un rival préféré. - -La race léonine tend à disparaître comme celle de tous les carnassiers -dangereux. Nous sommes loin de l’époque où cinq cents lions étaient -introduits à la fois dans l’amphithéâtre-cirque de Rome,--lors de -l’inauguration du second consulat de Pompée, pour y être massacrés par -les belluaires ou déchirés par leurs congénères. C’est Pline qui affirme -le fait: on doit le croire. - -Les lions africains sont les seuls connus, car c’est seulement sur le -sol torride de cette partie du monde que naissent et grandissent les -rois des animaux. Les voyageurs dans l’Afrique australe ont publié de -nombreuses descriptions de leurs chasses aux lions. Anderson, Gordon -Cumming, Jules Gérard, Bombonnel, Chassaing, Chéret, Livingstone ont -tous été les héros de ces chasses excentriques qui demandent de l’audace -et encore de l’audace. Les récits de ces «entreprises aventureuses» ont -été publiés dans des volumes qui, à eux seuls, forment des -bibliothèques. Je ne raconterai pas ce que l’on peut trouver dans les -livres de ces voyageurs émérites. Je crois plus opportun de donner ici -de l’inédit et je trouve cet élément de succès dans la correspondance -d’un de mes amis--un héros inconnu--qui a voyagé dans l’Afrique australe -et a rapporté de ces excursions lointaines des documents à l’aide -desquels on peut intéresser le public le plus blasé. - -«La première fois que le rugissement du lion frappa mon oreille, je fus -saisi d’une terreur insurmontable. J’étais couché sous ma tente de -voyage et je me levai d’un bond pour mieux écouter au dehors. - -»Je ne m’étais pas trompé: c’était bien le cri rauque du roi des -animaux. Le quadrupède ne devait pas être à plus d’un mille de notre -campement. Je compris que le carnassier avait senti les émanations de -nos chevaux et des bœufs destinés à traîner les chariots sur lesquels se -trouvait notre bagage. Il fallait se mettre en état de défense, et -j’ordonnai à mon guide boschiman de prendre les précautions nécessaires. -Il se hâta de faire resserrer le cercle formé par les véhicules, au -centre desquels il ramena les moutons et les bêtes de trait. Cela fait, -nous attendîmes, perchés sur les chariots, l’approche du ou des -carnassiers, car il nous semblait que les ennemis de notre repos étaient -en nombre. - -»Les rugissements léonins se rapprochèrent de plus en plus; à un moment -donné, cependant, le silence se fit. C’était une menace imminente: le -danger était devant nous. Mais où le voir, où le deviner? La nuit était -obscure, quoique parfois la lune se montrât à travers les nuages. -Pendant une de ces «éclaircies,» un natif placé près de moi pour me -passer mes armes de chasse et les charger au besoin me poussa le coude -et me dit dans son langage: - -»--Là! derrière cet arbre touffu, à droite, il est là. C’est un _mangeur -d’hommes_.» - -»Je regardai: en effet, un énorme lion, rampant à travers les jungles, -s’avançait dans notre direction. Un rugissement épouvantable retentit de -nouveau, qui me fit frémir de la tête aux pieds. - -»Je distinguai aussitôt les cris de deux de mes Boschimen, et un instant -après l’un d’eux, nommé Raft, arriva en courant près de moi, sans -pouvoir prononcer une parole, tant sa terreur était grande. Ses yeux -sortaient de leurs orbites. Enfin il s’écria: - -»--Le lion! le lion! Il a emporté Tato et l’a enlevé près du feu, à mes -côtés. J’ai frappé à la tête le terrible animal avec un tison enflammé, -mais il n’a pas voulu lâcher sa proie. Tato est mort! Grand Dieu! Tato -est bien mort! Courons à la recherche de son cadavre.» - -«En entendant ces paroles, tous mes hommes se ruèrent vers le feu et -s’emparèrent de brandons enflammés. - -»Je ne pus m’empêcher d’exprimer ma colère en les voyant agir de la -sorte, et je leur dis que le lion ferait d’autres victimes s’ils ne se -tenaient pas tranquilles. Ne fallait-il pas prendre des mesures de -prudence? Ils comprirent ce raisonnement et se rangèrent autour de moi -pour écouter mes conseils. - -»Je fis d’abord lâcher mes chiens, qui tiraient sur leurs chaînes et -voulaient s’élancer hors du campement; mais ceux-ci, au lieu de se jeter -à droite, vers l’endroit où s’était réfugié le lion assassin, se -précipitèrent à gauche, sur une autre piste. - -»Nous entendions les chiens aboyer avec force, tandis que, de temps à -autre, les rugissements de l’animal frappaient nos oreilles. Parfois le -lion s’élançait vers eux et les _hounds_ revenaient vers nos chariots. - -»Cela dura jusqu’au jour. Dès que le crépuscule nous permit de voir à -quelques pas devant nous, tous les Boschimen armés de fusils -s’avancèrent par mes ordres à droite, à quatre mètres de distance les -uns des autres. Je m’étais placé au milieu et je formais la pointe du -triangle. - -»Nous parvînmes ainsi près d’un ravin où le lion avait traîné -l’infortuné Tato. L’un de mes hommes avait trouvé la jambe de ce brave -camarade, coupée au-dessus du genou. Le soulier était encore au pied. -L’herbe et le buisson étaient couverts de sang et les fragments des -habits de Tato épars çà et là. - -»Le lion avait traîné le cadavre de notre compagnon à environ six cents -mètres de notre camp, le long du courant d’eau, au milieu d’un taillis -de roseaux et d’arbres morts emportés par les inondations. - -»A des foulées nombreuses, je compris que le carnassier n’était pas loin -de nous. Les chiens débouchés s’élancèrent en avant et nous les -suivîmes, le doigt sur la détente de nos carabines. - -»Tout à coup nous nous trouvâmes au milieu d’une sorte de clairière à -l’extrémité de laquelle, adossé contre l’angle d’une souche déracinée, -était un énorme lion tenant sous une de ses pattes les restes informes -du malheureux Tato et frappant ses flancs avec sa queue, dans le -paroxysme de la fureur,--_quærens quem devoret_. - -»En apercevant l’animal féroce, mon sang bouillonnait de rage, mes dents -claquaient, mais j’étais cependant maître de moi. Je me sentais prêt à -répondre à l’attaque du carnassier s’il s’élançait sur moi. - -»--Tu vas mourir, mon vieux lion!» lui disais-je _in petto_. - -»Et j’épaulai l’animal. - -»Une seconde après, j’avais fait feu et une balle traversait l’épaule du -meurtrier de Tato. - -»Il tomba sous le coup, puis se releva. Je l’achevai en lui logeant une -seconde balle en plein crâne. - -»Lorsque nous pûmes prudemment approcher de ce splendide animal, nous -reculâmes d’horreur. Le ventre du pauvre Tato était ouvert et ses -entrailles sortaient toutes sanglantes. La tête détachée du tronc gisait -à trois pas du corps: le bras droit était dévoré et l’épaule déchiquetée -comme avec un râteau. - -»Le lion fut dépouillé par mes Boschimen, et sa peau fut emportée au -campement, tandis que les amis de Tato creusaient une fosse pour l’y -enterrer. Au milieu du deuil que causa la mort du serviteur fidèle, on -éprouva cependant la joie de voir sa fin terrible vengée par le chef -blanc, et tous les Boschimen me baisèrent la main en signe de respect.» - -Ce récit émouvant n’est pas le seul que nous puissions raconter à nos -lecteurs. - -»Un jour, raconte le même auteur, un homme de ma suite revenait d’un -_kraal_ voisin de mon campement; il s’éloigna un peu du sentier battu -pour tuer à l’affût, près d’une source, un _springbock_, si faire se -pouvait. Quand il parvint à cet endroit, le soleil était déjà -très-élevé. Ne voyant pas de gibier, le nègre alla poser son fusil près -d’une roche et, après s’être désaltéré, alluma sa pipe et finit par -fermer les yeux. Lorsqu’il se réveilla, quelle ne fut pas sa terreur en -voyant un énorme lion couché à trois pas de lui et le regardant -fixement! - -»L’épouvante avait glacé la voix du chasseur: il respirait à peine, et -quand il recouvra sa présence d’esprit il songea à ressaisir son arme -afin de tirer sur le roi des animaux. Le lion avait surpris ce mouvement -et avait poussé un rugissement terrible. Le nègre fit encore un ou deux -essais, mais le fusil se trouvait hors de sa portée; il dut renoncer à -s’en emparer, car le félin ouvrait démesurément sa gueule chaque fois -que l’homme remuait la main. La journée s’écoula de cette façon. La nuit -vint. Le lion n’avait pas bougé de place et les heures s’écoulèrent dans -cet horrible supplice moral. - -»Vers midi, le Hottentot vit le lion se lever tranquillement et, le cou -tourné de son côté, se rendre à la source pour s’y désaltérer. - -»A ce moment suprême, une bande de cavaliers boschimen parut à -l’horizon: le lion entendit le bruit que produisaient les pas des -chevaux et crut prudent de se jeter dans un fourré qu’il traversa -rapidement pour pénétrer dans le forêt. - -»Le Hottentot était sauvé, mais ses cheveux crépus avaient blanchi dans -l’espace de vingt-quatre heures.» - -Je terminerai cet article par un fait qui m’a été raconté par le -commandant Garnier. - -Un Arabe des environs de Guelma apprit un matin qu’un grand vieux lion à -crinière noire s’était montré dans les environs de son douar. On avait -construit des fosses dans lesquelles le vieux carnassier ne voulait pas -se laisser prendre, et il décimait chaque nuit le bétail du canton. -L’Arabe quitta un jour la battue qui s’opérait dans la montagne et alla -se poster près d’un ravin. A peine avait-il fait deux cents pas qu’il se -trouva face à face avec le lion. Au moment où il armait son fusil, son -arme fut tordue, il fut jeté sur le dos, les deux épaules entre les -griffes du lion, qui le regardait fixement; c’en était fait de lui sans -un de ses camarades, nommé Ahmed-Zim, qui avait vu ce qui se passait. -Sans prendre son fusil, sans même songer aux pistolets qu’il portait à -sa ceinture, n’écoutant que son amitié pour son compagnon, il vola à son -secours et sauta intrépidement sur le lion, le yatagan au poing. Il -frappait d’estoc et de taille, et ceux qui accouraient vers le lieu du -combat n’osaient pas se servir de leurs armes, de peur de tuer leur -courageux ami. Un d’eux cependant, plus hardi que les autres, parvint à -fracasser la tête du lion d’un coup de pistolet tiré dans l’oreille à -bout portant. - -Le lion abattu pesait deux cent cinquante kilos. Sa peau était -déchiquetée en lanières et le sang en ruisselait de toutes parts. - -Ahmed-Zim n’avait reçu aucune blessure, mais son ami avait le bras et -les épaules affreusement déchirés. - - -FIN. - - - - -TABLE - - - M. Caillié et son voyage. 5 - Départ. 26 - Cambaya. 42 - Kankan. 59 - Timé. 78 - Jenné. 90 - Navigation sur le Niger. 101 - Tombouctou. 107 - Le Désert. 119 - El-Harib. 143 - Fez et Méquinaz. 149 - Tanger. 154 - Retour. 136 - - La chasse aux lions. 168 - - -FIN DE LA TABLE. - - -Limoges.--Impr. EUGÈNE ARDANT et Cie. - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À TRAVERS -L'AFRIQUE *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for an eBook, except by following -the terms of the trademark license, including paying royalties for use -of the Project Gutenberg trademark. 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General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the -person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph -1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. 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Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you -are not located in the United States, you will have to check the laws of the -country where you are located before using this eBook. -</div> - -<div style='display:table'> - <div style='display:table-row'> - <div style='display:table-cell; padding-right:0.5em'>Title:</div> - <div style='display:table-cell; padding-right:0.5em'>Voyage d'un faux musulman à travers l'Afrique</div> - </div> - <div style='display:table-row;'> - <div style='display:table-cell'></div> - <div style='display:table-cell'>Tombouctou. Le Niger, Jenné et le Désert</div> - </div> -</div> - -<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: René Caillié</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: June 6, 2021 [eBook #65530]</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div> - -<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)</div> - -<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À TRAVERS L'AFRIQUE ***</div> -<p class="c large">RENÉ CAILLIÉ</p> - -<h1>VOYAGE<br /> -<span class="xsmall">D’UN</span><br /> -<span class="large">FAUX MUSULMAN</span><br /> -A TRAVERS L’AFRIQUE</h1> - -<p class="c">TOMBOUCTOU<br /> -Le Niger, Jenné et le Désert.</p> - - -<p class="c gap"><span class="large">LIMOGES</span><br /> -EUGÈNE ARDANT ET C<sup>ie</sup>, <span class="small">ÉDITEURS</span>.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch1">VOYAGE<br /> -A TOMBOUCTOU.</h2> - - -<p>Supposons que vous ayez sous les yeux -une carte du globe ; que, sur cette carte, -vous vous établissiez à l’un des points qui -représentent Brest, Nantes, Rochefort ou -Bordeaux, à la droite du petit carré qui -représente la France ; que de là, votre doigt -se promène au large sur cet espace blanc -qui figure la grande masse d’eau de l’Atlantique, -et, laissant à gauche l’Espagne, -le Portugal, le détroit de Gibraltar, continue -son chemin en vue du cap Noun, du -cap Boyador, du cap Blanc, du cap Vert, -en vue des établissements français et anglais -du Sénégal et de la Gambie ; puis, -reprenne enfin terre à ce petit filet noir qui -marque l’embouchure du Rio-Nunez : — parvenus -là, vous avez fait douze ou quinze -cents lieues, et vous êtes au point de départ -du voyage que nous allons entreprendre -à la suite de M. Caillié.</p> - -<p>A présent, notre ligne de route est bien -facile à tracer, par <i>à peu près</i> s’entend. Il -s’agit, en tournant le dos à la mer, de fixer -sur la carte un point à deux cents lieues -environ de l’embouchure du Rio-Nunez, et -de joindre ce point d’une part avec cette -embouchure, de l’autre avec l’empire de -Maroc, avec Fez et Tanger. Entrés en -Afrique par le côté qui fait face à l’Amérique, -nous en sortirons par le côté qui fait -face à l’Europe ; nous aurons fait sur le sol -africain un coude de neuf à onze cents -lieues.</p> - -<p>Qu’y a-t-il à voir, à l’heure qu’il est, sur -cette longue ligne ? Que se passe-t-il, dans -ces régions sur lesquelles la carte est presque -entièrement muette, ou bien qu’est-ce -que représentent le petit nombre d’indications -qu’elle donne ? Sous quels aspects -se présentent là et la terre et les hommes ? -Le soleil, les nuages, les montagnes, les -rivières, ont-ils là les mêmes habitudes que -chez nous ? Le sol est-il pareil à celui que -nous foulons ? se pare-t-il des mêmes couleurs, -porte-t-il les mêmes plantes, nourrit-il -les mêmes animaux, et, creusé, laisse-t-il -voir les mêmes choses ? — Enfin, s’il y a -des hommes dans ces vastes contrées, qui -sont ces hommes ? Quelle idée se font-ils de -la vie humaine ? Quel parti tirent-ils de la -terre et des choses qu’elle porte ? Quel -parti tirent-ils de leurs semblables et d’eux-mêmes ? -Que savent-ils ? Qu’imaginent-ils ? -Ce même soleil qui, eux aussi, les réchauffe -et les éclaire, leur dit-il quelque -chose des autres hommes qu’il a réchauffés -et éclairés avant que d’arriver à eux, de -ceux qu’il réchauffe et éclaire en même -temps qu’eux : de nous, par exemple, qui -sommes de ceux-là ? Ces hommes s’occupent-ils -de nous, comme nous nous occupons -d’eux ? Songent-ils également, de -leur côté, à nous rendre visite ?</p> - -<p>Bien d’autres questions s’élèvent à la vue -de ces espaces si voisins de notre Europe, -et si fort négligés par elle ; de ces espaces -où nos croyances et nos sciences, nos langues -et nos institutions sont presque totalement -inconnues. Ces hommes, en effet, ne -pouvons-nous rien pour eux ? N’avons-nous -à échanger avec eux que des regards indiscrets -et méfiants ? Si différents qu’ils soient -de nous par l’extérieur et le costume, ou -même par l’organisation et les habitudes, -en sont-ils moins nos pareils au nom des -besoins universels de la nature humaine, au -nom du travail qui répond partout à ces -besoins, au nom de la sympathie par laquelle -chacun de nous est associé aux plaisirs et -surtout aux souffrances des autres hommes ? -Qu’ils le reconnaissent ou non, ils appartiennent -à la grande famille dans laquelle -nous ne voyons, nous, que des frères nés -pour être amis, des frères que l’erreur seule -sépare.</p> - -<p>Deux questions surtout ont attiré, de nos -jours, l’attention des Européens vers cette -partie de l’Afrique.</p> - -<p>L’une de ces questions se rapportait à un -vaste courant d’eau qui promettait à lui -seul un puissant instrument aux recherches -ultérieures. Car, vous le savez, une rivière -en ces régions brûlantes, ce n’est pas seulement, -comme ailleurs, <i>un chemin qui -marche</i><a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>, c’est un chemin qui désaltère -ceux qu’il porte, un chemin qui leur prépare -devant eux des vivres et un abri sur -les rives que son eau fertilise. De là l’importance -de la question du <span class="sc">Niger</span>, ce <i>Nil des -Noirs</i>, mentionné il y a plus de deux mille -ans par l’historien grec <i>Hérodote</i>, retrouvé -en 1795 par l’Anglais <i>Mungo-Parck</i>, et -dont les sources principales furent indiquées, -en 1822, par l’Anglais <i>Laing</i>. Plus -récemment, en 1850, deux autres Anglais, -<i>Richard Lander</i> (ci-devant domestique du -célèbre voyageur Clapperton), et son frère -<i>John</i>, se livrant hardiment au courant du -fleuve, l’ont descendu jusqu’à la mer.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Expression de <i>Pascal</i>.</p> -</div> -<p>L’autre question, qui touchait de près à -la première, était relative à la ville de <span class="sc">Tombouctou</span><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>, -voisine du fleuve, et comme -lui, mystérieuse. Ce nom, il faut le dire, -exerçait une sorte d’enchantement sur l’imagination -des géographes. Ils ne pouvaient -se représenter sans enthousiasme -une capitale grandie, comme par miracle, -sous le souffle desséchant du Désert : véritable -port de cet océan de sable qu’on appelle -le <i>Sahara</i>, entrepôt florissant d’un -commerce perpétuel entre le nord et l’occident -de l’Afrique. C’était à qui lui prêterait -les plus larges dimensions ; les évaluations -les plus modérées ne lui donnaient pas -moins de cent mille habitants. Un écrivain -arabe, enchérissant sur les exagérations de -ses compatriotes, allait même jusqu’à dire : -« C’est la plus grande ville que Dieu ait -créée. »</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Ou <i>Temboctou</i> ou <i>Ten-Boktoue</i>, comme on -commence à l’écrire à présent, d’après l’Arabe Ben-Batouta.</p> -</div> -<p>Vous commencez à craindre que la réalité -ne réponde pas à ces pompeuses annonces ; -elles auront du moins servi à tourner -l’attention de ce côté. Si l’on n’a pas le singulier -plaisir que l’on se promettait de rencontrer -un <i>Paris</i> au milieu des sables, en -revanche on aura quelques pages de plus à -ajouter à l’inventaire de notre planète, et -au recensement général de la famille -humaine.</p> - -<p>Quant à nous, nous sommes, pour le moment -du moins, condamnés à ne visiter ces -contrées lointaines que par les yeux d’autrui, -et, pour ainsi dire, par procuration. — Le -voyageur qui se charge de les visiter -pour nous se fera-t-il toutes les questions -que nous nous ferions en pareil cas ? Arrivera-t-il -là-bas avec nos propres préoccupations ? -Par lui serons-nous là comme si nous -y étions nous-mêmes ? C’est chose dont on -peut douter ; toutefois, dans l’impossibilité -où nous sommes, pour longtemps peut-être, -de nous transporter en personne à douze -cents lieues d’ici, cette ressource des récits -d’emprunt (la seule qui nous reste) n’est -pas à dédaigner. Elle serait plus précieuse -encore, si les lecteurs de <i>voyages</i> avaient le -bon esprit de ne demander au voyageur que -ce qu’il sait, de ne pas le contraindre à parler -des choses que les circonstances du trajet -ou bien le défaut de connaissances préalables -ne lui ont pas permis de remarquer. -Loin de là, le voyageur est tenu, d’ordinaire, -de tout voir, de tout entendre, de -tout comprendre ; il est tenu d’entrer dans -le pays avec tous les moyens d’observation -que chacune de nos sciences modernes -prête à ses disciples ; il est tenu d’en sortir -sans oublier le nom d’une seule bicoque. -Le lecteur gagne-t-il en réalité quelque -chose à ces exigences ? eh mon Dieu non ! -Le voyageur fait semblant d’être en état -d’y satisfaire ; il parle de tout ; il ne laisse -pas en blanc une seule des stations de son -itinéraire : toutes les lacunes de ses notes -ou de sa mémoire, il les remplit de la meilleure -grâce du monde : son honneur est -sauf aux dépens de sa probité.</p> - -<p>Tâchons d’être justes, ne fût-ce que pour -n’être pas trompés ; et, prenant notre -voyageur pour ce qu’il est, ne le forçons -pas à se donner pour autre. Voyons ce que -nous pouvons en conscience attendre de -lui, et ne lui demandons rien de plus.</p> - -<p>Dès l’ouverture de son livre<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>, nous -apprenons que c’est un jeune homme de -vingt-six à vingt-sept ans. Ni dans le village -de Poitou<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a> qu’il quitta, nous dit-il, à -seize ans pour la côte d’Afrique, avec soixante -francs pour toute fortune, et quelques -lectures de voyages pour toute instruction ; -ni dans ses différentes courses au Sénégal -ou à la Guadeloupe, il n’eut le loisir ou le -moyen d’acquérir les connaissances qu’un -voyage de découverte exige. — De plus, -s’il parcourt sur le globe la ligne de route -que nous venons de tracer sur la carte, -c’est en passant, c’est à la dérobée, à la -hâte, dans des transes perpétuelles, et -comme en traversant un camp ennemi : -sans autre défense que celle que ses maux -lui acquièrent de loin en loin dans les âmes -compatissantes ; sans autre protection que -la pitié ou le mépris qu’il inspire. Pauvre -mendiant dévot, marchant seul et à pied -au milieu de tant de populations étrangères, -bien souvent, c’est à peine s’il ose lever -les yeux de dessus le grand chapelet musulman -qui lui sert de passeport.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> <i>Journal d’un voyage à Tombouctou et à Jenné</i>, -etc., par René <span class="sc">Caillié</span>.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> <i>Mauzé</i> près Thouars, département des Deux-Sèvres.</p> -</div> -<p>Vous voyez qu’il est difficile de voyager -dans des conditions plus défavorables. Nous -serions mal venus à vouloir qu’il sorte de -là une relation nourrie d’observations approfondies -et savantes. Toutefois, un pareil -trajet peut nous apprendre encore bien des -choses que nous ignorons, et nous en rappeler -d’autres auxquelles nous ne songeons -pas. En laissant même les indications que -le voyageur a tâché de recueillir sur les -pays qui se trouvaient à droite et à gauche -de sa route ; en laissant encore la longue -liste de dénominations géographiques qu’il -s’est efforcé de compléter ; il reste les choses -qu’il a vues de ses yeux, les choses que -tout passant en Afrique pourrait apercevoir -de même, les choses sur lesquelles il -ne peut y avoir de doute, sans inculper, -non pas les lumières, mais la bonne foi -même de celui qui les raconte : il reste les -événements auxquels le voyageur a été -mêlé, dans lesquels il s’est trouvé tout ensemble -acteur et spectateur. Le <i>journal</i> de -M. <span class="sc">Caillié</span> serait réduit au récit de ses -propres aventures, qu’il n’en serait par là -même sur l’Afrique qu’un témoignage plus -expressif et plus authentique.</p> - -<p>De ce que M. Caillié avoue franchement -qu’il s’est mis en route sans avoir pu jamais -acquérir les connaissances qui peuvent -donner le plus de prix à une pareille entreprise, -il ne s’ensuit pas qu’il soit parti sans -préparation aucune. Rien que pour entrer -sur le territoire d’Afrique, il faut se déguiser, -se transformer, se composer un rôle. -Ce rôle, il faut, dans une si longue traversée, -qu’il s’adapte également à chacun des -pays à parcourir ; qu’il convienne aux ressources -particulières du voyageur, qu’il -s’accommode à ses moyens d’observation. -Une fois ce rôle composé, il faut l’apprendre, -il ne faut pas l’oublier un seul instant : -il y va de la vie. Ce rôle, quel qu’il soit, -bien choisi et bien joué, est à lui seul un -renseignement précieux sur les contrées -dont il ouvre la porte au voyageur.