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If you are not located in the United States, you +will have to check the laws of the country where you are located before +using this eBook. + +Title: Paris de siècle en siècle + +Author: Albert Robida + +Release Date: February 23, 2022 [eBook #67469] + +Language: French + +Produced by: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed + Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was + produced from images generously made available by the + Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)) + +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK PARIS DE SIÈCLE EN +SIÈCLE *** + + + + [Illustration: + + PARIS + de Siècle en Siècle + + + par + A. ROBIDA + + Imp. Eug. Marx (Atelier Belfand) Paris + ] + + + + + PARIS + + DE SIÈCLE EN SIÈCLE + + + + + OUVRAGES DE A. ROBIDA + + + LA VIEILLE FRANCE.--NORMANDIE. BRETAGNE. PROVENCE. TOURAINE. Quatre + volumes in-4º, illustrés de très nombreuses gravures dans le texte + et hors texte. (A la _Librairie illustrée_.) + + LES VIEILLES VILLES D’ITALIE. Un volume in-8º raisin, illustré de + nombreuses gravures. (Maurice Dreyfous, éditeur.) + + LES VIEILLES VILLES DE SUISSE. Un volume in-8º raisin, illustré de + nombreuses gravures. (Maurice Dreyfous, éditeur.) + + LES VIEILLES VILLES D’ESPAGNE. Un volume in-8º raisin, illustré de + nombreuses gravures. (Maurice Dreyfous, éditeur.) + + VOYAGES TRÈS EXTRAORDINAIRES DE SATURNIN FARANDOUL. Un fort in-8º + jésus, illustré de nombreuses gravures. (A la _Librairie + illustrée_.) + + LA GRANDE MASCARADE PARISIENNE. Un volume in-8º jésus, illustré de + nombreuses gravures. (A la _Librairie illustrée_.) + + LE VINGTIÈME SIÈCLE. Un volume in-8º colombier, illustré de + gravures dans le texte et hors texte. (A la _Librairie illustrée_.) + + VOYAGE DE MONSIEUR DUMOLLET. Un volume in-8º colombier, illustré de + gravures dans le texte et hors texte. (A la _Librairie illustrée_.) + + LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. Un volume in-8º colombier, illustré de + gravures dans le texte et hors texte. (A la _Librairie illustrée_.) + + ŒUVRES DE RABELAIS, illustrées de très nombreuses gravures dans le + texte et de gravures hors texte en couleurs. (A la _Librairie + illustrée_.) + + MESDAMES NOS AIEULES, DIX SIÈCLES D’ÉLÉGANCES. Un volume in-18 + couronne illustré de très nombreuses gravures en noir et en + couleurs. (A la _Librairie illustrée_.) + + + ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY + + [Illustration: + + A. Robida del et sculp A. Maire imp + + LA REINE MARGUERITE DE VALOIS + + _à l’hôtel de Sens_] + + + + + PARIS + + DE SIÈCLE EN SIÈCLE + + TEXTE, DESSINS ET LITHOGRAPHIES + + PAR + + A. ROBIDA + + [Illustration] + + + PARIS + A LA LIBRAIRIE ILLUSTRÉE + 8, RUE SAINT-JOSEPH, 8 + + _Tous droits réservés._ + + + + + A MON AMI + + CHARLES NORMAND + + PARISIEN DE PARIS + + SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES AMIS DES MONUMENTS PARISIENS + + + _Toujours sur la brèche pour la défense des intérêts_ + _artistiques de Paris toujours menacés._ + + A. ROBIDA + + + + +[Illustration: LE PONT-NEUF ET LA POINTE DE LA CITÉ AU XVIIᵉ SIÈCLE] +CHAPITRE PREMIER + +L’ILE BERCEAU + + Le cœur de Paris et ses déplacements.--Lutèce gauloise.--Le village + insulaire entre marais et forêts.--L’arrivée du Romain.--Premier + siège et premier incendie.--Camulogène et Labiénus.--Lutèce + gallo-romaine.--Le premier coup d’État militaire.--Un Empereur de + Paris.--Le Palais de Julien aux Thermes.--Les Nautes.--Les arènes + parisiennes.--Lutèce mérovingienne.--Sainte-Geneviève.--Le Palais + des Comtes de Paris dans la Cité.--Les marchands de l’Eau. + + +[Illustration: PETITE TOURELLE DE L’HOTEL DE SENS] + +A chaque étape de sa vie, à chaque mouvement de sa croissance, les +siècles passés ont vu notre Paris, faisant craquer sa ceinture et se +dépouillant de son enveloppe, s’épanouir en d’autres conditions au +soleil des idées nouvelles, revêtir, sous une armure de défense plus +solide et plus large, un vêtement tout neuf, enrichi et décoré suivant +les modes alors triomphantes, lesquelles constituent parfois un progrès +et un embellissement, mais parfois aussi, par malheur, n’apportent que +de regrettables modifications. + +Une capitale est un organisme et Paris plus que nulle autre. + +Mais dans cet organisme de la ville en perpétuelle transformation, en +même temps que l’enveloppe se modifie, le cœur change de place. Il était +ici, en ce siècle, sur cette rive du fleuve; au siècle prochain, il sera +là-bas, de l’autre côté. Il fut au milieu du fleuve d’abord, aux +premiers vagissements de Paris, dans l’île où naquit la petite Lutèce, +puis il passa l’eau, sembla se fixer un instant sur la montagne +Sainte-Geneviève, à l’ombre des palais gallo-romains, qu’après Constance +Chlore, Julien et les magistrats romains, habitaient les terribles chefs +francs,--pour revenir en son île avec les évêques et les rois, entre la +cathédrale et le palais, ensuite pour refranchir encore le fleuve, mais +de l’autre côté, et gagner la ville nouvelle, la ville bruyante et +commerçante qui s’agite sur la rive droite... + +Et le cœur vagabond ne quittera plus cette rive, il se contentera +d’avancer bond par bond, du côté où va le soleil, pendant que la ville +se gonfle et s’agrandit, pousse au loin ses rues interminables, dévore +les marais, les champs, les vignes, les parcs, les taillis, boit les +petites rivières qu’elle rencontre, absorbe les villages, les châteaux, +les bourgs, étale à l’infini ses palais et ses maisons sur un territoire +qui, pour le bourgeois de jadis, était l’horizon lointain, perdu dans le +vague du couchant! + +Le cœur de Paris, ce fut d’abord l’île-berceau, où, dans un paysage vide +et silencieux, au seul murmure du fleuve, tranquille alors et libre de +s’élargir à l’aise sur des berges incertaines, s’éveilla la Lutèce +gauloise, sous les saules, entre quelques chaumières rondes à toits +coniques. + +Le cœur de Paris, de la Lutèce gallo-romaine et mérovingienne, ce fut la +_Cité_ naissante, l’île déjà pleine et débordant sur la rive gauche; ce +fut aussi la montagne de Geneviève, où montèrent la garde le soldat +gaulois des empereurs romains et le rude compagnon de ces chefs francs +qui devinrent les rois de la petite France naissante aussi,--la montagne +que se partagèrent le cloître qui prie et l’université qui médite et +enseigne; ce fut le quartier des manoirs féodaux groupés autour de +l’hôtel Saint-Paul et de l’hôtel des Tournelles,--palais des rois de +France alors que le Louvre attend encore son heure,--le quartier du +Marais--lequel, avec la place Royale aux arcades simples et nobles, +resta centre aristocratique jusqu’au grand siècle;--ce fut aussi le +Pont-Neuf, la grosse artère où toute la vie de Paris passe et repasse. + +Puis, étape nouvelle, le cœur de Paris avance et se fixe tout près des +édifices royaux du Louvre et des Tuileries, abandonnés par leurs hôtes +pour Versailles où se ressentent moins les soubresauts du Paris toujours +bouillonnant et grondant en perpétuelles mutineries. Le cœur de Paris +bat sous les galeries du Palais-Royal, demeure élevée par le grand +cardinal et devenue le palais de la branche cadette des Bourbons. + +Il oscille pendant un siècle, retournant parfois, aux jours sombres, +vers la Grève où le terrible Hôtel de Ville couve les révolutions; il +monte au commencement de notre temps vers les nouveaux boulevards +brillants, étincelants et bourdonnants, jadis simples fossés d’enceinte +sur la campagne et devenus centre de la vie parisienne pendant la course +de notre XIXᵉ siècle. + +[Illustration: LUTÈCE GAULOISE. POINTE DE L’ILE AVEC LES ILOTS SUR +LESQUELS PASSE LE PONT-NEUF ACTUEL] + +On perçoit le battement de ce cœur entre l’Opéra flamboyant et l’église +de la Madeleine, temple grec dédié à la Gloire par Napoléon; mais ce +cœur jamais fixé se porte de plus en plus en avant et marche vers les +Champs-Élysées, vers l’ouest, vers les immenses quartiers aux splendides +hôtels tout battant neufs, quartiers trop cosmopolites, où peut-être, de +transformation en transformation, naîtra un Paris trop différent du +Paris de l’histoire, une grande Cosmopolis, capitale internationale aux +qualités essentielles évaporées et n’ayant point gardé la saveur du +terroir lutécien. + + * * * * * + +Temps lointains;--pour la Gaule aux vastes forêts, l’histoire commence à +peine et pourtant les légions de Rome, bientôt, vont y trouver des +villes importantes, du commerce, quelques routes--peu nombreuses il est +vrai, fleuves et rivières en tenant lieu,--des tribus puissantes mais +mal confédérées, des peuples divisés qui ne sauront point se réunir +contre l’ennemi commun. Des cités en nombre considérable existaient. +Sans parler des côtes méditerranéennes, aux villes prospères et policées +étendant au loin leur commerce maritime, l’intérieur du pays présentait +d’importantes agglomérations urbaines, s’élevant à quelque point de +passage sur les rives des fleuves principaux, ou serrées dans des +murailles de défense sur la crête de quelque abrupt mamelon. Parmi des +centaines de petites cités dont beaucoup gisent encore en ruines sous +quelques pouces de terre en des coins inconnus, Chartres, Tours, Rouen, +Bordeaux, Reims, Nevers, Sens, Beauvais, etc., possédaient déjà des +édifices imposants et une certaine splendeur, telle Bourges, que les +Bituriges au temps de Vercingétorix ne purent se résoudre à détruire +pour faire le désert à l’approche des Romains. + +Alors que plusieurs de ces villes formaient un chapelet de petites +capitales pleines de sève ardente, ayant même une vie politique, dans +cette Gaule déjà même livrée au pouvoir dangereux de l’éloquence, +Lutèce, plus modeste, toute petite et ne pressentant point ses +destinées, vivait dans son île du commerce de sa batellerie, du +transport des marchandises lui arrivant du Sud-Est par la haute Seine, +et du Nord par les affluents divers. + +Le long de halliers et de taillis se ramifiant aux profondes forêts au +milieu desquelles l’Oise se fraie un chemin, la Seine, large et semée +d’îlots, descend lentement vers la mer, coulant en méandres gracieux à +travers des plaines fertiles et de belles collines. + +Ici, à la place des immenses murs de pierre qui l’encaissent aujourd’hui +et contiennent aux grandes eaux ses désirs de flâneries en dehors du lit +régularisé, c’est à cette époque une verdoyante plaine basse, aux arbres +mouillés, que nous apercevons, un marécage où le vent fait onduler avec +de soudains et harmonieux frissons, les longues étendues de roseaux où +s’abritent des barques de pêcheurs, et sur lesquels planent des vols +d’oiseaux de rivière et tournoient les canards sauvages. + +Un archipel non moins verdoyant balance ses grands arbres au milieu de +la Seine, c’est une flottille d’îles et d’îlots dont beaucoup ont +disparu aujourd’hui, rongés peu à peu, dévorés par le fleuve, ou bien +que l’homme a supprimés. + +Iles et îlots se suivent ainsi à la file jusqu’à l’horizon; la plus +grande île de l’archipel parisien, c’est la _Cité_ d’aujourd’hui, grande +et noble nef suivie de ses chaloupes, les deux îles qui se nomment au +moyen âge l’île Notre-Dame et l’île aux Vaches et qui, réunies sous +Louis XIV, s’appellent maintenant l’île Saint-Louis, plus loin l’île aux +Javiaux ou Louviers, maintenant soudée à la rive droite sous l’ancien +Arsenal. + +Une quatrième et une cinquième île, deux îlots plutôt, précèdent la +grande nef que forme la Cité, ce sont les îlots de Bussy et de la +Jourdaine où Philippe le Bel brûla les templiers et qui, réunies et +constituées en terre-plein du Pont-Neuf, portent aujourd’hui la statue +du Vert-Galant. Deux ponts de bois reliaient Lutèce aux oseraies de la +rive, deux ponts bien modestes, qui cent fois détruits se perpétueront à +peu près sur le même point et deviendront le pont au Change et le pont +Saint-Michel. + +Voilà le calme paysage parisien de ces temps, le premier décor de la +série aux immenses changements; des îles au fil de l’eau, des marécages +pour premier plan, marais dont le souvenir se retrouve encore dans le +nom du quartier aux vieux et riches hôtels; au loin, de vertes collines, +dominées par les croupes bien dessinées de Montmartre, puis des bois, +des taillis où se cachent des villages qui sont alors peut-être aussi +importants que Lutèce en son île et que Lutèce, débarquant en terre +ferme, englobera l’un après l’autre. + + * * * * * + +Depuis des années, la Gaule lutte contre l’envahisseur, contre le +Romain, âpre conquérant qui n’apporte sa civilisation aux peuples +qualifiés par lui de barbares, + +[Illustration: LUTÈCE INCENDIÉE A L’ARRIVÉE DES ROMAINS] + +que pour organiser l’exploitation savante et régulière de ces peuples, +pour pomper leur or et leur sang, destinés à alimenter son luxe et ses +plaisirs. La civilisation romaine s’avance précédée du carnage et de +l’incendie. La Gaule sans cohésion, morcelée en cent peuples rivaux l’un +de l’autre, est dévorée morceau par morceau, malgré la bravoure de ses +enfants, qui se brise devant la tactique supérieure des légions +romaines. + +Cependant ce fut dans un moment où la Fortune semblait se retourner et, +attendrie par tant d’efforts désespérés, gagnée par tant de farouche +courage, se déclarait un instant pour la Gaule, que tomba la pauvre +petite Lutèce. Les Romains venaient de subir une défaite au siège de +Gergovie, suivie d’autres revers sur la Loire. Vercingétorix, le +généralissime des nations celtiques un instant réunies, tenait César en +échec; l’espoir renaissait. + +Ce fut alors que le lieutenant de César, Labiénus, manœuvrant avec +quatre légions entre Sens et Paris pour venir en aide à César arrêté sur +la Loire, s’approcha du pays des Parisii. + +Pour l’histoire, c’est la première fois que la bourgade gauloise à peine +née, future capitale de la France, entend sous ses murs gronder la +terrible rumeur de la guerre, qu’elle entendra si souvent ensuite dans +le cours des siècles,--rugissement des luttes intestines ou bien heurt +violent des invasions étrangères aux tours de bois des Gaulois, aux +donjons des rois de France, aux bastions à la Vauban du Paris de 1870. + +Les buccins des légions romaines vont sonner sous les faibles murs de +Lutèce, premières clameurs de l’immense vacarme que ce petit coin des +rives de la Seine, marqué par le destin, entendra maintenant, de siècle +en siècle, des cris de carnage asiatiques des hordes d’Attila, des +stridents ronflements de la trompe de guerre des barques normandes aux +ronflements des bombardes des Anglais,--des arquebusades de la Ligue aux +roulements de tambours des sections révolutionnaires,--des hourras des +cosaques de 1814 aux sifflements des obus Krupp de la Germanie +reconstituée, ou des canons révoltés de 1871... + +Sous les maisonnettes en flammes de la pauvre Lutèce, la tactique +romaine eut encore raison des armes gauloises. Le vieux Calmuken ou +Camulogène, chef aulerque de la basse Seine, menant des contingents +aulerques, bellovaques et parisiens, chercha vainement le corps à corps +avec l’ennemi pour le jeter dans le fleuve. Mais par des voltes rapides, +des contremarches, des passages soudains de la rive gauche de la Seine à +la rive droite, Labiénus trompa le chef gaulois: les Romains, après une +tentative avortée dans les marais à l’embouchure de la Bièvre, passèrent +la Seine à Melun pour attaquer par la rive droite. Mais sur cette rive, +devant Lutèce incendiée et abandonnée, avec Camulogène en face, et par +derrière un corps de Bellovaques qui approchait, Labiénus se trouva tout +à coup en un péril pressant; il en sortit par un coup d’audace heureux, +par un passage nocturne du fleuve sur cinquante bateaux amenés de Melun. + +Le choc eut lieu sur la rive gauche au-dessus ou au-dessous de Paris, on +ne sait au juste: pour les uns entre Choisy-le-Roy et Vitry, pour les +autres entre Sèvres et Meudon, à l’endroit où fument les cheminées de +tant de bruyants restaurants alignés sur les berges d’une gracieuse +boucle de la Seine aimée de nos pêcheurs à la ligne et de nos +canotiers,--probablement sur les deux points à la fois, Labiénus ayant +passé à Sèvres et s’étant rabattu de là sur les positions occupées par +le gros de l’armée gauloise en amont de Lutèce. Camulogène et tous ses +soldats cramponnés au sol se firent tuer jusqu’au dernier et, sur les +rangs accumulés de cadavres gaulois et romains, Labiénus, ayant conquis +un passage chèrement payé, eut tout juste la force de conduire les +débris de ses légions chez les Senones. + +Que reste-t-il de cette première Lutèce entrée dans l’histoire par sa +destruction au temps de César? quelles traces matérielles des Parisiens +du temps pourrions-nous aujourd’hui retrouver encore? Rien ou presque +rien, peut-être quelques pierres grossières ressaisies au plus profond +de notre sol, dans les fouilles opérées pour la construction des +édifices de la Cité actuelle. + +Une seconde Lutèce allait renaître bientôt des cendres de la première. +La guerre terminée, les Romains définitivement établis en Gaule, le +nouvel ordre de choses accepté, de grands progrès matériels +s’effectuèrent rapidement. La _paix romaine_ opère une complète +transformation, les villes détruites se relèvent, de grandes voies +parfaitement entretenues relient les unes aux autres ces vieilles cités +gauloises devenues municipes romains, qui se parent bien vite de grands +monuments taillés sur le patron des édifices de la métropole lointaine. + +[Illustration: LES LÉGIONS GAULOISES PROCLAMENT JULIEN EMPEREUR] + +Après les légions, c’est l’invasion des lettres et des arts latins, qui +s’infiltrent avec une surprenante facilité jusqu’aux extrémités de la +terre des Druides et font marcher ensemble la transformation matérielle +et la transformation morale; les mœurs, les usages, les costumes de Rome +sont adoptés partout et font de l’ancienne _Gaule chevelue_ une _Gaule à +toges_ très romaine. + +Cette Lutèce gallo-romaine, il nous est plus facile de nous la figurer +que la petite Lutèce gauloise; quatre siècles de vie romaine en avaient +fait une jolie ville décorée de vrais monuments, blanche et riante dans +sa ceinture mouvante, si limpide alors. + +L’empereur Julien l’appelle _sa chère Lutèce_; il y a passé +quelques-unes des saisons de loisir que pouvaient lui laisser et tous +les soucis de l’empire, et les armées à conduire contre les Francs et +les Germains,--ce nouveau péril s’élevant à l’horizon de la ville +latine. Il vint en 358 et 359, après sa victoire sur les Germains dans +les plaines d’Argentoratum (Strasbourg), s’y reposer au milieu de ses +amis lettrés et philosophes, et il a tracé de la ville et de la vie +qu’il y menait un intéressant croquis: + +«Je me trouvais pendant un hiver à ma chère Lutèce (c’est ainsi qu’on +appelle dans les Gaules la ville des Parisiens); elle occupe une île au +milieu d’une rivière: des ponts la joignent aux deux bords. Rarement la +rivière croît ou diminue: telle elle est en été, telle elle demeure en +hiver: on en boit volontiers l’eau très pure et très riante à la vue. +Comme les Parisiens habitent une île, il leur serait difficile de se +procurer d’autre eau. La température de l’hiver est peu rigoureuse, à +cause, disent les gens du pays, de la chaleur de l’Océan, qui n’en étant +éloigné que de neuf cents stades, envoie un air tiède jusqu’à Lutèce: +l’eau de mer est en effet moins froide que l’eau douce. Par cette +raison, ou par une autre que j’ignore, les choses sont ainsi. L’hiver +est donc fort doux aux habitants de cette terre; le sol porte de bonnes +vignes; les Parisii ont même l’art d’élever les figuiers en les +enveloppant de paille de blé comme d’un vêtement, et en employant les +autres moyens dont on se sert pour mettre les arbres à l’abri de +l’intempérie des saisons.» + +[Illustration: LE CLOS DE LAAS ET LE PALAIS DES THERMES] + +Ces figuiers que les Parisii savaient protéger contre les rigueurs de +l’hiver sont encore cultivés de la même façon sur un point des environs +de Paris, à Argenteuil, où, souvenir plus ancien, sur les hauteurs +dominant la Seine et l’immense plaine parisienne, un dolmen recouvre +les os de quelque chef parisien préhistorique. + +Le palais où ces lignes furent écrites par l’empereur existe encore, il +n’était point dans l’île, car déjà Lutèce avait débordé sur les rives, +couvrait de naissants faubourgs le débouché des voies romaines de la +rive droite et se doublait presque d’une seconde ville sur la rive +gauche. + +Le grand palais romain si longtemps enfoui et méprisé, aujourd’hui +annexe de notre musée de Cluny, était construit depuis une cinquantaine +d’années peut-être lorsque Julien, vers 356, y résidait. Il présentait +un très grand développement et bien des parties, les plus importantes +probablement, ont dû se perdre sous les constructions élevées au moyen +âge à leurs dépens. Ces superbes voûtes romaines, ces salles +majestueuses que nous admirons enchâssées dans la verdure d’un beau +jardin, précieuses reliques servant elles-mêmes de reliquaire à tant de +joyaux du passé, disparaissaient naguère sous un amas de maisons +serrées, de bicoques accrochées aux vieilles pierres, entassées sur les +reins des voûtes, heureusement d’une solidité à toute épreuve. Des +salles étaient à peu près bouchées par les décombres, d’autres +défigurées, éventrées, misérables, servaient de caves, écuries ou +remises, à une foule de petites industries. + +[Illustration: PARIS MÉROVINGIEN.--LA POINTE DE LA CITÉ] + +Derrière des murs énormes au fond de ces voûtes obscures, aux sombres +pierres coupées d’assises de briques, des chevaux au râtelier frappaient +de leurs fers le pavé romain et des tonneliers chantaient en cognant sur +les douves de leurs tonneaux; au-dessus, dans l’enchevêtrement des +bâtisses, des jardins s’étaient établis sur six pieds de terres +rapportées on ne sait quand ni comment, de vrais jardins suspendus où +poussaient des légumes et des arbres fruitiers. L’entrée des ruines à la +fin du siècle dernier était rue de la Harpe, au fond de la cour d’une +maison à l’enseigne de la Croix de fer, où les coches de Laval et +différents services de messageries avaient leur installation. + +Racheté par l’État sous la Restauration, le palais des Thermes, ou ce +qu’il en restait, apparut au jour, désobstrué, débarrassé des maisons +assises sur ses puissantes épaules, de tous les appentis parasites et de +son clos de pommiers aériens. Les parties consacrées à l’habitation ont +disparu complètement; seuls les Thermes ont survécu à tant de causes de +destruction et nous pouvons à Paris admirer ces vastes salles purement +romaines, le tepidarium, salle des bains chauds et le frigidarium, la +grande salle des bains froids, immense et haute nef au berceau +majestueux, aux fortes murailles percées de niches profondes et +d’arcades robustes, les unes bouchées, les autres encadrant de leurs +doubles archivoltes un coin de la verdure lumineuse des jardins. + +Quelles étaient l’étendue, la physionomie d’ensemble et les dispositions +exactes du palais des Thermes? Avec ce qui nous en reste nous ne pouvons +plus que chercher à le deviner. Tant de salles ont été complètement +détruites autour du noyau subsistant. Un écrivain qui l’a vu au XIIᵉ +siècle, Jean de Hauteville, dit emphatiquement du palais: «Les cimes +s’élèvent jusqu’aux nues et les fondements atteignent l’empire des +Morts.» La deuxième partie de la phrase est toujours exacte, tant de +souterrains ou de tronçons de souterrains circulent sous les +constructions restées debout et s’enfoncent sous les terrains +environnants. + +Au temps de Julien, au temps des rois mérovingiens, qui succédèrent aux +empereurs, le palais des Thermes, les dépendances et les jardins +occupaient un immense terrain depuis Saint-Germain des Prés jusqu’à la +rue Saint-Jacques, sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève (_mons +Lucotitius_), où des vignes et des maisons de campagne se chauffaient au +soleil; le vieil aqueduc d’Arcueil amenait aux hôtes du palais l’eau des +sources de Rungis que l’aqueduc moderne verse encore à Paris. Sur +l’emplacement du jardin du Luxembourg était un camp romain. C’est là, en +360, Julien n’étant encore qu’un général victorieux, rival malgré lui de +l’empereur Constance, que les légions rassemblées à Lutèce, parmi +lesquelles se trouvaient deux légions gauloises, proclamèrent Julien +empereur. Au milieu de la nuit, échauffés par un banquet, les +légionnaires gaulois, brandissant des torches et des épées, forcèrent +les portes du palais barricadé, saisirent Julien, l’élevèrent comme un +roi barbare sur un bouclier. Première révolution dont Paris ait été le +théâtre, quelque chose comme un 18 Brumaire exécuté un peu malgré celui +qui en profitait. + +Au moyen âge ces jardins du palais si étendus, enclos de fortes +murailles, devinrent le Clos de Laas qu’envahirent peu à peu, en le +morcelant, des couvents et des maisons. + +Lutèce proprement dite, dans son île, quatre siècles après l’arrivée des +Romains et peu avant celle des Francs, ne ressemblait plus à la +bourgade gauloise bercée par la rivière. Elle avait l’aspect de toutes +les villes romaines; l’île couverte de maisons de pierres, entourée +d’une enceinte à tours carrées, montrait çà et là quelque colonnade, +quelque monument à la forte carrure. En avant des deux ponts qui la +reliaient aux rives, s’élevaient des ouvrages militaires; tout à fait à +la pointe de l’île se trouvait le palais habité par les préfets de +l’empereur, magistrats de la région, construction dont on a retrouvé des +traces nombreuses dans les fouilles du Palais de justice et à laquelle +succédèrent sur le même emplacement le palais de Saint-Louis, le logis +de Philippe le Bel, ce précieux édifice qui fut retrouvé il y a trente +ans noyé dans les bâtiments de l’ancienne préfecture de police et que la +pioche, irrespectueuse de l’histoire, démolit sans pitié, pour +l’édification de l’énorme façade égyptienne (!) de la cour d’assises, +imitation d’un temple de Dendérah (!) aussi peu à sa place que les +imitations de Parthénons qui se voient, hélas! en tant d’endroits +n’ayant rien de grec ni d’égyptien. + +Devant le palais s’étendait le forum, puis venaient les maisons pressées +de la ville et à l’autre extrémité de l’île, la première cathédrale de +Paris, c’est-à-dire un temple dédié à Jupiter, dont il subsiste encore +sans doute bien des débris sous Notre-Dame, outre ceux qu’on en a +retirés. Dans le chœur de la cathédrale, juste sous les autels +chrétiens, des fouilles en 1711 mirent au jour des débris de l’autel de +Jupiter, des bas-reliefs grossiers représentant les dieux gaulois et +romains fraternellement réunis, Jupiter, Vulcain, Esus, le Mars des +Gaulois, et Cernunnos ou Cervunnos, sculptures d’un style barbare +accompagnées de l’inscription suivante: + +«_Sous Tibère Auguste, les Nautes parisiens ont publiquement élevé cet +autel à Jupiter très bon, très grand._» + +Les précieuses pierres ont été rejoindre au musée des Thermes bien +d’autres débris de la même époque, déterrés un peu partout dans la Cité +et sur différents points du sol parisien. Ces trouvailles fournissent +une nouvelle preuve de cette sorte de loi historique que les monuments +de même ordre se perpétuent généralement à la même place, le palais sous +le palais, le temple sous l’église. + +En avant du palais, sur le petit bras de la Seine, la muraille +d’enceinte de Lutèce, trempant dans l’eau, s’ouvrait pour une porte de +rivière, un débarcadère monumental pour les bateaux des Nautes, orné +d’un portique dont les colonnes, retrouvées en 1848, portaient la trace +profondément marquée des cordages ayant amarré les barques à leur base. +En arrière de ce portique s’élevait, pense-t-on, un temple de Mercure, +qui sans doute était en même temps une sorte de bourse, un lieu de +réunion pour les Nautes, près du port de débarquement de leurs +marchandises. + +Elle était bien petite encore, notre Lutèce, car son mur d’enceinte +retrouvé sur divers points, près de Notre-Dame ou sous le palais, +s’alignait assez fortement en arrière des quais actuels, et cette +fortification était assez faible, car elle avait été élevée à la hâte, +avec des débris d’édifices rasés dans les faubourgs par mesure de +défense, afin de dégager les abords de la place lors des invasions +barbares. Ces faubourgs formés le long des voies au nord et sur les +pentes du mont Lucotitius au sud, au pied du grand palais, devaient +former avec la cité une agglomération d’une certaine importance déjà, +si l’on en juge par les ruines des Arènes parisiennes, dégagées depuis +1869. + +Le gallo-romain de Lutèce, le négociant affairé sur ses ballots de +marchandises arrivant par les routes de terre ou par bateau, plaidait +devant les magistrats au Palais actuel, faisait ses dévotions au temple +de Jupiter, où ses fils des siècles suivants ont élevé la majestueuse +Notre-Dame; ou s’en allait pèleriner aux temples de Mercure et de Mars +qui couronnaient la colline de Montmartre et dont les ruines ont +subsisté côte à côte avec les moulins et l’abbaye, jusqu’au XVIIᵉ +siècle, édifices considérables puisqu’il paraît que de la plus grande +partie du territoire des Parisii on pouvait les apercevoir, comme on +peut de nos jours, au-dessus de Montmartre enveloppé par la grande +ville, apercevoir de si loin la colossale masse de l’église du +Sacré-Cœur, toute blanche et non terminée encore. + +[Illustration: PALAIS DES THERMES.--LA GRANDE SALLE AU XVIIIᵉ SIÈCLE] + +Ce Parisien gallo-romain, nous pouvons également nous le représenter +assis sur les gradins de l’amphithéâtre, dont les hautes arcades +superposées se dressaient parmi les verdures, sur le versant oriental du +mont Lucotitius; après tant d’années, après quinze siècles +d’enfouissement et d’oubli, depuis le temps où la crainte des invasions +franques fit jeter bas les hautes arcades et employer leurs pierres à la +construction du rempart de Lutèce, ces gradins ont été enfin en partie +remis au jour. L’existence de ces arènes sous les maisons du quartier +Saint-Victor était connue depuis longtemps; cela s’appelait au moyen +âge, par tradition, le Clos des Arènes sur le territoire de l’abbaye de +Saint-Victor, mais l’emplacement exact était oublié; des maisons serrées +s’étaient juchées sur les arènes remblayées par + +[Illustration: LE PALAIS DES THERMES] + +les décombres, et beaucoup possédaient des caves pratiquées dans les +couloirs, des trous inconnus et mystérieux revêtus de puissantes +maçonneries dont on ne s’expliquait pas l’origine. En 1869, lors du +percement de la rue Monge, une moitié de l’amphithéâtre reparut soudain +à la lumière, profondes excavations, gradins écroulés, tas de pierres +bouleversées. La découverte de ces arènes perdues fit du bruit quelque +temps, puis survint 1870 et Paris sous les obus eut à songer à bien +autre chose qu’à déterrer ses antiquités. Une invasion avait causé la +ruine des arènes, une autre invasion fut cause de la ruine de ces +ruines, remblayées de nouveau impitoyablement et recouvertes par les +bâtiments des dépôts et ateliers de la Compagnie des omnibus, malgré la +défense désespérée d’un Comité de savants. Quelques sculptures furent +envoyées dans les musées et ce fut fini du monument. C’était une moitié +de l’hémicycle qui redisparaissait ainsi après avoir quelque temps revu +le ciel de la Gaule. + +Enfin tout récemment de nouveaux travaux dégagèrent à son tour l’autre +moitié, le second demi-cercle apparut avec une dizaine des gradins sur +lesquels venaient s’asseoir pour les jeux sanglants importés de Rome, +les Lutéciens romanisés du IVᵉ siècle et qui servent aujourd’hui aux +ébats des gamins de la rue Mouffetard, assez peu soucieux de leurs +ancêtres. + +Peut-être un jour recherchera-t-on l’autre moitié volontairement perdue, +afin de rendre à Paris son amphithéâtre complet, dont l’ampleur +permettra d’évaluer, par la comparaison avec les amphithéâtres d’Italie +ou de France le chiffre de la population de la Lutèce gallo-romaine. + +Le monde romain attaqué sur tous les points s’écroulait ou s’émiettait +sous le choc des armées barbares. Chaque chef de tribu important +cherchait à se tailler sa part, Sicambres, Francs, Alains, Burgondes, +Wisigoths s’arrachaient des morceaux de la Gaule. A barbare, barbare et +demi; derrière ceux-ci qui s’étaient établis et lotis, et cessaient de +ravager le pays où ils se fixaient, s’avançait un ennemi plus farouche, +l’effroyable ravageur asiatique, poussé par le vertige du carnage et de +la destruction. C’était Attila et ses hordes qui venaient de saccager +toutes les villes de l’est, Trèves, Reims, Metz. Devant l’ouragan +dévastateur, la pauvre Lutèce, derrière son faible rempart, dut se +croire à son dernier jour. + +C’est à ce moment que se place la légende de sainte Geneviève de +Nanterre, non simple bergère quand elle prit le voile, mais fille +d’habitants notables, chrétiens ardents en relation avec l’évêque saint +Germain d’Auxerre. Comme les Parisiens découragés à l’approche des +terribles Huns allaient se décider à abandonner leur ville, Geneviève +s’interposa, elle leur rendit le courage et leur prédit que l’invasion +respecterait Paris. L’événement ayant réalisé ses prédictions, +Geneviève, fixée à Paris, écoutée, vénérée, devint à côté des évêques +comme une bergère d’âmes. Elle mourut au temps de Clovis et fut enterrée +dans la basilique de Saint-Pierre-et-Saint-Paul fondée par Clovis sur le +mont Lucotitius, où Clovis et Clotilde eurent à leur tour leur +sépulture, et qui devint par la suite, de reconstruction en +reconstruction, l’abbaye de Sainte-Geneviève, c’est-à-dire le lycée +Henri IV actuel et notre Panthéon, sarcophage des grands hommes. + +Que devient Paris dans la confusion de ces temps, quand les royaumes +francs se font, se défont et se refont, et qu’un monde nouveau +s’organise? L’obscurité enveloppe ces commencements laborieux, il ne +surnage d’autres souvenirs que les grands faits, les guerres, les +massacres, les alliances, les absorptions de peuples... + +Le municipe gallo-romain, peu à peu, devient la capitale politique de +ces rois barbares qui, lorsqu’ils ne sont pas en expéditions, vivent au +loin, dans leurs châteaux de bois entourés de fermes et de forêts. + +Paris christianisé remplace ses temples par des églises, les édifices +romains disparaissent; les monuments qui s’élèvent sont rudes et +grossiers, mais si leur architecture n’est plus la copie régulière des +monuments de Rome elle laisse deviner, sous sa rudesse barbare, la sève +d’un art national qui s’élabore et se prépare à dominer tous les autres, +quels qu’ils soient, par les merveilles romanes et ogivales. + +Le roi ou quelque leude investi du titre de comte de Paris, ou bien un +maire du palais de rois fainéants, réside dans le Palais de Julien ou +dans celui de la Cité. Paris, malgré les désordres et les misères du +temps, continue à prospérer matériellement, puisqu’il s’agrandit et +déborde sur les deux rives. + +[Illustration: LES ARÈNES DE LUTÈCE RETROUVÉES] + +Les grandes abbayes se fondent dans la banlieue, s’entourent de +murailles à l’abri desquelles viennent se grouper des habitations, +embryons de bourgs que Paris enveloppera et absorbera un jour: l’abbaye +de Sainte-Geneviève, proclamée patronne de Paris, sur qui elle semble +veiller de la hauteur où le monastère est assis; l’abbaye de +Saint-Germain des Prés, au milieu des prairies, presque sur la Seine, +fondée par Childebert au VIᵉ siècle; l’abbaye de Saint-Denis, bourg plus +éloigné, annexe de Paris que Paris n’a pas encore atteint, fondée en +l’honneur du légendaire évêque de Lutèce, au IIIᵉ siècle, martyrisé à +Montmartre, patron de Paris et des vignobles parisiens, quand il y avait +encore des vignobles parisiens. Des églises s’élèvent dans les faubourgs +et dans l’île, petites églises de la cité qui se perpétueront, et qui +disparaîtront dans les démolitions de la Révolution ou dans la grande +transformation entreprise de nos jours dans l’île mère. + +Et les siècles passent. La France et Paris se bâtissent peu à peu sous +la rude main des chefs mérovingiens, sous celle des maires du palais +quand la race de Klodowig s’abâtardit, quand le trône hissé sur les +cadavres de frères, d’oncles ou de neveux n’est plus qu’un simple +fauteuil pour ses faibles successeurs. + + Quatre bœufs attelés d’un pas tranquille et lent + Promenaient dans Paris le monarque indolent, + +... ils le promènent de Paris à ses villas des environs, tandis que le +duc Pépin ou Charles-Martel conquiert le pouvoir réel, gouverne et +guerroie en son propre nom sans s’occuper du faible titulaire de la +couronne. + +Le commerce de Paris prospère, les Nautes, ces négociants lutéciens, +s’appellent maintenant les _marchands de l’eau_, et forment une _hanse_ +ou ligue marchande dont les opérations s’étendent au loin, association +qui deviendra au moyen âge la corporation prépondérante parmi les +métiers et fournira les Prévôts des marchands.--Là est l’origine de la +municipalité parisienne, le lien qui rattache à travers les âges les +édiles de nos jours, les terribles hommes de la commune de 1793, les +chaperons bleus et rouges d’Étienne Marcel, les négociants de la rivière +d’il y a dix siècles aux nautes gallo-romains. La nef qui vogue sur +l’écusson de Paris, on la trouve déjà au palais des Thermes, figurée par +les proues des navires sculptées aux retombées des voûtes, et s’il faut +choisir parmi les étymologies incertaines, il est bien probable que +cette nef emblématique rappelle aussi le nom de la ville, Paris en +langue celtique devant signifier Bateau et Parisii bateliers, comme +Lutèce signifiait, dit-on, _habitation au milieu de la rivière_, ou +l’île aux Corbeaux, ou l’île blanche, ou autre chose, au gré des +étymologistes. + +[Illustration: LUTÈCE] + +[Illustration: HENRI III ALLANT POSER LA PREMIÈRE PIERRE DU PONT-NEUF LE +31 MAI 1578] + + + + +[Illustration: A NOTRE-DAME] CHAPITRE II + +LA CROISSANCE + + La cité de Paris.--Le temple de Jupiter devient l’église cathédrale + Notre-Dame de Paris.--Les petites églises de la Cité.--Saint-Jean + le Rond et les Enfants trouvés.--Très haut et très puissant + seigneur le chapitre de Notre-Dame.--Le cloître et ses premières + écoles.--Guillaume de Champeaux et Abélard.--Naissance de + l’Université.--Les légendes: le diable Biscornette.--L’anneau de la + Vierge.--Le grand Jeusneur.--Folies et mascarades des fêtes de + l’âne, des fous et des innocents.--Diables, guivres et chimères. + + +[Illustration: A NOTRE-DAME] + +Enfin le XIIIᵉ siècle,--qui mérite autant que le XVIIᵉ, pour la France +arrivée à son complet développement, le nom de grand siècle,--le grand +siècle du moyen âge va se lever sur un monde sortant de la confusion, +rajeuni, plein de sève et de force, et sur une société organisée tout +autrement que nous la comprenons maintenant, posée sur d’autres bases, +mais fortement constituée et douée d’une vitalité assez vigoureuse pour +affronter les siècles d’orages qu’elle aura bientôt à traverser. + +C’est l’époque où le moyen âge, dans toutes ses institutions, se +rapproche le plus de son idéal et donne sa plus complète expression en +tout. C’est le siècle où la pensée s’efforce de se dégager des ténèbres +et des enveloppements de la scolastique, et entrevoit la science; où +l’Université fait de Paris la grande école des peuples et de la montagne +Sainte-Geneviève le plus haut sommet d’Europe; où l’art, le grand +magicien décorateur de la vie, après des siècles de tâtonnements et de +progrès vers le beau, arrive à un merveilleux et vraiment sublime +épanouissement. + +Le cœur de Paris, à ce moment de son histoire, il est vraiment là, dans +l’île de l’antique Lutèce, dans cette glorieuse Cité où la grande +cathédrale, la nouvelle Notre-Dame, achève de se construire et domine de +ses tours, de sa flèche élancée, de ses mille pinacles dissemblables, +clochers, flèches, tours et tourelles hérissant l’île et les deux rives +du fleuve. + +La Cité d’ailleurs est centre religieux par sa cathédrale et centre +politique par son palais, qu’habitent les rois, seigneurs de ce petit +jardin d’île de France auquel peu à peu, par l’adresse, la politique ou +la force, ils réunissent les seigneuries, les terres, les provinces, +arrondissant de plus en plus le domaine royal, noyau d’agglomération +dans le morcellement féodal. + +Bien des édifices se sont remplacés l’un l’autre, sur l’emplacement du +temple gallo-romain où le Christ a succédé à Jupiter, en attendant qu’il +soit un instant remplacé par l’Être Suprême et la déesse Raison de 93. + +Il y a eu d’abord au IVᵉ siècle une première église dédiée à saint +Étienne martyr, église à côté de laquelle s’éleva la cathédrale +mérovingienne bâtie au commencement du VIᵉ siècle par le roi Childebert, +en reconnaissance de la guérison d’une grave maladie. De cette +cathédrale, d’art encore à demi romain et non roman, il reste quelques +débris et une description du moine poète Fortunat qui célèbre ses +splendeurs en vers enthousiastes; les débris, des fragments de colonnes, +des chapiteaux corinthiens se peuvent voir au palais des Thermes. Une +particularité de cette église signalée par Fortunat, c’est que là pour +la première fois les fenêtres furent garnies de verrières transparentes +où «les feux tremblants de l’aurore naissante semblent se jouer jusque +dans les lambris»... + +Près de dix siècles, la basilique mérovingienne, maintes fois réparée, +vécut cependant, malgré bien des accidents et des désastres soufferts au +temps des Normands. Elle avait presque l’âge de la cathédrale actuelle +lorsque fut décidée sa démolition. Cette basilique et la vieille église +Saint-Étienne accolée à son flanc sud tombaient sans doute en ruines, +malgré les incessantes réparations, et l’édifice ne répondait plus aux +exigences du temps. La cathédrale, comme on la concevait alors,--église +mère de la Cité, centre commun à tous, la maison de Dieu la plus +solennelle, autel privilégié entre tous, lieu de réunion du peuple pour +toutes les occurrences, joyeuses ou funestes, et pour certains, donjon +d’une puissance supérieure à toutes, ou pour le moins allant de pair +avec la plus haute,--la cathédrale demandait une ampleur de proportions +refusée aux autres églises et voulait être revêtue de toutes les +magnificences de l’art. + +Développement naturel et superbe des beautés en germe dans l’art roman, +éclosion de toutes les fleurs poussées sur sa tige puissante, un art +nouveau surgit juste à point pour satisfaire aux conditions nouvelles, +au moment où jaillissent du sol de l’Ile de France agrandie de quelques +provinces, ces grandes cathédrales de Paris, Chartres, Laon, Reims, +Amiens, Senlis, Bourges, condensant tous les arts sublimes, toutes les +aspirations élevées, miracles de pierre pour lesquels les peuples +semblent avoir jeté comme en un brasier leur âme ardente, leur foi et +leurs trésors. + +Et Notre-Dame de Paris, sous l’effort d’une génération, naquit, poussée +en cinquante années de travaux dans l’ensemble de sa structure, mais +demandant pour l’achèvement de sa merveilleuse parure de sculptures, +encore un siècle de labeurs et des centaines d’existences d’artistes, de +savants maîtres de l’œuvre et d’imagiers au patient ciseau. + +[Illustration: 1711. DÉCOUVERTE DES DÉBRIS D’UN AUTEL DE JUPITER SOUS LE +CHŒUR DE NOTRE-DAME] + +La Cité après saint Louis, c’est-à-dire lorsque Notre-Dame et la +Sainte-Chapelle, ces deux splendides joyaux de la couronne de Paris, +s’élèvent parfaits et achevés vers le ciel, forme un merveilleux +ensemble d’édifices et pendant trois siècles, c’est-à-dire jusqu’au +moment où l’on commencera à détruire ou dénaturer sa parure du moyen +âge, elle figurera au milieu de la Seine comme la gigantesque +représentation de la nef symbolique de son blason. + +Cet aspect de nef moyen âge baignée par le flot de la Seine a frappé +tout le monde et, oubliant les _Nautes_, les bateliers de Lutèce, on a +voulu y voir l’origine de son emblème héraldique. C’est une de ces nefs +à château d’avant, et château d’arrière: à la proue le palais de saint +Louis, avec son jardin entouré de murs crénelés et la maison des étuves +en extrême pointe; la flèche aérienne de la Sainte-Chapelle au centre +pour grand mât; et vers la poupe, Notre-Dame élevant, majestueuse, sa +haute façade à grandes lignes régulières que dorent ou rougissent les +soleils couchants. + +Dans ce noble vaisseau, d’un bord à l’autre il y a, outre ces deux +châteaux d’avant et d’arrière, des écoles, des hôpitaux, deux couvents, +cinquante-deux rues à maisons forcément bien serrées, bien enchevêtrées +les unes dans les autres, six impasses, des places, dix paroisses, vingt +et une églises ou chapelles. + +_Le dit des rues de Paris_, rimé par Guillot vers la fin du XIIIᵉ +siècle, nomme seulement trente-six rues, certaines modifications, +certains percements de voies sur des emplacements d’hôtels ayant eu lieu +seulement après lui. + + Guillot si fait à tous sçavoir + Que par deça _Grand pont_ pour voir + N’a que deux cents rues moins sis + Et en la Cite trente sis + Outre _Petit Pont_ quatre vingt + Ce sont dix moins de seize vingt, + Dedans les murs, non pas dehors. + +Ces rues de la Cité du moyen âge, notre époque les a connues avant le +grand déblaiement de la Cité,--qui n’en a laissé que quelques-unes +toujours blotties à l’ombre de Notre-Dame--et les a remplacées par un +colossal amas de cubes de pierre tristes et monotones, par des casernes +et par un hôpital formidable, successeur du vieil Hôtel-Dieu, qu’on eût +mieux fait de transporter ailleurs, vers les coins inoccupés des +bastions de l’enceinte moderne. + +Certes, nous les avons vues ces vieilles rues--ou ce qu’il en +restait--étroites et sombres avec des recoins sinistres, des maisons +noires et sordides, des carrefours moisis aux façades lépreuses +renversées en arrière, mais ce n’est point sur ce qu’il nous en était +parvenu, en certains endroits, vieux restes semblables à un décor de +cour des miracles rongé par l’usure des siècles, bariolé de +rafistolages, défiguré, enlaidi, dégradé par la misère, ce n’est point +sur ces tristes débris que nous devons juger la _Cité_ du moyen âge avec +son enclos du Cloître, ses nombreux édifices religieux, grands ou +petits, ses hôtels et ses rues marchandes. + +Alors elles étaient jeunes, ces rues et ces maisons, alors elles +n’étaient point noires et nullement fétides; le moyen âge qui jonchait +de fleurs et de feuillages les nefs des églises et les cours des palais, +et qui jetait des verdures odoriférantes dans les salles des tribunaux, +partout où s’entassent des foules,--ce que nous ne songeons guère à +faire maintenant, le moyen âge n’aimait pas plus que nous les mauvaises +odeurs. Il n’aimait pas davantage l’obscurité et nous en avons pour +preuve les vastes ouvertures, les grands fenestrages des façades +d’autrefois, fenêtres qu’on a, depuis, bouchées et rapetissées en +largeur et en hauteur pour nous marchander l’air et la lumière. De ce +que nous les voyons en leur misère et leur décrépitude, ne concluons pas +que ces rues et ces maisons ont toujours eu leur triste aspect +d’aujourd’hui; le masque lamentable de la sénilité peut-il nous faire +juger de la beauté d’une figure en son printemps. + +Mais pénétrons dans ce dédale serré de petites rues et par la rue +_Neuve-Notre-Dame_, débouchons sur le Parvis élevé sur un degré de cinq +marches disparues depuis par le lent exhaussement du sol, devant la +splendide et robuste façade agrandie encore par le voisinage des maisons +qui semblent se rapetisser soudain à ses pieds, apparaissant tout +entière avec sa fantastique décoration, ses vastes portails béants où +mille images sculptées se dessinent nettement au soleil ou se devinent +dans l’ombre, avec ses deux grandes lignes horizontales coupant la +masse: la Galerie des rois alignant ses majestueuses statues d’une tour +à l’autre et la galerie des hautes arcades à jour au-dessus de la grande +rosace;--avec les hautes ogives des tours d’où tombent sur la ville le +carillon des cloches et, seulement pour les grandes joies ou les grandes +alertes, la voix grave du bourdon. + +En cette Cité où l’espace est mesuré, où palais, églises et maisons se +serrent si bien les coudes, on ne saurait imaginer espace mieux rempli +et plus meublé. + +[Illustration: SAINT-JEAN LE ROND ET LES ENFANTS ABANDONNÉS] + +L’Hôtel-Dieu d’abord, au pied de la tour méridionale, se présente aux +gens avec son petit porche d’entrée et ses bâtiments divers découpés +très irrégulièrement. C’est ensuite l’église Saint-Christophe tournant +son abside au parvis, devant le débouché de la rue +Saint-Pierre-aux-Bœufs qui montre l’entrée de l’église Saint-Pierre à +deux pas, derrière le pignon à tourelle du Bureau des pauvres. En face, +juste sous la tour du Nord, s’accote la petite église Saint-Jean le +Rond, humble et pauvre, toute petite, dont le pignon ne monte pas plus +haut que l’ogive du portail de la cathédrale. + +Cet humble Saint-Jean le Rond n’a rien de rond et s’appelle ainsi en +souvenir d’une précédente chapelle Saint-Jean, qui était le baptistère +de la cathédrale mérovingienne, bâti en rotonde, suivant l’usage. Simple +chapelle extérieure, cette annexe de la cathédrale disparut en 1790. +Précédemment à la place de la porte gothique, on lui avait infligé une +entrée surmontée d’un fronton à l’antique, sévice insignifiant pour la +modeste chapelle, mais qui fait penser au péril incroyable couru par +Notre-Dame elle-même, pendant les deux siècles de réaction classique, +par cette splendide façade dont on voulut gratter la parure gothique +pour la rhabiller en style jésuite au temps de Louis XIV, ainsi que l’on +avait fait précédemment à la pauvre façade de Saint-Gervais, ou dont on +faisait charcuter les portails au XVIIIᵉ siècle sous la direction de +Soufflot! + +Les marches de Saint-Jean le Rond ont entendu bien des vagissements de +pauvres petits êtres abandonnés: les mères qui se résignaient à +délaisser leurs enfants, les déposaient là comme le Quasimodo du poète, +pour être recueillis par le chapitre de Notre-Dame. Qui pourrait compter +leur nombre en tant de siècles! Des fondations pieuses s’efforçaient de +subvenir à l’entretien des enfants trouvés, mais le vice, la misère +multipliaient les abandons de malheureux poupons, au grand souci de +l’évêque et des chanoines auxquels cette charge revenait par tradition; +au XVIᵉ siècle elle était telle qu’il fallut faire contribuer les +abbayes et les paroisses de Paris possédant fiefs de haute justice. + +Un matin de 1717, sous le porche de Saint-Jean le Rond, un de ces petits +abandonnés fut trouvé par un pauvre vitrier, qui touché de compassion le +recueillit et l’éleva. L’enfant, baptisé sous le nom de Jean le Rond, +devint le célèbre philosophe d’Alembert, l’un des fondateurs de +l’_Encyclopédie_. + +Sur le côté de Saint-Jean le Rond s’ouvre la porte principale du +cloître, vaste enclos qui enferme toute la pointe orientale de l’île et +qui, très diminué, est aujourd’hui à peu près la seule partie +subsistante de l’ancienne cité. La muraille de cet enclos est +représentée par la rue de la Colombe, la rue basse des Ursins et le +quai. + +C’est là que les derniers débris de la Cité, telle que les siècles +l’avaient faite, peuvent encore se retrouver avec quelques vestiges +d’une chapelle Saint-Aignan au fond d’un bâtiment; de tout le reste, il +a été fait table rase pour le colossal Hôtel-Dieu et les grandissimes +casernes, et pour la grande place actuelle du Parvis qui représente +environ dix fois la grandeur de l’ancienne. + +Les écoles de l’église donnent aussi sur le Parvis à côté de +Saint-Christophe. Le Chapitre de Notre-Dame, haut justicier, a sa prison +proche Saint-Pierre-aux-Bœufs et son échelle patibulaire sur le Parvis +même, laquelle potence ne fut abattue qu’au XVIIᵉ siècle. + +Sur cette place étroite, au débouché de ces rues où les processions +doivent avoir peine à passer, où passeront pourtant les processions +tumultueuses de la Ligue et tant de cortèges triomphants ou sinistres, +voici donc des paroissiens de la cathédrale se rendant aux offices, des +clercs du chapitre allant à leur collège, des pèlerins arrivant, de bien +loin parfois, se prosterner devant le sanctuaire et vénérer les reliques +du Trésor... Saluons le chanoine qui passe sur sa mule, c’est un +cinquantième de très haut et très puissant seigneur le Chapitre. Il s’en +va visiter en son logis quelque gros bourgeois, quelque dignitaire de +l’Université, quelque abbé de l’un des innombrables couvents de la +Ville. + +Qu’est-ce que ce rassemblement? C’est le marché au pain, marché franc où +n’importe quel boulanger du dedans ou du dehors peut apporter ses pains. + +Voici plus qu’un rassemblement, une foule qui se presse et se bouscule +criant ou riant, plaignant ou se moquant suivant le cas, autour d’une +charrette escortée par des archers en hoqueton aux armes de la ville. +C’est quelque malheureux larron, quelque assommeur de carrefour que l’on +va justicier à la potence du Parvis, ou bien un criminel qui vient du +grand Châtelet faire amende honorable, pieds nus et torche en main sur +les marches de Notre-Dame, après quoi le bourreau va le reprendre pour +le conduire subir sa peine en place de Grève. + +Nos seigneurs du Chapitre, les chanoines, sont gens puissants et riches! +Notre-Dame possède des seigneuries, des fiefs dans Paris, des censives +et des rentes, des droits, des terres considérables aux environs de la +ville et bien loin, et même jusqu’à une terre en Provence qui fournit à +l’église l’huile de ses lampes. + +L’évêque et le Chapitre ont leurs menses parfaitement distinctes et +séparées, leurs attributions et leurs droits particuliers. Le Chapitre, +dont on fait remonter la fondation à Charlemagne, se compose, y compris +les hauts dignitaires, de soixante chanoines; n’ayant pas tous reçu les +ordres, tous doivent sous peine de suspension de bénéfice, porter la +tonsure et avoir la barbe rasée, obligation qui donna lieu en 1555 au +refus fait par le Chapitre, ennemi obstiné des longues barbes, +«_contraires à la modestie_», d’admettre Pierre Lescot l’architecte, +pourvu d’un canonicat, tant qu’il porterait sa longue barbe. + +Ce Chapitre dans le cours de son existence a fourni à l’Église des +papes, nombre de cardinaux et une foule d’évêques et d’archevêques; cela +ne l’empêchait pas de se montrer fort soigneux de ses immenses richesses +terrestres, fort jaloux de ses droits et privilèges, qu’il savait +défendre du bec et des ongles même contre les rois. Ses vassaux +n’étaient pas traités toujours avec la mansuétude qu’on eût été en droit +d’attendre d’hommes d’église; l’illustre Chapitre se montrait pour tout +ce qui regardait les redevances aussi rigoureux que n’importe quel +seigneur rude et besogneux. On connaît l’histoire des pauvres habitants +de Châtenay-sous-Paris, serfs de corps de Notre-Dame, qui en 1252, sur +le refus de payer un surcroît d’impositions, furent appréhendés et jetés +sans pitié dans la prison du Chapitre. Saisie d’une plainte, la reine +Blanche, mère de saint Louis, intervint et pria les chanoines de rendre +la liberté aux prisonniers. La demande de la reine fut repoussée avec +une insolence cruelle et pour mieux établir ce qu’il prétendait être son +droit sur les biens et la vie de ses sujets, le Chapitre fit saisir en +masse et jeter avec les autres, les femmes et les enfants de Châtenay. +Les malheureux, ainsi entassés dans tous les réduits ou cachots de cette +prison trop étroite allaient périr de misère ou d’asphyxie, lorsque +accourut la reine indignée, qui fit enfoncer les portes et délivra par +la force les victimes du Chapitre. + +Dans l’enclos du Chapitre il restait à la Révolution trente-trois +maisons canoniales soumises à un régime particulier; chacune était +propriété du chanoine qui l’occupait, sous réserve d’une redevance au +Chapitre, mais ne pouvait être vendue qu’à un chanoine. Le cloître, +c’est-à-dire l’ensemble de ces maisons et jardins n’était pas cependant +tout à fait le séjour de tranquillité que l’on peut supposer, le +paisible asile d’hommes d’étude et de prières, à l’ombre de la +cathédrale. Il se glissa des abus nombreux et des intrus dans la petite +ville canoniale; des chanoines sous-louèrent et, malgré les défenses, +permirent même à des tavernes de s’établir dans des dépendances de +l’enceinte. + +D’ailleurs, il y eut ici jusqu’au XIIᵉ siècle une population qui ne +pouvait manquer d’amener quelques désordres et turbulences avec elle: +c’étaient messieurs les écoliers, en tout temps amis du bruit et en tout +lieu difficiles à tenir en bride. L’Université de Paris, poussin éclos +sous l’aile de l’Église, mais qui devait bientôt réclamer indépendance +et coudées plus franches, eut ses premières écoles dans l’enclos de +Notre-Dame. + +[Illustration: EN HAUT DES TOURS DE NOTRE-DAME] + +C’est dans le préau du cloître, jonché de bottes de paille en guise de +sièges, et dans les différentes cours voisines que se réunissaient +maîtres et écoliers, pour les leçons, cours et controverses. Bientôt ces +assemblées, passionnées pour les grandes querelles philosophiques des +Scolastiques du temps, pour la fameuse controverse des réalistes et des +nominaux, se sentirent à l’étroit de toutes façons dans les bâtiments du +chapitre; les écoliers après les cours, passionnés pour d’autres choses +moins édifiantes, lâchés dans les tavernes de la rue de Glatigny ou chez +les ribaudes du Val d’amour, trop voisines des maisons canoniales, +durent émigrer sur la rive gauche, qui devint leur ville particulière, +la ville de l’Université avec ses nombreux collèges, ses franchises, ses +coutumes. + +Mais les écoles épiscopales du cloître Notre-Dame eurent pour écolier +Abélard et le virent revenir professeur à l’éclatante célébrité, +traînant avec lui à son _camp_ de la rive gauche une armée d’étudiants +suspendus à ses lèvres, enfin, rival victorieux de Guillaume de +Champeaux son ancien maître dont il combattait les idées. Hélas! la +philosophie et la science ne suffisaient pas à remplir toute l’âme +d’Abélard, il aima une femme, d’esprit supérieur comme lui, savante et +belle, Héloïse, nièce du chanoine Fulbert. Le théologien, enflammé +bientôt par cette élève charmante, se fit poète et musicien, compositeur +de chansons amoureuses qui dirent le secret de ses amours à tous les +échos scandalisés du cloître Notre-Dame. L’oncle Fulbert se montra un +terrible gardien de la vertu de sa nièce et vengeur féroce de la morale; +et l’on connaît la malheureuse aventure qui termina ce doux roman +d’amour en jetant Héloïse chez les nonnes d’Argenteuil, en faisant +d’Abélard un moine désespéré, cherchant l’oubli de couvent en couvent, +de Saint-Denis jusqu’au fond de la Bretagne. + +[Illustration: LA FÊTE DES FOUS] + +Abélard, mort en 1142, n’a point connu la cathédrale actuelle. Du temps +où il écrasait sous son éloquence Guillaume de Champeaux, archidiacre de +la cathédrale, c’était toujours la vieille église romane, qu’Étienne de +Garlande restaura vers 1140, restauration dont il fut utilisé des +fragments à la porte Sainte-Anne. + +Vingt ans après, vers 1163, commencèrent les travaux de la nouvelle +cathédrale dont le pape Alexandre III vint poser la première pierre. + +L’œuvre était dirigée par l’évêque Maurice de Sully, un prélat qui avait +été l’un de ces pauvres étudiants mendiant le pain du corps aux portes +des couvents, en sortant des écoles avec la nourriture de l’esprit. La +foi soulève des montagnes, elle élève aussi des montagnes de pierre; +alors se bâtissent également les grandes cathédrales du domaine royal +par l’élan de tous, avec l’aide de dons considérables et d’oboles, avec +le cœur et l’âme de tous,--constructions gigantesques qui nécessairement +impliquent l’existence, dans cette société du moyen âge, d’un nombre +considérable d’artistes, maîtres _massons_, tailleurs de pierre, +sculpteurs non refroidis par Rome, par l’excès de science et +d’érudition, naïfs imagiers du ciseau, dont l’œuvre, d’une imagination +formidable, d’une originalité, d’une abondance et d’une variété inouïes, +après avoir passionné leurs contemporains, stupéfie encore notre temps. + +Avant la fin du XIIᵉ siècle le gros œuvre était fort avancé; la nef et +le chœur étaient couverts et en 1235 l’édifice arrivait à son +achèvement. Les portails latéraux ne sont pas de cette construction +primitive, des modifications importantes furent apportées dès le milieu +du XIIIᵉ siècle au plan primitif, adjonction de chapelles au pourtour de +l’abside, allongement du transept, construction par l’architecte Jehan +de Chelles du merveilleux portail Sud en 1257, construction du portail +Nord par Pierre de Chelles en 1313, avec une portion des richesses +confisquées sur les Templiers. + +Les Parisiens suivaient avec un intérêt passionné la construction de +leur cathédrale et le cœur de Paris battit bien réellement sur ce point, +durant ces cent années de labeur pour la poussée de ces pierres +miraculeuses. + +Que de légendes se formèrent devant ce déroulement d’images sculptées, +devant cette galerie des rois qui représente peut-être, comme le peuple +s’obstinait à le croire, la lignée des rois de France de Childebert à +Philippe-Auguste et non celle des rois de Juda, et devant ce troupeau de +monstres de toutes formes, guivres, dragons, aigles accrochés aux tours, +accoudés aux balustrades, démons lippus contemplant Paris de leurs +prunelles ironiques. + +Ces ferrures merveilleuses si extraordinairement enroulées sur les +portes de la façade principale, qui donc avait pu les forger, tourner +aussi délicatement le fer en volutes feuillues et fleuries? qui donc, +sinon le diable lui-même, maître, chacun le sait, par-dessus tous les +maîtres! Un serrurier chrétien avait tenté l’ouvrage, mais après mille +essais, se reconnaissant vaincu, il offrit désespérément son âme au +diable s’il voulait l’aider dans son travail. L’ennemi du genre humain +consentit pour une simple âme de forgeron à travailler en l’honneur de +Notre-Dame et envoya le démon Biscornette, bon ouvrier devant qui le fer +se tordait presque de lui-même sur l’enclume. + +En conséquence, les ferrures pour les vantaux des deux portes de côté, +dites porte de la Vierge et porte Sainte-Anne, furent terminées et +placées sans peine en un rien de temps; restait la porte centrale, mais +alors le forgeron infernal Biscornette eut beau s’y prendre de toutes +les façons, employer toutes les ressources de son art, il ne put venir à +bout des ferrures de cette porte centrale, qui est celle par où passe le +Saint-Sacrement aux processions. Le fer, devenu soudain rebelle, +résistait à son marteau, si bien que Biscornette, humilié à son tour, +dut abandonner le marché et se replonger dans l’Enfer sans emporter +l’âme du serrurier de Notre-Dame. + +[Illustration: LES CHIMÈRES DE NOTRE-DAME] + +Cette porte centrale, pour donner raison à la légende, nous est parvenue +sans ferrures, soit qu’elle n’en ait jamais eu, ce qui serait bien +extraordinaire, soit qu’elles aient disparu dans une modification +ancienne. On l’a ferrée de nos jours cependant, Viollet-le-Duc +remplaçant Biscornette. + +[Illustration: LES CHIMÈRES DE NOTRE-DAME] + +Autre légende: Sous la porte de gauche ou de la Vierge, une statue de la +Vierge détruite en 1793 ornait le trumeau central, dès les premiers +temps de la construction; à ses pieds était placé le tronc qui recevait +les offrandes pour les travaux de l’église. Or, un jour, un escholier +qui jouait à la pelote, c’est-à-dire à la balle, sur la place avec des +amis, eut l’idée, pour mettre en sûreté un anneau qu’il craignait de +perdre au jeu, de le passer au doigt par lequel la Vierge montrait le +ciel. + +--Je vous donne cet anneau pour gage, dit-il en plaisantant à la statue, +je n’aurai ni amie ni dame, sinon vous! + +[Illustration] + +Et soudain la Vierge, en signe d’acquiescement, plia le doigt de manière +à retenir l’anneau! Le prodige émut fort le jouvenceau qui laissa le jeu +et songea quelque temps à se faire moine. Cependant, repris par le +siècle, notre jeune homme oublia l’anneau offert à la Vierge et il en +offrit un autre à une fiancée riche et bien née. Mais, le soir des +noces, il vit se dresser devant lui la Vierge du portail courroucée, lui +rappelant sa promesse et l’appelant parjure, apparition qui fit fuir le +pauvre garçon jusqu’au prochain couvent où il prit l’habit de moine, _se +mariant ainsi à Marie_, dit la légende rapportée par le bibliophile +Jacob. + +Il y a encore la légende du _Chanoine damné_: racontée sous les voûtes +impressionnantes de l’église, elle devait faire courir le frisson dans +les veines des bonnes gens. Il s’agit d’un membre du puissant Chapitre, +aux temps lointains, mort, croyait-on, presque en odeur de sainteté; +pendant que l’on chantait à ses obsèques l’office des Morts devant une +assistance recueillie qui croyait déjà l’âme du saint homme placée au +paradis parmi les Élus, on vit tout à coup le couvercle du cercueil se +soulever, le mort passer une tête hagarde et brandir un bras hors du +cercueil, en criant par trois fois d’une voix étrange qui roula dans +l’église: _Je suis damné!_ + +Et comme l’assistance, pétrifiée par l’effroi, n’osait bouger, le mort +si vénéré confessa d’horribles crimes insoupçonnés, puis retomba +lourdement dans sa bière, pendant que les fidèles, retrouvant leurs +jambes, s’enfuyaient dans l’épouvante... + +On vit jusqu’au siècle dernier sur cette place du Parvis un monument +singulier, une vieille statue en demi ronde bosse plantée sur le pavé en +avant des portes. Dans cette figure méconnaissable, rongée par le temps, +les vieux historiens et descripteurs de Paris voient soit un Mercure, +soit un Esculape, vestige dernier du temple de la Cité, tandis que +l’abbé Le Bœuf pense plutôt que c’était une statue de Jésus-Christ +détachée du portail de l’ancienne cathédrale romane. Le populaire, +complètement oublieux de l’origine du monument, l’appelait, sur son +aspect misérable, le _grand Jeusneur_ ou _Monsieur Le Gris_ et prenait +pour sujet ou pour endosseur de mille facéties ce vieux sermonneur: + + Vulgairement appelé le Jeusneur + Pour s’être vu, selon l’histoire, + Mil ans sans manger et sans boire. + +Quel plus magnifique cadre pouvait-on rêver pour toutes ces fêtes qui à +des époques fixes venaient émouvoir et doucement réjouir le peuple des +villes par le déploiement de toutes les pompes religieuses sous ces +hautes voûtes, où, dans les fumées de l’encens, les magiques fenestrages +découpés, les roses flamboyantes semblent des ouvertures sur le +ciel,--ou pour d’autres journées de liesse, quand tout à coup, au +lendemain des grandes solennités religieuses élevant les âmes jusqu’aux +plus hautes poésies, éclataient sous les mêmes voûtes les transports de +la joie la plus terrestre, la plus grossière aussi, et se déroulaient +les plus burlesques parodies, devant ces mêmes chrétiens si fervents, et +même avec le concours des prêtres et des clercs! + +[Illustration] + +Franche et sincère, la religion du moyen âge ne connaissait pas +l’hypocrite bigoterie, elle ne frappait point la gaîté d’anathème; au +contraire, le naturel joyeux de la race se taillait sa part dans +l’ornementation des églises, et très largement, on peut le voir aux +milliers de sculptures comiques et satiriques mélangées partout aux plus +édifiantes scènes religieuses. Notre-Dame, au lendemain de la Noël, +avait sa semaine folle consacrée aux cérémonies de la _fête de l’âne_ +et _de la fête des fous_, commençant le 26 décembre par la fête des +sous-diacres, qu’on appelait la fête des diacres-saôuls. Des études +spéciales ont été consacrées à ces étranges réjouissances, dont +l’origine remonte aux premiers siècles du christianisme et se relient +aux saturnales antiques, aux _barbatoires_ des premiers siècles +chrétiens dont elles sont la simple continuation, comme les églises +continuent sur les mêmes lieux les temples païens. + +Fête des fous, fête de l’âne, ou bien fête des innocents, c’était +toujours une parodie des cérémonies du culte, une messe en coq-à-l’âne +et latin de cuisine, chantée dans les tons les plus discordants avec des +_Hihan_ pour alleluias. L’âne de la fuite en Égypte amené en cérémonie +figurait au milieu du chœur et portait une jeune fille avec un petit +enfant dans les bras pour représenter la Vierge et Jésus. + +C’était donc tout d’abord au lendemain de la Noël un petit coin sérieux +et poétique de la fête, puis la pure farce commençait. + +Tous les honneurs du cérémonial étaient pour le brave baudet, sage +monture de la Vierge; on lui chantait gravement la _prose de l’âne_, une +prose burlesque en latin baroque entremêlé de français, à chaque strophe +de laquelle la foule dans l’église clamait le refrain: + + Hez! sire âne, hez, chantez! + Belle bouche, rechignez! + Vous aurez du foin assez + Et de l’avoine à plantez!... + +Et la messe de l’âne s’achevait au milieu des éclats de rire et des +bouffonneries. Les prêtres officiants eux-mêmes, à certains moments, +poussaient des hi-han prolongés, qui servaient de signal aux assistants +pour braire à qui mieux mieux en guise de répons. + +Pour la _fête des fous_ on trouvait le moyen d’exagérer encore ces +singulières drôleries. On choisissait alors parmi les clercs au milieu +des plus étranges cérémonies un évêque des fous que l’on promenait +processionnellement dans l’église et qui, coiffé et mitré, s’en allait +s’asseoir irrévérencieusement dans le siège épiscopal d’où il donnait +avec mille bouffonneries sa bénédiction à la foule. Huit jours après, +l’évêque des fous, amené par une nouvelle procession au son de toutes +les cloches venait, en grande cérémonie, célébrer une parodie de la +grand’messe. Diacres et clercs revêtus d’oripeaux, barbouillés de suie +ou le visage couvert de masques bizarres, barbus et cornus, +remplissaient le chœur, dansant, chantant, faisant mille extravagances. + +Les encensoirs répandaient une âcre odeur de vieux cuir brûlé en guise +d’encens, puis les danses se poursuivaient dans la nef, et les gens +d’église régalaient les assistants de boudins, saucisses et cruches de +vin. Tout n’était pas fini, car la fête se continuait en véritable +carnaval par des processions non moins étranges dans les rues. + +C’était une parodie, mais sans nulle dérision pourtant; la franche +gaillardise de nos pères ne trouvait là nulle matière à s’indigner et +il fallut des siècles pour faire disparaître les derniers vestiges de +ces vieilles coutumes. Vieux moines, graves évêques protestaient +parfois, mais protestations et tentatives d’interdiction n’y firent de +longtemps pas grand’chose et ne purent prévaloir contre la puissance des +vieilles coutumes, tant est vif aussi le besoin instinctif d’une détente +dans l’austérité. + +[Illustration: LE GRAND JEUNEUR, SUR LE PARVIS] + +Outre ces folies alternant avec les solennités religieuses, les +processions de la Fête-Dieu, les représentations de mystères, origine de +notre théâtre, Notre-Dame avait encore la promenade du dragon de saint +Marcel, une sorte de Tarasque d’osier qui partant du cloître le jour des +Rogations, était promenée dans la paroisse par le clergé, à la grande +joie du populaire qui s’efforçait de jeter fruits et gâteaux dans la +gueule du monstre. + +Ces statues étranges penchées à la balustrade au-dessus de la grande +galerie ajourée, ces chimères, guivres et bêtes fantastiques que les +siècles avaient fini par ronger et qu’on a dû refaire de nos jours en +s’aidant de leurs débris, ces diables cornus usant leurs prunelles de +pierres à contempler ou surveiller Paris, quels spectacles la vieille +Lutèce ne leur a-t-elle pas donnés! + +Drames, comédies et féeries, déroulements de splendeurs joyeuses pour +les entrées solennelles de rois ou de reines, départs pour la croisade, +pavoisements et enguirlandements des rues pour les grandes occasions; et +comme contrastes, la longue série des séditions populaires et +révolutions diverses, explosions périodiques de la mauvaise humeur du +peuple foulé ou trompé, furieux accès de rage causés par les trop +longues et trop dures misères. + +Combien de fois les sanglantes lueurs de l’incendie ont-elles illuminé +la face de ces monstres, les flammes courant de rue en rue sur ces +milliers de toits! C’est l’Anglais à Paris et Jeanne d’Arc repoussée +sous la porte Saint-Honoré, à la joie criminelle de la majorité des +Parisiens, de l’Université et des dirigeants. C’est le sang de tant de +bagarres et de tant de massacres que boit sous les pavés soulevés le sol +des rues parisiennes; ce sont enfin les forteresses et les palais qui +s’écroulent et la guillotine qui se dresse, le terrible autel pour la +messe rouge dite chaque jour là-bas, pendant que retentissent sous les +voûtes de l’église les hymnes en l’honneur de la déesse Raison. + +[Illustration: LES ÉCOLES DU CLOÎTRE] + +Il semble qu’en plaçant cette couronne de diaboliques figures au front +du monument, où devant tant de vierges, de martyrs et de saints +s’élèvent comme un encens les prières des foules, les architectes du +moyen âge, philosophes ironiques, aient songé à faire la part du mal et +à fournir des patrons dignes d’eux aux êtres de sang et de proie qui +grouillent dans les bas-fonds des grandes villes, écume sinistre des +agglomérations humaines. + +..... Et Paris contemplé de là-haut était bien grand déjà. Victor Hugo +dans _Notre-Dame de Paris_ a brossé splendidement le grand panorama à +vol d’oiseau + +[Illustration: LA RUE DE LA MONTAGNE SAINTE-GENEVIÈVE ET +SAINT-ÉTIENNE-DU-MONT UN JOUR DE PÉLERINAGE A L’ABBAYE] + +du Paris du XVᵉ siècle, à l’époque où sculpteurs et architectes +achevaient leur merveilleuse ciselure des portails nord et sud. + +Nettement partagé en trois divisions: Cité, dans l’île mère, ville sur +la rive droite de la Seine et Université sur la rive gauche, Paris +agrandi commençait à déborder par-dessus la belle ceinture de remparts +de Philippe-Auguste dont les tours rondes et demi-rondes aux combles +aigus ponctuaient la ligne continue, par-dessus les toits massés en +mille chaînes de collines de tuiles et d’ardoises. + +[Illustration: NOTRE-DAME ET L’ARCHEVÊCHÉ, XVIIᵉ SIÈCLE] + +Au delà, dans la campagne verdoyante où s’allongeaient des embryons de +faubourgs, par-dessus maisons des champs, petits manoirs dans les +vignes, minces villages perdus dans les blés, les abbayes élevaient +leurs clochers, leurs hauts bâtiments à grands combles, leurs vastes +dépendances, enfermées comme de petites villes fortes derrière leurs +fossés et leurs murailles crénelées. + +Aux antiques abbayes de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain se sont +ajoutés le grand prieuré de Saint-Martin des Champs, les abbayes de +Saint-Victor, de Saint-Antoine, tandis qu’au nord-est l’ordre militaire +du Temple couvrait un vaste espace des bâtiments nombreux et solides de +sa Commanderie, dominés par un gros donjon à tourelles, où se gardait le +trésor de l’ordre, future prison de Louis XVI. + +A l’orient, derrière le _Terrain_ ou _Motte aux Papelards_, ancienne +butte de gravats couverte de broussailles, en dehors de l’enceinte du +cloître, sous les tours de l’Archevêché, sous les chapelles du chœur de +la cathédrale, d’où surgissent les aériens arcs-boutants à double volée +soutenant le grand comble, l’île de la Cité semble traîner à sa remorque +l’île Notre-Dame et l’île aux Javiaux, l’île Notre-Dame, future île +Saint-Louis, alors partagée en deux parties et n’ayant encore d’autres +constructions que des petits bâtiments appartenant aux chanoines et +loués à des blanchisseries, et le retranchement défendant la Seine, +relié par des chaînes aux deux parties de l’enceinte. + +Les rois de France sont là-bas dans leur logis immense et compliqué, +vaste ensemble d’édifices réunis sous le nom d’hôtel royal de +Saint-Paul, protégé par la formidable bastille Saint-Antoine. De l’autre +côté, vers le couchant, la sortie de la Seine n’est pas moins bien +encadrée. L’antique Palais de l’île élève ses grands pignons et les +grosses tours de Saint-Louis et de Philippe le Bel, garde robuste de la +Sainte-Chapelle, ce merveilleux reliquaire en fine orfèvrerie de pierre; +en arrière, solide et fier, se carre le gros donjon du Louvre, centre +idéal d’où relèvent tous les grands fiefs de la couronne, donjon +suzerain de tous les donjons des pays de France. + +[Illustration: VIEILLE MAISON DU CLOÎTRE NOTRE-DAME, RUE CHANOINESSE] + + + + +[Illustration: L’ABBAYE DE SAINT-VICTOR] CHAPITRE III + +LES TROIS GRANDES ABBAYES DE LA RIVE GAUCHE + + L’abbaye de Sainte-Geneviève.--Clovis et Clotilde.--Saint-Germain + des Prés, fondation de Childebert.--La sépulture des rois + mérovingiens.--Les Normands.--Massacres et dévastations.--L’Abbaye, + petite ville féodale à côté de Paris.--Le réfectoire, fabrique de + poudres.--L’explosion et l’incendie.--Ruine définitive.--Le Pré aux + Clercs.--Luttes avec les Escholiers.--La foire Saint-Germain.--Les + abbés commendataires.--L’abbaye de Saint-Victor.--Les jardins des + chanoines.--La Bièvre.--Ce qui reste des trois abbayes. + + +Paris moine et Paris escholier, confondus ensemble jusqu’au temps +d’Abélard sous les arceaux de Notre-Dame, se confondent et se mêlent +encore pendant des siècles quand les écoles essaiment et s’en vont +former la grande et puissante Université de l’autre côté de l’eau. + +[Illustration: LA PREMIÈRE ÉGLISE SAINTE-GENEVIÈVE FONDATION DE CLOVIS] + +Le Paris qui étudie, c’est le Paris de la rive gauche, l’Université, la +ville des escholiers qui devenus trop nombreux pour tenir dans les +préaux de la cathédrale et dans les petites rues de l’île déjà trop +pleine, trouvant instinctivement cloîtres et dogmes trop étroits, ont +franchi la Seine et créé le camp de la science, sur les débris du camp +romain, autour et dans les dépendances, les clos et jardins du vieux +palais latin. + +Il s’y est élevé tant de collèges, tant de nids de clercs et de +_sorbonnagres_, comme dit Rabelais, il y a tant de maisons où se +clarifient et se distribuent les choses de l’esprit, les connaissances +humaines; tant de collèges petits ou grands, pêle-mêle sur les pentes de +la montagne, groupés et enchevêtrés avec les églises et les couvents! + +Paris qui prie n’est pas cantonné dans un seul quartier; sur les deux +rives de la Seine, des abbayes, des prieurés, des églises, filles de +Notre-Dame, nombreuses et rapprochées, parfois se suivant à la file sur +les grandes voies, découpent la ville en un nombre infini de paroisses, +élevant par-dessus les quartiers à hôtels féodaux et les quartiers où +travaille et grouille le populaire en ses maisons serrées, tantôt de +superbes clochers merveilleusement découpés, tantôt d’humbles petites +flèches ardoisées, ces petites flèches devenues si rares aujourd’hui. + +Olivier Truschet et Germain Hoyau, dans la légende d’un plan du XVIᵉ +siècle dont l’unique exemplaire a été retrouvé à Bâle, donnant «_le vray +pourtraict naturel de la ville, cité et Université_», comptent au XVIᵉ +siècle 104 églises ou monastères et 49 collèges. + +Un siècle plus tard les maisons religieuses, églises, couvents, +chapelles, hôpitaux dépassent le chiffre de deux cents, et la révolution +trouvera encore ce nombre augmenté. Les quatre cinquièmes disparaîtront +alors, et si bon nombre de ces édifices au point de vue de +l’architecture ne présentaient qu’un intérêt secondaire, certains, il +faut le dire, doivent être à jamais regrettés, qui étaient de pures +merveilles de notre art national et contenaient dans leurs nefs +d’admirables monuments aussitôt détruits ou dispersés, de superbes +stalles ou boiseries barbarement jetées au feu, des vitraux d’une +splendeur et d’un éclat incomparables, brisés sans pitié. + +Il faut distinguer, en ce Paris religieux du moyen âge, les grands fiefs +ecclésiastiques dans tout leur appareil féodal, avec leurs tours, leurs +prisons, leurs justices,--les grandes églises, suzeraines d’églises +dépendantes nées d’elles-mêmes dans le cours des âges,--les chapelles +d’hospices, de collèges, de confréries, de corporations,--les prieurés, +couvents ou monastères où pullule le peuple innombrable des moines et +des nonnes de tout ordre et de toute condition, priant ou travaillant, +s’engraissant dans une béate oisiveté ou peinant devant les grabats des +pauvres, dans les hôpitaux et maladreries. + +Parmi ces établissements religieux innombrables, si divers d’importance +et de mérite, il faut mettre à part cinq ou six grandes abbayes qui sont +des petites villes dans la grande, des prieurés, des commanderies qui +dominent de leur importance la foule des petits couvents. + +Les membres du clergé séculier, les prêtres des églises vivant de la vie +de leurs paroissiens, en rapport journalier avec chacun pour toutes les +occasions de la vie, sont en général estimés et aimés de tous. Leur +influence est immense dans l’étendue de leur circonscription petite ou +grande, et on ne le verra que trop au temps des luttes religieuses +lorsque, devenus boute-feux de la guerre civile, ils mettront +malheureusement cette influence au service de la Ligue et feront de +leurs paroissiens, ouvriers ou bourgeois, d’enragés combattants des +barricades et des remparts. + +[Illustration: RUE CLOVIS, FRAGMENT DU REMPART DE PHILIPPE-AUGUSTE ET +TOUR DE SAINTE-GENEVIÈVE] + +Il n’en va pas tout à fait de même pour le clergé des ordres religieux, +pour ces moines de toutes les couleurs, des ordres mendiants ou des +ordres riches, tous fortunés, d’ailleurs, qui vivent hors du siècle dans +des couvents fermés, dans ces immenses abbayes forteresses si riches et +si puissantes. On aime certains de ces ordres pour leur esprit de +charité, pour leur vie humble, on en déteste d’autres pour la raison +contraire, on en méprise plus ou moins quelques-uns. Le peuple ne +distingue pas toujours si certains de ces moines, dans le silence de +leurs grandes salles, se livrent à l’étude, à des travaux scientifiques, +partagent leur vie entre les méditations pieuses et la culture de +l’esprit; il ne voit que la richesse des abbayes, la vie facile assurée +derrière ces murailles superbes. + +Le bourgeois songe aux rentes qu’il doit payer pour les terres qu’il +tient en fief, pour les maisons dépendant de la censive de ces moines, +il additionne les énormes revenus de ces couvents. + +Et l’artisan chef de famille qui travaille dur, et qui malgré ses rudes +labeurs a bien du mal à faire vivre sa nichée, est tout disposé à +trouver trop facile et trop grasse l’existence des bons pères, si +complètement libérés de préoccupations terrestres et si douillettement +abrités contre toute male aventure dans leurs bonnes murailles bien +munies. + +Certaines de ces abbayes, institutions vieillies, méprisent les +anciennes règles établies et se donnent toute licence pour les +satisfactions matérielles. L’idée religieuse, le but charitable des +fondations, l’origine de la fortune conventuelle, tout est oublié. Cette +fortune ne sert qu’à engraisser les moines adonnés à la gastronomie et +s’appliquant égoïstement toutes les ressources mises entre leurs mains à +d’autres intentions. + +Aussi quelle place tiennent, dans la vie du moyen âge, toutes ces +légions de moines qui occupent les meilleures places au soleil de chaque +quartier, ces moines coudoyés à toute heure dans la rue, ces frocards, +les uns aimés, les autres franchement détestés, les uns respectés, les +autres méprisés, presque tous raillés d’ailleurs par l’esprit frondeur +du Parisien bien ou mal pensant; gras prieurs, capucins quêteurs +tournant autour des broches, prêcheurs à faconde populacière, frères +débauchés ou grands _humeurs de piot_, tourmenteurs de maris, héros de +mille contes, fabliaux ou facéties... + +Trois grandes abbayes, un prieuré, deux commanderies dominent de leur +importance la foule des grands et petits couvents; ce sont: +Sainte-Geneviève, Saint-Germain des Prés, Saint-Victor, la commanderie +de Saint-Jean de l’Hôpital ou de Latran sur la rive gauche, le prieuré +de Saint-Martin des Champs et la commanderie du Temple sur la rive +droite. + +Situées toutes les deux presque au bord de la Seine, l’une en amont et +l’autre en aval de Paris, les abbayes de Saint-Germain et de +Saint-Victor se font pendant au pied des deux versants opposés du mont +Lucotitius, que couronne une troisième abbaye, celle dédiée à sainte +Geneviève par Clovis et Clotilde. + +Dans l’église de l’abbaye de Sainte-Geneviève, ancienne basilique +Saint-Pierre et Saint-Paul élevée non loin du palais romain des rois +mérovingiens, le plus grand de ces mérovingiens, le terrible Clovis, +trônait encore il y a cent ans, couché en pierre sur sa dalle funéraire +au centre de sa nef. C’était le fondateur. Le farouche Sicambre ayant +brûlé ce qu’il adorait précédemment et adopté le dieu de Clotilde, +décidément plus fort que les dieux de ses ancêtres, avait un jour gravi +la colline au-dessus du palais des empereurs romains et, arrivé sur le +plateau, lançant sa francisque au loin, il avait mesuré à la force de +son bras la basilique qu’il allait élever. Cette basilique du VIᵉ +siècle, qui dura jusqu’au XIIᵉ, n’était point si barbare, Clovis y avait +mis de la magnificence, il y avait employé les matériaux les plus +précieux et l’avait décorée intérieurement et extérieurement de +peintures et de mosaïques. + +[Illustration: RESTES DE L’ABBAYE DE SAINTE-GENEVIÈVE AU LYCÉE HENRI IV] + +La statue couchée du roi marquait la place de son caveau funéraire, au +milieu de son église; dévorée par le temps, la statue avait été refaite +au XIIᵉ siècle. Clotilde aussi était là, enterrée près du tombeau de +sainte Geneviève et, avec Clotilde, les enfants de Clodomir massacrés +par leurs oncles. + +La basilique, dédiée à saint Pierre et saint Paul, avait pris dès le +siècle suivant le nom de Sainte-Geneviève. La dévotion aux reliques de +la sainte, proclamée patronne de Paris, donna vite une grande importance +au monastère créé pour le service de la basilique. Ces précieuses +reliques étaient enfermées dans une magnifique châsse, précieuse par le +travail et par le métal, par les pierreries accumulées, souvenirs de +dévotions royales au cours des siècles. Au XVIᵉ siècle, cette châsse fut +placée, portée par quatre anges de Germain Pilon, en haut d’un groupe de +hautes colonnes derrière le grand autel. + +Saint-Germain des Prés remonte aux mêmes temps. Childebert, fils de +Clovis, au retour d’une expédition victorieuse en Espagne d’où il +rapportait des reliques conquises sur les habitants de Saragosse, et +saint Germain, évêque de Paris, furent ses fondateurs. L’église +primitive, dédiée à saint Vincent, était recouverte de plaques de bronze +doré. A la mort de saint Germain, enterré dans une des chapelles, +l’abbaye prit son nom. Illustre autant que celle de sainte Geneviève dès +les premiers siècles de la monarchie, elle fut un Saint-Denis +mérovingien pour les tombeaux des rois de la première race alignés dans +sa nef. + +[Illustration: ABBAYE DE SAINT-GERMAIN DES PRÉS, FONDATION DE CHILDEBERT + +LA TOUR DE L’ÉGLISE] + +L’abbaye de Saint-Germain a eu sa grande part de tous les maux qui ont +traversé l’existence de Paris sous les Carlovingiens, de tous les +bouleversements et de toutes les secousses de cette époque. + +Chaque fois que la nef de Paris a menacé de sombrer, Saint-Germain des +Prés a péri, s’est écroulé dans les flammes, sur les cadavres de ses +moines égorgés, et à chaque retour de la paix, les survivants de +l’abbaye revenus au bercail ont fouillé les décombres et relevé les +murailles. + +Après les prospérités des commencements, survint, pour les deux riches +abbayes, une ère de cruelles épreuves, avec les invasions normandes. Que +Paris se rachetât comme à la première visite des pirates du Nord ou +qu’il se défendît, les deux abbayes situées _extra muros_ avaient à +supporter le premier choc des terribles ravageurs. + +Dès que les nefs normandes apparaissaient en Seine, dès que la fumée des +incendies signalait de loin leur approche, les moines de +Sainte-Geneviève portaient en lieu sûr les reliques de la sainte et les +ornements d’orfèvrerie dont saint Éloi avait revêtu son tombeau; les +moines de Saint-Germain mettaient en état de défense leurs murailles ou +essayaient de se racheter par une rançon. Puis la ruine et l’incendie +s’abattaient sur les édifices. Saint-Germain fut pillé et brûlé, dit-on, +cinq fois. + +Après le grand siège normand, le long et opiniâtre siège soutenu de 885 +à 887 par l’évêque Gozlin et Eudes, comte de Paris, il n’y avait plus +que des ruines sur la montagne de Sainte-Geneviève et dans les prés de +Saint-Germain, ruines parmi lesquelles les moines se réinstallèrent +timidement, se contentant de restaurations partielles. + +[Illustration: BAGARRE ENTRE LES ESCHOLIERS ET LES GENS DE L’ABBAYE SUR +LE PRÉ AUX CLERCS] + +Des édifices saccagés par les Normands il ne restait plus à +Sainte-Geneviève, lors des démolitions définitives, que certains pans de +murailles utilisés, des colonnes, des chapiteaux romains fort +remarquables, entrelaçant aux plus bizarres rinceaux les figures +humaines et les animaux. Il ne reste à Saint-Germain des Prés que la +base de la grosse tour reconstruite avec l’église par l’abbé Morard au +XIᵉ siècle, et les colonnes de l’abside aux admirables chapiteaux +fouillés avec une verve surprenante, surchargés, parmi les enroulements +de feuillages, d’animaux fantastiques, lions ailés, griffons, harpies. + +Que de mutilations a subies l’intérieur de Saint-Germain des Prés au +siècle dernier! Derrière le petit porche très laid plaqué à la base de +la tour, le portail présentait une belle décoration, huit grandes +statues d’une beau style admirablement et curieusement drapées, +représentant des rois et des reines appuyés aux colonnes. Entrée +majestueuse pour l’église mérovingienne. Les bénédictins y voyaient, à +droite Thierry, Childebert, Ultrogothe sa femme, et Clotaire; à gauche +Clovis, Clotilde, Clodomir, avec saint Rémy. Les statues ont été +enlevées; les tombeaux de ces mêmes rois dans la nef ont été violés et +détruits, le maître-autel et les châsses ont disparu aussi, bien des +remaniements ont eu lieu, succédant à d’autres remaniements, opérés au +XVIIᵉ siècle. + +A l’extérieur l’église élevait sur les bras du transept deux autres +clochers plus petits que celui du portail; on a dû les démolir en 1820, +parce qu’ils menaçaient ruine. On devait les reconstruire pour rendre à +l’église sa physionomie, particulière entre toutes celles de Paris, elle +les attend encore. + +Reconstruites à peu près totalement au XIIIᵉ siècle, les deux abbayes, +Sainte-Geneviève sur sa colline et Saint-Germain dans ses prairies, +présentaient un ensemble d’une imposante splendeur, chacune groupant au +pied de son église ses magnifiques bâtiments neufs, ses cloîtres, ses +nombreuses dépendances dans un vaste enclos défendu par des murailles +garnies de tours. + +Sainte-Geneviève couvrait tout le haut de la montagne, dans la ville +maintenant, à l’intérieur des murs de Philippe-Auguste, sous la porte +Saint-Marcel. A côté de l’église s’élevait le grand pignon du +réfectoire; la salle du chapitre et le cloître s’abritaient au pied de +la haute tour qui nous reste au-dessus de la rue Clovis. Cette tour, +romane par sa base et ogivale ensuite, était le clocher de l’église, +privé de son ancienne flèche de pierre par un incendie qui nécessita une +reconstruction des étages supérieurs. + +Un énorme anneau de fer scellé en haut du grand pignon de l’église fut +longtemps l’objet de bien des suppositions; suivant l’opinion la plus +probante, c’était un vieux souvenir du droit d’asile attribué à tant +d’églises et de monastères. On sait que tout criminel qui parvenait à se +réfugier sous le porche ou dans l’intérieur de certains édifices--ici à +Sainte-Geneviève, quand il avait passé le bras dans l’anneau du +portail--devenait inviolable et que toute poursuite devait s’arrêter. +Lorsque ce droit, heureux quelquefois, abusif le plus souvent, fut +supprimé, les moines de Sainte-Geneviève, en souvenir de l’antique +privilège, auraient enlevé l’anneau pour le placer tout en haut du +pignon, endroit inaccessible pour les fugitifs privés d’ailes. + +Les vieux bâtiments conventuels furent refaits en grande partie ou +restaurés au XVIIIᵉ siècle; l’abbaye, comme tant d’autres, perdit alors +son aspect gothique. En même temps, comme l’église du XIIIᵉ siècle +menaçait ruine, on résolut de la remplacer par le grand édifice +gréco-romain de Soufflot. Les travaux commencés en 1758 nécessitèrent +la démolition du collège de Lisieux et de quelques anciens bâtiments; la +première pierre de l’église supérieure fut posée en 1763 par Louis XV. +Des tassements, des excavations contrarièrent les travaux et firent +longtemps douter de l’achèvement de l’œuvre et de la solidité du dôme. A +la Révolution, la nouvelle Sainte-Geneviève, inachevée encore, devint le +Panthéon, et pour commencer, à la place des reliques de sainte Geneviève +jetées à la voirie, reçut comme nouvelles reliques les cendres de +Voltaire et de Rousseau, de Mirabeau et de Marat. Quant à l’ancienne +église, on la démolit en 1806; la rue Clovis passa dans sa nef, +épargnant heureusement le svelte clocher. + +Les siècles avaient rempli cette église et sa crypte immense de tombeaux +de tous les âges, depuis les sépulcres gallo-romains et mérovingiens +remis au jour par la pioche des démolisseurs, jusqu’aux fastueux +cénotaphes de la Renaissance; c’est à peine si des débris de +quelques-uns de ces tombeaux, statues, pierres tombales ont pu être +sauvés et recueillis par nos musées. + +Saint-Germain des Prés était en dehors de l’enceinte de Paris. Jusqu’au +XVᵉ siècle la cité monastique si rapprochée de la ville s’éleva +complètement isolée au milieu de champs et de prairies. L’espace entre +le mur de l’abbaye et celui de Paris, à la pointe de Nesle, était en +cultures, avec quelques petites bicoques çà et là campées sur le revers +du fossé, formant vers la porte Bucy une amorce de faubourg. Un ruisseau +emprunté à la Seine, la Noue ou petite Seine venait remplir les fossés +de l’abbaye et clore le petit Pré aux Clercs. + +De l’autre côté de cette petite Seine, vers le couchant, s’étendaient le +grand Pré aux Clercs, si fameux jusque sous Louis XIV, et le grand clos +de l’abbaye, que dominaient une petite chapelle isolée, une maladrerie +et un moulin à vent tournant sur sa butte. + +Voilà le cadre. L’abbaye avec ses fossés pleins d’eau et son enceinte +crénelée flanquée de quelques tours rondes et de tourelles en +encorbellement, occupe une sorte de quadrilatère irrégulier. Deux portes +à pont-levis donnent accès dans l’intérieur, l’une à l’est regardant +vers la ville et l’autre à l’ouest, plus forte, devant la courtille de +l’abbaye, dite porte papale, depuis qu’en 1163 le pape Alexandre III, +étant venu consacrer l’église reconstruite, y avait passé en allant +prêcher en plein air dans le Pré aux Clercs. Après une première cour +traversée, on se trouvait dans les jardins intérieurs, devant les beaux +bâtiments du Réfectoire et du Chapitre formant deux côtés du cloître, +sous le flanc nord de l’église. + +Le Chapitre, immense bâtiment contenant aux étages supérieurs les +dortoirs des moines, montrait une architecture rude et sévère, mais le +réfectoire par sa légère architecture rappelait tout à fait la Sainte +Chapelle du palais de saint Louis; c’était d’ailleurs l’architecte de +saint Louis, Pierre de Montereau, qui l’avait construit ainsi que la +grande chapelle isolée, dédiée à la Vierge, en arrière du bâtiment du +chapitre. + +Comme une _châsse_ de pierre finement ciselée et fouillée, le réfectoire +formait une immense et admirable salle où la lumière entrait à flots, +colorée par les superbes vitraux de ses hautes fenêtres, presque +entièrement semblables à celles de la Sainte Chapelle; on y admirait la +chaire du lecteur, dans le genre de celle qui nous reste au réfectoire +de Saint-Martin des Champs (Arts et Métiers), chaire magnifiquement +sculptée où pendant le repas un moine montait faire une lecture pieuse. + +Quand la Révolution en 1792 supprima l’abbaye, où il ne demeurait plus +qu’une quarantaine de moines, les bâtiments libres et le splendide +réfectoire lui-même furent bientôt, comme tous les locaux disponibles +dans toute la ville, transformés en prison. + +Pour le malheur des admirables bâtiments on y établit ensuite, ou en +même temps, une fabrique de salpêtre. Il arriva ce qui devait +inévitablement arriver en pareil endroit, dans le désordre des +affectations diverses. Le 2 fructidor an II la fabrique sauta, +renversant l’édifice de Pierre de Montereau et incendiant les autres +bâtiments. Ce fut un désastre, le feu gagna la riche bibliothèque de ces +bénédictins illustres par leurs travaux, collection précieuse depuis +longtemps mise par les moines à la disposition des érudits laïques. +Presque tout fut perdu, détruit par les flammes, gâté par l’eau ou jeté +par charretées dans les cours, à la disposition de quiconque voulait +fouiller dans les tas. + +L’ancien bibliothécaire dom Poirier, le dernier moine resté à l’abbaye +par dévouement à ses livres, put à peine, sous les flammes ou sous les +torrents d’eau des pompes, à force d’efforts d’abord, et de soins +ensuite, sauver une partie des manuscrits. + +Peu après ce lamentable désastre, la destruction de la bibliothèque +après le pillage du trésor, s’achevèrent les destins de l’abbaye. Les +ruines du réfectoire, les bâtiments subsistants, le dortoir, la chapelle +de la Vierge furent abattus et après treize siècles d’existence +glorieuse, l’abbaye fondée par Childebert disparut. L’église seule en +est conservée ainsi qu’une partie du palais abbatial construit par ce +cardinal de Bourbon abbé de Saint-Germain, qui fut le roi de la Ligue +sous le nom de Charles X, après l’assassinat d’Henri III. Le palais +abbatial est une propriété particulière, la rue de l’Abbaye actuelle, +tracée à travers le cloître, y vient aboutir; les maisons du côté nord +occupent la place du réfectoire et de la belle chapelle de la Vierge de +Pierre de Montereau. + +L’abbaye au temps de sa splendeur, en possession de biens considérables, +avec haute et basse justice, droits importants et nombreux, tant sur la +rivière que sur les métiers et les marchés installés sur son territoire, +vit bientôt une petite ville se former autour de ses murailles. C’était +le faubourg Saint-Germain qui naissait, commençant par quelques rues sur +le revers du fossé, entre la porte de Nesle et la porte de Bucy, et se +poursuivant bientôt jusqu’à la rue qui menait au village de Vaugirard. + +Reportons-nous à l’époque des prospérités de l’abbaye. Un gros sujet de +tracas pour les moines, ce sont messieurs les escholiers ses voisins. +L’Université et les abbés vivent en luttes perpétuelles. Les écoles +prétendent avoir des droits sur les prairies, cadre verdoyant de +l’abbaye du côté de la Seine; elles ne se contentent pas du grand Pré +aux Clercs à elles octroyé par une ancienne concession, elles veulent +aussi le petit que les moines prétendent garder. + +Fort souvent des rixes éclatent entre ces turbulents écoliers et les +sergents de l’abbaye soutenus par les habitants du bourg Saint-Germain, +et les écoliers ont parfois le dessous. L’Université, qui défend +énergiquement ses enfants, même quand ils ont tort, intervient alors. + +[Illustration: L’EXPLOSION DE L’ABBAYE DE SAINT-GERMAIN, DESTRUCTION DU +RÉFECTOIRE] + +Pour des querelles tournées en batailles, pour des délits quelconques, +pêche dans les eaux de la petite Seine dont le poisson appartient aux +moines et que par conséquent les écoliers aiment à capturer, pour des +déprédations commises, bien des écoliers font connaissance avec la geôle +de l’abbaye ou vont même figurer au pilori des seigneurs abbés, tourelle +de justice élevée au milieu du carrefour, devant le guichet de l’abbaye. +Grande rumeur alors au pays des collèges; on s’attroupe devant la +justice de l’abbaye, on montre son mécontentement par des cris et des +grognements et on console les patients. C’est Jehan le Picard, étudiant +du collège de Beauvais, bien connu ès tavernes de la rue Saint-Jacques +qui, la tête passée dans un cercle de bois, tourne en montrant sa +grimace à chaque ouverture du pilori. C’est le grand Pierret Guillot du +collège de Karembert, coureur de mauvais lieux, faible latiniste, mais +bon larron; celui-ci tire son pain d’une bourse fondée par quelque pieux +abbé qui n’a pas songé à la soif, et pour boire il détrousse le soir les +passants attardés... + +Les délits reprochés à ces malandrins saisis sur les terres de l’abbaye +sont avérés; n’importe, grande colère et réclamations de l’Université, +qui prétend être seule justicière des écoliers. + +Cette lutte entre les droits de l’abbaye et les prérogatives de +l’Université donna lieu parfois à de véritables combats. En 1278, les +moines ayant commencé quelques constructions sur le petit Pré aux +Clercs, les écoliers s’en offusquent et résolument s’en viennent les +démolir; le tocsin de Saint-Germain sonne alors, appelant à la rescousse +les gens de l’abbaye; ils accourent et il y a sur le terrain en litige +bataille rangée, un rude combat où les flèches sifflent parmi les volées +de pierre; les étudiants en déroute doivent quitter la place, laissant +sur le terrain des morts et des blessés ainsi que des prisonniers. + +[Illustration: LA FOIRE SAINT-GERMAIN] + +Pendant la bagarre, des gens de l’abbaye avaient couru occuper les +portes de la ville; quand les escholiers abandonnant la partie veulent +rentrer dans Paris, ces nouveaux adversaires leur tombent dessus et font +prendre à bon nombre un bain forcé dans les fossés. + +Pour venger les morts de cette échauffourée l’Université en appela au +pape et au roi; elle eut gain de cause, l’abbaye fut condamnée, son +prévôt chassé avec quelques-uns de ceux qui avaient le plus violemment +féri sur les écoliers, sans parler des satisfactions pécuniaires aux +blessés et aux parents des occis. + +On revit nombre de fois encore des reprises d’hostilités et d’aussi +chaudes batailles. Au XVIᵉ siècle, particulièrement en 1550, 1552, 1555, +il y eut graves bagarres et dégâts importants. + +En juillet 1548, ce fut presque un siège que les étudiants firent subir +à l’abbaye; ils se livrèrent pendant plusieurs jours à toutes les +dévastations dans les jardins et le grand clos de l’abbaye qu’ils +ravagèrent, empêchés seulement par le rempart de pousser plus avant les +dégâts. Le soir venu, les vainqueurs ayant arraché plus de 3,000 pieds +d’arbres dans l’enclos, rentrèrent chargés de branches et de ceps qu’ils +allèrent brûler en feux de joie sur la place Sainte-Geneviève. + +En 1557, ce fut encore plus sérieux; toujours pour maintenir leurs +droits sur le Pré, les écoliers s’en vinrent brûler trois maisons +construites par les moines. On vit la ville écolière en ébullition, +sourde à toutes les remontrances, résister à ses régents, au recteur, au +parlement, disperser les quelques sergents de la force publique et +démolir leurs postes; les écoliers menaçaient même de brûler les +collèges si on empêchait leurs attroupements. + +[Illustration: ENTRÉE DE LA FOIRE SAINT-GERMAIN AU XVIIᵉ SIÈCLE] + +Cette fois il fallut prendre de très sérieuses mesures pour garantir +l’abbaye et les habitants du bourg Saint-Germain; le roi intervint, +menaça de faire avancer les troupes et fit élever quelques potences pour +en imposer aux fauteurs de troubles; en même temps une ordonnance +enjoignit aux écoliers français de rentrer tranquillement dans leurs +collèges, et aux étudiants étrangers de sortir du Royaume sous quinze +jours; comme ceux qui n’obéirent pas tout de suite furent jetés en +prison, l’ordre régna bientôt au turbulent pays latin. Pour enlever tout +nouveau sujet de discorde entre l’abbaye et l’Université, le roi +confisqua le Pré aux Clercs, objet du litige, les Écoliers n’y eurent +plus d’autres droits que ceux de tous les Parisiens. + +A la fin du XVᵉ siècle l’abbaye fonda, par permission royale, la très +célèbre foire de Saint-Germain, qui pendant trois cents ans eut une +vogue extraordinaire. A l’origine, c’était une foire franche qui ne +devait durer qu’une huitaine de jours, mais bientôt la coutume vint de +faire durer les huit jours cinq ou six semaines, et encore les +marchands, qui faisaient là de très bonnes affaires, obtinrent-ils +souvent d’autres prolongations. + +Les religieux avaient fait construire 140 loges, divisées en neuf rues +tirant leurs noms de la nature des marchandises exposées. Ouverte en +1486, la foire Saint-Germain eut bien vite un succès prodigieux. Ce +n’était pas seulement un marché, c’était aussi un champ de fête +perpétuelle. A côté des riches étalages où, comme en nos Expositions +modernes, les marchands apportaient tous les produits industriels +possibles, il y avait de nombreux lieux de plaisir, cabarets, théâtres, +académies de jeux, tripots de toutes sortes, débordant largement par les +rues avoisinantes et amenant une nombreuse population de mœurs +équivoques, amie du désordre sous toutes ses formes, à côté des +marchands et des simples chalands ou curieux. + +La mode, aussi puissante alors que maintenant, avait adopté l’endroit et +lui maintint ses faveurs jusqu’au jour où, fatiguée par trois siècles de +constance, elle passa la rivière et trouva dans les galeries du +Palais-Royal les mêmes séductions et les mêmes plaisirs, dans un cadre +modernisé. + +Assemblage étrange, au milieu de tout cela, parmi ces loges de bateleurs +et ces cabarets douteux, la foire Saint-Germain avait sa petite chapelle +particulière avec son desservant,--ce qui rappelait à tous que le champ +de fête était une fondation des moines. + +Quel tableau animé présentait la foire Saint-Germain en son beau temps! +Quelle foule! Quel tapage! Toute la ville était là, représentée par +toutes les classes; bourgeois, populaire, seigneurs, clercs, escoliers, +laquais faisant la fortune des marchands et des bateleurs, portant des +droits considérables au trésor de l’abbaye et luttant aussi parfois de +turbulence dans les désordres du soir, aux spectacles et aux tripots. + +Les rois du XVIᵉ siècle ne dédaignaient pas d’y venir. Henri III +parcourant les galeries avec ses mignons y fut insulté par des escoliers +qui les suivaient, le cou pris dans des fraises de papier, en +ridiculisant leurs attitudes et en leur criant au nez: «A la fraise, on +reconnaît le veau.» + +Les occasions de désordre ne manquaient pas, ni les voleurs coupant les +bourses, enlevant les manteaux, ni les bretteurs non plus; souvent épées +et dagues se mettaient de la partie et maintes rixes ensanglantèrent la +fête. Reconstruite en 1511, la foire Saint-Germain vécut jusqu’à la +Révolution. + +En ses dernières années, une nuit de mars 1762, les bâtiments, +boutiques, tripots et théâtres avaient été complètement détruits par un +incendie dont la violence fit rouler les flammes jusqu’aux murailles de +Saint-Sulpice. On reconstruisit bientôt le tout, galeries, boutiques, +loges pour les physiciens, charlatans, montreurs de phénomènes, théâtre +pour les «_farceurs de la foire_», c’est-à-dire + +[Illustration: ÉCOLIERS AU PILORI DE L’ABBAYE DE Sᵗ-GERMAIN + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +plusieurs salles où les acteurs des théâtres de la ville venaient +pendant six semaines ou deux mois que durait la foire, jouer des pièces +comiques, d’un genre spécial et souvent trop libre. Il y eut aussi alors +le _Waux hall de la foire_, vaste établissement de plaisir, avec une +salle de bal en rotonde à ciel ouvert. + +Mais la grande vogue n’y était plus, en 1786 la foire Saint-Germain +avait vécu. A sa place, sous l’empire, on construisit le marché actuel. + +[Illustration: L’ABBAYE DE SAINTE-GENEVIÈVE AU XVIIIᵉ SIÈCLE] + +Le palais abbatial qui subsiste encore et dresse dans la rue de +Furstenberg sa noble façade de briques et de pierres, fut commencé en +1586 par le cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen et abbé de +Saint-Germain, le Charles X des Ligueurs. Plus tard le XVIIᵉ siècle, qui +ne trouvait plus à son goût les monuments gothiques, refit le grand +cloître en froides arcades plein cintre et pilastres doriques. L’aspect +féodal de l’antique abbaye se modifiait peu à peu; la ville +l’enveloppait maintenant; les vieux remparts et les tours tombèrent, les +fossés furent comblés et à leur place on fit des rues bientôt couvertes +de bâtisses. Les moines élevèrent eux-mêmes des maisons à loyer dans +les rues situées autour du palais abbatial restauré par le cardinal +landgrave de Furstenberg, abbé commendataire. + +Le XVIIIᵉ siècle commence, qui devait voir la fin de l’abbaye. Le temps +n’est plus où les abbés sont des moines sortis du sein même de l’abbaye, +aimant passionnément leur maison et rêvant sans cesse à augmenter son +importance ou son illustration. Pour bien des abbayes l’abus de la +_commende_ a changé tout cela, les abbés n’ont d’abbés que le nom, ce +sont souvent des grands seigneurs, des princes tenant surtout à jouir, +du mieux possible, de tous les revenus de leur bénéfice, à en tirer tout +ce qu’il peut fournir. Dans le silence et la paix de l’immense +bibliothèque magnifiquement installée au deuxième étage au-dessus du +chapitre, les bénédictins travaillent et méditent. Ils percent, dans le +fatras embrouillé des légendes, des sentiers praticables, ils défrichent +l’histoire de France, tandis qu’à côté d’eux le faste, le bruit et le +mouvement remplissent le palais abbatial où se succèdent des abbés +commendataires menant la vie de grand seigneur à la façon du XVIIIᵉ +siècle. + +[Illustration: LE PALAIS ABBATIAL, RUE DE FURSTENBERG] + +Mais après ces derniers abbés, parmi lesquels le comte de Clermont, et +l’ex-roi de Pologne Jean Casimir, les sectionnaires de 1793 vont venir +et l’administration des poudres et salpêtres derrière eux, et la vieille +abbaye de Childebert, type parisien des grandes abbayes féodales, +disparaîtra par une catastrophe dans un tourbillon de flammes, en même +temps que l’antique monarchie. + +La troisième grande abbaye de la rive gauche, Saint-Victor, qui bornait +l’Université à l’est, ne remontait pas, comme Saint-Germain et +Sainte-Geneviève, aux commencements de la monarchie. Elle était de +beaucoup leur cadette, et son église, pendant sept cents ans seulement, +dessina sa belle silhouette à l’horizon de Paris. + +Ce ne fut d’abord qu’un modeste prieuré au petit faubourg Saint-Victor, +prieuré que le roi Louis le Gros, à la demande de Guillaume de +Champeaux, érigea en abbaye. Le grand théologien maître d’Abélard, +abattu et découragé, vint y chercher le repos après sa lutte contre son +ancien disciple devenu le chef d’une école rivale, contre le terrible +jouteur qui disait de ses anciens maîtres: «Quand ils allument du feu, +ils font de la fumée et non de la lumière.» Mais lorsque ce victorieux +Abélard s’en vint, acclamé par la foule, établir ses écoles--_son camp +d’escoliers_--sur les pentes de la colline voisine, vers la rue du +Fouarre, le vieux maître ayant repris des forces recommença la lutte et +fonda en face de l’ennemi les écoles Saint-Victor, qui posèrent les +premières assises de la renommée scientifique des Victorins. + +A l’époque de sa splendeur Saint-Victor occupe un vaste enclos formant +tout à fait le pendant de Saint-Germain des Prés, également en dehors de +la muraille de Philippe-Auguste, et séparé de la Seine seulement par +quelques toises de prairies. Saint-Germain s’appuie à la tour de Nesle, +la légendaire et svelte tour en face du Louvre de Philippe-Auguste; +Saint-Victor est tout proche de la Tournelle, grosse tour carrée qui +garde l’entrée de la Seine de ce côté, en face du grand hôtel +Saint-Paul, palais des rois de ce temps. + +L’église de Saint-Victor est une haute et vaste nef rebâtie presque +entièrement au commencement du XVIᵉ siècle, mais qui garde encore du +temps de sa fondation une crypte, une grosse tour à baies romanes et un +cloître du XIIIᵉ siècle. De magnifiques rosaces ornent les transepts, et +les verrières présentent une suite remarquable de vitraux. Des tombeaux +d’évêques de Paris, d’hommes illustres et de prélats, venus passer leurs +derniers jours dans la retraite à Saint-Victor, remplissent l’église; il +y a Maurice de Sully, le constructeur de Notre-Dame, des maîtres +célèbres de Saint-Victor, comme Pierre Comestor, dont l’épitaphe latine +jouant sur le nom, dit: «J’ai mangé autrefois, aujourd’hui je suis +mangé»; le XVIIIᵉ siècle y mettra le tombeau de Santeuil, le poète +retiré dans son canonicat de Saint-Victor, qui dîna pour son malheur +trop souvent chez la duchesse du Maine et mourut d’une plaisanterie de +la grande dame, lui versant un cornet de tabac dans un verre de vin +d’Espagne. + +Les chanoines de Saint-Victor avaient, pour l’embellissement de leur +enclos, obtenu la permission d’y faire passer la Bièvre. La rivière +captée, presque à son embouchure, traversait ce qui fut plus tard le +Jardin des Plantes, entrait dans l’enclos, suivait parallèlement le +cours de la Seine et s’en allait se jeter dans le fleuve à la hauteur de +la rue de Bièvre actuelle. Ce fut l’occasion de nombreux procès avec les +Genovefains qui se plaignaient du tort fait aux terres de leur abbaye +par ce changement de lit et disputaient aussi aux Victorins la +seigneurie et la justice du faubourg Saint-Victor. + +Ainsi donc Saint-Victor en amont de la rivière, Saint-Germain en aval et +Sainte-Geneviève sur la colline, cela faisait trois cités monastiques et +féodales, élevant de nombreuses tours et tourelles, et flanquant de +trois côtés le quartier remuant de la jeunesse, la ville de +l’Université. + +De ces trois grandes abbayes debout encore à la fin du siècle dernier, +avec le prestige de l’antiquité la plus vénérable, de l’art qui avait +fait de certaines parties des merveilles architecturales, avec le +prestige de la science aussi, Saint-Victor, Sainte-Geneviève et +Saint-Germain étant illustres par les travaux littéraires de leurs +moines et par la richesse de leurs immenses bibliothèques mises +largement à la disposition des lettrés et des savants laïques,--de ces +trois abbayes qui s’étaient jadis partagé le territoire de la rive +gauche, que reste-t-il aujourd’hui? + +[Illustration: CONSTRUCTION DU PANTHÉON, AU PREMIER PLAN LE COLLÈGE DES +CHOLETS] + +Une église, Saint-Germain des Prés, une tour, la tour dite de Clotilde, +ancien clocher de l’église Sainte-Geneviève, cinq travées du réfectoire +des Genovefains englobées dans les bâtiments du lycée Henry IV et c’est +tout. Table rase a été faite du reste. L’abbaye de Saint-Victor, la plus +malheureuse des trois, n’a laissé aucun vestige matériel de son passage +sur le lieu où, pendant sept siècles, sa magnifique église appuyée de +ses grands bâtiments avait complété le cadre monumental de l’entrée de +la Seine dans Paris et formé comme l’avant-garde des merveilles de la +grande ville. + +Rien n’a survécu de Saint-Victor; un nom de rue, la rue des +Fossés-Saint-Victor, voilà seulement ce qui nous dit l’endroit où fut +le grand monastère; la halle aux vins s’est assise sur l’emplacement +bouleversé et le paysage de Paris, de ce côté, a perdu à jamais sa riche +décoration d’autrefois. + +Moins heureuse encore que les abbayes de Saint-Germain et de +Sainte-Geneviève, lesquelles au moins ont laissé quelques vestiges sur +le lieu où elles ont brillé, l’abbaye de Saint-Victor a disparu tout +entière. Ici même où vécurent tant de savants religieux plongés dans +l’étude, parmi les livres d’une bibliothèque illustre, tant de chanoines +lettrés qui, pour l’amour de la science, célébraient l’anniversaire des +premiers imprimeurs, Conrad Schœffer et Faust, importateurs à Paris de +l’invention de Gutenberg, silencieux et poétique monastère où les vieux +évêques et archevêques venaient chercher le calme pour leurs derniers +jours, ici roulent maintenant les futailles de la halle aux vins. +L’église disparut à la Révolution et les bâtiments du couvent furent +démolis sans qu’il en soit rien resté. + +[Illustration: TOUR ALEXANDRE DE L’ABBAYE DE SAINT-VICTOR + +EN ARRIÈRE, LA BUTTE COPEAU, FUTUR LABYRINTHE DU JARDIN DES PLANTES] + + + + +[Illustration: LA CHARTREUSE DU LUXEMBOURG] CHAPITRE IV + +LE PARIS DES ÉGLISES ET DES COUVENTS + + +I + + La légende de saint Julien l’Hospitalier.--Au cimetière + Saint-Séverin.--Opéré ou pendu.--Inscriptions macabres.--Les + reclusoirs et les recluses.--Saint-Yves des Avocats.--Saint-Benoist + le Bientourné.--Les belliqueux Augustins.--Sièges de couvents.--Les + Bernardins.--Le cloître des Carmes.--Les frères aux Anes.--Le + couvent des Cordeliers.--Désordres et bagarres.--Émeute en + plain-chant.--Le corps de Marat.--Le bataillon des + Marseillais.--Aux Jacobins.--Les prédicateurs de la Ligue.--La + Chartreuse du Luxembourg.--Au grand Diable Vauvert. + +Pendant des siècles les trois abbayes de la rive gauche furent les trois +principaux établissements religieux du pays des Écoles, et comme les +suzeraines d’une grande quantité de couvents secondaires, d’églises et +de collèges innombrables. + +[Illustration: LE BATAILLON DES MARSEILLAIS VIENT LOGER AUX CORDELIERS] + +Autour d’elles, sous leur ombre, quelle végétation d’architectures +gothiques, de gables aigus, de pinacles fleuronnés, attirant à ce qu’il +semble le regard et l’âme vers les régions supérieures; quelle +profusion de fenestrages délicatement découpés, encadrant des verrières +protégées par des grillages, quelle quantité de clochers et de +clochetons causant entre eux à travers l’espace avec leurs voix de +bronze et laissant tomber par les hautes ogives l’allégresse ou le deuil +des cloches, les appels des offices sur les paroisses petites ou grandes +enchevêtrées les unes dans les autres. + +Le triomphe de l’architecture ogivale aux XIIᵉ et XIIIᵉ siècles a amené +la reconstruction de la plupart des églises existant auparavant, +lesquelles d’ailleurs avaient souffert des invasions normandes, avaient +été restaurées ensuite, et succombaient moins sous le poids des siècles +que sous celui de leurs voûtes. Le contrefort roman ne suffisait pas à +maintenir les murs latéraux poussés par les voûtes, l’arc-boutant +gothique, inventé au XIIᵉ siècle, allait permettre d’élever les vastes +et merveilleuses nefs aux immenses verrières, miracles de hardiesse et +de légèreté. + +[Illustration: LE DANTE A SAINT-JULIEN LE PAUVRE] + +Dédiée soit à saint Julien le Martyr, soit à saint Julien, évêque du +Mans, dit le Pauvre parce qu’il distribuait son bien aux malheureux, +soit à saint Julien l’Hospitalier,--on ne sait trop auquel,--l’Église +Saint-Julien le Pauvre, chapelle de l’Hôtel-Dieu son voisin, est une +œuvre en partie romane, en partie du style ogival à ses débuts, simple +et sévère reconstruction d’une église des plus anciennes, dévastée par +les Normands et devenue un prieuré. Cette église où, dit-on, le Dante, +pauvre écolier exilé, étudiant aux écoles de la rue du Fouarre, avait +coutume de faire ses dévotions, nous l’avons vue de nos jours, tombée +dans une misère profonde, montrant ses murailles délabrées, ses +verrières crevées, mais gardant un grand air de noblesse triste avec sa +belle abside, ses gros piliers et ses belles fenêtres supérieures. + +Elle est au fond d’une cour nauséabonde, haillonneuse, misérable, +complètement entourée de bâtiments lépreux, de vieilles maisons +misérables aussi--non de naissance, mais par vieillesse et +dégradation,--dans le quartier de la rue Galande. Ainsi abandonnée en +cet état lamentable, elle semblait vouée à la démolition, mais le salut +lui est venu d’Orient, le culte catholique grec vient de s’y installer, +la sauvant d’une ruine imminente. + +[Illustration: BAS-RELIEF DE SAINT-JULIEN, RUE GALANDE] + +Un vieux débris de son portail, depuis longtemps ruiné et disparu, +figure au-dessus d’une boutique de la rue Galande, au numéro 42, un +bas-relief usé et rongé où l’on peut encore reconnaître vaguement l’un +des épisodes de la légende de saint Julien l’Hospitalier. Saint Julien +par méprise avait tué son père et sa mère, qu’en revenant de la chasse +il avait trouvés couchés dans son lit. En expiation de son crime, il +avait tout quitté et s’en était allé, suivi de sa femme qui voulait +partager sa pénitence, bâtir près d’un fleuve au passage difficile où +«moult de gens périssaient» un hospice pour les pauvres voyageurs que +lui et sa femme passaient en barque. Par une nuit d’âpre gelée +Jésus-Christ en personne, sous la figure d’un pauvre lépreux, vint +demander le passage; c’est l’épisode du bas-relief, le Christ dans la +barque de Julien. Or, dans sa charité courageuse, l’Hospitalier ne se +contenta point de passer le pauvre lépreux; pour le réchauffer, il le +mit dans son propre lit et se coucha sur lui. Jésus-Christ se fit +connaître alors, «et peu après Julien et sa femme pleins de bonnes +œuvres et d’aulmones reposèrent en Notre-Seigneur». Beau sujet +d’édification pour les habitants actuels de la rue Galande, où les plus +ignobles bouges sont installés dans des logis habités jadis par de +dignes bourgeois et de respectables magistrats. + +Bien près du pauvre et austère monument du XIIᵉ siècle, toutes les +grâces du style ogival des époques suivantes se montrent à +Saint-Séverin, très pittoresque, avec son beau clocher à flèche +d’ardoises, et ses chapelles que les maisons enferment vers l’abside. +L’entrée sous le grand pignon est moderne, c’est le joli portail d’une +église de la Cité, Saint-Pierre-aux-Bœufs, démolie de nos jours, qu’on y +a appliqué; jadis on entrait à Saint-Séverin, au pied de la tour, par la +petite porte dans le tympan de laquelle est sculpté saint Martin coupant +son manteau. + +Les Parisiens du temps jadis, avant d’entreprendre quelque long voyage, +venaient, pour solliciter la protection du saint, clouer un fer à cheval +sur les vantaux de la porte, ou apportaient au retour un fer de leur +monture en signe de remerciement. C’était une coutume assez commune, en +bien des endroits on retrouve ces fers cloués dans les portes d’églises +dédiées à saint Martin. «Ce saint, dit l’abbé Le Bœuf, étant réclamé par +les gens voyageant à cheval.» A droite de l’église est le cimetière, +aujourd’hui transformé en jardin pour le presbytère, mais qui conserve +une partie des arcades de ses charniers donnant maintenant +l’hospitalité à une école libre tenue par les sœurs. De ce côté +Saint-Séverin est fort joli avec sa série de chapelles dont les petits +pignons sont décorés de fausses arcatures en gothique flamboyant et de +fioritures sculptées, toutes différentes. + +[Illustration: LES SACS DE PROCÉDURE PORTÉS A SAINT-YVES PAR LES +PLAIDEURS APRÈS UN PROCÈS GAGNÉ] + +C’est dans ce cimetière Saint-Séverin que se pratiqua pour la première +fois, en 1474, l’opération de la taille sur un franc-archer de Meudon +malade de la pierre. Ayant été condamné à mort pour des crimes divers et +notamment pour vol dans l’église de Meudon, ce sacripant eut à choisir +entre la corde du bourreau et le scalpel des chirurgiens. Il choisit le +scalpel et s’en trouva bien, l’opération réussit parfaitement. + +L’archer, guéri à la fois de sa maladie et de la potence, reçut de plus +une pension qui lui permit d’aller vivre à la campagne pour y planter +ses choux en toute honnêteté. + +Les vieilles descriptions de Paris citent les inscriptions curieuses des +charniers de Saint-Séverin; en voici deux, celle-ci placée sur la porte +du cimetière sur la rue de la Parcheminerie: + + _Passant, penses-tu pas passer par ce passage;_ + _Où pensant, j’ai passé._ + _Si tu n’y penses pas, passant, tu n’es pas sage,_ + _Car en n’y pensant pas, tu te verras passé._ + +Et cette autre d’un accent plus terrible sur les murs du charnier: + + _Tous ces morts ont vécu; toi qui vis tu mourras!_ + +Saint-Séverin, comme beaucoup d’autres églises, comme Saint-Médard, +Saint-Merry, les Innocents, etc., avait quelque part, probablement du +côté du cimetière, un reclusoir, une cellule fermée et murée, n’ouvrant +plus sur le monde que par une étroite fenêtre, cabanon où vivait, des +aumônes des passants, une pauvre femme enfouie vivante dans ce tombeau, +soit de sa pleine volonté, pour quelque malheur particulier ou pour +expier quelque faute, soit, comme il est arrivé, recluse par justice en +punition d’un crime. C’était un lieu d’expiation, un sépulcre «pour les +femmes affligées, mères, veuves ou filles qui auraient beaucoup à prier +pour autrui ou pour elles et qui voudraient s’enterrer vives dans une +grande pénitence», dit Victor Hugo dans _Notre-Dame de Paris_, où il a +mis en scène une de ses recluses, _la Sachette_, qui s’appelait en sa +folle jeunesse, avant son malheur, _Paquette la Chantefleurie_. + +La recluse de Saint-Séverin sous Charles V s’appelait dame _Flore_; en +1403 l’église Sainte-Opportune avait Agnès du Rocher dans son reclusoir; +on connaît parmi les recluses de l’église des Innocents: _Alix la +Burgotte_, morte en 1466, _Jeanne la Vaudrière_, enfermée en 1442 après +une cérémonie et un sermon de l’évêque de Paris, _Jeanne Pannoncel_, en +1496, enfin une noble dame, Renée de Vendômois, murée en 1485 dans le +reclusoir par arrêt du Parlement, pour avoir fait tuer son mari. + +Dans ce quartier de l’Université, où le tournant de chaque rue montre +quelque pignon de chapelle, d’église, ou de couvent, on trouve +Saint-André des Arcs, des Aas, ou des Arts, probablement ainsi nommée à +cause du grand enclos de Laas, formé par les jardins romains du Palais +des Thermes; c’est une église élevant une jolie tour, au-dessus d’un +portail gothique que le XVIIIᵉ siècle défigurera en attendant que la +Révolution le supprime. + +A l’angle de la rue Saint-Jacques, sur le carrefour entre Saint-Jean de +Latran et le collège de Cambrai, une petite chapelle du XIVᵉ siècle, +dédiée à saint Yves, est la chapelle des seigneurs bretons de la cour et +aussi des avocats de Paris; elle est remplie de sépultures de +basochiens, de procureurs et de notaires, saint + +[Illustration: ÉGLISE SAINT-SÉVERIN] + +Yves de Tréguier, le grand saint de Bretagne, avocat lui-même, étant le +patron des gens de loi, très révéré surtout par les plaideurs, comme en +témoignent les sacs aux paperasses de procédure, apportés en ex-voto +pour les causes gagnées. Il y a toujours des procureurs et des procès, +et plus qu’autrefois, mais la chapelle Saint-Yves a disparu, démolie en +1797. + +Rue Saint-Jacques, au-dessous de la Sorbonne, il y a Saint-Benoît le +Bientourné, appelé ainsi après un changement dans l’orientation de +l’autel; c’est l’église des gens du noble art du Livre, écrivains, +grands imprimeurs ou libraires, si nombreux dans son quartier et en +nombre considérable enterrés sous ses voûtes; Saint-Benoît a un beau +portail du XVᵉ siècle, de beaux pignons de chapelles sur le côté du +cimetière. Saint-Benoît le Bientourné eut une fin mouvementée: vendu en +96, rendu au culte par l’acquéreur, puis revendu à un meunier, il fut +transformé en salle de spectacle. Ce fut de 1832 à 1845 le théâtre du +Panthéon. La vieille église stupéfaite écouta les flonflons du +vaudeville et les rires d’un public bruyant entre tous. Mais le théâtre +ne réussit pas et Saint-Benoît fut démoli en 1854. + +Saint-Hilaire, Saint-Côme, Saint-Étienne des Grès, vendues et rasées +aussi à la Révolution, étaient de toutes petites églises. Les églises +Saint-Médard et Saint-Nicolas du Chardonnet eurent plus de chance et +furent conservées quand tout se transformait autour d’elles. + +Que de moines dans ces rues et que de clochettes de couvents répondant +aux cloches des églises, Augustins grands et petits, Bernardins, +Mathurins, Carmes, Cordeliers, Jacobins, etc. En face de la pointe de la +Cité, s’élève en bordure de la Seine le couvent des Grands Augustins +dont l’importance est considérable. C’est là que se fit, le 1ᵉʳ janvier +1579, la cérémonie d’institution de l’ordre du Saint-Esprit, par le roi +Henri III qui établit aussi aux Grands Augustins la confrérie des +Pénitents Blancs; l’ordre du Saint-Esprit garda chez les Augustins une +salle des séances décorée des portraits, bustes ou écussons de tous les +dignitaires depuis la fondation. L’église, très riche en monuments, +possédait entre autres mausolées celui de Philippe de Commines; à la +Révolution, on y installa, avant de la démolir, une imprimerie +d’assignats. + +Les moines Augustins n’étaient point gens commodes et le vieux couvent +qui terminait sur la rive gauche la perspective du Pont-Neuf pouvait, +comme une place de guerre, inscrire des sièges dans ses annales, +aventures héroï-comiques où les Augustins montrèrent l’humeur +batailleuse des moines de la Ligue. + +En 1588, l’année des barricades, quand Paris est en pleine révolution et +que Guisards et Royaux s’entre-tuent par les carrefours, la mutinerie et +la forcenerie de la rue gagnent le couvent, les Augustins se battent +entre eux à l’occasion d’une élection de dignitaire. + +En 1657, peu après la Fronde, comme la vétusté des bâtiments du Châtelet +forçait les tribunaux à chercher un asile ailleurs pendant le temps de +leur restauration, on voulut louer pour cela des salles aux Augustins. +Les moines refusèrent leurs salles et malgré les ordres du roi, les +arrêts du parlement, s’obstinèrent si résolument que l’on dut forcer le +couvent, _manu militari_. L’année suivante devait voir bien autre chose, +un vrai siège, une brèche, un combat, avec blessures et morts d’hommes. + +[Illustration: LES ANCIENS CHARNIERS DE SAINT-SÉVERIN] + + Quoi!... + +dit la Discorde dans le _Lutrin_ de Boileau, + + J’aurai pu jusqu’ici brouiller tous les chapitres, + Diviser Cordeliers, Carmes et Célestins! + J’aurai fait soutenir un siège aux Augustins..... + +La discorde s’était mise dans le couvent, encore à propos d’élections; +le parlement dut intervenir et comme ses arrêts restaient lettre morte, +envoyer les archers de la ville pour mettre les moines à la raison. Mais +ceux-ci, décidés cette fois à soutenir un vrai siège, s’étaient +barricadés dans la place, bien garnie de munitions de bouche et de +guerre. + +Les préparatifs de cette petite guerre passionnaient Paris. «--Je vais +voir tuer des Augustins!» disait La Fontaine, qui ne croyait pas si bien +dire, en courant au Pont-Neuf assister à la bataille. On se battit +réellement et sur la brèche, comme en un vrai siège, les archers ayant +fait un trou à la muraille. Les Augustins, bien qu’ayant déjà deux tués +et des blessés, s’efforçaient d’empêcher l’escalade; encouragés par le +son du tocsin de leur église, quelques-uns se maintinrent sur la brèche, +pendant que d’autres couraient chercher le Saint-Sacrement qu’ils mirent +en travers de leur mur écroulé. Mais les archers portèrent leurs efforts +à côté et cette dernière barricade allait être tournée; c’était la +défaite, alors nos Augustins déconfits demandèrent à capituler. Ainsi se +termina le siège, le parlement avait ville prise. En punition de leur +résistance, il envoya pour quelque temps dans les cachots de la +Conciergerie les plus acharnés des combattants, mais peu après Mazarin +les délivra et les fit reconduire en triomphe à leur couvent dans les +carrosses du roi. + +Les Bernardins d’humeur plus paisible ont leur couvent presque à la +Tournelle, derrière l’église Saint-Nicolas du Chardonnet; c’est un très +grand couvent et en même temps un collège où les moines de Cîteaux +viennent «demeurer et étudier tant ès arts libéraux qu’en théologie et +decret et y prendre les degrés de maîtres, bacheliers et docteurs». Leur +église est grande et belle, quoiqu’une partie de la nef demeure +inachevée en encadrant un jardin de ses ogives béantes. +Perpendiculairement à l’église un immense édifice superposant réfectoire +et dortoir limite avec d’autres bâtiments la grande cour du couvent. + +Tout à côté des Bernardins, au-dessus de la place Maubert, les Carmes +sont établis depuis Philippe le Bel. Cet ordre originaire des couvents +du Mont-Carmel et venu de Palestine avec saint Louis, avait précédemment +occupé un couvent sur la rive droite entre les Célestins et un monastère +de béguines devenu plus tard l’Ave Maria. + +Ils portaient un manteau à bandes alternativement blanches et noires, +habillement qui leur fit donner par le peuple de Paris le nom de Barrés, +nom resté jusqu’à nos jours à la rue conduisant à leur premier couvent, +aujourd’hui rue de l’Ave-Maria. + +Le populaire et les écrivains du moyen âge prennent souvent ces Carmes +barrés pour cibles de leurs plaisanteries et de leurs fabliaux. Le +voisinage des nonnes surtout donne carrière aux satiristes comme +Rutebœuf, qui dit nettement: + + Les Barrès sont près des Béguines + Neuf ving en ont; à lor voisines + Ne lor faut que passer la porte. + +A la place Maubert les Carmes n’ont pas de voisines. Dulaure, qui appuie +si volontiers sur les démérites gros ou menus de tout ce qui porte froc +ou soutane, ne voit plus à leur reprocher qu’un penchant à la bonne +chère et rappelle certain festin en temps de carême, en 1658, festin +troublé sur réquisition du supérieur, par des exempts qui saisirent +force pâtés, jambons et bouteilles de vin et pour ce fait conduisirent +douze religieux au For l’Évêque. + +A l’église des grands Carmes s’appuie un très beau cloître du XIVᵉ +siècle, lequel sur un des côtés possède une superbe chaire extérieure +accrochée aux arceaux. Entre autres tombeaux de l’église des Carmes, il +faut signaler celui du libraire Gilles Corrozet, le premier +historiographe de Paris, auteur des Antiquités, Chroniques et +Singularités de Paris, un ancêtre que tous les amis de Paris et des +monuments parisiens doivent révérer. + +Que reste-t-il de ce couvent et du magnifique cloître? Absolument rien! +Un marché en tient la place. Les Bernardins, s’ils ont perdu leur +église, pourraient, dans le quartier très serré où jadis ils avaient +leurs aises, retrouver leur réfectoire et leur dortoir avec des pompiers +installés dans leurs lits. La caserne de pompiers de la rue de Poissy +est logée dans le magnifique bâtiment à vingt travées d’arcades +gothiques soutenues par de puissants contreforts. + +Les Mathurins, ordre s’occupant du rachat des captifs, ont leur couvent, +très modeste de proportions, près de l’hôtel des abbés de Cluny. Le +peuple les aime tant pour le but de leur œuvre d’une si haute charité, +que pour leur humilité et les appelle les _frères aux ânes_, parce qu’on +ne les voit jamais sur d’autres montures par les marchés et les routes. +Sur l’emplacement de leur couvent s’élève aujourd’hui le théâtre Cluny. + +Les Cordeliers sont voisins des Mathurins, ordre important, couvent +considérable, grande église. Les frères de Saint-François, +reconnaissables à la grosse corde ceignant leur taille, doivent beaucoup +à saint Louis qui favorisa leur établissement à Paris sur un terrain +appartenant à l’abbaye de Saint-Germain des Prés et leur donna, pour la +construction de leur église, une partie de l’amende considérable payée +par son vassal, le farouche sire Enguerrand de Coucy, pour le meurtre de +trois jeunes gens surpris chassant sur ses terres. + +Il faut avouer que les Cordeliers dépassaient encore les Augustins en +humeur batailleuse; sans parler de leurs longues querelles avec +l’Université qui, en raison de leur collège pour les religieux de leur +ordre, les accusait d’empiéter sur ses attributions et prérogatives. Le +désordre et l’agitation en permanence dans le couvent, les batailles que +se livrèrent entre eux les frères de Saint-François pour divers motifs, +leur insubordination perpétuelle, amenèrent même des conflits avec les +représentants du Saint-Siège. + +Au point de vue pittoresque, la façon dont ils en usèrent avec les +Évêques envoyés en 1501 par le légat du pape, pour refréner les abus et +réformer les mœurs du couvent, mérite d’être rapportée. Réunis dans leur +église, les Cordeliers attendirent de pied ferme les deux Évêques +chargés des foudres pontificales; dès qu’ils entrèrent, accueillis par +un silence glacial, et parurent vouloir prendre la parole, une moitié +des Cordeliers entonna soudain une hymne à plein gosier et, l’hymne +achevée, l’autre moitié des frères commença un autre cantique, puis un +troisième et successivement de nombreux autres, pendant des heures, sans +laisser entre leurs chants le plus petit intervalle permettant aux +Évêques de glisser leur admonestation. + +[Illustration: LA DUCHESSE DE MONTPENSIER APPORTE AUX CORDELIERS LA +NOUVELLE DE L’ASSASSINAT D’HENRI III] + +Les Évêques eurent beau élever la voix, rien n’y fit, leurs +objurgations, leurs protestations étant étouffées sous les cantiques +chantés à perdre haleine. Ils durent enfin se retirer, laissant la +victoire aux Cordeliers. Grand scandale, notable émotion dans toute la +ville cléricale. Après s’être concertés avec les autorités temporelles, +les Évêques revinrent le lendemain, non plus seuls, mais avec le Prévôt +de Paris, des procureurs et de nombreux sergents. Usant de la même +tactique, les Cordeliers reprirent aussitôt les chants de la veille; +mais cette fois les magistrats, voyant toutes les sommations inutiles, +firent avancer les archers et force fut aux Cordeliers houspillés de se +taire. + +Les novices des Cordeliers, turbulents tout autant que des écoliers +laïques + +[Illustration: AUX CORDELIERS. QUERELLE DE CLUBISTES ET SECTIONNAIRES] + +se mutinèrent plus d’une fois, ainsi que des lycéens de nos jours, et +comme c’était le siècle des Barricades, ils soulevaient volontiers les +pavés de leurs préaux. Quand le désordre se mettait dans le couvent, ils +étaient, bien entendu, au premier rang, heureux des occasions de +tumulte. De quoi ne les accusait-on pas d’ailleurs! Ils étaient +fortement soupçonnés de cacher dans leurs rangs des novices du sexe qui +ne doit point fournir de moines. Le fait est qu’on découvrit quelquefois +des femmes parmi eux. L’Étoile dans son journal cite ainsi un certain +frère Antoine dont le froc couvrait une femme jeune et jolie; quand on +s’aperçut de la fraude, après quelque temps, au grand chagrin des +novices, la demoiselle fut emprisonnée et punie avec grande rigueur. + +[Illustration: LE COUVENT DES BERNARDINS] + +La très vaste église des Cordeliers brûla en 1580; on ne connut pas au +juste la cause de l’accident; on accusa des novices, soupçonnés au moins +d’imprudence, tandis que les Cordeliers mettaient le malheur sur le +compte des protestants. Henri III, qui tenait leur couvent en faveur +particulière, fournit une grande partie des fonds nécessaires à la +reconstruction. Aux Cordeliers s’assemblait le chapitre de l’ordre de +Saint-Michel créé par Louis XI en 1469 en l’honneur du premier chevalier +qui, pour la querelle de Dieu, «batailla contre l’ancien ennemi de +l’humain lignage et le fit trébucher du ciel». + +Il n’y avait plus, lorsque survint la Révolution, que soixante religieux +dans les immenses bâtiments déclarés propriété nationale, et bientôt la +grande salle de théologie, qui servait d’école aux jeunes religieux, +devint le local du fameux club des Cordeliers fondé par Camille +Desmoulins. Les âmes des fougueux Cordeliers de la Ligue, de ces novices +belliqueux qui faisaient l’exercice sous les galeries du cloître avec la +pique et l’arquebuse, durent violemment tressaillir quand les échos du +vieux couvent retentirent des motions enflammées des orateurs ou des +violentes querelles des patriotes du club. + +Camille Desmoulins, Danton, Marat étaient des voisins, habitant tous +trois la rue voisine. Marat, lorsque le couteau de Charlotte Corday eut +interrompu violemment son insatiable fringale de sang, fut, en sortant +de la baignoire rouge, apporté aux Cordeliers, exposé dans la grande +cour à côté de la baignoire au milieu des lamentations de la populace, +des furieuses déclamations et des cris de vengeance, sanglante apothéose +de «l’Ami du Peuple». Un tombeau bientôt s’éleva en son honneur dans +cette cour du couvent, un mausolée avec des arbres poétiquement penchés +au-dessus d’une urne funéraire. + +Autre souvenir révolutionnaire des Cordeliers: le bataillon des fédérés +marseillais, venu à Paris pour collaborer au 10 août, fut logé dans ce +vieux couvent, caserne de la Ligue transformée en caserne +révolutionnaire. Quel tapage sous les galeries, avec les allées et +venues des meneurs de la Commune, les visites et fraternisations des +sectionnaires. + +En témoignage de l’importance de ces Cordeliers, il reste encore le +grand bâtiment du réfectoire, comble majestueux qu’on aperçoit au-dessus +des toits, large pignon flanqué d’une très belle tourelle d’escalier. +Cette grande salle est le musée médical Dupuytren. De tout le reste, +néant. La clinique de l’école de Médecine en occupe en partie +l’emplacement. + +Le mur de Philippe-Auguste, dont la rue Monsieur-le-Prince représente le +fossé, avait, pendant des siècles, borné ici la ville; il longeait le +jardin des Cordeliers et touchait peu après à la porte Saint-Michel. +Entre cette porte et la porte Saint-Jacques un autre grand couvent +s’appuyait à la muraille. C’était le couvent des Jacobins. + +Ce ne sont pas ces Jacobins qui ont donné leur nom au club rival du club +des Cordeliers, ceux-là sont les Jacobins de la rue Saint-Honoré, +établis seulement sous Louis XIII. Leur couvent n’avait rien de bien +remarquable, mais l’église renfermait quelques beaux tombeaux du XVIIᵉ +siècle. + +Le grand couvent de la rue Saint-Jacques formait encore à la fin du +siècle dernier un ensemble de bâtiments des plus pittoresques, remplacés +aujourd’hui par les cubes bien nets des blocs de maisons entre les rues +Soufflot et Cujas. Dans la très vaste église les siècles avaient +accumulé un nombre considérable de monuments; tout le long de la nef +c’était une magnifique rangée de rois, princes du sang, princesses, +chevaliers, dames, dormant les mains jointes, couchés sur leur dalle. + +La porte du couvent sur la rue Saint-Jacques était fort belle, décorée +d’une statuette de la Vierge entre celles de saint Dominique et d’un +autre docteur de l’ordre, sous une gracieuse arcature. Elle survécut +quelque temps à la destruction des édifices conventuels, ainsi que le +bâtiment dit de l’École Saint-Thomas, construit au XVIᵉ siècle pour +servir de salle d’exercice aux prédicateurs. Cette vaste salle où se +voyaient les statues des grands orateurs religieux, entre autres saint +Thomas d’Aquin de qui elle tirait son nom, ne disparut qu’en 1850, après +avoir servi quelque temps d’École communale. + +Au moyen âge, nos Jacobins, les frères prêcheurs de Saint-Dominique, ne +se montrèrent pas moins indisciplinés et dissolus que les Cordeliers. +Lorsqu’on voulut en 1501 apporter une réforme aux mœurs du couvent, +ainsi qu’il avait été fait chez les voisins, il en résulta aussi +quelques troubles graves. Chassés de leur demeure, les Jacobins, pour y +rentrer, vinrent l’assiéger avec l’aide de douze cents écoliers armés, +forcèrent les portes et battirent rudement ceux qu’ils trouvèrent dans +la place. + +[Illustration: PORTE DU COUVENT DES JACOBINS DE LA RUE SAINT-JACQUES] + +Au temps de la Ligue, le couvent fournit les plus farouches de ces +prédicateurs enragés qui surexcitaient les colères politico-religieuses. +La foule aux grands jours remplissait les cours du couvent et les +fanatiques Jacobins prêchaient en plein air avec la verve populacière +des moines de ce temps, accablant le roi Henri III, cet Hérode, et avec +lui tous les ennemis de la Ligue, des injures les plus violentes, +appelant les bénédictions du Ciel sur messieurs de Guise, sauveurs de la +religion, et sur les braves Seize, chefs de Paris insurgé. + +C’est de là que sortit fanatisé le petit frère Jacques Clément, pour +s’en aller poignarder Henri III en son camp à Saint-Cloud, meurtre que +le lendemain la duchesse de Montpensier, triomphante, accourait annoncer +elle-même au peuple en l’église des Cordeliers, du haut des marches du +grand autel. + +Le réfectoire des Jacobins, perpendiculaire au rempart, avait pour +annexe un vieux bâtiment carré qui formait en dehors de l’enceinte aux +tours rondes une encoche singulière, quelque chose comme une grosse tour +carrée soutenue par des contreforts et crénelée comme la muraille. +C’était un ancien parloir aux bourgeois donné au couvent par Louis XII. +Ce bâtiment, saillant sur les dehors et assez fort pour avoir été +conservé lors de la construction de l’enceinte, avait été auparavant, +dit-on, le manoir des seigneurs de Hautefeuille, domaine seigneurial +absorbé par la ville grandissante; il a dans tous les cas survécu +longtemps à l’enceinte et même au couvent et n’a disparu que de nos +jours, avec des débris de l’enceinte de Philippe-Auguste et une tour +cylindrique voisine. + +Paris a sa chartreuse aussi; succursale de la Grande Chartreuse de +Grenoble. Des moines de Saint-Bruno, appelés par saint Louis, se sont +créé une Thébaïde hors de la porte Saint-Michel, au pied de la montagne +Sainte-Geneviève, sur les terrains qui formeront plus tard une partie du +jardin du Luxembourg, toute la partie sud après le grand bassin jusqu’à +l’Observatoire. + +Dans ces parages mal fréquentés, presque déserts, s’était élevé un +château de plaisance du roi Robert, le manoir de Vauvert. Abandonné +ensuite et tombé à l’état de ruines, le manoir de Vauvert devint un +refuge de malandrins et de coupeurs de bourses, lesquels, pour chasser +tout visiteur indiscret, lui firent une réputation de lieu terrible, +hanté par des gnomes et gobelins malfaisants. On racontait mille +horreurs de ce vilain endroit, repaire d’un grand magicien cornu, à +pieds fourchus, au corps enveloppé dans une immense barbe verte, vivant +entouré de démons aussi hideux que lui. + +Il fallait du courage pour aller au «_grand diable Vauvert_»; les +Chartreux n’en manquaient pas sans doute, car ils occupèrent la ruine +hantée et la purifièrent. Le diable vert, seigneur châtelain de Vauvert, +se laissa expulser. Saint Louis fit construire une grande église, par +son architecte, Eudes de Montreuil, les Chartreux édifièrent sur les +quatre côtés d’un immense carré une série de petites maisonnettes où ils +vécurent solitaires, chacun reclus dans sa cellule, cultivant son petit +jardin et ne rencontrant ses frères qu’aux offices et le dimanche au +grand réfectoire. + +Dans le vaste carré rien qu’un bâtiment au milieu abritant une pompe, et +partout des croix disséminées. C’est le cimetière des pères chartreux; +leur vie s’écoule entre leur cellule et leur fosse, car ils ne quittent +jamais l’enceinte intérieure du couvent. Autour de cette enceinte, +prison de ces moines qui vivent si pauvrement des légumes qu’ils ont +fait pousser, est un enclos immense cultivé par les frères non profès. +Le couvent est devenu très riche par des dons successifs, et s’est +agrandi de nombreux bâtiments pour les hôtes, d’un cloître sous les +arceaux duquel Eustache Le Sueur, au XVIIᵉ siècle, peindra la vie de +saint Bruno, ces tableaux d’un sentiment religieux si intense qui sont +maintenant au Louvre. + +[Illustration: ÉGLISE SAINT-BENOIT LE BIENTOURNÉ] + +Un très beau bâtiment du XVᵉ siècle sert de portique à la deuxième +enceinte, il est divisé en cinq arcades dont les piliers supportent des +statues sous des dais très fouillés; au-dessus de l’arcade centrale, +dans un champ semé de fleurs de lys, est une statue de la Vierge à +laquelle saint Louis dans une niche voisine présente cinq Chartreux +agenouillés. + +Avec quelle rapidité tout se transforme! Cent ans à peine ont passé +depuis qu’ont été dispersés les solitaires de cette Thébaïde enveloppée +peu à peu par la ville; église et couvent furent démolis à la +Révolution, leur immense enclos vint s’ajouter au jardin de Marie de +Médicis, et maintenant les ombrages du Luxembourg agrandi couvrent la +place où ils vécurent six siècles dans le silence et la prière, et la +rue Auguste-Comte, philosophe positiviste, traverse le grand préau où +ils creusaient leurs tombes. + +[Illustration: L’ENTRÉE DE LA CHARTREUSE DU LUXEMBOURG (INTÉRIEUR)] + +[Illustration: LES CÉLESTINS, L’ARSENAL ET L’ILE LOUVIERS] + + +II + + L’enclos féodal du prieuré de Saint-Martin des Champs.--Le + réfectoire et la chaire du lecteur.--Abbés trop gras et moines trop + mal nourris.--Les procès de l’Épée.--Duels judiciaires dans la lice + du prieuré.--Carrouges et Le Gris.--Les Célestins.--L’église. Musée + de grands tombeaux seigneuriaux.--Les serfs de la Vierge + Marie.--Aux Carmes Billettes, le dernier cloître gothique de + Paris.--Le cadavre d’Étienne Marcel à Sainte-Catherine du Val des + Écoliers.--L’abbaye de Saint-Antoine.--Pécheresses + repenties.--Fondations hospitalières.--Les Haudriettes.--Les + confrères de la Trinité et les origines du théâtre.--Les + Quinze-Vingts.--Frères cordonniers et frères tailleurs. + +[Illustration: FONDATION DE SAINTE-CATHERINE PAR LES SERGENTS D’ARMES DE +BOUVINES] + +L’autre côté de la Seine, la partie de Paris appelée la Ville, n’a point +autant de couvents et d’abbayes que cet extraordinaire quartier de +l’Université, Monacopolis autant que ville des études. L’établissement +monacal le plus important est le prieuré de Saint-Martin des Champs, +bâti en dehors de la ville de Philippe-Auguste et plus tard compris dans +l’enceinte quand, au temps d’Étienne Marcel, on enferma dans une +nouvelle muraille tous les faubourgs du nord. + +Le prieuré de Saint-Martin des Champs, c’est comme Saint-Germain une +petite ville forte enfermée dans sa ceinture crénelée, et son prieur est +également très haut et très puissant seigneur, suzerain de bon nombre +d’autres prieurés, de nombreuses cures, vicairies et chapellenies, et +possédant haute et basse justice sur son territoire. Une abbaye de +Saint-Martin avait existé dès le règne de Dagobert, à proximité d’un +champ de foire, dit aussi de Saint-Martin, et qui devait se trouver sur +l’emplacement du boulevard actuel. Les Normands avaient fait de cette +abbaye un monceau de ruines. Ce fut le roi Henri Iᵉʳ en 1060 qui songea +à faire renaître un nouveau monastère des décombres envahis par la +végétation de deux siècles. + +[Illustration: LE PRIEURÉ DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS (ARTS ET MÉTIERS)] + +Malgré l’importance et la richesse de la fondation nouvelle, ce ne fut +qu’un grand prieuré relevant de l’abbaye de Cluny. Une enceinte formant +un immense carré, avec grosses tours aux quatre angles et une vingtaine +de tourelles en encorbellement sur des contreforts de distance en +distance, enveloppe un jardin considérable, des bâtiments nombreux et +les édifices conventuels massés dans l’angle sud-ouest du carré. + +L’église est une grande nef sans bas côtés ni transept, rebâtie au XIIIᵉ +siècle, mais le chœur irrégulier avec sa petite chapelle absidale en +forme de trèfle a un siècle de plus et date du moment où l’architecture +semble hésiter encore entre le plein cintre et l’ogive[A]. + +[Illustration: LE NOUVEAU PIGNON DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS (ARTS ET +MÉTIERS)] + +Le portail, sans ornements, est un grand pignon à contreforts accosté +d’une tourelle. Sur le côté sud du chœur s’élève un gros clocher à +ouvertures romanes, probablement de la fondation du prieuré au XIᵉ +siècle. Parallèlement à l’église s’étend un deuxième bâtiment moins haut +et moins long, c’est le réfectoire des moines dont on attribue la +construction à Pierre de Montereau, l’architecte de la Sainte-Chapelle. +Merveille d’élégance à l’intérieur, ce réfectoire est partagé en deux +nefs aux belles voûtes portées par une épine de colonnes, d’une +prodigieuse légèreté. En ce petit chef-d’œuvre de l’art du XIIIᵉ siècle, +quand les moines viennent prendre leur repas, l’un d’eux monte faire une +lecture pieuse, assis dans une tribune suspendue à la muraille. Cette +chaire du lecteur, annexe gracieuse de l’édifice, s’accuse à l’extérieur +par une saillie entre deux contreforts; à l’intérieur un escalier, +ajouré sur la grande salle par de hautes lancettes trilobées, fait +accéder au balcon de pierre de cette chaire, porté par un encorbellement +revêtu de feuillages sculptés. Un cloître vaste et superbe orné de +statues de rois, une belle chapelle de la Vierge dans le style de la +Sainte-Chapelle, une salle pour le Chapitre, une tour des Archives et de +grands bâtiments consacrés au logement du prieur, des dignitaires et des +moines, complètent l’ensemble du monastère. + +M. Hippolyte Cocheris, le continuateur de l’abbé Le Bœuf, a trouvé dans +un manuscrit des Archives, registre écrit en 1340 par le prieur Bertrand +de Pibrac, de très curieux détails sur l’organisation intérieure du +prieuré, qui comportait en son temps cinquante moines et des +dignitaires, assistés d’un nombre considérable d’officiers divers et de +subalternes religieux ou laïques. Le registre Bertrand énumère les +droits et attributions de chacun en commençant par le prieur: + +«Nous avons dans tout notre territoire de Saint-Martin, tant à Paris que +dans les faubourgs et les villages touchant à la ville de Paris où sont +trente mille feux environ, toute justice haute, moyenne et basse, pour +laquelle juridiction tant au civil qu’au criminel, nous instituons un +camérier, un maire, un tabellion et des sergents. Et il est appelé de +l’audience desdits camériers et maire à notre assise, pour corriger le +jugement, et du jugement de ladite assise au prévôt de Paris et de +celui-ci au Parlement. Il est délivré par nous ou par le maire en notre +nom toutes mesures des grains et des vins sur tout le territoire désigné +ci-dessus... Il nous est permis de confisquer tous les biens meubles et +immeubles de nos sujets et serviteurs qui conspirent ou machinent contre +notre personne... _item_, nous percevons droits sur les amendes, +défauts, épaves et forfaitures... _item_, tous ceux qui vendent du vin +doivent chaque année apporter leur mesure à Saint-Martin devant notre +maire et faire vérifier ces mesures sur l’étalon,... etc.» + +Le registre détaille aussi les droits et devoirs des différents +dignitaires et fonctionnaires, depuis les plus importants jusqu’aux plus +petits employés, et particulièrement ceux de l’hôtelier et du cellerier, +chargés de tout ce qui concerne la nourriture des moines--laquelle varie +selon les jours fériés ou non fériés, gras ou maigres, et selon la +qualité des convives depuis les sacristains, infirmiers, grainetiers, +avocats, tabellions, procureurs, médecins, etc... + +Ce précieux registre contient les détails les plus circonstanciés et les +plus minutieux sur la vie à l’abbaye, sur le régime de la maison et +l’ordonnance des repas. Sage administrateur, le prieur fixe une moyenne +de dépenses en supposant l’existence d’une cinquantaine de moines à +Saint-Martin; il compte la quantité de muids de blé nécessaire, la +provision de vin, le nombre de fromages, les consommations diverses, les +œufs à 1,700 par semaine de Noël à Pâques, les harengs pendant le Carême +à 1,250 par semaine. + +On mangeait beaucoup de harengs à Saint-Martin. Cependant les officiers +importants ne se privaient pas de se laisser aller quelquefois au péché +de gourmandise. M. Cocheris a trouvé ailleurs le menu d’un dîner offert +par le sacristain de Saint-Martin, le 4 octobre 1430, et qui se +composait, pour cinq convives, de deux perdrix, un faisan, quatre +pigeons, un lièvre, une poitrine de veau, carpe, brochet, anguille, +raisins, poires, trois chopines d’hypocras, huit quartes de vin, plus +différentes petites choses. + +Si les fonctionnaires faisaient bonne chère au XVᵉ siècle, les simples +moines n’étaient pas aussi heureux, car ils furent plusieurs fois +réduits à intenter des procès à leurs prieurs pour obtenir une +nourriture suffisante, ainsi que des réparations à leurs logements +délabrés. Les réformes introduites par l’abbé de Cluny ou par le +Parlement saisis de ces plaintes, amenaient pour quelque temps une +amélioration, puis le mal revenait peu à peu, les fonctionnaires et les +moines se remettaient, au mépris de la règle, à vivre à part, largement +ou chichement. + +[Illustration: LA CHAIRE DU LECTEUR, VUE DE L’EXTÉRIEUR] + +Le mal, ici comme en bien d’autres monastères, c’était l’égoïsme des +abbés, bergers s’inquiétant fort peu de leur troupeau, seigneurs +hautains vivant en leur palais abbatial comme un seigneur temporel en +son château et considérant leur abbaye comme une terre de rapport. Le +régime de la commende ne pouvait qu’ajouter au mal, la richesse du +bénéfice était un danger puisque cette richesse le faisait plus +rechercher des hommes de cour. Et Saint-Martin des Champs était très +riche, son prieur titulaire, souvent pourvu ailleurs encore, touchait de +grosses sommes, tandis que les simples moines avaient mal à vivre, +réduits à une misère relative et mal logés dans des bâtiments non +entretenus. Certaines estampes du XVIIᵉ siècle en font foi, qui nous +montrent Saint-Martin avec presque un aspect de ruine. + +Le prieur de Saint-Martin eut jusqu’à la Révolution sous sa dépendance +vingt prieurés dans les diocèses de Paris, Meaux, Senlis, Noyon, +Beauvais, Chartres, etc...; il nommait à dix cures, vicairies ou +chapellenies de Paris et à soixante-sept autres en différents diocèses. +En 1790, il n’y avait plus que dix-neuf religieux au prieuré et le +revenu s’élevait à 180,000 livres. Parmi les prieurs commendataires, +cardinaux ou gens de cour, on compte le cardinal Richelieu qui l’ajouta +en 1633 à ses autres nombreux bénéfices. + +[Illustration: ANCIEN CLOCHER ROMAN DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS] + +Saint-Martin sur la rive droite, avait, comme Saint-Germain des Prés de +l’autre côté de la Seine, l’aspect d’un bourg féodal et garda longtemps +cette apparence, même quand Paris, débordant toujours, eut enveloppé +tout à fait ses murailles crénelées, les noyant dans les maisons. A +l’époque où, par une aberration incroyable, l’architecture ogivale si +purement nationale se trouvait tout à fait incomprise et méprisée, où +les œuvres de notre glorieuse architecture du XIIIᵉ siècle étaient +considérées comme des travaux de barbares sans goût, sous Louis XIV, les +abbayes riches s’efforçaient de se mettre à la mode du jour, et de +renverser leurs cloîtres gothiques pour les remplacer par de froids +préaux gréco-romains. Ce fut un temps de transformations à jamais +regrettables, Saint-Martin + +[Illustration: RÉFECTOIRE DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS.--LA CHAIRE DU +LECTEUR] + +y perdit son vieux cloître qui, paraît-il, était une merveille. Les +autres bâtiments, sauf l’église et le réfectoire, furent reconstruits et +sur l’emplacement de la muraille crénelée, le long des rues +Saint-Martin et du Vert-Bois, les moines élevèrent des maisons à loyer +aussitôt occupées. + +Une des plus singulières coutumes du moyen âge, c’est le duel +judiciaire, ce vieux reste de barbarie ancienne qui a persisté si +longtemps. + +Cette étrange manière de plaider et de décider de quel côté étaient le +droit et la raison dans les causes difficiles, était établie et +réglementée dans certaines seigneuries et pour certains cas. A Paris le +chapitre de Notre-Dame eut, dit-on, le droit de faire régler certains +différends entre ses sujets «_à coups de bâton_» devant la maison de +l’archidiacre. L’abbé de Saint-Germain des Prés et le prieur de +Saint-Martin avaient sur leur territoire un champ clos spécial pour les +«_Procès de l’Épée_», c’est-à-dire pour les combats, à outrance ou +autrement, soit entre les parties directement en cause, soit entre +champions appointés représentant des plaideurs non disposés à risquer +leur vie ou des plaideurs empêchés, c’est-à-dire des vieillards, femmes +ou enfants. + +Ces combats avaient lieu en présence des autorités laïques ou +ecclésiastiques, sous les yeux d’un public entassé derrière des +barrières. Parfois pour les grandes causes l’appareil était plus +solennel, le roi, les princes prenaient place dans les tribunes bordant +la lice. Les règles de cette étrange procédure étaient compliquées; il y +avait, pour nécessiter des façons de procéder particulières, tant de cas +divers, qu’il s’agît de contestations, de litiges ou bien d’accusations, +de crimes à prouver ou d’innocence à défendre. Les combats, qui se +terminaient souvent par une amende pour le vaincu quand l’affaire +n’était pas capitale, pouvaient dans les cas graves se poursuivre à +outrance jusqu’à la mort d’un des tenants ou se terminer par le supplice +du vaincu accroché bientôt au gibet voisin. + +Dans la lice de Saint-Martin des Champs, le 29 décembre 1386, se régla +l’affaire Carrouges et Le Gris, qui passionnait l’époque. La dame de +Carrouges accusait d’un attentat sur sa personne un écuyer nommé Jacques +Le Gris qui niait avec opiniâtreté. La cour du Parlement, embarrassée +par les accusations sans preuves de la dame de Carrouges et par les +dénégations énergiques de Le Gris, ordonna le combat à outrance entre +l’accusé et le mari de l’accusatrice dans les lices de Saint-Martin. + +Une dernière fois avant le combat la dame de Carrouges fut interrogée. + +--Dame, fit le chevalier, je vais exposer ma vie et combattre Jacques Le +Gris, ma cause est-elle juste et loyale? + +--Il en est ainsi, répondit la dame, combattez sûrement, la cause est +bonne! + +Carrouges embrassa sa femme et entra dans la lice. + +L’écuyer avait également ferme contenance et regard assuré, lui aussi +prétendait combattre pour juste cause. Le premier choc entre les deux +adversaires eut lieu à cheval; puis, aucun des champions n’ayant obtenu +un avantage marqué, ils s’abordèrent à pied. Le chevalier de Carrouges +reçut une grave blessure à la cuisse, mais ne tomba pas et se rejeta +avec rage sur son ennemi. Jacques Le Gris, pour son malheur, fit un faux +pas et roula sur le sol; Carrouges fut aussitôt sur lui et, la pointe de +l’épée à la gorge, s’efforça de lui faire avouer son crime. Le Gris +vaincu n’avait plus qu’à mourir, par la potence s’il avouait, par le fer +s’il persistait à nier. Il protesta énergiquement de son innocence et +l’épée de Carrouges s’enfonça. + +Le cadavre du vaincu considéré comme coupable accroché au gibet de +l’abbé, Carrouges indemnisé de sa blessure par les biens de son +adversaire confisqués, on pouvait croire l’affaire terminée, lorsque +tout à coup éclata l’innocence du malheureux Le Gris. Le véritable +coupable avouait son crime. C’était un sosie de Le Gris, un écuyer +aussi, pris pour d’autres méfaits. La dame de Carrouges avait pu se +tromper à la ressemblance; désespérée de l’erreur commise, elle se jeta +dans un cloître et son mari disparut, entré, pensa-t-on, dans l’un des +ordres militaires qui combattaient l’infidèle en Terre Sainte. + +L’échelle patibulaire du prieur de Saint-Martin se dressait à l’angle de +la muraille au coin de la rue au Maire actuelle, elle y était encore +sous Louis XV, en signe de juridiction simplement, la haute justice +étant passée au roi. Une nuit des jeunes gens en joie, sortant de souper +trop copieusement, s’amusèrent à y mettre le feu. La potence flamba, +mais le prieur la releva encore pour affirmer ses droits. + +Le prieuré de Saint-Martin eut meilleur destin que les abbayes de la +rive gauche, le vaste ensemble de bâtiments avoisinant les deux grandes +nefs aux sévères pignons nous a été conservé; des modifications +considérables ont été ajoutées à celles entreprises à la fin du règne de +Louis XIV et la demeure des moines est devenue, avec des transformations +notables, le Conservatoire des Arts et Métiers. + +Affecté à la bibliothèque du Conservatoire le réfectoire de Pierre de +Montereau est intact, l’église a subi des avaries, mais demeure aussi; +elle servait encore récemment de galerie des Machines au grand dommage +de la construction ébranlée par les trépidations; elle a perdu son +clocher roman dont il reste la souche dépassant à peine les toits des +petites maisons de la rue de Réaumur. Son portail ruiné a été restauré +de nos jours avec des modifications par M. Vaudoyer. + +Une portion de l’enceinte n’a pas été démolie au siècle dernier, elle +existe toujours, englobée dans les constructions au fond des cours des +maisons de la rue du Vertbois, avec une des petites tourelles +encorbellées sur contreforts. La grosse tour à l’angle de l’enceinte, la +tour du Vertbois, a été restaurée en 1882 par les soins de l’État +«_suivant le vœu des antiquaires parisiens_», dit une inscription +encastrée dans la fontaine du Vertbois érigée en 1712 et restaurée en +même temps. Cette tour faisait partie de la prison du prieuré; quand +Saint-Martin perdit sa justice, la prison devint jusqu’en 1785 maison +d’arrêt pour les femmes de mauvaise vie. Il y avait sous le flanc sud de +l’église dans l’enclos et tout près de la grosse tour, une chapelle +Saint-Michel, tout petit édifice construit par la famille Arrodes, des +bourgeois de Paris du XIIᵉ siècle, seigneurs de Chaillot, pour recevoir +leurs sépultures. Cette chapelle intéressante et remplie de tombes a été +démolie depuis la Révolution. Un débris de la petite chapelle, rue de +Réaumur, subsiste encore transformée en maison, au pied de la vieille +tour, avec un atelier de réparations de machines à coudre sous sa voûte +ogivale. + +Touchant à l’angle sud-ouest de l’enclos Saint-Martin s’élève l’église +Saint-Nicolas des Champs, paroisse ancienne née d’une simple chapelle +dépendant de Saint-Martin; reconstruite aux XVᵉ et XVIᵉ siècles, la +façade est pittoresque avec ses pignons et sa tour. Le mouvement de la +Renaissance battait son plein quand on agrandit l’église, aussi piliers +gothiques et colonnes grecques se mélangent dans la vaste nef à doubles +collatéraux aboutissant à un frontispice d’autel corinthien. Sur le +flanc méridional enveloppé de maisons, on a ouvert, sous Henri III, un +petit portail fort élégamment décoré, avec pilastres et fronton à +figures d’anges, et de beaux vantaux de bois sculpté. + +[Illustration: LE DUEL CARROUGES ET LE GRIS DANS LA LICE DE +SAINT-MARTIN] + +Parmi les principaux couvents éparpillés dans ce Paris bruyant et animé +de la rive droite, il faut mettre au premier rang les Célestins, établis +sur l’emplacement précédemment occupé par les Carmes. Ces religieux, +venant d’un monastère de la forêt de Compiègne, obtinrent la faveur de +Charles V, leur voisin de l’hôtel Saint-Paul, et des grands personnages +de la cour. Sur la berge de la Seine devant le port Saint-Paul, entre le +grand Hôtel Royal et l’Arsenal, Charles V leur fit construire une église +dont il posa la première pierre en 1335 et le couvent s’enrichit et +s’embellit bien vite par les donations royales et princières. + +M. de Guilhermy, parlant des couvents secondaires qui s’établissaient +partout + +[Illustration: LES CORDELIERS APPRENANT L’EXERCICE.--1588] + +en quantités prodigieuses aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles, et qui n’offraient +pas l’ampleur des grands abbayes des siècles précédents, «ni les +splendeurs de Cluny, les magnificences de la famille bénédictine ou les +sévères grandeurs de Clairvaux», rappelle que les églises de ces +couvents secondaires n’étaient que d’immenses nefs, souvent à voûtes de +bois, avec une petite flèche aiguë couverte d’ardoises. + +«Si les églises des couvents n’avaient plus, dit-il, ce grand caractère +des anciens édifices sacrés, elles furent en revanche richement +décorées: les fidèles fondaient à l’envi de brillantes chapelles dans +leurs monastères préférés. A Paris plus qu’ailleurs, la mode exerce en +toute chose son influence; il fut de bon ton d’avoir une sépulture de +famille dans l’église ou dans le cloître d’un couvent. C’est ainsi que +les églises des Cordeliers et des Jacobins étaient devenues de vrais +musées de sculpture, toutes meublées de statues et de tombeaux...» + +Église aristocratique, couvent admirablement placé au milieu de tous les +logis féodaux qui entouraient alors l’hôtel royal de Saint-Paul «_hostel +solennel des grands esbattements_», lequel était lui-même, non pas +seulement un château royal, mais une vaste réunion d’hôtels habités par +les princes du sang et les hauts personnages de la cour, on conçoit qu’à +l’ombre de la monarchie et sous la protection royale couvrant «_nos bien +aimez chapelains et orateurs en Dieu, prieur et couvent de nostre +prieuré et monastère de Notre-Dame des Célestins de Paris_», les +Célestins aient prospéré vite et largement. + +[Illustration: LA TOUR DU VERTBOIS A SAINT-MARTIN DES CHAMPS] + +Certes, indépendamment de tous les avantages de voisinage, c’est une +admirable situation pour le couvent ce coin annexé à Paris par Charles +V, ce saillant aigu de la muraille entre la tour Billy et la Bastille. +Les bons moines, pour prendre le soleil après les exercices religieux, +jouissent d’un grand enclos, d’un beau jardin mitoyen avec les cerisaies +et les treilles des jardins royaux. Le rempart de la ville gêne +malheureusement la vue, mais de certaines fenêtres du couvent, +par-dessus les toits ou entre les pavillons de l’hôtel Saint-Paul, on +peut apercevoir le cours de la Seine, l’abbaye de Saint-Victor de +l’autre côté, la montagne Sainte-Geneviève hérissée de flèches et de +tours et, plus près, le fleuve avec son mouvement, la batellerie du port +Saint-Paul, les îles toutes vertes, l’île des Javiaux ou Louviers, les +peupliers de l’île Notre-Dame qui n’est pas encore l’île Saint-Louis, +superbe tableau en arrière duquel la majestueuse abside de Notre-Dame +s’élève au-dessus du fouillis confus des maisons de la Cité. + +En ces temps l’église des Célestins devient donc peu à peu un musée, la +nef et les chapelles se remplissent de monuments, dalles, tombeaux, +statues, groupes, vases funéraires, obélisques, colonnes, etc., de +merveilleuses œuvres d’art que la destruction atteindra malheureusement +un jour, et dont les musées se disputeront les superbes débris. + +La chapelle des ducs d’Orléans surtout, bâtie en exécution d’un vœu de +Valentine de Milan, lors du fameux bal dit des _hommes sauvaiges_ ou des +_ardents_, fête où Charles VI déguisé en sauvage faillit être brûlé vif +comme ses compagnons, montra bientôt chefs-d’œuvre sur chefs-d’œuvre +assemblés autour du grand tombeau de Louis de France, duc d’Orléans, +assassiné par Jean sans Peur, et de Valentine de Milan sa veuve, qui, +bien qu’elle ait eu à pardonner beaucoup de choses au duc, personnage +fort séduisant et doué de brillantes qualités mais très vert galant, +adopta après le meurtre cette devise découragée: «Rien ne m’est plus, +plus ne m’est rien», et fidèlement mourut peu de mois après. + +Sur ce grand tombeau des deux victimes du duc de Bourgogne réunies à +leurs enfants, s’élevaient leurs statues entourées de statuettes +d’apôtres, de saints et de pénitents ou _pleurants_. + +Parmi ces tombeaux accumulés sous les voûtes, dans la chapelle d’Orléans +ou dans les autres chapelles, il faut citer les tombeaux de Philippe de +Chabot, amiral de France, et de Henri de Chabot, duc de Rohan, les +tombeaux des Cossé, de Renée d’Orléans, de Jeanne de Bourbon, femme de +Charles V, de la duchesse de Beldfort, femme du régent gouvernant Paris +pour le roi anglais, la colonne torse entourée de Vertus à la base et +portant dans une urne le cœur du connétable Anne de Montmorency[B], la +pyramide des Longueville, le groupe célèbre des Trois Grâces de Germain +Pilon, qui portaient sur leur tête dans une urne les cœurs de Henri III, +Charles IX et du duc d’Anjou, trop gracieux contenant pour un triste +contenu, pour la Saint-Barthélemy et les guerres de religion, pour les +cœurs de Charles IX et de ses frères... + +Ce sont là les monuments principaux, combien d’autres encore dans tous +les coins réclament l’admiration ou éveillent le souvenir d’une figure +historique. Les Célestins au XVIᵉ siècle ont fait reconstruire leur +cloître dans le goût de la Renaissance, les arcades en plein cintre +reposent sur de fines colonnettes corinthiennes accouplées; c’est +élégant, mais c’est loin d’être aussi religieux que les beaux arceaux +gothiques. + +[Illustration: ÉGLISE SAINT-NICOLAS DES CHAMPS] + +Entre autres particularités de ce couvent enrichi par les libéralités +des princes vivants et embelli par les sépultures des princes morts, +dont les religieux, à défaut de grandes œuvres, ont laissé surtout une +réputation gastronomique, non usurpée, disent les mauvaises langues; les +Célestins étaient le siège de la confrérie des notaires parisiens qui +possédaient là une salle de réunion et y déposaient leurs archives. + +De tout ce grand couvent des Célestins rien ne reste que le nom d’un +quai de la Seine, formé avec l’ancien port Saint-Paul; tout autre +souvenir en a disparu définitivement; quelques-uns des magnifiques +monuments funéraires de l’église sont au Louvre ou à Saint-Denis; +cloître, église, bâtiments, tout a été détruit. L’église après la +Révolution transformée en écurie, fut abattue en 1849, les bâtiments +devenus caserne, vécurent jusqu’à ces dernières années; puis le nouveau +boulevard Henri IV est venu renverser cette caserne que l’on reconstruit +maintenant un peu plus haut pour la garde républicaine. + +Au XVᵉ siècle, le couvent des Blancs-Manteaux est un monastère d’une +certaine importance; c’est en l’année 1258 que le monastère naquit, +grâce aux libéralités de saint Louis, le grand fondateur de couvents, +pour des moines venus de Marseille. Ces moines s’intitulaient les +«_Serfs de la Vierge Marie_». Comme ils portaient de grands manteaux +blancs sur leurs robes, le peuple les appelait les «_Blancs Manteaux_». +Saint Louis leur avait donné une «_méson et vielz places en tour pour +eulz héberger delez la viex porte du Temple à Paris_», c’est-à-dire en +dedans du rempart. + +A peine installés dans leur monastère, les serfs de la vierge Marie +furent supprimés par le pape Grégoire X, comme beaucoup de petits ordres +mendiants, mais ce fut pour être remplacés peu après par un autre ordre +mendiant, les ermites de Saint-Guillaume ou Guillemites, qui portaient +des manteaux noirs mais auxquels, malgré tout, le peuple conserva par +habitude le nom de Blancs-Manteaux. En 1618, les Bénédictins +remplacèrent à leur tour les Guillemites et firent peu après +reconstruire l’église et le couvent. L’église existe rue des +Guillemites, elle est loin d’être jolie, et on lui a donné pour portail +celui de l’église des Barnabites, démolie dans la Cité, portail bien +laid aussi, sans intérêt, conservé sans doute par sa laideur, quand tant +de magnifiques portes gothiques étaient impitoyablement jetées aux +gravats. + +Les bâtiments des bénédictins, agrandis et transformés, sont devenus le +siège de l’administration du Mont de Piété. Des dépendances s’en +retrouvent encore près de l’église, dans la rue qui a gardé le nom de +Guillemites. + +Le couvent des Carmes Billettes avoisinait les Blancs-Manteaux; son +cloître a par miracle échappé aux transformations des deux derniers +siècles et aux démolitions de celui-ci. C’est chose rare à Paris un +cloître complet, oublié pour ainsi dire, quand tous ceux du moyen âge, +importants ou modestes, y ont péri. C’est un charmant cloître du XVᵉ +siècle, tout petit, qui abrite ses arceaux sous l’église des Billettes +reconstruite en 1756 dans le mauvais style du temps, et devenue depuis +1822 temple protestant. + +L’origine de ce couvent de Carmes Billettes est curieuse. Un juif fort +riche, Jonathas, prêteur sur gages, aurait en 1290 obtenu d’une femme, +sa débitrice, qu’elle lui apportât, moyennant libération de sa dette, +une hostie consacrée conservée à la communion de Pâques. Quand le juif +Jonathas eût entre les mains l’hostie consacrée il essaya de la percer +et de la découper à coups de couteau. Miracle! Sous les coups, l’hostie +devient rouge et le sang du Christ en jaillit; alors le juif affolé +prend un clou et un marteau, il frappe, le sang coule encore mais +l’hostie résiste à la destruction, il la jette dans le feu, elle s’élève +intacte au-dessus des flammes qui s’inclinent et lui font une auréole, +il la reprend et la plonge dans une chaudière d’eau bouillante... + +[Illustration: LE CLOITRE DES BILLETTES, RUE DES ARCHIVES] + +C’était le jour de Pâques. Comme tout le quartier était en fête et que +la foule se pressait aux églises, le fils du juif dit aux enfants +chrétiens devant l’église voisine: «C’est bien en vain que vous allez +adorer votre Dieu, car mon père vient de le tuer.» C’est ainsi, dit la +légende, que le sacrilège est découvert, on va chez le père de +l’enfant, on trouve encore l’hostie dans la chaudière où l’eau +bouillante n’a rien pu contre elle. Grande rumeur, le juif est arrêté, +jeté dans la prison de l’évêque et bientôt après brûlé en solennité. + +La rue du crime devint «_la rue où Dieu fut bouilli_», la maison de +Jonathas, confisquée avec tous ses biens, fut rasée et sur l’emplacement +un riche bourgeois fit élever une chapelle dite des Miracles; un couvent +se fonda ensuite pour les _frères de la Charité de Notre-Dame des +Billettes_ que remplacèrent les Carmes réformés en 1631. A la Révolution +le couvent fut supprimé, on en conserva quelques bâtiments et l’église +fut concédée au culte protestant. + +Voici encore d’autres communautés plus ou moins importantes, logées en +des édifices plus ou moins beaux: + +Les frères de Sainte-Croix de la Bretonnerie, établis par saint Louis en +1258, avaient été appelés frères Croisiers pour la croix qu’ils portent +sur leur robe. Le couvent a donné naissance à l’administration des +pompes funèbres. Là était le local des jurés crieurs chargés de tous les +services des obsèques et fournissant tous les objets nécessaires, +draperies, cierges, billets d’invitations et même habits de deuil. + +Un passage Sainte-Croix indique l’emplacement de l’église démolie en +1778 quand la Communauté fut supprimée; cette église était, paraît-il, +fort belle, elle avait été construite par Pierre de Montereau, +l’architecte de la Sainte-Chapelle. + +L’abbaye de Saint-Magloire, entre la rue Saint-Denis et la rue +Quincampoix derrière l’église Saint-Leu, en un endroit qui fut d’abord +le cimetière de Saint-Barthélemy de la Cité, était un très ancien +monastère fondé en l’honneur des reliques de saint Magloire, apportées à +Paris par des moines bretons pour les préserver des Normands. En 1572 +des religieuses pénitentes, dont Catherine de Médicis démolissait le +couvent pour bâtir l’hôtel de Soissons, vinrent à Saint-Magloire +remplacer les moines. Il n’en reste rien dans le quartier Saint-Denis. + +Le couvent de Sainte-Catherine du Val des Ecoliers, dans la rue qui mène +à la Bastille, tout à côté du palais des Tournelles, est séparé +seulement de l’hôtel Saint-Paul par la rue Saint-Antoine. On rencontre +là un enclos assez vaste, renfermant l’église et la maison dite du Val +des Ecoliers, établie par les chanoines du Val des Écoliers de Langres +pour servir de collège aux novices de leur ordre. Très modeste fondation +à l’origine, l’importance lui vint à l’occasion de la bataille de +Bouvines. Le jour de cette terrible rencontre entre l’armée de +l’empereur Othon et celle de Philippe-Auguste, armée nationale +réunissant la chevalerie et les milices des communes, des hommes d’armes +de la garde particulière du roi, qui dans la mêlée formidable +défendaient le pont de Bouvines, firent un vœu à sainte Catherine, ainsi +qu’il est dit dans une inscription sous un très beau bas-relief placé au +XIVᵉ siècle au portail de l’église. + +«_A la prière des sergents d’armes, Monsieur Saint Loys, fonda ceste +église et y mist la première pierre. Ce fust pour la joye de la vittoire +qui fust au pont de Bovines l’an 1214._ + +«_Les sergents d’armes pour le temps gardaient ledit pont et vouèrent +que si Dieu leur donnoit vittoire ils fonderoient une église en +l’honneur de Madame Sainte Katherine._ + +«_Et ainsy fust-il._» + +Le bas-relief, très souvent reproduit, représente les sergents d’armes +accomplissant leur vœu; leurs costumes ne sont pas ceux du temps de +Philippe-Auguste mais ceux des chevaliers du XIVᵉ siècle admirablement +détaillés. L’église du vœu élevée vers 1230 dans la culture +Sainte-Catherine, modifiée au XVIIᵉ siècle par un portail de Mansard, +fut démolie sous Louis XVI. + +En 1359, à la fin de la grande sédition, quand le prévôt Étienne Marcel +et cinquante de ses partisans furent tués à la porte Saint-Antoine, +qu’en désespoir de cause ils allaient livrer aux troupes anglaises et +navarraises, leurs corps furent jetés nus et exposés pendant plusieurs +jours dans le préau de Sainte-Catherine, où venaient les rejoindre les +corps décapités des autres personnages ayant marqué dans les troubles. + +Nombreuses aussi sont les communautés de femmes dans la ville du moyen +âge; leur nombre ne diminuera pas, au contraire, dans les siècles qui +suivront. Extra muros, dans le faubourg qui naît en avant de la Bastille +Saint-Antoine, il y a l’abbaye de Saint-Antoine des Champs, fondée au +XIIᵉ siècle et qui commença par être un couvent de repenties recevant +les _folles femmes_ désireuses de revenir à meilleure vie. Ces filles +repenties de Saint-Antoine pour comble de pénitence faisaient des +pèlerinages par la ville pieds nus et en chemise de grosse toile +semblable à des sacs, ce qui sur leur passage, excitait plus de rires et +de quolibets que d’édification parmi les curieux ameutés. + +De cette abbaye de Saint-Antoine l’église, fort belle, fut élevée par +Blanche de Castille en mémoire de la naissance de saint Louis, son fils. +Tout proche se trouve une chapelle dédiée à saint Hubert et une +maladrerie appelée le _Répit de Saint-Hubert_, hôpital où les malheureux +mordus par les chiens enragés viennent se recommander au patron des +chasseurs. + +L’abbaye, isolée par sa situation dans la campagne sur le chemin qui +mène à Vincennes, est entourée d’une muraille et d’un fossé; à l’un des +angles de l’enclos, une croix a été élevée, appelée la Croix des +Trahisons. Une inscription dit la raison de ce nom: + + _L’an MCCCCLXV + fut ici tenu le landit des Trahisons + et fut par une trèves + qui furent données + Maudit soit-il qui en fut cause._ + +Ce landit des trahisons, c’est-à-dire suivant le sens du vieux mot +_landit_, la réunion des trahisons, c’était le marché aux négociations +au moment de la ligue du bien public, après la singulière bataille de +Montlhéry où les deux armées se mirent mutuellement en déroute et se +passèrent sur le corps pour battre en retraite. Princes et seigneurs +venaient parlementer à Saint-Antoine, marchandaient de la paix avec le +roi Louis XI qui tenait Paris et cherchaient à tirer chacun quelque +bribe de la monarchie, quelque bon duché ou comté, quelques villes, +quelque charge ou pour le moins quelque argent; tous, suivant la qualité +et la force du traitant «_butinant le monarque et le mettant au +pillage_», comme dit Commines. Louis XI donna, assura, jura tout ce que +l’on voulut, se promettant bien de tout reprendre ou de ne rien tenir. +Et ce fut l’année où, suivant une chronique, la vigne ne donna pas, +parce que les _sarments_ (serments) n’avaient rien valu. + +La rue Saint-Denis possède le grand couvent des Filles-Dieu, fondation +de saint Louis. L’origine de plusieurs couvents de femmes de ces temps +est la même. Pauvreté, alors comme en bien d’autres siècles, jetait +beaucoup de filles ou femmes des grandes villes en «péché de luxure». + +Par moments le mal devenait si grand que l’on cherchait par tous les +moyens à l’atténuer; des ordonnances de la Prévôté parquaient les femmes +folles de leurs corps en certaines rues, en certains quartiers, et leur +interdisait le reste de la ville sous peines sévères, mais la barrière +était bientôt franchie, ces rues et ces quartiers spéciaux débordaient +bientôt sur leur voisinage et tout se retrouvait comme devant. + +[Illustration: DÉPENDANCES DU COUVENT DES GUILLEMITES, RUE DES +GUILLEMITES] + +Les évêques de Paris essayaient des sermons, tentaient de véritables +croisades de conversions, fondaient des maisons de refuge pour les +pécheresses fuyant les quartiers licencieux des ribaudes, le Val d’amour +aux tavernes hantées par la débauche, bâtissaient des hospices pour +celles «_qui pendant toute leur vie avaient abusé de leur corps et à la +fin étaient tombées en mendicité_». + +La maison des Filles-Dieu, fondée hors Paris, recueillit deux cents de +ces pénitentes qui rachetaient leurs fautes passées en soignant les +malades de l’hôpital Saint-Lazare. + +Au couvent des Filles-Dieu comme en d’autres maisons de repenties, il y +avait une limite d’âge que les pécheresses ne devaient pas dépasser. +Après l’âge de trente ans elles n’étaient plus admises à venir y pleurer +leurs erreurs. Il eût été trop commode aux _Madeleines_ tardives, on le +comprend, de ne songer à la conversion qu’à l’heure où la rue ne voulait +plus d’elles. De plus, elles devaient en entrant jurer qu’elles ne +s’étaient pas jetées dans leur vie de désordres exprès, en vue de se +créer des droits à cette retraite chez les pénitentes. + +[Illustration: LES CORPS D’ÉTIENNE MARCEL ET DE SES PARTISANS DANS LE +PRÉAU DE SAINTE-CATHERINE] + +Sous Charles V, pendant les grands ravages des Anglais autour de Paris, +leur couvent ayant été brûlé, les Filles-Dieu qui n’étaient plus, bien +entendu, des pécheresses repenties comme à l’origine, vinrent en 1360 +s’établir rue Saint-Denis, dans un petit hôpital fondé en 1216 pour +loger une nuit les femmes pauvres passant par Paris, auquel hôpital +elles ajoutèrent de nouveaux bâtiments et une église. Puis la décadence +vint, le couvent et les biens des Filles-Dieu passèrent, à la fin du XVᵉ +siècle, à l’ordre de Fontevrault. + +En ces temps chaque condamné que l’on mène supplicier à Montfaucon fait, +par suite d’une coutume ancienne, une dernière station à l’église des +Filles-Dieu. Les religieuses viennent le recevoir, lui apportent trois +morceaux de pain, un verre de vin et le mènent baiser un crucifix placé +extérieurement sur le mur de l’église, pour lui inspirer le courage de +continuer sa route douloureuse. + +Que de fondations pieuses dans ces rues de Paris où la charité avait +éparpillé un peu partout les petits hospices, les refuges et les lieux +de secours; fondations infimes souvent, nées des libéralités de quelque +bourgeois à son lit de mort, administrées simplement et naïvement, +entretenues par les aumônes implorées dans les rues de Paris, où chaque +matin des nonnes, des moines attachés à ces humbles établissements vont +«_crier leur pain_», concurremment avec des frères quêteurs d’autres +ordres, mendiant pour eux-mêmes ceux-là et qui, bien que fort riches, +leur font une concurrence désastreuse et prennent pour leur superflu le +nécessaire des malheureux. + + Aus _frères de Saint-Jacques_ pain + Pain, por Dieu, aus _frères menors_ + Cels je tiens por bons perneors + Aus frères de Saint-Augustin + Icil vont criant par matin + Du pain aus _sas_, pain aus _barrez_, + Aus povres prisons enserrés, + A cels du Val des Écoliers + Li uns avant, li autres arriers + Aus frères des _pies_ demandent + Et li _croisés_ pas ne s’atandent, + A pain crier mettent grand peine + Et li aveugle à haute alaine, + Du pain a cels du _Champ-pourri_ + Dont moult souvent, sachiez, me ri, + Les _bons Enfants_ orrez crier: + Du pain, nes veuil pas oublier + Les _Filles Dieu_ savent bien dire: + Du pain pour Jhésu notre sire. + Ça du pain, por Dieu, aus _sachesses_... + +C’est un poète du XIIIᵉ siècle, _Guillaume de la Villeneuve_, qui, dans +une pièce intitulée les _Crieries de Paris_, ayant rapporté toutes les +_crieries_ des marchands des rues, des vendeurs de fruits, de volailles, +de légumes, de poisson de mer et d’eau douce, des marchands de boissons +diverses, de pâtés et de gâteaux, des marchands d’habits et de +friperies, des crieurs d’actes officiels, du clocheteur des trépassés, +etc., en arrive aux quémandeurs des couvents et des écoles, sans +distinguer entre les couvents riches et les autres, les pieuses +institutions qui n’ont vraiment pour vivre que la charité publique. + +Parmi ces humbles communautés qui ont rendu le plus de services, +modestement, s’occupant de soigner les malades dans les divers hôpitaux +ou d’ «_hebergier_» les pauvres et les voyageurs, il existe rue de la +Tixeranderie la communauté des hospitalières de Saint-Gervais ou de +Sainte-Anastase, qui, depuis le jour lointain de la fondation, donne +l’hospitalité dans sa maison de la rue de la Tixeranderie. Fondée par +Garin, maçon, et Harcher son fils, prêtre, c’était d’abord une toute +petite maison tenue par des frères; on y mit des religieuses au XIVᵉ +siècle et une chapelle fut bâtie en 1411. + +Les hospitalières de Saint-Gervais donnent aux gens dépourvus le souper +et le gîte pendant trois nuits; elles hébergent entre 15 et 16,000 +pauvres par an et en 1789, quand l’institution n’a plus que peu de mois +à vivre, ce nombre montera à 32,238 personnes, dans l’hôpital transféré +sous Louis XIV à l’hôtel d’O, rue Vieille-du-Temple, 60, à la place +occupée maintenant par le marché des Blancs-Manteaux. C’était, on le +voit, tout à fait l’_hospitalité de nuit_, une vieille institution qu’on +s’efforce de faire renaître. + +Les Haudriettes sont voisines des hospitalières Saint-Gervais; au +commencement du XIVᵉ siècle, Étienne Haudri, panetier de saint Louis, +dit la légende, ayant accompagné le roi à sa dernière croisade en Terre +Sainte, y fut gardé prisonnier par les Sarrasins. Le croyant mort, sa +femme désespérée voulut se retirer du monde et passer le reste de sa vie +dans les prières. Elle fonda donc, dans sa maison même, une petite +communauté de femmes. + +Mais voici qu’un jour, après de longues années, reparaît le captif évadé +ou racheté, tombant parmi ces nonnes et réclamant sa femme. Pour obtenir +l’annulation des vœux prononcés par elle, Haudri, rentré dans sa charge +à la cour et dans ses biens, agrandit la pieuse fondation et bâtit rue +de la Mortellerie-en-Grève un hôpital destiné à recevoir de pauvres +veuves. Il y ajouta une chapelle en 1306; puis ses fils continuèrent la +bonne œuvre de leur père et dotèrent convenablement l’hôpital, mis en +possession de quelques maisons formant le fief Cocatrix ou des +Haudriettes. + +A l’origine, les Haudriettes ne furent point tout à fait des +religieuses, c’étaient tout simplement de pauvres veuves recueillies, +vivant dévotement entre elles comme dans les béguinages de Flandre. Le +peuple les appelait les _bonnes femmes de la Chapelle Estienne Haudri_ +ou les _bonnes femmes de la Maison-Dieu en Grève_. Plus tard +l’institution changea de caractère, la maison devint un couvent comme un +autre et les Haudriettes à la fin furent réunies à la communauté des +dames de l’Assomption, couvent dont il reste une église à dôme du XVIIᵉ +siècle dans le faubourg Saint-Honoré. Quant à la chapelle de la rue de +la Mortellerie, elle fut transformée en maison particulière, disparue en +1841 dans l’agrandissement de l’Hôtel de Ville. + +Il y eut plusieurs autres fondations analogues à celle d’Étienne Haudri, +mais moins importantes, entre autres l’hôpital des Veuves, rue de +Grenelle, fondé en 1497 par la famille d’un maître des requêtes nommé +Barthélemy pour «_huit pauvres femmes veuves ou anciennes filles de +quarante ans_». + +Les voyageurs arrivant à Paris trouvaient à certaines portes logement et +secours. Dès les premiers siècles, des bâtiments annexes de l’église +Saint-Julien le Pauvre ou l’Hospitalier servaient ainsi à +l’hébergement. + +Plus tard, quand la ville s’agrandit, l’hospice de Saint-Julien «_qui +héberge les chrétiens_» fut reporté plus près des portes, à +Saint-Benoît. + +C’est en somme un vieux souvenir de la tradition hospitalière qui fit +attribuer, en 1655, à l’Hôtel-Dieu de Paris, Saint-Julien devenu prieuré +de l’abbaye de Longpont. + +[Illustration: L’ÉGLISE DES FILLES-DIEU] + +Dans la rue Saint-Denis, entre la rue Grenetat et la rue +Guérin-Boisseau, près d’une fontaine dite fontaine de la Reine, qui +apparaît assez monumentale dans le plan Truschet, ce grand pignon est +celui de la chapelle de la Trinité, hôpital fondé au commencement du +XIIIᵉ siècle par deux bourgeois, Jean Pallé et Guillaume Estuacol, et +appelé d’abord hôpital de la Croix de la Reine. + +Une communauté de frères, les _frères asniers de la Trinité_, ainsi +appelés par le peuple qui les voit tirant leur âne par la bride mendier +par les rues, donne gîte aux pauvres voyageurs, les soigne quand ils +sont malades et s’ils meurent les enterre dans le cimetière qui se +trouve derrière leur chapelle. + +Cette institution de charité, cet hôpital, refuge des pauvres passants, +c’est tout simplement le lieu de naissance du Théâtre-Français; Thalie +et Melpomène y ont eu leur berceau tout proche du grabat des voyageurs +dépourvus, des pauvres pèlerins, des porte-besace errant sur les routes. +L’hôpital étant passé aux Prémontrés, ces moines louèrent en 1411 une +salle aux _Confrères de la Passion_ unis aux _Enfants sans Souci_. +_Confrères et Enfants sans Souci_ donnaient des spectacles variés, +tantôt des _Mystères_ où les grandes scènes de la vie du Christ, de la +Bible ou de la Vie des Saints s’entremêlaient d’épisodes comiques, +tantôt des _Farces, Sotties ou Moralités_, c’est-à-dire on le voit, le +drame, à grand spectacle même, et la comédie de mœurs, le vaudeville +burlesque déjà, dont les couplets satiriques, fort licencieux parfois, +touchaient à tout et à tous, aux événements et aux personnes en vue, +avec une liberté grande. Leurs représentations avaient tant de succès +que, pour certaines pièces, on dut quelquefois avancer dans les +paroisses l’heure des vêpres, afin de permettre aux gens et aux prêtres +eux-mêmes de s’en aller s’esjouir à la Trinité. + +[Illustration: LES QUINZE-VINGTS A LA PORTE SAINT-HONORÉ] + +En 1548, pour y loger des orphelins, on retira leur salle aux Confrères +de la Passion et ceux-ci, ayant reçu en outre défense de jouer désormais +des pièces religieuses, s’en allèrent porter leur théâtre à l’hôtel de +Bourgogne sous la tour de Jean sans Peur. + +Le peuple désigne sous le nom d’_Enfants bleus_ les enfants recueillis à +la Trinité à cause de la couleur de leur habillement, comme il appelle +_Enfants rouges_ les _orphelins_ de l’hôpital fondé sous François Iᵉʳ +dans la rue Porte-Foin au Marais. + +Plus bas et du même côté de la rue Saint-Denis, dans le quartier de +l’Apport, Paris qu’assombrissent les tours du Grand Châtelet, un autre +hôpital, la _Maison-Dieu de Sainte-Catherine_, administrée par des +frères et des sœurs, loge les pèlerins et reçoit pendant trois jours les +femmes ou filles qui viennent à Paris chercher une condition. + +L’hôpital de la Trinité et l’hôpital Sainte-Catherine ont été supprimés +à la Révolution et tout vestige a disparu de leurs édifices ou +chapelles, comme a disparu aussi tout vestige de l’ancien hôpital du +Saint-Esprit, ce vieux voisin de la maison de ville, qui touchait à la +Maison aux Piliers et tomba au commencement du siècle pour +l’agrandissement de l’Hôtel de Ville. + +Le Saint-Esprit avait été fondé au XIVᵉ siècle rue Geoffroy-l’Asnier et +transféré bientôt en place de Grève, où les confrères du Saint-Esprit +firent construire maison et chapelle mitoyennes avec l’hôtel de la +ville, l’antique Maison aux Piliers. Cet hôpital élevait cent vingt +orphelins, filles et garçons, dont les parents étaient morts à +l’Hôtel-Dieu. + +[Illustration: LES COCHONS DU PETIT SAINT-ANTOINE] + +Une autre institution plus célèbre du moyen âge a survécu. C’est +l’hospice des Quinze-Vingts, fondation de saint Louis pour les pauvres +aveugles. + +_Aussi li benoyez roi fist acheter une pièce de terre de lez +Saint-Ennouré où il fist fere grand mansion porce que les poures avugles +demorassent ileques perpetuelement jusques a trois cents; et ont touz +les anz de la borse du roi pour potages et pour autres choses +rentes..._» + +La maison des _Quinze-Vingts_ au _Champ-Pourri_, tout près du Louvre, +était dans la campagne au temps de saint Louis, quand la première porte +Saint-Honoré s’ouvrait où se trouve aujourd’hui l’oratoire du Louvre. Au +XIVᵉ siècle, l’enceinte d’Étienne Marcel a mis les Quinze-Vingts dans la +ville, derrière la seconde porte Saint-Honoré. Dans cet enclos du +Champ-Pourri assez vaste, des bâtiments divers entourent une petite +chapelle dédiée à saint Rémi. C’est à peu près l’emplacement du guichet +de l’Échelle, à l’entrée du Carrousel actuel; à côté sur la ligne de +notre cour du Carrousel, s’élèvent deux autres petites églises, +Saint-Nicaise et Saint-Thomas, entourées de leurs cimetières. + +Les rentes établies par saint Louis ne suffisent pas à l’entretien des +aveugles et de l’établissement des Quinze-Vingts; tous les matins les +aveugles sortent et s’en vont par troupes quêter leur pain dans la ville +et, se traînant les uns les autres, regagnent l’hospice quand la besace +est garnie des aumônes des Halles ou des rogatons des logis bourgeois. + +Jusqu’en 1780, les Quinze-Vingts sont restés là entre Louvre et +Tuileries. Le cardinal de Rohan, grand aumônier de France, l’homme de +l’affaire du Collier, les fit transférer au faubourg Saint-Antoine, dans +leur local actuel, alors caserne des Mousquetaires noirs. Leur nombre +fut porté à huit cents, mais les malheureux furent bien près d’être +forcés par la misère à reprendre la besace pour mendier comme jadis, les +spéculations et dilapidations du cardinal ayant à peu près ruiné +l’hospice; cela fit scandale alors et le règlement de la gestion des +biens des Quinze-Vingts fut très laborieux. + +[Illustration: LES FRÈRES CORDONNIERS] + +D’autres hôpitaux encore se rencontrent en divers quartiers: hôpital +Saint-Eustache, Saint-Jacques de l’Hôpital, le petit Saint-Antoine; ce +dernier, hospice fondé par Charles V, est affecté aux pauvres atteints +de ces maladies étranges qu’on appelait le feu Sacré, le feu +Saint-Antoine ou le mal des Ardents, espèce de peste qui régna +épidémiquement jusque vers la fin du XVᵉ siècle. + +L’hôpital des Ardents se distinguait par une particularité pittoresque; +il avait pour privilège spécial le droit de laisser vaguer par les rues, +cherchant leur nourriture aux tas d’ordures, des cochons portant la +marque du couvent et une clochette au cou. L’animal consacré à saint +Antoine errait dans le quartier en toute liberté, sans que nul s’en +offusquât ou cherchât à l’empêcher de rentrer au gîte une fois repu. + +Ce vieux Paris, qui abonde en pittoresque et en singularités, put +montrer pendant les deux derniers siècles une communauté très singulière +qui n’était pas un couvent, des frères qui n’étaient que des +demi-moines; c’était la communauté des frères cordonniers de +Saint-Crépin, établie en deux maisons, rue de la Grande-Truanderie et +rue Pavée-Saint-André. Les frères cordonniers ne faisaient pas de vœux +monastiques, ils ne portaient pas de froc, mais vivant en commun, ils +tiraient l’alène dévotement entre les offices et, il faut le croire, +confectionnaient, en l’honneur de leur patron, d’excellentes chaussures. +Le plan de Gomboust indique leur chapelle en cette rue +Pavée-Saint-André, dite aussi rue Pavée-d’Andouilles à cause de ses +éleveurs de porcs. + +A la même époque il y eut aussi des frères tailleurs vivant, priant et +travaillant en commun ainsi que les bons disciples de saint Crépin. + +[Illustration: LE COUVENT DU PETIT SAINT-ANTOINE] + +[Illustration: DERNIÈRE STATION AUX FILLES-DIEU DES CONDAMNÉS ALLANT A +MONTFAUCON + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +[Illustration: L’ÉCHOPPE DE NICOLAS FLAMEL, MAITRE ÉCRIVAIN ENLUMINEUR A +SAINT-JACQUES LA BOUCHERIE] + + +III + + Les églises de la rive droite.--Paroisses royales de Saint-Germain + l’Auxerrois et Saint-Paul.--Au temps de la + Ligue.--Saint-Eustache.--La Jussienne.--Les paroissiens de + Saint-Jacques la Boucherie, écorcheurs et enlumineurs.--Les maisons + de Nicolas Flamel.--Saint-Merry.--Saint-Julien des Ménétriers.--La + loue des jongleurs, ménestrels et musiciens.--Saint-Gervais. + +Si le Paris de la rive droite n’a pas de collèges, s’il a moins de +couvents que le Paris de la rive gauche, il possède par contre de +nombreuses églises. + +[Illustration: UN PIGNON DE SAINT-MERRY] + +Il est peu de rues importantes qui ne se glorifient de plusieurs +clochers espacés, peu de voies secondaires qui ne possèdent au moins une +église, et il se trouve des édifices religieux jusque dans les quartiers +retirés, où mènent seulement des ruelles détournées, et que l’étranger +non prévenu ne découvrirait pas. Presque toutes ces églises sont +entourées de leur cimetière ou bien, si l’espace leur a été marchandé, +elles enterrent leurs paroissiens à peu de distance, dans quelque +terrain bien enfermé de maisons. + +De même qu’il y a des églises de toutes les tailles, depuis la +majestueuse cathédrale jusqu’à l’humble petite chapelle, il est des +paroisses de toutes les grandeurs. Les unes étendent leur juridiction +religieuse sur tout un quartier, sur une immense agglomération de +maisons, les autres sur quelques rues ou ruelles. Quelques-unes doivent +se contenter de moins encore et la plus petite, Sainte-Marine dans la +Cité, n’a pour territoire qu’une vingtaine de maisons. + +Près les tours du Louvre et séparée seulement de la demeure royale par +l’hôtel de Bourbon, s’élève la plus ancienne des églises de la rive +droite, la plus glorieuse par ses souvenirs. L’église collégiale +Saint-Germain l’Auxerrois, paroisse royale, est née au temps des +Mérovingiens; fondée par Childebert, dit la tradition, elle s’appelait +alors Saint-Germain le Rond pour sa forme circulaire. + +Cette église primitive, les Normands en 886 la détruisirent et firent de +ses ruines le centre de leur camp retranché de ce côté de Paris, de même +qu’ils s’installèrent sur l’autre rive parmi les ruines de Saint-Germain +des Prés. Rebâtie par le roi Robert, l’église, pour n’être pas confondue +avec Saint-Germain le Vieux et Saint-Germain des Prés, fut appelée +Saint-Germain l’Auxerrois en souvenir du séjour à Paris de l’évêque +d’Auxerre. + +Dans la grande poussée de la période ogivale, on la reconstruisit +entièrement. La caractéristique de Saint-Germain l’Auxerrois, ce qui lui +donne cet aspect si pittoresque, ce bel agencement de lignes, c’est, en +avant-corps sous le grand pignon, un large porche du XVᵉ siècle flanqué +de deux jolis pavillons à combles d’ardoises réunis par la terrasse à +balustrade qui couronne cinq grandes arcades de hauteurs et de formes +variées. + +La place en avant de ce porche, c’est le Cloître, non pas le préau à +arcades des monastères, mais un terrain appartenant à l’église, une +espèce de cour irrégulière, fermée de portes et entourée des maisons +habitées par les chanoines ou louées par le chapitre. Le porche et les +portes qu’il abrite, tout est sculpté, ciselé, fleuri, décoré de rangées +de figures sous les voussures, de statues sous des niches, de figurines +accrochées aux saillies. + +De chaque côté des portes centrales de ce porche, les deux pavillons à +comble ardoisé renferment chacun une belle chambre éclairée par des +fenêtres jumelles. Le trésor et les archives de l’église y sont gardés +dans de grandes armoires de chêne à panneaux sculptés. L’une de ces +chambres est encore intacte aujourd’hui dans ses dispositions anciennes +et dans son mobilier. + +Les années des troubles de la Ligue vont remplir cette place du cloître +des clameurs et du fracas de la guerre civile. Le signal d’ailleurs est +parti des clochers de l’église; le soir du 24 août, la reine Catherine, +toutes dispositions prises, et impatientée de ne rien entendre encore, +fit sonner la grosse cloche à laquelle répondit aussitôt celle du palais +de justice, jetant par leur grosse voix l’ordre aux massacreurs de +commencer la besogne. Trois jours auparavant, Coligny, longeant le +cloître en sortant du Louvre pour regagner son hôtel de la rue de +Béthisy, avait reçu l’arquebusade de Maurevert, à l’affût dans une +maison de la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois. + +Aux journées des Barricades, en mai 1588, quand le roi essaie son coup +de force contre Guise et la Ligue, «en moins de rien, disent les +Mémoires de l’Estoile, chacun prend les armes, tend les chaînes et fait +barricade au coin des rues, l’artisan quitte ses outils, le marchand ses +trafics, l’Université ses livres, les procureurs leurs sacs, les avocats +leurs cornettes, les présidents et les conseillers mêmes mettent la main +aux hallebardes». Et tout de suite le quartier de +Saint-Germain-l’Auxerrois est soulevé et barricadé, sous la direction +d’un «coquin de tavernier, nommé Perrichon, qui depuis fut pendu par ses +compagnons». Les Ligueurs entassant barricades après barricades de ce +côté, bloquent le Louvre pendant que les soldats de Guise, avec une +troupe de sept à huit cents écoliers et quatre cents moines sortis de +tous les couvents, se préparent à marcher pour y forcer le roi. + +Mais les tumultes ont passé, les farouches prédicateurs de la Ligue se +sont tus, les pavés sont remis en place et les hallebardes aux +râteliers, le Béarnais au Louvre est le premier paroissien de +Saint-Germain. Il traverse quelquefois le cloître pour aller à la messe +ou pour voir la belle Gabrielle dans la maison dite du Doyenné occupée +par sa tante Mᵐᵉ de Sourdis,--une des maisons du cloître, où Gabrielle +reçut souvent le Vert-Galant, qu’elle comptait bien avant peu aller +rejoindre de l’autre côté de la rue du Louvre, comme épouse et reine. Ce +fut là aussi que Gabrielle, saisie d’un mal soudain après un repas chez +Zamet, se fit transporter mourante. + +Peu d’années après, Saint-Germain voit un autre cadavre lui arriver, ce +n’est plus une favorite, c’est un favori, celui de Marie de Médicis, +veuve d’Henri IV, Concini, le maréchal d’Ancre, maître détesté, dont +Luynes, Vitry et quelques conspirateurs débarrassent le jeune Louis +XIII, d’un coup de pistolet tiré sur le pont-levis du Louvre; on l’a +inhumé secrètement dans un caveau sous les orgues, mais la populace +avertie vint l’y déterrer, pour s’en aller le brûler sur le Pont-Neuf +devant la statue du bon roi. + +Saint-Germain, paroisse du Louvre, possédait les sépultures de nombreux +personnages de la cour, chanceliers, secrétaires d’État, grands +officiers de la couronne et aussi celles des artistes gratifiés par le +roi d’un logement dans les galeries du Louvre. On y voyait même la tombe +d’un fonctionnaire d’un autre ordre, d’un fou de Charles V auquel le roi +avait fait l’honneur d’une tombe de marbre noir sur laquelle était +couchée sa statue revêtue des insignes de sa charge et marotte en main. + +Dans ce quartier du Louvre, il y a Saint-Honoré, église collégiale +aussi, mais moins importante, enfermée au milieu de son carré de maisons +canoniales; Saint-Nicolas, proche la chapelle des +Bons-Enfants-Saint-Honoré, collège d’étudiants mendiants; Saint-Thomas, +entre le Louvre et la tour du Bois, autre petite collégiale dont la +voûte, s’écroulant en 1739, écrasa plusieurs chanoines... + +L’église Saint-Eustache n’est pas loin du Louvre non plus, mais elle +domine un quartier populaire, le très commerçant, très riche, et très +turbulent quartier des Halles. + +Simple chapelle au XIIIᵉ siècle, on la rebâtit en 1532, quand les +accroissements de population du quartier n’ont plus permis de se +contenter d’un aussi petit édifice. Entreprise sur des proportions +considérables, la nouvelle église Saint-Eustache ne devait pas se +terminer vite ou plutôt ne devait jamais s’achever, car son portail ne +l’est pas encore. La nef, très haute et très vaste, est d’un superbe +aspect, avec un caractère d’étrangeté due à l’alliance, sur un plan +gothique, des formes de l’art ogival et de l’art de la Renaissance, +constituant un ensemble d’une grande élégance et d’une extrême légèreté +aussi, par la délicatesse des colonnes et colonnettes superposées et +poussées audacieusement à une prodigieuse hauteur. + +[Illustration: CHAMBRE AU-DESSUS DU PORCHE DE SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS] + +Au dehors, c’est le même mélange des deux styles fusionnés produisant +néanmoins un bon ensemble, avec des détails remarquables comme le très +élégant portail latéral sud, qui fait face aux Halles. + +Les guerres civiles, qui vinrent interrompre les travaux, n’ont pas +permis d’achever l’œuvre et de donner à l’église un frontispice digne +d’elle. Le grand portail abandonné fut repris plus tard, et épaissi et +abîmé par de lourdes superpositions de colonnes, une sorte d’emplâtre +très laid qui déshonore un remarquable édifice. + +Non loin de Saint-Eustache, l’église des Saints-Innocents est de l’autre +côté des Halles, bâtie à l’un des angles du plus grand champ funéraire +de Paris, du fameux cimetière où la nuit brûle la lampe des morts, un +fanal allumé sur un édicule, parmi des monuments nombreux. Coin sinistre +du vieux Paris, sur lequel planent de macabres légendes, ce sont les +grandes Halles de la Mort, très étrange réunion, à côté des Halles de la +Vie, des immenses charniers dont les galeries abritent, à +rez-de-chaussée, des boutiques vendant de menus articles de modes, et +fort bien achalandées, au-dessus desquelles s’empilent et s’entassent +les ossements exhumés d’un cimetière à la terre dévorante, sans cesse +approvisionné par la mort, comme les divers marchés d’à côté sont, par +l’incessante production de la terre, approvisionnés pour la vie. + +[Illustration: LE CLOITRE SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS A LA JOURNÉE DES +BARRICADES] + +Sainte-Marie l’Égyptienne, dite par corruption la Jussienne, est une +simple chapelle de la «_grant rue Montmartre_» au coin de la rue de la +Jussienne, tout proche le rempart; sainte Marie l’Égyptienne, sous +l’invocation de laquelle se trouve l’édifice, fut une pécheresse +repentie qui se retira au désert. L’abbé Le Bœuf pense, d’après quelques +vieux documents, que l’origine de cette chapelle vient d’une Égyptienne +ou bohémienne qui, lasse d’une vie de désordres, se serait retirée ici +dans un reclusoir. + +Cette chapelle est ornée de verrières illustrant naïvement la vie de la +sainte, même en ses moments scabreux avant la conversion, comme ce +vitrail qui montre Marie l’Égyptienne passant une rivière et offrant, +faute d’argent, son corps au batelier pour payer le passage. + +Gagnons plus loin la «_grant rue Saint-Denis_»; ici les passants ne +peuvent faire cent pas le long des maisons serrées, sous les auvents et +les enseignes des marchands, sans rencontrer quelque édifice religieux, +pignon d’hôpital ou portail d’église. + +Avant le commencement de la rue, au débouché du pont aux Meuniers sous +le Châtelet, se trouve déjà Saint-Leufroy, chapelle du Châtelet, petite +chapelle sans importance qui fut démolie sous Louis XIV pour +l’agrandissement des prisons. Après la voûte noire du Châtelet, commence +la rue Saint-Denis. A l’Apport-Paris, petit marché étranglé par les +maisons, devant la grande boucherie du Châtelet, tout de suite après les +étaux de la grande boucherie, on rencontre à droite l’hôpital +Sainte-Catherine et en face, à gauche, l’église Sainte-Opportune fondée +en l’honneur des reliques de sainte Opportune apportées du diocèse de +Séez à Paris, pour les mettre à l’abri des Normands, et que Paris ne +voulut pas rendre. + +Plus haut dans la rue, presque en face les Innocents, se montre le grand +pignon de l’église du Saint-Sépulcre; cette collégiale, fondée au XIVᵉ +siècle à l’occasion d’un hôpital pour les pèlerins du saint Sépulcre de +Terre Sainte, est l’église de nombreuses confréries qui possèdent de +gros revenus et pourvoient largement aux magnificences des cérémonies et +à l’embellissement des chapelles, mais sont cause aussi de nombreux +différends entre les administrateurs de la confrérie du Saint-Sépulcre +et les chanoines,--querelles scandaleuses où les torts étaient souvent +des deux côtés et qui amenèrent en 1582 un arrêté du chapitre de +Notre-Dame, rapporté par M. H. Cocheris, où se lisent entre autres les +articles suivants donnant quelque idée des désordres survenus: + +«... Les maisons et eschoppes appartenantes à l’église du Sépulchre et +proches d’icelle ne seront louées à l’advenir à des ouvriers desquels le +travail se faict avec grand bruit qui empêche la célébration de l’office +divin. + +«Les chanoines, clercs et officiers sont advertis d’estre habillés +honnestement de longues soutanes ou robbes à l’église, et allant à la +ville ils porteront la soutane et le manteau long et deffences d’aller +en habits cours et de couleur, aultres que celles dont les +ecclésiastiques modestes usent ordinairement. Comme aussi de porter des +habits fendus sur la chemise, déccouppés ou chamarrez. + +«Les chanoines n’iront aux cabarets, ni aux jeux publicqs de boulles ou +aultres semblables. + +«Toutes les servantes qui sont maintenant demeurantes avec les chanoines +sortiront de leurs maisons... etc.» + +L’église Saint-Leu et Saint-Gilles se présente ensuite à peu de maisons +au-dessus du Sépulcre, puis c’est Saint-Jacques de l’Hôpital en face, +chapelle de l’hôpital des pèlerins de Saint-Jacques, qui possède en son +trésor d’admirables reliquaires, ensuite c’est Saint-Sauveur en face de +la Trinité. + +A Saint-Leu que le boulevard de Sébastopol, poussé inflexiblement en +ligne droite, a amputé d’une partie de son abside, il ne faut point +oublier le tour de force exécuté en 1727 par un maître charpentier nommé +Guérin, qui, la tour du Nord menaçant ruine, transporta tout simplement +le clocher avec la charpente et les cloches, de cette tour sur celle du +Sud en franchissant une distance de huit mètres. + +Dans le labyrinthe des ruelles tournant sur les côtés du Grand Châtelet, +par-dessus les toits serrés contre les chapelles, s’élève la haute tour +de Saint-Jacques la Boucherie, commencée sous Louis XII, en 1508, pour +compléter l’église déjà vieille alors de quelques siècles, mais qui +allait s’agrandissant et s’embellissant, au fur et à mesure que +croissaient la population du quartier et la richesse de cette +population. Quartier des bouchers, écorcheurs, corroyeurs et pelletiers, +des gros commerçants que la boucherie fait très riches et qui ont avec +l’argent l’influence, comme ils le montrent lors des grandes commotions +populaires des _XIV_ᵉ et XVᵉ siècles; les maîtres des étaux de la grande +Boucherie sont les seigneurs de la foule aux bras musculeux et rouges +maniant la masse et le couteau dans les tueries et triperies, des rudes +ouvriers écorcheurs et assommeurs de bœufs qui, dans les séditions sous +Charles VI, saignèrent et assommèrent dans les prisons et par la ville +tous ceux qui paraissaient Armagnacs et qui tinrent Paris épouvanté sous +le couteau de leur chef Caboche. + +Bien heureusement il n’y a pas que ces rudes métiers dans le quartier, +il n’y a pas que des écorcheurs parmi les paroissiens de Saint-Jacques. +Sur le côté nord de l’église court une ruelle dite des _Écrivains_; là, +entre les contreforts, s’appuient de petites échoppes pour des +travailleurs paisibles et doux, pour les bons calligraphes et +enlumineurs, qui calligraphient des missels et les décorent de grandes +lettres ornées, peintes et dorées, de belles miniatures représentant les +personnages des scènes de l’Écriture ou de la légende des saints, en +costumes de seigneurs et de nobles dames ou de chevaliers de leur temps. + +L’un de ces écrivains a pour clientèle les plus riches bourgeois, les +princes, le roi Charles V lui-même qui lui a fait exécuter une superbe +Bible. Il s’appelle maistre Nicolas Flamel, c’est un homme de haut +talent et de grande réputation, époux de dame Pernelle, bonne et sage +bourgeoise. Son échoppe, au vitrage de laquelle on peut voir exposés +quelques échantillons de son talent, est une des premières en entrant à +main droite dans la rue des Écrivains, sous l’enseigne de la Fleur de +Lys. La maison qu’il habite est en face de l’échoppe à l’angle de la rue +Malivault. + +Maître Flamel a pignon sur rue, et même pignons sur plusieurs rues, car +on lui connaît rue de Montmorency une grande maison, dite la maison _du +grand pignon_, qu’il a fait bâtir de ses économies, maison de rapport +comme on dit maintenant, dans laquelle il a réservé en haut quelques +logements donnés pour + +[Illustration: L’ÉGLISE SAINT-LEU-SAINT-GILLES, RUE SAINT-DENIS] + +rien ou loués à bas prix à de pauvres artisans, ainsi qu’en témoigne +l’inscription gravée sur la poutre au-dessus des boutiques, sous un +grand bas-relief représentant, au milieu, Dieu le Père avec son Fils en +croix, et de chaque côté diverses figures parmi lesquelles Nicolas +Flamel et dame Pernelle: + +«_Nous homes et femes laboureurs damourant au porche de cette maison qui +fust batie en l’an de grâce mil quatre cens et sept, somes tenus chascun +en droit soy dire tous les jours une patenôtre et I Ave Maria en priant +Dieu q. sa grace face pardo. aux poures pescheurs tréspassez-Amen._» + +Cette maison de Flamel existe encore aujourd’hui au nº 45 de la rue de +Montmorency, mais l’aspect de sa façade a été totalement changé, seule +l’inscription sur la poutre au-dessus des boutiques se lit toujours et +perpétue ce naïf souvenir du bon enlumineur. Quant à sa demeure près de +l’église Saint-Jacques, la rue de Rivoli passe sur son emplacement. + +[Illustration: LA TOUR SAINT-JACQUES, 1830] + +Le riche Nicolas Flamel a consacré une forte somme à faire établir à +l’église Saint-Jacques la Boucherie, en face de sa maison de la rue des +Écrivains, un petit portail sculpté dans le tympan duquel le sculpteur +l’a représenté agenouillé avec sa femme aux pieds de la Vierge Marie. +Notable paroissien et bienfaiteur de l’église, il y eut sa dalle +tumulaire représentant son cadavre étendu avec cette inscription: + + De terre suis venus et en terre retorne + L’âme rens à toi IHS qui les péchés pardonne. + +Flamel fut de son vivant une figure populaire; il était considéré +presque comme un alchimiste à cause de sa science, et aussi de sa +fortune que les bonnes gens du quartier grossissaient considérablement, +et il devint après sa mort bien vite légendaire. Pour expliquer ses +bonnes œuvres et toutes les largesses qu’il faisait aux églises et aux +hôpitaux, on racontait qu’il avait trouvé la pierre philosophale, sans +songer que le diable se fût montré bien niais de favoriser un si fervent +chrétien. On ajoutait que Satanas lui avait vendu le secret de la longue +vie, que cette tombe devant laquelle on passait chaque dimanche en se +signant ne renfermait aucune dépouille humaine, et que maître Flamel et +dame Pernelle continuaient leur alchimie quelque part au pays d’Orient. +La légende traversa les âges. Et longtemps il fut tenu pour certain que +la maison de la rue des Écrivains gardait quelque part, en une cachette +bien dissimulée, une partie des trésors amassés par l’alchimiste. +Plusieurs fois on fit des fouilles dans ce logis que Flamel avait légué +à la paroisse. Au siècle dernier encore, un particulier se disant en +quête de bonnes œuvres à accomplir, offrit à la paroisse de réparer à +ses frais la maison affaissée par l’âge; la paroisse ayant accepté, le +bienfaisant inconnu s’installa avec ses maçons, fouilla, creusa, +démolit, puis, ne trouvant aucun trésor, disparut sans payer personne. + +On travailla pendant tout le XVᵉ siècle à l’église Saint-Jacques +agrandie et modifiée, le portail fut refait vers 1492, et en 1508 +commencèrent les travaux de la grosse tour destinée à remplacer le petit +clocher du temps de Flamel. Elle s’éleva et s’acheva en quatorze années, +majestueuse et dernière efflorescence du style gothique, sur laquelle le +tailleur d’ymaiges Rault campa une figure colossale de saint Jacques, +accompagnée, aux angles de la tour, des quatre figures symboliques des +Évangélistes, l’aigle, le lion, l’ange et le bœuf regardant au-dessous +d’eux bouillonner Paris. + +Il ne faut pas oublier qu’au XIIIᵉ siècle les chirurgiens se +réunissaient dans l’église Saint-Jacques la Boucherie et que les maîtres +avaient même obtenu l’autorisation d’y faire leurs cours, ce qui place, +on peut le dire, sauf le respect dû à la science, le berceau de la +chirurgie chez messieurs les bouchers. + +La _grant rue Saint-Martin_, où la foule des passants et des chalands se +pressant aux boutiques n’est pas moins serrée que dans la rue +Saint-Denis, possède dans sa partie basse Saint-Merry ou Médéric, et +Saint-Julien des Ménétriers. C’est une très ancienne église que +Saint-Merry, on en fait remonter la fondation au VIIᵉ siècle; alors elle +était une simple chapelle dédiée à saint Pierre où, vers l’an 700, vint +mourir saintement un moine nommé Merry. Saint Pierre céda la place à +saint Merry, la chapelle fut rebâtie et agrandie par un des vaillants +défenseurs de Paris au grand siège des Normands, nommé Odon le +Fauconnier, qui reçut à sa mort la sépulture dans l’église. + +Sous François Iᵉʳ, en même temps que se termine la tour Saint-Jacques, +on reconstruit l’église Saint-Merry et l’on couvre d’une riche broderie +gothique le grand portail du milieu de la façade, les deux petites +portes voisines et les façades latérales, portails du transept, pignons +de chapelles, fenêtres flamboyantes, contreforts à pinacles. Décoration +très fouillée qui se trouve par malheur aux trois quarts perdue et +cachée sous le grand presbytère du côté sud, sous les petites maisons +appliquées contre les murailles, incrustées pour ainsi dire dans tous +les creux extérieurs de l’édifice et enveloppant complètement l’abside. + +La tour seule, terminée au XVIIᵉ siècle, est sacrifiée, ses étages +supérieurs sont sans décoration, flanqués de froids pilastres grecs. +L’intérieur de l’église a reçu la même riche ornementation, nervures +fouillées, frisées, clefs pendantes; aux fenêtres découpées en meneaux +délicats et variés, brillent de superbes vitraux. Sous la nef, il reste +de l’ancienne église la crypte de Saint-Merry, marquant l’endroit où fut +le tombeau du saint, belle chapelle souterraine dont la voûte à nervures +repose sur des colonnes trapues. + +[Illustration: IMPASSE DE LA PORTE AUX PEINTRES, RUE SAINT-DENIS (1830) + +ANCIENNE PORTE SAINT-DENIS DE L’ENCEINTE DE PHILIPPE-AUGUSTE] + +Un peu plus haut que Saint-Merry, à l’angle de la rue de _la Cour du +More_, presque en face de la rue aux Ours, s’élève le pignon de +Saint-Julien des Ménétriers, attenant à un hôpital de la confrérie des +jongleurs et ménétriers. Du Breul, bénédictin de Saint-Germain des Prés, +dans son _Théâtre des antiquités de Paris_, rapporte ainsi l’histoire +touchante de sa fondation: + +«En l’an de grâce 1328, le mardy durant la saincte Croix en Septembre, +il y avoit en la rue de Saint-Martin-des-Champs, deux compagnons +menestriers qui s’entr’aymoient et estoient toujours ensemble. Si +estoit l’un de Lombardie et avait nom Jacque Grare de Pistoie, autrement +dit Lappe; l’autre estoit de Lorraine et avoit nom Huet, le guette du +Palais du Roy. Or advint que le jour susdit après disner, ces deux +compagnons estant assis sur le siège de la maison dudit Lappe et parlans +de leur besongne, virent de l’autre part de la voye, une pauvre femme +appelée Fleurie de Chartres laquelle estoit en une petite charrette et +n’en bougeait jour et nuict, comme entreprinse d’une partie de ses +membres, et là, vivait des aumosnes des bonnes gens. Ces deux, esmeus de +pitié, s’enquerrent à qui appartenoit la place, desirans l’achepter et y +bastir quelque petit hospital. Et après avoir entendu que c’estoit à +l’abbesse de Montmartre, ils l’allèrent trouver et pour le faire court, +elle leur quitta le lieu à perpétuité, à la charge de payer par chascun +an cent solz de rente et huict livres d’amendement dedans six ans +seulement et sur ce, leur fit expédier lettres, en octobre, le Dimanche +devant la Sainct Denys 1330. Le lendemain les dits Lappe et Huet +prinrent possession dudit lieu et pour la memoire et souvenir firent +festin à leurs amys.» + +«.... Les jongleurs, menestriers et maistres en l’art de menestrandrie +dependant de la science et art de musique qui lors étaient demourans en +ceste ville de Paris» se joignirent à leurs deux charitables confrères, +et, agrandissant leurs plans, résolurent de construire sur le terrain +acquis un hôpital pour héberger les pauvres «en l’honneur et revérence +de Dieu, de Notre Dame, de saint Julien du Mans et de saint Genest». + +L’hôpital avec sa chapelle se construisit rapidement. Le portail de +cette chapelle sur la rue Saint-Martin encadre dans sa grande ogive +toute une légion de petits anges accrochés à la voussure et jouant de la +harpe, de la viole, du rebec et autres instruments. A droite du portail +est la statue de saint Genest, comédien romain et martyr, que les +jongleurs ont pris pour patron, à gauche saint Julien l’Hospitalier, le +saint à la légende terrible, patron de l’église Saint-Julien de la rive +gauche. + +Voyez à certaines heures devant ce portail ces groupes aux allures +pittoresques, ces gens costumés de façons bizarres ou porteurs +d’instruments de musique. Ce sont jongleurs, ménestrels, chanteurs, +musiciens qui attendent ici qu’on vienne les louer pour les cérémonies, +banquets, noces et fêtes quelconques. Ils ont le siège de leur +corporation un peu plus bas que l’église dans la rue des Jongleurs, dite +plus tard des Ménétriers. + +Voulez-vous, honorable bourgeois, quelques bons joueurs d’instruments, +viole, mandoline, flûte et hautbois, pour faire danser vos invités aux +noces de votre fille? Vous, digne majordome, cherchez-vous bons diseurs +de vers ou farceurs joyeux pour une fête au manoir de votre maître, pour +l’ébattement des convives en un banquet de fête? Vous trouverez ici +votre affaire. Êtes-vous chargés de recruter un corps de musique pour +une cérémonie publique, désirez-vous bons sonneurs d’instruments à +placer sur les échafauds enguirlandés pour quelque entrée solennelle de +prince, quelque belle procession? Vous avez le choix, vous trouvez ici +gens capables de faire partie des Maîtres violons du roi, attachés à + +[Illustration: ÉGLISE SAINT-JULIEN DES MÉNÉTRIERS, RUE SAINT-MARTIN + +LA LOUÉE DES MUSICIENS] + +sa cour en l’hôtel Saint-Paul ou au Louvre; demandez au Roi des +ménétriers, Prévôt de Saint-Julien, grand chef élu de la corporation des +jongleurs, jongleresses et ménétriers, qui dirige toutes les affaires de +la corporation, fait observer ses règlements et interdit à quiconque +n’est point reçu confrère de Saint-Julien de venir en la place proposer +au public des talents non reconnus. + +Jusqu’à la fin du XIIIᵉ siècle, qui marque aussi la fin des corporations +et la fin de la chapelle, se maintient l’usage établi de la louée des +musiciens sous le portail de Saint-Julien et l’église reste affectée à +la corporation, demeure même sa propriété, laquelle propriété, par suite +des transformations de la corporation, se disputent à coups de procès la +communauté des joueurs d’instruments et l’Académie de Danse, ancienne +communauté des maîtres à danser. + +Derrière la Maison aux piliers, l’Hôtel de Ville, il y a Saint-Gervais, +notable église, et Saint-Jehan de Grève. L’église Saint-Jehan est trop +voisine de cette maison de ville toujours grandissante, le futur palais +du peuple la couvre de son ombre et finira un jour par l’absorber. En +attendant, sous les tours de Saint-Jean se cache un quartier assez mal +famé qui est à la fois une juiverie et une cour des miracles où grouille +une population guenilleuse vivant de diverses industries équivoques, de +mendicité quand ce n’est de rapines, et logeant en des masures délabrées +adossées à la vieille tour Petaudiable, ancien hôtel Saint-Mesme, +ancienne propriété des Templiers qui tenait elle-même la place d’une +ancienne pierre druidique. Jean Gerson, le grand théologien, chanoine de +Notre-Dame, était curé de Saint-Jean aux temps troublés du XIVᵉ siècle. +Il faillit un jour être massacré par les féroces bouchers de Caboche et +ne trouva son salut qu’en se cachant dans les grands combles de +Notre-Dame. + +A l’église Saint-Jean en Grève, à la fin du XIIIᵉ siècle, se disait +chaque année la _Messe de la pie_, en souvenir de la fameuse affaire de +la _Pie voleuse_ et de la pauvre servante pendue pour le vol de dix +couverts d’argent, que l’on retrouva plus tard cachés sous les tuiles du +toit dans le nid de la pie. + +Saint-Gervais est une église plus ancienne, puisque Saint-Jean n’en fut +d’abord que la chapelle baptismale, érigée plus tard en paroisse. Dès le +VIᵉ siècle, il y avait déjà là un édifice religieux, un oratoire devenu +église, agrandie et reconstruite au XIIᵉ siècle. Une complète +reconstruction en fut faite encore vers la fin du XVᵉ siècle dans le +style flamboyant, œuvre superbe où l’on va admirer la grande clef +pendante de la chapelle de la Vierge, qui suspend aux nervures de la +voûte une délicate couronne de pierre ciselée. + +«Bonnes gens plaise vous savoir que ceste présente église de +messeigneurs saint Gervais et saint Prothais fut dédiée le dimanche +devant la feste de Saint-Simon et Saint-Jude l’an mil quatre cens et +vingt...» dit une inscription encastrée dans le mur du bas côté gauche, +et probablement antérieure à la dernière reconstruction. + +Saint-Gervais, déjà illuminé par de magnifiques vitraux de Pinaigrier et +par d’autres verrières non moins belles des XVᵉ, XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, +peut se décorer aux grands jours de superbes tapisseries de haute lisse, +en plusieurs suites sur l’Histoire Sainte, l’histoire des Sibylles, +l’histoire d’Hector, représentant une longueur de plus de 540 mètres. +Des nombreux tombeaux de jadis, il ne reste à Saint-Gervais que celui du +ministre de Louis XIV Le Tellier, représenté à demi couché sur un +sarcophage de marbre porté sur deux énormes têtes de vieillards et +accompagné de figures allégoriques. + +Au commencement du XVIIᵉ siècle, à la place de son portail gothique, +l’architecte Jacques de Brosse lui plaqua, comme un masque sur la +figure, ce portail où les colonnes doriques, ioniques et corinthiennes +se superposent pompeusement, déguisement sans aucun rapport avec +l’intérieur. Et l’on considéra ce placage comme une merveille, comme le +seul portail de Paris digne d’être admiré, bien autrement beau que la +façade barbare de Notre-Dame, et Voltaire, dédaignant l’église gothique, +en dit dans le _Temple du goût_: «le portail de Saint-Gervais, +chef-d’œuvre auquel il manque une église...» + +En sortant du cimetière Saint-Gervais bordé de maisons, nous tombons à +la place Baudet ou Baudoyer, marquant au pied du _monceau +Saint-Gervais_, la place d’une porte de l’enceinte attribuée au règne de +Louis VI, qui enveloppait le faubourg de la rive droite de la Seine et +fut reportée plus loin par Philippe-Auguste. + +La deuxième porte Baudoyer coupe la grand’rue Saint-Antoine par le +milieu; dans cette deuxième moitié de la rue que termine la sévère masse +grise des tours de la Bastille bouchant l’horizon, à côté des hôtels +divers formant l’ancien hôtel Saint-Paul, en face de l’hôtel des +Tournelles, se montre la tour, flanquée d’une haute tourelle d’escalier, +de l’église Saint-Paul, paroisse royale, quand les rois et les princes +étaient voisins et qui garda son importance tant que la noblesse et la +haute magistrature restèrent fidèles au quartier. + +La façade n’a rien de très remarquable, car Saint-Paul, primitivement, +n’était qu’une église de faubourg; le faubourg s’étant embelli, étant +devenu séjour royal, l’église y a gagné, avec des paroissiens de +qualité, une plus riche ornementation à l’intérieur, des verrières, des +tombeaux et des monuments nombreux. Comme les rois habitant l’hôtel +Saint-Paul y faisaient baptiser les enfants de France, un curé de +Saint-Paul changea l’ancienne cuve baptismale, trop modeste pour d’aussi +puissants paroissiens, contre des fonts plus riches, et les anciens +fonts où Charles V et Charles VI avaient été faits chrétiens, furent +recueillis par le seigneur de Médan près Poissy, pour l’église de sa +seigneurie. + +Les vitraux de Saint-Paul à personnages du XVᵉ siècle étaient +magnifiques. Dans la plus remarquable de ces étincelantes verrières +figuraient quatre panneaux curieux. Les deux premiers représentaient +Moïse et David armés, avec cette légende:--Nous avons défendu la Loy. Le +troisième montrait un chevalier croisé, Godefroy de Bouillon, s’appuyant +sur son épée avec cette inscription:--Et moi la foy. + +Dans le quatrième enfin, le plus précieux, car c’était une +représentation contemporaine de la grande Lorraine, se voyait Jehanne la +Pucelle l’épée à la main, et la légende au-dessous achevait:--Et moi le +roy. + +Parmi les inscriptions curieuses de nombreuses pierres tombales de +l’église Saint-Paul, l’abbé Le Bœuf rapporte celle-ci: + +«Cy-devant gist Denisette la Bertichière, femme Husson la Bertichière, +Gardehuche de l’Echanssonnerie du Roy et lavandière de corps du Roy +nostre Sire: Laquelle décéda le jeudi XXVI du mois d’octobre de l’an +MCCCCLI. Priez Dieu qu’il ait l’âme d’elle.» + +[Illustration: ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE, RUE SAINT-DENIS] + +M. H. Cocheris, continuateur du savant chanoine, parmi d’innombrables +épitaphes de gentilshommes, de fonctionnaires de la cour, conseillers du +roy, magistrats, etc., en donne une autre du XVIᵉ siècle non moins +curieuse. C’est celle de Pierre de Cambray, seigneur de la Fosse +Sandarville, tué à la bataille de Saint-Denis en 1567. + + Le dixième jour de novembre, + L’esprit du corps luy fallut rendre + Et ce fut le jour d’un lundy + Entre Paris et le Landy + En débattant la querelle + De Jésus-Christ et ses fidelles, + Estant au combat + Sous la charge du seigneur et comte de Brissac, + +[Illustration: LA SAINT-BARTHÉLEMY + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + + De son cheval rué par terre. + Par ses amis retourné querre + Pour che Céans inhumez + Priez Dieu pour les trépassés. + +[Illustration: L’ÉGLISE SAINT-PAUL] + +[Illustration] + +Sous les voûtes de Saint-Paul quand les mignons de Henri III moururent +dans le fameux combat des Tournelles, le roi fit enterrer avec pompe +Quélus, Maugiron et avec eux Saint-Mesgrin, attaqué en sortant du Louvre +par vingt ou trente cavaliers appostés par les Guise, qui le laissèrent +criblé de coups d’épée, de dague et de pistolet. Il leur éleva un +monument décoré par le ciseau de Germain Pilon, œuvre superbe qui n’orna +pas longtemps l’église, car, bien peu d’années après, en 1588, la rue +étant toute aux Guises et à la Ligue, la populace pensa venger le +meurtre de Blois en détruisant ce mausolée des Mignons. Le meurtre et la +violence étaient tellement entrés dans les habitudes à cette époque de +sang, dans cette cour de bretteurs, que pendant les obsèques de +Saint-Mesgrin, sur la place de Saint-Paul, le seigneur de Grammont, pour +une futile querelle, tua un autre gentilhomme, lieutenant de sa +compagnie. + +Dans le cimetière séparant l’église des hôtels royaux, fut inhumé +l’homme qui, dans ce XVIᵉ siècle si bouleversé, apparaît comme la +personnification de la bonne et franche humeur gauloise, d’un esprit de +philosophie «_confite en mépris des choses fortuites_», maître François +Rabelais, ayant vécu en toute sagesse, puisque la suprême sagesse est de +s’efforcer de tirer des circonstances tout le bien qu’elles sont +susceptibles de contenir, et puisque aussi «_mieux est de ris que de +larmes écrire_». Ayant quitté sa cure de Meudon, maître François s’en +vint vivre quelque temps sur la paroisse Saint-Paul, rue des +Jardins-Saint-Paul, dans une maison dont la place est inconnue, où très +chrétiennement il passa de vie à trépas en avril 1553. On l’enterra dans +le cimetière Saint-Paul sous un grand arbre que l’on conserva longtemps +en mémoire de lui, à défaut d’un de ces somptueux mausolées qui sont +faits pour les grands de ce monde, de qui le souvenir disparaîtrait si +vite et si complètement sans cela, aussitôt l’âme exhalée,--monuments +que la première Révolution survenant s’empresse de mettre en pièces. + +Tout à côté de la dépouille de Rabelais, le cimetière Saint-Paul donnait +le suprême _in pace_ aux prisonniers de la Bastille, échappés à la +prison par la mort. Ainsi cette terre a dévoré le secret de l’homme au +Masque de Fer, mort en 1703. Qu’il fût le diplomate Marchiali, ou +Fouquet, ou le fils d’Anne d’Autriche et de Mazarin, ou le frère jumeau +de Louis XIV ou tout autre, son destin misérable s’est achevé ici, et il +repose aujourd’hui sous un lavoir installé sur l’emplacement du +cimetière. + +Dans le passage Saint-Pierre une partie des charniers survit à la +disparition de l’église et du cimetière; convertis en logements, et même +en synagogue fort pauvre pour les juifs, en nombre dans ce quartier, +venus d’outre-Rhin ou d’outre-Vistule, les vieux charniers résonnent au +bruit réaliste des battoirs et des caquets des blanchisseuses, +absolument ignorantes de tout ce qui faisait encore il y a cent ans la +vieille gloire du quartier. + +Le passage conduisant aux charniers longeait le côté sud de l’église; +sur le côté nord se trouvait une prison, l’ancienne Grange-Saint-Éloi, +vaste bâtiment appartenant au monastère de Saint-Éloi dans la Cité, dans +lequel, en juin 1418, Paris livré par Perrinet le Clerc, étant retombé +aux mains du parti bourguignon, on entassa, comme en beaucoup d’autres +lieux, des prisonniers du parti Armagnac, seigneurs, bourgeois et +prêtres. Comme en tant d’autres prisons aussi, les malheureux y furent +massacrés sans pitié. + +«... Lors se leva la déesse Discorde, qui estoit à la tour de +Mauconseil, et esveilla Ire la forcenée, et Convoitise, et Enragerie, +et Vengeance, et prindrent armes de toutes manières et boutèrent hors +d’avecques eux Raison, Justice, Mémoire de Dieu, Atrempance, moult +honteusement. Lors Forcenerie et Meurtre et Occision abbatirent, +tuèrent, meurtrirent tout ce qu’ils trouvèrent es prisons sans merci, +sans cause ou à cause, et Convoitise avait les pans à sa ceinture et son +fils Larrecin qui tost après qu’ils estoient morts ou avant, leurs +ostoient tout ce qu’ils avoient...» + +[Illustration: TOUR DE L’ÉGLISE SAINT-LAURENT, FAUBOURG SAINT-MARTIN] + +Ainsi le Bourgeois de Paris commence le récit des horribles scènes de +carnage où se ruèrent les écorcheurs de Caboche et la lie de la +population, conduite par le bourreau Capeluche. + +«Et si n’eussiez trouvé à Paris rue où n’eust aucune occision et en +moins (de temps) qu’on y iroit cent pas de terre, depuis que morts +estoient, ne leur demeuroit que leurs brayes; et estoient en tas comme +porcs au milieu de la boue...» + +La prison de Saint-Éloi vit arriver les massacreurs une des premières; à +coups de haches, d’assommoirs ou de piques, tous les prisonniers furent +dépêchés, sauf un, l’abbé de Saint-Denis, Philippe de Villette, qui eut +le temps de revêtir ses habits sacerdotaux et de se jeter, l’eucharistie +en mains, à genoux dans le sang, devant l’autel de la prison où les +assassins le laissèrent. + +Combien d’autres églises ou chapelles encore, perdues dans le lacis +embrouillé des petites rues centrales ou dans les faubourgs: +Saint-Josse, rue Aubry-le-Boucher,--Saint-Germain le Vieux, près le +Petit pont,--Saint-Jacques du Haut Pas, fondé au XIIIᵉ siècle par les +frères pontifes hospitaliers du Haut Pas (sur l’Arno près Lucques), +église que le XVIIᵉ siècle reconstruira,--Saint-Laurent hors Paris, +fondé aux premiers siècles dans les champs bordant la route de +Saint-Denis, réédifié aux XVᵉ, XVIᵉ et XVIIᵉ siècles,--Saint-Lazare en +face, très vieille église, antique monastère desservant la plus célèbre +léproserie du royaume,--Notre-Dame de Bonne-Nouvelle à +Villeneuve-sur-Gravois, près la porte Saint-Denis, chapelle extra-muros +bâtie parmi les moulins à vent, rasée pour la défense au temps de la +Ligue et reconstruite en attendant de nouvelles démolitions et +reconstructions;--Saint-Martin et Saint-Hippolyte au faubourg +Saint-Marcel,--l’église Saint-Marcel, grande et importante collégiale et +très antique édifice,--Saint-Médard, pittoresque église dans le même +faubourg, près de la Bièvre, accaparée par les tanneurs et teinturiers. + +[Illustration: CLOITRE DES CÉLESTINS] + +[Illustration: L’ÉGLISE DES JACOBINS DE LA RUE SAINT-JACQUES] + + +IV + + Les Églises des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles.--Le vandalisme à perruque + et manchettes de dentelles.--Mutilations et + amputations.--Saint-Étienne du Mont, Val-de-Grâce.--La + Révolution.--Les édifices déséglisés.--Fermetures et + destructions.--Clubs et prisons, Temples, Marchés ou magasins.--La + grande démolition. + +Les révolutions du goût ne sont pas moins dangereuses pour les églises +de Paris que les révolutions politiques. Les révolutions politiques +abattent, les Révolutions du goût mutilent, charcutent. Les édifices +n’en meurent pas toujours, mais ils restent estropiés, amputés ou +raccommodés avec des membres d’occasion. + +[Illustration: LE VAL-DE-GRACE] + +Ce fut le sort de beaucoup d’églises gothiques à partir du XVIᵉ siècle, +quand l’art ogival commença à être regardé comme vieillot et suranné. Au +début du grand mouvement de la Renaissance, comme le XVᵉ siècle dans sa +deuxième partie, plus heureuse que la première, achevait à peine de +réparer les désastres de la guerre civile et de la guerre anglaise, de +déblayer les ruines, de relever dans le style flamboyant les édifices +détruits, de donner à tant d’églises touchées par le temps ou abattues +par la guerre, ces beaux portails si délicatement ouvragés, le XVIᵉ +siècle survenant ne trouva plus les édifices à son goût. Ce siècle donna +le premier l’exemple mauvais et dangereux de mépriser ses prédécesseurs. +Il croyait avoir retrouvé, dans les ruines de la Rome antique, l’art pur +et unique, en dehors duquel rien n’existait que barbarie. François Iᵉʳ, +rapportant d’outre-mont cette idée de la supériorité de l’art et des +artistes d’Italie, projeta même, pour sa capitale, un grand travail de +transformation des façades des principales églises gothiques qu’on +aurait mises au goût du jour par un rhabillage et des applications de +colonnades antiques. + +Cependant le XVIᵉ siècle, gardant la structure gothique et modifiant +seulement les détails, créa encore de belles œuvres, à preuve l’élégante +église Saint-Eustache; le fond de l’étoffe est le même, ce sont les +broderies seules qui ont changé. Vint le XVIIᵉ siècle qui se libéra +complètement des traditions et des formules ogivales. Et pour les +remplacer par quoi? Par la pompe, l’excès de richesse et l’ostentation, +par la lourdeur aussi, quand ce n’est point par la sécheresse et +l’ennui. + +A son actif en fait de monuments religieux, le XVIIᵉ siècle a +Saint-Étienne du Mont, commencé cent ans auparavant dans le style ogival +et très élégamment achevé dans le style de la Renaissance, l’église des +jésuites, Saint-Paul-Saint-Louis, d’un grandiose aspect à l’intérieur, +le Val-de-Grâce, l’église des Invalides, colossale architecture au goût +du Grand Roi. + +Ce sont là des œuvres réussies. En revanche, on peut porter à son passif +de nombreuses petites églises froides et lourdes, des chapelles de +couvent non moins laides, plus une énorme quantité de méfaits: +démolitions, adjonctions, placages et enlaidissements quelconques! Et +après lui, hélas! le XVIIIᵉ siècle et le XIXᵉ lutteront à qui commettra +le plus de dévastations, à qui poussera le plus loin le vandalisme, +jusqu’au jour où une réaction bien tardive arrivera juste à temps pour +sauver les derniers monuments restant encore à dénaturer ou à renverser. + +L’église Saint-Étienne du Mont est née d’une chapelle élevée par +l’abbaye de Sainte-Geneviève, pour servir de paroisse à la population +groupée autour de son enclos; cette chapelle dut être reconstruite au +XIIIᵉ siècle, puis à la fin du XVᵉ elle fut abattue pour faire place à +un grand édifice appelé à former, avec l’église de l’abbaye, un groupe +de deux grandes églises jumelles, enfermées toutes deux dans l’enceinte +des moines. + +Le chœur de Saint-Étienne fut encore construit dans le style ogival, +mais sa nef est Renaissance. C’est un superbe édifice qui provoque +l’admiration par ses belles proportions, par la hauteur de sa nef où la +lumière joue à l’aise, indiquant des perspectives inattendues, révélant +des détails gracieux, de belles voûtes à nervures compliquées au +transept, d’audacieuses clefs pendantes délicatement fouillées. + +Le dernier jubé de Paris projette son arche élégante d’un côté du chœur +à l’autre et se combine avec des escaliers tournant en spirale autour de +chacune des deux premières colonnes du chœur, pour conduire à la galerie +de balustrades qui coupe les colonnades à mi-hauteur. L’aspect de +Saint-Étienne avec ce jubé et ces curieux escaliers est unique à Paris. + +La façade abondamment ouvragée présente une curieuse décoration de +frontons de différentes formes, de niches, de colonnes, de bas-reliefs +et de groupes, d’un goût moins heureux que l’intérieur cependant; ce qui +la sauve tout à fait, c’est le svelte clocher gothique qui monte sur un +des côtés, très gracieux de lignes effilées avec sa tourelle d’escalier +et son lanternon final; c’est le joli porche latéral à tourelles qui +semble un petit manoir accolé au bas de la tour et se prolonge sous le +bas côté par une galerie menant aux anciens charniers. + +C’est la reine Marguerite de Valois, Margot la Belle, qui posa la +première pierre du grand portail en 1610; l’église terminée fut dédiée +en 1626, comme en témoigne une inscription au-dessus de laquelle une +seconde pierre mentionne un accident survenu pendant la cérémonie. + +«..... Et pendant les _Cérimonies_ de la | dédicace deux filles de la +paroisse | tombèrent du haut des galleries | du chœur avec l’appuy et +deux | des balustres, qui furent miraculeusement préservées | comme +aussi les assistans | ne s’estant rencontré personne, | soubz les +ruines, vue l’affluence du | peuple qui assistait aux dites cérimonies.» + +Saint-Étienne du Mont conserve le cercueil de pierre qui reçut le corps +de sainte Geneviève en 1511, sarcophage transféré ici lors de la +démolition de l’église Sainte-Geneviève. L’église possède aussi quelques +plaques ou épitaphes anciennes, entre autres celles de Pascal et de +Racine. + +Autre souvenir plus tragique et plus récent, c’est à Sainte-Geneviève, +lors de la neuvaine de 1857, que Mᵍʳ Sibour, archevêque de Paris, fut +assassiné par Verger. + +L’église Saint-Louis-Saint-Paul, dans la rue Saint-Antoine, fut +construite de 1627 à 1641 par les jésuites, à côté de leur noviciat, +aujourd’hui lycée Charlemagne. + +L’architecte était un jésuite, le père François Derrand. Cela se voit au +portail, ennuyeuse superposition de colonnes, de niches et de frontons, +échantillon du style peu séduisant adopté par la Société pour ses +églises. + +Mais l’intérieur avec ses piliers massifs, ses sculptures, ses galeries +à balcons de fer, et sa coupole centrale, bien assise, rachète +l’extérieur et déploie une pompe noble d’un grand caractère, avec une +ostentation de richesses qui tient autant du palais que du temple. C’est +bien là l’église qui convient à des grands seigneurs du temps de Louis +XIII, aux belles dames à grandes fraises et lourdes jupes ramagées, aux +cavaliers à grands feutres empanachés, relevant avec l’épée leur large +manteau et faisant sonner sur les dalles du palais d’un Dieu grand +seigneur aussi, les éperons de leurs bottes aux entonnoirs garnis de +dentelle. Le cardinal de Richelieu vint y dire la messe d’inauguration. + +L’édifice, imposant par sa masse et l’opulence de sa décoration, +témoigne de la richesse et de la puissance de l’ordre qui l’éleva. Comme +église de l’aristocratie de ce noble quartier du Marais, aux beaux jours +de la place Royale, Saint-Louis des jésuites succéda au vieux +Saint-Paul, son voisin, dont elle reprit aussi le titre plus tard. Les +caveaux renferment les sépultures de beaucoup de grands personnages et +de nombreuses notabilités de la compagnie de Jésus. + +[Illustration: LE JUBÉ DE SAINT-ÉTIENNE DU MONT] + +Tout près de là, un peu plus haut dans la rue Saint-Antoine et touchant +presque à la Bastille, Mansard éleva l’église des filles de la +Visitation Sainte-Marie, appelées à Paris par la baronne de Chantal, +Sainte-Françoise de Chantal, grand’-mère de Mᵐᵉ de Sévigné. Le petit +dôme ardoisé de l’église est fort élégant. Fouquet fut enterré à +Sainte-Marie, affectée aujourd’hui au culte protestant. + +[Illustration: LE TEMPLE PROTESTANT, ANCIENNE ÉGLISE SAINTE-MARIE (MAI +1871)] + +Dans les champs à l’autre extrémité de Paris, après la porte +Saint-Jacques qui se trouvait au milieu de notre rue Soufflot, au bout +du faubourg qui s’allongeait derrière le grand enclos des Chartreux, +parmi des couvents nombreux, les Ursulines, les Feuillantines, les +Capucines, les Carmélites, Port-Royal, etc..., la reine Anne d’Autriche, +en remerciement de la naissance longtemps désirée de l’enfant qui +devait être le Grand Roi, fonda l’abbaye du Val de Grâce pour les +Bénédictines du Val-Profond, dont elle modifia le nom en 1645. + +Louis XIV, âgé de sept ans, posa la première pierre en grande cérémonie. +«Les mousquetaires rangés en double haie occupaient le haut de +l’ouverture des fondations. Les Suisses étaient dans la tranchée sur les +parois de laquelle s’étendaient de magnifiques tapisseries du Louvre, +plusieurs tentes avaient été dressées pour cette magnifique solennité. +Huit étaient destinées aux religieuses, mais celles-ci, par esprit +d’humilité, préférèrent rester dans leur couvent. Jean-François de +Gondi, en camail et en rochet avec l’étole, précédé des porte-croix et +des porte-crosses, escorté d’un nombreux clergé, bénit la pierre et les +tranchées destinées aux fondations. La musique du roy pendant la +cérémonie accompagnait le chant des chœurs...» + +Les grands artistes des commencements du règne de Louis, François +Mansard, Jacques Lemercier, Mignard, Michel Auguier, etc... accumulèrent +pour cette église toutes les recherches d’une pompe majestueuse, toutes +les richesses d’une décoration non plus religieuse, mais plutôt +courtisanesque. C’est autant une église dédiée au roi qu’un temple élevé +à Dieu. + +Il fut décidé, en 1662, que le Val de Grâce donnerait la sépulture aux +cœurs des princes et princesses de la famille royale. En 1792, +quarante-cinq cœurs furent enlevés de la chapelle Sainte-Anne et +dispersés, pendant que les boîtes de métal précieux s’en allaient à la +Monnaie. + +Le XVIIᵉ siècle, dans sa deuxième moitié, éleva au bout du faubourg +Saint-Germain l’église des Invalides. + +C’est une autre église du même style, plus grande, plus large, plus +majestueuse; une autre coupole aux proportions plus vastes, d’une +décoration plus somptueuse. L’église d’abord n’avait point de dôme. +Hardouin Mansard posa ce gigantesque couronnement des grands bâtiments +de l’hôtel qui se développent avec une ampleur non moins majestueuse à +l’extrémité de larges avenues. Hélas! ce refuge ouvert aux pauvres +soldats qui ont reçu les faveurs de Bellone sous forme de balles, de +boulets ou de coups de sabre, le Grand Roi a bien pu lui donner +d’immenses proportions pour recueillir un certain nombre de militaires +estropiés en ses batailles, mais il est triste de songer que le moindre +combat d’aujourd’hui remplirait à lui seul une douzaine d’édifices de +cette taille. + +Aussi a-t-on changé sa destination; au lieu d’un refuge d’invalides, au +lieu d’un musée de glorieux débris humains échappés au fer et au feu, on +en a fait le musée des engins qui faisaient ces invalides, l’hôtel des +vieux canons illustrés dans les combats, des antiques carapaces de +chevaliers, des vieilles armes vaillantes du corps à corps et du tir à +trois cents pas au plus, engins démodés, remplacés aujourd’hui par des +instruments de précision à trop longue portée et par les derniers +produits de la chimie. + +On peut encore citer Saint-Nicolas du Chardonnet reconstruit au XVIIᵉ +siècle, sous la direction de Lebrun, et qui renferme le tombeau élevé +par Lebrun à sa mère et celui du peintre lui-même. L’église attend +encore un portail; telle qu’elle est, avec son pignon provisoire depuis +deux siècles, et les masures au pied de la tour restée de l’église +primitive du vieux clos du Chardonnet, l’église ne manque pas de +pittoresque. + +Le XVIIIᵉ siècle acheva un certain nombre d’églises commencées sous +Louis XIV et dont la construction avait été ralentie ou interrompue par +le manque d’argent; il acheva le nouveau Saint-Sulpice, dont le portail +ne manque pas d’une certaine grandeur, à la place d’un petit +Saint-Sulpice gothique; il acheva Saint-Roch assez laid et qui ne vaut +que comme fond de tableau à l’épisode du 13 Vendémiaire. C’est sur ce +portail gris que se détache nettement le profil du général Bonaparte, +entrevu pour la première fois, quand il se fait connaître en mitraillant +les sections royalistes insurgées contre la Convention et massées sur +les marches du perron. + +Quelques autres églises sans importance sont l’œuvre de ce siècle +XVIIIᵉ, qui a surtout beaucoup démoli. Ce siècle a commencé la nouvelle +église Sainte-Geneviève (le Panthéon) et la Madeleine. Au Panthéon, +l’église souterraine fut établie en 1758 avec les ressources fournies +par une loterie. Le temps n’était plus où les Cathédrales poussaient +toutes seules dans un élan de foi, et l’on recourait aux loteries pour +avoir des fonds. + +Beaucoup d’églises alors doivent ainsi naissance à la loterie. Louis XV, +Clovis de la nouvelle Sainte-Geneviève, posa la première pierre de +l’église supérieure en 1763. + +La Madeleine, commencée lentement en 1763, sur le boulevard alors +champêtre qu’on appelait le Cours, où les _petites maisons_ +s’entouraient de grands jardins, était inachevée quand survint la +Révolution. + +Les changements de plan se succédaient depuis la construction, mais on +n’était pas au bout. Que faire de ce bloc de marbre? Sera-t-il Dieu, +table ou cuvette? + +Que faire de ce temple grec aux énormes colonnes, de ce massif colossal +et ennuyeux? Sera-t-il la Bourse, le Tribunal du commerce ou la Banque +de France? On discutait donc toutes ces affectations qui lui convenaient +aussi bien l’une que l’autre. On aurait même pu en faire un théâtre, le +chœur étant disposé tout à fait comme une scène. Napoléon trancha la +question en le consacrant à la seule divinité de son cœur, il en voulut +faire le temple de la Gloire, où tous les ans, suivant le décret, on +célébrerait par un concert et des illuminations les anniversaires +d’Austerlitz et d’Iéna, mais la Restauration survenant décréta que le +temple grec redeviendrait église chrétienne. + +Les églises subissaient depuis deux siècles toutes les mutilations que +le faux goût leur pouvait infliger; on en était arrivé à considérer les +plus belles œuvres du XIIIᵉ siècle, ces édifices merveilleux, ces +magnifiques nefs gothiques au si grand caractère religieux, comme de +grossières bâtisses d’un peuple de barbares. Mercier, dans le _Tableau +de Paris_, miroir fidèle des idées de son temps, est impressionné par +leur grandeur, mais il commence ainsi le chapitre de Notre-Dame: + +«Quel est l’architecte goth qui a tracé le plan de cet édifice très +ancien?»..... + +Les chanoines à perruques du temps de Louis XIV, les abbés académiques +et mondains pouvaient-ils encore s’accommoder de ces chœurs majestueux +aux arcatures superposées, de ces sévères piliers romans, de ces frêles +colonnettes gothiques montant jusqu’aux voûtes d’un seul jet? Ils ne +songeaient qu’à couper, détruire, mutiler, qu’à enlever ce qui pouvait +s’enlever et à masquer ce que l’on était bien forcé de laisser, par des +applications d’ordres, des placages de marbres, des boiseries pompadour +blanc et or. + +Les magnifiques jubés placés à l’entrée des chœurs, balcons portés par +des colonnes formant le plus souvent trois grandes arcatures, superbe +décoration des grandes églises, furent démolis alors. On détruisit en +1709 le jubé de Saint-Merry, en 1725 le jubé de Notre-Dame qui datait du +XIVᵉ siècle, en 1745 celui de Saint-Germain l’Auxerrois... + +En même temps on raclait les colonnes, on bouchait les ogives, on +charcutait les chapiteaux gothiques pour tâcher d’en faire de faux +corinthiens. C’était un véritable massacre; les vieilles statues des +ymaigiers du moyen âge, les saints et les saintes aux belles draperies +taillées dans la pierre au XIIIᵉ siècle, ces figures et ces groupes du +XVᵉ siècle si curieusement travaillés d’un art naïf et sincère, d’une +imagination si touffue, si curieux de détails avec leurs costumes aux +plis cassés et contournés, étaient sans pitié détruits et remplacés par +de fades allégories, par de grandes statues amphigouriques et +boursouflées, anges bouffis, saints et saintes rococo du style le plus +prétentieux. Triste décadence de l’art religieux, sur laquelle nous +avons encore trouvé moyen de surenchérir avec nos statuettes et images +du quartier Saint-Sulpice. + +C’est alors que le vandalisme à perruques et manchettes de dentelles, à +cœur joie s’en donna dans Notre-Dame livrée à sa discrétion. Alors +disparurent le colossal saint Christophe debout à l’entrée de la nef +avec l’enfant Jésus sur les épaules, la statue équestre de Philippe le +Bel érigée au souvenir de la bataille de Mons-en-Puelle... C’est alors +qu’on «_nettoya_» les chapelles de la plus grande partie des monuments +artistiques et historiques accumulés dans le cours des âges, et que l’on +détruisit le chœur ancien avec tous ses précieux monuments, jubé, +clôture, grand autel, etc., pour remplacer tout cela par la décoration +fastueuse et théâtrale dite du vœu de Louis XIII. + +On croit rêver vraiment quand on songe que sous Louis XIV des projets +furent étudiés pour la transformation complète de la façade de +Notre-Dame, dont le bon goût du temps se trouvait trop offusqué, et +qu’on se proposait de rhabiller tout entière dans le style du portail +Saint-Gervais! Ce fut un heureux manque d’argent qui sauva la pauvre +cathédrale, on se contenta sous Louis XV de mutiler le portail central +et d’entailler le trumeau pour lui donner plus de hauteur, afin de +laisser passer les plumes du dais aux grandes processions! + +Alors aussi les vieux cloîtres subissaient les mêmes désastreux +_embellissements_; on jetait bas les arceaux gothiques et on les +remplaçait par de froides arcades à pilastres romains. Ainsi fut fait à +Saint-Martin des Champs, à Saint-Germain des Prés et ailleurs, dans tous +les monastères riches. En même temps, l’esprit de spéculation s’emparait +des Chapitres, on bâtissait à la place des vieilles clôtures des maisons +de rapport. Saint-Martin des Champs démolissait pour cela sa vieille +enceinte, Saint-Germain des Prés bâtissait les rues Cardinale, de +l’Échaudé, de Furstenberg d’un côté, la rue Childebert de l’autre, au +pied de sa grande tour. + +[Illustration: ÉGLISE SAINT-NICOLAS DU CHARDONNET] + +L’heure fatale allait sonner, ces grands changements, ces +_embellissements_, s’achevaient à peine qu’arrivait l’heure de la +destruction totale pour les trois quarts des édifices religieux couvrant +Paris: vieilles abbayes de Childebert et de Clovis, murailles +historiques, antiques églises, cloîtres superbes ou couvents mesquins, +tout allait tomber! + +Après le souffle desséchant d’incrédulité qui avait passé même par les +ogives des cloîtres, en ce siècle d’abbés musqués et de philosophes +athées, après le grand courant de coquetterie Pompadour apportant dans +les sévères sanctuaires le style efféminé des boudoirs, tout à coup +éclatait la grande tourmente, dont chaque rafale devait faire crouler un +pan de la vieille société. + +Le vieux culte est supprimé, «_ite missa est_», les églises sont +confisquées par la nation et fermées; quand elles ne sont pas réclamées +par quelque nouveau culte philosophique ou attribuées à quelque club, +elles sont mises en adjudication comme bien national, et bien vite +transformées en magasins, en écuries, affectées aux plus viles +destinations ou démolies. + +Toutes ces vieilles cloches qui pendant tant de siècles ont parlé aux +générations, participé aux joies et aux deuils des aïeux, elles ont fini +de se faire entendre; ou plutôt, tombées des clochers et transformées en +canons, elles vont prendre une autre et plus terrible voix, et rugir +dans la grande bataille de vingt-cinq ans! + +Les trésors des églises qui contiennent tant de pièces merveilleuses, où +l’art l’emportait de beaucoup sur la richesse de la matière, vont se +vider dans les fourneaux de la Monnaie. D’ailleurs mauvaise opération +d’alchimie, ce sont des millions qui dans la flamme se transmuent en +gros sous. + +Ces trésors des églises étaient remplis de précieux chefs-d’œuvre +d’orfèvrerie religieuse, surtout de châsses de métal ciselées +superbement, de reliquaires de toutes formes, souvent illustrant de +façon pittoresque et naïve l’histoire du saint personnage dont ils +renfermaient une relique quelconque, os, dent, etc.; reliquaires +travaillés en forme de bras, de tête humaine, de tour, de chapelle, de +nef; châsses portées sur colonnettes, tous objets de l’art le plus +original, comme par exemple ce reliquaire du trésor de Saint-Jacques de +l’Hôpital cité par M. H. Cocheris dans ses additions de l’abbé Le Bœuf, +reliquaire figurant une montagne, au sommet de laquelle était un petit +Saint-Jacques couvert d’un chaperon, une escarcelle sous le bras, le +bourdon d’une main, un livre ouvert de l’autre, accompagné sur les +flancs de la montagne d’autres figurines: deux petits pèlerins assis et +buvant, un mulet qui monte... + +Alors des merveilles accumulées dans les églises, tout ce qui est métal +s’en va à la fonte, tout ce qui est bois s’en va en fumée. + +La Commune de Paris, à l’Hôtel de Ville, se chauffera pendant dix-huit +mois avec les splendides stalles enlevées des églises, avec toutes les +boiseries sculptées, traitées avec tant d’amour par le ciseau des +arrière-grands-pères. + +Et tout ce qui n’est que pierre sculptée est jeté aux gravats. Quelques +amis des arts, avec grand’peine et en risquant beaucoup, sauvent un +certain nombre des monuments les plus importants, épaves du grand +naufrage, qui enrichiront plus tard le Louvre, l’église-musée de +Saint-Denis ou Cluny. Mais combien de belles choses, de reliques +artistiques ou historiques disparaîtront à jamais, périront ou serviront +aux plus vils usages comme certaines statues enlevées à des porches +d’églises et employées en guise de bornes, ou comme la pierre tombale de +Flamel sur laquelle pendant trente ans un fruitier hachera des +épinards... + +Les couvents fermés sont transformés en dépôts de poudre, en fabriques +de salpêtre et surtout en prisons. + +Assez peu habités en raison de la décadence des ordres, ces vieux +monastères où vivaient doucement et mollement quelques douzaines de +moines perdus dans les vastes bâtiments jadis débordants, où +travaillaient silencieusement dans la paix des bibliothèques des +théologiens et des savants en robe à côté de gens de lettres laïques, +retrouvent tout à coup comme en d’autres temps les foules bruyantes, le +mouvement... Mais quel changement! ces foules, ce sont les clubistes qui +s’emparent des grandes salles pour en faire leurs lieux de réunions. +Avec eux les mots _Feuillants_, _Cordeliers_, _Jacobins_, vont prendre +une nouvelle signification et les frères prêcheurs de la Ligue vont +avoir de terribles successeurs. + +[Illustration: ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SULPICE] + +Ou bien ce sont les nouvelles administrations qui s’installent, les +sections, ce sont les gardes nationaux qui viennent y établir leurs +postes, ce sont les prisonniers dont on les remplit: aristocrates, +ci-devant nobles, ci-devant prêtres, suspects, républicains tièdes, +qu’on entasse pêle-mêle dans les vieux dortoirs de moines et de nonnes, +en attendant le tribunal révolutionnaire et la charrette... + +On démolit la Bastille, mais on en crée cinquante nouvelles rien que +pour Paris. Prisons à Saint-Germain des Prés, aux Carmes-Déchaussés, à +Saint-Lazare, à Port-Royal qui s’appelle alors dérisoirement Port-Libre, +dans les collèges Montaigu, des Écossais, du Plessis-Sorbonne, au +Luxembourg, et même prison au collège des Quatre-Nations, c’est-à-dire à +l’Institut, dans les bâtiments académiques actuels, qui durent contenir +alors, dit Michelet, deux mille prisonniers parmi lesquels le général +Hoche. + +Plusieurs couvents deviendront ensuite des casernes ou feront place à +des marchés. + +Les quelques églises conservées d’abord comme paroisses en 1791 sont +fermées en 93, ou consacrées au culte théo-philantrophique fondé par +Larévellière-Lépeaux; Saint-Germain l’Auxerrois prend le titre de +_temple de la Reconnaissance_, Saint-Laurent devient le _temple de la +Vieillesse_, Saint-Gervais le _temple de la Jeunesse_, et Saint-Merry le +_temple du Commerce_, pendant qu’à Notre-Dame la Commune installe la +déesse Raison. + +Ces édifices qu’on ne démolit pas, qu’on se borne à _déségliser_, +suivant un néologisme créé alors, et qui en sont quittes pour des +dévastations intérieures et extérieures, sont les plus heureux. En +quelques années, Paris subit une transformation extraordinaire; s’il +voit disparaître des monuments sans importance, une foule de couvents où +l’art avait peu de choses à pleurer, où les architectes des deux +derniers siècles s’étaient livrés à une débauche de frontons, de +pilastres et de colonnes à l’antique, en revanche la pioche s’attaque à +de splendides édifices à jamais regrettables, aux grands décors +historiques qui avaient encadré pendant dix siècles la vie tourmentée du +grand Paris. + +Formidable coup de théâtre! Tout cela qui semblait éternel, ou du moins +qui semblait ne devoir subir que les lentes transformations naturelles, +tout cela tombe subitement, en quelques années, comme des architectures +de toile peinte au coup de sifflet du machiniste. Si l’ouragan sauvage +de dévastations et de démolitions n’avait point soufflé si fort, si l’on +avait pu épargner quelques édifices d’un mérite artistique reconnu +pourtant par tous, si l’on avait consenti à ne pas exproprier +brutalement l’art et l’histoire, combien le Paris d’aujourd’hui n’en +paraîtrait-il pas plus beau, avec quelques superbes pièces de plus à sa +couronne monumentale, décorant certaines parties demeurées maintenant +bien dénuées, et donnant ainsi à la pensée effarouchée par le tourbillon +réaliste de la rue, quelques satisfactions supérieures, un peu de doux +repos aux yeux effarés par des kilomètres de boulevards interminables, +sans arrêt, ou de rues impitoyablement rectilignes. + +[Illustration: LA PORTE DE NESLE + +LA NOUE ESSAIE DE PASSER LA SEINE LORS DE LA TENTATIVE D’HENRI IV SUR +PARIS EN 1589] + + + + +[Illustration: LE TEMPLE AU XVIIᵉ SIÈCLE] CHAPITRE V + +LES COMMANDERIES + + L’ordre dee Templiers.--La Villeneuve du Temple.--L’église en + rotonde et la grosse tour.--Philippe le Bel.--Ecroulement de + l’ordre.--Le Temple aux chevaliers de Saint-Jean.--Franchises et + privilèges.--Le palais du grand prieur.--La prison de Louis + XVI.--L’enclos de Saint-Jean de Latran.--Disparition complète. + + +Au Nord de Paris, assez loin en dehors des murailles construites par +Philippe-Auguste, dans les cultures voisines de l’enclos de Saint-Martin +des Champs, s’était élevée au XIIIᵉ siècle la grosse tour de l’ordre +célèbre et mystérieux du Temple, donjon de la commanderie chef d’ordre, +d’où relevaient toutes les commanderies de France, château fort que le +château royal du Louvre regardait de loin avec inquiétude. + +[Illustration: TOURELLE D’ANGLE DE L’ENCEINTE DU TEMPLE] + +Cet ordre du Temple né en 1118 en Terre-Sainte, ordre hospitalier et +militaire, avait en peu de temps prodigieusement grandi; devenu une +puissance formidable, suscitant la crainte et l’envie, il possédait des +biens considérables, des places fortes, neuf mille commanderies en terre +chrétienne et d’immenses richesses, entassées, disait-on, dans cette +fameuse tour gardienne du trésor de l’ordre. Le but de l’institution fut +bien vite oublié dans la prospérité, la règle établie par saint Bernard +violée, le renoncement et la pauvreté remplacés par le luxe et la +satisfaction de tous les appétits. Contrairement à l’esprit des Ordres +religieux militaires, admirable création du siècle des croisades, voués +d’abord au service des pèlerins, puis uniquement occupés à la défense de +la Terre-Sainte, rempart d’épées dressées devant l’Islam,--de ces +chevaliers combattant sans cesse sur les brèches ouvertes et qui +rendirent à l’Europe l’immense service d’arrêter le débordement du monde +musulman,--l’ordre des Templiers dégénère en une association puissante, +redoutable même aux autres Ordres, ayant son but secret et sa politique. +Cette politique du Temple s’inspire des intérêts de l’ordre et non de +ceux de la chrétienté; forts de leurs cent millions de revenus annuels, +de leurs nombreuses milices, s’alliant avec les musulmans, avec le Vieux +de la Montagne, pour guerroyer contre les princes francs fixés en Terre +Sainte ou dans les royaumes fondés aux pays d’Orient, les grands +maîtres, souverains dans leurs commanderies, deviennent inquiétants pour +les rois d’Europe. Leur ambition croît avec leur richesse. Tout est +secret dans l’ordre, l’affiliation, la vie, le but véritable qui ne +semble plus être la défense de la Croix, depuis surtout que la Terre +Sainte échappe aux Chrétiens. + +La commanderie de Paris est une véritable forteresse, aux fortes +murailles crénelées flanquées de tours rondes. Ce vaste enclos ouvrant +par une seule porte solidement défendue, renferme de grands jardins, des +maisons disséminées, des bâtiments habités par une nombreuse population +de serviteurs et de vassaux, au-dessus desquels sont les frères servants +et au-dessus des frères servants, les chevaliers à la croix rouge sur +manteau blanc. Les édifices principaux sont: une église dont la nef est +précédée d’une rotonde à colonnes établie, dit-on, sur le modèle de +l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, et le château du grand prieur, +immense agglomération féodale que domine la grosse tour. + +La grosse tour du Temple est un très fort bâtiment carré, d’une +épaisseur de murs considérable, d’une grande hauteur, atteignant trente +mètres à son crénelage, et flanqué de quatre tours rondes plus hautes +avec un avant-corps à tourelles. Ce bâtiment a été élevé en 1212 par +Hubert, trésorier de l’ordre, pour servir de donjon et garder les +archives et le trésor. + +Cet enclos est une ville d’ailleurs, la _ville neuve du Temple_ avec sa +juridiction, ses usages, ses métiers exercés en franchise, ses +boucheries qui font tort aux bouchers de Paris et suscitent de leur part +des réclamations inutiles. Une petite ville concurrente de la cité de +Paris et qui n’a pas les mêmes charges que celle-ci. L’installation des +grands maîtres est riche et forte. Henri III d’Angleterre revenant de +ses possessions de Guyenne en 1259 et faisant visite à saint Louis, +préféra loger en la forteresse du Temple plutôt que dans le palais de la +Cité. + +L’Ordre au faîte de la puissance allait s’écrouler pourtant. La ruine +allait atteindre subitement ces templiers si riches dont l’audacieuse et +toujours grandissante ambition pouvait devenir un danger pour les +rois,--et frapper ces chevaliers oublieux du but de l’institution, +seigneurs fastueux de qui le luxe et les excès en Europe étaient un +objet de scandale, pendant que les chevaliers des autres ordres, +repoussés d’Orient, luttaient pied à pied, cramponnés maintenant aux +îles grecques et mouraient pour la défense de l’Europe, attaquée à son +tour par l’Islam triomphant. L’orage s’amassait: d’un côté un ordre trop +riche, trop ambitieux, une puissance grandissante; de l’autre Philippe +le Bel, un roi menacé de toutes parts, gêné de toutes façons, à une +époque de crise où, aux dépens des grands fiefs, la monarchie se formait +avec de larges visées, et peu de ressources;--un roi aux prises avec +toutes les difficultés, toujours à court d’argent, pressurant ses +peuples, pillant les Juifs ou battant de la mauvaise monnaie. + +Philippe le Bel aux abois cherchait l’argent où il savait en devoir +trouver. Il n’y avait plus moyen de baisser encore le titre des +monnaies; déjà pour le trouble apporté par ces altérations successives, +une révolte avait éclaté à Paris. Il y avait eu bataille, massacre +d’agents du roi, pillage et destruction de la courtille Barbette, maison +d’Étienne Barbette, argentier royal; et même le roi, pendant cette +révolte, était justement venu au Temple dont il avait pu apprécier la +force. + +C’était le moment de la grande querelle de Philippe et du pape Boniface +VIII, entamée à propos des subsides réclamés par le roi au clergé. +Toujours l’âpre question d’argent, tracas perpétuel de ces temps où l’on +n’avait pas encore inventé de ronger l’avenir par l’emprunt à jet +continu, de vivre sur le travail des générations à venir. + +[Illustration: LA SURPRISE DU TEMPLE PAR GUILLAUME DE NOGARET] + +Ceci dit non pour excuser, mais pour expliquer les exactions des rois +besoigneux, cette perpétuelle course à l’argent si difficile pour le +monarque et si dure au pauvre peuple foulé. + +Impôts arbitrairement établis, mal répartis et mal perçus, expédients +inventés au jour le jour, tailles nouvelles au fur et à mesure des +besoins immédiats, vente des offices, extorsions aux financiers dans les +moments difficiles: voilà le seul système financier d’alors. Aussi le +trésor royal pendant trois ou quatre siècles est-il presque constamment +à sec. Henri III en vint à emprunter individuellement aux membres du +Parlement, aux grands fonctionnaires, taxant chacun selon sa fortune, +demandant aux uns quelques milliers de livres, aux autres cinq cents, +deux cents, ou moins encore. Ce roi prodigue, quand l’argent rentrait +mal, dut plus d’une fois, en voyage, laisser les manteaux de ses pages +en gage. Temps naïfs! on ignorait alors le secret de reporter, par des +émissions de rente, ses charges sur le dos de ses descendants, comme +nous faisons aujourd’hui. + +[Illustration: PHILIPPE LE BEL ASSISTE DU HAUT DE LA TOUR DU TEMPLE A +L’INCENDIE DE LA COURTILLE BARBETTE] + +La lutte entre Philippe le Bel et Boniface VIII, poursuivie à coups de +bulles et d’édits, se termina par un coup de force incroyable pour ces +temps: l’arrestation du pape arraché de son siège pontifical à Anagni, +par Guillaume de Nogaret. Ensuite un accord s’établit entre le roi et +Bertrand de Goth, archevêque de Bordeaux, élu pape sous le nom de +Clément V. L’ordre du Temple devait faire les frais de la réconciliation +entre la monarchie et la papauté; le roi vendit la tiare au pape, le +pape livra les templiers. + +[Illustration: DUGUESCLIN TRAITE AVEC LES CHEFS DES GRANDES COMPAGNIES] + +Le 13 octobre 1307 l’affaire éclata. A la même heure, les instructions +cachetées envoyées par tout le royaume furent ouvertes, et toutes les +commanderies immédiatement investies. + +A Paris, Guillaume de Nogaret, l’homme du coup de main d’Anagni, se +présenta dès l’aube à la grand’porte du Temple et s’en saisit au nom du +roi. La porte prise, ses soldats se glissèrent rapidement dans tout le +Temple et mirent la main sur tous les chevaliers qui s’y trouvaient. + +Par toute la France le même coup réussissait de la même façon, à la même +heure les chevaliers trouvés dans les manoirs surpris allaient +s’entasser dans les prisons. Le long et terrible procès commença, mené +de parlement en concile, avec le roi et le pape pour grands juges et +pour bourreaux. On sait comment, sur quelques particularités assez +étranges de l’affiliation à l’Ordre, sur quelques rites mystérieux, fut +appuyée l’accusation d’hérésie et comment, à la plupart des chevaliers, +la torture arracha tous les aveux que l’on souhaitait pour la perte de +l’ordre. Ceux qui avouèrent des crimes imaginaires eurent la vie sauve, +ceux qui s’obstinèrent ou se rétractèrent périrent par le feu. + +A Paris cinquante-quatre Templiers furent brûlés en 1310 dans un champ +devant l’abbaye de Saint-Antoine, et le 11 mars 1314, dans l’île de +Bussy, formant l’extrême pointe de la Cité et rattachée aujourd’hui à la +grande île par le Pont-Neuf,--c’est-à-dire à la place où se dresse +aujourd’hui la statue d’Henri IV,--un bûcher, vu de tout Paris réuni sur +les rives, s’éleva pour le grand maître de l’ordre, Jacques Molay, et +Guy, maître de Normandie, qui, le même jour sur le parvis Notre-Dame, +avaient rétracté tous leurs aveux. Ces deux grandes victimes montèrent +au bûcher avec une fermeté qui frappa la multitude d’admiration et de +stupeur; la légende veut qu’enveloppés dans la flamme, ils +interpellèrent ce roi qu’ils voyaient assister à leur supplice de son +jardin du Palais et l’ajournèrent à comparaître devant Dieu quarante +jours après eux et le pape un an après. + +Les Templiers morts, leur trésor entré dans les coffres royaux, leurs +biens confisqués, la grande commanderie du Temple échappa au roi et fut +transférée par le pape à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de +Jérusalem, qui devint plus tard l’ordre de Malte. Le Temple aux +chevaliers de Malte, rien ne changea dans l’enclos, le palais du grand +maître devint le palais du grand prieur, la population augmenta. La +grosse tour cependant fut quelquefois prison d’État. Enguerrand de +Marigny, financier de Philippe le Bel et de Louis X, y fut enfermé avant +d’aller mourir à Montfaucon. C’est dans la forteresse du Temple que +Duguesclin réunit autour des tables d’un banquet les chefs des Grandes +Compagnies et traita avec eux pour les entraîner en Espagne et en +débarrasser la France. + +Malgré la force du Temple et son importance, il ne joua aucun rôle dans +les guerres contre l’Anglais ou dans les luttes entre Bourguignons et +Armagnacs; il n’y a point de faits notables dans son histoire aux +siècles troublés qui suivirent, il semble pour ainsi dire qu’il resta +terrain neutre constamment. + +La _Ville neuve du Temple_ prospère; des maisons, des hôtels se sont +construits dans l’immense enclos. Il y a quelque raison à cela, c’est un +lieu de franchise, exempté de certains impôts; le commerce et +l’industrie sont libres sur son territoire et ne connaissent point les +restrictions, les entraves des maîtrises et des corporations. Ces lieux +de franchise sont nombreux à Paris; si les corporations, par les +barrières qu’elles élevaient devant la maîtrise, maintenaient la valeur +de l’enseignement professionnel et garantissaient, pour ainsi dire, la +bonne main-d’œuvre, le produit de bon aloi, il fallait bien à côté +d’elles une porte ouverte aux industriels qui n’avaient pu franchir +régulièrement les degrés corporatifs ou acheter une maîtrise. Le Temple, +la Commanderie de Saint-Jean de Latran, l’enclos des Quinze-Vingts et +bien d’autres petites enceintes privilégiées étaient donc ouverts en +franchise à tous artisans. On y travaillait librement, les produits +pouvaient être inférieurs, mais comme ils se vendaient à meilleur +marché, la clientèle du dehors ne manquait pas; ainsi le grand marché +de nos jours ne fait que continuer la tradition. Autre privilège du +Temple, les débiteurs insolvables réfugiés dans l’enclos y étaient +garantis contre toute poursuite. + +Au XVIIᵉ siècle, les édifices du Temple, on le voit par les estampes, +ont un certain aspect de ruine, par suite de manque d’entretien, sans +doute, plutôt que par l’âge. C’est, depuis l’établissement de l’enceinte +de Charles V, une petite ville enfermée dans la grande, une petite ville +avec sa campagne, sa ferme, ses jardins maraîchers, contenus dans le +grand carré de murs crénelés. Devant l’église et les bâtiments des +charniers, on dirait une place de village avec son abreuvoir au milieu, +et ses terrains coupés de fondrières, les massifs d’arbres entourant de +vieilles constructions et les jardins seigneuriaux, à l’arrière-plan +sous le grand donjon. + +Des maisons, des petits hôtels, y sont loués à des gens de cour de +petite fortune, dames veuves, abbés de petit revenu qui viennent +chercher la tranquillité dans cette enceinte éloignée du bruit et du +mouvement. A côté de cette aristocratie que les carrosses des nobles +habitants du quartier du Marais viennent visiter, la population +industrielle continue à vivre libre d’impôts et d’entraves corporatives; +elle fait un commerce considérable. Avec les débiteurs insolvables qui +passent la porte du Temple comme on franchit aujourd’hui la frontière de +Belgique, mais qui peuvent circuler dans Paris le dimanche sans crainte +des recors, il y a plus de 4,000 âmes dans cette petite ville. + +Le palais du grand prieur, reconstruit au XVIIᵉ siècle, au fond d’une +cour bordée de charmilles en hémicycle, avec un grand portail à +colonnade sur la rue du Temple, fut occupé vers la fin du règne de Louis +XIV par un grand prieur épicurien, Philippe de Vendôme, petit-fils +d’Henri IV, et ce grand prieur, pendant la régence, trouva le moyen, +dans les petits soupers de son prieuré, de scandaliser le Paris de cette +folle époque. Le Temple fut alors aussi licencieux que le Palais-Royal. +Les nouveaux Templiers y buvaient au moins aussi bien que les anciens, +ils chantaient avec Chaulieu, abondant en vers anacréontiques. Quand le +XVIIIᵉ siècle arrive à sa fin, le Temple est complètement noyé dans +Paris, qui déborde en faubourgs de l’autre côté des boulevards. + +Les constructions s’étaient multipliées aussi dans le Temple, empiétant +fortement sur les jardins, le grand prieur de Vendôme a construit des +rues sur les anciennes dépendances et l’un de ses successeurs venait de +faire construire en 1781 ce grand bazar de marchandises neuves et +d’occasion, la Rotonde, étrange souvenir, comme la rotonde de l’église, +du temple de Jérusalem. + +Voici, esquissé par Mercier, le tableau du grand enclos du Temple à ses +derniers jours: + +«L’ancienne demeure des Templiers sert d’asile aux débiteurs qui ne +paient point. Là l’exploit de l’huissier devient nul, l’arrêt qui +ordonne la prise de corps expire sur le seuil de la porte, le débiteur +peut entretenir ses créanciers sur le seuil même, les saluer, leur +prendre la main. S’il faisait un pas de plus il serait pris; on fait +tout pour l’attirer au dehors, mais il n’a garde de tomber dans le +piège. Il paie cher une petite chambre étroite toujours préférable à la +prison; du fond de cette retraite, il arrange ses affaires, il traite, +il négocie... + +«La visite des jurés des communautés n’a plus lieu dans le Temple. +Toutes les professions y sont libres; en voici un exemple récent. Un +épicier ruiné, ayant trouvé la recette d’une tisane purgative et +confortative, la débite aujourd’hui dans le Temple avec un prodigieux +succès, le débit de cette tisane monte jusqu’à douze cents pintes par +jour. + +[Illustration: PORTE DE L’ENCLOS DU TEMPLE] + +«Mᵍʳ le duc d’Angoulême, fils de Mᵍʳ le comte d’Artois, frère du roi, +est grand prieur du Temple; on enterre dans l’église du Temple tous les +commandeurs, chevaliers de l’ordre de Malte, qui meurent à Paris...» + +De terribles événements bouleversèrent la France et l’Europe et tout à +coup, dans l’histoire de France, reparut le vieux donjon des Templiers, +fantôme noir oublié depuis le grand drame de 1307. Après cinq cents ans, +cette grosse tour sinistre allait servir de théâtre au dernier acte d’un +autre grand drame et les victimes du roi allaient pouvoir y contempler, +vengeance du destin, la royauté prisonnière. + +Ce n’est plus Nogaret et ses hommes d’armes qui forcent l’entrée du +Temple comme au matin de la surprise de 1307, c’est une immense troupe +de gardes nationaux, en grande partie sans uniformes et armés de piques, +qui se présente; c’est la multitude en bonnets rouges, ce sont les +combattants du 10 août qui viennent de forcer le palais des Tuileries +et de faire écrouler sur les cadavres de ses défenseurs l’antique +monarchie, ce vieil édifice qui résistait depuis quinze cents ans à tous +les assauts. Sous les invectives ou les menaces, à travers la houle des +fusils et des piques, le maire de Paris vient écrouer au Temple Louis +XVI, Marie-Antoinette, Mᵐᵉ Elisabeth et les enfants royaux et les +enferme dans la grosse tour, hâtivement mise en état de garder ses +prisonniers. + +[Illustration: LA FAMILLE ROYALE AMENÉE AU TEMPLE] + +Le roi est aussi bien gardé que pouvait l’être jadis, en cette même +tour, le trésor que son aïeul saint Louis avait apporté et confié aux +Templiers avant le départ pour la croisade. + +Grands bouleversements dans le Temple, on place corps de garde sur corps +de garde, on creuse un fossé et l’on élève une forte muraille autour de +la prison royale qu’il s’agit de rendre inaccessible aux tentatives +désespérées des royalistes, aux conspirateurs tournant héroïquement +autour du sinistre donjon. Ce donjon se divise en quatre étages voûtés: +le rez-de-chaussée, où jadis était tenu le chapitre de l’ordre du +Temple, est occupé par les officiers municipaux; le premier étage est un +corps de garde; le roi habite le deuxième étage et la reine le +troisième, sans moyens de communication ensemble, sauf ceux que peut +inventer l’ingéniosité toujours en éveil des captifs. Au-dessus de la +plate-forme les merlons du crénelage ont été surélevés et les créneaux +bouchés par des jalousies. Louis Capet se promène sur cette galerie. +Plus tard, quand le roi est allé à la guillotine, place de la +Révolution, la reine, restée seule en attendant son tour, y vint guetter +les rares sorties dans le préau du malheureux petit Dauphin livré à +Simon. Dans cette dernière et terrible période de sa vie, on a vu la +fille des empereurs raccommoder là-haut sa chaussure trouée. + +[Illustration: LA ROTONDE DU TEMPLE, 1840] + +Dans les premiers jours de la captivité, pendant les massacres de +Septembre, les tueurs de la Force et de l’Abbaye ont défilé sous les +fenêtres de la Tour en brandissant les outils du massacre, en appelant +avec des cris féroces Marie-Antoinette l’Autrichienne, pour lui montrer +au bout d’une pique la tête de la malheureuse princesse de Lamballe, +pâle et sanglante figure qu’un perruquier des environs a été contraint +de coiffer et de poudrer, et que les assassins dans leur tournée dans +Paris, promenant triomphalement pendant toute une journée leur horrible +trophée, déposaient à côté de leurs verres sur le comptoir des épiciers +ou limonadiers chez lesquels ils s’arrêtaient pour boire. + +Malgré les conspirations désespérées, les tentatives répétées, la Tour +du Temple a gardé ses prisonniers jusqu’au dernier jour et ne les a +lâchés que pour l’échafaud. Prison elle était redevenue, prison elle +demeura encore pendant une quinzaine d’années pour des prisonniers de +marque comme Pichegru, Toussaint-Louverture, Georges Cadoudal, Moreau, +etc... + +En 1811, on voulait faire du grand prieuré le ministère des cultes, le +souvenir sinistre de 93 gêna, on abattit la grosse tour. Le Temple +disparaissait morceau par morceau, l’église et les autres bâtiments +avaient été rasés peu auparavant. Après 1814, un couvent de Bénédictines +prit la place du ministère, puis le couvent fut transformé en caserne. +Puis survinrent encore d’autres changements, et en peu d’années tout +vestige disparut du grand domaine des Templiers, de ce pittoresque +ensemble de bâtiments et de tours, du gros donjon historique et de cette +petite ville qu’il dominait, si particulière avec ses usages et ses +privilèges singuliers. + +[Illustration: MARIE-ANTOINETTE DANS LA TOUR DU TEMPLE] + +Une autre commanderie des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem existait +encore il y a cent ans de l’autre côté de la Seine. Cet enclos, dit de +Saint-Jean de Latran, occupant un vaste espace entre le collège de +Beauvais et le collège de France, mais moins considérable que le Temple, +était lieu de franchise aussi; les commandeurs, par spéculation, y +avaient construit des maisons louées à des artisans qui pouvaient +exercer leurs professions en dehors de tout règlement corporatif. +Fondée, pense-t-on, vers 1158, elle avait bientôt groupé un ensemble de +bâtiments considérable autour du logis du commandeur fortifié par un +donjon. A côté s’élevait l’église, bâtie au commencement du XIIIᵉ +siècle, refaite en partie en gothique flamboyant aux XVᵉ et XVIᵉ +siècles, et remplie de tombeaux de commandeurs et de chevaliers. La +commanderie de Saint-Jean de Jérusalem s’était à une époque indéterminée +et sans qu’on sache la raison du changement, appelée Saint-Jean de +Latran. «La Grange aux Dîmes, dit M. de Guilhermy, dans son Itinéraire +archéologique, était une curieuse construction du XIIIᵉ siècle, couverte +de voûtes ogivales à nervures croisées et partagée en deux nefs par un +rang de colonnes monostyles... Depuis bien des années, des épiciers, des +marchands de vins, des vendeurs de peaux de lapins remplissaient ces +vieilles galeries, où chacun s’était fait un gîte de plâtre et de bois.» + +L’église, vendue à la Révolution, fut démolie en 1835, mais il en +subsista des ruines importantes longtemps encore, jusque vers 1863. Le +donjon méritait de survivre, c’était une magnifique construction +militaire aux murs solides soutenus par des contreforts, avec trois +belles salles voûtées superposées et un étage de crénelage. On le +démolit sans pitié en 1854 pour la rue des Écoles qui aurait bien pu +s’infléchir à droite ou à gauche et respecter ce vieux souvenir, pour +son caractère imposant et pour sa valeur artistique. On l’appelait alors +tour Bichat, parce qu’au commencement de notre siècle, elle avait été le +laboratoire d’anatomie du célèbre physiologiste. + +[Illustration: LA COMMANDERIE DE SAINT-JEAN DE LATRAN] + + + + +[Illustration: LE CLOITRE DES CARMES DE LA PLACE MAUBERT] CHAPITRE VI + +A TRAVERS LA VILLE ESCHOLIÈRE + + +I + + La grande Université de Paris.