</p> - -<p>Ainsi donc, à part ses résultats, et seulement -pour être mise à exécution, la traversée -que nous nous proposons demande un -apprentissage. Celui de M. Caillié, commencé -de bonne heure, et plus long par le -manque même d’encouragements et de secours, -dura près de dix années. Trois voyages -successifs au Sénégal, deux essais malheureux -pour pénétrer dans l’intérieur à la -suite des expéditions anglaises, le familiarisèrent -avec toutes les difficultés de sa -tâche. Dans l’une de ces tentatives, il vit -par lui-même combien la foule des chameaux, -la richesse du bagage, et même une -troupe de soldats armés, servent de peu -contre des hommes qui, s’obstinant à fermer -aux Européens l’accès de leur pays, -comptent au nombre de leurs armes offensives -le soleil et le sable, et n’ont rien que -leurs puits à défendre. Une retraite ruineuse -« et plus sinistre qu’une déroute » -lui apprit qu’à moins de se frayer le chemin -par la force, l’étude de ces populations -défiantes ne devait pas se faire avec tant -de bruit.</p> - -<p>Ainsi, le plus grand obstacle à la traversée -que nous nous proposons, ce sont les -hommes. Des Arabes, en effet, de race -plus ou moins mélangée, ont pénétré partout -en ces parages parmi les populations -noires et partout, avec le nom de Mahomet -et ses lois sévères, ils ont implanté la haine -et le mépris des <i>Chrétiens</i> : mettant, sous -ce nom, tous les Européens <i>hors la loi</i> ; -nous dévouant tous tant que nous sommes, -en cette vie, au brigandage et à la filouterie -des <i>Fidèles</i>, et dans l’autre, aux flammes -éternelles de l’enfer.</p> - -<p>Notre jeune voyageur<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a> jugea que le -plus court était d’apprendre leur religion -et leur langue. Il trouva tout simple d’abandonner -les chances de fortune que lui offrait -le commerce<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a>, pour aller faire son éducation -musulmane chez les Musulmans eux-mêmes. -Pour maîtres d’arabe et d’islamisme, -il choisit les Arabes (ou Maures) -Braknas qui errent avec leurs troupeaux -entre le Sénégal et le Désert, à cinquante -ou soixante lieues de la côte.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> M. Caillié avait alors vingt-quatre ans.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Un négociant lui avait fait l’avance d’une -petite pacotille.</p> -</div> -<p>Je ne m’arrêterai pas à vous raconter le -traitement que lui valut de leur part son -apparente conversion aux croyances musulmanes. -Ses hôtes lui montrèrent à lire l’écriture -arabe, et lui firent apprendre par -cœur force versets du Coran. Il fut même -pourvu d’une planchette d’écolier, et, -comme les enfants, soumis, le matin avant -le jour et le soir à la nuit, à chanter à haute -voix la gloire d’<i>Allah</i> et de <i>Mohamed</i>, à la -lueur d’un petit feu.</p> - -<p>La langue usuelle de ces Arabes lui devait -être par la suite du plus grand secours. -Leur société était du reste une excellente -école de mœurs africaines, de vie uniforme -et simple, et par-dessus tout, de sobriété. -Chose étrange pour nous ! Chose bien plus -étrange encore pour l’estomac du pauvre -<i>voyageur</i>, leur principale nourriture, c’est -le lait : aux chefs, le lait de chameau ; aux -autres, le lait de vache, de chèvre ou de -brebis ; dans la saison des pluies ils ne prennent -pas autre chose. Une simple bouillie -de mil pilé et assaisonnée d’herbages supplée -au lait dans les temps de sécheresse. -Un repas de viande séchée est le privilége -des plus riches, et pour eux-mêmes, un -régal. Le reste est à l’avenant.</p> - -<p>Ces privations continues ne les dispensent -pas du jeûne que la religion leur impose, -jeûne auprès duquel ce que les Européens -appellent aujourd’hui de ce nom n’est -qu’un jeu. Ce jeûne, en dévot catéchumène, -<i>Abdallahi</i><a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>, c’est le nom que M. Caillié -s’était donné, y fut astreint sans miséricorde.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Ce nom qui signifie <i>esclave de Dieu</i> est de -ceux que recherche l’humilité musulmane.</p> -</div> -<p>« Le soir (5 avril 1825) on aperçut la -nouvelle lune. C’était celle du Ramadan : -le carême allait commencer. On fit de longues -prières et beaucoup de bouillie de -mil… » C’était dans la saison des chaleurs, -par un vent d’est étouffant. Une tasse de -lait aigre <i>avant</i> et <i>après</i> le coucher du -soleil ; à onze heures du soir, une simple -bouillie de mil : tel était, tel est encore sur -la rive droite du Sénégal le régime de <i>la -lune du jeûne</i>.</p> - -<p>« Le sixième jour, dit le voyageur, je -crus que je ne pourrais soutenir plus longtemps -ces terribles mortifications. La chaleur -augmentait ; ma soif était insupportable : -j’avais la gorge desséchée ; ma langue, -gercée, me faisait l’effet d’une râpe -dans la bouche. Je crus que je succomberais ; -je ne souffrais pas seul : tout le -monde, autour de moi, endurait les mêmes -tourments. Enfin, les <i>Marabouts</i> se baignèrent -le visage, la tête et une partie du corps. -On me permit d’en faire autant ; mais -j’étais observé avec la plus grande attention. »</p> - -<p>Une seule fois il avale avec frayeur une -partie de l’eau avec laquelle il était permis -de se laver la bouche.</p> - -<p>« Je jeûnai ainsi dix-sept jours ; le dix-huitième, -je fus attaqué de la fièvre ; alors -on me dispensa du jeûne, si toutefois on -peut appeler ne pas jeûner boire un peu -d’eau dans la journée, car on ne me donna -absolument rien à manger. »</p> - -<p>Huit ou neuf mois de séjour parmi les -Braknas ont mis le voyageur à même de -nous raconter à loisir tous les incidents, -très-peu variés du reste, de leur vie ambulante, -de nous introduire dans leurs maisons -portatives, de nous montrer leur ameublement, -leur costume ; de nous faire voir -comment sont réparties chez eux, entre les -diverses classes d’hommes libres ou d’esclaves, -les différentes fonctions industrielles, -commerciales, civiles, militaires, religieuses, -etc. Ces curieux détails nous mèneraient -trop loin. Il ne faut pas oublier que -nous avons beaucoup de chemin à faire.</p> - -<p>Le <i>chrétien</i>, dont la conversion avait -toujours laissé quelque défiance, était allé -aux bateaux français sur le fleuve, et, contre -l’espérance de ses hôtes, il était revenu -partager leur fade bouillie de mil.</p> - -<p>Il s’agissait d’<i>acheter un troupeau et -deux Noirs</i> pour établir chez les Braknas -son point de départ sur une base solide. -Par malheur, le gouverneur français, qui -avait encouragé ses premiers essais, était -parti. M. Caillié vit ses offres repoussées, et -des espérances qui lui coûtaient déjà tant -de fatigues, ruinées de fond en comble. Il se -fit empailleur d’oiseaux, pour vivre. Le -gouverneur, revenu, ne répondit à son -empressement que par de vagues promesses. -Les Anglais de Sierra-Leone l’accueillirent -mieux à tous égards. Les Français lui -avaient opposé M. de Beaufort et les railleries -amères sur sa prétendue conversion -et sur son costume. Les Anglais, en lui -opposant le major Laing, également parti -pour Temboctou, lui offrirent l’hospitalité la -plus généreuse. Près de deux ans s’écoulèrent -ainsi dans des désappointements continuels.</p> - -<p>M. Caillié ne se rebuta point. Il avait eu -connaissance du prix proposé en 1824 par -la <i>Société de géographie</i> de Paris, au voyageur -qui parviendrait le premier à Temboctou -par la voie de la Sénégambie ; il se disait : -« Mort ou vif, je l’obtiendrai ; si je -n’en jouis pas, ma sœur le recueillera. » Il -ajoute : « Je refusai tout arrangement ; je -voulus au moins laisser à l’amie de mon -enfance une propriété incontestable, le -mérite d’avoir tout fait par moi seul. »</p> - -<p>Il se lia à Free-town<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a> avec des Noirs -musulmans venus de l’intérieur : puis, un -jour, sous le sceau du secret, il leur apprit -d’un air très-mystérieux qu’il était né à -Alexandrie en Égypte, qu’il avait été fait -prisonnier par l’armée française, et conduit -au Sénégal pour faire les affaires commerciales -de son maître : qu’affranchi pour ses -services, il voulait retourner dans son pays -natal, et reprendre la religion de ses -pères.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> Chef-lieu de la colonie anglaise de Sierra-Leone.</p> -</div> -<p>Telle est la fable sur la foi de laquelle -allait reposer pendant près de dix-sept mois -la sûreté de sa vie.</p> - -<p>Une petite friponnerie lui fit sentir dès le -lendemain qu’il ne pouvait espérer, avec -l’habit européen, vaincre les vieilles habitudes -de ses nouveaux amis d’Afrique ; il -s’empressa de gagner par mer un endroit -où il pût débarquer avec son costume -arabe, et choisit pour tel l’embouchure du -Rio-Nunez, à cinquante lieues nord de -Sierra-Leone. Il avait converti en argent -et en marchandises les <i>deux mille francs</i> -d’économies qui composaient toute sa fortune ; -dix-sept cents francs avaient été consacrés -à des achats de poudre, de papier, -de tabac, de verroteries, d’ambre, de corail, -de mouchoirs de soie, de couteaux, ciseaux, -miroirs, clous de girofle, de trois pièces de -guinée bleue et d’un parapluie. Tout cela -ne pesait pas cinquante kilogrammes. Le -reste en or et en argent tenait dans sa ceinture. -Quelques Anglais lui procurèrent -divers médicaments, de la crème de tartre, -du jalap, du calomélas, divers sels purgatifs, -du sulfate de quinine, des emplâtres -de diachylon, enfin du nitrate d’argent. -M. Caillié se pourvut, en outre, de deux -petites boussoles, et remplit les poches de -son costume arabe des feuillets d’un Coran -qu’il avait déchiré.</p> - -<p>Parti de Sierra-Leone, le 22 mars 1827, -il arrive au village de Kakondy, sur la rive -du Rio-Nunez, le 31. Un coup de fortune -pour lui ce fut, dans ce village, la rencontre -d’un négociant français<a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a> qui se fit un -plaisir de mettre son expérience du pays au -service de son jeune compatriote. Il fit venir -quelques Noirs voyageurs, fort considérés, -leur livra le voyageur avec les recommandations -les plus vives et des présents plus -expressifs encore. Ces présents représentaient -la valeur d’un bœuf en marchandises.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> M. Castagnet.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch2">DÉPART.</h2> - - -<p>« Le 19 avril 1827, dit M. Caillié, je pris -congé de M. Castagnet. L’avouerai-je ! je -pleurais en quittant mon généreux ami et -pourtant ces regrets bien sincères ne pouvaient -altérer la joie que j’avais d’entreprendre -enfin ce voyage. » A deux heures -de marche de Kakondy, sur la rive gauche -du Rio-Nunez, les tombeaux de cinq voyageurs -anglais (entre autres, du major Peddie) -durent assombrir la longue perspective -de nouveautés, mais aussi de fatigues et de -périls qui s’ouvrait enfin devant l’impatient -voyageur. Une fois qu’il aura mis derrière -lui les hautes montagnes boisées qu’il voit à -l’horizon, il lui faudra marcher bien longtemps -avant qu’un mot français revienne -frapper son oreille, et l’invite à déposer -enfin non plus seulement sa couverture de -laine et ses sandales, mais encore ce fardeau -de défiances, de mensonges et de -faux-semblants qui lui pèse encore plus.</p> - -<p>Nos compagnons de voyage, au départ, -sont cinq Noirs libres, <i>Mandingues</i> aux -cheveux crépus, au nez aquilin, aux lèvres -minces, et trois Noirs esclaves. Tous, à -l’exception du chef noir Ibrahim et de sa -femme, portent sur leur tête des charges -énormes dans de longues corbeilles. Un -<i>Foulah</i> (au teint marron-clair, cheveux crépus, -lèvres minces) porte sur sa tête le -bagage du voyageur.</p> - -<p>Le voyage commence le plus heureusement -du monde. Les Noirs, moyennant -quelques morceaux d’étoffe, ont pour Abdallahi -toutes les attentions possibles. Les -Foulahs rencontrés en route, les uns chargés -de sel qu’ils voiturent dans l’intérieur -à trente ou quarante lieues de là, sur leur -tête, les autres apportant à la côte des cuirs, -de la cire, du riz que les marchands européens -se disputent, en apprenant que le -blanc est Arabe ne peuvent se lasser de le -regarder et de le plaindre, viennent s’asseoir -à terre près de lui, prennent ses jambes -sur leurs genoux, et les pressent doucement -pour le délasser. « Tu dois bien -souffrir, lui disent-ils, car tu n’es pas habitué -à faire une route aussi pénible. » Ils -vont eux-mêmes chercher des feuilles pour -lui faire un lit : « Tiens, voilà pour toi, car -tu ne sais pas comme nous dormir sur la -pierre. »</p> - -<p>Émerveillé de cette dévotion charitable, -étendu sur son lit de feuillage, le voyageur -couche sans crainte à la belle étoile : quelquefois -sous de magnifiques ombrages, quelquefois -sous des appentis de branches et de -paille destinés à abriter les passants. Partout, -le guide Ibrahim s’empresse de débiter -et d’embellir l’histoire d’Abdallahi, le -faisant naître à la <i>Mecque</i> même, la seule -ville du monde dont le nom soit parvenu à -ces peuples. Partout à la nouvelle de l’arrivée -d’un compatriote du Prophète, les -hommes et les femmes accourent, non plus -avec la curiosité méprisante des bords du -Sénégal, mais avec une sorte d’ingénuité -respectueuse, se tenant à distance du saint -étranger, lui ouvrant cordialement leurs -cabanes, lui apportant quelquefois la seule -chose qu’ils possèdent, de petites galettes -de riz mêlé de miel et de piment, séchées -au soleil, le pain de maïs jaune et frais, -assaisonné de miel et de pistaches grillées -et pilées, du lait, des fruits : présents que -les femmes lui offrent souvent à genoux.</p> - -<p>Un exemple vous donnera une idée plus -précise de ces bergers montagnards : « Un -soir que la petite caravane avait, comme -d’ordinaire, fait halte auprès d’une source -pour y passer la nuit, je vis un jeune Foulah -qui ne pouvait se lasser de me regarder. -Il me proposa de le suivre à son camp, pour -boire du lait. Comme je ne voulais pas y -aller seul, il engagea un de mes compagnons -de voyage à m’accompagner : deux -d’entre eux s’y prêtèrent avec complaisance. -Le jeune homme marchait devant nous -pour nous enseigner la route, et avait soin -d’ôter de grosses pierres qui se trouvaient -sur mon passage. Arrivé à son camp, qui -était tout près de notre halte, il s’empressa -de sortir une peau de bœuf sur laquelle il -me pria de m’asseoir. Ce camp se composait -de cinq ou six cases en paille presque -rondes et très-basses : il fallait se mettre -en deux pour y entrer. L’ameublement se -composait de quelques nattes, peaux de -mouton et calebasses pour mettre du lait ; -le lit, de quatre piquets sur lesquels étaient -placés en long des morceaux de bois recouverts -d’une peau de bœuf. Il alla avertir sa -vieille mère et ses sœurs, et leur dit que -j’étais un Arabe compatriote du Prophète, -et allant à la Mecque. Elles me regardèrent -avec beaucoup de curiosité, et en faisant -plusieurs gestes crièrent <i>La allah il -allah</i>, etc. (Il n’y a d’autre Dieu que Dieu -et Mahomet est son prophète) — à quoi je -répondis par la formule ordinaire. Elles -s’assirent à une petite distance de moi, et -me regardèrent tout à leur aise. Le jeune -Foulah alla me chercher du lait dans une -calebasse qu’il eut soin de laver (excessive -politesse de leur part), puis m’apporta un -peu de viande frite ; je l’engageai à en -manger avec moi ; mais, en me montrant -du doigt la lune, il me dit d’un air timide -et riant : Je jeûne, c’est le Ramadan. »</p> - -<p>Nous traversons ainsi des montagnes -verdoyantes, coupées de ravins au fond desquels -grondent de nombreux ruisseaux : -marchant le plus souvent à l’ombre de hautes -forêts<a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>, sans autre incident que la rencontre -de quelques singes roux qui aboient -comme des chiens. A l’un des nombreux -passages à gué de rivières grossies tout-à-coup -par les orages, le voyageur faillit -être emporté par le courant : les noirs -effrayés criaient à tue-tête : <i>Allah il allah</i>, -etc. (Dieu est Dieu et Mahomet est son -prophète).</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> « Peuplées, dit M. Caillié, d’une foule d’oiseaux -<i>dont les couleurs varient à l’infini</i>. »</p> -</div> -<p>Du reste, le voyageur essuie chaque -jour un violent orage et quelquefois plusieurs. -Les pluies qui commencent en avril -durent six mois consécutifs en ces montagnes. -Mouillé jusqu’aux os, il marche pieds -et jambes nus par des chemins inondés. Ce -pays montagneux est habité par des Foulahs -qui y promènent leurs troupeaux, et -semé de villages d’esclaves noirs cultivateurs. -La vie paraît y être facile pour tous ; -le lait des vaches et des brebis, un peu de -riz qui croît facilement dans la plaine, suffisent -à leur nourriture, avec le fruit du -nédé, du pistachier, de l’oranger, du bananier. -Vous venez d’entrer chez le bon jeune -Foulah ; visitez à présent les villages de -Noirs esclaves : vous les trouvez entourés -de belles plantations de bananiers, ananas, -cassave, ignames, choux caraïbes : le tout -bien soigné par les femmes, pendant que -les hommes sont aux champs de riz ou de -<i>foigné</i>.</p> - -<p>Le corps, la tête surtout, graissés de -beurre, vêtus, du reste, comme les Mandingues, -d’une chemise sans col et sans manche -et d’une large et courte culotte de -grosse toile de coton blanche arrêtée seulement -à la ceinture par une coulisse, les -Foulahs se tiennent très-droit, mettent -beaucoup de sérieux dans leurs démarches, -et se croient très-supérieurs aux Noirs. -Leurs armes ordinaires de voyage sont des -flèches empoisonnées et des lances. Cependant, -le fer n’est pas rare dans leurs montagnes -et M. Caillié a vu chez eux plusieurs -fourneaux de cinq à six pieds de -haut, de dix-huit à vingt de tour avec une -cheminée à la voûte et quatre trous à la -base.</p> - -<p>Le 28 avril, grand jour de fête ; séjour, -pour la célébration de la Pâque ; le matin, -prière en commun, plus solennelle que de -coutume ; les marchands se prosternent -à la file et Abdallahi avec eux. « Au sortir -de la prière, on se dispose à tuer le bœuf -(acheté la veille en commun entre douze ou -quinze). » Les Mandingues passèrent près -d’une heure à égaliser les lots de viande : -ils prirent chacun un petit morceau de -bois pour les mesurer ; des coups de fusil et -des chants à la louange d’Ibrahim (qui -fournit la poudre), répondent par avance -au plaisir promis par le copieux repas qui -s’apprête. Sans avoir pris part à l’achat du -bœuf (le moment serait en effet mal choisi -pour paraître riche), Abdallahi est appelé -à prendre part au festin. Ce jour-là une -petite querelle des jours précédents au -sujet du cadeau de M. Castagnet, est mise -en oubli. « En entrant dans la case d’Ibrahim, -je vis une grande calebasse de riz -bouilli, sur lequel on avait mis de la viande -en assez grande quantité. Nous nous assîmes -autour et chacun mit la main au plat. -Le riz fini, Ibrahim distribua la viande. » -le reste du bœuf est exposé toute la nuit à -la fumée, et mis pour les jours suivants -dans des sacs de cuir. Quant à la peau, on -l’échange contre une provision de riz.</p> - -<p>Le 29, nous arrivons sur des roches rougeâtres -et poreuses à la petite montagne -de granit noir qui sépare le pays d’<i>Irnanké</i> -où nous étions tout-à-l’heure, du <i>Fouta-dhialon</i> -où nous allons entrer. Le voyageur -ne peut pas garder les sandales du pays, et -marche pieds nus sur les roches<a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> M. Caillié dit ici : « Aux roches succédèrent -des pierres <i>de nature volcanique</i>.</p> -</div> -<p>Le premier village du Fouta-dhialon vous -donnera une idée des autres. Une haie vive -lui sert de muraille ; les cases grandes et -bien tenues, appuyées là sur une terre -jaune et fertile, sont entourées de belles -cultures potagères dont les femmes et les -enfants ont le plus grand soin. Ils se donnent -même la peine de balayer les allées -qui conduisent à leur case. Du reste toujours -même sobriété.</p> - -<p>Le dîner du chef, obligeamment offert, -après la prière, à Ibrahim et à Abdallahi, -n’est autre chose que du riz cuit à l’eau -assaisonné de lait aigre. Ils le partagent -assis à terre sur une natte, auprès d’un -petit feu, que l’humidité rend nécessaire. -« Après ce léger repas, ajoute le voyageur, -la femme du chef vint s’asseoir avec nous ; -elle écoutait en silence la conversation qui -roulait sur les <i>Chrétiens</i> dont ils parlent -toujours avec mépris. Elle eut la complaisance -de me donner un peu de lait, qu’elle -m’engagea à boire, puis alla chercher quelques -figues et bananes, les mit dans une -calebasse bien propre, et nous les donna à -mon guide et à moi. Cette femme avait une -physionomie extrêmement douce ; son vêtement -consistait en deux bandes de toile de -coton fabriquée dans le pays et de la plus -grande propreté. Elle n’exhalait pas l’odeur -de beurre rance des femmes foulahs du pays -d’Irnanké. »</p> - -<p>Le pays est généralement découvert ; la -route, suivie par Ibrahim, traverse tour-à-tour -des monticules pierreux et des plaines -de terre jaune ou de sable noir également -fertiles : plaines arrosées par un grand -nombre de rivières rapides, du moins après -les violents orages qu’essuie chaque jour le -voyageur.</p> - -<p>Le blanc excite toujours la curiosité de -tous. Les habitants, au teint noir ou marron, -accourent en foule pour le voir. Quelques-uns -ont le corps tout couvert d’ulcères. -Abdallahi prend pitié de leurs infirmités, et -devient leur médecin. « Je leur distribuai, -dit-il, quelques caustiques (du nitrate d’argent, -autrement dit <i>pierre infernale</i>) avec -de la charpie : ils m’envoyèrent un bon -souper en signe de reconnaissance. »</p> - -<p>La case où il séjourne ne désemplit pas ; -les questions et les présents se succèdent. -Plusieurs grands marabouts lui viennent -rendre visite. Le chef d’un village voisin -lui envoie du lait et une <i>noix de colats</i>, -signe de grande considération. Les femmes, -plus par curiosité que par dévotion, -lui apportent de la cassave, du lait, des -oranges, du riz, et les lui présentent à -genoux. Indisposé, il reçoit, en cadeau, -une grosse poule. Les chefs de village lui -offrent leur souper de riz au lait aigre. Un -cordonnier lui donne une paire de sandales. -Le voyageur note sur son chemin des -champs de tabac d’une petite espèce et de -coton semé à la volée et mal soigné.</p> - -<p>Le chef d’un de ces villages, très-honoré -de recevoir dans sa case (grande et belle -case à deux portes) un compatriote du Prophète, -vient près de son hôte, lui passe les -mains sur la tête, puis se frotte dévotement -la figure. Ce vieillard s’agenouillait pour -la prière, à l’ombre d’un oranger, sur de -petits tas de cailloux bien piquants ; Abdallahi -dut l’imiter. Ce vieillard lui présente -un enfant de quatre à cinq ans à qui toutes -les prières musulmanes n’avaient pu rendre -la vue : les parents repoussent avec horreur -l’idée de conduire le malade à la colonie de -Sierra-Leone, et de remettre leur enfant -aux mains des chrétiens.</p> - -<p>Le 7 mai, un violent orage, contre lequel -le parapluie du voyageur lui est d’un faible -secours, fait entrer Abdallahi dans la case -d’une bonne vieille négresse qui s’empresse -de lui donner l’hospitalité, et le régale de -quelques morceaux de cassave rôtis sur les -charbons ; ses deux garçons qui reviennent -tout nus des champs, apprenant qu’un -Arabe allant à la Mecque est chez leur mère, -lui rendent aussitôt visite : « Ils s’informèrent -de ma santé d’un ton fort doux, et -m’engagèrent à partager leur case qui était -beaucoup plus grande. Avant de m’emmener -chez eux, ils eurent soin d’aller chercher -une grande natte pour me couvrir, -car la pluie continuait toujours : Ils me -firent asseoir dans leur case, sur une peau -de mouton, près du feu. Ils m’offrirent un -peu de lait aigre que, peut-être, ils réservaient -pour leur souper. La bonne mère -fit bouillir pour eux et pour elle un peu de -foigné (graminée qui croît en abondance -en ces montagnes) assaisonné d’herbage, -le tout sans beurre et sans sel. Ibrahim -m’envoya mon souper de riz au lait : ni les -jeunes garçons ni la mère ne voulurent y -toucher <i>parce qu’ils</i> sont esclaves. Nous -fîmes la prière ensemble, et nous nous -couchâmes sur des nattes. »</p> - -<p>Le 8, la caravane traverse à gué avec -bien de la peine une rivière d’une centaine -de pas de large, dont l’eau bouillonne sur -un lit de granit noir aux roches coupantes -et glissantes (le <i>Bâ-Fing</i> où Rivière-Noire, -principal affluent du Sénégal).