--Fondation de Mᵉ Robert de + Sorbon.--Les quatre nations de la faculté des Arts.--La rue du + Fouarre.--Les écoles de médecine.--Le collège des Haricots et son + maître fouetteur.--Les pauvres Capettes de Montaigu.--Etudiants + vagabonds.--Tavernes et mauvais lieux.--Désordres et bagarres.--Les + cinquante collèges.--Immunités et privilèges de l’Université.--La + procession du Landit.--Les écoles de droit au Clos Bruneau.--Robert + Estienne. + +[Illustration: DÉBRIS DU COLLÈGE SAINT-MICHEL RUE DE BIÈVRE] + +«Les rois de France s’accoutumèrent à porter dans leurs armes la fleur +de lys peinte par trois feuilles afin qu’elles disent à tout le monde: +«Foi, Sapience et Chevalerie sont par la provision et la grâce de Dieu +plus abondamment en notre royaume qu’en les autres. Les deux feuilles de +la fleur de lys qui sont ailées signifient _sens_ et _chevalerie_ qui +gardent et défendent la tierce feuille au milieu, par laquelle _Foi_ est +entendue et signifiée, car elle doit être gouvernée par sapience et +défendue par chevalerie...» + +Ainsi dit le sire de Joinville, parlant des discordes entre les +bourgeois de Paris et les clercs de l’Université. Il ajoute: Précieux +joyaux sont la sapience et l’étude des lettres et la philosophie qui +vinrent primitivement de Grèce à Rome et de Rome en France... + +Passées sur la rive gauche au temps d’Abélard, cent ans avant saint +Louis, les écoles de Paris, ayant secoué le manteau épiscopal et sa +protection un peu lourde, étaient devenues la libre Université du XIIIᵉ +siècle, universalité des maîtres, des élèves et des études, corps +régulièrement organisé divisé en quatre facultés: Faculté des Arts dont +les étudiants étaient répartis en quatre nations: nation de France, +nation d’Angleterre, nation de Normandie et nation de Picardie; Faculté +de théologie, Faculté de décret ou droit canon, car on n’enseignait +point d’abord le droit romain, et Faculté de médecine. Seules les +petites écoles, celles où se distribuait l’instruction élémentaire, +étaient restées sous la dépendance de l’Église; établies dans chaque +paroisse elles relevaient d’un fonctionnaire de la cathédrale, le +_chantre de Notre-Dame_. Il y avait des maîtres et des maîtresses. + +L’ensemble de l’Université, collèges, maîtres et élèves, constituait sur +les pentes de la montagne Sainte-Geneviève une nation particulière dans +une ville à part, ayant sa langue particulière aussi, puisqu’on ne +parlait aux écoles que le latin. + +Bien vite, avec la renaissance des études, avec des maîtres dont les +noms célèbres portaient au loin la gloire de l’Université parisienne, +ces Écoles prirent une importance et une extension considérables. Les +écoliers leur arrivaient en foule des provinces lointaines, des pays +étrangers. Cette jeunesse avide de science, mieux pourvue de bonne +volonté que d’écus, ces étudiants de tous les pays trouvaient ici des +collèges innombrables, entretenus au moyen de fondations pieuses, où les +écoliers recevaient gîte et nourriture ou gîte seulement. + +Les bandes d’étudiants, accourant de tous les coins de l’Europe, +envahissant la ville des écoles, étaient donc primitivement réparties en +quatre nations, mais devant leur foule de plus en plus nombreuse chaque +année, on fut obligé de créer de nouvelles subdivisions. Remplis d’une +belle ardeur, ils venaient s’abreuver à la fontaine de science, décidés +à gravir un à un les échelons conduisant à la maîtrise et à la fortune, +sans se laisser rebuter par rien,--obscurités de la scholastique ou +difficultés de la vie matérielle,--décidés à mettre tout le temps +nécessaire, à passer des années et des années sous la chaire des +professeurs, mais à ne se point retirer sans la possession du Trivium et +du Quadrivium, les sept arts libéraux enseignés par les maîtres, +c’est-à-dire les trois premiers degrés, ou trivium: grammaire, +rhétorique et dialectique, base de l’enseignement, et les degrés +supérieurs ou quadrivium: arithmétique, musique, géométrie, astronomie. + +Ainsi est née avec des statuts élaborés au commencement du XIIIᵉ siècle +et approuvés par les papes, avec des privilèges accordés par les rois, +cette brillante Université dont les docteurs les plus éminents ont place +aux conciles, dont l’éclat dépasse les frontières de France et qui eut +pour élèves des papes, des archevêques, des princes, des rois. Ainsi se +forma cette ville des écoles vivant de sa vie propre à côté de Paris, +avec ses mœurs particulières, ses coutumes, ses privilèges. + +Ils sont nombreux, ces privilèges de l’Université, ces immunités +particulières des escholiers; le moyen âge, cette époque qu’on s’est +toujours représentée si rude et si grossière, aime la science, et la +_clergie_ confère aux plus humbles clercs, outre le respect et la +considération, une foule d’avantages sérieux. Aussi voit-on arriver dans +cette ville de la science, pour prendre leurs degrés aux Écoles de Paris +et obtenir par les lettres ces situations sociales, charges séculières +ou bénéfices ecclésiastiques, des escholiers de toutes conditions, des +cadets de maison noble, des fils de bonne famille bourgeoise, dédaigneux +de l’épée ou du négoce, des jeunes gens de petite extraction pourvus +d’une bourse en quelque maison, aussi bien que des étudiants dépourvus +de la plus mince ressource, venus en mendiant sur les routes, logés +ensuite à Paris dans quelque galetas de collège, mais obligés ou à peu +près de quêter leur pain par les rues. + + Dedans Paris les sciences florissent + Et gens sçavants en ce lieu resplendissent + Plus qu’en nul lieu car Pallas y octroye + Autant et plus qu’en Athènes ou Troie + Le sien séjour et les muses sçavantes + Font en ce lieu leur demeure tenantes... + +A la Sorbonne fondée par Robert de Sorbon, chapelain de saint Louis, +choisi par le roi «_pour la grant renommée qu’il avait d’être +prudhomme_», sont les grandes écoles de théologie qui ont commencé bien +modestement, avec quelques professeurs et quelques boursiers en une +pauvre maison. Les leçons des maîtres donnèrent rapidement à la maison +de Sorbonne une célébrité sans pareille, une prospérité extraordinaire +et une autorité sur toutes les matières de la foi, domaine légitime dont +on ne se contenta point aux siècles troublés, quand les docteurs de la +Sorbonne voulurent étendre cette autorité sur les choses de la +politique. + +Sur la savante montagne Sainte-Geneviève brille l’étoile de la pensée +que ne voileront pas les obscurités de la scholastique, le pédantisme +des études; et toutes les difficultés des épreuves et des thèses, le +terrible renom des Sorbonnagres, la rigueur des maîtres des diverses +écoles, ne rebuteront point la jeunesse avide de cette science qu’on lui +sert pourtant sous épineuse enveloppe et qu’il lui faut décortiquer avec +les dents effilées de l’intelligence. Et voyez comme dans son _Traité +des louanges de Paris_ Jean de Jaudun, un moine du XIVᵉ siècle, parle +avec une emphase respectueuse de ces maîtres: + +«... Dans la très paisible rue nommée de Sorbonne comme aussi dans +nombre de maisons religieuses on peut admirer des pères vénérables, des +seigneurs et pour ainsi dire des satrapes célestes et divins parvenus +heureusement au faîte de la perfection humaine qui élucident +solennellement les textes sacrés...» + +Les écoles de droit ou de décret sont au-dessus de la commanderie de +Saint-Jean de Latran, sur l’ancien clos Bruneau, autrefois l’un des +petits vignobles couvrant les pentes de la colline, clos fameux chez +les écoliers, où se sont installés plusieurs collèges, Beauvais, +Presles, etc. «Dans la rue qu’on nomme clos Bruneau, les utiles lecteurs +des décrets et des décrétales proposent leurs doctrines devant une +multitude nombreuse d’auditeurs.» C’est le berceau de la faculté de +droit restée fidèle au clos Bruneau jusqu’à la fin du siècle dernier, +époque où les bâtiments de la rue Saint-Jean-de-Beauvais tombant en +ruines, l’École émigra dans l’édifice construit pour elle à l’un des +angles de la place devant le Panthéon. + +Les écoles de médecine furent moins bien partagées que les écoles de +théologie, de droit ou de grammaire, elles restèrent longtemps errantes, +logées n’importe où. La médecine n’eut son local à elle qu’au XVᵉ +siècle, quand on l’installa dans une maison de la rue de la Bucherie. +Jusque-là l’enseignement dut se donner dans d’assez mauvaises +conditions, on ne sait pas où exactement, dans les maisons des mires ou +médecins, dont la science confuse, composée surtout de pratiques +empiriques, n’était pas tenue en grand honneur alors et qui n’avaient pu +trouver place dans l’Université. + +Les docteurs se réunissaient dans des chapelles d’églises, à +Saint-Jacques la Boucherie, aux Mathurins, et surtout autour du bénitier +de Notre-Dame où se tenaient les assemblées générales. Le médecin de +Charles VII, Desparts, légua à sa mort une somme d’argent à la faculté +de médecine pour lui assurer un local. C’est alors que fut achetée aux +Chartreux la maison de la rue de la Bucherie, installation modeste qui +s’agrandit un peu par la suite. + +Quant aux écoles de grammaire de la faculté des Arts, elles occupent +pendant quatre siècles la vieille rue du Fouarre, bordée de locaux que +chaque jour remplissent les étudiants assis ou couchés sur la paille +devant la chaire des maîtres, locaux trop petits pour la foule qui s’y +presse, qui déborde dans la rue et s’efforce de recueillir +l’enseignement qui lui arrive par les fenêtres ouvertes quand il n’est +pas donné en plein air dans la rue même. + +Les collèges sont au nombre d’une cinquantaine peut-être, quelques-uns +ont des maîtres et des cours suivis, mais bon nombre ne sont en réalité +que des logis d’étudiants qui suivent les cours des grandes écoles. Ces +collèges sont des fondations de hauts personnages, de dignitaires de +l’Église ou de simples particuliers qui ont acheté des maisons pour +recevoir les écoliers de leur province, de leur diocèse ou de leur +ville. Il y a aussi des collèges étrangers, pour les étudiants attirés +d’Angleterre, d’Italie, des pays d’Allemagne, et même de plus loin, par +la renommée de l’Université parisienne. + +Aucune uniformité dans le régime de ces maisons, entretenues plus ou +moins bien par des donations, des rentes diverses, fournies quelquefois +par de nobles seigneurs, souvent par des legs d’écoliers parvenus, +d’honnêtes bourgeois, de bons chanoines, anciens écoliers reconnaissants +envers la maison qui donna la pâture intellectuelle et matérielle à leur +jeunesse studieuse. + +Sous Philippe-Auguste, on comptait déjà plus de deux mille écoliers, +mais ils n’avaient point encore de quartier particulier. Dispersés un +peu partout, ils venaient aux écoles de Notre-Dame, de Saint-Germain +l’Auxerrois ou d’ailleurs, + +[Illustration: LA TÊTE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE PROMENÉE SOUS LES +FENÊTRES DU TEMPLE + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +«personne ne s’étant encore avisé de fonder des collèges ou hospices. Je +me sers du mot hospice, dit Sauval, non sans raison, car les collèges +qu’on vint à bâtir d’abord n’étaient simplement que pour loger et +nourrir de pauvres étudiants. Que si depuis on y a fait tant d’écoles, +ce n’a été que longtemps après et pour perfectionner ce que les +fondateurs en quelque façon n’avaient qu’ébauché». + +Joinville raconte que saint Louis fit acheter «maisons qui sont en deux +rues près le palais des Thermes, esquelles il fit faire maisons bonnes +et grandes pour ce que escholiers étudiant à Paris demeurassent +illecques à toujours: et encore de ces maisons sont aucunes louées à +autres écoliers, desquelles le prix ou le louage est converti au profit +des pauvres écoliers devant dis». + +Bon nombre de ces écoliers venant des provinces lointaines, boursiers de +quelque fondation, ne trouvent donc en arrivant à leur collège que le +couvert et doivent se pourvoir du reste, c’est une affaire entendue, +tandis que d’autres établissements plus riches nourrissent leurs +boursiers ou leur donnent chaque semaine quelques deniers pour +s’arranger à leur guise. Parmi les grands collèges qui sont quelque +chose de plus que des hôtelleries sans cuisine, le collège de Montaigu, +très important, est l’un des plus durs, comme régime de vie intérieure, +comme aussi l’un des plus pauvres. + +[Illustration: LE MAITRE FOUETTEUR DU COLLÈGE MONTAIGU] + +C’est là que les écoliers sont le moins nourris et le plus battus, car +en ces temps, l’une des façons réputées les meilleures de faire entrer +la science dans la tête des étudiants, c’est de distribuer largement les +étrivières sur une autre partie du corps. On ne s’en fait pas faute à +Montaigu, certain frère fouetteur de Montaigu gagna une telle réputation +de forte poigne que parfois les autres collèges l’envoyaient chercher. +«Tempeste, dit Rabelais parlant du principal de son temps, fut un grand +fouetteur d’escholiers au collège de Montagut; si pour fouetter pauvres +petits enfants, escholiers innocents, les pédagogues sont damnés, il +est, sur mon honneur en la roue d’Ixion, fouettant le chien courtaut qui +l’esbranle.» Rabelais appelle Montaigu collège de pouillerie et +Pornocrates, le maître de Grandgousier s’indignant «de l’énorme cruauté +et villenye qu’il y connut, car trop mieux sont traités les forçats chez +les Maures, les meurtriers en la prison criminelle, voire certes les +chiens en votre maison, dit que s’il était roy de Paris, il ferait +brusler et principal et régents». + +Quelle triste chère aussi pour les pauvres diables d’écoliers condamnés +à une dizaine d’années de Montaigu, maigre, très maigre cuisine quand on +en fait, la maison est si pauvre! M. Cocheris, à propos de cette +pauvreté, cite une supplique au roi en 1675, exposant que le collège n’a +pas quatre francs par jour pour nourrir cinquante personnes. + +Rabelais qui, plus d’une fois dans son livre, accable Montaigu de son +indignation, avait peut-être goûté de son régime en sa jeunesse, M. +Édouard Fournier le suppose du moins. + +On y faisait donc de bonnes études, les écoliers s’acharnant peut-être +au travail pour en sortir plus vite. Erasme, quand il vint compléter ses +études à Paris, fut élève de Montaigu. Entré bien portant, avec la +fringale de la science seulement, il souffrit tant de l’autre fringale, +de la malpropreté et de la tristesse du lieu, qu’il en tomba malade et +dut regagner son pays. + +Les pauvres élèves de Montaigu étaient aussi mal habillés que mal +nourris, on ne leur fournissait que de pauvres hardes avec une cape de +grosse bure brune, ce qui les faisait appeler les _Capettes de +Montaigu_. Leur collège, objet de raillerie dans le pays latin, était +surnommé le _collège des Haricots_, à cause du légume dont on faisait +toute l’année le fond de la nourriture des élèves, ce qui ne veut +toutefois pas dire qu’on leur en donnât toujours suffisamment. + +Ce surnom si bien mérité a traversé les siècles: lorsque le collège +Montaigu aux bâtiments rébarbatifs, vieillis et encore assombris, eut +vécu ses derniers jours, lorsque la Révolution le supprima, de ce +collège _carcere duro_, elle fit tout naturellement une prison: des +détenus militaires remplacèrent les écoliers. Furent-ils mieux nourris? +il faut l’espérer pour eux qui n’avaient point l’étude pour +consolatrice. Le collège Montaigu devint, dans le langage courant, la +_prison des Haricots_. + +Après les militaires, on y mit des gardes nationaux récalcitrants; le +vieux nom persista; la maison d’arrêt de la garde nationale fut dénommée +par les soldats citoyens l’_hôtel des Haricots_. On démolit Montaigu +pour installer à sa place la bibliothèque Sainte-Geneviève, lorsqu’elle +émigra du vieux local bâti par les moines, beau débris du passé dont on +fit table rase sous un prétexte non justifié de manque de solidité, et +l’on aménagea vers Passy une nouvelle maison d’arrêt de la garde +nationale laquelle prit tout aussitôt le vieux surnom provenant de +Montaigu et resta, jusqu’à la fin de la garde nationale, l’_hôtel des +Haricots_, aux souvenirs vaudevillesques, aux _cachots_(!) illustrés de +dessins et peintures entremêlés d’inscriptions en vers et en prose par +les gens de lettres et artistes peu soucieux de la gloire de monter la +garde aux Tuileries ou à l’Hôtel de Ville. La cellule nº 14 y était +fameuse: Decamps, Théophile Gautier, Daumier, Gavarni, Devéria, +Français, Alfred de Musset, y incarcérés, l’avaient décorée au crayon et +au pinceau. + + On dit triste comme la porte + D’une prison + Et je crois, diable m’emporte, + Qu’on a raison. + +avait rimé Musset dans cette peu terrible cellule. + +Étrange association de noms: Gavarni et Daumier reliés à Rabelais, +Gautier et Musset à Erasme, la garde nationale aux pauvres Capettes de +Montaigu! + +Plus heureux vraiment sont les écoliers presque vagabonds, mais libres, +qui, pour vivre, travaillent de leurs bras, louent quelquefois leurs +services, se font chantres de quelque église; plus heureux même ceux qui +mendient leur pain. Beaucoup de ces collèges sont loin d’être tenus avec +l’austérité et la sévérité de Montaigu, la discipline y est inconnue; +dans quelques-uns écoliers et maîtres vivent dans un désordre peu +favorable aux études; ils sont trop voisins des tavernes et l’on a vu +même quelquefois des régents peu scrupuleux serrer les écoliers dans une +partie des bâtiments et tirer parti du reste en louant des locaux à des +industriels qui en ont fait des cabarets et pire encore. + +Ainsi après des années d’études passées depuis l’enfance sous la férule +de pédagogues imbus de ce principe que le maître qui bat bien enseigne +bien, après les années d’études primaires passées en quelque école de +paroisse ou même en quelque collège prenant l’écolier tout jeune, études +poursuivies ensuite plus librement comme boursier de quelque fondation, +courant aux leçons des maîtres fameux ou préférant les esbattements des +tavernes, les plaisirs tumultueux du Pré aux Clercs et les joyeux propos +des camarades, au dur labeur de suivre les argumentations des savants à +méthodes rébarbatives,--l’escolier, après des examens très difficiles, +finissait par attraper ses diplômes et trouvait le moyen de se faire +nommer à quelque bénéfice ou pourvoir de quelque bonne place lui +fournissant amplement ces pécunes, dont il était jadis si peu pourvu. + +Il pouvait devenir pédagogue à son tour et transfuser la science à coups +de verges aux écoliers ses successeurs; ou bien il entrait dans les +ordres, obtenait quelque bonne cure, quelque canonicat douillet. S’il +dénichait de puissantes protections, les chemins étaient ouverts +largement devant lui; il pouvait tout espérer, les plus hautes +situations séculières ou ecclésiastiques, la faveur des princes et les +avantages qui en résultent, les grands emplois... Et alors, sur ses +vieux jours, se remémorant ses souvenirs du pays des Études, de ses +misères et de ses joies, du bon temps quelquefois si dur de sa jeunesse, +il se souvenait de son vieux collège, et lui léguait quelque petit bien +pour entretenir les étudiants, ses successeurs. Tous les escholiers +n’arrivaient point là. Écoutons François Villon en son grand testament: + + Bien sçai si j’eusse étudié + Au temps de ma jeunesse folle + Et a bonnes mœurs dedié + J’eusse maison et couche molle!... + Ou sont les gratieux gallants + Que je suivye au temps jadis, + Si bien chantans, si bien parlans, + Si plaisans en faictz et en dictz? + Les anciens sont morts et roydiz, + D’eulx n’est-il plus rien maintenant. + Respits ils ayent au Paradis + Et Dieu sauve le remenant! + Et les aucuns sont devenuz + Dieu mercy! grands seigneurs et maistres, + Les aultres mendient tout nudz + Et pain ne voyent qu’aux fenestres; + Les aultres sont entrez en cloistres, + De Célestins et de Chartreux, + Bottés, housez com pescheurs d’oystres + Voila l’estat divers d’entre eulx. + +De ces maisons de science, officines de bacheliers et de docteurs qui +hérissent la montagne de Sainte-Geneviève et font de ce Paris de la rive +gauche une ville particulière, la grande cité des Études, voici à peu +près la liste, non pas complète, car on pourrait y ajouter tels +établissements de minime importance qu’il est inutile de nommer, tels +collèges qui vécurent peu et disparurent faute de ressources +suffisantes: + +_Collège de Sorbonne_, grande école de théologie fondée vers 1250, par +Robert de Sorbon, du village de Sorbon près de Rethel, grâce à un legs +de Robert de Douai, chanoine de Senlis, son ami, et aux libéralités de +saint Louis. Le collège de Sorbonne eut de très humbles commencements: +il n’y avait d’abord place, dans les maisons achetées par le roi, que +pour quelques docteurs menant la vie la plus modeste, pour ne pas dire +pauvre, et pour seize boursiers seulement. Peu après la fondation, +Robert de Sorbon put adjoindre à l’établissement primitif un petit +collège de jeunes enfants qui passaient plus tard dans les classes +supérieures, aux études de théologie. + +Bien petits commencements pour cette institution qui va croître si vite +en grandeur et en puissance, qui va régenter la théologie, décider sur +toutes les questions religieuses et bientôt connaître également de la +politique, se lancer passionnément, en terrible disputeuse et ergoteuse, +dans toutes les querelles des partis, prenant position dans toutes les +luttes, et bataillant à coups de thèses et de décrets, avec une vigueur, +une violence redoutables et une obstination jamais lassée. La Sorbonne +est une forteresse dont la garnison de docteurs et professeurs, dans les +crises nationales, n’a pas toujours arboré le bon drapeau. Elle fut +bourguignonne dans la guerre civile, anglaise ensuite et condamna Jeanne +d’Arc; elle fut guisarde, espagnole, combattit pour la Ligue avec furie +et fut, après la victoire du Béarnais tant de fois condamné par elle, +très lente à faire sa soumission. + +Richelieu, qui la réorganisa, marque la fin de sa grande époque. Dans +ces temps, la Sorbonne vieillie vit son champ de luttes se restreindre +singulièrement et elle s’achemina tout doucement vers sa transformation +définitive. + +_Collège des Lombards_, rue des Carmes, fondé en 1334, dit maison des +_pauvres écoliers italiens de la bienheureuse Marie_, ruiné et abandonné +au XVIᵉ siècle, devenu au XVIIᵉ collège des prêtres irlandais, qui ont +laissé une chapelle rue des Carmes, 23, au fond d’une cour. + +_Collège de Karembert_, fondé par un gentilhomme breton pour les +écoliers du diocèse de Léon, collège de bonne heure tombé dans la +misère, les bâtiments s’écroulant, le principal vendant les portes et +les fenêtres, les malheureux boursiers obligés de chanter par les rues +pour vivre. + +_Collège de Lisieux_, fondé en 1336 par Guy d’Harcourt, évêque de +Lisieux, pour vingt-quatre boursiers; démoli au XVIIIᵉ siècle, pour +former la grande place devant la nouvelle Sainte-Geneviève, c’est-à-dire +le Panthéon. + +_Collège de Constantinople_, fondé au XIIIᵉ siècle pour des étudiants +grecs envoyés par l’empereur Baudoin, après la prise de Constantinople +par les Croisés. + +[Illustration: LES ÉCOLIERS TIRELAINES AU CARREFOUR COUPE-GUEULE] + +_Collège de Clermont_, fondé en 1563 par Guillaume Duprat, évêque de +Clermont, qui le donna bientôt aux jésuites. Les jésuites eurent tout de +suite de graves désaccords avec l’Université, qui voyait d’un œil +inquiet cette nouvelle puissance s’élever, et ces désaccords +dégénérèrent vite en guerre ouverte, en procès devant le Parlement. +L’Université avait fait sa soumission à Henri IV et voulait se faire +pardonner sa participation fougueuse à la Ligue; les jésuites s’étaient +distingués aussi, mais ils restaient devant le vainqueur dans une +réserve hostile. L’affaire se décida contre eux, lors de l’attentat de +Jean Chatel. Le collège fut fermé, le principal et les professeurs +furent arrêtés, le Parlement prononça leur bannissement et l’on vit un +jour, en 1595, les 37 jésuites de Clermont, conduits par un huissier du +Parlement, quitter la ville, les uns empilés dans trois charrettes, les +autres à pied. Ils revinrent en 1618 et leur collège de Clermont se +rouvrit triomphalement, malgré l’opposition de l’Université. + +Les jésuites, de plus en plus en faveur à la cour de Louis XIV, firent +disparaître une nuit le nom de Clermont inscrit sur leur porte et lui +substituèrent celui de Louis le Grand. Agrandi des collèges de +Marmoutiers et du Mans, le collège Louis le Grand acquit une prospérité +extraordinaire et vit se presser sur ses bancs les fils des plus grandes +familles de France, jusqu’à l’expulsion des Jésuites en 1763. + +Particularité curieuse, en 93, l’ancien collège des jésuites Louis le +Grand, sous le nom de collège Égalité, fut le seul collège qui resta +ouvert pendant toute la durée de la Terreur. + +Pendant les deux derniers siècles, le collège des Jésuites eut son +théâtre, où pour les solennelles distributions de prix, devant une foule +aristocratique, les élèves jouaient des tragédies rimées par des +professeurs, des pièces latines, des tragédies en musique et dansaient +même des ballets. M. Cocheris a donné une longue liste de ces pièces de +circonstance, dans laquelle nous pouvons relever quelques titres: + +_Les réjouissances du Lys et de l’impériale_, ballet dédié à Leurs +Majestés par les écoliers du collège de Paris de la compagnie de Jésus, +1660. + +_Les Tartares convertis_, 1657. + +_La Prise de Babylone_. + +_Le Ballet des songes_, 1671. + +_La France victorieuse sous Louis le Grand_, ballet, 1680. + +_Les Héros ou les Actions d’un grand prince_, ballet, 1684. + +_Le ballet de Mars et de la Guerre_, 1696. + +_Jason ou la conquête de la Toison d’or_, ballet mêlé de récits, 1701. + +_Adonias_, tragédie; l’_Empire de l’Imagination_, ballet pour la +tragédie d’Adonias, 1702. + +_Maurice, empereur d’Orient_, tragédie. + +_L’Empire du monde partagé entre les dieux de la fable_, ballet, 1710. + +_L’Empire de la folie_, ballet, 1712. _L’Art de vivre heureux_, ballet +intermède de la tragédie d’_Hermenegilde_, 1718, etc... + +Les jésuites avec leur théâtre _officiel_, pompeux et ordonné, ne +faisaient que reprendre en la modifiant une vieille tradition écolière. +Les collèges avaient eu autrefois des théâtres _libres_, où les +étudiants des collèges Navarre, Bourgogne, Justice, Boncourt, etc., à +l’instar des Clercs de la Basoche du Palais, des Enfants Sans Souci et +des confrères de la Passion, donnaient en spectacle public des _farces_ +et _moralités_, dans lesquelles les acteurs prenaient souvent +d’audacieuses libertés vis-à-vis des autorités de l’Église ou du +royaume, et des gens de la cour. + +[Illustration: ÉGLISE DU COLLÈGE DE BEAUVAIS] + +Reprenons la liste des collèges: + +_Collège de Suède_, fondé au XIVᵉ siècle. + +_Collège des Allemands._ + +_Collège de Dace ou de Danemark_, fondé en 1275. + +_Collège de Picardie._ + +_Collège de Chollet_ ou _des Chollets_, fondé en 1292 par le cardinal +Jean Chollet, supprimé à la Révolution. Les derniers bâtiments et la +chapelle ont été rasés en 1822 pour l’agrandissement de Louis le Grand. + +_Collège de Navarre_, fondé en 1304 par la reine Jeanne de Navarre, +femme de Philippe le Bel, et doté assez richement pour que les bourses y +fussent plus importantes que partout ailleurs. On a calculé que la +valeur moyenne d’une bourse à Navarre était de 1,170 francs, monnaie +actuelle. Collège illustre entre tous et qui eut pour élèves Jean +Gerson, Ramus, et nombre de savants et professeurs fameux. + +C’était aussi le collège de la noblesse au XVIᵉ siècle avant les succès +des jésuites. Henri de Valois, Henri de Bourbon et Henri de Guise y +étudièrent en même temps et y reçurent un jour, en 1568, la visite du +roi Henri II. + +Le roi de France était de fondation le premier boursier de Navarre et +l’argent de sa bourse était affecté à l’achat des verges _nécessaires_ +aux études. Navarre possédait une belle entrée sur la rue de la +Montagne-Sainte-Geneviève, un beau porche décoré de statues s’ouvrant +dans une ligne de pignons gothiques. Navarre, à la Révolution, fut réuni +à Boncourt et devint l’École Polytechnique. + +_Collège de Boncourt_, fondé en 1353 par Pierre de Boncourt. + +_Collège de Tournai_, réuni à Navarre en 1638. + +_Collège de Presles_, fondé en 1313 par Raoul de Presles. + +_Collège du Plessis_, fondé en 1322 par Geoffroy du Plessis, uni à la +Sorbonne en 1646, prison en 93. Ce collège a été rasé pour les nouveaux +bâtiments de Louis le Grand. + +[Illustration: ENTRÉE DU COLLÈGE DE NAVARRE] + +_Collège des Écossais_, fondé en 1323 par l’évêque de Murray en Écosse. +Prison en 93, où Saint-Just au 9 thermidor fut écroué. Les bâtiments +occupés par une institution existent encore devant la rue Clovis. + +_Collège d’Hubant_ ou de l’_Ave Maria_, fondé en 1336 par Jean Hubant, +conseiller du roi, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. + +_Collège Saint-Michel_, rue de Bièvre, 12, fondé en 1348 par Guillaume +de Chanac, évêque de Paris. + +_Collège des Trois-Évêques_ ou _de Cambrai_, fondé en 1348 par les +évêques de Langres, de Laon et de Cambrai; démoli en 1774 pour le +collège de France. + +[Illustration: L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE EN 1814] + +_Collège de Beauvais_, fondé en 1370 par le cardinal Jean de Dormans, +évêque de Beauvais, pour douze boursiers de Dormans ou de Soissons. +Après l’expulsion des Jésuites au XVIIᵉ siècle, les boursiers du collège +de Beauvais passèrent à Louis le Grand, et ses bâtiments furent affectés +au collège de Lisieux. A la Révolution, ils devinrent magasins +militaires, puis caserne dite de Lisieux. La caserne ayant été +supprimée, les bâtiments ont disparu, mais la chapelle subsiste rue +Saint-Jean-de-Beauvais; restaurée après la démolition de la Caserne, +elle est affectée aujourd’hui à l’église roumaine. + +_Collège de Fortet_, fondé en 1397, berceau de la Ligue et du conseil +des Seize. + +_Collège de Sainte-Barbe_, fondé en 1420; le collège vit arriver au XVIᵉ +siècle un étudiant espagnol de trente-sept ans, déjà docteur de +l’université de Salamanque, Ignace de Loyola, qui devait devenir le +fondateur de la société de Jésus. + +_Collège de Reims_, fondé en 1412 par l’archevêque de Reims, reconstruit +au XVIIIᵉ siècle et réuni à Sainte-Barbe. + +_Collège de Bayeux_, fondé en 1308 par Guillaume Bonnet, évêque de +Bayeux, pour des boursiers du Mans et d’Anjou. + +_Collège de Laon_, fondé en 1327 par Guy de Laon, trésorier de la +Sainte-Chapelle. + +_Collège de Montaigu_, fondé en 1314 par le cardinal de Montaigu, évêque +de Laon. + +_Collège de Narbonne_, fondé en 1307 par Bernard de Fargis, archevêque +de Narbonne. + +_Collège de France_ ou _collège Royal_, dit d’abord Collège des Trois +Langues, fondé en 1529 par François Iᵉʳ pour les hautes études. + +_Collège de Tréguier_, fondé en 1325. + +_Collège de Grassins_, fondé en 1571 par Pierre Grassins, conseiller au +Parlement. Ce collège innova au XVIIIᵉ siècle le palmarès; il en reste +une porte, rue Laplace, ancienne rue des Amandiers. + +_Collège de Bourgogne_, fondé en 1332 par la reine Jeanne, femme de +Philippe V, rue des Cordeliers, acheté en 1769 par l’Académie Royale de +Chirurgie, aujourd’hui École de médecine. + +_Collège Mignon_, fondé en 1345, appartenant aux religieux de l’ordre de +Grammont, chapelle reconstruite en 1749, transformée aujourd’hui en +imprimerie. + +_Collège du Cardinal Lemoine_, fondé en 1297 par le cardinal Jean +Lemoine. + +_Collège des Bons-Enfants Saint-Victor_, XIIIᵉ siècle. Ce collège eut +pour principal, au XVIIᵉ siècle, saint Vincent de Paul. Il fut +transformé plus tard en séminaire et devint prison en 93. + +_Collège de Justice_, fondé par Jean de Justice, chantre de Bayeux, +chanoine de Paris, pour huit écoliers du diocèse de Rouen et quatre de +Bayeux. + +_Collège des Trésoriers_, fondé en 1269 pour vingt-quatre écoliers par +le trésorier de Notre-Dame de Rouen. + +_Collège de Calvi_, démoli au XVIIᵉ siècle pour la Sorbonne. + +_Collège d’Harcourt_, fondé en 1200 par des membres de la famille +d’Harcourt, qui possédait près de là un hôtel. + +_Collège de Cornouailles_, fondé en 1317. + +_Collège de la Marche_, fondé en 1362 par Guillaume de la Marche, +chanoine de Toul. + +_Collège d’Arras_, fondé en 1332 par l’abbé de Saint-Wast d’Arras. + +_Collège de Tours_, fondé en 1333 par Étienne de Bourgueil, archevêque +de Tours. + +_Collège d’Autun_, fondé en 1337, rue Saint-André-des-Arts. + +_Collège de Boissi_, fondé en 1356 par Guillaume de Boissi pour +«étudiants pauvres et de basse extraction» de la famille de Boissi ou +natifs de Boissi-le-Sec. + +_Collège de Dainville_, 1380; _collège de Seez_, 1427; _collège du +Mans_, 1519. + +_Collège de Mᵉ Gervais_, fondé en 1371 par Gervais Chrétien, chanoine de +Bayeux et médecin de Charles V. + +_Collège Mazarin_ ou _des Quatre-Nations_, devenu le palais de +l’Institut. + +La plupart de ces collèges, on le voit, datent du XIIIᵉ ou des premières +années du XIVᵉ siècle. + +Ces fondations ainsi que les dons et legs destinés à l’entretien des +professeurs et des boursiers apportaient remède à la misère des +écoliers, si souvent relatée dans les documents du XIIIᵉ siècle, qui +nous montrent bien des fois le pauvre écolier allant au cours le ventre +vide, puis quêtant aux portes des couvents, ou ramassant les rebuts des +halles qu’il fait cuire tout en repassant ses cahiers dans le froid +taudis où il loge. + +Il faut ajouter à cette liste les collèges religieux où les couvents des +différents ordres envoyaient leurs novices pour compléter leurs études +dans Paris, centre des lettres et des sciences. Ce sont: + +Le _Grand collège des Bernardins_, fondé en 1244 par les moines de +l’abbaye de Clairvaux et de l’ordre de Cîteaux. + +Le _collège de Marmoutiers_, pour les religieux de Marmoutiers, fondé en +1327, passé aux jésuites en 1641. + +Le _collège des Prémontrés_, fondé en 1283 pour les chanoines réguliers +de l’abbaye de Prémontré dans la forêt de Coucy. La chapelle subsiste +près des Cordeliers. + +Le _collège de Cluny_, fondé en 1269, séminaire de l’ordre illustre qui +comptait plus de deux mille maisons en Europe. Le collège de Cluny +possédait un cloître superbe et une très belle église, ajourée comme la +Sainte Chapelle; après la Révolution le peintre David en fit son +atelier. + +Le _collège de la Merci_, fondé en 1516 pour les religieux de cet ordre. + +[Illustration: ANCIENNE CHAPELLE DU COLLÈGE MIGNON] + +Quartier de contrastes, cette ville particulière de l’_Université_, +quartier de _moinerie_ et de _clergie_, où moines et clercs se coudoient +par les rues que bordent de hautes constructions sévères; où les +cloîtres sont proches voisins des tavernes d’écoliers, où passent tant +de frocs de tout ordre et de toutes sortes, cachant sous le capuchon des +fronts plissés par la méditation ou de béates figures épanouies par les +satisfactions matérielles, Claude Frollos ou Gorenflots; ville +tranquille des études, ville agitée des étudiants, où bouillonne une +jeunesse avide de science, et aussi,--malheureusement pour le repos des +couvents ses voisins--jeunesse amoureuse de bruit et de gaîté dans +l’intervalle des sévères études, jeunesse remuante et turbulente, +jalouse de ses droits et privilèges, souvent en lutte avec ses recteurs, +en dispute perpétuelle quand ce n’est pas en guerre ouverte avec les +moines de la grande abbaye de Saint-Germain des Prés. + +Fixés par diverses ordonnances royales, depuis Philippe-Auguste, les +privilèges de l’Université sont nombreux et importants: privilèges de +protection quand l’écolier est attaqué, privilège de justice +particulière quand il s’agit de délits commis par les écoliers. Tout +homme qui blesse un clerc est frappé d’excommunication et n’en peut être +relevé que par le pape. Hors le cas de flagrant délit, les écoliers ne +peuvent être arrêtés, ils ne sont justiciables que de la justice +ecclésiastique ou de l’Université. + +Et cette Université savait soutenir ses clercs et maintenir ses +privilèges. On le vit bien souvent à l’occasion de désordres d’écoliers +débauchés et batailleurs. + +Ces écoliers sans le sou, toujours en quête de ressources, amis des +_repues franches_, comme dit Villon, avaient souvent dispute avec +hôteliers et marchands, et par suite maille à partir avec les archers du +Prévôt de Paris. Le prévôt Hugues Aubryot, en reconstruisant le petit +Châtelet au Petit-pont, avait, sous la voûte, ménagé deux petites geôles +pour messieurs les clercs auxquels ses archers dans les bagarres +devaient mettre la main sur le collet. Et ce prévôt, qui n’aimait pas +beaucoup les écoliers, avait donné à ces deux cachots par dérision les +noms de _clos Bruneau_ et de _rue du Fouarre_. + +Souvent des batailles ensanglantaient les tavernes où s’entassaient ces +clercs, futurs prêtres ou docteurs, les cabarets hantés par les filles, +des bagarres s’engageaient aux carrefours où quelques mauvais écoliers +se transformaient en tirelaines vulgaires. + +L’Université alla quelquefois, pour défendre ses droits et privilèges, +lorsqu’elle les croyait menacés ou méconnus, jusqu’à fermer ses collèges +et cesser ses cours. En 1230, l’affaire fut plus grave, l’Université +abandonna Paris, ville hostile et ennemie. «En cet an même, dit +Joinville, grande dissension mut à Paris entre les clercs et les +bourgeois et les bourgeois occirent aucuns des clercs par quoi +l’Université se départit et issit hors de Paris et allèrent en diverses +provinces.» + +Ce fut au grand chagrin de saint Louis. Il s’agissait d’une bataille +entre écoliers et habitants du faubourg Saint-Marceau, à la suite de la +mise à sac d’un cabaret par les écoliers; ceux-ci avaient blessé et tué +des bourgeois, les archers accourus, trouvant de la résistance de la +part des écoliers en fureur, à leur tour blessèrent ou tuèrent. + +Plusieurs fois des bagarres semblables donnèrent lieu à des demandes de +réparations de la part de l’Université et créèrent des conflits +interminables. Il ne s’agissait pas toujours de simples tumultes: en +1303, le prévôt de Paris Pierre le Jumeau ayant fait justice d’un +étudiant assassin il en résulta une énorme émotion au Pays des Études, +où tous les cours furent suspendus et les collèges fermés. A +l’Université réclamant son justiciable se joignit l’autorité +ecclésiastique qui le réclamait aussi, le supplicié étant tonsuré et +l’on vit un matin une longue et interminable procession de tous les +chanoines, prêtres et clercs de Paris se diriger solennellement, croix +et bannières des paroisses en tête, vers l’hôtel du Prévôt. Devant +l’hôtel fermé les formules d’excommunication furent prononcées et +aussitôt après chaque prêtre ou clerc lança une pierre dans les huis ou +les fenêtres immédiatement enfoncées. + +[Illustration: L’AMENDE HONORABLE DES HUISSIERS DU CHATELET AUX +AUGUSTINS] + +Le malheureux prévôt fut obligé de dépendre son criminel et de donner un +baiser sur la bouche du cadavre, puis de s’en aller à pied à Avignon se +faire relever de l’excommunication. + +Encore en 1408, le même fait se reproduisit; deux écoliers voleurs et +assassins ayant été, pour crimes patents, condamnés et pendus par le +prévôt de Paris, l’Université réclama hautement et menaça encore de +fermer les Écoles; finalement le prévôt de Paris fut condamné à répéter +la réparation de son devancier, à s’en aller détacher les deux écoliers +du gibet où ils se balançaient depuis quelque temps déjà et à faire en +signe d’amende honorable le simulacre de leur donner un baiser sur la +bouche. Il dut ensuite placer les deux cadavres sur un char drapé de +noir et les conduire processionnellement, prêtres et religieux en tête, +suivis de tous les archers de la prévôté, jusqu’au Parvis Notre-Dame +pour les présenter à l’évêque de Paris, puis de là au couvent des +Mathurins, pour les remettre au recteur de l’Université qui fit inhumer +les deux assassins dans l’église des Mathurins. + +En 1440, un maître de théologie nommé Aimeri, poursuivi pour quelque +méfait, ayant cru pouvoir recourir au droit d’asile de l’église des +Grands-Augustins, les huissiers ou sergents du Châtelet violèrent cet +asile; ils entrèrent dans le couvent de haute lutte et enlevèrent le +délinquant malgré la vive résistance opposée par les moines. L’un de +ceux-ci, par malheur, resta sur le carreau. + +Grande rumeur au pays latin, les Augustins firent agir l’autorité +ecclésiastique, l’Université réclama énergiquement et reprit sa grande +menace de fermeture des Écoles. Elle obtint satisfaction; suivant arrêt +du prévôt de Paris, les sergents envahisseurs Jean Bayard, Gillet +Rolland et Guillaume de Besançon vinrent pieds nus, en chemise et un +cierge à la main, suivis de tous les huissiers du Châtelet, faire à +genoux trois solennelles amendes honorables devant les religieux +Augustins et les dignitaires de l’Université, au Châtelet d’abord, +ensuite au couvent sur le lieu du meurtre et sur la place Maubert, après +quoi ils furent bannis. En témoignage de leur victoire, les Augustins +firent encastrer dans le mur extérieur de leur couvent sur le quai un +bas-relief représentant l’amende honorable des huissiers[C]. + +Les assemblées générales de l’Université se tenaient depuis les premiers +jours dans l’église Saint-Julien le Pauvre, bientôt trop étroite pour la +foule universitaire. C’est là que, suivant ordonnance de Philippe le +Bel, le prévôt de Paris venait, tous les deux ans, prêter serment +d’observer et de faire observer les privilèges des maîtres et des +écoliers. Les élections des dignitaires, des délégués de la faculté des +arts pour la nomination du recteur, et l’élection du recteur se +faisaient également dans l’église hospitalière, et non quelquefois sans +dommage pour elle, car elles étaient souvent troublées par des disputes +graves, dégénérant vite en bousculades et en batailles, au cours +desquelles, plus d’une fois, de turbulents écoliers enfoncèrent les +portes et firent dans l’église d’importants dégâts. + +La foire du Landit ouvrant chaque année au mois de juin entre le village +de la Chapelle et celui de Saint-Denis, sur le territoire de l’abbaye de +Saint-Denis, fut bien souvent le théâtre de désordres occasionnés par +les écoliers. + +L’Université entière, maîtres et élèves, avait pour coutume de s’y +rendre en une immense procession, longue troupe bruyante de quinze ou +vingt mille étudiants, dont l’avant-garde était déjà au champ de foire +quand, disait-on, le recteur n’avait pas encore quitté Saint-Julien le +Pauvre ou les Mathurins. + +Les écoliers arrivés au Landit officiellement, avec leurs professeurs, +pour s’approvisionner de livres et de parchemins, se répandaient ensuite +dans le champ de foire aux mille échoppes et tentes, parmi l’innombrable +affluence de gens de toute sorte, marchands et taverniers, bourgeois et +artisans, ribaudes et malandrins; et se laissaient aller dans la cohue, +dans la licence de la fête, à bien des tentations. + +Aux écoles de droit du clos Bruneau, on n’enseignait alors que le droit +ecclésiastique; le droit civil en ce temps où la coutume avec son +extraordinaire variété régnait seule, ne constituant pas encore une +science régulière. Ces écoles, trop à l’étroit dans leur maison +originaire, l’avaient vendue pour mieux s’installer à côté. Au XVIᵉ +siècle, Robert Estienne, fondateur de la dynastie des Estienne, ces +illustres imprimeurs, établit son imprimerie dans la vieille maison des +décrétales, à l’enseigne de Saint-Jean-Baptiste et aussi de l’olivier, +la marque de ses livres. On raconte qu’il avait pour coutume d’accrocher +aux vitrages de sa maison sur la rue, les épreuves corrigées des livres +en cours d’impression, pour que les doctes passants, escholiers et +professeurs, pussent les lire. Il y avait une prime pour qui signalait +une faute oubliée. François Iᵉʳ, protecteur des lettres, et en +particulier protecteur d’Estienne qu’il avait nommé imprimeur royal pour +le grec, vint plus d’une fois faire visite à l’officine de +l’imprimeur-éditeur, d’où sortaient tant de savantes éditions et de +beaux livres illustrés. + +[Illustration: PORTE DU COUVENT DES GRANDS-AUGUSTINS] + +[Illustration: CLOITRE DU COLLÈGE DE CLUNY] + + +II + + La chasse aux Huguenots de la petite Genève.--Mort de Pierre + Ramus.--La Ligue.--Formation du Conseil des Seize au collège + Fortet.--Les curés ligueurs.--La journée des + Barricades.--Escarmouches autour de la place Maubert.--Le comte de + Brissac bon sur le pavé.--La Commune blanche.--Misères des Écoles + pendant le siège.--Étudiants tirelaines.--Transformation du Pré aux + Clercs.--Comment la reine Marguerite faisait faire ses + pénitences.--La chapelle des Louanges. + +Maintes fois, dans les troubles politiques des XIVᵉ et XVᵉ siècles, +l’Université était entrée en scène, et ses docteurs avaient joué un rôle +important, assez triste au temps de Jeanne d’Arc et de la guerre +anglaise, par l’appui donné aux Bourguignons d’abord, puis au duc de +Bedfort, régent pour Henri V, roi de France et d’Angleterre. + +[Illustration: LA PORTE DE NESLE] + +Au XVIᵉ siècle, elle se jeta violemment dans les querelles religieuses. +Écoliers et maîtres se montrèrent fougueux catholiques et ligueurs + +[Illustration: AU QUARTIER DES ÉCOLES] + +déterminés, les protestants en eurent maintes preuves aux nombreuses +échauffourées qui se produisirent à l’occasion de réunions huguenotes ou +de prêches clandestins, découverts et assaillis par des bandes +d’écoliers, à la mise à sac de maisons protestantes dans le faubourg +Saint-Germain, aux désordres du Pré aux Clercs, et à l’échauffourée de +l’église de Saint-Médard, quand les protestants rassemblés en grand +nombre dans la maison du Patriarche, voisine de l’église, voulant faire +taire les cloches que l’on sonnait exprès à toute volée pour troubler +leur prêche, assaillirent l’église, et firent le siège du +clocher,--véritable bataille enfin dont les protestants sortirent +vainqueurs et où le temple mit l’église à sac. + +Alors sur la vieille place Maubert où aboutissent les rues écolières du +Clos Bruneau, de Saint-Victor, du mont Saint-Hilaire, de la Montagne +Sainte-Geneviève, grand carrefour réceptacle, recevant pour les tumultes +fréquents les bandes dégringolant des collèges, une potence se dresse +non loin de la croix du carrefour Saint-Victor. Maintes fois de pauvres +huguenots viennent y prendre la place des malandrins justiciés pour +leurs crimes; et l’on voit aussi à côté de la potence s’élever des +bûchers pour quelques victimes jugées dignes d’un plus cruel supplice, +ministres protestants, religionnaires connus, comme Étienne Dolet, +l’imprimeur brûlé avec ses livres en 1546. Et quelquefois aussi de +l’autre côté de la montagne écolière d’autres bûchers flambent devant +l’abbaye de Saint-Germain sur la place où s’élève le pilori abbatial. + +[Illustration: LE CADAVRE DE RAMUS TRAINÉ A LA SEINE] + +A la Saint-Barthélemy, quand les haines particulières, sous couleur de +religion, se donnent libre carrière, périt un des maîtres célèbres de +l’Université, Pierre Ramus, principal du collège de Presles. Pour avoir +un peu bousculé les idées philosophiques de son temps et les +sorbonnagres confits en Aristote, ce maître novateur s’était attiré bien +des haines; déjà, pendant les persécutions contre les réformés, Ramus +avait été obligé de s’enfuir et l’on avait profité de son absence pour +piller sa bibliothèque. Il faut dire aussi que, lors des troubles +survenus au Pré aux Clercs, il avait, de son côté, fortement chauffé +l’animosité des écoliers contre l’Abbaye de Saint-Germain. + +Rentré à son collège, Ramus fut, le surlendemain de la Saint-Barthélemy, +découvert caché au fond des caves et mis à rançon d’abord; mais la bande +d’assassins, recrutée par ses ennemis dans les bas-fonds de la populace, +revint à la charge, l’égorgea tout de même, traîna le pauvre cadavre nu +jusqu’à la Seine, et l’y précipita pour aller rejoindre les corps +ensanglantés que depuis deux jours la Seine charriait vers les îles de +Grenelle, où des fossoyeurs les recueillaient pour les jeter en de +grandes fosses. + +A l’époque de la Ligue, professeurs de l’Université, moines des +couvents, curés des paroisses rivalisent de zèle pour la Sainte-Union, +et manifestent des sentiments hautement guisards. Les frères prêcheurs +ou jacobins fournissent les plus furieux de ces prédicateurs qui mettent +la hallebarde et l’arquebuse aux mains des bourgeois fanatisés. Les +curés des paroisses luttent avec eux d’éloquence dans ces étranges +sermons où les grossièretés, les traits ridicules sur les textes de +l’Écriture appliqués aux événements, se mêlent aux provocations ouvertes +à la sédition et au meurtre. Parmi ces curés se distinguent surtout ceux +de Saint-Séverin et de Saint-Benoît, qu’un jour Henri III veut faire +arrêter et que la populace ameutée défend. + +Au collège Fortet, rue des Sept-Voies, chez Jean Boucher, curé de +Saint-Benoît, dans la grande salle d’un corps de logis qui existe +encore, appuyé par des contreforts et flanqué d’une haute tourelle +d’escalier, se réunit une assemblée de quatre-vingts personnes, prêtres, +gentilshommes, procureurs, bourgeois, tous animés du même zèle +catholique et guisard, qui organisèrent puissamment le parti de la +Ligue, dans Paris divisé en seize quartiers, en donnant comme chefs aux +Parisiens le fameux conseil des seize. Chacun de ces Seize répondait de +son quartier et faisait marcher les milices bourgeoises dirigées par des +chefs inférieurs, centeniers et dizeniers. Parmi ces fougueux Ligueurs, +ces quarteniers qui tenaient Paris à la façon des chefs cabochiens, il +se voyait d’étranges figures comme ce procureur ancien maître d’armes +Bussy Le Clerc, comme Lachapelle-Marteau, maître des comptes ou Crucé, +autre procureur, et des curés de paroisse, c’est-à-dire des agents des +Guise travaillant à porter sur le trône une nouvelle dynastie, des +politiciens forcenés, qui ayant trop de sang aux mains pour reculer, +finirent, quand ils entrevirent la ruine, par vendre leur pays à +l’Espagne. + +Dans ces fureurs catholiques et guisardes on peut démêler aussi le vieil +esprit révolutionnaire des Parisiens, et il se trouvait bien des +éléments démagogiques. Ce fut deux siècles avant la Commune rouge de +93, quelque chose comme une Commune blanche qui sortit de cette maison +si paisiblement bourgeoise aujourd’hui. + +Simple rapprochement. Sous le collège Fortet, le cimetière de +Saint-Étienne du Mont occupait un terrain en triangle irrégulier. Là, +sous les fenêtres de ce curé Boucher qui fut une espèce de Marat de la +Ligue, vint échouer le corps du Marat de 93, après un séjour au +Panthéon, non jeté à l’égout comme on l’a dit, mais balayé des caveaux +et enterré nuitamment dans le vieux cimetière. + +Le collège Fortet donna donc dix années d’effroyable anarchie, dix +années de troubles, de luttes sourdes, quand ce n’était point guerre +ouverte, dix années pendant lesquelles Paris vécut en pleine révolution +et parfois en pleine terreur. + +C’est bien en vain qu’Henri III essaie de s’attacher les couvents par +des dons nombreux et fait procession sur procession, comme celle où il +va, avec ses mignons, tous revêtus de la cagoule des pénitents, chantant +des psaumes, recevant et donnant des coups de discipline, depuis les +Grands-Augustins jusqu’à Notre-Dame, sous une pluie battante. La Ligue +lui répondra par d’autres processions où les moines, au lieu de +disciplines, porteront la cuirasse et la hallebarde. Le roi est d’abord +ouvertement attaqué, méprisé, insulté dans la chaire et dans la rue; les +prédicateurs de la Ligue proclament journellement la nécessité d’en +finir par le fer avec lui. + +Il survient bien quelques rares périodes d’accalmie, mais elles sont +suivies d’une recrudescence de rébellion, de secousses soudaines comme +la journée des Barricades et la fuite du roi, puis éclate le coup de +théâtre de l’assassinat des Guises à Blois, auquel répond la déchéance +du roi proclamée solennellement par le Parlement et la Sorbonne, qui +délient les sujets de l’obéissance. + +Les Seize enfin organisent le régime terroriste, jettent en prison les +tièdes, accrochent aux potences ceux qui osent élever la voix contre +leurs décisions; ils arment des milices bourgeoises, des bataillons +populaires pour marcher à côté des troupes espagnoles contre l’armée +royale, contre Henri III d’abord, et contre le Béarnais son successeur, +quand Jacques Clément a enfin exécuté ce que tant de fois les +prédicateurs ont demandé. + +A la journée des Barricades, les écoliers se signalèrent sous la +conduite du comte de Brissac; ils prirent les armes et barricadèrent la +place Maubert pendant que Cordeliers et Jacobins, réunis aux bourgeois, +escarmouchaient au carrefour Saint-Séverin. + +M. de Brissac satisfaisait une rancune personnelle en s’attaquant au +roi. Pour quelques revers éprouvés par lui, en combats sur mer ou en +batailles sur le plancher solide des gendarmes, Henri III avait dit +qu’il n’était bon ni sur la terre ni sur l’eau. Furieux du mot, Brissac +se jeta plein d’ardeur dans la rébellion parisienne. + +--Pour le moins, dit-il, le roi saura que j’ai trouvé mon élément et que +je suis bon sur le pavé! + +Il le prouva bien avec ses écoliers, en recevant vigoureusement les +troupes royales à coups d’arquebuse, en les repoussant la pertuisane +dans le flanc, sous la grêle des pavés qui leur tombait des fenêtres, et +il ne tint pas à lui de le prouver encore davantage, quand l’affaire fut +bien en train dans tout Paris, en prenant le Louvre avec les bandes +écolières, avec les troupes de moines armés et casqués, marchant mèches +allumées, les prédicateurs en tête, pendant que d’un autre côté, le duc +de Guise conduisait les bourgeois de la rive droite, les compagnies de +la rue Saint-Denis. Par bonheur pour lui, Henri III put sortir à temps +et courir jusqu’à Saint-Cloud, où le rejoignirent les troupes qui +décampaient de la ville guisarde. + +[Illustration: LE COUVENT DES GRANDS-AUGUSTINS, LA PROCESSION DE HENRI +III] + +Cependant l’Université, qui s’est jetée à corps perdu dans le mouvement +de la Ligue, en souffre bientôt d’une terrible façon. Les études sont +mortes, les collèges sont presque abandonnés, les écoliers peu à peu se +dispersent, ceux venus de l’étranger ou des provinces sont retournés +chez eux, les autres meurent de faim ou se font soldats. Élèves et +maîtres cèdent la place à des troupes espagnoles casernées dans les +vieux logis de la science. Les rues des études retentissent des tambours +du duc de Féria, on voit dans les cours des collèges, au lieu de régents +et d’écoliers, des bourgeois en train d’apprendre, sous la direction de +quelques lansquenets, le maniement de la pique ou du mousquet. Les +locaux non confisqués par les troupes s’emplissent de paysans des +environs de Paris, réfugiés ici avec leurs meubles et leurs bestiaux. + +C’est la guerre civile qui se prolonge avec toutes ses misères, c’est +Paris assiégé. On a fait roi sous le nom de Charles X le cardinal de +Bourbon, abbé de Saint-Germain des Prés; celui-là mort, on en veut faire +un autre qui ne soit pas le Béarnais. + +[Illustration: JOURNÉE DES BARRICADES. LES ÉCOLES DESCENDANT A LA PLACE +MAUBERT] + +Moines et sorbonnagres n’ayant plus à déclamer contre Henri III, «_ce +vilain Hérode, concierge du Louvre, marguillier de Saint-Germain +l’Auxerrois et de toutes les églises de Paris, gauderonneur des collets +de sa femme et friseur de ses cheveux, etc._,» donnent de toute leur +fureur contre Henri de Navarre, suppôt de l’enfer, dont l’armée enserre +Paris. Le conseil de la Sainte-Union pèse par la terreur comme un comité +de Salut public sur tous ceux qui, par raison, par politique ou par +fatigue, voudraient un accommodement. On a pendu le prudent Brisson et +on menace de pendre ou daguer tout ce qui ne marche pas d’enthousiasme +avec les Seize. + +«Fut-il jamais tyrannie et domination pareille à celle que nous voyons +et endurons? dit la Satire Menippée, composée en secret pendant cette +dure période par quelques braves Parisiens qui préparent la révolte du +bon sens, où est l’honneur de notre Université? + +«Où sont nos collèges? où sont les escholiers? où sont les religieux +étudiants aux couvents? Ils ont pris les armes et les voilà tous soldats +desbauchés... Où est la majesté et gravité du Parlement? + +«Avons-nous pas consommé peu à peu toutes nos provisions, vendu nos +meubles, fondu notre vaisselle, engagé jusqu’à nos habits pour vivoter +bien chétivement. Où sont nos salles et nos chambres tant bien garnies, +tant diaprées et tapissées. Nos banquets sont d’un morceau de vache pour +tout mets. Bienheureux qui n’a pas mangé chair de cheval et de chien, et +bienheureux qui a eu toujours du pain d’avoine et s’est pu passer de +bouillie de son vendue au coin des rues, au lieu où l’on vendait jadis +les friandises de langues, caillettes et pieds de mouton, et n’a pas +tenu à M. le légat et à l’ambassadeur d’Espagne que n’ayons mangé les os +de nos pères!...» + +Et quand tout fut terminé après tant d’années d’agitations sanglantes, +quand le roi Henri ayant en quatre années de chevauchées conquis son +royaume, ayant prononcé son abjuration à Saint-Denis et reçu la +sainte-ampoule à Reims, eut définitivement vaincu la Ligue, quand ses +troupes entrèrent dans Paris ruiné, affamé, dépeuplé, livré à bon prix +par ce même Brissac de la place Maubert, ce fut encore au quartier des +Écoles que se montrèrent quelques dernières velléités de résistance. + +Le Béarnais tant de fois maudit s’en allait à Notre-Dame, au milieu des +acclamations, les trompettes sonnant l’allégresse, les grosses cloches +mises joyeusement en branle, pendant que par la ville des magistrats +avec hérauts et trompettes couraient de carrefour en carrefour, +proclamer une amnistie générale. Au bruit, le quartier de l’Université +s’émut, quelques enragés ligueurs prirent leurs mousquets et même firent +mine de commencer une barricade devant Saint-Yves; Hamilton, le curé de +Saint-Cosme, sortit la pertuisane au poing, le capitaine Crucé réunit +une douzaine de ses vieux compagnons, et courut pour se saisir de la +porte Saint-Jacques, mais ils virent bientôt que tout était fini, que le +sentiment général de Paris, fatigué et désabusé, était contre eux et +qu’ils allaient être écrasés au premier choc. La proclamation de +l’amnistie les rassurant sur leur sort, ils jetèrent les armes et +rentrèrent chez eux. La Ligue avait vécu. + +Le XVIIᵉ siècle commençant trouva la plupart des collèges mal remis +encore des suites de la longue guerre civile. La Sorbonne confuse avait +fait sa soumission au roi; elle était en lutte alors avec les jésuites +dont les établissements prospéraient, et qui accaparaient les faveurs de +l’aristocratie. Quelques-uns des collèges, tombés en décadence et +couverts de dettes, n’avaient plus que quelques boursiers, six ou huit +et même moins. Plusieurs, par mauvaise administration, ne pouvaient même +plus subvenir à l’entretien de ces quelques boursiers, ni réparer les +bâtiments non entretenus depuis longtemps et tombant en ruines. + +Il advint plus d’une fois que le Parlement dut supprimer momentanément +les bourses pour laisser certains collèges obérés rétablir leurs +finances. Des désordres et des abus de toute sorte aggravaient encore +cette décadence. Des parties de collèges étaient louées à de la populace +aux mœurs peu recommandables et d’un contact dangereux pour les +étudiants. Certains régents ayant gardé le goût des armes, étaient +devenus de véritables bretteurs, et l’on revit, jusque sous Louis XIII, +des étudiants tirelaines s’en aller le soir attendre en quelques mauvais +carrefours, le passant attardé pour le détrousser et tirer de sa poche +de quoi payer le vivre et la débauche. + +Délaissant l’étude dont il n’était pas toujours besoin pour obtenir +grades et diplômes, que délivraient volontiers des docteurs aux oreilles +de qui quelques bons écus sonnaient mieux qu’un peu de science, +messieurs les écoliers, bottés et éperonnés, traînant l’épée comme des +soldats, s’en allaient mêlés aux pages et aux laquais par la ville, +cherchant et faisant naître au besoin les occasions de désordre, +profitant de toutes les cohues pour commettre mille insolences et se +permettre mille avanies, s’attaquant aussi bien aux femmes et filles des +bourgeois qu’à leurs bourses. + +La recrudescence de vogue de la foire Saint-Germain sous Henri IV leur +fournissait ces occasions d’un désordre agréable ou profitable. Toute +l’aristocratie, les seigneurs de la cour et le roi lui-même, accouraient +aux divertissements, amenant une suite nombreuse de pages et de laquais +dans la cohue bruyante. Les soirées de la foire de 1605 furent +particulièrement troublées. L’Estoile, dans son journal, rapportant les +excès commis aux tripots de la foire et dans les rues d’alentour dit que +laquais, écoliers, soldats se livraient de véritables petites batailles +rangées, si bien qu’un jour, des laquais ayant coupé les deux oreilles à +un écolier et les lui ayant mises dans sa poche, les écoliers furieux se +rassemblèrent pour le venger, et tombant en troupes armées sur les +laquais qu’ils rencontraient, en tuèrent ou blessèrent un grand nombre. +Quels délicieux chanoines, quels âpres procureurs, quels étranges +médecins devaient faire de pareils étudiants après de telles études! + +Voyons un peu les maîtres de ces escholiers, élite intellectuelle et +parfois tourbe désordonnée, jeunesse ardente qui bruit dans les vieilles +rues de la Montagne savante. Parmi ces maîtres, il y a dans le cours des +siècles des figures de toutes sortes, d’illustres philosophes, des +gloires de l’école dont le nom rayonne à travers les siècles et +d’humbles pédagogues enseignant le rudiment aux enfants, des lettrés de +toute envergure, d’austères docteurs et de simples marchands de soupe, +comme on dit maintenant. + +Après les maîtres des écoles épiscopales, Guillaume de Champeaux, Pierre +Comestor, Robert d’Arbrisselle, Roscelin de Compiègne, après Abélard +entraînant son camp de trois mille étudiants sur les pentes alors +plantées de vignes de la montagne Sainte-Geneviève, il y a d’autres +maîtres célèbres; il y a eu au XIIᵉ siècle Jean de Petit-Pont, +dialecticien et philosophe qui enseignait dans une maison bâtie sur le +Petit-Pont devant le premier Petit Châtelet construit par Louis le +Gros, au XIIIᵉ siècle; l’Italien saint Thomas d’Aquin, _l’ange de +l’école_, l’auteur de la _Somme_; maître Albert, le mystérieux Albert le +Grand des légendes, alchimiste et magicien, dont le nom est peut-être +rappelé, quoi qu’on en ait dit, par la place + +[Illustration: LA MISE A SAC DE L’ÉGLISE SAINT-MÉDARD] + +Maubert ou maître Albert, s’il est vrai que faute de salle assez grande +pour contenir les écoliers qui se pressaient à ses cours, il a enseigné +en plein air sur cette place, alors simple terrain vague,--ainsi que +faisait aussi un autre maître, Sigier de Brabant en la rue du Fouarre, +quand Dante proscrit de Florence, séjournant à Paris, venait se mêler à +la foule de ses auditeurs. + +La Sorbonne, du bon Robert de Sorbon, fournit au XIVᵉ siècle et au XVᵉ +siècle ces docteurs mêlés à toutes les intrigues politiques, à tous les +événements dramatiques des époques troublées, passant du parti d’Étienne +Marcel au parti du Dauphin, alliés du duc de Bourgogne ou du duc +d’Orléans, condamnant Jeanne Darc et affirmant les droits du roi +d’Angleterre à la couronne de France; elle nous donne ensuite ces grands +docteurs lancés à corps perdu dans les âpres luttes religieuses du +siècle de la Réforme. Alors le professeur quitte parfois la robe et +endosse la cuirasse pour conduire les escholiers aux émeutes, mais le +plus souvent il se contente, sans payer de sa personne, d’attiser le feu +des querelles par la parole ou la plume. Les haines sont terribles et +dans les désordres du temps trouvent le moyen de s’assouvir. Le pauvre +Ramus qui enseignait la philosophie au collège de Presles, en sait +quelque chose, lui qui sous prétexte de religion fut en réalité dagué en +l’honneur d’Aristote, par des assassins que lui envoyèrent des docteurs +rivaux. + +[Illustration: ÉBATS D’ÉCOLIERS AU MOULIN DES GOBELINS] + +Mais c’est aussi le siècle de la Renaissance des lettres, de l’antiquité +retrouvée, de la diffusion des sciences et des lettres antiques par +l’imprimerie; et ce sont des professeurs de Sorbonne qui ont introduit +l’imprimerie en France et favorisé l’établissement des premiers +ateliers sur la Montagne des études. Guillaume Fichet, recteur, et un +professeur de la nation d’Allemagne appelèrent à Paris, en 1569, trois +imprimeurs de Bâle et dans les bâtiments de la Sorbonne installèrent les +premières presses parisiennes, sous la surveillance officielle de la +Sorbonne. + +Au collège de France, collège royal pour l’avancement des sciences fondé +par François Iᵉʳ, professe Guillaume Budé, le savant helléniste et +nombre d’autres maîtres éminents. + +On trouve dans les collèges des maîtres qui sont durs et sévères à +l’écolier, mais qui impriment une bonne direction aux études et donnent, +par cette rigoureuse discipline, une forte et grave éducation. On y +trouve des humanistes pédants et doux très aimés, et aussi des +principaux qui sont tout le contraire, qui se moquent au fond des +lettres et des écoliers, d’âpres fonctionnaires que l’on peut accuser de +conduire leurs collèges avec rapacité, de ne pas pourvoir aux vacances +des chaires de professeurs pour s’en appliquer les traitements, et même +de se livrer au commerce des grades enlevés à coups de pistoles. + +Richelieu, grand maître de la Sorbonne, apporte de l’ordre dans cette +Université si profondément troublée par un siècle de bouleversements. +Dans l’antique maison de Sorbonne, reconstruite par lui, siègent les +docteurs en bonnet carré, les terribles ergoteurs que les aspirants aux +grades n’abordent qu’en tremblant. Qu’une belle perruque sous ce bonnet +carré complète bien les graves personnages et leur prête de la majesté! + +Le jansénisme plus tard viendra, dans le grand siècle régulier, apporter +quelques rumeurs discrètement adoucies des querelles religieuses +d’antan. Rollin, le bon et illustre principal du collège de Beauvais, +recteur de l’Université, est janséniste, et la lutte qu’il doit soutenir +se termine par son expulsion au milieu des larmes de tout le personnel +de son collège, maîtres et élèves. + +Tous ces collèges du moyen âge, de petit et de haut enseignement, les +uns prenant les écoliers enfants, après les écoles de paroisses, dès le +commencement de leurs études comme nos collèges d’aujourd’hui, les +autres simples nids de boursiers venant dans les collèges de plein +exercice conquérir leurs diplômes et se faire recevoir maîtres ès arts, +licenciés, docteurs, disparaissaient peu à peu dans le cours des deux +derniers siècles. + +Les collèges de moindre importance furent absorbés par les grands. En +1763, une réforme générale de l’Université décida la suppression des +derniers petits collèges et ne conserva que dix établissements: la +Sorbonne, Louis le Grand, Lisieux, Cardinal Lemoine, de la Marche, des +Grassins, d’Harcourt, de Montaigu, de Navarre et des Quatre Nations. Les +bourses et les titres de quelques-uns se maintenaient encore, mais leurs +boursiers appartenaient à ces dix collèges. La Révolution ne trouva que +ceux-là en exercice. + +On sait que Louis le Grand subsiste, que d’Harcourt est devenu +Saint-Louis et que le collège de Navarre, réuni à Tournai et à Boncourt, +est aujourd’hui l’École polytechnique. + +Ces collèges, prospères pour la plupart, avaient reconstruit leurs vieux +bâtiments du moyen âge ou les avaient transformés au XVIIIᵉ siècle. Ils +n’en étaient pas plus beaux ni plus gais, loin de là! Chez quelques-uns, +tristes geôles aux cours sombres enserrées de plus en plus dans les +grandes bâtisses et les maisons surélevées, la Révolution eut peu à +faire pour les changer en prisons. + +La Sorbonne, ce vieux collège de théologie du temps de saint Louis, +ayant fait sa soumission au roi Henri et désavoué publiquement et +solennellement tout ce qu’elle avait pu dire et faire au temps de la +_détestable rébellion de la Ligue_, était rentrée en grâce. On reconnut +l’insuffisance de ses vieux bâtiments, et le cardinal de Richelieu, qui +était proviseur ou grand maître élu de la Sorbonne depuis 1622, en +entreprit la reconstruction sur un vaste plan, en s’agrandissant aux +dépens de quelques petits collèges voisins. Un quadrilatère de bâtiments +solennels et tristes enferma une vaste cour, au fond de laquelle s’éleva +l’église, monument d’un style à la fois noble et solennel, élégant et +sévère qui semble bien cadrer avec la figure du grand cardinal. +L’édifice est de l’architecte Jacques Lemercier, la première pierre en +fut posée par Richelieu le 15 mai 1635. + +La coupole qui surmonte l’église lui donne malgré ses recherches +d’élégance une lourdeur triste qui va bien aussi au caractère de ce +temple de la théologie scolastique, antre antique de la fameuse Thèse +Sorbonnique, grande et petite, couronnement de dix ou douze ans +d’études, disputes et argumentations. Cette épreuve décisive durait +treize heures pendant lesquelles «sans boire ni quitter la place» le +patient, avant de recevoir son bonnet de docteur en Sorbonne, devait +tenir tête à tous les docteurs et ergoteurs de la maison se relayant de +deux heures en deux heures pour l’assaillir, l’attaquer de tous les +côtés, le retourner de toutes les façons. + +Jusqu’à la Révolution, la cloche de la nouvelle Sorbonne, comme celle de +l’ancienne, sonne le couvre-feu pour le quartier des Écoles. Villon le +dit: + +... Je ouys la cloche de Sorbonne + Qui toujours à neuf heures sonne... + +ce qui n’empêchait guère messieurs les clercs d’occuper leurs soirées +autrement qu’à repasser leurs cahiers et n’assurait point la +tranquillité des carrefours. + +Le terrible cardinal restaurateur de la Sorbonne a son tombeau dans +cette église, un mausolée de marbre, édifié sur les dessins de Le Brun +en 1694, avec son effigie sculptée par Girardon. Et la coupole de +Richelieu continue de planer sur la Sorbonne moderne encore une fois +renouvelée et agrandie, en train de pousser sur la vieille Montagne des +Études. + +Une autre coupole et un édifice d’un style moins sévère rappelle un +autre cardinal tout en donnant l’hospitalité à une fondation de +Richelieu. C’est la coupole du collège des Quatre-Nations aujourd’hui +palais de l’Institut, siège de l’Académie aux quarante fauteuils, créée +par le grand cardinal ministre, auteur de tragédies rimées moins fortes +que les drames réels de l’histoire où il mit la main. + +Par son testament de 1661, le cardinal Mazarin légua une forte somme, +dont deux millions affectés à la construction, pour la fondation d’un +collège Mazarin destiné à donner l’éducation à soixante gentilshommes +des provinces de Pignerol, d’Alsace, de Flandre et de Roussillon. Les +terrains de l’hôtel de Nesle furent achetés; avec un tas de vieux +bâtiments souventes fois rafistolés et d’une si pittoresque vétusté, on +jeta bas la porte de Nesle et aussi la vieille tour qui allait si bien à +ce côté de Paris, cavalièrement plantée là comme une aigrette sur un +casque, et bientôt, transformant radicalement ce vieux quartier à la +pointe du Pré-aux-Clercs, tels des alexandrins pompeusement alignés +succédant à des vers pittoresques de ballades à la Villon, s’élevèrent +les bâtiments en hémicycle, les pavillons d’angles à grands toits, la +façade à fronton et la coupole du collège des Quatre-Nations. Cette +coupole, c’était la chapelle au milieu de laquelle, comme Richelieu à la +Sorbonne, reposait Mazarin dans un riche mausolée sculpté par Coysevox, +transporté maintenant au Louvre. + +[Illustration: ANCIENNE BIBLIOTHÈQUE SAINTE-GENEVIÈVE] + +Sur la gauche et juxtaposés aux constructions du collège s’élevèrent en +même temps les bâtiments de la Bibliothèque Mazarine, collection formée +par les soins de Gabriel Naudé, ancien bibliothécaire de Richelieu, +laquelle, première bibliothèque ouverte au public à Paris, avait durant +la vie du cardinal occupé d’abord l’hôtel en pierres et briques du coin +des rues Vivienne et Neuve-des-Petits-Champs et s’était logée ensuite en +de nouvelles galeries construites au-dessus des chevaux de Son Éminence, +sur l’emplacement occupé par la Bibliothèque nationale actuelle. + +Les livres du cardinal, augmentés de beaucoup d’autres, sont encore +aujourd’hui dans les bâtiments grisâtres de la Bibliothèque Mazarine, au +fond des cours graves et silencieuses, si complètement en dehors du +courant bruyant de la vie moderne. + +La Révolution ferma ce collège de gentilshommes et l’utilisa comme tant +d’autres en prison. A côté de cette prison, dans les bâtiments où +siègent aujourd’hui les quarante, tint séance pendant quelque temps le +comité de Salut public, terrible prédécesseur des Académiciens +d’aujourd’hui. + +M. Cocheris rapporte qu’alors, au plus fort de la Terreur, un prêtre +proscrit caché dans une chambrette de l’édifice, dit chaque jour sa +messe juste au-dessus de la salle où siégeait le terrible comité. + +En 1795 on plaça ici l’École centrale, que vint remplacer peu après +l’École des Beaux-Arts, l’édifice s’acheminant peu à peu vers sa +définitive destination. Napoléon enfin, en 1806, l’attribua à l’Institut +de France. Ainsi Mazarin donnait l’hospitalité à Richelieu et l’Académie +Française depuis tant d’années vagabonde et jusqu’ici se réunissant en +des locaux peu en rapport avec sa dignité, trouvait enfin un domicile. + +Tout a bien changé aujourd’hui dans l’antique ville de l’Université, les +transformations du XVIIIᵉ siècle, le grand ouragan de la Révolution et +enfin les démolitions de notre époque ont tout bouleversé. Les écoliers +de toute nation écoutant les maîtres en la rue du Fouarre, assis sur des +bottes de paille, nous semblent aussi loin que les Mèdes et les Perses. + +[Illustration: LA SORBONNE] + +Et cependant il est encore sur la Montagne de science, dans les vieilles +rues laissées à l’écart dédaigneusement par les grandes voies modernes, +beaucoup de ces noires maisons, aux façades plus ou moins modifiées, se +cachant un peu honteuses parmi les bâtisses neuves, il est de vieilles +pierres qui ont vu les maîtres d’autrefois, les longues robes noires +des docteurs, les bonnets des sorbonnagres, les surcots râpés, les +souquenilles rapiécées des boursiers, et qui peuvent se rappeler les +tumultes des écoliers courant assiéger l’abbaye de Saint-Germain des +Prés, les moines et les écoliers, salade en tête, arquebuse à la main, +descendant aux barricades du XVIᵉ siècle ou aux émeutes de la Fronde, +comme plus tard des étudiants et des polytechniciens sont allés aux +barricades de 1830 et de 1848. + +Avant de loger les étudiants de Gavarni et de Murger, apprentis médecins +ou notaires, professeurs, avocats et pharmaciens, ces vieilles maisons +tant de fois rafistolées ont abrité d’innombrables générations +d’écoliers, dont les habits et les idées, les goûts et les +enthousiasmes, et les mœurs aussi, varièrent beaucoup plus qu’elles. +Néanmoins, les coins ayant gardé un peu la physionomie du Quartier Latin +deviennent très rares; il subsiste à peine, respecté par le boulevard +Saint-Michel, un petit morceau de la rue de la Harpe qui montait à la +porte Saint-Michel, un peu de la rue Saint-Jacques et des débris de rues +çà et là. + +Sont restés plus intacts les entours de Saint-Séverin et de Saint-Julien +le Pauvre, la rue de la Huchette, la rue de la Parcheminerie qui tire +son nom du dépôt des parchemins que l’Université allait acheter au +Landit, la rue Hautefeuille aux belles tourelles, la rue Serpente, +quelques ruelles du quartier Saint-André-des-Arts. + +D’autres ruelles noires et sinistres se retrouvent encore, rues de +populace, autour des anciennes écoles de Médecine, débouchant sur la +place Maubert transformée, qui voit en ce moment de grandes maisons de +rapport confortables et bourgeoises remplacer les antiques bâtisses des +XVᵉ et XVIᵉ siècles tombées en misère. + +Après la grande expropriation révolutionnaire de tous les édifices +religieux ou scolaires du quartier, la désaffectation des églises, +couvents, chapelles, collèges, et la démolition qui fut ensuite le sort +de la plupart de ces édifices, vinrent, pour donner le dernier coup à ce +qui avait pu échapper, les grands travaux d’édilité de notre époque. Le +boulevard Saint-Michel traversa inflexiblement tout un quartier de +vieilles rues serrées; par bonheur le palais des Thermes et l’hôtel de +Cluny ne se trouvèrent point sur son passage, car il les eût sans pitié +renversés. La rue des Écoles et le boulevard Saint-Germain ensuite +firent non moins rigoureusement leur trouée à travers tout ce qui se +trouva sur le tracé arrêté, bicoques quelconques ou édifices +intéressants. Pendant qu’on y était on opéra même des trouées à droite +et à gauche de la voie, achevant sans nécessité des édifices entamés +comme les sauvages égorgent des blessés sur un champ de bataille. Ainsi +disparurent la tour de la Commanderie de Saint-Jean de Latran et +l’église Saint-Benoît, de même que la rue Soufflot fit disparaître les +derniers débris du couvent des Jacobins et les ruines de l’antique +Parloir aux Bourgeois, annexe de leur réfectoire. + +Quelles traces retrouverait-on aujourd’hui des vieux collèges? Bien peu +de choses, tant de restes vénérables, de débris artistiques doublement +précieux, qui avaient survécu aux coups violents de la Révolution ont +été perdus par négligence, abandonnés à la spéculation, au vandalisme +privé, ou bien ont été abattus par le vandalisme officiel, par le pic et +la pioche des démolisseurs administratifs. Les sectateurs de +l’inflexible ligne droite, gens sans pitié ni merci, les sacrifiaient +pour des rues qui auraient certes gagné à s’infléchir un peu, pour des +boulevards d’une aride monotonie, qui n’ont pas consenti à s’orner de +monuments précieux par leurs souvenirs ou par leurs mérites artistiques. + +A part les deux dômes des cardinaux, on retrouve difficilement trace des +bâtiments universitaires d’antan. L’École polytechnique conserva presque +jusqu’à nos jours la vieille chapelle de Navarre et le grand bâtiment +gothique de la Bibliothèque qui lui faisait pendant de l’autre côté de +la cour; ces débris ont disparu il y a une trentaine d’années. Il reste +dans l’ancienne rue des Sept-Voies, aujourd’hui rue Valette, le collège +de Fortet, maison particulière, une façade du XVIIIᵉ siècle du collège +de la Mercy, rue des Carmes la chapelle des Irlandais; dans la rue de +Bièvre, une statuette de saint Michel au-dessus d’une porte indique +l’entrée de l’ancien collège Saint-Michel ou de Chanac dont le cardinal +Dubois fut boursier... + +On peut retrouver quelques maisons pour la plupart sans caractère +extérieur qui ont appartenu à d’autres collèges, mais ce sera tout, avec +la chapelle du collège Mignon, rebâtie en 1749, et la belle chapelle du +collège de Beauvais. + +Le local de la vieille école de médecine, rue de la Bucherie, à l’angle +de la rue du Fouarre, existe encore en partie. La vieille maison achetée +aux Chartreux au XVᵉ siècle fut modifiée et agrandie au XVIIᵉ siècle; +elle eut alors une certaine décoration extérieure sur la cour, des +frontons et des sculptures. A l’intérieur on y trouvait une grande salle +décorée des portraits des doyens, local pour les assemblées de la +Faculté, les élections et les examens, une rotonde d’amphithéâtre +terminée en coupole, des salles de cours, etc... Les vieux bâtiments aux +ogives gothiques sont aujourd’hui transformés en lavoirs et en +logements. A côté c’est encore pis, car la coupole abrite une maison +honteuse. + +Cette installation, très belle pour un lavoir, médiocre pour la Faculté +de médecine, fut abandonnée peu avant la Révolution pour les bâtiments +construits en face du couvent des Cordeliers, édifice à l’antique, comme +un temple grec et qui figure, comme on l’a dit, plutôt un temple à +Esculape qu’une école de médecine. + +Le fameux Pré aux Clercs, champ de promenade que les escoliers +considéraient comme leur propriété et qu’ils prétendaient leur avoir été +concédé par Philippe-Auguste, s’étendait sur d’immenses espaces le long +de la Seine à peu près jusqu’à l’Esplanade des Invalides actuelle. Le +mur de Paris aboutissant à l’aile gauche du palais de l’Institut avec la +tour de Nesle et sentinelle sur la berge, la campagne commençait là. Il +n’y eut d’abord de ce côté aucune construction dans les prairies d’où +surgissaient à peu de distance les murs crénelés et les flèches de +l’abbaye de Saint-Germain, puis au XIVᵉ siècle s’éleva le séjour de +Nesle, dépendance contenant les écuries et divers bâtiments de service +du grand hôtel de Nesle _intra muros_. + +Le Pré aux Clercs se subdivisait en deux parties: le petit pré, objet +des perpétuelles contestations entre les moines et l’Université, était +un champ irrégulier + +[Illustration: COUR DE L’ANCIENNE ÉCOLE DE MÉDECINE, RUE DE LA BUCHERIE. +ÉTAT ACTUEL] + +[Illustration: ORGANISATION DU CONSEIL DES SEIZE, AU COLLÈGE FORTET +(_aujourd’hui rue Valette, 21_)] + +circonscrit d’un côté par le séjour de Nesle et sur les autres faces par +la Seine, par le fossé de l’abbaye, maintenant rue Jacob, et par la Noue +ou petite Seine, le canal fournissant l’eau des fossés abbatiaux, et +représenté maintenant par la rue Bonaparte. Le grand pré aux Clercs, de +l’autre côté de la petite Seine, étendait au loin ses vallonnements +herbeux, verdoyants ici, pilés là-bas, coupés d’oseraies et de saulaies +sur les berges, déboulant en pente jusqu’aux roseaux. Ce n’était pas une +promenade régulière, bien peignée comme nous les arrangeons maintenant, +c’était la nature libre et fleurie à son gré, des champs d’herbe drue +pour les jeux, des sentiers serpentant capricieusement dans le vert ou +se perdant aux endroits battus par la foule. Des lignes de peupliers +fournissaient l’ombrage, et abritaient çà et là des cabarets de +campagne; sur la rive passaient les gros chevaux de halage pour la +nombreuse batellerie qui égayait la Seine. + +[Illustration: LES ÉCOLIERS PÊCHANT LE POISSON DE L’ABBAYE DE +SAINT-GERMAIN] + +Le petit pré aux Clercs, outre les bagarres entre écoliers et moines, +vit aussi se dérouler quelques scènes de l’histoire parisienne. Le champ +clos de l’Abbaye, la lice des combats judiciaires, entamait un peu ce +pré; le 30 mai 1357, pendant les troubles de la commune de Paris, après +la prise du roi Jean à Poitiers, le roi de Navarre, allié d’Étienne +Marcel, s’en vint sur un échafaud ou tribune, préparé sur les murs de +l’abbaye pour le roi de France quand il venait assister aux duels +judiciaires, parler aux Parisiens rassemblés dans le petit pré au nombre +de plus de dix mille. «Moult longuement sermonna et tant que l’on avait +dîné par Paris quand il cessa,» disent les grandes Chroniques de +Saint-Denis. Charles le Mauvais, roi de Navarre, essayait de tourner les +Parisiens à son parti, comme Marcel et les meneurs n’y étaient déjà que +trop portés.--«Contre le roi ni contre le duc (le Dauphin Charles, duc +de Normandie) il ne dit rien apertemment, toutefois dit-il assez de +choses déshonnêtes et vilaines par paroles couvertes.» + +Comme dans tous les temps de révolution, on «_haranguait_» beaucoup en +ce temps et sans parler de tous les discoureurs aux séances des états, +aux assemblées de l’Université, on vit le duc de Normandie, pour essayer +de ramener les Parisiens au parti royal, s’en aller en janvier 1358, +avec sept ou huit hommes seulement, haranguer à cheval le peuple +convoqué aux Halles. Pour contre-balancer l’effet de cette harangue sur +le populaire presque retourné, le prévôt des marchands organisa une +autre réunion--réunion publique contradictoire, comme on dirait +maintenant--à Saint-Jacques de l’Hôpital et fit parler dans cette séance +tumultueuse l’échevin Toussac, lequel parla si bien que les gens du +parti opposé durent se taire ou se retirer. Et peu après, en février, +Étienne Marcel ayant fait massacrer sous les yeux du Dauphin les +maréchaux de Champagne et de Normandie, monta à son tour haranguer d’une +fenêtre de la maison aux piliers, le peuple couvrant la grève, «moult +grand nombre de gens armés» qui l’approuvèrent et l’acclamèrent. + +Le grand pré aux Clercs, théâtre des ébats de la gent universitaire, fut +jusque sous Louis XIV la promenade favorite des Parisiens, quelque chose +comme le Bas-Meudon du moyen âge, un Bas-Meudon que l’on avait à sa +porte, à proximité de tous les quartiers centraux, de cette population +que l’agrandissement démesuré de Paris force aujourd’hui, pour +apercevoir un peu de verte campagne, à entreprendre un véritable voyage. + +Au temps de la Réforme, le Pré aux Clercs joua son rôle dans les +troubles. Tout Paris s’en allait aux belles soirées d’été respirer l’air +frais dans ces prairies gracieusement baignées par la Seine, dans le +paysage si magnifiquement encadré, vers le couchant, où tourne la +rivière, par de jolies collines verdoyantes, et de l’autre côté par le +hérissement superbe de la grande ville silhouettant ses tours +innombrables et ses clochers, le vieux Louvre, l’île du Palais, la +montagne Sainte-Geneviève, les abbayes, et couvrant la Seine de ponts +étranges chargés de maisons. + +Quelque soir des calvinistes et des écoliers à la promenade commencèrent +à chanter les psaumes de David mis en vers français par Clément Marot; +on écouta d’abord leurs chants avec curiosité, puis les écouteurs +entraînés se mirent à chanter aussi; le fait se reproduisit et l’on vit +bientôt chaque soir tous les promeneurs, formés en longs cortèges, +parcourir le pré au chant des psaumes. Des seigneurs de la cour, avec +eux Antoine de Bourbon, le roi de Navarre, et la reine, s’en vinrent +plusieurs fois de suite écouter ces chants et même faire leur partie +dans le chœur. Les catholiques se plaignirent et sollicitèrent des +ordres du roi pour faire cesser ces promenades chantantes, qui +menaçaient d’être bientôt une occasion de querelles et de désordres. + +[Illustration: COUPOLE DE L’ANCIENNE ÉCOLE DE MÉDECINE, RUE DE LA +BUCHERIE, ÉTAT ACTUEL] + +C’était en 1558, l’année que les étudiants eurent encore maille à partir +avec l’abbaye. On sait que les écoliers, excités par Ramus, prétendant +que les moines avaient tiré sur eux des coups de fauconneaux du haut de +leurs remparts, brûlèrent quelques maisons du pré. Pour ce fait +d’incendie, un écolier huguenot, Baptiste Croquoison, fut brûlé au Pré +aux Clercs et l’on n’obtint pour lui que la grâce d’être étranglé sur le +bûcher. + +A cette époque déjà la rue de Seine et quelques ruelles s’intercalaient +entre la porte de Nesle et le Pré aux Clercs et rejoignaient le faubourg +Saint-Germain, formé entre le rempart, l’abbaye et le chemin de +Vaugirard. En ce naissant faubourg Saint-Germain habitaient beaucoup de +huguenots, et ceux-là seulement des seigneurs huguenots venus à Paris +pour les noces d’Henri de Navarre, qui se logèrent chez leurs +coreligionnaires du faubourg, échappèrent à la Saint-Barthélemy. + +Certaines maisons du faubourg étaient particulièrement signalées à la +haine des catholiques, les protestants s’y réunissaient pour des +cérémonies religieuses et, à l’occasion, pour des conciliabules +politiques. Des catholiques ardents, des écoliers rôdant en quête de +tumultes, surprirent plus d’une fois le secret de ces réunions. Alors +des foules ameutées assiégeaient ces maisons protestantes, tuant et +pillant, aidées par les archers du guet accourus au bruit, lesquels +traînaient aux prisons les malheureux huguenots hommes ou femmes, +échappés à la populace. + +[Illustration: TOURELLE DES CHARTREUX] + +Quelquefois les catholiques avaient affaire à forte partie, en cette +petite Genève comme on appelait la rue des _Marais_, maintenant +_Visconti_, au petit Pré aux Clercs, qui était un véritable centre +protestant, et où certaines maisons communiquaient entre elles par des +passages secrets pour faciliter les évasions en cas d’alerte. A +l’attaque de la maison d’un sieur le Vicomte, deux gentilshommes +chargèrent avec une telle furie les assaillants qu’ils les mirent en +déroute, ce qui permit aux protestants assemblés de s’échapper. Seul le +maître de la maison fut pris et envoyé avec sa famille pourrir dans les +cachots du Châtelet. + +Une autre fois, et pourtant dans un moment d’accalmie des querelles +religieuses, les protestants, rassemblés en la maison d’un sieur de +Longjumeau, furent assaillis par une bande d’écoliers et subirent un +véritable siège, qui, devant la rude défense des assiégés, se changea en +un blocus. Au bout de quatre jours, la maison ayant brèches ouvertes et +se trouvant à moitié démolie, les protestants affamés, après avoir en +vain réclamé secours au Parlement, après avoir courageusement ferraillé, +profitèrent d’une négligence des assaillants pour s’ouvrir une issue par +laquelle ils eurent la chance de battre en retraite, emmenant leurs +blessés, mais laissant quelques morts. + +[Illustration: LE PRÉ AUX CLERCS (XVIᵉ SIÈCLE)] + +Le Pré aux Clercs fut occupé par l’armée d’Henri IV en 1589, lorsque le +roi tenta d’enlever Paris par une surprise qui ne réussit point. Les +guerres civiles et le siège qui les termina amenèrent la ruine et la +dévastation des faubourgs. Quand la tranquillité revint, des rues +nouvelles se créèrent rapidement au bourg Saint-Germain. + +Une circonstance hâta la fin du petit Pré aux Clercs. Marguerite de +Valois, épouse divorcée de Henri IV, rentrée à Paris et logée à l’hôtel +de Sens, voulut se construire un palais sur la rive gauche de la Seine, +en face des Tuileries de sa mère Catherine. Sur la rue de Seine s’éleva +bientôt un assez vaste hôtel de pierres et briques dont le pavillon +central, terminé par un lanternon, comme le montre le plan de Méryan, +donnait juste en face de la vieille porte de Nesle. Ce pavillon existe +encore dans la cour du numéro 6 de la rue de Seine actuelle. + +Derrière, sur les terrains du petit Pré aux Clercs et d’une partie du +grand Pré, s’étendaient des jardins au milieu desquels la reine Margot +installa en 1609 une communauté de moines Augustins, «_les Augustins +déchaussés de la reine Marguerite_» dans une petite chapelle, dite +_chapelle des Louanges_, dont le dôme fut la première coupole construite +à Paris. «La reine voulut, dit Dulaure, que ces moines chantassent jour +et nuit sans discontinuer de deux en deux, en se relevant d’heure en +heure, à la louange du Seigneur, des hymnes et cantiques sur des airs +modernes qui leur seraient prescrits. Elle exigeait, en outre, que ces +frères, chanteurs éternels, ne sortissent jamais du couvent, ni eussent +aucune communication avec les séculiers.» + +La reine Margot ainsi faisait faire ses pénitences par d’autres. Après +quelques années de plain-chant, trouvant la pénitence suffisamment +faite, ou fatiguée de la musique des pauvres moines, elle les expulsa +sans plus de façons, les remplaçant en 1609 par des Augustins chaussés +de la réforme de Bourges, qu’elle laissa à sa mort avec des +constructions commencées, beaucoup de dettes et pas de ressources. + +Les Augustins trouvèrent heureusement des protections, la reine Anne +d’Autriche leur éleva une église dont la chapelle des Louanges forma le +chœur, et elle acheva la construction de leur couvent. A la Révolution, +le couvent des Petits-Augustins devint le Musée des monuments français +et plus tard l’École des Beaux-Arts. Alexandre Lenoir qui rendit à l’art +d’inappréciables services, avec le concours d’une commission de savants +et d’artistes, véritable commission de sauvetage fonctionnant en pleine +Terreur au milieu du vandalisme déchaîné, s’efforça de réunir dans ce +musée les débris intéressants de tant d’édifices renversés, de superbes +morceaux, monuments artistiques, tombeaux, statues, fragments divers +d’un précieux intérêt historique, tout ce qu’il put enfin arracher aux +démolisseurs forcenés, à travers de nombreux dangers et même au prix +d’un coup de baïonnette reçu en protégeant le tombeau de Richelieu. + +Au delà des Augustins un grand parc, le _jardin de la Reine Marguerite_, +ouvert au public, s’étendait le long de la Seine jusque vers la rue du +Bac. Hôtel, jardin et parc furent vendus pour payer les dettes de la +reine Margot, la promenade disparut au grand déplaisir des Parisiens; +des hôtels et des rues s’élevèrent plus loin même que la rue du Bac. Au +commencement du règne de Louis XIV, comme on le voit sur le plan de +Gomboust, il ne restait plus que l’extrémité du Pré aux Clercs, derrière +la Grenouillère continuant le quai Malaquais, bordée de maisons et de +cabarets, avec des chantiers de bois flotté à la suite. Peu à peu, après +des aliénations successives par l’Université propriétaire des terrains, +le faubourg Saint-Germain dévora tout ce qui restait de l’antique Pré +aux Clercs et il n’en demeure plus, comme souvenir, que le nom de rue de +Sorbonne ou rue de l’Université donné à la grande voie traversant les +champs d’esbattement de messieurs les écoliers, transformés en jardins +d’hôtels aristocratiques. + + + + +[Illustration: L’HÔTEL DE BOURBON] CHAPITRE VII + +PARIS FÉODAL + + +I + + Petits palais et grands hôtels.--L’hôtel de Bourbon.--La trahison + du connétable.--Les États généraux de 1614 dans la grande salle de + l’hôtel.--Le séjour de Nesle.--Les femmes des trois fils de + Philippe le Bel.--Marguerite, Jeanne et Blanche de Bourgogne.--La + tour de Nesle et sa légende.--Le duc Jean de Berry.--Benvenuto + Cellini au Petit-Nesle.--L’hôtel de Nevers-Gonzague.--La tête de + Coconas.--L’hôtel de Bourgogne.--Jean sans Peur et le duc + d’Orléans.--Bourguignons et Armagnacs.--Les bouchers de + Paris.--Chaperon blanc et bonnet rouge.--Caboche et Capeluche.--Le + théâtre de l’hôtel de Bourgogne.--Gauthier-Garguille et Turlupin, + successeurs de Jean sans Peur. + +[Illustration: LA FENÊTRE DU MEURTRIER] + +Ce que fut le Paris carolingien, nous ne pouvons que très difficilement +nous le figurer. Il est plus facile de se représenter le Paris +gallo-romain dont on a retrouvé tant de traces, dont il reste même des +monuments, mais le Paris des époques intermédiaires entre ces temps si +lointains et l’épanouissement merveilleux du siècle des cathédrales, +demeurera à jamais enfoui dans l’inconnu. Il n’a pas laissé de traces ou +du moins s’il reste quelques pierres de ces temps, elles sont cachées +dans le sol, recouvertes par les constructions postérieures, elles ont +servi de soubassement au Paris des époques suivantes. + +Tout a disparu. Paris plus souvent bouleversé que n’importe quelle ville +ne possède pas le plus petit coin de maison romane comme on en rencontre +encore quelquefois ailleurs, pauvres, vieilles, ridées et crevassées, +oubliées en quelques tranquilles cités de province, sur lesquelles le +temps semble avoir pesé moins lourdement ou qui furent moins exposées +aux bouleversements de la guerre et de l’enrichissement, ces deux +grandes causes de destruction. + +Pour les humbles maisons des artisans, celles des bourgeois même, +construites en matériaux de médiocre durée, cette disparition complète +ne peut surprendre, mais pour les logis plus importants, les maisons que +des grands seigneurs laïques et ecclésiastiques, des magistrats, des +gros fonctionnaires devaient posséder en ville, le fait qu’aucun vestige +n’en soit resté ne peut s’expliquer que par l’afflux perpétuel de la +richesse sur le même point, et les changements non moins perpétuels et +les reconstructions qu’elle entraîne. Nous ne pouvons guère nous faire +une idée des villes d’autrefois, des pauvres toits du populaire et des +demeures plus importantes, nobles ou bourgeoises, que sur de vagues +indications fournies par des enluminures sommaires ou fantaisistes +d’antiques manuscrits. + +«Aux constructions de pierre de l’époque gallo-romaine, dit Viollet le +Duc, sont venues, après les invasions, s’ajouter des ouvrages de +charpenterie, système de construction particulier aux races du Nord et +de l’Est. Dans les villes fermées de murailles où l’espace par +conséquent était mesuré, les deux systèmes se superposèrent; sur les +rez-de-chaussée en maçonnerie suivant les traditions gallo-romaines, se +superposèrent des étages en pans de bois pour gagner en hauteur l’espace +qui manquait en surface... Il suffit de jeter les yeux sur les +manuscrits occidentaux des IXᵉ, Xᵉ et XIᵉ siècles, sur quelques +sculptures d’ivoire de cette époque et même sur la tapisserie de Bayeux +pour constater l’influence des traditions gallo-romaines dans les +maçonneries du rez-de-chaussée des habitations et celle des +constructions de bois indo-germaniques pour les couronnements des palais +et des maisons, tandis que les églises affectent toujours la forme de la +basilique latine ou celle de l’édifice byzantin.» + +L’architecture civile a brisé le moule romain aussitôt après la chute de +l’empire, et au bout de peu de temps rien ne rappelle plus, dans les +villes bâties sur nos fleuves gaulois, la vieille métropole du Tibre, +cette Rome, mère d’une innombrable quantité de petites Romes qu’elle +avait pour ainsi dire modelées, ou plutôt déguisées à son image, dans +les contrées les plus différentes et sous les climats les plus divers. +Aussitôt après l’écroulement de Rome et des idées romaines tout se +modifia. La caractéristique de l’architecture des époques suivantes fut +l’importance de la charpenterie: les fortifications des villes +elles-mêmes s’en ressentirent, sur les débris des tours gallo-romaines +ébréchées par les guerres s’élevèrent des étages de bois hourdé. Sans +remonter jusqu’au gros donjon de bois du camp de Clovis, le _Lower_ sur +l’emplacement duquel Philippe-Auguste bâtit plus tard le château royal +du Louvre, on voit au IXᵉ siècle, quand Paris se défend contre les +Normands, les têtes de pont couronnées par des ouvrages et des tours de +bois. + +[Illustration: SOMMET DE L’ESCALIER DE LA TOUR JEAN-SANS-PEUR] + +Le Paris des temps Carolingiens répandu sur la rive droite devant +l’ancienne Lutèce de l’île, ayant à peine quelques têtes de faubourgs +sur la rive gauche, entre la rivière et les abbayes, devait présenter +derrière ses remparts élevés à la hâte et criblés de blessures par les +sièges, un ensemble d’assez rude apparence, de massives constructions de +chefs militaires, des logis de l’aristocratie bourgeoise et marchande, +décorés avec un art encore grossier qui se cherchait dans les +ressouvenirs ou les imitations de l’époque romaine, des façades posées +au rez-de-chaussée sur des arcades protégeant contre la pluie et la +neige les passants et les petits marchands; puis, au centre, surtout aux +endroits où la ville se serrait près des ponts communiquant avec la +vieille cité, des maisons de bois, pressées, se hissant les unes sur les +autres avec leurs étages encorbellés sur de grosses poutres surplombant +rues et ruelles. + +Ainsi par de lentes modifications nous arrivons aux siècles du moyen +âge, aux architectures que nous connaissons parfaitement, non seulement +par les représentations plus fidèles des miniatures qui enrichissent +tant de beaux manuscrits, mais de plus par les spécimens qui nous en +restent, fragments de palais, hôtels ou maisons encore habités, abritant +encore, après tant de générations, les descendants trop souvent ingrats +et malveillants de ceux qui les ont construits. + +Si des maisons du XIIIᵉ siècle il ne peut rester à Paris que des +fragments nombreux, cachés dans les bâtisses postérieures, ou des pans +de murs, au fond des vieux pâtés de maisons aux façades plusieurs fois +rhabillées, au fond des quartiers anciens, s’il ne subsiste des hôtels +seigneuriaux de ces temps rien à peu près d’antérieur au XIVᵉ siècle, +les documents ne manquent plus et l’on peut très bien se faire une idée +exacte du Paris du moyen âge, avec les vieux historiographes de Paris, +avec toutes les peintures et gravures qui nous ont transmis la +physionomie des rues étroites, si grouillantes sur certains points de +croisements des grandes artères, et si encombrées de populaire, de +marchands, de chariots et de cavaliers, et l’aspect des grands logis +féodaux, des demeures de ville de hauts et puissants seigneurs, princes +de sang royal, grands officiers de la couronne, ou seigneurs +ecclésiastiques. + +Ces logis féodaux, manoirs ou _séjours_ comme on disait au XIVᵉ siècle, +bâtis cependant de façon à traverser les siècles, étaient plus exposés +aux destructions que les simples logis populaires. Leurs murs étaient de +taille à braver les coups de force des révolutions, à résister aux +tempêtes populaires si fréquentes sur l’océan parisien, mais les +révolutions de la mode, cette reine puissante, et les brusques +changements qu’elle apporte dans les goûts et les idées, ont eu raison +de la plupart d’entre eux. + +Si l’emplacement de ces hôtels seigneuriaux était bon, pas trop éloigné +des logis du roi, soit du Louvre, soit de Saint-Paul ou des Tournelles, +ces hôtels, suivant la fortune de leurs possesseurs, subissaient pour se +mettre au goût du siècle des transformations, des reconstructions +partielles ou totales. Si au contraire l’emplacement était médiocre, si +peu à peu la marée parisienne montait, si les maisons de marchands et de +populaire, envahissant jardins et cultures, venaient se coller aux +murailles seigneuriales, alors ses nobles possesseurs s’en allaient en +quelque quartier nouveau et plus aristocratique bâtir de nouveaux logis, +abandonnant les anciens à quelque riche marchand qui l’occupait avec ses +commis ou le partageait en divers logements. + +Des grands logis du moyen âge ce sont surtout ces derniers hôtels +abandonnés au populaire qui nous sont restés. Ainsi l’hôtel des +archevêques de Sens, l’hôtel des abbés de Cluny, le manoir de ville de +Jean sans Peur, qui était une espèce de château fort élevé tout près des +remparts parisiens, l’hôtel des prévôts de Paris, près des remparts +aussi, mais sur un autre point, ont survécu à tant d’autres logis de +grands barons dont il n’est pas resté une pierre, et, plus ou moins +diminués ou abîmés, sont venus jusqu’à nous, peut-être parce qu’ils sont +tombés en roture dès le temps de Louis XIV. + +[Illustration: L’HÔTEL DU CHEVALIER DU GUET] + +L’hôtel de la Trémouille, magnifique spécimen de l’architecture civile +du XVᵉ siècle, l’hôtel du Chevalier du guet, plus ancien et plus sévère, +avaient ainsi traversé les siècles jusqu’à notre époque, tandis que tout +vestige avait dès longtemps disparu d’autres grandes et illustres +demeures. Ceux-là, ce sont des travaux d’édilité, des percées de rues +qui leur ont donné le coup suprême. + +Tout près du vieux Louvre de Philippe-Auguste, du Louvre à la grosse +tour suzeraine, s’élève au commencement du XIVᵉ siècle l’hôtel de +Bourbon, bâti en 1309 par un prince de la maison de France, Louis de +Bourbon, fils du comte de Clermont; cet hôtel, agrandi et embelli dans +le courant du XIVᵉ siècle, occupe tout le carré formé par les fossés du +Louvre, la rue du Petit-Bourbon conduisant à Saint-Germain l’Auxerrois, +et la rue des Poulies qui aboutit à l’arche de Bourbon jetée sur la +berge au-dessus d’un abreuvoir. + +Sur le quai au coin de la rue des Poulies se dresse un grand corps de +logis à trois pignons, dont le plus grand, au milieu, porte une +bretèche, une belle loge fermée à balustrade délicatement sculptée, où +se découpent dans un entrelacement de fleurs de lis, les lettres du mot +«_Espérance_». Un long bâtiment, la _galerie dorée_, ornée de peintures, +borde le quai. En arrière est une cour dominée par le bâtiment de la +grande salle au pignon flanqué de tourelles, au comble énorme, aussi +élevé, dit Sauval, que celui de Saint-Eustache. + +Cet hôtel de Bourbon a bien des pages tragiques en son histoire. En 1418 +lorsque Perrinet Leclerc livra Paris aux Bourguignons, les tueurs du +parti de Bourgogne, ayant par le massacre vidé les prisons de tous les +Armagnacs qu’on y avait jetés, s’en vinrent après «_l’occision_» à +l’hôtel de Bourbon où ils tuèrent encore tout ce qu’ils rencontrèrent. +Et ayant, dans le pillage qui accompagnait naturellement ces horreurs, +trouvé dans une chambre «une grant bannière comme estandard où il y +avait un dragon figuré qui par la gueule jetait feu et sang, si furent +plus mus en ire que devant et la portèrent par tout Paris, les épées +toutes nues, criant sans raison: «Veez ici la bannière que le roy +d’Angleterre avait envoyé aux faux Arminaz...» et par tous les +carrefours se replongeant dans leur soulerie de sang, écorcheurs et +bouchers toute la nuit encore assaillirent tous ceux qu’on leur +signalait comme Armagnacs, sans même demander aucune preuve, et +massacrèrent hommes et femmes, les laissant nus sur le pavé, sans que le +duc de Bourgogne osât ou pût arrêter la tuerie!» + +Un siècle après l’hôtel était en la possession du connétable de Bourbon, +comte de Montpensier et dauphin d’Auvergne, duc de Bourbon, comte de +Clermont, de Forez, de la Marche, de Gien, etc., etc., possesseur +d’immenses domaines, prince du sang, aussi près du trône que son logis +de Paris l’était du château royal du Louvre. Héros de Marignan, seigneur +magnifique éblouissant la cour par son luxe et son opulence, Bourbon de +plus était un homme beau et bien fait. + +La mère du roi, Louise de Savoie, fatale en plus d’une occasion à +d’autres personnages et à la France, princesse alors âgée de +quarante-sept ans, s’éprit du superbe connétable qui dépassait de peu la +trentaine et venait de perdre sa femme Suzanne de Bourbon-Beaujeu. +Louise de Savoie rêvait de l’épouser, mais ses avances à différentes +reprises furent repoussées. Alors, la haine remplaçant l’amour déçu, +Louise de Savoie, liguée avec le chancelier Duprat, autre ennemi de +Bourbon, chercha par un grand procès en Parlement, à enlever au +connétable les terres de la maison de Bourbon qu’il tenait d’une +donation de sa femme et qui formaient peut-être la moitié de ses +domaines. + +Un premier procès fut perdu par le connétable, le comté de la Marche lui +fut enlevé et il parut à tous que Louise devait avoir gain de cause pour +le reste. C’est alors que les émissaires de Charles-Quint vinrent +trouver le connétable et, profitant de sa fureur, réussirent à +l’entraîner dans une trahison qui n’allait à rien moins qu’au +démembrement de la France, dont on devait, avec un des morceaux ajouté +aux terres du connétable, fabriquer un royaume de Bourgogne. Les +événements se précipitèrent, la fuite de Bourbon hors du Royaume, le +connétable de France à la tête des bandes allemandes de l’Empereur, +l’invasion de la Provence et la défaite de Pavie. + +Pendant ce temps, à Paris, le Parlement instruisait lentement le procès +du traître, confisquait tous ses biens, flétrissait sa mémoire, le +retranchait de la race des Bourbons «comme notoirement dégénéré des +mœurs et fidélité des autres sieurs de ladite maison». + +[Illustration: L’HOTEL DE LA REINE MARGUERITE SUR L’EMPLACEMENT DU PETIT +NESLE, ET LA CHAPELLE DES LOUANGES AU PETIT PRÉ AUX CLERCS] + +En conséquence de l’arrêt, un jour de 1527, le connétable étant déjà +mort du coup d’arquebuse que Benvenuto Cellini se vantait d’avoir tiré +sur lui à l’assaut de Rome, l’hôtel de Bourbon paya pour lui. Devant la +foule assemblée on commença par décapiter, en signe d’infamie, la +tourelle formant l’angle de la rue des Poulies; puis le bourreau de +Paris brisa les armoiries du connétable, barbouilla d’ocre jaune, +couleur de flétrissure, le portail d’entrée, la _porte dorée_, les +fenêtres et tous leurs ornements et sema du sel dans les appartements. + +Les marques infâmes de la trahison furent longtemps visibles et la +tourelle d’angle demeura informe et tronquée jusqu’à la démolition de ce +qui restait de l’hôtel en 1758. Cette flétrissure n’empêcha pas la +grande salle de servir, de 1614 à 1615, aux séances solennelles des +États généraux, les derniers convoqués avant ceux de 89, les séances +ordinaires se tenant aux Augustins. + +Il y eut là des scènes qui furent comme la répétition de ce qui devait +se passer cent soixante-quinze ans plus tard: querelles d’étiquette +d’abord, dissentiments profonds entre les ordres, prétentions des uns +dans leurs cahiers, doléances et réclamations des autres, présentation +solennelle au roi des cahiers des trois ordres dans la grande salle de +l’hôtel de Bourbon, puis mise à la porte sans façon des députés du +tiers, qui le lendemain en arrivant pour siéger aux Augustins trouvèrent +la salle fermée et démeublée, avec défense de se réunir ailleurs. Il +fallut s’en aller; le tiers état n’était pas mûr alors pour un serment +du Jeu de Paume. + +Cette grande salle, salle de fêtes et salle de bal aux beaux jours de la +jeunesse de Louis XIV, fut, au milieu du XVIIᵉ siècle, transformée en +théâtre, sur lequel alternativement jouèrent la comédie Italienne et la +troupe de Molière. Celle-ci y donna le 18 novembre 1659 la première +représentation des _Précieuses Ridicules_ et, le 28 mai 1660, celle de +_Sganarelle_. Molière y joua pendant deux ans; un jour la troupe +arrivant pour la représentation trouva la salle en démolition, on +mettait les acteurs à la porte comme de simples députés du tiers aux +États généraux, pour faire de la salle le garde-meubles de la Couronne. + +Cette affectation nouvelle, privant la cour d’une salle spéciale pour +les fêtes, l’obligea à chercher dans le Louvre un emplacement nouveau, +ce qui fut cause qu’au premier bal, le feu prit au palais et faillit +brûler, avec une foule de meubles précieux, le pauvre cardinal Mazarin +alors presque mourant dans son lit. Quant à la troupe de Molière, le roi +lui avait donné une autre salle, celle construite par Richelieu pour la +représentation de _Mirame_, dans le Palais-Royal, alors Palais Cardinal. + +Les derniers restes du Petit-Bourbon transformés en garde-meubles ne +tombèrent qu’en 1758, lors des travaux qui dégagèrent le Louvre de vieux +bâtiments de service accolés à la façade orientale et permirent de voir +cette fameuse colonnade de Perrault chantée par Boileau: + + Dans Florence jadis vivait un médecin + Savant hableur, dit-on, et célèbre assassin... + Le rhume à son aspect se change en pleurésie + Et par lui la migraine est bientôt frénésie... + Notre assassin renonce à son art inhumain + Et désormais la règle et l’équerre à la main + Laissant de Galien la science suspecte + De méchant médecin devient bon architecte... + Soyez plutôt maçon si c’est votre talent... + +Juste en face de l’hôtel de Bourbon, de l’autre côté de la Seine, +d’autres somptuosités, d’autres superbes bâtiments lui font pendant, +comme la tour de Philippe Hamelin ou de Nesle, de l’enceinte de Paris, +fait pendant à la tour du coin de l’enceinte du Louvre. L’hôtel de +Nesle, de fameuse et légendaire mémoire, a été bâti au XIIIᵉ siècle par +un seigneur de Nesle, sur le terrain formant ici l’angle saillant de +l’enceinte de Philippe-Auguste. En 1308, Amaury de Nesle vendit son +hôtel au roi Philippe le Bel qui ne le garda pas longtemps, pas plus que +son fils Philippe le Long. A la mort de celui-ci, en 1322, l’hôtel +devint la propriété de sa veuve Jeanne de Bourgogne, laquelle, à sa mort +en 1329, ordonna par testament que l’hôtel serait vendu et le prix +appliqué à la fondation du collège dit de Bourgogne, avec bourses pour +les pauvres écoliers. + +Ce serait le séjour de cette reine pendant le court espace de sept à +huit ans qui valut à l’hôtel de Nesle sa réputation légendaire et à la +tour de Philippe Hamelin ou de Nesle sa célébrité sinistre. + +On connaît par les vieux chroniqueurs les débauches reprochées aux +femmes des trois fils de Philippe le Bel qui régnèrent successivement, +Marguerite de Bourgogne femme de Louis le Hutin, Jeanne de Bourgogne +femme de Philippe le Long, et Blanche de Bourgogne première femme de +Charles le Bel. Le terrible scandale qui éclata à la cour de France et +révéla les désordres des princesses est de 1314, l’année même de la mort +de Philippe le Bel. Après le procès et le supplice terrible des deux +frères Philippe et Gauthier d’Aulnay, Charles le Bel répudia sa femme et +la força de prendre le voile à l’abbaye de Maubuisson, près Pontoise; +Marguerite fut enfermée au château Gaillard où son mari Louis le Hutin, +désirant un divorce plus complet, la fit étrangler le jour où il monta +sur le trône. + +Quant à Jeanne de Bourgogne, on la déclara solennellement innocente pour +permettre à Philippe le Long de la garder et de conserver avec elle ses +domaines de Bourgogne apportés en dot. + +C’est donc l’épouse proclamée innocente qui est la reine dont parle +Villon dans sa ballade des dames du temps jadis, + +..... la reine + Qui commanda que Buridan + Fut jetté en ung sac en Seine? + +Jeanne de Bourgogne, rapporte la tradition, de son hôtel placé au pays +des Ecoles, sur le chemin du Pré aux Clercs, voyait journellement passer +et repasser les jeunes gens de l’Université et pouvait à son aise jeter +son dévolu sur ceux qui lui plaisaient et les attirer en son logis. Le +bel écolier, mystérieusement introduit le soir par quelque poterne, +était conduit en une chambre de la tour de Nesle, laquelle était +pourtant séparée de l’hôtel par une rue, ce dont ne s’inquiète pas +beaucoup la tradition qui au besoin inventerait des passages secrets +sous la rue. En cette tour, l’écolier trouvait bon repas, bon gîte et le +reste, mais il ne sortait pas vivant. Avant le jour, Jeanne de Bourgogne +rassasiée quittait le pauvre écolier; celui-ci tout étourdi encore et +radieux de son bonheur, recevait un bon coup de dague et rapidement +était jeté en Seine d’une fenêtre de la tour. Quand le cadavre échouait +sur une berge de Passy ou de Saint-Cloud, on attribuait le crime aux +malandrins de Paris, on enterrait le pauvre diable et tout était dit. +L’écolier Buridan plus méfiant que les autres et mis en soupçon par les +disparitions successives de compagnons partis pour bonne fortune et +jamais revenus, fut plus heureux et sortit de la tour de Nesle +autrement que par la fenêtre, car il vécut longtemps et devint même, +trente ans après, recteur de l’Université. + +Voilà le roman, la sombre légende de l’hôtel de Nesle, simple tradition +très grossie et très dramatisée sans doute des désordres connus de +Jeanne de Bourgogne et de son goût pour messieurs les écoliers, +fantaisie de grande dame cherchant à égayer les jours de son veuvage. + +Était-ce en souvenir pour ces escoliers qu’elle fonda par testament avec +le prix de l’hôtel de Nesle le collège de Bourgogne rue des Cordeliers, +remplacé au siècle dernier par l’école de Médecine? + +En 1350, l’hôtel de Nesle était habité par le roi Jean le Bon au retour +de son sacre à Reims. C’est là, qu’après les fêtes de son entrée +solennelle, il fit arrêter et décapiter le comte d’Eu et de Guines, +connétable de France, qui venait par traité de s’engager à livrer Guines +au roi d’Angleterre. + +En 1380, le duc de Berry, second fils de Jean le Bon, l’un des oncles de +Charles VI, acheta l’hôtel pour en faire son logis de Paris. C’était un +prince magnifique, aimant les arts, le luxe et les bâtisses somptueuses +comme il l’a prouvé par ses constructions de Bourges et par ses +châteaux. + +Le duc Jean de Berry apporte aux bâtiments de Nesle des adjonctions et +des embellissements nombreux. L’hôtel de Nesle devient entre ses mains +une résidence vraiment princière. Il occupe un grand triangle ayant la +tour et la porte de Nesle à sa pointe, la Seine d’un côté, le rempart de +l’autre; un long corps de logis très richement décoré tient tout le +troisième côté séparé par une ruelle, la rue de Nevers actuelle, du +couvent des Grands-Augustins et des jardins de l’hôtel de l’abbaye de +Saint-Denis. + +[Illustration: LA TOUR JEAN-SANS-PEUR. ÉTAT ACTUEL] + +La berge de la Seine est défendue par un rempart depuis la tour de +Nesle + +[Illustration: LE DUC JEAN-SANS-PEUR RECEVANT CABOCHE ET CAPELUCHE A +L’HOTEL DE BOURGOGNE] + +jusqu’au château Gaillard, petit ouvrage terminal; un passage public +entre ce rempart et le mur de l’hôtel conduit à la porte de Nesle. De +l’autre côté de cette porte, en dehors de la ville, le duc de Berry a +bâti sur le petit Pré aux Clercs le séjour de Nesle où sont ses écuries. +Pendant les guerres entre Armagnacs et Bourguignons, les Le Goix, fameux +bouchers de Paris, du parti de Bourgogne, qui se livrèrent à tous les +excès dans Paris, pillèrent et dévastèrent le séjour de Nesle. + +[Illustration: JEAN SANS PEUR DANS LA TOUR DE BOURGOGNE] + +L’hôtel de Nesle revint à la couronne à la mort du duc de Berry et ce +fut encore une princesse connue par ses désordres qui vint l’habiter, +Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, en grande partie responsable +des malheurs et des crimes de son temps. Les Anglais étaient à Paris, +qui souffrait de la guerre et d’une famine horrible. Pendant que Charles +VI végète à l’hôtel Saint-Paul entre deux accès de démence, Isabeau en +son hôtel, toujours magnifiquement vêtue de robes éblouissantes, +coiffée de hennins ou de «_Cornes merveilleusement larges et hautes_» si +larges avec leurs accessoires que la reine et ses dames, lorsqu’elles +voulaient passer par la porte d’une chambre, étaient obligées de se +baisser et de se tourner de côté, Isabeau donne des fêtes au roi Henri V +d’Angleterre, régent de France, époux de sa fille Catherine et proclamé +héritier de France; elle fait représenter en l’hôtel de Nesle par les +confrères de la Passion _le mystère de la passion de saint Georges_, en +1422, bien peu de semaines avant que mourussent le roi Charles VI et le +régent Henri V lui-même. + +L’hôtel eut ensuite pour propriétaires, sinon pour habitants, le comte +de Richemont, connétable de France, duc de Bretagne, le comte de +Charolais, Charles le Téméraire, mais il revint encore à la couronne. + +François Iᵉʳ l’avait donné ou prêté à la ville de Paris pour +l’installation de quelques services, pour l’établissement d’une +juridiction spéciale aux écoliers. En 1540, le roi, pour loger Benvenuto +Cellini et son atelier, oublia l’attribution faite à la ville, reprit le +petit Nesle, c’est-à-dire la partie de l’hôtel qui touchait aux remparts +et complètement séparée du grand Nesle, le grand corps du logis du +fond,--mais Benvenuto n’entra pas en possession sans difficultés, le +prévôt de Paris défendit ses droits contre cet intrus malgré les ordres +du roi, et Cellini dut presque employer la force pour le déloger. + +Cellini qui était peut-être aussi grand hâbleur qu’excellent artiste, en +ses mémoires où les estocades et les arquebusades tiennent autant de +place que les souvenirs artistiques, raconte avec complaisance que pour +ne pas être attaqué dans son Petit-Nesle par les anciens occupants, et +assassiné, il dut s’entourer de précautions et armer jusqu’aux dents ses +élèves et serviteurs. Il avait mis son logis en état de siège. Une nuit +rentrant avec une forte somme touchée au Louvre pour ses travaux, il +faillit être assassiné sur la berge par de simples voleurs, et dut +combattre et estocader avec vigueur, bien qu’il fût gêné par l’argent +qu’il avait enveloppé dans son manteau. + +L’hôtel de Nesle devait tomber à la fin du XVIᵉ siècle. A sa place +s’éleva, sans se terminer jamais, l’hôtel de Nevers, bâti par le duc de +Nevers, prince de Gonzague. Dans les bâtiments de l’hôtel de Nesle qui +ne furent détruits qu’au fur et à mesure de la construction du nouvel +hôtel, la belle duchesse de Nevers cacha sa douleur de l’exécution de M. +de Coconas, son amant, compromis dans une conspiration du duc d’Alençon, +sacrifié par cet horrible prince et décapité en place de Grève avec son +ami La Mole en 1574. + +La reine de Navarre, maîtresse de La Mole, et la duchesse de Nevers +n’avaient pu sauver les condamnés; la légende qui souvent n’est pas +beaucoup plus menteuse que l’histoire, veut que les deux princesses, la +nuit de l’exécution, soient allées chez le bourreau chercher les têtes +des suppliciés et qu’elles aient de leurs propres mains embaumé ces +pauvres chefs sanglants. Elle ajoute, pour la duchesse de Nevers, que +celle-ci, fidèle à Coconas, conserva toujours dans une armoire près de +son lit la tête de l’amant infortuné. + +L’histoire qui se répète quelquefois ajoute ceci, qu’en la même chambre +où vécut la duchesse de Nevers avec cette sinistre relique d’amour à +côté de son oreiller, un demi-siècle après, sous Louis XIII ou plutôt +sous Richelieu, la petite-fille de la duchesse Marie de Gonzague, eut à +pleurer sur un autre supplicié, son amant Cinq-Mars arrêté pour +conspiration avec l’Espagne contre le terrible cardinal et décapité à +Lyon en compagnie du pauvre de Thou, entraîné par l’amitié dans +l’affaire et dont la maison était non loin de l’hôtel de Nevers, place +Saint-André-des-Arts. + +[Illustration: PASSAGE SUR LES LIMITES DU SÉJOUR BARBETTE, RUE DES +FRANCS-BOURGEOIS, PRÈS DUQUEL FUT ASSASSINÉ LOUIS D’ORLÉANS] + +Cet hôtel de Nevers fait bonne figure dans les estampes de Callot et de +Pérelle, avec ses grands pavillons de pierres et briques, avec ses toits +immenses qui dominent quelques masures, vieux restes de dépendances de +l’hôtel de Nesle, et les remparts à demi ruinés touchant à la porte de +Nesle. L’hôtel de Nevers ne vécut pas longtemps, il fut démoli à son +tour et remplacé par l’hôtel de Guénégaud, plus tard Conti, lequel céda +la place à l’hôtel des Monnaies actuel. + +Des hôtels élevés par les grands seigneurs féodaux, par les princes de +la maison de France aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles, il en est un qui traverse +en partie les siècles et dont le donjon, témoin des événements tragiques +de la grande querelle entre Armagnacs et Bourguignons, a survécu aux +tours royales du vieux Louvre, à la Bastille, à presque tous les +édifices ses contemporains. C’est la vieille tour du duc Jean sans Peur, +le donjon de l’hôtel de Bourgogne, fameux à des titres divers. +Précédemment le logis s’appelait hôtel d’Artois, parce qu’il avait +appartenu au comte d’Artois, frère de saint Louis. Ayant été confisqué +sur un de ses descendants, il fit partie de l’apanage de Philippe, +quatrième fils de Jean le Bon, surnommé le Hardi parce que tout enfant, +à la bataille de Poitiers, il s’était obstinément tenu en combattant à +côté de son père sans vouloir le quitter. + +--Père, garde-toi à gauche!... père, garde-toi à droite!... Un rude +enfant qui devait être l’aïeul de Jean sans Peur et de Charles le +Téméraire. + +Les ducs de Bourgogne agrandirent l’hôtel et le fortifièrent vers la fin +du XIVᵉ siècle. Situé à cheval sur l’enceinte de Philippe-Auguste au +saillant nord, entre la porte aux Peintres de la rue Saint-Denis et la +porte de Bourgogne ou Montorgueil, il formait un vaste ensemble de +constructions, nous ne pouvons plus juger de son importance que par le +donjon subsistant; il dominait le mur de la ville et tout le quartier +qui s’appela Mauconseil, _mauvais conseil_, après les sanglantes +tragédies du commencement du XVᵉ siècle. + +Longtemps enfermée dans une arrière-cour, étouffée parmi les hautes +maisons serrées, la vieille tour vient de reparaître au jour, dégagée +sur un côté seulement par malheur. + +Ce bel et solide édifice rectangulaire en pierres de taille, divisé en +plusieurs étages accusés par des encorbellements, a gardé son +couronnement de mâchicoulis couvert aujourd’hui par une toiture basse. +Les divers étages sont éclairés par des baies carrées à meneaux, +inscrites, à l’étage de la grande salle, dans une haute ogive. Un large +escalier à vis tourne autour d’un pilier central qui se termine en haut +de la cage par un chapiteau en forme de caisse de jardin, d’où s’élance +un chêne sculpté, dont les grosses branches se subdivisent bientôt et +forment, avec leurs branchages entre-croisés et leur feuillage touffu, +quatre travées de voûte ogivale. + +On pense que Jean sans Peur avait fait construire ce donjon pour +renforcer son hôtel après qu’il eut fait assassiner le duc d’Orléans. +Monstrelet le dit: «Et mêmement fit faire en ces propres jours à +puissance d’ouvriers, une forte chambre de pierre bien taillée en +manière d’une tour, dedans laquelle il se couchait par nuit et était +ladite chambre fort avantageuse pour le garder.» Probablement, Jean +sans Peur qui se fortifia en son hôtel en vue des événements, l’avait +commencée quelque temps avant le crime. Cette tour, dévastée +intérieurement par des appropriations diverses, et des intercalations +d’étages, montre encore, sculptés extérieurement au tympan d’une fenêtre +basse sur la rue, le niveau et les rabots choisis pour emblèmes par le +duc Jean. + +[Illustration: LE MEURTRE DU DUC D’ORLÉANS] + +Son brillant cousin et rival le duc d’Orléans, confiant dans sa force, +avait pris pour emblème un bâton noueux avec la devise: _je l’envie_ ou +_je l’ennuie_. Jean sans Peur adopta en réponse au défi l’emblème du +rabot, avec les mots flamands: _Ich oud_, _Je tiens_. + +Jadis pris par les Turcs à Nicopolis dans le grand désastre de la +Croisade aux pays du Danube, Jean sans Peur, héritier de Bourgogne, +avait été l’un des rares chevaliers francs épargnés par Bajazet, parce +qu’au moment où l’on allait le mettre à mort, dit une légende +probablement forgée plus tard, un vieil iman turc s’était écrié qu’il +fallait soigneusement préserver ce seigneur, destiné à faire couler plus +de sang chrétien qu’aucun musulman ne pourrait faire. L’événement ne +donna que trop raison à la prophétie. + +A la mort du duc de Bourgogne Philippe le Hardi, en 1404, son fils Jean +sans Peur hérita de sa rivalité avec le duc d’Orléans. Depuis douze ans +déjà Charles VI était en démence et les oncles du roi, les princes, se +disputaient la direction des affaires. La lutte s’était bientôt +circonscrite entre le duc d’Orléans qui avait pris la position de chef +et de défenseur de la noblesse, et le duc de Bourgogne, chef du parti +populaire. + +Avec Jean sans Peur, fougueux et violent, la rivalité se changea presque +aussitôt en lutte ouverte, il y eut des préparatifs de guerre civile, +malgré des essais de réconciliation tentés quand Charles VI recouvrait +un instant l’esprit. On s’arrachait le dauphin. Le duc d’Orléans, avec +l’appui d’Isabeau de Bavière, levait des armées en province, le duc de +Bourgogne armait les Parisiens, leur rendait les chaînes de leurs rues +et les maillets des guerres civiles du siècle précédent. Puis il y eut +accalmie, une feinte réconciliation encore entre les ducs à l’occasion +de mariages princiers, mais toujours, suivant l’expression de Juvénal +des Ursins, il y avait «quelques _grommellis_ entre les ducs et souvent +fallait faire alliances nouvelles». + +Les ducs, déguisant en affectation de courtoisie leur farouche inimitié, +s’embrassaient et se donnaient des fêtes magnifiques. Le duc d’Orléans, +tout en dehors, se reposait de la politique par une vie de plaisirs, +tandis que Jean sans Peur, retiré dans son donjon de Mauconseil, tramait +résolument la mort de son rival et travaillait patiemment à l’exécution +du plan longuement médité. + +Le coup fait dans les environs de l’hôtel Barbette, le 20 novembre 1407, +le duc de Bourgogne, accusé partout, dut se résoudre à l’avouer après +avoir tenu un coin du drap mortuaire aux obsèques qui furent faites en +l’église des Célestins. Devant l’horreur générale, ne se trouvant pas +assez en sûreté dans sa _chambre de pierre_, craignant de se trouver +assailli en son hôtel, il monta subitement à cheval, au retour d’un +conseil royal tenu à l’hôtel de Nesle où il n’avait pas été admis, et +partit à toute bride, suivi de six hommes seulement, sans s’arrêter +nulle part avant son château de Bapaume. Cette rapide chevauchée lui +sauva la vie, car dès que la nouvelle de sa fuite arriva en l’hôtel +d’Orléans, des hommes d’armes du défunt s’armèrent d’eux-mêmes et se +mirent à sa poursuite avec l’intention arrêtée de le mettre à mort. + +L’an 1407 fut «_l’année du grand hiver_», la gelée très rude dura +soixante-six jours et la débâcle de la Seine emporta le pont +Saint-Michel de Paris avec les maisons. Les neiges empêchèrent les +partis d’entrer en campagne tout de suite sur le coup de l’événement. Il +y eut des rassemblements de troupes dans les villes, des entrevues de +princes. Le roi de Sicile et le duc de Berry allant à Amiens conférer +avec Jean sans Peur et lui défendre au nom du roi de revenir à Paris +sans y être mandé, se trouvèrent presque arrêtés par les grandes neiges +et durent faire parfois marcher devant leur troupe des paysans pour +ouvrir le chemin. + +Jean sans Peur à la porte de son logis d’Amiens avait placé deux lances, +l’une à fer de guerre, l’autre à fer émoulu, offrant ainsi la paix ou la +guerre. Pour toute réponse à la défense des princes, il assembla des +troupes et dès que les neiges le permirent, marcha droit sur Paris. Le +populaire goûtait fort les ducs de Bourgogne pour leur opposition +politique aux taxes et impôts, il cria Noël à l’entrée de Jean sans Peur +qui s’en alla réoccuper son hôtel bien pourvu de gens de guerre. + +Et ce ne sont plus, pendant des années, que terribles et successives +secousses, ayant pour point de départ cette tour de Mauconseil, où +revenait sans cesse se tapir le duc Jean sans Peur, qui entre temps, +pour sa répression des troubles en ses villes de Flandre, avait mérité +le nom de Jean sans Pitié. Paris en a pour douze années de +perturbations, de guerre ouverte et de révolutions sanglantes. Jean sans +Peur appuyé sur la démagogie déchaînée, sur les bouchers, les +écorcheurs, sur des bandes de malandrins sans aveu ne rêvant que +violences et pilleries, tient la ville où il a mis la main sur le +Dauphin, n’en sort que pour piller, faire tête aux gens de guerre du +parti des princes d’Orléans qu’on appelle maintenant les Armagnacs, du +nom du comte d’Armagnac, dont Louis d’Orléans, fils du prince assassiné, +venait d’épouser la fille. + +Armagnacs, Bourguignons et Anglais se disputent et s’arrachent la ville +où éclatent des mouvements révolutionnaires, les «_Journées_» de la +commune cabochienne, pendant lesquelles il n’est pas de pavé qui n’ait +sa tache de sang, pas de rue où les massacreurs ne travaillent. + +Dans la tour de Jean sans Pitié se tiennent des conciliabules avec les +bouchers, les chefs de la populace armée, prompte à la tuerie; ces chefs +ce sont les Saint-Yon, les Le Goix, avec Jeannot Caboche, écorcheur de +vaches à la boucherie de Saint-Jacques, qui tient Paris sous la terreur +et donne son nom aux gens de sa troupe et par extension à son parti. +Alors les Cabochiens prirent la Bastille par capitulation, comme en 89, +et néanmoins coupèrent peu après la tête à son gouverneur Pierre des +Essarts. Ce furent des journées de terreur où le chapeau blanc joua le +rôle du bonnet rouge de 93; il désignait les partisans de Bourgogne et +de la commune de Paris, comme le bonnet rouge coiffera plus tard les +patriotes sans culottes,--et ce chaperon blanc on l’imposa au roi de +l’hôtel Saint-Paul comme on le fera pour le bonnet rouge au roi des +Tuileries, en 92, l’histoire sans se recommencer se répétant souvent. + +Dans son jardin de l’hôtel de Bourgogne, Jean sans Peur se trouva même, +de par la révolution qu’il avait déchaînée, obligé de recevoir le +bourreau de Paris Capeluche, devenu homme d’importance et tueur par +amour du métier; il alla même jusqu’à lui toucher la main quand +Capeluche vint à la tête de sa bande lui parler hardiment. + +Jean sans Peur ayant réussi à envoyer les Cabochiens guerroyer aux +alentours de Paris, crut laver la tache restée à cette main, en faisant +saisir soudainement Capeluche pour lui couper la tête à son tour. + +Capeluche enlevé comme il buvait aux Halles, prit philosophiquement son +parti du changement de rôle, et, comme son propre valet chargé de le +décapiter lui semblait s’y prendre mal, il leva la tête du billot pour +lui donner d’une voix ferme quelques conseils sur la manière de trancher +proprement un col et, cette dernière leçon donnée, tendit froidement la +nuque au coupe-tête. + +Après Jean sans Peur vint Philippe le Bon, prince aux goûts superbes; +Philippe le Bon à l’avènement du roi Louis déploya son faste accoutumé +dans cet hôtel de Bourgogne aux sanglants souvenirs. Il avait tendu les +salles de magnifiques tapisseries d’Arras rehaussées de soie, d’argent +et d’or. Une vaisselle précieuse par le métal et merveilleuse par le +travail, garnissait de splendides buffets. Dans son jardin sous un +pavillon de velours doublé de soie, brodé de ses emblèmes et couvert des +armoiries de ses innombrables seigneuries, le duc donna de grands +festins à tous les princes et seigneurs réunis à Paris après les fêtes +de son sacre, festins auxquels il daigna convier «les plus notables +bourgeoises de la ville» sans oublier leurs maris il faut l’espérer. + +«Le duc Philippe, dit M. de Barante dans son _Histoire des ducs de +Bourgogne_, tenait en son hôtel un état qui émerveillait tout le monde. +Quand il allait visiter les églises, sa suite n’était jamais de moins +que quatre-vingts ou cent chevaliers parmi lesquels étaient des princes, +des ducs, des grands seigneurs. Les archers étaient richement équipés. +Pour lui il mettait chaque jour quelques joyaux différents, tantôt une +ceinture de diamants, tantôt un rosaire de pierres précieuses, d’autres +fois un bonnet ou une aumusse qui en étaient tout brodés. Le peuple de +Paris qui avait vu bien des princes et qui ne se dérangeait pas toujours +pour les voir passer, courait dans les rues pour regarder le duc de +Bourgogne chaque fois qu’il sortait.» + +Charles le Téméraire, fils de ce magnifique prince, semble réincarner en +lui Philippe le Hardi et Jean sans Peur, avec un caractère poussé encore +davantage dans le sens de la violence. Avec lui finit la superbe et +terrible maison de Bourgogne qui se couche dans une pourpre sanglante et +à sa mort l’hôtel de Mauconseil revient à la couronne qui, à défaut de +preneurs princiers, le subdivise et le loue à des particuliers. + +En 1453, François Iᵉʳ pressé par le besoin de pécunes, fit mettre en +vente aux enchères les anciens hôtels royaux ou princiers qu’il ne +pouvait utiliser, certaines parties de l’hôtel Saint-Paul, l’hôtel de +Bourbon confisqué au connétable, et avec eux l’ancien hôtel de +Bourgogne. + +C’était la fin pour cette grande résidence qui fut découpée en treize +lots à travers lesquels passait une rue nouvelle qui s’appella du nom du +roi, rue Françoise dont on a aujourd’hui, à tort, changé l’_o_ en _a_. +Tout sur ce point se transforma bien vite, le jardin de Jean sans Peur +disparut, les grandes salles jadis si richement meublées et tapissées +tombèrent et des maisons vinrent s’accrocher au donjon. Évanouis, les +souvenirs tragiques des Bourguignons et des Armagnacs. Le vieil hôtel +sanglant où s’étaient préparés les grands drames du siècle précédent +devint le théâtre des confrères de la Passion et des enfants Sans Souci, +c’est-à-dire le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, si fameux pendant cent +cinquante ans, donnant ainsi pour successeurs à Jean sans Peur les +désopilants farceurs, Gros-Guillaume, Turlupin, Gauthier Garguille et +Bruscambille. + +Les _Confrères de la Passion_, chassés de l’hôpital de la Trinité, près +la porte Saint-Denis, s’arrangèrent une salle de spectacle à l’hôtel de +Bourgogne et reprirent leurs représentations de mystères, jusqu’à ce +qu’un jour le Parlement leur ayant fait défense de tirer désormais leurs +sujets des légendes et miracles des saints, de l’histoire sacrée et des +dogmes mis continuellement à la scène, depuis la Création jusqu’au +Jugement dernier, avec tous les personnages de l’ancien ou du nouveau +testament, il ne leur resta plus pour domaine que les sujets profanes, +les romans de chevalerie et la mythologie, ainsi que les sotties et +moralités, ces farces satiriques des enfants Sans Souci dont les +allégories, fort audacieuses parfois, suscitaient les colères de +l’autorité, du parlement et du roi. + +En ce temps les confrères de la Passion faisaient annoncer leurs +représentations par un ou plusieurs acteurs, au son du tambour, par les +carrefours environnants. Vers 1570 il arriva même, dit-on, qu’un de ces +acteurs, Jean de Pontalais, alors célèbre par ses facéties, faisant +l’annonce devant le porche de Saint-Eustache, le curé de Saint-Eustache, +incommodé au cours d’un sermon par le bruit du tambour, descendit de la +chaire, et vint interrompre l’annonce: + +[Illustration: GROS-GUILLAUME, TURLUPIN ET GAUTHIER-GARGUILLE, A L’HÔTEL +DE BOURGOGNE] + +--Qui vous a fait si hardi, dit-il à Pontalais, de jouer du tambourin +pendant que je prêche? + +Pontalais, qui ne se laissait pas démonter facilement, répondit: + +--Eh! qui vous a fait si hardi de prêcher pendant que je tambourine? + +Le curé furieux creva la caisse et battit ensuite en retraite, mais +Pontalais le rattrapa sur les marches de l’église et le coiffa de son +tambour crevé, aux éclats de rire de l’assistance plus égayée que +scandalisée de cet exploit inattendu d’un comédien aimé. + +Au commencement du XVIIᵉ siècle le goût est à la farce joyeuse, c’est le +moment des fantoches comiques, des baladins et des bouffons jouant soit +dans les petits théâtres, soit en plein air sur les tréteaux des +charlatans et vendeurs d’orviétan du Pont-Neuf. Et pourtant l’hôtel de +Bourgogne, où des comédiens de métier ont succédé aux Confrères de la +Passion, joue alors des pièces quelque peu amphigouriques, de froides +tragédies au langage précieux et il s’inquiète de voir de plus en plus +vides ses banquettes. Les farceurs célèbres, Gauthier-Garguille, +Gros-Guillaume et Turlupin, trois garçons boulangers du quartier +Saint-Jacques enlevés au pétrin par le goût de la farce, avaient fondé +un petit théâtre place de l’Estrapade; sur ces très humbles tréteaux +leurs joyeusetés eurent un succès de curiosité d’abord, puis une telle +vogue, que le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, se voyant de plus en plus +délaissé par le public, alla porter ses plaintes devant Richelieu, plus +favorable à la tragédie qu’à la farce. Celui-ci fit venir le trio au +Palais-Cardinal, le fit jouer devant lui et, gagné à son tour, engagea +sur l’heure l’hôtel de Bourgogne à se l’attacher. + +Et alors les pièces de Scudéry, Hardy et Rotrou, les premières tragédies +de Corneille alternèrent avec les grosses farces de l’énorme +Gros-Guillaume, au ventre cerclé comme un tonneau, du fluet et tout +disloqué Gauthier-Garguille et de Turlupin, leur maître peut-être en +bouffonneries, d’une verve extravagante peu ordinaire, mais aussi de +grosse joyeuseté très peu délicate, très ordurière et même frisant trop +souvent et de trop près l’obscénité. + +Immense succès pour les trois compères, vogue fabuleuse. On se bouscule +à la porte de l’hôtel de Bourgogne, où les bouffons ouvrent la +représentation par une parade pour attirer le public et égayer la +_queue_ des spectateurs devant le guichet. Les banquettes sont bondées à +l’intérieur, on s’écrase, même pour les tragédies qui nous semblent les +plus rébarbatives, comme certaines de Scudéry qui eut pourtant l’honneur +de faire étouffer dans la presse le portier du théâtre. + +Bientôt d’autres bouffons, Bruscambille, Jean Farine qui _paradaient_ en +même temps sur le Pont-Neuf, Galinette la Galina viennent seconder ou +remplacer le trio sur les planches de l’hôtel de Bourgogne, puis arrive +Guillot Gorju, dont le pseudonyme cachait un fils de médecin qui, après +avoir lui-même obtenu ses diplômes, courut la province comme charlatan +ambulant avant de devenir tout à fait comédien. + +Sous Louis XIV, grande rivalité entre les comédiens de l’hôtel de +Bourgogne et la troupe de Molière. Celle-ci après avoir couru la +province à la façon de la troupe du _Roman comique_ de Scarron, pour +laquelle elle a servi peut-être de modèle, après avoir erré dans Paris +de salle en salle, chassée de la salle du jeu de paume de la Croix-Noire +du Marais au jeu de paume de la Croix-Blanche de la porte de Buci, puis +au jeu de paume de Nesle, a conquis enfin la faveur du roi et une salle +à l’hôtel de Bourbon. + +La troupe royale des comédiens français de l’hôtel de Bourgogne +regardait de son haut ces comédiens errants, lesquels finirent par lui +disputer la vogue. A la mort de Molière les deux troupes se fondirent en +une seule qui s’en alla occuper la salle de la rue Guénégaud, tandis que +la salle de l’hôtel de Bourgogne restait en la possession des comédiens +italiens, lesquels, appelés par Mazarin, alternaient déjà depuis +longtemps avec les comédiens français. + +Sous la tour de Jean sans Peur ce sont d’autres fantoches maintenant qui +égaient de leurs lazzis le vieux quartier Mauconseil; c’est Scaramouche +et sa bande avec il signor Pantalone, c’est Scapin, c’est Arlequin, +c’est Polichinelle sans peur et sans pitié aussi, le farouche capitaine +Matamore, Cassandre toujours berné et le doux Pierrot avec Colombine la +Coquette. + +Les bouffons italiens s’étant permis quelques épigrammes sur Mᵐᵉ de +Maintenon dans une pièce intitulée _la fausse Prude_, on les mit à la +porte en 1693 et leur théâtre resta fermé jusqu’à la Régence. +Précédemment les confrères de la Passion qui n’étaient plus comédiens du +tout, mais dont l’association, en tant que confrérie de charité, était +demeurée propriétaire de la salle, avaient été supprimés par édit de +1677 et leurs revenus affectés à l’entretien des Enfants Trouvés. + +La salle abrita ensuite la comédie italienne, c’est-à-dire sous le même +titre, la musique italienne et l’opéra comique français, jusqu’à la +construction de la salle de la rue de Choiseul; tout était fini alors, +le vieux théâtre de l’hôtel de Bourgogne avait vécu. En 1783, au moyen +de quelques travaux d’aménagement il devint la halle aux cuirs, jusqu’à +l’éventrement du quartier pour le passage de la rue aux Ours ou +Étienne-Marcel, qui fit soudain reparaître au jour le donjon des ducs de +Bourgogne. + +[Illustration: ANCIENS ANIMAUX SYMBOLIQUES DES ÉVANGÉLISTES DE LA TOUR +SAINT-JACQUES.