</p> - -<p>Viennent ensuite des gorges de montagnes -de trois mètres de haut, tantôt couvertes -de hautes forêts, peuplées de mille -oiseaux aux couleurs éclatantes et de singes -rouges, tantôt ne présentant autre chose -que des roches nues de granit. Dans l’un -des villages de la vaste plaine qui succède à -ces monts, arriva la nouvelle qu’un homme -de l’endroit avait été tué dans une bataille. -« Les femmes du défunt, accompagnées de -leurs parentes ou amies, se promenèrent -dans les rues en chantant d’une voix glapissante, -se frappant tour-à-tour dans les -mains et sur le front. Une demi-heure -après, ajoute M. Caillié, je les vis reparaître, -toutes vêtues de blanc : elles avaient -l’air calme et résigné. Elles reprirent aussitôt -leurs occupations ordinaires. Les hommes, -assis à terre devant la mosquée, paraissaient -consternés de la mort de leur camarade, -et blâmaient hautement la conduite -de leur souverain. »</p> - -<p>Le 9 mai, après bien des villages et bien -des camps habités par des Noirs esclaves -ou par des Foulahs au teint marron-clair, -nous arrivons au premier village du Fouta -habité par des Noirs libres, par des Mandingues. -Les compagnons de voyage d’Abdallahi -arrivent chez eux les uns après les -autres et la caravane diminue à chaque pas. -Chacun, à son retour, s’empresse de faire -fête à l’Arabe, et de le montrer à ses femmes -et à ses enfants.</p> - -<p>Le 10 mai, dans un village peuplé mi-partie -de Foulahs et de Mandingues, Abdallahi -est conduit devant la mosquée où grand -nombre de Mandingues étaient assis par -terre autour de deux grandes calebasses -pleines de riz pilé, trempé dans l’eau et -partagé en poignées ; le tout paré de quelques -<i>noix</i> de colats ouvertes, roses et blanches. -Un marabout fit quelques gestes et -prononça quelques paroles ; puis les poignées -de riz furent distribuées aux assistants -comme une sorte de pain bénit. Les -absents eux-mêmes eurent leur part. Abdallahi, -assis à terre sur une peau de mouton, -en reçut deux morceaux « qu’il lui fut, -dit-il, impossible de manger, tant il les -trouva fades. » Cette cérémonie avait lieu -en l’honneur de deux jeunes enfants à qui -l’on avait rasé la tête pour la première -fois.</p> - -<p>Le même jour, après la station accoutumée, -au coucher du soleil pour la prière, -les coups de fusil des compagnons d’Ibrahim -annoncent son entrée dans son village.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch3">CAMBAYA.</h2> - - -<p>« Une seconde décharge eut lieu dans la -cour de mon guide en l’honneur de notre -arrivée. La joie était peinte sur tous les -visages. Je voyais ces bons nègres embrasser -leurs petits enfants, et les presser dans -leurs bras… Les femmes plus réservées -avaient l’air timide : en abordant leur mari, -elles posaient un genou en terre en signe de -salutation, et ne lui adressaient aucune -question. Les voisins accoururent en foule -féliciter leurs amis sur l’heureuse issue de -leur voyage. On tendit des peaux de bœuf -dans la cour, et l’on s’assit en ronde au -clair de la lune. On causa des circonstances -de la route, du prix des marchandises et -principalement du sel. » Puis, sitôt qu’on -eut aperçu le visage et le costume étranger -de l’Arabe, on se demanda de toutes parts -« quel est cet homme » ? Ibrahim de raconter -l’histoire, et les questions de pleuvoir -sur le pauvre Abdallahi. A neuf heures, -souper de riz et de viande, dévoré aussitôt -par une vingtaine d’assistants.</p> - -<p>Le foule retirée, Abdallahi est appelé par -Ibrahim pour partager avec lui une bouillie -de mil, et goûter le lait de ses vaches ; puis -est pourvu pour sa nuit, d’une peau de -bœuf dans la case enfumée d’une des femmes -de son hôte<a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>. La fumée dans toutes -ces cases n’a d’autre issue que le toit recouvert -en paille, et du feu y est allumé la -nuit, en tout temps ; un plafond de bambous, -soutenu sur des piquets plantés en -terre, sert à retenir la suie qui retombe -continuellement du toit.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> « Cette femme était couchée au milieu de la -case, entourée de quelques enfants. »</p> -</div> -<p>Un séjour de deux ou trois semaines permet -au voyageur de se reposer de ses premières -fatigues, et de voir chez eux ces -noirs Mandingues qu’il a eu tout le temps -d’étudier en route.</p> - -<p>Dès le lendemain, visite au père d’Ibrahim, -chef du village. Vieux et aveugle, -couché dans sa case sur un banc de terre à -six pouces du sol, ce chef se lève sur son -séant à l’arrivée d’Abdallahi ; après la salutation -musulmane, il lui promène la main -sur tout le corps en disant : Arabe, tu es -bon. — Visite à tous les amis d’Ibrahim : -excellent accueil de la part de tous. Trois -jours après l’arrivée, quelques coups de -fusil les appellent dans sa cour pour une -distribution de tabac qu’il voulait leur faire. -Il est à noter que les Mandingues en font -une grande consommation : les femmes -ont l’habitude de s’en frotter les dents. -Ibrahim distribue aussi quelques aunes de -cotonnade à chacune de ses trois femmes : -ces largesses lui attirent les bénédictions -des vieillards et les louanges des femmes -qui sautent autour de lui en chantant.</p> - -<p>Pendant les vingt jours que M. Caillié -passe à Cambaya, il est logé chez le maître -d’école, le saint du village, vieux et pauvre, -mais nourri par les riches et servi par les -enfants. Quant à ceux-ci, ils apprennent à -lire dans l’Arabe du Coran. On n’exige des -filles que les premiers versets. Les garçons -sont obligés de l’apprendre tout entier par -cœur. — Toutes les nuits, vers trois heures -du matin, le vieux maître et Abdallahi -quittaient ensemble la case enfumée pour -aller à la mosquée rendre grâce au Seigneur. -La prière faite, Abdallahi revenait -s’étendre à terre sur sa natte. Mais le -pieux vieillard continuait de prier. Quant -aux Mandingues dont il gourmandait en -vain la tiédeur, ils ne faisaient la prière -qu’à cinq ou six heures et dans leur case.</p> - -<p>Le vieux maître d’école tomba malade, -Abdallahi devint son médecin et moyennant -cinq feuilles de tabac, obtint de l’avare -Ibrahim une poule pour sa convalescence. -La petite pharmacie du voyageur fut bientôt -assaillie de tous côtés ; « les uns avaient -des ulcères aux bras et aux jambes ou la -fièvre ou le mal de ventre. » Ils avaient vu -le voyageur donner à Ibrahim quelques -prises de <i>jalap</i>, tous ils voulaient du <i>jalap</i>. -Du reste, mêmes importunités pour le tabac, -la poudre, les ciseaux, les étoffes. Quant à -Ibrahim, il voulait tout acheter.</p> - -<p>Malgré les désagréments que ses refus -lui attirent quelquefois, le voyageur était -parvenu à dissiper tous les doutes, à force -d’assiduité tant aux cinq prières, qu’à l’étude -et à la récitation du Coran ; à force -d’empressement auprès des vieillards vénérés. -Du reste sa peau était déjà tellement -brunie par le soleil qu’on pouvait aisément -le prendre pour un Maure. Un seul noir -persistait à le traiter de Chrétien : M. Caillié -le voyant passer le pria gravement d’écrire -pour lui sur sa planchette un verset du -Coran qu’il désirait apprendre. Cet homme -devint dès-lors son meilleur ami ; il lui -donna même quelques griffonnages arabes, -précieux talisman qu’Abdallahi dut recevoir -avec les marques de la plus vive reconnaissance. -Les habitants de ces contrées -(les Foulahs surtout qui sont d’une humeur -plus belliqueuse que les Mandingues) ne -vont pas en voyage ou à la guerre, sans -avoir le corps couvert de ces écritures -qu’ils regardent comme un bouclier magique.</p> - -<p>Le 14 mai, Ibrahim mène Abdallahi aux -champs où travaillent ses esclaves. Ils préparaient -la terre pour la semence. Les -hommes, tout nus sous un soleil brûlant, -remuaient la terre à un pied de profondeur -avec une pioche à manche court et très -incliné, fabriquée dans le pays et qui est là, -comme dans presque tous les pays traversés -par notre voyageur, le seul instrument -aratoire. Les femmes, à moitié nues, leurs -enfants attachés sur le dos, ramassaient des -herbes sèches, et les mettaient en tas pour -les brûler sur le sol, seul amendement que -la terre reçoive en ces contrées. Une pauvre -vieille était occupée à faire cuire leur dîner -consistant en bouillie de mil sans sel et -sans beurre, assaisonnée d’herbages. Le -maître à qui la vieille en offrit, n’y voulut -pas goûter. M. Caillié apprit que les esclaves -ont deux jours de la semaine pour travailler -au champ qui est affecté à leur subsistance.</p> - -<p>Le 25, un tambour de guerre, fabriqué, à -grand’peine les jours précédents par une -vingtaine de Mandingues, avec un tronc -d’arbre creusé par le feu et une peau de -mouton tannée, rempli du reste d’écritures -arabes, appelle la commune de Cambaya à -un ouvrage qui l’intéresse tout entière ; il -s’agit de reconstruire un pont, de quarante -pieds de long et six ou sept de large, sur la -Tankisso, rivière dont les débordements -fertilisent les plaines voisines. Tout le monde -y met la main en chantant. Les femmes -apportent le dîner de leur mari. C’est une -partie de plaisir qui se renouvelle plusieurs -jours de suite. Il s’agit tout simplement de -gros piquets, plantés très-près l’un de l’autre -au milieu du ruisseau ; puis de traverses -supportées en partie par les branches d’arbres -qui l’ombragent ; puis de troncs d’arbres -posés en long sur ces traverses et ajustés -par des branchages flexibles. Quelques -bâtons de distance en distance servent de -garde-fou.</p> - -<p>Un évènement important coïncide avec -le séjour de M. Caillié dans le village d’Ibrahim : -un soir, après la prière, le vieux -chef aveugle fait lire à haute voix par un -marabout une lettre circulaire arrivée de la -capitale<a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>, « lettre écrite des deux côtés -sur un papier large de trois pouces et long -de cinq. » Puis le courrier reprit sa dépêche -et se remit en route. Il s’agissait de la -déposition par les principaux marabouts du -marabout régnant, et de la nomination de -son successeur. Le vieux chef fit une prière -pour le nouveau souverain, puis on parla -politique.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> La ville de Timbo. M. Caillié ne paraît pas -avoir aperçu autre chose sur les relations des villages -Foulahs et Mandingues avec le gouvernement -central.</p> -</div> -<p>M. Caillié affirme que chaque Mandingue -est un chef révéré dans sa famille : sa -case, placée au milieu des cases de ses femmes, -n’a d’autre ornement que ses armes, -arcs et flèches, lances ou fusil, accrochés -à la muraille ; ni d’autre meuble que la -peau de bœuf sur laquelle il couche et les -jarres contenant la provision de grain de -l’année, que le mari distribue par portions -à chacune de ses femmes.</p> - -<p>Pour les femmes, elles sont, dit-il, très-gaies, -nullement jalouses entre elles, très-soumises -à leur mari, qui les pourvoit de -riz et leur donne à chacune une vache à -traire matin et soir. Les parents sont très-indulgents -pour les enfants et les enfants -sont doux et dociles. L’autorité des vieillards, -invoquée seule dans les différends, -fait loi.</p> - -<p>Quant aux deux populations distinctes -de Foulahs au teint marron et de Noirs -mandingues, il ne paraît pas que leur réunion -sous les mêmes règlements et dans les -mêmes villages entraîne aucune discorde, -malgré la différence de leurs langues, de -leurs habitudes et même de leurs prétentions<a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>. -Du reste, Mandingues ou Foulahs, -il nous suffirait d’assister à leurs repas -pour comprendre comment sont possibles, -au bord du Tankisso, tant de choses qui ne -le sont pas au bord de la Seine.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> Un bon vieux Foulah, nommé <i>Guibi</i>, voisin -d’Ibrahim — qui fit cadeau à Abdallahi d’un gros -pain de maïs, au miel et aux pistaches, pour sa -route — lui disait souvent <i>que les foulahs étaient -les blancs d’Afrique</i>.</p> -</div> -<p>« Ils ont l’habitude d’inviter tous ceux -avec qui ils se trouvent ou qui passent -auprès d’eux, à partager le dîner que leurs -femmes leur apportent. Si l’invité ne s’assied -pas auprès de la calebasse, le chef lui -donne une poignée de riz qu’il a tournée -longtemps dans sa main, puis trempée dans -la sauce : cette politesse ne peut se refuser -sans injure. Une autre politesse c’est, au -commencement du repas, de tourner le riz -avec la main pour le refroidir. Le chef -verse lui-même la sauce sur le riz, mange -la première poignée, puis engage les autres -à l’imiter. Le repas commence toujours par -l’invocation : Bismillah etc. (au nom de -Dieu clément et miséricordieux). »</p> - -<p>Mais il est temps qu’Abdallahi fasse ses -présents d’adieu à Ibrahim qui lui a servi -en toute occasion de truchement et d’avocat. -Il lui fait un joli cadeau d’ambre, d’indienne, -de poudre, de papier, de ciseaux et -mouchoirs de soie. En sage Mandingue, -Ibrahim prie Abdallahi de n’en parler à -personne. M. Caillié donne, en outre, quelques -coups de poudre au bon vieux chef -aveugle, dont il reçoit la bénédiction accompagnée -de recommandations utiles, et fait -un petit présent au bon vieux Foulah Guibi, -en souvenir de son pain de maïs. Le 30 mai, -nous nous remettons en marche. Le Foulah -Guibi et le Mandingue Ibrahim reconduisent -le voyageur jusqu’au nouveau pont, -et le suivent longtemps des yeux, criant -par trois fois à tue-tête <i>Samalécoum</i> (la -paix soit avec toi) ; puis encore : <i>Allam -kisselak</i> (Dieu te préserve en route).</p> - -<p>Nous voici sur la route de Kankan, ombragée -d’arbres <i>à beurre</i>, avec une quinzaine -de compagnons de voyage. Au noir -Ibrahim a succédé le vieux noir <i>Lamfia</i>, -comme lui accompagné d’une de ses femmes, -qui porte la vaisselle et fait la cuisine -de la petite caravane. Partout le vieux -guide conte l’histoire d’Abdallahi. Abdallahi -n’est plus un simple Arabe, c’est un -homme de la plus haute noblesse musulmane, -un descendant direct du Prophète, -un <i>chérif</i>. Partout le guide sert au chérif -d’interprète et de défenseur, avec l’autorité -que lui donne son grand âge : autorité qui -est souveraine en Afrique.</p> - -<p>A une lieue de Cambaya, nous trouvons -un village en noces : le chef à qui M. Caillié -avait donné le matin de la crème de tartre, -épousait, le soir, sa quatrième femme. Le -voyageur voit disposer en plein air les -apprêts du souper : deux moutons bouillis -dans de grands pots de terre : et d’énormes -piles de riz cuit à l’eau et pétri en pain de -sucre.</p> - -<p>La fiancée, selon M. Caillié, s’achète là -moyennant un, deux, trois esclaves donnés -à sa mère : puis le mariage se consomme -sans aucune formalité religieuse, après une fête -de nuit dont le mari fait les frais. Toute -la nuit les nègres et négresses (esclaves) -dansèrent au son d’un petit tambour.</p> - -<p>Les orages qui n’avaient pas cessé pendant -le séjour à Cambaya, continuent -toujours. Le voyageur, perpétuellement -mouillé, a bien de la peine à garantir ses -notes de la pluie dans le portefeuille de -cuir non tanné qui les enveloppe : obligé -souvent, à son grand regret, d’étaler ses -marchandises pour les faire sécher. Nous -traversons ainsi des plaines où le tambour -résonne dès le point du jour, et anime les -travailleurs. La curiosité que le chérif -excite est toujours la même. Son parapluie, -qui ne lui est pas toujours inutile contre la -pluie ou contre le soleil, commence à jouer -un grand rôle. C’est à qui verra comment il -s’ouvre et se ferme.</p> - -<p>Le 6 juin, nous nous arrêtons au premier -village du <i>Baleya</i>. Ce village, que le -voyageur nomme Saraya, et auquel il -donne de sept à huit cents habitants, est, -comme la plupart des villages où nous -aurons à passer, entouré de deux murs en -terre entre lesquels les bestiaux passent la -nuit. Les hameaux des esclaves sont seulement -entourés de haies vives. Quant aux -habitants, ce ne sont ni des Foulahs ni des -Mandingues, mais des Noirs anciens possesseurs -du pays et assez peu zélés musulmans, -que l’on désigne sous le nom de <i>Dhialonkés</i>.</p> - -<p>Une heureuse rencontre, dans le village -suivant, c’est celle du fils du chef de <i>Kankan</i>, -venu là pour vendre un cheval (c’est -la première fois que M. Caillié parle de -cheval depuis son départ) ; Abdallahi-le-Chérif -achète aisément sa protection avec -une feuille de papier. L’intérieur des cases, -construites en paille, est toujours le même, -tapissé d’arcs, de flèches et de lances. Celle -du chef a pour tout meuble une jarre à -mettre de l’eau, une peau de bœuf et quelques -nattes. Les habitants, assemblés sous -un gros bombax (<i>arbre à soie</i>), dansent -tous les soirs, à la lumière de la lune, au -son d’un petit tambour et d’un flageolet de -bambou ; ou bien la lance ou l’arc à la -main, figurent avec des gestes de menace, -de douleur, de triomphe, de sérieuses pantomimes -guerrières. Ces peuples, au dire -de M. Caillié, boivent <i>en secret</i> une espèce -de bière fabriquée avec du mil et du miel. -Leur corps est tout ruisselant de beurre -rance. La plupart des femmes ont pour tout -vêtement une <i>pagne</i> ou bande de toile de -cinq pieds de long sur deux de large qu’elles -se tournent autour des reins ; elles ne -se couvrent les épaules et la poitrine les -jours de fête. M. Caillié nous les représente -le teint fort noir, les cheveux crépus, ornés -de grains de verre et beurrés, le nez légèrement -aquilin, avec de grands yeux et des -lèvres minces ; « très-douces, et soumises à -leurs maris. »</p> - -<p>Le 11 juin, nous arrivons, dans le pays -d’<i>Amana</i>, au bord d’une rivière de huit ou -neuf cents pieds de large et de huit à neuf -pieds de profondeur, qui coule vers le levant ; -cette rivière c’est le <i>Dhiolibâ</i>, c’est -le <span class="sc">Niger</span>. Pour passer deux ou trois cents -marchands noirs avec leurs ânes et leur -bagage, il n’y avait en tout que quatre -bateaux ou pirogues de vingt-cinq pieds de -long, sur trois de large et un de profondeur. -Il fallut une demi-journée pour que tout le -monde fût sur la rive droite : demi-journée -pendant laquelle le voyageur, assis au -soleil sans abri<a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>, put contempler à l’aise -le fleuve de Mungo-Parck. Vous supposerez -sans peine qu’il suivait d’un œil de regret -cette eau qui devait arriver avant lui -près du but mystérieux de ses longs efforts. -Ce passage du Dhiolibâ (13 juin) offre du -reste le tableau le plus animé ; les marchands -noirs, de ceux que l’on nomme -<i>Saracolets</i>, disputent sur le prix du bac. -Tous veulent passer les premiers, et parlent -tous ensemble ; ils ont du reste toutes les -peines du monde à faire embarquer leurs ânes. -Aux cris de la rive gauche, répondent -en signe de joie les coups de fusil de la -rive droite. Pendant ce temps-là, grand -nombre de femmes et de jeunes filles se -baignent dans le fleuve, sans faire le moins -du monde attention aux gens qui les regardent ; -puis s’en retournent au village de -<i>Couroussa</i>, une calebasse sur la tête et une -pagne autour des reins. Le chef de village -dont les esclaves tiennent le bac de Couroussa, -fit grâce du passage à M. Caillié en -faveur de sa qualité de Chérif.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> Un énorme bombax, seul arbre du rivage, ne -pouvait suffire à abriter la foule.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch4">KANKAN.</h2> - - -<p>Après quatre jours de marche, le long du -fleuve, sur des routes inondées et par un -soleil brûlant : après quatre nuits de fièvre -et d’insomnie sur des roches recouvertes de -paille, le voyageur arrive épuisé à la ville -chef-lieu de Kankan. Son vieux guide qui -avait eu la complaisance de prendre et de -fermer le parapluie à l’approche des lieux -habités, voulut à toute force qu’il l’ouvrît -pour faire son entrée dans sa ville natale. -L’arrivée de Lamfia ressemble à celle -d’Ibrahim. Toute la famille accourt saluer le -chef. Le voyageur est retenu trois jours par -la fatigue et par la fièvre, dans la case que -lui donne son guide, en commun avec un -Foulah de la caravane.</p> - -<p>Le chef de la ville, vieillard mandingue, -père du jeune cavalier rencontré en chemin -par Abdallahi, reçoit très-bien le Chérif, se -fait conter au long sa touchante histoire -par le vieux Lamfia, et lui promet de le -faire conduire à Jenné par la première -occasion. Quelques formalités de police -africaine, un interrogatoire public, une -décision expresse du conseil des vieillards -sur la route qu’il lui convient de prendre, -donnent une sorte de légalité à son séjour -parmi les Noirs de Kankan, lui servent de -défense contre les doutes qui pourraient -s’élever encore sur la vérité de ses récits, -et lui fournissent un précédent dont il -pourra se prévaloir, au besoin, dans les -autres villes. Lamfia, vieux guide à qui le -vieux chef et son conseil de vieillards remettent -le voyageur, avait de lui tout le soin -possible. « Nous mangions ensemble, dit -M. Caillié, et deux fois par jour on nous -donnait de très-bon riz, avec une sauce aux -pistaches et aux ognons : tous les soirs, il -faisait allumer du feu dans ma case. Le -jour de mon arrivée, je lui fis cadeau d’une -brasse de belle guinée bleue qu’il avait paru -désirer, de trois brasses de belle indienne et -de six feuilles de papier ; il parut très-content -et me remercia beaucoup. Il passait -une partie de la journée auprès de moi, -occupé à coudre des étoffes du pays. »</p> - -<p>Abdallahi fait vendre par le guide un -baril de poudre et une pièce de guinée. « Je -me défis de ces objets à <i>soixante pour cent -de bénéfice</i>, parce que je ne voulais prendre -pour paiement que de l’or, et que cet article -était très-rare dans le pays à cause de -la guerre entre Bouré et Kankan qui intercepte -toutes les communications. Pour que -la vente fût meilleure, le vieux Lamfia -écrivit quelques mots arabes sur la planchette -consacrée, lava l’écriture avec de -l’eau et aspergea de cette eau les marchandises -à vendre. »</p> - -<p>Le marché de Kankan est fourni par les -Noirs voyageurs de marchandises européennes, -telles que fusils, poudre, pierres à -feu, indienne de couleur, ambre, corail, -verroteries, menue quincaillerie, — puis -aussi de toiles blanches tissées dans les environs, -de poteries en terre grise fabriquées -dans le pays ; de volaille, moutons, chèvres, -bœufs ; riz, foigné, ignames, cassave, etc. -Le sel est (après l’or, sans doute) le premier -article d’échange. Quant à l’or (tiré par le -lavage, des sables des environs, notamment -autour de <i>Bouré</i>), il est mis en circulation -sous forme de boucles d’oreilles ou bien en -petits grains qui tiennent dans un tuyau -de plume, et se pèse dans de petites balances -très-justes, avec des graines noires sur -le poids desquelles les marchands de ce -pays ne se trompent jamais.</p> - -<p>Le 6 juillet, grande fête musulmane du -Salam. Des vieillards en manteau rouge -bordé de jaune, à la main droite une lance, -sur la tête un bonnet rouge et chantant tous -<i>la il allah</i>, Dieu est Dieu, etc., attirent la -foule des Noirs dans une grande plaine à -l’est de la ville. L’assemblée en costume -mandingue (large culotte, blouse sans -manche et bonnet pointu) est bigarrée par -quelques habits rouges de soldats anglais, -de vieux manteaux et de vieux chapeaux -européens, autres défroques dépareillées : -au reste, tous les hommes étaient armés de -fusils, de lances, d’arcs et de flèches : au -moment de la prière, chacun mit ses armes -à terre. A chaque instant arrivaient des -vieillards à manteau rouge, suivis d’une -foule de Noirs. Peu après, parut le chef, à -cheval, précédé d’un drapeau de taffetas -rose, escorté de deux ou trois cents Mandingues, -rangés en haie et tous armés de fusils. -Le <i>chef de la religion</i> venait ensuite -avec une nombreuse garde et précédé d’un -drapeau de taffetas blanc, avec un morceau -rose, en cœur, au milieu. Cet homme avait -sur les épaules un manteau de belle écarlate, -garnis de frange et de galons en or : -cadeau du major Peddie qui, lors de son -départ pour l’intérieur de l’Afrique, envoyait -de tous côtés des présents aux chefs -pour se les rendre favorables. Les vieillards -à manteaux rouges avaient pris modèle sur -celui de leur prince en Mahomet. Deux -gros tambours pareils à celui de Cambaya -conduisaient la fête. « L’<i>Almany</i> fit la -prière avec beaucoup de piété ; il paraissait -très-recueilli. C’était un spectacle frappant -de voir une aussi grande assemblée se <i>prosterner</i> -pour adorer Dieu. Après la prière, -les vieillards formèrent un dais avec des -pagnes blanches. L’Almany se plaça sur un -petit siége que l’on avait apporté exprès ; -il fit une longue lecture en Arabe, que -<i>bien certainement personne ne comprenait</i>.