--AUJOURD’HUI DANS LE JARDIN DE CLUNY.] + +[Illustration: HÔTEL SAINT-AIGNAN, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE] + + +II + + L’hôtel de Cluny, Guise, Soubise.--Marguerite ou Miséricorde?--Les + mauvais garçons de Pierre de Craon.--L’assassinat de Clisson.--MM. + de Guise, rois de la très sainte Ligue.--La citadelle des + Ligueurs.--Le Balafré aux Barricades.--Mˡˡᵉ de + Montpensier.--L’hôtel aux Soubise.--Le séjour Barbette.--La reine + Isabeau.--Meurtre du duc d’Orléans.--La lampe du + meurtrier.--Savoisy.--L’hôtel du roi de Sicile.--Mᵐᵉ de Lamballe à + la Force. + +Au quartier du Temple, dans la rue du Chaume qui continue la rue de +l’Homme-Armé, le connétable Olivier de Clisson en 1370 éleva pour «soi +demeurer pendant ses séjours à Paris» un hôtel point trop éloigné de +l’hôtel royal Saint-Paul, un peu en dehors de l’ancienne enceinte de +Philippe-Auguste, remplacée depuis peu par la muraille d’Étienne Marcel. + +[Illustration: MANOIR DIT DE LA REINE BLANCHE AU FAUBOURG SAINT-MARCEL] + +[Illustration: PORTE DE L’HÔTEL DE GUISE, MAINTENANT PALAIS DES +ARCHIVES] + +Cet hôtel de Clisson, modifié et augmenté, devint plus tard l’hôtel de +Guise et tint en cette qualité une place considérable dans l’histoire de +Paris, en reprenant dans les troubles du XVIᵉ siècle, le rôle de +l’hôtel de Bourgogne dans les guerres civiles du XVᵉ siècle. Modifié +encore, reconstruit, il fut au XVIIIᵉ siècle l’hôtel Soubise et il est +maintenant le palais des Archives. Après avoir fait de l’histoire, il +abrite ce qui en est le résidu aujourd’hui, gardant entre ses murs +toutes les innombrables et précieuses paperasses, chartes, diplômes, +dossiers, lettres, etc., poussière des siècles vécus, lave refroidie des +Révolutions, dernières traces de tant de grands faits, de nobles ou +criminelles actions, de grands travaux et d’intrigues tortueuses, +d’événements lointains qui ont passionné les esprits, terrifié ou réjoui +les cœurs, fait couler les larmes et le sang des générations +successives... + +De l’hôtel de Clisson il reste la porte, une belle entrée d’aspect +militaire comme il convenait à une demeure de connétable, une haute +ogive protégée par deux tourelles en encorbellement. La tourelle de +droite a bien été un peu attaquée et amaigrie par les architectes du +siècle dernier, à qui nous devons savoir gré d’avoir oublié de la +démolir, mais la porte du connétable n’en souffre pas trop; les deux +écussons peints au-dessus de la voûte portent les armes de la maison de +Guise compliquées d’armoiries d’alliances et de chiffres. + +Plus haut, se voit gravée dans la pierre une grande M, initiale +mystérieuse sur laquelle on a beaucoup disserté. A Josselin en Bretagne, +dans l’église où dort le connétable sous un beau tombeau mutilé, l’M se +trouve partout, alternant avec des Marguerites presque effacées, c’était +l’initiale de Marguerite de Rohan sa femme. D’après la légende de +l’hôtel de Clisson, cela voudrait dire aussi Miséricorde et rappellerait +un épisode des insurrections parisiennes du règne de Charles VI. + +En 1382, au retour de l’expédition victorieuse de Flandre, Charles VI, +alors enfant de quatorze ans, trouva Paris en armes, atterré par la +nouvelle de la victoire de la noblesse à Rosebecke, alors que les bandes +parisiennes s’étaient préparées à joindre leurs efforts à ceux des +Flamands. Cette nouvelle révolte des Maillotins fut plus sévèrement +châtiée que celle de l’année précédente. Le roi et les princes ses +oncles, en trois «_batailles_», dont Clisson commanda la première, +entrèrent dans Paris par les portes rompues et abattues. Clisson avait +la main dure et le fit sentir aux révoltés. Après avoir pris tout ce qui +avait marqué dans la sédition, et décapité aux Halles les principaux +meneurs, on désarma Paris, on enleva les chaînes des rues; il fallut +livrer les maillets, arbalètes, vouges, fauchards, et tout les harnois +de guerre «et disait-on qu’il y en avait assez pour armer cent mille +hommes». + +Des bourgeois compromis restaient aux prisons attendant leur sort. Un +jour le peuple de Paris fut convié au Palais de Justice. Sur les degrés +de la cour un siège avait été élevé pour le petit roi, qu’entouraient +ses oncles et ses capitaines et ses conseillers. Le chancelier +d’Orgemont prit la parole, semonça véhémentement les Parisiens, rappela +toutes leurs séditions et commotions, et les crimes et délits commis +dans les désordres, puis arrivèrent les familles des prisonniers, «_les +dames et demoiselles toutes déchevelées_» qui se jetèrent aux pieds du +roi criant miséricorde; les oncles du roi, les capitaines en firent +autant et le peuple à genoux, nu-tête, de tous les points de la cour du +palais, clama de même: Miséricorde! + +Alors le roi, comme s’il se laissait attendrir, quitta sa figure +courroucée et donna l’ordre de mettre les prisonniers en liberté, +changeant les peines encourues en amendes qui servirent à payer les +gendarmes. On attribua surtout, dit-on, la clémence royale aux conseils +de Clisson et en reconnaissance le peuple, voyant ces M sculptés par +Clisson sur sa maison en l’honneur de sa femme, appela cette maison +l’hôtel de Miséricorde. Ceci est l’explication de la légende, la vérité +est peut-être toute contraire, et le mot miséricorde est plus +probablement une ironie des Parisiens se souvenant de la poigne de +Clisson dans la répression. + +Clisson avait des ennemis mortels; le duc de Bretagne, qui déjà l’avait +par trahison tenu en son château de l’Hermine à Vannes et ne l’avait +relâché que sur grosse rançon, ce dont il se repentait fort, et le +chevalier Pierre de Craon que Clisson avait fait chasser de la cour. Ces +deux haines s’entendirent et Pierre de Craon, assuré en tout cas d’un +refuge en Bretagne, s’en vint à Paris tendre une embuscade au +connétable, se jurant bien de trouver le moyen de réussir l’occision que +le duc avait manquée à Vannes. + +Au bout de la rue de la Verrerie, derrière l’hôpital Saint-Gervais, +c’est-à-dire tout proche de l’hôtel du connétable, par la rue des +Mauvais-Garçons et la rue du Murier, Pierre de Craon possédait un logis +dans lequel il fit secrètement provision d’armes et d’armures et qu’il +pourvut largement de vivres. Ces _pourvéances_ faites, Craon réunit des +«_compagnons hardis et outrageux_»; il les envoya par petites troupes en +son hôtel où ils arrivaient de nuit et restaient tapis sans sortir, +faisant largement honneur aux victuailles amassées, en attendant +l’ouvrage inconnu qui leur était réservé. Quand il y en eut une +quarantaine, Craon arriva à son tour, toujours secrètement et s’enferma +comme les autres, gardant seulement dehors des espions qui guettaient +tous les faits et gestes du connétable. + +Enfin l’occasion si patiemment épiée se présenta. Il y avait fête à +l’hôtel Saint-Paul, le jour de la Fête-Dieu de 1392, joûtes toute la +journée dans les lices de l’hôtel devant les dames, puis festin et +danses. Les danses ne finirent qu’une heure après minuit, l’assemblée +tout aussitôt se dispersa, chacun s’en retournant au logis. Messire +Olivier de Clisson ayant causé longuement avec le roi quitta l’hôtel le +dernier, alors que les lumières de la fête s’éteignaient et que tous à +l’hôtel se préparaient à dormir. Ses gens et ses chevaux l’attendaient à +la porte, ils étaient huit seulement, avec deux torches que les valets +allumèrent dès que le connétable fut en selle. + +Pierre de Craon avait fait monter ses hommes à cheval et dans la nuit +noire s’en était allé s’embusquer au carrefour Baudoyer. La petite +troupe du connétable quittant la rue Saint-Paul, tourna au carrefour des +rues Saint-Antoine et Sainte-Catherine, maintenant Sévigné; Clisson +causait avec un écuyer, il était en train de lui dire: «Je dois demain +avoir au dîner chez moi, monseigneur de Touraine, le seigneur de Coucy, +messire Jean de Vienne, messire Charles d’Hangiers, le baron d’Ivry et +plusieurs autres, or pensez que ils soient tous aisés et que rien n’y +ait d’épargné...» lorsque tout à coup retentit en arrière le galop des +quarante chevaux de Craon. + +En un clin d’œil le cortège du connétable fut bousculé, les deux torches +éteintes. Le connétable prit d’abord l’attaque pour une plaisanterie du +duc d’Orléans, il cria aux assaillants: Monseigneur, par ma foi, c’est +mal fait, mais je vous le pardonne, car vous êtes jeune... + +--A mort Clisson! à mort, ci vous faut mourir, lui répondit un homme de +la mêlée. + +--Qui es-tu, qui dis de telles paroles? + +--Je suis Pierre de Craon! + +Et les épées commençaient leur jeu; les gens du connétable et lui-même, +dans leurs habits de fête, étaient peu armés, tandis que les hommes de +Craon étaient couverts de fer. + +--Occirons-nous tout? demandèrent-ils à Craon. + +--Oil, tous ceux qui se mettront en défense. + +Les gens de Clisson furent vite à terre ou jetés de côté, dans le noir +de la rue; le connétable se défendait de son mieux avec une courte épée +contre les coups qui pleuvaient dru sur lui. Par bonheur l’obscurité le +protégeait un peu, et d’un autre côté les hommes de Craon qui venaient +seulement d’apprendre à quel illustre personnage ils s’attaquaient, s’en +trouvaient fort troublés. Clisson ferraillant toujours, déjà meurtri et +blessé par tout le corps, se maintenait à cheval. Un coup formidable +asséné sur la tête le renversa enfin. Il tomba juste dans la porte d’un +boulanger qui préparait son pain et qui au terrible fracas des épées +venait d’entrebâiller son huis. Sous le poids du corps roulant à terre, +la porte s’ouvrit toute grande et le connétable resta sans mouvement, la +tête dans la maison du boulanger épouvanté, les jambes dans la rue. + +Craon hésita un moment, il n’osa descendre pour voir si l’œuvre était +bien achevée.--Allons, dit-il, nous en avons assez fait, s’il n’est pas +mort, il mourra du coup féru à la tête!... + +Et toute la troupe fila au grand trot vers la porte Saint-Antoine pour +s’échapper. Or toutes les portes de Paris, depuis la révolte des +Maillotins, avaient été enlevées, précisément sur le conseil du +connétable. Si elles avaient pu être closes comme jadis à la nuit, +jamais Craon n’aurait osé tramer son attentat, arrêté par +l’impossibilité de sortir une fois le coup fait. «Or considérez comme +les choses adviennent, dit Froissart, le connétable avait cueilli la +verge dont il fut battu.» Craon, sorti sans difficulté par la porte +Saint-Antoine, poussa tout d’une traite jusqu’à Chartres, y trouva des +chevaux préparés et continua de la même allure jusqu’au château de +Sablé. + +Criblé de blessures et la tête pleine de sang, Clisson gisait dans la +boutique du boulanger, on le croyait bien mort et l’on avait couru +prévenir à l’hôtel Saint-Paul, d’où le roi partit immédiatement en robe +de chambre, avec quelques chambellans et des gens d’armes, torches +allumées, et tout ce monde vint remplir la rue et la petite boutique du +boulanger. Cependant Clisson, que l’on avait déshabillé pour visiter ses +plaies, donnait quelques faibles signes de vie, au grand étonnement de +ses gens. + +[Illustration: LE CONNÉTABLE DE CLISSON RAPPORTÉ A SON HOTEL, RUE +VIEILLE-DU-TEMPLE + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +--Connétable, comment vous sentez-vous? demanda le roi se penchant sur +ce corps tout sanglant qui remuait encore. + +--Cher sire, petitement et faiblement, murmura le connétable. + +--Qui vous a mis en cet état? + +--Sire, c’est Pierre de Craon, traîtreusement... + +--Connétable! je le jure, jamais chose ne sera si bien et si fort +vengée! Or tôt, aux médecins et surgiens d’abord!... + +Déjà les médecins de l’hôtel Saint-Paul accouraient. Ils examinèrent +longuement et pansèrent les blessures dont le connétable était navré par +tout le corps. Par chance miraculeuse, aucune n’était mortelle, le grand +nom de Clisson, jeté subitement aux assassins, avait pour ainsi dire +amolli leurs bras; néanmoins le connétable eût été achevé sous les pieds +des chevaux, si la porte du boulanger ne s’était ouverte quand il tomba +sous le grand coup porté par Craon. + +--Dans quinze jours, dirent les médecins au roi bien heureux, nous vous +le rendrons chevauchant! + +[Illustration: UN COIN DE LA COUR DE L’HÔTEL DE MAYENNE-D’ORMESSON RUE +SAINT-ANTOINE] + +On sait comment Craon ne fut pas rattrapé par le prévôt de Paris lancé +sur ses traces, comment n’estimant point le château de Sablé asile assez +sûr quand il apprit que le connétable n’était pas mort, il se réfugia +près du duc de Bretagne, comment, la guerre ayant été déclarée à ce duc, +Clisson guéri et le roi déjà malade, s’obstinant malgré sa faiblesse, +menèrent l’armée vers la Bretagne, et comment se déclara dans la forêt +du Mans la folie de Charles IV. + +Que de maux découlèrent de ce meurtre manqué rue +Culture-Sainte-Catherine: les longues guerres civiles pendant la démence +du roi et la jeunesse de Charles VII, la lutte des princes s’arrachant +villes dévastées et provinces ravagées, les féroces massacres des +partis, cruelles meurtrissures auxquelles vinrent s’ajouter encore les +désastres de la guerre anglaise, comme pour achever de faire un cadavre +de la France pantelante. + +Pierre de Craon ne fut pas pris; mais il eut tous ses biens confisqués, +son logis de Paris fut rasé et l’emplacement ajouté au cimetière +Saint-Jean; la ruelle qui longeait les murs du logis et dont il reste un +fragment, prit alors, pense-t-on, le nom de rue des Mauvais-Garçons. +Plus tard Craon repentant fit, en signe d’amende honorable, élever dans +le cimetière, à l’endroit où avait été sa maison, une croix de pierre +portant son nom et l’aveu de son crime. + +L’hôtel de Clisson, après avoir passé dans diverses mains, devint en +1553 la propriété d’Anne d’Este, femme de François de Lorraine, duc de +Guise. Les Guises, par diverses adjonctions et bâtisses agrandirent +considérablement l’ancien logis de Clisson et formèrent le très haut et +très vaste hôtel à deux grandes cours, avec jardins derrière et sur les +côtés, que l’on peut voir sur le plan de Paris de Gomboust, tenant déjà +tout le pâté de bâtiments de la rue des Quatre-Fils à la rue des +Francs-Bourgeois. + +Dans cet immense hôtel magnifiquement installé et meublé, orné de +peintures murales du Primatice, décoré de tapisseries merveilleuses qui +étaient, d’après Sauval, avec celles du Vatican et du Louvre, les plus +belles du monde, les Guises tenaient une véritable cour et pouvaient +loger une suite considérable de gentilshommes attachés à leur fortune, +garnison qui s’augmenta, aux jours critiques, de soldats et de partisans +nombreux. + +A François de Guise, défenseur de Metz, assassiné sous Orléans par +Poltrot de Méré, succéda Henri de Guise le Balafré qui devait périr à +Blois. Dans l’Etat bouleversé par les factions, au moment le plus +terrible des guerres de religion, la maison de Guise si rapidement +élevée, n’ayant plus de frein à ses ambitions, pouvait tout espérer. +Elle avait déjà les cœurs d’une bonne partie des Français détachés des +Valois dégénérés; Paris conquis par ses curés et ses prédicateurs, par +les meneurs fanatiques, était Guisard. Les Guises pouvaient nourrir +l’espoir de culbuter les fils de l’italienne Catherine de Médicis, de +rejeter en sa Gascogne ou supprimer le Béarnais, cet Henri de Bourbon +que Charles IX avait épargné à la Saint-Barthélemy, puis, cet héritier +du trône écarté, d’enlever le trône de France au roi des Mignons, à cet +Henri III méprisé, que les ciseaux de la duchesse de Montpensier +comptaient bien tonsurer pour en faire frère Henri de Valois. + +En ces années tumultueuses, de 1560 à 1594, l’hôtel de Guise est une +citadelle rivale du Louvre. C’est là que les ligueurs prennent le mot +d’ordre, les gens de robe, intrigants, parlementaires ou sorbonnistes, +les gens d’épée cherchant le bon parti, les bourgeois remuants, les +terribles Seize. Le fil de toutes les intrigues secrètes aboutit ici et +c’est d’ici que part le signal de toutes les complications qui viennent +embrouiller et compléter l’anarchie du pauvre royaume. + +Autant et plus que le Louvre, l’hôtel de Guise a trempé dans le sang de +la Saint-Barthélemy; la tentative d’assassinat de Maurevel sur Coligny y +fut tramée, et c’est le duc de Guise, dans son hôtel changé en place de +guerre et rempli de soldats, qui organisa le massacre, donna l’ordre au +prévôt des marchands et aux échevins de préparer leurs gens. + +[Illustration: LES PRÉDICATEURS DANS LE JARDIN DES JACOBINS DE LA RUE +SAINT-JACQUES, SOUS LA LIGUE + +AU FOND LES ÉCOLES SAINT-THOMAS, DÉMOLIES VERS 1850] + +Aux coups du tocsin l’hôtel de Guise s’ouvre et lâche par la ville ses +bandes de forcenés, tandis que Guise lui-même à la tête d’une forte +troupe marche sur la maison de l’amiral pour faire exécuter sous ses +yeux ce que Maurevel avait manqué deux jours auparavant. + +Pendant les années qui suivent, Guise est aussi roi, sinon plus, que cet +Henri III pour lequel il ne cache pas son mépris. Les gentilshommes de +l’hôtel de Guise insultent journellement les mignons du roi et lui tuent +les plus aimés, Quélus et Maugiron, tombés dans le fameux duel de trois +contre trois, aux Tournelles près de la Bastille. Guise est le vrai roi +de la ville de Paris, le roi de la très sainte Ligue dont il tient tous +les fils avec ses frères Mayenne et le cardinal de Guise, jouant même +avec adresse, pour l’opposer au roi de Navarre, de son oncle le cardinal +de Bourbon. De ce vieillard, ils ont l’air de faire l’héritier éventuel +du trône, dont chaque pas semble les rapprocher, pas assez vite +cependant au gré de l’impatience de la sœur des Guise, l’ardente et +vindicative duchesse de Montpensier, qui, à elle seule, suffirait à +entretenir toutes les intrigues, toutes les machinations de la maison, à +maintenir à la température voulue, dans la cuve parisienne, le +bouillonnement des passions révolutionnaires savamment malaxées. + +L’heure étant venue, l’insurrection parisienne étant bien préparée, tous +les rôles sus, le plan des barricades, faites de tonneaux remplis de +terre, adopté, les chefs de quartier nommés, les capitaines guisards +introduits et cachés, le duc de Guise malgré la défense du roi entre +dans Paris. C’est un triomphe, une ovation sans fin, de la porte +Saint-Denis à l’hôtel de Soissons où tout d’abord il se rend pour saluer +la reine mère. Puis il a l’audace de se présenter au Louvre, où peu s’en +faut qu’il ne trouve ce qui l’attend à Blois. + +--Sire, tenez-vous M. de Guise pour votre ami ou votre ennemi, dit au +roi le colonel des gardes Alphonse d’Ornano, il ne faut qu’un mot sans +vous en donner autrement peine et je vous apporte aujourd’hui sa tête à +vos pieds. + +Mais Henri III ne dit pas le mot, _il n’ose_, cette fois. Il ne se sent +pas assez fort dans Paris, au milieu de ce peuple dont il a entendu +jusque sous ses fenêtres les cris d’amour frénétiques pour les +Guises--«de qui la France, a-t-on dit, est folle car c’est trop peu dire +amoureuse». + +Rentré à l’hôtel de Guise, le Balafré prend les dernières mesures pour +le corps à corps avec le roi; l’hôtel de Guise devient un arsenal et un +quartier général. Dans le jour ce ne sont qu’allées et venues de +gentilshommes, de curés, de capitaines et de bourgeois; les meneurs +populaires sont les plus caressés par les princes lorrains. Pendant la +nuit on amène à l’hôtel grande provision d’armes. Le roi de son côté +fait venir des troupes. + +Le jeudi 12 mai 1588, la mine éclate, un immense réseau de barricades +couvre la ville. Tout le monde marche sous la direction des dixeniers et +quarteniers, dans la fumée des arquebusades; les suisses sont cernés, +culbutés et désarmés. Guise toute la journée resta aux fenêtres de +l’hôtel de Guise surveillant son œuvre et occupé à donner des ordres. A +quatre heures, la révolte étant partout maîtresse et les troupes qui +n’étaient pas prisonnières rabattues sur le Louvre, Guise sortit de son +hôtel en pourpoint blanc tailladé, avec une suite de gentilshommes. Les +rues autour de l’hôtel sont pleines de monde, à sa vue c’est une +frénésie d’enthousiasme, les gens des barricades, la foule qui se +presse, bourgeois et bourgeoises, l’acclament. «Il ne faut plus +lanterner, crient des gens, il faut le mener à Reims!» On l’étourdit +par les rues de tant de cris de: Vive Guise! qu’il ne fait que lever son +grand chapeau et qu’il feint d’en être fâché. «Mes amis, c’est assez, +messieurs, c’est trop, criez vive le roi!» + +Il est presque au but maintenant, il ne reste plus pour achever l’œuvre +que la suppression d’Henri III et c’est, il y compte bien, ce que les +Parisiens fanatisés vont faire sans qu’il ait besoin d’y mettre la main. +Déjà des gens à lui excitaient le peuple à compléter sa victoire par la +prise du Louvre. + +--Allons prendre et barricader ce bougre de roi dans son Louvre! +criait-on aux carrefours changés en places d’armes. + +Toute la nuit se passe ainsi tumultueuse, les bourgeois de la Ligue ont +saisi les portes de la ville, ce qui permet aux partisans des Guises +d’accourir; ils s’emparent de l’Hôtel de Ville et de l’Arsenal et +bloquent la Bastille; les barricades touchent le Louvre et tout semble +présager une grande attaque du château. + +Ce vendredi la reine-mère monte en sa chaise et, péniblement, à travers +la foule armée, à travers les retranchements des rues «si dru semés» où +elle obtient difficilement passage, elle se dirige vers l’hôtel de +Guise, quartier général de l’insurrection déchaînée. Elle tente une +dernière démarche auprès du duc de Guise, le suppliant d’éteindre tant +de feux allumés et de venir s’entendre avec le roi disposé à toutes les +concessions. Le duc de Guise répond froidement qu’il n’y peut plus rien, +que le peuple est un taureau échappé qu’on ne peut plus retenir: il +déplore l’état des choses, mais quant à aller au Louvre il s’y refuse +absolument, ne voulant se mettre à la merci de ses ennemis. + +[Illustration: TOURELLE HEROUET, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE] + +Cette démarche cependant sauve peut-être le roi, car pendant ces +négociations, les colonnes ligueuses qui se préparent à marcher sur le +Louvre ne reçoivent point les ordres de Guise et l’appoint de soldats +dont le courage éprouvé doit donner de la vigueur à l’attaque. Guise +tergiverse et va laisser échapper la proie qu’il tient presque en sa +main. Henri III, prévenu par sa mère, comprend que s’il reste un instant +de plus il est perdu, et il se décide à une fuite précipitée. + +Jamais plus il ne remettrait le pied dans Paris; il ne devait le revoir +que de loin, des hauteurs de Saint-Cloud quand il essaya de tenir son +serment d’y rentrer par la brèche. Mais alors l’arrêta le couteau du +cordelier Jacques Clément, mis en la main du moine par la duchesse de +Montpensier qui, à la journée des Barricades, n’aurait pas eu les +hésitations de son frère. + +Dans son journal, l’Estoile raconte qu’à la nouvelle de cette fuite qui +renversait tous les plans des Guisards, «un quidam dit que les deux +Henri avaient tous deux bien fait les ânes,» l’un pour n’avoir pas eu le +cœur d’exécuter ce qu’il avait entrepris, c’est-à-dire de faire tuer +Henri de Guise à sa visite au Louvre et fait donner sérieusement ses +troupes dès le commencement du soulèvement, et l’autre pour avoir le +lendemain laissé échapper la bête qu’il tenait en ses filets. + +L’hôtel de Guise, n’ayant point réussi à force ouverte, reprit sa +politique de feintes et de machinations, qui devaient bien étonner le +bon badaud ligueur ne voyant pas plus loin que le bout de sa hallebarde; +le duc de Guise pour reprendre contact avec le roi réfugié à Chartres, +ouvrit les négociations par une singulière ambassade, une procession de +capucins conduite par frère Ange, un Joyeuse qui s’était fait moine et +qui plus tard redevint homme d’épée. C’était une procession ridicule ou +plutôt une mascarade. + +En tête des Capucins, frère Ange déguisé en Jésus-Christ couronné +d’épines lié et garrotté, marchait sous les coups de fouet entre deux +femmes représentant Marie et Madeleine; des soldats venaient derrière en +costumes burlesques, portant en guise de casques des marmites renversées +et brandissant de vieilles armes rouillées. + +On négocia; par un accord signé entre le roi et les princes, le duc de +Guise fut nommé lieutenant général du royaume. S’y croyant tout autant +qu’à Paris le maître de la situation, il alla aux États réunis à Blois, +où les élections avaient envoyé une majorité ligueuse, où le président +du Tiers était La Chapelle-Marteau, un des Seize, un des chefs de la +journée des barricades, devenu prévôt des marchands de par les Guise. + +Cette fois le roi osa et deux des Guise périrent, le Balafré et le +cardinal. + +A l’hôtel de Guise il ne restait plus que Mayenne et la duchesse de +Montpensier; la déchéance du roi fut proclamée dès qu’arriva la nouvelle +du meurtre et Mayenne, prenant la présidence du conseil général de +l’Union, se nomma lieutenant général. Paris vécut dans l’effervescence +révolutionnaire, on pendit, on emprisonna les royaux et les politiques, +pendant que l’armée de Mayenne manœuvrait autour de Paris contre l’armée +royale formée des troupes combinées d’Henri de Valois et d’Henri de +Navarre. Quand, à la fin de juillet 1589, les deux rois vinrent attaquer +Paris, les Seize firent «_reserrer_» en toutes les prisons de Paris +environ trois cents bourgeois des plus apparents et notables, pris comme +otages, et la duchesse de Montpensier, à l’hôtel de Guise, eut des +conférences avec le petit cordelier Jacques Clément amené par le prieur +Bourgoin. Bien caressé et catéchisé, enflammé par des promesses de +toutes sortes, celui-ci s’en alla résolument à Saint-Cloud, et son +couteau vengea l’assassinat de Blois. + +L’hôtel de Guise savourait la joie de la vengeance; la duchesse et ses +gentilshommes prirent l’écharpe verte en signe d’allégresse, mais tout +n’était pas fini, car il restait Henri de Navarre devenu le grand +adversaire. Celui-ci après sa victoire d’Ivry revint attaquer Paris. +Dans la ville assiégée, affamée, affolée, le foyer révolutionnaire +entretenu par les Guises flamba si fortement, devint si dangereux, les +Seize, en vrai comité de salut public, poussés par le curé Boucher qui +était une sorte de Marat pensionné par l’Espagne, allèrent si loin dans +leurs fureurs démagogiques que Mayenne les voyant dépasser de beaucoup +ses plans, dut se hâter d’intervenir et de faire pendre quelques-uns de +ceux qu’il avait précédemment le plus caressés. + +Mais après cinq années encore d’agitations, l’hôtel de Guise d’où sont +sortis tant de maux pour la France et pour Paris en particulier, ce +palais de la Ligue responsable de toutes les horreurs déchaînées, des +férocités de la populace guisarde, de la guerre civile, de l’appel aux +Espagnols, de la terrible famine du siège, l’hôtel de Guise est enfin +vaincu. + +Le fils du Balafré et Mayenne lui-même peu après, essoufflé par cinq +années de campagnes, firent leurs accommodements avec Henri IV +victorieux partout, maître de Paris, oint de la Sainte-Ampoule et rentré +dans le giron de l’Église catholique. L’hôtel de Guise humilié, déçu +dans ses ambitions n’est plus ce quartier général de la rébellion qu’il +a été tant d’années; Mayenne s’en va bâtir un hôtel particulier, en face +de celui de Sully son vieil ennemi, dans la rue Saint-Antoine. L’hôtel +de Guise, silencieux maintenant, reste pendant un siècle encore aux +mains des descendants du Balafré, seigneurs opulents qui ont renoncé aux +grands rêves et dont l’ambition ne trouble plus l’État. On ne loge plus +de conspirateurs à l’hôtel de Guise, ses immenses bâtiments que la foule +des traîneurs d’épée ne remplit plus, donnent l’hospitalité à des +protégés de la maison de Lorraine, à de tranquilles gens de lettres, +entre lesquels Corneille pendant quelque temps. + +En 1700, l’hôtel passa aux princes de Soubise. Alors tombèrent les +vieilles murailles pour la transformation du terrible hôtel, à l’aspect +grave et solide, en un palais XVIIIᵉ siècle largement ouvert, +somptueusement orné et décoré. Il ne resta pour rappeler le temps des +Guises qu’un bel escalier de pierre dont la rampe de fer est ornée de +croix de Lorraine. Les parties de murailles que l’on conserva furent +transformées et complètement déguisées par de nouvelles dispositions et +par une décoration à la mode nouvelle. Portique à colonnes +corinthiennes, vaste cour d’honneur encadrée d’une colonnade à terrasse, +grande façade avec fronton central, statues et sculptures diverses; +appartements magnifiques dont la décoration est due à Germain Boffrand, +boiseries splendides, plafonds, trumeaux, bas-reliefs, dessus de portes, +on trouve là toute la grâce, toute l’élégance du XVIIIᵉ siècle. Tout +cela, quand arriva la Révolution, allait être mis en vente par les +créanciers des Soubise. + +Un moment, la Révolution triomphante vint réveiller à l’hôtel de Guise +l’écho des anciennes séditions. Un jour des gens armés envahirent les +cours, c’étaient les vainqueurs de la Bastille qui venaient entasser +dans l’hôtel quarante-cinq milliers de poudre trouvés dans la +forteresse. Les poudres parties, des ateliers divers pour l’armement de +la nation les remplacèrent, avec un détachement de hussards Chamboran +casernés dans les parties disponibles. + +Enfin l’Empire, en 1808, achète l’hôtel Soubise en même temps que +l’hôtel de Rohan qui le touche par les jardins. Il fait de celui-ci +l’Imprimerie nationale et donne à celui-là son affectation actuelle de +grand dépôt des Archives nationales et d’École des Chartes. + +Tout près de ce logis de Clisson et des Guises, s’élevait l’hôtel d’un +riche financier du XIVᵉ siècle, Étienne Barbette, prévôt de Paris et +argentier ou surintendant des finances de Philippe le Bel. C’était un +_Séjour_, un manoir de campagne situé en dehors de l’enceinte de +Philippe-Auguste, près de la porte de la rue Vieille-du-Temple, qu’on +appelait en raison de ce voisinage porte Barbette. + +L’hôtel entouré de jardins était très considérable, les financiers de +tout temps ont fait imprudemment étalage de leurs richesses, qu’à tort +ou à raison, et très souvent à raison, on considérait comme mal +acquises. Ces questions de finances, d’impositions, tailles et aides +levées irrégulièrement et arbitrairement, c’est la grosse cause de +discordes entre les peuples et les rois; il était bien difficile d’y +apporter remède et d’améliorer le système de répartition et de +perception, à cause des privilèges de classes, des différences de +traitement des provinces et de la confusion des franchises, coutumes, +immunités. C’est la cause directe ou indirecte de presque toutes les +séditions. Les financiers haïs par les peuples, qui voient tous ces +ruisseaux d’argent converger vers leurs coffres, soupçonnés par les +princes qui les accusent d’en arrêter au passage une trop forte partie, +ont souvent payé fort cher leurs malversations. Les hôtels et châteaux +construits par eux témoignant imprudemment d’une opulence acquise aux +dépens de l’épargne des peuples et de la bourse du roi, leur ont attiré +souvent de terribles mésaventures et sont rarement passés à leurs +héritiers. + +Philippe le Bel, ayant usé de toutes les ressources de l’impôt, s’en +était pris aux monnaies, dont il diminua le titre à plusieurs reprises +au grand dommage et embarras de tous en général; cela créa une question +des loyers qui poussa enfin à bout l’irritation du peuple. Les loyers, +convenus en ancienne et loyale monnaie devaient-ils être payés en +monnaie altérée, ayant perdu une forte partie de sa valeur? Les +locataires disaient oui et les propriétaires non. Tous avec autant de +raison. Cette question d’argent tourna en émeute. Le populaire se porta +sur la courtille Barbette, mit le feu à l’hôtel et détruisit tout ce +qu’il pouvait détruire, jusqu’aux arbres du jardin. + +A la fin du XIVᵉ siècle, au séjour Barbette réédifié, habitait la reine +Isabeau de Bavière qui au milieu d’une petite cour dissolue, menait +toujours sa vie de faste et de désordres. Cette vie licencieuse bien +connue de tous, ces fêtes masquées, ces déportements dont l’écho +dépassait les murs du séjour Barbette, devinrent un tel scandale public +qu’un jour un moine Augustin nommé Jacques Legrand osa, dans un sermon +solennel prêché devant la reine et s’adressant à elle, se faire +l’interprète de l’indignation générale.--«Je voudrais, dit-il, noble +reine, ne rien vous dire qui ne vous fut agréable mais votre salut m’est +plus cher que vos bonnes grâces; je dirai donc la vérité, quels que +doivent être vos sentiments à mon égard. La déesse Vénus règne seule en +votre cour; l’ivresse et la débauche lui servent de cortège et font de +la nuit le jour, au milieu des danses les plus dissolues. Ces maudites +et infernales suivantes qui assiègent sans cesse votre cour corrompent +les mœurs et énervent les cœurs... Partout, noble reine, on parle de ces +désordres et de beaucoup d’autres qui déshonorent votre cour.» + +[Illustration: UNE PORTE DANS LA COUR DE LA MAISON RUE DU JOUR Nº 25] + +Ce dur langage ne pouvait être bien reçu, Isabeau et les dames de sa +suite se récrièrent, mais aux reproches le moine répondit plus bravement +encore, sans se soucier de la colère des familiers de la reine qui +parlaient de le faire jeter à l’eau. + +En ce _petit séjour_ Barbette, très vaste hôtel qui tenait tout le carré +formé aujourd’hui par les rues Vieille-du-Temple, des Francs-Bourgeois, +Payenne, du Parc-Royal et de la Perle, avec l’entrée principale rue +Vieille-du-Temple,--Isabeau en relevailles d’un enfant mort en naissant, +reçut le 20 novembre 1407, la visite du duc d’Orléans, pour le moment +trop lié avec elle et qui resta à souper. Ce souper devait lui coûter la +vie. C’était l’occasion attendue depuis longtemps par le duc de +Bourgogne. Assez tard dans la soirée, un valet de chambre du roi, acheté +par Jean sans Peur, vint demander le duc d’Orléans et lui dit que le roi +l’envoyait quérir hâtivement pour choses importantes. + +Le duc immédiatement fit seller sa mule et quitta l’hôtel Barbette, +suivi seulement de deux écuyers montés sur le même cheval et de quatre +ou cinq valets porteurs de torches, car il était venu en petite +compagnie. Ils avaient à peine fait quelque chemin dans la rue obscure +et déserte, que soudain de l’ombre d’une ruelle il leur tomba sur le +corps dix-huit hommes, les uns à pied, les autres à cheval. Dès la +première poussée un coup de hache abattit la main du duc d’Orléans qui +n’avait pu se mettre en défense et criait: «Je suis le duc d’Orléans!» + +--C’est ce que nous demandons! à mort! à mort! + +En un instant le duc fut jeté à bas de sa mule et percé de coups. +Retourné à terre par les assaillants et encore terriblement martelé, il +mourut la tête écrasée, projetant sa cervelle sur les pavés, et avec lui +périt un de ses écuyers, un jeune Allemand qui, renversé aussi en le +défendant, se coucha sur son maître pour lui servir de bouclier. + +Au bruit le cheval qui portait les deux écuyers avait pris peur et +s’était emballé; lorsque à une certaine distance ils purent se rendre +maîtres de leur monture, les deux écuyers revinrent sur leurs pas et +arrêtèrent en route la mule du duc. + +Les maisons noires s’éclairaient çà et là de lumières, on s’éveillait au +bruit, mais on n’osait bouger. Les deux écuyers s’approchèrent du groupe +des assassins acharnés encore sur les cadavres; on leur cria de reculer +s’ils ne voulaient subir le sort des autres, puis, la besogne bien +terminée, les meurtriers s’échappèrent en criant au feu, et en jetant +des chausse-trapes derrière eux pour empêcher la poursuite. + +En même temps, pour augmenter le désordre, un des leurs mettait le feu à +la maison de l’image Notre-Dame touchant au séjour d’Isabeau, où ils +avaient vécu cachés depuis dix jours, commandés par un sieur Raoullet +d’Octonville, ennemi particulier du duc, et par Guillaume et Thomas +Courteheuse. + +On a prétendu que le duc de Bourgogne lui-même avait pris sa part de +l’exécution du crime afin d’être bien sûr qu’il réussirait mieux que +celui de Pierre de Craon. Ce qui est certain, c’est que les meurtriers +allèrent lui rendre bon compte de l’affaire à la tour Mauconseil, et +qu’il les fit partir déguisés pour son château de Lens, en même temps +qu’il s’éloignait de Paris après l’aveu de son crime. + +Le tumulte était grand autour de l’hôtel Barbette, les gens de la reine +arrivaient criant au meurtre, on se précipitait vers l’hôtel d’Orléans +et aussitôt accouraient serviteurs et chevaliers armés à la hâte. La +reine Isabeau, prise de peur, s’était jetée en sa litière et s’était +fait porter à l’hôtel Saint-Paul, pendant que l’on enlevait le cadavre +pour le conduire au milieu des gémissements, d’abord chez le maréchal de +Rieux dans l’hôtel remplacé au XVIIᵉ siècle par l’hôtel Amelot de +Bizeuil ou des Ambassadeurs Bataves, puis en l’église Saint-Guillaume +des Blancs-Manteaux. + +Ce meurtre qui fut le coup de tonnerre annonçant la grande lutte entre +Armagnacs et Bourguignons et qui amena tant de malheurs sur le pays, +avant d’être expié par la mort de Jean sans Peur tombant à son tour sous +les haches et les épées au pont de Montereau, eut lieu dans la rue des +Francs-Bourgeois, probablement devant un petit passage bordé de vieux +murs et de bâtiments en encorbellement, subsistant peut-être des +dépendances de l’hôtel Barbette. + +Un peu plus d’un siècle après la reine Isabeau, l’hôtel Barbette reçut +dans ses murs une autre femme célèbre, une reine encore, mais de la main +gauche, Madame Diane de Poitiers, femme de Louis de Brézé grand sénéchal +de Normandie. A sa mort l’hôtel Barbette trop vaste pour être conservé +intact fut vendu en plusieurs lots. En 1563, les rues Barbette, du +Parc-Royal et des Trois-Pavillons,--celle-ci maintenant Elzévir et qui +s’appela aussi rue de Diane,--passèrent à travers le vaste ensemble de +constructions ayant formé la courtille Barbette. Il subsista une partie +des anciens bâtiments formant des hôtels particuliers comme l’hôtel +d’Estrées, marqué sur le plan de Gomboust, logis appartenant au maréchal +d’Estrées, père d’une troisième beauté célèbre, maîtresse royale encore, +de la _Belle Gabrielle_ qui attacha son nom à tant de maisons, _nids +d’amour_ éparpillés dans Paris, où elle recevait la visite du Vert +Galant, l’amant officiel, et aussi, dit-on, de plusieurs autres galants, +traîtres à leur roi. C’est en cet hôtel d’Estrées, reste des anciens +hôtels d’Isabeau et de Diane de Poitiers, que l’Empire plaça la +maison-mère des demoiselles de la Légion d’honneur. + +[Illustration: LE PUITS DE L’ANCIEN SÉJOUR D’ORLÉANS ET DE +L’ABRI-COYCTIER, SUBSISTANT COUR DE ROUEN] + +La maison formant le coin des rues Vieille-du-Temple et des +Francs-Bourgeois porte sur l’angle une magnifique tourelle à pans +coupés, la plus jolie de celles qui nous restent à Paris, gracieusement +décorée et ciselée d’arcatures ogivales. Tourelle et maison avaient bien +souffert; le poids du Temps s’était fait sentir, les affectations +diverses avaient forcément amené bien des modifications, mais une +restauration récente a rendu son comble effilé à la tourelle et rétabli +certaines fenêtres dénaturées. Logis et tourelle ne datent point +d’Étienne Barbette, ils n’ont même pu faire partie du séjour d’Isabeau, +mais probablement ont été construits plus tard sur quelque dépendance de +ce séjour. + +Un autre hôtel princier s’élevait dès le XIIIᵉ siècle sur les rues du +roi de Sicile et Pavée. Le roi de Sicile qui lui avait donné son nom +était Charles, frère de saint Louis. A la fin du XIVᵉ siècle, l’hôtel +appartenait au roi Charles VI. Près de là, demeurait le favori Savoisy, +compagnon de jeunesse de Charles VI, en croupe de qui le roi, lors de +l’entrée solennelle de la reine Isabeau, s’en allait incognito courir +les rues de Paris pour jouir de la fête, ce qui lui attira dans la +presse quelques horions de bourgeois bousculés. + +Savoisy eut avec l’Université une affaire qui tourna mal pour lui. Un +jour que les Écoles allaient en procession générale à Sainte-Catherine +du Val des Ecoliers, le cortège se heurta aux gens de Savoisy menant +leurs chevaux boire à la Seine. Une querelle s’engagea, les gens de +Savoisy chevauchèrent raidement à travers la procession, renversèrent et +blessèrent quelques personnes, puis non contents de cela, étant rentrés +à l’hôtel s’y armèrent et revinrent tomber sur les écoliers qu’ils +poursuivirent jusque dans l’église. Alors une vraie bataille s’engagea, +par leur nombre, les écoliers finirent par avoir raison des assaillants +à leur tour fortement étrillés. + +Très irritée de l’offense, l’Université s’en alla en corps à l’hôtel +Saint-Paul réclamer vengeance, reprenant, en cas de non-satisfaction, sa +grande menace de quitter Paris. A cette époque de tiraillements +politiques aigus, quand les ducs d’Orléans et de Bourgogne se +disputaient le gouvernement, Dame Université était une puissance qu’il +importait d’avoir pour soi, aussi eut-elle pleine et entière +satisfaction. Pour l’offense faite par ses gens, Savoisy fut, par arrêt +du conseil, privé de sa charge de chambellan de l’hôtel du roi et banni; +on s’en prit aussi à sa maison qui fut rasée de fond en comble. + +L’hôtel du roi de Sicile, voisin de cette place vide, eut après une +longue et brillante existence un sort plus triste qu’une mort violente. +Après avoir appartenu à des princes de sang royal, au duc d’Alençon, il +fut acheté en 1390 par Charles VI avant sa démence, alors que ce roi +était un jeune prince très chevalereux, passionné d’armes et de tournois +et qui donnait les plus grandes espérances; l’hôtel ensuite passa aux +rois de Navarre, puis aux Roquelaure, aux comtes de Saint-Paul qui le +rebâtirent, au cardinal de Birague qui en même temps qu’il y apportait +quelques embellissements fit élever la fontaine de Birague en face +Saint-Paul démolie de nos jours; l’hôtel vint enfin aux Caumont la +Force, dont il prit le nom. + +C’était une magnifique demeure avec de beaux jardins; une partie des +bâtiments, après diverses affectations, fut en 1780 transformée en +prison pour remplacer le For-l’Evêque et le petit Châtelet. L’hôtel +devint la prison de la Force, la _Grande Force_, avec l’hôtel de +Brienne voisin pour annexe appelée la _Petite Force_. + +En cette prison de la Force fut écrouée en 92 la princesse de Lamballe. +Elle faillit échapper aux massacres de septembre, grâce au dévouement de +quelques amis qui couvrirent d’or quelques-uns des tueurs chargés de la +besogne en cette prison; mais la malheureuse femme, sortie des geôles +sanglantes à demi folle de terreur, fut saisie à la porte par d’autres +assassins qu’on n’avait pas achetés, qui lui coupèrent la tête sur une +borne au coin de la rue du roi de Sicile. Non satisfaits, ces +cannibales, après que le cadavre dépouillé de ses vêtements fut resté +quelque temps exposé aux regards de tous, pendant qu’un perruquier +réquisitionné était contraint de friser et poudrer la tête de la +malheureuse femme, ouvrirent le corps, enlevèrent le cœur et le +placèrent au bout d’une pique pour le promener avec la tête dans tout +Paris, du Temple à l’Assemblée, en s’arrêtant pour boire dans des +cabarets, où ils déposaient la tête sur le comptoir à côté de leurs +verres. + +Il n’est rien resté de la Force qui fut démolie en 1840. + +[Illustration: LA PETITE FORCE] + +[Illustration: L’HÔTEL SCIPION SARDINI, ÉTAT ACTUEL.] + + +III + + L’hôtel des Prévôts de Paris.--Hugues Aubryot et les + Maillotins.--L’hôtel d’Orléans.--A l’Abri-Coyctier.--Le fief de la + Trémouille.--Magnificences de la maison à l’enseigne de la Couronne + d’or.--Sa destruction.--L’hôtel des archevêques de Sens.--Tristan + de Salazar.--La justice sommaire de la reine Margot.--L’hôtel des + abbés de Cluny.--François Iᵉʳ et la veuve de Louis XII.--Les + émotions du cardinal de Guise.--Le connétable de Montmorency.--Le + manoir de la Salamandre.--Le chancelier Séguier.--Catherine de + Médicis.--La kermesse de l’Agio à l’hôtel de Soissons. + +[Illustration: LE PRÉVÔT DE PARIS] + +Entre le lycée Charlemagne et l’église Saint-Paul, dans la cour du +passage Charlemagne, subsistent quelques débris notables de diverses +époques provenant d’un hôtel des Prévôts de Paris. Ce sont des restes de +façades de la Renaissance et du XVIIᵉ siècle, à côté d’une tour +d’escalier à pans coupés dont les larges fenêtres sont encadrées d’une +haute ogive. Un corps de logis de la Renaissance, assez important, a été +démoli récemment. + +Les prévôts de Paris, magistrats royaux dont les fonctions étaient +importantes et qui représentaient à peu près les préfets actuels, comme +le prévôt des marchands représentait un maire, ne devaient pas, suivant +une très sage ordonnance de saint Louis, être pris parmi les Parisiens +d’origine. Le siège de leur juridiction était le Châtelet, mais +généralement en entrant en charge, ils quittaient leur domicile +particulier pour s’en aller habiter l’hôtel des Prévôts, à proximité du +logis royal de Saint-Paul. + +[Illustration: L’HÔTEL DES PRÉVÔTS, PASSAGE CHARLEMAGNE, ÉTAT ACTUEL] + +Cette tour d’escalier est le seul débris de l’hôtel primitif bâti par le +célèbre prévôt Hugues Aubryot, à l’époque la plus troublée du XIVᵉ +siècle. Hugues Aubryot, natif de Bourgogne, arrivant après la répression +de la commune de 1358, n’avait pas besogne facile, dans ce Paris encore +si profondément remué. Il eut à diriger d’importants travaux, à terminer +d’abord la muraille d’Etienne Marcel, cette nouvelle enceinte de la rive +droite qui triplait de ce côté l’étendue de la ville et avait été +hâtivement élevée en l’espace d’une année seulement, en travaillant nuit +et jour, pour mettre la Commune révolutionnaire à l’abri de l’attaque +des troupes royales. On n’avait alors probablement, dans la grande +presse, cherché qu’à se clore; Hugues Aubryot paracheva les travaux. + +Pour compléter le système de défense, il construisit la Bastille +Saint-Antoine, forteresse formidable destinée aussi bien à garder le +saillant Est de la ville et le quartier de l’hôtel Saint-Paul de toute +insulte du dehors, qu’à maintenir au dedans le peuple de Paris, toujours +grondant et si prompt à se laisser entraîner aux séditions. + +[Illustration: TOURELLE-ORATOIRE DE L’HÔTEL LA TRÉMOUILLE DÉMOLIE EN +1842] + +Hugues Aubryot eut encore à ordonner d’autres constructions: la +réédification du Petit-Châtelet de Philippe-Auguste qui tombait en +ruines, le pont Saint-Michel alors appelé le Pont-Neuf. Mais Aubryot, +riche et puissant personnage, administrateur rigoureux, s’était, dans +ses multiples et importantes fonctions, attiré de grandes inimitiés. +L’orage fondit sur lui après la mort de Charles V. «Sur toutes choses, +dit Juvénal des Ursins, avait en grande irrévérence les gens d’église et +principalement l’Université de Paris»; s’il s’était attiré l’inimitié +des dignitaires de l’Université, les écoliers ne l’aimaient pas non +plus, car dans la reconstruction du Châtelet il avait ménagé sous la +voûte menant au + +[Illustration: RÉCEPTION D’HOTES IMPORTANTS A L’HOTEL DES ABBÉS DE +CLUNY] + +quartier des écoliers, deux cachots spécialement réservés à Messieurs +les étudiants, deux violons que par ironie il appelait Clos-Bruneau et +rue du Fouarre, du nom des deux principales rues des études. L’Église et +l’Université coalisées préparèrent sa perte. On fit une enquête secrète +sur son gouvernement et sa vie «qui était très orde et déshonnête en +toute ribaudise, à décevoir femmes partie par force et partie par +argent, dons et promesses, et avait compagnie à Juives, et ne croyait +pas le Saint Sacrement de l’autel et s’en moquait...». + +[Illustration: COUR DE L’HÔTEL LA TRÉMOUILLE VERS 1840] + +C’est ainsi que Hugues Aubryot fit connaissance avec les cachots de la +Bastille qu’il venait justement d’achever après dix ans de travaux. Son +procès s’instruisait, un procès pour «plusieurs hérésies», avec lequel +on comptait bien le mener jusqu’au bûcher. Transféré ès prisons de +l’évêché, il fut examiné sur plusieurs points «et fut trouvé par gens +clercs, ce connaissants, qu’il était digne d’être brûlé». Cependant +grâce aux prières des princes, oncles de Charles VI, cette peine fut +commuée, après amende honorable au parvis Notre-Dame, en prison +perpétuelle en basse fosse, au pain et à l’eau. + +Heureusement pour lui cette basse fosse n’était pas dans sa solide +Bastille--mais dans les prisons de l’Evêque. Il s’y trouvait depuis +quelques mois, un an peut-être, lorsque éclata l’insurrection des +Maillotins, en 1382. + +Il s’agissait encore d’impôts nouveaux. La sédition commença aux Halles +par le refus qu’une vieille marchande de cresson opposa aux percepteurs +de l’impôt. Ses cris ameutèrent la populace qui se mit aussitôt à courir +sus aux fermiers des aides et à les massacrer. Les émeutiers, mal armés +d’abord, marchèrent sur l’Hôtel de Ville, enfoncèrent les portes et +s’emparèrent des armes amassées, harnois de guerre, cottes de mailles et +«grande foison de maillets de plomb». + +Ainsi armés, les insurgés deviennent les «_Maillotins_»; la terreur est +si grande par la ville en proie à la violence déchaînée, que les +officiers royaux, les magistrats et l’évêque se sauvent. Les Maillotins +se livrent à tous les excès, ils tuent, saccagent et pillent. Ils +assiègent l’abbaye de Saint-Germain qui se défend vigoureusement et +réussit à les repousser. Ils délivrent les prisonniers du Châtelet qui +se joignent à eux, ils vont à la prison de l’évêque, enfoncent tout +aussi et parmi les prisonniers trouvent Hugues Aubryot. + +Sentant le besoin d’avoir un chef, ils lui proposèrent d’être leur +capitaine. Hugues Aubryot heureux de revoir le jour, leur promit une +assistance vigoureuse mais demanda d’abord à s’aller rafraîchir et armer +dans son hôtel. Et très sagement, pendant que les Maillotins passaient +la nuit en désordres et orgies dans la ville épouvantée, Aubryot trouva +le moyen de s’enfuir et de gagner la Bourgogne son pays, d’où il se +garda bien de revenir jamais; pendant que tombait d’elle-même cette +insurrection sans chef, que se dissipaient les bandes, si forcenées les +premiers jours et maintenant effrayées elles-mêmes de leurs excès et que +tout se terminait par la punition sévère des plus coupables, dont +beaucoup furent secrètement jetés la nuit dans la rivière. + +L’histoire de cet hôtel des Prévôts est, après Aubryot, assez confuse; +la tradition y fait se succéder des princes, des grands seigneurs, et +ensuite d’autres prévôts successeurs d’Aubryot revenant à l’hôtel +affecté à leurs prédécesseurs: on y voit le duc d’Orléans qui y fonda +l’ordre du Porc-Epic, Jean de Montaigu, surintendant des finances, plus +mal traité par le sort que Aubryot et décapité en 1409, le duc de Berry, +le connétable de Richemont, l’amiral de Graville, le connétable de +Bourbon, le connétable de Montmorency, etc... + +Au XVIᵉ siècle l’hôtel fut reconstruit, puis encore remanié et subdivisé +au siècle suivant. Outre la tour d’escalier il reste un corps de logis +remarquable par d’anciennes lucarnes et de grandes figures en +cariatides; à part ces débris, des locaux industriels et une maison de +rapport bordent maintenant la vieille cour qui vit si souvent messieurs +les Prévôts de la grande ville, en chaperon et robe aux armes de la +ville, le bâton de commandement à la main, partir à cheval précédés des +sergents en hoquetons aux couleurs parisiennes, pour présider aux +cérémonies en solennité, ou pour marcher au bruit, les jours d’émotion +populaire. + +Si des connétables de France possédèrent ce vieux logis des prévôts, un +autre connétable, le chevalier Bertrand du Guesclin, avait son hôtel de +Paris dans la rue de la Verrerie, mais rien de rien n’en demeure qui +pourrait sur un point bien précis fixer le souvenir du grand Breton. On +sait seulement que son logis avait par derrière, dans les communs, une +sortie sur la rue Barre-du-Bec englobée dans la rue du Temple, à la +hauteur du numéro 17 actuel de cette rue. + +Le malheureux duc d’Orléans, assassiné rue des Francs-Bourgeois, avait +son hôtel de l’autre côté de la Seine, appuyé au rempart entre la porte +de Buci, que Perrinet Le Clerc devait livrer aux Bourguignons, et la +porte Saint-Germain. C’était un magnifique séjour qui resta aux ducs +d’Orléans jusqu’à Louis XII. + +A son avènement celui-ci le vendit en plusieurs parties, dont un lot +important fut acquis par Jacques Coyctier, l’ancien médecin de Louis XI, +«habile homme, dit Commines, qui savait prendre son malade et lui était +si rude que l’on ne dirait point à un valet les dures paroles qu’il lui +disait». Cet homme si rude était très retors, en travaillant sans +vergogne par la crainte de la mort l’esprit de son malade, il sut tirer +de Louis XI d’énormes sommes, des gages de 10 000 écus par mois, des +seigneuries et différents bénéfices pour lui ou sa famille. Il dut en +partie rendre gorge plus tard et versa au trésor royal 50 000 écus, mais +n’en resta pas moins fort à l’aise dans son _abri-Coictier_, comme il +appelait sa maison où il avait fait sculpter à côté d’un éléphant chargé +d’une tour, ornement de l’hôtel d’Orléans, l’_abricotier_, son emblème +particulier formant rébus. + +L’abri Coyctier est tombé; on retrouverait pourtant quelques fragments +des murailles qui en ont fait partie, au fond de la deuxième cour de +Rouen, dans le passage du Commerce; il en subsiste, dans tous les cas, +dans un angle de cette cour, un vieux puits gothique dont la margelle +sculptée est à demi enterrée aujourd’hui dans le sol remblayé. + +Mais retournons de l’autre côté de l’eau dans les parages de la Tour de +Bourgogne. Dans la rue des Bourdonnais, se continuant par la rue +Thibautodé jusqu’à l’arche Marion, exista jusqu’à nos jours, à l’angle +de la rue de Béthisy, un magnifique hôtel du XVᵉ siècle, le plus beau +peut-être, avec celui-ci de Cluny, des édifices civils de Paris, au +moyen âge. Le très important fief de la Trémouille, qui possédait tous +droits de justice et englobait dans sa censive quelques rues autour de +l’hôtel, avait été acheté au duc d’Orléans par Guy de la Trémouille, +vers la fin du XIVᵉ siècle. Les la Trémouille se contentèrent pendant +une centaine d’années de l’hôtel du XIIIᵉ siècle. Louis de la +Trémouille, rude homme de guerre, celui qui, tout jeune, vainquit à +Saint-Aubin-du-Cormier le futur Charles VIII, alors duc d’Orléans, et +fit couper la tête aux seigneurs pris avec lui, celui qui, plus tard, +commanda les armées de ce même Charles VIII et s’en fut mourir en 1525 à +la journée de Pavie, fit construire en 1490 ce très charmant édifice, un +des joyaux si nombreux du vieux Paris, que Paris a malheureusement +perdus. + +Dans le magnifique hôtel où Louis de la Trémouille s’installe aux +premières années du XVIᵉ siècle, le corps de logis principal se trouve +entre une grande cour, donnant rue des Bourdonnais, et un jardin fermé +par des communs sur la rue Tirechappe, bâtiments et jardins longés par +la rue de Béthisy. Cette cour est bordée, en face du grand logis, de +portiques irréguliers en ogive et en anse de panier surmontés d’un +étage, portiques qui se continuent sur le côté droit de la cour et vont +rejoindre le grand logis par la tour contenant l’escalier principal. + +La façade principale, élevée de deux étages sur rez-de-chaussée, est +flanquée à droite par cette tour d’escalier, ouvrant au-dessus d’un +perron une magnifique porte toute fleurie, où les plus délicats rinceaux +entourent de leurs volutes l’écusson des la Trémouille; à gauche par une +tourelle d’une grâce et d’une légèreté inouïes, entièrement portée par +des colonnettes et couverte du haut en bas des plus fines ciselures +gothiques, laquelle tourelle au premier étage contient un oratoire +annexé aux chambres. + +La décoration de cette façade est vraiment merveilleuse, c’est une +splendide parure gothique où dans les ramages flamboyants se mêlent déjà +quelques détails Renaissance, comme cette rangée de médaillons des +lucarnes. Le parti pris est simple, ce sont trois lignes horizontales, +deux en fausses balustrades ogivales séparant les étages, balustrades +variées offrant de travée en travée toutes les combinaisons de lignes +possibles; puis le couronnement des fenêtres du deuxième étage dépassant +la naissance du toit et dressant sur les combles leurs frontons ajourés +reliés par de légères arcatures. Trois lignes verticales complètent +cette décoration, la tourelle oratoire, la tour d’escalier et près de +cette tour d’escalier une superbe porte superposant jusqu’au toit les +ogives, les niches et les arcatures où s’encadrent des écussons et des +statues. + +Cet admirable logis, chef-d’œuvre de la dernière période ogivale, ne +resta pas longtemps dans la famille de la Trémouille: dès 1535, c’était +déjà un hôtel de magistrature appartenant à Antoine Dubourg, chancelier +de François Iᵉʳ; passant ensuite de Pomponne de Bellièvre, chancelier de +Henri IV, à Nicolas de Bellièvre, président à mortier au parlement de +Paris. + +De la magistrature, l’hôtel passa au commerce en 1738 et devint un +magasin de soieries à l’enseigne de la _Couronne d’or_. Combien à partir +de cette époque eut-il à subir de mutilations et de barbares +traitements! On sait dans quel mépris incompréhensible étaient alors +tenus ces merveilleux spécimens de notre art national. Les artistes +eux-mêmes n’avaient que du grec et du romain dans la tête et une taie +sur les yeux pour le reste. Que dire des autres! Et dans ces +chefs-d’œuvre de l’art français, on rognait, on taillait, on charcutait +sans la moindre hésitation; on abattait tout ce que l’on pouvait abattre +et quand on ne pouvait gratter la ciselure des murailles, on emplâtrait +les meneaux délicats, les sculptures feuillues et fleuries, avec l’idée +que l’on rendait ainsi les pauvres façades plus propres et plus +présentables. + +L’hôtel de Louis de la Trémouille transformé en magasins, en ateliers, +en logements, nous arriva fort maltraité, mais enfin, tout couvert de +blessures qu’il fût, il existait, ce qui est le point principal. Il +était question d’en faire la Mairie du 1ᵉʳ arrondissement ce qui eût été +doublement heureux, puisque d’un côté on sauvait le noble édifice, et +que de l’autre on évitait d’altérer l’aspect de la belle église +Saint-Germain l’Auxerrois par une adjonction de pastiches, par la mairie +qui lui fait pendant et la tour pseudo-gothique qui sert de trait +d’union. + +[Illustration: LE PAGE DE LA REINE MARGUERITE DÉCAPITÉ DEVANT L’HÔTEL DE +SENS] + +L’hôtel chef-lieu du fief la Trémouille pouvait être restauré, on +pouvait facilement en débouchant ses arcades fermées, ses grandes +fenêtres rétrécies, en rétablissant les morceaux disparus de ses +lucarnes, lui rendre sa splendeur d’autrefois et conserver au centre de +Paris, à quelques pas du Louvre, un monument incomparable. On lésina sur +l’achat, on préféra le laisser démolir en 1842, sauf à porter à l’école +des Beaux-Arts quelques débris des sculptures, pour construire à sa +place la maison qui porte le numéro 31 de la rue des Bourdonnais où l’on +peut voir comme marque d’emplacement un débris de balustrade enchâssé +dans la façade sur la cour. Comme on l’a regretté depuis ce monumental +hôtel, gâché et perdu, qui eût été l’une des attractions du vieux +quartier traversé par la rue de Rivoli! On gémit maintenant qu’il est +trop tard, et l’on va laisser perdre de la même façon un édifice non +moins précieux: l’hôtel de Sens, en si grand danger d’être démoli, +abandonné par les édiles à son sort, et sur lequel on gémira plus tard, +de la même façon, une fois l’acte de vandalisme stupide accompli. + +Par miracle l’hôtel des archevêques de Sens, rue du Figuier, à l’entrée +du quartier Saint-Paul, existe encore, après avoir eu les mêmes +destinées que l’hôtel la Trémouille, mais le miracle persistera-t-il et +ne verrons-nous pas soudain une maison de rapport de cinq étages +s’élever à sa place? Son sauvetage malgré l’urgence, malgré les +réclamations unanimes des artistes, de la société des Amis des Monuments +parisiens, de tout ce qui pense, enfin, rencontre bien des difficultés. +Ne tombera-t-elle pas bientôt, la pioche de Damoclès suspendue sur sa +tête? Et tant d’affectations diverses seraient possibles pour le +conserver! + +Les archevêques de Sens, métropolitains des évêques de Paris jusqu’à +l’érection du siège parisien en archevêché en 1623, possédaient au XVᵉ +siècle entre l’ancienne enceinte de Philippe-Auguste, touchant au +couvent des Filles de l’Ave Maria, et la nouvelle enceinte d’Étienne +Marcel, une demeure que le roi leur prit par échange avec l’hôtel +d’Hastomesnil ou d’Estomenil, pour l’englober dans cette agglomération +de grands logis, irrégulièrement disposés sur des cours et des vergers, +constituant l’hôtel royal de Saint-Paul. + +L’archevêque de Sens, Tristan de Salazar, prélat aux goûts artistes, se +fit construire en 1475, un nouveau logis au carrefour des rues du +Figuier, du Fauconnier et des Barrés. La façade d’entrée qui donne un si +grand caractère à ce carrefour est fort pittoresque par son +irrégularité, ses deux belles tourelles d’angle et son portail donnant +sur un porche voûté. La grande porte cavalière encadrée d’une profonde +ogive a, comme particularité, un mâchicoulis dissimulé à la pointe de +cette ogive. Jadis les écussons des archevêques garnissaient le tympan +des portes, disposés sur un champ d’étoiles, emblèmes des Salazar. + +La cour n’est pas moins intéressante. Dans un angle rentrant un petit +donjon comme tour d’escalier, domine de haut les vieux toits; une +échauguette à créneaux et mâchicoulis défend la porte et laisse encore +deviner entre les merlons des traces d’armoiries. + +Une petite chapelle en avant-corps faisait pendant à la tour d’escalier, +elle a disparu en même temps que les logis subissaient des +transformations intérieures et que disparaissaient quelques dépendances +avec le jardin. A son extrémité l’étroite rue de l’Hôtel-de-Ville, +jadis de la Mortellerie, passe sous une longue partie des vieux murs de +l’hôtel, que décore une troisième tourelle semblable aux deux du +carrefour, moins la poivrière rognée. + +Le cardinal Duprat, archevêque de Sens et chancelier de France, succéda +à Tristan de Salazar; les archevêques Senonnais occupèrent en personne, +ou louèrent leur hôtel jusqu’au jour où ils perdirent leur suprématie +sur Paris. Le cardinal de Lorraine, le cardinal Pellevé, le cardinal du +Perron l’habitèrent. A l’entrée d’Henri IV dans Paris, le cardinal +Pellevé, violent ligueur, se trouvait au lit malade; il en mourut de +fièvre chaude criant sans cesse: «Qu’on le prenne! qu’on le prenne!» + +Lorsque Marguerite de Navarre, femme divorcée du Béarnais, revint à +Paris avec l’intention de se faire bâtir un palais au Pré aux Clercs, +elle habita pendant un an environ l’hôtel de Sens. Elle avait +cinquante-deux ans, elle était envahie par l’embonpoint, mais toujours +intrigante, toujours coquette, belle encore, toujours galante et +s’efforçant de réparer sans cesse l’œuvre des années, pour demeurer la +séduisante reine Margot qui naguère encore «par la seule vue de l’ivoire +de son bras» triomphait de son gardien au château d’Usson. + +Triste fin pour la belle héroïne de ce XVIᵉ siècle étincelant et +terrible! Doublant l’ampleur de ses charmes par l’ampleur de ses +vertugadins, la tête engoncée dans de hautes fraises, outrageusement +fardée, peinte et musquée, elle déploie un grand faste dans sa +résidence. + +[Illustration: TOUR D’ESCALIER DE L’HÔTEL DE SENS, ÉTAT ACTUEL] + +Deux de ses pages, deux beaux jeunes gens de vingt ans, nommés +Saint-Julien et Vermond, se disputaient ses faveurs; Saint-Julien parut +un instant le préféré, à la grande fureur de l’autre page. Le 5 avril +1606, comme la reine Marguerite venait d’entendre la messe aux +Célestins, Vermond abattait d’un coup de pistolet son rival aux pieds de +la reine. La punition ne se fit pas attendre. Deux jours après, sur un +échafaud dressé devant la porte de l’hôtel de Sens, la reine, altérée de +vengeance comme une lionne blessée, faisait sous ses yeux trancher la +tête du meurtrier et quittait immédiatement la demeure maudite pour n’y +plus rentrer. + +Vers la fin du XVIIᵉ siècle, le logis féodal des archevêques cessa +d’être une demeure aristocratique. Les coches de la Bourgogne et du +Lyonnais s’y installèrent, ce fut la gare de Lyon de ce temps-là. Des +remises et des écuries, de grosses voitures et de gros chevaux, du +tapage et des coups de fouet dans la cour où tant de prélats, de princes +et de princesses avaient passé. Vendu à la Révolution, tantôt occupé par +des entreprises de roulage, ou par des industriels, par un gros marchand +de peaux de lapins, nous l’avons connu fabrique de confitures. +L’intérieur a reçu forcément bien des outrages en passant par tant de +mains irrespectueuses, mais l’extérieur, malgré tout, est resté complet +dans son ensemble, a conservé sa grande allure et il est à souhaiter +qu’il soit bientôt soustrait au péril imminent qui le menace, arraché au +vandalisme, pour que Paris possède ici un superbe pendant de son hôtel +de Cluny. + +L’hôtel de Cluny, également logis de prélats féodaux, fut le manoir de +ville des abbés de Cluny, cette grande abbaye bénédictine de Bourgogne, +mère de tant d’abbayes et de couvents. Sur les ruines romaines des +Thermes de Julien, éparpillés en décombres ou dressant dans les jardins +désordonnés les croupes de leurs robustes voûtes drapées de +broussailles, des maisons s’étaient juchées. Pierre de Chaslus, abbé de +Cluny vers le milieu du XIVᵉ siècle, acheta un lot de ces ruines avec +quelques maisons et jardins et fit construire un premier édifice destiné +à servir de résidence parisienne aux abbés de la célèbre abbaye. + +D’après les recherches de M. Charles Normand pour son histoire de +l’hôtel de Cluny, les travaux de l’abbé Jean de Bourbon, vers 1460, ne +seraient probablement que des remaniements de cet hôtel primitif et +c’est à Jacques d’Amboise, 43ᵉ abbé, un des frères de Georges d’Amboise, +cardinal archevêque de Rouen, ministre de Louis XII, et grand bâtisseur +comme tous ces d’Amboise, hommes d’Etat ou prélats, que reviendrait +l’honneur d’avoir élevé de 1485 à 1510, ce magnifique monument, dernière +et splendide fleur de l’architecture gothique, poussée au moment où va +commencer le mouvement de réaction de la Renaissance. + +Abandonnée tout à coup par suite d’un engouement rapporté d’Italie pour +l’art romain, art de formules et de répétitions, art qui pourtant, avec +les architectes ayant dans les veines le sang des artistes nationaux, +donnera encore bien des œuvres gracieuses avant d’aboutir à tant de +froids pastiches, l’architecture ogivale d’invention inépuisable, avant +de disparaître s’épanouit splendidement ici, élève comme à l’hôtel la +Trémouille des bâtiments de noble carrure et les décore de ses plus +gracieuses dentelures et broderies. + +Cette belle cour à la muraille crénelée s’entoure de grands logis dont +les riches balustrades se couronnent de hautes et magnifiques lucarnes +d’un dessin varié; une robuste tour à huit pans, portant une fine +tourelle sur le côté, se détache en avant-corps et montre des cordons de +feuillage, des ouvertures en accolades fleuries, avec des écussons de +Jacques d’Amboise surmontés de devises sur des banderoles flottantes, +dans un semis de coquilles de Saint-Jacques, écussons et coquilles se +retrouvant dans les frontons des lucarnes. + +[Illustration: LA CHAPELLE DE L’HÔTEL DE CLUNY] + +Il y a derrière ce corps de logis une autre cour non moins belle, la +cour sur laquelle donne la petite chapelle de l’hôtel; cette chapelle, +située au premier étage, se termine extérieurement par une petite +abside en tourelle suspendue à la muraille et portée hardiment sur un +pilier séparant les deux arcades ogivales du bas. La chapelle au dedans +est très richement ornée de sculptures, de belles frises feuillagées, de +niches à hauts pinacles, etc. + +C’est une demeure vraiment seigneuriale que ce logis des puissants abbés +de Cluny, aussi splendidement décorée, avec des détails charmants, dans +toutes ses salles intérieures et dans les plus petits coins, que sur la +cour d’honneur. + +L’hôtel était dans toute sa fraîcheur, à peine sorti des mains des +sculpteurs, lorsqu’en 1515, la jeune femme de Louis XII, Marie +d’Angleterre, sœur d’Henri VIII, devenue veuve après deux mois de +mariage, vint l’habiter. La couronne de François Iᵉʳ ne tenait alors +qu’à peu de chose, à un héritier posthume qui pouvait survenir du feu +roi. Aussi le Valois qui tenait à cette couronne faisait-il surveiller +étroitement l’hôtel, et non sans raison, car, suivant la chronique, +François vint y surprendre un jour un consolateur de la jeune reine, le +duc de Suffolk, ambassadeur d’Angleterre, de qui les assiduités avaient +été signalées. + +Et sur l’heure le roi, feignant une grande indignation, força Suffolk à +épouser Marie dans la chapelle de l’hôtel, après quoi François se +chargea d’obtenir le consentement d’Henri VIII au mariage effectué, +expédia en Angleterre, avec tous les honneurs possibles, la reine Marie +et son nouvel époux, et enfin dégagé de ce souci put s’occuper de son +sacre. + +L’hôtel, une vingtaine d’années après, fut encore résidence royale. +François Iᵉʳ y logea Jacques V, roi d’Écosse, qui le 1ᵉʳ janvier 1536 y +épousa Madeleine de France, fille du roi. + +Le cardinal de Guise, Charles de Lorraine, étant abbé de Cluny, occupa +l’hôtel. En 1565, il lui arriva son aventure fameuse avec le maréchal de +Montmorency son ennemi, alors gouverneur de Paris. Le cardinal, revenant +du concile de Trente, voulait faire dans Paris son entrée solennelle à +la tête de ses abbés et de ses gentilshommes et entouré de toute sa +maison en armes, ainsi qu’il avait fait à Saint-Denis. Le maréchal de +Montmorency, prévenu de son intention, lui envoya une défense formelle +d’entrer avec cet appareil militaire et sur une réponse hautaine du +cardinal, il prit ses mesures pour le faire repentir de son orgueilleuse +prétention. Les archers du prévôt de Paris se trouvèrent à la porte +Saint-Denis quand se présenta le cortège et sommèrent au nom du roi le +cardinal de laisser son appareil trop militaire. Le cardinal ne fit que +rire de la défense, dispersa les archers et passa outre. + +Montmorency, qui s’y attendait, avait fait monter ses gentilshommes à +cheval, et se précipita fortement accompagné à la rencontre de son +ennemi. Le cortège cardinalice descendait la rue Saint-Denis et se +trouvait devant les Innocents, lorsque déboucha la troupe de Montmorency +chargeant aussitôt à outrance. + +En peu d’instants la troupe du cardinal fut culbutée et dispersée, +quelques-uns qui voulurent résister furent tués, leurs mules cherchaient +pleines d’émoi refuge dans les boutiques. Le cardinal pouvait tout +appréhender de Montmorency, mais il put se jeter dans une maison de la +rue Trousse-Vache et chercher une cachette en un galetas, sous le lit +d’une servante, d’où il ne se hasarda à sortir que le soir pour gagner +l’hôtel de Cluny. Les Parisiens, futurs ligueurs et guisards, ne firent +que rire de la mésaventure. + +En 1584, l’hôtel des abbés de Cluny abrita un théâtre, une troupe de +comédiens donna quelque temps des représentations fort suivies; ils +avaient plus de spectateurs, dit l’Estoile, que les quatre meilleurs +prédicateurs de Paris tous ensemble quand ils prêchaient. Un arrêt du +parlement expulsa les comédiens. + +Au commencement du XVIIᵉ siècle l’hôtel de Cluny devint la résidence des +nonces du Pape. Le cardinal Mazarini vint l’habiter en cette qualité en +1634. + +A partir du XVIIIᵉ siècle l’hôtel de Cluny entre pour cent ans dans une +période moins brillante. L’illustre maison, abandonnée par les abbés, +glisse peu à peu à des affectations désastreuses pour ses beautés +architecturales. Elle est louée par parties à des industries diverses; +il y a des libraires, des imprimeurs, des relieurs et des procureurs +dans la maison. La belle tour octogonale sert d’observatoire; de 1750 à +1817 les astronomes Delisle, Lalande et Messier s’y succèdent. + +Devenu bien national à la Révolution, l’hôtel fut vendu à un +particulier; un instant la superbe chapelle courut le risque d’être +cédée à un Anglais pour être réédifiée en Angleterre, heureusement le +propriétaire repoussa les propositions, pour conserver à Paris la +merveille alors dédaignée par Paris. L’hôtel continua ensuite à être +loué en magasins et appartements; c’est ainsi que M. Du Sommerard, le +célèbre antiquaire, y installa sa précieuse collection, noyau du musée +actuel, laquelle resta dans l’hôtel qu’enfin l’État consentit à +racheter, après une longue et laborieuse campagne de MM. A. Lenoir et +Vitet, syndiquant les efforts de tous les amis de l’art et de +l’histoire. + +Les Montmorency possédaient plusieurs maisons dans Paris, l’hôtel de +Montmorency rue Sainte-Avoye, le seul qui restera marqué sous ce nom +dans le plan de Gomboust, l’hôtel neuf de Montmorency en face de +celui-ci, devenu plus tard l’hôtel de Mesmes, plus l’hôtel de Rochepot +rue Saint-Antoine, l’hôtel de Damville rue Couture-Sainte-Catherine, et +enfin l’hôtel patrimonial de la rue de Montmorency alors rue +Courtauvillain. C’était un grand logis du XIIIᵉ siècle, reconstruit plus +tard et qui porte aujourd’hui le nº 5 de la rue de Montmorency. Cet +hôtel fut confisqué par Richelieu, sous Louis XIV; Nicolas Fouquet +l’habita alors qu’il n’était encore que procureur général en Parlement. +Grandeurs passées, la finance succède aux hauts barons, le commerce +succède à la finance, et maintenant cette grande façade à hautes +fenêtres sans ornements ne se distingue plus guère des maisons voisines +que par ses proportions. + +Dans l’hôtel neuf rue Sainte-Avoye, aujourd’hui rue du Temple, 14, vint +mourir le vieux connétable Anne de Montmorency, âgé de quatre-vingts +ans, blessé d’un coup de pistolet dans les reins, dans une charge +poussée à fond par le prince de Condé à la bataille de Saint-Denis, le +10 décembre 1567. C’était pendant la deuxième guerre civile, l’armée +protestante bloquait Paris: le connétable, qui n’avait que peu de +troupes et attendait des renforts, avait dû, malgré lui, donner bataille +pour faire cesser les murmures des Parisiens. Rapporté dans son logis +le soir de la bataille, il mourut trois jours après. Comme ceux qui le +soignaient essayaient de lui donner de l’espoir, le vieux connétable +s’irrita:--Assez! leur dit-il, pensez-vous que j’aie vécu quatre-vingts +ans et que je n’aie pas appris à mourir un petit quart d’heure! + +Henri II était venu quelquefois dans la maison. Henri III y vint danser +aux noces du duc d’Épernon. L’hôtel du vieux connétable devint un siècle +après, pour les de Mesmes, hôtel de parlementaires, et plus tard maison +de financiers pour Law, qui, avant de mettre ses commis rue Quincampoix, +établit ici ses bureaux. Encore une fois la finance après les grands +barons. + +Un logis important au commencement du XVIᵉ siècle, logis royal, logis de +duchesse et de maîtresse de roi, occupait un vaste espace entre le pont +Saint-Michel et le couvent des Grands-Augustins, c’était l’hôtel +d’Étampes, un manoir dit de la Salamandre, bâti par François Iᵉʳ pour +Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes. Le roi chevalier avait ainsi à +côté l’une de l’autre sa maîtresse et son chancelier le cardinal Duprat, +quand celui-ci cessa d’habiter l’hôtel de Sens pour prendre l’hôtel +d’Hercule qui fut plus tard de Nantouillet, à l’angle de la rue des +Grands-Augustins. + +[Illustration: LES CHARNIERS DE SAINT-PAUL] + +L’hôtel de la duchesse d’Étampes portait partout la Salamandre, la +marque royale, qui se retrouve encore dans un des débris dissimulé au nº +20 de la rue de l’Hirondelle. + +C’était un véritable palais que ce nid des amours royales, luxueusement +décoré de peintures et de tapisseries, couvert d’emblèmes et de devises +galantes. Au siècle suivant, la maîtresse royale étant devenue une dame +du temps jadis, l’hôtel d’Étampes fut morcelé. Il se partagea en hôtel +de Luynes et hôtel d’O; celui-ci formait le coin de la rue Gilles-Cœur +et du quai, alors rue de Hurepoix. L’hôtel d’O appartenait aux Séguier. +La fille du chancelier Séguier épousa un de Luynes et sans doute les +deux logis contigus furent de nouveaux réunis. + +[Illustration: L’HÔTEL DE SOISSONS (ÉTAT ANCIEN) ET LA COLONNE DE +CATHERINE DE MÉDICIS (ÉTAT ACTUEL)] + +Pendant la Fronde, lors de l’affaire Broussel, le chancelier Séguier y +courut danger de mort. Il avait quitté courageusement sa demeure à six +heures du matin pour se rendre au Parlement malgré les barricades, +s’obstinant à passer, laissant son carrosse pour une chaise à porteurs +et quittant ensuite la chaise pour continuer à pied à travers les pavés +soulevés, lorsqu’une troupe de furieux se jeta sur lui. + +Bousculé avec l’évêque de Meaux, il put néanmoins se réfugier à l’hôtel +de Luynes qu’aussitôt les émeutiers assiégèrent et dont la porte fut +bientôt enfoncée. Le chancelier avait trouvé une cachette dans une +chambre bien dissimulée où son frère le confessait et lui donnait +l’absolution pendant que les émeutiers cherchaient partout, fouillaient +la maison, sondaient les murs, saccageaient, brisaient les meubles et, +en désespoir de cause, pillaient tout ce qu’il pouvait y avoir à piller. + +La partie du petit palais qui avait gardé le nom d’hôtel de la +Salamandre n’avait pas eu la même chance que les hôtels de Luynes et +d’O; elle fut occupée par divers industriels; bientôt les appartements +particuliers de Mᵐᵉ d’Étampes n’eurent plus rien d’aristocratique, la +chambre de bains de la belle servit d’écurie à une auberge, qui +naturellement se para pour son enseigne de l’emblème royal de la +Salamandre. La chambre de François Iᵉʳ fut une cuisine et les belles +salles furent transformées en logements. + +La belle-fille de François, la veuve de Henri II, Catherine de Médicis, +délaissant les Tuileries _sur la paroisse Saint-Germain l’Auxerrois_, +les Tuileries à peine achevées, en raison de la crainte inspirée par un +horoscope qui lui annonçait qu’elle devait mourir _près de +Saint-Germain_, se fit construire à quelques pas de Saint-Eustache un +nouveau palais qui s’appela hôtel de la Reine, puis hôtel de Soissons. + +Il se trouvait alors sur cet emplacement un vieil édifice gothique jadis +hôtel de _Nesle_, où la reine Blanche de Castille, mère de saint Louis, +était morte, et qui avait appartenu à Charles, comte de Valois, à Jean +de Luxembourg, roi de Bohême, au duc d’Orléans. Celui-ci en devenant +Louis XII avait donné cet hôtel de Nesle ou de Bohême à un couvent de +Filles pénitentes qui s’y étaient cloîtrées. + +La reine ayant besoin du terrain expulsa ces pénitentes et les envoya +rue Saint-Denis à l’abbaye de Saint-Magloire. + +L’édifice construit par Jean Bullant sur l’emplacement du vieil hôtel, +augmenté de quelques autres terrains, n’avait plus rien du fier aspect +des demeures féodales, c’était un palais, une vaste résidence composée +d’un grand corps de logis à trois pavillons, avec ailes en retour +encadrant une cour d’honneur et se prolongeant sur des jardins. + +On vantait beaucoup la magnificence des appartements et la beauté de la +chapelle, édifice séparé, bâti au bout des jardins à l’angle des rues +Coquillière et de Grenelle-Saint-Honoré, aujourd’hui +Jean-Jacques-Rousseau. Germain Pilon, Jean Goujon et tous les plus +célèbres artistes du temps avaient travaillé à la décoration du +somptueux palais, ou fourni des statues pour les jardins. + +Une singularité de cet hôtel de la reine c’était la haute colonne +cannelée qui dominait les toits des pavillons, et au sujet de laquelle +il a été fait tant de suppositions. C’est aujourd’hui tout ce qui reste +du palais de Catherine, tout ce qui a survécu aux changements et +démolitions. Elle a vingt-cinq mètres de haut et elle est semée dans ses +cannelures d’ornements divers, fleurs de lis, cornes d’abondance, +miroirs brisés, grandes initiales C H, entrelacées et couronnées, +ornements aujourd’hui effacés par places. + +A quoi cette colonne surmontée d’une bizarre armature de fer terminée +par une sphère également en ferronnerie ajourée a-t-elle bien pu servir? +La tradition en fait un observatoire non pas astronomique mais +astrologique, pour les sorciers et cabalistes ordinaires de la reine +mère; là sur ce perchoir planté au-dessus des appartements où la reine +cachait ses sombres méditations, s’exécutaient les opérations magiques, +les sorcelleries criminelles de la redoutable Italienne, par les soins +de son sorcier en chef, le fameux Ruggieri. + +En somme, la légende s’appuie sur des faits avérés. Il est parfaitement +certain que Catherine se faisait suivre partout des astrologues attachés +à sa maison, on trouve même au château de Blois, où elle mourut, un +observatoire astrologique sur la tour du Foix. + +Si la colonne, comme on le pense aussi, fut un monument commémoratif +élevé par Catherine à la mémoire de son époux Henri II[D], bien qu’il +soit extraordinaire qu’aucune inscription n’ait consacré cette +destination pieuse, les astrologues de la reine utilisèrent ce monument +à deux fins, et nous pouvons lui laisser sa vieille réputation de +piédestal de sorciers. + +Catherine vécut une douzaine d’années en son palais; fêtes, +divertissements, intrigues de toutes sortes, intermèdes pour tant de +drames et de catastrophes sanglantes s’y succèdent, pendant ces jeunes +années de l’hôtel abritant la vieillesse tragique de Catherine. C’est +là, qu’à la veille de la grande journée des barricades, le duc de Guise, +arrivé à Paris malgré la défense du roi, descendit sans débotter avant +de se rendre à l’hôtel de Guise. Après une longue et délicate +conversation, la reine mère se mit en sa chaise à porteurs et emmena au +Louvre le duc de Guise qui marchait à pied à côté de la chaise au milieu +des acclamations de la foule ligueuse, remuée par l’arrivée de celui +qu’elle appelait son sauveur, acclamations qui le suivirent de rue en +rue, jusqu’au palais où l’attendait Henri III blême de rage et hésitant +à le faire daguer sur l’heure. La crise suprême commençait pour les +Valois. + +Le Balafré et Catherine devaient huit mois après s’en aller mourir tous +deux à Blois, à quelques jours de distance. A la mort de Catherine +couverte de dettes, l’hôtel de la Reine fut saisi par les créanciers +comme une simple maison de particulier; la liquidation laborieuse ne se +termina qu’en 1601 par la vente de l’hôtel au comte de Soissons, fils du +prince de Condé. + +Les mânes de la première propriétaire durent tressaillir au temps de +l’affaire des poisons, en 1680, quand la comtesse de Soissons compromise +avec La Voisin ainsi que d’autres grandes dames, pour des histoires de +sorcellerie et surtout pour des emplettes de poudre de succession, fut +obligée de quitter l’hôtel et la France pour éviter de comparaître +devant la chambre ardente. + +L’agiotage, c’est-à-dire l’empoisonnement moral, _les poudres de +succession_ appliquées aux fortunes, s’installa ensuite à l’hôtel de +Soissons au moment de la fièvre de spéculation inoculée par Law. Quand +la rue Quincampoix fut fermée, le camp des agioteurs se transporta +d’abord place Vendôme, puis le prince de Carignan, à qui appartenait +alors l’hôtel de Soissons, sollicita du Régent le privilège de cette +Bourse errante et l’établit dans ses jardins. + +Curieux tableau que ce camp de l’agio, cette Bourse de la Régence, dans +les jardins de Catherine. Cela ne ressemblait guère à la Bourse du +Commerce que l’on trouve aujourd’hui à la même place, c’était plutôt une +espèce de kermesse financière. Le prince de Carignan fit construire plus +de six cents baraques louées chacune 500 livres par mois, ce qui lui +donnait un revenu mensuel de 300,000 livres. Dans les allées du jardin +où ces baraques élégantes s’alignent sous les arbres, une foule bigarrée +se presse; des carrosses, des chaises à porteurs amènent grands +seigneurs et belles dames, spéculateurs à cordons bleus, joueuses en +falbalas. On spécule, on intrigue, on danse et l’on rit, malgré la +terrible crise qui sévit et les ruines qui s’accumulent. Les danses aux +violons sous les tentes ou sous les ombrages alternent avec la danse des +écus, jusqu’à la chute définitive du système amenant la ruine totale de +tant de gens. + +Il y avait jadis toujours un peu de spectacle et de gaîté dans tout, +même en des choses qui ne nous semblent pas devoir en comporter. Quelle +distance entre la cohue noire de la Bourse actuelle, hurlante et +vociférante en son temple grec, et le marché financier de la Régence, +coquet, fleuri et enrubanné, digne d’être peint par Watteau, où sur des +airs de menuet s’écroulent les fortunes, où tant de grands seigneurs, +entraînés dans le branle financier, se ruinent en faisant des grâces, +quitte à se brûler la cervelle en sortant de leurs hôtels patrimoniaux +perdus, après avoir légué leurs fils au roi pour ses armées et leurs +filles à Dieu pour ses couvents. + +A la mort du prince de Carignan, l’hôtel de Soissons fut encore une fois +mis en vente par des créanciers et faute d’acquéreurs livré aux +démolisseurs en 1749. Tout disparut; de l’édifice de Catherine augmenté +par les successeurs, il ne demeura debout que la fameuse colonne sous +laquelle s’éleva en 1772 la rotonde de la halle aux blés, avec quelques +rues circulaires tournant autour. Primitivement cette halle n’était +qu’une grande cour ronde à ciel ouvert, on la recouvrit dix ans après de +la coupole que nous avons connue. + +La halle aux blés vécut un peu plus d’un siècle. Son tour vint de +tomber, pour être remplacée par la Bourse du Commerce, mais la colonne +de Catherine fut heureusement respectée encore, et avec elle continuent +à planer, sur un quartier bien transfiguré et très prosaïque, le vieux +souvenir historique et la légende romanesque. + +La colonne Ruggieri n’a survécu au palais de Catherine que grâce à +l’écrivain Bachaumont qui, pour faire rougir les édiles de leur +vandalisme, l’acheta 800 livres au moment où elle allait être comprise +dans la démolition, et qui la recéda plus tard à la ville à la condition +qu’elle ne serait pas démolie. + +L’un des nombreux Italiens amenés à Paris par Catherine de Médicis, +Scipion Sardini, a laissé dans un quartier fort éloigné et qui alors +confinait à la campagne, sur les bords de la Bièvre, un hôtel assez +important qui a pu, sans doute grâce à son éloignement du centre, +traverser trois siècles, affecté à différents services. + +Les Italiens venus à la cour de France au XVIᵉ siècle firent tous des +fortunes rapides, comme les Gondi, les Strozzi, les Zamet, les Concini +et autres. Ce Scipion était un traitant fermier des impôts, qui se +transforma bientôt en un riche gentilhomme, baron de Chaumont-sur-Loire, +possédant château en Touraine, château féodal de haute importance, ayant +appartenu à Catherine,--et où se voit encore, à côté de la chambre de la +Reine, la chambre de son astrologue Ruggieri,--possédant + +[Illustration: LE DUC DE GUISE A LA JOURNÉE DES BARRICADES.--1588 + +Imp. Draeger & Lesieur, Paris] + +en outre un bel hôtel à Blois, et en situation sous Henri III de se +bâtir à Paris un autre logis plus riche et plus vaste. + +Ce bel hôtel des bords de la Bièvre rappelle les édifices des rives de +la Loire par son architecture de briques et pierres, ses arcades, ses +médaillons à têtes romaines, comme on en voit là-bas, notamment à +l’hôtel d’Alluye. + +Hélas, la vie est courte et les années de prospérité surtout passent +vite, c’était bien la peine de se lancer en belles constructions. +Sardini était à peine mort aux premières années du XVIIᵉ siècle, que du +bel hôtel, probablement confisqué comme règlement de comptes avec le +financier, on faisait un hôpital de mendiants. + +Alors s’opérait comme une grande liquidation de ce siècle de troubles +religieux, de révolutions et de guerres civiles; dans tous les coins de +Paris s’élevaient des hôpitaux, des hospices, des refuges et des prisons +pour recevoir les pauvres soldats estropiés, les innombrables mendiants, +les soudards devenus tire-laine faute d’emploi, épaves de la longue +tourmente. L’hôtel Scipion Sardini, sous le nom d’hôpital Sainte-Marthe, +reçut sa part de malheureux entassés sous les lambris du riche traitant +défunt, dont les splendeurs durent disparaître rapidement. + +En 1636, les prisons de la Conciergerie furent vidées en partie dans +l’hôtel Scipion, en raison d’une épidémie de peste. + +La boulangerie générale des hôpitaux y était déjà, elle s’y trouve +encore. Des arcades de la cour, la plupart ont été bouchées, les bustes +des médaillons ont fortement souffert, mais on peut encore par +l’imagination reconstituer la demeure du financier du XVIᵉ siècle, et en +oubliant tout ce qui l’entoure aujourd’hui, essayer de la compléter par +des jardins, par des horizons plus aimables, et par une Bièvre plus +claire courant sur des berges fleuries de pâquerettes. + +[Illustration: LE PASSAGE SAINT-PIERRE DONNANT DANS L’ANCIEN CIMETIÈRE +SAINT-PAUL (ÉTAT ACTUEL)] + + + + +[Illustration: INONDATION DE LA VALLÉE DE MISÈRE EN 1493] CHAPITRE VIII + +PARIS BOURGEOIS ET POPULAIRE + + +I + + Souvenirs champêtres.--Clos, granges, cultures, fermes.--La double + croisée de Paris.--Autour du Châtelet.--Les maîtres bouchers et la + grande boucherie.--La rue Trop-va-qui-dure et la Vallée de + misère.--Grandeurs, prospérités et solennités de la grande rue de + Saint-Denis.--Chemin royal au commencement et à la fin des + règnes.--Entrées de l’empereur Charles IV, d’Isabeau de Bavière, de + Louis XI, etc.--Cortèges, spectacles et divertissements.--Les + funérailles royales.--Un Arbre de Jessé.--Noms de + maisons.--Anciennes hôtelleries.--Les omnibus de Blaise Pascal.--La + grande rue Saint-Honoré.--L’Arbre sec.--Arbrissel ou potence?--La + croix du Trahoir.--La rue de la Ferronnerie.--Aux + Innocents.--Grandes halles de la mort et grand marché des vivants. + +[Illustration: VIEUX PIGNONS RUE BEAUBOURG] + +Ce Paris bourgeois et populaire qui répand ses innombrables maisons +autour des grands hôtels féodaux, des logis de noblesse et des séjours +de princes a, depuis le jour où il a débordé de l’île berceau sur les +deux rives, englobé, dans son accroissement jamais arrêté, bien des +hameaux, des fermes, des petits fiefs champêtres rejoints d’abord, puis +étouffés bientôt dans les lacis des ruelles qui les enserrent. + +Il ne restera de ces villages absorbés au plus touffu de l’immense +enchevêtrement de pignons, de cubes de pierres et de cages en pans de +bois où grouille la fourmilière parisienne, que des noms de quartiers, +que des appellations agrestes pour des voies commerçantes où ne verdit +plus aucun feuillage, ou bien des noms jolis et ensoleillés étiquetant +ironiquement des ruelles profondes et noires que le soleil ne connaît +plus. + +[Illustration: L’ÉGLISE SAINT-SAUVEUR, RUE SAINT-DENIS] + +En fouillant au plus profond des quartiers encombrés on retrouve des +souvenirs d’anciens clos, le clos de Laas, le clos Bruneau au pays des +écoles, le clos Garlande, le clos Georgeau, le clos des Halliers, le +clos des Arènes à Saint-Victor, le clos Thyron appartenant à l’abbaye de +Thiron ou Tiron près Chartres,--laquelle avait aussi donné son nom à une +rue où les abbés avaient leur logis près de la rue Saint-Antoine, ainsi +qu’à une prison,--le clos des Mureaux, le clos Saint-Symphorien planté +en vignes sur la montagne Sainte-Geneviève et bien d’autres tant sur la +rive gauche que sur la rive droite. + +On rencontre d’agrestes souvenirs étouffés sous les pierres, plusieurs +rues des Amandiers, dont une sous Sainte-Geneviève où se sont bâtis des +collèges, la rue Hautefeuille, le Chardonnet, champ de chardons où fut +édifiée l’église Saint-Nicolas du Chardonnet, les Vignes, les Marais, +les Champeaux, des Granges, la Grange aux Merciers, la Grange batelière +qui fut un fief important, dont le manoir était situé sur l’emplacement +de l’hôtel Drouot. + +La transformation du quartier Saint-Paul aux dépens des jardins de +l’hôtel royal au XVIᵉ siècle, donna les rues de la Cerisaie, +Beautreillis; on avait déjà les rues des Jardins-Saint-Paul, du Mûrier, +du Figuier, du Champ Fleuri, des Petits-Champs, des Rosiers, du Vertbois +et même la rue des Orties entre le Louvre et les Tuileries. + +Plus tard, quand la ville, grandissant toujours, fera la conquête +d’autres villages et hameaux suburbains, on aura la ferme des Mathurins, +le buisson Saint-Louis, le champ de l’Alouette, le Gros Caillou, etc... + +[Illustration: BAS-RELIEF DE LA MAISON DE L’ANNONCIATION, 89, RUE +SAINT-DENIS] + +Le Paris de la rive droite est traversé par deux grandes artères +perpendiculaires à la Seine, la grande rue Saint-Denis qui se relie par +le pont au Change à la Cité et par le pont Saint-Michel à la ville +universitaire, et la grande rue Saint-Martin qui mène au pont +Notre-Dame. Une troisième grande voie parallèle au fleuve, la grande rue +Saint-Antoine, reliée par des petites rues tournantes à la grande rue +Saint-Honoré, traverse Paris de l’est à l’ouest et forme avec les deux +autres ce qu’on appela alors la _Croisée de Paris_. Ces trois rues, ce +sont des rivières charriant des flots humains, entre des berges fort +étroites aux maisons serrées; il y coule sans cesse une foule pressée et +tassée de cavaliers et de piétons, de charrettes, de litières et de +carrosses. + +Ce sont des rues bruyantes et houleuses, toujours encombrées, toujours +retentissantes, mais dont la foule change vingt fois de caractère +suivant la région traversée; plus bourgeoise en certains endroits où +sont les gros marchands, plus ouvrière à certains carrefours, près des +quartiers où, dans toutes les maisons et toute la journée, frappent, +tapent, cognent sur le fer ou le bois, les gens de métiers; plus +populacière sur certains points et haillonneuse çà et là, montrant plus +de truands et de mendiants aux abords des cours de Miracles où gîtent +les _truandailles_, la lie toujours prête à remonter à la surface. + +En passant au long des moutiers, sous les grands murs appuyés de +contreforts, sous les églises, le flot des passants est plus sombre; il +y a plus de soutanes noires, plus de frocs de bure. La rue est plus +noire aussi du côté du Châtelet, au pays des procureurs et de la +basoche, tandis qu’en s’approchant des régions aristocratiques, aux +environs du Louvre à l’ouest ou de l’hôtel Saint-Paul dans la région de +l’est, elle devient plus élégante, égayée par des chaperons de gros +bourgeois ou des pourpoints de jeunes seigneurs, par les harnois +brillants de quelques gens d’armes, par des toilettes de belles dames +voisinant à pied ou chevauchant à mules, avec petits ou grands cortèges, +pour visites ou promenades. Le point de rencontre de ces artères +principales, la _Croisée de Paris_, est aux abords du Châtelet juste au +point le plus serré et le plus populeux, où le Paris de la rive droite +commence, où les maisons forment un conglomérat de toits et de pignons, +sillonné et comme fendillé par un réseau de ruelles étroites qui sinuent +autour du grand Châtelet, cette antique forteresse défendant jadis la +tête du pont de Lutèce, rebâtie et refaite plus d’une fois, devenue au +centre de la ville une sombre cage à prisonniers, le siège de la +juridiction de la prévôté et vicomté de Paris, c’est-à-dire aussi un nid +de justiciers redoutables, de tout ordre depuis le simple clerc du +greffe jusqu’au tourmenteur chargé de _questionner_ les patients sur le +terrible chevalet. + +[Illustration: ENTRÉE DE LA RUE SAINT-DENIS, LA GRANDE BOUCHERIE, LE +MARCHÉ DE L’APPORT-PARIS ET LE CHATELET] + +De plus, outre ses prisonniers et ses gehenneurs, comme si ce n’était +assez pour son renom sinistre, ce redoutable paquet de tours cache +encore autre chose de plus lugubre, il abrite une _morgue_ pour les +cadavres rejetés par le flot sur les berges de la rivière ou laissés par +la nuit au coin des carrefours malfamés. + +C’est ici le quartier des bouchers, les noms des rues le disent assez, +rue Triperie, rue de la Place-aux-Veaux, rue du Pied-de-Bœuf, de la +Tuerie... Juste devant l’entrée du Châtelet, c’est-à-dire du passage +voûté traversant la forteresse, se trouve la Grande Boucherie de +l’Apport-Paris, un vaste bâtiment de pierres au rez-de-chaussée avec +étage de bois largement ouvert pour l’aération. + +La Grande Boucherie est une espèce de halle à la viande, contenant vingt +et quelques étaux où se vendent les bêtes abattues dans les tueries +voisines; une odeur de sang plane sur ces rues des bouchers, le sang +coule vers la rivière, sur le pavé sans cesse lavé et relavé par le flot +rouge, et par le ruissellement des seaux d’eau lancés à tour de bras +après l’abatage. + +Établie là depuis des temps fort lointains, moyennant un cens payé à +l’abbaye de Montmartre, la Grande Boucherie est la plus importante de +Paris; il y a d’autres étaux près du petit Châtelet, et d’autres aux +halles, à la grande boucherie de Beauvais, qui se plaignent également de +la concurrence des boucheries des moines de Saint-Germain des Prés et de +Sainte-Geneviève, et de celles établies jadis par les Templiers dans +l’enceinte du Temple. + +Les bouchers forment une corporation puissante par la richesse des +patrons et par son armée de robustes gaillards habitués aux besognes +sanglantes. Les Thibert, les Saint-Yon sont les gros bonnets de la +corporation et forment des dynasties qui marquent dans les luttes +violentes des XIVᵉ et XVᵉ siècles et jusque sous la Ligue; des Le Goix +de la boucherie de Sainte-Geneviève se perpétuent dans le même commerce +jusqu’à nos jours, tandis que des Saint-Yon enrichis achètent des +charges au XVIIᵉ siècle et passent ainsi dans la noblesse de robe. + +Au temps de la grande querelle des princes, quand Armagnacs et +Bourguignons se massacrent à qui mieux mieux, les maîtres bouchers +marchent à la tête de bandes nombreuses et bien organisées qui tiennent +énergiquement pour Bourgogne. Pendant la démence de Charles VI, ils ne +veulent pas d’autre régent que Jean sans Peur, qui s’appuie sur ces +corporations redoutables et flatte leurs tendances démagogiques. Jean +sans Peur est alors pour eux, comme pour la majorité des Parisiens, ce +que sera pour leurs petit-fils le duc de Guise. + +Les chefs aux prises d’armes de la boucherie sont «les Thibert et les +Saint-Yon de la grande boucherie jouxte le Châtelet et les trois fils de +Thomas le Goix, qui était boucher, bel homme et en son état bon +marchand, dit Juvénal des Ursins, demeurant lui et ses enfants et +vendant chair en la boucherie de Sainte-Geneviève, bourgeois et natifs +de Paris». Avec eux se voient un chirurgien, Jean de Troyes «qui avait +moult bel langage» et le fameux écorcheur de bêtes Caboche «qui était de +la boucherie d’auprès l’Hôtel-Dieu, devant Notre-Dame». + +On sait quelles traces sanglantes ces bouchers du XVᵉ siècle ont +laissées dans l’histoire des Révolutions de Paris. S’ils massacrèrent un +peu partout par les rues aux grandes journées, ils combattaient aussi +aux batailles livrées aux alentours entre les armées des princes, comme +à la prise de Saint-Cloud. Un de leurs chefs, un le Goix tué à une +défaite du parti bourguignon en Beauce, fut ramené à Paris, eut à +Sainte-Geneviève des funérailles de prince, où l’on vit le duc de +Bourgogne lui-même marcher derrière le cercueil. Cet épisode de +l’enterrement en grande pompe du chef insurgé, quand on le lit dans +Juvénal des Ursins, rappelle les enterrements avec grand cortège et +musique funèbre des chefs de la commune contemporaine tués aux +avant-postes. + +Le parti de Bourgogne devient le parti des Cabochiens, prenant le nom de +l’écorcheur Jeannot ou Simonet Caboche qui s’était distingué par sa +violence et son audace avec les le Goix, à l’enlèvement de la Bastille +le 8 avril 1413 et aux journées sanglantes. Alors règne en souveraine +farouche et délirante la violence déchaînée, pataugeant dans le sang des +massacres. Les écorcheurs extorquent des rançons aux gros bourgeois qui +n’ont pu quitter la ville à temps, ils pillent, dérobent, proscrivent et +assomment à tort et à travers, se plongeant dans la soulerie du sang, +faisant peur au duc Jean sans Peur lui-même, et à la fin suscitant la +réaction. + +[Illustration: CARREFOUR RUE PIROUETTE, ÉTAT ACTUEL] + +Toute la ville, sous la terreur des bandes cabochiennes, prend donc le +chaperon blanc, couleur du parti révolutionnaire, même les princes, les +seigneurs, les gens d’Église. Le dauphin qui reçoit à son hôtel la +redoutable visite des communes doit coiffer le chaperon cabochien, et +Charles VI, dans un intervalle de sa maladie, l’arbore aussi quand, pour +aller faire ses oraisons à Notre-Dame, il traverse la grande multitude +des Parisiens en armes sur son passage. + +Il y avait derrière les gens de coups de main, des politiques aussi, +plus sages, réprouvant au fond ces violences, et qui essayaient, par +l’ordonnance dite _cabochienne_, de régulariser le mouvement et d’en +tirer des réformes possibles, quelque chose comme une refonte du système +politique. Mais comme toujours ces politiques et leurs idées devaient +être emportés et noyés dans le mouvement tumultueux des masses +soulevées, des hommes de violence irréfléchie. + +Les Cabochiens trouvèrent cependant à qui parler; en assemblée à l’Hôtel +de Ville un maître charpentier osa leur dire qu’il y avait à Paris +autant de frappeurs de cognée que d’assommeurs de bœufs. Les modérés +relevèrent la tête. Alors Juvénal des Ursins, qui fut le courageux +meneur de la lutte contre les Cabochiens, et quelques vaillants +bourgeois entraînés par ses exhortations, se sentant soutenus par tout +ce qui dans Paris en avait assez de la violente tyrannie cabochienne, +arrachèrent la ville au parti démagogique, allèrent chercher le dauphin +et le duc de Berry pour les faire marcher à leur tête et achever de +rétablir l’ordre. + +Comment finit l’écorcheur Caboche, ce meneur sanguinaire de la populace, +l’histoire ne le sait pas au juste. Il eut son procès en parlement, avec +les principaux chefs; Jean de Troyes eut le col coupé aux Halles, les +autres, les le Goix, Deniset de Chaumont, Robinet de Mailly, +Jacqueville, furent simplement bannis du royaume. Comme eux Caboche +échappa au bourreau, probablement parce qu’il avait pu avec eux gagner à +temps les terres du duc de Bourgogne. + +[Illustration: LA RUE BRISEMICHE, ÉTAT ACTUEL] + +Dans la réaction qui suivit, la Grande Boucherie fut démolie, mais elle +fut + +[Illustration: L’ATTAQUE DU CLOITRE SAINT-MERRY, AVRIL 1832] + +reconstruite quelques années après, au retour des Cabochiens bannis, +quand Paris livré par Perrinet Leclerc retomba au pouvoir du parti +bourguignon, et elle subsista aussi longtemps que le Châtelet lui-même, +son voisin, pour ne tomber qu’en même temps que lui au commencement de +notre siècle. + +Devant cette Grande Boucherie des rudes compagnons de Caboche, se tient +le marché de l’Apport de Paris ou la Porte Paris, un petit marché aux +légumes qui est tous les matins une cause d’encombrement en ce lieu déjà +si encombré, au débouché de la sombre voûte du Châtelet, près de la +barrière aux Sergents, poste de vingt-cinq hommes de police. Aux +étalages d’herbes et de verdures qui apportent parmi ces bâtisses +tassées de bonnes odeurs de campagne s’ajoutent les étalages de poisson +moins agréablement odorants. + +Tout le long de la rue Pierre-à-Poisson, simple ruelle serpentant le +long des sombres murailles du Châtelet, côté du couchant, des échoppes +s’alignent avec des pierres pour étaler le poisson. Le poisson frais de +la rue Pierre-à-Poisson rencontre le poisson salé de la rue de la +Saunerie qui n’a pas meilleure odeur. De la rue aux Salaisons on tombe +par la rue Trop-va-qui-Dure à la rue de la Poulaillerie et à la vallée +de Misère. + +De l’autre côté du Châtelet, tourne au pied des murs la rue de la +Joaillerie où sont des boutiques d’orfèvres assez étrangement placées +dans ce quartier voué au commerce des victuailles. + +Le nom de la rue _Trop-va-qui-Dure_, ou _Qui-m’y-trouva-si-dure_, a mis +les cerveaux des chercheurs d’étymologies à la gehenne. L’appelle-t-on +ainsi parce qu’elle conduit à l’entrée du terrible Châtelet et que pour +bien des malheureux elle est le chemin du supplice? Il va trop longtemps +celui qui dure encore après l’avoir suivie, car les juges et les +bourreaux l’attendent. Peut-être aussi est-ce tout simplement un nom +torturé lui-même et à la fin tout à fait dénaturé comme on en peut citer +beaucoup d’autres. + +Quant à la vallée de Misère, c’est la place où se tenait le marché aux +volailles, la Poulaillerie, une place bordée de quelques vieilles +maisons que dominent le sommet des tours du Châtelet et le petit +clocheton de Saint-Leufroy. Son nom lui vient peut-être de l’aspect +misérable de son entourage, ou peut-être parce que la place étant en +contre-bas du quai de la Mégisserie et du débouché des ponts aux +Changeurs et aux Meuniers, la Seine, à la moindre crue, lui vient faire +visite et gêner les pauvres marchands de volaille. + +En souvenir de l’une des plus sérieuses de ces inondations si +fréquentes, la vallée de Misère avait son petit monument à l’angle d’une +maison du quai, un pilier portant une image de la Vierge avec cette +inscription: + + Mil quatre cens quatre vingt treize + Le septiesme jour de janvier + Seyne fut icy à son aise + Battant le siège du pillier. + +Les rues constituant la croisée de Paris furent les premières voies +parisiennes régulièrement pavées. Boueuses à la moindre pluie, d’une +boue qui se changeait l’été en poussière désagréable et malsaine que le +moindre vent soulevait, les rues laissaient fort à désirer alors au +double point de vue de la viabilité et de la salubrité. + +On raconte que Philippe-Auguste prenant un soir d’été l’air à une +fenêtre de son palais de la Cité, comme un bon bourgeois qui se repose +après la journée faite, se trouva fort incommodé par les miasmes se +dégageant des rues poudreuses, par la poussière malodorante soulevée +sous les pieds des chevaux et les roues des charrettes traversant en si +grand nombre la Cité. + +[Illustration: VIEUX PIGNONS DE LA RUE GALANDE (1894)] + +Le roi, obligé par ces inconvénients de se retirer des fenêtres, prit +alors la résolution de faire cesser cet état de choses. Le prévôt et les +bourgeois furent convoqués au palais et Philippe ordonna le pavage en +forte et dure pierre des voies principales; la dépense un peu forte fit +faire la grimace aux édiles, mais le roi, comme bourgeois de Paris, y +contribua pour sa part. + +Ce premier pavage, disent les vieux historiens de Paris qui en ont pu +voir les traces en certains endroits sous le sol exhaussé, était fait de +grandes dalles de grès, de _carreaux_ de trois pieds de longueur. En +raison de la dépense excessive on se borna à daller ainsi les grandes +voies passagères, laissant les autres en l’état. + +La grande rue Saint-Denis qui commence,--ou finit,--à la Grande +Boucherie, c’est l’artère principale, de beaucoup la plus mouvementée, +le fleuve pas bien large pourtant recueillant sur son chemin bien des +affluents importants; c’est la grande route aussi. Tout ce qui vient des +provinces du Nord descend par cette longue rue après avoir franchi la +Bastille Saint-Denis, la porte la plus importante de l’enceinte +construite par Étienne Marcel et Charles V. + +[Illustration: ANCIENNE FAÇADE DE LA MAISON DE NICOLAS FLAMEL, RUE DE +MONTMORENCY, 45, DONT IL NE RESTE QUE LA POUTRE A L’INSCRIPTION] + +C’est le chemin des entrées triomphales, des réceptions solennelles de +rois et de reines. C’est par la porte Saint-Denis, pour ne citer que les +plus fameuses et les plus fastueuses de ces réceptions royales, +qu’entrèrent en la bonne ville de Paris l’empereur d’Allemagne Charles +IV, venant visiter le roi Charles V en 1378, la reine Isabeau de +Bavière, femme de Charles VI, qui apportait avec elle tant de malheurs +pour Paris et la France, les rois Louis XI, en 1461, et François Iᵉʳ en +1515, la reine Anne de Bretagne en 1504... + +Nous n’avons aucune idée des magnificences déployées en ces +circonstances, et notre époque, jusque dans ses fêtes, ignore +désespérément le pittoresque. Une fête pour nous c’est plus ou moins de +sociétés musicales ou de gymnastique, plus ou moins de drapeaux et de +lanternes vénitiennes aux fenêtres, plus ou moins de soleils tournants +et d’étoiles filantes au feu d’artifice. Notre imagination, quand elle a +ajouté quelques mâts de cocagne à ce programme, est à bout. + +Le moyen âge déployait un peu plus de recherches de splendeurs, dans +toutes les réunions et solennités; aux grandes journées, nos aïeux +s’ingéniaient à relever la pompe de ces grands cortèges par tous les +moyens et à les égayer sur leur route par toutes sortes de +divertissements et d’intermèdes. + +[Illustration: COUR DU COMPAS D’OR, RUE MONTORGUEIL] + +Il n’y a qu’à ouvrir les vieux chroniqueurs pour en avoir maintes et +maintes preuves. La grande ville de Paris se tirait particulièrement +bien de ces occasions, les gros bourgeois donnaient de leurs personnes +dans les cortèges, les corporations, les quartiers cherchaient à se +distinguer, le menu peuple s’esbaudissait et comme chacun y allait tout +naïvement bon jeu bon argent, personne, malgré le penchant bien connu +des Parisiens à la raillerie, ne songeait à se moquer si quelque chose +du programme venait à clocher. La rue Saint-Denis avait donc le +privilège des cortèges royaux aux circonstances solennelles, après le +sacre, lors des noces princières, ou autres joyeux événements, comme au +retour des campagnes victorieuses. Philippe-Auguste qui avait pavé notre +rue, fit son entrée triomphale au retour de sa campagne de Bouvines, +lorsque, au milieu d’une allégresse inouïe et de fêtes générales qui +n’en finissaient plus, il ramena le comte de Flandre Ferrand, son vassal +enfin vaincu, si bien enferré sur un chariot. + +Aux entrées princières, tous les carrefours, tous les parvis d’église, +tous les endroits où pouvait un instant stationner un cortège, +recevaient des décorations particulières, en quelque sorte comme les +reposoirs aux processions de la Fête-Dieu, et servaient de théâtre à des +divertissements particuliers. On y élevait des machineries à surprises, +des échafauds pour des représentations de mystères ou d’allégories, des +tréteaux pour jongleurs et jongleresses, des lices pour combats simulés; +on y dressait des tables bien garnies pour rafraîchir le cortège, tandis +que pour le populaire, les fontaines, au lieu d’eau, coulaient du vin ou +de l’hypocras. + +Quand l’empereur Charles IV vint faire visite à Charles V en 1378, le +prévôt de Paris, le chevalier du guet, le prévôt des marchands, les +échevins s’en furent au-devant de lui jusqu’à mi-chemin de Saint-Denis, +suivis de dix-huit cents bourgeois à cheval, vêtus de robes mi-partie +blanc et violet. A la Chapelle Saint-Denis l’empereur, qui voyageait en +litière parce qu’il avait été pris en route d’un violent accès de +goutte, quitta cette litière et se hissa sur un cheval noir richement +caparaçonné, envoyé par le roi. + +Le cortège se remit en marche et trouva, l’attendant en avant de la +porte Saint-Denis, le roi de France avec les ducs de Berry, de Bourgogne +et de Bar, les archevêques de Reims, de Rouen et de Sens, les évêques de +Paris, Laon, Beauvais, Noyon, Bayeux, des abbés de grandes abbayes, tous +à cheval, avec une quantité de seigneurs de la cour et d’innombrables +chevaliers. Le roi, vêtu d’une cotte hardie d’écarlate vermeille et d’un +manteau fourré, montait un grand palefroi blanc. Outre les hauts et +puissants seigneurs laïques et ecclésiastiques dessus dits, il était +accompagné de tous les fonctionnaires de la cour: chambellans, +chevaliers d’honneur, maîtres d’hôtel, écuyers, huissiers, pannetiers, +échansons, sommeliers en nombre, plus cinquante-deux valets de chambre +et soixante sergents d’armes, foule étincelante et chatoyante vêtue de +velours et de satins aux couleurs éclatantes. Pour juger de la +magnificence des costumes, il suffit de citer les queux et écuyers de +cuisine vêtus de houppelandes de soie et aumusses fourrées à boutons de +perles. + +Après que les monarques se furent salués, embrassés et complimentés, le +cortège se remit en marche et descendit la rue Saint-Denis dans l’ordre +suivant: trente sergents d’armes à pied tenant tout le travers de la rue +pour ouvrir le passage, ensuite les gens de l’empereur, huit cents +chevaliers de France avec un nombre infini d’écuyers, tous vêtus et +montés magnifiquement, le chancelier de France et les conseillers du +roi, le prévôt de Paris, le maréchal de Blainville à la tête des écuyers +du roi, la garde d’honneur de l’empereur composée de gentilshommes +français conduits par le seigneur de Coucy et le comte de Saarbruck, +tous descendus de cheval, marchant en files serrées un bâton au poing et +entourant le roi et l’empereur. Après les huissiers d’armes à pied, +s’avançaient les frères du roi, le frère de l’empereur, une quantité de +seigneurs allemands et français; derrière ce groupe vingt chevaliers à +pied et vingt-cinq arbalétriers, puis les archevêques et les évêques, +les chevaux de parement du roi, tout le reste de la cavalcade, et pour +clore la marche, le prévôt des marchands, le chevalier du guet avec ses +archers et sergents et les bourgeois. + +Grâce aux bonnes mesures prises, le défilé de l’interminable cortège se +fit dans le plus grand ordre sans trop grande presse et sans accident, +au grand émerveillement des gens qui n’avaient vu «_telle ni si bonne +ordonnance de telle multitude_». + +La réception de la reine Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI, eut +un autre caractère que ce grandiose et chevaleresque défilé. C’était une +fête en même temps, une marche nuptiale coupée de réjouissances, et la +rue Saint-Denis vit ce jour-là passer dans le flamboiement des drapeaux +et des bannières, entre deux interminables murailles de tapisseries de +haute lisse, de verdures et de fleurs, et sous un ciel de draperies de +soies, un éblouissant cortège de nobles dames en grands atours, toutes +les princesses de la cour, toutes les femmes de la haute noblesse de +France. + +[Illustration: LA FONTAINE MAUBUÉE, RUE SAINT-MARTIN. ÉTAT ACTUEL] + +Supposons-nous un instant dans une de ces maisons enguirlandées, +pavoisées de la base au faîte et garnie de spectateurs penchés sur +toutes les saillies, de têtes pressées à toutes ses ouvertures grandes +ou petites, aux larges fenestrages où pendent des tapisseries ou des +étoffes brillantes, et jusqu’aux lucarnes du toit. + +C’était le dimanche 20 août 1389. Sur le chemin de Saint-Denis se +tenaient douze cents bourgeois de Paris à cheval, vêtus de vert et de +vermeil. La reine Isabeau s’avançait en litière richement parée et +découverte, entourée des ducs frères du roi et de dix seigneurs de haut +rang à cheval, marchant au petit pas. Venaient ensuite la duchesse de +Berry sur un palefroi, _adextrée_ de deux seigneurs, la duchesse de Bar +en litière, la duchesse de Bourgogne et la comtesse de Nevers, la +duchesse de Touraine à cheval et une foule d’autres dames et damoiselles +en chars couverts ou sur palefrois galamment harnachés, des +gentilshommes, prélats et chevaliers en nombre, précédés de sergents +d’armes et d’officiers du roi, ouvrant la marche et très _embesognés_, +comme bien on pense, à percer la foule immense qui remplissait les rues +et les places. + +A la Bastille Saint-Denis, des enfants _appareillés en ordonnance +d’anges_, dans un ciel semé d’étoiles et d’armoiries, chantèrent au +passage du cortège _moult mélodieusement et doucement_. Des vins et +liqueurs coulaient de la grande fontaine monumentale qui se trouvait à +la hauteur de la rue Guérin-Boisseau, décorée pour ce jour de drap +d’azur semé de fleurs de lis et couverte d’écussons aux armes des hauts +et notables seigneurs; des jeunes filles aux riches costumes chantèrent +encore en l’honneur de la reine, et chantèrent si bien que, dit le +chroniqueur, «douce chose et plaisante était à l’ouïr!» Leur chant +terminé elles prirent hanaps et coupes d’or et présentèrent à boire des +vins de la fontaine aux nobles seigneurs du cortège. + +[Illustration: LES CHARNIERS DE L’ANCIEN CIMETIÈRE SAINT-PAUL (1895)] + +A quelques pas de là, devant le moutier de la Trinité où peu après +s’établirent les Confrères de la Passion, il y eut grande représentation +théâtrale. On donnait _le pas du roi Saladin_ avec une multitude de +personnages; après un compliment à la reine, des personnages +représentant les douze pairs de France et Richard Cœur de Lion +assaillirent une forteresse défendue par Saladin et ses Sarrasins, «et +là y eut par esbattement grande bataille qui dura une bonne espace». + +[Illustration: LES PREMIÈRES BARRICADES AU TEMPS D’ÉTIENNE MARCEL] + +A la deuxième porte Saint-Denis, dite Porte aux Peintres, ouvrant dans +l’enceinte de Philippe-Auguste, d’autres anges attendaient encore la +reine, dans un ciel constellé, mais ils avaient cette fois avec eux Dieu +le père, Dieu le fils et le Saint-Esprit. A l’arrivée du cortège, des +chants éclatèrent dans ce Paradis, il y eut belle séance de musique, +puis la porte du ciel s’ouvrit, deux anges descendirent des nuages et +vinrent poser sur la tête de la reine une belle couronne d’or garnie de +pierres précieuses, en lui chantant ces vers avant de remonter: + + Dame enclose entre fleurs de lys, + Reine estes vous de Paris, + De France et de tout le pays. + Nous en r’allons en Paradis. + +[Illustration: LA TOUR PETAUDIABLE, QUARTIER DE LA GRÈVE] + +A la chapelle Saint-Jacques, autre arrêt devant une haute chambre +encourtinée montée sur un échafaud où de grandes orgues faisaient +éclater leur musique. La plus grande station fut au Châtelet devant +lequel avait été élevé un castel de charpente avec tourelles «assez +fortes, dit Froissart, pour durer quarante ans,» et gardé à tous ses +créneaux par des hommes d’armes armés de toutes pièces. Au milieu sur un +lit richement paré était une femme représentant madame sainte Anne. + +En avant de ce castel, dans un espace fermé de palissades on avait +_planté_ un petit bois, une garenne où se trouvait «grand foison de +lièvres, de lapins et d’oisillons, courant ou voletant dans la ramée». +Quand le cortège déboucha devant le Châtelet, un grand cerf blanc sortit +du bois et s’en vint devant le lit de justice de sainte Anne, comme pour +chercher asile contre les attaques d’un lion et d’un aigle qui le +suivaient de près. Alors parurent douze belles jeunes filles l’épée nue +à la main, qui se mirent devant le cerf pour repousser les +assaillants... + +La nuit était venue quand le cortège, arrêté à chaque rue par d’autres +jeux, parvint à la Cité, après avoir passé le pont Notre-Dame, couvert +entièrement d’un ciel de soie vermeille étoilée, et gagna la cathédrale, +du haut de laquelle, ainsi que fit plus tard Mᵐᵉ Saqui, s’envola un +acrobate qui, sur une corde tendue de la tour au pont aux Changeurs, +descendit en chantant et tenant de chaque main un cierge allumé. + +Louis XI à son tour, au début de son règne, fit par notre grande rue +Saint-Denis une entrée mémorable dans sa bonne ville de Paris, qu’il +avait très à cœur de s’attacher, en prévision des futures luttes qu’il +pressentait devoir bientôt soutenir contre les grands vassaux de la +couronne, ces princes trop rapprochés du trône, et dont l’ambition et +les compétitions funestes avaient causé tant de maux depuis cent ans. +D’autres entrées, bien mémorables pour d’autres causes, dans +l’intervalle avaient eu lieu: entrée du duc de Bourgogne, entrée des +Armagnacs, entrée des Anglais et enfin entrée par escalade avec rude +bataille par les rues, des troupes du roi de France arrachant Paris à +l’étranger. Il fallait faire oublier tout cela, rejeter dans l’ombre du +passé les vieux souvenirs des discordes, les maux soufferts, la longue +défiance de Charles VII contre Paris, défiance justifiée, il faut le +dire, par le vieil esprit de sédition couvant perpétuellement dans le +sein de la bonne ville si prompte aux colères. + +L’évêque de Paris, le Parlement, le prévôt de Paris, le prévôt des +marchands et les échevins tous vêtus de robes de damas fourrées de +martre, accueillirent le roi à son arrivée en avant de la Bastille +Saint-Denis, et le prévôt des marchands lui présenta les clefs de la +ville. + +Devant l’église Saint-Lazare dans le faubourg, dernière station avant +l’entrée, un héraut d’armes à cheval, splendidement costumé aux couleurs +et armes de la ville attendait le roi. Il prenait pour nom _Loyal cœur_ +et présentait au roi, galante attention du corps de ville, cinq dames en +superbes atours montées sur de magnifiques chevaux, blasonnés à la nef +parisienne. Dans le costume de chacune de ces dames se distinguait une +grande lettre richement brodée et les cinq lettres réunies formaient le +mot PARIS. + +Tous les princes et grands seigneurs du royaume, comme au sacre, +tenaient leur place dans le cortège royal et déployaient un luxe +extraordinaire. Dans cette étincelante chevauchée de princes se +remarquaient le fils de Jean sans Peur tué à Montereau, le vieux duc de +Bourgogne, Philippe le Bon qui allait, en cette occasion, éblouir les +Parisiens de son faste dans sa résidence de l’hôtel de Bourgogne et son +fils, le comte de Charolais, destiné à devenir plus tard le grand +adversaire de Louis XI, Charles le Téméraire. + +Au sommet de la porte Saint-Denis on avait construit une belle nef de +charpente argentée, la nef du blason de la ville, dans laquelle des +figurants costumés représentaient les trois états, clergé, noblesse et +tiers. Aux châteaux d’avant et d’arrière étaient deux personnages +allégoriques _Justice_ et _Equité_, tandis que dans la hune du mât «qui +était en façon d’un lys» se voyait un roi que deux anges conduisaient. + +A l’entrée de la grande rue, la fontaine de la Reine jouait encore son +rôle dans la fête. Là se vit un combat d’homme et femme «sauvages» puis +«trois bien belles filles faisant personnages de sirènes toutes nues» +sortirent de l’eau du bassin et chantèrent quelques motets et +bergerettes au son des instruments. Le divertissement terminé les tuyaux +de la fontaine se mirent à jeter du lait, du vin et de l’hypocras pour +rafraîchir les seigneurs du cortège. + +[Illustration: LA BARBE D’OR, RUE DES BOURDONNAIS] + +Et la fête se continuait tout le long de la rue aux endroits accoutumés. +Les confrères de la Passion sur un échafaud, devant leur local du +moutier de la Trinité, représentèrent le mystère de la Passion, +Jésus-Christ sur la croix, entre les deux larrons. A la porte aux +Peintres autre représentation. Plus loin devant l’église des +Saints-Innocents, ce fut une chasse, une biche poursuivie par chasseurs +et chiens menant grand bruit d’abois et de trompes. A la Grande +Boucherie on avait élevé encore un château fort figurant la bastille de +Dieppe, jadis enlevée d’assaut aux Anglais par Louis alors Dauphin, et +quand le roi passa il se livra un merveilleux «assault de gens du roy, à +l’encontre des Anglais qui furent prins et gagnez et eurent tous les +gorges coupées». + +Enfin au passage du cortège sur le pont au Change, tout fermé et tendu +d’un ciel d’étoffes brillantes, deux cents douzaines d’oiseaux de toutes +sortes s’envolèrent tout à coup, lâchés par les oiseleurs de Paris, +suivant leur coutume aux entrées, «pour ce qu’ils ont sur le dict pont, +lieu et place à jours de fête pour vendre les dicts oyseaulx». + +En d’autres circonstances d’autres cortèges au lieu de descendre la rue +Saint-Denis la remontaient. Notre rue était le chemin de l’abbaye royale +de Saint-Denis. Rois et reines qui avaient suivi ce chemin à cheval ou +en litière, pour leurs noces ou entrées joyeuses, un jour le reprenaient +couchés dans leur bière pour leur enterrement... Si on la descendait +joyeusement couronne en tête au commencement des règnes, aux retours du +sacre, au temps des belles espérances, souvent déçues, plus tard la +dépouille mortelle de ces rois tant acclamés refaisaient à rebours le +même chemin pour aller retrouver dans les caveaux de Saint-Denis les +ombres de leurs prédécesseurs. + +Autres circonstances, autres pompes et autres sentiments dans les cœurs +des assistants. C’était lentement, à la lueur des torches funèbres, que +le cercueil royal au sortir de Notre-Dame montait vers la porte +Saint-Denis, suivi par les princes, les prélats, les officiers royaux à +pied. Plus de fleurs, plus de guirlandes de verdure, plus de joyeuses +volées de cloches, mais au passage du cortège le glas funèbre sonné par +toutes les églises, à l’unisson du gros bourdon de Notre-Dame. + +[Illustration: L’ARBRE DE JESSÉ RUE SAINT-DENIS (1895)] + +Le cortège des funérailles de Charles VII peut donner une idée de ces +funèbres processions, la chronique de Jean de Troyes nous en donne le +détail: en avant du corps marchaient deux cents «povres personnes» en +robes et chaperons de deuil, portant torches armoriées de quatre livres +de cire; le corps suivait dans une litière portée par les officiers + +[Illustration: LE PRESBYTÈRE DE SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS. JOURNÉES DE +JUILLET 1830] + +des gabelles de Paris, au-dessus de cette litière couverte d’un riche +drap d’or, se voyait la _pourtraiture_ en cire du roi Charles revêtue +de l’habit royal, couronne en tête et sceptre en main. Le duc d’Orléans, +le comte d’Angoulême, le comte d’Eu, Dunois, Jean Juvénal des Ursins, +grand chancelier, tous à cheval, menaient le deuil. Derrière eux, +marchaient six coursiers couverts de velours noir et montés par six +pages en habit de deuil, puis deux à deux et à pied tous les officiers +de l’hôtel royal, «tous vestus de deuil angoisseux». + +Mais indépendamment de ces journées exceptionnelles, la rue Saint-Denis +en temps ordinaire, avec la simple circulation habituelle dans le cadre +de la vie journalière, offrait par elle-même assez de variété d’aspects +pour intéresser et émerveiller l’étranger entrant dans Paris et le bon +bourgeois en flânerie. Certes tout a bien changé; il n’y a plus +d’occasion de spectacles extraordinaires aujourd’hui pour notre rue, et +sur tout le parcours règnent une uniformité de lignes générale et une +monotonie de détails répondant à l’uniformité de la vie. Ainsi passent +les gloires de ce monde. + +Où sont les beaux pignons ouvragés qui virent passer toutes ces choses +d’autrefois, les pignons à charpente en ogive, ou cintrées ou en +trèfles, les façades égayées de sculptures, quadrillées de pans de bois, +cherchant toutes à se diversifier par quelque irrégularité de structure +ou d’ornementation? On n’en retrouve plus guère de ces témoins de la +vieille gloire de la rue, quelques-uns çà et là, fort abîmés et comme +honteux parmi les lignes bien régulières des maisons neuves, ou parmi +d’autres qui ne sont que de vieilles personnes déguisées et fardées, +dissimulant leur âge sous des rhabillages trompeurs. + +Où sont les vieilles églises qui coupaient de distance en distance la +file des pignons laïques par un pignon plus ouvragé, le couvent de +moines ou de nonnes sur le compte desquels on aimait à médire en bons +voisins? Moutiers et églises sont tous tombés, sauf l’église +Saint-Leu-Saint-Gilles. + +Qu’est devenu le carrefour macabre des Saints-Innocents devant la porte +des Charniers? La joyeuse et si bien vivante rue Saint-Denis ne +s’offusquait pas du grand cimetière ouvert là, et qui la dévorait +génération après génération. Elle ne s’en attristait guère et acceptait +le voisinage avec la philosophie de l’habitude. Au temps de l’occupation +anglaise, époque de désastres et de tristesses, on y représenta pendant +des mois, sur un théâtre élevé dans le cimetière même et adossé aux +charniers, la grande Danse Macabre en costumes appropriés, la Mort +menant le branle des vivants, depuis le pape et le roi jusqu’au pauvre +gagne-deniers. D’août 1424 au carême suivant, ce spectacle fantastique, +dans ce décor si bien approprié, fit courir les Parisiens au grand +cimetière. + +Les galeries des charniers se remplissaient d’ossements déterrés, +enlevés à la terre dévorante pour faire vite place à d’autres. On +surélevait ces galeries en laissant aux maisons voisines la vue de +toutes ces têtes de morts empilées sur des tas d’ossements; n’importe, +les rez-de-chaussée des galeries pliant sous leur funèbre fardeau se +garnissaient de petites boutiques et d’échoppes vendant lingeries et +colifichets de mode. + +Bien rares sont devenues les maisons qui ont pu voir défiler ces +cortèges de rois et de reines, considérer de tous leurs yeux, de toutes +leurs fenêtres grandes ouvertes, la belle Isabeau en joyeux atours et le +roi Louis XI somptueusement habillé, ce qui n’était guère son habitude, +passant à cheval sous un dais porté par les échevins. Il y en a une +pourtant au coin de la rue des Prêcheurs, une façade vieille, noire et +flétrie qui, sous ses rides, garde les traces des coquetteries de son +jeune temps. Vieux atours en triste état, hélas! Son poteau d’angle sur +la rue des Prêcheurs est un arbre de Jessé sculpté du haut en bas, +figuration en sculpture de la généalogie de Jésus-Christ. A la base est +le patriarche Jessé endormi, du sein de qui jaillit un tronc d’arbre qui +porte sur des rameaux étagés à droite et à gauche des statuettes de rois +de Juda et enfin la Vierge et le Christ. + +Le moyen âge aimait ce motif très décoratif, avec lequel il orna parfois +d’une façon originale les poteaux corniers des maisons de bois. Celui-ci +est fort abîmé l’usure et la poussière de cinq siècles ont altéré +considérablement la physionomie des personnages sculptés; notre temps +irrespectueux méconnaissant leur signification, ne voyant là qu’un arbre +avec des figurines informes perchées dans les branches, a infligé à la +maison le titre d’hôtel de l’Écureuil. + +[Illustration: ENSEIGNE DU SOLEIL D’OR, RUE SAINT-SAUVEUR (CABARET ET +JEU DE PAUME)] + +Quant à la rue des Prêcheurs qui devait son nom à quelque couvent et qui +débouchait autrefois aux piliers des Halles, presque devant le Pilori, +ce n’est plus qu’un bout de ruelle noire. + +Avant l’introduction du numérotage chaque maison avait son nom ou son +enseigne peinte ou sculptée, un signe quelconque marqué sur la pierre ou +le bois pour la désigner, et vraiment rien n’était plus amusant que +toutes ces appellations souvent originales. + +Certaines se répétaient bien des fois et se voyaient dans presque toutes +les rues. Les propriétaires dévotieux donnaient à leurs logis des +enseignes ayant un caractère religieux, rappelant par le nom ou par un +attribut, soit le saint leur patron, soit la Vierge, soit un saint de +corporation ou particulièrement révéré dans le quartier. D’autres +enseignes se rapportaient au métier exercé ou ayant été exercé dans la +maison, un grand nombre enfin étaient purement fantaisistes, faisaient +allusion à un proverbe populaire, à un fabliau, étaient tirées d’une +idée comique ou satirique, d’une invention joviale. + +En voici quelques-unes parmi l’immense quantité de celles qu’on a pu +relever à Paris. Appellations religieuses: l’image Notre-Dame, en nombre +considérable, l’image Saint-Michel, l’image Saint-Louis, les Trois-Rois, +Saint-Nicolas, Notre-Dame de Liesse, Sainte-Catherine, Notre-Dame +d’Argent, Sainte-Véronique, Saint-Esprit, Saint-Fiacre. + +[Illustration: LE BON PUITS, ENSEIGNE RUE BEAUBOURG] + +[Illustration: ENSEIGNE DE L’ENFANT JÉSUS, RUE DES BOURDONNAIS] + +Appellations diverses: le Heaume, le Singe, le Cygne, la Couronne-d’Or, +le Bœuf-Couronné, le Cœur-Volant, le Croissant, le Lansquenet, la +Bouteille, l’Étoile, la Lune, la Hure-de-Sanglier, les Trois-Colombes, +l’Arbalète, le Coq et la Pie, la Corne-de-Cerf, le Grand-Cerf, le +Pélican, la Prison de Saint-Crépin, le Cheval-Blanc, le Sauvage, le +Griffon d’Or, la Licorne, les Quatre-Vents, le Bras d’Or, l’Écu de +France, les Trois-Chandeliers, le Chat qui pêche, la Truie qui file, la +Fleur de Lis, le Chat-Noir, le Lion d’Argent, l’Épée-de-Bois, le +Grand-Cerf, la Balance, la Croix-de-Fer, la Croix-de-Lorraine, les +Croix-Rouge, Blanche, d’Or ou Noire, les Trois-Entonnoirs, le +Fort-Samson, le Barbe-d’Or, la Tête-Noire, le More, l’Aigle, le +Singe-Vert, le Chapeau-Rouge, la Clef, la Pomme-de-Pin, les Deux-Écus, +les Trois-Maillets, la Limace, les Trois-Couronnes, les Deux-Anges, la +Rose-Blanche, le Gros-Chêne, le Chêne-Vert, le Moulinet-d’Or, le Faisan, +le Renard-Rouge, les Gros-Raisins, l’Ours, le Grand-Turc, la Clef-d’Or, +le Chaudron, le Pot-Cassé, l’Homme-Sauvage, l’Éléphant, le Sagittaire, +la Bonne-Femme, les Grenouilles, le Gril, le Barillet, le Papegaut, la +Cuiller, la Pelle, la Crosse, l’Entonnoir, l’Huis de Fer, la Grimace, la +Lamproie, la Nonnain qui ferre l’Oie, la Chicheface, le Pot-Cassé, la +Cage, l’Arbalète, l’Écrevisse, la queue de Renard, le Chevalier au +Cygne, l’Oriflant, l’Adventure, la Coste de Baleine, l’Échiquier, la +Galerie, la Gerbe-d’Or, la Chaste-Suzanne, le Grand-Lion, le Petit-Lion, +le Quatre-Fils Aymon, le Sabot, le Saumon, les Trois-Chandelles, la +Pomme-Rouge, la Femme-sans-Tête... M. Berty + +[Illustration: LA RUE DE LA FERRONNERIE. ASSASSINAT D’HENRY IV] + +en a relevé quelques milliers, de maison en maison, en fouillant les +vieux titres, les vieux registres des tailles, rien que pour les +quartiers de la Cité et du Louvre. + +Certaines de ces appellations étaient des enseignes d’hôtelleries qui se +sont perpétuées jusqu’à nous, souvent bien déchues, par malheur, et +devenues en leur vieillesse de simples auberges de rouliers. On est tout +surpris de rencontrer, au centre de Paris, aux endroits où les maisons +étroites et serrées, les façades à ventre renversé se disputent le +terrain, de vastes cours avec d’immenses hangars à gros poteaux de bois, +comptant leur âge par siècles, puis de sombres écuries sous d’antiques +bâtiments vermoulus, et là dedans les tas de fumier, les poules picorant +et caquetant comme en des cours de campagne... + +Jadis descendaient dans ces hôtelleries les gentilshommes de passage à +Paris, les riches bourgeois venus pour affaires, les gros marchands en +tournée d’achats. Des troupes de cavaliers, de seigneurs en carrosses, +des dames en litières s’arrêtaient sous cette voûte où les accueillait +l’hôte le bonnet à la main. Ces vieilles écuries ont logé des chevaux de +seigneurs venus pour les noces d’Isabeau, des coursiers de guerre aussi, +amenés par les partisans d’Armagnac ou de Bourgogne, les amis de +messieurs de Guise ou du prince de Condé. + +Ces années de jeunesse et de gloire sont loin, il n’y a plus dans ces +écuries et sous ces hangars que gros chevaux de roulage, camions, +charrettes, attelages de maraîchers ou de paysans des environs de Paris +apportant leurs légumes aux Halles. + +[Illustration: ANCIENNE ENSEIGNE DE L’ORME SAINT-GERVAIS AUJOURD’HUI RUE +DU TEMPLE] + +Où sont les coches, les carrosses, berlines et chaises de poste qui +donnaient un tel mouvement à ces rues et remplissaient à certains jours +ces vastes cours de bruit et de mouvement. Au siècle dernier, du +Grand-Cerf, rue Saint-Denis, partaient les carrosses de Lille, de +Dunkerque, de Belgique et de Hollande, deux fois par semaine. D’autres +lignes en des auberges voisines avaient leurs remises et points de +départ. Les carrosses de Strasbourg partaient une fois par semaine de +l’hôtel de Pomponne, rue de la Verrerie, les carrosses de Dijon deux +fois par semaine, de Besançon, de Franche-Comté une fois par semaine, de +l’hôtel de Sens quand il cessa de loger les archevêques Senonnais et la +reine Marguerite; les carrosses d’Orléans, Tours, Bordeaux et la +Rochelle gîtaient rue Contrescarpe; ceux de Soissons, Laon et Reims rue +Saint-Martin. + +De ces auberges des siècles passés le Compas d’Or, rue Montorgueil, +bureau de roulages divers maintenant, ou le Cheval-Blanc, rue Mazet, +ancienne rue Contrescarpe-Dauphine, peuvent nous donner quelque idée. +La vieille cour du Cheval-Blanc, forme un joli cadre pour une arrivée de +voyageurs du temps de Louis XIII et Louis XIV, si fanés que soient +aujourd’hui ses bâtiments qui furent des dépendances de l’hôtel des +archevêques de Lyon et où des vieux murs peut-être proviennent d’un +séjour de Navarre ayant appartenu à Jeanne de Navarre, femme de Philippe +le Bel. + +[Illustration: L’ORME SAINT-GERVAIS] + +C’est la vieille croisée de Paris naturellement qui eut la gloire de +voir passer les premiers omnibus, bien avant ceux que nous connaissons, +des omnibus du XVIIᵉ siècle, création de M. Blaise Pascal, tout +simplement. Pascal avait eu l’idée de ces carrosses publics et, pour +commencer, une première ligne, une _route_ comme on disait, avait été +établie du Luxembourg à la porte Saint-Antoine. Par prudence, pour +garantir les véhicules contre les malintentionnés, le Grand Prévost +avait, dans les premiers jours, fait monter un soldat dans chaque +voiture, mais la précaution fut inutile, les carrosses omnibus à cinq +sols, bien accueillis par tous, n’eurent à subir aucune insulte ni +attaque. + +On se rendit en foule, paraît-il, sur le Pont-Neuf et sur toute la route +pour les voir passer. Ils se suivaient assez rapidement, tous les +demi-quarts d’heure; la rue Saint-Denis devait avoir la deuxième _route_ +établie, mais le roi en ayant exprimé le désir, aussitôt le succès +reconnu de la première ligne, on mit en service une ligne pour la porte +Saint-Honoré, passant devant le Louvre, et la rue Saint-Denis vint en +troisième. + +Les cochers de ces omnibus, raconte Mᵐᵉ Périer, la sœur de Blaise +Pascal, avaient pour uniforme des casaques bleues «aux couleurs du roi +et de la ville, avec les armes du roi et de la ville en broderies sur +l’estomac». + +Ce fut donc un grand succès, puis, la première curiosité passée, les +gens qui n’avaient pas de voiture à eux reprirent leur vieille habitude +de faire leurs courses à pied, sauf à prendre aux grandes occasions une +brouette ou une vinaigrette. Ces carrosses à cinq sous étaient +d’ailleurs établis dans de mauvaises conditions et secouaient +terriblement les huit voyageurs entassés dans leur caisse non suspendue. +L’institution tomba. Le temps n’était pas encore aux grands tramways ni +aux véhicules électriques. + +[Illustration: LA CROIX DU TRAHOIR] + +La rue Saint-Martin dispute à la rue Saint-Fiacre l’invention des +voitures de place, moins démocratiques que les omnibus. Le nom de ces +véhicules leur vient-il de leur port d’attache à l’image Saint-Fiacre, +rue Saint-Martin, ou de ce que leur inventeur, le sieur Sauvage, +habitait la rue Saint-Fiacre, ou encore de ce que chaque voiture était +ornée du portrait du frère Fiacre, moine du couvent des Augustins +déchaussés ou petits Pères, très célèbre au XVIIᵉ siècle? Petite +question qui reste douteuse. + +C’est l’an 1739 qui les vit rouler pour la première fois avec le +portrait du frère Fiacre collé sur la caisse. Les chaises à porteurs +existaient antérieurement. Dès 1617, un bâtard du duc de Bellegarde en +avait obtenu le privilège; c’était une invention anglaise et Londres en +voyait déjà circuler dans ses rues avec grand succès. + +[Illustration: LA FONTAINE ET LE MARCHÉ DES INNOCENTS EN 1830] + +Il y eut bientôt dans Paris une vingtaine de places où les chaises +attendaient les clients. Outre les fiacres et chaises à porteurs, outre +les vinaigrettes, qui étaient des chaises montées sur une paire de +roues, tirées en avant par un homme et poussées derrière par un gamin, +il y eut encore aux deux derniers siècles une entreprise qui se +chargeait, non de véhiculer les Parisiens, mais seulement de les +escorter le soir en les éclairant pour rentrer chez eux. C’étaient les +porteurs de falots, dont l’assistance n’était pas inutile à une époque +où, si les réverbères étaient ou tout à fait absents, ou très rares, les +détrousseurs, tire-laine, vagabonds, voleurs et assassins l’étaient un +peu moins. Mais nous aurons l’occasion de parler de ces falots plus +loin. + +Des vieux carrefours d’autrefois épargnés par le tracé des grandes voies +modernes qui ont découpé Paris en triangles réguliers, des carrefours +restés à peu près ce qu’ils étaient au temps jadis, il en reste bien peu +et seulement dans les rues tombées en misère. Et c’est seulement sur +ceux-là, pauvres malheureux carrefours aux façades déjetées et +squameuses, qu’aujourd’hui l’on juge les autres, ceux qui ont disparu, +ou dont il ne reste que le nom, s’appliquant maintenant à des devantures +neuves et clinquantes. La vieille mendiante édentée et chassieuse, +grognante et trognonnante, a peut-être été une jolie fille fraîche et +rieuse. La ruelle sordide a été blanche et gaie, le carrefour sombre où +débouchent des rues en corridors, hideuses et puantes, mal famées, mal +hantées, a pu être une jolie petite place à boutiques prospères, sur +laquelle tombaient, ainsi que des coulisses, des rues très éveillées, +versant l’animation et la vie. + +La grande rue Saint-Honoré qui forme la croisée de Paris, en rejoignant +assez difficilement, il est vrai, et par maints détours, la grande rue +Saint-Antoine, n’a pas moins de souvenirs que la rue Saint-Denis et à sa +brillante époque, elle offre encore plus de contrastes qu’elle. Ne +relie-t-elle pas les Tuileries de Catherine de Médicis, le Louvre de +Philippe-Auguste et Charles V au quartier non moins royal de Saint-Paul, +au Marais aristocratique, en passant par ces quartiers grouillants de +populaire des Halles et des Innocents, par le sombre Châtelet, par +Saint-Merry et la rue de la Verrerie? + +Elle avait pour commencement sous Philippe-Auguste la vieille porte +Saint-Honoré située à l’Oratoire du Louvre, laquelle fut reportée par +Etienne Marcel à la hauteur de la place du Carrousel. En arrière il n’y +eut jusqu’au XVIᵉ siècle qu’un embryon de faubourg, et sur toutes les +buttes ou relèvements du sol, des moulins à vent, cette ancienne +couronne de moulins tournant joyeusement autour de Paris. + +La porte Saint-Honoré et la bastille Saint-Denis furent les deux points +d’attaque de Jeanne d’Arc quand elle essaya, en 1428, d’arracher Paris +aux Anglais. C’est ici qu’elle combattit elle-même et qu’elle reçut les +injures et les flèches non seulement des soudards anglais, mais encore +des Parisiens du parti de Bourgogne. + +Deux siècles après Jeanne d’Arc, la porte Saint-Honoré se trouvait +reportée encore plus à l’ouest, juste au travers de la rue Royale +actuelle, au point où commence aujourd’hui le faubourg,--auquel se sont +encore ajoutés depuis d’autres faubourgs et des villages soudés bout à +bout, des kilomètres de maisons sans interruption, ce qui reporterait +l’entrée de la rue Saint-Honoré au-dessus de Courbevoie. + +En attendant ces jours d’expansion formidable, choux et carottes +poussent encore sur l’emplacement de la place Vendôme, et des tuiles se +fabriquent encore réellement aux Tuileries. La rue Saint-Honoré, +aussitôt après les Quinze-Vingts et l’église Saint-Honoré, devient rue +de grand commerce; drapiers, fourreurs, orfèvres, rubanniers, étalent +leurs riches marchandises dans les boutiques des rez-de-chaussée, +occupant quelquefois avec leurs apprentis logés en famille la maison +tout entière, ce qui n’est pas difficile, lorsque aux endroits très +serrés, aux bons carrefours, la maison pressée entre deux voisines n’a +que deux fenêtres de largeur, si ce n’est une. + +Aux abords des Halles se dresse dans la rue Saint-Honoré, au carrefour +de l’Arbre Sec, la croix du Trahoir ou du Tiroir, sur le nom de laquelle +on a bien disserté. De fondation très ancienne, la croix du Trahoir +avait dû déjà être plus d’une fois renouvelée, lorsque François Iᵉʳ dut +la refaire encore, en l’arrangeant comme couronnement d’une petite +fontaine octogone. + +Il est probable, suivant Berty et d’autres, que son nom lui vient de ce +que l’on _triait_ ici les animaux amenés pour les boucheries voisines. +Cette explication étant trop simple, on allait jusqu’à voir dans la +croix du Trahoir ou Tiroir un souvenir du supplice de Brunehaut, le lieu +où s’était arrêtée la cavale farouche qui traînait attachée à sa queue +par les cheveux, par un pied et par un bras, le cadavre de la rivale de +Frédégonde, déchiquetée aux pierres et aux ronces du terrain. Comme le +supplice de Brunehaut n’eut pas lieu à Paris, la croix du Tiroir ne +pouvait en marquer la place. + +De même pour le nom de l’Arbre Sec. Son nom primitif devait être +l’Arbrissel, l’arbrisseau, enseigne d’une maison, on en avait fait +l’Arbre-Sec, un nom qui éveillait l’idée de la potence, arbre éminemment +sec bien qu’il porte souvent de très gros fruits; la confusion +d’ailleurs était justifiée par le voisinage de la croix du Trahoir où +s’exécutaient les arrêts de justice du territoire de +Saint-Germain-l’Auxerrois. Les appellations pittoresques abondent dans +le quartier, il se trouve entre la rue Tirechappe et la rue des +Bourdonnais le fief de chasteau Festu qui donnait son nom à cette partie +de la rue Saint-Honoré. Château-Festu, d’après les recherches de M. +Cocheris qui en a trouvé plusieurs dans le Paris du moyen âge, était un +nom ironique donné à d’antiques constructions branlantes et sans valeur. + +En arrière des maisons bourgeoises et commerçantes bordant la grande +voie passagère, quelques pignons et tourelles de nobles hôtels se lèvent +sur des jardins. Il y a là le grand hôtel jadis de Nesle, de Bohême, +puis d’Orléans, où la reine Catherine de Médicis bâtira l’hôtel de +Soissons. Au XVIᵉ siècle, les Filles repenties en occupaient une partie, +laissant vides de grands logis avec hautes tours d’escalier sur la rue +de Guernelle ou Grenelle-Saint-Honoré qui devait devenir plus tard la +rue Jean-Jacques-Rousseau. + +Et la rue du Jour, qui va rejoindre la rue Montmartre, s’appelle alors +rue du Séjour. C’est un séjour royal, un logis de Charles V à l’angle de +la rue Montmartre; au XVIᵉ siècle le séjour de Charles V fut transformé +en un bel hôtel Renaissance et il en demeure au numéro 25 de notre rue +du Jour, un superbe morceau dans la cour, une magnifique entrée +d’escalier encadrée de sculptures, surmontée d’une imposte fermée d’un +grillage en fer forgé aux initiales P. M.; il reste encore deux consoles +ayant jadis porté des bustes absents aujourd’hui, à côté d’une large +porte d’écurie également ornée de sculptures, sans compter çà et là +d’autres jolis détails épargnés lors des adaptations et +transformations. + +On retrouve ici les bouchers, la violente et redoutable corporation qui +opprima Paris dans le grand trouble bourguignon; près de la croix du +Tiroir est la boucherie de Beauvais, grande boucherie contiguë au marché +à la friperie des Halles. Les piliers des Halles commencent là sur la +rue de la Tonnellerie pour aller rejoindre les piliers de la place du +Pilori, en tournant autour de cet amas incohérent de bâtiments, maisons +et grands hangars qui constituent le grand marché où s’approvisionne la +ville. + +On se trouvait là au centre du mouvement, au confluent des grandes voies +qui sans cesse amènent des flots d’allants et venants, et justement, sur +ces points de rencontre, les grandes voies s’étranglaient en rues +tourmentées plus étroites, presque des ruelles, où le flux et le reflux +des passants se trouvait plus gêné. + +Par la rue de la Ferronnerie longeant le cimetière des Innocents ou par +des ruelles passant derrière Sainte-Opportune, il fallait gagner la rue +Saint-Denis, la descendre un instant et continuer par les rues des +Lombards et de la Verrerie. La rue de la Ferronnerie n’avait de maisons +que sur un côté, regardant en face, par-dessus le cimetière et les +galeries des charniers, les maisons de la rue aux Fers. + +On sait qu’il ne fallait pas plus d’une voiture arrêtée pour la barrer +complètement. Le 14 mai 1610, dans un encombrement causé par une voiture +de tonneaux et un fardier transportant des pierres, se trouva pris le +carrosse dans lequel Henri IV, avec quelques seigneurs, se rendait à +l’Arsenal pour faire visite à Sully malade, à la veille de partir pour +faire sacrer la reine Marie de Médicis à Reims, et de courir ensuite aux +armées rassemblées pour une grande guerre longuement méditée, qu’il +espérait faire aboutir à une paix bien assise, à une Europe remaniée et +mieux équilibrée, en entravant les puissances inquiétantes et en +achevant avec tous les matériaux français demeurés hors frontières +l’édifice d’une grande France. + +Le carrosse royal, robuste et large caisse à lourds ornements, fermé +seulement par des rideaux de cuir, dut s’arrêter dans l’étroite rue, +devant la maison d’un notaire nommé Poutrain. Comme les seigneurs +remplissant la voiture se penchaient pour découvrir la cause de la +presse, un homme surgit de l’ombre sous l’auvent d’une boutique, profita +de ce que l’escorte royale était rejetée en arrière, et sans opposition +de personne, put monter sur le moyeu d’une roue pour enfoncer un couteau +dans le flanc d’Henri IV. + +Le crime de Ravaillac favorisé par un vulgaire accident arrêtait tout. +Les armées déjà en branle reprenaient le chemin de leurs garnisons, le +grand projet était abandonné et les destins de l’Europe modifiés sans +doute. + +L’endroit précis où mourut _le Béarnais_, bon maçon qui recimenta +l’édifice national si lézardé, était près de la place aux Chats, à la +jonction des rues de la Chaussetterie et de la Ferronnerie, c’est-à-dire +sur un point enlevé par notre moderne rue des Halles, entre la rue des +Bourdonnais et la rue des Déchargeurs. + +Longtemps l’enseigne «Au bon roi Henri» avec un buste du roi sur la +façade de la maison du notaire Poutrain, subsista pour rappeler +l’événement qui changea probablement tant de choses; la transformation +du quartier des Halles a fait tomber cette maison et les trois quarts de +la rue. La Révolution avait supprimé + +[Illustration: LA RECLUSE DU CIMETIÈRE DES INNOCENTS] + +le buste, et le commerçant occupant alors la maison avait mis, à la +place du roi, _le grand Marat_ sur l’enseigne, d’autres disent même _le +grand Ravaillac_. + +Et rien maintenant ne remémore plus au Parisien qui passe ici que sur +tel ou tel point précis de son pavé le sang de Henri IV a coulé. +Laissons de côté toute idée politique et plaçons-nous au seul point de +vue historique: ne restituerait-on pas ainsi à nos rues une partie de +l’intérêt que la régularisation et le parti pris de l’uniformité leur +ont enlevé, si l’on rappelait par une pierre, une plaque, un petit +édicule, les faits plus ou moins importants dont elles ont été le +théâtre, si l’on s’efforçait de réveiller et de fixer autant que +possible ces traditions qui s’oublient, tant et tant de souvenirs qui se +perdent peu à peu? + +[Illustration: LE PILORI DES HALLES] + +[Illustration: CARREFOUR BRISE-MICHE ET TAILLE-PAIN. CLOÎTRE +SAINT-MERRY, 1832] + + +II + + Chronique des rues et carrefours de Paris.