</p> - -<p>« Cette lecture finie, le vieux chef de la -ville ayant à côté de lui un homme qui -répétait à haute voix ce qu’il disait, appela -l’attention de ses concitoyens sur les changements -de direction que la guerre de -Bouré devait apporter dans leur commerce… -Les femmes assistèrent à la fête, se tenant à -une distance respectueuse des hommes. -Après la cérémonie, on immola l’agneau -pascal pour se régaler le reste du jour. »</p> - -<p>Le voyageur qui s’était déjà aperçu qu’on -avait touché à son papier, reconnut le lendemain -de la fête que ses plus belles verroteries -et un rasoir avaient disparu de son -bagage. Le voleur était le vieillard même -qui l’avait si bien soigné et protégé jusque-là. -Cette affaire fit du bruit : Lamfia proposa -l’épreuve du fer rouge sur la langue ; -le chef et le conseil des vieillards lui imposèrent -silence, mais déclarèrent en même -temps qu’il n’y avait pas lieu à le punir, -faute de preuve directe contre lui. Abdallahi -avait transporté ses effets chez un bon -vieil Arabe établi dans le pays ; mais le -conseil des vieillards prenant en considération -l’extrême pauvreté de cet homme hospitalier, -donnèrent pour hôte au Chérif un -Foulah très-riche et très-dévot<a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>. Ses -effets visités, ses étoffes mesurées furent mis -prudemment dans un magasin fermant à clef.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> Cet homme, riche en troupeaux de bœufs à -bosse et de vaches, possédait le plus beau cheval -que M. Caillié ait vu dans cette partie de l’Afrique : -il l’avait eu moyennant <i>cinq Noirs et deux bœufs</i>. -Le prix courant d’un esclave à Kankan est d’un -baril de poudre de vingt-cinq livres, un mauvais -fusil et deux brasses de soie rose. Un Mandingue -qui possède une dizaine d’esclaves n’a plus besoin -de voyager.</p> -</div> -<p>Comme on pouvait s’y attendre, Lamfia -ne tarda pas à démentir tout ce qu’il avait -affirmé ; et bien que la colère du vieillard -inspirât d’abord peu de confiance, ces dénégations -ne pouvaient manquer d’agir peu-à-peu. -La place n’était pas tenable pour -Abdallahi, malgré son assiduité aux dévotions -prescrites. Toutefois, bien nourri, -passablement logé, il dut, malgré ces désagréments, -trouver ses derniers huit jours -supportables : il avait le plaisir de partager -tous les soirs avec le pauvre vieil Arabe -<i>Mohamed</i>, le souper du riche Foulah.</p> - -<p>Le 16 juillet, après un mois de repos, le -voyageur laisse à son hôte le petit pot de -fer blanc dans lequel il buvait, et reçoit sa -bénédiction. Le bon vieil Arabe reconduit -Abdallahi au-delà de la petite rivière qui -coule à l’est de la ville, et avant de se quitter -pour ne se plus revoir, le jeune homme -et le vieillard cassent en deux une <i>noix de -colats</i> qu’ils mangent ensemble.</p> - -<p>La petite caravane, composée d’une quinzaine -de Mandingues ou de Foulahs, profite -de l’obscurité pour traverser des bois -infestés de brigands. « Marchant très-vite -et dans le plus grand silence, dans des herbes -si hautes qu’elles dépassaient nos têtes, -nous fûmes surpris par la pluie ; pour comble -de malheur, la nuit devint très-obscure, -nous avancions sans savoir où poser le pied. -Vers huit heures, ayant perdu la trace de la -route, nous fûmes obligés de nous arrêter, -et, assis à terre, de recevoir la pluie sur le -dos sans oser ni tousser ni cracher.</p> - -<p>« Lorsque la pluie eut cessé, un de nos -compagnons déchira un morceau de sa -pagne, la mit en charpie, y mêla un peu -de poudre, puis plaçant cette préparation -dans le bassinet de son fusil, il obtint du -feu. Quelques branches d’arbre coupées -nous firent une cahute. Mais les essaims de -moustiques ne nous laissèrent pas de repos. -Deux de nos compagnons armés de poignards -et de lances allèrent à la recherche -de l’eau. Le feu allumé non sans peine, -nous fîmes griller quatre ignames et quelques -pistaches pour notre souper ; puis -nous nous étendîmes auprès du feu sur des -feuilles d’arbre toutes mouillées. » Le -voyageur a tout le temps de réfléchir aux -difficultés que la saison des pluies lui prépare, -dans le silence de cette longue nuit ; -silence qu’interrompent seuls le chant de -quelques oiseaux nocturnes et le coassement -des grenouilles.</p> - -<p>Le voyageur marche plusieurs lieues de -suite avec de l’eau à mi-jambe sur des routes -inondées, et compte huit petites rivières -passées à gué en un seul jour. La pluie -l’empêche de mettre ses sandales ; il a -bientôt le talon du pied gauche écorché. Il -arrive ainsi le soir au premier village du -Ouassoulo.</p> - -<p>Les habitants (Foulahs au teint marron-clair, -mais étrangers aux croyances et aux -pratiques musulmanes) sont d’une grande -malpropreté, d’une extrême douceur et -d’une gaîté perpétuelle. La musique qui -anime leurs danses, la moitié de la nuit, se -compose de cornes droites de bois creux -recouvertes, à l’extrémité la plus large, -d’une peau de mouton, et percées d’un petit -trou sur le côté ; d’une grosse caisse, d’un -tambour de basque et d’un cliquetis d’anneaux -de fer : les musiciens se distinguent -par leurs panaches de plumes d’autruche et -leurs franges de plumes de pintade. Quelques-uns -agitent de gros haricots dans une -sorte de casserole de bois, recouverte d’un -filet. Les musiciens se promènent à la file : -les femmes et les garçons suivent en dansant -et frappant dans leurs mains.</p> - -<p>Ce qui frappe le plus le voyageur dans -les fertiles plaines du Ouassoulo, c’est le -travail des champs, accompli par des mains -libres. « Je voyais, dit-il, beaucoup d’ouvriers -répandus dans la campagne qui piochaient -la terre et la remuaient aussi bien -que nos vignerons en France ; ce ne sont -plus les esclaves des Mandingues qui se -contentent d’effleurer le sol pour détruire -les mauvaises herbes, mais de vrais laboureurs -qui se donnent de la peine pour avoir -une belle et abondante récolte. Ils en sont -bien récompensés, car leur riz et tout ce -qu’ils cultivent, croît plus vite et produit -davantage…</p> - -<p>« Je les ai vus labourer le champ qui -venait d’être récolté pour l’ensemencer de -nouveau. Les femmes étaient occupées à -sarcler les beaux champs de riz dont la campagne -est couverte. Je fus étonné de trouver -dans l’intérieur de l’Afrique, l’agriculture -à un tel degré d’avancement : leurs -champs sont aussi bien soignés que les -nôtres, soit en sillons, soit à plat, selon -que la position du sol le permet par rapport -à l’inondation.</p> - -<p>« Je remarquai du riz en épi, à côté de -celui qui ne faisait que sortir de terre. La -campagne est généralement très-découverte ; -les cultivateurs ne réservent parmi -les grands végétaux que l’arbre à beurre et -le nédé qui sont très-répandus et de la plus -grande utilité. Je n’ai pas vu comme dans -le Fouta et le Buleya des arbres coupés à -quatre ou cinq pieds de terre. Les Foulahs -du Ouassoulo ont soin d’arracher le pied et -ne laissent rien en terre qui puisse leur -nuire. »</p> - -<p>Ces Foulahs font peu de commerce ; et -pour eux, infidèles, voyager à travers les -villages musulmans, ce serait s’exposer -infailliblement à y être retenus comme -esclaves.</p> - -<p>« J’ai cherché, dit M. Caillié, à découvrir -s’ils ont une religion, s’ils adorent ou les -fétiches, ou la lune, ou le soleil, ou les -étoiles ; je ne les ai vus pratiquer aucun -culte et je crois qu’ils vivent insouciants à -ce sujet et ne s’occupent que très-peu de la -divinité. »</p> - -<p>Autant les Musulmans de Kankan sont -propres, autant les Foulahs du Ouassoulo, -si industrieux ! sont sales et dégoûtants. -Leurs habits jaunes ou noirs ne sont jamais -lavés. Le nez plein de tabac, la peau infectée -de beurre rance, la figure tailladée et -les dents limées, ils sont tous robustes et -bien portants ; leur culture et leurs bestiaux -fournissent abondamment à leur subsistance : -la nourriture des esclaves des Mandingues -leur suffit : la viande est, chez -eux, réservée pour les jours de fête et le sel -est de luxe. Les femmes fabriquent elles-mêmes -leur vaisselle de terre, filent et tissent -le coton. Elles mettent un genou en -terre lorsqu’elles présentent quelque chose -à leur mari. Les hommes portent comme -les femmes des bracelets aux mains et aux -pieds, des colliers de verre et des boucles -d’oreille, tressent comme elles leurs cheveux -enduits de beurre. Ce sont eux qui -élèvent la volaille et donnent les premiers -soins aux poulets. Des chiens gardent les -habitations séparées de chaque famille.</p> - -<p>Le 21 juillet, à deux heures de l’après-midi, -Abdallahi rend visite au chef du -Ouassoulo qu’il trouve couché dans sa case -auprès de son chien (d’une espèce à oreilles -longues, museau pointu, poil rouge). Ce -chef, chez lequel M. Caillié remarque une -théière en étain, un plat et plusieurs bols -de cuivre qui lui paraissent d’origine portugaise, -avait une très-grande boucle d’oreille -en or à l’oreille gauche et point à la -droite. Il use de tabac en poudre et à fumer -comme ses sujets et est aussi malpropre -qu’eux. Sa case est tapissée d’arcs, de flèches, -de carquois, de lances, de deux selles -pour ses chevaux et d’un grand chapeau de -paille. Le même jour, il reçoit le voyageur -dans son écurie, assis sur une peau de bœuf -auprès d’un beau cheval. « Il nous fit -asseoir à côté de lui et me donna quelques -noix de colats. Il distribua devant nous à -quelques-unes de ses femmes des ignames -que l’on venait de récolter. » Ce chef qui -n’est pas plus que ses sujets astreint aux -restrictions du Coran, à beaucoup de femmes : -chacune d’elles a sa case particulière, -ce qui forme un petit village. — Ses sujets -lui font souvent des <i>cadeaux</i> en bestiaux.</p> - -<p>Nulle part, le voyageur ne reçoit plus de -compliments et un plus cordial accueil<a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a>. -« C’est un blanc, disent-ils en ouvrant de -grands yeux, ah ! comme il est bien ! » La -longueur de son nez étonne presque autant -qu’elle réjouit. Tous les soirs, M. Caillié les -voit allumer des poignées de paille, et contempler -le blanc, demandant au guide si -cette blancheur de peau est bien naturelle. -Le parapluie du voyageur excite presque -autant leur curiosité que sa personne. Ils -ne peuvent concevoir comment on peut à -volonté ouvrir et fermer cette machine : -ceux qui l’ont vue courent avertir leurs voisins, -et la case où loge le voyageur ne -désemplit pas.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> Un chef de famille va même jusqu’à lui donner -un mouton.</p> -</div> -<p>J’omets, comme vous pensez, les nombreuses -rivières que nous avons à passer, -le plus souvent à gué, quelquefois sur des -ponts à moitié démolis ; quelquefois aussi -dans des bateaux formés tout simplement -de troncs d’arbre assemblés côte à côte avec -des lianes ; à l’un de ces passages dans un -bateau de ce genre qui faisait eau comme -un panier, le guide d’Abdallahi, noir Mandingue -d’une douceur et d’une piété bien -rare entre ses pareils, <i>Arafanba</i>, chantait à -haute voix les prières du Coran.</p> - -<p>Le 27 juillet, nous arrivons à <i>Sambatikila</i>, -village de noirs musulmans isolé au milieu -de villages de noirs <i>Bambaras</i>, qui parlent -Mandingue comme les Ouassoulos, et sont -comme eux non pas sans superstition, mais -sans culte : du reste, aussi sales. Le vieux -chef musulman, habillé en Arabe, la tête -couverte d’un turban à raies rouges et -blanches, reçoit Abdallahi, couché dans sa -cour, sous un petit hangar. « Il se mit sur -son séant, dit M. Caillié, et me tendit la -main avec les salutations d’usage. Après -m’avoir touché, il se porta la main sur la -poitrine et sur la figure, car il est très-religieux -et plein de confiance dans la sainteté -des Arabes. »</p> - -<p>Mais la table de ce fervent islamiste était -très-mal servie. Il avait interdit le marché -sous prétexte qu’il dérangeait la prière. Ses -fils s’informaient bien si le voyageur avait -de l’eau chaude pour les ablutions, mais -non s’il avait de quoi manger.</p> - -<p>La famine menaçait ce malheureux pays ; -on ne faisait plus qu’un repas par jour. Les -noirs mandingues de Sambatikila, sous -prétexte d’étudier le Coran, aiment mieux -se passer de déjeuner que de travailler de -leurs mains à la terre.</p> - -<p>Malgré ce jeûne forcé, dont le voyageur -eut en passant sa bonne part, ils étaient -tous joyeux et ne manquaient jamais d’aller, -tous les matins, chanter les louanges -de Dieu et du Prophète. Le vieux chef lui-même -avait bien soin de chanter de temps -en temps.</p> - -<p>Le prix courant d’un esclave est là de -trente briques de sel (de dix pouces de long, -trois de large et deux d’épaisseur) ; ou bien -d’un baril de poudre, avec huit masses de -verroterie marron-clair ; ou bien encore -d’un fusil avec deux brasses de taffetas rose.</p> - -<p>Chassé par la famine, M. Caillié se remet -en route le 2 août, avec une plaie au pied -gauche. Le vieux chef lui recommande -instamment de ne pas l’oublier auprès des -vénérables chéiks de la Mecque, et tire d’un -vieux chiffon un petit bracelet d’argent -qu’Abdallahi lui paie avec un morceau d’indienne -de couleur, du papier et quelques -grains de verre.</p> - -<p>Un Foulah et trois Mandingues reconduisent -le voyageur à demi-lieue de là : -entre autres le bon et pieux Mandingue -Arafanba, que nous laissons à Sambatikila.</p> - -<p>Le 3 août, après un jour et demi de marche, -par la pluie, au milieu de grandes herbes -et de buissons ou bien dans les bourbiers -de villages idolâtres, le voyageur -arrive avec la fièvre et le frisson à un autre -petit village de noirs musulmans, ombragé -de bombax et de baobabs : à <i>Timé</i>. Une -bonne vieille négresse lui offre l’hospitalité : -Abdallahi s’endort à terre, sur une natte, -auprès du feu.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch5">TIMÉ.</h2> - - -<p>Les pluies qui continuent d’inonder le -pays, la plaie de son pied, la crainte d’être -obligé de rester en route en quelqu’un des -villages idolâtres qui restent à traverser, -font prendre au voyageur la résolution de -passer le mois d’août à Timé, <i>sous la protection -de Mahomet</i> et d’un vieux chef vénérable. -Du reste, un marché, tenu une fois -la semaine et approvisionné de tout, hors -de sel, le rassurait ici sur la subsistance. -La bonne négresse lui apportait elle-même -deux fois par jour, une petite portion de riz -et de mil bouilli.</p> - -<p>Toutefois, le voyageur, habitué à des -maisons pourvues de cheminée et de fenêtres, -n’est pas très à son aise dans sa case -de terre, à travers laquelle filtre la pluie -fine et froide qui tombe sans interruption, -enfermé qu’il est dans un bain de vapeur -et de fumée. Les Mandingues passaient le -temps à coudre leurs habits, et les femmes, -sur qui tombe toute la peine, vaquaient au -dehors à la provision d’eau et de bois, pieds -nus dans la boue des chemins.</p> - -<p>La plaie du voyageur ne guérissait pas. -Une seconde plaie se déclara à la fin d’août : -le mois de septembre amenait chaque jour -un orage et des torrents de pluie. — A -mesure que les pluies cessent, en octobre, -les chaleurs augmentent. La plaie du -voyageur allait mieux : ses hôtes, après lui -avoir prodigué tous les soins (payés du -reste en étoffes, ciseaux, tabac, sel, etc.), -après avoir épuisé à son service toutes -leurs connaissances médicales et tous leurs -secrets religieux, tels, par exemple, que la -tisane toute puissante obtenue par le lavage -d’un griffonnage arabe ; ses hôtes, de plus -en plus exigeants et maussades, pressaient -assez clairement son départ. Les importunités -des femmes ne lui laissaient pas de -repos. Enhardies peu-à-peu, elles assaillaient -en foule sa case pour avoir des grains -de verre, contrefaisaient ses gestes, ses -paroles, sa maladresse à manger la bouillie -sans cuillère ; riant aux éclats non-seulement -de la longueur de son nez, mais -même des cataplasmes qui recouvraient sa -jambe et de la difficulté de sa marche<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> « Je demandais à Baba (l’un des fils de la -bonne vieille hôtesse), pourquoi il ne plaisantait -jamais avec ses femmes ; « c’est, répondit-il, que -je n’en pourrais plus rien faire : elles se moqueraient -de moi quand je leur <i>commanderais</i> quelque -chose. » Les hommes en effet ne leur parlent qu’en -maîtres, et répondent par des coups de fouet à -leurs criailleries. Elles n’oseraient lever la main -pour se défendre.</p> -</div> -<p>Mais un plus grand malheur le menaçait : -laissons parler M. Caillié lui-même. « Vers -le 10 novembre, après plus de trois mois de -séjour, la plaie de mon pied était presque -fermée ; j’avais l’espoir de profiter de la -première occasion et de me mettre enfin en -route pour Jenné, mais hélas ! à cette même -époque de violentes douleurs dans la mâchoire -m’apprirent que j’étais atteint du -scorbut, affreuse maladie que j’éprouvai -dans toute son horreur. Mon palais fut entièrement -dépouillé, une partie des os se -détachèrent ; mes dents semblaient ne plus -tenir dans leurs alvéoles. Je craignais que -mon cerveau ne fût attaqué par la force des -douleurs que je ressentais dans le crâne. -Je fus plus de quinze jours sans trouver un -quart d’heure de sommeil. Pour comble de -douleur, la plaie de mon pied se rouvrit et -je voyais s’évanouir tout espoir de partir. -Que l’on s’imagine ma situation ! seul dans -l’intérieur d’un pays sauvage, couché sur -la terre humide, sans autre oreiller que le -sac de cuir qui contenait mon bagage, sans -autre garde ni médecin que la bonne vieille -négresse qui, deux fois par jour, m’apportait -un peu d’eau de riz ; je devins un véritable -squelette et finis par inspirer de la -pitié aux rieuses elles-mêmes… Au bout -de six semaines, je commençai à me trouver -mieux. »</p> - -<p>Son hôte qui l’avait négligé, lui amène, -par un retour de pitié, une vieille femme -qui le traite à la manière du pays et le guérit. -Vers le milieu de décembre, il put aller -avec un bâton, se ranimer au soleil, au -rendez-vous des vieillards.</p> - -<p>Enfin, après bien des obstacles trop longs -à redire, le départ avec l’un des fils de la -bonne vieille est fixé à la première quinzaine -de janvier. La veille du départ est -marquée par une bruyante solennité : un -jeune noir célébrait les funérailles de sa -mère. La <i>fête</i>, animée par un grand luxe -de musique, par des danses processionnelles, -des psalmodies lugubres, par une -pantomime guerrière et force coups de -fusil, se termine par un copieux repas suivi -de danses.</p> - -<p>Le 9 janvier 1828, après les petits cadeaux -d’usage, le voyageur encore faible, se remet -en route, au bruit des sonnettes que portent -à la ceinture les Mandingues avec -lesquels il part. Les arbres avaient en partie -perdu leurs feuilles et les herbes avaient -été arrachées pour le chauffage.</p> - -<p>Une trentaine de négresses ouvrent la -marche, la tête chargée de noix de colats ; -suivent à la file, quarante à cinquante noirs -également chargés ; le cortége est fermé -par une quinzaine d’ânes que conduisent -huit chefs. Aux haltes, les femmes broient -le mil et font chauffer l’eau pour le bain -habituel des hommes. Les noirs esclaves -sont chargés de l’approvisionnement de -bois : quant aux noirs libres, ils se couchent -en attendant le souper ou bien échangent -quelques <i>noix de colats</i> contre la -monnaie du pays<a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a> qu’ils amassent pour -l’achat du mil, et qui leur sert aussi pour -payer les <i>droits de passe</i>. Leur grande -affaire après le repos, c’est de visiter leur -charge de noix de colats et d’y mettre des -feuilles fraîches.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> Cette monnaie est une petite coquille de celles -que nos classifications appellent des <i>porcelaines</i>, -et que les Africains nomment des <i>Cauris</i>.</p> -</div> -<p>De janvier en mars, pendant deux mois -de marche vers le nord, interrompue par un -seul jour de repos, le voyageur traverse à -peine quelques villages de noirs musulmans ; -partout il rencontre des Foulahs -<i>Bambaras</i>, simples et inoffensifs, presque -nus, parés de coquillages, insouciants de -l’avenir, toujours en fêtes, souvent enivrés -sans scrupule de mil fermenté, passant la -moitié des nuits à danser, hommes et femmes, -en rond, autour d’un grand feu : — pleins -de respect du reste pour les pratiques -musulmanes et de foi à la toute puissance -de l’écriture arabe. A cela près, ils paraissent -très-indifférents aux questions théologiques, -et ne s’occupent nullement de création -ou de vie à venir ; pour eux, point -d’animaux <i>impurs</i> : des petites pattes de -souris dans leurs sauces apprennent au -voyageur que ces peuples trouvent tout -simple de manger les ennemis de leur mil, -pris au piége dans leurs jarres de terre ; ils -engraissent aussi par troupeaux des chiens -pour la table.</p> - -<p>Leur insouciance des choses de l’autre -monde s’étend à celles de celui-ci ; ils sont -très-malpropres, logent dans des cahutes de -terre que chauffe comme un four le feu -qu’ils y entretiennent en tout temps, et -d’où la fumée (qui n’a plus même un toit de -paille pour issue) chasse perpétuellement -le voyageur, réduit à coucher à la belle -étoile.</p> - -<p>Du reste, les marchés, sur le chemin, -sont assez bien pourvus des choses nécessaires. -Dès le 16 janvier, les petites coquilles -deviennent indispensables. Elles représentent -à-peu-près partout un demi-centime. -Une belle poule coûte quatre-vingts de ces -coquilles<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> Ces peuples ne comptent pas comme nous -par <i>centaines</i>, mais par <i>quatre-vingtaines</i>. Le nombre -cent se dit chez eux : <i>une quatre-vingtaine-et-vingt</i>.</p> -</div> -<p>Les provisions de grains et de racines, -principalement de riz et d’ignames, exposées -partout en plein air dans de petits magasins -en paille, sans autre défense que quelques -chiffons d’écriture arabe, attestent assez -et l’abondance des vivres, conséquence -du sol, et la confiance réciproque des -musulmans et des infidèles. Toutefois, il -ne faudrait pas exposer de même des verroteries, -des ciseaux, etc. Le voyageur qui, -lui aussi, étale au marché sa petite boutique -a bien soin de ne pas leur montrer beaucoup -d’étoffe ou de verroterie à la fois.</p> - -<p>Une particularité bien sensible après le -brutal asservissement des femmes à Timé, -c’est que, dans les villages Bambaras, les -femmes viennent s’asseoir à côté des hommes -et, tout en filant le coton, prennent part -à la conversation<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a> Une autre particularité qui distingue cette -région, c’est la mode que suivent la plupart des -femmes d’avoir un morceau de bois (de la largeur -d’une pièce de un franc et très-mince), incrusté -dans la chair, au-dessous de la lèvre inférieure. -Les petites filles en ont un de la grosseur d’un -pois qu’elles changent successivement pour un -morceau plus grand.</p> - -<p>Ailleurs, le morceau de bois est remplacé par -une pointe d’étain de deux pouces de long et de -la grosseur d’un tuyau de plume, retenu dans la -bouche par une petite plaque du même métal.</p> -</div> -<p>A part l’autorité universelle des vieillards, -le seul magistrat, aperçu par le voyageur, -c’est un homme enfermé dans une sorte de -sac noir à coulisse, les mains et les pieds -nus, la tête ornée de plumes d’autruche -blanches, avec quatre ouvertures garnies -d’écarlate pour les yeux, le nez et la bouche. -Cet homme assis, un fouet à la main, -à l’entrée des villages, auprès d’un tas de -petites coquilles, recevait les droits de -passe. Le fouet de cet étrange douanier -était aussi chargé de la police des rues.</p> - -<p>Le 19 janvier (à <i>Tongrera</i>, l’un des principaux -villages musulmans), le voyageur -perd l’espoir d’aller à Jenné. La caravane -se dirige d’un autre côté. Mais quatre jours -après, il a la joie de lui voir reprendre sa -première direction. A Tangrera, M. Caillié -voit piler du tabac par des noirs esclaves, -non plus vert comme dans les villages précédents, -mais de couleur marron-clair et -d’une très-bonne odeur.</p> - -<p>La caravane, grossie en route, n’était -pas alors de moins de cinq cents noirs ou -négresses et de quatre-vingts ânes ; comme -toutes les contrées traversées jusqu’ici par -M. Caillié, cette partie de l’Afrique abonde -en arbres à beurre et en nédés ; en avançant -vers le nord, le baobab devient moins -commun et l’arbre à soie le surpasse en -grosseur. Les <i>ronniers</i> atteignent en plusieurs -endroits une hauteur prodigieuse.</p> - -<p>A l’approche du royaume de Jenné, la -caravane, intimidée par des bruits de -guerre, prend une attitude de défense. Les -hommes aux charges de colats, tous armés -d’arcs et de flèches, se placent à l’avant-garde ; -les vieillards et les ânes restent en -arrière, les femmes au centre.</p> - -<p>Enfin, nous entrons, le 21 février, sur le -territoire du dévot et belliqueux roi de -Jenné, qui, laissant aux esclaves la culture -de la terre et les ouvrages manuels, et le -commerce aux Arabes et aux noirs, s’occupe -exclusivement, lui et les siens (Foulahs -graves et fiers), de l’étude du Coran, -et ne travaille qu’à la propagation de la foi -musulmane, à l’agrandissement du patrimoine -du Prophète : imposant à tous ses -voisins des tributs ou des mosquées.</p> - -<p>Abdallahi reçoit partout la bénédiction -de ces propagateurs de l’islamisme. En les -quittant, il leur souffle sur la main, et, eux, -s’empressent de la reporter à leur visage -en remerciant Dieu. Au reste, plus de musique -ni de danses : plus d’autre chant que -les lentes et lugubres psalmodies du Coran. -Aux cahutes rondes de terre ou de paille -succèdent des constructions carrées en briques -jaunes, séchées au soleil. La cherté -croissante des vivres annonce le voisinage -d’une grande ville ; l’abondance du poisson -frais, annonce celui d’une grande rivière. -Jusqu’ici M. Caillié n’avait pas encore rencontré -un seul mendiant.</p> - -<p>Le seul fait qui fasse évènement dans les -souvenirs de la route, c’est une querelle -du vieux Kaimou, chef ou doyen d’âge de -la caravane, avec sa femme. Le mari en -vint aux coups, et, chose inouïe dans ces -contrées, la femme se permit de résister à -son seigneur et maître. Toutefois au bout -de trois ou quatre jours, les époux cassèrent -une noix de colats qu’ils mangèrent -ensemble.</p> - -<p>Le 10 mars, nous nous retrouvons de -nouveau en face des eaux blanchâtres du -Dhiolibâ, ou du moins d’une branche de ce -fleuve, qui ne paraît guère avoir, là, que -cinq cents pieds de large, et coule lentement -au nord-est. Il faut traverser deux -autres branches (dont une à gué) pour -arriver à la ville de Jenné, qui forme une -île enclavée dans une île beaucoup plus -grande. M. Caillié arrive à Jenné<a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a>, le -11 mars, dans l’après-midi.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> <i>Jenné</i> ou <i>Djenné</i>, ou <i>Dkienné</i>.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch6">JENNÉ.</h2> - - -<p>« Il y avait plusieurs noirs sur le rivage ; -mon guide s’adressa à l’un d’eux pour lui -demander un logement : c’était un Mandingue -d’assez bonne mine ; il nous conduisit -dans sa maison. » Le vieux Kaimou et sa -suite s’installent aussitôt dans les magasins -du rez-de-chaussée : Abdallahi, en qualité -d’Arabe, est logé dans une chambre haute.</p> - -<p>Le vieux guide, en conduisant le voyageur -à cette chambre qui n’a qu’une natte -pour tout meuble, le félicite de l’heureuse -issue de son voyage, et lui rappelle ses services. -Abdallahi reconnaissant le comble -de joie avec une paire de ciseaux, deux -aunes d’indienne de couleur, trois feuilles -de papier et trente grains de verroterie -rouge : valeur de cinq francs en France ; -joignez à ces largesses quelques petits cadeaux -d’étoffe pendant la route, et vous -rappelant que le guide avait défrayé le -voyageur d’une partie de sa nourriture -durant six semaines, convenez qu’il est -difficile de voyager à meilleur compte.</p> - -<p>Le lendemain, présentation d’Abdallahi à -quelques riches Arabes du lieu, qui le conduisent -avec son vieux guide et son hôte -chez un Chérif. Là, récit circonstancié du -voyage et de ses motifs ; questions sans fin -sur les chrétiens, sur leurs usages et surtout -sur leurs méfaits.</p> - -<p>L’interrogatoire terminé, le Chérif dit à -l’hôte d’Abdallahi de le conduire chez le -chef de la ville : ce chef, Foulah de la -famille royale, très-âgé, très-gros et presque -aveugle, caché d’abord derrière une porte, -qui s’ouvre à l’arrivée d’un Arabe, se fait -raconter l’histoire d’Abdallahi, et décide -qu’il restera chez le Chérif jusqu’à ce -qu’une occasion se présente pour aller à -Tombouctou.</p> - -<p>Le pèlerin arabe, qui s’est dit de riche -famille, a presque aussitôt deux hôtes : le -Chérif qui lui envoie régulièrement deux -bons repas ; et certain autre Arabe qui lui -donne un petit corridor et une natte dans -une maison qui servait à la fois de logement -aux esclaves et de magasin aux marchandises. -Dès le second jour, un adroit -barbier lui rase religieusement la tête. -Voici, du reste, un échantillon de la sensualité -Jennéenne.</p> - -<p>« Le 16 mars, vers quatre heures, on me -fit appeler chez le Chérif ; la vente de mes -marchandises (vente de corail, d’ambre, de -verroterie, d’étoffe<a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a>, dans laquelle les -deux hôtes d’Abdallahi se départirent un -peu de leur délicatesse habituelle) l’avait -très-bien disposé en ma faveur. J’entrai -dans une grande chambre assez propre, -éclairée par une ouverture à la voûte : une -lampe où l’on brûle du beurre végétal était -accrochée par une corde au plafond. Un -matelas, tendu par terre sur une natte, un -chandelier en cuivre de fabrication européenne, -avec une bougie du pays et une -petite armoire creusée dans le mur et fermant -avec une serrure comme les nôtres, -composaient tout l’ameublement. Quelques -sacs de grain étaient debout dans un coin -de la pièce. Je montai par un grand escalier -sur la terrasse où je vis plusieurs petites -galeries à compartiments, sans meuble. -On me fit asseoir auprès d’une natte, sur -un petit coussin rond en cuir. Je me trouvai -en compagnie de sept Arabes et d’un -noir, marchands de Jenné.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> « Le produit de cette vente était évalué à trente -mille cauris. Le chérif acheta pour moi de l’étoffe -du pays pour cette valeur : il me dit qu’elle se -vendait très-bien à Tombouctou. »</p> -</div> -<p>« Le Chérif fit apporter, au milieu de -nous, une petite table ronde, ornée symétriquement -de plaques d’ivoire et de cuivre, -et que je pris d’abord pour une table de -jeu, quand un grand plat d’étain, couvert -d’un énorme morceau de mouton aux -ognons, m’apprit le motif de ce rendez-vous. -Le Chérif tira d’un panier couvert de petits -pains d’une demi-livre, faits avec de la -farine de froment et du levain, qu’il distribua -par morceaux, et que je trouvai délicieux. -Nous mîmes tous les doigts au plat, -mais avec une sorte de politesse. La conversation -fut assez gaie, les pauvres chrétiens -en firent tous les frais.</p> - -<p>« Après le repas, vint le thé. Le Chérif -étala ce qu’il avait de plus beau, et ne manqua -pas de faire voir au noir sa supériorité. -Nous étions servis par une jeune et jolie -négresse esclave. On apporta dans une boîte -un petit service en porcelaine que le Chérif -posa sur un plateau en cuivre. Les tasses, -très-petites, nous furent données dans des -soucoupes à pied, de la forme d’un coquetier. -Nous primes chacun quatre de ces -tasses de thé avec du sucre blanc et après -le dîner, dont le Chérif avait très-bien fait -les honneurs, nous allâmes faire un tour -de promenade au bord de la rivière. Nous -nous assîmes sur le rivage pour voir passer -les pirogues ; puis nous fîmes la prière tous -ensemble, car il était trop tard pour aller -à la mosquée.</p> - -<p>« Le 18, on salua la nouvelle lune par -une décharge de mousqueterie, et le 19 -commença le jeûne du Ramadan, » jeûne -apparent qui ne ressemble en rien à l’impitoyable -austérité des bords du Sénégal : -simple interversion d’habitudes qui consiste -à faire de bons repas la nuit et à dormir le -jour.</p> - -<p>La ville de Jenné est entourée d’un mur -d’enceinte, qui, selon M. Caillié, peut avoir -trois kilomètres de tour environ, et enferme -une population de huit à dix mille âmes. -Bâtie sur un terrain d’alluvion, de nature -argileuse et rougeâtre, elle est préservée -des inondations périodiques du fleuve par -son élévation de sept à huit pieds au-dessus -des eaux. Les maisons aussi grandes que -celles des villages de France, sont construites -en briques rondes, séchées au soleil ; -les plus hautes n’ont qu’un étage ; elles -sont toutes à terrasse, et ne reçoivent de -jour que sur les cours. Leur unique entrée -est pourvue d’une porte en planches qui -paraissent avoir été faites à la scie : cette -porte est fermée, en dedans, avec une double -chaîne de fer et en dehors avec une -serrure de bois du pays ou bien un cadenas -européen. Les rues étroites et tortueuses -sont exactement balayées chaque jour. Le -seul édifice qui se fasse remarquer au milieu -de toutes ces terrasses à peu près pareilles, -est une grande mosquée en terre, -dominée par deux tours massives, peu élevées -et abandonnées aux hirondelles. La -prière se fait dans une cour extérieure. -Quelques baobabs, dattiers, ronniers y -sèment un peu de verdure sur un fonds -rougeâtre.</p> - -<p>De la terrasse de sa maison, le voyageur -ne voit au loin qu’une campagne découverte, -des marais à perte de vue et à l’ouest -une branche du fleuve.</p> - -<p>Le marché de Jenné est assez bien approvisionné -de marchandises d’Europe, la -plupart de fabrication anglaise ; verroterie, -faux ambre, faux corail, soufre en bâton, -poudre, pierres à feu, fusils, quincaillerie, -écarlate, toile de coton, etc. Des bouchers -y étalent la viande fraîche ou fumée. Les -marchands vont aussi criant par les rues les -noix de colats, le miel, le beurre végétal et -animal, le lait, le sel, le bois à brûler apporté -par les femmes de quatre et cinq -lieues. Le chaume de mil se vend de même -en détail pour la cuisine. Les principaux -commerçants sont les Arabes qui, au nombre -de trente ou quarante, occupent les -plus belles maisons de la ville, et font tenir -leurs boutiques par leurs esclaves. Assis -sur une natte, devant leur porte, à côté des -planches de sel qu’ils étalent, ils accaparent -sans peine par leurs correspondants tous -les articles recherchés, laissant aux Foulahs -maîtres du pays et aux Mandingues le -commerce des choses communes. Entre les -choses qui se vendent au marché de Jenné, -il faut compter les hommes, les femmes, -les enfants. « Je les ai vus, dit M. Caillié, -promener tout nus dans les rues ; on les -criait à 25, 30 ou 40 mille cauris, suivant -leur âge. » Du reste, le voyageur paraît -avoir reconnu que les noirs esclaves sont -beaucoup mieux traités par les noirs, les -Foulahs ou les Arabes qu’ils ne le sont par -les blancs dans nos colonies d’Amérique. -« De Jenné à Tombouctou, dit-il, la plupart -des esclaves sont des domestiques de confiance -qui, en l’absence de leur maître, -gardent la maison ou bien emballent les -marchandises et les portent aux embarcations. »</p> - -<p>M. Caillié est surtout frappé du mouvement -commercial et industriel qui règne -dans la ville, mouvement auquel il n’est -plus habitué depuis longtemps. Le rigide -Foulah, <i>Ségo-Ahmadou</i>, dont Jenné était -la capitale, importuné par ce mouvement -même, qu’il se soucie assez peu d’arrêter -par ses guerres perpétuelles contre les infidèles -d’alentour, jugeant que tout ce bruit -détournait les vrais croyants de leurs devoirs, -s’est fondé une autre ville à la droite du -fleuve : cette ville où tous les enfants vont -apprendre le Coran par cœur dans des écoles -gratuites, s’appelle <i>El-Lamdou-Lillahi</i> -(à la gloire de Dieu). Ce prince et le chef -de Jenné n’imposent aucun droit, aucune -contribution, mais reçoivent parfois des -cadeaux.</p> - -<p>Les infidèles (tributaires de Ségo-Ahmadou) -sont obligés de faire la prière pour -entrer à Jenné.</p> - -<p>Hommes, femmes, enfants sont tous proprement -vêtus<a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a>. Les femmes ont toutes -l’entre-deux du nez percé. Les unes y portent -un anneau d’or ou d’argent, les autres -un morceau de soie rose. Elles portent au -poignet des bracelets en argent, de forme -ronde ; et à la cheville un cercle plat, de -fer argenté, large de quatre doigts.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> Le voyageur vit avec plaisir que, dans ce -pays, on pouvait porter un mouchoir de poche sans -être ridicule ; sur toute la route qu’il venait de -parcourir il eût été dangereux de se moucher -autrement qu’avec les doigts.</p> -</div> -<p>Le voyageur s’était décidé à laisser son -parapluie au Chérif, qui devait lui procurer -une embarcation pour Tombouctou. Ce -parapluie avait fait pour le moins autant -d’effet à Jenné que dans les moindres villages -musulmans ou infidèles ; le Chérif parut -fort content du cadeau, et, les trois -nuits suivantes, régala son hôte de dattes, -de melons d’eau, de pain frais ; le jour du -départ, il lui annonça qu’il avait payé 300 -cauris au propriétaire du bateau pour qu’il -fût défrayé de sa nourriture pendant toute -la route ; lui donna quatre bougies de cire -jaune, fit emballer et porter à bord son ballot -d’étoffe, et lui prépara une pâte de farine -de mil et de miel, à mettre, en chemin, -dans son eau. Un jeune Arabe, en retour -d’une paire de ciseaux, joignit à ces provisions -du pain de froment séché au four.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch7">NAVIGATION SUR LE NIGER.</h2> - - -<p>Le 23 mars, à neuf heures du matin — après -un séjour de treize jours, Abdallahi, -reconduit par ce jeune Arabe, par le Chérif -et par son second hôte, dont il avait conservé -les bonnes grâces au moyen d’une -aune de très-jolie indienne, du reste spécialement -adressé et recommandé par une -lettre du Chérif à son correspondant de -Tombouctou, part, aux cris de <i>Samalécoum</i> -(la paix soit avec vous), sur un petit bateau -chargé de marchandises sèches et d’une -vingtaine d’esclaves à vendre<a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a>, qu’un -bateau plus grand attend sur le fleuve.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> Hommes, femmes, enfants : les plus grands -étaient aux fers.</p> -</div> -<p>« Vers les deux heures, nous atteignîmes -le majestueux Dhiolibâ, qui vient lentement -de l’ouest. Il est, en cet endroit, très-profond, -et a trois fois la largeur de la Seine -au Pont-Neuf. Ses rives sont très-basses et -très-découvertes. ».</p> - -<p>Les cinq semaines que M. Caillié passe -sur le Dhiolibâ sont pour lui des plus pénibles : -injurié, menacé par les mariniers -noirs, en l’absence de leur maître ; réduit, -par eux, à la ration de riz cuit à l’eau qu’ils -donnent (esclaves eux-mêmes) aux esclaves -enchaînés qu’ils voiturent ; passant les -nuits sur le bateau, plié en deux sur le tas -des bagages ; obligé, les derniers jours, de -se tenir caché pour échapper aux investigations -des Touariks du rivage, qui viennent -armés de lances et de poignards sur -de petits bateaux, se faire payer des droits -de passe ; assez traitables pour les noirs, -mais impitoyables pour les Arabes : sachant -bien que si les Arabes n’ont pas, comme -le disent les nègres, de l’or sous la peau, -ils n’en manquent pas pour cela.</p> - -<p>Toutefois, un jeune Foulah est auprès du -voyageur qui le console et l’encourage ; -qui descend à terre pour lui chercher du -lait, et lui rend tous les services possibles. -Le voyageur descend lui-même quelquefois -lors des haltes qui interrompent fréquemment -la marche de la flottille.</p> - -<p>Le 25 mars, hommes et marchandises -passent sur le grand bateau, déjà chargé de -mil, de riz, de miel, de beurre végétal, de -coton, d’étoffe. Six autres bateaux pareils -avaient même destination. Ces bateaux, -auxquels M. Caillié suppose soixante tonneaux -de jaugeage, sont construits avec -des planches de cinq pieds de long (sur huit -pouces de large et un pouce d’épaisseur), -ajustées et <i>cousues</i> avec des cordes du pays -qui se conservent longtemps sous l’eau.</p> - -<p>Le moindre vent menace de submerger -ces embarcations fragiles ; lorsque les rives -sont à découvert, les mariniers, tous noirs -esclaves, tirent les bateaux à la cordelle, ou -s’ils peuvent atteindre le fond, le repoussent -avec des perches de quatre à cinq mètres, -composées le plus souvent de deux -morceaux bout à bout. Lorsque les rives -sont boisées ou le fleuve trop profond, ils -naviguent avec des rames plates d’un mètre -de long : les rameurs tout nus manœuvrent -très-vite et observent la mesure.</p> - -<p>Cette navigation est lente et périlleuse, -retardée par le moindre vent, par les nombreux -bancs de sable, par les déchargements -qu’ils exigent ; enfin, par les nombreux -accidents, que tous ces retards n’empêchent -pas. M. Caillié cite deux grands -bateaux submergés, et un noir noyé.</p> - -<p>Quant aux rives du fleuve, elles présentent -presque partout des plaines immenses -et marécageuses où se distinguent à peine -les cahutes de paille des Foulahs musulmans, -qui, de leurs pauvres villages, apportent -aux bateaux du lait et du poisson, -et dont les troupeaux errent par la campagne, -en attendant que la crue du fleuve les -refoule ailleurs ; ou les tentes des Touariks, -qui comptent encore moins sur le produit -de leurs troupeaux que sur celui des droits -de passe qu’ils imposent. L’eau est toute -couverte d’oiseaux aquatiques qui semblent -peu redouter les flèches des bergers et des -pêcheurs du rivage. Une seule fois des mugissements -de bête féroce se font entendre -la nuit ; une seule fois des pas d’éléphant -sont aperçus sur le sable. Le voyageur voit -à plusieurs reprises des hippopotames se -jouer lourdement dans le fleuve, et cite -quelques caïmans qui élèvent la tête à fleur -d’eau, et semblent menacer les pirogues.</p> - -<p>Le 1<sup>er</sup> avril, le fleuve s’élargit, on ne -voit même plus la terre à l’ouest ; le lac -Debo où Dhiébou se déploie comme une -mer intérieure. Trois décharges de mousqueterie -saluent cette vaste nappe d’eau : -<i>Salam ! Salam</i>, cria de toutes ses forces -l’équipage de chaque embarcation ; le -voyageur lui-même ne pouvait revenir de -sa surprise.</p> - -<p>Le 5 avril, la flottille, augmentée de quarante -grandes embarcations, se remet en -route au bruit des cris de joie et des coups -de fusil.</p> - -<p>Le 17, de nouveaux coups de fusil saluent -la nouvelle lune et la fin du carême. -Le lendemain matin, les noirs vont se prosterner -à la file dans la plaine ; ils aperçoivent -de loin les dattiers de <i>Cabra</i>, qui leur -annoncent la fin de leurs peines. Abdallahi, -caché tout le jour parmi le bagage, est -privé de cette vue consolante. A la nuit, il -sort de sa cachette, et respire, confondu -dès-lors avec les noirs par les féroces douaniers -du rivage. Les bateaux ne repartent -pas sans leur avoir laissé chacun deux sacs -de mil.</p> - -<p>Enfin le 19, vers une heure de l’après-midi, -après avoir vu, vers six heures, le -fleuve se partager en deux branches, le -voyageur arrive au port de Cabra. Un petit -bateau, tiré à la cordelle par les noirs, l’amène, -à trois heures, au village, par un -petit canal encombré d’herbes et de vase. -Ce village ou plutôt cette petite ville, située -sur une petite hauteur qui la préserve de -l’inondation, est une sorte de transit entre -Tombouctou et le fleuve.</p> - -<p>Dans ce mouvement de gens de toute -couleur occupés au déchargement et au -transport des marchandises, ou bien à célébrer -gaiement la fête du Ramadan, personne -ne fait attention à Abdallahi. Des Arabes -avec lesquels il était venu du port, l’invitent -à partager leur souper de riz ; il passe, -comme eux, la nuit dehors, couché sur une -natte.</p> - -<p>Le lendemain, il cherche en vain le correspondant -du Chérif parmi les Arabes -venus à Cabra, sur de beaux chevaux, recevoir -leurs marchandises : ses esclaves, noirs -bien vêtus et armés de fusils, envoyés à sa -place, complimentent le pèlerin de sa part -et l’emmènent.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch8">TOMBOUCTOU.</h2> - - -<p>Parti vers trois heures, le voyageur -arrive avec eux à la ville par une route de -sable mouvant, le plus souvent dénué de -verdure, au moment où le soleil touchait à -l’horizon. « Je voyais donc, s’écrie-t-il, -cette capitale du Soudan, qui, depuis si -longtemps, était le but de tous mes désirs. -En entrant dans cette cité mystérieuse, -objet des recherches des nations civilisées -de l’Europe, je fus saisi d’un sentiment -inexprimable de satisfaction : je n’avais -jamais éprouvé une sensation pareille et ma -joie était extrême. Mais il fallut en comprimer -les élans… Revenu de mon enthousiasme, -je trouvai que le spectacle que -j’avais sous les yeux ne répondait pas à -mon attente : je m’étais fait de la grandeur -et de la richesse de cette ville une tout autre -idée : elle n’offre au premier aspect, -qu’un amas de maisons en terre, mal construites ; -dans toutes les directions, on ne -voit que des plaines immenses de sable -mouvant, d’un blanc tirant sur le jaune et -de la plus grande aridité. Le ciel à l’horizon -est d’un rouge pâle. Tout est triste dans la -nature : le plus grand silence y règne. On -n’entend pas le chant d’un seul oiseau… Je -conjecture qu’antérieurement le fleuve passait -près de la ville, il en est maintenant à -près de trois lieues au nord. »</p> - -<p>La réception toute paternelle qui, sur les -recommandations écrites du chérif de Jenné -et sur les explications verbales du propriétaire -du bateau, attendait Abdallahi chez -son hôte, dut adoucir un peu l’amertume -de ce désappointement. « Sidi Abdallahi -Chébir, dit M. Caillié, me fit appeler pour -souper avec lui. L’on nous servit une bouillie -de mil au mouton. Nous étions six autour -du plat : on mangeait avec les doigts, -mais aussi proprement que possible. Sidi -ne me questionna pas ; il me parut doux, -tranquille et très-réservé. C’était un homme -de quarante à quarante-cinq ans, haut de -cinq pieds environ, gros et marqué de -petite vérole ; son maintien avait quelque -chose d’imposant. Il parlait peu et avec -calme. » Ce pieux musulman donne au -voyageur toutes les commodités désirables, -notamment une chambre séparée dont il -lui livre la clef. Deux fois par jour, il lui -envoie un plat de riz ou de mil très-bien -assaisonné avec du bœuf ou du mouton<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> La maison occupée à Tombouctou par M. Caillié, -n’était séparée que par la largeur de la rue de -celle qu’y avait habité le malheureux major Laing -en 1826. M. Caillié qui, à Jenné même, avait entendu -parler du Chrétien venu, disait-on, <i>pour -écrire la ville, et tout ce qu’elle contenait</i>, put recueillir -de nombreux détails sur la fin déplorable de la -bouche même de l’hôte du major : Arabe dont notre -voyageur reçut plusieurs fois des dattes et, lors de -son départ, une culotte en coton bleu.</p> -</div> -<p>Quant aux constructions et aux habitudes -de la ville, elles ne présentent rien de -nouveau à qui vient de voir Jenné : mêmes -maisons à terrasse, sans fenêtre et sans cheminée, -mêmes briques rondes, séchées au -soleil ; même répartition des diverses branches -du commerce entre les Arabes et les -indigènes.</p> - -<p>La ville, qui dessine un triangle, paraît -avoir une lieue de tour et contenir au plus -dix à douze mille habitants. Les maisons -n’ont que le rez-de-chaussée et quelques-unes -un cabinet au-dessus de la porte d’entrée. -Les rues sont propres et assez larges -pour trois cavaliers de front. Au milieu de -la ville et au-dehors, des cases rondes en -paille servent de logement aux pauvres et -aux esclaves.