--Le Puits d’amour, la + rue Pirouette et le Pilori des Halles.--Les rues de + métiers.--Quelques bourgeois parisiens d’il y a longtemps.--Vieux + noms de rues estropiés et dénaturés.--Noms bizarres.--Les rues à + mauvaise renommée.--Cabarets d’autrefois et vieilles enseignes.--La + Pomme de pin et les cabarets littéraires du XVIIᵉ siècle.--La + maison de l’amiral Coligny.--L’hôtel du chevalier du Guet.--Les + dernières tourelles de nos rues.--Les empoisonneurs.--Sainte-Croix + et la Brinvilliers.--La fontaine des Innocents.--Souvenirs du + carrefour de l’Arbre sec.--Les maisons de Molière. + +[Illustration: LE PUITS QUI PARLE] + +Se découpant de la façon la plus irrégulière, au confluent de ces rues +étranglées et tortueuses, combien pittoresques étaient ces vieux +carrefours qui dans des perspectives pleines d’imprévu faisaient filer +les lignes de façades à pignons aigus. Ils n’avaient pas tous d’aussi +tragiques souvenirs que celui de la Ferronnerie, mais il en était peu +qui n’eussent servi de théâtre à quelque épisode de commotion populaire +ou de farouche révolte, comme il était peu de pavés qui n’eussent, de +siècle en siècle, été soulevés pour défendre les quartiers derrière les +grosses chaînes d’Etienne Marcel tendues au travers des rues, ou pour +servir à confectionner les barricades de la Ligue et de la Fronde; pas +de ruisseaux qui n’eussent été rougis par des rigoles de sang aux traces +bien vite effacées. + +La chronique des rues de Paris avait aussi ses pages presque poétiques. +Que nous raconte par exemple ce vieux carrefour, qui existe encore au +centre d’un quartier assez noir, à l’intersection des rues de la Grande +et de la Petite-Truanderie, rues sombres et renfrognées aujourd’hui et +dont le vieux nom n’indique pas non plus un passé bien noble? Là, +jusqu’au siècle dernier, exista un vieux puits appelé le Puits d’amour. +La légende voulait qu’une jeune fille s’y fût jetée jadis par désespoir +amoureux. Au XVIᵉ siècle le puits était à demi ruiné; un amant éconduit +par les parents de sa belle voulant donner raison à la légende, vint un +jour s’y précipiter. Par bonheur il en fut tiré avant la noyade complète +et seulement couvert de meurtrissures attendrissantes; les parents de la +jeune fille touchés de cette preuve de passion lui accordèrent la main +de son adorée et peu après, par reconnaissance, les mariés firent +réédifier le puits, avec quelques ornements sculptés encadrant un +distique: + + L’amour m’a refait, + En 1525, tout à fait. + +[Illustration: LE PUITS D’AMOUR, AU CARREFOUR DES RUES PETITE ET +GRANDE-TRUANDERIE] + +Un cabaret établi probablement de toute antiquité en ce carrefour à +l’angle des deux rues, mit le Puits-d’Amour sur son enseigne. Ce cabaret +vécut longtemps mais n’existe plus malheureusement, quand tant d’autres +prospèrent sous des enseignes moins jolies. + +A l’autre bout de la rue de la Grande-Truanderie se trouve encore +aujourd’hui un autre antique carrefour, curieux comme disposition de +maisons à ventres renversés, de pignons bien plantés, mais dont +l’appellation pittoresque de carrefour Pirouette rappelle de moins +gracieux souvenirs que le Puits-d’Amour. + +La rue Pirouette donne sur le côté des Halles centrales; jadis, du temps +que les Halles possédaient leur entourage irrégulier, mais continu, de +maisons à lourds piliers trapus, la rue Pirouette, comme distraction de +haut goût, regardait par toutes ses fenêtres le fameux pilori des +Halles. Tourelle gothique ouverte sur toutes ses faces, ce pilori +n’avait pas mauvaise tournure et n’était pas dépourvu d’ornements. Le +temps passé enjolivait jusqu’aux instruments de punition, les échelles +patibulaires quelquefois montraient un peu de style, le puissant gibet +de Montfaucon s’élevait monumental et le pilori des Halles déployait +quelque élégance. + +Le criminel quelconque amené au pilori avec tout un cortège de +magistrats à cheval et d’archers du Châtelet, était conduit à la +plate-forme ouverte de la tourelle, et là, le cou et les mains pris dans +un grand cercle de bois, tournait avec le plancher en montrant +successivement sa tête par toutes les ouvertures. De là, dit-on, le nom +de Pirouette donné à cette rue à qui l’on offrait assez souvent +l’occasion de prendre quelque amusement aux grimaces forcément +grotesques des pilorisés. C’est l’origine la plus probable de la +pittoresque appellation, bien que certains chercheurs prétendent aussi +que Pirouette serait une déformation du nom du fief de Thérouenne sur +lequel la rue fut bâtie, possession d’un évêque de Thérouenne, +archidiacre de Paris au XIIIᵉ siècle, étymologie un peu tirée à quatre +chevaux. + +Outre le Puits-d’Amour, quelques autres puits existaient sur la voie +publique. On en voyait un très beau sur la place du +Cloître-Saint-Germain l’Auxerrois, il y avait le puits de l’Abbaye au +marché Sainte-Marguerite devant Saint-Germain des Prés, le puits Certain +au carrefour des rues Fromentel et Charretière derrière Saint-Jean de +Latran, puits appelé du nom de celui qui l’avait fait édifier, Robert +Certain, curé de l’église voisine Saint-Hilaire; sur la rive gauche +encore, le _Puits qui parle_ et le _Puits de l’Hermite_, qui ont laissé +leurs noms à des rues et qui, eux aussi, avaient leurs légendes. + +Le Puits qui parle, dans le faubourg Saint-Marcel près de la rue des +Postes, autrefois rue des Pots ou des Poteries, c’était tout simplement +un puits sonore, pourvu d’un écho sur lequel peu à peu s’étaient +établies des légendes dont le souvenir est assez confus, parmi +lesquelles il suffit de rapporter, d’après Charles Nodier, celle d’un +méchant mari qui, tourmenté par les caquets de sa femme, aurait jeté +celle-ci dans le puits. + +Évidemment cela de tout temps a bien pu suffire pour faire bavarder un +puits, mais l’explication est trop ironique pour être la bonne et il +faut se contenter de celle d’un écho plus ou moins phénoménal. + +Quant au Puits de l’Hermite, il ne devait son nom à aucun ermitage, mais +seulement à un nommé Adam l’Hermite, tanneur de son état, à la maison +duquel il était adossé. + +[Illustration: CARREFOUR BUCI, AVEC L’ESTRADE DES ENROLEMENTS EN 1792.] + +Si pour bien des rues la bizarrerie des noms provient de lentes +déformations, il y a néanmoins dans la simple nomenclature des +anciennes rues de Paris, à recueillir des vestiges plus ou moins +embrouillés de vieilles légendes, à glaner des indications de toute +sorte, des renseignements topographiques et des souvenirs historiques, +et même quelques dernières traces de vieilles familles parisiennes qui +tinrent grande place jadis, évocations d’antiques bourgeois étonnés de +voir leurs noms traverser les siècles. + +Beaucoup de corps de métiers avaient eu jadis une tendance à se grouper +sur certains points; cet usage présentait évidemment des avantages pour +les marchands et les vendeurs, et répondait à de vieilles habitudes; les +acheteurs avaient ainsi sous la main des points de comparaison et +pouvaient faire leur choix plus facilement dans ces rues qui tiraient +leur nom des professions exercées. + +C’est ainsi que nous trouvions et que nous trouvons encore en partie +autour des Halles, la rue de la Tonnellerie, dont la ligne de piliers se +continuait jusqu’à la rue Pirouette, la rue de la Cordonnerie, la rue de +la Cossonnerie ou Poulaillerie, la rue de la Poterie, les rues de la +Lingerie, de la Chaussetterie, la rue de la Ferronnerie faisant pendant +à la rue aux Fers, jadis aux Febvres, de l’autre côté du grand cimetière +des Innocents; la rue des Déchargeurs, ces ancêtres des forts de la +halle, plus loin les rues de la Coutellerie, jadis Guignoreille, de la +Vannerie, de la Tissanderie, de la Verrerie, de la Savonnerie, de la +Tannerie, le quai de la Mégisserie, dit aussi de la Ferraille, la rue +puis le quai des Orfèvres, etc. Mais de bonne heure, paraît-il, suivant +les recherches faites par les fouilleurs du passé dans les registres des +tailles, ces métiers réunis s’étaient disséminés et les noms seuls +étaient restés à ces rues spéciales, sauf pour les marchands autour des +Halles et du Châtelet. + +[Illustration: MAISON DE NICOLAS FLAMEL RUE DES ÉCRIVAINS DÉMOLIE POUR +LE SQUARE SAINT-JACQUES LA BOUCHERIE] + +La rue des Lombards nous reporte au XIIᵉ siècle et nous rappelle ces +négociants et changeurs originaires presque tous d’Italie, venus établir +leurs boutiques dans toutes les villes populeuses et commerçantes, pour +faire le change ou se livrer à tous les commerces de l’argent. +Quelques-uns de ces banquiers prêtaient sur gages et faisaient l’usure, +ce qui n’amenait pas beaucoup de sympathies à la corporation. Lombard +était alors souvent synonyme de Juif, et dans les séditions populaires +les boutiques et les coffres de ces marchands d’argent couraient +quelques risques. + +Ce qui reste de la rue des Lombards a changé de commerce et semble voué +surtout aux produits pharmaceutiques, où déjà les enseignes de +droguerie, les _Barbe d’or_, les _Mortier d’or_ ont plus d’un siècle +d’âge. + +A côté des souvenirs des vieilles corporations, des noms d’antiques +bourgeois de temps fort lointains surnagent dans l’immense Paris de +leurs arrière-descendants, appliqués encore, après bien des siècles, aux +rues qu’ils ont habitées et qu’ils ne pourraient guère reconnaître. +Cette longue gloire posthume refusée à tant de gens importants dans leur +temps, et dont le souvenir s’éteint sous des couches successives +d’autres gens non moins importants, le boulanger Quiquetonne la connaît; +il faisait sans doute d’excellent pain blanc, mais à quelle époque? La +rue s’appelle encore rue Tiquetonne de son nom à peine estropié. C’est +aussi un boulanger sans doute qui fut le parrain de la rue +Jean-Pain-Mollet; celle-ci a perdu ses droits séculaires de bourgeoisie +de nos jours seulement, lorsque la rue de Rivoli, la rencontrant sur son +chemin, l’avala d’une bouchée. + +[Illustration: PIGNON DE LA RENAISSANCE RUE DU DRAGON] + +Les Bourdon, Adam et Guillaume, furent au XIIIᵉ siècle de notables +bourgeois et commerçants qui, sans doute, perpétuèrent quelque temps +leurs boutiques et leur lignée; leur rue s’en appelle encore rue des +Bourdonnais. Pierre Coquillier, riche bourgeois du XIIᵉ siècle, survit +depuis sept cents ans, grâce à la rue Coquillière, qui, au XVIᵉ siècle, +aboutissait à un moulin sur le rempart, à peu près où se trouve +aujourd’hui la Banque de France. + +Jusqu’aux dernières démolitions de la Cité, la rue Cocatrix garda le nom +de Geoffroy Cocatrix, échanson de Philippe le Bel. De même pour Jehan +Tison et Jehan Lantier ou Jehan Lointier, Aubry le Boucher, +Guérin-Boisseau ou Guérin-Boucel, Simon le Franc, Pierre Sarrazin, +Geoffroy l’Angevin, Bertin Poirée ou Porée. Guillot dans son _Dict des +rues de Paris_ parle de tous: + + Emprès la rue Jehan Lointier + Là ne fus-je pas trop lointier + De la rue Bertin Porée... + +Ces braves gens ne furent pourtant point des seigneurs importants, de +hauts personnages ou des échevins, mais tout simplement de bons +bourgeois, des commerçants ouvrant boutiques achalandées dans ces rues +qu’ils baptisèrent et leurs noms ont traversé les siècles. + +Pierre Oilard, bourgeois de Paris, eut moins de chance, son nom donné à +sa rue se transforma en Pierre au Lard, à cause, dit-on, du voisinage +d’un marché aux pourceaux qui amena la confusion. De même le nom de +Jehan Portevin, autre bourgeois, a subi une altération aussi sensible, +sa rue étant avec l’âge devenue la rue Portefoin. + +En ces temps où les noms des rues n’étaient point fixés _ne varietur_ +par des plaques, les fantaisies de la langue et de l’oreille les +dénaturaient facilement et il est curieux de suivre les variations +successives de certaines appellations en parcourant les anciens plans. +Amenées par la mauvaise prononciation, ces modifications ont parfois été +un peu fortes; qui retrouverait par exemple dans la rue Boutebrie, le +nom primitif d’Érembourg ou Éremburge de Brie. Parallèle à la _grant rue +de la Harpe_, cette voie si importante du quartier latin, on la trouve +appelée rue du Bout-de-Brie sur le plan Truschet et Bourg-de-Brie sur le +plan Gomboust. + +Le collège de Maître Gervais y faisait le coin de la rue du +Foin-Saint-Jacques; en face, à l’autre coin, une reine douairière de +France y avait un hôtel. Quelle était cette reine? On ne le sait plus +guère. Le logis s’appelait l’hôtel de la reine Blanche, nom sous lequel +étaient aussi connues plusieurs autres maisons dans Paris. Comme les +reines de France portaient au moyen âge leur deuil en blanc, la reine +veuve devenait pour le populaire la reine Blanche. Ensuite, la reine +douairière disparue à son tour, la légende faisait du logis qu’elle +avait habité un séjour de la reine Blanche de Castille. C’est ainsi que +la mère de saint Louis a été gratifiée de tant de sombres pâtés de vieux +murs perdus dans les antiques quartiers. + +L’hôtel de la rue Boutebrie, dans tous les cas, ne remontait pas plus +loin que le XVIᵉ siècle. On y voyait une très élégante petite porte +Renaissance ornée d’un écusson aux trois croissants de Diane entrelacés, +marque énigmatique évoquant Catherine de Médicis ou Diane de Poitiers. +Le boulevard Saint-Germain a emporté le logis et l’énigme avec bien +d’autres choses. + +La rue Sac-à-Lie de la paroisse Saint-Séverin, ruelle sordide hantée +sans doute par les ivrognes, qui ne pouvaient pourtant s’y étendre sans +toucher les façades d’un côté avec la tête et celles de l’autre côté +avec les pieds, a transformé, honteuse de son vilain nom, Sac-à-Lie en +Zacharie, nom très présentable qu’on a étendu à la rue des +Trois-Chandelles. + +La rue aux Oües, ou aux Ouches, c’est-à-dire aux Oies, appellation due à +de nombreuses hôtelleries qui répandaient dans son atmosphère le parfum +des oies à la broche, est devenue la rue aux Ours, ce qui est bien de +l’ingratitude pour les excellentes volailles dépossédées au profit +d’Ours qui n’ont jamais eu rien à faire ici. Rien que le nom de rue aux +Oües faisait venir l’eau à la bouche d’un Parisien des vieux temps, +songeant aux bons repas qui s’y préparaient. Hélas! ces rôtisseries et +ces hôtelleries ont depuis longtemps éteint leurs fourneaux, et la rue +elle-même est réduite à peu de chose. + +[Illustration: LES PILIERS DES HALLES ET L’ÉGLISE SAINT-EUSTACHE] + +La rue de l’Autruche, par une non moins étrange transformation, s’est +appelée la rue d’Autriche. Les bourgeois de celle-ci n’étaient pas des +moindres, puisqu’elle passait entre le Louvre et l’hôtel de Bourbon; +elle ne disparut qu’avec la transformation du Louvre sous Louis XIV. + +La rue des Prouvaires qui arrive à Saint-Eustache, c’est la rue des +Prêtres ou des Prieurs, prouvaires en vieux français. Au XVᵉ siècle, le +roi de Portugal Alphonse V étant venu à Paris pour intéresser Louis XI à +sa querelle avec l’Aragon, le roi ne daigna pas lui offrir gîte chez +lui, il le logea chez Laurent Herbelot, riche marchand épicier de la rue +des Prouvaires. De même qu’il traitait son hôte avec assez peu de façons +quant au logement, Louis XI ne se ruina pas non plus en fêtes pour le +divertir; il lui offrit la réjouissance d’une belle plaidoirie au +Palais, suivie de réceptions de docteurs en théologie et, pour couronner +le tout, le régala, pour la veille de son départ, d’une grande +procession de l’Université, recteurs, suppôts, massiers, escholiers +défilant sous les fenêtres d’Alphonse, rue des Prouvaires. + +La rue Greneta était au XIIIᵉ siècle la rue Darnetal, du nom d’un +bourgeois, Pierre Darnetal, ainsi transformé à la longue. + +La rue Bourgthibourg était primitivement le Bourg Thiébault, comme +Vaugirard était Valgérard, de Gérard de Moret, abbé de +Saint-Germain-en-Laye, lequel y construisit un hospice au XIIIᵉ siècle. +La rue Fer-à-Moulin, Fer-de-Moulain au XVIᵉ siècle, s’appelait +auparavant Permoulin, du nom d’un de ses habitants. + +Pour la rue Gît-le-Cœur, il n’y a point à chercher sous le nom ainsi +orthographié quelque légende terrible et sanglante, il faut choisir +seulement entre deux parrains, l’un aristocratique, Gilles Cœur, un des +fils de Jacques Cœur, l’argentier de Charles VII, et l’autre très +démocratique: Gilles Queux, maître queux, cuisinier ou rôtisseur, ce +dernier beaucoup plus probable. Forgier l’Asnier est devenu Geoffroy +l’Asnier, pour une petite voie très pittoresque de la paroisse +Saint-Gervais. + +[Illustration: TOURELLE DE LA RUE DU JARDINET DÉMOLIE POUR LE BOULEVARD +SAINT-GERMAIN] + +Pour Quincampoix, enseigne de la rue fameuse par le coup de folie de la +Régence, c’était vers le XIIIᵉ siècle, la rue Quiquenpoit ou +Quiquenpoix, mot bizarre dénaturant le nom d’un lointain gentilhomme +breton, possesseur d’un logis dans ce riche et bruyant quartier entre +les deux grandes rues Saint-Denis et Saint-Martin, comme plus tard un +autre gentilhomme breton verra pour son hôtel de la culture +Sainte-Catherine son nom de Ker-Nevenec, trop dur à prononcer pour des +lèvres parisiennes, transformé en Carnavalet. + +La rue Cassette n’a dans ses souvenirs aucune histoire de trésor, son +nom vient d’un hôtel _de Cassel_ connu au XVIᵉ siècle. La rue du Jour +était, nous l’avons dit, la rue du Séjour, à cause du manoir ou séjour +bâti par Charles V. + +Qu’était le Thibaut dont le nom survécut longtemps dans la rue +Thibautodé? Était-ce Thibaut Odet, argentier ou financier, ou bien +Thibaut Todé, ou encore Thibaut aux Dez, du nom du patron de quelque +cabaret fameux hanté par les joueurs, avant le XIIIᵉ siècle, puisque +Guillot la cite? Qui le sait maintenant? Cette rue, confondue +aujourd’hui avec la rue des Bourdonnais, était toute proche de la rue de +Béthisy où mourut Gaspard de Coligny, derrière l’ancien hôtel des +monnaies, abandonné en 1778 pour l’hôtel du quai Conti, la _Vieille +Monnaie_, antique établissement dont survivent peut-être quelques bouts +de muraille au fond des cours, à côté d’autres débris des Greniers à sel +qui les avoisinaient sur la rue Saint-Germain-l’Auxerrois. + +Le nom de la rue de la Grange-Batelière nous fournit un autre exemple de +transformation bizarre. Cette grange était une ferme de campagne, hors +des murs, entre Montmartre et Paris, un carré de bâtiments bien fermés, +avec son colombier au milieu; on la voit sur le plan Truchet de 1550, +non loin des Porcherons et du château du Coq, petit château à tourelles +bâti par Jean Bureau, le vieux maître de l’artillerie de Charles VII. + +Le ruisseau de Ménilmontant coulait au pied de la Grange-Batelière et +descendait au château du Coq, auquel il fournissait de l’eau pour le +fossé baignant les bâtiments. Louis XI, à une entrée solennelle dans +Paris, s’arrêta au manoir du Coq. Les Porcherons n’étaient qu’une +dépendance du château, une vraie ferme avant de devenir les fameuses +guinguettes où le XVIIIᵉ siècle galant et joyeux vint se divertir. + +La ferme de la Grange-Batelière, comme la plupart des fermes de +campagne, était pourvue de quelques échauguettes et percée de +meurtrières sur son pourtour. C’était la Grange _bataillée_ dont on fit +_batelière_ plus tard, bien que jamais le ruisseau de Ménilmontant, +facile à franchir d’un saut, n’eût porté barques ni bateliers, une +petite arche de pont ou quelques planches suffisant très bien pour le +passer. + +Un des plus curieux exemples d’altérations de noms, c’est celui fourni +par la rue du Petit-Musc. Qui donc irait chercher là-dessous la rue +_pute-y-muce_ ou _muche_ du moyen âge? Nom provenant soit d’une voirie +puante, soit d’un séjour de filles de joie. Le changement est heureux au +point de vue des convenances si les mœurs de la rue lui avaient valu +cette étiquette grossière; il devient d’une ironie amusante si le nom +était dû soit à un égout, soit à l’un des trous punais, réceptacles +d’ordures que l’on trouvait aux endroits écartés. + +Guillot, dans son _Dict des rues de Paris_ de la fin du XIIIᵉ siècle, a +pris soin de signaler toutes les rues spécialement habitées par + +... Dames o cors gent + +toutes les rues à clapiers, tous les quartiers des femmes et filles +_folles de leurs corps_. Et Dieu sait s’il y en avait, à l’en croire, du +Val d’amour de Glatigny à la Truanderie grande ou petite. + +La rue du Petit-Musc dut transformer son nom de bonne heure, dans ce +quartier aristocratique de Saint-Paul et des Tournelles. Il reste en un +coin du Paris moderne, dans la rue Geoffroy-Lasnier, une impasse +Putigneux fort ancienne dont le nom doit avoir une origine aussi peu +recommandable. + +D’autres rues, il faut l’avouer, arboraient avec une franchise brutale, +et sans rougir le moins du monde, des appellations triviales encore plus +grossières, parmi lesquelles on ne peut guère citer que la rue +_Tireboudin_ à laquelle on a donné le nom de Marie-Stuart au +commencement de notre siècle, la rue _Troussenonnain_, changée en +Transnonnain et débaptisée tout à fait en 1850, pour éteindre le +souvenir du farouche égorgement de 1832, entre soldats et insurgés. Il y +avait aussi une rue _Troussevache_, allant du coin du cimetière des +Innocents à la rue des Cinq-Diamants; ce qu’il en reste maintenant a +pris le nom de M. de la Reynie, le fameux lieutenant de police de Paris +sous Louis XIV. C’est rue Troussevache que le connétable de Montmorency +fit au cardinal de Guise la belle peur que nous avons racontée plus +haut. + +Pour l’amour du pittoresque il ne faut pas oublier la rue _Orde_, le +plus propre de tous les noms donnés à quelques voies réputées pour leur +saleté; la rue _Maubuée_ qui fait supposer aussi de très mauvaises +odeurs, deux ou trois rues dites _Pavées d’andouilles_, probablement +pour quelques porcheries; les noms impliquant quelque mauvaise renommée +comme les rues _Maudétour_, _Mauvoisin_, _Mauconseil_, des +_Mauvais-Garçons_, des _Mauvaises-Paroles_; les carrefours à mauvaise +réputation hantés par les tirelaines: la rue _Coupe-Gueule_, la rue +_Vide-Gousset_, la rue _Tirechappe_, ainsi nommée de ses fripiers +toujours sur le pas de leur échoppe à guetter les clients et les tirant +par la manche pour leur vanter les belles friperies, les vêtements neufs +ou d’occasion suspendus aux étalages. + +Quant au vieux nom de Baudoyer, appliqué d’abord à une porte de +l’enceinte antérieure à Philippe-Auguste au-dessous de Saint-Gervais, +puis à la porte de l’enceinte de Philippe-Auguste reportée plus loin +devant l’église Saint-Louis-Saint-Paul,--nom resté à la place que +l’orgueilleuse rue de Rivoli traverse entre la caserne Lobau et la +mairie du IVᵉ arrondissement,--son origine, si lointaine et si obscure, +permet d’échafauder toutes les suppositions et prête aux plus savantes +dissertations. Pour beaucoup, la vieille porte Baudet ou Baudoyer est la +porte des Bagaudes, ces paysans gaulois insurgés qui tentèrent de +secouer le joug romain quand déjà, depuis deux ou trois siècles, les +villes étaient romanisées. Mais il vaut mieux avouer que l’on ne sait +rien de certain sur l’origine du nom, et se contenter de constater la +célébrité parisienne de l’endroit, rendez-vous pendant de longs siècles +des oisifs et des badauds, venant, en prenant l’air hors des murs, se +conter les nouvelles de la ville, c’est-à-dire _baguenaudant_, vocable +assez cousin de _bagaude_, si bagaude vient de _bagad_, qui voudrait +dire en Celte attroupement. + +Et combien d’indications topographiques, de points de repère historiques +nous sont conservés par les noms des rues, combien de vieux souvenirs +surgissent sur la simple vue d’une plaque indicatrice à l’angle d’un +carrefour, lequel bien souvent, trop radicalement transformé et +modernisé, n’a plus que cela pour frapper l’esprit. + +Des nombreuses rues ou places du _Cloître_ il ne reste plus que trois ou +quatre indiquant les cloîtres Saint-Merry, Notre-Dame et Saint-Honoré, +c’est-à-dire les places formant enceinte fermée devant ces églises; mais +beaucoup d’autres noms rappellent des églises ou des monastères +supprimés. Toutes les pierres en ont disparu, c’est à peine si quelques +fragments sculptés ont pu être retrouvés et portés à Cluny, mais ces +églises, dont il ne subsiste qu’un vague souvenir, continuent à dénommer +le quartier jadis serré à leurs pieds. + +Pour les lignes de rempart ayant successivement enfermé la ville, à +défaut des tours disparues, nous en retrouvons parfois la configuration +dans certaines rues qui suivent le tracé des anciens fossés et qui +longtemps en ont gardé le nom; nous avons encore les rues des +Fossés-Saint-Bernard, des Fossés-Saint-Jacques et des +Fossés-Saint-Marcel, mais on n’a fait que changer les noms des fossés +Montmartre, Saint-Germain des Prés, Sainte-Geneviève, Saint-Victor, +Saint-Martin, etc. + +[Illustration: TOURELLE DE LA RUE DU COQ EN GRÈVE DÉMOLIE VERS 1850] + +Les rues Culture-Sainte-Catherine, Couture-Saint-Gervais, marquent la +place des jardins maraîchers d’autrefois appartenant au couvent de +Sainte-Catherine et à l’hôpital Saint-Gervais, comme la rue du Chaume, à +côté, rappelle les champs de blé du XIIIᵉ siècle, avant la poussée des +hôtels seigneuriaux; comme la rue du _Parc Royal_, au quartier du +Marais, fait surgir le souvenir du parc de ce palais des Tournelles où +mourut Henri II; comme les rues des Jardins-Saint-Paul, Beautreillis, de +la Cerisaie, évoquent d’autres jardins royaux, ceux du vieil hôtel +Saint-Paul où _s’esbattirent_ sous les ombrages et les treilles, rois, +reines et princes des temps troublés du XIVᵉ siècle, où ils reçurent les +tumultueuses et terribles visites des Maillotins, des milices d’Étienne +Marcel et des Cabochiens, ainsi que plus tard, en d’autres jardins +royaux, passèrent les bandes guisardes de la Ligue, les Frondeurs mêlés +de grands seigneurs et de duchesses jouant avec l’émeute, les masses +terrifiantes des sectionnaires de 92, puis les gardes nationales du XIXᵉ +siècle... + +Si nous voulons des souvenirs plus lointains, les rues du Cendrier, de +Lourcine, _locus cinerum_ et la Tombe-Issoire sont encore là pour +rappeler de très anciens cimetières des périodes gallo-romaine et +mérovingienne. Toute la région sur les confins des quartiers +Saint-Marcel et du Val-de-Grâce fut un lieu de sépultures. La Lutèce des +premiers siècles éparpillait à la mode romaine ses tombeaux le long des +chemins. Sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève de nombreux +sarcophages ont été découverts, quelques pierres avec inscriptions sont +allées à Cluny; le Paris mérovingien et carolingien continua à envoyer +ses morts ou leurs cendres dans cet immense champ de repos. + +[Illustration: TOURELLE DE LA RUE SAINT-PAUL (1895)] + +La rue d’Enfer tire-t-elle son nom de _via infera_, par rapport à la rue +Saint-Jacques, _via supera_, comme le veulent certains des +historiographes de Paris, ou doit-on chercher l’origine du nom dans le +voisinage des vieux cimetières et dans les contes populaires qui +faisaient de tout ce territoire un lieu hanté par esprits et fantômes. +La Bièvre, la rivière des Gobelins, délimite cette région et Gobelin en +vieux français signifie lutin ou démon. Le nom d’Enfer s’explique donc +aisément. De plus elle conduisait au vieux château de Vauvert, manoir du +fils d’Hugues Capet, Robert le Pieux, dès longtemps ruiné et abandonné, +et dans les décombres duquel démons horribles et fallacieux gobelins +faisaient rage aux ordres d’un vieux magicien, un vieillard vert à barbe +blanche et queue de serpent. Malheur à qui s’aventurait le soir en ce +quartier sinistre, le diable Vauvert en faisait sa proie--ou les voleurs +cachés dans les ruines.--Aller au diable Vauvert était une entreprise +téméraire. Les Chartreux, plus tard, purifièrent l’endroit et plus tard +encore l’Observatoire, ayant succédé aux jardins de la Chartreuse, au +lieu de magicien il y eut des astronomes. Il n’y a plus de rue d’Enfer, +mais bien, par un calembour administratif, la rue Denfert-Rochereau, ce +qui relie d’une façon bien imprévue à ce diable Vauvert le défenseur de +Belfort en 1870. + +Les diverses rues des Francs-Bourgeois au +Marais,--Saint-Marcel--Saint-Michel réveillent les ombres de ces riches +bourgeois des temps féodaux qui défendaient si rudement, lorsqu’il le +fallait, les franchises acquises ou conquises et leurs pignons sur +rue,--la pépinière des notables, échevins et magistrats pour +l’administration de la cité parisienne, ce premier échelon vers la +noblesse, caste supérieure mais ouverte en somme, ouverte plus qu’on ne +le dit, puisqu’un flot constant y arrivait, de grosse bourgeoisie +achetant charges qui comportaient l’anoblissement, se pourvoyant de +fiefs et de terres et se confondant bien vite avec la noblesse d’épée, +ainsi qu’on en peut trouver nombre de preuves. + +[Illustration: TOURELLE DE LA RUE DU TEMPLE (1895)] + +Tout au bout de la rue des Francs-Bourgeois au Marais, en arrivant aux +parages aristocratiques de la place Royale, on trouvait naguère encore +la rue de l’Écharpe, qui tirait son nom du cabaret de l’_Écharpe +blanche_. Voilà qui sentait furieusement son commencement du XVIIᵉ +siècle et faisait penser tout de suite au vainqueur de la Ligue, au roi +Henriot conquérant son royaume casque en tête et rapière au poing. Nous +le voyons, ce cabaret de l’Écharpe Blanche, avec sa clientèle de +cavaliers à grands feutres et longue flamberge, de soldats aux gardes et +de mousquetaires, comme nous voyons, au débouché opposé de la place +Royale dans la petite rue du _Pas de la Mule_, les graves magistrats, +les parlementaires un peu moins lestes que messieurs les gendarmes du +roi, se hisser sur leur mule en profitant du montoir de pierre qui a +valu à la rue son nom pittoresque. On nous a rendu dernièrement le _Pas +de la Mule_, pourquoi ne pas nous rendre la rue de l’_Écharpe_? + +Il y a quelque trente ans, une petite rue au pied de la butte des +Moulins, la rue des _Frondeurs_, était encore là pour nous faire +souvenir des troubles de la Fronde, du temps où, dans ce quartier du +Palais Cardinal, les Parisiens, mis en branle par le parlement et par M. +le coadjuteur, s’essayaient joyeusement à recommencer une Ligue et +faisaient de si belles peurs à M. de Mazarin. + +Pour réveiller de plus sombres idées, nous avons la rue de l’Échelle, +qui dans notre brillante avenue de l’Opéra, fait surgir l’échelle ou les +fourches patibulaires, signe de la juridiction des évêques de Paris; +nous avons de l’autre côté de l’eau, derrière le Panthéon, la rue de +l’Estrapade qui, jadis, sur le revers du rempart bordant +Sainte-Geneviève, au-dessous de la porte papale, était le lieu où +s’exécutaient les sentences militaires, où les soldats condamnés +subissaient le supplice de l’estrapade. L’instrument de la justice +militaire, à demeure ici, était une sorte de potence très haute et à +très longs bras, avec un tourniquet en bas par le moyen duquel le +condamné, attaché les bras croisés derrière le dos, était hissé jusqu’en +haut et brusquement précipité jusqu’au ras du sol. + +D’autres voies, comme la rue de l’Écharpe, n’avaient eu pour parrains +que les buveurs de quelque cabaret célèbre à un titre quelconque, +l’enseigne du cabaret devenant le nom de la rue: ainsi en était-il pour +les rues des Deux-Écus, du Cygne, des Ciseaux, des Deux-Anges, de +l’Épée-de-Bois, des Deux-Maillets, du Chat-qui-Pesche, du Sabot, de la +Cloche-Percée, et d’une foule d’autres que nous retrouvons toujours dans +le Paris d’aujourd’hui, quoique les tavernes qui servirent à les +dénommer soient depuis longtemps défuntes. + +La rue Cloche-Perce, ainsi baptisée du cabaret de la _Cloche percée_, +s’appela aussi au XVIIᵉ siècle rue de la _grosse Margot_, du nom d’un +cabaret rival, finalement vaincu par la Cloche. + +La section de la rue Saint-Sauveur entre les rues Montorgueil et +Montmartre, tirait son nom de rue du Bout du Monde d’une enseigne de +cabaret représentant un bouc sur un globe terrestre, le _bouc du monde_; +ce mauvais calembour voulait dire que la campagne n’était pas loin après +la porte Montmartre, ouverte un peu plus haut au bout de la rue des +Jeûneurs ou des Jeux Neufs, ainsi nommée de deux jeux de boules donnant +sur le bastion. + +La rue des Canettes doit son nom à un joli bas-relief représentant des +canes nageant dans un étang, sculpté sur la façade d’une maison du +commencement du XVIIIᵉ siècle. Le bas-relief est plus ancien, et encore +rappelle-t-il sans doute une + +[Illustration: L’ARRESTATION DE BROUSSEL + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +plus ancienne enseigne. Ces vieilles enseignes de toute forme et de +toute taille, on peut bien les regretter, celles qui, suspendues à des +potences de fer, tintinnabulaient au-dessus de la tête des passants, +divertissant à la fois l’œil et l’oreille, ou même les dernières, moins +artistiques, celles qui se contentaient de porter un emblème fixe, une +figure, un animal plus ou moins héraldique, une indication +professionnelle, la botte gigantesque des cordonniers, l’homme de fer ou +l’épée de l’armurier, la couronne de chandelles de l’épicier, etc. Que +de plaintes elles suscitaient dans les rues étroites où les fardiers et +les carrosses les accrochaient au passage! On les accusait aussi avec +quelque raison d’être un danger pour le passant aux jours de tempête; +des ordonnances réitérées réglementèrent leur taille. Elles gênaient en +quelques endroits, on les supprima partout et les commerçants durent se +contenter d’enseignes sculptées ou peintes sur les façades mêmes. + +[Illustration: ENSEIGNE DES TROIS CANETTES, RUE DES CANETTES (1895)] + +Les anciennes enseignes disparaissent rapidement; quelques-unes +subsistent encore, mais pour combien de temps? on ne les retrouvera +bientôt plus que dans le curieux livre de M. Édouard Fournier, +l’_Histoire des Enseignes de Paris_. + +On peut juger du caractère artistique et décoratif des vieilles +enseignes par ces dernières épaves qui subsistent, tandis que toutes les +annonces ou indications commerciales d’aujourd’hui sont tout ce qu’il y +a de plus banales et presque toujours du plus exécrable mauvais goût; +est-il rien de plus écœurant et de plus hideux que ces maisons ou ces +monuments bariolés d’annonces gigantesques, sans parler de ces pignons +peinturlurés des couleurs les plus criardes pour crever les yeux au +loin, qui gâtent nos paysages urbains et déshonoreraient les plus belles +perspectives. + +Parmi toutes les boutiques d’une vulgarité lamentable, il se rencontre +encore de modestes cabarets d’autrefois, qui à défaut d’enseignes, ont +gardé leurs belles grilles artistiques, des enroulements de ferronnerie +superbes de style, forgés aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. L’Empire, au +commencement du siècle, a laissé aussi quelques devantures de boutiques +d’un goût particulier; ensuite on ne trouve plus rien que la banalité +pure. + +Cette chute complète de l’art industriel décoratif, d’un art qui +précédemment n’avait jamais eu d’éclipses et se transformait +perpétuellement, sans interrègnes de styles, cette disparition subite, +absolue, et cette décadence des métiers peuvent s’expliquer par la +suppression des corporations à la Révolution. Avec leurs défauts, les +corporations maintenaient le niveau du goût et transmettaient les +traditions. + +Quand l’ouragan éclata sur la malheureuse génération d’il y a cent ans, +toute la partie jeune des métiers fut enlevée pour les armées et fauchée +dans les grandes guerres; il ne resta que les hommes d’âge mûr, qui, +ayant reçu les traditions, firent encore quelque chose, puis, ceux-là +disparus, tout disparut. Tout était à recréer. De ce que l’art pur se +maintint on ne peut tirer une contradiction, attendu que l’art +proprement dit avait conservé son enseignement et ses traditions. + +[Illustration: CABARET DE L’ÉPÉE-DE-BOIS, MAISON DE LULLY RUE +SAINTE-ANNE (1895)] + +De ces cabarets à enseignes pittoresques, bien peu ont survécu. De même +que l’ivrogne d’autrefois, ce joyeux buveur à rouge trogne, a été +remplacé par le sombre alcoolique facilement tourné en furieux, le +cabaret d’antan a pour successeurs l’assommoir à comptoir de zinc et +l’officine du distillateur, où flamboient les cuivres des alambics +distribuant les poisons verts et jaunes. + +Bien des cabarets de jadis, fréquentés non par des ivrognes mais par +d’honnêtes gens, heureux de causer et de rire les coudes sur la table, +ont laissé des souvenirs joyeux dans la chronique des rues de Paris, ou +même dans l’histoire littéraire. Telle la fameuse _Pomme de Pin_ qui +florissait sous Louis XIV. + +Située au cœur de la Cité, rue de la Juiverie, en face de l’église de la +Madeleine, la Pomme-de-Pin, bien que d’apparence modeste, n’en avait pas +moins d’illustres clients. Là se rencontraient Boileau, Molière, Racine, +Lafontaine, Chapelle, Lully, Mignard, Furetière et autres. On s’y grisa +même quelquefois, dit la chronique, entre illustres compagnons. +Chapelle, du moins, s’y laissait aller à son penchant pour les crus de +Bourgogne, lesquels alors ne se montraient point si grands seigneurs +qu’aujourd’hui et daignaient connaître le chemin du gosier des poètes à +bourse plate. + +Néanmoins, pour l’ordinaire, les brocs de la Pomme-de-Pin étaient le +prétexte de simples et joyeuses débauches d’esprit. Boileau fut l’un des +plus fidèles, lui qui, enfant de la Cité, fils d’un greffier du Palais, +né quai des Orfèvres, ne fit d’infidélité à son vieux berceau de Lutèce +que pour sa maison d’Auteuil, laquelle maison il abandonna dès que la +vieillesse et les infirmités l’accablèrent, pour venir passer ses +derniers jours en un logis de chanoine du cloître Notre-Dame. + +Un jour que Boileau, saisissant Chapelle en quelque Pomme-de-Pin, le +morigénait pour son peu de résistance aux appas du vin frais tiré, +celui-ci, raconte Voltaire, se laisse docilement sermonner mais invite +son ami à s’asseoir pour continuer son sermon plus à l’aise. On +s’assoit. Boileau s’anime; le sermon est si bien écouté et l’apôtre de +la sobriété se rafraîchit si souvent, que bientôt il n’a guère plus de +raison que celui qu’il avait tenté de convertir. Chapelle avait gagné sa +cause. + +L’antique Pomme-de-Pin aux littéraires souvenirs, devenue peut-être un +infâme caboulot, ne disparut que de nos jours dans la démolition +générale de la Cité, comme a sombré tout vestige d’autres cabarets +littéraires, le _Mouton-Blanc_, rue de la Verrerie au cimetière +Saint-Jean, cabaret où Racine causant avec Boileau et d’autres amis, +traça le plan de ses _Plaideurs_, la _Tête-Noire_ près de la +Sainte-Chapelle, l’_Ange_, les _Bons Enfants_, le _Caveau_, rue de Bucy, +etc. + +Nous connaissons encore, à défaut de la Pomme-de-Pin, quelques vieilles +enseignes sculptées ou forgées, débris du passé, demeurées au +frontispice de quelques anciennes maisons. Lully qui fréquentait avec +Boileau le fameux cabaret de la Cité, se fit bâtir une superbe maison au +coin des rues Sainte-Anne et des Petits-Champs. La musique mène plus que +sa sœur aînée, la poésie, à l’opulence, car Lully était déjà le seigneur +suzerain de quelques maisons dans Paris. + +Cette maison de la rue Sainte-Anne était un logis somptueux, décoré de +sculptures, notamment d’un grand panneau d’attributs de musique. Au +rez-de-chaussée à l’angle du carrefour, Lully, propriétaire avisé, +installa un cabaret dont on peut voir encore, à côté d’un superbe +balcon, les belles ferronneries à la mode du XVIIᵉ siècle, enchâssant +l’enseigne de l’_Épée de bois_, laquelle épée de bois ou de métal, se +trouvait aussi dans l’écu de Lully, devenu gentilhomme par l’achat d’une +charge à la cour. + +Rue Saint-Sauveur, près de la rue Montmartre, autre enseigne du temps du +grand roy, le _Soleil d’Or_, large bas-relief où l’on peut voir un +soleil doré et emperruqué comme Louis XIV, darder ses rayons sur des +ceps de vigne à l’ombre desquels des amours assis sur des futailles +hument allègrement le piot. + +Un cabaret à enseigne religieuse peut passer pour une rareté à notre +époque; il s’en trouve pourtant un près des Halles, rue des Bourdonnais; +c’est le cabaret de l’_Enfant Jésus_, représenté en belle ferronnerie +dorée. Très probablement voilà des siècles que l’image de l’_Enfant +Jésus_ se perpétue à ce coin de rue et l’enseigne en ferronnerie a dû en +remplacer une plus antique fort bien vue sans doute des Parisiens du +temps de la Ligue ou d’avant. A côté de cet Enfant Jésus, il convient de +ne pas oublier un petit hôtel particulier du XVIᵉ siècle, à l’enseigne +de la Barbe d’Or, figurée par un buste de vieillard à barbe d’or +au-dessus de sa porte. La Barbe d’Or donne d’un côté sur une antique +ruelle, impasse aujourd’hui, qui s’appelait jadis la rue de la +Fosse-aux-Chiens, sans doute parce qu’elle n’était qu’un réceptacle +d’immondices; cette ruelle de la Fosse-aux-Chiens avoisinait d’ailleurs +la place aux Chats, entre les Halles et le cimetière des Innocents. + +La rue de la Huchette, une rue de huchiers ou coffriers menuisiers au +moyen âge, peut montrer aussi une enseigne sculptée, vieille à peine de +deux siècles, la Hure d’Or, datée de 1722, mais qui sans doute remplace +une hure plus ancienne. L’enseigne du _Bon Puits_ arborée rue Beaubourg +n’est pas sans originalité pour un cabaret. La rue de Grenelle possède +la _Petite Chaise_, fondée en 1700. C’est à peu près tout, nous sommes +donc assez pauvres maintenant en curieuses enseignes à la mode +d’autrefois, ces quelques dernières survivantes suffisent pour faire +regretter la _Bonne-Vendange_, le _Gaillardbois_, la _Côte-Rôtie_, le +_Juste-Prie_, c’est-à-dire le _Juste-Prix_, le _Cygne-de-la-Croix_, le +_Cerf-Mont_, pour le sermon, le _Singe-en-Batiste_ pour le +Saint-Jean-Baptiste, le _Puissant-Vin_, la _Vieille-Science_, autres +enseignes en rébus, la _Bonne-Femme_, le _Pied-de-Mouton_, le +_Treillis-Vert_, le _Panier-Fleuri_, la _Bouteille-d’Or_, le +_Chariot-d’Or_ et surtout parmi tant d’autres, le _Monde en travail +d’Argent_, situé rue Saint-Médard, la _Lamproie-sur-le-Gril_, décorant +la rue de la Huchette, d’après M. Lefeuvre, l’historiographe des rues de +Paris. + +Pour en revenir aux rues, il y avait au plus serré des quartiers serrés, +un dédale de petites voies fortement entamé aujourd’hui, qui pouvait +bien mériter la palme, autant pour l’originalité de ses appellations que +pour l’intensité et la truculence de son pittoresque. Certes, il ne +s’agit nullement de réclamer contre les mesures prises au nom de +l’hygiène, trop méconnue sur ce point, mais seulement de signaler +l’intérêt de ce vieux décor en grande partie disparu. + +C’était entre Saint-Merry, l’hôtel de ville et le féodal hôtel de Guise, +coquettement accommodé par les Soubise à la façon du XVIIIᵉ siècle. La +rue Saint-Martin d’abord ne commençait jadis qu’à l’archet Saint-Merry, +poterne percée dans le premier rempart du Paris sorti de l’île-berceau, +avant l’enceinte de Philippe-Auguste. Entre l’archet Saint-Merry et le +pont Notre-Dame, il y eut jusqu’en 1851, la rue des Arcis, incommode +étranglement d’une voie si fréquentée, et la rue de la Planche-Mibray +presque aussi étroite. + +Regrettons le nom de la _Planche-Mibray_, il rappelait des jours +extrêmement lointains, les premiers temps où Paris débordant de son île +eut un embryon de faubourg en avant du pont Notre-Dame, et sans doute +une tête de pont fortifié. Un fossé, une dérivation de la Seine +précédait cette tête de pont, marécage quelconque qu’un pont de bois +traversait. Ce pont, c’était la _Planche de Mibray_, c’est-à-dire +_mi-boues_. Rien que ce nom sur une plaque nous reportait à des siècles +presque carolingiens et nous évoquait, sur ce point si central +aujourd’hui, une entrée de ville, des chemins bourbeux sous de +pittoresques remparts. + +De même la rue du Temple n’arrivait pas comme aujourd’hui jusqu’à la +place de Grève. Après l’échelle du Temple, c’était la rue Sainte-Avoye, +du nom du couvent de religieuses faisant l’angle de la rue +Geoffroy-l’Angevin; puis la rue devenait ruelle et s’appelait, jusqu’à +la rue de la Verrerie, rue Barre-du-Bec, à cause de la barre de justice +de l’abbaye du Bec en Normandie, dont les abbés possédaient dans Paris +un petit fief et plusieurs cures. Pour déboucher devant la maison de +ville des Parisiens, sur la fameuse, houleuse et si souvent sanglante +place de Grève, il fallait tourner par la rue des Coquilles, un vrai +couloir circulant entre de hauts pignons serrés et tassés, qui devait +son nom à une maison dont la façade était ornée de coquilles sculptées. + +Toutes les voies qui si souvent jetaient des flots de populaire joyeux +ou frémissant sur la place de Grève pour les jours sanglants, les +exécutions et les émeutes, ou pour les grandes occasions de liesse, +quand Sa Majesté daignait accepter de messieurs de la ville festin dans +la grande salle, toutes ces voies n’étaient ainsi que des corridors +resserrés, les rues de la Tannerie, de la Vannerie, Jean de l’Espine, du +Mouton, des Vieilles-Garnisons, aussi bien et quelquefois plus encore +que la rue des Coquilles. + +[Illustration: ENSEIGNE DE LA HURE D’OR, RUE DE LA HUCHETTE (1895)] + +Derrière Saint-Jean de la Grève, il y avait le quartier de la tour +Pétaudiable, quartier mal famé parmi les plus mal famés, et de l’autre +côté de la rue de la Tisseranderie, cet autre coin louche, le carrefour +Guillory appelé aussi Guignoreille, parce que, dit-on, aux temps +lointains, le bourreau de Paris y essorillait les malfaiteurs... + +Qu’on se les figure, ces ruelles, aux jours sinistres, pendant la longue +série d’émeutes de la Ligue, pendant la Fronde qui ne fut vraiment +terrible que lorsque faillit flamber tout à fait l’hôtel de ville +saccagé, qu’on se les figure aux grandes journées de la Révolution. Il +nous suffit pour nous représenter ces quartiers au temps des lointaines +crises politiques, secoués par les vieilles convulsions révolutionnaires +périodiques, de nous rappeler les secousses de naguère, l’aspect +sinistre du bas de la rue du Temple le soir du 22 janvier 1871, quand +les mobiles bretons gardaient les carrefours avoisinant l’hôtel de ville +menacé, et ensuite les barricades de Mars et de Mai... + +La moderne rue des Archives, pour déboucher à l’hôtel de ville, a fait +élargir ou plutôt a presque absorbé la rue des Billettes où subsiste le +seul cloître gothique de Paris et la rue de l’_Homme-Armé_. Celle-ci +n’est plus, pour ainsi dire, elle avait 1ᵐ,50 de large, elle en a +maintenant dix fois plus et nous ne pouvons plus retrouver que dans le +vague du souvenir ce sinueux corridor d’un aspect si moyen âge. + +Son nom seul reste sur les plaques; il lui venait, selon une vieille +légende, de la prouesse d’un nommé Galleran, écuyer de Renaud de Bréhan, +chevalier breton, qui pendant les troubles de la minorité de saint +Louis, s’attacha fidèlement au parti du roi. Une nuit de février 1228, +cinq soudards anglais pénétrèrent dans le logis de Renaud de Bréhan, +situé dans ce quartier, espérant occire sans difficulté le chevalier, +mais celui-ci quoique surpris, se défendit bravement avec l’aide de son +chapelain et de son écuyer Galleran. Seul le pauvre chapelain périt dans +la lutte; Renaud et Galleran le vengèrent bien, ils tuèrent trois de +leurs agresseurs et mirent en fuite les deux autres plus ou moins +éclopés. + +En reconnaissance du courage déployé par son écuyer, Renaud de Bréhan +lui fit don du logis et du verger y attenant. Le populaire pour célébrer +l’exploit du breton, appela ce logis la maison de l’_homme armé_. La rue +s’appela bientôt de même, ou des _hommes armés_, comme on le voit sur le +plan Truschet, pendant que le quartier devenait le champ aux bretons ou +la Bretonnerie, ce qui fit appeler Sainte-Croix de la Bretonnerie le +couvent des frères croisiers établi sur ce point trente ans après. + +Deux ruelles qui se suivent bout à bout derrière Saint-Merry, dans ce +qu’on appelait le cloître avant le percement de la rue du +Cloître-Saint-Merry, portent encore les noms de rue _Brisemiche_ et rue +_Taillepain_, suffisamment bizarres pour attirer l’attention. Ces deux +rues aux antiques maisons noires, hautes, massives et serrées, bâties +sur des terrains du chapitre de Saint-Merry, doivent leurs noms +vraisemblablement à des distributions de pains par le chapitre. Au moyen +âge, malgré les chanoines peu flattés du voisinage, ces rues furent des +clapiers de filles que plusieurs fois le prévôt de Paris, sur requête du +chapitre, tenta d’épurer, mais bien inutilement, car pour dix ribaudes +expulsées, il en revenait cinquante. + +Ce quartier fut le champ de bataille de l’insurrection qui éclata le +jour des funérailles du général Lamarque, le 5 juin 1832. Retranchés +dans ce dédale de petites rues, couverts par des barricades élevées +autour de l’église, les insurgés commandés par un combattant de Juillet +nommé Jeanne, résistèrent une nuit et un jour, se défendirent avec +fureur contre des forces importantes, barricade après barricade, dans +les détours du cloître et dans le passage Jabach. Cernés sur leur +dernier tas de pavés, les derniers survivants foncèrent à la baïonnette +sur la troupe, Jeanne en tête, et réussirent à se perdre dans les noires +ruelles, terrifiées par les péripéties tragiques de la longue lutte. Le +passage Jabach où se traîna la tuerie avait été ouvert en 1828 sur les +dépendances et devant l’hôtel de Jabach, riche financier et +collectionneur du XVIIIᵉ siècle. + +Au-dessous de Saint-Merry, le court tronçon de la rue Saint-Bon reste +pour rappeler la petite chapelle Saint-Bon ou Saint-Bonnet, dépendance +de l’abbaye de Saint-Maur. Sous l’abside de l’église s’abritait l’hôtel +des Juges consuls, le premier tribunal de commerce, que fonda Henri III, +justement frappé de la longueur des procès commerciaux portés devant le +Parlement, qui n’y entendait goutte et volontiers eût décidé de ces +causes comme le juge Bridoye de Pantagruel, _lequel sententiait les +procès au sort des déz_. + +Les alentours du Louvre n’étaient pas moins que les environs de la Grève +un labyrinthe de rues et de ruelles, dont quelques-unes n’avaient rien +de recommandable, au point de vue de la propreté et de la moralité des +habitants. + +Au bas de la butte Saint-Roch, où des moulins tournèrent jusqu’en 1670, +au cloître Saint-Germain-l’Auxerrois, s’il y avait nombre d’hôtels de +noblesse qui disparurent quand le Louvre s’agrandit du côté de l’est, +sous Louis XIV, s’il y avait une agglomération de maisons +aristocratiques, hôtels d’Aumont, de Villequier, de Longueville, de la +Force, de Créquy, à côté du vaste hôtel du Petit-Bourbon, il se trouvait +aussi nombre de corridors étroits se faufilant derrière ces hôtels, le +long de maisons souvent immondes, ou de masures bâties sur des passages +perdus, dans des impasses, le tout formant autour du palais des rois une +ceinture de rues plus ou moins mal famées, habitées par une population +plus ou moins douteuse. + +Rien ne peut aujourd’hui nous donner une idée de l’aspect de ces +quartiers tels que le XIXᵉ siècle les a trouvés, les grands travaux +autour du Louvre, autour de Saint-Germain l’Auxerrois, l’immense +tranchée de la rue de Rivoli, les ont radicalement transformés. +Saint-Germain l’Auxerrois, semblable à un surtout de table avec la +Mairie construite en pendant, était enveloppé de vieilles maisons +canoniales ou autres. La rue des Fossés-Saint-Germain sur le côté gauche +rappelait les fossés creusés par les Normands, quand ils se fortifièrent +dans les ruines de l’église brûlée par eux au siège de 886. + +Reliée au cloître par la ruelle très étroite du Demi-Saint, en face la +rue Jean-Tison, elle se continuait après la rue de l’Arbre-Sec par la +rue de Béthisy. En cette rue de Béthisy se trouvait la maison où périt +la principale victime de la Saint-Barthélemy, l’amiral Gaspard de +Coligny, que M. de Guise prit soin de faire assassiner sous ses yeux par +des massacreurs que dirigeaient l’italien Petrucci et le bohême +Dianowitz, surnommé Boesme, tous deux colonels de gardes françaises. + +Le logis a subsisté jusqu’à nos jours et n’a disparu qu’avec la grande +démolition d’il y a quarante ans. Quelques jours avant la +Saint-Barthélemy, comme l’amiral revenait du Louvre où il avait été si +bien caressé par Charles IX, l’assassin aux gages du duc de Guise, +Maurevel, embusqué dans une maison de la rue des Fossés-Saint-Germain, +lui tira un coup d’arquebuse qui l’atteignit au coude gauche. +L’assassin, sans perdre de temps après l’affaire manquée, sauta par une +fenêtre de la rue du Demi-Saint, traversa le cloître Saint-Germain, +trouva un cheval qui l’attendait et s’enfuit. + +Le logis de l’amiral était l’ancien hôtel de Ponthieu, bâti par Jacques +de Béthisy, avocat au parlement, vers 1416, et appartenant alors à la +famille d’Antoine Dubourg, chancelier de France, d’après M. Édouard +Fournier, qui a retrouvé le récit d’un prêtre allemand, témoin oculaire +de la Saint-Barthélemy. Dans ce récit d’une + +[Illustration: LA MORT DE COLIGNY A LA SAINT-BARTHÉLEMY] + +intense couleur dramatique sont rapportés tous les épisodes connus, la +mise à sac de la maison par les hommes du duc de Guise, le massacre +d’une quarantaine de soldats et de serviteurs dans l’escalier et dans +les chambres pour arriver jusqu’à la chambre et au lit où Coligny blessé +attendait les assassins. + +Ici le récit diffère de la tradition, Coligny ne se laissa pas égorger +dans son lit, mais se défendit vigoureusement au dernier moment. Percé +de quelques coups dès l’entrée des meurtriers, Coligny retrouva tout à +coup ses forces pour lutter contre les assassins; ceux-ci durent +l’accabler de coups de hallebarde et lui tirer même un coup d’arquebuse +dans la bouche avant d’en venir à bout, l’achevant ainsi en le traînant +jusqu’à une fenêtre. + +--L’Amiral est-il mort? Jetez-le en bas! criait M. de Guise +s’impatientant dans la cour avec le duc d’Aumale, pendant que s’achevait +la besogne. + +Alors une fenêtre s’ouvrit, un corps vint s’aplatir sur le pavé aux +pieds de Guise qui fut obligé, pour reconnaître Coligny, d’essuyer avec +son manteau le sang couvrant la figure. + +Cet hôtel devint plus tard l’hôtel du duc de Montbazon et l’on a +longtemps dit qu’en ce lieu, déjà tragique, s’était passée l’aventure de +Rancé, amant de Mᵐᵉ de Montbazon, arrivant joyeux de voyage sans savoir +que sa maîtresse était morte et trouvant dans la maison les chirurgiens +en train d’embaumer la duchesse, le corps ouvert sur une table et la +tête de la femme aimée sur le parquet. + +[Illustration: TOURELLE DE LA RUE JEAN-TISON DÉMOLIE EN 1850] + +Cette horrible explication de la fondation de la Trappe par Rancé +serait, paraît-il, un conte inventé pour dramatiser le renoncement de +Rancé, quittant le monde et ses plaisirs pour la tombe effrayante du +Trappiste. + +Le massacre de Coligny et des gens de sa maison suffisait à la légende +de l’hôtel, qui devint, après avoir été aux Montbazon, une simple +hôtellerie, l’hôtel de Lisieux, maison de roulage et de messageries. Et +voici dans ce sanglant logis de plus gracieux souvenirs. Le peintre +Carle Vanloo l’habita. Dans la chambre même où périt l’amiral naquit +Sophie Arnould, qui devait se faire un si joli et si galant renom de +comédienne, après s’être fait enlever dès ses quinze ans de chez ses +parents les hôteliers. + +Il se trouvait encore au bout de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, vers +le Châtelet, place Perrin-Gasselin, l’hôtel du chevalier du Guet, forte +et massive construction d’aspect suffisamment rébarbatif, élevée au XIVᵉ +siècle au centre d’un quartier remuant, rempli de malandrins et de +_mauvais garçons_. C’était le commandant du guet royal, milice casernée +dépendant du prévôt de Paris, armée de vouges et d’arbalètes, et fort +différente du guet bourgeois dit _Guet assis_, _Guet dormant_, peu +redouté des voleurs. L’hôtel du chevalier du guet survécut à +l’institution, adapté à différents usages; il servit même quelque temps +de mairie au IVᵉ arrondissement, jusqu’à la construction de +l’édifice-pastiche en pendant à Saint-Germain l’Auxerrois. + +Comme les enseignes, qui furent trouvées gênantes seulement lorsque +triompha la ligne droite, les jolies tourelles que l’on rencontrait si +souvent dans le vieux Paris, presque dans chaque rue, accrochées au +milieu des façades ou suspendues à l’angle des maisons sur les +carrefours, ont presque toutes disparu. Extérieurement elles donnaient +du pittoresque et de la grâce à la rue; à l’intérieur des maisons +c’était de la lumière et de la gaieté, qu’elles fussent annexe d’une +grande pièce ou simple cabinet de toilette. De ces cages étroites et +minces, la maîtresse du logis suivait le mouvement de la rue tout en +travaillant, bonne ménagère, à l’entretien des hardes de la maisonnée. +Pauvres tourelles! combien en reste-t-il aujourd’hui? on peut facilement +les compter. + +Les grands travaux de Paris, depuis une quarantaine d’années, en ont +fait tomber plusieurs particulièrement à regretter pour leur beauté ou +pour les vieilles histoires qu’elles pouvaient raconter au passant. Dans +la rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois, il y avait la tourelle du +presbytère fort élégante, accrochée au coin d’une ancienne maison +canoniale nichée dans les contreforts de l’église, après le portail +latéral. Il n’y a guère plus de trente ans qu’on l’a démolie; en ses +derniers jours elle avait pu entendre siffler les balles des combattants +de juillet, à l’attaque de la colonnade du Louvre défendue par les +Suisses de Charles X, et voir entasser les victimes de la guerre civile +dans l’église transformée en ambulance. Peu après, en 1831, ce fut autre +chose, à l’occasion d’un service célébré pour le duc de Berry, une bande +d’énergumènes saccagea l’église et le presbytère et leur fit subir les +plus tristes dégâts. + +De l’autre côté de l’église, au coin des rues Bailleul et Jean-Tison, il +se trouvait une autre tourelle suspendue à l’angle d’une maison du XVᵉ +siècle qui faisait face au vieil hôtel Schomberg, plus tard d’Aligre. + +La rue du Coq-en-Grève, démolie pour l’agrandissement de l’hôtel de +ville vers 1840, et dont il ne reste qu’une impasse, en possédait une +fort gracieusement décorée à l’angle d’une maison du XVᵉ siècle. + +[Illustration: TOURELLE DE LA RUE DE L’ÉCOLE-DE-MÉDECINE, DÉMOLIE POUR +LE BOULEVARD SAINT-GERMAIN] + +La rue de Rivoli en a fait disparaître un peu plus tard une plus +importante et plus belle, encorbellée non sur un coin de maison, mais +dans un angle rentrant d’un pâté de maisons donnant sur la place de +l’Hôtel-de-Ville, entre les rues du Mouton et de la Vannerie. Maison et +tourelle étaient du XVᵉ siècle, mais au-dessous les caves immenses +dataient du XIIIᵉ. Cette vieille tourelle de la Grève, qui contemplait +la façade de la maison de ville dès le temps de Louis XI, avait-elle +souvenir des spectacles mouvementés et terribles que lui donna sa +terrible voisine et la Grève ouverte sous ses fenêtres; des têtes +roulant sur les billots et des condamnés écartelés ou rompus sur la +roue; des réjouissances aux entrées royales et des canons de la ville +tirant pour le feu de la Saint-Jean; de la potence royale et de la +lanterne populaire, des bandes insurrectionnelles barricadant pour la +Ligue, la Fronde ou la Révolution,--jusqu’au jour où la maison devint, +pour la compagnie de garde à l’hôtel de ville, le café restaurant de la +garde nationale de 1830, de la garde nationale boutiquière, amie de +l’ordre, marchant courageusement avec la ligne contre les barricades--ou +bien laissant faire suivant le cas, baïonnettes intelligentes, +embataillonnées pour défendre les institutions et au besoin pour les +combattre. La garde nationale est morte en 1871, on n’avait pas attendu +jusque-là pour abattre la pauvre tourelle. + +Le boulevard Saint-Germain a fait disparaître une autre tourelle plus +jeune d’un siècle, décorant agréablement un carrefour des rues de +l’École-de-Médecine et Larrey, jadis des Cordeliers et du Paon, tout +près du grand couvent dont il reste le réfectoire, et de la cour du +Commerce, passage tracé sur les fossés remblayés de la porte Buci, un +des vieux coins de Paris où des maisons se sont incrustées dans des +tours, dans des morceaux du rempart, malheureusement, sans qu’il y +paraisse aux façades, passage ramifié avec des arrière-cours sur +lesquelles s’élèvent de beaux corps de logis en pierres et briques d’un +hôtel des archevêques de Rouen. + +Dans la partie de la cour du Commerce malheureusement supprimée, à +l’entrée du passage, demeurait Danton. Il pouvait apercevoir de l’autre +côté de la rue le cordonnier Simon, il pouvait voisiner avec Desmoulins +rue Dauphine à deux pas, et avec Marat qui imprimait l’_Ami du peuple_ +au numéro 8 de la cour et qui demeurait, non comme on l’a dit, dans la +maison à la tourelle, mais dans celle d’à côté, au numéro 20. + +La maison à la tourelle n’avait pas eu le dément Marat pour locataire, +mais elle avait assisté à toutes les scènes révolutionnaires dont le +club voisin des Cordeliers avait été le théâtre, elle avait pu entendre +les motions des farouches orateurs et le chant terrible que le bataillon +des Marseillais fit entendre pour la première fois à Paris, la veille du +10 août lorsque la Commune le logea en face dans le couvent vidé de ses +moines; elle avait vu passer l’héroïne de Caen, la petite-nièce de +Corneille Charlotte Corday, arrivant résolue avec son couteau caché dans +son fichu, et peu d’instants après, quand le couteau disparut dans la +poitrine de Marat, elle avait vu dans la rue bouleversée, au milieu des +clameurs de mort et des bousculades éperdues, deux cortèges défiler: +d’un côté les sans-culottes entraînant Charlotte Corday à la section de +l’Abbaye, et de l’autre, une autre troupe poussant des gémissements +emphatiques, portant le corps sanglant de Marat au jardin des Cordeliers +où l’on fit de ce cadavre et de sa baignoire rouge de sang une +exhibition théâtrale en attendant les funérailles au Panthéon. + +Journées tragiques dont les derniers témoins sur ce point si bouleversé +sont, au coin de la rue Dupuytren, ces quelques vieux pignons renversés +en arrière, aux toits mouvementés, avec leurs grandes fenêtres et leurs +lucarnes irrégulières, où tant de têtes effarées durent se pencher ces +jours-là. + +Une autre jolie tourelle voisine a disparu aussi; elle ornait une maison +de la petite rue du Jardinet, ruelle d’aspect antique et provincial qui +se relie à la cour du Commerce, en passant devant le vieux puits de +l’Abri-Coyctier. + +L’abbaye de Saint-Germain avait légué au quartier poussé sur ses ruines +après la Révolution, une très jolie tourelle carrée, portée en +encorbellement par une trompe, à l’angle d’un bâtiment, au coin des rues +Jacob et Saint-Benoît qui limitaient le grand jardin de l’abbaye, tracé +au XVIIᵉ siècle sur l’emplacement du rempart et du fossé comblé de la +petite Seine. Le pavillon et la tourelle dataient de cette +transformation de l’abbaye, vers 1630, et de la création de la rue +appelée d’abord du Colombier à cause d’une vieille tour du rempart de +l’abbaye, et aujourd’hui dotée du nom biblique de Jacob, en souvenir +d’une fantaisie de la reine Margot, du couvent fondé par elle sous +l’appellation d’Autel de Jacob et qui devint l’École des beaux-arts. La +tourelle et le pavillon qui jalonnaient de ce côté le territoire de +l’abbaye ont été remplacés par une maison quelconque en 1850. + +[Illustration: MAUSOLÉE ÉLEVÉ À MARAT DANS LA COUR DES CORDELIERS] + +Arrivons maintenant aux quelques tourelles restées pour l’ornement de +quelques rares quartiers. Une rue de l’Université a eu la chance +particulière de garder celles qui la décorent, c’est la rue +Hautefeuille, très favorisée, car elle possède encore la tourelle de +l’hôtel de Fécamp, la maison à trois tourelles engagées, une sur l’angle +et deux encadrant la porte du logis, belle construction du XVᵉ siècle +d’un aspect si robuste, ancien hôtel de Miraulmont, et la mince tourelle +carrée à l’angle de la rue Pierre-Sarrazin, gracieux ornements qui +ajoutent encore à sa physionomie si intéressante déjà par ses nombreuses +maisons anciennes, par ses toits accidentés. + +La grosse tourelle ronde sur l’impasse provient de l’hôtel possédé par +les abbés de Fécamp au XIIIᵉ siècle, hôtel ou manoir dit aussi de la +_Serpente_, ayant son corps de logis principal rue Serpente, qui tire +son nom de la Sirène ou _Serpente_ jadis sculptée comme enseigne sur +l’hôtel. Si la tourelle n’a pas tout à fait cette ancienneté, encore +est-il qu’elle peut dater, comme restauration peut-être, du commencement +du XVIᵉ siècle, les débris de sa fine ornementation l’indiquent. A +l’intérieur elle est lambrissée de jolies boiseries de la même époque. + +Dans l’appartement auquel s’annexe la tourelle demeura Sainte-Croix, +l’amant de la marquise de Brinvilliers. Sainte-Croix, officier au +régiment de Tracy, avait été jeté à la Bastille sur la requête du mari +de sa maîtresse, M. de Brinvilliers, son colonel, et du père de la +marquise, M. d’Aubray, lieutenant civil de Paris. Il fit en prison la +connaissance de l’Italien Exili, qui l’initia à ses recherches sur les +poisons. La marquise essaya les produits de Sainte-Croix et d’Exili, les +poudres de succession, sur son père d’abord, puis sur ses frères. + +Une série de crimes effroyables s’ensuivit, la Brinvilliers eut des +émules et des imitateurs dans les plus hautes régions de la ville et de +la cour. Tout se découvrit à la suite d’un accident arrivé à +Sainte-Croix. Celui-ci, la figure couverte d’un masque de verre, +préparait ses poisons dans un laboratoire, lorsque subitement son masque +se brisa. Suffoqué par des vapeurs mortelles, Sainte-Croix tomba sur son +fourneau et exhala aussitôt son âme noire. Dans l’enquête faite par la +justice sur les causes de cette mort, on mit la main sur une cassette +contenant avec des fioles et des paquets de poudres, des lettres de la +marquise qui ne pouvaient laisser aucun doute sur les crimes commis. +L’affaire dite des poisons éclata, effroyable et terrifiante, qui +devait, à la suite de longues et romanesques péripéties, mener la +Brinvilliers au bûcher. L’empoisonneuse s’était enfuie dans un couvent +de Belgique où l’on ne pouvait la saisir; après des tentatives diverses, +on lui expédia un bel agent déguisé en abbé qui obtint vite toute sa +confiance et parvint un jour, fort galamment, à l’entraîner hors du +couvent jusqu’à un carrosse dans lequel il la jeta de force, pour courir +ensuite à toutes brides jusque sur le sol français. + +[Illustration: TOURELLE DE LA RUE SAINT-BENOIT DÉMOLIE EN 1850] + +La rue Vieille-du-Temple possède encore, récemment restaurée avec goût, +la vraiment remarquable tourelle de l’hôtel Herouët, considérée souvent +à tort comme un reste de l’hôtel Barbette, parce qu’elle touchait à +l’hôtel Barbette qu’habita Isabeau de Bavière, et au sortir duquel fut +assassiné le duc d’Orléans en 1409. D’après les recherches de M. +Sellier, cette maison, construite probablement sur quelque ancienne +dépendance du séjour Barbette, appartenait déjà à une demoiselle +Herouët, lorsqu’en 1561 le séjour Barbette fut vendu par ses derniers +propriétaires, les héritiers de Diane de Poitiers, pour être démoli peu +d’années après. La tradition rapporte que l’un des assassins du duc +d’Orléans, pris de remords, établit à perpétuité sur le lieu du crime +une lampe allumée le soir dans une fenêtre grillée de cette tourelle. La +tourelle étant bien postérieure au meurtre, les remords seraient venus +bien tard à ce criminel, à moins que la fondation de la lampe du remords +sur ce point n’ait été établie avant la construction de la maison et +n’ait persisté ensuite. + +[Illustration: TOURELLE DE L’HOTEL DE FÉCAMP, RUE HAUTEFEUILLE, HABITÉ +PAR SAINTE-CROIX] + +Cette tourelle de l’hôtel Herouët est aussi précieuse que celles du même +temps qui flanquent l’hôtel de Sens. Plus bas dans la rue du Temple, la +maison qui fait l’angle de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie porte +sur cet angle une haute tourelle carrée dépourvue d’ornements. Elle est +loin de valoir celles que le XVᵉ siècle nous a laissées, mais elle n’en +donne pas moins une belle allure à la maison qui la supporte. Cette +tourelle est datée de 1610, le cabaret à qui elle sert d’enseigne fait +remonter sa naissance à 1690. + +Un peu plus bas dans la rue du Temple, à propos d’enseigne, se trouve +appliquée sur la façade d’une maison, l’enseigne de l’_Orme +Saint-Gervais_ provenant d’une maison de la place Saint-Gervais. + +Ce fameux orme qui sans doute est pour quelque chose dans le dicton +ironique: _attendez-moi sous l’orme_, était planté devant le portail de +l’église Saint-Gervais; on l’avait entouré d’un banc toujours occupé par +des flâneurs ou par les bonnes gens du quartier venant y goûter, après +journée faite, le repos assaisonné de petites ou grandes nouvelles. + +L’orme traditionnel de Saint-Gervais, pas toujours le même, car il +vieillissait et mourait comme tout dans la nature, mais pour renaître +bien vite, ombrageait cette étroite place de l’église depuis six ou huit +siècles; en 1131 il était là déjà, Philippe, fils de Louis le Gros, +passant à cheval sur la place, se cassa la tête près de lui, son cheval +ayant pris peur d’un porc qui se jeta dans ses jambes. + +Le XIXᵉ siècle ne respecte guère les antiques traditions, on le sait; il +trouva encore à sa place le fameux orme parisien, mais, sans pitié pour +ce monument végétal, Napoléon le fit raser. + +Revenons aux tourelles, il en est une encore, carrée comme la tourelle +de la rue du Temple, qui s’encorbelle à la maison du coin des rues +Saint-Paul et des Lions-Saint-Paul, une haute et forte tourelle +accrochée à un énorme pignon remarquable par sa masse, mais qui a dû +perdre dans des ravalements successifs les ornements que ses +constructeurs avaient pu lui donner. D’après M. Lefeuvre, là demeurait +le médecin de Charles IX et de Henri III, peu après le percement de la +rue des Lions sur les terrains de l’hôtel Saint-Paul. + +La partie de l’hôtel dite _hôtel de la Reine_ était derrière, entre +cette tourelle et l’église Saint-Paul. Quant à la rue des Lions, on la +nomma ainsi parce qu’elle traverse, dans les dépendances de l’hôtel +Saint-Paul, l’emplacement de la ménagerie des rois, qui gardaient près +de leur palais des cages pour _lions_, _ours_, _sangliers et aultres +bêtes étrangères et sauvaiges_. La ménagerie royale en s’établissant +plus tard au jardin du roi ou des Plantes ne fit que traverser la +rivière. + +Henri III eut sa ménagerie au Louvre: la chronique du temps rapporte +qu’à la suite d’un rêve où il se voyait dévoré par ses lions et ses +ours, il fit arquebuser tous ses pensionnaires, ce qui ne conjura pas le +danger, car on lui expliqua aussitôt que les bêtes du songe étaient +allégoriques et représentaient les dragons furieux de la révolte prêts à +le déchirer, les factions de la très Sainte Ligue. + +Nous trouvons maintenant encore une tourelle dans le quartier du Marais, +celle de l’hôtel Lamoignon, tourelle carrée portée sur une trompe. +Ensuite, plus de tourelles aux hôtels du XVIIᵉ siècle, plus +d’encorbellements. Sous le règne de + +[Illustration: CHARLOTTE CORDAY CONDUITE A LA SECTION DE L’ABBAYE + +Imp. Draeger & Lesieur, Paris] + +la ligne droite, on ne songea guère à gracieusement accidenter la +silhouette des constructions. + +Le XVIIIᵉ siècle cependant, cherchant à donner un peu d’agréments aux +lignes, a laissé en fait d’encorbellements la curieuse maison qui fait +l’angle des rues de la Vrillière et Croix-des-Petits-Champs. Assez +semblable à deux tours accolées dont on aurait fortement rogné la base, +la maison avec ses corniches saillantes, ses espèces de frontons +ondulés, conserve quelque prestance malgré les enseignes commerciales +cachant en partie sa ceinture de balcons. + +Outre les puits de carrefours assez nombreux, des fontaines aussi +ornaient quelques places. La plus ancienne était celle des Innocents qui +existait avant le XIIIᵉ siècle. La fontaine primitive avait-elle un +caractère architectural, c’est fort probable. On dut la reconstruire au +XVIᵉ siècle; appuyée à l’église des Innocents, elle donnait sur la rue +Saint-Denis et sur la rue aux Fers. C’était, de par les talents réunis +de Pierre Lescot et de Jean Goujon, un monument charmant orné des +nymphes gracieuses que l’on connaît. + +En 1786, à la suppression de l’église et du cimetière, on créa sur +l’emplacement le marché des Innocents; alors, en remontant la fontaine, +il fallut lui donner les deux faces qui lui manquaient, avec trois +nymphes de plus, que le sculpteur Pajou traita dans la manière de Jean +Goujon. + +[Illustration: PORTE DE L’HÔTEL DE MIRAULMONT, RUE HAUTEFEUILLE (1895)] + +Il était fort pittoresque ce marché des Innocents et la fontaine en +faisait superbement le centre; en 1865, on le supprima à son tour pour +le remplacer par un square. Hélas! elle fait moins bien maintenant, la +pauvre fontaine, sur les pelouses banales de ce jardin correct et +bourgeois. Oh! les squares ridiculement bien peignés, que de monuments +ils ont gâtés! + +On connaît les noms et les emplacements de quelques-unes des fontaines +d’avant la Renaissance, Sainte-Avoye, Barre-du-Bec, de la place +Baudoyer, des Filles-Dieu, etc., celle du prieuré Saint-Martin existe +toujours ainsi que la fontaine Maubuée. + +Celle-ci, reconstruite en 1734, fut ornée de sculptures bien abîmées +aujourd’hui, au-dessus desquelles cependant un bel écusson de la ville +de Paris subsiste malgré tout et laisse voir la nef parisienne sous +forme de frégate marchant toutes voiles dehors. + +Rien n’est resté, pas même un dessin, de la fontaine monumentale de la +Trinité, près la porte Saint-Denis, cette fontaine qui jouait toujours +son rôle dans les divertissements des entrées royales. + +La fontaine primitive de la Croix-du-Trahoir a disparu aussi, mais elle +a été remplacée par celle que nous connaissons. François Iᵉʳ +reconstruisant en 1529 la croix ruinée du Trahoir, lui donna pour +soubassement une petite fontaine octogonale qui formait le centre d’un +petit marché, dans un carrefour pourtant fort étroit. La grande gêne qui +en résultait pour la circulation fit déplacer cette fontaine en 1636; on +l’appliqua contre un pavillon construit par le prévôt des marchands +François Miron, pour recevoir les eaux de l’aqueduc d’Arcueil. + +Au XVIIIᵉ siècle cette vieille fontaine tombant en ruines fut remplacée +par celle que nous voyons aujourd’hui, construite sur les dessins de +Soufflot. + +Le carrefour de l’Arbre-Sec, avec sa fontaine et la croix du Trahoir, +était un de ces vieux décors de l’histoire parisienne, fameux à bien des +titres. Proche des Halles et du Louvre, au confluent de la rue +Saint-Honoré, avec le fleuve humain coulant sur le Pont-Neuf, c’était un +endroit vivant, bourdonnant et remuant et qui ne manquait pas de jouer +son rôle aux jours d’émeute. + +Si le bourreau y venait quelquefois accrocher ses clients à la potence +qui faisait pendant à la vieille croix du Trahoir, le roi y passait +aussi. Un jour, Henri III s’y rencontra avec Monsieur de Paris au moment +où celui-ci allait pendre un pauvre diable. Le criminel à la vue du roi +se débattit en criant grâce et le roi s’arrêta pour s’informer des +méfaits du patient. Renseignements pris, le crime était vraiment trop +notable pour que Sa Majesté pût faire acte de clémence; le roi, en +haussant les épaules, continua son chemin en disant: Qu’on ne le pende +point qu’il n’ait dit son _In manus!_... Le pendu récalcitrant jura +qu’il se garderait bien de le dire, et voilà juges, greffiers et +bourreaux bien embarrassés. On courut après le cortège royal pour +exposer le cas et cette fois Henri III ne put faire autrement que +d’octroyer sa grâce à ce criminel si avisé. + +Le 21 juillet 1578, le mignon Saint-Mesgrin sortant du Louvre à onze +heures du soir, fut chargé par une troupe nombreuse tout près du Trahoir +et percé de trente-quatre coups mortels. Et, dit l’Estoile, «de ce +meurtre n’en fut fait autre instance ou poursuite, tout favori du roi +qu’il était, Sa Majesté étant bien avertie que le duc de Guise l’avait +fait faire par le bruit qu’avait ce mignon d’entretenir sa femme». +C’était d’ailleurs le frère de Guise, le duc de Mayenne, qui conduisait +les assassins, le fait était connu. + +Bien d’autres assassinats entre gens de qualité, en ce terrible XVIᵉ +siècle et aussi après, ensanglantèrent ce carrefour ou ses environs. +N’est-ce pas entre l’Arbre-Sec et la barrière des Sergents qu’en 1618 le +chevalier de Guise, fils du duc de Guise, ayant formé le projet de tuer +le maréchal d’Ancre pour prendre sa place dans les bonnes grâces de la +veuve d’Henri IV, Marie de Médicis, et voyant ses plans déjoués par un +avertissement donné à Concini, se vengea sur l’indiscret, qui était un +vieux gentilhomme nommé le baron de Luz. Il le rencontra en carrosse rue +de l’Arbre-Sec, le força à descendre de voiture et le tua d’un coup +d’épée avant que le baron eût pu se mettre en garde. Le fils du baron +ayant voulu venger son père, provoqua peu après le chevalier de Guise, +qui, dit-on, se servit encore du procédé qui lui avait réussi et +assassina le fils de la même façon que le père. + +A la journée des barricades de la Fronde, dont le coadjuteur fait en ses +Mémoires un si pittoresque tableau, le carrefour de l’Arbre-Sec eut sa +bonne part d’émotions. Quelle journée mouvementée pour le coadjuteur +frétillant d’ambition, et pour le quartier du Pont-Neuf! + +[Illustration: MAISON NATALE DE MOLIÈRE A L’ENSEIGNE DU «PAVILLON DES +CINGES», ANGLE DES RUES SAINT-HONORÉ ET DES ÉTUVES] + +Quand la sédition occasionnée par l’arrestation du conseiller Broussel +est bien allumée et que le populaire en fureur bouscule les quelques +troupes envoyées pour le contenir, le cardinal de Retz sort en rochet et +camail pour aller trouver la reine, prend en passant le maréchal de la +Meilleraye fort en peine au Pont-Neuf au milieu de l’émeute et arrive +avec lui au Palais-Royal, suivi d’une foule criant: Broussel! Broussel! +Il est d’abord mal reçu par la reine courroucée, par les courtisans qui +essayent en s’en moquant de diminuer l’importance de cette sédition +soulevée, disent-ils, par la nourrice du bonhomme Broussel,--lequel +bonhomme avait quatre-vingts ans. + +Anne d’Autriche furieuse déclara que plutôt que de rendre Broussel elle +l’étranglerait de ses deux mains! Mais sur de nouveaux renseignements +annonçant que l’émeute est à deux doigts de tourner en révolution, les +courtisans qui tout à l’heure se moquaient ouvertement du coadjuteur, +arrachent à la reine la promesse de la liberté de Broussel, promesse que +l’on comptait bien d’ailleurs ne pas tenir une fois l’ébullition +parisienne refroidie. + +Munis de cette promesse, le coadjuteur et le maréchal repartent pour +répandre la nouvelle dans la ville soulevée. Le maréchal de la +Meilleraye, encore ému de ses embarras de la matinée et de la peine +qu’il a dû se donner pour convaincre la cour, se fraie péniblement un +passage dans la foule, à la tête de ses chevau-légers, et marche l’épée +haute, s’époumonnant à dominer les vociférations populaires par le cri +de vive le Roi, liberté à Broussel! + +Mais en touchant à la rue de l’Arbre-Sec, l’épée qu’il brandit paraît +une menace aux émeutiers, qui dans le tumulte ne saisissent point le +sens de ses paroles. Le maréchal est pressé, menacé, des bras se lèvent +contre lui, il se défend, il se fâche et abat un homme d’un coup de +pistolet. A ce coup tout paraît gâté, l’escorte repoussée se débat et +essaie de charger, les bourgeois allument la mèche de leurs arquebuses +et la mêlée s’engage dans le carrefour bondé d’une foule hurlante. + +Fort de la faveur des Parisiens le coadjuteur veut, pour arrêter la +bagarre, interposer son autorité; il est renversé d’un coup de pierre et +un garçon apothicaire lui appuie le canon de son mousquet sur le front, +il va lui faire sauter la cervelle lorsque Retz, qui garde un grand +sang-froid à cette minute terrible, se retourne et lui crie: «Ah! +malheureux, si ton père te voyait!» Le garçon interdit à ce mot relève +son mousquet, et le coadjuteur peut se faire reconnaître. On parlemente, +Retz entraîné dans la foule traverse les quartiers soulevés et bientôt, +suivi de trente ou quarante mille Parisiens criant, chantant, acclamant +et menaçant, foule bariolée, bardée de vieilles cuirasses, hérissée de +toutes les vieilles arquebuses et hallebardes de la Ligue, il reparaît +devant le Palais-Royal avec la Meilleraye que son intervention à +l’Arbre-Sec avait sauvé, et rentre avec lui chez la Reine pour +renouveler ses instances en faveur de Broussel. + +Ainsi chemin direct, sinon trait d’union entre le palais des rois et la +maison du peuple, la rue Saint-Honoré, depuis que le Parisien s’émeut, +et cela lui est arrivé assez souvent dans le cours des siècles, a servi +de champ à bien des bagarres semblables. Il est peu de générations de +Parisiens qui n’aient eu l’occasion de la voir parcourue par des bandes +ayant pour objectif l’un ou l’autre de ces deux édifices ennemis, qui +se regardaient depuis si longtemps par-dessus Paris bouillonnant. + +Lorsque triompha l’édifice de la Grève où siégeait la commune de 93, la +rue Saint-Honoré ne fut-elle pas aussi le chemin conduisant du tribunal +révolutionnaire, tenant séance dans le palais de saint Louis, à la +guillotine de la place Louis XV, dite alors de la Révolution et +maintenant de la Concorde? Après les cortèges royaux, les convois des +charrettes fatales. + +[Illustration: TOURELLE RUES HAUTEFEUILLE ET PIERRE-SARRAZIN] + +En ce siècle les habitants de la vieille rue y ont eu surabondance de +spectacles: splendeurs impériales, défilés de soldats épiques revenant, +harassés de victoires, de toutes les contrées d’Europe avec le fulgurant +empereur en tête; bandes insurgées criant Vive la Charte, vive Orléans, +vive la République ou vive la Commune! comme leurs pères avaient crié: +vive Bourgogne, vive Guise ou vive la Ligue! + +Le dernier défilé de ce genre, nous l’avons vu nous-même le 22 mai 1871 +au matin, c’était la débâcle des soldats de la Commune surpris au petit +jour aux remparts de Passy et refluant en désordre le long des boutiques +se fermant à la hâte... + +Encore un souvenir cependant à notre carrefour de l’Arbre-Sec. Molière +fut un de ses enfants. Nous avions à Paris pour le grand poète comique, +deux maisons natales, une rue de la Tonnellerie aux Halles, et une rue +des Étuves-Saint-Honoré en face de la croix du Trahoir, et deux maisons +mortuaires rue de Richelieu. Des plaques en font encore foi. + +C’était vraiment beaucoup. Il n’y a plus guère de doute maintenant. Les +recherches des moliéristes semblent avoir définitivement prouvé qu’en +1622, au moment de la naissance de l’enfant qui devait être Molière, le +tapissier Jean Poquelin avait quitté la rue de la Tonnellerie et +occupait la maison faisant le coin de la rue des Étuves et de la rue +Saint-Honoré. Dans tous les cas, Molière y a passé son enfance. + +En ce temps la rue des Étuves, aujourd’hui rue Sauval menant à la Bourse +du commerce, aboutissait aux jardins de l’hôtel de la reine Catherine de +Médicis. La maison Poquelin était une construction à pans de bois +apparents, déjà vieille de plus d’un siècle, décorée sur l’angle d’un +beau poteau sculpté jusqu’au toit; ce poteau cornier figurait un arbre +après lequel grimpait une troupe de singes, se contorsionnant, grimaçant +et croquant des pommes. Le tapissier en avait tiré son enseigne: _au +pavillon des cinges_. On a pu voir encore ce poteau des singes au +commencement de notre siècle, la maison ayant vécu jusqu’en 1802. + +Quant aux deux maisons mortuaires rue de Richelieu 34 et 40, il paraît +que la dernière seule a droit à la plaque relatant la mort de Molière le +6 février 1673. + +[Illustration: TOURELLE PLACE DE L’HOTEL DE VILLE, DÉMOLIE EN 1850] + +Grâce à l’intervention du roi près de l’archevêque de Paris, la +dépouille du grand comédien put s’en aller reposer en terre sacrée. On +l’enterra à sept heures du soir dans le cimetière de la petite église +Saint-Joseph, bâtie à l’angle des rues Montmartre et du Temps-Perdu, +maintenant Saint-Joseph. Une grande pierre recouvrait la tombe et sur +cette pierre la veuve de Molière fit charitablement, dans un hiver +rigoureux, allumer de grands feux pour un chauffoir public. + +[Illustration: ENTERREMENT DE MOLIÈRE AU CIMETIÈRE SAINT-JOSEPH, RUE +MONTMARTRE] + +A la Révolution on créa un marché sur l’emplacement de l’église et du +cimetière; nous avons vu il y a peu d’années démolir ce marché +Saint-Joseph, et retirer des fouilles des tombereaux d’ossements, parmi +lesquels peut-être les os et le crâne de Molière. Alas, poor Yorick! + + + + +[Illustration: FRONTON DE L’HÔTEL SALÉ. ÉTAT ACTUEL] CHAPITRE IX + +LA PLACE ROYALE ET LE MARAIS + + Le dernier tournoi.--Fêtes au palais des Tournelles.--La lance de + Montgommery.--Le combat des Mignons.--Fondation de la place + Royale.--Le carrousel d’inauguration.--Les raffinés d’honneur et la + manie des duels.--L’hôtel Sully.--M. de Mayenne.--L’hôtel + Lamoignon.--Les logis de Gabrielle d’Estrées.--Zamet.--Les + ruelles.--Précieuses et Alcôvistes.--Poètes et beaux esprits.--Mᵐᵉ + de Sévigné à Carnavalet.--Marion Delorme et Ninon de Lenclos.--Le + malade de la Reine.--Mᵐᵉ Scarron.--L’hôtel de Beauvais.--Théâtres + et jeux de paume.--Le Roi des Halles.--L’hôtel Salé.--Hôtels de + grands seigneurs et de Parlementaires.--Grandes portes et frontons + sculptés. + + +[Illustration: AU CARROUSEL DE LA PLACE ROYALE] + +Jusque vers la fin du XVIᵉ siècle la grande muraille de Charles V +enferma, entre la Bastille et le Temple, de vastes terrains non bâtis; +les quartiers du Marais et de la future place Royale, ces quartiers qui +devaient bientôt devenir le centre du Paris aristocratique, restèrent +en jardins, en cultures de maraîchers, entremêlés de quelques hôtels, de +couvents en certain nombre, de maisons de repenties. + +La lance de Montgommery en frappant Henri II dans le dernier tournoi +chevaleresque fut comme la baguette magique qui donna le signal de la +transformation, bien lente il est vrai. + +Le palais des Tournelles avait succédé comme demeure royale à l’hôtel +Saint-Paul, le vieil _hôtel des grands esbattements_; la cour occupait, +de l’autre côté de la rue Saint-Antoine, juste sous la Bastille, le +vaste palais ceint d’une muraille que flanquaient de place en place les +_tournelles_ ou tourelles qui lui avaient valu son nom. + +[Illustration: HÔTEL SULLY, FAÇADE SUR LA RUE SAINT-ANTOINE. ÉTAT +ACTUEL] + +Des lices, un champ clos pour _tournoyer_ tenaient un large espace bordé +de bâtiments à galeries. Les grandes joutes chevaleresques données en +1559 à l’occasion des accordailles de la fille du roi avec Philippe II +d’Espagne et des noces de Marguerite, sœur du roi, avec Emmanuel +Philibert, duc de Savoie, coûtèrent la vie au roi de France et au palais +des Tournelles. + +Le tournoi fatal, dans des lices spécialement établies entre la Bastille +et le Palais, dura quatre jours. A la fin du quatrième jour, le roi +ayant déjà rompu quelques lances, voulut malgré l’avis de certains +seigneurs saisis d’un vague pressentiment, courir une dernière joute et +tenter de faire vider les arçons à Montgommery, capitaine de sa garde +écossaise, «_grand et raide jeune homme_» qu’il avait déjà ébranlé une +première fois. Le choc eut lieu; par malheur, Montgommery oublia de +jeter aussitôt sa lance rompue; le bois de cette lance donna dans la +visière du roi et s’enfonça dans un œil. + +Le roi tomba de son cheval à moitié mort déjà. + +Malgré toute la science des premiers chirurgiens, et bien qu’on eût fait +toutes les expériences et essais possibles sur les têtes de quatre +criminels décapités au Grand Châtelet, on ne put retirer les esquilles +logées dans le cerveau et, après dix jours d’horribles souffrances, +Henri II trépassa, à peine âgé de quarante-trois ans. + +Catherine de Médicis prenant les Tournelles en horreur, les quitta +sur-le-champ et finit par obtenir de Charles IX en 1563 un arrêt de +démolition. + +Cette démolition se fit très lentement, les Tournelles restèrent +longtemps à l’état de ruines dont on ne savait que faire, entourées de +terrains vagues où se tint même un marché aux chevaux. Les événements +n’étaient guère favorables, la Ligue et la guerre civile donnaient +d’autres sujets de préoccupations aux rois qui se succédaient sur un +trône en état de démolition aussi. + +L’autorité royale rétablie sous Henri IV, les dernières ruines des +Tournelles disparurent définitivement. Alors par la création de la place +Royale avec son carré de bâtiments d’une si belle ordonnance, le +quartier aristocratique en formation prit tout à coup une grande et +noble allure et conquit avec la vogue son renom d’élégance et de +gentilhommerie cavalière. + +Les raffinés Louis XIII, les belles dames et les gens de qualité, les +précieux et les précieuses se donnant rendez-vous sous les arcades, +allaient en faire le centre du Paris élégant, et succéder aux maquignons +et aux maraîchers chassés de leurs terrains où poussaient maintenant au +lieu de choux de magnifiques hôtels. + +Mais pendant que les Tournelles étaient encore en l’état de ruine à demi +démolie, sur le terrain de la future place Royale, emplacement de +l’ancienne grande cour du palais et alors marché aux chevaux, eut lieu +en 1578 le fameux duel des mignons d’Henri III. + +Un jeune gentilhomme attaché aux Guises, Charles d’Entragues, le bel +Entraguet, ayant, dans l’enceinte même du Louvre, insulté publiquement +Quélus l’un des mignons du roi, une rencontre fut arrêtée pour le +lendemain 29 avril à cinq heures du matin, au marché aux chevaux. Quélus +avait pris pour seconds Maugiron et Livarot, autres mignons du roi, +Entraguet amenait Riberac et Schomberg; c’étaient de très jeunes gens +tous les six et qui n’avaient même pas tous atteint leur vingtième +année. + +L’animosité était si grande alors entre guisards et royaux que le combat +s’engagea furieusement tout de suite, aux cris de «Vive le roi!» et de +«Vive Guise!» Or, Quélus n’avait que son épée.--Tu as une dague et je +n’en ai point! dit-il à son adversaire quand ils tombèrent l’un sur +l’autre. + +--Tu as donc fait une grande sottise de l’oublier au logis! lui répondit +Entraguet en ferraillant. + +Et le malheureux Quélus eut bien vite la main gauche «toute découpée de +plaies» en parant les coups avec le bras faute de dague. Bientôt +Maugiron et Schomberg roulèrent à terre tués raides; leurs adversaires +victorieux, Riberac et Livarot n’en valaient guère mieux. + +Quélus couvert de sang luttait encore; après s’être longtemps défendu, +il ne tomba que criblé de dix-neuf blessures; tandis qu’Entraguet s’en +tirait avec une simple écorchure. + +Riberac mourut le lendemain, Livarot fut six semaines en danger. Quant à +Quélus, dans l’hôtel de Boissy où il avait été transporté, il mit +trente-trois jours à mourir, soigné par les chirurgiens du roi et par le +roi lui-même qui venait passer les journées à son chevet. + +Ce XVIᵉ siècle, quel temps d’énergie surexcitée! et ces enragés +ferrailleurs n’étaient que des adolescents efféminés, des mignons de cet +étrange Henri III, et ils avaient déjà fait leurs preuves, si +sérieusement que Maugiron en était borgne, ayant eu l’œil crevé à seize +ans au siège d’Issoire. Cela fait penser aux débuts du terrible Montluc, +à peu près au même âge, se lançant à corps perdu dans un trou de brèche +à l’assaut d’une bicoque du Piémont, tombant sous les arquebusades à +bout portant, accroché par une jambe par ses compagnons qui le tirent de +là en lui cassant cette jambe et plusieurs côtes. + +Henri III éleva à Quélus et Maugiron, réunis à Saint-Mesgrin tué rue +Saint-Honoré, un tombeau magnifique dans Saint-Paul, avec des +inscriptions où sa douleur s’épanchait en vers et en prose. Saint-Foix +dans ses _Essais_ sur Paris donne, entre autres, l’étrange épitaphe de +Maugiron, gravée sur le tombeau détruit en 1588 par les ligueurs: + + La déesse Cyprine avait conçu des Cieux, + En ce siècle dernier, un enfant dont la vue + De flammes et d’éclairs était si bien pourvue + Qu’Amour, son fils aîné, en devint envieux. + Chagrin contre son frère et jaloux de ses yeux + Le gauche lui creva, mais sa main fut déçue + Car l’autre qui était d’une lumière aiguë + Blessait plus que devant les hommes et les Dieux. + Il vint en soupirant s’en complaindre à sa mère; + Sa mère s’en moqua; lui tout plein de colère + La Parque supplia de lui donner confort + La Parque, comme Amour en devint amoureuse; + Ainsi Maugiron gît sous cette tombe ombreuse, + Et vaincu par l’Amour et vaincu par la mort. + +C’est seulement en 1605 que disparurent les dernières ruines du palais +des Tournelles et avec elles les restes de ses jardins. Sur cet +emplacement abandonné, qui peu à peu prenait un aspect misérable et +devenait, par sa population sordide, une vraie cour des miracles, Sully +avait fait décider par Henri IV la création d’une vaste place carrée +qu’on appellerait place de France et sur laquelle viendraient aboutir +huit grandes rues destinées à porter des noms de huit provinces. Le +temps manqua au Béarnais pour exécuter complètement le projet de Sully, +la place seule fut achevée et encore seulement au commencement du règne +de son successeur, en 1612. + +[Illustration: HÔTEL LA VIEUVILLE, RUE SAINT-PAUL (1895)] + +La place Royale par sa noble et symétrique ordonnance, ses arcades +ininterrompues, ses pavillons réguliers aux immenses combles, ses +grandes lignes, son heureux mélange de pierres et de briques demeure un +spécimen complet et précieux de l’architecture des commencements du +XVIIᵉ siècle. + +Sur les deux grands côtés du rectangle, deux hauts pavillons dominent +les autres, l’un ouvrant sur la rue de Birague par trois larges arcades, +du côté de la rue Saint-Antoine, est le pavillon du Roi; il porte +d’ailleurs pour le rappeler, au fronton de la fenêtre centrale du +principal étage, le buste du bon Henri à la barbiche souriante. Le +pavillon qui lui fait face, ouvert également par trois arcades, +s’appelle le pavillon de la Reine. + +Henri IV bâtit lui-même la face méridionale, côté du pavillon du roi, et +l’on raconte qu’il venait souvent, comme un particulier qui se livre à +la bâtisse, surveiller ses maçons, dont il ne devait malheureusement pas +voir l’œuvre achevée. Les terrains des autres faces avaient été mis en +adjudication, à charge pour les acquéreurs de bâtir aussitôt suivant les +plans arrêtés. Grands seigneurs et riches parlementaires s’étaient +disputé les terrains. Le quartier était lancé. En même temps que les +hôtels de la place Royale sortaient de terre, d’autres constructions +s’élevaient rapidement aux alentours, sur tous les emplacements libres, +couvrant le vieux Marais de logis princiers, de beaux hôtels +aristocratiques. + +Les somptueux logis de la place Royale aux majestueux appartements d’une +seigneuriale hauteur de plafonds, ouvrant au-dessus des arcades leurs +balcons ventrus, eurent parmi les premiers occupants les Rohan-Guémenée, +le marquis de Vitry, le maréchal de Lavardin, le marquis de Tresmes, le +duc de Chaulnes, etc... On y vit plus tard les Rohan-Chabot, le marquis +de Dangeau, le duc de Richelieu et bien d’autres parmi les noms les plus +illustres. Un seul hôtel est resté depuis la fondation jusqu’à nos jours +dans la famille de l’acquéreur primitif, c’est l’hôtel d’Escalopier, au +numéro 25. + +Bientôt trois siècles se sont écoulés depuis ces temps, la place Royale +n’a plus cette brillante population qui faisait de ce vaste carré rouge +et blanc quelque chose comme une immense cour de château, les nobles +seigneurs se sont envolés, mais elle a gardé son grand air. Cette +douairière ne vieillit pas trop et se défend contre les atteintes du +temps. Ses hôtels ont à l’intérieur gardé de beaux restes de leur +splendeur, et conservé extérieurement leurs vieux balcons. + +Parmi ceux que des noms particulièrement grands recommandent, il +convient de citer l’hôtel portant aujourd’hui le numéro 1 _bis_ et +l’hôtel numéro 6. Au premier de ces hôtels naquit Mᵐᵉ de Sévigné. Le +second, qui fut primitivement l’hôtel Guéménée, vaut par la majesté du +génie une demeure royale, illustre entre les plus illustres, car il fut +le logis de Victor Hugo de 1830 à 1852. Aux grands jours de la place +Royale, en ce même hôtel vécut la belle Marion Delorme, dont le souvenir +devait inspirer au poète un de ses plus beaux drames. + +Ainsi habitée par les plus grands seigneurs, devenue en quelques années +le plus aristocratique carré du sol parisien, la place Royale toute +fraîche voit affluer sous ses arcades toute la fleur de Paris, les +brillants cavaliers, les seigneurs à la moustache galamment retroussée +en barbe de chat, le col encadré dans les grands rabats, de la dentelle +au cou, de la dentelle aux bottes, relevant avec l’épée les pans de +leurs manteaux brodés et soutachés, et toutes les belles dames de la +cour et de la ville, femmes de qualité ou beautés à la mode, recevant ou +lançant les œillades, presque toutes la figure cachée sous un masque +qu’elles retiennent par un bouton de verre dans un coin de la bouche. + +C’est un vivant tableau d’Abraham Bosse que cette place Royale des +premiers temps; tous les personnages du graveur et les gentilshommes de +Callot, toutes les élégances du temps rencontrent sous les arcades ou +sous les tilleuls de la place, les gens de robe d’allure plus grave et +les gens de finance. Parmi ces jeunes cavaliers au large feutre +empanaché circulent de vieilles barbes engoncées dans les fraises à +l’ancienne mode, vieux compagnons des longues chevauchées du feu roi, ou +de non moins vénérables barbes d’échevins et de parlementaires, épaves +de la Très Sainte Ligue, des gens trempés au feu des terribles luttes +religieuses, d’anciens ligueurs apaisés, oublieux des vieilles passions. + +De temps en temps dans le bourdonnement des causeries et des rires +scandés par des bruits d’éperons, un mouvement se produit, on s’arrête, +on se hausse pour voir, on s’incline pour saluer, c’est le siècle défunt +qui passe, c’est Maximilien de Béthune, M. le duc de Sully, grave et +imposante figure à belle barbe blanche, marchant cérémonieusement +entouré de ses gardes et de ses gentilshommes, et rentrant en son hôtel +de la rue Saint-Antoine, qui touche par les jardins à un angle de la +place Royale. + +Cette place qui devait sa naissance au tournoi d’Henri II, le dernier +tournoi chevaleresque marquant la fin des gendarmes aux lourdes armures +et de toute l’antique et majestueuse ferraille des combats, avait été +inaugurée en 1612, à l’occasion des fiançailles du petit Louis XIII avec +Anne d’Autriche, par un grand carrousel, tournoi théâtral et galant où +le clinquant, les rubans et les plumes remplaçaient les armures, la +lance et les masses d’armes. + +Tout le pourtour de la place avait été garni d’immenses estrades et de +pavillons merveilleusement décorés et pavoisés, destinés à recevoir la +cour et tout ce que Paris renfermait de gens de qualité ou de notables. +Au centre la lice était gardée par les mousquetaires et les Suisses, +sous les ordres du duc d’Épernon. Les tenants de ce tournoi pour rire +étaient les ducs de Guise, de Nevers, de Bassompierre, de Chevreuse et +le marquis de la Châtaigneraie, caracolant à la tête de cinq cents +gentilshommes qui luttaient de somptuosité dans les costumes et les +équipages et qui s’évertuaient en inventions fastueuses de toute sorte. + +Le sujet de ce pas d’armes inauguratif, réglé comme un ballet, était des +plus galants. Sur un côté de la place avait été élevé un château fort à +tourelles joyeusement pavoisé, _le palais de la félicité_ que devaient +défendre contre tout venant les tenants du carrousel, les chevaliers de +la Gloire, dénommés Alcindor, Léontide, Alphée, Lysandre, Argant, +assistés par plusieurs escadrons de non moins brillants gentilshommes, +les _chevaliers du Lys_, à la tête desquels marchait le duc de Vendôme, +les _chevaliers de la Félicité_ commandés par le duc de Retz, les +_chevaliers de l’Univers_, les _chevaliers du Soleil_, conduits par le +prince de Conti sous le nom d’Aristée, les deux Amadis, Persée, plus un +certain nombre de preux de romans de chevalerie, bizarrement mélangés +de chevaliers romains, de nymphes de Diane représentées par de jeunes +gentilshommes, plus une interminable suite de hérauts d’armes, +d’archers, d’estafiers, de pages, d’écuyers, d’esclaves, etc... + +On devait y voir même les Quatre Vents, mais ils ne se trouvaient plus +par malheur qu’au nombre de trois, le Vent du Nord, c’est-à-dire le +chevalier de Balagny, dit Balagny le brave, bretteur fameux par nombre +de duels heureux, ayant eu la malechance de se faire tuer l’avant-veille +dans une dernière querelle. + +[Illustration: UN PANNEAU DE LA GRANDE PORTE DE L’HOTEL SAINT-AIGNAN 71, +RUE DU TEMPLE] + +Il y avait aussi un rocher figurant le Pinde, garni d’un orchestre de +divinités chantant agréablement et comme intermèdes des défilés de chars +divers de toutes formes, de bêtes fabuleuses, de géants de carton et +d’animaux vivants. Pour cette immense cavalcade, des sommes folles +avaient été dépensées, aussi bien par ceux qui figuraient dans les +cortèges que par les invités des tribunes, mais quel succès que ces +trois jours de fête, de passes d’armes courtoises, de courses de +quintaine et bagues, au fracas des musiques, des arquebusades sur la +place et de deux cents canons tonnant à la Bastille! Journées joyeuses, +terminées chaque soir par un défilé du cortège interminable à travers la +ville, à la lueur des lanternes. Superbe occasion de désordres dans le +turbulent Paris d’alors, et pourtant, à quelques bousculades près, tout +se passa bien «sans qu’il en résultât d’autres accidents que deux +incendies». + +Mais la destinée de la place Royale n’était pas seulement de servir de +champ clos à des luttes réglées comme des menuets, elle devait revoir +des rencontres assez semblables à celles des Mignons et des Guisards au +temps du marché aux chevaux des Tournelles. Tous ces galants à grandes +flamberges qui promenaient leurs panaches sous les arcades avec mille +politesses et mille gracieusetés pour les dames rencontrées, tous ces +_raffinés d’honneur_, ces seigneurs pimpants et piaffants avaient aussi +l’amour des belles estocades. Leurs rapières n’étaient pas seulement +pour battre leurs talons, elles sortaient facilement du fourreau à la +moindre occasion, pour une querelle, sérieuse ou anodine, pour une +rivalité quelconque, pour un mot, pour un coup d’œil de travers, pour un +regard de dame intercepté, ou pour rien, «pour le plaisir»! + +La manie des duels, en quinze ans sous Henri IV, avait coûté la vie à +sept ou huit mille gentilshommes. Il y avait pourtant des défenses +formelles, des édits sévères, mais les survivants de ces combats en +étaient quittes pour se mettre quelque temps à l’abri des officiers de +justice et pour solliciter, une fois l’affaire assoupie, des lettres de +rémission. + +Richelieu arrivé au pouvoir renouvela les prohibitions d’Henri IV et +résolut par des exemples sévères de couper court à cette rage de combats +singuliers. L’un de ces plus enragés parmi ces enragés duellistes, le +comte de Bouteville-Montmorency, exilé à Bruxelles pour quelques +rencontres où il avait couché ses adversaires sur le carreau, faisait +demander vainement au roi de rapporter l’ordre d’exil. Provoqué à +Bruxelles par le marquis de Beuvron, parent du comte de Thorigny, un de +ses derniers adversaires, Bouteville déclara qu’il se battrait à Paris +en pleine place Royale et en plein jour. + +Il prend la poste, rentre à Paris et le 12 mai 1627, dans l’après-midi, +à l’heure du beau monde, apparaît place Royale avec son adversaire et +les seconds, qui vont, selon la vieille coutume, s’entrégorger +également. Bouteville amène le comte des Chapelles et la Berthe, Beuvron +est accompagné de Briquet et de Bussy d’Amboise, lequel, malade depuis +deux semaines, sortait du lit avec la fièvre pour venir estocader aux +côtés de son ami. + +Il y a foule sur la place; aussitôt qu’on les reconnaît, galants +cavaliers et belles dames font le cercle et voilà les six adversaires +aux prises. Bouteville et Beuvron après avoir ferraillé furieusement et +s’être désarmés successivement, se réconcilient tout à coup, mais +pendant ce temps, des Chapelles tue le pauvre Bussy. Les archers du +guet, accourus au bruit, ont de la peine à fendre la foule, ils arrivent +juste pour voir les survivants sauter sur des chevaux et s’efforcer de +mettre du terrain entre eux et le cardinal bafoué. + +C’est à cette occasion que Mᵐᵉ de Sévigné dut de perdre son père, le +baron de Chantal, quelques mois à peine après son entrée en ce monde +dans l’hôtel de la place Royale. Le baron avait aidé à la fuite des +duellistes: poursuivi lui-même, il dut fuir à son tour et se réfugia +chez son ami le comte de Toiras, gouverneur de l’île de Ré; il y périt +l’an d’après au moment du siège de la Rochelle; les Anglais venant +secourir la cité protestante débarquèrent dans l’île et le baron de +Chantal fut tué dans le combat. + +Bouteville et des Chapelles couraient sur la route de Lorraine, Beuvron +et Briquet galopaient vers un port de mer pour gagner l’Angleterre. Les +deux premiers se laissèrent rattraper à Vitry-le-Brûlé. On les ramena à +Paris et le 21 juin 1627, le grand cardinal ayant repoussé +inflexiblement toutes les sollicitations, ils furent décapités sur la +place de Grève. A propos de «l’accident qui est arrivé à M. de +Bouteville», écrit le cardinal dans une lettre, «pour couper les + +[Illustration: LE DUEL DE BOUTEVILLE-BEUVRON, SUR LA PLACE ROYALE, EN +1627 + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +[Illustration: L’HÔTEL SULLY, FAÇADE SUR LA COUR] + +racines de ce mal si invétéré dans le royaume, le roi a cru être obligé +en conscience et devant Dieu et devant les hommes, de laisser le cours +libre à la justice en cette occasion». + +Ce terrible exemple refroidit un peu les têtes trop chaudes de la jeune +noblesse. Bouteville habitait l’hôtel de Royaumont, rue du Jour, sous +l’église Saint-Eustache, hôtel bâti pour les abbés de Royaumont et qui +existe encore aujourd’hui, occupé par un magasin de faïences; il en +avait fait une véritable académie de bretteurs, non pas seulement +friands de lame, mais bien possédés de la fringale de l’épée. + +En 1639 une statue de Louis XIII fut érigée par Richelieu au milieu de +la place Royale qui n’était délimitée alors que par un carré de +barrières. La monture royale était, ainsi que le cheval de bronze de +Henri IV au Pont-Neuf, un cheval d’occasion qui avait déjà dû servir +pour une statue de Henri II projetée par Catherine de Médicis sur cette +même place. + +Le cavalier, paraît-il, valait moins comme art que le cheval: on le +trouvait grotesque. Louis XIII était représenté avec le bâton de +commandement en main, une nuit d’audacieux satiristes en action lui +enlevèrent ce bâton. Le cardinal, en dressant cette statue au roi pour +le compte duquel il gouvernait, avait chargé les inscriptions du +piédestal de préciser un peu indiscrètement son rôle. La dédicace le +donnait déjà à entendre: + +«_Pour la glorieuse et immortelle mémoire du très grand, très invincible +Louis le juste XIIIᵉ du nom, roi de France et de Navarre, Armand, +cardinal et duc de Richelieu, son principal ministre dans tous ses +illustres et généreux desseins, etc..._» + +En réponse à cette dédicace, un sonnet de Desmarets faisant parler Louis +XIII, disait sur l’autre face: + + Armand, le grand Armand, l’âme de mes exploits + Porta de toutes parts mes armes et mes lois + Et donna tout l’éclat aux rayons de ma gloire... + +Cheval et cavalier, en 92, furent envoyés à la fonte par la Révolution. +Une autre statue équestre les remplaça sous la Restauration. + +A cette belle place Royale, dont le nom seul fait revivre tant de choses +et qui, restée complète, intacte, nous représente toute cette époque, on +a infligé le nom de place des Vosges; on peut se demander ce que ces +montagnes viennent faire ici, la raison en est qu’en 93 ou 94, pour +récompenser le département des Vosges d’avoir achevé le premier de payer +ses contributions, on inscrivit ce nom sur les plaques à la place du nom +historique. Il est fort louable de payer ses impôts avec exactitude, +mais la débaptisation de la pauvre place n’en est pas moins ridicule. + +Le grand ministre du grand Henri, le duc de Sully, qui survécut trente +années à son roi, ne fit point bâtir l’hôtel de Sully, ce vaste hôtel de +magnifique architecture, qui demeure assez mélancolique dans sa pompe +seigneuriale au fond de sa grande cour toujours silencieuse si près de +la rue bruyante et populaire, à deux pas du remuant faubourg +Saint-Antoine, où se ralluma le feu des révolutions juste deux siècles +après la pacification de la France par le roi et le ministre. Sully +n’est pas le constructeur de cet hôtel et pourtant, comme il est bien +dans le caractère du ministre, avec sa solennité, son ornementation +abondante mais lourde, cet aspect ordonné, solide et massif qui respire +la noblesse et la gravité, avec une certaine dose de morgue; comme cette +façade grise d’une noblesse imposante, mais pesante et morose, évoque +puissamment la grande figure de Sully vieillissant dans l’inaction et +dans l’ennui solennel! + +Et pourtant, ce cadre tout à fait digne de lui, Sully l’aurait acheté, +sinon tout fait du moins fort avancé, d’un sieur Gallet, riche +financier, spéculateur et joueur, qui en avait gagné, disait-on, le +terrain d’un coup de dés heureux. Ce terrain était un morceau des +Tournelles, là-dessus en 1624 le très riche Gallet fit édifier par Jean +Androuet du Cerceau l’hôtel que nous voyons et peu de temps après, en +1627, la construction n’étant pas achevée, Gallet ruiné vendit à un +acquéreur qui recéda au vieux ministre en 1634 l’hôtel non encore +terminé. Il y a encore incertitude sur tout cela. On se représente assez +peu un financier à la fortune peu assise édifiant un pareil hôtel tandis +que Sully semble en être le maître naturel. + +[Illustration: TOURELLE DE L’HÔTEL LAMOIGNON] + +Le style, d’ailleurs, retarde un peu sur l’époque de Louis XIII, comme +l’homme et en 1630 il en est resté à Henri IV. Bossages, riches +encadrements et frontons de fenêtres, lucarnes énormes et robustes +consoles, la façade est très décorée; de grand bas-reliefs, un Hercule +et un Bacchus ornent les trumeaux du premier étage au-dessus de +l’entrée. Cette façade principale au fond de la cour est précédée d’un +fossé sur lequel est jeté un pont que gardent deux espèces de sphinx +Renaissance. Aux bâtiments en retour sur la cour, toujours même +décoration, mêmes robustes lucarnes, et de grands bas-reliefs de nymphes +et de déesses. + +Derrière est un jardin qui va rejoindre la place Royale, l’aspect de ce +côté est aussi bien XVIIᵉ siècle, ce ne sont que grands murs à vieille +décoration, antiques bâtiments par-dessus lesquels se profilent les +grands toits des maisons de la place. De tout l’hôtel, la façade sur la +rue Saint-Antoine seule a été modifiée; entre les deux gros pavillons à +larges frontons arrondis, à fenêtres colossales, le grand portail +d’entrée voûté à caissons, jadis couvert d’une simple terrasse, a été +surmonté d’un bâtiment d’une hauteur égale à celle des pavillons, ce qui +a bouché la cour, supprimé la vue à la façade du fond et donné à cette +cour un air de froide tristesse. + +[Illustration: PAVILLON DE L’HÔTEL LAMOIGNON AVEC LES CROISSANTS DE +DIANE AUX FRONTONS. ÉTAT ACTUEL] + +Sully qui s’était démis de sa surintendance des finances six mois après +la mort d’Henri IV, écœuré par les dilapidations de la régence de Marie +de Médicis, c’est-à-dire du règne de Concini devenu soudainement grand +seigneur et maréchal d’Ancre, demeura grand maître de l’artillerie et +garda une habitation à l’Arsenal. Il partagea sa vie entre ses châteaux, +Villebon et Sully-sur-Loire, l’Arsenal et cet hôtel de la rue +Saint-Antoine; éloigné des affaires, absent du siècle pour ainsi dire, +il vécut dans un fastueux ennui jusqu’à quatre-vingt-deux ans, quittant +ce monde six mois à peine avant Richelieu. + +Presque en face de l’hôtel Sully vécut un autre survivant du XVIᵉ siècle +et des longues guerres, M. de Mayenne, l’ancien adversaire du Béarnais +que le Béarnais essouffla si bien en des années de courses et de +combats. L’hôtel de Mayenne est d’une quinzaine d’années antérieur à +celui de Sully, il fut élevé sur un terrain ayant dépendu de l’hôtel +Saint-Paul. Lorsque Sully vint occuper son logis, Mayenne n’existait +plus et c’est dommage, car c’eût été motif à philosopher que de voir les +deux vieux ennemis encore face à face, se regardant à travers la rue, +tous deux, le vainqueur et le vaincu, pacifiés et bien revenus des +furieuses haines d’antan. Mayenne n’a pas eu de chance, son hôtel a +quitté son nom et pris celui de l’intendant des finances Lefèvre +d’Ormesson. L’hôtel d’Ormesson élève sur l’angle des rues Saint-Antoine +et du Petit-Musc de hautes et sévères murailles, ce fut la pension +Favart, c’est maintenant une grande école libre des Frères. Dans un +angle de la belle cour récemment restaurée et modifiée, au-dessus du +bâtiment d’entrée surélevé comme à l’hôtel Sully, se voit une jolie +tourelle d’angle, encorbellée sur une trompe. + +Rue Pavée, à l’angle de la rue des Francs-Bourgeois, s’élève l’hôtel de +Lamoignon qui jadis s’en allait par ses jardins border la rue de la +Culture-Sainte-Catherine et ne se trouvait guère séparé de la place +Royale que par le couvent de Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers. C’est +encore un logis qui fait surgir de l’histoire des noms fameux du XVIᵉ +siècle. Aux frontons des grands pavillons sur la cour se reconnaissent +les emblèmes de Diane de Poitiers, les cerfs et les chiens, les +croissants de la maîtresse de Henri II. Malgré ces marques ce n’est +pourtant pas elle qui a construit l’hôtel, mais sa fille légitimée Diane +de France. Celle-ci fut une très vertueuse dame fort éloignée de +ressembler à sa mère la belle Diane; elle avait épousé Charles de +Valois, duc d’Angoulême, fils naturel de Charles IX et de Marie Touchet, +son neveu par conséquent, lequel était un très vilain personnage. On +connaît la réponse du duc d’Angoulême aux réclamations de ses valets +auxquels il oubliait de payer leurs gages:--Des gages! C’est à vous à +vous pourvoir, quatre rues aboutissent à l’hôtel d’Angoulême, vous êtes +en beau lieu, profitez-en si vous voulez! + +L’hôtel, bien que serré par les constructions élevées à la place de ses +dépendances, a conservé grande allure avec ses énormes pilastres +corinthiens et ses frontons; à l’encoignure de ce carrefour où les +valets du duc auraient dû prélever leurs gages sur les passants, il +encorbelle encore une large tourelle carrée, d’un bel effet. Le nom de +ce duc d’Angoulême, triste et méprisable sire, n’est pas resté à +l’hôtel, pour lequel on a préféré le nom respectable de Lamoignon. + +Le célèbre premier président au Parlement de Paris, sage magistrat qui +tenta quelques réformes dans le système judiciaire et essaya d’adoucir +un peu la patte de fer de Dame Justice, vint habiter l’hôtel dans le +dernier quart du XVIIᵉ siècle, et ses descendants le gardèrent jusqu’à +la Révolution, jusqu’à Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, non moins +vertueux magistrat, vieillard admirable qui vint courageusement et +simplement, à soixante-dix-sept ans, s’offrir comme défenseur à Louis +XVI, c’est-à-dire apporter de lui-même sa tête à la guillotine. + +Lamoignon de Malesherbes dans sa jeunesse prenait des leçons de danse +sans grand profit. Un jour après six mois de persévérance le maître à +danser, son professeur, vint désespérément trouver son père.