</p> - -<p>M. Caillié compte huit mosquées, dont -deux grandes, surmontées d’une tour en -briques avec un escalier intérieur<a id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a>. Du -haut de ces tours, où M. Caillié prenait ses -notes à son aise, on ne découvre au loin -qu’une plaine immense de sable blanc, dont -l’uniformité est à peine rompue, çà et là, -par quelques arbrisseaux rabougris ou bien -par quelques buttes de sable. Le voyageur -donnerait presque le nombre des arbres qui -ombragent Tombouctou. Il cite entre autres -quelques palmachristi et au centre de la -ville un palmier doum, sur une sorte de -place entourée de cases rondes.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_27" href="#FNanchor_27"><span class="label">[27]</span></a> Ces deux mosquées ont paru au voyageur -d’une construction ancienne. Mais ce qui est plus -remarquable, c’est qu’il a cru distinguer, dans la -plus grande, des parties qui, par leur élégance, -contrastent complètement avec le reste, et paraissent -appartenir à une époque plus reculée. Ce sont -trois galeries soutenues chacune par dix arcades -de dix pieds de haut et de six pieds de large.</p> -</div> -<p>Le bois est extrêmement rare à Tombouctou ; -les plus riches seuls en brûlent ; les -autres ne brûlent que le crottin de chameau. -Le fourrage pour les chameaux, les chevaux, -les ânes, les bœufs et vaches, les -moutons, les chèvres, vient de trois et quatre -lieues. Un tabac d’une petite espèce -est la seule culture autour de la ville. L’eau -se vend au marché, tirée de quelques citernes -découvertes et chauffées par le soleil -ou bien apportée du fleuve par Cabra. Vous -avez vu quels approvisionnements viennent -de Jenné : ces approvisionnements sont à la -merci des Touariks qui peuvent refuser le -passage aux embarcations et ne l’accordent -qu’à force d’exactions, tant à bord des -bateaux que dans la ville même.</p> - -<p>Tombouctou ne reçoit d’ailleurs que du -sel, apporté à dos de chameau de plusieurs -endroits du désert ; c’est avec ce sel qu’elle -paie tout le reste.</p> - -<p>La ville appartient aux Noirs ; mais les -négociants arabes, sans participer directement -au gouvernement, ont, au nom de leur religion -et de leur richesse, beaucoup d’ascendant -dans les conseils. Du reste, Arabes -et noirs sont tous zélés musulmans. Le roi -de Tombouctou, auquel le voyageur rend -une courte visite avec son hôte, est lui-même -un noir. « Ce prince, dit-il, me parut -d’un caractère affable. Il pouvait avoir -cinquante-cinq ans. Ses cheveux étaient -blancs et crépus ; il était de taille ordinaire, -avait une belle physionomie, le teint noir-foncé, -le nez aquilin, les lèvres minces, une -barbe grise et de grands yeux. Ses habits, -comme ceux des Arabes, étaient faits en -étoffes d’Europe ; il portait un bonnet rouge -avec un grand morceau de mousseline autour, -en forme de turban… Il se rendait -souvent à la mosquée. »</p> - -<p>Tous les habitants de Tombouctou font -deux bons repas par jour. Les noirs aisés -font, comme les Arabes, leur déjeuner avec -du pain de froment, du thé et du beurre de -vache. Le commerce est l’occupation de -tous. Ici, comme à Jenné, les plus belles -maisons sont aux Arabes. Les plus riches -ont des matelas de coton, les autres couchent -sur des nattes ou sur une peau de -bœuf, tendue à quelques pouces de terre -sur quatre piquets. Les Arabes, établis là -pour quelques années seulement, ne prennent -pas d’autres femmes que leurs -esclaves.</p> - -<p>La parure des femmes est la même qu’à -Jenné : mêmes tresses de cheveux, mêmes -grains de verre, d’ambre ou de corail au -cou ; mêmes anneaux ronds ou plats aux -bras et aux pieds, mêmes boucles d’<i>oreille</i> -et de <i>nez</i>.</p> - -<p>Au marché, même vente publique d’hommes -et de femmes. Du reste, selon M. Caillié, -c’est toujours avec regret que ces malheureux -s’éloignent de cette ville, si triste -qu’en soit le séjour : bien nourris, bien -vêtus, rarement battus, assujétis d’ailleurs -aux cinq prières, ils ne peuvent quitter -Tombouctou pour une autre servitude sans -être assurés de perdre au change.</p> - -<p>Au tableau que fait le voyageur de la -douceur des hommes envers les femmes et -les esclaves, on serait tenté de craindre que -le voyageur ne se soit trop pressé de généraliser -les consolantes observations que lui -fournissait la maison du bon Sidi Abdallahi -Chébir.</p> - -<p>Une occasion s’était présentée pour traverser -le désert ; mais avant de repartir, -Abdallahi avait paru vouloir se reposer une -quinzaine de jours. « Tu peux rester ici -plus longtemps, si tu le veux, lui dit son -hôte. Tu me feras plaisir et tu ne manqueras -de rien. » Cet excellent homme alla -même jusqu’à proposer au voyageur de -l’établir dans la ville. Le départ fut enfin -fixé au 4 mai.</p> - -<p>Pendant les quatorze jours que M. Caillié -est resté dans cette ville célèbre, la chaleur -y fut excessive ; le vent d’est ne cessa -pas de souffler ; le marché ne se tenait que -le soir vers trois heures ; les nuits elles-mêmes -furent d’un calme étouffant : le voyageur -ne savait où se réfugier contre cette -atmosphère brûlante.</p> - -<p>Toutefois, si quelque chose eût pu lui -faire oublier l’excessive chaleur du jour, -le calme étouffant des nuits, les tourbillons -de poussière, le morne silence des rues, la -désespérante nudité des campagnes, c’eût -été le gracieux accueil de son hôte. Du -reste à l’affabilité des habitants, à la douceur -de leurs manières, à la simplicité de -leurs relations, au calme religieux empreint -sur tous les visages, il est aisé de voir que -si Tombouctou est le désert, c’est le désert -humanisé par tout ce qu’une paisible aisance -peut apporter de consolation dans un exil -volontaire.</p> - -<p>Quant à ces autres Arabes avec qui -M. Caillié va se remettre en route, sous une -même couleur de peau, ce n’est plus le -même peuple. Ces commis-voyageurs par -qui Maroc et Tombouctou se donnent la -main à travers les sables : ces voituriers du -Sahara, endurcis au mal, qui, pour un peu -d’or, font chaque année par deux fois leurs -deux ou trois cents lieues, malgré le soleil -et malgré le vent, malgré la faim, malgré -la soif, sans autre ressource pendant trois -ou quatre mois de fatigues que du riz cuit -à l’eau, du chameau séché, de l’eau tiède, -salée ou croupie : — ces hommes peuvent-ils -ressembler aux heureux négociants de -la ville qui, tranquillement couchés auprès -des planches de sel qu’ils étalent à leur -porte, font tenir leurs boutiques par leurs -esclaves, et ont tout loisir de causer entre -eux, d’étudier le Coran, et d’être calmes, -justes et bons.</p> - -<p>Par malheur, le voyageur n’avait pour -sortir de Tombouctou qu’une seule porte, -la porte du nord<a id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a> ; il fallait qu’il suivît -jusqu’au bout la ligne que nous avons -tracée sur la carte, sous peine de voir l’authenticité -de ses récits mise en doute, et de -perdre le fruit de tant de fatigues.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_28" href="#FNanchor_28"><span class="label">[28]</span></a> Il ne faudrait pas prendre cette expression à -la lettre ; car M. Caillié nous apprend que la ville -de Tombouctou n’est pas entourée de murs.</p> -</div> -<p>Les présents du départ sont ici des échanges. -Abdallahi, <i>le pauvre</i>, comme on l’appelle -à Tombouctou, fait à grand’peine -accepter à son dévot et généreux hôte sa -vieille couverture de laine et le pot de fer -blanc qui lui sert pour ses <i>ablutions</i>. Il en -reçoit en retour une magnifique couverture -de coton, une chemise de coton toute -neuve, deux sacs en cuir pour sa provision -d’eau, du pain de froment cuit au four, -comme notre biscuit, du doknou<a id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a>, du -beurre de vache fondu, une bonne quantité -de riz, et surtout de chaudes recommandations -pour son correspondant d’El-Arouan. -Les trente mille cauris d’étoffe, provenant -de la vente de Jenné, servirent à payer -la location d’un chameau.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_29" href="#FNanchor_29"><span class="label">[29]</span></a> Ce nom désigne la <i>pâte de farine de mil et de -miel</i>, que l’on délaie, en chemin, avec de l’eau.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch9">LE DÉSERT.</h2> - - -<p>Le jour du départ (4 mai 1828), avant le -lever du soleil, le riche Sidi était debout -pour partager une dernière fois avec le -pauvre pèlerin son thé et son pain frais au -beurre. Quelques heures après, le voyageur, -que les adieux ont retardé et qui rejoint la -caravane à la course, chemine lentement -vers la France, assez durement assis entre -des ballots, sur un chameau chargé ; heureux -en comparaison de tel noir esclave, -qui vainement s’appuie sur la croupe des -chameaux, vainement se couche à terre, -relevé et chassé en avant à coups de verges -et de cordes.</p> - -<p>Il faut aller à plus de demi-lieue de la -ville pour trouver quelques arbustes. Viennent -alors quelques buissons rabougris, quelques -herbes couvertes de sable que les -chameaux broutent en marchant ; quelques -gommiers élancés au maigre ombrage. -Puis, la végétation s’efface peu-à-peu, la -terre devient de plus en plus nue et désolée : -dès le troisième jour, plus rien que des -sillons ou des vagues sablonneuses, creusés -ou relevés par le vent, des plaines uniformes -de sable uni et presque mouvant, sans trace -de chemin frayé ; plus rien que la réverbération -du soleil sur ce sable où les pieds ne -peuvent poser sans douleur.</p> - -<p>Les seuls êtres que l’on rencontre en ces -solitudes sont des corbeaux et des vautours -qui font leur pâture des chameaux morts en -route ; ou des Touariks, qui, regardant le -désert comme leur domaine, mettent à contribution -les caravanes qui le traversent. -Deux de ces hommes, montés sur le même -chameau, au bras gauche le bouclier de -cuir, le poignard au côté, à la main droite -une pique, accourent se joindre à la caravane. -Ce fut à qui leur donnerait de l’eau, -bien que l’on n’en dût pas trouver de cinq -jours. Ce qu’on avait de meilleur fut pour -eux ; tant est grande la terreur que leur -seul nom inspire.</p> - -<p>Enfin, le 9 mai, après six jours de marche -(le plus souvent <i>de nuit</i>), après cinq -jours de calme étouffant, après cinq jours -pendant lesquels des nuages qui semblent -cloués à la voûte céleste, n’accordent pas -une goutte d’eau aux ardentes prières des -voyageurs, — on retrouve enfin un peu -d’herbe, et l’on aperçoit de loin les chameaux -d’El-Arouan. Les compagnons de -route de M. Caillié lui montrent l’endroit -où, deux années auparavant, gisait le corps -du major Laing, abandonné aux oiseaux de -proie du désert, et lui redisent les détails de -sa mort funeste. A neuf heures du soir, les -aboiements de chiens annoncent le voisinage -de la ville. Ces aboiements rappellent -au voyageur qu’il n’a pas vu de chien à -Tombouctou. Le voyageur passe une très-bonne -nuit hors de la ville, étendu à terre -sur sa couverture, auprès du bagage : -réveillé seulement à minuit pour prendre sa -part d’une bouillie de mil apportée d’El-Arouan.</p> - -<p>Pendant les dix jours qu’Abdallahi reste -dans cette singulière ville, il échappe à -grand’peine à la défiance et aux exigences -des Arabes et des noirs qui veulent absolument -qu’il leur donne du tabac, et vont -même jusqu’à le traiter de <i>chrétien</i> ; mais -ses recommandations de Tombouctou, et la -protection de son hôte, correspondant de -Sidi, viennent à son secours ; il s’en tire -encore une fois à force de zèle religieux et -grâce aussi à la crédulité des vieillards qui -disaient en arabe : « Remercions Dieu qu’il -soit venu parmi nous. »</p> - -<p>Pendant ces dix jours, le vent d’est souffle -sans interruption, et tient le voyageur -emprisonné ; impossible de tenir les portes -ouvertes à cause du sable qui pénètre partout -et entre même par les fentes de la porte. -M. Caillié reste tout le jour couché à terre, -obligé de se recouvrir d’un drap pour se -préserver de la poussière ; sans autre rafraîchissement -pour son gosier desséché que de -l’eau saumâtre et chaude, même dans les -courants d’air auquel on l’expose. Impossible, -même aux esclaves, de marcher pieds -nus dans la ville ; pour toute rosée, retombe, -la nuit, le sable que le vent a soulevé pendant -le jour. Et pourtant trois mille hommes<a id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a>, -Arabes ou noirs esclaves (Arabes, -enfermés le plus souvent, avec un linge -sur la bouche pour se préserver du sable : -esclaves que leurs maîtres ménagent forcément -pour qu’ils vivent) ; trois mille hommes -se résignent à passer douze ou quinze -ans dans cet entrepôt de commerce, pour -se préparer quelque repos sur leurs vieux -jours, dans les verdoyantes campagnes de -Barbarie<a id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_30" href="#FNanchor_30"><span class="label">[30]</span></a> Ce chiffre est probablement trop fort, on peut -penser que M. Caillié, en donnant avec raison -peut-être <i>cinq cents</i> maisons à El-Arouan, a eu -tort de donner à chaque maison <i>six</i> habitants.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_31" href="#FNanchor_31"><span class="label">[31]</span></a> Encore cet espoir même n’est-il pas laissé aux -noirs <i>esclaves</i>, bien plus nombreux à El-Arouan, -que les Arabes.</p> -</div> -<p>Les maisons, crépies avec de la terre -jaune, ressemblent à celles de Jenné et de -Tombouctou, aux toits près, qui sont plats -de même, mais de joncs et non de bois. Du -reste, point de marché à El-Arouan ; de la -viande séchée, pour tout régal : pour seul -combustible, le crottin de chameau. Point -de végétation, point de culture, point de -fourrage.</p> - -<p>L’hôte d’Abdallahi, l’un des plus riches -commerçants de la ville et musulman zélé, -pour l’amour du Prophète, grand soin du -voyageur. Il lui envoie régulièrement, sur -les onze heures, un plat de riz à la viande : -à huit heures du soir, une bouillie de mil -assaisonnée de sel et de beurre. Pour l’amour -du Prophète aussi, il le pourvoit de -cinquante livres de riz, de cinquante livres -de doknou, de dix livres de beurre fondu. -M. Caillié répond à ces libéralités par son -dernier morceau d’étoffe de couleur, une -paire de ciseaux et quelques pièces d’argent, -lesquelles sont reçues comme une rareté. -Les petites coquilles n’ont pas cours à El-Arouan ; -et les petits morceaux d’or ou -d’argent, qui y servent seuls de monnaie, -ne portent pas d’empreinte. Un Arabe d’El-Arouan -donne au voyageur un troisième -sac de cuir pour sa provision d’eau.</p> - -<p>La caravane qui n’était en partant de -Tombouctou que de six cents chameaux, -en compte au départ d’El-Arouan, le 19 mai, -huit cents de plus ; non pas à la file, mais -dispersés au large dans la plaine, ceux qui -appartiennent au même maître, marchant -par troupe distincte et rapprochés les uns -des autres. Après deux ou trois heures de -marche sur un terrain de sable dur, entrecoupé -de monticules de sable mouvant, l’on -rencontre cinq maisons en briques jaunes, -écoles religieuses où les enfants de la ville -viennent étudier le Coran : puis au-delà, -des puits assez profonds d’eau saumâtre, -auxquels on s’arrête pour boire une dernière -fois à longs traits.</p> - -<p>Au milieu de ces vastes solitudes, les -puits de Mourat (c’est le nom des cinq maisons) -entourés de quatorze cents chameaux -et de quatre cents hommes, offraient le -tableau mouvant d’une ville populeuse. -C’était un vacarme affreux, D’un côté l’on -voyait des chameaux chargés d’ivoire, de -plumes d’autruche, de gomme, de ballots -de toute espèce et aussi de noirs (hommes, -femmes et enfants), qu’on allait <i>vendre</i>, -avec le reste, dans les marchés de Maroc. -Plus loin, les Arabes (et Abdallahi avec eux) -prosternés, imploraient l’assistance divine. — Au-devant -s’étendait un horizon sans -bornes, où le ciel et la terre mêlaient leurs -teintes de feu. Tout ce que l’on distinguait -devant soi, c’était une plaine immense de -sable éclatant, nuancée à peine par l’ombre -de quelques roches saillantes ou les ondulations -de quelques monticules arrondis.</p> - -<p>A cette vue, les chameaux poussèrent de -longs mugissements. Les esclaves, les lèvres -immobiles et les yeux au ciel, semblaient -penser encore à leurs vertes montagnes, -à leurs frais pâturages, à leurs vieux -arbres si feuillus, à leurs jeux et à leurs -danses. Ils ne songeaient guère à se débattre -contre l’impitoyable cupidité de leurs -oppresseurs qui, à cette heure même, la -face contre terre, en appelaient à la commisération -d’Allah et de toute la force de leurs -poumons invoquaient, <i>pour eux-mêmes, le -Dieu clément et miséricordieux</i><a id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_32" href="#FNanchor_32"><span class="label">[32]</span></a> Besm allah alrohman elrahim <i>au nom de Dieu -clément et miséricordieux</i>. Cette formule, répétée en -tête de tous les chapitres du Coran, est pour les -musulmans ce que <i>le signe de la croix</i> est pour les -chrétiens.</p> -</div> -<p>Quant au voyageur, il échappe au désespoir -par l’enthousiasme : Une sorte d’ardeur -belliqueuse brille dans ses yeux. Ce mur de -sable qui se dresse au loin devant lui, lui -apparaît comme une place imprenable à -l’assaut de laquelle il faut monter pour -l’honneur de la France. S’il s’élance gaîment -sur son chameau, c’est aussi que -cette France est en avant qui l’appelle, avec -les souvenirs de l’enfance et les espérances -de l’âge mûr.</p> - -<p>Enfin, l’on se remet en marche. Tous les -hommes portent deux bandes de toile de -coton sur les yeux et sur la bouche pour se -préserver à la fois de la poussière et de l’air -chaud et sec qui fatigue les poumons.</p> - -<p>Le premier jour, calme étouffant : soif -dévorante ; point d’appétit ; une seule distribution -d’eau ; vers dix heures du soir, -un repas de riz chaud au beurre fondu. Ce -repas n’était pas désaltérant.</p> - -<p>Le lendemain à dix heures du matin, -l’on dresse les tentes pour marcher pendant -la nuit. « On nous donna à chacun, dit -M. Caillié, une calebasse d’eau contenant -près de trois bouteilles que nous avalâmes -d’un seul trait : cette eau tiède nous remplissait -l’estomac sans nous désaltérer. -J’aurais bien mieux aimé en avoir moins -à la fois et plus souvent ; mais les Maures -qui présidaient aux distributions ne voulurent -entendre à aucun nouvel arrangement, -et s’en tinrent à leur vieille habitude. Du -reste, il n’y avait de préférence pour personne. » -Les Maures dont c’était le tour de -conduire les chameaux, et qui marchaient -à pied en fredonnant des airs, ne buvaient -comme les autres qu’aux distributions -générales.</p> - -<p>Le vent (vent d’est auquel succède le -vent d’ouest, au coucher du soleil) ne cesse -de soulever une poussière brûlante. Le 21, -à dix heures du matin, après avoir marché -toute la nuit sur un sable uni et complètement -aride, on dresse les tentes, et l’on -s’étend sur le sable. « Malgré toutes les -précautions que j’avais prises, dit le voyageur, -la chaleur fut si forte, ma soif si ardente -qu’il me fut impossible de dormir : -ma bouche était en feu et ma langue collée -à mon palais.</p> - -<p>« J’étais comme expirant sur le sable… -Je ne songeais qu’à l’eau, aux rivières, -aux ruisseaux. Dans mon impatience, je -maudissais mes compagnons, le pays, les -chameaux, que sais-je ! le soleil même qui -ne regagnait pas assez vite les bornes de -l’horizon.</p> - -<p>« L’endroit était d’une aridité affreuse ; -pas un seul petit brin d’herbe ne reposait -l’œil. Les chameaux, exténués de fatigue -et de jeûne, couchés près des tentes, la tête -entre les jambes, attendaient tranquillement -le signal du départ. Enfin il fut donné : à -quatre heures et demie, Sidi-Ali (le propriétaire -du chameau qui portait Abdallahi) -jeta quelques poignées de doknou dans -une grande calebasse, versa de l’eau dessus -et mêla le tout avec ses mains, en y plongeant -les bras jusqu’aux coudes : spectacle -repoussant pour tout autre que des affamés ; -car l’eau était si précieuse que le vieux Ali -n’avait pas lavé ses mains depuis plusieurs -jours. Quoique ce breuvage fût tiède et -fort sale, nous le bûmes à longs traits et -avec délices.</p> - -<p>« Après s’être désaltérés, les Maures visitèrent -leur bagage et les plaies de leurs -chameaux, faisant écouler le sang et le pus, -coupant les chairs mortes, couvrant les -chairs vives de sel pour empêcher la gangrène.</p> - -<p>« Quelquefois c’était en sortant de panser -ces plaies, que Sidi-Ali venait préparer notre -breuvage sans même se nettoyer les mains, -ou si, par hasard, il les lavait, il faisait -boire à un de ses noirs l’eau dont il s’était -servi. On ne peut pas s’imaginer l’horreur -et le dégoût que me causait le mépris de -cet homme pour ses semblables. »</p> - -<p>Le 22 mai, le vent d’est continue d’échauffer -l’atmosphère : la soif augmente -avec la chaleur, et l’eau diminue sensiblement. -Le vent dessèche les outres : l’eau -filtre à travers les pores. Abdallahi essaie -d’acheter quelques outres de plus ; mais les -outres n’ont plus de prix. Il se résigne à se -traîner, dans les haltes, d’une tente à l’autre, -et à mendier, le chapelet à la main, -quelques gouttes d’eau <i>pour l’amour de -Dieu</i>. Le moment était mal choisi ; le pauvre -mendiant augmentait, en pure perte, -sa soif et sa lassitude.</p> - -<p>Le 23, le vent d’est soulève des trombes -de sable qui, dans leur course, menacent -de balayer hommes et chameaux tous ensemble. -L’une de ces trombes fait tournoyer -les tentes, comme des brins de paille. Le -sable soulevé cache le ciel et le soleil, -comme un brouillard épais ; les gémissements -sourds et plaintifs des chameaux répondent -aux lamentations des noirs et aux -cris d’effroi des fidèles qui répètent de toutes -parts : <i>Allah il allah</i>, etc. (Dieu est Dieu, -et Mahomet est son Prophète.)</p> - -<p>« Tout le temps que dura cette affreuse -tempête, nous restâmes étendus sur le sol, -sans mouvement, mourant de soif, brûlés -par le sable et battus par le vent. Le calme -rétabli, nous nous disposâmes à partir ; on -prépara le doknou et l’on nous distribua à -boire. Pour savourer le plaisir que me promettait -ma portion d’eau, je mis la tête -dans ma calebasse ; je ne prenais pas même -le temps de respirer ; j’éprouvai aussitôt un -malaise général et presque la même soif. »</p> - -<p>Vers quatre heures, les chameaux, agitant -lentement le cou et ruminant, reprirent -tristement leur marche vers le nord, -sans que l’on eût besoin de leur montrer le -chemin, sur un terrain sablonneux, couvert -de roches de quatre à cinq pieds de hauteur.</p> - -<p>Les hommes, envoyés le 22, à la recherche -des puits, ne revenaient pas. Après une journée -perdue à les attendre, on fait route -de 24 vers quatre heures du soir, toujours -vers le nord, sur un sol plus uni que la -veille, mais également couvert de roches. -Cette nuit-là, pas un œil ne se ferme, et la -caravane marche en avant sans autre bruit -que le piétinement des chameaux : les conducteurs -eux-mêmes se taisent et se relaient -plus souvent que de coutume.</p> - -<p>Le 25, vers neuf heures du matin, on fait -halte dans une plaine de sable dur où croît -un peu d’herbe, aussitôt dévorée par les -chameaux. « Il ne restait plus qu’une outre -et demie d’eau pour onze bouches ; on devenait -de plus en plus économe. Après avoir -bu quelques gouttes d’eau, l’on s’étendit à -terre, en attendant les hommes envoyés à -la provision. Vers dix heures, ces malheureux -arrivèrent, à moitié morts de soif. » -Les puits tant cherchés, trouvés enfin et -déblayés, étaient à sec. « Pressés par une -soif ardente, ils s’étaient décidés à tuer un -chameau <i>pour se partager l’eau contenue -dans son estomac !