--Monsieur +le président, dit-il, je dois à la confiance dont vous avez bien voulu +m’honorer, ainsi qu’à ma conscience de maître dans notre art si +important, de vous déclarer que j’y renonce, monsieur votre fils ne +dansera jamais! et il ne fera jamais rien! j’en suis désolé. Essayez de +l’Église, car rien qu’à la manière dont il porte la tête, je le déclare +incapable de réussir jamais dans la magistrature!... + +La superbe Diane de Poitiers, ensuite Marie Touchet, qui malgré +l’anagramme flatteur: _Je charme tout_, fut de toute façon figure bien +moindre, ne sont pas les seules ombres de maîtresses royales que le +passant épris du passé rencontre en ces parages du Marais et de la Place +Royale. L’ombre de la maîtresse du Béarnais plane aussi sur quelques +points de la région. Elle y vécut avant que la Place Royale fût créée, +elle y eut de nombreuses intrigues, prétend la chronique qui lui prête +volontiers toutes les qualités hormis celle de la fidélité, et si elle +n’y mourut pas, elle y prit le poison cause de sa mort, chez le +financier italien Zamet qui avait son hôtel rue de la Cerisaie. + +Il y a peu d’années existait encore cet hôtel devenu l’hôtel de +Lesdiguières ou des Diguières, comme on disait jadis. Il avait été bâti +par Sébastien Zamet. Cet homme, fils d’un cordonnier de Lucques, était +devenu, en passant par d’assez vilains métiers, grand financier et +«_seigneur suzerain de dix-sept cent mille écus_», pêchés en eaux +troubles pendant les guerres civiles. + +Or en 1599, la charmante Gabrielle, créée duchesse de Beaufort, mère de +deux enfants, les ducs de Beaufort et de Vendôme, se trouvait sur le +point de devenir reine de France; Henri IV était résolu à l’épouser et +faisait prononcer ou plutôt régulariser le divorce depuis si longtemps +effectué avec sa femme de la Saint-Barthélemy, la reine Margot. Le +mariage n’était plus que l’affaire de quelques semaines, la belle +Gabrielle allait devenir reine de France. Au printemps, pour aller faire +ses Pâques à Paris et terminer quelques apprêts en vue du grand +changement prochain, elle quitta le château de Fontainebleau escortée +jusqu’à Melun par le roi et toute la cour. Les adieux furent très +tendres, Henri ne pouvait qu’avec grand’peine se détacher de cette +_racine de son cœur_, comme il appela Gabrielle. Il ne devait plus la +revoir. Le roi, pour logement à Gabrielle, donnait l’hôtel du seigneur +Zamet, rue de la Cerisaie, maison fort bien montée--Henri le savait pour +y avoir fait souvent quelques parties clandestines--logis fort agréable +et dont le maître s’efforça de faire avec quelque grandeur les honneurs +à la future reine. + +Une après-midi, en prenant l’air dans le jardin de Zamet, après un repas +magnifique, elle ne put résister au désir de goûter d’un fruit que lui +offrit le maître du lieu. En quittant l’hôtel ce jour-là, jeudi saint, +Gabrielle alla ouïr un peu de musique sacrée dans la chapelle du petit +Saint-Antoine. Mais il lui prit soudain un malaise tel qu’on dut la +ramener à l’hôtel. + +Chez Zamet l’indisposition empira violemment, le mal était si profond, +les souffrances de la pauvre femme tellement atroces que la belle +Gabrielle en eut tout de suite la face comme ravagée. Elle comprit sans +doute, car lorsqu’elle put parler, dans un instant d’accalmie «_elle +n’eut d’autre parole, sinon qu’on l’ôtât promptement du logis_». On la +porta dans la maison de Mᵐᵉ de Sourdis au cloître +Saint-Germain-l’Auxerrois, où elle n’arriva presque que pour mourir, +terriblement défigurée en quelques heures par le mal mystérieux. + +Ainsi finit la pauvre Gabrielle à la veille de partager le trône du +Béarnais. Cette mort survenue à un tel moment est une des énigmes de +l’histoire. Fut-elle empoisonnée par le Florentin Zamet? Ne le fut-elle +pas? Mystère! En tout cas, dix-huit mois après, Henri épousait Marie de +Médicis, triste union pour lui et pour la France. Et Marie de Médicis, +qui prit la place de la malheureuse Gabrielle, ne craignit pas +d’accepter elle-même nombre de fois l’hospitalité et les collations de +Zamet, devenu l’un de ses confidents intimes. Apparemment il n’y avait +rien à craindre pour elle des poires ou des oranges de son ami. + +Pour en revenir à la maison de Zamet, elle devint, après le financier, +l’hôtel du duc de Lesdiguières, connétable de France, dont elle garda le +nom en passant plus tard aux Villeroy. Du temps des Lesdiguières, une +habitante de l’hôtel mourut qui fut si fort regrettée qu’on l’enterra +dans le jardin sous un monument portant une épitaphe en vers: + + Cy gist une chatte jolie + Sa maîtresse qui n’aima rien + L’aima jusqu’à la folie + Pourquoi le dire? on le voit bien. + +Cette chatte tant aimée appartenait à Marguerite de Gondi, veuve de +François de Créquy, duc de Lesdiguières. Le monument subsista longtemps, +le tzar Pierre le Grand put le voir lors de son voyage en France en +1717. Il logea dans l’hôtel Zamet chez le maréchal de Villeroy, et y +reçut la visite de Louis XV enfant. On sait dans quel étonnement, dans +quel effarement même, le monarque moscovite aux façons pour le moins +excentriques, et sa suite peu raffinée, plongèrent les gens de +Versailles, les anciens courtisans du Grand Roy. Lorsque le petit Louis +XV, amené en grande cérémonie, lui rendit la visite reçue à Versailles, +il l’enleva sans façon dans ses bras et l’embrassa sur les deux joues, +ce qui parut une chose absolument inouïe. + +Les maisons auxquelles reste attaché le nom de Gabrielle d’Estrées sont +assez nombreuses à Paris. Elle habita ou fréquenta de nombreux logis, +son père le maréchal François d’Estrées et sa mère, massacrée plus tard +à la prise d’Issoire par les protestants, possédaient rue Barbette, sur +les terrains de l’ancien séjour Barbette, un vaste hôtel dont les +jardins donnaient rue des Trois-Pavillons, maintenant Elzévir, hôtel qui +fut plus tard au président de Corberon, et devint sous l’empire la +maison mère des filles de la Légion d’honneur. Tout près de cet hôtel, +par-dessus la rue Barbette, un autre grand logis de la rue des +Francs-Bourgeois fut habité par la belle Gabrielle et, suivant la +tradition, vit souvent le roi Henri franchir son seuil. De ces deux +figures de la Reine de Beauté et du Vert Galant, que la maison, restée +presque intacte jusqu’en ces dernières années, et son vieux jardin +purent voir jadis, on peut rapprocher un autre locataire, Barras, vert +galant aussi, le presque roi du Directoire, bientôt jeté bas par le +général Bonaparte. + +[Illustration: MAISONS RUE GALANDE, 1895] + +La tradition fait passer aussi Gabrielle d’Estrées mais sans nulles +preuves, rue des Gravilliers, 69, rue du Four-Saint-Germain dans une +maison qui porta ensuite l’enseigne de la chaste Suzanne; elle lui donne +aussi une maison rue Galande, façade de belle apparence, logis +respectable jadis, tombé aujourd’hui au dernier rang des bouges. Pauvre +rue Galande, dont les morceaux encore respectés par les nouvelles voies +alignent encore quelques très beaux pignons, qui se douterait +aujourd’hui à voir ses assommoirs sinistres, ses louches repaires, +qu’elle fut jadis rue écolière très docte, rue de robe, où les régents +de collège voisinaient avec les magistrats, les conseillers au +Parlement. Des Lamoignon y demeurèrent avant d’aller s’installer à +l’ancien hôtel d’Angoulême. Triste décadence. + +[Illustration: ENTRÉE DE L’HÔTEL DE CÉSAR DE VENDÔME, RUE DE MOUSSY, +DÉMOLI EN 1893] + +Pour en revenir à Gabrielle d’Estrées, la chronique parisienne la +gratifie encore de quelques logis, entre autres d’une maison rue +Brantôme, jadis propriété des nonnes de Montmartre, dont une abbesse qui +gouverna fort longtemps l’abbaye était sa cousine Marie de Beauvilliers, +simple nonnain au temps du siège de Paris par Henri IV, et qui précéda +Gabrielle dans le cœur du Vert Galant. Le dernier logis de la belle fut +cette maison du cloître Saint-Germain-l’Auxerrois habitée par Mᵐᵉ de +Sourdis, sa tante, où elle se fit transporter dans sa cruelle agonie. + +Un peu en dehors du quartier du Marais, près de la Grève et du Monceau +Saint-Gervais, César duc de Vendôme, fils de Henri IV et de Gabrielle +d’Estrées, eut sa résidence dans un hôtel du XVIᵉ siècle qui allait de +la rue Bourthibourg à la ruelle de Moussy, sur laquelle ouvrait la +grande porte. Vieux quartier et bien vieux murs tombant aujourd’hui un à +un. Quand le démolisseur fait sa trouée dans toutes ces ruelles serrées, +l’éventrement des vieilles façades, enlaidies par les replâtrages ou la +décrépitude, laisse apparaître souvent de vieux ornements salis, de +fines sculptures ou des traces d’or aux vieilles poutres, des escaliers +à rampes de fer forgé ou bien à gros balustres de bois, des armoiries +parfois, donnant de nobles origines à ces logis tombés en roture +d’abord, puis en misère. Nous avons vu disparaître l’hôtel de Vendôme, +et récemment en 1893 on a démoli la belle entrée qui avait survécu un +peu à l’hôtel, une large porte où restaient des sculptures et une énorme +serrure, entrée surmontée d’une galerie encorbellée sur de belles +consoles. + +Dans notre quartier de la Place Royale, un hôtel fameux tire son +illustration principale d’une femme dont il ne porte pas le nom +d’ailleurs; c’est l’hôtel Carnavalet, tout rempli du souvenir de la +femme à la plume d’or, de la marquise de Sévigné, née place Royale près +du Pavillon du roi. Sur des terrains maraîchers du prieuré de +Sainte-Catherine du Val-des-Ecoliers, fondé après la bataille de +Bouvines par les sergents d’armes du roi «_qui pour lors gardaient le +pont de Bouvines_», le président au Parlement, Jacques des Ligneris +construisit vers 1550 une superbe demeure, œuvre de Pierre Lescot et +Jean Bullant décorée par Jean Goujon, demeure que la mort lui fit +quitter à peine achevée. La maison fut alors acquise par la marquise +veuve de Kernevenoy qui lui imposa son nom breton francisé en +Carnavalet. Le marquis de Kernevenoy avait été en son vivant premier +écuyer de Henri II, gouverneur du futur Henri III, un vaillant soldat de +Montcontour, dit M. Jules Cousin en son étude sur l’hôtel. Mᵐᵉ de +Carnavalet qui vécut fort longtemps en ce logis a, pour armes parlantes, +laissé un masque de carnaval au-dessus de l’ancien écu aux armes +disparues des Ligneris, dans le tympan de la porte d’entrée. + +Au milieu du XVIIᵉ siècle, la finance s’installa dans l’hôtel avec +l’intendant Claude Boislève, un des subordonnés de Fouquet. La finance +ne pouvait se contenter de l’hôtel bâti par M. des Ligneris, il lui +fallait un somptueux logis à la nouvelle mode. Ce fut le château de Vaux +de l’ami de Fouquet; il fit agrandir, surélever ou reconstruire +l’édifice ancien par François Mansard, changea toutes les dispositions +de ce qu’il conservait, et fit ajouter aux grandes figures sculptées par +Jean Goujon une nouvelle série de bas-reliefs. + +Les travaux achevés, les fastueux appartements préparés, survinrent +l’arrestation et la ruine de Fouquet entraînant l’effondrement de +Boislève. Le financier jeté en prison aussi, l’hôtel fut confisqué et +vendu au nom du roi. Un conseiller au Parlement l’acheta et en 1677 il +eut la gloire d’avoir pour locataire notre illustre marquise, heureuse +de s’installer au centre du beau quartier, dans les splendeurs préparées +par le financier avec les bénéfices de la maltote. «Enfin nous avons +notre chère Carnavalette, écrit-elle après des négociations laborieuses, +le bel air, une belle cour, un beau jardin, un beau quartier!» + +Toute la famille tient à l’aise en ce vaste logis, la marquise, son +fils, les Grignan quand ils ne sont pas en Provence, son oncle, l’abbé +de Coulanges, «_le bien bon_,» etc... Et pendant une vingtaine d’années +Mᵐᵉ de Sévigné habite sa Carnavalette qu’elle ne quitte que certains +étés pour les Rochers, son château de Bretagne sous Vitré, ou pour aller +voir sa fille à Grignan. + +Marie de Rabutin-Chantal avait épousé en 1644, à dix-huit ans, le +marquis de Sévigné, fort mauvais sujet qui la délaissa pour Ninon de +Lenclos et alla peu après pour les beaux yeux de quelque autre se faire +tuer en duel. Restée veuve de bonne heure et très jolie veuve, Mᵐᵉ de +Sévigné se consacra tout entière à ses deux enfants, un fils ressemblant +quelque peu à son père, une fille qui épousa M. de Grignan, gouverneur +de Provence. La séparation de la mère et de la fille nous a valu la plus +grande partie de cette correspondance merveilleuse, chronique vivante, +spirituelle et légère de Paris et de Versailles, miroir fidèle de la +société au temps du grand roi et qui nous rend _au naturel_ tant et tant +d’illustres ou de gros personnages. De toutes ces lettres exquises, une +grande partie a été écrite ici, dans ces salons où se trouve aujourd’hui +la bibliothèque du musée. + +Donc, en son logis de Carnavalet, la marquise, dit M. Cousin, «régna +vingt ans sur cette société polie dont ses lettres sont l’éblouissante +chronique, au milieu d’une petite cour de familiers ayant nom Retz, la +Rochefoucauld, Arnault, Pomponne, Séguier, Turenne, Condé, Bossuet, +Bourdaloue et tant d’autres». + +De tels noms suffiraient à donner de la majesté à ce Carnavalet superbe, +legs des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, s’il n’avait pas gardé ou repris toute +sa splendeur, son imposante mine d’autrefois. + +La marquise quitta sa Carnavalette en 1696 pour aller soigner sa fille à +Grignan et elle ne revint plus. Après elle, l’hôtel eut des conseillers +à la cour, des financiers pour locataires ou propriétaires; pendant près +d’un siècle la finance y succéda à la robe et la robe à la finance. On y +vit sous la Terreur les bureaux de l’enregistrement; tout était mort +alors, sauf le fisc qui ne mourra jamais et qui alors était devenu, par +les séquestres et confiscations, le plus gros propriétaire de France. +Sous l’Empire, autre administration: la direction de l’imprimerie et de +la librairie, autrement dit la Censure. L’école des Ponts et Chaussées +lui succéda en 1815, les mânes de la pauvre Mᵐᵉ de Sévigné ont dû +souffrir alors, pour tant de géométrie et de mathématiques dans sa +maison. Ce fut ensuite une grande pension, l’institution Verdot jusqu’à +l’achat par la ville de Paris en 1866. + +L’hôtel Carnavalet, sauvé par cet achat de la triste décadence qui +attend tous + +[Illustration: Mᵐᵉ DE SÉVIGNÉ A L’HÔTEL CARNAVALET] + +ces vieux hôtels des quartiers aristocratiques abandonnés par +l’aristocratie, est devenu le musée Parisien par excellence, le musée +des souvenirs spéciaux à Paris. Il n’y a pas perdu, il y a gagné au +contraire, indépendamment des richesses _mobilières_ du musée, puisque +aux richesses architecturales de l’_immeuble_, d’autres richesses sont +venues s’ajouter. + +La belle cour de l’hôtel refait par Boislève a été restaurée +dernièrement, c’est là qu’on admire les véritablement merveilleux +bas-reliefs des Saisons, sculptés pour M. des Ligneris par Jean Goujon, +particulièrement la plantureuse Cérès symbolisant l’Été, corps superbe +si élégamment drapé, et le robuste Automne. Ces chefs-d’œuvre décorent +la façade du fond de la cour; en face, au revers du pavillon d’entrée, +Jean Goujon sculpta également à la clef de voûte de la porte cochère une +élégante Renommée, et sur les côtés de l’arc deux Victoires couchées +tenant des palmes. + +Les ailes en retour, œuvre de Mansard ont également de grandes figures +entre les fenêtres du premier étage, mais elles sont bien inférieures, +ce sont les quatre Éléments d’un sculpteur inconnu, et les quatre +déesses fort lourdes de Gérard Van Ostal. + +Les appartements de l’hôtel Carnavalet avaient souffert des +transformations et adaptations diverses et des changements de goût, +depuis Mᵐᵉ de Sévigné à qui l’on peut reprocher d’avoir, à l’instigation +de sa fille, fait enlever des «_antiquailles_» de cheminées du XVIᵉ +siècle. Dans la grande restauration entreprise par la ville on a +restitué le grand corps de logis de la Renaissance, les hautes fenêtres +et les combles élevés, à la place du comble à la Mansard et l’on a rendu +à l’intérieur quelques-unes des anciennes dispositions, en y ajoutant +quelques cheminées et de belles décorations d’appartements sauvées +ailleurs des démolitions parisiennes. + +[Illustration: MAISON DE LA RENAISSANCE, RUE SAINT-PAUL DÉMOLIE VERS +1840] + +Tout cela est plein maintenant et déborde. Vieux souvenirs parisiens, +précieux vestiges d’autrefois, estampes et tableaux, reliques de nos +ancêtres, curiosités de toutes sortes et de toutes les époques mais +plus particulièrement de la Révolution, objets divers parlant si +éloquemment des temps tragiques, toutes les pièces du musée sont dignes +de l’écrin et le moment va venir où il faudra l’agrandir. + +Derrière le grand corps de logis est l’ancien jardin de l’hôtel. Les +galeries qui l’entourent abritent des fragments de sculptures et relient +de beaux débris d’édifices parisiens atteints par les démolitions, +rapportés et reconstitués ici autour de cette charmante cour fleurie, au +parterre de broderies dessiné dans le style des jardins d’autrefois. + +L’un de ces débris d’édifice est la façade de l’ancien bureau des +drapiers autrefois rue des Déchargeurs, construit sous Louis XIII, +arrivé jusqu’à nous très abîmé, mais restitué aussi fidèlement que +possible, avec son grand écusson représentant le vaisseau de Paris en +gros navire de commerce toutes voiles dehors, sous un fronton supporté +par de puissantes cariatides. + +En face, le joli pavillon Renaissance ouvert par une large arcade sur la +rue des Francs-Bourgeois, c’est le vieil arc de Nazareth, très élégant +débris de l’ancien palais de justice rapporté de la vieille impasse de +Nazareth, autrefois de Galilée, qui s’appelait ainsi, de même que la rue +de Jérusalem, en souvenir des pèlerins de Terre Sainte ici logés dans +des bâtiments spéciaux du palais de saint Louis. + +L’arc avait été élevé sous Henri II pour relier des bâtiments de +l’ancienne et admirable chambre des comptes de Louis XII. Une magnifique +grille, du temps d’Henri II aussi, complète cette superbe porte du musée +parisien où tant de curieuses choses sont à signaler. + +Aux beaux jours du quartier du Marais, si la place Royale eut ses +raffinés d’honneur, bravant les édits et la rigueur du terrible +cardinal, elle eut aussi ses Précieux et ses Précieuses, belles dames, +gens de qualité ou gens de lettres, se rencontrant sur la place aux +promenades de l’après-midi, se retrouvant ensuite dans les salons ou +dans les ruelles des hôtels du quartier. Tout le grand siècle se promena +sous ces arcades et leur resta fidèle tant que le roi Louis XIV n’eut +pas inventé Versailles,--tout le noble et élégant XVIIᵉ siècle, depuis +les vieux amis d’Henri IV, les grands seigneurs du commencement, qui se +souvenaient encore des rudes temps de la Ligue, et leurs fils les +brillants cavaliers, de qui le grand cardinal régnant avait tant de +peine à retenir les épées trop fringantes. Les duchesses et les princes +de la Fronde y viennent lancer mille pointes contre le Mazarin, +successeur de Richelieu et de Louis XIII; les poètes qui vont faire de +leur époque un grand siècle littéraire, y rencontrent beaux esprits et +précieuses qui vont raffiner et subtiliser sur tous les sentiments et +s’efforcer d’écheniller la langue de toutes les vulgarités, ou du moins +de tout ce que dans les ruelles on trouvait plat et commun. + +C’est un besoin de régularité et d’ordonnance qui semble général et +s’impose à tout; on élague le langage comme on élague aussi et comme on +régularise dans la vie nationale et dans le cadre où la vie s’agite, +dans l’architecture touffue des âges précédents; car tout se tient dans +ce monde, les manières de penser comme les manières de se vêtir; les +idées influent sur le costume, l’architecture, le mobilier, le +gouvernement, la littérature, les perruques et tout le reste, il est +aisé de s’en apercevoir. + +[Illustration: GRANDE PORTE RUE DES FRANCS-BOURGEOIS, 1895] + +La _Ruelle_ qui joue un si grand rôle dans l’histoire littéraire du +XVIIᵉ siècle, c’est l’alcôve de la _chambre de parade_, séparée de cette +chambre par un _balustre_, comme on disait, une balustrade reliant +parfois des colonnes somptueuses, riche encadrement laissant voir la +maîtresse du lieu couchée dans le grand lit à colonnes, courtines et +panaches, au milieu d’un cercle de dames, de seigneurs et de beaux +esprits lancés dans une causerie animée, dans des dissertations +littéraires, ou écoutant les poètes dire les petits vers, l’épigramme ou +le sonnet du jour. + +La plus fameuse de ces réunions de Précieuses, celle de l’hôtel de +Rambouillet n’était point voisine du centre brillant de la place Royale. +L’hôtel de Rambouillet était situé rue Saint-Thomas-du-Louvre, près de +l’hôtel de Longueville, autre logis de Précieuses. C’est là que trôna +d’abord Catherine de Vivonne, première marquise de Rambouillet, puis sa +fille Julie d’Angennes, plus tard duchesse de Montausier. Chaque jour à +deux heures, Mˡˡᵉ de Rambouillet ouvrait sa _Chambre bleue_ au milieu de +laquelle, sur une estrade, se trouvait un grand lit entouré d’une +balustrade; elle s’étendait sur ce lit pour recevoir visiteurs et +visiteuses, grands seigneurs, nobles dames, poètes, beaux esprits, et +alors commençaient les discussions quotidiennes sur toutes les +questions, sur tous les raffinements possibles de la galanterie ou de la +littérature, pour démêler de tout le _grand fin_ et le _fin du fin_. + +Il passa ici, en ce cercle de beaux esprits, les plus pimpantes, les +plus fines et les plus précieuses beautés de cette première et plus +belle partie du grand siècle, les plus hauts seigneurs de France et les +poètes les plus spirituels et les plus grands, Mᵐᵉ de Longueville, +l’héroïne de la Fronde, la duchesse de Chevreuse, l’amie d’Anne +d’Autriche, la marquise de Sablé, la duchesse de Lesdiguières, la jeune +marquise de Sévigné, le cardinal de Retz, Condé, le prince de Conti, le +chevalier de Grammont, M. de Montausier qui fut l’Alceste du +_Misanthrope_, Bossuet en son adolescence, prêchant déjà, ce qui faisait +dire à Voiture un soir que le futur évêque avait parlé longtemps: Je +n’ai jamais entendu prêcher ni si tôt ni si tard!... + +Et les gens de lettres, toutes les étoiles littéraires du temps, celles +qui étincellent toujours, et les autres, lumignons éteints, Corneille, +Chapelain, Balzac l’emphatique et le dédaigneux, Conrart qui parlait +quelquefois, Colletet, Chapelain l’épique époumonné, Scudéry le +matamore, Voiture et Benserade, les auteurs des fameux sonnets +d’_Uranie_: + + Il faut finir mes jours dans l’amour d’Uranie + L’absence ni le temps ne m’en sauraient guérir... + +et de Job, + + Job de mille tourments atteint... + +qui eurent tant de succès dans les ruelles littéraires et partagèrent +tous les alcôvistes en Uranistes et Jobelins, ce qui valut un troisième +sonnet de Corneille: + + Deux sonnets se partagent la ville, + Deux sonnets se partagent la cour + Et semblent vouloir à leur tour + Rallumer la guerre civile... + +Tous les poètes de l’hôtel de Rambouillet,--et tout ce qui rimait ou +rimaillait dans Paris aspirait à faire partie du Parnasse de la belle +Julie d’Angennes,--se + +[Illustration: LES BOULEVARDS DE PARIS SOUS LE PREMIER EMPIRE + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +réunirent pour composer la fameuse Guirlande de Julie, recueil de +superbes miniatures et de madrigaux dont le manuscrit admirablement +exécuté, offert par le duc de Montausier, valut enfin à celui-ci la main +de l’idole après laquelle il soupirait depuis tant d’années. + +[Illustration: PORTE DE L’HÔTEL DE CHALONS-LUXEMBOURG, RUE +GEOFFROY-L’ASNIER] + +Ces précieuses habituées de la célèbre ruelle de Rambouillet et les +autres alcovistes se retrouvaient aux ruelles littéraires de notre +quartier du Marais, lesquelles bien qu’éclipsées par la triomphante +réunion rivale n’en ont pas moins brillé aussi et réuni les mêmes +personnages de qualité, les mêmes poètes ou beaux esprits. + +La marquise de Sablé et la comtesse de Maure, ces deux inséparables +précieuses demeurant porte à porte sous les arcades, passaient leur vie +ensemble, excepté lorsque le moindre «_mauvais air_» courait dans Paris, +la plus petite grippe, car elles étaient horriblement peureuses, et +elles se calfeutraient alors dans leurs appartements, s’écrivant l’une à +l’autre billet sur billet, faute de pouvoir causer. + +Mᵐᵉ Cornuel leur amie était du quartier aussi, c’est la dame aux +piquants bons mots, esprit des plus vifs et qui trouvait des mots même +dans les situations les plus _refroidissantes_, comme un certain soir +lorsque, dans quelque carrefour voisin, en sortant de quelque réunion de +beaux esprits, elle fut arrêtée et dévalisée par d’audacieux voleurs qui +cherchèrent des bijoux jusqu’en son corsage. + +Madeleine de Scudéry à l’encrier inépuisable, fournissant +infatigablement à l’admiration de ses lecteurs d’interminables romans +héroïco-précieux en 8000 pages, demeurait rue de Beauce. Elle avait des +samedis très fréquentés où les précieuses luttèrent jusqu’à la fin et +opposèrent une belle résistance aux épigrammes des poètes et beaux +esprits de la période suivante. Mˡˡᵉ de Scudéry ne se rendit jamais et +resta précieuse Louis XIII jusqu’à la fin, jusqu’à sa mort à un âge +aussi avancé que son amie Ninon, au commencement du XVIIIᵉ siècle. + +La place Royale si elle avait de nobles dames, grandes par le nom, par +l’esprit et la beauté, pouvait aussi voir passer sous ses arcades +d’autres femmes non moins admirées et non moins entourées, mais qui +n’avaient pour toute principauté que leur charme et leur beauté. Les +hommages de tous n’en étaient que plus sincères. + +Dans un des hôtels de la place demeurait Marion Delorme, superbe et +prodigue, pour qui soupirèrent des princes, le froid Louis XIII lui-même +et aussi, dit-on, le terrible cardinal «_l’homme rouge qui passe_»! On +dit qu’elle ne lui fut pas cruelle et ne le laissa pas soupirer trop +longtemps sous son balcon. Marion était bonne catholique et l’on sait +par des mémoires du temps,--calomniateurs ou médisants, qui peut savoir +au juste,--comment elle convertit deux jeunes gentilshommes protestants, +le comte de Chavagnac et le chevalier de Chatillon. Elle avait mis cette +conversion pour prix à ses faveurs et conduisit à confesse, avant tout +paiement, les deux cavaliers touchés par la grâce. Comme Ninon de +Lenclos, cette femme à la mode avait de la naissance et malgré sa vie +libre, la bonne compagnie fréquentait sa maison, dont les galants +soldaient les frais et dont elle faisait les honneurs avec une grâce +spirituelle et charmante. Quand elle mourut à trente-sept ans, dans tout +l’éclat de sa beauté, elle fut exposée vingt-quatre heures sur un lit de +parade dans son logis de la Place-Royale et tout Paris vint la voir. + +Ninon de Lenclos habitait rue des Tournelles, dans ce quartier aussi; +cette épicurienne fantaisiste était de bonne maison et se fit pardonner +toutes ses fantaisies à force d’esprit. La haute société ne lui tenait +aucunement rigueur; la charmeuse destinée à rester belle, et charmeuse, +et spirituelle presque tout un siècle et à porter la tradition des +précieuses du temps de Louis XIII presque jusqu’à la Régence, avait une +ruelle où se rencontraient bien des gens d’esprit et des précieuses de +qualité. Mᵐᵉ de Sévigné y fut souvent; Mᵐᵉ de Maintenon y vint aussi +quand elle n’était que la femme du poète Scarron, _le malade_ en titre +de la reine. Ninon était oublieuse et légère, heureusement pour elle, +sans quoi, dans son cœur que de grands noms du grand siècle, que +d’importants seigneurs! + +Son dernier logis rue des Tournelles, où elle était locataire de +Hardouin Mansart, existe encore; c’est celui qui la vit prendre de l’âge +sans vieillir et mourir bien près de la centaine. Par malheur a disparu +l’autre logis, celui qui pourrait dire que de serments elle a faits qui +valurent juste autant que le bon billet de La Châtre. + +Mᵐᵉ de Maintenon est aussi une des figures célèbres de la Place Royale, +que parmi tant d’autres il ne faut point oublier. C’était au temps de +son obscurité quand elle accompagnait la chaise à porteurs dans laquelle +on amenait son mari gémissant, souffrant et riant, pour prendre un peu +de soleil sur la place. + +Le pauvre Scarron, tordu et perclus à vingt-cinq ans, après on ne sait +trop quel accident, mais perclus à ne pouvoir remuer que les doigts, ce +«_poète circonflexe, raccourci de la misère humaine_», comme il +s’intitulait, vécut d’abord avec ses sœurs rue des Douze-Portes, pourvu +d’une petite pension de 500 écus qu’il justifiait burlesquement par sa +charge de _Malade de la reine_,--de toutes les charges du royaume, la +plus consciencieusement occupée, hélas! Enfoncé dans ce fauteuil qui +resta sa coquille pour la vie, il s’efforçait de prendre son mal en +gaieté, entassait incessamment avec une verve inattaquable à la maladie, +les rimes les plus folles, écrivait le _Roman comique_ et se raillait de +tout, spirituellement, avec ses amis les poètes qui venaient rire et +causer en sa chambre de malade. + +Au temps de la Fronde il fit comme les autres, chansonna Mazarin et se +vit retirer cette charge qu’il remplissait si bien. Privé de sa pension, +il se consola encore, écrivit et rima davantage, s’efforçant de rire +plus haut. En 1652, cet homme ruiné de toutes façons épousa par bonté +d’âme la petite Françoise d’Aubigné, alors âgée de dix-sept ans, et qui +ne se voyait point d’autre asile que le couvent. Les nouveaux mariés +allèrent habiter rue de la Tixeranderie près de l’Hôtel de Ville. Ce +triste mariage fut pourtant le point de départ de la fortune de Mˡˡᵉ +d’Aubigné. C’est par son mari le pauvre poète, ami de la fine fleur des +beaux esprits, protégé par quelques grands seigneurs, que Françoise +d’Aubigné entra en relations avec les grandes familles de la +Place-Royale et mit le pied très modestement dans ce monde brillant, qui +ne se doutait guère alors de la haute fortune à elle promise par le +destin. + +Tous les mémoires ou récits du temps sont d’accord pour dire que la +belle Mᵐᵉ Scarron se tint dignement, très simple et très réservée, en +cette maison du poète burlesque, maison irrégulière où les revenus +étaient bien incertains, où le rôti absent se remplaçait parfois par une +histoire, mais où assez souvent aussi de nobles convives et de joyeux +lettrés s’invitaient sans façon à manger les poulardes et les venaisons +apportées par chacun ou envoyées par des amis, maison gaie en somme, +malgré les tracas d’argent, et que plus tard, sous le terrible fardeau +de ses grandeurs, Mᵐᵉ de Maintenon avoua quelquefois regretter en +cachette. + +Mᵐᵉ Scarron fréquentait alors beaucoup, entre autres nobles maisons du +quartier, l’hôtel de Richelieu sur la place, l’hôtel Lesdiguières, +l’hôtel d’Albret, un des beaux hôtels encore de la rue des +Francs-Bourgeois au numéro 5, en face Carnavalet; elle était assidue +chez Mᵐᵉ de Sévigné qui n’habitait pas encore Carnavalet. Combien de +fois la marquise écrit-elle à sa fille «Mᵐᵉ Scarron vint dîner hier» ou +«Mᵐᵉ Scarron que je vis l’autre jour disait...» On la voit mêlée à +l’existence de toute cette haute société, et même plus tard emmenée par +Mᵐᵉ de Montespan au château de Saint-Germain où est la cour. + +Quand l’excellent Scarron, à moitié mort depuis si longtemps, acheva de +mourir, quittant sa chaise, sa vie de souffrances si bravement +supportées, ses bons amis affligés, il laissa Mᵐᵉ Scarron fort +dépourvue. Il avait rimé depuis longtemps sa touchante épitaphe: + + Celui qui cy maintenant dort + Fit plus de pitié que d’envie + Et souffrit mille fois la mort + Avant de perdre la vie. + + Passant ne fais icy de bruit, + Garde bien que tu ne l’éveilles + Car voicy la première nuit + Que le pauvre Scarron sommeille. + +La veuve dans son dénuement dut se retirer chez les Hospitalières de la +Charité de l’impasse du Foin, maintenant de Béarn et elle eut à se +chercher des protecteurs parmi ses belles relations. La protection +n’avait plus couleur littéraire, Scarron n’étant plus là pour payer en +esprit; sa femme n’était plus qu’une veuve distinguée, mais très pauvre, +qui dut se résoudre à bien des amertumes et même à des humiliations. +Enfin elle hérita de la pension que l’on avait rendue à Scarron, et s’en +alla habiter, croit-on, rue du Perche, une maison qui existe encore. + +Elle eut dix ans d’obscurité et de petite vie bourgeoise aux prises avec +la gêne, lorsque tout à coup, en 1670, se produisit ce foudroyant coup +de fortune qui la jeta dans l’histoire et presque sur le trône de +France. + +Chez la maréchale d’Albret, Mᵐᵉ de Montespan, maîtresse du roi, avait +jadis remarqué cette jeune femme modeste et spirituelle, au maintien +très digne, et qui, traitée en protégée, rendait de petits services dans +la maison. La favorite du roi avait déjà fait rétablir la petite pension +encore une fois supprimée à la mort d’Anne d’Autriche. Elle pensa un +jour à cette veuve instruite, intelligente et de bonnes mœurs, pour en +faire la gouvernante des enfants qu’elle avait de Louis XIV, ce qui fit +mener à Mᵐᵉ Scarron une vie mystérieuse et fatigante, l’obligeant à +courir en cachette à Vaugirard dans une petite maison qu’on lui avait +donnée, où étaient les nourrices et les enfants, pour revenir au petit +jour, rentrer chez elle par une porte de derrière, se rhabiller et +monter en carrosse pour aller faire visite à l’hôtel d’Albret, à l’hôtel +de Richelieu. + +Le secret ne put être si bien gardé cependant que ses amis de la Place +Royale et la cour ne fussent à la fin au courant. L’ascension fut longue +et dura dix années. Admise à la cour, vivant dans la confidence des +amours du roi et de l’altière et querelleuse Montespan, qui même pour le +grand roi, était une maîtresse difficile, Mᵐᵉ de Maintenon, car elle ne +s’appelait plus Mᵐᵉ Scarron, ayant été gratifiée de la terre et du beau +château de Maintenon, plus tard érigé en marquisat, la marquise de +Maintenon n’était occupée qu’à recevoir les plaintes de l’un et de +l’autre, et devenait par fonctions la confidente des brouilles et +l’intermédiaire des réconciliations. + +[Illustration: BALCON DE L’HÔTEL DE BRAQUE, RUE DE BRAQUE NUMÉRO 4] + +Il est permis de croire qu’elle travailla un peu à ces brouilles. Enfin +le moment arriva en 1680 où la veuve du pauvre Scarron, triomphante, de +confidente devint autre chose, devint _madame de Maintenant_, comme +disait Mᵐᵉ de Sévigné, et supplanta dans le cœur de Louis, Montespan et +Fontanges, si bien et si complètement qu’à la mort de la reine, par une +nuit de janvier 1685, la chapelle de Versailles vit célébrer par +l’archevêque de Paris mandé secrètement, le mariage de la veuve du poète +burlesque avec Sa toute-puissante Majesté le roi Soleil. + +La maison de Scarron le burlesque, rue des Douze-Portes, fut plus tard +celle de Crébillon le tragique. Il y a ainsi en ce siècle des rencontres +curieuses; par exemple Regnard venant au monde dans la maison natale de +Molière, du moins dans une des deux qui revendiquent ce titre, dans +celle de la rue de la Tonnellerie aux Halles, et peut-être, si c’est la +bonne, dans la même chambre, et Boileau le satiriste, naissant quai des +Orfèvres, dans l’ancienne chambre du chanoine Gillot, où se réunissaient +aux mauvais jours de la Ligue les auteurs de la Satire Ménippée, +quarante-cinq ans auparavant. + +Des vieux hôtels de ce temps, aux alentours de notre centre élégant, les +survivants, plus ou moins atteints par la vieillesse et la décadence, ne +manquent pas. Ne parlons pas des simples maisons, celles-ci sont en +nombre considérable, mais plus touchées et plus déguisées à force de +replâtrages; dans la partie de la rue Saint-Antoine qu’on a débaptisée +pour lui donner le nom de l’échevin François Myron au nº 68, se voit le +très remarquable hôtel de Beauvais, dont la façade a beaucoup perdu à +des changements effectués au siècle dernier, mais qui garde sur la cour +une réelle splendeur. + +Mᵐᵉ de Beauvais, qui l’a fait construire par Antoine Lepautre vers 1654, +sur le terrain d’anciennes maisons de l’abbaye de Chalis achetées au +surintendant Fouquet et à d’autres propriétaires, était Henriette +Bellier femme de chambre d’Anne d’Autriche, complaisante confidente +prêtant les mains à toutes les intrigues, connaissant tous les secrets +petits ou grands de la reine et sachant admirablement en tirer parti. + +Encore un exemple de haute fortune qui peut être rapprochée de celle de +Mᵐᵉ de Maintenon. Entre ces deux noms tient toute la vie galante du roi +Soleil, quelque peu sultan à Versailles. + +Si Mᵐᵉ Scarron fut la dernière passion de Louis XIV, la femme de chambre +d’Anne d’Autriche, disent les cancans de la cour, doit être mise en tête +de la liste pour Louis adolescent. Et alors Henriette Bellier est +toute-puissante, ses coffres se remplissent, la reine, Mazarin, Fouquet +sont là pour cela. Echange de bons offices. On pourvoit son mari d’une +charge conférant noblesse, et elle se fait bâtir un magnifique hôtel, +aidée de toutes façons par la reine qui va jusqu’à donner pour les +bâtisses de sa confidente des pierres destinées aux travaux du Louvre. + +Le 26 avril 1660, après la paix des Pyrénées, après le mariage royal +consacrant la réconciliation de la France et de l’Espagne, eut lieu +l’entrée solennelle en leur bonne ville de Louis XIV et de l’infante +Marie-Thérèse d’Espagne. On sait quelle fut la pompe déployée et combien +d’arcs de triomphe colossaux, de groupes allégoriques et de +réjouissances diverses marquèrent, depuis la place du Trône jusqu’au +Louvre, le passage du splendide et interminable cortège. + +C’était une immense cavalcade. Après le corps de ville, les prévôts, les +échevins, les conseillers, les archers, l’université, des députations du +clergé et des couvents, les juges et les huissiers du Châtelet à +cheval, la cour des aides, la chambre des comptes, à cheval aussi en +robes et bonnets carrés, et le Parlement de même, venaient le train de +Son Eminence le cardinal Mazarin composé de ses officiers et d’une suite +de 72 mulets caparaçonnés et empanachés, conduits par des pages +escortant les carrosses de ladite Eminence, les écuries du roi, la +maison du roi, tous les gentilshommes officiers de la chambre, les +mousquetaires et chevau-légers, la chancellerie avec une haquenée +blanche portant le sceau royal, flanquée de conseillers en robe la +tenant par la bride, la prévôté de l’hôtel, les Cent Suisses, puis Louis +XIV à cheval suivi de la garde écossaise et d’un brillant escadron de +princes, enfin dans un char découvert étincelant de dorures, traîné par +huit chevaux, la reine non moins étincelante, couverte de tous les +joyaux de la couronne. + +[Illustration: HÔTEL MONTHOLON, 79, RUE DU TEMPLE] + +Entre les arcs de triomphe toutes les rues étaient décorées, +enguirlandées de verdure, jonchées d’herbes et de fleurs; de riches +tapisseries flottaient aux fenêtres, les hôtels et les maisons des +bourgeois se paraient de longues bandes de satin. Pour voir tout cela, +pour voir défiler le cortège, la reine mère s’en vint chez Mᵐᵉ de +Beauvais et prit place sur le balcon au-dessus de la grande porte avec +Henriette d’Angleterre, avec Mazarin, Turenne et d’autres grands +personnages. Et le cortège en passant fit halte devant l’hôtel pour +laisser échanger les compliments entre le roi et sa mère... Ce glorieux +balcon n’est plus, ou du moins il a été modifié quand la façade a été +abîmée par le financier Orry entre les mains brutales de qui la +propriété passa en 1704. + +L’hôtel de Beauvais bâti sur le plan le plus irrégulier, tout en +zigzags, sur la commerçante rue Saint-Antoine d’alors, l’hôtel +seigneurial avait des boutiques au rez-de-chaussée; il les a encore. +Entre ces boutiques s’ouvre un long passage aboutissant à un porche en +rotonde soutenu par huit hautes colonnes, devant lequel se développe une +belle cour à demi circulaire dans le fond pour le rez-de-chaussée +seulement, en écuries et remises; une terrasse sur ces écuries se +continue en balcon porté sur de fortes consoles autour de la cour, +au-dessus de laquelle terrasse la chapelle encadrée de colonnes fait +face au portique d’entrée. Le grand escalier à gauche sous la rotonde +est également un superbe morceau avec colonnes et motifs de sculptures. +Mais il faut voir le plan de l’hôtel pour se rendre compte du parti +merveilleux tiré par Lepautre de son terrain et de l’ingéniosité des +dispositions. Sous ce rapport l’hôtel de Beauvais est unique. Loret, +dans ses gazettes rimées, parle plus d’une fois et des visites d’Anne +d’Autriche à sa confidente et amie, et des merveilles de l’hôtel tout +battant neuf, admiré par les gens de la cour, qui n’épargnaient pas +d’ailleurs les épigrammes à la propriétaire jalousée. + +Après Mᵐᵉ de Beauvais, après le financier son successeur qui fut un +maltôtier peu scrupuleux, après ses héritiers de meilleure réputation, +la maison logea l’ambassadeur de Bavière. Logis inviolable alors, local +interdit au contrôle de la police, l’hôtel fut un tripot fréquenté par +les joueurs et les filous de haut vol. + +Bien national en 93, l’hôtel eut ses magnifiques appartements +d’autrefois fort abîmés et partagés en petits locaux, tandis qu’une +entreprise de diligences utilisait ses grandes écuries et ses remises. + +Dans la rue de Jouy, au nº 7, derrière l’hôtel de Beauvais, Mansart a +bâti pour le duc d’Aumont un hôtel occupé aujourd’hui par la Pharmacie +centrale, façade imposante, mais d’une élégance assise un peu +lourdement. L’antique rue Geoffroy-l’Asnier, ruelle plutôt, a gardé au +nº 26, juste devant la non moins étroite rue _Grenier-sur-l’eau_ qui +arrive pittoresquement sous l’abside de Saint-Gervais où jadis était le +cimetière, un autre logis bien plus remarquable. C’est l’hôtel de +Châlons-Luxembourg, élégante construction en briques et pierres du +commencement du XVIIᵉ siècle ou de la fin du XVIᵉ, élevée sur la cour +derrière un autre bâtiment dans lequel s’ouvre une grande porte, d’une +ampleur superbe. + +Un grand arc, souligné par une frise à rinceaux, encadre un beau +cartouche largement traité, destiné à recevoir des armoiries disparues, +et sur lequel on trouve seulement l’indication que l’hôtel était de +Châlons en 1625 et de Luxembourg en 1659. Les boiseries de la porte +elle-même sont un chef-d’œuvre de menuiserie et le marteau de bronze une +véritable petite merveille. + +Dans le quartier près de la Seine qui renferme tant de maisons des XVᵉ +et XVIᵉ siècles sans compter les débris plus anciens, il y a encore les +hôtels la Vieuville et Fieubet. Tous deux, comme les maisons voisines, +ont été construits sur l’emplacement du séjour royal de Saint-Paul. La +Vieuville, à l’extrémité de la rue Saint-Paul présente encore sur sa +cour de beaux et solides bâtiments en briques et pierres qui cachent +peut-être quelques débris des écuries royales achetées + +[Illustration: LA COUR DE L’HÔTEL DE BEAUVAIS] + +sous François Iᵉʳ par Galliot de Genouillac, grand maître de +l’artillerie. Le marquis de la Vieuville qui a donné son nom à l’hôtel +est ce ministre de la jeunesse de Louis XIII, surintendant des +finances, qui fit entrer Richelieu au conseil du roi et que tout de +suite Richelieu supplanta. + +A l’autre extrémité du quai, l’hôtel Fieubet est une construction plus +importante et surtout plus ornée. Primitivement il était beaucoup moins +orné, et malheureusement on ne sait que trop maintenant ce qui est œuvre +authentique ou simple pastiche plus ou moins heureux. Il provient de +Gaspard de Fieubet, conseiller du roi, chancelier d’Anne d’Autriche, bel +esprit et poète de ruelles. + +Précédemment, sur son terrain, Galliot de Genouillac abritait les +fauconneaux et coulevrines de François Iᵉʳ; aux bâtiments de ce temps +qui avaient succédé à ceux de l’hôtel Saint-Paul, succéda l’édifice +construit pour Fieubet par Hardouin Mansard. L’hôtel subit bien des +transformations et reçut bien des destinations. Enfin, M. de la Valette, +rédacteur en chef du journal _l’Assemblée nationale_ de 1848, l’acheta, +s’éprit de son acquisition et se mit à restaurer l’hôtel à tour de bras, +à le modifier, à le compléter par des sculptures rapportées du haut en +bas. Ce qui fait qu’à côté de fort belles choses, de sculptures de +grande allure, on voit de maigres ornements et de fort médiocres +bas-reliefs. Le pavillon d’angle, qu’il soit une restauration ou qu’il +provienne entièrement de M. de la Valette, fait bon effet tout de même +avec sa boutique encadrée de gaines à figures barbues, sous un lourd +amoncellement de trophées et d’attributs. + +Cette région de Paris, habitée par tant de grand et beau monde, centre +d’élégances, était aussi centre de plaisirs, ce qui lui avait amené +cette population de mœurs faciles qui se presse toujours dans les +endroits à la mode. Où la vie de Paris battait-elle son plein alors +sinon à la place Royale? Les bourgeois du Marais ne se piquaient point +de rigorisme. Le bon Scarron, vivant ici avec ses sœurs non mariées, les +voyait mener une existence des plus libres dans ce tourbillon du beau +monde. Il est vrai qu’il eût été bien empêché pour les surveiller. Il +lui en était venu un neveu qu’il qualifiait spirituellement de _neveu à +la mode du Marais_. + +Le Marais possédait des théâtres qui au XVIIᵉ siècle disputaient la +vogue aux comédiens de l’hôtel de Bourgogne, aux farceurs du Pont-Neuf. +Il y avait des salles nombreuses pour le jeu de paume, en grande vogue +alors parmi les jeunes cavaliers, comme, pour le populaire, les jeux de +boule qui ont servi à baptiser soit directement, soit en passant par des +enseignes, des _boules noires_, _rouges_ ou _blanches_, plusieurs rues, +par exemple la rue du Bouloi. + +C’est dans un jeu de paume du quartier du Marais que M. de Beaufort, aux +beaux jours de la Fronde, en train de jouer avec des amis, fut +interrompu dans son jeu par les femmes de la Halle, désireuses +d’apporter au roi des Halles, ce beau gentilhomme blond de si cavalières +façons et petit-fils d’Henri IV par-dessus le marché, pour qui tout +Paris brûlait d’une véritable passion, leur tribut d’admiration et +d’amour. + +Guy Patin, le spirituel et endiablé médecin, raconte l’anecdote dans une +lettre. Les femmes de la Halle s’en allaient par pelotons voir leur +idole envoyer la balle. «Comme elles faisaient du tumulte pour entrer et +que ceux du logis s’en plaignaient, il fallut qu’il quittât le jeu et +qu’il vînt lui-même mettre le holà, ce qu’il ne put faire sans +permettre que ces femmes entrassent en petit nombre, les unes après les +autres, pour le voir jouer, et s’apercevant qu’une de ces femmes le +regardait de bon œil, il lui dit: «Hé bien, ma commère, vous avez voulu +entrer, quel plaisir prenez-vous à me voir jouer et à me voir perdre mon +argent?» Elle lui répondit aussitôt: «Monsieur de Beaufort, jouez +hardiment, vous ne manquerez pas d’argent; ma commère que voilà et moi +vous apportons deux cents écus et, s’il en faut davantage, je suis prête +d’en retourner quérir autant.» Toutes les autres femmes commencèrent +aussi à crier qu’elles en avaient autant à son service, dont il les +remercia. Il fut visité ce jour-là par plus de deux mille femmes...» + +[Illustration: FRONTON, 106, RUE DU TEMPLE] + +Ces mêmes femmes de la Halle deux jours après lui criaient sur son +passage: «Monsieur, ne consentez pas à votre mariage avec la nièce du +Mazarin, quelque chose que vous fasse ou vous dise M. de Vendôme votre +père. S’il vous abandonne, vous ne manquerez de rien, nous vous ferons +tous les ans dans la Halle une pension de soixante mille livres!...» + +Les idoles populaires dans le cours des siècles, quelle jolie galerie de +figures! Il y a de tout, des princes, des tribuns, des magistrats, des +journalistes, des soldats et même des rois comme le Vert Galant, et +quelle étrange diversité de raisons aussi à ces popularités. Mais il +faut toujours la parole ou la haute mine, de grandes phrases ou de +cavalières façons,--bien plus rarement une action réelle et une +direction vers le bien. + +Les comédiens du Marais avaient leur théâtre rue Vieille-du-Temple, +entre les rues de la Perle et des Cultures Saint-Gervais, dans l’ancien +local d’un jeu de paume. C’est là que se donna la _première_ du _Cid_ +avec nombre d’autres pièces de Corneille. Les comédiens comptèrent même +au nombre de leurs auteurs le cardinal de Richelieu, qui leur fit jouer +l’_Aveugle de Smyrne_, avant que pour _Mirame_ il se fût construit un +théâtre particulier au Palais Cardinal. + +Madeleine Béjart, sœur d’Armande Béjart, femme de Molière, fit +probablement partie de la troupe du Marais, les Béjart étaient du +quartier, établis sur la paroisse de Saint-Paul. C’est sans doute au +théâtre de la rue Vieille-du-Temple que Molière, tout jeune et dévoré de +sa passion pour le théâtre, la connut, l’apprécia et l’enrôla avec ses +frères Joseph et Louis dans la troupe de l’_Illustre Théâtre_, +audacieuse entreprise dont le succès fut loin de couronner les efforts. + +Après avoir essayé pour ses représentations du jeu de paume des +_Métayers_, à la porte de Nesle en 1643, la troupe désespérée de ne +jouer que devant des banquettes et de ne point encaisser seulement de +quoi payer les chandelles, décida de se rapprocher du beau monde et loua +dans le beau quartier le jeu de paume de la _Croix Noire_, rue des +Jardins-Saint-Paul. Hélas! cruelle persistance de la déveine, l’illustre +théâtre ne réussit pas mieux au Marais que de l’autre côté de l’eau, les +élégants de la place Royale conservent leur faveur aux comédiens de la +rue Vieille-du-Temple, se souciant peu de la nouvelle troupe. On joue de +grandes tragédies, toujours devant les banquettes, la troupe fait des +dettes, Molière dans les affres de cette détresse signe des billets +qu’il ne peut payer à l’échéance et un beau jour, comme dénouement de la +navrante situation, les huissiers viennent l’appréhender au corps et il +est emprisonné au Châtelet à la requête de ses créanciers, parmi +lesquels son moucheur de chandelles. + +Le grand roman comique de Molière allait commencer. Après une tentative, +en sortant du Châtelet, dans un troisième jeu de paume, à la _croix +Blanche_, dans le faubourg Saint-Germain, la troupe de l’_Illustre +Théâtre_ abandonne décidément Paris indifférent et se lance pour douze +années à travers la province, du Nord au Midi, de Pézenas à Rouen, +roulant sur les routes, courant de ville en ville, donnant des +représentations dans des auberges, des salles de châteaux ou des +granges, jusqu’au jour où Molière, ayant acquis quelque notoriété, +auteur de nombreuses comédies, que certains ont pu applaudir en +province, revient à Paris, et tout à coup, sur le théâtre de l’hôtel +Bourbon, conquiert enfin le succès si longtemps inutilement poursuivi, +par sa comédie des _Précieuses Ridicules_ qui fit un terrible esclandre +dans le monde des ruelles, parmi toutes les Précieuses, aussi bien les +grandes précieuses de l’hôtel de Rambouillet, que les précieuses +affectées, bourgeoises imitatrices des grandes dames à prétentions +littéraires. + +Les temps de gloire de la région du Marais ressuscitent dans l’esprit du +passant, lorsque dans ces rues devenues manufacturières, purement +industrielles, il retrouve malgré démolitions et transformations, tant +de vieux hôtels qui, en dépit des adaptations diverses, gardent de beaux +restes de leur physionomie d’autrefois. Les nobles seigneurs, les belles +dames à carrosses, les imposants parlementaires à longues barbes et à +bonnets carrés, les magistrats à perruque ont cédé la place à des +négociants, à des fabricants d’articles de Paris, à des droguistes en +gros; partout les raisons sociales couvrent les vieux écussons, partout +les enseignes commerciales bariolent les nobles architectures, coupant +les fenêtres, masquant les + +[Illustration: HÔTEL AMELOT DE BIZEUIL, 47, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE] + +bas-reliefs ou les beaux balcons; n’importe, il reste assez de superbes +frontons sculptés, de balcons ventrus, portés par des figures +magistralement traitées, par des consoles d’un art charmant; il subsiste +assez d’admirables motifs décoratifs, assez de traits magnifiques sous +les rides ou les cicatrices, pour que l’esprit s’essaie en +reconstitutions du passé de ces nobles logis, en évocations du décor +complet, tel qu’il fut par exemple lorsque Gomboust, au commencement du +règne de Louis XIV, traçait son grand plan de Paris, avec la figuration +des hôtels et logis importants comme en une vue à vol d’oiseau. + +Il en manque certes beaucoup aujourd’hui, mais il n’avait pas tout mis, +ayant un tel choix alors. Il a omis par exemple l’hôtel Amelot de +Bizeuil ou des ambassadeurs de Hollande, au nº 47 de la rue +Vieille-du-Temple, une belle demeure pourtant, pourvue d’un superbe +portail par-dessus lequel se silhouette un beau pavillon ardoisé +couronnant un fronton, où des génies supportent un écusson avec d’autres +petits génies en consoles. + +Cy était précédemment l’hôtel du maréchal de Rieux. Le 4 novembre 1407, +à l’heure de minuit le carrefour Barbette tout voisin retentit du bruit +d’une lutte, d’appels et de cris de mort. C’était le duc d’Orléans que +les hommes de Jean sans Peur assassinaient. L’hôtel de Rieux s’ouvrit, +les gens du maréchal se précipitèrent, mais il était déjà trop tard, ils +n’arrivèrent que pour ramasser les cadavres du duc et de son écuyer +qu’ils apportèrent à l’hôtel. + +L’hôtel Amelot de Bizeuil remplaça vers 1640 les anciennes constructions +de Rieux, les ambassadeurs Bataves peu après s’y logèrent. Les panneaux +de la grande porte sont fort beaux, avec leurs têtes de Méduses +entourées de vipères, qui contemplent ce sol ayant bu jadis le premier +sang versé des longues guerres entre Bourguignons et Armagnacs. Le +revers de ce portail encadre un large bas-relief représentant Rémus et +Romulus allaités par la louve. Les côtés de la cour ont pour décoration +de grands cadrans solaires peints en grisaille avec attributs et +sentences latines. + +L’hôtel Saint-Aignan, rue du Temple, dans la partie qui prenait jadis le +nom du couvent de Sainte-Avoye, attire forcément le regard par ses +proportions formidables, ses hautes lucarnes, ses fenêtres à croisillons +sur la rue et son portail colossal, dont la porte a aussi de beaux +panneaux dans le style de ceux de l’hôtel de Bizeuil. En face était un +des hôtels de Montmorency disparu aujourd’hui; à côté se voit encore +l’hôtel de Mesme, logis sous Louis XIV du premier président Antoine de +Mesme, puis au nº 79 l’hôtel de Montmor, devenu plus tard de Montholon, +lequel montre comme Saint-Aignan une grande cour entourée de hautes +constructions de très noble aspect, avec son fronton central, son +admirable grand balcon au premier palier de l’immense cage d’escalier, +ses sculptures et ses lucarnes ardoisées. Comme à l’hôtel de Bizeuil, le +revers du portail d’entrée est décoré d’un beau bas-relief. + +Un bel édifice du temps de Louis XIV occupe l’angle des rues de Thorigny +et des Coutures-Saint-Gervais, élevé sur les jardins maraîchers ou +cultures des hospitaliers Saint-Gervais, où l’on commença à bâtir en +1620 seulement. L’hôtel est de 1656; il fut construit pour le financier +Aubert de Fontenay, à qui ses bénéfices dans les gabelles permettaient +de se loger magnifiquement. A l’aspect de ces somptuosités où le +traitant étalait un peu trop au grand jour une fortune extraite des +droits sur le sel, on donna unanimement à l’édifice le nom d’_hôtel +Salé_, qui devint si bien son nom officiel qu’il le porte toujours. + +[Illustration: PORTE DE L’HÔTEL DE BOULIGNEUX, RUE MICHEL-LE-COMTE, 28] + +C’est encore une de ces belles cours du Marais, très vaste, et noblement +encadrée, gardée par de grands sphinx posés sur la corniche des +bâtiments bas en retour, jadis couverts en terrasses à balustrades. +L’entrée du grand corps de logis central se couronne d’un énorme fronton +avec des figures de femmes, des amours enguirlandés et de grands chiens, +supports de l’écusson effacé. Là se déploie majestueusement, d’une +ampleur à contenir une maison de nos jours, un magnifique escalier d’une +grande richesse de décoration, abondance de sculptures qui se +poursuivait, et se retrouve encore en partie dans les appartements. + +L’hôtel Salé après avoir été la demeure du maréchal de Villeroy, l’hôtel +des Ambassadeurs de Venise, etc., fut pendant quelque temps avant 89 +l’hôtel de Mᵍʳ de Juigné archevêque de Paris. + +A la Révolution on y entassa les livres saisis dans les couvents +supprimés, puis l’hôtel fut vendu comme bien national et transformé en +pension jusqu’à l’installation de l’Ecole centrale, qui l’a quitté il y +a peu d’années pour le nouvel édifice contigu aux _Arts et Métiers_. + +L’Imprimerie nationale, rue Vieille-du-Temple occupe les vastes locaux +de l’hôtel de Rohan, qui s’appela aussi le palais Cardinal ou l’hôtel de +Strasbourg. Plus jeune que les autres grands logis du Marais, l’édifice +ne date que du commencement du XVIIIᵉ siècle et fut construit par le +cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg. + +Quatre-vingts ans après lui un autre cardinal de Rohan habitait aussi ce +palais, réuni par les jardins au palais de Soubise, précédemment hôtel +Clisson-de-Guise. Rohan était le cardinal de cette scandaleuse et +mystérieuse affaire du collier, commencement pour Marie-Antoinette des +terribles infortunes qui l’amenèrent en peu d’années prisonnière à la +tour du Temple, si proche voisine de l’hôtel du cardinal. + +A l’hôtel de Rohan, l’art du XVIIIᵉ siècle a laissé de nombreuses +beautés un peu partout et un morceau de sculpture vraiment superbe, le +grand bas-relief de Le Lorrain, qui couvre la muraille au-dessus de +l’ancienne porte des écuries et représente Phaéton faisant boire le +quadrige de chevaux attelés au char du Soleil. L’imprimerie vint occuper +le palais en 1808. + +Que d’autres superbes logis dans ce Marais, qui sans avoir +l’illustration de ces demeures princières, se montrent un peu partout, +dans leurs vieux atours en partie respectés, ou laissent transparaître +quelques débris de leur ancienne splendeur. Les belles portes sont +nombreuses d’où l’on s’attendrait presque à voir sortir la chaise de +quelque marquise, ou l’un de ces longs carrosses du grand siècle menant +un président au Parlement. Celle du nº 30 actuel de la rue des +Francs-Bourgeois est encore un très beau morceau; monumentale également +celle de l’hôtel du maréchal d’Albret, un peu plus loin dans la même +rue. Au 28 de la rue Michel-le-Comte, l’immense porte de style grec +donnait entrée à l’hôtel de Bouligneux, puis d’Halwill; elle est de +l’architecte des barrières de Paris, Ledoux, qui donnait à ses +constructions un caractère puissant tout particulier. + +Combien d’autres encore, et de riches balcons comme ceux de l’hôtel de +La Grange, rue de Braque, nº 6, des fenêtres Louis XIV ou de style +rocaille, de grands pavillons, d’énormes toits Louis XIII, dans les rues +Pastourelle, des Quatre-Fils, des Vieilles-Haudriettes, au coin de +laquelle une fontaine du XVIIIᵉ siècle nous montre une jolie naïade +couchée sur son urne. Combien de frontons curieux comme celui de la rue +Payenne où l’on voit un long et maigre Temps couché sur + +[Illustration: LA RUE QUINCAMPOIX PENDANT LE _Système_ + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +des débris de colonnes renversées, vieillard allégorique qui a l’air de +songer tristement aux jours brillants du Marais, aux beaux temps finis +pour jamais. + +[Illustration: PORTE DES ÉCURIES DE L’HÔTEL DE ROHAN (IMPRIMERIE +NATIONALE)] + +Où sont les hôtels de Lorraine, de Chavigny, voisins de l’hôtel +d’Angoulême-Lamoignon sur la rue Pavée, les hôtels d’Orléans et d’Effiat +rue Vieille-du-Temple, les hôtels d’Estrées, d’Epernon, de Sordis, +Nicolaï, etc. Détruits, disparus complètement, ou, si quelques restes +subsistent, ils sont si bien dissimulés par les replâtrages et +transformations, si bien perdus dans les reconstructions que c’est tout +comme si rien absolument n’en restait!... + +La mélancolie des choses qui ne sont plus ne flotte pourtant pas dans +l’air et ne tombe pas des murailles grises; il y a tant de bruit et de +mouvement dans ce quartier monumental, dans cette ville aristocratique +abandonnée au commerce, envahie par tous les métiers, qui la traitent en +pays conquis; tant de chariots industriels sortent des portes cochères à +carrosses et font retentir d’un fracas de ferraille le pavé des rues +démocratisées. Il est bien vivant ce quartier des élégances défuntes, on +entrevoit dans les cours le mouvement de la fourmilière travailleuse +parmi les ballots empilés, les caisses de marchandises encombrant tous +les coins et débordant par toutes les baies, dégringolant des larges +escaliers à rampes en volutes de fer forgé... A certaines heures, de ces +vieux hôtels des élégantes du grand siècle, de ces logis compassés de +haute magistrature, débouchent des foules bruyantes, ouvriers et +apprentis en bourgerons, ouvrières en longs sarraus, employés en veston +courant au déjeuner. + +Il est pourtant bien attristant de penser que fatalement des +modifications journalières vont davantage altérer peu à peu la +physionomie des vieilles façades, et feront disparaître demain ce que +l’on admirait encore hier. Les grands hôtels subsistant à peu près +intacts deviendront de plus en plus rares, et peu à peu chaque année +enlèvera un trait à leur physionomie... Et le vieillard symbolique du +fronton de la rue Payenne, s’il n’est abattu lui aussi, restera seul à +se souvenir et à échanger par-dessus les toits des soupirs attristés +avec l’ombre affligée de Mᵐᵉ de Sévigné, errant dans le vieil hôtel de +Ligneris-Kernevenoy-Carnavalet préservé par son affectation officielle, +et d’où elle gémit de ne pouvoir écrire sur tous ces désastreux +changements à Mᵐᵉ de Grignan une longue, bien longue lettre, remplie +d’exclamations, de protestations et de récriminations..... + +[Illustration: FRONTON RUE PAYENNE] + + + + +[Illustration: LE DUEL DE BEAUFORT-NEMOURS AU MARCHÉ AUX CHEVAUX (RUE DE +LA PAIX ACTUELLE)] CHAPITRE X + +LE PARIS DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV + + La fin du Pré aux Clercs.--Développement du faubourg + Saint-Germain.--Les Invalides.--Le Luxembourg.--Les ruines de la + Ligue.--L’enceinte de Louis XIII.--Places, portes et statues + triomphales du roi Soleil.--M. de la Feuillade et la place des + Victoires.--L’hôtel de la Vrillière.--L’hôtel de Vendôme et la + place des Conquêtes-Vendôme-Des Piques.--Duel Beaufort et Nemours + au marché aux chevaux.--Paris la nuit.--Premières lanternes.--Les + porteurs de falots.--Les voleurs et la police.--M. de la Reynie et + M. d’Argenson.--Le système de Law.--La grande folie de la rue + Quincampoix.--Le crime de l’Épée de bois.--Un cardinal de la + Régence.--Emplacements révolutionnaires: le champ de la fédération, + la place Louis XV.--La catastrophe du feu d’artifice.--La + guillotine. + + +[Illustration: PLACE DES VICTOIRES] + +Triomphant et glorieux au temps du roi Henri IV, le quartier du Marais +et de la Place Royale décline en même temps que le siècle qui a vu sa +naissance et sa poussée rapide. Les beaux jours, hélas, passent vite et +la vogue capricieuse s’échappe et se porte ailleurs. En un siècle Paris +s’était considérablement agrandi du côté de l’ouest, il avait fait une +très large enjambée dans la direction du couchant, du côté où son +expansion avait été si longtemps contrariée par le rempart et par +l’abbaye de Saint-Germain sur la rive gauche, de même que longtemps le +Louvre et les Tuileries arrêtèrent et arrêteront l’expansion sur la rive +droite. + +Louis XIV et les grands seigneurs avaient colonisé Versailles; princes +et courtisans, pour suivre le roi Soleil, se contentaient à Versailles +d’un simple pied à terre ou d’un mesquin logement au château, mais ils +se construisaient de grands hôtels dans les quartiers neufs du faubourg +Saint-Germain. + +Henri IV avait encore trouvé l’abbaye de Saint-Germain isolée hors de la +ville, avec un commencement de faubourgs sous ses remparts. Au delà +était la campagne. Il n’y a qu’à regarder les estampes de Callot, Israël +Sylvestre et Pérelle pour voir, avec son aspect de bout de ville donnant +sur une banlieue, le quartier de la Porte de Nesle toujours dominé par +la vieille tour de Philippe Hamelin, ce quartier désordonné de vieilles +bicoques et d’antiques constructions au milieu desquelles s’élevaient +les grands bâtiments de briques et pierres de l’hôtel de Guénégaud non +terminé et destiné à être remplacé par l’hôtel Conti, la future Monnaie. + +La reine Marguerite s’était bâti un grand hôtel qualifié de palais, +pourvu d’un long jardin pris sur les terrains du Pré aux Clercs, sans +contestations avec ces écoliers qui cinquante ans auparavant +s’opposaient par la force à tout empiètement sur leur domaine, et +l’Université elle-même avait aliéné le reste de ces terrains sur +lesquels assez vite s’élevèrent de belles constructions. Un quartier +aristocratique naissait qui se préparait à enlever la vogue à la région +de l’Est si longtemps en possession du prestige avec ses souvenirs des +vieux palais de Saint-Paul et des Tournelles. + +La place ne manquait point pour s’étendre par là, puisque l’on n’avait +qu’à mordre en pleine campagne, et le site était assez séduisant, juste +en face du vieux Louvre et des jeunes Tuileries, des verdures du Cours +la Reine, avec un horizon de belles collines encaissant le tournant de +la Seine, gracieusement allongée au pied des villages de Chaillot, +Passy, Auteuil, si lointains alors et cachés dans les arbres de leurs +vergers. + +Jusqu’en 1660, l’ombre de la tour de Nesle continua de se projeter sur +le talus herbeux et mouvementé du port au nom ironique: +Malaquest--mauvaise acquisition--où débouche la rue de Seine et que +bordent les constructions de la reine Marguerite, avec la chapelle des +Louanges des Petits-Augustins, puis les jardins qui touchent de l’autre +côté l’ancien clos de l’Abbaye transformé, montrant des amorces de rues, +mais où s’élève encore sur sa butte le vieux moulin à vent des moines, à +côté de la chapelle de la Maladrerie. + +La tour de Nesle et la porte disparaissent, le rempart est éventré, les +fossés comblés, le collège des Quatre-Nations s’élève assez lentement. +Transformation complète, un vieux paysage parisien s’efface, un nouveau +décor le remplace plus régulier et plus froid. + +Pendant que le monument s’élevait, les rues du faubourg Saint-Germain +s’allongeaient et se bâtissaient, la rue de la Sorbonne, maintenant rue +de l’Université, s’avançait à travers le grand Pré aux Clercs en suivant +à peu près le tracé d’un petit chemin qui s’appelait le chemin des +Treilles et conduisait à l’île aux Treilles ou des Cygnes. De même se +bâtissait aussi la rue de Grenelle, et l’ancien chemin des vaches, +devenu la longue rue parallèle intermédiaire de Saint-Dominique depuis +l’installation, sur un morceau des anciennes possessions de +Saint-Germain, d’un couvent de Jacobins de Saint-Dominique. + +[Illustration: ENTRÉE DE LA RUE DE SEINE DERRIÈRE LE COLLÈGE DES QUATRE +NATIONS (INSTITUT)] + +Au milieu du siècle, les constructions du faubourg Saint-Germain +arrivent à peine à la hauteur de la porte de la Conférence au jardin des +Tuileries; la berge de la Grenouillère, en face de cette porte de la +Conférence, restait couverte de chantiers de bois. Peu à peu cependant +les bâtisses s’égrènent dans les champs et le moment approche où les +maisons de campagne devront céder le terrain aux beaux hôtels, mais +c’est toujours la pleine campagne, les prés et les champs un peu plus +loin, autour de l’hôtel des Invalides qui commence à s’élever en 1670 et +reçoit dès 1674 ses premiers pensionnaires, pendant que son église croît +lentement. + +Le sort des pauvres soldats mutilés dans les guerres était réellement +alors plus lamentable que celui de leurs camarades tombés pour ne plus +se relever. Que pouvaient-ils devenir, ces pauvres invalides, triste +résidu de la gloire, simples ouvriers de la victoire, tombant sur les +champs de bataille, chargés de lauriers, mais avec, en moins, une jambe +ou un bras qu’emportèrent les boulets ou que hachèrent les sabres. +Estropiés, incapables de gagner leur vie, se traînant par les chemins +sur des béquilles, ils mouraient de faim, s’ils n’avaient pas la chance +rare d’être recueillis par quelque couvent, ou bien, s’ils se trouvaient +induits par la misère à la maraude, la potence les attendait. + +Cette horrible injustice avait révolté Henri III qui avait essayé d’y +porter remède, en créant la maison de Lourcine, hôpital destiné à en +recueillir au moins quelques-uns. Mais combien devaient encore mourir +sur les grands chemins, de ces tristes épaves de la bataille au temps de +la longue guerre civile! Henri IV hérita de l’œuvre et l’agrandit un +peu. Louis XIII plaça ces invalides dans des bâtiments construits à +Bicêtre sur l’emplacement du château bâti au XVᵉ siècle par l’évêque de +Winchester (Angleterre), dont le nom s’était transformé en Vinchestre, +puis Bicestre. + +Louis XIV à son tour s’occupa des invalides; il en avait fait assez dans +ses guerres et reconnut la nécessité de tenter quelque chose pour eux. +Mais c’était le Grand roi, il voyait tout de certaine façon, toutes ses +idées tournaient d’elles-mêmes au grandiose et à l’ostentation, et ses +architectes semblent avoir pensé à élever plutôt un temple à la gloire +du roi, qu’un asile pour les soldats mutilés, victimes de son rêve +dominateur. C’est un palais qu’ils ont construit, un colossal édifice +d’une imposante ordonnance, une pompeuse façade, avec une triomphale +entrée au fronton de laquelle domine la statue équestre du roi, et des +bâtiments somptueux où travaillèrent les peintres et les sculpteurs +ordinaires du monarque. Un superbe monument enfin, mais, hélas, +susceptible de recevoir seulement une bien faible partie de tous ceux +qui avaient chèrement payé le droit d’y espérer un logement. + +Au-dessus du chemin de Vaugirard, entre le bourg Saint-Germain des Prés +et le faubourg Saint-Jacques, le plan Truschet de 1550 ne nous montre +que des champs encore et quelques maisons éparses. Au loin sont des +bâtiments qualifiés de _Pressoir de l’Hôtel-Dieu_, et le grand enclos +silencieux des Chartreux qu’indique la flèche effilée de son église. Un +sieur de Harlay de Sancy, vers cette époque, y fit construire un hôtel +qui passa en 1583 au duc d’Epinay-Luxembourg. Celui-ci se trouvant à +l’étroit arrondit considérablement le domaine en constructions et en +jardins. + +De même que Catherine de Médicis pour se donner un logis particulier +avait construit les Tuileries, de même une autre reine de la même +famille, Marie de Médicis voulut, quand le couteau de Ravaillac l’eut +faite veuve, avoir un palais à elle. Les longues trames qui aboutirent à +l’assassinat de Henri IV et au bouleversement des grands plans arrêtés, +sont un des mystères de l’histoire. La deuxième Médicis, la triste +épouse qu’avait été chercher à Florence ce roi de France qui avait eu +tant à redouter une première Médicis comme roi de Navarre, participa +peut-être à ces complots et l’on comprend alors que lui fût devenu +désagréable le séjour en ce Louvre sur lequel planait l’ombre de Henri +IV. En 1612 Marie de Médicis acheta l’hôtel du Luxembourg, plus la +grande ferme dite le pressoir de l’Hôtel-Dieu et les fit démolir; elle +ajouta au terrain des jardins divers, des pièces de terre et, s’étant +constitué un immense emplacement, elle entreprit la construction d’un +palais confiée à l’architecte Jacques de Brosse. Ses travaux furent +poussés avec rapidité et terminés en cinq années malgré les événements +politiques, les crises nombreuses, la guerre civile éclatant, la mort de +Concini et l’exil de la reine Régente loin de ce palais où les artistes +chargés de la décoration intérieure, Rubens entre autres, se mettaient à +l’œuvre. + +Avec ses belles façades en bossages, avec son élégant pavillon d’entrée +à coupole faisant face à la rue de Seine, son grand jardin, le +Luxembourg, car on lui conserve malgré tout le nom de l’hôtel disparu, +est un magnifique ornement pour le Paris qui va se développer de ce côté +et masquer complètement les vieux remparts que l’on aperçoit encore, +dominés par les flèches des couvents adossés aux tours. + +Sur la rive droite de la Seine, pendant que les nouveaux quartiers de la +rive gauche se couvrent de maisons, nous voyons également Paris +s’avancer très vite. Au commencement du règne de Henri IV, les Tuileries +inachevées, le logis de Catherine de Médicis avec l’élégant pavillon +central à dôme de Philibert Delorme, le beau palais non encore +transformé, agrandi et alourdi par Louis XIV, se trouvait isolé hors de +la ville. En arrière entre le nouveau palais et le Louvre s’élevaient +les vieux remparts d’Étienne Marcel aboutissant sur le bord du fleuve à +la tour du Bois, absolument semblable à la tour de Nesle, mais sœur non +jumelle, car elle avait quelque chose comme cent quatre-vingts ans de +moins que la sentinelle parisienne d’en face. + +En dedans de la ville, le flot pressé des maisons battait partout cette +enceinte vieillie, fort dégradée sur certains points, mais qui venait de +servir à la défense de Paris ligueur contre les troupes royales. Au nord +et à l’ouest, en dehors des fossés éboulés remplis d’eau bourbeuse, les +faubourgs s’étaient considérablement épaissis pendant le cours du XVIᵉ +siècle. La guerre civile accumula ruine sur ruine dans la ville, les +faubourgs furent en partie rasés pour la défense, et le roi vainqueur +trouva sa capitale fort mal en point. Il fallut quelques années pour +réparer ces désastres, relever les maisons abattues, faire renaître le +commerce et l’industrie, rendre la vie enfin à un organisme malade et +ruiné à fond par une si longue série de crises. Henri IV s’employa +fortement à l’œuvre de reconstitution avec les échevins et +particulièrement le prévôt des marchands François Myron. + +Après les premières années difficiles, les progrès de cette renaissance +se firent plus rapides. Les ambassadeurs espagnols, au moment des +négociations de la paix de Vervins, n’en revenaient pas et avouèrent ne +plus reconnaître le Paris qu’ils avaient vu en si triste état au temps +du siège. Ce grand nettoyage matériel ne laissait pas d’être une dure +besogne, le prévôt des marchands avait beau s’occuper des restaurations +d’édifices, de la propreté des rues, des travaux d’assainissement et +d’embellissement, des quais et des égouts, l’ordre et la sécurité dans +ce Paris nettoyé et embelli restaient difficiles à assurer avec la +nombreuse population de gens de sac et de corde, ayant conservé de la +période des discordes civiles l’habitude et le goût du brigandage. Pour +un tire-laine que les archers saisissaient et qui s’en allait figurer +aux potences du roi, il s’en retrouvait quatre-vingt-dix-neuf qui +continuaient à infester, dès la nuit venue, les rues et les carrefours, +à dévaliser les passants et à les assassiner s’ils tentaient de +résister. + +Malgré cette insécurité de la ville, qui fut à peu près de toutes les +époques, la prospérité matérielle se prouvait par une continuelle +transformation, par des travaux d’intérêt public, par l’achèvement de +constructions restées en route, par une poussée d’édifices nouveaux, des +églises, des couvents, des hôpitaux, des reconstructions de ponts à +maisons auxquels on s’efforçait de donner un aspect décoratif régulier +et plus de solidité. + +En quelques années, après 1630, la partie des vieux remparts comprise +entre la tour du Bois et la porte Saint-Denis tomba et la nouvelle ligne +d’enceinte fut reportée de la porte nouvelle de la Conférence, ouvrant +sur le quai des Tuileries tout près de la place de la Concorde actuelle, +à une nouvelle porte Saint-Honoré sise en travers de notre rue Royale, +et de là, en passant à la hauteur de la Bourse, jusqu’à la porte +Saint-Denis. C’était la marge donnée à Paris pour son développement sur +cette rive de la Seine. + +La nouvelle enceinte englobait les Tuileries et leur grand jardin, tout +le faubourg Saint-Honoré, les buttes de Saint-Roch, de vastes étendues +des champs où bientôt les anciens chemins et les sentiers se changèrent +en rues et en ruelles, poussant les maisons à la conquête de l’espace +libre jusqu’aux nouveaux bastions. + +Au milieu du siècle, le changement de décor est déjà complet. Le grand +palais que s’est donné Richelieu, le palais Cardinal, aujourd’hui Royal, +avec ses vastes jardins, l’autre palais Cardinal qui le suit le long de +la rue comme les deux cardinaux se suivent dans l’histoire,--le palais +de Jules Mazarin, aujourd’hui la Bibliothèque nationale,--occupent tout +le terrain entre le Louvre et la porte Richelieu. L’hôtel de Vendôme, +rue Neuve-Saint-Honoré, forme plus à l’est un autre noyau de grandes +constructions entouré de plusieurs couvents, Feuillants, Capucins, +Jacobins. + +Corneille dans le _Menteur_, joué en 1642, constate les grands +changements survenus: + + Paris voit tous les jours de ces métamorphoses; + Dans tout le Pré aux Clercs tu verras mêmes choses: + Et l’univers entier ne peut rien voir d’égal + Aux superbes dehors du palais Cardinal; + Toute une ville entière avec pompe bâtie, + Semble d’un vieux fossé par miracle sortie... + +Du vieux fossé il reste encore trace alors, au milieu de ces superbes +constructions surgissant du sol bouleversé; à côté de la Tour du Bois +restée debout sur la berge, se voient des éboulis et des terrains vagues +à la place du rempart démoli, de grands trous non comblés encore, des +cloaques oubliés sous les masures jadis cachées par le rempart, et +maintenant surprises par le grand jour. + +Et Paris ne se contente pas alors de dévorer ses faubourgs, il conquiert +au dedans de la vieille enceinte au milieu de la Seine une grande île +restée inhabitée, l’île Notre-Dame coupée en deux par le fossé d’un +rempart disparu qui la faisait entrer dans le système de défense de +Philippe-Auguste entre la tour Barbeau et la Tournelle; l’île +appartenait au chapitre de Notre-Dame, le roi l’acheta en 1614, et les +sieurs Christophe Marie, Le Regrattier et Poulletier entreprirent de la +rattacher par des ponts à la ville, de créer de toutes pièces au milieu +de la rivière une petite ville à l’arrière de la vieille cité. Une +église s’éleva dédiée à saint Louis et peu après le même nom s’appliqua +à la vieille île de Notre-Dame enlevée aux quelques vaches qui tondaient +ses herbages. + +[Illustration: UN BALCON RUE SAINT-JACQUES] + +C’est donc sur toute l’étendue de sa partie ouest que Paris, sautant +par-dessus ses remparts, gagne les champs et grandit considérablement. +Dans le cours du siècle il va pousser fort loin les rues commencées aux +talus des vieux fossés et remplir du flot de ses maisons les espaces +conquis. Des spéculateurs avisés créeront tout d’une pièce des quartiers +nouveaux et bâtiront des rues entières en réalisant de jolies fortunes. +La ville prend un aspect nouveau; on veut maintenant de la régularité, +des façades rectilignes. C’est au détriment du pittoresque; plus de +belles saillies comme dans les âges précédents, plus de pignons pointus, +d’encorbellements, de détails imprévus, on a pris le goût des +ordonnances froides et lourdes. + +Les hôtels que se construit la noblesse n’ont plus rien de l’aspect +féodal des grandes maisons nobles d’antan, plus rien de seigneurial +même, pour ceux qui ne visent pas au palais. Rien ne les distingue des +logis de grosse bourgeoisie, ce sont des maisons cossues et voilà tout, +et ce caractère aristocratiquement bourgeois ou bourgeoisement +aristocratique s’accentuera encore au XVIIIᵉ siècle, même dans le +faubourg Saint-Germain où les plus grands noms de France vont briller au +fronton de toutes les grandes portes de style plus ou moins pompeux. + +Ces hôtels auront beau montrer une carrure importante, élever sur des +cours bien fermées de hauts pavillons avec de vastes ailes en retour, on +sent malgré tout une vague tristesse planer, quelque chose comme le +découragement pesant déjà sur une caste qui voit confusément arriver la +déchéance politique, la fin du grand rôle joué par elle pendant des +siècles. A part quelques écussons, quelques maigres sculptures aux +fenêtres, toute la décoration est réservée à l’intérieur, aux somptueux +appartements, au mobilier, comme si les descendants des fières races +féodales, domptés et domestiqués à la longue par les rois, les nerfs +coupés, abandonnaient désormais toute idée d’un rôle extérieur à jouer +en dehors de leurs fonctions ou de leur rôle purement décoratif à la +cour. + +Ils ont beau élever de hautes constructions avec dépendances nombreuses, +grandes écuries et remises pour leurs chevaux et leurs carrosses, larges +communs pour leurs gens, il y a du renfrogné dans ces logis, de la +maussaderie qui tournera plus tard à la mélancolie. On peut y mener vie +magnifique au milieu d’un monde de serviteurs galonnés, du roulement des +équipages, des allées et venues du personnel, mais c’est en somme une +existence qui ne diffère guère de celle du bourgeois riche ou du +traitant chez qui l’or afflue; les grands seigneurs ne se retrouveront +plus réellement grands seigneurs que loin de Paris, dans les châteaux de +leurs ancêtres, dans le rayon dominé par les vieux donjons fièrement +posés jadis sur plaines et vallons. + +De la rue on ne voit rien de ces hôtels bâtis au noble faubourg dans le +courant du XVIIᵉ ou du XVIIIᵉ siècle, rien que de grands murs; on devine +de beaux jardins à la française, des parterres correctement dessinés. +Les appartements sont richement ornés, des tapisseries, des tableaux de +maîtres s’encadrent dans les délicates boiseries aux détails menus, fort +jolis, dans le style de Berain et Lepautre, ou dans le genre rocaille, +mais si menus qu’on les croirait dessinés plutôt que sculptés. + +Au centre de Paris, sous le grand roi, un quartier où s’élevaient déjà +de beaux hôtels, entre le palais Cardinal, l’hôtel de Soissons et +l’hôtel de la Vrillière, vit par un acte de courtisanerie du duc de la +Feuillade s’ouvrir la place des Victoires. Le duc de la Feuillade, +maréchal de France, colonel des gardes françaises, gouverneur du +Dauphiné, vaillant soldat couvert de blessures, qui depuis sa jeunesse +avait couru à tous les endroits où les horions se distribuaient et fait +brillamment toutes les campagnes du règne, eut l’idée de marquer +l’espèce de culte enthousiaste qu’il avait voué au roi pour la grandeur +duquel il avait été se faire un peu partout cribler de coups de +mousquet, en dédiant à Louis une statue allégorisant les victoires +royales au centre d’une place publique aux architectures symétriques. + +L’entreprise se fit avec la participation de la ville de Paris. Le +maréchal acheta l’hôtel de la Ferté-Senneterre, la ville acheta l’hôtel +d’Emery à côté; on les démolit et sur leur emplacement Mansard et Predot +créèrent une place circulaire entourée de façades d’une ordonnance +régulière. Au centre de la place baptisée des Victoires, M. de la +Feuillade érigea la statue du monarque, Louis XIV à pied, vêtu à la +romaine, foulant aux pieds la triple alliance représentée par un monstre +à trois têtes, avec une Victoire voltigeant derrière qui le couronnait +de lauriers. Ce groupe de bronze doré, haut de treize pieds, se dressait +sur un piédestal de vingt-cinq pieds, aux quatre angles duquel quatre +figures enchaînées symbolisaient les nations vaincues. Le duc pour +assurer l’entretien du monument qui devait être redoré tous les +vingt-cinq ans, avait constitué sa terre de la Feuillade en majorat +grevé à tout jamais de cette charge, et, à défaut de successeurs, la +terre devait revenir avec la charge à la ville de Paris. + +Quel bruit en 1686 à l’inauguration de ce groupe colossal, acte +d’idolâtrie à la romaine, qui valut au duc de la Feuillade un renom de +courtisanerie effaçant sa renommée d’homme de guerre et le souvenir de +ses services aux armées! Des épigrammes coururent Paris sur le duc et +sur le Roi Soleil lui-même. La victoire du monument place-t-elle la +couronne sur la tête du roi ou la lui ôte-t-elle? Il n’était pas +jusqu’aux lanternes flanquant le monument qui ne fussent devenues motif +de moqueries: + + La Feuillade, sandis! jé crois qué tu me bernes + Dé mettre lé soleil entre quatré lanternes! + +Lorsque la victoire tourna et que Louis XIV entra dans sa cruelle +période de revers, ce fut d’abord aux lanternes que l’on s’en prit, +elles disparurent en 1699, puis ce fut la statue royale elle-même, de +pose assez prétentieuse, qui fut remplacée par un autre Romain de +Coysevox. + +A la Révolution l’âme du pauvre La Feuillade eut à subir un plus +terrible assaut. Cette fois on enleva d’abord, au nom de la fraternité +des peuples, par politesse internationale, les Nations enchaînées qui +furent portées aux Invalides et on jeta ensuite le monarque à terre, +pour l’envoyer à la fonte et en faire des canons destinés à envoyer à +ces mêmes peuples, en guise d’autres politesses, de solides boulets. + +Que mettre en ce milieu de place où l’on s’était habitué à voir quelque +chose? On commença par y dresser une pyramide de bois portant les noms +des citoyens morts au 10 août, en attaquant le palais du successeur du +grand roi. Les grenadiers du 18 brumaire se chauffèrent, dans un corps +de garde voisin, avec ce monument, et pour le remplacer on érigea, +encore en bois, un modèle de monument égyptien consacré aux mânes de +Desaix et de Kléber. Peu après le modèle alla aussi au feu et Desaix +tout seul hérita de la place. Desaix en Romain ne resta pas longtemps +sur son socle, la Restauration le fit descendre à son tour et fit +reparaître Louis XIV non plus à pied mais sur un cheval caracolant. + +A côté de la place des Victoires la Banque occupe le vaste hôtel +construit par Mansard pour le secrétaire d’État Phélipaux de la +Vrillière, une demeure vaste et somptueuse où, plus tard, le comte de +Toulouse, fils légitimé de Louis XIV, puis ses successeurs et la Banque +de France ont apporté bien des modifications, mais où les modifications +ont respecté une galerie digne d’un palais royal par ses proportions et +par la richesse de sa décoration. + +La place des _Victoires royales_ n’avait pas suffi au roi Soleil pour sa +glorification; au même moment où M. de la Feuillade travaillait avec +grande hâte à son œuvre, le roi travaillait lui-même à une autre place +qui en était comme le pendant de toutes les façons, qui devait être en +hémicycle et bordée de bâtiments symétriques, comme l’autre, s’appeler +place des Conquêtes et avoir comme ornement central la statue équestre +de Louis, statue colossale montrant le roi en dominateur de l’Europe. + +C’était une idée de M. de Louvois; le ministre voulait faire grand, +élever des édifices majestueux destinés à loger la bibliothèque du roi, +les ambassadeurs extraordinaires, certaines administrations et aussi +l’Académie qui n’avait pas encore de local bien à elle et tenait séance +où elle pouvait. + +L’emplacement n’était pas tout à fait vide, l’hôtel de Vendôme et ses +jardins en occupaient une partie, un couvent de capucins sur le côté +avait le reste; au-dessus, c’est-à-dire dans la rue de la Paix actuelle, +était un marché aux chevaux utilisant le terre-plein d’un bastion de +l’enceinte de Louis XIV. L’hôtel de Vendôme était une très importante +habitation construite par Henri IV pour le fils aîné de la belle +Gabrielle, César de Vendôme; il comprenait un grand pavillon central à +colonnades et loggias et des bâtiments sur deux grandes cours, plus un +très grand jardin bordant le marché aux chevaux du bastion. + +En 1652,--quelques semaines après la journée de la paille, où les +émeutiers prirent l’hôtel de ville, massacrèrent les magistrats mazarins +ou frondeurs, sans distinguer, et mirent le feu à l’édifice,--au plus +fort de la Fronde, le 3 juillet à 7 heures du soir, eut lieu sur ce +marché aux chevaux un duel fameux qui peut faire le pendant de celui des +Mignons au marché aux chevaux des Tournelles. + +Cette fois les combattants étaient cinq contre cinq, et il resta trois +morts sur le carreau. Le héros principal du combat c’était le petit-fils +de Gabrielle, le duc de Beaufort idolâtré des Parisiens. Le roi des +Halles vaniteux et fougueux, était depuis longtemps au plus mal avec son +beau-frère le duc de Nemours; déjà, au conseil même des chefs de la +Fronde, ces deux beaux-frères s’étaient, comme deux crocheteurs, +littéralement pris aux cheveux et battus à coups de poings. S’étant +repris de querelle, de la même façon en une partie de débauche au jardin +de Regnard, ce cabaret célèbre du jardin des Tuileries, ils résolurent +d’en finir et sans désemparer réunirent chacun quatre seconds pour vider +la querelle derrière les jardins de l’hôtel de Vendôme. + +Le duc de Nemours aussitôt arrivé sur le terrain, pendant que les +seconds quatre contre quatre, commençaient à ferrailler, s’avança sur +Beaufort et lui déchargea un coup de pistolet. La balle passa dans les +boucles blondes du roi des Halles, celui-ci hésita un instant, mais +voyant Nemours le charger l’épée à la main, il tira à son tour, Nemours +tomba comme une masse et mourut pendant qu’on le transportait dans son +carrosse. Du côté des seconds les choses allaient aussi vite, il y avait +déjà plusieurs blessés, Héricourt, l’un des seconds de Beaufort, était +tué par le marquis de Villars qui ne l’avait jamais vu auparavant, et il +y eut encore un autre blessé qui mourut peu après. + +[Illustration: BALCON RUE THÉVENOT (DÉMOLI EN 1895)] + +Louis XIV acheta l’hôtel de Vendôme et le fit démolir. Les travaux de la +place des Conquêtes commencèrent, mais ils coïncidèrent avec la +désertion de la Fortune; fatiguée d’une trop longue constance, elle +passait à l’ennemi. Le temps des revers était venu, le grand projet en +souffrit, les travaux traînèrent en longueur; puis Mansard modifia les +plans ou les réduisit à des proportions plus modestes, on abandonna +l’idée de la place en hémicycle et des palais, on éleva les façades tout +de même comme un grand décor derrière lequel les acquéreurs des lots +purent s’arranger à leur aise. + +Enfin le Louis XIV vêtu à la romaine se dressa sur son cheval de bronze +et la place, quoique non terminée, s’inaugura par une magnifique +cérémonie en 1699. Des financiers surtout habitèrent ces hôtels mis en +vente par la ville. En 1792 la place des Conquêtes ou Louis-le-Grand +devint la place des Piques, chef-lieu de la section du même nom. La +statue de Louis XIV était tombée; transmuée en canons elle aussi, +peut-être servit-elle à la conquête des canons ennemis qui fournirent la +matière de la gigantesque colonne de la Grande Armée au sommet de +laquelle domine un autre violenteur de la Fortune, le grand empereur +Napoléon, statue vêtue à la romaine encore et qui déjà connaît le revers +des enthousiasmes populaires. + +A l’autre extrémité de la ville on travaillait aussi à un gigantesque +monument triomphal qui devait porter à 250 pieds au-dessus du sol une +troisième statue équestre du roi Soleil; c’était au bout du faubourg +Saint-Antoine, à la place du Trône, où déjà s’était élevé un arc de +triomphe provisoire pour l’entrée du roi et de la reine Marie-Thérèse, +aux fêtes de leur mariage. + +A la suite d’un concours entre les architectes, un projet de Perrault +avait été adopté. C’était une modification des arcs de triomphe de Rome, +avec d’énormes colonnes accouplées formant avant-corps sur le côté des +portes. Ce gigantesque piédestal de la statue royale fut commencé, puis +faute d’argent on éleva une carcasse de charpente et de plâtre avec un +modèle de la statue en attendant de pouvoir reprendre les travaux. La +fin du règne arriva, l’arc de triomphe se détériorait, asile d’une +innombrable armée de rats, comme plus tard l’éléphant de la Bastille. +Sous la Régence on eut bien autre chose à faire que de continuer des +arcs de triomphe dédiés au grand roi dont on était débarrassé, on +abattit cette ruine... + +Deux autres monuments, des arcs de triomphe aussi, construits en 1674, +au moment des grands succès de Louis XIV, ont eu plus de chance. Ce sont +nos portes Saint-Denis et Saint-Martin qui méritent d’ailleurs cette +chance sous tous les rapports, parce que les armées de Louis XIV s’y +trouvent associées à son triomphe, et parce que l’architecte Blondel qui +les éleva, leur a donné un tout autre aspect que celui de purs pastiches +des monuments romains. + +Le Paris de Louis XIV a vu les premiers essais réguliers d’éclairage des +rues entrepris par la municipalité: il y avait bien eu précédemment, aux +époques de troubles, quelques ordonnances enjoignant aux propriétaires +de placer après neuf heures une chandelle allumée sur une fenêtre du +premier étage de chaque maison, mais ces ordonnances étaient oubliées +aussitôt la tranquillité revenue, et Paris retombait dans l’obscurité +propice aux entreprises des larrons. Aussi ne sortait-on le soir qu’en +cas de nécessité, et, quand on se risquait dehors par des temps sans +lune, n’oubliait-on point de se munir d’une lanterne ou d’un falot. Le +souci des fondrières le voulait, comme la prudence commandait de ne se +point hasarder sans armes dans certains quartiers. + +..... La frayeur des nuits précipite mes pas. + Car sitôt que du soir des ombres pacifiques + Au double cadenas font fermer les boutiques: + Que, retiré chez lui, le paisible marchand + Va revoir ses billets et compter son argent; + Que dans le Marché Neuf tout est calme et tranquille, + Les voleurs à l’instant s’emparent de la ville. + Le bois le plus funeste et le moins fréquenté + Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté. + Malheur donc à celui qu’une affaire imprévue + Engage un peu trop tard au détour d’une rue! + Bientôt quatre bandits lui serrant les côtés, + La bourse!... Il faut se rendre! ou bien non, résistez, + Afin que votre mort, de tragique mémoire, + Des massacres fameux aille grossir l’histoire... + +Voilà ce que disait Boileau en 1660 dans sa satire des _Embarras de +Paris_ et le satiriste n’exagérait vraiment pas. Il ajoute un peu plus +loin: + +..... Des filous effrontés, d’un coup de pistolet, + Ebranlent ma fenêtre, et percent mon volet; + J’entends crier partout: Au meurtre! on m’assassine!... + +On devine ce que pouvaient être, dès la nuit bien tombée, ces rues +enténébrées, ces étroites rues aux ramifications compliquées, où les +hautes façades rapprochées comme des falaises de ravins sombres et +profonds, à peine piquées de quelque lumignon timide çà et là, laissent +à peine entrevoir quelques étoiles, ces carrefours de mauvaise +réputation où le tournant des ruelles menace à droite et à gauche, ces +voûtes inquiétantes, portes cochères ou entrées d’impasses, innocentes +dans le jour, prenant l’aspect de coupe-gorge avec la nuit, et tout ce +noir qui vous enveloppait, ce noir sinistre, lugubre, se poursuivant +interminablement! + +Messieurs les voleurs ne se gênaient pas toujours en plein jour et dès +la nuit venue pouvaient se dire les rois du pavé. La chronique de ces +temps est pleine de leurs coups d’audace. N’osèrent-ils pas un beau soir +s’attaquer à M. de Turenne lui-même! Le grand maréchal, ne voyant pas la +résistance possible, y laissa sa bourse; sans doute elle n’était pas +assez ronde, car les voleurs avec la plus grande politesse d’ailleurs, +taxèrent leur illustre victime à une certaine somme en plus, qu’un des +leurs se chargea d’aller toucher le lendemain. + +Le sieur Loret dans sa gazette rimée raconte maints exploits des +détrousseurs de carrefour, qui ne se montraient pas toujours d’aussi +bonnes façons qu’avec Turenne: + + La sœur du chevalier du guet + Fut un jour dévalisée, + Et tout entière dépouillée + Par des barbares inhumains... + +M. de la Reynie, magistrat intègre et vigilant, pour qui l’on créa, à la +réorganisation de la police en 1667, la charge de lieutenant général de +la police de la ville de Paris, travailla énergiquement à l’épuration +des bas-fonds de la capitale, poursuivit à outrance les innombrables +coupe-jarrets et tire-laine, les voleurs et assassins pullulant dans +Paris, ferma les cours des Miracles et jeta truands et vagabonds dans +les prisons ou les hôpitaux. + +Dans sa lutte contre les criminels ou contre les simples fauteurs de +désordres, il commença, en même temps qu’il augmentait le guet, par +éclairer le champ d’opérations de tous les malandrins. On plaça une +lanterne garnie d’une chandelle à l’extrémité de chaque rue et une au +milieu quand la rue était longue. Cette mesure causa une sensation si +profonde, parut une innovation si importante et un bienfait si grand que +pour en perpétuer le souvenir on frappa en 1669 une médaille où se +voyait la Ville de Paris, une lanterne à la main, avec la légende: +_Urbis securitas et nitor_. Pour forcer les _mauvais garçons_ à +respecter ces lanternes gênantes, il y avait peine de galères pour +quiconque y toucherait. + +Par malheur, ces lanternes n’étaient allumées que pendant l’hiver, du 20 +octobre au 31 mars. Le reste du temps on s’en remettait, pour +l’illumination des rues, à l’antique Phébé, lanterne qui ne coûte rien +et que l’on n’a pas la peine d’allumer. On avait aussi les _falots_, une +entreprise dans les divers bureaux de laquelle on trouvait des porteurs +de falots numérotés par qui l’on pouvait se faire accompagner et qui +rendaient divers services à leurs clients. + +Cette institution des falots numérotés vécut longtemps et subsista +jusqu’à la fin du XVIIIᵉ siècle, malgré l’augmentation de l’éclairage +des rues, malgré les réverbères. + +[Illustration: PORTAIL DE L’ÉGLISE DES FILLES SAINT-CHAUMONT] + +Le sévère La Reynie resta une trentaine d’années en charge. La ville de +Paris lui fut redevable d’un grand nombre de règlements de police, +concernant la sécurité des personnes et la salubrité des rues. Par +malheur, vers la fin du XVIIᵉ siècle, avec l’augmentation de la +population et la misère publique, les désordres recommencèrent; il +fallut encore pour remédier au mal doubler le guet à pied et à cheval et +remplacer La Reynie, dont la sévérité s’était peut-être amollie avec +l’âge, par Voyer d’Argenson. + +La dureté et l’inflexibilité de d’Argenson jetèrent la terreur parmi les +malfaiteurs, effrayèrent les méchants sans pour cela rassurer tout à +fait les autres, + +[Illustration: LA BUTTE DES MOULINS AU XVIᵉ SIÈCLE + +_Imp. Draeger & Lesieur, Paris_] + +car cette vigilance énergique était aussi au service des intérêts et des +passions politiques de la cour. Les tristesses de la fin du règne, le +mouvement de folie de la Régence, la multiplication des impôts et le +débordement de la passion du jeu sous toutes ses formes, le _système_ de +Law et l’épidémie de spéculations engendrant la ruine et la +démoralisation, il n’en fallait pas tant pour jeter le trouble partout +et donner naissance aux pires désordres. + +C’est le moment où les exploits du fameux Cartouche mettent sur les +dents lieutenant de police, exempts et commissaires. Malgré +l’augmentation du guet et malgré les agents secrets de d’Argenson, +Cartouche et sa bande terrifient la ville, Paris nocturne redevient +extrêmement dangereux pendant quelque temps. L’arrestation de Cartouche +avec une cinquantaine de ses complices, livrés par un soldat de leur +bande, fit un bruit énorme. Les premiers pris, mis à la question, en +firent découvrir d’autres de toutes les classes sociales, y compris même +des exempts du Châtelet. Les prisons en étaient pleines et après le +grand procès, lorsque Cartouche et les plus coupables conduits en Grève +furent couchés sur la roue où ils devaient être rompus vifs, ils +dénoncèrent encore de nombreux complices pour retarder leur supplice +d’une nuit ou deux. + +[Illustration: LE BUREAU DES MARCHANDES-LINGÈRES, 6, RUE COURTALON] + +Après avoir couvé quelques années dans quelques premières tentatives +d’organisation du crédit, tentatives qui n’avaient réussi ou semblé +réussir que grâce à une série de mesures obtenues de l’État alors acculé +à la banqueroute et gémissant sur ses coffres vides, la fièvre chaude de +la spéculation s’était complètement emparée de Paris en 1719. Le +financier écossais Law était passé dieu. + +Bel homme et beau joueur, ayant couru déjà mille aventures de tout +genre, desquelles il avait toujours su se tirer, même quand elles +avaient abouti à la prison, ce banquier audacieux fut jeté par le hasard +dans les débauches du duc d’Orléans et se trouva ainsi à même de +convertir la Régence à ses plans financiers, à son fameux _Système_ +d’organisation du crédit. Ce joueur effréné allait attirer la France +entière, à demi folle, dans l’immense tripot de la rue Quincampoix. + +Malgré l’opposition et les remontrances du Parlement, l’hostilité de +d’Argenson, le _Système_ triomphait. La Banque générale fondée par le +financier écossais devint la Banque royale et ouvrit l’émission à jet +continu d’actions sur lesquelles les premiers bénéfices éblouirent la +foule. On se rua bientôt sur tous les papiers de la banque, billets, +actions, promesses d’actions. La compagnie universelle des Indes et les +autres affaires de la banque, les fermes et les monopoles accaparés par +elle, fournirent l’occasion d’émissions d’actions, jetées par séries +successives à la tête des spéculateurs. + +Plus d’argent, plus d’or, rien que du papier, des actions par centaines +de mille montées bientôt à des taux formidables, des millions de billets +sur lesquels on se livrait à un agiotage sans frein. Paris, la France, +l’Europe sont infestés. Le cœur de Paris, de la France et du monde bat +rue Vivienne où sont les bureaux de la Banque et rue Quincampoix, +quartier général des financiers. + +A la voir aujourd’hui cette pauvre rue Quincampoix, sombre et triste, +voie tortueuse et assez misérable, où ne passe plus personne, étouffée +qu’elle se trouve entre la vieille rue Saint-Martin et le jeune +boulevard Sébastopol, pourrait-on se douter qu’à un certain moment elle +fut le camp de la finance, le centre des affaires. Ses grandes maisons, +noires aujourd’hui et bien délaissées par le luxe, laissent apercevoir à +peine quelques traces de leur fortune d’antan, quelques sculptures ou +ornements rocaille. Entre les deux grandes artères voisines si vivantes +et si bruyantes, son silence, sa tristesse marquent davantage sa +déchéance. Antérieurement au système, la rue Quincampoix était déjà +vouée au commerce de l’argent, le _bureau des Merciers_, siège d’une +importante corporation, était à l’entrée en face de la petite église +Saint-Josse et proche de la _Chambre des assurances maritimes_; il y +avait des banquiers, des courtiers, des juifs surtout, des usuriers et +tripoteurs agiotant sur les traites et les billets de l’État, tombés +considérablement à la fin du règne du grand Roi. La rue avait donc ses +habitués, quand débuta l’affaire du système, elle se vit envahie tout à +coup par des hordes d’agioteurs de toutes les classes sociales. + +Pendant toute l’année 1719, une foule tumultueuse s’y étouffait aux +heures marquées pour le trafic, une foule enragée de l’âpre passion de +la spéculation s’y ruait sur les papiers de la Compagnie, pendant que +chez le Régent, les plus grands seigneurs de France et jusqu’à des +mandataires des souverains étrangers sollicitaient des souscriptions +privilégiées aux émissions. A la fin de 1719 il y avait un milliard de +billets du système sur le marché. + +La fortune était folle et la démence s’emparait de toutes les classes +sociales. De la corne d’abondance de la déesse aux yeux bandés, à la +roue prestigieuse, des millions pleuvaient, lancés à tort et à travers +sur la foule. Du soir au matin des situations sociales changeaient du +tout au tout, tel richard du matin se trouvait tombé à la misère le +soir, et tel qui s’éveillait misérable se voyait le soir possesseur de +quelques millions... en papier. Ceux qui savaient réaliser à temps et +quitter le tripot avec leurs bénéfices achetaient terres et châteaux, +vendus par des gens empressés de courir en porter le prix rue +Quincampoix. + +Chance inouïe pour les propriétaires des moindres logis de la rue +Quincampoix, les maisons rapportaient des loyers fabuleux, les plus +humbles locaux se louaient à des prix extravagants pour y établir des +bureaux d’agioteurs. Il y en avait partout en haut et en bas des +maisons, des financiers plus ou moins gros, plus ou moins marrons, dans +tous les coins où pouvait s’installer une table pour les opérations de +tous ces écumeurs qui trouvaient leur Mississipi dans les ruisseaux de +la rue Quincampoix, et les Grandes Indes dans les poches de leur +clientèle affolée. La banque de Law était établie au nº 47 dans une +maison à trois fenêtres de façade, ornées de quelques sculptures, maison +disparue aujourd’hui, emportée par le percement de la rue de Rambuteau. +Il fallut faire placer une grille et un corps de garde aux deux +extrémités de cette rue. Au milieu une cloche sonnait l’ouverture des +séances à 6 heures du matin et la clôture à 9 heures du soir. Aux +alentours de ce champ de foire financier, on se plaignait de l’affluence +des carrosses qui interrompaient la circulation et bouchaient les +carrefours. + +Dès que la cloche avait sonné l’ouverture légale des opérations, la +bousculade commençait, on se pressait, on s’étouffait; du haut en bas +des maisons des flots d’or roulaient, s’échangeant furieusement contre +des papiers de la banque. Les actions de 500 livres étaient montées à +12, 15, 20,000 livres et l’invraisemblable ascension des cours ne +semblait pas près de finir. La monnaie de métal d’ailleurs baissait de +valeur et même se voyait proscrite, l’or et l’argent pourchassés +n’étaient plus reçus dans les paiements que pour une petite fraction. Il +était interdit d’en conserver plus d’une certaine quantité, le reste des +capitaux monnayés devait sous les peines les plus dures être apporté aux +caisses de l’État pour y être échangé contre des billets de la banque +Royale. Le pauvre XVIIIᵉ siècle a donc vu deux fois les assignats, ceux +de la République, pourvus d’une illusion de garantie au moyen des biens +nationaux, ceux de la Régence hypothéqués sur les mirages du Mississipi. + +On peut donc se figurer, dans la rue Quincampoix, l’encombrement et le +tapage, les clameurs diverses qui remplissent aujourd’hui notre monument +grec de la rue Vivienne. Du haut en bas des maisons et d’un bout de la +rue à l’autre sur le pavé, on criait des cours, des offres de demandes, +tout se faisait rapidement, si l’on avait quelque signature à donner, +quelques mots à écrire, dans la presse, le dos d’un personnage +obligeant, moyennant une misère, un écu ou deux, se transformait en +pupitre. Le petit bossu, fameux dans l’histoire du système, amassa ainsi +en peu de temps 150,000 livres, qu’entraîné par l’exemple il eut la +sottise de risquer comme les autres et qu’il perdit de même. Les belles +dames intéressées par cette folie de l’époque, ou piquées elles aussi +par le démon de l’agio, venaient s’entasser dans l’échoppe en planches +d’un savetier, pour contempler le spectacle extraordinaire de cette +course à la fortune, ou plutôt surveiller les opérations de leurs maris +et mandataires. L’heureux savetier avait cessé de ressemeler des +souliers et s’amassait des rentes avec ses belles locataires d’un +moment. + +On cite une foule d’anecdotes sur ce temps, la plus drôle est celle de +l’abbé qui vint vendre, au lieu d’actions, des billets d’enterrement +sans que les acheteurs, dans leur hâte d’empocher, s’aperçussent de la +plaisanterie. Les cours montaient ou descendaient avec une rapidité +inouïe et les fortunes faisaient de même; des grands seigneurs se +trouvaient ruinés à plate couture en une séance, de braves marchands de +province devenaient soixante fois millionnaires dans le même temps, des +commissionnaires, des laquais se transformaient soudain en énormes +capitalistes. La veuve de Racine y perdit tout son modeste avoir. Un +banquier qui se ruina en même temps que son valet s’enrichissait, céda à +celui-ci son hôtel, ses chevaux et son carrosse. + +[Illustration: LA MAISON DE LAW, RUE QUINCAMPOIX (DÉMOLIE)] + +Les mouvements de hausse étaient si rapides que des intermédiaires +chargés d’acheter des actions trouvaient moyen de réaliser de +considérables bénéfices dans l’intervalle entre l’achat et la livraison. +Aussi quelle existence menaient ces gens étourdis par tout ce +bruissement de millions remués par toutes les mains! Il se faisait mille +folies, par tous les lieux de plaisir; on jouait dans les tripots de la +foire Saint-Germain des billets de 10,000 livres sur une carte. Alors +dans ce roulement extravagant des fortunes, le commerce et l’industrie +prirent tout à coup un essor fabuleux, les têtes avaient tourné à tout +le monde, les nouveaux enrichis ne savaient comment employer leurs fonds +et se lançaient dans un luxe insensé. Un de ces nababs nouveaux, pour +monter rapidement sa maison, acheta le fonds d’un orfèvre; avec la +vaisselle plate il se trouvait une grande quantité de ciboires et de +reliquaires, il prit le tout et le disposa sur ses buffets, dans un +hôtel meublé somptueusement avec la même profusion inouïe. + +Mais quel réveil quand vint la débâcle, quelle chute pour ceux qui ne +surent pas comprendre que ce mouvement tout factice devait forcément +s’arrêter. Les beaux jours du système tiraient à leur fin. Toutes les +actions, les premières, les _mères_, et celles des émissions suivantes, +les _filles_ et les _petites-filles_, avaient tellement monté qu’elles +ne pouvaient plus que descendre, les gens prudents jugèrent le moment +venu de sortir de l’affaire et de réaliser définitivement leurs +bénéfices. + +En peu de semaines le mouvement des réalisations s’accéléra, la baisse +commençait. Le prince de Conti, ennemi de Law, précipita encore le +mouvement en venant à la Banque enlever ses fonds ostensiblement, avec +trois chariots. Bientôt ce fut la panique, on s’étouffa de plus en plus +dans la rue Quincampoix ou devant les bureaux de Law, mais ce fut pour +essayer de sauver quelques bribes du désastre. Dans la rue Vivienne, +envahie dès trois heures du matin, il y eut un jour seize personnes +étouffées. + +[Illustration: HÔTEL DE LA CHANCELLERIE D’ORLÉANS, RUE DES +BONS-ENFANTS] + +Law dans ces moments terribles où il luttait en désespéré fut plusieurs +fois en grand péril. On renversa ses voitures, on assomma ses gens, s’il +était tombé entre les mains du peuple furieux, il était mis en pièces. +Une grave crise politique s’en suivit. Le parlement s’étant mis sur la +question en opposition avec la Régence était exilé à Pontoise. + +...C’est fini pour la rue Quincampoix, on la ferme. Le Système est à +l’agonie, le papier tombe, mais il y a encore des agioteurs, qui +tripotent maintenant à la baisse. Law transporte ses bureaux dans un des +hôtels neufs de la place Vendôme. Le camp de l’agio est transféré sous +les tentes établies au milieu de la place Vendôme qui était alors un +quartier de gros financiers. Le Système meurt gaiement en musique, dans +une espèce de fête galante que l’on transporte bientôt dans les jardins +de l’hôtel de Soissons sous des baraques mieux installées. Et celui qui +a mis cette immense affaire en branle, qui a bouleversé toutes les +fortunes particulières et celle de la France, Law vaincu, complètement +ruiné, quitte un jour Paris, emportant à peine quelques poignées de +louis, pour s’en aller mourir peu après à Venise. + +Il est assez extraordinaire de pouvoir dire qu’en définitive tous les +désastres accumulés par le vertigineux coup de folie, tous les +successifs effondrements de tant de fortunes privées, tous les +écroulements particuliers tournèrent au profit de la fortune générale +une fois la douloureuse liquidation faite et la banqueroute partielle de +l’Etat acceptée. Tous les historiens le constatent; le Système, parmi +tant de ruines, avait fait quelque bien. Law avait à son actif quelques +heureuses mesures, suppressions de charges, régularisation d’impôts, et +le mouvement industriel et commercial, né de la grande secousse, devait, +après un temps d’arrêt, reprendre et continuer. Mais quelle profonde +perturbation, le ver était dans le siècle, avec les germes de +démoralisation devant faire lentement leur œuvre, pour aboutir à cette +autre terrible liquidation que les enfants de la Régence verraient en +leur vieillesse. + +Il ne faut donc plus chercher la maison d’où sortirent toutes ces choses +et la rue elle-même a modifié son aspect. Les façades qui ont vu la +grande folie sont maintenant fort rares; pour cause d’alignement elles +ont reculé de deux mètres pour la plupart; il n’y a plus de ce temps que +celles qui avancent encore et marquent l’ancienne largeur--ou +étroitesse--de la rue. Après la rue Aubry-le-Boucher, l’ancienne rue des +Cinq-Diamants est restée étroite et intacte; il faut s’y casser le cou +pour admirer quelques mascarons aux fenêtres et de vieux balcons à des +maisons qui furent jadis demeures de gens importants. + +Au moment le plus chaud du système, se produisit une affaire qui eut un +retentissement terrible. A l’angle de l’étroite ruelle de Venise qui +fait communiquer la rue Quincampoix avec la rue Saint-Martin se trouvait +le cabaret de l’_Epée de bois_, toute la journée rempli et bondé +d’agioteurs. Le jeune comte de Horn, fils d’un prince allemand, parent +de l’Empereur et du Régent, venu à Paris sans doute pour prendre sa part +des profits, avait considérablement perdu à l’agio et au jeu dans les +tripots de la foire Saint-Germain. Pour se refaire d’un seul coup, il +eut l’audace, avec deux aigrefins ses complices, en plein jour, +d’attirer dans une petite chambre du second étage, en ce cabaret de +l’Épée de bois, un malheureux courtier porteur de 150.000 livres en +billets. + +On entama une opération, comme le courtier se penchait pour écrire, le +comte de Horn soudain lui entortilla la tête avec une serviette pendant +que ses complices le poignardaient. L’homme put crier pourtant et ses +cris jetèrent l’alarme dans la maison. On accourut. Les deux complices +quittèrent la chambre à temps et se perdirent dans la foule; le comte de +Horn effaré prit par la fenêtre, et s’accrochant à des bois de charpente +étayant la maison put descendre jusqu’en bas sans se blesser. Il pouvait +encore essayer de se sauver, mais il prit le parti de se rendre lui-même +chez le commissaire, et de dire, pour détourner les soupçons, qu’il +avait failli aussi être assassiné. Convaincu bientôt de son crime, le +comte de Horn fut condamné à mort malgré tous les efforts et toutes les +supplications de sa noble parenté. Le régent, sur les instances de +d’Argenson et du cardinal Dubois, tint bon et ce fils de prince régnant +fut rompu en Grève avec un de ses complices que l’on avait pu retrouver. + +A côté du Palais Royal où Philippe d’Orléans partageait son temps entre +les conseils de cabinet et les petits soupers, entre les affaires de +l’Etat et les parties de débauche, avec sa bande de roués et ses +maîtresses, Dubois, son principal conseiller habitait un hôtel +particulier que l’on peut voir dans la rue des Bons-Enfants, un peu +noirci mais encore intact avec sa façade d’une élégante tournure, sa +porte magistrale. C’était la chancellerie d’Orléans, une dépendance du +Palais Royal. + +Saint-Simon, qui n’a pas le crayon tendre, trace en deux lignes un +croquis physique et moral de Dubois: «C’est un petit homme maigre, +effilé, chafouin, à perruque blonde, à mine de fouine, à physionomie +d’esprit. Tous les vices combattaient en lui à qui en resterait le +maître.» + +Fils d’un apothicaire de Brives-la-Gaillarde, Dubois était venu faire +ses études comme boursier dans un des petits collèges de Paris, au +collège Saint-Michel, dont il subsiste rue de Bièvre, nº 12, une maison +signalée par une statuette gothique de saint Michel au-dessus de la +porte. Sa situation au sortir du collège demeura quelque temps +misérable, il fut instituteur de petits bourgeois ici, laquais ailleurs, +jusqu’au jour où le précepteur du futur duc d’Orléans se l’adjoignit, +après lui avoir fait prendre le petit collet. Il était ainsi l’abbé +Dubois sans avoir reçu les ordres. Peu à peu l’intelligent adjoint du +précepteur en titre suppléa celui-ci qui se faisait vieux et, avec +l’appui de son élève lui-même et de ses amis, obtint à la fin la place, +malgré sa mauvaise réputation déjà bien établie. Ce précepteur ivrogne +et débauché, mais spirituel et rusé, insuffla sa corruption dans l’âme +du duc d’Orléans, né pourtant avec les plus heureuses qualités, et lui +donna tous ses vices. Attaché désormais à la maison d’Orléans, quelle +fortune inespérée pour le boursier de Saint-Michel aux commencements si +durs! Ce n’était pourtant pas fini et le sort lui réservait beaucoup +mieux en sa vieillesse. L’abbé Dubois est déjà vieux, il a soixante ans +quand son élève prend la Régence; sa fortune alors fait un bond +prodigieux. Dubois est diplomate, ambassadeur, il est ministre et dirige +les affaires extérieures de la France, au mieux, dit-on, des intérêts de +l’Angleterre qui lui paie pour cela une pension de 100.000 écus. Ces +hautes dignités ne lui suffisent pas, il n’est qu’abbé pour rire, il +veut être archevêque de Cambrai; il violente le Régent qui l’injurie, +mais qui se laisse arracher le siège, et Dubois avant de coiffer sa +mitre et de prendre sa crosse doit s’en aller d’abord recevoir la +prêtrise.--Ne vous faudrait-il pas aussi le baptême? lui demanda +ironiquement l’évêque qui l’ordonna. Devenu archevêque, il ne lui +restait plus que le chapeau de cardinal à conquérir, il y arriva bien +vite... + +Ce prélat, qui riait volontiers de son élévation dans les soupers du +Palais Royal et défiait tous les cardinaux réunis d’être à eux tous plus +athées que lui tout seul, ne put jouir longtemps de ses extraordinaires +succès; il mourut en 1723 et fut enterré dans l’église Saint-Honoré, +voisine de la Chancellerie. Il y eut son tombeau surmonté de sa statue +par Coustou fils. La malchance s’acharna sur le tombeau de Dubois; +d’abord il avait été placé de façon telle que la statue tournait le dos +à l’autel, ce qui donnait l’occasion de rappeler à tout visiteur +l’indignité du cardinal des orgies de la Régence. Lorsqu’on démolit +l’église en 1792 et que l’on construisit sur son emplacement le passage +Saint-Honoré, on utilisa certains murs de l’église; alors dans la +chapelle du cardinal, ignoble affectation, s’installa une maison de +débauche, et l’âme de Dubois sans doute ne s’y trouvait point trop mal à +l’aise; mais ce ne fut pas tout et le plus horrible reste à dire: comme +pour symboliser terriblement l’ignominie restée attachée au nom de +Dubois dans l’histoire de cette maison de débauche, le caveau funéraire +de Dubois devint la fosse d’aisances! + +Au commencement du siècle la vieille abbaye de Saint-Germain avait +achevé de perdre ce qu’il lui restait de son caractère de petite ville +close, qu’elle avait gardé si longtemps. Le faubourg Saint-Germain +s’étendait et prospérait, le prix des terrains montait; les moines, pour +profiter de cette hausse, et d’ailleurs ayant dépensé beaucoup d’argent +dans les travaux de transformation exécutés sous Louis XIV, bâtirent +plusieurs rues dans leur enclos, entre autres les rues Cardinale et +Furstenberg, ainsi baptisées du nom de l’abbé qui était le cardinal Jean +de Furstenberg. Ces rues enserraient le beau palais abbatial d’un amas +de maisons et de bâtisses à petits loyers qui lui nuisaient beaucoup. +Les abbés par cette spéculation se résignaient à un voisinage médiocre +bien rapproché; ils n’étaient plus chez eux, sauf par derrière où leurs +jardins étaient à peu près enfermés par l’église et par le gros bâtiment +carré de la prison de l’Abbaye, passée aux mains de l’Etat et qui devait +prendre un sinistre renom lors des égorgements de 1792. + +Après la prison, sur le flanc sud de l’église on fit encore deux rues, +la rue Childebert et la rue Sainte-Marthe encadrant la place du Parvis +au pied de la grosse tour. Le boulevard Saint-Germain a fait sauter tout +cela. La prison de l’Abbaye, démolie en 1854, tenait toute la largeur du +boulevard devant le petit passage de l’abbaye. + +Le nom de la rue Childebert évoque pour nous le souvenir d’une maison +célèbre dans les fastes littéraires du siècle, maison fameuse, maison +bruyante, la _Childebert_ comme on disait, où vécurent des poètes et +des peintres tous plus ou moins échevelés, de l’époque romantique. Une +jolie petite fontaine appuyée sur une façade de cette rue Childebert, +une simple niche en coquille surmontée de deux dauphins, mérite de +rester dans le souvenir. + +[Illustration: PASSAGE DU CLOÎTRE SAINT-HONORÉ] + +En face de la vieille abbaye et des maisons de la rue Childebert, avait +rapidement prospéré, sous le règne du grand roi, une Académie comme il y +en avait plusieurs en ce quartier, rue de Condé, rue de l’Université, +rue du Vieux-Colombier, etc., établissements où les jeunes gentilshommes +venaient compléter leur éducation, c’est-à-dire apprendre les armes, +l’équitation et la danse. Cette académie est déjà marquée sur le plan de +Gomboust; ses bâtiments se retrouvent dans la cour du Dragon, qui +n’était pas alors un passage, cour très curieuse, remarquable d’abord +par sa porte d’entrée; la haute voûte cintrée encadrant une fenêtre à +beau balcon supporté par un gigantesque Dragon, ailé, boursouflé et +pustuleux. Ce dragon, représentant un monstre légendaire dompté par +sainte Marguerite, est là parce qu’il faisait face à la rue +Sainte-Marguerite aujourd’hui Gozlin. La maison au fond de la cour du +dragon n’est pas moins pittoresque avec ses deux tours encorbellées où +se suit extérieurement la spirale de l’escalier; le passage donne rue du +Dragon, jadis du Sépulcre, où se trouvent des maisons du XVIᵉ siècle +plus ou moins transformées, mais montrant encore parfois des pignons ou +des détails caractéristiques. Au nº 24 a demeuré Bernard Palissy, le +maître potier des _Rustiques figulines_. On y voyait naguère comme +souvenir, encadré dans la muraille au-dessus de la porte, un médaillon +de Palissy représentant Samson terrassant un lion, avec cette légende +qui servait d’enseigne à la maison: _Au fort Samson_. Le plat a disparu +pour aller enrichir quelque collection. + +Non loin de ces académies de danse et d’équitation s’élevait au +commencement du XVIIIᵉ siècle, sur des terrains cédés par les Carmes +déchaussés, le bel hôtel dit de Hinisdal, du nom de l’un de ses +propriétaires après la Révolution. Grande porte majestueuse, style du +grand siècle, belle cour entourée d’imposants corps de logis. Ce fut il +y a cent ans l’hôtel du dernier gouverneur de Paris sous l’ancien +régime, le duc de Brissac, qui par dévouement à la monarchie ne voulut +pas émigrer, resta près du roi, devint le commandant de sa garde +constitutionnelle en 90 et fut en 93 arrêté en province et massacré à +Versailles, comme on le ramenait à Paris pour le juger. Il aimait d’une +affection très vraie, avec un grand dévouement aussi, Mᵐᵉ du Barry, qui +devait finir peu après lui sur l’échafaud où l’amenaient les +dénonciations de ses gens de Louveciennes, intendant et valets pillards, +y compris le nègre Zamore, devenu une autorité dans le pays. + +Ce coin des rues Cassette et de Vaugirard est un endroit tragique. Au +couvent des Carmes qui touche à l’hôtel de Brissac, les massacreurs de +septembre égorgèrent 117 prêtres insermentés parmi lesquels plusieurs +évêques. La chapelle des martyrs existe encore. Dans le jardin où les +assassins poursuivaient leurs victimes, les flonflons résonnèrent +aussitôt après la Terreur; c’était le bal des Tilleuls, un des +innombrables endroits où Paris sortant de son bain de sang, heureux de +vivre, se rua au plaisir. + +Ces quartiers de la rive gauche virent encore au XVIIIᵉ siècle s’achever +d’autres transformations. Sur le côté gauche du collège des Quatre +Nations, l’hôtel Guénégaud qui avait succédé à l’hôtel de Nesle, était +devenu sous Louis XIV l’hôtel Conti, pour la princesse de Conti qui +l’avait augmenté d’un petit hôtel. En 1750, la ville de Paris acheta le +tout et après diverses hésitations, on en décida en 1769 la démolition +pour construire sur cet emplacement l’hôtel des Monnaies, celui que nous +voyons actuellement, considérable masse de bâtiments dans lesquels fut +cependant conservé le petit hôtel Conti. + +Parmi les beaux hôtels du faubourg Saint-Germain, deux palais importants +s’élevaient, le premier était né en 1722, mais on y avait travaillé tout +le long du siècle. C’est le palais Bourbon, notre chambre des députés, +dont les bâtiments primitifs construits pour la duchesse de Bourbon, +continués par les princes de la maison de Condé, furent au moment de la +Révolution considérablement transformés et augmentés pour loger d’abord +la commission des travaux publics, en 93, quand le palais des Condé +s’appela maison de la Révolution, puis le conseil des Cinq-Cents sous le +Directoire. La façade sur le quai date de l’Empire; mais, de +transformations en adaptations, les travaux continuèrent jusque vers +1830. + +L’autre palais est un charmant édifice construit d’un seul jet dans le +style gréco-français de Louis XVI, par l’architecte Rousseau, pour le +prince Frédéric III, rhingrave de Salm-Kirburg. Il donne sur la rue de +Lille et sur le quai d’Orsay; l’entrée principale rue de Lille est une +sorte d’arc de triomphe ouvrant au milieu d’un portique ionique qui se +continue tout autour de la cour d’honneur. Pour racheter la froideur +antique de cette arche triomphale on a jeté coquettement au-dessus de +l’archivolte de la voûte des bouquets de fleurs et de feuillages. + +Sur le quai le palais ne se présente pas moins gracieusement; au-dessus +d’un jardin en terrasse, façade décorée d’une rangée de bustes, et au +milieu, pavillon demi-circulaire terminé par une coupole basse entourée +de statues. + +Le prince de Salm qui se construisit ce palais était un grand seigneur +allemand au service de la France, marié à une Hohenzollern. Grand +joueur, ayant entamé déjà sa principauté en prodigalités ostentatives, +le prince se trouva, la construction terminée, à peu près complètement +ruiné. Il acheva cette ruine en dépenses d’installations, en fêtes et +pendaisons de crémaillère, si bien qu’au commencement de la Révolution +il n’était plus que le locataire de son architecte. + +Pour couronner dignement une vie de désordres, ce prince Frédéric de +Salm-Kirburg, jadis aussi absolument aristocrate que possible, se jeta +dans le mouvement révolutionnaire et s’efforça de faire oublier son +origine par l’excès de son sans-culottisme. Il ouvrit même un club +démagogique en son hôtel, mais comme malgré tout on se moquait du prince +sans-culotte, on appela cette réunion où l’on phrasait à tort et à +travers le club Salm-igondis, et le pauvre citoyen Salm, emprisonné +malgré ses preuves de civisme, fut guillotiné par ses nouveaux amis. + +Sous le Directoire, le palais tomba en de tristes mains, il fut acheté +par un nommé Lieuthrand, ex-garçon perruquier, enrichi dans l’agiotage +et les fournitures nationales, et qui se faisait appeler marquis de +Beauregard. Pour continuer la tradition du prince, Beauregard donna des +fêtes splendides à toute la bande d’agioteurs et de financiers véreux de +ce temps, mais il vit bientôt sa carrière interrompue par la gendarmerie +et dut quitter son palais pour les galères, en raison de quelques +escroqueries un peu trop fortes. + +Mᵐᵉ de Staël occupa quelque temps le palais ensuite, le temps de le +purifier, puis Napoléon l’acheta pour y installer la Chancellerie de la +Légion d’honneur. Elle est encore là, mais le palais n’est plus tout à +fait celui du prince de Salm, pétrolé en 71. La Commune y avait installé +le général Eudes et son état-major; le 23 mai, quand arrivèrent les +troupes de Versailles, les fédérés battirent en retraite après avoir +savamment organisé l’incendie du palais. Les derniers tisons éteints, il +ne restait plus debout, sur les décombres, que le portique d’entrée et +les colonnades de la cour d’honneur; il fallut donc reconstruire le +palais, mais on s’abstint d’apporter aucun changement aux anciens +plans. + +[Illustration: PORTE DE LA COUR DU DRAGON] + +Parmi les grands travaux accomplis sous le roi Louis XV le Bien-Aimé, il +faut citer la création de la place Louis XV, plus tard de la Révolution, +puis de la Concorde, l’Ecole militaire et la fontaine de la rue de +Grenelle. Celle-ci est un bel échantillon de l’art décoratif académique +du XVIIIᵉ siècle; elle n’a rien de rococo, de ce qui caractérisait le +style Louis XV aux lignes contournées, parfois amples et grasses; on y +sent déjà l’école de David et le triomphe des purs Romains de la +génération suivante: mais il y a de jolis morceaux dans ce grand décor +assez froid et de gracieuses figures sculptées par Edme Bouchardon. + +Cinq cents jeunes gentilshommes devaient être logés à l’École militaire +et y recevoir toute l’instruction nécessaire à la carrière d’officier; +l’architecte Gabriel leur éleva la monumentale caserne à portique qui +fait le fond du Champ de Mars, vaste quadrilatère aménagé pour les +exercices militaires des élèves. + +[Illustration: LA COUR DU DRAGON] + +Il semble que Louis XV dont le triste règne a préparé la terrible crise +de la Révolution, préparait aussi par une sorte de fatalité le terrain +nécessaire pour les grandes évolutions de peuple, arrangeait le cadre +des formidables événements qui devaient marquer le règne de son +successeur et la fin sanglante de la dynastie. En grande partie +responsable de la Révolution, pour les hontes et les fautes de son règne +néfaste, il fit le lit de cette Révolution. + +Là-bas, devant l’Ecole militaire, il traçait le champ de la future +fédération, où le 14 juillet 1790, au commencement de la grande +commotion, les Français des diverses classes, l’Assemblée, la garde +nationale, des députations des gardes nationales de quarante-deux +départements, avec le drapeau tricolore encadré par le drapeau blanc et +par une représentation de la vieille oriflamme des anciens temps portée +par des maréchaux de France, le roi et les représentants de la Commune +vinrent solennellement jurer la Constitution, Lafayette conduisant +l’immense cortège, et M. de Talleyrand, alors évêque d’Autun, disant une +messe solennelle sur l’autel de la Patrie. + +D’autres fêtes devaient suivre cette journée de fraternisation, il ne +fallut pas attendre plus d’un an pour y voir couler le sang sur les +marches de l’autel de la Patrie; ce fut un jour de grande explosion des +colères populaires savamment attisées par des meneurs, manifestation +aboutissant à la proclamation de la loi martiale, à des fusillades et +mitraillades jonchant de cadavres le terrain où l’année d’avant ces +Français s’étaient embrassés. Après cette journée sanglante dont +l’épilogue eut lieu sur le même point dix-huit mois plus tard, par le +supplice de Bailly, du malheureux Bailly attendant assis dans sa +charrette, sous la pluie et la bise glaciale de novembre, que le montage +de la guillotine fût achevé, le Champ de Mars vit d’autres fêtes: Fête +commémorative de la prise de la Bastille, défilé de l’Assemblée, des +gardes nationales et du peuple autour d’un bûcher où l’on brûla +solennellement armoiries, couronnes, titres de noblesse; Fête des +victoires après la première campagne de Bonaparte en Italie; Fête de la +fondation de la République avec jeux et courses de chars à la romaine, +etc... Ces premières années du Champ de Mars furent bien mouvementées, +mais des temps plus calmes vinrent et il ne fut plus qu’une Esplanade de +manœuvres, jusqu’aux jours où les Expositions universelles +l’accaparèrent pour les grandes assises de l’industrie. + +Arrivons à l’autre emplacement révolutionnaire préparé par Louis XV. +Sous le règne précédent Paris finissait ici au bout du jardin des +Tuileries par un bastion enfermant une garenne entre la Porte de la +Conférence sur le quai, et la Porte Saint-Honoré plus haut, mais Paris +avait grandi, le jardin des Tuileries avait renversé le bastion. Entre +le jardin et le commencement du Cours la Reine, restait devant le pont +tournant du jardin des Tuileries un vaste espace vide ou occupé par des +hangars, des dépôts du magasin des marbres, espace dont le prévôt des +marchands et l’échevinage projetèrent de faire une place monumentale +avec, pour principal ornement, la statue du roi Louis XV, alors le +Bien-Aimé, que la petite vérole avait failli enlever à l’amour de son +peuple. + +Votée en 1748, la statue ne put être terminée qu’en 1763, Louis XV était +toujours sur le trône, mais il n’était plus le Bien-Aimé, c’était le roi +du parc aux cerfs et de Mᵐᵉ de Pompadour, que Mᵐᵉ du Barry allait +remplacer. Aussi, quand la statue parut sur un piédestal flanquée de +quatre grandes figures de femmes symbolisant la Force, la Paix, la +Prudence et la Justice, les pasquinades insultantes ne manquèrent pas. +On placarda sur le piédestal entre autres épigrammes celle-ci: + + O la belle statue! ô le beau piédestal! + Les vertus sont à pied, le vice est à cheval! + +L’architecte Gabriel avait fait à cette statue un cadre vraiment +magnifique. Le quadrilatère de la place Louis XV était dessiné par un +large fossé entouré de balustrades, ouvert aux angles et au milieu de +chaque face. Au fond s’élevèrent les deux bâtiments jumeaux du +garde-meuble et du ministère de la marine, édifices d’une belle +ordonnance et de lignes imposantes, entre lesquels alors s’apercevaient, +au lieu du temple grec de la Madeleine, les petites maisons du boulevard +et la verdure de la campagne voisine. + +Hélas! la belle place aux tragiques destins si proches devait avoir, à +peine achevée, un sinistre baptême. C’était le 30 mai 1770. En +réjouissance du mariage du dauphin avec l’archiduchesse +Marie-Antoinette, la municipalité fit tirer un feu d’artifice sur la +place encore en partie obstruée de matériaux. Une foule immense était +venue contempler le spectacle. Aussitôt la dernière fusée éteinte, cette +foule entassée entre les fossés et qui n’avait pour rentrer dans Paris +que l’issue de la rue Royale, se mit en mouvement et se heurta à une +autre foule de curieux descendant des boulevards. Il y eut dans +l’obscurité une atroce mêlée. Les deux masses se heurtant s’étouffèrent; +tout ce qui tombait était piétiné, écrasé, des flots humains roulaient +sur d’autres flots humains, se broyaient sur les obstacles, soulevaient +des voitures dont on égorgeait les chevaux à coups de couteau; des gens +affolés mettaient l’épée à la main pour essayer de se faire jour. Quand +l’effroyable mêlée se fut dissipée, il restait sur le terrain plusieurs +centaines de cadavres. Tristes noces pour le pauvre couple qui devait +finir ici même aussi, vingt-trois ans après. + +Entre ce baptême lugubre et les grandes et sanglantes journées qui vont +venir, la place Louis XV a peu de choses en ses annales; elle hérita de +la foire Saint-Ovide qui se tenait précédemment sur la place Vendôme, et +qui amena avec elle de la gaieté pour quelques années. Dans la nuit du +22 au 23 septembre 1777, un incendie éclata, baraques de saltimbanques +et de montreurs de curiosités, boutiques de marchands, théâtres de +marionnettes, tréteaux de chanteurs, tout brûla. + +Que citer encore? Des défilés joyeux en attendant les autres, le défilé +du carnaval qui dans ces dernières années de la monarchie était très +bruyant et remplissait la rue Saint-Honoré et les grandes voies +d’innombrables masques; le cortège du beau monde, à la fin du carnaval, +pour la promenade traditionnelle de Longchamps, où les impures et les +filles d’Opéra, mêlées aux duchesses, rivalisaient de luxe et d’élégance +dans les toilettes et dans les équipages tarabiscotés, pour lesquels les +carrossiers trouvaient les inventions les plus galantes, comme cette +conque dorée et enguirlandée dans laquelle trôna Mˡˡᵉ Guimard fardée +jusqu’à l’extravagance. + +Mais voici avec l’an 89 bien d’autres foules et bien d’autres tumultes; +la place Louis XV voit passer le prince de Lambesc cavalcadant et +sabrant à la tête de Royal Allemand, puis des bandes de gardes +nationaux, de fédérés fêtant dans les guinguettes des Champs-Élysées la +liberté conquise et la Bastille démolie, des cortèges de clubistes et de +sectionnaires, allant pour quelque cérémonie à l’autel de la Patrie. + +Mais ce n’est encore que la petite pièce avant la grande. Voici le drame +qui se dessine et les événements qui se précipitent. Les femmes de +Paris, le 6 octobre, sont allés enlever la royauté de son château de +Versailles et la ramènent à Paris, déjà captive, sinon prisonnière. +C’est encore dans le carrosse royal traîné à huit chevaux que Louis XVI +et Marie-Antoinette font leur entrée dans leur capitale, mais autour de +ce carrosse les poissardes dansent et chantent, le peuple brandit des +milliers de sabres et de fusils, et, en avant pour ouvrir la marche, des +énergumènes balancent à la pointe des piques quelques têtes de gardes du +corps. + +Le 10 août 1792, le canon et la fusillade annoncent que derrière les +bosquets des Tuileries le peuple donne le dernier assaut à la royauté, +puis les feux de peloton, les salves d’artillerie s’espacent, d’immenses +clameurs de victoire et d’horribles cris retentissent. Le château est +pris, ses derniers défenseurs sont égorgés ou fuient dans le jardin; on +leur donne la chasse, ils tombent sous les arbres les uns après les +autres; seuls, quelques groupes peuvent gagner les Champs-Élysées... + +[Illustration: BALCON, RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS] + +Le pont de la Concorde, alors appelé pont Louis XVI, a été commencé en +1787; ironie du sort, ce pont Louis XVI, on l’achève avec les pierres +provenant de la démolition de la Bastille. Comme il mène à la Chambre +des députés, il restera révolutionnaire, en dépit de son nouveau nom, et +chemin naturel de l’émeute, nous l’avons déjà vu maintes fois. + +Toute blanche, toute fraîche dans la fleur de sa jeunesse, la place +Louis XV voit disparaître la statue de Louis le Bien-Aimé et s’élever +sur le même piédestal une colossale figure de la Liberté. La place n’en +reste pas moins coquette et jolie. A l’ombre de cette figure de la +Liberté, on construit autre chose, l’autel sur lequel on va lui offrir +de terribles holocaustes, l’autel sur lequel Samson dira tous les jours +pendant des mois la _messe rouge_. + +La place Louis XV est la place de la Révolution ou plutôt la place de + +[Illustration: UNE FÊTE A LA FOLIE-MONCEAUX.--1787 + +Imp. Draeger & Lesieur, Paris] + +la Guillotine. Le carrosse royal encore une fois va passer. Le 21 +janvier 93, sur l’immense place couverte de troupes, la guillotine fait +le centre d’un carré de fusils et de canons derrière lesquels se +pressent, houleuses et sombres, les masses populaires. A dix heures du +matin, au roulement des tambours de Santerre qui étouffent la dernière +protestation royale, tombe la tête de Louis XVI. + +[Illustration: INCENDIE DU PALAIS DE LA LÉGION D’HONNEUR (HÔTEL DE +SALM), MAI 1871] + +Le roi était venu à la guillotine dans son carrosse, la reine, plusieurs +mois après, y viendra en charrette, après avoir suivi, les mains liées +derrière le dos, toute la rue Saint-Honoré, longue route d’un calvaire +qui lui permettait d’entrevoir au détour de chaque rue transversale, le +palais où elle avait régné et les beaux ombrages du jardin où le soleil +avait éclairé les heureuses journées de naguère. + +Avant elle et après elle, combien de fois la charrette fit-elle, ou +plutôt le convoi de charrettes fit-il ce voyage, amenant à Samson la +fournée quotidienne de condamnés que le tribunal révolutionnaire lui +envoyait: les Girondins et les Feuillants, Mᵐᵉ Roland, Camille +Desmoulins et Danton, Charlotte Corday, Philippe Egalité... puis, les +fournisseurs de la guillotine arrivant à leur tour, Hébert, +Fouquier-Tinville, Robespierre... + +Ainsi chaque jour, comme des employés de ministère qui vont à leur +bureau, Samson et ses aides arrivaient sur la place pour l’effroyable +besogne, procédaient tranquillement au nettoyage de leur machine, et se +mettaient ensuite à trancher froidement toutes ces têtes, jeunes ou +vénérables, illustres ou obscures, innocentes ou scélérates... Et le +ruisseau rouge coulait, mare de jour en jour plus impossible à étancher +et que le sol saturé refusait de boire, dont l’odeur attirait les chiens +errants et faisait reculer les chevaux au passage. Quand nous traversons +près de l’Obélisque et des fontaines jaseuses, la place actuelle, +vivante, élégante et gaie, fermons un peu les yeux sur le présent et +voici que s’évoque, sinistre vision, la place de la Révolution avec +l’instrument de mort, les deux bras rouges levés en l’air et les +horribles tricoteuses en cercle, guettant l’éclair du couperet qui +tombe... + +Pendant des mois, tous les jours, Fouquier-Tinville envoie sa fournée, +Samson travaille. Le sol saturé refuse de boire le sang qui coule dans +une fosse sous l’instrument; de même le cimetière des suppliciés à la +Madeleine refuse les cadavres, on envoie les corps dans un nouveau +cimetière taillé dans le parc du duc de Chartres à Monceaux, puis à +partir du 25 prairial an II (13 juin 93), le terrible abattoir humain +est transporté à la place du Trône. + +La rue Saint-Honoré n’a plus chaque après-midi son défilé de charrettes, +c’est le faubourg Saint-Antoine qui hérite du tragique spectacle et qui +s’en émeut, qui réclame à son tour. + +[Illustration: PLACE DE LA RÉVOLUTION] + + + + +[Illustration: LA BUTTE DES MOULINS AU COMMENCEMENT DU XVIᵉ SIÈCLE] +CHAPITRE XI + +L’ENFANTEMENT DU PARIS MODERNE + + La Chaussée d’Antin.--Les Porcherons.--Le Temple de + Paphos.--Petites maisons et Folies.--Abattis et grandes + trouées.--La disparition du vieux Paris.--La Butte des moulins. + + +Très près de nous encore est le temps où de bons maraîchers faisaient +pousser des choux et des salades sur l’emplacement de l’Opéra et des +beaux et brillants quartiers d’aujourd’hui; il ne faudrait guère pour +retrouver ces honnêtes cultures villageoises reculer de plus d’une +centaine d’années. + +[Illustration: A TIVOLI] + +L’extrémité de la ligne des grands boulevards au point le plus animé, le +plus peuplé, qui fait à peu près le centre du Paris d’aujourd’hui, ce +n’était, il y a cent et quelques années, qu’un commencement de banlieue. +La promenade des boulevards pour les Parisiens du milieu du XVIIIᵉ +siècle, c’était une ouverture sur la campagne; il y avait des arbres, il +y en a encore, mais moins vigoureux et moins nature; il y avait de +petites maisons, des guinguettes champêtres éparpillées aux entours de +quelques _folies_ de grands seigneurs ou de financiers, presque des +maisons de campagne, coquets nids d’amour, joyeux vide-bouteilles où les +fredaines galantes du beau monde trouvaient une discrète tranquillité. + +La Chaussée d’Antin est née dans la première moitié du XVIIIᵉ siècle, +alors que les choux des champs environnants avaient encore de longues +années de tranquillité devant eux. Cette précocité s’explique, cette +chaussée nouvelle conduisait au pimpant hameau des Porcherons en avant +du village de Clichy. Un petit chemin serpentant dans les cultures +s’appelait Chaussée de l’Egout de Gaillon, ou chemin des Porcherons. +Quand on en fit une rue, on lui donna d’abord le nom de rue de +l’Hôtel-Dieu parce que l’Hôtel-Dieu y avait une ferme et des terres, +voisines de celles des Mathurins, desquelles terres l’Hôtel-Dieu +conserva des bribes jusque vers 1840. + +Sur tout ce côté nord de Paris serpentait le ruisseau descendant du +village de Ménilmontant; il touchait presque à la porte du Temple et +courait ensuite à certaine distance des murs de la ville, coupant les +faubourgs Saint-Martin, Saint-Denis, Montmartre, moitié ruisseau et +moitié collecteur des petits égouts qu’il recevait au passage. Au siècle +dernier, il descendait moins d’eau des hauteurs déboisées de +Ménilmontant, une partie de ces eaux étant captée au passage par les +maraîchers ou pour une dérivation sur Vincennes, et le ruisseau était en +bien des endroits une sentine. A la sortie des Porcherons, le ruisseau +passait sous un pont nommé pont Arcans (?) il se dirigeait vers le +Roule, ex-village devenu faubourg s’ajoutant au faubourg Saint-Honoré et +s’en allait se jeter à la Seine sous Chaillot. Couvert aujourd’hui, son +lit est le collecteur des égouts de la rive droite; le ruisseau n’en +continue pas moins à couler dans le collecteur ou perdu dans les terres +et on le retrouve, croit-on, dans une nappe d’eau qui baigne les +fondations de l’Opéra de Charles Garnier et qui en a bien gêné la +construction. + +Du côté de la Chaussée d’Antin le grand égout ne fut couvert qu’en 1771 +et l’on construisit dessus la rue de Provence. Aux Porcherons florissait +Ramponneau, maître cabaretier en possession de la célébrité. Ce cabaret, +à l’enseigne du _Tambour Royal_, est une ancienne auberge d’ouvriers de +campagne, tout à fait dépourvue d’élégance, vaste mais très sommairement +installée, un comptoir en planches grossières sous un haut manteau de +cheminée campagnarde, la cheminée à faire sauter les omelettes au lard, +des tables, des bancs de bois et c’est tout, avec quelques dessins +charbonnés sur le mur pour ornements, œuvres d’art représentant Mˡˡᵉ +_Camargo_ dansant avec le soldat _Belle Humeur_, _Crédit tué par les +mauvais payeurs_, _Monnoye fait tout_, et autres plaisanteries de +cabaret. Tous les rangs sont confondus chez Ramponneau, on y boit, on y +chante, on y est gai, on s’y grise. Le succès de ce cabaret est énorme +et Ramponneau devient un type populaire. + +Il y a Ramponneau, il y a la Grande Pinte, il y a bien d’autres cabarets +aux Porcherons qui ont abandonné l’élevage des porcs, leur ancienne +industrie, et ne sont plus qu’une immense et joyeuse guinguette. + +Quelle vogue eurent pendant tout le XVIIIᵉ siècle les parties de plaisir +dans tous ces bruyants cabarets où sous les treilles l’on chantait et +buvait à l’aise. Il y en avait pour tous les goûts et tous les rangs, +les petits commis de boutique, les clercs de procureur en bonne fortune, +tout comme les jeunes seigneurs en partie fine trouvaient une tonnelle +ou une salle pour s’installer gaiement avec les grisettes endimanchées +ou les belles impures, devant des nappes blanches agréablement chargées. +Les bons bourgeois y venaient avec les demoiselles d’opéra. Quand une +fille voulait jeter son bonnet par-dessus les moulins, elle n’avait pas +besoin de monter jusqu’à Montmartre. Derrière les Porcherons, le moulin +des dames de Montmartre--rue de la Tour-des-Dames maintenant--faisait +tourner ses grandes ailes un peu au-dessus des cabarets et du château du +Coq, manoir du XIVᵉ siècle, où le roi Louis XI avait couché la veille de +son entrée solennelle dans Paris. + +[Illustration: L’HÔTEL DE LA GUIMARD, CHAUSSÉE D’ANTIN] + +Comme pour racheter les péchés de ce temps, notre siècle a bâti une +église à peu près sur l’emplacement des Porcherons, sur ce sol où l’on a +tant bu et chanté si galamment. Justement cette église n’a rien +d’austère dans le style de son architecture, elle semble même coquette, +c’est la Trinité qui se voit au bout de notre Chaussée d’Antin actuelle. +L’église Notre-Dame de Lorette remplace presque sur le même point, la +chapelle du même nom aux Porcherons. + +Cette Chaussée d’Antin prit son nom de l’hôtel du duc d’Antin bâti en +1713, qui passa plus tard au maréchal duc de Richelieu. A cet hôtel, le +maréchal, célèbre à tant de titres par ses victoires et conquêtes sous +les drapeaux réunis de Mars et de Vénus, ajouta ce pavillon donnant sur +le rempart, auquel la malignité publique accrocha le nom de Hanovre pour +dire que le maréchal en y prodiguant les grâces extérieures et +intérieures, ne faisait qu’employer le butin de la campagne de Hanovre. + +La Chaussée d’Antin s’embellit rapidement et se garnit de jolis hôtels +enchâssés dans quelques ombrages encore. C’était un faubourg élégant qui +commençait là et qui avait considérablement gagné et grandi à la fin du +siècle. Mˡˡᵉ Guimard, vers 1762, la danseuse diaphane si légère et si +maigre, «le squelette des Grâces» adorée par tant de grands seigneurs, +s’y fit construire un hôtel par l’architecte Le Doux. + +Naturellement ce Grec forcené construisit pour Mˡˡᵉ Guimard une manière +de petit temple qu’on appela temple de Terpsichore, un cube de pierre +ouvrant par un péristyle ovale à colonnes ioniques. On disait de ce +temple de Terpsichore que la Volupté en dessina le plan et que l’Amour +en fit les frais. C’était le prince de Soubise surtout. L’hôtel +paraissait petit, mais il était vaste en réalité, sans doute par des +annexes; il y avait grands et petits appartements, galerie de tableaux, +salle de spectacle pouvant contenir cinq cents personnes, plus des +jardins magnifiques avec un petit temple à Paphos. La divinité du lieu y +menait une existence de folles dépenses et de luxe scandaleux, soupers, +orgies, fêtes à spectacles, représentations théâtrales, etc... Elle +donnait régulièrement trois grands soupers par semaine, le premier aux +princes et grands seigneurs plus ou moins attachés à son char, le second +aux gens de lettres et artistes, épicuriens de second rang; le +troisième, la grande orgie, réunissait seigneurs et financiers viveurs, +comédiennes et impures en renom. + +Un jour, la Guimard se dégoûta de son temple; ses légions de créanciers +se fâchaient ou les galants qui fournissaient à ses fabuleuses dépenses +s’étaient fatigués de lui apporter les millions qu’elle jetait ensuite +par toutes les fenêtres, même par celles de la bienfaisance quand elle +allait, aux lendemains d’orgie, porter dans les taudis misérables +quelques poignées de tout cet or qui roulait incessamment en offrandes à +Vénus. La rivière était-elle tarie? ou la belle courtisane, l’heure de +la retraite étant sonnée, prenait-elle ses dispositions pour quitter le +pays de Cythère et s’en aller finir ses jours en bourgeoise du Marais? +Le temple de Terpsichore fut mis en loterie; il y avait 2,500 billets à +cinq louis, le tirage eut lieu en 1786 et l’hôtel fut gagné par une dame +qui n’avait pris qu’un seul billet. Peu d’années après, l’ancien temple +stupéfait devenait le local de la section du Mont-Blanc. Quel changement +pour le logis licencieux, pour ces salons resplendissants où tous les +grands seigneurs de France se pressaient jadis aux grandes fêtes. Ils +étaient loin alors, emportés par le vent de tempête comme de pauvres +feuilles mortes, guillotinés ou errant fort dépourvus hors frontières, +tandis que la danseuse, devenue peut-être une bourgeoise épaisse, vivait +cachée quelque part, oubliée dans quelque coin silencieux de vieille +maison aux murs gris et moroses. + +Mirabeau était venu mourir au nº 42 de la Chaussée d’Antin le 2 avril +1791. Désolation universelle, Paris en larmes se presse à ses obsèques +solennelles à Notre-Dame, l’Assemblée nationale en tête, et conduit le +grand orateur à la nouvelle église de Sainte-Geneviève que l’on +désaffecta pour en faire le Panthéon. La rue débaptisée s’appela rue +Mirabeau et sur la maison mortuaire fut scellée une plaque de marbre +noir portant ces deux vers de Marie-Joseph Chénier: + + L’âme de Mirabeau s’exhala dans ces lieux! + Hommes libres, pleurez! Tyrans, baissez les yeux! + +Ce qui n’empêcha pas 93 de rejeter le corps du Panthéon, d’enlever la +plaque de marbre et de changer encore le nom de la chaussée pour celui +de rue du Mont-Blanc. + +Avant 1789, un petit casernement des gardes françaises occupait l’angle +du boulevard à droite; le temple Guimard était au nº 9. M. Necker avait +un hôtel au nº 7.--Autres salons, autres hôtes qu’à côté. Voici chez M. +Necker les grands noms de la littérature et de la bonne société à la fin +de l’ancien régime. Une jeune fille écoute les brillantes causeries, +c’est la future Mᵐᵉ de Staël. Après la tourmente, M. Necker cède son +hôtel à un banquier, M. Jacques Récamier, et pendant une dizaine +d’années, dans ses appartements décorés à la romaine, la belle Mᵐᵉ +Récamier, statue vivante, apparaît comme une déesse descendue de son +nuage pour recevoir le tribut d’admiration de toute la nouvelle société, +les débris de l’ancien grand monde mêlés à la nouvelle aristocratie +émergée du grand bouleversement. C’est un des plus brillants salons de +Paris, moins politique que celui de Mᵐᵉ de Staël et plus gai, plus +animé. On y fait de la musique et de la littérature, on y danse +beaucoup; la déesse invente des danses nouvelles qui lui permettent de +déployer toutes ses grâces merveilleuses. + +Le nom ancien d’une rue qui traverse la Chaussée d’Antin, ancienne +ruelle boueuse montée en grade en même temps que la chaussée et nommée +alors rue _Chantereine_, était un dernier souvenir des marécages +transformés d’abord en cultures, puis couverts de maisons. +_Chantereine_, c’était: Chante-reinette ou grenouille. Les grenouilles y +coassaient il y a moins d’un siècle et demi. Talma y possédait une +maison qu’il tenait de Condorcet. Les Girondins, dit Nodier, l’avaient +fréquentée, Talma y eut, en 1797, un locataire qui se moquait bien des +grandes phrases et des beaux discours. Ce successeur de la bavarde +Gironde, c’était le général Bonaparte, ex-jacobin, mari de Joséphine de +Beauharnais. + +Ce petit général, revenant couvert de lauriers de sa triomphante +campagne d’Italie, fit soudain de la rue Chantereine, débaptisée par +l’enthousiasme et appelée rue de la Victoire, le point sur lequel +convergeront les regards attentifs et les espérances de Paris las de +soubresauts et de la France écœurée du relent des corruptions +politiques. Bonaparte partit quelques mois après de la rue de la +Victoire pour s’en aller au Caire et aux Pyramides; il y revint plus +prestigieux encore, pour préparer dans la maison du tragédien le 18 +Brumaire et l’Empire. + +Petites maisons, folies de grands seigneurs ou de fermier général, le +XVIIIᵉ siècle en avait enveloppé Paris; il y en avait dans tous les +villages de la première banlieue que Paris grandissant devait atteindre +bientôt, il y en avait dans les coins discrets et tranquilles, à l’abri +de coquets jardins ou de beaux parcs bien ombragés. Pour tout grand +seigneur, c’était presque l’annexe obligée de l’hôtel patrimonial, +maison officielle de l’époux et de la famille. Pour loger quelque belle +impure, quelque comédienne, quelque célébrité du corps de ballet, on +demandait à l’austère architecture de se faire galante et libertine, à +la peinture de développer ses thèmes les plus voluptueux pour faire un +cadre cythéréen à la reine de boudoir. Meubles précieux et chefs-d’œuvre +gracieux de l’art industriel s’accumulaient dans toutes les pièces de la +blanche petite maison nichée dans la verdure. Que fallait-il encore? Une +cave bien montée et un cuisinier de talent. On les avait. Et comme s’il +prévoyait les drames terribles qui se préparaient, comme s’il cherchait +à s’étourdir, le siècle se plongeait dans l’orgie galante. + +Il y avait des folies de toutes tailles, suivant la fortune du prince ou +du traitant. On en retrouve encore de temps en temps quelqu’une, oubliée +derrière les bâtisses modernes qui ont envahi les quartiers où elles se +croyaient tranquilles et qui les ont écrasées ou enterrées. Il y en +avait partout et même en des quartiers où leur souvenir est bien fait +pour nous surprendre, dans les environs de la Roquette par exemple, qui +n’était alors qu’un couvent de nonnes, dans les villages, riants alors, +de la Roquette et de Popincourt,--celui-ci qu’on appelait alors par +abréviation Pincourt, mais qui doit son nom à Jean de Popincourt, +premier président du Parlement sous Charles VI. Popincourt était presque +un site historique; c’est sur la terrasse d’une de ses maisons que +Mazarin et Louis XIV vinrent contempler la bataille du faubourg +Saint-Antoine et entendre tonner le canon de la Bastille, tirant par les +ordres de Mˡˡᵉ de Montpensier sur les troupes royales. De beaux ombrages +entre le faubourg Saint-Antoine et la Roquette abritaient la folie +Titon, un riche fermier général qui s’était arrangé là une fabuleuse +installation, folie coûteuse où se ruina le financier, et dont un lot +plus tard logea la fabrique de papiers peints Réveillon, pillée et +incendiée peu de jours avant la prise de la Bastille. Un autre +financier, Samuel Bernard, avait la sienne dans les mêmes environs, et +aussi le duc de Fronsac, fils du maréchal de Richelieu. + +Mais le point où les petites maisons étaient plus serrées, où leurs +habitués pouvaient voisiner les uns chez les autres, c’étaient les +quartiers de Clichy et des Porcherons, ce qui se comprend du reste, par +la situation agréable sur les pentes ondulant vers Montmartre et par les +traditions du lieu. Le maréchal de Richelieu, le grand vainqueur, le +maître de tous les roués petits et grands, ne se contentait pas de son +pavillon de Hanovre sur le rempart, il avait planté une maison plus +petite et plus discrète sur la hauteur de Clichy, maison qui fut, sous +le Directoire, habitée par la belle Mᵐᵉ Hamelin, une des Merveilleuses +de l’époque. Le XVIIIᵉ siècle, ce débauché vieilli, revenait à la nature +sur ses vieux jours; désireux de finir en églogue, en buvant du lait, +servi par des bergères poudrées, il s’était pris d’un bel amour pour la +nature arrangée, pomponnée, gracieusement enjolivée, sinon embellie, et +ce goût de décorations champêtres, qui avait produit le village de +Trianon, allait trouver à s’exercer dans un genre particulier de +_Folies_, qui n’étaient plus seulement la petite maison galante, mais +des créations autour d’un petit palais champêtre, de parcs immenses +meublés de fabriques, ruines et curiosités de toutes sortes. + +[Illustration: LES PORCHERONS AU XVIᵉ SIÈCLE (PLACE DE LA TRINITÉ +ACTUELLE)] + +Parmi les plus fameuses, prenons-en deux seulement pour leur importance +et leurs particularités: celle du financier Boutin et celle du duc de +Chartres. La folie Boutin était une merveille avec son magnifique jardin +anglais, qui avait coûté plus d’un million au financier, allant de la +rue Saint-Lazare à la rue de Clichy. Ce fermier général était un fort +brave homme, très bienfaisant et un ami des arts. Sous le Directoire, le +pauvre Boutin ayant été guillotiné, on fit de son jardin le _Tivoli_ des +incroyables et des merveilleuses qui eut un succès prodigieux où dans un +décor de temples, de moulins, cascades, ponts rustiques, grotte de +sorcier, curiosités de toutes sortes, se donnaient des fêtes de tout +genre, surtout fêtes de nuit avec illuminations, ascensions de ballons +et feux d’artifice. + +Napoléon donna dans ce merveilleux Tivoli un banquet à sa garde +impériale au retour d’une de ses triomphales courses à travers les +capitales étrangères. + +La folie de Chartres s’appelle aussi le jardin Mousseaux ou Monceaux du +nom d’un petit village éparpillant quelques maisonnettes dans la plaine; +en 1778, Philippe d’Orléans duc de Chartres, le futur Égalité, acheta +d’immenses terrains plats, un sol ingrat et sans verdure, et bouleversa +le tout avec des légions d’ouvriers. Il avait chargé Carmontelle, +peintre et musicien, de dessiner son futur domaine, en laissant +chevaucher sa fantaisie bride sur le cou. Carmontelle ne lésina sur +rien, mais le résultat fut une merveille. Ce n’est pas le parc Monceaux +que nous connaissons. Celui-ci est joli, mais il n’a point la fantaisie +de l’autre, bien que ses principales beautés lui viennent encore des +débris de la folie de Chartres. + +Dans les détours des vallons enfantés par Carmontelle, au milieu +desquels circulait une petite rivière jaseuse, il y avait de tout: un +temple de Mars en ruines, un moulin à vent hollandais, avec la maison du +meunier et une laiterie, un château gothique ruiné, une tour et des +tourelles ébréchées sur un mamelon, un bois poétique de cyprès et de +sycomores, abritant des tombeaux antiques au milieu desquels se dressait +une pyramide et à côté de ce site sévère, un coin riant d’Italie, avec +quelques motifs antiques et une vigne encadrant dans les pampres une +statue de Bacchus. De l’exotique, maintenant: un portique chinois, passé +lequel on rencontrait un pavillon bleu, puis un pavillon de verre, puis +un pavillon jaune, une immense galerie formant jardin d’hiver... Les +ponts, les cascades ne se comptaient pas, ni les grottes non plus; il y +en avait une dans laquelle le duc de Chartres donnait quelquefois à +souper, grotte très vaste à laquelle étaient annexées les cuisines et +une arrière-grotte pour les musiciens. Il y avait encore des temples, +des obélisques, des fontaines, des pagodes chinoises mobiles, des jeux +de bague curieusement installés; enfin, comme morceau important, la +charmante naumachie, la belle colonnade ruinée, entourant la pièce d’eau +que nous connaissons. + +C’était une féerie dont nous sommes loin d’avoir indiqué tous les +tableaux. Quand les fermiers généraux en 1782 établirent le fameux mur +d’octroi qui mettait Monceaux dans Paris, + + Le mur murant Paris rend Paris murmurant, + +on bâtit ce mur dans un fossé pour ne pas priver la folie Monceaux de +ses vues sur la campagne. + +Le duc d’Orléans ne jouit pas longtemps de ces merveilleux jardins. La +Révolution survient qui confisque Monceaux et en fait après la Terreur, +lorsque l’on est sorti du terrible cauchemar, un établissement de fêtes +comme Tivoli, comme l’Elysée, ancienne folie Beaujon. + +Sous Napoléon, on ne dansa plus à Monceaux; l’empereur l’avait donné à +Cambacérès, qui le rendit peu après à l’Etat en raison des trop +considérables frais d’entretien. La Restauration le restitua à la +famille d’Orléans à laquelle la Révolution de 48 l’enleva encore. On y +mit alors la direction des ateliers nationaux. C’est seulement vers 1860 +que la Ville de Paris entra en possession et créa le parc actuel qui ne +comprend guère plus de la moitié de l’ancien jardin, le reste ayant +servi à la création du beau quartier environnant. + +Le sort de ces grands jardins aristocratiques fut le même au +commencement du siècle, établissements de plaisirs d’abord, transformés +ensuite en jardins publics ou découpés pour la création de quartiers +nouveaux. Les parcs plus modestes, toutes ces petites maisons aux +souvenirs licencieux devenus hôtels de spéculateurs enrichis après la +Révolution, ou de généraux de l’Empire, ont disparu peu à peu, atteints +par les nouvelles grandes voies, écrasés sous les grandes maisons de +rapport. Dans la région de l’Est, c’est l’industrie qui s’en est +emparée; de l’autre côté, dans la grande marche de la ville vers le +soleil couchant, la marée montante des constructions atteint les +derniers débris de la coquette villégiature de jadis, les derniers +ombrages des derniers petits parcs lointains, pour y faire surgir des +rues neuves à petits hôtels. + +Quels changements en une ou deux générations de Parisiens. La ligne de +remparts, les fortifications de 1840, englobaient toute une ceinture de +villages séparés encore par des champs et des cultures. Où sont-elles +maintenant? où sont les vignes et les champs de violettes de Belleville, +ce village qui était le Montmorency des bourgeois du quartier +Saint-Denis de 1830? Il y a vingt ans, la campagne commençait après le +Trocadéro. Les Parisiens d’aujourd’hui ont connu des maraîchers à Passy +et de grands espaces en jardins et parcs, entre ce Passy et Auteuil, +isolé au bout du monde, à la pointe extrême du rempart; leurs pères ont +vu des chantiers de bois à la place de la gare Saint-Lazare et leurs +grands-pères ont pu assister à des grandes manœuvres et petites guerres +exécutées par la garnison de Paris jusqu’en 1830, dans les plaines +désertes de Monceaux. + +Les grands boulevards intérieurs, la promenade du rempart du siècle +dernier, sont devenus la grande artère intérieure; une seconde ligne les +double et les remplace, les boulevards extérieurs tenant la place du mur +d’octroi des fermiers généraux de 1782, et une troisième ligne de +boulevards, le chemin militaire des bastions de l’enceinte, se bâtit +rapidement, voit s’élever du côté de l’ouest de superbes hôtels +regardant la campagne par-dessus les talus, en attendant que Paris +encore une fois franchisse cette enceinte et dévore les agglomérations +formées _extra-muros_. + +A l’intérieur de grandes trouées ont été faites dans tous les sens pour +donner de l’air au Paris trop serré d’autrefois; ces trouées, personne +ne les blâme; on ne critique que leur implacable tracé rectiligne, qui +ne se serait pas dérangé pour Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle s’il +avait heurté ces monuments. La vieille croisée de Paris du temps de +Philippe-Auguste a été modifiée, la nouvelle croisée, c’est la rue de +Rivoli coupant la ligne des boulevards Sébastopol et Saint-Michel. + +Commencée presque au début du siècle, l’an X de la République, par le +Premier Consul, la rue de Rivoli dans son premier tronçon modifia +considérablement les abords du jardin des Tuileries, en effaçant des +souvenirs du commencement de la Révolution. Les premiers coups de pioche +firent tomber la salle du Manège, construite sur l’ancien manège des +écuries royales, la salle où peu d’années auparavant avaient siégé la +Constituante, la Législative et la terrible Convention, et que celle-ci +avait quittée pour une salle dans les Tuileries mêmes. En même temps +disparurent les Feuillants dont l’enclos mitoyen avec le jardin royal +donnait son nom à la terrasse de ce côté, et le couvent des Capucins sur +l’emplacement duquel fut en partie construit le ministère des finances +incendié par la commune. Aux premiers jours de la Révolution, un club +rival des Jacobins et des Cordeliers se tint au couvent des Feuillants; +les hommes du parti des Feuillants étaient modérés; ils firent les +premiers le voyage à la place de la Révolution. + +Arrêtée longtemps entre le Louvre et le Palais Royal, la rue de Rivoli +reprit sa course au commencement du second Empire et continua sa percée +à travers Paris en transformant extraordinairement les abords du Louvre +comme elle avait fait précédemment pour les Tuileries, et après les +entours du Louvre, ceux du palais rival, de la vieille maison de ville +des Parisiens. + +[Illustration: RESTES DE L’ÉGLISE DES MATHURINS (1840)] + +Tout le long de sa route, elle éventra de vieux quartiers tortueux et +embrouillés, elle dévora des ruelles antiques aux séculaires bâtisses +souvent misérables et sordides, coins lépreux cachés au cœur de la +ville, à deux pas de la demeure des rois et du Paris brillant. + +Le changement était prodigieux et par quelques ruelles qui nous restent +bien dissimulées derrière de hauts édifices aux environs du Pont Neuf, +nous ne pouvons guère nous faire une idée de ce qui dans le cours des +siècles s’était tassé là au débouché des ponts autour du Châtelet. La +rue de Rivoli et les travaux qui en furent la suite jetèrent bas ce qui +subsistait des ruelles ayant enserré le vieux Châtelet tombé en 1808 et +bouleversèrent complètement les environs, dégageant la tour +Saint-Jacques du marché à la friperie qui l’entourait et amenant même le +transport à 12 mètres de distance de la fontaine dite du Palmier, +consacrée sous le premier Empire au souvenir des victoires remportées en +Italie et en Egypte. Alors disparut, avec la rue Pierre-à-Poisson, la +rue de la Tannerie et quelques autres mal odorantes, la rue de la +Vieille-Lanterne, repaire immonde et noir coupe-gorge auquel la mort du +pauvre Gérard de Nerval assassiné en quelque bouge et pendu ensuite au +grillage d’une fenêtre, venait de donner une renommée sinistre. + +Même formidable abatis et même transformation auprès de l’Hôtel de +Ville, du nouvel hôtel considérablement agrandi en 1835 et qui devait +s’effondrer dans les flammes de 71. On achevait de dégager le monument, +et l’on régularisait la vieille place de Grève. Pendant tout le second +Empire la pioche et le pic maniés par le préfet Haussmann ne +s’arrêtèrent pas. Le vieux Paris disparaissait ou se masquait, démoli +ou dissimulé derrière un rideau de hautes bâtisses monotones. L’air et +la lumière devenaient denrées moins rares pour le Paris central, +l’hygiène y gagnait assurément, mais ces avantages se trouvaient +chèrement payés, par la perte de bien des édifices intéressants et par +l’accablante monotonie des rues nouvelles. Toute idée d’art semblait +bannie du plan, on pourrait le croire, comme aussi tout vrai sentiment +décoratif. Au centre, à droite, à gauche, partout la pioche bousculait +les séculaires décors de la cité parisienne, et bouleversait +profondément le sol, enfouissant les souvenirs, grattant, effaçant +l’histoire. Pour ne parler que des grandes percées des vieux quartiers +historiques, en négligeant les boulevards filant aux quatre coins de +l’horizon à travers territoires annexés, villages absorbés, ou faubourgs +à peine âgés de quelques pauvres siècles, on poussait au nord les +boulevards de Sébastopol et de Strasbourg, et au sud les grandes voies +modifiant si profondément la physionomie du quartier des Études. + + Non, tu n’es plus, mon vieux quartier Latin... + +... Le boulevard Saint-Michel, la rue Monge, la rue des Ecoles, le +boulevard Saint-Germain et les grands travaux qui se poursuivent encore +sur les pentes de la Montagne l’ont du moins fortement entamé. + +[Illustration: LA MAISON DE CORNEILLE, RUE D’ARGENTEUIL] + +Au centre, la rue Turbigo réunissait le boulevard du Temple aux Halles, +en surcoupant les vieilles rues déjà coupées par le boulevard +Sébastopol, et les alentours des Halles étaient bouleversés de fond en +comble. Alors disparurent les derniers vestiges des vieux marchés +d’autrefois et les dernières rues à piliers, aux pittoresques vieilles +maisons sous lesquelles débordait le grand marché. + +L’avenue de l’Opéra, étincelante et superbe, fourmillante, bruyante, si +parisienne et si cosmopolite, grande artère faisant communiquer le vieux +centre de la vie d’autrefois, le Louvre et le Palais Royal, avec le +centre de la vie d’aujourd’hui, les boulevards élégants et l’Opéra, est +une tranchée ouverte il y a bien peu d’années. A voir l’immense +circulation, les files de voitures et le flot des piétons sur chaque +trottoir, qui se douterait qu’on a pu s’en passer jamais! + +Elle a bouleversé de l’histoire, elle aussi, en approchant de la vieille +rue Saint-Honoré et des Tuileries, en perforant largement le quartier de +la butte des Moulins. Au XVᵉ siècle c’était, de ce côté, une banlieue +fangeuse et assez mal habitée; la porte Saint-Honoré, de l’enceinte +d’Etienne-Marcel, était presque à l’entrée de l’avenue de l’Opéra. Au +delà s’étendaient les terrains du marché aux pourceaux avec quelques +bâtisses, étables ou porcheries. La butte venait de naître, car la +question controversée de l’origine naturelle ou factice de cette butte a +été tranchée justement par les travaux d’édilité qui l’ont fait +disparaître. Elle était faite de terres rapportées et ne remontait pas +au delà du XIVᵉ siècle, puisqu’on n’y a rien trouvé d’antérieur. +L’historien de la butte, M. Edouard Fournier, suppose cependant que +peut-être les premiers éléments ont pu être fournis par les débris du +Lower, château fort des Francs, ancêtre du Louvre de Philippe-Auguste, +mais la butte doit sa constitution aux gravats et terres tirés du fossé +lors de la construction de l’enceinte de 1358, des remparts si +rapidement élevés par Marcel, munis de 750 guérites de bois sur le +pourtour, et armés de bombardes. + +Cette butte n’était pas le seul amas de déblais transformé en montagne; +il y en eut tout autour des remparts et plusieurs de ces buttes +subsistent chargées de maisons ou couvertes de verdure, souvenirs soit +des travaux de fortifications du XIVᵉ et du XVIᵉ siècle, soit des +_boulevards_, grands bastions de terre gazonnée élevés pour couvrir des +points faibles sous François Iᵉʳ, lors de la grande alarme, quand les +Impériaux maîtres de la Picardie touchaient presque Paris. Villeneuve +sur gravats à la porte Saint-Denis, la butte Copeau au Jardin des +Plantes, le renflement du boulevard à la porte Saint-Martin et d’autres +élévations, d’autres bosses cachées sous les maisons ont la même origine +et la plupart de ces buttes furent couronnées de moulins, même quand +elles étaient encore ouvrages de fortification. + +Notre butte des Moulins, sise à deux ou trois cents mètres de la porte +Saint-Honoré eut l’honneur de servir de soutien à l’assaut de cette +porte par Jeanne d’Arc en 1429. Jeanne d’Arc, voulant essayer d’arracher +par une brusque attaque Paris aux Anglais, y plaça son artillerie, et se +jeta de là résolument sur le rempart, malheureusement trop bien défendu. +Descendue dans le fossé, elle s’obstinait sous la grêle des traits à +chercher l’endroit le moins profond pour le combler de fascines, +lorsqu’elle fut grièvement blessée; elle ne consentait point cependant à +lâcher l’attaque et il fallut que le duc d’Alençon vînt la chercher +lui-même. Sous François Iᵉʳ la butte fut convertie en un bastion, +défense avancée de la porte Saint-Honoré. A partir de ce moment, +couronnée de ses moulins, la butte est double; une seconde éminence +faite de déblais encore, est venue s’ajouter à la première et se +distingue parfaitement sur les plans, séparée de la première par une +petite échancrure où serpente un chemin. + +Le marché aux pourceaux avec les porcheries qui l’environnent, la voirie +qui a donné naissance à la butte ou s’est perpétuée longtemps sur ses +flancs, n’étaient pas pour en faire un endroit bien fréquenté. Notre +butte possédait de plus la _Justice_ de l’évêque; outre des moulins et +des buissons, il y avait poussé deux ou trois gibets. A côté, un carré +de pierres, visible sur le plan Truschet, devait être à deux fins, +c’était le soubassement du bûcher pour des supplices d’hérétiques, comme +on en vit trop souvent à certaines époques, et le fourneau pour faire +chauffer la chaudière d’huile dans laquelle étaient bouillis les +malheureux convaincus du crime de fausse monnaie. + +Cette affectation sinistre de la butte n’empêcha pourtant pas un +faubourg de se former peu à peu autour des porcheries et des gibets, ni +les cabarets à la fin du XVIᵉ siècle de venir se camper sur les pentes, +au-dessous des moulins, et de recevoir à leurs tables rustiques sous les +tonnelles bon nombre de Parisiens en quête de campagne. Le quartier +nouveau avait sa chapelle dédiée à saint Roch; peu à peu il se faisait +plus ville, enfermant les buttes aux Moulins parmi les bâtisses et les +cabarets de plus en plus nombreux, banlieue remuante et de mœurs +irrégulières. Sous la Fronde, c’est le champ d’exercice de l’émeute, qui +s’échauffe ici à discourir contre le Mazarin, feux de paille qui +essaient de devenir brandons de guerre civile et qui finiront par +flamber réellement, de façon à brûler bien des doigts imprudents. On +s’amuse en attendant, on voit là une imitation des gamins du quartier +Saint-Honoré qui ont coutume de venir par bandes se battre à coups de +fronde sur les pentes de la butte, et le jeu de ces gamins baptise les +nouvelles factions politiques. + +Cependant, la tranquillité revenue, les maisons reprirent de plus belle +l’assaut de la butte, les moulins étaient bien menacés: on voulait faire +à leur place et sur les pentes un nouveau quartier plus digne du +voisinage du Louvre et des Tuileries que le faubourg désordonné de +l’ancien marché aux pourceaux. Enfin les rues montant à l’escalade de la +butte ou la perforant dans divers sens arrivèrent au sommet et alors, au +grand regret de quelques-uns, aux grands soupirs des gazettes en rimes +ou en prose, le jour vint, vers 1668, où ils durent déménager. Les +moulins de la «_Gentille butte Saint-Roch_» s’en furent les uns +rejoindre ceux qui tournaient déjà sur la butte Montmartre, les autres +ailleurs et de nouvelles rues s’alignèrent à leur place, la rue du +Clos-Georgeau, la rue des Moineaux, la rue des Moulins, etc... + +Avant que les moulins n’eussent déguerpi, un homme pouvait, de son logis +de la rue d’Argenteuil formée avec l’ancien chemin de ce nom, les +regarder tourner au-dessus de tous les tripots et cabarets, où +bretteurs, amis du désordre et frondeurs s’en donnaient à cœur joie. +C’était Corneille dont la maison a subsisté au nº 18 de cette rue +jusqu’à ce que l’avenue de l’Opéra, opérant sa grande trouée, l’emportât +avec ce qui restait de la butte elle-même et sa charge de maisons très +serrées. Ce quartier après les souvenirs lointains que nous venons de +réveiller n’avait plus eu que des souvenirs littéraires, épicuriens ou +galants au XVIIIᵉ siècle. Les noms illustres ou célèbres ne manquent +pas: après Lulli, Mignard, La Fontaine, on y trouve Voltaire, Rousseau, +Grimm, d’Holbach, Helvétius, etc., en voisinage avec filles d’opéra ou +filles du monde, avec bien des cabarets plus ou moins fameux. La +politique reparut autour de Saint-Roch aux jours suivants, le terrible +club des Jacobins était trop voisin et Robespierre aussi qui demeurait +rue Saint-Honoré, chez les Duplay; quand la Terreur prit fin, que le +club terroriste fut fermé, quand la réaction fit sa tentative de +Vendémiaire, les sections royalistes vinrent se faire mitrailler sur les +marches de l’église par un petit général corse d’assez pauvre mine, mais +qui n’y allait pas de main morte... + + * * * * * + +Maintenant l’avenue percée à travers ce qui était encore banlieue il y a +deux siècles est artère centrale, le grand Paris continue à dévorer ce +qui était naguère encore cultures ou villégiatures champêtres; nous +l’avons vu faire des bonds de quelques kilomètres dans sa rapide poussée +vers l’ouest et dans tel grand quartier surgi depuis vingt ans, il n’y a +pas bien loin, on peut le dire, du dernier lièvre abattu, des derniers +choux poussés, aux vraiment superbes architectures qui s’élèvent tous +les jours pour rattacher le Paris moderne au Paris des grandes époques, +en faisant oublier des temps intermédiaires bien indigents de style. + +[Illustration: LUCARNE DE L’HÔTEL MONTHOLON, AU MARAIS] + + + + +[Illustration: LE CLUB DES JACOBINS (RUE SAINT-HONORÉ)] TABLE DES +CHAPITRES + + +CHAPITRE PREMIER.--L’ILE BERCEAU + +Le cœur de Paris et ses déplacements.--Lutèce gauloise.--Le village +insulaire entre marais et forêts.--L’arrivée du Romain.--Premier siège +et premier incendie.--Camulogène et Labiénus.--Lutèce gallo-romaine.--Le +premier coup d’État militaire.--Un empereur de Paris.--Le Palais de +Julien aux Thermes.--Les Nautes.--Les arènes parisiennes.--Lutèce +mérovingienne.--Sainte-Geneviève.--Le Palais des Comtes de Paris dans la +Cité.--Les marchands de l’Eau 1 + + +CHAPITRE II.--LA CROISSANCE + +La cité de Paris.--Le temple de Jupiter devient l’église cathédrale +Notre-Dame de Paris.--Les petites églises de la Cité.--Saint-Jean le +Rond et les Enfants trouvés.--Très haut et très puissant seigneur le +chapitre de Notre-Dame.--Le cloître et ses premières écoles.--Guillaume +de Champeaux et Abélard.--Naissance de l’Université.--Les légendes: le +diable Biscornette.--L’anneau de la Vierge.--Le grand Jeusneur.--Folies +et mascarades des fêtes de l’âne, des fous et des innocents.--Diables, +guivres et chimères 17 + + +CHAPITRE III.--LES TROIS GRANDES ABBAYES DE LA RIVE GAUCHE + +L’abbaye de Sainte-Geneviève.--Clovis et Clotilde.--Saint-Germain des +Prés, fondation de Childebert.--La sépulture des rois mérovingiens.--Les +Normands.--Massacres et dévastations.--L’Abbaye, petite ville féodale à +côté de Paris.--Le réfectoire, fabrique de poudres.--L’explosion et +l’incendie.--Ruine définitive.--Le Pré aux Clercs.--Luttes avec les +Escholiers.--La foire Saint-Germain.--Les abbés +commendataires.--L’abbaye de Saint-Victor.--Les jardins des +chanoines.--La Bièvre.--Ce qui reste des trois abbayes 35 + + +CHAPITRE IV.--LE PARIS DES ÉGLISES ET DES COUVENTS + +I.--La légende de Saint-Julien l’Hospitalier.--Au cimetière +Saint-Severin.--Opéré ou pendu.--Inscriptions macabres.--Les reclusoirs +et les recluses.--Saint-Yves des Avocats.--Saint-Benoist le +Bientourné.--Les belliqueux Augustins.--Sièges de couvents.--Les +Bernardins.--Le cloître des Carmes.--Les frères aux Anes.--Le couvent +des Cordeliers.--Désordres et bagarres.--Émeute en plain-chant.--Le +corps de Marat.--Le bataillon des Marseillais.--Aux Jacobins.--Les +prédicateurs de la Ligue.--La Chartreuse du Luxembourg.--Au grand Diable +Vauvert 54 + +II.--L’enclos féodal du prieuré de Saint-Martin des Champs.--Le +réfectoire et la chaire du lecteur.--Abbés trop gras et moines trop mal +nourris.--Les procès de l’Epée.--Duels judiciaires dans la lice du +prieuré.--Carrouges et Le Gris.--Les Célestins.--L’église. Musée de +grands tombeaux seigneuriaux.--Les serfs de la Vierge Marie.--Aux Carmes +Billettes, le dernier cloître gothique de Paris.--Le cadavre d’Etienne +Marcel à Sainte-Catherine du Val des Ecoliers.--L’abbaye de +Saint-Antoine.--Pécheresses repenties.--Fondations hospitalières.--Les +Haudriettes.--Les confrères de la Trinité et les origines du +théâtre.--Les Quinze-Vingts.--Frères cordonniers et frères +tailleurs 71 + +III.--Les églises de la rive droite.--Paroisses royales de Saint-Germain +l’Auxerrois et Saint-Paul.--Au temps de la Ligue.--Saint-Eustache.--La +Jussienne.--Les paroissiens de Saint-Jacques la Boucherie, écorcheurs et +enlumineurs.--Les maisons de Nicolas Flamel.--Saint-Merry.--Saint-Julien +des Ménétriers.--La loue des jongleurs, ménestrels et +musiciens.--Saint-Gervais 97 + +IV.--Les églises des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles.--Le vandalisme à perruque +et manchettes de dentelles.--Mutilations et amputations.--Saint-Etienne +du Mont, Val-de-Grâce.--La Révolution.--Les édifices +déséglisés.--Fermetures et destructions.--Clubs et prisons, temples, +marchés ou magasins.--La grande démolition 117 + + +CHAPITRE V.--LES COMMANDERIES + +L’ordre des Templiers.--La Villeneuve du Temple.--L’église en rotonde et +la grosse tour.--Philippe le Bel.--Ecroulement de l’ordre.--Le Temple +aux chevaliers de Saint-Jean.--Franchises et privilèges.--Le palais du +grand prieur.--La prison de Louis XVI.--L’enclos de Saint-Jean de +Latran.--Disparition complète 129 + +CHAPITRE VI.--A TRAVERS LA VILLE ESCHOLIÈRE + +I.--La grande Université de Paris.--Fondation de Mᵉ Robert de +Sorbon.--Les quatre nations de la faculté des Arts.--La rue du +Fouarre.--Les écoles de médecine.--Le collège des Haricots et son maître +fouetteur.--Les pauvres Capettes de Montaigu.--Etudiants +vagabonds.--Tavernes et mauvais lieux.--Désordres et bagarres.--Les +cinquante collèges.--Immunités et privilèges de l’Université.--La +procession du Landit.--Les écoles de droit au Clos Bruneau.--Robert +Estienne 141 + +II.--La chasse aux Huguenots de la petite Genève.--Mort de Pierre +Ramus.--La Ligue.--Formation du Conseil des Seize au collège +Fortet.--Les curés ligueurs.--La journée des Barricades.--Escarmouches +autour de la place Maubert.--Le comte de Brissac bon sur le pavé.--La +Commune blanche.--Misères des Écoles pendant le siège.--Étudiants +tire-laine.--Transformation du Pré aux Clercs.--Comment la reine +Marguerite faisait faire ses pénitences.--La chapelle des +Louanges 160 + + +CHAPITRE VII.--PARIS FÉODAL + +I.--Petit palais et grands hôtels.--L’hôtel de Bourbon.--La trahison du +connétable.--Les États généraux de 1614 dans la grande salle de +l’hôtel.--Le séjour de Nesle.--Les femmes des trois fils de Philippe le +Bel.--Marguerite, Jeanne et Blanche de Bourgogne.--La tour de Nesle et +sa légende.--Le duc Jean de Berry.--Benvenuto Cellini au +Petit-Nesle.--L’hôtel de Nevers-Gonzague.--La tête de Coconas.--L’hôtel +de Bourgogne.--Jean sans Peur et le duc d’Orléans.--Bourguignons et +Armagnacs.--Les bouchers de Paris.--Chaperon blanc et bonnet +rouge.--Caboche et Capeluche.--Le théâtre et l’hôtel de +Bourgogne.--Gauthier-Garguille et Turlupin, successeurs de Jean sans +Peur 183 + +II.--L’hôtel de Cluny, Guise, Soubise.--Marguerite ou Miséricorde?--Les +mauvais garçons de Pierre de Craon.--L’assassinat de Clisson.--MM. de +Guise, rois de la très sainte Ligue.--La citadelle des Ligueurs.--Le +Balafré aux Barricades.--Mˡˡᵉ de Montpensier.--L’hôtel aux Soubise.--Le +séjour Barbette.--La reine Isabeau.--Meurtre du duc d’Orléans.--La lampe +du meurtrier.--Savoisy.--L’hôtel du roi de Sicile.--Mᵐᵉ de Lamballe à la +Force 204 + +III.--L’hôtel des Prévôts de Paris.--Hugues Aubryot et les +Maillotins.--L’hôtel d’Orléans.--A l’Abri-Coyctier.--Le fief de la +Trémouille.--Magnificences de la maison à l’enseigne de la Couronne +d’or.--Sa destruction.--L’hôtel des archevêques de Sens.--Tristan de +Salazar.--La justice sommaire de la reine Margot.--L’hôtel des abbés de +Cluny.--François Iᵉʳ et la veuve de Louis XII.--Les émotions du cardinal +de Guise.--Le connétable de Montmorency.--Le manoir de la +Salamandre.--Le chancelier Séguier.--Catherine de Médicis.--La kermesse +de l’Agio à l’hôtel de Soissons 222 + + +CHAPITRE VIII.--PARIS BOURGEOIS ET POPULAIRE + +I.--Souvenirs champêtres.--Clos, granges, cultures, fermes.--La double +croisée de Paris.--Autour du Châtelet.--Les maîtres bouchers et la +grande boucherie.--La rue Trop-va-qui-dure et la Vallée de +Misère.--Grandeurs, prospérités et solennités de la grande rue +Saint-Denis.--Chemin royal au commencement et à la fin des +règnes.--Entrées de l’empereur Charles IV, d’Isabeau de Bavière, de +Louis XI, etc.--Cortèges, spectacles et divertissements.--Les +funérailles royales.--Un arbre de Jessé.--Noms de maisons.--Anciennes +hôtelleries.--Les omnibus de Blaise Pascal.--La grande rue +Saint-Honoré.--L’Arbre sec.--Arbrissel ou potence?--La croix du +Trahoir.--La rue de la Ferronnerie.--Aux Innocents.--Grandes halles de +la mort et grand marché des vivants 242 + +II.--Chronique des rues et carrefours de Paris.--Le Puits d’amour, la +rue Pirouette et le Pilori des Halles.--Les rues de métiers.--Quelques +bourgeois parisiens d’il y a longtemps.--Vieux noms de rues estropiés et +dénaturés.--Noms bizarres.--Les rues à mauvaise renommée.--Cabarets +d’autrefois et vieilles enseignes.--La Pomme de pin et les cabarets +littéraires du XVIIᵉ siècle.--La maison de l’amiral Coligny.--L’hôtel du +chevalier du Guet.--Les dernières tourelles de nos rues.--Les +empoisonneurs.--Sainte-Croix et la Brinvilliers.--La fontaine des +Innocents.--Souvenirs du carrefour de l’Arbre sec.--Les maisons de +Molière 274 + + +CHAPITRE IX.--LA PLACE ROYALE ET LE MARAIS + +Le dernier tournoi.--Fêtes au palais des Tournelles.--La lance de +Montgommery.--Le combat des Mignons.--Fondation de la place Royale.--Le +carrousel d’inauguration.--Les raffinés d’honneur et la manie des +duels.--L’hôtel Sully.--M. de Mayenne.--L’hôtel Lamoignon.--Les logis de +Gabrielle d’Estrées.--Zamet.--Les ruelles.--Précieuses et +Alcôvistes.--Poètes et beaux esprits.--Mᵐᵉ de Sévigné à +Carnavalet.--Marion Delorme et Ninon de Lenclos.--Le malade de la +Reine.--Mᵐᵉ Scarron.--L’hôtel de Beauvais.--Théâtres et jeux de +paume.--Le Roi des Halles.--L’hôtel Salé.--Hôtels de grands seigneurs et +de parlementaires.--Grandes portes et frontons sculptés 312 + + +CHAPITRE X.--LE PARIS DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV + +La fin du Pré aux Clercs.--Développement du faubourg Saint-Germain.--Les +Invalides.--Le Luxembourg.--Les ruines de la Ligue.--L’enceinte de Louis +XIII.--Places, portes et statues triomphales du roi Soleil.--M. de la +Feuillade et la place des Victoires.--L’hôtel de la Vrillière.--L’hôtel +de Vendôme et la place des Conquêtes-Vendôme-Des-Piques.--Duel Beaufort +et Nemours au marché aux chevaux.--Paris la nuit.--Premières +lanternes.--Les porteurs de falots.--Les voleurs et la police.--M. de la +Reynie et M. d’Argenson.--Le Système de Law.--La grande folie de la rue +Quincampoix.--Le crime de l’Épée de bois.--Un cardinal de la +Régence.--Emplacements révolutionnaires: le champ de la fédération, la +place Louis XV.--La catastrophe du feu d’artifice.--La +guillotine 355 + + +CHAPITRE XI.--L’ENFANTEMENT DU PARIS MODERNE + +La chaussée d’Antin.--Les Porcherons.--Le temple de Paphos.--Petites +maisons et Folies.--Abatis et grandes trouées.--La disparition du vieux +Paris.--La Butte des moulins 387 + + + + +[Illustration: ANCIENNE ÉGLISE NOTRE-DAME DES CHAMPS PRÈS LE VAL DE +GRACE] TABLE DES ILLUSTRATIONS + + +Le Pont-Neuf et la pointe de la cité au XVIIᵉ siècle 1 + +Petite tourelle de l’hôtel de Sens 1 + +Lutèce gauloise. Pointe de l’île avec les îlots sur lesquels passe le +Pont-Neuf actuel 3 + +Lutèce incendiée à l’arrivée des Romains 5 + +Les légions gauloises proclament Julien empereur 7 + +Le clos de Laas et le palais des Thermes 8 + +Paris mérovingien.--La pointe de la cité 9 + +Palais des Thermes.--La grande salle au XVIIIᵉ siècle 12 + +Le palais des Thermes 13 + +Les arènes de Lutèce retrouvées 15 + +Lutèce 16 + +A Notre-Dame 17 + +A Notre-Dame 19 + +1711. Découverte des débris d’un autel de Jupiter sous le chœur de +Notre-Dame 19 + +Saint-Jean le Rond et les enfants abandonnés 21 + +En haut des tours de Notre-Dame 24 + +La fête des fous 25 + +Les chimères de Notre-Dame 27 + +Les chimères de Notre-Dame 27 + +Le grand jeûneur, sur le parvis 31 + +Les écoles du cloître 32 + +Notre-Dame et l’archevêché, XVIIᵉ siècle 33 + +Vieille maison du cloître Notre-Dame, rue Chanoinesse 34 + +L’abbaye de Saint-Victor 35 + +La première église Sainte-Geneviève. Fondation de Clovis 35 + +Rue Clovis, fragment du rempart de Philippe-Auguste et tour de +Sainte-Geneviève 36 + +Restes de l’abbaye de Sainte-Geneviève au lycée Henri IV 39 + +Abbaye de Saint-Germain des Prés, fondation de Childebert. La tour de +l’église 40 + +Bagarre entre les escholiers et les gens de l’abbaye sur le Pré aux +Clercs 41 + +L’explosion de l’abbaye de Saint-Germain. Destruction du +réfectoire 44 + +La foire Saint-Germain 46 + +Entrée de la foire Saint-Germain au XVIIᵉ siècle 47 + +L’abbaye de Sainte-Geneviève au XVIIIᵉ siècle 49 + +Le palais abbatial, rue de Furstenberg 50 + +Construction du Panthéon, au premier plan collège des Cholets 52 + +Tour Alexandre de l’abbaye de Saint-Victor. En arrière, la butte Copeau, +futur labyrinthe du Jardin des Plantes 53 + +La chartreuse du Luxembourg 54 + +Le bataillon des Marseillais vient loger aux Cordeliers 54 + +La Dante à Saint-Julien le Pauvre 55 + +Bas-relief de Saint-Julien, rue Galande 56 + +Les sacs de procédure portés à Saint-Yves par les plaideurs après un +procès gagné 57 + +Église Saint-Séverin 59 + +Les anciens charniers de Saint-Séverin 61 + +La duchesse de Montpensier apporte aux Cordeliers la nouvelle de +l’assassinat d’Henri III 64 + +Le couvent des Bernardins 65 + +Porte du couvent des Jacobins de la rue Saint-Jacques 67 + +Église Saint-Benoit le Bientourné 69 + +L’entrée de la Chartreuse du Luxembourg (intérieur) 70 + +Les Célestins, l’arsenal et l’île Louviers 71 + +Fondation de Sainte-Catherine par les sergents d’armes de +Bouvines 71 + +Le prieuré de Saint-Martin des Champs (Arts et Métiers) 72 + +Le nouveau pignon de Saint-Martin des Champs (Arts et Métiers) 73 + +La chaire du lecteur, vue de l’extérieur 75 + +Ancien clocher roman de Saint-Martin des Champs 76 + +Réfectoire de Saint-Martin des Champs.--La chaire du lecteur 77 + +Le duel Carrouges et le Gris dans la lice de Saint-Martin 80 + +La tour du Vertbois à Saint-Martin des Champs 81 + +Église Saint-Nicolas des Champs 83 + +Le cloître des Billettes, rue des Archives 85 + +Dépendances du couvent des Guillemites, rue des Guillemites 88 + +Les corps d’Étienne Marcel et de ses partisans dans le préau de +Sainte-Catherine 89 + +L’église des Filles-Dieu 92 + +Les Quinze-Vingts à la porte Saint-Honoré 93 + +Les cochons du petit Saint-Antoine 94 + +Les frères cordonniers 95 + +Le couvent du petit Saint-Antoine 96 + +L’échoppe de Nicolas Flamel, maître écrivain enlumineur à +Saint-Jacques la Boucherie 97 + +Chambre au-dessus du porche de Saint-Germain l’Auxerrois 100 + +Le cloître Saint-Germain l’Auxerrois à la journée des Barricades 101 + +L’église Saint-Leu-Saint-Gilles, rue Saint-Denis 104 + +La tour Saint-Jacques, 1830 105 + +Ancienne demeure de Nicolas Flamel, rue des Écrivains, démolie pour le +square Saint-Jacques la Boucherie 107 + +Église Saint-Julien des Ménétriers, rue Saint-Martin. La louée des +musiciens 109 + +Église du Saint-Sépulcre, rue Saint-Denis 112 + +L’église Saint-Paul 113 + +Tour de l’église Saint-Laurent, faubourg Saint-Martin 115 + +Cloître des Célestins 116 + +L’église des Jacobins de la rue Saint-Jacques 117 + +Le Val-de-Grâce 118 + +Le jubé de Saint-Étienne du Mont 120 + +Le temple protestant, ancienne église Saint-Marie (mai 1871) 121 + +Église Saint-Nicolas du Chardonnet 125 + +Ancienne église Saint-Sulpice 127 + +Le Temple au XVIIᵉ siècle 129 + +Tourelle d’angle de l’enceinte du Temple 129 + +La surprise du Temple par Guillaume de Nogaret 131 + +Philippe Le Bel assiste du haut de la tour du Temple à +l’incendie de la Courtille Barbette 132 + +Duguesclin traite avec les chefs des grandes compagnies 133 + +Porte de l’enclos du Temple 136 + +La famille royale amenée au Temple 137 + +La rotonde du Temple, 1840 138 + +Marie-Antoinette dans la tour du Temple 139 + +La commanderie de Saint-Jean de Latran 140 + +Le cloître des carmes de la place Maubert 141 + +Débris du collège Saint-Michel rue de Bièvre 141 + +Le maître fouetteur du collège Montaigu 145 + +Les écoliers tire-laine au carrefour Coupe-Gueule 149 + +Église du collège de Beauvais 151 + +Entrée du collège de Navarre 152 + +L’école Polytechnique en 1814 153 + +Ancienne chapelle du collège Mignon 155 + +L’amende honorable des huissiers du Châtelet aux Augustins 157 + +Porte du couvent des Grands-Augustins 159 + +Cloître du collège de Cluny 160 + +La porte de Nesle 160 + +Le cadavre de Ramus traîné à la Seine 161 + +Le couvent des Grands-Augustins, la procession d’Henri III 164 + +Journée des Barricades. Les écoles descendant à la place Maubert 165 + +La mise à sac de l’église Saint-Médard 168 + +Ébats d’écoliers au moulin des Gobelins 169 + +Ancienne bibliothèque Sainte-Geneviève 172 + +La Sorbonne 173 + +Cour de l’ancienne école de médecine, rue de la Bucherie. État +actuel 176 + +Les écoliers pêchant le poisson de l’abbaye de Saint-Germain 177 + +Coupole de l’ancienne école de médecine, rue de la Bucherie. Etat +actuel 179 + +Tourelle des Chartreux 180 + +Le pré aux Clercs (XVIᵉ siècle) 181 + +L’hôtel de Bourbon 183 + +La fenêtre du meurtrier 183 + +Sommet de l’escalier de la tour Jean-Sans-Peur 185 + +L’hôtel du chevalier du Guet 187 + +L’hôtel de la reine Marguerite sur l’emplacement du Petit Nesle, et la +chapelle des Louanges au petit Pré aux Clercs 189 + +La tour Jean-Sans-Peur. État actuel 192 + +Jean sans Peur dans la tour de Bourgogne 193 + +Passage sur les limites du séjour Barbette, rue des Francs-Bourgeois, +près duquel fut assassiné Louis d’Orléans 195 + +Le meurtre du duc d’Orléans 197 + +Gros-Guillaume, Turlupin et Gauthier-Garguille, à l’hôtel de +Bourgogne 201 + +Anciens animaux symboliques des évangélistes de la tour +Saint-Jacques.--Aujourd’hui dans le jardin de Cluny 203 + +Hôtel Saint-Aignan, rue Vieille-du-Temple 204 + +Manoir dit de la reine Blanche au faubourg Saint-Marcel 204 + +Porte de l’hôtel de Guise, maintenant palais des Archives 205 + +Un coin de la cour de l’hôtel de Mayenne-d’Ormesson rue +Saint-Antoine 209 + +Les prédicateurs dans le jardin des Jacobins de la rue Saint-Jacques, +sous la Ligue, au fond les écoles Saint-Thomas, démolies vers +1850 211 + +Tourelle Herouet, rue Vieille-du-Temple 213 + +Une porte dans la cour de la maison rue du Jour, nº 25 217 + +Le puits de l’ancien séjour d’Orléans et de l’Abri-Coyctier, +subsistant cour de Rouen 219 + +La Petite Force 221 + +L’hôtel Scipion Sardini. État actuel 222 + +Le prévôt de Paris 222 + +L’hôtel des prévôts, passage Charlemagne. État actuel 223 + +Tourelle-oratoire de l’hôtel la Trémouille démolie en 1842 224 + +Cour de l’hôtel la Trémouille vers 1840 225 + +Le page de la reine Marguerite décapité devant l’hôtel de Sens 229 + +Tour d’escalier de l’hôtel de Sens. État actuel 231 + +La chapelle de l’hôtel de Cluny 233 + +Les charniers de Saint-Paul 236 + +L’hôtel de Soissons (état ancien) et la colonne de Catherine de +Médicis (état actuel) 237 + +Le passage Saint-Pierre donnant dans l’ancien cimetière +Saint-Paul (état actuel) 241 + +Inondation de la Vallée de Misère en 1493 242 + +Vieux pignons rue Beaubourg 242 + +L’église Saint-Sauveur, rue Saint-Denis 243 + +Bas-relief de la maison de l’Annonciation, 89, rue Saint-Denis 244 + +Entrée de la rue Saint-Denis, la grande boucherie, le marché de +l’Apport-Paris et le Châtelet 245 + +Carrefour rue Pirouette. État actuel 247 + +La rue Brise-Miche. État actuel 248 + +L’attaque du cloître Saint-Merry, avril 1832 249 + +Vieux pignons de la rue Galande (1894) 251 + +Ancienne façade de la maison de Nicolas Flamel, rue de +Montmorency, 45, dont il ne reste que la poutre à l’inscription 252 + +Cour du Compas d’Or, rue Montorgueil 253 + +La fontaine Maubuée, rue Saint-Martin. État actuel 255 + +Les charniers de l’ancien cimetière Saint-Paul (1895) 256 + +La tour Petaudiable, quartier de la Grève 257 + +La Barbe d’or, rue des Bourdonnais 259 + +L’arbre de Jessé rue Saint-Denis (1895) 260 + +Le presbytère de Saint-Germain l’Auxerrois. Journées de juillet +1830 261 + +Enseigne du Soleil d’Or, rue Saint-Sauveur (cabaret et jeu de +paume) 263 + +Le Bon Puits, enseigne rue Beaubourg 264 + +Enseigne de l’Enfant Jésus, rue des Bourdonnais 264 + +La rue de la Ferronnerie. Assassinat d’Henri IV 265 + +Ancienne enseigne de l’orme Saint-Gervais aujourd’hui rue du +Temple 266 + +L’orme Saint-Gervais 267 + +La croix du Trahoir 268 + +La fontaine et le marché des Innocents en 1830 269 + +Le Pilori des Halles 273 + +Carrefour Brise-Miche et Taille-Pain. Cloître Saint-Merry, 1832 274 + +Le Puits qui parle 274 + +Le Puits d’Amour, au carrefour des rues petite et grande +Truanderie 275 + +Carrefour. Buci, avec l’estrade des enrôlements en 1792 277 + +Maison de Nicolas Flamel, rue des Écrivains, démolie pour le square +Saint-Jacques-la-Boucherie 278 + +Pignon de la Renaissance, rue du Dragon 279 + +Les piliers des Halles et l’église Saint-Eustache 281 + +Tourelle de la rue du Jardinet, démolie pour le boulevard +Saint-Germain 282 + +Tourelle de la rue du Coq-en Grève, démolie vers 1850 285 + +Tourelle de la rue Saint-Paul (1895) 286 + +Tourelle de la rue du Temple (1895) 287 + +Enseigne des Trois Canettes, rue des Canettes (1895) 289 + +Cabaret de l’épée de bois, maison de Lully, rue Sainte-Anne +(1895) 290 + +Enseigne de la Hure d’Or, rue de la Huchette (1895) 293 + +La mort de Coligny à la Saint-Barthélemy 296 + +Tourelle de la rue Jean-Tison, démolie en 1850 297 + +Tourelle de la rue de l’École-de-Médecine, démolie pour le boulevard +Saint-Germain 299 + +Mausolée élevé à Marat dans la cour des Cordeliers 301 + +Tourelle de la rue Saint-Benoit, démolie en 1850 302 + +Tourelle de l’hôtel de Fécamp, rue Hautefeuille, habité par +Sainte-Croix 303 + +Porte de l’hôtel de Miraulmont, rue Hautefeuille (1895) 305 + +Maison natale de Molière à l’enseigne du «Pavillon des cinges», angle +des rues Saint-Honoré et des Étuves 307 + +Tourelles rues Hautefeuille et Pierre-Sarrazin 309 + +Tourelle place de l’Hôtel-de-Ville, démolie en 1850 310 + +Enterrement de Molière au cimetière Saint-Joseph, rue Montmartre 311 + +Fronton de l’hôtel Salé. État actuel 312 + +Au carrousel de la place Royale 312 + +Hôtel Sully, façade sur la rue Saint-Antoine. État actuel 313 + +Hôtel la Vieuville, rue Saint-Paul (1895) 316 + +Un panneau de la grande porte de l’hôtel Saint-Aignan. 71, rue du +Temple 319 + +L’hôtel Sully. Façade sur la cour 321 + +Tourelle de l’hôtel Lamoignon 323 + +Pavillon de l’hôtel Lamoignon avec les croissants de Diane aux +frontons. État actuel 324 + +Maisons rue Galande, 1895 328 + +Entrée de l’hôtel de César de Vendôme, rue de Moussy, démoli en +1893 329 + +Mᵐᵉ de Sévigné à l’hôtel Carnavalet 332 + +Maison de la Renaissance, rue Saint-Paul, démolie vers 1840 333 + +Grande porte rue des Francs-Bourgeois, 1895 335 + +Porte de l’hôtel de Châlons-Luxembourg, rue Geoffroy-l’Asnier 337 + +Balcon de l’hôtel de Braque, rue de Braque, nº 4 341 + +Hôtel Montholon, 79, rue du Temple 343 + +La cour de l’hôtel de Beauvais 345 + +Fronton, 106, rue du Temple 347 + +Hôtel Amelot de Bizeuil, 47, rue Vieille-du-Temple 349 + +Porte de l’hôtel de Bouligneux, rue Michel-le-Comte, 28 351 + +Porte des écuries de l’hôtel de Rohan (Imprimerie Nationale) 353 + +Fronton rue Payenne 354 + +Le duel de Beaufort-Nemours au marché aux chevaux (rue de la Paix +actuelle) 355 + +Entrée de la rue de Seine derrière le collège des Quatre-Nations +(Institut) 357 + +Un balcon rue Saint-Jacques 361 + +Balcon rue Thévenot, démoli en 1895 365 + +Portail de l’église des filles Saint-Chaumont 368 + +Le bureau des marchandes-lingères, 6, rue Courtalon 369 + +La maison de Law, rue Quincampoix (démolie) 372 + +Hôtel de la Chancellerie d’Orléans, rue des Bons-Enfants 373 + +Incendie du palais de la Légion d’honneur (hôtel de Salm), mai +1871 385 + +Passage du cloître Saint-Honoré 377 + +Porte de la cour du Dragon 380 + +La cour du Dragon 381 + +Balcon, rue Saint-André-des-Arts 384 + +Place de la Révolution 386 + +La butte des Moulins au commencement du XVIᵉ siècle 387 + +A Tivoli 387 + +L’hôtel de la Guimard, chaussée d’Antin 388 + +Les Porcherons au XVIᵉ siècle (place de la Trinité actuelle) 393 + +Restes de l’église des Mathurins (1840) 396 + +La maison de Corneille, rue d’Argenteuil 397 + +Lucarne de l’hôtel Montholon, au Marais 400 + +Le club des Jacobins, rue Saint-Honoré 401 + +Ancienne église Notre-Dame des Champs près de Val-de-Grâce 405 + +Fontaine Childebert 411 + +Maison rue Croix-des-Petits-Champs 412 + + + + +[Illustration: FONTAINE CHILDEBERT ANCIENNEMENT PRÈS DE SAINT-GERMAIN +DES PRÉS] PLANCHES HORS TEXTE + + +La Reine Marguerite de Valois à l’hôtel de Sens (eau-forte) 1 + +Henri III allant poser la première pierre du Pont-Neuf (couleur) 17 + +La rue de la Montagne-Sainte-Geneviève et Saint-Etienne du Mont, +un jour de pèlerinage (lithographie) 33 + +Ecoliers au Pilori de l’Abbaye de Saint-Germain (couleur) 49 + +Aux Cordeliers. Querelle de clubistes et sectionnaires (lithographie) 65 + +Les Cordeliers apprenant l’exercice (1588) 81 + +Dernière station aux Filles-Dieu des condamnés allant à +Montfaucon (couleur) 97 + +La Saint-Barthélemy 113 + +La porte de Nesle. La Noue essaie de passer la Seine lors de la +tentative d’Henri IV sur Paris en 1589 (lithographie) 129 + +La tête de la princesse de Lamballe promenée sous les fenêtres du Temple +(couleur) 145 + +Au quartier des Ecoles (lithographie) 161 + +Organisation du Conseil des Seize au collège Fortet 177 + +Le duc Jean sans Peur recevant Caboche et Capeluche à l’hôtel +de Bourgogne (lithographie) 193 + +Le connétable de Clisson rapporté à son hôtel rue Vieille-du-Temple +(couleur) 209 + +Réception d’hôtes importants à l’hôtel des abbés de Cluny +(lithographie) 225 + +Le duc de Guise à la journée des Barricades (couleur) 241 + +Les premières barricades au temps d’Etienne Marcel (lithographie) 257 + +La recluse du cimetière des Innocents (lithographie) 273 + +L’arrestation de Broussel 289 + +Charlotte Corday conduite à la section de l’Abbaye 305 + +Le duel de Bouteville-Beuvron sur la place Royale en 1627 (couleur) 321 + +Les boulevards de Paris sous le premier Empire 337 + +La rue Quincampoix pendant le Système 353 + +La Butte des Moulins au XVIᵉ siècle (couleur) 369 + +Une fête à la Folie-Monceaux en 1787 385 + +[Illustration: MAISON RUE CROIX-DES-PETITS-CHAMPS] + +[Illustration] + + +NOTES: + +[A] Les ogives du chœur de Saint-Martin des Champs seraient les +premières qu’on ait faites à Paris. (M. de Guilhermy et Ch. Normand.) + +[B] Au Louvre maintenant avec plusieurs autres de ces mausolées. + +[C] Bas-relief transporté à l’École des Beaux-Arts lors de la +démolition des Grands-Augustins. + +[D] Suivant M. Piton dans ses études sur l’hôtel de la Reine et le +quartier des Halles. + + + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK PARIS DE SIÈCLE EN +SIÈCLE *** + +Updated editions will replace the previous one--the old editions will +be renamed. + +Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright +law means that no one owns a United States copyright in these works, +so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the +United States without permission and without paying copyright +royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part +of this license, apply to copying and distributing Project +Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm +concept and trademark. 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Hart was the originator of the Project +Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be +freely shared with anyone. For forty years, he produced and +distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of +volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in +the U.S. unless a copyright notice is included. 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Robida. +</title> +<style type="text/css"> + +a:link {background-color:#ffffff;color:blue;text-decoration:none;} + + link {background-color:#ffffff;color:blue;text-decoration:none;} + +a:visited {background-color:#ffffff;color:purple;text-decoration:none;} + +a:hover {background-color:#ffffff;color:#FF0000;text-decoration:underline;} + +.asstt {text-align:center;text-indent:0%;font-weight:bold;} + +.big {font-size: 130%;} + +.big2 {font-size: 200%;} + +body{margin-left:4%;margin-right:6%;background:#ffffff;color:black;font-family:"Times New Roman", serif;font-size:medium;} + +.blockquot {margin-top:2%;margin-bottom:2%;} +.blockquot p{text-indent:-2%;margin-left:2%;} + +.blockquot2 {margin-top:2%;margin-bottom:2%;} +.blockquot2 p{text-indent:-2%;margin-left:2%;font-size:90%;} + +.c {text-align:center;text-indent:0%;} + +.caption {font-size:75%; +text-align:center;text-indent:0%; +font-weight:normal;} + +.caption p{ +text-align:center;text-indent:0%; +font-weight:normal;} + +.cb {text-align:center;text-indent:0%;font-weight:bold;} + +.figcenter {margin:3% auto 3% auto;clear:both; +text-align:center;text-indent:0%;} + +.figleft {float:left;clear:left;margin-left:0;margin-bottom:1em;margin-top:1em;margin-right:1em;padding:0;text-align:center;} + +.figright {float:right;clear:right;margin-left:1em;margin-bottom:1em;margin-top:1em;margin-right:0;padding:0;text-align:center;} + +.footnotes {border:dotted 3px gray;margin-top:5%;clear:both;} + +.footnote {width:95%;margin:auto 3% 1% auto;font-size:0.9em;position:relative;} + +.label {position:relative;left:-.5em;top:0;text-align:left;font-size:.8em;} + +.fnanchor {vertical-align:30%;font-size:.8em;} + + h1 {margin-top:5%;text-align:center;clear:both; +font-weight:normal;} + + h2 {margin-top:4%;margin-bottom:2%;text-align:center;clear:both; + font-size:100%;font-weight:normal;} + + h3 {margin:4% auto 2% auto;text-align:center;clear:both; + font-size:100%;font-weight:normal;} + + hr {width:90%;margin:2em auto 2em auto;clear:both;color:black;} + + hr.full {width: 60%;margin:2% auto 2% auto;border-top:1px solid black; +padding:.1em;border-bottom:1px solid black;border-left:none;border-right:none;} + + img {border:none;} + +.letra {font-size:250%;float:left;margin-top:-1%;} + +.nind {text-indent:0%;} + + p {margin-top:.2em;text-align:justify;margin-bottom:.2em;text-indent:4%;} + +.pagenum {font-style:normal;position:absolute; +left:95%;font-size:55%;text-align:right;color:gray; +background-color:#ffffff;font-variant:normal;font-style:normal;font-weight:normal;text-decoration:none;text-indent:0em;} +.x-bookmaker .pagenum {display: none;} + +.pdd {padding-left:1em;text-indent:-1em;} + +.redd {color:#B63C2D;} + +.rt {text-align:right;} + +small {font-size: 70%;} + +.smcap {font-variant:small-caps;font-size:100%;} + +table {margin:2% auto;border:none;} + +th {padding-top:1em;padding-bottom:.5em;} + +.transc {margin:1em auto;max-width:15em;text-indent:0%; +border:3px double gray;text-align:center;} + +div.poetry {text-align:center;} +div.poem {font-size:90%;margin:auto auto;text-indent:0%; +display: inline-block; text-align: left;} +.poem .stanza {margin-top: 1em;margin-bottom:1em;} +.poem span.i0 {display: block; margin-left: 0em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;} +.poem span.i4 {display: block; margin-left: 3em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;} +.poem span.i6 {display: block; margin-left: 4em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;} +.poem span.i15 {display: block; margin-left: 10em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;} +</style> + </head> +<body> +<div lang='en' xml:lang='en'> +<p style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of <span lang='fr' xml:lang='fr'>Paris de siècle en siècle</span>, by Albert Robida</p> +<div style='display:block; margin:1em 0'> +This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and +most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions +whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms +of the Project Gutenberg License included with this eBook or online +at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. 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Robida +<br /><br /> +Imp. Eug. Marx (Atelier Belfand) Paris</p> + +<p class="transc"> +<a href="#TABLE_DES_CHAPITRES">Table des Chapitres</a><br /> +<a href="#TABLE_DES_ILLUSTRATIONS">Table des Illustrations</a><br /> +<a href="#PLANCHES_HORS_TEXTE">Planches hors texte</a><br /> +<a href="#NOTES">Notes</a> +</p> + +<h2>OUVRAGES DE A. ROBIDA</h2> + +<div class="blockquot"><p>LA VIEILLE FRANCE.—<span class="smcap">Normandie.</span> <span class="smcap">Bretagne.</span> <span class="smcap">Provence.</span> <span class="smcap">Touraine.</span> Quatre +volumes in-4º, illustrés de très nombreuses gravures dans le texte +et hors texte. (A la <i>Librairie illustrée</i>.)</p> + +<p>LES VIEILLES VILLES D’ITALIE. Un volume in-8º raisin, illustré de +nombreuses gravures. (Maurice Dreyfous, éditeur.)</p> + +<p>LES VIEILLES VILLES DE SUISSE. Un volume in-8º raisin, illustré de +nombreuses gravures. (Maurice Dreyfous, éditeur.)</p> + +<p>LES VIEILLES VILLES D’ESPAGNE. Un volume in-8º raisin, illustré de +nombreuses gravures. (Maurice Dreyfous, éditeur.)</p> + +<p>VOYAGES TRÈS EXTRAORDINAIRES DE SATURNIN FARANDOUL. Un fort in-8º +jésus, illustré de nombreuses gravures. (A la <i>Librairie +illustrée</i>.)</p> + +<p>LA GRANDE MASCARADE PARISIENNE. Un volume in-8º jésus, illustré de +nombreuses gravures. (A la <i>Librairie illustrée</i>.)</p> + +<p>LE VINGTIÈME SIÈCLE. Un volume in-8º colombier, illustré de +gravures dans le texte et hors texte. (A la <i>Librairie illustrée</i>.)</p> + +<p>VOYAGE DE MONSIEUR DUMOLLET. Un volume in-8º colombier, illustré de +gravures dans le texte et hors texte. (A la <i>Librairie illustrée</i>.)</p> + +<p>LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. Un volume in-8º colombier, illustré de +gravures dans le texte et hors texte. (A la <i>Librairie illustrée</i>.)</p> + +<p>ŒUVRES DE RABELAIS, illustrées de très nombreuses gravures dans le +texte et de gravures hors texte en couleurs. (A la <i>Librairie +illustrée</i>.)</p> + +<p>MESDAMES NOS AIEULES, <small>DIX SIÈCLES D’ÉLÉGANCES</small>. Un volume in-18 +couronne illustré de très nombreuses gravures en noir et en +couleurs. (A la <i>Librairie illustrée</i>.)</p></div> + +<hr /> + +<p class="c"><small>ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY</small></p> + +<div class="figcenter" style="width: 366px;"> +<a href="images/illu-008.jpg"> +<img src="images/illu-008.jpg" width="366" height="555" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA REINE MARGUERITE DE VALOIS +<br /> +<i>à l’hôtel de Sens</i> +<br /> +A. Robida del et sculp A. Maire imp</p></div> +</div> + +<h1> +<span class="redd"><span class="big2">PARIS</span></span><br /> +<br /> +DE SIÈCLE EN SIÈCLE</h1> +<p class="c">TEXTE, DESSINS ET LITHOGRAPHIES<br /> +<br /> +PAR<br /> +<br /><span class="redd"><b> +A.   R O B I D A</b></span><br /> +<br /> +<img src="images/colophon.jpg" +width="180" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /> +<br /> +<br /> +PARIS<br /><span class="redd"> +A LA LIBRAIRIE ILLUSTRÉE</span><br /> +8, RUE SAINT-JOSEPH, 8<br /> +<br /> +<i>Tous droits réservés.</i><br /> +<br /><br /><br /><br /> +<span class="big">A MON AMI<br /><br /> +CHARLES NORMAND</span><br /><br /> +PARISIEN DE PARIS<br /> +<br /><span class="smcap">Secrétaire général des Amis des Monuments Parisiens</span></p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0"><i>Toujours sur la brèche pour la défense des intérêts</i><br /></span> +<span class="i0"><i>artistiques de Paris toujours menacés.</i><br /></span> +</div><div class="stanza"> +<span class="i15">A. ROBIDA<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_1" id="page_1">{1}</a></span>  </p> + +<h2><a name="CHAPITRE_PREMIER" id="CHAPITRE_PREMIER"></a> +<a href="images/illu-013-a.jpg"> +<img src="images/illu-013-a.jpg" width="432" height="227" +alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /> +<span class="caption">LE PONT-NEUF ET LA POINTE DE LA CITÉ AU XVIIᵉ SIÈCLE</span> +<br /><br /> +CHAPITRE PREMIER<br /><br /> +L’ILE BERCEAU</h2> + +<div class="blockquot2"><p>Le cœur de Paris et ses déplacements.—Lutèce gauloise.—Le village +insulaire entre marais et forêts.—L’arrivée du Romain.—Premier +siège et premier incendie.—Camulogène et Labiénus.—Lutèce +gallo-romaine.—Le premier coup d’État militaire.—Un Empereur de +Paris.—Le Palais de Julien aux Thermes.—Les Nautes.—Les arènes +parisiennes.—Lutèce mérovingienne.—Sainte-Geneviève.—Le Palais +des Comtes de Paris dans la Cité.—Les marchands de l’Eau.</p></div> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-013-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption"> +PETITE TOURELLE DE L'HOTEL DE SENS</span> +</div> + +<p class="nind"><span class="letra">A</span> chaque étape de sa vie, à chaque mouvement de sa croissance, les +siècles passés ont vu notre Paris, faisant craquer sa ceinture et se +dépouillant de son enveloppe, s’épanouir en d’autres conditions au +soleil des idées nouvelles, revêtir, sous une armure de défense plus +solide et plus large, un vêtement tout neuf, enrichi et décoré suivant +les modes alors triomphantes, lesquelles constituent parfois un progrès +et un embellissement, mais parfois aussi, par malheur, n’apportent que +de regrettables modifications.</p> + +<p>Une capitale est un organisme et Paris plus que nulle autre.</p> + +<p>Mais dans cet organisme de la ville en perpétuelle trans<span class="pagenum"><a name="page_2" id="page_2">{2}</a></span>formation, en +même temps que l’enveloppe se modifie, le cœur change de place. Il était +ici, en ce siècle, sur cette rive du fleuve; au siècle prochain, il sera +là-bas, de l’autre côté. Il fut au milieu du fleuve d’abord, aux +premiers vagissements de Paris, dans l’île où naquit la petite Lutèce, +puis il passa l’eau, sembla se fixer un instant sur la montagne +Sainte-Geneviève, à l’ombre des palais gallo-romains, qu’après Constance +Chlore, Julien et les magistrats romains, habitaient les terribles chefs +francs,—pour revenir en son île avec les évêques et les rois, entre la +cathédrale et le palais, ensuite pour refranchir encore le fleuve, mais +de l’autre côté, et gagner la ville nouvelle, la ville bruyante et +commerçante qui s’agite sur la rive droite...</p> + +<p>Et le cœur vagabond ne quittera plus cette rive, il se contentera +d’avancer bond par bond, du côté où va le soleil, pendant que la ville +se gonfle et s’agrandit, pousse au loin ses rues interminables, dévore +les marais, les champs, les vignes, les parcs, les taillis, boit les +petites rivières qu’elle rencontre, absorbe les villages, les châteaux, +les bourgs, étale à l’infini ses palais et ses maisons sur un territoire +qui, pour le bourgeois de jadis, était l’horizon lointain, perdu dans le +vague du couchant!</p> + +<p>Le cœur de Paris, ce fut d’abord l’île-berceau, où, dans un paysage vide +et silencieux, au seul murmure du fleuve, tranquille alors et libre de +s’élargir à l’aise sur des berges incertaines, s’éveilla la Lutèce +gauloise, sous les saules, entre quelques chaumières rondes à toits +coniques.</p> + +<p>Le cœur de Paris, de la Lutèce gallo-romaine et mérovingienne, ce fut la +<i>Cité</i> naissante, l’île déjà pleine et débordant sur la rive gauche; ce +fut aussi la montagne de Geneviève, où montèrent la garde le soldat +gaulois des empereurs romains et le rude compagnon de ces chefs francs +qui devinrent les rois de la petite France naissante aussi,—la montagne +que se partagèrent le cloître qui prie et l’université qui médite et +enseigne; ce fut le quartier des manoirs féodaux groupés autour de +l’hôtel Saint-Paul et de l’hôtel des Tournelles,—palais des rois de +France alors que le Louvre attend encore son heure,—le quartier du +Marais—lequel, avec la place Royale aux arcades simples et nobles, +resta centre aristocratique jusqu’au grand siècle;—ce fut aussi le +Pont-Neuf, la grosse artère où toute la vie de Paris passe et repasse.</p> + +<p>Puis, étape nouvelle, le cœur de Paris avance et se fixe tout près des +édifices royaux du Louvre et des Tuileries, abandonnés par leurs hôtes +pour Versailles où se ressentent moins les soubresauts du Paris toujours +bouillonnant et grondant en perpétuelles mutineries. Le cœur de Paris +bat sous les galeries du Palais-Royal, demeure élevée par le grand +cardinal et devenue le palais de la branche cadette des Bourbons.</p> + +<p>Il oscille pendant un siècle, retournant parfois, aux jours sombres, +vers la Grève où le terrible Hôtel de Ville couve les révolutions; il +monte au commencement de notre temps vers les nouveaux boulevards +brillants, étincelants et bourdonnants, jadis simples fossés d’enceinte +sur la campagne et devenus centre de la vie parisienne pendant la course +de notre <small>XIX</small>ᵉ siècle.<span class="pagenum"><a name="page_3" id="page_3">{3}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 367px;"> +<a href="images/illu-015.jpg"> +<img src="images/illu-015.jpg" width="367" height="239" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LUTÈCE GAULOISE. POINTE DE L’ILE AVEC LES ILOTS SUR +LESQUELS PASSE LE PONT-NEUF ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>On perçoit le battement de ce cœur entre l’Opéra flamboyant et l’église +de la Madeleine, temple grec dédié à la Gloire par Napoléon; mais ce +cœur jamais fixé se porte de plus en plus en avant et marche vers les +Champs-Élysées, vers l’ouest, vers les immenses quartiers aux splendides +hôtels tout battant neufs, quartiers trop cosmopolites, où peut-être, de +transformation en transformation, naîtra un Paris trop différent du +Paris de l’histoire, une grande Cosmopolis, capitale internationale aux +qualités essentielles évaporées et n’ayant point gardé la saveur du +terroir lutécien.</p> + +<p class="asstt">*<br />* *</p> + +<p>Temps lointains;—pour la Gaule aux vastes forêts, l’histoire commence à +peine et pourtant les légions de Rome, bientôt, vont y trouver des +villes importantes, du commerce, quelques routes—peu nombreuses il est +vrai, fleuves et rivières en tenant lieu,—des tribus puissantes mais +mal confédérées, des peuples divisés qui ne sauront point se réunir +contre l’ennemi commun. Des cités en nombre considérable existaient. +Sans parler des côtes méditerranéennes, aux villes prospères et policées +étendant au loin leur commerce maritime, l’intérieur du pays présentait +d’importantes agglomérations urbaines, s’élevant à quelque point de +passage sur les rives des fleuves principaux, ou serrées dans des +murailles de défense sur la crête de quelque abrupt mamelon. Parmi des +centaines de petites<span class="pagenum"><a name="page_4" id="page_4">{4}</a></span> cités dont beaucoup gisent encore en ruines sous +quelques pouces de terre en des coins inconnus, Chartres, Tours, Rouen, +Bordeaux, Reims, Nevers, Sens, Beauvais, etc., possédaient déjà des +édifices imposants et une certaine splendeur, telle Bourges, que les +Bituriges au temps de Vercingétorix ne purent se résoudre à détruire +pour faire le désert à l’approche des Romains.</p> + +<p>Alors que plusieurs de ces villes formaient un chapelet de petites +capitales pleines de sève ardente, ayant même une vie politique, dans +cette Gaule déjà même livrée au pouvoir dangereux de l’éloquence, +Lutèce, plus modeste, toute petite et ne pressentant point ses +destinées, vivait dans son île du commerce de sa batellerie, du +transport des marchandises lui arrivant du Sud-Est par la haute Seine, +et du Nord par les affluents divers.</p> + +<p>Le long de halliers et de taillis se ramifiant aux profondes forêts au +milieu desquelles l’Oise se fraie un chemin, la Seine, large et semée +d’îlots, descend lentement vers la mer, coulant en méandres gracieux à +travers des plaines fertiles et de belles collines.</p> + +<p>Ici, à la place des immenses murs de pierre qui l’encaissent aujourd’hui +et contiennent aux grandes eaux ses désirs de flâneries en dehors du lit +régularisé, c’est à cette époque une verdoyante plaine basse, aux arbres +mouillés, que nous apercevons, un marécage où le vent fait onduler avec +de soudains et harmonieux frissons, les longues étendues de roseaux où +s’abritent des barques de pêcheurs, et sur lesquels planent des vols +d’oiseaux de rivière et tournoient les canards sauvages.</p> + +<p>Un archipel non moins verdoyant balance ses grands arbres au milieu de +la Seine, c’est une flottille d’îles et d’îlots dont beaucoup ont +disparu aujourd’hui, rongés peu à peu, dévorés par le fleuve, ou bien +que l’homme a supprimés.</p> + +<p>Iles et îlots se suivent ainsi à la file jusqu’à l’horizon; la plus +grande île de l’archipel parisien, c’est la <i>Cité</i> d’aujourd’hui, grande +et noble nef suivie de ses chaloupes, les deux îles qui se nomment au +moyen âge l’île Notre-Dame et l’île aux Vaches et qui, réunies sous +Louis XIV, s’appellent maintenant l’île Saint-Louis, plus loin l’île aux +Javiaux ou Louviers, maintenant soudée à la rive droite sous l’ancien +Arsenal.</p> + +<p>Une quatrième et une cinquième île, deux îlots plutôt, précèdent la +grande nef que forme la Cité, ce sont les îlots de Bussy et de la +Jourdaine où Philippe le Bel brûla les templiers et qui, réunies et +constituées en terre-plein du Pont-Neuf, portent aujourd’hui la statue +du Vert-Galant. Deux ponts de bois reliaient Lutèce aux oseraies de la +rive, deux ponts bien modestes, qui cent fois détruits se perpétueront à +peu près sur le même point et deviendront le pont au Change et le pont +Saint-Michel.</p> + +<p>Voilà le calme paysage parisien de ces temps, le premier décor de la +série aux immenses changements; des îles au fil de l’eau, des marécages +pour premier plan, marais dont le souvenir se retrouve encore dans le +nom du quartier aux vieux et riches hôtels; au loin, de vertes collines, +dominées par les croupes bien dessinées de Montmartre, puis des bois, +des taillis où se cachent des villages qui<span class="pagenum"><a name="page_5" id="page_5">{5}</a></span> sont alors peut-être aussi +importants que Lutèce en son île et que Lutèce, débarquant en terre +ferme, englobera l’un après l’autre.</p> + +<p class="asstt">*<br />* *</p> + +<p>Depuis des années, la Gaule lutte contre l’envahisseur, contre le +Romain, âpre conquérant qui n’apporte sa civilisation aux peuples +qualifiés par lui de barbares,</p> + +<div class="figcenter" style="width: 377px;"> +<a href="images/illu-017.jpg"> +<img src="images/illu-017.jpg" width="377" height="317" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LUTÈCE INCENDIÉE A L’ARRIVÉE DES ROMAINS</p></div> +</div> + +<p class="nind">que pour organiser l’exploitation savante et régulière de ces peuples, +pour pomper leur or et leur sang, destinés à alimenter son luxe et ses +plaisirs. La civilisation romaine s’avance précédée du carnage et de +l’incendie. La Gaule sans cohésion, morcelée en cent peuples rivaux l’un +de l’autre, est dévorée morceau par morceau, malgré la bravoure de ses +enfants, qui se brise devant la tactique supérieure des légions +romaines.</p> + +<p>Cependant ce fut dans un moment où la Fortune semblait se retourner et, +attendrie par tant d’efforts désespérés, gagnée par tant de farouche +courage, se déclarait un instant pour la Gaule, que tomba la pauvre +petite Lutèce. Les Romains venaient de subir une défaite au siège de +Gergovie, suivie d’autres revers sur la Loire. Vercingétorix, le +généralissime des nations celtiques un instant réunies, tenait César en +échec; l’espoir renaissait.</p> + +<p>Ce fut alors que le lieutenant de César, Labiénus, manœuvrant avec +quatre légions entre Sens et Paris pour venir en aide à César arrêté sur +la Loire, s’approcha du pays des Parisii.<span class="pagenum"><a name="page_6" id="page_6">{6}</a></span></p> + +<p>Pour l’histoire, c’est la première fois que la bourgade gauloise à peine +née, future capitale de la France, entend sous ses murs gronder la +terrible rumeur de la guerre, qu’elle entendra si souvent ensuite dans +le cours des siècles,—rugissement des luttes intestines ou bien heurt +violent des invasions étrangères aux tours de bois des Gaulois, aux +donjons des rois de France, aux bastions à la Vauban du Paris de 1870.</p> + +<p>Les buccins des légions romaines vont sonner sous les faibles murs de +Lutèce, premières clameurs de l’immense vacarme que ce petit coin des +rives de la Seine, marqué par le destin, entendra maintenant, de siècle +en siècle, des cris de carnage asiatiques des hordes d’Attila, des +stridents ronflements de la trompe de guerre des barques normandes aux +ronflements des bombardes des Anglais,—des arquebusades de la Ligue aux +roulements de tambours des sections révolutionnaires,—des hourras des +cosaques de 1814 aux sifflements des obus Krupp de la Germanie +reconstituée, ou des canons révoltés de 1871...</p> + +<p>Sous les maisonnettes en flammes de la pauvre Lutèce, la tactique +romaine eut encore raison des armes gauloises. Le vieux Calmuken ou +Camulogène, chef aulerque de la basse Seine, menant des contingents +aulerques, bellovaques et parisiens, chercha vainement le corps à corps +avec l’ennemi pour le jeter dans le fleuve. Mais par des voltes rapides, +des contremarches, des passages soudains de la rive gauche de la Seine à +la rive droite, Labiénus trompa le chef gaulois: les Romains, après une +tentative avortée dans les marais à l’embouchure de la Bièvre, passèrent +la Seine à Melun pour attaquer par la rive droite. Mais sur cette rive, +devant Lutèce incendiée et abandonnée, avec Camulogène en face, et par +derrière un corps de Bellovaques qui approchait, Labiénus se trouva tout +à coup en un péril pressant; il en sortit par un coup d’audace heureux, +par un passage nocturne du fleuve sur cinquante bateaux amenés de Melun.</p> + +<p>Le choc eut lieu sur la rive gauche au-dessus ou au-dessous de Paris, on +ne sait au juste: pour les uns entre Choisy-le-Roy et Vitry, pour les +autres entre Sèvres et Meudon, à l’endroit où fument les cheminées de +tant de bruyants restaurants alignés sur les berges d’une gracieuse +boucle de la Seine aimée de nos pêcheurs à la ligne et de nos +canotiers,—probablement sur les deux points à la fois, Labiénus ayant +passé à Sèvres et s’étant rabattu de là sur les positions occupées par +le gros de l’armée gauloise en amont de Lutèce. Camulogène et tous ses +soldats cramponnés au sol se firent tuer jusqu’au dernier et, sur les +rangs accumulés de cadavres gaulois et romains, Labiénus, ayant conquis +un passage chèrement payé, eut tout juste la force de conduire les +débris de ses légions chez les Senones.</p> + +<p>Que reste-t-il de cette première Lutèce entrée dans l’histoire par sa +destruction au temps de César? quelles traces matérielles des Parisiens +du temps pourrions-nous aujourd’hui retrouver encore? Rien ou presque +rien, peut-être quelques pierres grossières ressaisies au plus profond +de notre sol, dans les fouilles opérées pour la construction des +édifices de la Cité actuelle.</p> + +<p>Une seconde Lutèce allait renaître bientôt des cendres de la première. +La<span class="pagenum"><a name="page_7" id="page_7">{7}</a></span> guerre terminée, les Romains définitivement établis en Gaule, le +nouvel ordre de choses accepté, de grands progrès matériels +s’effectuèrent rapidement. La <i>paix romaine</i> opère une complète +transformation, les villes détruites se relèvent, de grandes voies +parfaitement entretenues relient les unes aux autres ces vieilles cités +gauloises devenues municipes romains, qui se parent bien vite de grands +monuments taillés sur le patron des édifices de la métropole lointaine.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 245px;"> +<a href="images/illu-019.jpg"> +<img src="images/illu-019.jpg" width="245" height="331" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES LÉGIONS GAULOISES PROCLAMENT JULIEN EMPEREUR</p></div> +</div> + +<p>Après les légions, c’est l’invasion des lettres et des arts latins, qui +s’infiltrent avec une surprenante facilité jusqu’aux extrémités de la +terre des Druides et font marcher ensemble la transformation matérielle +et la transformation morale; les mœurs, les usages, les costumes de Rome +sont adoptés partout et font de l’ancienne <i>Gaule chevelue</i> une <i>Gaule à +toges</i> très romaine.</p> + +<p>Cette Lutèce gallo-romaine, il nous est plus facile de nous la figurer +que la petite Lutèce gauloise; quatre siècles de vie romaine en avaient +fait une jolie ville décorée de vrais monuments, blanche et riante dans +sa ceinture mouvante, si limpide alors.<span class="pagenum"><a name="page_8" id="page_8">{8}</a></span></p> + +<p>L’empereur Julien l’appelle <i>sa chère Lutèce</i>; il y a passé +quelques-unes des saisons de loisir que pouvaient lui laisser et tous +les soucis de l’empire, et les armées à conduire contre les Francs et +les Germains,—ce nouveau péril s’élevant à l’horizon de la ville +latine. Il vint en 358 et 359, après sa victoire sur les Germains dans +les plaines d’Argentoratum (Strasbourg), s’y reposer au milieu de ses +amis lettrés et philosophes, et il a tracé de la ville et de la vie +qu’il y menait un intéressant croquis:</p> + +<p>«Je me trouvais pendant un hiver à ma chère Lutèce (c’est ainsi qu’on +appelle dans les Gaules la ville des Parisiens); elle occupe une île au +milieu d’une rivière: des ponts la joignent aux deux bords. Rarement la +rivière croît ou diminue: telle elle est en été, telle elle demeure en +hiver: on en boit volontiers l’eau très pure et très riante à la vue. +Comme les Parisiens habitent une île, il leur serait difficile de se +procurer d’autre eau. La température de l’hiver est peu rigoureuse, à +cause, disent les gens du pays, de la chaleur de l’Océan, qui n’en étant +éloigné que de neuf cents stades, envoie un air tiède jusqu’à Lutèce: +l’eau de mer est en effet moins froide que l’eau douce. Par cette +raison, ou par une autre que j’ignore, les choses sont ainsi. L’hiver +est donc fort doux aux habitants de cette terre; le sol porte de bonnes +vignes; les Parisii ont même l’art d’élever les figuiers en les +enveloppant de paille de blé comme d’un vêtement, et en employant les +autres moyens dont on se sert pour mettre les arbres à l’abri de +l’intempérie des saisons.»</p> + +<div class="figcenter" style="width: 374px;"> +<a href="images/illu-020.jpg"> +<img src="images/illu-020.jpg" width="374" height="202" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE CLOS DE LAAS ET LE PALAIS DES THERMES</p></div> +</div> + +<p>Ces figuiers que les Parisii savaient protéger contre les rigueurs de +l’hiver sont encore cultivés de la même façon sur un point des environs +de Paris, à Argenteuil, où, souvenir plus ancien, sur les hauteurs +dominant la Seine et l’immense<span class="pagenum"><a name="page_9" id="page_9">{9}</a></span> plaine parisienne, un dolmen recouvre +les os de quelque chef parisien préhistorique.</p> + +<p>Le palais où ces lignes furent écrites par l’empereur existe encore, il +n’était point dans l’île, car déjà Lutèce avait débordé sur les rives, +couvrait de naissants faubourgs le débouché des voies romaines de la +rive droite et se doublait presque d’une seconde ville sur la rive +gauche.</p> + +<p>Le grand palais romain si longtemps enfoui et méprisé, aujourd’hui +annexe de notre musée de Cluny, était construit depuis une cinquantaine +d’années peut-être lorsque Julien, vers 356, y résidait. Il présentait +un très grand développement et bien des parties, les plus importantes +probablement, ont dû se perdre sous les constructions élevées au moyen +âge à leurs dépens. Ces superbes voûtes romaines, ces salles +majestueuses que nous admirons enchâssées dans la verdure d’un beau +jardin, précieuses reliques servant elles-mêmes de reliquaire à tant de +joyaux du passé, disparaissaient naguère sous un amas de maisons +serrées, de bicoques accrochées aux vieilles pierres, entassées sur les +reins des voûtes, heureusement d’une solidité à toute épreuve. Des +salles étaient à peu près bouchées par les décombres, d’autres +défigurées, éventrées, misérables, servaient de caves, écuries ou +remises, à une foule de petites industries.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 365px;"> +<a href="images/illu-021.jpg"> +<img src="images/illu-021.jpg" width="365" height="249" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PARIS MÉROVINGIEN.—LA POINTE DE LA CITÉ</p></div> +</div> + +<p>Derrière des murs énormes au fond de ces voûtes obscures, aux sombres +pierres coupées d’assises de briques, des chevaux au râtelier frappaient +de leurs fers le pavé romain et des tonneliers chantaient en cognant sur +les douves de leurs ton<span class="pagenum"><a name="page_10" id="page_10">{10}</a></span>neaux; au-dessus, dans l’enchevêtrement des +bâtisses, des jardins s’étaient établis sur six pieds de terres +rapportées on ne sait quand ni comment, de vrais jardins suspendus où +poussaient des légumes et des arbres fruitiers. L’entrée des ruines à la +fin du siècle dernier était rue de la Harpe, au fond de la cour d’une +maison à l’enseigne de la Croix de fer, où les coches de Laval et +différents services de messageries avaient leur installation.</p> + +<p>Racheté par l’État sous la Restauration, le palais des Thermes, ou ce +qu’il en restait, apparut au jour, désobstrué, débarrassé des maisons +assises sur ses puissantes épaules, de tous les appentis parasites et de +son clos de pommiers aériens. Les parties consacrées à l’habitation ont +disparu complètement; seuls les Thermes ont survécu à tant de causes de +destruction et nous pouvons à Paris admirer ces vastes salles purement +romaines, le tepidarium, salle des bains chauds et le frigidarium, la +grande salle des bains froids, immense et haute nef au berceau +majestueux, aux fortes murailles percées de niches profondes et +d’arcades robustes, les unes bouchées, les autres encadrant de leurs +doubles archivoltes un coin de la verdure lumineuse des jardins.</p> + +<p>Quelles étaient l’étendue, la physionomie d’ensemble et les dispositions +exactes du palais des Thermes? Avec ce qui nous en reste nous ne pouvons +plus que chercher à le deviner. Tant de salles ont été complètement +détruites autour du noyau subsistant. Un écrivain qui l’a vu au <small>XII</small>ᵉ +siècle, Jean de Hauteville, dit emphatiquement du palais: «Les cimes +s’élèvent jusqu’aux nues et les fondements atteignent l’empire des +Morts.» La deuxième partie de la phrase est toujours exacte, tant de +souterrains ou de tronçons de souterrains circulent sous les +constructions restées debout et s’enfoncent sous les terrains +environnants.</p> + +<p>Au temps de Julien, au temps des rois mérovingiens, qui succédèrent aux +empereurs, le palais des Thermes, les dépendances et les jardins +occupaient un immense terrain depuis Saint-Germain des Prés jusqu’à la +rue Saint-Jacques, sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève (<i>mons +Lucotitius</i>), où des vignes et des maisons de campagne se chauffaient au +soleil; le vieil aqueduc d’Arcueil amenait aux hôtes du palais l’eau des +sources de Rungis que l’aqueduc moderne verse encore à Paris. Sur +l’emplacement du jardin du Luxembourg était un camp romain. C’est là, en +360, Julien n’étant encore qu’un général victorieux, rival malgré lui de +l’empereur Constance, que les légions rassemblées à Lutèce, parmi +lesquelles se trouvaient deux légions gauloises, proclamèrent Julien +empereur. Au milieu de la nuit, échauffés par un banquet, les +légionnaires gaulois, brandissant des torches et des épées, forcèrent +les portes du palais barricadé, saisirent Julien, l’élevèrent comme un +roi barbare sur un bouclier. Première révolution dont Paris ait été le +théâtre, quelque chose comme un 18 Brumaire exécuté un peu malgré celui +qui en profitait.</p> + +<p>Au moyen âge ces jardins du palais si étendus, enclos de fortes +murailles, devinrent le Clos de Laas qu’envahirent peu à peu, en le +morcelant, des couvents et des maisons.</p> + +<p>Lutèce proprement dite, dans son île, quatre siècles après l’arrivée des +Romains<span class="pagenum"><a name="page_11" id="page_11">{11}</a></span> et peu avant celle des Francs, ne ressemblait plus à la +bourgade gauloise bercée par la rivière. Elle avait l’aspect de toutes +les villes romaines; l’île couverte de maisons de pierres, entourée +d’une enceinte à tours carrées, montrait çà et là quelque colonnade, +quelque monument à la forte carrure. En avant des deux ponts qui la +reliaient aux rives, s’élevaient des ouvrages militaires; tout à fait à +la pointe de l’île se trouvait le palais habité par les préfets de +l’empereur, magistrats de la région, construction dont on a retrouvé des +traces nombreuses dans les fouilles du Palais de justice et à laquelle +succédèrent sur le même emplacement le palais de Saint-Louis, le logis +de Philippe le Bel, ce précieux édifice qui fut retrouvé il y a trente +ans noyé dans les bâtiments de l’ancienne préfecture de police et que la +pioche, irrespectueuse de l’histoire, démolit sans pitié, pour +l’édification de l’énorme façade égyptienne (!) de la cour d’assises, +imitation d’un temple de Dendérah (!) aussi peu à sa place que les +imitations de Parthénons qui se voient, hélas! en tant d’endroits +n’ayant rien de grec ni d’égyptien.</p> + +<p>Devant le palais s’étendait le forum, puis venaient les maisons pressées +de la ville et à l’autre extrémité de l’île, la première cathédrale de +Paris, c’est-à-dire un temple dédié à Jupiter, dont il subsiste encore +sans doute bien des débris sous Notre-Dame, outre ceux qu’on en a +retirés. Dans le chœur de la cathédrale, juste sous les autels +chrétiens, des fouilles en 1711 mirent au jour des débris de l’autel de +Jupiter, des bas-reliefs grossiers représentant les dieux gaulois et +romains fraternellement réunis, Jupiter, Vulcain, Esus, le Mars des +Gaulois, et Cernunnos ou Cervunnos, sculptures d’un style barbare +accompagnées de l’inscription suivante:</p> + +<p>«<i>Sous Tibère Auguste, les Nautes parisiens ont publiquement élevé cet +autel à Jupiter très bon, très grand.</i>»</p> + +<p>Les précieuses pierres ont été rejoindre au musée des Thermes bien +d’autres débris de la même époque, déterrés un peu partout dans la Cité +et sur différents points du sol parisien. Ces trouvailles fournissent +une nouvelle preuve de cette sorte de loi historique que les monuments +de même ordre se perpétuent généralement à la même place, le palais sous +le palais, le temple sous l’église.</p> + +<p>En avant du palais, sur le petit bras de la Seine, la muraille +d’enceinte de Lutèce, trempant dans l’eau, s’ouvrait pour une porte de +rivière, un débarcadère monumental pour les bateaux des Nautes, orné +d’un portique dont les colonnes, retrouvées en 1848, portaient la trace +profondément marquée des cordages ayant amarré les barques à leur base. +En arrière de ce portique s’élevait, pense-t-on, un temple de Mercure, +qui sans doute était en même temps une sorte de bourse, un lieu de +réunion pour les Nautes, près du port de débarquement de leurs +marchandises.</p> + +<p>Elle était bien petite encore, notre Lutèce, car son mur d’enceinte +retrouvé sur divers points, près de Notre-Dame ou sous le palais, +s’alignait assez fortement en arrière des quais actuels, et cette +fortification était assez faible, car elle avait été élevée à la hâte, +avec des débris d’édifices rasés dans les faubourgs par mesure de +défense, afin de dégager les abords de la place lors des invasions +barbares. Ces faubourgs formés le long des voies au nord et sur les +pentes du mont Lucotitius au sud, au pied du grand palais, devaient +former avec la cité une agglomération<span class="pagenum"><a name="page_12" id="page_12">{12}</a></span> d’une certaine importance déjà, +si l’on en juge par les ruines des Arènes parisiennes, dégagées depuis +1869.</p> + +<p>Le gallo-romain de Lutèce, le négociant affairé sur ses ballots de +marchandises arrivant par les routes de terre ou par bateau, plaidait +devant les magistrats au Palais actuel, faisait ses dévotions au temple +de Jupiter, où ses fils des siècles suivants ont élevé la majestueuse +Notre-Dame; ou s’en allait pèleriner aux temples de Mercure et de Mars +qui couronnaient la colline de Montmartre et dont les ruines ont +subsisté côte à côte avec les moulins et l’abbaye, jusqu’au <small>XVII</small>ᵉ +siècle, édifices considérables puisqu’il paraît que de la plus grande +partie du territoire des Parisii on pouvait les apercevoir, comme on +peut de nos jours, au-dessus de Montmartre enveloppé par la grande +ville, apercevoir de si loin la colossale masse de l’église du +Sacré-Cœur, toute blanche et non terminée encore.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 317px;"> +<a href="images/illu-024.jpg"> +<img src="images/illu-024.jpg" width="317" height="289" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PALAIS DES THERMES.—LA GRANDE SALLE AU XVIIIᵉ SIÈCLE</p></div> +</div> + +<p>Ce Parisien gallo-romain, nous pouvons également nous le représenter +assis sur les gradins de l’amphithéâtre, dont les hautes arcades +superposées se dressaient parmi les verdures, sur le versant oriental du +mont Lucotitius; après tant d’années, après quinze siècles +d’enfouissement et d’oubli, depuis le temps où la crainte des invasions +franques fit jeter bas les hautes arcades et employer leurs pierres à la +construction du rempart de Lutèce, ces gradins ont été enfin en partie<span class="pagenum"><a name="page_13" id="page_13">{13}</a></span> +remis au jour. L’existence de ces arènes sous les maisons du quartier +Saint-Victor était connue depuis longtemps; cela s’appelait au moyen +âge, par tradition, le Clos des Arènes sur le territoire de l’abbaye de +Saint-Victor, mais l’emplacement exact était oublié; des maisons serrées +s’étaient juchées sur les arènes remblayées par</p> + +<div class="figcenter" style="width: 274px;"> +<a href="images/illu-025.jpg"> +<img src="images/illu-025.jpg" width="274" height="367" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PALAIS DES THERMES</p></div> +</div> + +<p class="nind">les décombres, et beaucoup possédaient des caves pratiquées dans les +couloirs, des trous inconnus et mystérieux revêtus de puissantes +maçonneries dont on ne s’expliquait pas l’origine. En 1869, lors du +percement de la rue Monge, une moitié de l’amphithéâtre reparut soudain +à la lumière, profondes excavations, gradins écroulés, tas de pierres +bouleversées. La découverte de ces arènes perdues fit du bruit quelque +temps, puis survint 1870 et Paris sous les obus eut à songer à bien +autre chose qu’à déterrer ses antiquités. Une invasion avait<span class="pagenum"><a name="page_14" id="page_14">{14}</a></span> causé la +ruine des arènes, une autre invasion fut cause de la ruine de ces +ruines, remblayées de nouveau impitoyablement et recouvertes par les +bâtiments des dépôts et ateliers de la Compagnie des omnibus, malgré la +défense désespérée d’un Comité de savants. Quelques sculptures furent +envoyées dans les musées et ce fut fini du monument. C’était une moitié +de l’hémicycle qui redisparaissait ainsi après avoir quelque temps revu +le ciel de la Gaule.</p> + +<p>Enfin tout récemment de nouveaux travaux dégagèrent à son tour l’autre +moitié, le second demi-cercle apparut avec une dizaine des gradins sur +lesquels venaient s’asseoir pour les jeux sanglants importés de Rome, +les Lutéciens romanisés du <small>IV</small>ᵉ siècle et qui servent aujourd’hui aux +ébats des gamins de la rue Mouffetard, assez peu soucieux de leurs +ancêtres.</p> + +<p>Peut-être un jour recherchera-t-on l’autre moitié volontairement perdue, +afin de rendre à Paris son amphithéâtre complet, dont l’ampleur +permettra d’évaluer, par la comparaison avec les amphithéâtres d’Italie +ou de France le chiffre de la population de la Lutèce gallo-romaine.</p> + +<p>Le monde romain attaqué sur tous les points s’écroulait ou s’émiettait +sous le choc des armées barbares. Chaque chef de tribu important +cherchait à se tailler sa part, Sicambres, Francs, Alains, Burgondes, +Wisigoths s’arrachaient des morceaux de la Gaule. A barbare, barbare et +demi; derrière ceux-ci qui s’étaient établis et lotis, et cessaient de +ravager le pays où ils se fixaient, s’avançait un ennemi plus farouche, +l’effroyable ravageur asiatique, poussé par le vertige du carnage et de +la destruction. C’était Attila et ses hordes qui venaient de saccager +toutes les villes de l’est, Trèves, Reims, Metz. Devant l’ouragan +dévastateur, la pauvre Lutèce, derrière son faible rempart, dut se +croire à son dernier jour.</p> + +<p>C’est à ce moment que se place la légende de sainte Geneviève de +Nanterre, non simple bergère quand elle prit le voile, mais fille +d’habitants notables, chrétiens ardents en relation avec l’évêque saint +Germain d’Auxerre. Comme les Parisiens découragés à l’approche des +terribles Huns allaient se décider à abandonner leur ville, Geneviève +s’interposa, elle leur rendit le courage et leur prédit que l’invasion +respecterait Paris. L’événement ayant réalisé ses prédictions, +Geneviève, fixée à Paris, écoutée, vénérée, devint à côté des évêques +comme une bergère d’âmes. Elle mourut au temps de Clovis et fut enterrée +dans la basilique de Saint-Pierre-et-Saint-Paul fondée par Clovis sur le +mont Lucotitius, où Clovis et Clotilde eurent à leur tour leur +sépulture, et qui devint par la suite, de reconstruction en +reconstruction, l’abbaye de Sainte-Geneviève, c’est-à-dire le lycée +Henri IV actuel et notre Panthéon, sarcophage des grands hommes.</p> + +<p>Que devient Paris dans la confusion de ces temps, quand les royaumes +francs se font, se défont et se refont, et qu’un monde nouveau +s’organise? L’obscurité enveloppe ces commencements laborieux, il ne +surnage d’autres souvenirs que les grands faits, les guerres, les +massacres, les alliances, les absorptions de peuples...</p> + +<p>Le municipe gallo-romain, peu à peu, devient la capitale politique de +ces rois barbares qui, lorsqu’ils ne sont pas en expéditions, vivent au +loin, dans leurs châteaux de bois entourés de fermes et de forêts.<span class="pagenum"><a name="page_15" id="page_15">{15}</a></span></p> + +<p>Paris christianisé remplace ses temples par des églises, les édifices +romains disparaissent; les monuments qui s’élèvent sont rudes et +grossiers, mais si leur architecture n’est plus la copie régulière des +monuments de Rome elle laisse deviner, sous sa rudesse barbare, la sève +d’un art national qui s’élabore et se prépare à dominer tous les autres, +quels qu’ils soient, par les merveilles romanes et ogivales.</p> + +<p>Le roi ou quelque leude investi du titre de comte de Paris, ou bien un +maire du palais de rois fainéants, réside dans le Palais de Julien ou +dans celui de la Cité. Paris, malgré les désordres et les misères du +temps, continue à prospérer matériellement, puisqu’il s’agrandit et +déborde sur les deux rives.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 365px;"> +<a href="images/illu-027.jpg"> +<img src="images/illu-027.jpg" width="365" height="271" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES ARÈNES DE LUTÈCE RETROUVÉES</p></div> +</div> + +<p>Les grandes abbayes se fondent dans la banlieue, s’entourent de +murailles à l’abri desquelles viennent se grouper des habitations, +embryons de bourgs que Paris enveloppera et absorbera un jour: l’abbaye +de Sainte-Geneviève, proclamée patronne de Paris, sur qui elle semble +veiller de la hauteur où le monastère est assis; l’abbaye de +Saint-Germain des Prés, au milieu des prairies, presque sur la Seine, +fondée par Childebert au <small>VI</small>ᵉ siècle; l’abbaye de Saint-Denis, bourg plus +éloigné, annexe de Paris que Paris n’a pas encore atteint, fondée en +l’honneur du légendaire évêque de Lutèce, au <small>III</small>ᵉ siècle, martyrisé à +Montmartre, patron de Paris et des vignobles parisiens, quand il y avait +encore des vignobles parisiens. Des églises s’élèvent dans les faubourgs +et dans l’île, petites églises de la cité<span class="pagenum"><a name="page_16" id="page_16">{16}</a></span> qui se perpétueront, et qui +disparaîtront dans les démolitions de la Révolution ou dans la grande +transformation entreprise de nos jours dans l’île mère.</p> + +<p>Et les siècles passent. La France et Paris se bâtissent peu à peu sous +la rude main des chefs mérovingiens, sous celle des maires du palais +quand la race de Klodowig s’abâtardit, quand le trône hissé sur les +cadavres de frères, d’oncles ou de neveux n’est plus qu’un simple +fauteuil pour ses faibles successeurs.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Quatre bœufs attelés d’un pas tranquille et lent<br /></span> +<span class="i0">Promenaient dans Paris le monarque indolent,<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>... ils le promènent de Paris à ses villas des environs, tandis que le +duc Pépin ou Charles-Martel conquiert le pouvoir réel, gouverne et +guerroie en son propre nom sans s’occuper du faible titulaire de la +couronne.</p> + +<p>Le commerce de Paris prospère, les Nautes, ces négociants lutéciens, +s’appellent maintenant les <i>marchands de l’eau</i>, et forment une <i>hanse</i> +ou ligue marchande dont les opérations s’étendent au loin, association +qui deviendra au moyen âge la corporation prépondérante parmi les +métiers et fournira les Prévôts des marchands.—Là est l’origine de la +municipalité parisienne, le lien qui rattache à travers les âges les +édiles de nos jours, les terribles hommes de la commune de 1793, les +chaperons bleus et rouges d’Étienne Marcel, les négociants de la rivière +d’il y a dix siècles aux nautes gallo-romains. La nef qui vogue sur +l’écusson de Paris, on la trouve déjà au palais des Thermes, figurée par +les proues des navires sculptées aux retombées des voûtes, et s’il faut +choisir parmi les étymologies incertaines, il est bien probable que +cette nef emblématique rappelle aussi le nom de la ville, Paris en +langue celtique devant signifier Bateau et Parisii bateliers, comme +Lutèce signifiait, dit-on, <i>habitation au milieu de la rivière</i>, ou +l’île aux Corbeaux, ou l’île blanche, ou autre chose, au gré des +étymologistes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 315px;"> +<a href="images/illu-028.jpg"> +<img src="images/illu-028.jpg" width="315" height="188" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LUTÈCE</p></div> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 556px;"> +<a href="images/illu-029.jpg"> +<img src="images/illu-029.jpg" width="556" height="378" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>HENRI III ALLANT POSER LA PREMIÈRE PIERRE DU PONT-NEUF LE +31 MAI 1578</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_17" id="page_17">{17}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_II" id="CHAPITRE_II"></a> + +<a href="images/illu-031-a.jpg"> +<img src="images/illu-031-a.jpg" width="361" height="323" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption">A NOTRE-DAME +</span> +<br /><br /> +CHAPITRE II<br /><br /> +LA CROISSANCE</h2> + +<div class="blockquot2"><p>La cité de Paris.—Le temple de Jupiter devient l’église cathédrale +Notre-Dame de Paris.—Les petites églises de la Cité.—Saint-Jean +le Rond et les Enfants trouvés.—Très haut et très puissant +seigneur le chapitre de Notre-Dame.—Le cloître et ses premières +écoles.—Guillaume de Champeaux et Abélard.—Naissance de +l’Université.—Les légendes: le diable Biscornette.—L’anneau de la +Vierge.—Le grand Jeusneur.—Folies et mascarades des fêtes de +l’âne, des fous et des innocents.—Diables, guivres et chimères.</p></div> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-031-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">A NOTRE-DAME</span> +</div> + +<p class="nind"><span class="letra">E</span>NFIN le <small>XIII</small>ᵉ siècle,—qui mérite autant que le <small>XVII</small>ᵉ, pour la France +arrivée à son complet développement, le nom de grand siècle,—le grand +siècle du moyen âge va se lever sur un monde sortant de la confusion, +rajeuni, plein de sève et de force, et sur une société organisée tout +autrement que nous la comprenons maintenant, posée sur d’autres<span class="pagenum"><a name="page_18" id="page_18">{18}</a></span> bases, +mais fortement constituée et douée d’une vitalité assez vigoureuse pour +affronter les siècles d’orages qu’elle aura bientôt à traverser.</p> + +<p>C’est l’époque où le moyen âge, dans toutes ses institutions, se +rapproche le plus de son idéal et donne sa plus complète expression en +tout. C’est le siècle où la pensée s’efforce de se dégager des ténèbres +et des enveloppements de la scolastique, et entrevoit la science; où +l’Université fait de Paris la grande école des peuples et de la montagne +Sainte-Geneviève le plus haut sommet d’Europe; où l’art, le grand +magicien décorateur de la vie, après des siècles de tâtonnements et de +progrès vers le beau, arrive à un merveilleux et vraiment sublime +épanouissement.</p> + +<p>Le cœur de Paris, à ce moment de son histoire, il est vraiment là, dans +l’île de l’antique Lutèce, dans cette glorieuse Cité où la grande +cathédrale, la nouvelle Notre-Dame, achève de se construire et domine de +ses tours, de sa flèche élancée, de ses mille pinacles dissemblables, +clochers, flèches, tours et tourelles hérissant l’île et les deux rives +du fleuve.</p> + +<p>La Cité d’ailleurs est centre religieux par sa cathédrale et centre +politique par son palais, qu’habitent les rois, seigneurs de ce petit +jardin d’île de France auquel peu à peu, par l’adresse, la politique ou +la force, ils réunissent les seigneuries, les terres, les provinces, +arrondissant de plus en plus le domaine royal, noyau d’agglomération +dans le morcellement féodal.</p> + +<p>Bien des édifices se sont remplacés l’un l’autre, sur l’emplacement du +temple gallo-romain où le Christ a succédé à Jupiter, en attendant qu’il +soit un instant remplacé par l’Être Suprême et la déesse Raison de 93.</p> + +<p>Il y a eu d’abord au <small>IV</small>ᵉ siècle une première église dédiée à saint +Étienne martyr, église à côté de laquelle s’éleva la cathédrale +mérovingienne bâtie au commencement du <small>VI</small>ᵉ siècle par le roi Childebert, +en reconnaissance de la guérison d’une grave maladie. De cette +cathédrale, d’art encore à demi romain et non roman, il reste quelques +débris et une description du moine poète Fortunat qui célèbre ses +splendeurs en vers enthousiastes; les débris, des fragments de colonnes, +des chapiteaux corinthiens se peuvent voir au palais des Thermes. Une +particularité de cette église signalée par Fortunat, c’est que là pour +la première fois les fenêtres furent garnies de verrières transparentes +où «les feux tremblants de l’aurore naissante semblent se jouer jusque +dans les lambris»...</p> + +<p>Près de dix siècles, la basilique mérovingienne, maintes fois réparée, +vécut cependant, malgré bien des accidents et des désastres soufferts au +temps des Normands. Elle avait presque l’âge de la cathédrale actuelle +lorsque fut décidée sa démolition. Cette basilique et la vieille église +Saint-Étienne accolée à son flanc sud tombaient sans doute en ruines, +malgré les incessantes réparations, et l’édifice ne répondait plus aux +exigences du temps. La cathédrale, comme on la concevait alors,—église +mère de la Cité, centre commun à tous, la maison de Dieu la plus +solennelle, autel privilégié entre tous, lieu de réunion du peuple pour +toutes les occurrences, joyeuses ou funestes, et pour certains, donjon +d’une puissance supérieure à toutes, ou pour le moins allant de pair +avec la plus haute,<span class="pagenum"><a name="page_19" id="page_19">{19}</a></span>—la cathédrale demandait une ampleur de proportions +refusée aux autres églises et voulait être revêtue de toutes les +magnificences de l’art.</p> + +<p>Développement naturel et superbe des beautés en germe dans l’art roman, +éclosion de toutes les fleurs poussées sur sa tige puissante, un art +nouveau surgit juste à point pour satisfaire aux conditions nouvelles, +au moment où jaillissent du sol de l’Ile de France agrandie de quelques +provinces, ces grandes cathédrales de Paris, Chartres, Laon, Reims, +Amiens, Senlis, Bourges, condensant tous les arts sublimes, toutes les +aspirations élevées, miracles de pierre pour lesquels les peuples +semblent avoir jeté comme en un brasier leur âme ardente, leur foi et +leurs trésors.</p> + +<p>Et Notre-Dame de Paris, sous l’effort d’une génération, naquit, poussée +en cinquante années de travaux dans l’ensemble de sa structure, mais +demandant pour l’achèvement de sa merveilleuse parure de sculptures, +encore un siècle de labeurs et des centaines d’existences d’artistes, de +savants maîtres de l’œuvre et d’imagiers au patient ciseau.</p> + +<div class="figright" style="width: 208px;"> +<a href="images/illu-033.jpg"> +<img src="images/illu-033.jpg" width="208" height="234" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>1711. DÉCOUVERTE DES DÉBRIS D’UN AUTEL DE JUPITER SOUS LE +CHŒUR DE NOTRE-DAME</p></div> +</div> + +<p>La Cité après saint Louis, c’est-à-dire lorsque Notre-Dame et la +Sainte-Chapelle, ces deux splendides joyaux de la couronne de Paris, +s’élèvent parfaits et achevés vers le ciel, forme un merveilleux +ensemble d’édifices et pendant trois siècles, c’est-à-dire jusqu’au +moment où l’on commencera à détruire ou dénaturer sa parure du moyen +âge, elle figurera au milieu de la Seine comme la gigantesque +représentation de la nef symbolique de son blason.</p> + +<p>Cet aspect de nef moyen âge baignée par le flot de la Seine a frappé +tout le monde et, oubliant les <i>Nautes</i>, les bateliers de Lutèce, on a +voulu y voir l’origine de son emblème héraldique. C’est une de ces nefs +à château d’avant, et château d’arrière: à la proue le palais de saint +Louis, avec son jardin entouré de murs crénelés et la maison des étuves +en extrême pointe; la flèche aérienne de la Sainte-Chapelle au centre +pour grand mât; et vers la poupe, Notre-Dame élevant, majestueuse, sa +haute façade à grandes lignes régulières que dorent ou rougissent les +soleils couchants.</p> + +<p>Dans ce noble vaisseau, d’un bord à l’autre il y a, outre ces deux +châteaux d’avant et d’arrière, des écoles, des hôpitaux, deux couvents, +cinquante-deux rues<span class="pagenum"><a name="page_20" id="page_20">{20}</a></span> à maisons forcément bien serrées, bien enchevêtrées +les unes dans les autres, six impasses, des places, dix paroisses, vingt +et une églises ou chapelles.</p> + +<p><i>Le dit des rues de Paris</i>, rimé par Guillot vers la fin du <small>XIII</small>ᵉ +siècle, nomme seulement trente-six rues, certaines modifications, +certains percements de voies sur des emplacements d’hôtels ayant eu lieu +seulement après lui.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Guillot si fait à tous sçavoir<br /></span> +<span class="i0">Que par deça <i>Grand pont</i> pour voir<br /></span> +<span class="i0">N’a que deux cents rues moins sis<br /></span> +<span class="i0">Et en la Cite trente sis<br /></span> +<span class="i0">Outre <i>Petit Pont</i> quatre vingt<br /></span> +<span class="i0">Ce sont dix moins de seize vingt,<br /></span> +<span class="i0">Dedans les murs, non pas dehors.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Ces rues de la Cité du moyen âge, notre époque les a connues avant le +grand déblaiement de la Cité,—qui n’en a laissé que quelques-unes +toujours blotties à l’ombre de Notre-Dame—et les a remplacées par un +colossal amas de cubes de pierre tristes et monotones, par des casernes +et par un hôpital formidable, successeur du vieil Hôtel-Dieu, qu’on eût +mieux fait de transporter ailleurs, vers les coins inoccupés des +bastions de l’enceinte moderne.</p> + +<p>Certes, nous les avons vues ces vieilles rues—ou ce qu’il en +restait—étroites et sombres avec des recoins sinistres, des maisons +noires et sordides, des carrefours moisis aux façades lépreuses +renversées en arrière, mais ce n’est point sur ce qu’il nous en était +parvenu, en certains endroits, vieux restes semblables à un décor de +cour des miracles rongé par l’usure des siècles, bariolé de +rafistolages, défiguré, enlaidi, dégradé par la misère, ce n’est point +sur ces tristes débris que nous devons juger la <i>Cité</i> du moyen âge avec +son enclos du Cloître, ses nombreux édifices religieux, grands ou +petits, ses hôtels et ses rues marchandes.</p> + +<p>Alors elles étaient jeunes, ces rues et ces maisons, alors elles +n’étaient point noires et nullement fétides; le moyen âge qui jonchait +de fleurs et de feuillages les nefs des églises et les cours des palais, +et qui jetait des verdures odoriférantes dans les salles des tribunaux, +partout où s’entassent des foules,—ce que nous ne songeons guère à +faire maintenant, le moyen âge n’aimait pas plus que nous les mauvaises +odeurs. Il n’aimait pas davantage l’obscurité et nous en avons pour +preuve les vastes ouvertures, les grands fenestrages des façades +d’autrefois, fenêtres qu’on a, depuis, bouchées et rapetissées en +largeur et en hauteur pour nous marchander l’air et la lumière. De ce +que nous les voyons en leur misère et leur décrépitude, ne concluons pas +que ces rues et ces maisons ont toujours eu leur triste aspect +d’aujourd’hui; le masque lamentable de la sénilité peut-il nous faire +juger de la beauté d’une figure en son printemps.</p> + +<p>Mais pénétrons dans ce dédale serré de petites rues et par la rue +<i>Neuve-Notre-Dame</i>, débouchons sur le Parvis élevé sur un degré de cinq +marches disparues depuis par le lent exhaussement du sol, devant la +splendide et robuste façade agrandie encore par le voisinage des maisons +qui semblent se rapetisser<span class="pagenum"><a name="page_21" id="page_21">{21}</a></span> soudain à ses pieds, apparaissant tout +entière avec sa fantastique décoration, ses vastes portails béants où +mille images sculptées se dessinent nettement au soleil ou se devinent +dans l’ombre, avec ses deux grandes lignes horizontales coupant la +masse: la Galerie des rois alignant ses majestueuses statues d’une tour +à l’autre et la galerie des hautes arcades à jour au-dessus de la grande +rosace;—avec les hautes ogives des tours d’où tombent sur la ville le +carillon des cloches et, seulement pour les grandes joies ou les grandes +alertes, la voix grave du bourdon.</p> + +<p>En cette Cité où l’espace est mesuré, où palais, églises et maisons se +serrent si bien les coudes, on ne saurait imaginer espace mieux rempli +et plus meublé.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 362px;"> +<a href="images/illu-035.jpg"> +<img src="images/illu-035.jpg" width="362" height="396" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>SAINT-JEAN LE ROND ET LES ENFANTS ABANDONNÉS</p> +</div> +</div> + +<p>L’Hôtel-Dieu d’abord, au pied de la tour méridionale, se présente aux +gens avec son petit porche d’entrée et ses bâtiments divers découpés +très irrégulièrement. C’est ensuite l’église Saint-Christophe tournant +son abside au parvis, devant le débouché de la rue +Saint-Pierre-aux-Bœufs qui montre l’entrée de l’église Saint-Pierre à +deux pas, derrière le pignon à tourelle du Bureau des pauvres. En face, +juste sous la tour du Nord, s’accote la petite église Saint-Jean le +Rond, humble et pauvre, toute petite, dont le pignon ne monte pas plus +haut que l’ogive du portail de la cathédrale.</p> + +<p>Cet humble Saint-Jean le Rond n’a rien de rond et s’appelle ainsi en +souvenir d’une précédente chapelle Saint-Jean, qui était le baptistère +de la cathédrale mérovingienne, bâti en rotonde, suivant l’usage. Simple +chapelle extérieure, cette<span class="pagenum"><a name="page_22" id="page_22">{22}</a></span> annexe de la cathédrale disparut en 1790. +Précédemment à la place de la porte gothique, on lui avait infligé une +entrée surmontée d’un fronton à l’antique, sévice insignifiant pour la +modeste chapelle, mais qui fait penser au péril incroyable couru par +Notre-Dame elle-même, pendant les deux siècles de réaction classique, +par cette splendide façade dont on voulut gratter la parure gothique +pour la rhabiller en style jésuite au temps de Louis XIV, ainsi que l’on +avait fait précédemment à la pauvre façade de Saint-Gervais, ou dont on +faisait charcuter les portails au <small>XVIII</small>ᵉ siècle sous la direction de +Soufflot!</p> + +<p>Les marches de Saint-Jean le Rond ont entendu bien des vagissements de +pauvres petits êtres abandonnés: les mères qui se résignaient à +délaisser leurs enfants, les déposaient là comme le Quasimodo du poète, +pour être recueillis par le chapitre de Notre-Dame. Qui pourrait compter +leur nombre en tant de siècles! Des fondations pieuses s’efforçaient de +subvenir à l’entretien des enfants trouvés, mais le vice, la misère +multipliaient les abandons de malheureux poupons, au grand souci de +l’évêque et des chanoines auxquels cette charge revenait par tradition; +au XVIᵉ siècle elle était telle qu’il fallut faire contribuer les +abbayes et les paroisses de Paris possédant fiefs de haute justice.</p> + +<p>Un matin de 1717, sous le porche de Saint-Jean le Rond, un de ces petits +abandonnés fut trouvé par un pauvre vitrier, qui touché de compassion le +recueillit et l’éleva. L’enfant, baptisé sous le nom de Jean le Rond, +devint le célèbre philosophe d’Alembert, l’un des fondateurs de +l’<i>Encyclopédie</i>.</p> + +<p>Sur le côté de Saint-Jean le Rond s’ouvre la porte principale du +cloître, vaste enclos qui enferme toute la pointe orientale de l’île et +qui, très diminué, est aujourd’hui à peu près la seule partie +subsistante de l’ancienne cité. La muraille de cet enclos est +représentée par la rue de la Colombe, la rue basse des Ursins et le +quai.</p> + +<p>C’est là que les derniers débris de la Cité, telle que les siècles +l’avaient faite, peuvent encore se retrouver avec quelques vestiges +d’une chapelle Saint-Aignan au fond d’un bâtiment; de tout le reste, il +a été fait table rase pour le colossal Hôtel-Dieu et les grandissimes +casernes, et pour la grande place actuelle du Parvis qui représente +environ dix fois la grandeur de l’ancienne.</p> + +<p>Les écoles de l’église donnent aussi sur le Parvis à côté de +Saint-Christophe. Le Chapitre de Notre-Dame, haut justicier, a sa prison +proche Saint-Pierre-aux-Bœufs et son échelle patibulaire sur le Parvis +même, laquelle potence ne fut abattue qu’au <small>XVII</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>Sur cette place étroite, au débouché de ces rues où les processions +doivent avoir peine à passer, où passeront pourtant les processions +tumultueuses de la Ligue et tant de cortèges triomphants ou sinistres, +voici donc des paroissiens de la cathédrale se rendant aux offices, des +clercs du chapitre allant à leur collège, des pèlerins arrivant, de bien +loin parfois, se prosterner devant le sanctuaire et vénérer les reliques +du Trésor... Saluons le chanoine qui passe sur sa mule, c’est un +cinquantième de très haut et très puissant seigneur le Chapitre. Il s’en +va visiter en son logis quelque gros bourgeois, quelque dignitaire de +l’Université, quelque abbé de l’un des innombrables couvents de la +Ville.<span class="pagenum"><a name="page_23" id="page_23">{23}</a></span></p> + +<p>Qu’est-ce que ce rassemblement? C’est le marché au pain, marché franc où +n’importe quel boulanger du dedans ou du dehors peut apporter ses pains.</p> + +<p>Voici plus qu’un rassemblement, une foule qui se presse et se bouscule +criant ou riant, plaignant ou se moquant suivant le cas, autour d’une +charrette escortée par des archers en hoqueton aux armes de la ville. +C’est quelque malheureux larron, quelque assommeur de carrefour que l’on +va justicier à la potence du Parvis, ou bien un criminel qui vient du +grand Châtelet faire amende honorable, pieds nus et torche en main sur +les marches de Notre-Dame, après quoi le bourreau va le reprendre pour +le conduire subir sa peine en place de Grève.</p> + +<p>Nos seigneurs du Chapitre, les chanoines, sont gens puissants et riches! +Notre-Dame possède des seigneuries, des fiefs dans Paris, des censives +et des rentes, des droits, des terres considérables aux environs de la +ville et bien loin, et même jusqu’à une terre en Provence qui fournit à +l’église l’huile de ses lampes.</p> + +<p>L’évêque et le Chapitre ont leurs menses parfaitement distinctes et +séparées, leurs attributions et leurs droits particuliers. Le Chapitre, +dont on fait remonter la fondation à Charlemagne, se compose, y compris +les hauts dignitaires, de soixante chanoines; n’ayant pas tous reçu les +ordres, tous doivent sous peine de suspension de bénéfice, porter la +tonsure et avoir la barbe rasée, obligation qui donna lieu en 1555 au +refus fait par le Chapitre, ennemi obstiné des longues barbes, +«<i>contraires à la modestie</i>», d’admettre Pierre Lescot l’architecte, +pourvu d’un canonicat, tant qu’il porterait sa longue barbe.</p> + +<p>Ce Chapitre dans le cours de son existence a fourni à l’Église des +papes, nombre de cardinaux et une foule d’évêques et d’archevêques; cela +ne l’empêchait pas de se montrer fort soigneux de ses immenses richesses +terrestres, fort jaloux de ses droits et privilèges, qu’il savait +défendre du bec et des ongles même contre les rois. Ses vassaux +n’étaient pas traités toujours avec la mansuétude qu’on eût été en droit +d’attendre d’hommes d’église; l’illustre Chapitre se montrait pour tout +ce qui regardait les redevances aussi rigoureux que n’importe quel +seigneur rude et besogneux. On connaît l’histoire des pauvres habitants +de Châtenay-sous-Paris, serfs de corps de Notre-Dame, qui en 1252, sur +le refus de payer un surcroît d’impositions, furent appréhendés et jetés +sans pitié dans la prison du Chapitre. Saisie d’une plainte, la reine +Blanche, mère de saint Louis, intervint et pria les chanoines de rendre +la liberté aux prisonniers. La demande de la reine fut repoussée avec +une insolence cruelle et pour mieux établir ce qu’il prétendait être son +droit sur les biens et la vie de ses sujets, le Chapitre fit saisir en +masse et jeter avec les autres, les femmes et les enfants de Châtenay. +Les malheureux, ainsi entassés dans tous les réduits ou cachots de cette +prison trop étroite allaient périr de misère ou d’asphyxie, lorsque +accourut la reine indignée, qui fit enfoncer les portes et délivra par +la force les victimes du Chapitre.</p> + +<p>Dans l’enclos du Chapitre il restait à la Révolution trente-trois +maisons canoniales soumises à un régime particulier; chacune était +propriété du chanoine qui l’occupait, sous réserve d’une redevance au +Chapitre, mais ne pouvait être vendue qu’à un chanoine. Le cloître, +c’est-à-dire l’ensemble de ces maisons et jardins<span class="pagenum"><a name="page_24" id="page_24">{24}</a></span> n’était pas cependant +tout à fait le séjour de tranquillité que l’on peut supposer, le +paisible asile d’hommes d’étude et de prières, à l’ombre de la +cathédrale. Il se glissa des abus nombreux et des intrus dans la petite +ville canoniale; des chanoines sous-louèrent et, malgré les défenses, +permirent même à des tavernes de s’établir dans des dépendances de +l’enceinte.</p> + +<p>D’ailleurs, il y eut ici jusqu’au <small>XII</small>ᵉ siècle une population qui ne +pouvait manquer d’amener quelques désordres et turbulences avec elle: +c’étaient messieurs les écoliers, en tout temps amis du bruit et en tout +lieu difficiles à tenir en bride. L’Université de Paris, poussin éclos +sous l’aile de l’Église, mais qui devait bientôt réclamer indépendance +et coudées plus franches, eut ses premières écoles dans l’enclos de +Notre-Dame.</p> + +<div class="figleft" style="width: 236px;"> +<a href="images/illu-038.jpg"> +<img src="images/illu-038.jpg" width="236" height="332" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>EN HAUT DES TOURS DE NOTRE-DAME</p></div> +</div> + +<p>C’est dans le préau du cloître, jonché de bottes de paille en guise de +sièges, et dans les différentes cours voisines que se réunissaient +maîtres et écoliers, pour les leçons, cours et controverses. Bientôt ces +assemblées, passionnées pour les grandes querelles philosophiques des +Scolastiques du temps, pour la fameuse controverse des réalistes et des +nominaux, se sentirent à l’étroit de toutes façons dans les bâtiments du +chapitre; les écoliers après les cours, passionnés pour d’autres choses +moins édifiantes, lâchés dans les tavernes de la rue de Glatigny ou chez +les ribaudes du Val d’amour, trop voisines des maisons canoniales, +durent émigrer sur la rive gauche, qui devint leur ville particulière, +la ville de l’Université avec ses nombreux collèges, ses franchises, ses +coutumes.</p> + +<p>Mais les écoles épiscopales du cloître Notre-Dame eurent pour écolier +Abélard et le virent revenir professeur à l’éclatante célébrité, +traînant avec lui à son <i>camp</i> de la rive gauche une armée d’étudiants +suspendus à ses lèvres, enfin, rival victo<span class="pagenum"><a name="page_25" id="page_25">{25}</a></span>rieux de Guillaume de +Champeaux son ancien maître dont il combattait les idées. Hélas! la +philosophie et la science ne suffisaient pas à remplir toute l’âme +d’Abélard, il aima une femme, d’esprit supérieur comme lui, savante et +belle, Héloïse, nièce du chanoine Fulbert. Le théologien, enflammé +bientôt par cette élève charmante, se fit poète et musicien, compositeur +de chansons amoureuses qui dirent le secret de ses amours à tous les +échos scandalisés du cloître Notre-Dame. L’oncle Fulbert se montra un +terrible gardien de la vertu de sa nièce et vengeur féroce de la morale; +et l’on connaît la malheureuse aventure qui termina ce doux roman +d’amour en jetant Héloïse chez les nonnes d’Argenteuil, en faisant +d’Abélard un moine désespéré, cherchant l’oubli de couvent en couvent, +de Saint-Denis jusqu’au fond de la Bretagne.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 366px;"> +<a href="images/illu-039.jpg"> +<img src="images/illu-039.jpg" width="366" height="488" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA FÊTE DES FOUS</p></div> +</div> + +<p>Abélard, mort en 1142, n’a point connu la cathédrale actuelle. Du temps +où il écrasait sous son éloquence Guillaume de Champeaux, archidiacre de +la cathédrale, c’était toujours la vieille église romane, qu’Étienne de +Garlande<span class="pagenum"><a name="page_26" id="page_26">{26}</a></span> restaura vers 1140, restauration dont il fut utilisé des +fragments à la porte Sainte-Anne.</p> + +<p>Vingt ans après, vers 1163, commencèrent les travaux de la nouvelle +cathédrale dont le pape Alexandre III vint poser la première pierre.</p> + +<p>L’œuvre était dirigée par l’évêque Maurice de Sully, un prélat qui avait +été l’un de ces pauvres étudiants mendiant le pain du corps aux portes +des couvents, en sortant des écoles avec la nourriture de l’esprit. La +foi soulève des montagnes, elle élève aussi des montagnes de pierre; +alors se bâtissent également les grandes cathédrales du domaine royal +par l’élan de tous, avec l’aide de dons considérables et d’oboles, avec +le cœur et l’âme de tous,—constructions gigantesques qui nécessairement +impliquent l’existence, dans cette société du moyen âge, d’un nombre +considérable d’artistes, maîtres <i>massons</i>, tailleurs de pierre, +sculpteurs non refroidis par Rome, par l’excès de science et +d’érudition, naïfs imagiers du ciseau, dont l’œuvre, d’une imagination +formidable, d’une originalité, d’une abondance et d’une variété inouïes, +après avoir passionné leurs contemporains, stupéfie encore notre temps.</p> + +<p>Avant la fin du <small>XII</small>ᵉ siècle le gros œuvre était fort avancé; la nef et +le chœur étaient couverts et en 1235 l’édifice arrivait à son +achèvement. Les portails latéraux ne sont pas de cette construction +primitive, des modifications importantes furent apportées dès le milieu +du <small>XIII</small>ᵉ siècle au plan primitif, adjonction de chapelles au pourtour de +l’abside, allongement du transept, construction par l’architecte Jehan +de Chelles du merveilleux portail Sud en 1257, construction du portail +Nord par Pierre de Chelles en 1313, avec une portion des richesses +confisquées sur les Templiers.</p> + +<p>Les Parisiens suivaient avec un intérêt passionné la construction de +leur cathédrale et le cœur de Paris battit bien réellement sur ce point, +durant ces cent années de labeur pour la poussée de ces pierres +miraculeuses.</p> + +<p>Que de légendes se formèrent devant ce déroulement d’images sculptées, +devant cette galerie des rois qui représente peut-être, comme le peuple +s’obstinait à le croire, la lignée des rois de France de Childebert à +Philippe-Auguste et non celle des rois de Juda, et devant ce troupeau de +monstres de toutes formes, guivres, dragons, aigles accrochés aux tours, +accoudés aux balustrades, démons lippus contemplant Paris de leurs +prunelles ironiques.</p> + +<p>Ces ferrures merveilleuses si extraordinairement enroulées sur les +portes de la façade principale, qui donc avait pu les forger, tourner +aussi délicatement le fer en volutes feuillues et fleuries? qui donc, +sinon le diable lui-même, maître, chacun le sait, par-dessus tous les +maîtres! Un serrurier chrétien avait tenté l’ouvrage, mais après mille +essais, se reconnaissant vaincu, il offrit désespérément son âme au +diable s’il voulait l’aider dans son travail. L’ennemi du genre humain +consentit pour une simple âme de forgeron à travailler en l’honneur de +Notre-Dame et envoya le démon Biscornette, bon ouvrier devant qui le fer +se tordait presque de lui-même sur l’enclume.</p> + +<p>En conséquence, les ferrures pour les vantaux des deux portes de côté, +dites<span class="pagenum"><a name="page_27" id="page_27">{27}</a></span> porte de la Vierge et porte Sainte-Anne, furent terminées et +placées sans peine en un rien de temps; restait la porte centrale, mais +alors le forgeron infernal Biscornette eut beau s’y prendre de toutes +les façons, employer toutes les ressources de son art, il ne put venir à +bout des ferrures de cette porte centrale, qui est celle par où passe le +Saint-Sacrement aux processions. Le fer, devenu soudain rebelle, +résistait à son marteau, si bien que Biscornette, humilié à son tour, +dut abandonner le marché et se replonger dans l’Enfer sans emporter +l’âme du serrurier de Notre-Dame.</p> + +<div class="figright" style="width: 242px;"> +<a href="images/illu-041-a.jpg"> +<img src="images/illu-041-a.jpg" width="242" height="211" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES CHIMÈRES DE NOTRE-DAME</p></div> +</div> + +<p>Cette porte centrale, pour donner raison à la légende, nous est parvenue +sans ferrures, soit qu’elle n’en ait jamais eu, ce qui serait bien +extraordinaire, soit qu’elles aient disparu dans une modification +ancienne. On l’a ferrée de nos jours cependant, Viollet-le-Duc +remplaçant Biscornette.</p> + +<div class="figleft" style="width: 212px;"> +<a href="images/illu-041-b.jpg"> +<img src="images/illu-041-b.jpg" width="212" height="243" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES CHIMÈRES DE NOTRE-DAME</p></div> +</div> + +<p>Autre légende: Sous la porte de gauche ou de la Vierge, une statue de la +Vierge détruite en 1793 ornait le trumeau central, dès les premiers +temps de la construction; à ses pieds était placé le tronc qui recevait +les offrandes pour les travaux de l’église. Or, un jour, un escholier +qui jouait à la pelote, c’est-à-dire à la balle, sur la place avec des +amis, eut l’idée, pour mettre en sûreté un anneau qu’il craignait de +perdre au jeu, de le passer au doigt par lequel la Vierge montrait le +ciel.<span class="pagenum"><a name="page_28" id="page_28">{28}</a></span></p> + +<p>—Je vous donne cet anneau pour gage, dit-il en plaisantant à la statue, +je n’aurai ni amie ni dame, sinon vous!</p> + +<div class="figleft" style="width: 173px;"> +<a href="images/illu-042.jpg"> +<img src="images/illu-042.jpg" width="173" height="550" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +</div> + +<p>Et soudain la Vierge, en signe d’acquiescement, plia le doigt de manière +à retenir l’anneau! Le prodige émut fort le jouvenceau qui laissa le jeu +et songea quelque temps à se faire moine. Cependant, repris par le +siècle, notre jeune homme oublia l’anneau offert à la Vierge et il en +offrit un autre à une fiancée riche et bien née. Mais, le soir des +noces, il vit se dresser devant lui la Vierge du portail courroucée, lui +rappelant sa promesse et l’appelant parjure, apparition qui fit fuir le +pauvre garçon jusqu’au prochain couvent où il prit l’habit de moine, <i>se +mariant ainsi à Marie</i>, dit la légende rapportée par le bibliophile +Jacob.</p> + +<p>Il y a encore la légende du <i>Chanoine damné</i>: racontée sous les voûtes +impressionnantes de l’église, elle devait faire courir le frisson dans +les veines des bonnes gens. Il s’agit d’un membre du puissant Chapitre, +aux temps lointains, mort, croyait-on, presque en odeur de sainteté; +pendant que l’on chantait à ses obsèques l’office des Morts devant une +assistance recueillie qui croyait déjà l’âme du saint homme placée au +paradis parmi les Élus, on vit tout à coup le couvercle du cercueil se +soulever, le mort passer une tête hagarde et brandir un bras hors du +cercueil, en criant par trois fois d’une voix étrange qui roula dans +l’église: <i>Je suis damné!</i></p> + +<p>Et comme l’assistance, pétrifiée par l’effroi, n’osait bouger, le mort +si vénéré confessa d’horribles crimes insoupçonnés, puis retomba +lourdement dans sa bière, pendant que les fidèles, retrouvant leurs +jambes, s’enfuyaient dans l’épouvante...</p> + +<p>On vit jusqu’au siècle dernier sur cette<span class="pagenum"><a name="page_29" id="page_29">{29}</a></span> place du Parvis un monument +singulier, une vieille statue en demi ronde bosse plantée sur le pavé en +avant des portes. Dans cette figure méconnaissable, rongée par le temps, +les vieux historiens et descripteurs de Paris voient soit un Mercure, +soit un Esculape, vestige dernier du temple de la Cité, tandis que +l’abbé Le Bœuf pense plutôt que c’était une statue de Jésus-Christ +détachée du portail de l’ancienne cathédrale romane. Le populaire, +complètement oublieux de l’origine du monument, l’appelait, sur son +aspect misérable, le <i>grand Jeusneur</i> ou <i>Monsieur Le Gris</i> et prenait +pour sujet ou pour endosseur de mille facéties ce vieux sermonneur:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Vulgairement appelé le Jeusneur<br /></span> +<span class="i0">Pour s’être vu, selon l’histoire,<br /></span> +<span class="i0">Mil ans sans manger et sans boire.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Quel plus magnifique cadre pouvait-on rêver pour toutes ces fêtes qui à +des époques fixes venaient émouvoir et doucement réjouir le peuple des +villes par le déploiement de toutes les pompes religieuses sous ces +hautes voûtes, où, dans les fumées de l’encens, les magiques fenestrages +découpés, les roses flamboyantes semblent des ouvertures sur le +ciel,—ou pour d’autres journées de liesse, quand tout à coup, au +lendemain des grandes solennités religieuses élevant les âmes jusqu’aux +plus hautes poésies, éclataient sous les mêmes voûtes les transports de +la joie la plus terrestre, la plus grossière aussi, et se déroulaient +les plus burlesques parodies, devant ces mêmes chrétiens si fervents, et +même avec le concours des prêtres et des clercs!</p> + +<div class="figright" style="width: 127px;"> +<a href="images/illu-043.jpg"> +<img src="images/illu-043.jpg" width="127" height="550" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +</div> + +<p>Franche et sincère, la religion du moyen âge ne connaissait pas +l’hypocrite bigoterie, elle ne frappait point la gaîté d’anathème; au +contraire, le naturel joyeux de la race se taillait sa part dans +l’ornementation des églises, et très largement, on peut le voir aux +milliers de sculptures comiques et satiriques mélangées partout aux plus +édifiantes scènes religieuses. Notre-Dame, au lendemain de la Noël, +avait sa semaine folle consacrée aux céré<span class="pagenum"><a name="page_30" id="page_30">{30}</a></span>monies de la <i>fête de l’âne</i> +et <i>de la fête des fous</i>, commençant le 26 décembre par la fête des +sous-diacres, qu’on appelait la fête des diacres-saôuls. Des études +spéciales ont été consacrées à ces étranges réjouissances, dont +l’origine remonte aux premiers siècles du christianisme et se relient +aux saturnales antiques, aux <i>barbatoires</i> des premiers siècles +chrétiens dont elles sont la simple continuation, comme les églises +continuent sur les mêmes lieux les temples païens.</p> + +<p>Fête des fous, fête de l’âne, ou bien fête des innocents, c’était +toujours une parodie des cérémonies du culte, une messe en coq-à-l’âne +et latin de cuisine, chantée dans les tons les plus discordants avec des +<i>Hihan</i> pour alleluias. L’âne de la fuite en Égypte amené en cérémonie +figurait au milieu du chœur et portait une jeune fille avec un petit +enfant dans les bras pour représenter la Vierge et Jésus.</p> + +<p>C’était donc tout d’abord au lendemain de la Noël un petit coin sérieux +et poétique de la fête, puis la pure farce commençait.</p> + +<p>Tous les honneurs du cérémonial étaient pour le brave baudet, sage +monture de la Vierge; on lui chantait gravement la <i>prose de l’âne</i>, une +prose burlesque en latin baroque entremêlé de français, à chaque strophe +de laquelle la foule dans l’église clamait le refrain:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Hez! sire âne, hez, chantez!<br /></span> +<span class="i0">Belle bouche, rechignez!<br /></span> +<span class="i0">Vous aurez du foin assez<br /></span> +<span class="i0">Et de l’avoine à plantez!...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Et la messe de l’âne s’achevait au milieu des éclats de rire et des +bouffonneries. Les prêtres officiants eux-mêmes, à certains moments, +poussaient des hi-han prolongés, qui servaient de signal aux assistants +pour braire à qui mieux mieux en guise de répons.</p> + +<p>Pour la <i>fête des fous</i> on trouvait le moyen d’exagérer encore ces +singulières drôleries. On choisissait alors parmi les clercs au milieu +des plus étranges cérémonies un évêque des fous que l’on promenait +processionnellement dans l’église et qui, coiffé et mitré, s’en allait +s’asseoir irrévérencieusement dans le siège épiscopal d’où il donnait +avec mille bouffonneries sa bénédiction à la foule. Huit jours après, +l’évêque des fous, amené par une nouvelle procession au son de toutes +les cloches venait, en grande cérémonie, célébrer une parodie de la +grand’messe. Diacres et clercs revêtus d’oripeaux, barbouillés de suie +ou le visage couvert de masques bizarres, barbus et cornus, +remplissaient le chœur, dansant, chantant, faisant mille extravagances.</p> + +<p>Les encensoirs répandaient une âcre odeur de vieux cuir brûlé en guise +d’encens, puis les danses se poursuivaient dans la nef, et les gens +d’église régalaient les assistants de boudins, saucisses et cruches de +vin. Tout n’était pas fini, car la fête se continuait en véritable +carnaval par des processions non moins étranges dans les rues.</p> + +<p>C’était une parodie, mais sans nulle dérision pourtant; la franche +gaillardise<span class="pagenum"><a name="page_31" id="page_31">{31}</a></span> de nos pères ne trouvait là nulle matière à s’indigner et +il fallut des siècles pour faire disparaître les derniers vestiges de +ces vieilles coutumes. Vieux moines, graves évêques protestaient +parfois, mais protestations et tentatives d’interdiction n’y firent de +longtemps pas grand’chose et ne purent prévaloir contre la puissance des +vieilles coutumes, tant est vif aussi le besoin instinctif d’une détente +dans l’austérité.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 282px;"> +<a href="images/illu-045.jpg"> +<img src="images/illu-045.jpg" width="282" height="286" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE GRAND JEUNEUR, SUR LE PARVIS</p></div> +</div> + +<p>Outre ces folies alternant avec les solennités religieuses, les +processions de la Fête-Dieu, les représentations de mystères, origine de +notre théâtre, Notre-Dame avait encore la promenade du dragon de saint +Marcel, une sorte de Tarasque d’osier qui partant du cloître le jour des +Rogations, était promenée dans la paroisse par le clergé, à la grande +joie du populaire qui s’efforçait de jeter fruits et gâteaux dans la +gueule du monstre.</p> + +<p>Ces statues étranges penchées à la balustrade au-dessus de la grande +galerie ajourée, ces chimères, guivres et bêtes fantastiques que les +siècles avaient fini par ronger et qu’on a dû refaire de nos jours en +s’aidant de leurs débris, ces diables cornus usant leurs prunelles de +pierres à contempler ou surveiller Paris, quels spectacles la vieille +Lutèce ne leur a-t-elle pas donnés!</p> + +<p>Drames, comédies et féeries, déroulements de splendeurs joyeuses pour +les<span class="pagenum"><a name="page_32" id="page_32">{32}</a></span> entrées solennelles de rois ou de reines, départs pour la croisade, +pavoisements et enguirlandements des rues pour les grandes occasions; et +comme contrastes, la longue série des séditions populaires et +révolutions diverses, explosions périodiques de la mauvaise humeur du +peuple foulé ou trompé, furieux accès de rage causés par les trop +longues et trop dures misères.</p> + +<p>Combien de fois les sanglantes lueurs de l’incendie ont-elles illuminé +la face de ces monstres, les flammes courant de rue en rue sur ces +milliers de toits! C’est l’Anglais à Paris et Jeanne d’Arc repoussée +sous la porte Saint-Honoré, à la joie criminelle de la majorité des +Parisiens, de l’Université et des dirigeants. C’est le sang de tant de +bagarres et de tant de massacres que boit sous les pavés soulevés le sol +des rues parisiennes; ce sont enfin les forteresses et les palais qui +s’écroulent et la guillotine qui se dresse, le terrible autel pour la +messe rouge dite chaque jour là-bas, pendant que retentissent sous les +voûtes de l’église les hymnes en l’honneur de la déesse Raison.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 322px;"> +<a href="images/illu-046.jpg"> +<img src="images/illu-046.jpg" width="322" height="222" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES ÉCOLES DU CLOÎTRE</p></div> +</div> + +<p>Il semble qu’en plaçant cette couronne de diaboliques figures au front +du monument, où devant tant de vierges, de martyrs et de saints +s’élèvent comme un encens les prières des foules, les architectes du +moyen âge, philosophes ironiques, aient songé à faire la part du mal et +à fournir des patrons dignes d’eux aux êtres de sang et de proie qui +grouillent dans les bas-fonds des grandes villes, écume sinistre des +agglomérations humaines.</p> + +<p>..... Et Paris contemplé de là-haut était bien grand déjà. Victor Hugo +dans <i>Notre-Dame de Paris</i> a brossé splendidement le grand panorama à +vol d’oiseau</p> + +<div class="figcenter" style="width: 396px;"> +<a href="images/illu-047.jpg"> +<img src="images/illu-047.jpg" width="396" height="572" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA RUE DE LA MONTAGNE SAINTE-GENEVIÈVE ET +SAINT-ÉTIENNE-DU-MONT UN JOUR DE PÉLERINAGE A L’ABBAYE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_33" id="page_33">{33}</a></span></p> + +<p class="nind">du Paris du <small>XV</small>ᵉ siècle, à l’époque où sculpteurs et architectes +achevaient leur merveilleuse ciselure des portails nord et sud.</p> + +<p>Nettement partagé en trois divisions: Cité, dans l’île mère, ville sur +la rive droite de la Seine et Université sur la rive gauche, Paris +agrandi commençait à déborder par-dessus la belle ceinture de remparts +de Philippe-Auguste dont les tours rondes et demi-rondes aux combles +aigus ponctuaient la ligne continue, par-dessus les toits massés en +mille chaînes de collines de tuiles et d’ardoises.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 357px;"> +<a href="images/illu-049.jpg"> +<img src="images/illu-049.jpg" width="357" height="208" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>NOTRE-DAME ET L’ARCHEVÊCHÉ, XVIIᵉ SIÈCLE</p></div> +</div> + +<p>Au delà, dans la campagne verdoyante où s’allongeaient des embryons de +faubourgs, par-dessus maisons des champs, petits manoirs dans les +vignes, minces villages perdus dans les blés, les abbayes élevaient +leurs clochers, leurs hauts bâtiments à grands combles, leurs vastes +dépendances, enfermées comme de petites villes fortes derrière leurs +fossés et leurs murailles crénelées.