</i></p> - -<p>« Vers quatre heures du soir, après avoir -bu le reste de notre eau, la caravane, plus -altérée que jamais, se remit en rente. Vers -neuf heures, on fit, comme à l’ordinaire, -halte pour la prière ; un Maure, qui nous -accompagnait, nous donna à chacun un -peu de son eau. La nuit comme les précédentes -fut très-chaude. »</p> - -<p>Enfin, le 26, après avoir marché toute la -matinée sur un sol dur, couvert de roches -rouges ou noires et feuilletées, après avoir -gravi une côte de trois à quatre cents pieds, -on descend dans un bas-fond de gros sable -jaune, entouré de montagnes roses. Là, -sont les puits de Télig, comblés par le sable. -« Les Maures se mirent aussitôt à les déblayer, -et, pour la première fois depuis -sept jours, l’on fit boire les pauvres chameaux -qui, sentant le voisinage de l’eau, -étaient indomptables. Quand on les chassait -à coups de cordes, ils couraient dans la -campagne et revenaient en ruminant s’accroupir -autour des puits et poser leur tête -sur le sable frais qu’on en retire. La première -eau fut très-noire et bourbeuse, et -malgré la quantité de sable qu’elle contenait -encore, les chameaux se la disputaient -avec acharnement. Ces puits dont l’eau est -très-abondante, mais saumâtre, n’ont pas -plus de trois à quatre pieds de profondeur.</p> - -<p>« Lorsque l’eau fut buvable, j’allai mettre -ma tête entre celles des chameaux, un -Maure me donna à boire dans son seau de -cuir, car on n’avait pas pris le temps de -déballer les calebasses. »</p> - -<p>Ce jour, véritable fête pour les chameaux, -est employé tout entier à les faire boire : -ils ne pouvaient se désaltérer et se disputaient -dans l’auge jusqu’à la dernière -goutte ; les Maures, occupés de leurs chameaux, -ne songeaient pas à dresser les -tentes ; le vent d’est qui soulevait des tourbillons -de poussière, et un soleil ardent, -sans abri, gâtent un peu les plaisirs de -cette journée ; toutefois l’abondance de -l’eau permet de faire cuire un peu de riz : -premier repas, depuis le 19 au soir.</p> - -<p>Les puits de Télig sont, au dire des -Maures, à quatre ou cinq heures de marche -(à l’est) des mines de Toudéni, d’où se tirent -les planches de sel qui s’importent de Tombouctou -à Jenné et ailleurs.</p> - -<p>Le 27, départ vers trois heures du soir ; -et deux heures après, halte sur une veine -de sable gris mouvant. Quelques pieds -d’herbages épineux soulagent un peu les -chameaux, qui n’ont presque rien mangé -depuis sept jours. Avant de quitter les puits, -on avait tué deux de ces animaux<a id="FNanchor_33" href="#Footnote_33" class="fnanchor">[33]</a> qui -ne pouvaient aller plus loin, et étaient près -de périr de fatigue. On distribua cette -viande à tous ceux qui en voulurent. Elle -servit pour le souper. Ali en fit bouillir -quelques morceaux, et dans le bouillon fit -cuire un peu de riz qui conserva le mauvais -goût du chameau. Quant à la viande, les -Maures la dévorèrent avec avidité et si -dure qu’elle fût, la trouvèrent excellente.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_33" href="#FNanchor_33"><span class="label">[33]</span></a> M. Caillié vit tuer ainsi quatre chameaux -avant d’arriver au Camp d’Ali.</p> -</div> -<p>La chaleur paraît plus supportable au -voyageur : la soif est désormais moins -pressante ; l’eau n’est plus aussi rare, les -puits sont plus rapprochés les uns des autres. -Le désert ne finit pas ici, mais ici -finissent ses plus terribles rigueurs.</p> - -<p>A mesure que la nature paraît s’humaniser -et s’adoucir, la cruauté des compagnons -d’Abdallahi se déploie plus à l’aise. -En même temps que le soleil et le vent -d’est deviennent plus traitables, la défiance -et la dureté de cœur de ces hommes augmentent : -ils tournent contre le chrétien -converti le peu de loisir et de gaîté que -leur laisse à présent leur position meilleure.</p> - -<p>L’exemple d’Ali les encourage. Ce propriétaire -de chameaux, dont les mains -sales et gercées pétrissaient et délayaient -si gracieusement la pâte de mil et de miel, -petit homme de quatre pieds, à la figure -ridée, aux yeux noirs et méchants, à la -bouche grande, au menton allongé, à la -barbe grise, n’était plus, au désert, l’humble -vieillard qui, les yeux baissés, le chapelet -à la main, les saintes invocations sur -les lèvres, avait séduit par ces dehors et -l’honnête <i>Sidi</i> de Tombouctou et son pieux -correspondant d’El-Arouan et notre Abdallahi, -promettant à tous d’avoir pour le pauvre -voyageur les tendres soins d’un père. -Que dis-je ? il abusait encore les autres compagnies -de la caravane, affectant de s’être -chargé du pauvre pèlerin par pure charité -musulmane, quand il avait reçu d’avance -de Sidi en bon et bel or, la valeur de cent -vingt francs, et d’en avoir tout le soin imaginable, -au moment même où il venait de -lui refuser l’eau commune à présent, et -qu’il ne refusait pas aux esclaves. Si le -voyageur buvait, Ali fredonnait le petit air -avec lequel il faisait boire ses chameaux. -Dans le langage d’Ali, Abdallahi et sa monture -n’avaient qu’un seul et même nom ; -dès qu’il avait prononcé le mot de <i>Gageba</i>, -les noirs, enhardis par la cruelle gaîté des -Arabes, dansaient autour de l’homme à qui -s’adressait ce nom de chameau, lui montrant -tour-à-tour le morceau de bois qu’ils -avaient ordre de lui passer au nez et la -branche d’épines qu’ils devaient lui mettre -dans les yeux. « Tu vois bien cet esclave, -lui disaient les Maures, eh bien ! je le préfère -à toi. » Puis esclave et maître, de ricaner -aux éclats.</p> - -<p>Il faut ajouter qu’Abdallahi mangeait à -part, depuis que ses compagnons de route -s’étaient aperçus avec horreur qu’il avait -eu le scorbut. Du reste, il n’avait pu parvenir -à enlever et faire sauter comme eux le -riz dans la main, à le pétrir rapidement en -petites boulettes, et le jeter, en humant, -dans la bouche. Les Arabes de Jenné entre -autres, lui voyant renverser à terre quelques -gouttes de bouillie de mil, s’en étaient -pris de cette maladresse aux chrétiens, qui, -disaient-ils, ne lui avaient pas même appris -à manger décemment. Les Arabes du désert -moins polis, ouvraient une bouche énorme, -y plongeaient les deux mains à la fois, avec -des grimaces hideuses, et criaient de toute -leur force : « Il ressemble à un chrétien. » — S’il -leur demandait de l’eau : « Donne-nous, -répondaient-ils, ton coussabe et ton -cadenas, et tu auras à boire. » Ce coussabe -(chemise de coton, présent de Sidi) et ce -cadenas étaient avec sa couverture de coton -et son sac de cuir, tout ce qui restait à -M. Caillié d’apparent. Sa seule ressource était -de dire à ces Maures que leurs fusils -venaient de France, — ou bien d’avoir recours -aux autres compagnies de la caravane. -Là, questionné à l’envi sur sa conversion, -sur sa fuite et surtout sur les ridicules -et les crimes des chrétiens, il voyait ses -réponses payées d’un peu d’eau, de mil et -de miel.</p> - -<p>Le 3 mai, puits de Cramès, à sec ; le -1<sup>er</sup> juin, entre plusieurs gros blocs de sel, -puits de Trasas, eau salée ; le 5, puits d’Amoul-Gragim, -eau bourbeuse et salée ; le 9, -puits d’Amoul-Taf, eau douce, mais peu -abondante : enfin le 12, les chameaux descendent -avec peine par un sentier étroit -dans un profond ravin entouré de roches -énormes : au fond de ce ravin, un joli bosquet -de dattiers ombrage une eau abondante, -fraîche et limpide. Il faut avoir marché -depuis le 4 mai sur un sable nu et brûlant, -pour savoir quelle volupté attend le -voyageur à ces puits d’El-Ekseif, et l’arrête.</p> - -<p>Le seul incident, depuis les puits de -Télig, est la visite de quelques gros serpents -qui inquiètent, à plusieurs reprises, -le sommeil des voyageurs. J’oublie une -alerte de la caravane, effrayée par quelques -chameaux aperçus dans le lointain : alerte -qui met tous les Maures en armes, et vaut -au pauvre Abdallahi l’aumône d’un peu -d’eau et d’un morceau de chameau bouilli -de la part de trois ou quatre Marabouts en -prière, restés seuls au camp avec les -esclaves.</p> - -<p>Le 27, après <i>quatorze</i> autres jours de -marche, de haltes et de départ à toute -heure du jour et de la nuit (quatorze jours -pendant lesquels la provision d’eau est renouvelée -quatre fois), un coup de fusil annonce -un homme envoyé par Ali qui avait -pris les devants, et porteur de lettres sur -l’état des marchés du Tafilet.</p> - -<p>Dans les défilés de hautes montagnes où -la caravane est engagée, le chameau qui -porte Abdallahi se prend de peur, fait un -écart et jette le voyageur, les reins sur le -gravier. Un Maure vint à son secours, le -prit dans ses bras et le soulagea beaucoup -en le serrant fortement contre sa poitrine. -Ce Maure, qui n’était pas de la société d’Ali, -le remit lui-même sur le chameau, qu’il fit -coucher pour cela. J’omets les souffrances et -les avanies que cette terrible chute occasionne -au voyageur resté seul sur sa monture, -dans les passages escarpés de l’Atlas.</p> - -<p>Le 29, rencontre des femmes et des enfants -des Maures, accourus du camp d’El-Harib -au-devant de leur mari, de leur père : -scène de joie et de caresses, qui réconcilie -un moment le voyageur avec ses odieux -compagnons de voyage. — A 9 heures, -arrivée aux douze ou quinze tentes d’Ali -et de sa famille : un de ses fils emprunte à -M. Caillié sa couverture de coton pour -faire meilleure figure à son retour auprès -de ses parents et de ses connaissances.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch10">EL-HARIB.</h2> - - -<p>Le séjour de M. Caillié au camp d’Ali -n’est pas des plus agréables. Le voyageur, -à part quelques bons morceaux de mouton -cuit à point sous des pierres chaudes, est -astreint par son avare guide à un régime -de mil bouilli et de dattes aussi dures que -le fer. Pour échapper aux douleurs que ces -dattes lui causent et aux plaies dont elles -menacent son palais, il mendie d’une tente -à l’autre quelques gouttes de lait de chameau. -Il est réduit à chercher, contre les -incroyables vexations des fils et des filles -d’Ali, un refuge sous la tente d’un pauvre -vieux forgeron, dont la vieille mère le prend -en pitié : ce vieux forgeron avait fait le -voyage de la Mecque et était très-vénéré -pour cela.</p> - -<p>Par bonheur, la réputation de ses médicaments, -tout en lui attirant d’assez fâcheuses -corvées, contribue aussi à lui redonner -un peu d’importance.</p> - -<p>Un exemple vous donnera une idée des -connaissances médicales d’El-Harib : c’est -celui d’un saint-docteur musulman auquel -M. Caillié, pour faire diversion à ses maux, -se fait un devoir de rendre visite à une -lieue de là. Il le trouve entouré de vieillards -et de la foule d’infirmes et de malades, -accourue de tous côtés. Pour tout remède, -le saint homme posait gravement la main -sur la partie malade, puis la frottait doucement -en marmotant une prière. — Cet -homme n’avait pour tout bien que la connaissance -du Coran ; mais, ajoute le voyageur, -en Afrique, cette connaissance vaut -une métairie. Elle lui attirait de toutes -parts des étoffes pour ses habits et ses tentes ; -il ne manquait ni de monture, ni d’orge -pour sa nourriture et celle de ses amis. Il -recevait tout cela en échange de ses écritures, -dont la puissance magique arrêtait, -disait-on, les maladies présentes, préservait -des maladies à venir, éloignait les voleurs.</p> - -<p>Arrivé le 29 juin, M. Caillié repart le -12 juillet à cinq heures du matin, sans -autre déjeuner qu’un peu de lait acheté -avec un grain de verre de son chapelet : -escorté par les <i>Berbers</i>, sans lesquels on ne -peut faire un pas en sûreté dans ces dépendances -de l’empire de Maroc.</p> - -<p>Le 23 juillet, après avoir traversé de magnifiques -forêts de dattiers qui recouvrent -des récoltes d’orge, de froment, de légumes ; -après avoir senti les dents des chiens qui -défendent l’approche des tentes des Berbers, -avoir visité par distraction la petite ville de -Mimeina, et marché plus d’une semaine au -milieu de bergers montagnards ; bien reçu -par les uns, mal mené par les autres, dévotieusement -rasé par Ali lui-même, protégé -du reste contre cet homme par la présence -de deux religieux arabes que le vieil avare -nourrit, héberge et voiture, et auxquels il -serait bien fâché de paraître mauvais musulman ; -Abdallahi arrive enfin à Ghourland, -chef-lieu du Tafilet. Pendant que la foule -des Maures et des Juifs, sales et mal vêtus, -entoure le bagage de la caravane, lui, prend -sur son épaule son sac de cuir, et suit son -guide chez le chef de la ville.</p> - -<p>Le temps qu’il reste en cette ville, il -prend humblement à la porte de ce chef, ses -rares et maigres repas, composés de bouillie -d’orge, de quelques onces de pain et des -dattes : en un mot, la nourriture des esclaves. -Cependant un Maure, qui sait les trois -premières règles de l’arithmétique, qui possède -une montre et aussi une boussole (laquelle, -selon M. Caillié, aurait appartenu -au major Laing) — prend en amitié le dévot -égyptien, et lui fait oublier quelquefois ses -peines ; il lui parle des connaissances européennes -qu’il admire, tout en abhorrant les -<i>chrétiens</i> (non sur la parole d’autrui, mais -pour les avoir vus de près au cap Mojador -et à Maroc). Il lui dit, un jour, qu’il était à -Tripoli, au moment où Bonaparte était en -Égypte, et lui demanda son âge. Couvert -de haillons, noirci par le soleil et malade, -M. Caillié lui persuada sans peine qu’il -avait trente-quatre ans.</p> - -<p>La seule maison où le voyageur soit -admis est celle d’un Juif qui lui change une -pièce anglaise de vingt-quatre sous. Ici -commence l’emprisonnement des femmes ; -elles ne sortent qu’enveloppées de la tête -aux pieds.</p> - -<p>Le 2 août, après bien des démarches -vaines auprès du Bacha, après avoir vendu -sa dernière chemise au marché, le voyageur -se remet en route, sur un âne, à quatre -heures du soir. Le caravane d’ânes et -de mulets, dont sa monture fait partie, est -honorée de la présence de quelques marchands -de dattes de la race de Mahomet, -Chérifs devant lesquels les musulmans et -les Juifs même ne passent pas sans ôter et -prendre à leurs mains leurs sandales, avec -une inclinaison respectueuse. Abdallahi, -dans ce trajet, vit le plus souvent de leurs -restes. Une autre bonne fortune est celle -qui lui donne pour compagnon de route un -favori de l’empereur, lequel escorte sa -femme dérobée aux regards sous un pavillon -d’écarlate, et voyage avec assez de -libéralité.</p> - -<p>Du reste, le voyageur n’est pas heureux -dans les épreuves auxquelles il met la charité -et la patience des musulmans, soit qu’il -quête, le chapelet à la main, des dattes par -les villes et villages : soit qu’il fatigue de -sa toux opiniâtre les voyageurs couchés -comme lui à terre, à la porte des églises -musulmanes.</p> - -<p>A cela près, les jardins fruitiers, entourés -de murs ou de fossés, qui bordent la -route, délassent délicieusement ses yeux, -auxquels sont encore tout présents les plaines -arides qu’il vient de traverser. Les -figuiers, les poiriers, les abricotiers, les raisins -et les roses lui feraient prendre le Tafilet -pour le paradis terrestre, si les hautes et -nombreuses montagnes qui barrent le passage -à l’horizon, ne lui annonçaient que ses -fatigues ne sont pas terminées, et qu’à -défaut de force, il va lui falloir du courage -encore.</p> - -<p>La 11 août, ânes, mulets et hommes, -également épuisés, arrivent à Soforo, petite -ville murée comme les autres, dans une -belle plaine de maïs et d’oliviers. Ce que -M. Caillié y vit de plus remarquable, ce -sont deux moulins à eau et, à la tour de la -mosquée, une mauvaise horloge. Il avait -troqué la veille, contre de l’eau et un petit -gâteau de froment à l’anis, sa dernière emplâtre -de diachylon, pour le mal de pied -d’un Chérif.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch11">FEZ ET MÉQUINAZ.</h2> - - -<p>Le 12 août vers midi, il entre à Fez avec -les Juifs qui se rendaient au marché en -grand nombre. Les deux jours que le voyageur -passe en cette ville (la plus belle, dit-il, -qu’il ait vue en Afrique), il couche à -l’écurie, seule hôtellerie des étrangers, à -côté des ânes et des mulets, et va prendre -ses repas à la mosquée.</p> - -<p>Sans nous arrêter davantage à Fez, prenons -le chemin de Méquinaz, où M. Caillié -se rend sous prétexte de parler à l’empereur. -Partis le matin à sept heures (14 août), -nous arrivons à cinq heures du soir, en -compagnie de deux Mauresses à demi voilées, -très-blanches et très-rieuses. M. Caillié -en avait une en croupe sur sa mule. La -journée avait été assez gaie : le pauvre -cavalier avait vu ses soins payés d’une -tranche de melon et d’un morceau de pain.</p> - -<p>Repoussé de l’écurie sur la paille de -laquelle il demande la permission de s’étendre, -enviant son gîte à la mule qui l’avait -porté, le voyageur s’était établi pour sa -nuit dans la maison de Dieu ; étendu à -terre, il commençait à goûter du repos, -quand le portier du saint lieu vint le pousser -rudement du pied et lui crier d’une -voix rauque de se lever et de sortir ; prenant -son sac de cuir, il sortit sans savoir -où poser sa tête. Il pensa tristement aux -pièces d’argent et aux quatre boucles d’or -de Bouré qui lui restaient, et qu’il était -obligé de cacher. Il était si faible qu’à la -vue de tant d’humiliations et de fatigues, -il ne put retenir ses larmes. Un marchand -de légumes lui permit à grand’peine de -s’abriter sous sa boutique : mais le froid ne -le laissa pas dormir.</p> - -<p>Le lendemain matin, M. Caillié, son sac -sur le dos, se dirige à pied vers <i>Rabat</i><a id="FNanchor_34" href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a> ; -mais ses jambes refusent de le porter, il -revient à Méquinaz. Cette fois, un bon barbier -lui donne hospitalité. Le 16, il repart, -sur un âne : si faible qu’il ne peut y monter -seul. Le 17, halte, vers midi, au milieu -d’un camp militaire, qu’il quitte le 18, à -trois heures du matin ; le même jour, nous -arrivons à Rabat.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_34" href="#FNanchor_34"><span class="label">[34]</span></a> Ou <i>Arbate</i>.</p> -</div> -<p>Les Maures, à qui le voyageur présente -quelques pièces anglaises à changer, le -renvoient aux chrétiens, et lui indiquent le -<i>Consul</i> de France : « Je frappai à la porte, -et le cœur me battit, en pensant que j’allais -voir un Français. »</p> - -<p>Le consul où plutôt l’<i>agent consulaire</i> -pour la France, à Rabat, était un Juif. Ce -Juif fait subir un interrogatoire au voyageur, -lui donne quelques sous sur ses pièces -anglaises, lui recommande la prudence, -et l’envoie dîner dans la rue et coucher à -l’écurie. Mais, la prudence elle-même interdit -ce gîte à M. Caillié. Les chiens qui -font la nuit la police de la ville, le forcent -d’aller chercher le repos dans un cimetière -au bord de la mer. Ses repas consistaient -en pain et raisin : quelquefois, ajoute-t-il, -je me permettais d’acheter un morceau de -poisson frit.</p> - -<p>M. Caillié avait vu avec douleur un brick -portugais partir pour Gibraltar, sans avoir -pu obtenir de l’agent consulaire la faveur -d’y être embarqué. Le 2 septembre, après -quinze jours de ce fatigant vagabondage et -de vaine attente, M. Caillié écrit au vice-consul -de France à Tanger, et, pouvant à -peine se tenir, se met lui-même en route -pour cette ville. L’âne qui le porte enfonce -jusqu’aux jarrets dans un sable mouvant, -le long de la mer, et l’oblige à descendre. -Dans une halte, le voyageur, enveloppé de -sa vieille couverture, essuie un violent accès -de fièvre.</p> - -<p>A Larache, il voit deux bâtiments français -en croisière. Cette vue lui donne des forces. -« Les montagnes, qui avoisinent -<span class="sc">Tanger</span>, me furent, dit-il, bien pénibles à -gravir. Enfin, malade et exténué de fatigues, -j’atteignis cette ville le 7 septembre -à la nuit tombante. »</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch12">TANGER.</h2> - - -<p>« Comme j’entrais à pied, la sentinelle ne -me dit rien, ce qui m’évite une explication -avec le gouverneur.</p> - -<p>« Je déposai mon sac à l’écurie, et dès le -même soir, je courus dans la ville pour -découvrir le consulat de France. Je vis -plusieurs mâts de pavillon : l’obscurité -m’empêcha de reconnaître le nôtre. Je -n’osais m’adresser aux musulmans. Je passai -à l’écurie une nuit bien agitée…</p> - -<p>« Rendu, le lendemain, dans la rue où -j’avais vu les mâts de pavillon, j’aperçus -une porte ouverte. Un <i>chrétien</i> était auprès ; -après avoir regardé autour de moi, -je lui demandai, en anglais, la résidence -du consul britannique : « Vous y êtes, » -répondit-il ; je voulus entrer ; mais cet -homme s’y opposa en me repoussant avec -horreur, tant j’étais sale et défiguré. Je lui -demandai la demeure de notre consul : il -me répondit brusquement : <i>Il est mort.</i> Mais -un Juif qu’il appela m’enseigna la porte du -vice-consul, et d’un air curieux me demanda -qui j’étais et ce que je voulais à un <i>chrétien</i>. -Sans lui répondre je m’éloignai un peu… -Je retournai, quelques minutes après, à la -porte du vice-consul, et, comme elle était -entr’ouverte, j’y entrai : une femme juive -appela M. <i>Delaporte</i> qui me reçut avec empressement, -et me fit monter dans un appartement -où je ne pouvais être aperçu de -personne… Dans son transport, il alla jusqu’à -m’embrasser et à me serrer dans ses -bras, sans répugnance pour ma personne -ni pour les sales lambeaux dont j’étais couvert. -Enfin, je ne saurais trop parler de la -réception que me fit cet homme généreux. »</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch13">RETOUR.</h2> - - -<p>Le voyageur ne passe plus qu’une seule -nuit à l’écurie, et rentre au consulat par -une porte de derrière : M. Delaporte obtient<a id="FNanchor_35" href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a> -du commandant de la station navale -française, à Cadix, une goëlette sur -laquelle, le 28 septembre, notre compatriote -s’embarque pour Toulon, déguisé en -matelot.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_35" href="#FNanchor_35"><span class="label">[35]</span></a> « M. Caillié s’est présenté à moi sous le costume -d’un derviche mendiant, costume qu’il ne -démentait pas, je vous assure. Il a simulé pendant -son voyage le culte mahométan. Si les Maures le -soupçonnaient chez moi ou au consulat, ce serait -un homme perdu ; je réclame donc de votre humanité, -de votre amour, de votre admiration pour les -grandes entreprises, de m’aider à sauver cet intrépide -voyageur, en m’envoyant un des bâtiments -sous vos ordres. »</p> - -<p><i>Lettre de M. Delaporte au commandant de la station -française, à Cadix.</i></p> -</div> -<p>Dix jours après, Abdallahi revoyait la -France. La Société de Géographie, sur les -bienveillantes sollicitations de M. Delaporte -et de M. Jomard, tendait la main au -voyageur : une avance de <i>cinq cents francs</i> -lui annonçait à Toulon la réception qui -l’attendait à Paris. Une indemnité provisoire -de trois mille francs et la croix de la Légion-d’Honneur -vint, au bout de quelques semaines, -le rassurer sur les dispositions du gouvernement -à son égard. Le 5 décembre 1828, -le <span class="xsmall">PRIX</span> <i>de Tombouctou</i> lui fut adjugé, en -séance générale.</p> - -<p>Pendant que le voyageur arrive au port -et s’y repose, les choses qu’il a vues sur son -chemin continuent d’être les mêmes. Sur -le sol d’Afrique, le bien et le mal sont également -vivaces : comme les nuages qui -s’abattent six mois de suite sur les montagnes, -comme les rivières qui inondent périodiquement -les plaines, comme le vent -d’est qui embrase sans interruption le désert ; -hommes et femmes, enfants et vieillards -parcourent là constamment le même -cercle d’habitudes uniformes. Toujours -même costume, même lit et même table ; -mêmes huttes enfumées, même musique et -mêmes danses. Aujourd’hui, comme il y a -cinquante ans, les noirs voyageurs de Cambaya -et de Kankan sautent de roche en -roche au bord des précipices leur long bâton -à la main et leur longue corbeille de -sel sur la tête. Ceux de Timé, que leur -attirail de sonnettes annonce, barbotent -dans les mêmes marécages avec leurs énormes -charges de noix de colats, qu’ils portent -si loin, avec tant de peine et si peu de -lucre ; les bateaux de Jenné se traînent -lentement sur le fleuve, au gré du vent ou -du calme, arrêtés tant de fois par les bancs -de sable ou les douaniers armés du rivage ; -et, sur cette terrible plaine de sable, Arabes -au visage couvert, noirs esclaves et -chameaux, cheminent toujours, haletant, -sous le soleil et par les chaudes bouffées du -vent d’est, après une gorgée d’eau tiède, -salée ou bourbeuse. Tout cela n’est pas un -roman, mais de l’histoire. Non pas de l’histoire -ancienne, mais de l’histoire actuelle -et vivante.</p> - -<p>Si nous entreprenions aujourd’hui de -parcourir le même itinéraire que M. Caillié, -nous retrouverions sans doute à chaque pas -les mêmes types d’hôtes, de guides, de marchands -exerçant le même négoce si pénible -et si peu fructueux : l’économe <i>Ibrahim</i>, le -vieux fourbe <i>Lamfia</i>, l’honnête, le généreux -<i>Arafanba</i>, <i>Karamo-Osila</i> de Timé, le -vieux tartufe <i>Ali</i>. Le pauvre vieux maître -d’école de Cambaya, le pauvre vieux Maure -de Kankan, la vieille négresse de Timé, le -Chérif de Jenné, le grave et libéral Sidi-Abdallahi -de Temboctou, le pauvre vieux -forgeron d’El-Harib, le bon barbier de Méquinaz -et tant d’autres que j’oublie.</p> - -<p>Si donc nous nous retournions pour embrasser -d’un coup-d’œil et dans toute sa -longueur la route où nous n’avons jusqu’ici -cheminé que pas à pas, voyant peu de chose -à la fois devant nous et presque rien sur les -côtés, le spectacle qui s’offrirait à nous ne -serait pas d’un autre temps, ce serait la -réalité même que le soleil éclaire à l’heure -qu’il nous éclaire, à cela près qu’il s’élève, -là-bas, plus haut au-dessus de l’horizon.</p> - -<p>Cette revue, pour être complète, devrait -suivre la distribution (sur cette longue -ligne) des terrains, des produits minéralogiques, -des arbres et des plantes, des diverses -cultures, des divers ordres d’animaux -domestiques et sauvages.</p> - -<p>Arrêtons-nous seulement à considérer les -différents peuples que nous venons de visiter. -Les différences, qui se présentent d’abord, -sont celles de la couleur de la peau : -le teint noir, marron ou bronzé ; les cheveux -crépus et les cheveux lisses. — Après -cela, la classification la plus naturelle est -celle des peuples gais et des peuples sérieux : -de ceux qui ont un système de croyances -bien arrêté, un lieu commun de pratiques -journalières ou annuelles, un but pareil -en cette vie et en l’autre, une seule et -même ambition, une seule et même loi et -de ceux qui n’ont rien de tel. Sur toute -cette ligne, la religion de ceux qui en ont -une, est la musulmane ; la juive ne commence -à se montrer que dans l’empire de -Maroc. Encore ceux qui n’ont pas de religion -constituée, reçoivent avec le plus grand -respect tout ce qui leur vient de la musulmane. -Musulmans et autres, noirs marrons -ou bronzés, tous ils s’accordent dans leur -croyance au pouvoir magique de l’écriture -(de l’écriture arabe, la seule qu’ils connaissent) ; -à la puissance miraculeuse des formules -coraniques.</p> - -<p>Du reste, parmi les <i>Fidèles</i>, nul doute -sur la mission du Prophète, sur la divine -origine du Saint-Livre, sur l’autre vie, le -paradis et l’enfer. La dévotion est là bien -souvent tout en mouvements automatiques -des bras et des lèvres, mais la foi est aussi -profonde qu’aveugle. Ils s’arrêtent devant -une bouchée de porc, devant une goutte de -bière ou d’eau-de-vie, comme devant le -précipice qu’ils voient de leurs yeux. Chacun -croit de sa religion ce qu’il en sait et -tout ce qu’il en sait, plutôt plus que moins. -Ils n’en discutent ou n’en démontrent pas -plus la vérité qu’ils ne discutent ou démontrent -la présence du soleil à l’heure de midi, et -son influence bienfaisante ou terrible.</p> - -<p>Cette religion n’est pas de nature à les -animer d’un zèle bien vif pour l’exploitation -de notre planète et l’amélioration du -sort des hommes dans leur terrestre séjour.</p> - -<p>Dans ces régions, l’industrie, qui satisfait -bien juste aux besoins les plus pressants, -est presque entièrement abandonnée -aux esclaves<a id="FNanchor_36" href="#Footnote_36" class="fnanchor">[36]</a>, et ne s’exerce que sur les -produits qui s’offrent pour ainsi dire d’eux-mêmes. -Le minerai de fer qui se ramasse -en beaucoup d’endroits à fleur de terre, l’or -qui, principalement autour de Bourré, invite -au lavage du sable, le sel qui se voit -par bloc dans le désert, la glaise qui fournit -les briques et les poteries, — telles sont les -seules ressources empruntées directement -au sol même.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_36" href="#FNanchor_36"><span class="label">[36]</span></a> Notamment l’agriculture, laquelle n’emploie -qu’un seul outil, pioche à manche incliné.</p> -</div> -<p>Les autres opérations (tannage, tissage, -fabrication de savon, etc.) sont celles que -la culture grossière du pays ou la garde des -troupeaux indiquent dès l’abord, ou bien -sont venues à la suite des conquêtes musulmanes.</p> - -<p>Quant aux productions de l’industrie -européenne, de l’industrie anglaise surtout, -elles arrivent là sans éveiller la moindre -émulation. Il y a trop d’intermédiaires inconnus -entre une simple aiguille telle -qu’elle sort de nos fabriques et le morceau -de fer d’où les Africains savent que nos ouvriers -la tirent. A Timé, un des fils de son -hôtesse, montrant à M. Caillié un morceau -d’étoffe de couleur, donné par le voyageur -à la bonne vieille, lui demanda qui avait -fait ces fleurs sur l’étoffe. Apprenant que -c’étaient les blancs, il reprit en conservant -son sérieux : « qu’il croyait qu’il n’y avait -que Dieu qui pût faire d’aussi belles choses. » — Il -ne leur vient pas à l’idée de -rivaliser avec les blancs.</p> - -<p>Tous, ils aspirent à se donner le moins de -mouvement possible, non pas, comme les -européens en faisant faire leur ouvrage à -l’air, à l’eau, à la vapeur : mais en augmentant -le nombre des machines humaines qui -manœuvrent pour eux, à leur commandement.</p> - -<p>La seule activité est l’activité commerciale. -Et ici encore, malgré les fatigues de -la marche et le poids des fardeaux, aucune -idée d’amélioration ne se fait jour. Il n’est -pas question de chemins. Quant aux rivières, -elles se passent le plus souvent à gué ; -c’est grand hasard, si quelques ponts chancelants -dispensent parfois de ces dangereuses -traversées. Les transports sont lents et -pénibles, sur la tête des hommes et des -femmes, ou tout au plus à dos d’ânes, de -mulets où de bœufs à bosse, ou, dans le -désert, de chameaux. Le cheval paraît -réservé pour la selle. Quant à la navigation -sur le fleuve, il suffit de nous rappeler -qu’elle est, comme l’agriculture, stationnaire -et par la même raison.</p> - -<p>Nulle idée du mieux, nulle recherche, -nulle invention : aucune initiative de réforme ; -aucune direction scientifique et -utilitaire ; règne absolu des habitudes anciennes ; -règne absolu des <i>vieillards</i> qui -les représentent, et par qui la chaîne des -traditions est tenue entre les générations -mortes et les générations naissantes.</p> - -<p>Hommes et femmes, enfants et vieillards -ont, à l’avance, chacun leur rôle, et le -répètent tel que l’ont dit leur père et leur -mère, tel que le répéteront leurs fils et leurs -filles. Les choses sont, pensent-ils, pour -être comme elles sont ; et de fait, elles sont -comme elles ont été. Tel homme ou telle -femme sont nés pour être menés au marché -et criés à l’enchère, quand tel autre homme -où telle autre femme ont besoin de <i>faire de -l’argent</i>, — ou bien pour être donné en -<i>indemnité</i>, en <i>paiement de bail</i>, en <i>dot</i>. -Tout cela leur paraît invariablement arrêté -pour jamais, comme le cours de la lune par -lequel ils comptent les mois et les années. -Il en est de même de l’assujétissement de -la femme à l’homme.</p> - -<p>Leurs courses commerciales leur montrent -partout mêmes couleurs de peau et -mêmes coutumes religieuses ou civiles, ne -portent pas à leurs illusions la moindre -atteinte : enchantés de leur pays, ils supposent -que nous autres blancs, nous habitons, -tous sous un même chef, quelques misérables -îles au milieu de la mer<a id="FNanchor_37" href="#Footnote_37" class="fnanchor">[37]</a>, et que -nous aspirons à nous emparer de leurs belles -campagnes. Pour eux, non pas seulement -l’Amérique, mais l’Europe elle-même -est encore à découvrir.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_37" href="#FNanchor_37"><span class="label">[37]</span></a> Cette idée provient sans doute de leurs relations -avec les Anglais de la côte.</p> -</div> -<p>— Quant au voyageur, nous savions d’avance -que son récit ne répondrait le plus -souvent aux questions des savants que par -des renseignements vagues ; s’il cite des -champs de fleurs blanches, le botaniste -voudrait qu’il en décrivît les étamines et le -pistil, qu’il en déterminât le genre et l’espèce ; -s’il rencontre à plusieurs reprises des -pierres auxquelles il suppose une origine -volcanique, le minéralogiste voudrait savoir -si ce sont des trachites ou des basaltes, -etc. Ces questions ont leurs conséquences. -M. Caillié note avec le plus grand soin la -nature du terrain tel qu’il croit pouvoir la -déterminer à la simple vue. Mais on sait -que, pour ces sortes d’observations, il ne -suffit pas toujours de voir, il faut toucher, -et toucher avec les pierres de touche que -les découvertes chimiques mettent aux -mains des observateurs. Il en est de même -des autres remarques d’histoire naturelle, -de géologie, de pathologie, comme aussi -de langues et de mœurs. M. Caillié n’est ni -linguiste, ni moraliste, ni naturaliste, ni -chimiste, ni géologue, ni médecin. Toutefois, -c’est un courageux éclaireur qui a -dénoncé à l’attention de l’Europe des peuples -et des pays oubliés. Son exemple trouvera -et a trouvé déjà des imitateurs.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch14">LA CHASSE AU LION.</h2> - - -<p>Le plus bel animal de la création, à mon -avis, c’est le lion. Il est l’image de la force -intellectuelle chez la bête, de l’audace et du -raisonnement : de la force, parce que nul -mieux que lui ne peut résister à tous les quadrupèdes ; -de l’audace, parce qu’il est doué -de cette qualité au suprême degré ; et enfin -du raisonnement, parce qu’il sait être généreux -ou cruel, suivant l’occasion.</p> - -<p>De toutes les ménageries connues, de toutes -les cages des jardins zoologiques du -monde, le plus beau spécimen de lion qui -ait jamais existé depuis vingt ans était et -est encore, sans contredit, le lion Brutus, -appartenant au dompteur Peson, que tout -Paris a vu et admiré. Ce monstrueux animal, -qui eût pu, d’un coup de griffe, arracher -la poitrine de celui qui le cravachait à -certains moments de la représentation belluaire, -se contentait de hausser la crinière -et de cligner de l’œil, preuve évidente qu’il -dédaignait ce sentiment qu’on appelle la -vengeance.</p> - -<p>Le roi des animaux a, comme qualité inhérente -à son espèce, l’affection la plus cordiale -pour sa famille et pour ses enfants, -mais je n’en dirai pas autant de sa compagne, -qui assiste bien souvent, placide et -impassible, à un combat entre son « époux » -et un rival préféré.</p> - -<p>La race léonine tend à disparaître comme -celle de tous les carnassiers dangereux. -Nous sommes loin de l’époque où cinq -cents lions étaient introduits à la fois dans -l’amphithéâtre-cirque de Rome, — lors de -l’inauguration du second consulat de Pompée, -pour y être massacrés par les belluaires -ou déchirés par leurs congénères. C’est -Pline qui affirme le fait : on doit le croire.</p> - -<p>Les lions africains sont les seuls connus, -car c’est seulement sur le sol torride de cette -partie du monde que naissent et grandissent -les rois des animaux. Les voyageurs dans -l’Afrique australe ont publié de nombreuses -descriptions de leurs chasses aux lions. Anderson, -Gordon Cumming, Jules Gérard, -Bombonnel, Chassaing, Chéret, Livingstone -ont tous été les héros de ces chasses excentriques -qui demandent de l’audace et encore -de l’audace. Les récits de ces « entreprises -aventureuses » ont été publiés dans des volumes -qui, à eux seuls, forment des bibliothèques. -Je ne raconterai pas ce que l’on -peut trouver dans les livres de ces voyageurs -émérites. Je crois plus opportun de -donner ici de l’inédit et je trouve cet élément -de succès dans la correspondance -d’un de mes amis — un héros inconnu — qui -a voyagé dans l’Afrique australe et a -rapporté de ces excursions lointaines des -documents à l’aide desquels on peut intéresser -le public le plus blasé.</p> - -<p>« La première fois que le rugissement du -lion frappa mon oreille, je fus saisi d’une -terreur insurmontable. J’étais couché sous -ma tente de voyage et je me levai d’un -bond pour mieux écouter au dehors.</p> - -<p>» Je ne m’étais pas trompé : c’était bien -le cri rauque du roi des animaux. Le quadrupède -ne devait pas être à plus d’un mille -de notre campement. Je compris que le -carnassier avait senti les émanations de -nos chevaux et des bœufs destinés à traîner -les chariots sur lesquels se trouvait notre -bagage. Il fallait se mettre en état de défense, -et j’ordonnai à mon guide boschiman -de prendre les précautions nécessaires. Il se -hâta de faire resserrer le cercle formé par -les véhicules, au centre desquels il ramena -les moutons et les bêtes de trait. Cela fait, -nous attendîmes, perchés sur les chariots, -l’approche du ou des carnassiers, car il -nous semblait que les ennemis de notre -repos étaient en nombre.</p> - -<p>» Les rugissements léonins se rapprochèrent -de plus en plus ; à un moment -donné, cependant, le silence se fit. C’était -une menace imminente : le danger était -devant nous. Mais où le voir, où le deviner ? -La nuit était obscure, quoique parfois la -lune se montrât à travers les nuages. Pendant -une de ces « éclaircies, » un natif -placé près de moi pour me passer mes armes -de chasse et les charger au besoin me -poussa le coude et me dit dans son langage :</p> - -<p>» — Là ! derrière cet arbre touffu, à droite, -il est là. C’est un <i>mangeur d’hommes</i>. »</p> - -<p>» Je regardai : en effet, un énorme lion, -rampant à travers les jungles, s’avançait -dans notre direction. Un rugissement épouvantable -retentit de nouveau, qui me fit -frémir de la tête aux pieds.</p> - -<p>» Je distinguai aussitôt les cris de deux -de mes Boschimen, et un instant après l’un -d’eux, nommé Raft, arriva en courant près -de moi, sans pouvoir prononcer une parole, -tant sa terreur était grande. Ses yeux sortaient -de leurs orbites. Enfin il s’écria :</p> - -<p>» — Le lion ! le lion ! Il a emporté Tato -et l’a enlevé près du feu, à mes côtés. J’ai -frappé à la tête le terrible animal avec un -tison enflammé, mais il n’a pas voulu lâcher -sa proie. Tato est mort ! Grand Dieu ! -Tato est bien mort ! Courons à la recherche -de son cadavre. »</p> - -<p>« En entendant ces paroles, tous mes -hommes se ruèrent vers le feu et s’emparèrent -de brandons enflammés.</p> - -<p>» Je ne pus m’empêcher d’exprimer ma -colère en les voyant agir de la sorte, et je -leur dis que le lion ferait d’autres victimes -s’ils ne se tenaient pas tranquilles. Ne fallait-il -pas prendre des mesures de prudence ? -Ils comprirent ce raisonnement et se rangèrent -autour de moi pour écouter mes conseils.</p> - -<p>» Je fis d’abord lâcher mes chiens, qui tiraient -sur leurs chaînes et voulaient s’élancer -hors du campement ; mais ceux-ci, au -lieu de se jeter à droite, vers l’endroit où -s’était réfugié le lion assassin, se précipitèrent -à gauche, sur une autre piste.</p> - -<p>» Nous entendions les chiens aboyer -avec force, tandis que, de temps à autre, -les rugissements de l’animal frappaient nos -oreilles. Parfois le lion s’élançait vers eux -et les <i lang="en" xml:lang="en">hounds</i> revenaient vers nos chariots.</p> - -<p>» Cela dura jusqu’au jour. Dès que le -crépuscule nous permit de voir à quelques -pas devant nous, tous les Boschimen armés -de fusils s’avancèrent par mes ordres à -droite, à quatre mètres de distance les uns -des autres. Je m’étais placé au milieu et je -formais la pointe du triangle.</p> - -<p>» Nous parvînmes ainsi près d’un ravin -où le lion avait traîné l’infortuné Tato. -L’un de mes hommes avait trouvé la jambe -de ce brave camarade, coupée au-dessus du -genou. Le soulier était encore au pied. -L’herbe et le buisson étaient couverts de -sang et les fragments des habits de Tato -épars çà et là.</p> - -<p>» Le lion avait traîné le cadavre de notre -compagnon à environ six cents mètres de -notre camp, le long du courant d’eau, au -milieu d’un taillis de roseaux et d’arbres -morts emportés par les inondations.</p> - -<p>» A des foulées nombreuses, je compris -que le carnassier n’était pas loin de nous. -Les chiens débouchés s’élancèrent en avant -et nous les suivîmes, le doigt sur la détente -de nos carabines.</p> - -<p>» Tout à coup nous nous trouvâmes au -milieu d’une sorte de clairière à l’extrémité -de laquelle, adossé contre l’angle d’une -souche déracinée, était un énorme lion -tenant sous une de ses pattes les restes informes -du malheureux Tato et frappant ses -flancs avec sa queue, dans le paroxysme de -la fureur, — <i lang="la" xml:lang="la">quærens quem devoret</i>.</p> - -<p>» En apercevant l’animal féroce, mon -sang bouillonnait de rage, mes dents claquaient, -mais j’étais cependant maître de -moi. Je me sentais prêt à répondre à l’attaque -du carnassier s’il s’élançait sur moi.</p> - -<p>» — Tu vas mourir, mon vieux lion ! » lui -disais-je <i lang="it" xml:lang="it">in petto</i>.</p> - -<p>» Et j’épaulai l’animal.</p> - -<p>» Une seconde après, j’avais fait feu et -une balle traversait l’épaule du meurtrier -de Tato.</p> - -<p>» Il tomba sous le coup, puis se releva. -Je l’achevai en lui logeant une seconde -balle en plein crâne.</p> - -<p>» Lorsque nous pûmes prudemment approcher -de ce splendide animal, nous reculâmes -d’horreur. Le ventre du pauvre Tato -était ouvert et ses entrailles sortaient toutes -sanglantes. La tête détachée du tronc gisait -à trois pas du corps : le bras droit était dévoré -et l’épaule déchiquetée comme avec un -râteau.</p> - -<p>» Le lion fut dépouillé par mes Boschimen, -et sa peau fut emportée au campement, -tandis que les amis de Tato creusaient une -fosse pour l’y enterrer. Au milieu du deuil -que causa la mort du serviteur fidèle, on -éprouva cependant la joie de voir sa fin terrible -vengée par le chef blanc, et tous les -Boschimen me baisèrent la main en signe -de respect. »</p> - -<p>Ce récit émouvant n’est pas le seul que -nous puissions raconter à nos lecteurs.</p> - -<p>» Un jour, raconte le même auteur, un -homme de ma suite revenait d’un <i>kraal</i> voisin -de mon campement ; il s’éloigna un peu -du sentier battu pour tuer à l’affût, près -d’une source, un <i>springbock</i>, si faire se pouvait. -Quand il parvint à cet endroit, le soleil -était déjà très-élevé. Ne voyant pas de gibier, -le nègre alla poser son fusil près d’une roche -et, après s’être désaltéré, alluma sa pipe -et finit par fermer les yeux. Lorsqu’il se -réveilla, quelle ne fut pas sa terreur en -voyant un énorme lion couché à trois pas -de lui et le regardant fixement !</p> - -<p>» L’épouvante avait glacé la voix du chasseur : -il respirait à peine, et quand il recouvra -sa présence d’esprit il songea à ressaisir -son arme afin de tirer sur le roi des animaux. -Le lion avait surpris ce mouvement -et avait poussé un rugissement terrible. Le -nègre fit encore un ou deux essais, mais le -fusil se trouvait hors de sa portée ; il dut renoncer -à s’en emparer, car le félin ouvrait -démesurément sa gueule chaque fois que -l’homme remuait la main. La journée s’écoula -de cette façon. La nuit vint. Le lion -n’avait pas bougé de place et les heures -s’écoulèrent dans cet horrible supplice -moral.</p> - -<p>» Vers midi, le Hottentot vit le lion se -lever tranquillement et, le cou tourné de -son côté, se rendre à la source pour s’y -désaltérer.</p> - -<p>» A ce moment suprême, une bande de -cavaliers boschimen parut à l’horizon : le -lion entendit le bruit que produisaient les -pas des chevaux et crut prudent de se jeter -dans un fourré qu’il traversa rapidement -pour pénétrer dans le forêt.</p> - -<p>» Le Hottentot était sauvé, mais ses cheveux -crépus avaient blanchi dans l’espace -de vingt-quatre heures. »</p> - -<p>Je terminerai cet article par un fait qui -m’a été raconté par le commandant Garnier.</p> - -<p>Un Arabe des environs de Guelma apprit -un matin qu’un grand vieux lion à crinière -noire s’était montré dans les environs de son -douar. On avait construit des fosses dans -lesquelles le vieux carnassier ne voulait pas -se laisser prendre, et il décimait chaque nuit -le bétail du canton. L’Arabe quitta un jour -la battue qui s’opérait dans la montagne et -alla se poster près d’un ravin. A peine avait-il -fait deux cents pas qu’il se trouva face à -face avec le lion. Au moment où il armait -son fusil, son arme fut tordue, il fut jeté sur -le dos, les deux épaules entre les griffes du -lion, qui le regardait fixement ; c’en était -fait de lui sans un de ses camarades, nommé -Ahmed-Zim, qui avait vu ce qui se passait. -Sans prendre son fusil, sans même songer -aux pistolets qu’il portait à sa ceinture, n’écoutant -que son amitié pour son compagnon, -il vola à son secours et sauta intrépidement -sur le lion, le yatagan au poing. Il frappait -d’estoc et de taille, et ceux qui accouraient -vers le lieu du combat n’osaient pas se servir -de leurs armes, de peur de tuer leur courageux -ami. Un d’eux cependant, plus hardi -que les autres, parvint à fracasser la tête du -lion d’un coup de pistolet tiré dans l’oreille -à bout portant.</p> - -<p>Le lion abattu pesait deux cent cinquante -kilos. Sa peau était déchiquetée en lanières -et le sang en ruisselait de toutes parts.</p> - -<p>Ahmed-Zim n’avait reçu aucune blessure, -mais son ami avait le bras et les épaules -affreusement déchirés.</p> - - -<p class="c gap small">FIN.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak">TABLE</h2> - - -<table summary=""> -<tr><td class="drap">M. Caillié et son voyage.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch1">5</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Départ.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch2">26</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Cambaya.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch3">42</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Kankan.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch4">59</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Timé.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch5">78</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Jenné.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch6">90</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Navigation sur le Niger.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch7">101</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Tombouctou.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch8">107</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Le Désert.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch9">119</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">El-Harib.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch10">143</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Fez et Méquinaz.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch11">149</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Tanger.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch12">154</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap">Retour.</td> -<td class="bot r"><div><a href="#ch13">136</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap pad">La chasse aux lions.</td> -<td class="bot r pad"><div><a href="#ch14">168</a></div></td></tr> -</table> - -<p class="c gap small">FIN DE LA TABLE.</p> - - -<p class="c gap small">Limoges. — Impr. <span class="sc">Eugène Ardant</span> et C<sup>ie</sup>.</p> - -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE D'UN FAUX MUSULMAN À TRAVERS L'AFRIQUE ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. -</div> - -<div style='margin:0.83em 0; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE<br /> -<span style='font-size:smaller'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE<br /> -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</span> -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase “Project -Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg™ License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.A. 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Information about the Mission of Project Gutenberg™ -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s -goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg™ and future -generations. 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Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. 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