</p> + +<p>Aux antiques abbayes de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain se sont +ajoutés le grand prieuré de Saint-Martin des Champs, les abbayes de +Saint-Victor, de Saint-Antoine, tandis qu’au nord-est l’ordre militaire +du Temple couvrait un vaste espace des bâtiments nombreux et solides de +sa Commanderie, dominés par un gros donjon à tourelles, où se gardait le +trésor de l’ordre, future prison de Louis XVI.</p> + +<p>A l’orient, derrière le <i>Terrain</i> ou <i>Motte aux Papelards</i>, ancienne +butte de gravats couverte de broussailles, en dehors de l’enceinte du +cloître, sous les tours de l’Archevêché, sous les chapelles du chœur de +la cathédrale, d’où surgissent les aériens arcs-boutants à double volée +soutenant le grand comble, l’île de la Cité semble traîner à sa remorque +l’île Notre-Dame et l’île aux Javiaux, l’île Notre-Dame, future île +Saint-Louis, alors partagée en deux parties et n’ayant<span class="pagenum"><a name="page_34" id="page_34">{34}</a></span> encore d’autres +constructions que des petits bâtiments appartenant aux chanoines et +loués à des blanchisseries, et le retranchement défendant la Seine, +relié par des chaînes aux deux parties de l’enceinte.</p> + +<p>Les rois de France sont là-bas dans leur logis immense et compliqué, +vaste ensemble d’édifices réunis sous le nom d’hôtel royal de +Saint-Paul, protégé par la formidable bastille Saint-Antoine. De l’autre +côté, vers le couchant, la sortie de la Seine n’est pas moins bien +encadrée. L’antique Palais de l’île élève ses grands pignons et les +grosses tours de Saint-Louis et de Philippe le Bel, garde robuste de la +Sainte-Chapelle, ce merveilleux reliquaire en fine orfèvrerie de pierre; +en arrière, solide et fier, se carre le gros donjon du Louvre, centre +idéal d’où relèvent tous les grands fiefs de la couronne, donjon +suzerain de tous les donjons des pays de France.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 222px;"> +<a href="images/illu-050.jpg"> +<img src="images/illu-050.jpg" width="222" height="321" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>VIEILLE MAISON DU CLOÎTRE NOTRE-DAME, RUE CHANOINESSE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_35" id="page_35">{35}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_III" id="CHAPITRE_III"></a> +<a href="images/illu-051-a.jpg"> +<img src="images/illu-051-a.jpg" width="368" height="282" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +L’ABBAYE DE SAINT-VICTOR +</span> +<br /><br /> +CHAPITRE III<br /><br /> +LES TROIS GRANDES ABBAYES DE LA RIVE GAUCHE</h2> + +<div class="blockquot2"><p>L’abbaye de Sainte-Geneviève.—Clovis et Clotilde.—Saint-Germain +des Prés, fondation de Childebert.—La sépulture des rois +mérovingiens.—Les Normands.—Massacres et dévastations.—L’Abbaye, +petite ville féodale à côté de Paris.—Le réfectoire, fabrique de +poudres.—L’explosion et l’incendie.—Ruine définitive.—Le Pré aux +Clercs.—Luttes avec les Escholiers.—La foire Saint-Germain.—Les +abbés commendataires.—L’abbaye de Saint-Victor.—Les jardins des +chanoines.—La Bièvre.—Ce qui reste des trois abbayes.</p></div> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-051-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">LA PREMIÈRE ÉGLISE SAINTE-GENEVIÈVE<br />FONDATION DE CLOVIS</span> +</div> + +<p class="nind"><span class="letra">P</span>ARIS moine et Paris escholier, confondus ensemble jusqu’au temps +d’Abélard sous les arceaux de Notre-Dame, se confondent et se mêlent +encore pendant des siècles quand les écoles essaiment et s’en vont +former la grande et puissante Université de l’autre côté de l’eau.</p> + +<p>Le Paris qui étudie, c’est le Paris de la rive gauche, l’Université, la +ville des<span class="pagenum"><a name="page_36" id="page_36">{36}</a></span> escholiers qui devenus trop nombreux pour tenir dans les +préaux de la cathédrale et dans les petites rues de l’île déjà trop +pleine, trouvant instinctivement cloîtres et dogmes trop étroits, ont +franchi la Seine et créé le camp de la science, sur les débris du camp +romain, autour et dans les dépendances, les clos et jardins du vieux +palais latin.</p> + +<p>Il s’y est élevé tant de collèges, tant de nids de clercs et de +<i>sorbonnagres</i>, comme dit Rabelais, il y a tant de maisons où se +clarifient et se distribuent les choses de l’esprit, les connaissances +humaines; tant de collèges petits ou grands, pêle-mêle sur les pentes de +la montagne, groupés et enchevêtrés avec les églises et les couvents!</p> + +<p>Paris qui prie n’est pas cantonné dans un seul quartier; sur les deux +rives de la Seine, des abbayes, des prieurés, des églises, filles de +Notre-Dame, nombreuses et rapprochées, parfois se suivant à la file sur +les grandes voies, découpent la ville en un nombre infini de paroisses, +élevant par-dessus les quartiers à hôtels féodaux et les quartiers où +travaille et grouille le populaire en ses maisons serrées, tantôt de +superbes clochers merveilleusement découpés, tantôt d’humbles petites +flèches ardoisées, ces petites flèches devenues si rares aujourd’hui.</p> + +<p>Olivier Truschet et Germain Hoyau, dans la légende d’un plan du <small>XVI</small>ᵉ +siècle dont l’unique exemplaire a été retrouvé à Bâle, donnant «<i>le vray +pourtraict naturel de la ville, cité et Université</i>», comptent au <small>XVI</small>ᵉ +siècle 104 églises ou monastères et 49 collèges.</p> + +<p>Un siècle plus tard les maisons religieuses, églises, couvents, +chapelles, hôpitaux dépassent le chiffre de deux cents, et la révolution +trouvera encore ce nombre augmenté. Les quatre cinquièmes disparaîtront +alors, et si bon nombre de ces édifices au point de vue de +l’architecture ne présentaient qu’un intérêt secondaire, certains, il +faut le dire, doivent être à jamais regrettés, qui étaient de pures +merveilles de notre art national et contenaient dans leurs nefs +d’admirables monuments aussitôt détruits ou dispersés, de superbes +stalles ou boiseries barbarement jetées au feu, des vitraux d’une +splendeur et d’un éclat incomparables, brisés sans pitié.</p> + +<p>Il faut distinguer, en ce Paris religieux du moyen âge, les grands fiefs +ecclésiastiques dans tout leur appareil féodal, avec leurs tours, leurs +prisons, leurs justices,—les grandes églises, suzeraines d’églises +dépendantes nées d’elles-mêmes dans le cours des âges,—les chapelles +d’hospices, de collèges, de confréries, de corporations,—les prieurés, +couvents ou monastères où pullule le peuple innombrable des moines et +des nonnes de tout ordre et de toute condition, priant ou travaillant, +s’engraissant dans une béate oisiveté ou peinant devant les grabats des +pauvres, dans les hôpitaux et maladreries.</p> + +<p>Parmi ces établissements religieux innombrables, si divers d’importance +et de mérite, il faut mettre à part cinq ou six grandes abbayes qui sont +des petites villes dans la grande, des prieurés, des commanderies qui +dominent de leur importance la foule des petits couvents.</p> + +<p>Les membres du clergé séculier, les prêtres des églises vivant de la vie +de leurs paroissiens, en rapport journalier avec chacun pour toutes les +occasions de<span class="pagenum"><a name="page_37" id="page_37">{37}</a></span> la vie, sont en général estimés et aimés de tous. Leur +influence est immense dans l’étendue de leur circonscription petite ou +grande, et on ne le verra que trop au temps des luttes religieuses +lorsque, devenus boute-feux de la guerre civile, ils mettront +malheureusement cette influence au service de la Ligue et feront de +leurs paroissiens, ouvriers ou bourgeois, d’enragés combattants des +barricades et des remparts.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 313px;"> +<a href="images/illu-053.jpg"> +<img src="images/illu-053.jpg" width="313" height="430" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>RUE CLOVIS, FRAGMENT DU REMPART DE PHILIPPE-AUGUSTE ET +TOUR DE SAINTE-GENEVIÈVE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_38" id="page_38">{38}</a></span></p> + +<p>Il n’en va pas tout à fait de même pour le clergé des ordres religieux, +pour ces moines de toutes les couleurs, des ordres mendiants ou des +ordres riches, tous fortunés, d’ailleurs, qui vivent hors du siècle dans +des couvents fermés, dans ces immenses abbayes forteresses si riches et +si puissantes. On aime certains de ces ordres pour leur esprit de +charité, pour leur vie humble, on en déteste d’autres pour la raison +contraire, on en méprise plus ou moins quelques-uns. Le peuple ne +distingue pas toujours si certains de ces moines, dans le silence de +leurs grandes salles, se livrent à l’étude, à des travaux scientifiques, +partagent leur vie entre les méditations pieuses et la culture de +l’esprit; il ne voit que la richesse des abbayes, la vie facile assurée +derrière ces murailles superbes.</p> + +<p>Le bourgeois songe aux rentes qu’il doit payer pour les terres qu’il +tient en fief, pour les maisons dépendant de la censive de ces moines, +il additionne les énormes revenus de ces couvents.</p> + +<p>Et l’artisan chef de famille qui travaille dur, et qui malgré ses rudes +labeurs a bien du mal à faire vivre sa nichée, est tout disposé à +trouver trop facile et trop grasse l’existence des bons pères, si +complètement libérés de préoccupations terrestres et si douillettement +abrités contre toute male aventure dans leurs bonnes murailles bien +munies.</p> + +<p>Certaines de ces abbayes, institutions vieillies, méprisent les +anciennes règles établies et se donnent toute licence pour les +satisfactions matérielles. L’idée religieuse, le but charitable des +fondations, l’origine de la fortune conventuelle, tout est oublié. Cette +fortune ne sert qu’à engraisser les moines adonnés à la gastronomie et +s’appliquant égoïstement toutes les ressources mises entre leurs mains à +d’autres intentions.</p> + +<p>Aussi quelle place tiennent, dans la vie du moyen âge, toutes ces +légions de moines qui occupent les meilleures places au soleil de chaque +quartier, ces moines coudoyés à toute heure dans la rue, ces frocards, +les uns aimés, les autres franchement détestés, les uns respectés, les +autres méprisés, presque tous raillés d’ailleurs par l’esprit frondeur +du Parisien bien ou mal pensant; gras prieurs, capucins quêteurs +tournant autour des broches, prêcheurs à faconde populacière, frères +débauchés ou grands <i>humeurs de piot</i>, tourmenteurs de maris, héros de +mille contes, fabliaux ou facéties...</p> + +<p>Trois grandes abbayes, un prieuré, deux commanderies dominent de leur +importance la foule des grands et petits couvents; ce sont: +Sainte-Geneviève, Saint-Germain des Prés, Saint-Victor, la commanderie +de Saint-Jean de l’Hôpital ou de Latran sur la rive gauche, le prieuré +de Saint-Martin des Champs et la commanderie du Temple sur la rive +droite.</p> + +<p>Situées toutes les deux presque au bord de la Seine, l’une en amont et +l’autre en aval de Paris, les abbayes de Saint-Germain et de +Saint-Victor se font pendant au pied des deux versants opposés du mont +Lucotitius, que couronne une troisième abbaye, celle dédiée à sainte +Geneviève par Clovis et Clotilde.</p> + +<p>Dans l’église de l’abbaye de Sainte-Geneviève, ancienne basilique +Saint-Pierre et Saint-Paul élevée non loin du palais romain des rois +mérovingiens, le plus<span class="pagenum"><a name="page_39" id="page_39">{39}</a></span> grand de ces mérovingiens, le terrible Clovis, +trônait encore il y a cent ans, couché en pierre sur sa dalle funéraire +au centre de sa nef. C’était le fondateur. Le farouche Sicambre ayant +brûlé ce qu’il adorait précédemment et adopté le dieu de Clotilde, +décidément plus fort que les dieux de ses ancêtres, avait un jour gravi +la colline au-dessus du palais des empereurs romains et, arrivé sur le +plateau, lançant sa francisque au loin, il avait mesuré à la force de +son bras la basilique qu’il allait élever. Cette basilique du <small>VI</small>ᵉ +siècle, qui dura jusqu’au <small>XII</small>ᵉ, n’était point si barbare, Clovis y avait +mis de la magnificence, il y avait employé les matériaux les plus +précieux et l’avait décorée intérieurement et extérieurement de +peintures et de mosaïques.</p> + +<div class="figright" style="width: 224px;"> +<a href="images/illu-055.jpg"> +<img src="images/illu-055.jpg" width="224" height="327" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>RESTES DE L’ABBAYE DE SAINTE-GENEVIÈVE AU LYCÉE HENRI IV</p></div> +</div> + +<p>La statue couchée du roi marquait la place de son caveau funéraire, au +milieu de son église; dévorée par le temps, la statue avait été refaite +au <small>XII</small>ᵉ siècle. Clotilde aussi était là, enterrée près du tombeau de +sainte Geneviève et, avec Clotilde, les enfants de Clodomir massacrés +par leurs oncles.</p> + +<p>La basilique, dédiée à saint Pierre et saint Paul, avait pris dès le +siècle suivant le nom de Sainte-Geneviève. La dévotion aux reliques de +la sainte, proclamée patronne de Paris, donna vite une grande importance +au monastère créé pour le service de la basilique. Ces précieuses +reliques étaient enfermées dans une magnifique châsse, précieuse par le +travail et par le métal, par les pierreries accumulées, souvenirs de +dévotions royales au cours des siècles. Au <small>XVI</small>ᵉ siècle, cette châsse fut +placée, portée par quatre anges de Germain Pilon, en haut d’un groupe de +hautes colonnes derrière le grand autel.</p> + +<p>Saint-Germain des Prés remonte aux mêmes temps. Childebert, fils de +Clovis, au retour d’une expédition victorieuse en Espagne d’où il +rapportait des reliques conquises sur les habitants de Saragosse, et +saint Germain, évêque de Paris,<span class="pagenum"><a name="page_40" id="page_40">{40}</a></span> furent ses fondateurs. L’église +primitive, dédiée à saint Vincent, était recouverte de plaques de bronze +doré. A la mort de saint Germain, enterré dans une des chapelles, +l’abbaye prit son nom. Illustre autant que celle de sainte Geneviève dès +les premiers siècles de la monarchie, elle fut un Saint-Denis +mérovingien pour les tombeaux des rois de la première race alignés dans +sa nef.</p> + +<div class="figleft" style="width: 272px;"> +<a href="images/illu-056.jpg"> +<img src="images/illu-056.jpg" width="272" height="451" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ABBAYE DE SAINT-GERMAIN DES PRÉS, FONDATION DE CHILDEBERT</p> + +<p>LA TOUR DE L’ÉGLISE</p></div> +</div> + +<p>L’abbaye de Saint-Germain a eu sa grande part de tous les maux qui ont +traversé l’existence de Paris sous les Carlovingiens, de tous les +bouleversements et de toutes les secousses de cette époque.</p> + +<p>Chaque fois que la nef de Paris a menacé de sombrer, Saint-Germain des +Prés a péri, s’est écroulé dans les flammes, sur les cadavres de ses +moines égorgés, et à chaque retour de la paix, les survivants de +l’abbaye revenus au bercail ont fouillé les décombres et relevé les +murailles.</p> + +<p>Après les prospérités des commencements, survint, pour les deux riches +abbayes, une ère de cruelles épreuves, avec les invasions normandes. Que +Paris se rachetât comme à la première visite des pirates du Nord ou +qu’il se défendît, les deux abbayes situées <i>extra muros</i> avaient à +supporter le premier choc des terribles ravageurs.<span class="pagenum"><a name="page_41" id="page_41">{41}</a></span></p> + +<p>Dès que les nefs normandes apparaissaient en Seine, dès que la fumée des +incendies signalait de loin leur approche, les moines de +Sainte-Geneviève portaient en lieu sûr les reliques de la sainte et les +ornements d’orfèvrerie dont saint Éloi avait revêtu son tombeau; les +moines de Saint-Germain mettaient en état de défense leurs murailles ou +essayaient de se racheter par une rançon. Puis la ruine et l’incendie +s’abattaient sur les édifices. Saint-Germain fut pillé et brûlé, dit-on, +cinq fois.</p> + +<p>Après le grand siège normand, le long et opiniâtre siège soutenu de 885 +à 887 par l’évêque Gozlin et Eudes, comte de Paris, il n’y avait plus +que des ruines sur la montagne de Sainte-Geneviève et dans les prés de +Saint-Germain, ruines parmi lesquelles les moines se réinstallèrent +timidement, se contentant de restaurations partielles.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 352px;"> +<a href="images/illu-057.jpg"> +<img src="images/illu-057.jpg" width="352" height="290" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>BAGARRE ENTRE LES ESCHOLIERS ET LES GENS DE L’ABBAYE SUR +LE PRÉ AUX CLERCS</p></div> +</div> + +<p>Des édifices saccagés par les Normands il ne restait plus à +Sainte-Geneviève, lors des démolitions définitives, que certains pans de +murailles utilisés, des colonnes, des chapiteaux romains fort +remarquables, entrelaçant aux plus bizarres rinceaux les figures +humaines et les animaux. Il ne reste à Saint-Germain des Prés que la +base de la grosse tour reconstruite avec l’église par l’abbé Morard au<span class="pagenum"><a name="page_42" id="page_42">{42}</a></span> +<small>XI</small>ᵉ siècle, et les colonnes de l’abside aux admirables chapiteaux +fouillés avec une verve surprenante, surchargés, parmi les enroulements +de feuillages, d’animaux fantastiques, lions ailés, griffons, harpies.</p> + +<p>Que de mutilations a subies l’intérieur de Saint-Germain des Prés au +siècle dernier! Derrière le petit porche très laid plaqué à la base de +la tour, le portail présentait une belle décoration, huit grandes +statues d’une beau style admirablement et curieusement drapées, +représentant des rois et des reines appuyés aux colonnes. Entrée +majestueuse pour l’église mérovingienne. Les bénédictins y voyaient, à +droite Thierry, Childebert, Ultrogothe sa femme, et Clotaire; à gauche +Clovis, Clotilde, Clodomir, avec saint Rémy. Les statues ont été +enlevées; les tombeaux de ces mêmes rois dans la nef ont été violés et +détruits, le maître-autel et les châsses ont disparu aussi, bien des +remaniements ont eu lieu, succédant à d’autres remaniements, opérés au +<small>XVII</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>A l’extérieur l’église élevait sur les bras du transept deux autres +clochers plus petits que celui du portail; on a dû les démolir en 1820, +parce qu’ils menaçaient ruine. On devait les reconstruire pour rendre à +l’église sa physionomie, particulière entre toutes celles de Paris, elle +les attend encore.</p> + +<p>Reconstruites à peu près totalement au <small>XIII</small>ᵉ siècle, les deux abbayes, +Sainte-Geneviève sur sa colline et Saint-Germain dans ses prairies, +présentaient un ensemble d’une imposante splendeur, chacune groupant au +pied de son église ses magnifiques bâtiments neufs, ses cloîtres, ses +nombreuses dépendances dans un vaste enclos défendu par des murailles +garnies de tours.</p> + +<p>Sainte-Geneviève couvrait tout le haut de la montagne, dans la ville +maintenant, à l’intérieur des murs de Philippe-Auguste, sous la porte +Saint-Marcel. A côté de l’église s’élevait le grand pignon du +réfectoire; la salle du chapitre et le cloître s’abritaient au pied de +la haute tour qui nous reste au-dessus de la rue Clovis. Cette tour, +romane par sa base et ogivale ensuite, était le clocher de l’église, +privé de son ancienne flèche de pierre par un incendie qui nécessita une +reconstruction des étages supérieurs.</p> + +<p>Un énorme anneau de fer scellé en haut du grand pignon de l’église fut +longtemps l’objet de bien des suppositions; suivant l’opinion la plus +probante, c’était un vieux souvenir du droit d’asile attribué à tant +d’églises et de monastères. On sait que tout criminel qui parvenait à se +réfugier sous le porche ou dans l’intérieur de certains édifices—ici à +Sainte-Geneviève, quand il avait passé le bras dans l’anneau du +portail—devenait inviolable et que toute poursuite devait s’arrêter. +Lorsque ce droit, heureux quelquefois, abusif le plus souvent, fut +supprimé, les moines de Sainte-Geneviève, en souvenir de l’antique +privilège, auraient enlevé l’anneau pour le placer tout en haut du +pignon, endroit inaccessible pour les fugitifs privés d’ailes.</p> + +<p>Les vieux bâtiments conventuels furent refaits en grande partie ou +restaurés au <small>XVIII</small>ᵉ siècle; l’abbaye, comme tant d’autres, perdit alors +son aspect gothique. En même temps, comme l’église du <small>XIII</small>ᵉ siècle +menaçait ruine, on résolut de la remplacer par le grand édifice +gréco-romain de Soufflot. Les travaux commencés en<span class="pagenum"><a name="page_43" id="page_43">{43}</a></span> 1758 nécessitèrent +la démolition du collège de Lisieux et de quelques anciens bâtiments; la +première pierre de l’église supérieure fut posée en 1763 par Louis XV. +Des tassements, des excavations contrarièrent les travaux et firent +longtemps douter de l’achèvement de l’œuvre et de la solidité du dôme. A +la Révolution, la nouvelle Sainte-Geneviève, inachevée encore, devint le +Panthéon, et pour commencer, à la place des reliques de sainte Geneviève +jetées à la voirie, reçut comme nouvelles reliques les cendres de +Voltaire et de Rousseau, de Mirabeau et de Marat. Quant à l’ancienne +église, on la démolit en 1806; la rue Clovis passa dans sa nef, +épargnant heureusement le svelte clocher.</p> + +<p>Les siècles avaient rempli cette église et sa crypte immense de tombeaux +de tous les âges, depuis les sépulcres gallo-romains et mérovingiens +remis au jour par la pioche des démolisseurs, jusqu’aux fastueux +cénotaphes de la Renaissance; c’est à peine si des débris de +quelques-uns de ces tombeaux, statues, pierres tombales ont pu être +sauvés et recueillis par nos musées.</p> + +<p>Saint-Germain des Prés était en dehors de l’enceinte de Paris. Jusqu’au +<small>XV</small>ᵉ siècle la cité monastique si rapprochée de la ville s’éleva +complètement isolée au milieu de champs et de prairies. L’espace entre +le mur de l’abbaye et celui de Paris, à la pointe de Nesle, était en +cultures, avec quelques petites bicoques çà et là campées sur le revers +du fossé, formant vers la porte Bucy une amorce de faubourg. Un ruisseau +emprunté à la Seine, la Noue ou petite Seine venait remplir les fossés +de l’abbaye et clore le petit Pré aux Clercs.</p> + +<p>De l’autre côté de cette petite Seine, vers le couchant, s’étendaient le +grand Pré aux Clercs, si fameux jusque sous Louis XIV, et le grand clos +de l’abbaye, que dominaient une petite chapelle isolée, une maladrerie +et un moulin à vent tournant sur sa butte.</p> + +<p>Voilà le cadre. L’abbaye avec ses fossés pleins d’eau et son enceinte +crénelée flanquée de quelques tours rondes et de tourelles en +encorbellement, occupe une sorte de quadrilatère irrégulier. Deux portes +à pont-levis donnent accès dans l’intérieur, l’une à l’est regardant +vers la ville et l’autre à l’ouest, plus forte, devant la courtille de +l’abbaye, dite porte papale, depuis qu’en 1163 le pape Alexandre III, +étant venu consacrer l’église reconstruite, y avait passé en allant +prêcher en plein air dans le Pré aux Clercs. Après une première cour +traversée, on se trouvait dans les jardins intérieurs, devant les beaux +bâtiments du Réfectoire et du Chapitre formant deux côtés du cloître, +sous le flanc nord de l’église.</p> + +<p>Le Chapitre, immense bâtiment contenant aux étages supérieurs les +dortoirs des moines, montrait une architecture rude et sévère, mais le +réfectoire par sa légère architecture rappelait tout à fait la Sainte +Chapelle du palais de saint Louis; c’était d’ailleurs l’architecte de +saint Louis, Pierre de Montereau, qui l’avait construit ainsi que la +grande chapelle isolée, dédiée à la Vierge, en arrière du bâtiment du +chapitre.</p> + +<p>Comme une <i>châsse</i> de pierre finement ciselée et fouillée, le réfectoire +formait une immense et admirable salle où la lumière entrait à flots, +colorée par les superbes vitraux de ses hautes fenêtres, presque +entièrement semblables à celles de la Sainte<span class="pagenum"><a name="page_44" id="page_44">{44}</a></span> Chapelle; on y admirait la +chaire du lecteur, dans le genre de celle qui nous reste au réfectoire +de Saint-Martin des Champs (Arts et Métiers), chaire magnifiquement +sculptée où pendant le repas un moine montait faire une lecture pieuse.</p> + +<p>Quand la Révolution en 1792 supprima l’abbaye, où il ne demeurait plus +qu’une quarantaine de moines, les bâtiments libres et le splendide +réfectoire lui-même furent bientôt, comme tous les locaux disponibles +dans toute la ville, transformés en prison.</p> + +<p>Pour le malheur des admirables bâtiments on y établit ensuite, ou en +même temps, une fabrique de salpêtre. Il arriva ce qui devait +inévitablement arriver en pareil endroit, dans le désordre des +affectations diverses. Le 2 fructidor an II la fabrique sauta, +renversant l’édifice de Pierre de Montereau et incendiant les autres +bâtiments. Ce fut un désastre, le feu gagna la riche bibliothèque de ces +bénédictins illustres par leurs travaux, collection précieuse depuis +longtemps mise par les moines à la disposition des érudits laïques. +Presque tout fut perdu, détruit par les flammes, gâté par l’eau ou jeté +par charretées dans les cours, à la disposition de quiconque voulait +fouiller dans les tas.</p> + +<p>L’ancien bibliothécaire dom Poirier, le dernier moine resté à l’abbaye +par dévouement à ses livres, put à peine, sous les flammes ou sous les +torrents d’eau des pompes, à force d’efforts d’abord, et de soins +ensuite, sauver une partie des manuscrits.</p> + +<p>Peu après ce lamentable désastre, la destruction de la bibliothèque +après le pillage du trésor, s’achevèrent les destins de l’abbaye. Les +ruines du réfectoire, les bâtiments subsistants, le dortoir, la chapelle +de la Vierge furent abattus et après treize siècles d’existence +glorieuse, l’abbaye fondée par Childebert disparut. L’église seule en +est conservée ainsi qu’une partie du palais abbatial construit par ce +cardinal de Bourbon abbé de Saint-Germain, qui fut le roi de la Ligue +sous le nom de Charles X, après l’assassinat d’Henri III. Le palais +abbatial est une propriété particulière, la rue de l’Abbaye actuelle, +tracée à travers le cloître, y vient aboutir; les maisons du côté nord +occupent la place du réfectoire et de la belle chapelle de la Vierge de +Pierre de Montereau.</p> + +<p>L’abbaye au temps de sa splendeur, en possession de biens considérables, +avec haute et basse justice, droits importants et nombreux, tant sur la +rivière que sur les métiers et les marchés installés sur son territoire, +vit bientôt une petite ville se former autour de ses murailles. C’était +le faubourg Saint-Germain qui naissait, commençant par quelques rues sur +le revers du fossé, entre la porte de Nesle et la porte de Bucy, et se +poursuivant bientôt jusqu’à la rue qui menait au village de Vaugirard.</p> + +<p>Reportons-nous à l’époque des prospérités de l’abbaye. Un gros sujet de +tracas pour les moines, ce sont messieurs les escholiers ses voisins. +L’Université et les abbés vivent en luttes perpétuelles. Les écoles +prétendent avoir des droits sur les prairies, cadre verdoyant de +l’abbaye du côté de la Seine; elles ne se contentent pas du grand Pré +aux Clercs à elles octroyé par une ancienne concession, elles veulent +aussi le petit que les moines prétendent garder.<span class="pagenum"><a name="page_45" id="page_45">{45}</a></span></p> + +<p>Fort souvent des rixes éclatent entre ces turbulents écoliers et les +sergents de l’abbaye soutenus par les habitants du bourg Saint-Germain, +et les écoliers ont parfois le dessous. L’Université, qui défend +énergiquement ses enfants, même quand ils ont tort, intervient alors.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 366px;"> +<a href="images/illu-061.jpg"> +<img src="images/illu-061.jpg" width="366" height="330" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’EXPLOSION DE L’ABBAYE DE SAINT-GERMAIN, DESTRUCTION DU +RÉFECTOIRE</p></div> +</div> + +<p>Pour des querelles tournées en batailles, pour des délits quelconques, +pêche dans les eaux de la petite Seine dont le poisson appartient aux +moines et que par conséquent les écoliers aiment à capturer, pour des +déprédations commises, bien des écoliers font connaissance avec la geôle +de l’abbaye ou vont même figurer au pilori des seigneurs abbés, tourelle +de justice élevée au milieu du carrefour, devant le guichet de l’abbaye. +Grande rumeur alors au pays des collèges; on s’attroupe devant la +justice de l’abbaye, on montre son mécontentement par des cris et des +grognements et on console les patients. C’est Jehan le Picard, étudiant +du collège de Beauvais, bien connu ès tavernes de la rue Saint-Jacques +qui, la tête passée dans un cercle de bois, tourne en montrant sa +grimace à chaque ouverture du<span class="pagenum"><a name="page_46" id="page_46">{46}</a></span> pilori. C’est le grand Pierret Guillot du +collège de Karembert, coureur de mauvais lieux, faible latiniste, mais +bon larron; celui-ci tire son pain d’une bourse fondée par quelque pieux +abbé qui n’a pas songé à la soif, et pour boire il détrousse le soir les +passants attardés...</p> + +<p>Les délits reprochés à ces malandrins saisis sur les terres de l’abbaye +sont avérés; n’importe, grande colère et réclamations de l’Université, +qui prétend être seule justicière des écoliers.</p> + +<p>Cette lutte entre les droits de l’abbaye et les prérogatives de +l’Université donna lieu parfois à de véritables combats. En 1278, les +moines ayant commencé quelques constructions sur le petit Pré aux +Clercs, les écoliers s’en offusquent et résolument s’en viennent les +démolir; le tocsin de Saint-Germain sonne alors, appelant à la rescousse +les gens de l’abbaye; ils accourent et il y a sur le terrain en litige +bataille rangée, un rude combat où les flèches sifflent parmi les volées +de pierre; les étudiants en déroute doivent quitter la place, laissant +sur le terrain des morts et des blessés ainsi que des prisonniers.</p> + +<div class="figleft" style="width: 206px;"> +<a href="images/illu-062.jpg"> +<img src="images/illu-062.jpg" width="206" height="147" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA FOIRE SAINT-GERMAIN</p></div> +</div> + +<p>Pendant la bagarre, des gens de l’abbaye avaient couru occuper les +portes de la ville; quand les escholiers abandonnant la partie veulent +rentrer dans Paris, ces nouveaux adversaires leur tombent dessus et font +prendre à bon nombre un bain forcé dans les fossés.</p> + +<p>Pour venger les morts de cette échauffourée l’Université en appela au +pape et au roi; elle eut gain de cause, l’abbaye fut condamnée, son +prévôt chassé avec quelques-uns de ceux qui avaient le plus violemment +féri sur les écoliers, sans parler des satisfactions pécuniaires aux +blessés et aux parents des occis.</p> + +<p>On revit nombre de fois encore des reprises d’hostilités et d’aussi +chaudes batailles. Au <small>XVI</small>ᵉ siècle, particulièrement en 1550, 1552, 1555, +il y eut graves bagarres et dégâts importants.</p> + +<p>En juillet 1548, ce fut presque un siège que les étudiants firent subir +à l’abbaye; ils se livrèrent pendant plusieurs jours à toutes les +dévastations dans les jardins et le grand clos de l’abbaye qu’ils +ravagèrent, empêchés seulement par le rempart de pousser plus avant les +dégâts. Le soir venu, les vainqueurs ayant arraché plus de 3,000 pieds +d’arbres dans l’enclos, rentrèrent chargés de branches et de ceps qu’ils +allèrent brûler en feux de joie sur la place Sainte-Geneviève.</p> + +<p>En 1557, ce fut encore plus sérieux; toujours pour maintenir leurs +droits sur le Pré, les écoliers s’en vinrent brûler trois maisons +construites par les<span class="pagenum"><a name="page_47" id="page_47">{47}</a></span> moines. On vit la ville écolière en ébullition, +sourde à toutes les remontrances, résister à ses régents, au recteur, au +parlement, disperser les quelques sergents de la force publique et +démolir leurs postes; les écoliers menaçaient même de brûler les +collèges si on empêchait leurs attroupements.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 274px;"> +<a href="images/illu-063.jpg"> +<img src="images/illu-063.jpg" width="274" height="332" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENTRÉE DE LA FOIRE SAINT-GERMAIN AU XVIIᵉ SIÈCLE</p></div> +</div> + +<p>Cette fois il fallut prendre de très sérieuses mesures pour garantir +l’abbaye et les habitants du bourg Saint-Germain; le roi intervint, +menaça de faire avancer les troupes et fit élever quelques potences pour +en imposer aux fauteurs de troubles; en même temps une ordonnance +enjoignit aux écoliers français de rentrer tranquillement dans leurs +collèges, et aux étudiants étrangers de sortir du Royaume sous quinze +jours; comme ceux qui n’obéirent pas tout de suite furent jetés en +prison, l’ordre régna bientôt au turbulent pays latin. Pour enlever tout +nouveau sujet de discorde entre l’abbaye et l’Université, le roi +confisqua le Pré aux Clercs, objet du litige, les Écoliers n’y eurent +plus d’autres droits que ceux de tous les Parisiens.<span class="pagenum"><a name="page_48" id="page_48">{48}</a></span></p> + +<p>A la fin du <small>XV</small>ᵉ siècle l’abbaye fonda, par permission royale, la très +célèbre foire de Saint-Germain, qui pendant trois cents ans eut une +vogue extraordinaire. A l’origine, c’était une foire franche qui ne +devait durer qu’une huitaine de jours, mais bientôt la coutume vint de +faire durer les huit jours cinq ou six semaines, et encore les +marchands, qui faisaient là de très bonnes affaires, obtinrent-ils +souvent d’autres prolongations.</p> + +<p>Les religieux avaient fait construire 140 loges, divisées en neuf rues +tirant leurs noms de la nature des marchandises exposées. Ouverte en +1486, la foire Saint-Germain eut bien vite un succès prodigieux. Ce +n’était pas seulement un marché, c’était aussi un champ de fête +perpétuelle. A côté des riches étalages où, comme en nos Expositions +modernes, les marchands apportaient tous les produits industriels +possibles, il y avait de nombreux lieux de plaisir, cabarets, théâtres, +académies de jeux, tripots de toutes sortes, débordant largement par les +rues avoisinantes et amenant une nombreuse population de mœurs +équivoques, amie du désordre sous toutes ses formes, à côté des +marchands et des simples chalands ou curieux.</p> + +<p>La mode, aussi puissante alors que maintenant, avait adopté l’endroit et +lui maintint ses faveurs jusqu’au jour où, fatiguée par trois siècles de +constance, elle passa la rivière et trouva dans les galeries du +Palais-Royal les mêmes séductions et les mêmes plaisirs, dans un cadre +modernisé.</p> + +<p>Assemblage étrange, au milieu de tout cela, parmi ces loges de bateleurs +et ces cabarets douteux, la foire Saint-Germain avait sa petite chapelle +particulière avec son desservant,—ce qui rappelait à tous que le champ +de fête était une fondation des moines.</p> + +<p>Quel tableau animé présentait la foire Saint-Germain en son beau temps! +Quelle foule! Quel tapage! Toute la ville était là, représentée par +toutes les classes; bourgeois, populaire, seigneurs, clercs, escoliers, +laquais faisant la fortune des marchands et des bateleurs, portant des +droits considérables au trésor de l’abbaye et luttant aussi parfois de +turbulence dans les désordres du soir, aux spectacles et aux tripots.</p> + +<p>Les rois du <small>XVI</small>ᵉ siècle ne dédaignaient pas d’y venir. Henri III +parcourant les galeries avec ses mignons y fut insulté par des escoliers +qui les suivaient, le cou pris dans des fraises de papier, en +ridiculisant leurs attitudes et en leur criant au nez: «A la fraise, on +reconnaît le veau.»</p> + +<p>Les occasions de désordre ne manquaient pas, ni les voleurs coupant les +bourses, enlevant les manteaux, ni les bretteurs non plus; souvent épées +et dagues se mettaient de la partie et maintes rixes ensanglantèrent la +fête. Reconstruite en 1511, la foire Saint-Germain vécut jusqu’à la +Révolution.</p> + +<p>En ses dernières années, une nuit de mars 1762, les bâtiments, +boutiques, tripots et théâtres avaient été complètement détruits par un +incendie dont la violence fit rouler les flammes jusqu’aux murailles de +Saint-Sulpice. On reconstruisit bientôt le tout, galeries, boutiques, +loges pour les physiciens, charlatans, montreurs de phénomènes, théâtre +pour les «<i>farceurs de la foire</i>», c’est-à-dire</p> + +<div class="figcenter" style="width: 389px;"> +<a href="images/illu-065.jpg"> +<img src="images/illu-065.jpg" width="389" height="555" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉCOLIERS AU PILORI DE L’ABBAYE DE Sᵗ-GERMAIN</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +<span class="pagenum"><a name="page_49" id="page_49">{49}</a></span> +</div> + +<p class="nind">plusieurs salles où les acteurs des théâtres de la ville venaient +pendant six semaines ou deux mois que durait la foire, jouer des pièces +comiques, d’un genre spécial et souvent trop libre. Il y eut aussi alors +le <i>Waux hall de la foire</i>, vaste établissement de plaisir, avec une +salle de bal en rotonde à ciel ouvert.</p> + +<p>Mais la grande vogue n’y était plus, en 1786 la foire Saint-Germain +avait vécu. A sa place, sous l’empire, on construisit le marché actuel.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 379px;"> +<a href="images/illu-067.jpg"> +<img src="images/illu-067.jpg" width="379" height="376" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ABBAYE DE SAINTE-GENEVIÈVE AU XVIIIᵉ SIÈCLE</p> +</div> +</div> + +<p>Le palais abbatial qui subsiste encore et dresse dans la rue de +Furstenberg sa noble façade de briques et de pierres, fut commencé en +1586 par le cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen et abbé de +Saint-Germain, le Charles X des Ligueurs. Plus tard le <small>XVII</small>ᵉ siècle, qui +ne trouvait plus à son goût les monuments gothiques, refit le grand +cloître en froides arcades plein cintre et pilastres doriques. L’aspect +féodal de l’antique abbaye se modifiait peu à peu; la ville +l’enveloppait maintenant; les vieux remparts et les tours tombèrent, les +fossés furent comblés et à leur place on fit des rues bientôt couvertes +de bâtisses. Les moines élevèrent<span class="pagenum"><a name="page_50" id="page_50">{50}</a></span> eux-mêmes des maisons à loyer dans +les rues situées autour du palais abbatial restauré par le cardinal +landgrave de Furstenberg, abbé commendataire.</p> + +<p>Le <small>XVIII</small>ᵉ siècle commence, qui devait voir la fin de l’abbaye. Le temps +n’est plus où les abbés sont des moines sortis du sein même de l’abbaye, +aimant passionnément leur maison et rêvant sans cesse à augmenter son +importance ou son illustration. Pour bien des abbayes l’abus de la +<i>commende</i> a changé tout cela, les abbés n’ont d’abbés que le nom, ce +sont souvent des grands seigneurs, des princes tenant surtout à jouir, +du mieux possible, de tous les revenus de leur bénéfice, à en tirer tout +ce qu’il peut fournir. Dans le silence et la paix de l’immense +bibliothèque magnifiquement installée au deuxième étage au-dessus du +chapitre, les bénédictins travaillent et méditent. Ils percent, dans le +fatras embrouillé des légendes, des sentiers praticables, ils défrichent +l’histoire de France, tandis qu’à côté d’eux le faste, le bruit et le +mouvement remplissent le palais abbatial où se succèdent des abbés +commendataires menant la vie de grand seigneur à la façon du <small>XVIII</small>ᵉ +siècle.</p> + +<div class="figleft" style="width: 216px;"> +<a href="images/illu-068.jpg"> +<img src="images/illu-068.jpg" width="216" height="387" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PALAIS ABBATIAL, RUE DE FURSTENBERG</p></div> +</div> + +<p>Mais après ces derniers abbés, parmi lesquels le comte de Clermont, et +l’ex-roi de Pologne Jean Casimir, les sectionnaires de 1793 vont venir +et l’administration des poudres et salpêtres derrière eux, et la vieille +abbaye de Childebert, type parisien des grandes abbayes féodales, +disparaîtra par une catastrophe dans un tourbillon de flammes, en même +temps que l’antique monarchie.</p> + +<p>La troisième grande abbaye de la rive gauche, Saint-Victor, qui bornait +l’Université à l’est, ne remontait pas, comme Saint-Germain et +Sainte-Geneviève, aux commencements de la monarchie. Elle était de +beaucoup leur cadette, et son église, pendant sept cents ans seulement, +dessina sa belle silhouette à l’horizon de Paris.<span class="pagenum"><a name="page_51" id="page_51">{51}</a></span></p> + +<p>Ce ne fut d’abord qu’un modeste prieuré au petit faubourg Saint-Victor, +prieuré que le roi Louis le Gros, à la demande de Guillaume de +Champeaux, érigea en abbaye. Le grand théologien maître d’Abélard, +abattu et découragé, vint y chercher le repos après sa lutte contre son +ancien disciple devenu le chef d’une école rivale, contre le terrible +jouteur qui disait de ses anciens maîtres: «Quand ils allument du feu, +ils font de la fumée et non de la lumière.» Mais lorsque ce victorieux +Abélard s’en vint, acclamé par la foule, établir ses écoles—<i>son camp +d’escoliers</i>—sur les pentes de la colline voisine, vers la rue du +Fouarre, le vieux maître ayant repris des forces recommença la lutte et +fonda en face de l’ennemi les écoles Saint-Victor, qui posèrent les +premières assises de la renommée scientifique des Victorins.</p> + +<p>A l’époque de sa splendeur Saint-Victor occupe un vaste enclos formant +tout à fait le pendant de Saint-Germain des Prés, également en dehors de +la muraille de Philippe-Auguste, et séparé de la Seine seulement par +quelques toises de prairies. Saint-Germain s’appuie à la tour de Nesle, +la légendaire et svelte tour en face du Louvre de Philippe-Auguste; +Saint-Victor est tout proche de la Tournelle, grosse tour carrée qui +garde l’entrée de la Seine de ce côté, en face du grand hôtel +Saint-Paul, palais des rois de ce temps.</p> + +<p>L’église de Saint-Victor est une haute et vaste nef rebâtie presque +entièrement au commencement du <small>XVI</small>ᵉ siècle, mais qui garde encore du +temps de sa fondation une crypte, une grosse tour à baies romanes et un +cloître du <small>XIII</small>ᵉ siècle. De magnifiques rosaces ornent les transepts, et +les verrières présentent une suite remarquable de vitraux. Des tombeaux +d’évêques de Paris, d’hommes illustres et de prélats, venus passer leurs +derniers jours dans la retraite à Saint-Victor, remplissent l’église; il +y a Maurice de Sully, le constructeur de Notre-Dame, des maîtres +célèbres de Saint-Victor, comme Pierre Comestor, dont l’épitaphe latine +jouant sur le nom, dit: «J’ai mangé autrefois, aujourd’hui je suis +mangé»; le <small>XVIII</small>ᵉ siècle y mettra le tombeau de Santeuil, le poète +retiré dans son canonicat de Saint-Victor, qui dîna pour son malheur +trop souvent chez la duchesse du Maine et mourut d’une plaisanterie de +la grande dame, lui versant un cornet de tabac dans un verre de vin +d’Espagne.</p> + +<p>Les chanoines de Saint-Victor avaient, pour l’embellissement de leur +enclos, obtenu la permission d’y faire passer la Bièvre. La rivière +captée, presque à son embouchure, traversait ce qui fut plus tard le +Jardin des Plantes, entrait dans l’enclos, suivait parallèlement le +cours de la Seine et s’en allait se jeter dans le fleuve à la hauteur de +la rue de Bièvre actuelle. Ce fut l’occasion de nombreux procès avec les +Genovefains qui se plaignaient du tort fait aux terres de leur abbaye +par ce changement de lit et disputaient aussi aux Victorins la +seigneurie et la justice du faubourg Saint-Victor.</p> + +<p>Ainsi donc Saint-Victor en amont de la rivière, Saint-Germain en aval et +Sainte-Geneviève sur la colline, cela faisait trois cités monastiques et +féodales, élevant de nombreuses tours et tourelles, et flanquant de +trois côtés le quartier remuant de la jeunesse, la ville de +l’Université.<span class="pagenum"><a name="page_52" id="page_52">{52}</a></span></p> + +<p>De ces trois grandes abbayes debout encore à la fin du siècle dernier, +avec le prestige de l’antiquité la plus vénérable, de l’art qui avait +fait de certaines parties des merveilles architecturales, avec le +prestige de la science aussi, Saint-Victor, Sainte-Geneviève et +Saint-Germain étant illustres par les travaux littéraires de leurs +moines et par la richesse de leurs immenses bibliothèques mises +largement à la disposition des lettrés et des savants laïques,—de ces +trois abbayes qui s’étaient jadis partagé le territoire de la rive +gauche, que reste-t-il aujourd’hui?</p> + +<div class="figcenter" style="width: 367px;"> +<a href="images/illu-070.jpg"> +<img src="images/illu-070.jpg" width="367" height="307" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CONSTRUCTION DU PANTHÉON, AU PREMIER PLAN LE COLLÈGE DES +CHOLETS</p></div> +</div> + +<p>Une église, Saint-Germain des Prés, une tour, la tour dite de Clotilde, +ancien clocher de l’église Sainte-Geneviève, cinq travées du réfectoire +des Genovefains englobées dans les bâtiments du lycée Henry IV et c’est +tout. Table rase a été faite du reste. L’abbaye de Saint-Victor, la plus +malheureuse des trois, n’a laissé aucun vestige matériel de son passage +sur le lieu où, pendant sept siècles, sa magnifique église appuyée de +ses grands bâtiments avait complété le cadre monumental de l’entrée de +la Seine dans Paris et formé comme l’avant-garde des merveilles de la +grande ville.</p> + +<p>Rien n’a survécu de Saint-Victor; un nom de rue, la rue des +Fossés-Saint-<span class="pagenum"><a name="page_53" id="page_53">{53}</a></span>Victor, voilà seulement ce qui nous dit l’endroit où fut +le grand monastère; la halle aux vins s’est assise sur l’emplacement +bouleversé et le paysage de Paris, de ce côté, a perdu à jamais sa riche +décoration d’autrefois.</p> + +<p>Moins heureuse encore que les abbayes de Saint-Germain et de +Sainte-Geneviève, lesquelles au moins ont laissé quelques vestiges sur +le lieu où elles ont brillé, l’abbaye de Saint-Victor a disparu tout +entière. Ici même où vécurent tant de savants religieux plongés dans +l’étude, parmi les livres d’une bibliothèque illustre, tant de chanoines +lettrés qui, pour l’amour de la science, célébraient l’anniversaire des +premiers imprimeurs, Conrad Schœffer et Faust, importateurs à Paris de +l’invention de Gutenberg, silencieux et poétique monastère où les vieux +évêques et archevêques venaient chercher le calme pour leurs derniers +jours, ici roulent maintenant les futailles de la halle aux vins. +L’église disparut à la Révolution et les bâtiments du couvent furent +démolis sans qu’il en soit rien resté.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 247px;"> +<a href="images/illu-071.jpg"> +<img src="images/illu-071.jpg" width="247" height="236" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOUR ALEXANDRE DE L’ABBAYE DE SAINT-VICTOR</p> + +<p>EN ARRIÈRE, LA BUTTE COPEAU, FUTUR LABYRINTHE DU JARDIN DES PLANTES</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_54" id="page_54">{54}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_IV" id="CHAPITRE_IV"></a> +<a href="images/illu-072-a.jpg"> +<img src="images/illu-072-a.jpg" width="354" height="187" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /> +<span class="caption"> +LA CHARTREUSE DU LUXEMBOURG +</span> +<br /><br /> +CHAPITRE IV<br /><br /> +LE PARIS DES ÉGLISES ET DES COUVENTS</h2> + +<h3>I</h3> + +<div class="blockquot2"><p>La légende de saint Julien l’Hospitalier.—Au cimetière +Saint-Séverin.—Opéré ou pendu.—Inscriptions macabres.—Les +reclusoirs et les recluses.—Saint-Yves des Avocats.—Saint-Benoist +le Bientourné.—Les belliqueux Augustins.—Sièges de couvents.—Les +Bernardins.—Le cloître des Carmes.—Les frères aux Anes.—Le +couvent des Cordeliers.—Désordres et bagarres.—Émeute en +plain-chant.—Le corps de Marat.—Le bataillon des +Marseillais.—Aux Jacobins.—Les prédicateurs de la Ligue.—La +Chartreuse du Luxembourg.—Au grand Diable Vauvert.</p></div> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-072-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">LE BATAILLON DES MARSEILLAIS +<br />VIENT LOGER AUX CORDELIERS</span> +</div> + +<p class="nind"><span class="letra">P</span>ENDANT des siècles les trois abbayes de la rive gauche furent les trois +principaux établissements religieux du pays des Écoles, et comme les +suzeraines d’une grande quantité de couvents secondaires, d’églises et +de collèges innombrables.</p> + +<p>Autour d’elles, sous leur ombre, quelle végétation d’architectures +gothiques, de gables aigus, de pinacles fleuronnés, attirant à ce qu’il +semble le regard et l’âme vers les régions supérieures; quelle<span class="pagenum"><a name="page_55" id="page_55">{55}</a></span> +profusion de fenestrages délicatement découpés, encadrant des verrières +protégées par des grillages, quelle quantité de clochers et de +clochetons causant entre eux à travers l’espace avec leurs voix de +bronze et laissant tomber par les hautes ogives l’allégresse ou le deuil +des cloches, les appels des offices sur les paroisses petites ou grandes +enchevêtrées les unes dans les autres.</p> + +<p>Le triomphe de l’architecture ogivale aux <small>XII</small>ᵉ et <small>XIII</small>ᵉ siècles a amené +la reconstruction de la plupart des églises existant auparavant, +lesquelles d’ailleurs avaient souffert des invasions normandes, avaient +été restaurées ensuite, et succombaient moins sous le poids des siècles +que sous celui de leurs voûtes. Le contrefort roman ne suffisait pas à +maintenir les murs latéraux poussés par les voûtes, l’arc-boutant +gothique, inventé au <small>XII</small>ᵉ siècle, allait permettre d’élever les vastes +et merveilleuses nefs aux immenses verrières, miracles de hardiesse et +de légèreté.</p> + +<div class="figright" style="width: 226px;"> +<a href="images/illu-073.jpg"> +<img src="images/illu-073.jpg" width="226" height="349" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE DANTE A SAINT-JULIEN LE PAUVRE</p></div> +</div> + +<p>Dédiée soit à saint Julien le Martyr, soit à saint Julien, évêque du +Mans, dit le Pauvre parce qu’il distribuait son bien aux malheureux, +soit à saint Julien l’Hospitalier,—on ne sait trop auquel,—l’Église +Saint-Julien le Pauvre, chapelle de l’Hôtel-Dieu son voisin, est une +œuvre en partie romane, en partie du style ogival à ses débuts, simple +et sévère reconstruction d’une église des plus anciennes, dévastée par +les Normands et devenue un prieuré. Cette église où, dit-on, le Dante, +pauvre écolier exilé, étudiant aux écoles de la rue du Fouarre, avait +coutume de faire ses dévotions, nous l’avons vue de nos jours, tombée +dans une misère profonde, montrant ses murailles délabrées, ses +verrières crevées, mais gardant un grand air de noblesse triste avec sa +belle abside, ses gros piliers et ses belles fenêtres supérieures.</p> + +<p>Elle est au fond d’une cour nauséabonde, haillonneuse, misérable, +complètement entourée de bâtiments lépreux, de vieilles maisons +misérables aussi—non<span class="pagenum"><a name="page_56" id="page_56">{56}</a></span> de naissance, mais par vieillesse et +dégradation,—dans le quartier de la rue Galande. Ainsi abandonnée en +cet état lamentable, elle semblait vouée à la démolition, mais le salut +lui est venu d’Orient, le culte catholique grec vient de s’y installer, +la sauvant d’une ruine imminente.</p> + +<div class="figleft" style="width: 173px;"> +<a href="images/illu-074.jpg"> +<img src="images/illu-074.jpg" width="173" height="105" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>BAS-RELIEF DE SAINT-JULIEN, RUE GALANDE</p></div> +</div> + +<p>Un vieux débris de son portail, depuis longtemps ruiné et disparu, +figure au-dessus d’une boutique de la rue Galande, au numéro 42, un +bas-relief usé et rongé où l’on peut encore reconnaître vaguement l’un +des épisodes de la légende de saint Julien l’Hospitalier. Saint Julien +par méprise avait tué son père et sa mère, qu’en revenant de la chasse +il avait trouvés couchés dans son lit. En expiation de son crime, il +avait tout quitté et s’en était allé, suivi de sa femme qui voulait +partager sa pénitence, bâtir près d’un fleuve au passage difficile où +«moult de gens périssaient» un hospice pour les pauvres voyageurs que +lui et sa femme passaient en barque. Par une nuit d’âpre gelée +Jésus-Christ en personne, sous la figure d’un pauvre lépreux, vint +demander le passage; c’est l’épisode du bas-relief, le Christ dans la +barque de Julien. Or, dans sa charité courageuse, l’Hospitalier ne se +contenta point de passer le pauvre lépreux; pour le réchauffer, il le +mit dans son propre lit et se coucha sur lui. Jésus-Christ se fit +connaître alors, «et peu après Julien et sa femme pleins de bonnes +œuvres et d’aulmones reposèrent en Notre-Seigneur». Beau sujet +d’édification pour les habitants actuels de la rue Galande, où les plus +ignobles bouges sont installés dans des logis habités jadis par de +dignes bourgeois et de respectables magistrats.</p> + +<p>Bien près du pauvre et austère monument du <small>XII</small>ᵉ siècle, toutes les +grâces du style ogival des époques suivantes se montrent à +Saint-Séverin, très pittoresque, avec son beau clocher à flèche +d’ardoises, et ses chapelles que les maisons enferment vers l’abside. +L’entrée sous le grand pignon est moderne, c’est le joli portail d’une +église de la Cité, Saint-Pierre-aux-Bœufs, démolie de nos jours, qu’on y +a appliqué; jadis on entrait à Saint-Séverin, au pied de la tour, par la +petite porte dans le tympan de laquelle est sculpté saint Martin coupant +son manteau.</p> + +<p>Les Parisiens du temps jadis, avant d’entreprendre quelque long voyage, +venaient, pour solliciter la protection du saint, clouer un fer à cheval +sur les vantaux de la porte, ou apportaient au retour un fer de leur +monture en signe de remerciement. C’était une coutume assez commune, en +bien des endroits on retrouve ces fers cloués dans les portes d’églises +dédiées à saint Martin. «Ce saint, dit l’abbé Le Bœuf, étant réclamé par +les gens voyageant à cheval.» A droite de l’église est le cimetière, +aujourd’hui transformé en jardin pour le presbytère, mais qui conserve +une partie des arcades de ses charniers donnant maintenant +l’hos<span class="pagenum"><a name="page_57" id="page_57">{57}</a></span>pitalité à une école libre tenue par les sœurs. De ce côté +Saint-Séverin est fort joli avec sa série de chapelles dont les petits +pignons sont décorés de fausses arcatures en gothique flamboyant et de +fioritures sculptées, toutes différentes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 306px;"> +<a href="images/illu-075.jpg"> +<img src="images/illu-075.jpg" width="306" height="388" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES SACS DE PROCÉDURE PORTÉS A SAINT-YVES PAR LES +PLAIDEURS APRÈS UN PROCÈS GAGNÉ</p></div> +</div> + +<p>C’est dans ce cimetière Saint-Séverin que se pratiqua pour la première +fois, en 1474, l’opération de la taille sur un franc-archer de Meudon +malade de la pierre. Ayant été condamné à mort pour des crimes divers et +notamment pour vol dans l’église de Meudon, ce sacripant eut à choisir +entre la corde du bourreau et le scalpel des chirurgiens. Il choisit le +scalpel et s’en trouva bien, l’opération réussit parfaitement.<span class="pagenum"><a name="page_58" id="page_58">{58}</a></span></p> + +<p>L’archer, guéri à la fois de sa maladie et de la potence, reçut de plus +une pension qui lui permit d’aller vivre à la campagne pour y planter +ses choux en toute honnêteté.</p> + +<p>Les vieilles descriptions de Paris citent les inscriptions curieuses des +charniers de Saint-Séverin; en voici deux, celle-ci placée sur la porte +du cimetière sur la rue de la Parcheminerie:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0"><i>Passant, penses-tu pas passer par ce passage;</i><br /></span> +<span class="i6"><i>Où pensant, j’ai passé.</i><br /></span> +<span class="i0"><i>Si tu n’y penses pas, passant, tu n’es pas sage,</i><br /></span> +<span class="i0"><i>Car en n’y pensant pas, tu te verras passé.</i><br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Et cette autre d’un accent plus terrible sur les murs du charnier:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0"><i>Tous ces morts ont vécu; toi qui vis tu mourras!</i><br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Saint-Séverin, comme beaucoup d’autres églises, comme Saint-Médard, +Saint-Merry, les Innocents, etc., avait quelque part, probablement du +côté du cimetière, un reclusoir, une cellule fermée et murée, n’ouvrant +plus sur le monde que par une étroite fenêtre, cabanon où vivait, des +aumônes des passants, une pauvre femme enfouie vivante dans ce tombeau, +soit de sa pleine volonté, pour quelque malheur particulier ou pour +expier quelque faute, soit, comme il est arrivé, recluse par justice en +punition d’un crime. C’était un lieu d’expiation, un sépulcre «pour les +femmes affligées, mères, veuves ou filles qui auraient beaucoup à prier +pour autrui ou pour elles et qui voudraient s’enterrer vives dans une +grande pénitence», dit Victor Hugo dans <i>Notre-Dame de Paris</i>, où il a +mis en scène une de ses recluses, <i>la Sachette</i>, qui s’appelait en sa +folle jeunesse, avant son malheur, <i>Paquette la Chantefleurie</i>.</p> + +<p>La recluse de Saint-Séverin sous Charles V s’appelait dame <i>Flore</i>; en +1403 l’église Sainte-Opportune avait Agnès du Rocher dans son reclusoir; +on connaît parmi les recluses de l’église des Innocents: <i>Alix la +Burgotte</i>, morte en 1466, <i>Jeanne la Vaudrière</i>, enfermée en 1442 après +une cérémonie et un sermon de l’évêque de Paris, <i>Jeanne Pannoncel</i>, en +1496, enfin une noble dame, Renée de Vendômois, murée en 1485 dans le +reclusoir par arrêt du Parlement, pour avoir fait tuer son mari.</p> + +<p>Dans ce quartier de l’Université, où le tournant de chaque rue montre +quelque pignon de chapelle, d’église, ou de couvent, on trouve +Saint-André des Arcs, des Aas, ou des Arts, probablement ainsi nommée à +cause du grand enclos de Laas, formé par les jardins romains du Palais +des Thermes; c’est une église élevant une jolie tour, au-dessus d’un +portail gothique que le <small>XVIII</small>ᵉ siècle défigurera en attendant que la +Révolution le supprime.</p> + +<p>A l’angle de la rue Saint-Jacques, sur le carrefour entre Saint-Jean de +Latran et le collège de Cambrai, une petite chapelle du <small>XIV</small>ᵉ siècle, +dédiée à saint Yves, est la chapelle des seigneurs bretons de la cour et +aussi des avocats de Paris;<span class="pagenum"><a name="page_59" id="page_59">{59}</a></span> elle est remplie de sépultures de +basochiens, de procureurs et de notaires, saint</p> + +<div class="figcenter" style="width: 369px;"> +<a href="images/illu-077.jpg"> +<img src="images/illu-077.jpg" width="369" height="468" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉGLISE SAINT-SÉVERIN</p></div> +</div> + +<p>Yves de Tréguier, le grand saint de Bretagne, avocat lui-même, étant le +patron des gens de loi, très révéré surtout par les plaideurs, comme en +témoignent les<span class="pagenum"><a name="page_60" id="page_60">{60}</a></span> sacs aux paperasses de procédure, apportés en ex-voto +pour les causes gagnées. Il y a toujours des procureurs et des procès, +et plus qu’autrefois, mais la chapelle Saint-Yves a disparu, démolie en +1797.</p> + +<p>Rue Saint-Jacques, au-dessous de la Sorbonne, il y a Saint-Benoît le +Bientourné, appelé ainsi après un changement dans l’orientation de +l’autel; c’est l’église des gens du noble art du Livre, écrivains, +grands imprimeurs ou libraires, si nombreux dans son quartier et en +nombre considérable enterrés sous ses voûtes; Saint-Benoît a un beau +portail du <small>XV</small>ᵉ siècle, de beaux pignons de chapelles sur le côté du +cimetière. Saint-Benoît le Bientourné eut une fin mouvementée: vendu en +96, rendu au culte par l’acquéreur, puis revendu à un meunier, il fut +transformé en salle de spectacle. Ce fut de 1832 à 1845 le théâtre du +Panthéon. La vieille église stupéfaite écouta les flonflons du +vaudeville et les rires d’un public bruyant entre tous. Mais le théâtre +ne réussit pas et Saint-Benoît fut démoli en 1854.</p> + +<p>Saint-Hilaire, Saint-Côme, Saint-Étienne des Grès, vendues et rasées +aussi à la Révolution, étaient de toutes petites églises. Les églises +Saint-Médard et Saint-Nicolas du Chardonnet eurent plus de chance et +furent conservées quand tout se transformait autour d’elles.</p> + +<p>Que de moines dans ces rues et que de clochettes de couvents répondant +aux cloches des églises, Augustins grands et petits, Bernardins, +Mathurins, Carmes, Cordeliers, Jacobins, etc. En face de la pointe de la +Cité, s’élève en bordure de la Seine le couvent des Grands Augustins +dont l’importance est considérable. C’est là que se fit, le 1ᵉʳ janvier +1579, la cérémonie d’institution de l’ordre du Saint-Esprit, par le roi +Henri III qui établit aussi aux Grands Augustins la confrérie des +Pénitents Blancs; l’ordre du Saint-Esprit garda chez les Augustins une +salle des séances décorée des portraits, bustes ou écussons de tous les +dignitaires depuis la fondation. L’église, très riche en monuments, +possédait entre autres mausolées celui de Philippe de Commines; à la +Révolution, on y installa, avant de la démolir, une imprimerie +d’assignats.</p> + +<p>Les moines Augustins n’étaient point gens commodes et le vieux couvent +qui terminait sur la rive gauche la perspective du Pont-Neuf pouvait, +comme une place de guerre, inscrire des sièges dans ses annales, +aventures héroï-comiques où les Augustins montrèrent l’humeur +batailleuse des moines de la Ligue.</p> + +<p>En 1588, l’année des barricades, quand Paris est en pleine révolution et +que Guisards et Royaux s’entre-tuent par les carrefours, la mutinerie et +la forcenerie de la rue gagnent le couvent, les Augustins se battent +entre eux à l’occasion d’une élection de dignitaire.</p> + +<p>En 1657, peu après la Fronde, comme la vétusté des bâtiments du Châtelet +forçait les tribunaux à chercher un asile ailleurs pendant le temps de +leur restauration, on voulut louer pour cela des salles aux Augustins. +Les moines refusèrent leurs salles et malgré les ordres du roi, les +arrêts du parlement, s’obstinèrent si résolument que l’on dut forcer le +couvent, <i>manu militari</i>. L’année suivante devait voir bien autre chose, +un vrai siège, une brèche, un combat, avec blessures et morts d’hommes.<span class="pagenum"><a name="page_61" id="page_61">{61}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 329px;"> +<a href="images/illu-079.jpg"> +<img src="images/illu-079.jpg" width="329" height="469" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES ANCIENS CHARNIERS DE SAINT-SÉVERIN</p></div> +</div> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Quoi!...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p class="nind">dit la Discorde dans le <i>Lutrin</i> de Boileau,</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">J’aurai pu jusqu’ici brouiller tous les chapitres,<br /></span> +<span class="i0">Diviser Cordeliers, Carmes et Célestins!<br /></span> +<span class="i0">J’aurai fait soutenir un siège aux Augustins.....<br /></span> +<span class="pagenum"><a name="page_62" id="page_62">{62}</a></span></div></div> +</div> + +<p>La discorde s’était mise dans le couvent, encore à propos d’élections; +le parlement dut intervenir et comme ses arrêts restaient lettre morte, +envoyer les archers de la ville pour mettre les moines à la raison. Mais +ceux-ci, décidés cette fois à soutenir un vrai siège, s’étaient +barricadés dans la place, bien garnie de munitions de bouche et de +guerre.</p> + +<p>Les préparatifs de cette petite guerre passionnaient Paris. «—Je vais +voir tuer des Augustins!» disait La Fontaine, qui ne croyait pas si bien +dire, en courant au Pont-Neuf assister à la bataille. On se battit +réellement et sur la brèche, comme en un vrai siège, les archers ayant +fait un trou à la muraille. Les Augustins, bien qu’ayant déjà deux tués +et des blessés, s’efforçaient d’empêcher l’escalade; encouragés par le +son du tocsin de leur église, quelques-uns se maintinrent sur la brèche, +pendant que d’autres couraient chercher le Saint-Sacrement qu’ils mirent +en travers de leur mur écroulé. Mais les archers portèrent leurs efforts +à côté et cette dernière barricade allait être tournée; c’était la +défaite, alors nos Augustins déconfits demandèrent à capituler. Ainsi se +termina le siège, le parlement avait ville prise. En punition de leur +résistance, il envoya pour quelque temps dans les cachots de la +Conciergerie les plus acharnés des combattants, mais peu après Mazarin +les délivra et les fit reconduire en triomphe à leur couvent dans les +carrosses du roi.</p> + +<p>Les Bernardins d’humeur plus paisible ont leur couvent presque à la +Tournelle, derrière l’église Saint-Nicolas du Chardonnet; c’est un très +grand couvent et en même temps un collège où les moines de Cîteaux +viennent «demeurer et étudier tant ès arts libéraux qu’en théologie et +decret et y prendre les degrés de maîtres, bacheliers et docteurs». Leur +église est grande et belle, quoiqu’une partie de la nef demeure +inachevée en encadrant un jardin de ses ogives béantes. +Perpendiculairement à l’église un immense édifice superposant réfectoire +et dortoir limite avec d’autres bâtiments la grande cour du couvent.</p> + +<p>Tout à côté des Bernardins, au-dessus de la place Maubert, les Carmes +sont établis depuis Philippe le Bel. Cet ordre originaire des couvents +du Mont-Carmel et venu de Palestine avec saint Louis, avait précédemment +occupé un couvent sur la rive droite entre les Célestins et un monastère +de béguines devenu plus tard l’Ave Maria.</p> + +<p>Ils portaient un manteau à bandes alternativement blanches et noires, +habillement qui leur fit donner par le peuple de Paris le nom de Barrés, +nom resté jusqu’à nos jours à la rue conduisant à leur premier couvent, +aujourd’hui rue de l’Ave-Maria.</p> + +<p>Le populaire et les écrivains du moyen âge prennent souvent ces Carmes +barrés pour cibles de leurs plaisanteries et de leurs fabliaux. Le +voisinage des nonnes surtout donne carrière aux satiristes comme +Rutebœuf, qui dit nettement:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Les Barrès sont près des Béguines<br /></span> +<span class="i0">Neuf ving en ont; à lor voisines<br /></span> +<span class="i0">Ne lor faut que passer la porte.<br /></span> +<span class="pagenum"><a name="page_63" id="page_63">{63}</a></span></div></div> +</div> + +<p>A la place Maubert les Carmes n’ont pas de voisines. Dulaure, qui appuie +si volontiers sur les démérites gros ou menus de tout ce qui porte froc +ou soutane, ne voit plus à leur reprocher qu’un penchant à la bonne +chère et rappelle certain festin en temps de carême, en 1658, festin +troublé sur réquisition du supérieur, par des exempts qui saisirent +force pâtés, jambons et bouteilles de vin et pour ce fait conduisirent +douze religieux au For l’Évêque.</p> + +<p>A l’église des grands Carmes s’appuie un très beau cloître du <small>XIV</small>ᵉ +siècle, lequel sur un des côtés possède une superbe chaire extérieure +accrochée aux arceaux. Entre autres tombeaux de l’église des Carmes, il +faut signaler celui du libraire Gilles Corrozet, le premier +historiographe de Paris, auteur des Antiquités, Chroniques et +Singularités de Paris, un ancêtre que tous les amis de Paris et des +monuments parisiens doivent révérer.</p> + +<p>Que reste-t-il de ce couvent et du magnifique cloître? Absolument rien! +Un marché en tient la place. Les Bernardins, s’ils ont perdu leur +église, pourraient, dans le quartier très serré où jadis ils avaient +leurs aises, retrouver leur réfectoire et leur dortoir avec des pompiers +installés dans leurs lits. La caserne de pompiers de la rue de Poissy +est logée dans le magnifique bâtiment à vingt travées d’arcades +gothiques soutenues par de puissants contreforts.</p> + +<p>Les Mathurins, ordre s’occupant du rachat des captifs, ont leur couvent, +très modeste de proportions, près de l’hôtel des abbés de Cluny. Le +peuple les aime tant pour le but de leur œuvre d’une si haute charité, +que pour leur humilité et les appelle les <i>frères aux ânes</i>, parce qu’on +ne les voit jamais sur d’autres montures par les marchés et les routes. +Sur l’emplacement de leur couvent s’élève aujourd’hui le théâtre Cluny.</p> + +<p>Les Cordeliers sont voisins des Mathurins, ordre important, couvent +considérable, grande église. Les frères de Saint-François, +reconnaissables à la grosse corde ceignant leur taille, doivent beaucoup +à saint Louis qui favorisa leur établissement à Paris sur un terrain +appartenant à l’abbaye de Saint-Germain des Prés et leur donna, pour la +construction de leur église, une partie de l’amende considérable payée +par son vassal, le farouche sire Enguerrand de Coucy, pour le meurtre de +trois jeunes gens surpris chassant sur ses terres.</p> + +<p>Il faut avouer que les Cordeliers dépassaient encore les Augustins en +humeur batailleuse; sans parler de leurs longues querelles avec +l’Université qui, en raison de leur collège pour les religieux de leur +ordre, les accusait d’empiéter sur ses attributions et prérogatives. Le +désordre et l’agitation en permanence dans le couvent, les batailles que +se livrèrent entre eux les frères de Saint-François pour divers motifs, +leur insubordination perpétuelle, amenèrent même des conflits avec les +représentants du Saint-Siège.</p> + +<p>Au point de vue pittoresque, la façon dont ils en usèrent avec les +Évêques envoyés en 1501 par le légat du pape, pour refréner les abus et +réformer les mœurs du couvent, mérite d’être rapportée. Réunis dans leur +église, les Cordeliers attendirent de pied ferme les deux Évêques +chargés des foudres pontificales; dès qu’ils entrèrent, accueillis par +un silence glacial, et parurent vouloir prendre la<span class="pagenum"><a name="page_64" id="page_64">{64}</a></span> parole, une moitié +des Cordeliers entonna soudain une hymne à plein gosier et, l’hymne +achevée, l’autre moitié des frères commença un autre cantique, puis un +troisième et successivement de nombreux autres, pendant des heures, sans +laisser entre leurs chants le plus petit intervalle permettant aux +Évêques de glisser leur admonestation.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 371px;"> +<a href="images/illu-082.jpg"> +<img src="images/illu-082.jpg" width="371" height="386" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA DUCHESSE DE MONTPENSIER APPORTE AUX CORDELIERS LA +NOUVELLE DE L’ASSASSINAT D’HENRI III</p></div> +</div> + +<p>Les Évêques eurent beau élever la voix, rien n’y fit, leurs +objurgations, leurs protestations étant étouffées sous les cantiques +chantés à perdre haleine. Ils durent enfin se retirer, laissant la +victoire aux Cordeliers. Grand scandale, notable émotion dans toute la +ville cléricale. Après s’être concertés avec les autorités temporelles, +les Évêques revinrent le lendemain, non plus seuls, mais avec le Prévôt +de Paris, des procureurs et de nombreux sergents. Usant de la même +tactique, les Cordeliers reprirent aussitôt les chants de la veille; +mais cette fois les magistrats, voyant toutes les sommations inutiles, +firent avancer les archers et force fut aux Cordeliers houspillés de se +taire.</p> + +<p>Les novices des Cordeliers, turbulents tout autant que des écoliers +laïques</p> + +<div class="figcenter" style="width: 395px;"> +<a href="images/illu-083.jpg"> +<img src="images/illu-083.jpg" width="395" height="564" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>AUX CORDELIERS. QUERELLE DE CLUBISTES ET SECTIONNAIRES</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_65" id="page_65">{65}</a></span></p> + +<p class="nind">se mutinèrent plus d’une fois, ainsi que des lycéens de nos jours, et +comme c’était le siècle des Barricades, ils soulevaient volontiers les +pavés de leurs préaux. Quand le désordre se mettait dans le couvent, ils +étaient, bien entendu, au premier rang, heureux des occasions de +tumulte. De quoi ne les accusait-on pas d’ailleurs! Ils étaient +fortement soupçonnés de cacher dans leurs rangs des novices du sexe qui +ne doit point fournir de moines. Le fait est qu’on découvrit quelquefois +des femmes parmi eux. L’Étoile dans son journal cite ainsi un certain +frère Antoine dont le froc couvrait une femme jeune et jolie; quand on +s’aperçut de la fraude, après quelque temps, au grand chagrin des +novices, la demoiselle fut emprisonnée et punie avec grande rigueur.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 330px;"> +<a href="images/illu-085.jpg"> +<img src="images/illu-085.jpg" width="330" height="269" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE COUVENT DES BERNARDINS</p></div> +</div> + +<p>La très vaste église des Cordeliers brûla en 1580; on ne connut pas au +juste la cause de l’accident; on accusa des novices, soupçonnés au moins +d’imprudence, tandis que les Cordeliers mettaient le malheur sur le +compte des protestants. Henri III, qui tenait leur couvent en faveur +particulière, fournit une grande partie des fonds nécessaires à la +reconstruction. Aux Cordeliers s’assemblait le chapitre de l’ordre de +Saint-Michel créé par Louis XI en 1469 en l’honneur du premier chevalier +qui, pour la querelle de Dieu, «batailla contre l’ancien ennemi de +l’humain lignage et le fit trébucher du ciel».</p> + +<p>Il n’y avait plus, lorsque survint la Révolution, que soixante religieux +dans les<span class="pagenum"><a name="page_66" id="page_66">{66}</a></span> immenses bâtiments déclarés propriété nationale, et bientôt la +grande salle de théologie, qui servait d’école aux jeunes religieux, +devint le local du fameux club des Cordeliers fondé par Camille +Desmoulins. Les âmes des fougueux Cordeliers de la Ligue, de ces novices +belliqueux qui faisaient l’exercice sous les galeries du cloître avec la +pique et l’arquebuse, durent violemment tressaillir quand les échos du +vieux couvent retentirent des motions enflammées des orateurs ou des +violentes querelles des patriotes du club.</p> + +<p>Camille Desmoulins, Danton, Marat étaient des voisins, habitant tous +trois la rue voisine. Marat, lorsque le couteau de Charlotte Corday eut +interrompu violemment son insatiable fringale de sang, fut, en sortant +de la baignoire rouge, apporté aux Cordeliers, exposé dans la grande +cour à côté de la baignoire au milieu des lamentations de la populace, +des furieuses déclamations et des cris de vengeance, sanglante apothéose +de «l’Ami du Peuple». Un tombeau bientôt s’éleva en son honneur dans +cette cour du couvent, un mausolée avec des arbres poétiquement penchés +au-dessus d’une urne funéraire.</p> + +<p>Autre souvenir révolutionnaire des Cordeliers: le bataillon des fédérés +marseillais, venu à Paris pour collaborer au 10 août, fut logé dans ce +vieux couvent, caserne de la Ligue transformée en caserne +révolutionnaire. Quel tapage sous les galeries, avec les allées et +venues des meneurs de la Commune, les visites et fraternisations des +sectionnaires.</p> + +<p>En témoignage de l’importance de ces Cordeliers, il reste encore le +grand bâtiment du réfectoire, comble majestueux qu’on aperçoit au-dessus +des toits, large pignon flanqué d’une très belle tourelle d’escalier. +Cette grande salle est le musée médical Dupuytren. De tout le reste, +néant. La clinique de l’école de Médecine en occupe en partie +l’emplacement.</p> + +<p>Le mur de Philippe-Auguste, dont la rue Monsieur-le-Prince représente le +fossé, avait, pendant des siècles, borné ici la ville; il longeait le +jardin des Cordeliers et touchait peu après à la porte Saint-Michel. +Entre cette porte et la porte Saint-Jacques un autre grand couvent +s’appuyait à la muraille. C’était le couvent des Jacobins.</p> + +<p>Ce ne sont pas ces Jacobins qui ont donné leur nom au club rival du club +des Cordeliers, ceux-là sont les Jacobins de la rue Saint-Honoré, +établis seulement sous Louis XIII. Leur couvent n’avait rien de bien +remarquable, mais l’église renfermait quelques beaux tombeaux du <small>XVII</small>ᵉ +siècle.</p> + +<p>Le grand couvent de la rue Saint-Jacques formait encore à la fin du +siècle dernier un ensemble de bâtiments des plus pittoresques, remplacés +aujourd’hui par les cubes bien nets des blocs de maisons entre les rues +Soufflot et Cujas. Dans la très vaste église les siècles avaient +accumulé un nombre considérable de monuments; tout le long de la nef +c’était une magnifique rangée de rois, princes du sang, princesses, +chevaliers, dames, dormant les mains jointes, couchés sur leur dalle.</p> + +<p>La porte du couvent sur la rue Saint-Jacques était fort belle, décorée +d’une statuette de la Vierge entre celles de saint Dominique et d’un +autre docteur de l’ordre, sous une gracieuse arcature. Elle survécut +quelque temps à la destruction<span class="pagenum"><a name="page_67" id="page_67">{67}</a></span> des édifices conventuels, ainsi que le +bâtiment dit de l’École Saint-Thomas, construit au <small>XVI</small>ᵉ siècle pour +servir de salle d’exercice aux prédicateurs. Cette vaste salle où se +voyaient les statues des grands orateurs religieux, entre autres saint +Thomas d’Aquin de qui elle tirait son nom, ne disparut qu’en 1850, après +avoir servi quelque temps d’École communale.</p> + +<p>Au moyen âge, nos Jacobins, les frères prêcheurs de Saint-Dominique, ne +se montrèrent pas moins indisciplinés et dissolus que les Cordeliers. +Lorsqu’on voulut en 1501 apporter une réforme aux mœurs du couvent, +ainsi qu’il avait été fait chez les voisins, il en résulta aussi +quelques troubles graves. Chassés de leur demeure, les Jacobins, pour y +rentrer, vinrent l’assiéger avec l’aide de douze cents écoliers armés, +forcèrent les portes et battirent rudement ceux qu’ils trouvèrent dans +la place.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 312px;"> +<a href="images/illu-087.jpg"> +<img src="images/illu-087.jpg" width="312" height="365" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DU COUVENT DES JACOBINS DE LA RUE SAINT-JACQUES</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_68" id="page_68">{68}</a></span></p> + +<p>Au temps de la Ligue, le couvent fournit les plus farouches de ces +prédicateurs enragés qui surexcitaient les colères politico-religieuses. +La foule aux grands jours remplissait les cours du couvent et les +fanatiques Jacobins prêchaient en plein air avec la verve populacière +des moines de ce temps, accablant le roi Henri III, cet Hérode, et avec +lui tous les ennemis de la Ligue, des injures les plus violentes, +appelant les bénédictions du Ciel sur messieurs de Guise, sauveurs de la +religion, et sur les braves Seize, chefs de Paris insurgé.</p> + +<p>C’est de là que sortit fanatisé le petit frère Jacques Clément, pour +s’en aller poignarder Henri III en son camp à Saint-Cloud, meurtre que +le lendemain la duchesse de Montpensier, triomphante, accourait annoncer +elle-même au peuple en l’église des Cordeliers, du haut des marches du +grand autel.</p> + +<p>Le réfectoire des Jacobins, perpendiculaire au rempart, avait pour +annexe un vieux bâtiment carré qui formait en dehors de l’enceinte aux +tours rondes une encoche singulière, quelque chose comme une grosse tour +carrée soutenue par des contreforts et crénelée comme la muraille. +C’était un ancien parloir aux bourgeois donné au couvent par Louis XII. +Ce bâtiment, saillant sur les dehors et assez fort pour avoir été +conservé lors de la construction de l’enceinte, avait été auparavant, +dit-on, le manoir des seigneurs de Hautefeuille, domaine seigneurial +absorbé par la ville grandissante; il a dans tous les cas survécu +longtemps à l’enceinte et même au couvent et n’a disparu que de nos +jours, avec des débris de l’enceinte de Philippe-Auguste et une tour +cylindrique voisine.</p> + +<p>Paris a sa chartreuse aussi; succursale de la Grande Chartreuse de +Grenoble. Des moines de Saint-Bruno, appelés par saint Louis, se sont +créé une Thébaïde hors de la porte Saint-Michel, au pied de la montagne +Sainte-Geneviève, sur les terrains qui formeront plus tard une partie du +jardin du Luxembourg, toute la partie sud après le grand bassin jusqu’à +l’Observatoire.</p> + +<p>Dans ces parages mal fréquentés, presque déserts, s’était élevé un +château de plaisance du roi Robert, le manoir de Vauvert. Abandonné +ensuite et tombé à l’état de ruines, le manoir de Vauvert devint un +refuge de malandrins et de coupeurs de bourses, lesquels, pour chasser +tout visiteur indiscret, lui firent une réputation de lieu terrible, +hanté par des gnomes et gobelins malfaisants. On racontait mille +horreurs de ce vilain endroit, repaire d’un grand magicien cornu, à +pieds fourchus, au corps enveloppé dans une immense barbe verte, vivant +entouré de démons aussi hideux que lui.</p> + +<p>Il fallait du courage pour aller au «<i>grand diable Vauvert</i>»; les +Chartreux n’en manquaient pas sans doute, car ils occupèrent la ruine +hantée et la purifièrent. Le diable vert, seigneur châtelain de Vauvert, +se laissa expulser. Saint Louis fit construire une grande église, par +son architecte, Eudes de Montreuil, les Chartreux édifièrent sur les +quatre côtés d’un immense carré une série de petites maisonnettes où ils +vécurent solitaires, chacun reclus dans sa cellule, cultivant son petit +jardin et ne rencontrant ses frères qu’aux offices et le dimanche au +grand réfectoire.</p> + +<p>Dans le vaste carré rien qu’un bâtiment au milieu abritant une pompe, et +par<span class="pagenum"><a name="page_69" id="page_69">{69}</a></span>tout des croix disséminées. C’est le cimetière des pères chartreux; +leur vie s’écoule entre leur cellule et leur fosse, car ils ne quittent +jamais l’enceinte intérieure du couvent. Autour de cette enceinte, +prison de ces moines qui vivent si pauvrement des légumes qu’ils ont +fait pousser, est un enclos immense cultivé par les frères non profès. +Le couvent est devenu très riche par des dons successifs, et s’est +agrandi de nombreux bâtiments pour les hôtes, d’un cloître sous les +arceaux duquel Eustache Le Sueur, au <small>XVII</small>ᵉ siècle, peindra la vie de +saint Bruno, ces tableaux d’un sentiment religieux si intense qui sont +maintenant au Louvre.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 367px;"> +<a href="images/illu-089.jpg"> +<img src="images/illu-089.jpg" width="367" height="385" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉGLISE SAINT-BENOIT LE BIENTOURNÉ</p></div> +</div> + +<p>Un très beau bâtiment du <small>XV</small>ᵉ siècle sert de portique à la deuxième +enceinte, il est divisé en cinq arcades dont les piliers supportent des +statues sous des dais<span class="pagenum"><a name="page_70" id="page_70">{70}</a></span> très fouillés; au-dessus de l’arcade centrale, +dans un champ semé de fleurs de lys, est une statue de la Vierge à +laquelle saint Louis dans une niche voisine présente cinq Chartreux +agenouillés.</p> + +<p>Avec quelle rapidité tout se transforme! Cent ans à peine ont passé +depuis qu’ont été dispersés les solitaires de cette Thébaïde enveloppée +peu à peu par la ville; église et couvent furent démolis à la +Révolution, leur immense enclos vint s’ajouter au jardin de Marie de +Médicis, et maintenant les ombrages du Luxembourg agrandi couvrent la +place où ils vécurent six siècles dans le silence et la prière, et la +rue Auguste-Comte, philosophe positiviste, traverse le grand préau où +ils creusaient leurs tombes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 371px;"> +<a href="images/illu-090.jpg"> +<img src="images/illu-090.jpg" width="371" height="296" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ENTRÉE DE LA CHARTREUSE DU LUXEMBOURG (INTÉRIEUR)</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_71" id="page_71">{71}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 356px;"> +<a href="images/illu-091-a.jpg"> +<img src="images/illu-091-a.jpg" width="356" height="200" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES CÉLESTINS, L’ARSENAL ET L’ILE LOUVIERS</p></div> +</div> + +<h3>II</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-091-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">FONDATION DE SAINTE-CATHERINE<br /> + PAR LES SERGENTS D’ARMES DE<br /> +BOUVINES +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>L’enclos féodal du prieuré de Saint-Martin des Champs.—Le +réfectoire et la chaire du lecteur.—Abbés trop gras et moines trop +mal nourris.—Les procès de l’Épée.—Duels judiciaires dans la lice +du prieuré.—Carrouges et Le Gris.—Les Célestins.—L’église. Musée +de grands tombeaux seigneuriaux.—Les serfs de la Vierge +Marie.—Aux Carmes Billettes, le dernier cloître gothique de +Paris.—Le cadavre d’Étienne Marcel à Sainte-Catherine du Val des +Écoliers.—L’abbaye de Saint-Antoine.—Pécheresses +repenties.—Fondations hospitalières.—Les Haudriettes.—Les +confrères de la Trinité et les origines du théâtre.—Les +Quinze-Vingts.—Frères cordonniers et frères tailleurs.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">L</span>’AUTRE côté de la Seine, la partie de Paris appelée la Ville, n’a point +autant de couvents et d’abbayes que cet extraordinaire quartier de +l’Université, Monacopolis autant que ville des études. L’établissement +monacal le plus important est le prieuré de Saint-Martin des Champs, +bâti en dehors de la ville de Philippe-Auguste et plus tard compris dans +l’enceinte quand, au temps d’Étienne<span class="pagenum"><a name="page_72" id="page_72">{72}</a></span> Marcel, on enferma dans une +nouvelle muraille tous les faubourgs du nord.</p> + +<p>Le prieuré de Saint-Martin des Champs, c’est comme Saint-Germain une +petite ville forte enfermée dans sa ceinture crénelée, et son prieur est +également très haut et très puissant seigneur, suzerain de bon nombre +d’autres prieurés, de nombreuses cures, vicairies et chapellenies, et +possédant haute et basse justice sur son territoire. Une abbaye de +Saint-Martin avait existé dès le règne de Dagobert, à proximité d’un +champ de foire, dit aussi de Saint-Martin, et qui devait se trouver sur +l’emplacement du boulevard actuel. Les Normands avaient fait de cette +abbaye un monceau de ruines. Ce fut le roi Henri Iᵉʳ en 1060 qui songea +à faire renaître un nouveau monastère des décombres envahis par la +végétation de deux siècles.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 370px;"> +<a href="images/illu-092.jpg"> +<img src="images/illu-092.jpg" width="370" height="279" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PRIEURÉ DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS (ARTS ET MÉTIERS)</p></div> +</div> + +<p>Malgré l’importance et la richesse de la fondation nouvelle, ce ne fut +qu’un grand prieuré relevant de l’abbaye de Cluny. Une enceinte formant +un immense carré, avec grosses tours aux quatre angles et une vingtaine +de tourelles en encorbellement sur des contreforts de distance en +distance, enveloppe un jardin considérable, des bâtiments nombreux et +les édifices conventuels massés dans l’angle sud-ouest du carré.</p> + +<p>L’église est une grande nef sans bas côtés ni transept, rebâtie au <small>XIII</small>ᵉ +siècle, mais le chœur irrégulier avec sa petite chapelle absidale en +forme de trèfle a un<span class="pagenum"><a name="page_73" id="page_73">{73}</a></span> siècle de plus et date du moment où l’architecture +semble hésiter encore entre le plein cintre et l’ogive<a name="FNanchor_A_1" id="FNanchor_A_1"></a><a href="#Footnote_A_1" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 359px;"> +<a href="images/illu-093.jpg"> +<img src="images/illu-093.jpg" width="359" height="482" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE NOUVEAU PIGNON DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS (ARTS ET +MÉTIERS)</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_74" id="page_74">{74}</a></span></p> + +<p>Le portail, sans ornements, est un grand pignon à contreforts accosté +d’une tourelle. Sur le côté sud du chœur s’élève un gros clocher à +ouvertures romanes, probablement de la fondation du prieuré au <small>XI</small>ᵉ +siècle. Parallèlement à l’église s’étend un deuxième bâtiment moins haut +et moins long, c’est le réfectoire des moines dont on attribue la +construction à Pierre de Montereau, l’architecte de la Sainte-Chapelle. +Merveille d’élégance à l’intérieur, ce réfectoire est partagé en deux +nefs aux belles voûtes portées par une épine de colonnes, d’une +prodigieuse légèreté. En ce petit chef-d’œuvre de l’art du <small>XIII</small>ᵉ siècle, +quand les moines viennent prendre leur repas, l’un d’eux monte faire une +lecture pieuse, assis dans une tribune suspendue à la muraille. Cette +chaire du lecteur, annexe gracieuse de l’édifice, s’accuse à l’extérieur +par une saillie entre deux contreforts; à l’intérieur un escalier, +ajouré sur la grande salle par de hautes lancettes trilobées, fait +accéder au balcon de pierre de cette chaire, porté par un encorbellement +revêtu de feuillages sculptés. Un cloître vaste et superbe orné de +statues de rois, une belle chapelle de la Vierge dans le style de la +Sainte-Chapelle, une salle pour le Chapitre, une tour des Archives et de +grands bâtiments consacrés au logement du prieur, des dignitaires et des +moines, complètent l’ensemble du monastère.</p> + +<p>M. Hippolyte Cocheris, le continuateur de l’abbé Le Bœuf, a trouvé dans +un manuscrit des Archives, registre écrit en 1340 par le prieur Bertrand +de Pibrac, de très curieux détails sur l’organisation intérieure du +prieuré, qui comportait en son temps cinquante moines et des +dignitaires, assistés d’un nombre considérable d’officiers divers et de +subalternes religieux ou laïques. Le registre Bertrand énumère les +droits et attributions de chacun en commençant par le prieur:</p> + +<p>«Nous avons dans tout notre territoire de Saint-Martin, tant à Paris que +dans les faubourgs et les villages touchant à la ville de Paris où sont +trente mille feux environ, toute justice haute, moyenne et basse, pour +laquelle juridiction tant au civil qu’au criminel, nous instituons un +camérier, un maire, un tabellion et des sergents. Et il est appelé de +l’audience desdits camériers et maire à notre assise, pour corriger le +jugement, et du jugement de ladite assise au prévôt de Paris et de +celui-ci au Parlement. Il est délivré par nous ou par le maire en notre +nom toutes mesures des grains et des vins sur tout le territoire désigné +ci-dessus... Il nous est permis de confisquer tous les biens meubles et +immeubles de nos sujets et serviteurs qui conspirent ou machinent contre +notre personne... <i>item</i>, nous percevons droits sur les amendes, +défauts, épaves et forfaitures... <i>item</i>, tous ceux qui vendent du vin +doivent chaque année apporter leur mesure à Saint-Martin devant notre +maire et faire vérifier ces mesures sur l’étalon,... etc.»</p> + +<p>Le registre détaille aussi les droits et devoirs des différents +dignitaires et fonctionnaires, depuis les plus importants jusqu’aux plus +petits employés, et particulièrement ceux de l’hôtelier et du cellerier, +chargés de tout ce qui concerne la nourriture des moines—laquelle varie +selon les jours fériés ou non fériés, gras ou maigres, et selon la +qualité des convives depuis les sacristains, infirmiers, grainetiers, +avocats, tabellions, procureurs, médecins, etc...<span class="pagenum"><a name="page_75" id="page_75">{75}</a></span></p> + +<p>Ce précieux registre contient les détails les plus circonstanciés et les +plus minutieux sur la vie à l’abbaye, sur le régime de la maison et +l’ordonnance des repas. Sage administrateur, le prieur fixe une moyenne +de dépenses en supposant l’existence d’une cinquantaine de moines à +Saint-Martin; il compte la quantité de muids de blé nécessaire, la +provision de vin, le nombre de fromages, les consommations diverses, les +œufs à 1,700 par semaine de Noël à Pâques, les harengs pendant le Carême +à 1,250 par semaine.</p> + +<p>On mangeait beaucoup de harengs à Saint-Martin. Cependant les officiers +importants ne se privaient pas de se laisser aller quelquefois au péché +de gourmandise. M. Cocheris a trouvé ailleurs le menu d’un dîner offert +par le sacristain de Saint-Martin, le 4 octobre 1430, et qui se +composait, pour cinq convives, de deux perdrix, un faisan, quatre +pigeons, un lièvre, une poitrine de veau, carpe, brochet, anguille, +raisins, poires, trois chopines d’hypocras, huit quartes de vin, plus +différentes petites choses.</p> + +<p>Si les fonctionnaires faisaient bonne chère au <small>XV</small>ᵉ siècle, les simples +moines n’étaient pas aussi heureux, car ils furent plusieurs fois +réduits à intenter des procès à leurs prieurs pour obtenir une +nourriture suffisante, ainsi que des réparations à leurs logements +délabrés. Les réformes introduites par l’abbé de Cluny ou par le +Parlement saisis de ces plaintes, amenaient pour quelque temps une +amélioration, puis le mal revenait peu à peu, les fonctionnaires et les +moines se remettaient, au mépris de la règle, à vivre à part, largement +ou chichement.</p> + +<div class="figright" style="width: 158px;"> +<a href="images/illu-095.jpg"> +<img src="images/illu-095.jpg" width="158" height="353" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA CHAIRE DU LECTEUR, VUE DE L’EXTÉRIEUR</p></div> +</div> + +<p>Le mal, ici comme en bien d’autres monastères, c’était l’égoïsme des +abbés, bergers s’inquiétant fort peu de leur troupeau, seigneurs +hautains vivant en leur palais abbatial comme un seigneur temporel en +son château et considérant leur abbaye comme une terre de rapport. Le +régime de la commende ne pouvait qu’ajouter au mal, la richesse du +bénéfice était un danger puisque cette richesse le faisait plus +rechercher des hommes de cour. Et Saint-Martin des Champs était très +riche, son prieur titulaire, souvent pourvu ailleurs encore, touchait de +grosses sommes, tandis que les simples moines avaient mal à vivre, +réduits à une misère relative et mal logés dans des bâtiments<span class="pagenum"><a name="page_76" id="page_76">{76}</a></span> non +entretenus. Certaines estampes du <small>XVII</small>ᵉ siècle en font foi, qui nous +montrent Saint-Martin avec presque un aspect de ruine.</p> + +<p>Le prieur de Saint-Martin eut jusqu’à la Révolution sous sa dépendance +vingt prieurés dans les diocèses de Paris, Meaux, Senlis, Noyon, +Beauvais, Chartres, etc...; il nommait à dix cures, vicairies ou +chapellenies de Paris et à soixante-sept autres en différents diocèses. +En 1790, il n’y avait plus que dix-neuf religieux au prieuré et le +revenu s’élevait à 180,000 livres. Parmi les prieurs commendataires, +cardinaux ou gens de cour, on compte le cardinal Richelieu qui l’ajouta +en 1633 à ses autres nombreux bénéfices.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 257px;"> +<a href="images/illu-096.jpg"> +<img src="images/illu-096.jpg" width="257" height="269" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ANCIEN CLOCHER ROMAN DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS</p></div> +</div> + +<p>Saint-Martin sur la rive droite, avait, comme Saint-Germain des Prés de +l’autre côté de la Seine, l’aspect d’un bourg féodal et garda longtemps +cette apparence, même quand Paris, débordant toujours, eut enveloppé +tout à fait ses murailles crénelées, les noyant dans les maisons. A +l’époque où, par une aberration incroyable, l’architecture ogivale si +purement nationale se trouvait tout à fait incomprise et méprisée, où +les œuvres de notre glorieuse architecture du <small>XIII</small>ᵉ siècle étaient +considérées comme des travaux de barbares sans goût, sous Louis XIV, les +abbayes riches s’efforçaient de se mettre à la mode du jour, et de +renverser leurs cloîtres gothiques pour les remplacer par de froids +préaux gréco-romains. Ce fut un temps de transformations à jamais +regrettables, Saint-Martin<span class="pagenum"><a name="page_77" id="page_77">{77}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 347px;"> +<a href="images/illu-097.jpg"> +<img src="images/illu-097.jpg" width="347" height="502" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>RÉFECTOIRE DE SAINT-MARTIN DES CHAMPS.—LA CHAIRE DU +LECTEUR</p></div> +</div> + +<p class="nind">y perdit son vieux cloître qui, paraît-il, était une merveille. Les +autres bâtiments, sauf l’église et le réfectoire, furent reconstruits et +sur l’emplacement<span class="pagenum"><a name="page_78" id="page_78">{78}</a></span> de la muraille crénelée, le long des rues +Saint-Martin et du Vert-Bois, les moines élevèrent des maisons à loyer +aussitôt occupées.</p> + +<p>Une des plus singulières coutumes du moyen âge, c’est le duel +judiciaire, ce vieux reste de barbarie ancienne qui a persisté si +longtemps.</p> + +<p>Cette étrange manière de plaider et de décider de quel côté étaient le +droit et la raison dans les causes difficiles, était établie et +réglementée dans certaines seigneuries et pour certains cas. A Paris le +chapitre de Notre-Dame eut, dit-on, le droit de faire régler certains +différends entre ses sujets «<i>à coups de bâton</i>» devant la maison de +l’archidiacre. L’abbé de Saint-Germain des Prés et le prieur de +Saint-Martin avaient sur leur territoire un champ clos spécial pour les +«<i>Procès de l’Épée</i>», c’est-à-dire pour les combats, à outrance ou +autrement, soit entre les parties directement en cause, soit entre +champions appointés représentant des plaideurs non disposés à risquer +leur vie ou des plaideurs empêchés, c’est-à-dire des vieillards, femmes +ou enfants.</p> + +<p>Ces combats avaient lieu en présence des autorités laïques ou +ecclésiastiques, sous les yeux d’un public entassé derrière des +barrières. Parfois pour les grandes causes l’appareil était plus +solennel, le roi, les princes prenaient place dans les tribunes bordant +la lice. Les règles de cette étrange procédure étaient compliquées; il y +avait, pour nécessiter des façons de procéder particulières, tant de cas +divers, qu’il s’agît de contestations, de litiges ou bien d’accusations, +de crimes à prouver ou d’innocence à défendre. Les combats, qui se +terminaient souvent par une amende pour le vaincu quand l’affaire +n’était pas capitale, pouvaient dans les cas graves se poursuivre à +outrance jusqu’à la mort d’un des tenants ou se terminer par le supplice +du vaincu accroché bientôt au gibet voisin.</p> + +<p>Dans la lice de Saint-Martin des Champs, le 29 décembre 1386, se régla +l’affaire Carrouges et Le Gris, qui passionnait l’époque. La dame de +Carrouges accusait d’un attentat sur sa personne un écuyer nommé Jacques +Le Gris qui niait avec opiniâtreté. La cour du Parlement, embarrassée +par les accusations sans preuves de la dame de Carrouges et par les +dénégations énergiques de Le Gris, ordonna le combat à outrance entre +l’accusé et le mari de l’accusatrice dans les lices de Saint-Martin.</p> + +<p>Une dernière fois avant le combat la dame de Carrouges fut interrogée.</p> + +<p>—Dame, fit le chevalier, je vais exposer ma vie et combattre Jacques Le +Gris, ma cause est-elle juste et loyale?</p> + +<p>—Il en est ainsi, répondit la dame, combattez sûrement, la cause est +bonne!</p> + +<p>Carrouges embrassa sa femme et entra dans la lice.</p> + +<p>L’écuyer avait également ferme contenance et regard assuré, lui aussi +prétendait combattre pour juste cause. Le premier choc entre les deux +adversaires eut lieu à cheval; puis, aucun des champions n’ayant obtenu +un avantage marqué, ils s’abordèrent à pied. Le chevalier de Carrouges +reçut une grave blessure à la cuisse, mais ne tomba pas et se rejeta +avec rage sur son ennemi. Jacques Le Gris, pour son malheur, fit un faux +pas et roula sur le sol; Carrouges fut aussitôt sur lui et, la pointe de +l’épée à la gorge, s’efforça de lui faire avouer son crime. Le Gris<span class="pagenum"><a name="page_79" id="page_79">{79}</a></span> +vaincu n’avait plus qu’à mourir, par la potence s’il avouait, par le fer +s’il persistait à nier. Il protesta énergiquement de son innocence et +l’épée de Carrouges s’enfonça.</p> + +<p>Le cadavre du vaincu considéré comme coupable accroché au gibet de +l’abbé, Carrouges indemnisé de sa blessure par les biens de son +adversaire confisqués, on pouvait croire l’affaire terminée, lorsque +tout à coup éclata l’innocence du malheureux Le Gris. Le véritable +coupable avouait son crime. C’était un sosie de Le Gris, un écuyer +aussi, pris pour d’autres méfaits. La dame de Carrouges avait pu se +tromper à la ressemblance; désespérée de l’erreur commise, elle se jeta +dans un cloître et son mari disparut, entré, pensa-t-on, dans l’un des +ordres militaires qui combattaient l’infidèle en Terre Sainte.</p> + +<p>L’échelle patibulaire du prieur de Saint-Martin se dressait à l’angle de +la muraille au coin de la rue au Maire actuelle, elle y était encore +sous Louis XV, en signe de juridiction simplement, la haute justice +étant passée au roi. Une nuit des jeunes gens en joie, sortant de souper +trop copieusement, s’amusèrent à y mettre le feu. La potence flamba, +mais le prieur la releva encore pour affirmer ses droits.</p> + +<p>Le prieuré de Saint-Martin eut meilleur destin que les abbayes de la +rive gauche, le vaste ensemble de bâtiments avoisinant les deux grandes +nefs aux sévères pignons nous a été conservé; des modifications +considérables ont été ajoutées à celles entreprises à la fin du règne de +Louis XIV et la demeure des moines est devenue, avec des transformations +notables, le Conservatoire des Arts et Métiers.</p> + +<p>Affecté à la bibliothèque du Conservatoire le réfectoire de Pierre de +Montereau est intact, l’église a subi des avaries, mais demeure aussi; +elle servait encore récemment de galerie des Machines au grand dommage +de la construction ébranlée par les trépidations; elle a perdu son +clocher roman dont il reste la souche dépassant à peine les toits des +petites maisons de la rue de Réaumur. Son portail ruiné a été restauré +de nos jours avec des modifications par M. Vaudoyer.</p> + +<p>Une portion de l’enceinte n’a pas été démolie au siècle dernier, elle +existe toujours, englobée dans les constructions au fond des cours des +maisons de la rue du Vertbois, avec une des petites tourelles +encorbellées sur contreforts. La grosse tour à l’angle de l’enceinte, la +tour du Vertbois, a été restaurée en 1882 par les soins de l’État +«<i>suivant le vœu des antiquaires parisiens</i>», dit une inscription +encastrée dans la fontaine du Vertbois érigée en 1712 et restaurée en +même temps. Cette tour faisait partie de la prison du prieuré; quand +Saint-Martin perdit sa justice, la prison devint jusqu’en 1785 maison +d’arrêt pour les femmes de mauvaise vie. Il y avait sous le flanc sud de +l’église dans l’enclos et tout près de la grosse tour, une chapelle +Saint-Michel, tout petit édifice construit par la famille Arrodes, des +bourgeois de Paris du <small>XII</small>ᵉ siècle, seigneurs de Chaillot, pour recevoir +leurs sépultures. Cette chapelle intéressante et remplie de tombes a été +démolie depuis la Révolution. Un débris de la petite chapelle, rue de +Réaumur, subsiste encore transformée en maison, au pied de la vieille +tour, avec un atelier de réparations de machines à coudre sous sa voûte +ogivale.</p> + +<p>Touchant à l’angle sud-ouest de l’enclos Saint-Martin s’élève l’église +Saint-Nicolas des Champs, paroisse ancienne née d’une simple chapelle +dépendant de<span class="pagenum"><a name="page_80" id="page_80">{80}</a></span> Saint-Martin; reconstruite aux <small>XV</small>ᵉ et <small>XVI</small>ᵉ siècles, la +façade est pittoresque avec ses pignons et sa tour. Le mouvement de la +Renaissance battait son plein quand on agrandit l’église, aussi piliers +gothiques et colonnes grecques se mélangent dans la vaste nef à doubles +collatéraux aboutissant à un frontispice d’autel corinthien. Sur le +flanc méridional enveloppé de maisons, on a ouvert, sous Henri III, un +petit portail fort élégamment décoré, avec pilastres et fronton à +figures d’anges, et de beaux vantaux de bois sculpté.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 368px;"> +<a href="images/illu-100.jpg"> +<img src="images/illu-100.jpg" width="368" height="316" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE DUEL CARROUGES ET LE GRIS DANS LA LICE DE +SAINT-MARTIN</p></div> +</div> + +<p>Parmi les principaux couvents éparpillés dans ce Paris bruyant et animé +de la rive droite, il faut mettre au premier rang les Célestins, établis +sur l’emplacement précédemment occupé par les Carmes. Ces religieux, +venant d’un monastère de la forêt de Compiègne, obtinrent la faveur de +Charles V, leur voisin de l’hôtel Saint-Paul, et des grands personnages +de la cour. Sur la berge de la Seine devant le port Saint-Paul, entre le +grand Hôtel Royal et l’Arsenal, Charles V leur fit construire une église +dont il posa la première pierre en 1335 et le couvent s’enrichit et +s’embellit bien vite par les donations royales et princières.</p> + +<p>M. de Guilhermy, parlant des couvents secondaires qui s’établissaient +partout</p> + +<div class="figcenter" style="width: 558px;"> +<a href="images/illu-101.jpg"> +<img src="images/illu-101.jpg" width="558" height="389" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES CORDELIERS APPRENANT L’EXERCICE.—1588</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_81" id="page_81">{81}</a></span></p> + +<p class="nind">en quantités prodigieuses aux <small>XIII</small>ᵉ et <small>XIV</small>ᵉ siècles, et qui n’offraient +pas l’ampleur des grands abbayes des siècles précédents, «ni les +splendeurs de Cluny, les magnificences de la famille bénédictine ou les +sévères grandeurs de Clairvaux», rappelle que les églises de ces +couvents secondaires n’étaient que d’immenses nefs, souvent à voûtes de +bois, avec une petite flèche aiguë couverte d’ardoises.</p> + +<p>«Si les églises des couvents n’avaient plus, dit-il, ce grand caractère +des anciens édifices sacrés, elles furent en revanche richement +décorées: les fidèles fondaient à l’envi de brillantes chapelles dans +leurs monastères préférés. A Paris plus qu’ailleurs, la mode exerce en +toute chose son influence; il fut de bon ton d’avoir une sépulture de +famille dans l’église ou dans le cloître d’un couvent. C’est ainsi que +les églises des Cordeliers et des Jacobins étaient devenues de vrais +musées de sculpture, toutes meublées de statues et de tombeaux...»</p> + +<p>Église aristocratique, couvent admirablement placé au milieu de tous les +logis féodaux qui entouraient alors l’hôtel royal de Saint-Paul «<i>hostel +solennel des grands esbattements</i>», lequel était lui-même, non pas +seulement un château royal, mais une vaste réunion d’hôtels habités par +les princes du sang et les hauts personnages de la cour, on conçoit qu’à +l’ombre de la monarchie et sous la protection royale couvrant «<i>nos bien +aimez chapelains et orateurs en Dieu, prieur et couvent de nostre +prieuré et monastère de Notre-Dame des Célestins de Paris</i>», les +Célestins aient prospéré vite et largement.</p> + +<div class="figright" style="width: 198px;"> +<a href="images/illu-103.jpg"> +<img src="images/illu-103.jpg" width="198" height="425" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA TOUR DU VERTBOIS A SAINT-MARTIN DES CHAMPS</p></div> +</div> + +<p>Certes, indépendamment de tous les avantages de voisinage, c’est une +admirable situation pour le couvent ce coin annexé à Paris par Charles +V, ce saillant aigu de la muraille entre la tour Billy et la Bastille. +Les bons moines, pour prendre<span class="pagenum"><a name="page_82" id="page_82">{82}</a></span> le soleil après les exercices religieux, +jouissent d’un grand enclos, d’un beau jardin mitoyen avec les cerisaies +et les treilles des jardins royaux. Le rempart de la ville gêne +malheureusement la vue, mais de certaines fenêtres du couvent, +par-dessus les toits ou entre les pavillons de l’hôtel Saint-Paul, on +peut apercevoir le cours de la Seine, l’abbaye de Saint-Victor de +l’autre côté, la montagne Sainte-Geneviève hérissée de flèches et de +tours et, plus près, le fleuve avec son mouvement, la batellerie du port +Saint-Paul, les îles toutes vertes, l’île des Javiaux ou Louviers, les +peupliers de l’île Notre-Dame qui n’est pas encore l’île Saint-Louis, +superbe tableau en arrière duquel la majestueuse abside de Notre-Dame +s’élève au-dessus du fouillis confus des maisons de la Cité.</p> + +<p>En ces temps l’église des Célestins devient donc peu à peu un musée, la +nef et les chapelles se remplissent de monuments, dalles, tombeaux, +statues, groupes, vases funéraires, obélisques, colonnes, etc., de +merveilleuses œuvres d’art que la destruction atteindra malheureusement +un jour, et dont les musées se disputeront les superbes débris.</p> + +<p>La chapelle des ducs d’Orléans surtout, bâtie en exécution d’un vœu de +Valentine de Milan, lors du fameux bal dit des <i>hommes sauvaiges</i> ou des +<i>ardents</i>, fête où Charles VI déguisé en sauvage faillit être brûlé vif +comme ses compagnons, montra bientôt chefs-d’œuvre sur chefs-d’œuvre +assemblés autour du grand tombeau de Louis de France, duc d’Orléans, +assassiné par Jean sans Peur, et de Valentine de Milan sa veuve, qui, +bien qu’elle ait eu à pardonner beaucoup de choses au duc, personnage +fort séduisant et doué de brillantes qualités mais très vert galant, +adopta après le meurtre cette devise découragée: «Rien ne m’est plus, +plus ne m’est rien», et fidèlement mourut peu de mois après.</p> + +<p>Sur ce grand tombeau des deux victimes du duc de Bourgogne réunies à +leurs enfants, s’élevaient leurs statues entourées de statuettes +d’apôtres, de saints et de pénitents ou <i>pleurants</i>.</p> + +<p>Parmi ces tombeaux accumulés sous les voûtes, dans la chapelle d’Orléans +ou dans les autres chapelles, il faut citer les tombeaux de Philippe de +Chabot, amiral de France, et de Henri de Chabot, duc de Rohan, les +tombeaux des Cossé, de Renée d’Orléans, de Jeanne de Bourbon, femme de +Charles V, de la duchesse de Beldfort, femme du régent gouvernant Paris +pour le roi anglais, la colonne torse entourée de Vertus à la base et +portant dans une urne le cœur du connétable Anne de Montmorency<a name="FNanchor_B_2" id="FNanchor_B_2"></a><a href="#Footnote_B_2" class="fnanchor">[B]</a>, la +pyramide des Longueville, le groupe célèbre des Trois Grâces de Germain +Pilon, qui portaient sur leur tête dans une urne les cœurs de Henri III, +Charles IX et du duc d’Anjou, trop gracieux contenant pour un triste +contenu, pour la Saint-Barthélemy et les guerres de religion, pour les +cœurs de Charles IX et de ses frères...</p> + +<p>Ce sont là les monuments principaux, combien d’autres encore dans tous +les coins réclament l’admiration ou éveillent le souvenir d’une figure +historique. Les Célestins au <small>XVI</small>ᵉ siècle ont fait reconstruire leur +cloître dans le goût de la Renais<span class="pagenum"><a name="page_83" id="page_83">{83}</a></span>sance, les arcades en plein cintre +reposent sur de fines colonnettes corinthiennes accouplées; c’est +élégant, mais c’est loin d’être aussi religieux que les beaux arceaux +gothiques.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 369px;"> +<a href="images/illu-105.jpg"> +<img src="images/illu-105.jpg" width="369" height="473" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉGLISE SAINT-NICOLAS DES CHAMPS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_84" id="page_84">{84}</a></span></p> + +<p>Entre autres particularités de ce couvent enrichi par les libéralités +des princes vivants et embelli par les sépultures des princes morts, +dont les religieux, à défaut de grandes œuvres, ont laissé surtout une +réputation gastronomique, non usurpée, disent les mauvaises langues; les +Célestins étaient le siège de la confrérie des notaires parisiens qui +possédaient là une salle de réunion et y déposaient leurs archives.</p> + +<p>De tout ce grand couvent des Célestins rien ne reste que le nom d’un +quai de la Seine, formé avec l’ancien port Saint-Paul; tout autre +souvenir en a disparu définitivement; quelques-uns des magnifiques +monuments funéraires de l’église sont au Louvre ou à Saint-Denis; +cloître, église, bâtiments, tout a été détruit. L’église après la +Révolution transformée en écurie, fut abattue en 1849, les bâtiments +devenus caserne, vécurent jusqu’à ces dernières années; puis le nouveau +boulevard Henri IV est venu renverser cette caserne que l’on reconstruit +maintenant un peu plus haut pour la garde républicaine.</p> + +<p>Au <small>XV</small>ᵉ siècle, le couvent des Blancs-Manteaux est un monastère d’une +certaine importance; c’est en l’année 1258 que le monastère naquit, +grâce aux libéralités de saint Louis, le grand fondateur de couvents, +pour des moines venus de Marseille. Ces moines s’intitulaient les +«<i>Serfs de la Vierge Marie</i>». Comme ils portaient de grands manteaux +blancs sur leurs robes, le peuple les appelait les «<i>Blancs Manteaux</i>». +Saint Louis leur avait donné une «<i>méson et vielz places en tour pour +eulz héberger delez la viex porte du Temple à Paris</i>», c’est-à-dire en +dedans du rempart.</p> + +<p>A peine installés dans leur monastère, les serfs de la vierge Marie +furent supprimés par le pape Grégoire X, comme beaucoup de petits ordres +mendiants, mais ce fut pour être remplacés peu après par un autre ordre +mendiant, les ermites de Saint-Guillaume ou Guillemites, qui portaient +des manteaux noirs mais auxquels, malgré tout, le peuple conserva par +habitude le nom de Blancs-Manteaux. En 1618, les Bénédictins +remplacèrent à leur tour les Guillemites et firent peu après +reconstruire l’église et le couvent. L’église existe rue des +Guillemites, elle est loin d’être jolie, et on lui a donné pour portail +celui de l’église des Barnabites, démolie dans la Cité, portail bien +laid aussi, sans intérêt, conservé sans doute par sa laideur, quand tant +de magnifiques portes gothiques étaient impitoyablement jetées aux +gravats.</p> + +<p>Les bâtiments des bénédictins, agrandis et transformés, sont devenus le +siège de l’administration du Mont de Piété. Des dépendances s’en +retrouvent encore près de l’église, dans la rue qui a gardé le nom de +Guillemites.</p> + +<p>Le couvent des Carmes Billettes avoisinait les Blancs-Manteaux; son +cloître a par miracle échappé aux transformations des deux derniers +siècles et aux démolitions de celui-ci. C’est chose rare à Paris un +cloître complet, oublié pour ainsi dire, quand tous ceux du moyen âge, +importants ou modestes, y ont péri. C’est un charmant cloître du <small>XV</small>ᵉ +siècle, tout petit, qui abrite ses arceaux sous l’église des Billettes +reconstruite en 1756 dans le mauvais style du temps, et devenue depuis +1822 temple protestant.<span class="pagenum"><a name="page_85" id="page_85">{85}</a></span></p> + +<p>L’origine de ce couvent de Carmes Billettes est curieuse. Un juif fort +riche, Jonathas, prêteur sur gages, aurait en 1290 obtenu d’une femme, +sa débitrice, qu’elle lui apportât, moyennant libération de sa dette, +une hostie consacrée conservée à la communion de Pâques. Quand le juif +Jonathas eût entre les mains l’hostie consacrée il essaya de la percer +et de la découper à coups de couteau. Miracle! Sous les coups, l’hostie +devient rouge et le sang du Christ en jaillit; alors le juif affolé +prend un clou et un marteau, il frappe, le sang coule encore mais +l’hostie résiste à la destruction, il la jette dans le feu, elle s’élève +intacte au-dessus des flammes qui s’inclinent et lui font une auréole, +il la reprend et la plonge dans une chaudière d’eau bouillante...</p> + +<div class="figcenter" style="width: 373px;"> +<a href="images/illu-107.jpg"> +<img src="images/illu-107.jpg" width="373" height="340" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE CLOITRE DES BILLETTES, RUE DES ARCHIVES</p></div> +</div> + +<p>C’était le jour de Pâques. Comme tout le quartier était en fête et que +la foule se pressait aux églises, le fils du juif dit aux enfants +chrétiens devant l’église voisine: «C’est bien en vain que vous allez +adorer votre Dieu, car mon père vient de le tuer.» C’est ainsi, dit la +légende, que le sacrilège est découvert, on va chez le<span class="pagenum"><a name="page_86" id="page_86">{86}</a></span> père de +l’enfant, on trouve encore l’hostie dans la chaudière où l’eau +bouillante n’a rien pu contre elle. Grande rumeur, le juif est arrêté, +jeté dans la prison de l’évêque et bientôt après brûlé en solennité.</p> + +<p>La rue du crime devint «<i>la rue où Dieu fut bouilli</i>», la maison de +Jonathas, confisquée avec tous ses biens, fut rasée et sur l’emplacement +un riche bourgeois fit élever une chapelle dite des Miracles; un couvent +se fonda ensuite pour les <i>frères de la Charité de Notre-Dame des +Billettes</i> que remplacèrent les Carmes réformés en 1631. A la Révolution +le couvent fut supprimé, on en conserva quelques bâtiments et l’église +fut concédée au culte protestant.</p> + +<p>Voici encore d’autres communautés plus ou moins importantes, logées en +des édifices plus ou moins beaux:</p> + +<p>Les frères de Sainte-Croix de la Bretonnerie, établis par saint Louis en +1258, avaient été appelés frères Croisiers pour la croix qu’ils portent +sur leur robe. Le couvent a donné naissance à l’administration des +pompes funèbres. Là était le local des jurés crieurs chargés de tous les +services des obsèques et fournissant tous les objets nécessaires, +draperies, cierges, billets d’invitations et même habits de deuil.</p> + +<p>Un passage Sainte-Croix indique l’emplacement de l’église démolie en +1778 quand la Communauté fut supprimée; cette église était, paraît-il, +fort belle, elle avait été construite par Pierre de Montereau, +l’architecte de la Sainte-Chapelle.</p> + +<p>L’abbaye de Saint-Magloire, entre la rue Saint-Denis et la rue +Quincampoix derrière l’église Saint-Leu, en un endroit qui fut d’abord +le cimetière de Saint-Barthélemy de la Cité, était un très ancien +monastère fondé en l’honneur des reliques de saint Magloire, apportées à +Paris par des moines bretons pour les préserver des Normands. En 1572 +des religieuses pénitentes, dont Catherine de Médicis démolissait le +couvent pour bâtir l’hôtel de Soissons, vinrent à Saint-Magloire +remplacer les moines. Il n’en reste rien dans le quartier Saint-Denis.</p> + +<p>Le couvent de Sainte-Catherine du Val des Ecoliers, dans la rue qui mène +à la Bastille, tout à côté du palais des Tournelles, est séparé +seulement de l’hôtel Saint-Paul par la rue Saint-Antoine. On rencontre +là un enclos assez vaste, renfermant l’église et la maison dite du Val +des Ecoliers, établie par les chanoines du Val des Écoliers de Langres +pour servir de collège aux novices de leur ordre. Très modeste fondation +à l’origine, l’importance lui vint à l’occasion de la bataille de +Bouvines. Le jour de cette terrible rencontre entre l’armée de +l’empereur Othon et celle de Philippe-Auguste, armée nationale +réunissant la chevalerie et les milices des communes, des hommes d’armes +de la garde particulière du roi, qui dans la mêlée formidable +défendaient le pont de Bouvines, firent un vœu à sainte Catherine, ainsi +qu’il est dit dans une inscription sous un très beau bas-relief placé au +<small>XIV</small>ᵉ siècle au portail de l’église.</p> + +<p>«<i>A la prière des sergents d’armes, Monsieur Saint Loys, fonda ceste +église et y mist la première pierre. Ce fust pour la joye de la vittoire +qui fust au pont de Bovines l’an 1214.</i></p> + +<p>«<i>Les sergents d’armes pour le temps gardaient ledit pont et vouèrent +que si<span class="pagenum"><a name="page_87" id="page_87">{87}</a></span> Dieu leur donnoit vittoire ils fonderoient une église en +l’honneur de Madame Sainte Katherine.</i></p> + +<p>«<i>Et ainsy fust-il.</i>»</p> + +<p>Le bas-relief, très souvent reproduit, représente les sergents d’armes +accomplissant leur vœu; leurs costumes ne sont pas ceux du temps de +Philippe-Auguste mais ceux des chevaliers du <small>XIV</small>ᵉ siècle admirablement +détaillés. L’église du vœu élevée vers 1230 dans la culture +Sainte-Catherine, modifiée au <small>XVII</small>ᵉ siècle par un portail de Mansard, +fut démolie sous Louis XVI.</p> + +<p>En 1359, à la fin de la grande sédition, quand le prévôt Étienne Marcel +et cinquante de ses partisans furent tués à la porte Saint-Antoine, +qu’en désespoir de cause ils allaient livrer aux troupes anglaises et +navarraises, leurs corps furent jetés nus et exposés pendant plusieurs +jours dans le préau de Sainte-Catherine, où venaient les rejoindre les +corps décapités des autres personnages ayant marqué dans les troubles.</p> + +<p>Nombreuses aussi sont les communautés de femmes dans la ville du moyen +âge; leur nombre ne diminuera pas, au contraire, dans les siècles qui +suivront. Extra muros, dans le faubourg qui naît en avant de la Bastille +Saint-Antoine, il y a l’abbaye de Saint-Antoine des Champs, fondée au +<small>XII</small>ᵉ siècle et qui commença par être un couvent de repenties recevant +les <i>folles femmes</i> désireuses de revenir à meilleure vie. Ces filles +repenties de Saint-Antoine pour comble de pénitence faisaient des +pèlerinages par la ville pieds nus et en chemise de grosse toile +semblable à des sacs, ce qui sur leur passage, excitait plus de rires et +de quolibets que d’édification parmi les curieux ameutés.</p> + +<p>De cette abbaye de Saint-Antoine l’église, fort belle, fut élevée par +Blanche de Castille en mémoire de la naissance de saint Louis, son fils. +Tout proche se trouve une chapelle dédiée à saint Hubert et une +maladrerie appelée le <i>Répit de Saint-Hubert</i>, hôpital où les malheureux +mordus par les chiens enragés viennent se recommander au patron des +chasseurs.</p> + +<p>L’abbaye, isolée par sa situation dans la campagne sur le chemin qui +mène à Vincennes, est entourée d’une muraille et d’un fossé; à l’un des +angles de l’enclos, une croix a été élevée, appelée la Croix des +Trahisons. Une inscription dit la raison de ce nom:</p> + +<p class="c"> +<i>L’an MCCCCLXV<br /> +fut ici tenu le landit des Trahisons<br /> +et fut par une trèves<br /> +qui furent données<br /> +Maudit soit-il qui en fut cause.</i><br /> +</p> + +<p>Ce landit des trahisons, c’est-à-dire suivant le sens du vieux mot +<i>landit</i>, la réunion des trahisons, c’était le marché aux négociations +au moment de la ligue du bien public, après la singulière bataille de +Montlhéry où les deux armées se mirent mutuellement en déroute et se +passèrent sur le corps pour battre en retraite. Princes et seigneurs +venaient parlementer à Saint-Antoine, marchan<span class="pagenum"><a name="page_88" id="page_88">{88}</a></span>daient de la paix avec le +roi Louis XI qui tenait Paris et cherchaient à tirer chacun quelque +bribe de la monarchie, quelque bon duché ou comté, quelques villes, +quelque charge ou pour le moins quelque argent; tous, suivant la qualité +et la force du traitant «<i>butinant le monarque et le mettant au +pillage</i>», comme dit Commines. Louis XI donna, assura, jura tout ce que +l’on voulut, se promettant bien de tout reprendre ou de ne rien tenir. +Et ce fut l’année où, suivant une chronique, la vigne ne donna pas, +parce que les <i>sarments</i> (serments) n’avaient rien valu.</p> + +<p>La rue Saint-Denis possède le grand couvent des Filles-Dieu, fondation +de saint Louis. L’origine de plusieurs couvents de femmes de ces temps +est la même. Pauvreté, alors comme en bien d’autres siècles, jetait +beaucoup de filles ou femmes des grandes villes en «péché de luxure».</p> + +<p>Par moments le mal devenait si grand que l’on cherchait par tous les +moyens à l’atténuer; des ordonnances de la Prévôté parquaient les femmes +folles de leurs corps en certaines rues, en certains quartiers, et leur +interdisait le reste de la ville sous peines sévères, mais la barrière +était bientôt franchie, ces rues et ces quartiers spéciaux débordaient +bientôt sur leur voisinage et tout se retrouvait comme devant.</p> + +<div class="figleft" style="width: 225px;"> +<a href="images/illu-110.jpg"> +<img src="images/illu-110.jpg" width="225" height="378" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>DÉPENDANCES DU COUVENT DES GUILLEMITES, RUE DES +GUILLEMITES</p></div> +</div> + +<p>Les évêques de Paris essayaient des sermons, tentaient de véritables +croisades de conversions, fondaient des maisons de refuge pour les +pécheresses fuyant les quartiers licencieux des ribaudes, le Val d’amour +aux tavernes hantées par la débauche, bâtissaient des hospices pour +celles «<i>qui pendant toute leur vie avaient abusé de leur corps et à la +fin étaient tombées en mendicité</i>».</p> + +<p>La maison des Filles-Dieu, fondée hors Paris, recueillit deux cents de +ces péni<span class="pagenum"><a name="page_89" id="page_89">{89}</a></span>tentes qui rachetaient leurs fautes passées en soignant les +malades de l’hôpital Saint-Lazare.</p> + +<p>Au couvent des Filles-Dieu comme en d’autres maisons de repenties, il y +avait une limite d’âge que les pécheresses ne devaient pas dépasser. +Après l’âge de trente ans elles n’étaient plus admises à venir y pleurer +leurs erreurs. Il eût été trop commode aux <i>Madeleines</i> tardives, on le +comprend, de ne songer à la conversion qu’à l’heure où la rue ne voulait +plus d’elles. De plus, elles devaient en entrant jurer qu’elles ne +s’étaient pas jetées dans leur vie de désordres exprès, en vue de se +créer des droits à cette retraite chez les pénitentes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 373px;"> +<a href="images/illu-111.jpg"> +<img src="images/illu-111.jpg" width="373" height="315" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES CORPS D’ÉTIENNE MARCEL ET DE SES PARTISANS DANS LE +PRÉAU DE SAINTE-CATHERINE</p></div> +</div> + +<p>Sous Charles V, pendant les grands ravages des Anglais autour de Paris, +leur couvent ayant été brûlé, les Filles-Dieu qui n’étaient plus, bien +entendu, des pécheresses repenties comme à l’origine, vinrent en 1360 +s’établir rue Saint-Denis, dans un petit hôpital fondé en 1216 pour +loger une nuit les femmes pauvres passant par Paris, auquel hôpital +elles ajoutèrent de nouveaux bâtiments et une église. Puis la décadence +vint, le couvent et les biens des Filles-Dieu passèrent, à la fin du XVᵉ +siècle, à l’ordre de Fontevrault.<span class="pagenum"><a name="page_90" id="page_90">{90}</a></span></p> + +<p>En ces temps chaque condamné que l’on mène supplicier à Montfaucon fait, +par suite d’une coutume ancienne, une dernière station à l’église des +Filles-Dieu. Les religieuses viennent le recevoir, lui apportent trois +morceaux de pain, un verre de vin et le mènent baiser un crucifix placé +extérieurement sur le mur de l’église, pour lui inspirer le courage de +continuer sa route douloureuse.</p> + +<p>Que de fondations pieuses dans ces rues de Paris où la charité avait +éparpillé un peu partout les petits hospices, les refuges et les lieux +de secours; fondations infimes souvent, nées des libéralités de quelque +bourgeois à son lit de mort, administrées simplement et naïvement, +entretenues par les aumônes implorées dans les rues de Paris, où chaque +matin des nonnes, des moines attachés à ces humbles établissements vont +«<i>crier leur pain</i>», concurremment avec des frères quêteurs d’autres +ordres, mendiant pour eux-mêmes ceux-là et qui, bien que fort riches, +leur font une concurrence désastreuse et prennent pour leur superflu le +nécessaire des malheureux.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Aus <i>frères de Saint-Jacques</i> pain<br /></span> +<span class="i0">Pain, por Dieu, aus <i>frères menors</i><br /></span> +<span class="i0">Cels je tiens por bons perneors<br /></span> +<span class="i0">Aus frères de Saint-Augustin<br /></span> +<span class="i0">Icil vont criant par matin<br /></span> +<span class="i0">Du pain aus <i>sas</i>, pain aus <i>barrez</i>,<br /></span> +<span class="i0">Aus povres prisons enserrés,<br /></span> +<span class="i0">A cels du Val des Écoliers<br /></span> +<span class="i0">Li uns avant, li autres arriers<br /></span> +<span class="i0">Aus frères des <i>pies</i> demandent<br /></span> +<span class="i0">Et li <i>croisés</i> pas ne s’atandent,<br /></span> +<span class="i0">A pain crier mettent grand peine<br /></span> +<span class="i0">Et li aveugle à haute alaine,<br /></span> +<span class="i0">Du pain a cels du <i>Champ-pourri</i><br /></span> +<span class="i0">Dont moult souvent, sachiez, me ri,<br /></span> +<span class="i0">Les <i>bons Enfants</i> orrez crier:<br /></span> +<span class="i0">Du pain, nes veuil pas oublier<br /></span> +<span class="i0">Les <i>Filles Dieu</i> savent bien dire:<br /></span> +<span class="i0">Du pain pour Jhésu notre sire.<br /></span> +<span class="i0">Ça du pain, por Dieu, aus <i>sachesses</i>...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>C’est un poète du <small>XIII</small>ᵉ siècle, <i>Guillaume de la Villeneuve</i>, qui, dans +une pièce intitulée les <i>Crieries de Paris</i>, ayant rapporté toutes les +<i>crieries</i> des marchands des rues, des vendeurs de fruits, de volailles, +de légumes, de poisson de mer et d’eau douce, des marchands de boissons +diverses, de pâtés et de gâteaux, des marchands d’habits et de +friperies, des crieurs d’actes officiels, du clocheteur des trépassés, +etc., en arrive aux quémandeurs des couvents et des écoles, sans +distinguer entre les couvents riches et les autres, les pieuses +institutions qui n’ont vraiment pour vivre que la charité publique.</p> + +<p>Parmi ces humbles communautés qui ont rendu le plus de services, +modestement, s’occupant de soigner les malades dans les divers hôpitaux +ou d’ «<i>hebergier</i>» les pauvres et les voyageurs, il existe rue de la +Tixeranderie la communauté<span class="pagenum"><a name="page_91" id="page_91">{91}</a></span> des hospitalières de Saint-Gervais ou de +Sainte-Anastase, qui, depuis le jour lointain de la fondation, donne +l’hospitalité dans sa maison de la rue de la Tixeranderie. Fondée par +Garin, maçon, et Harcher son fils, prêtre, c’était d’abord une toute +petite maison tenue par des frères; on y mit des religieuses au <small>XIV</small>ᵉ +siècle et une chapelle fut bâtie en 1411.</p> + +<p>Les hospitalières de Saint-Gervais donnent aux gens dépourvus le souper +et le gîte pendant trois nuits; elles hébergent entre 15 et 16,000 +pauvres par an et en 1789, quand l’institution n’a plus que peu de mois +à vivre, ce nombre montera à 32,238 personnes, dans l’hôpital transféré +sous Louis XIV à l’hôtel d’O, rue Vieille-du-Temple, 60, à la place +occupée maintenant par le marché des Blancs-Manteaux. C’était, on le +voit, tout à fait l’<i>hospitalité de nuit</i>, une vieille institution qu’on +s’efforce de faire renaître.</p> + +<p>Les Haudriettes sont voisines des hospitalières Saint-Gervais; au +commencement du <small>XIV</small>ᵉ siècle, Étienne Haudri, panetier de saint Louis, +dit la légende, ayant accompagné le roi à sa dernière croisade en Terre +Sainte, y fut gardé prisonnier par les Sarrasins. Le croyant mort, sa +femme désespérée voulut se retirer du monde et passer le reste de sa vie +dans les prières. Elle fonda donc, dans sa maison même, une petite +communauté de femmes.</p> + +<p>Mais voici qu’un jour, après de longues années, reparaît le captif évadé +ou racheté, tombant parmi ces nonnes et réclamant sa femme. Pour obtenir +l’annulation des vœux prononcés par elle, Haudri, rentré dans sa charge +à la cour et dans ses biens, agrandit la pieuse fondation et bâtit rue +de la Mortellerie-en-Grève un hôpital destiné à recevoir de pauvres +veuves. Il y ajouta une chapelle en 1306; puis ses fils continuèrent la +bonne œuvre de leur père et dotèrent convenablement l’hôpital, mis en +possession de quelques maisons formant le fief Cocatrix ou des +Haudriettes.</p> + +<p>A l’origine, les Haudriettes ne furent point tout à fait des +religieuses, c’étaient tout simplement de pauvres veuves recueillies, +vivant dévotement entre elles comme dans les béguinages de Flandre. Le +peuple les appelait les <i>bonnes femmes de la Chapelle Estienne Haudri</i> +ou les <i>bonnes femmes de la Maison-Dieu en Grève</i>. Plus tard +l’institution changea de caractère, la maison devint un couvent comme un +autre et les Haudriettes à la fin furent réunies à la communauté des +dames de l’Assomption, couvent dont il reste une église à dôme du <small>XVII</small>ᵉ +siècle dans le faubourg Saint-Honoré. Quant à la chapelle de la rue de +la Mortellerie, elle fut transformée en maison particulière, disparue en +1841 dans l’agrandissement de l’Hôtel de Ville.</p> + +<p>Il y eut plusieurs autres fondations analogues à celle d’Étienne Haudri, +mais moins importantes, entre autres l’hôpital des Veuves, rue de +Grenelle, fondé en 1497 par la famille d’un maître des requêtes nommé +Barthélemy pour «<i>huit pauvres femmes veuves ou anciennes filles de +quarante ans</i>».</p> + +<p>Les voyageurs arrivant à Paris trouvaient à certaines portes logement et +secours. Dès les premiers siècles, des bâtiments annexes de l’église +Saint-Julien le Pauvre ou l’Hospitalier servaient ainsi à +l’hébergement.<span class="pagenum"><a name="page_92" id="page_92">{92}</a></span></p> + +<p>Plus tard, quand la ville s’agrandit, l’hospice de Saint-Julien «<i>qui +héberge les chrétiens</i>» fut reporté plus près des portes, à +Saint-Benoît.</p> + +<p>C’est en somme un vieux souvenir de la tradition hospitalière qui fit +attribuer, en 1655, à l’Hôtel-Dieu de Paris, Saint-Julien devenu prieuré +de l’abbaye de Longpont.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 250px;"> +<a href="images/illu-114.jpg"> +<img src="images/illu-114.jpg" width="250" height="345" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ÉGLISE DES FILLES-DIEU</p></div> +</div> + +<p>Dans la rue Saint-Denis, entre la rue Grenetat et la rue +Guérin-Boisseau, près d’une fontaine dite fontaine de la Reine, qui +apparaît assez monumentale dans le plan Truschet, ce grand pignon est +celui de la chapelle de la Trinité, hôpital fondé au commencement du +<small>XIII</small>ᵉ siècle par deux bourgeois, Jean Pallé et Guillaume Estuacol, et +appelé d’abord hôpital de la Croix de la Reine.</p> + +<p>Une communauté de frères, les <i>frères asniers de la Trinité</i>, ainsi +appelés par le peuple qui les voit tirant leur âne par la bride mendier +par les rues, donne gîte aux pauvres voyageurs, les soigne quand ils +sont malades et s’ils meurent les enterre dans le cimetière qui se +trouve derrière leur chapelle.<span class="pagenum"><a name="page_93" id="page_93">{93}</a></span></p> + +<p>Cette institution de charité, cet hôpital, refuge des pauvres passants, +c’est tout simplement le lieu de naissance du Théâtre-Français; Thalie +et Melpomène y ont eu leur berceau tout proche du grabat des voyageurs +dépourvus, des pauvres pèlerins, des porte-besace errant sur les routes. +L’hôpital étant passé aux Prémontrés, ces moines louèrent en 1411 une +salle aux <i>Confrères de la Passion</i> unis aux <i>Enfants sans Souci</i>. +<i>Confrères et Enfants sans Souci</i> donnaient des spectacles variés, +tantôt des <i>Mystères</i> où les grandes scènes de la vie du Christ, de la +Bible ou de la Vie des Saints s’entremêlaient d’épisodes comiques, +tantôt des <i>Farces, Sotties ou Moralités</i>, c’est-à-dire on le voit, le +drame, à grand spectacle même, et la comédie de mœurs, le vaudeville +burlesque déjà, dont les couplets satiriques, fort licencieux parfois, +touchaient à tout et à tous, aux événements et aux personnes en vue, +avec une liberté grande. Leurs représentations avaient tant de succès +que, pour certaines pièces, on dut quelquefois avancer dans les +paroisses l’heure des vêpres, afin de permettre aux gens et aux prêtres +eux-mêmes de s’en aller s’esjouir à la Trinité.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 380px;"> +<a href="images/illu-115.jpg"> +<img src="images/illu-115.jpg" width="380" height="335" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES QUINZE-VINGTS A LA PORTE SAINT-HONORÉ</p></div> +</div> + +<p>En 1548, pour y loger des orphelins, on retira leur salle aux Confrères +de la Passion et ceux-ci, ayant reçu en outre défense de jouer désormais +des pièces religieuses, s’en allèrent porter leur théâtre à l’hôtel de +Bourgogne sous la tour de Jean sans Peur.</p> + +<p>Le peuple désigne sous le nom d’<i>Enfants bleus</i> les enfants recueillis à +la Trinité à cause de la couleur de leur habillement, comme il appelle +<i>Enfants<span class="pagenum"><a name="page_94" id="page_94">{94}</a></span> rouges</i> les <i>orphelins</i> de l’hôpital fondé sous François Iᵉʳ +dans la rue Porte-Foin au Marais.</p> + +<p>Plus bas et du même côté de la rue Saint-Denis, dans le quartier de +l’Apport, Paris qu’assombrissent les tours du Grand Châtelet, un autre +hôpital, la <i>Maison-Dieu de Sainte-Catherine</i>, administrée par des +frères et des sœurs, loge les pèlerins et reçoit pendant trois jours les +femmes ou filles qui viennent à Paris chercher une condition.</p> + +<p>L’hôpital de la Trinité et l’hôpital Sainte-Catherine ont été supprimés +à la Révolution et tout vestige a disparu de leurs édifices ou +chapelles, comme a disparu aussi tout vestige de l’ancien hôpital du +Saint-Esprit, ce vieux voisin de la maison de ville, qui touchait à la +Maison aux Piliers et tomba au commencement du siècle pour +l’agrandissement de l’Hôtel de Ville.</p> + +<p>Le Saint-Esprit avait été fondé au <small>XIV</small>ᵉ siècle rue Geoffroy-l’Asnier et +transféré bientôt en place de Grève, où les confrères du Saint-Esprit +firent construire maison et chapelle mitoyennes avec l’hôtel de la +ville, l’antique Maison aux Piliers. Cet hôpital élevait cent vingt +orphelins, filles et garçons, dont les parents étaient morts à +l’Hôtel-Dieu.</p> + +<div class="figleft" style="width: 295px;"> +<a href="images/illu-116.jpg"> +<img src="images/illu-116.jpg" width="295" height="365" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES COCHONS DU PETIT SAINT-ANTOINE</p></div> +</div> + +<p>Une autre institution plus célèbre du moyen âge a survécu. C’est +l’hospice des Quinze-Vingts, fondation de saint Louis pour les pauvres +aveugles.</p> + +<p><i>Aussi li benoyez roi fist acheter une pièce de terre de lez +Saint-Ennouré où il fist fere grand mansion porce que les poures avugles +demorassent ileques perpetuelement jusques a trois cents; et ont touz +les anz de la borse du roi pour potages et pour autres choses +rentes...</i>»<span class="pagenum"><a name="page_95" id="page_95">{95}</a></span></p> + +<p>La maison des <i>Quinze-Vingts</i> au <i>Champ-Pourri</i>, tout près du Louvre, +était dans la campagne au temps de saint Louis, quand la première porte +Saint-Honoré s’ouvrait où se trouve aujourd’hui l’oratoire du Louvre. Au +<small>XIV</small>ᵉ siècle, l’enceinte d’Étienne Marcel a mis les Quinze-Vingts dans la +ville, derrière la seconde porte Saint-Honoré. Dans cet enclos du +Champ-Pourri assez vaste, des bâtiments divers entourent une petite +chapelle dédiée à saint Rémi. C’est à peu près l’emplacement du guichet +de l’Échelle, à l’entrée du Carrousel actuel; à côté sur la ligne de +notre cour du Carrousel, s’élèvent deux autres petites églises, +Saint-Nicaise et Saint-Thomas, entourées de leurs cimetières.</p> + +<p>Les rentes établies par saint Louis ne suffisent pas à l’entretien des +aveugles et de l’établissement des Quinze-Vingts; tous les matins les +aveugles sortent et s’en vont par troupes quêter leur pain dans la ville +et, se traînant les uns les autres, regagnent l’hospice quand la besace +est garnie des aumônes des Halles ou des rogatons des logis bourgeois.</p> + +<p>Jusqu’en 1780, les Quinze-Vingts sont restés là entre Louvre et +Tuileries. Le cardinal de Rohan, grand aumônier de France, l’homme de +l’affaire du Collier, les fit transférer au faubourg Saint-Antoine, dans +leur local actuel, alors caserne des Mousquetaires noirs. Leur nombre +fut porté à huit cents, mais les malheureux furent bien près d’être +forcés par la misère à reprendre la besace pour mendier comme jadis, les +spéculations et dilapidations du cardinal ayant à peu près ruiné +l’hospice; cela fit scandale alors et le règlement de la gestion des +biens des Quinze-Vingts fut très laborieux.</p> + +<div class="figright" style="width: 235px;"> +<a href="images/illu-117.jpg"> +<img src="images/illu-117.jpg" width="235" height="282" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES FRÈRES CORDONNIERS</p></div> +</div> + +<p>D’autres hôpitaux encore se rencontrent en divers quartiers: hôpital +Saint-Eustache, Saint-Jacques de l’Hôpital, le petit Saint-Antoine; ce +dernier, hospice fondé par Charles V, est affecté aux pauvres atteints +de ces maladies étranges qu’on appelait le feu Sacré, le feu +Saint-Antoine ou le mal des Ardents, espèce de peste qui régna +épidémiquement jusque vers la fin du <small>XV</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>L’hôpital des Ardents se distinguait par une particularité pittoresque; +il avait pour privilège spécial le droit de laisser vaguer par les rues, +cherchant leur nourri<span class="pagenum"><a name="page_96" id="page_96">{96}</a></span>ture aux tas d’ordures, des cochons portant la +marque du couvent et une clochette au cou. L’animal consacré à saint +Antoine errait dans le quartier en toute liberté, sans que nul s’en +offusquât ou cherchât à l’empêcher de rentrer au gîte une fois repu.</p> + +<p>Ce vieux Paris, qui abonde en pittoresque et en singularités, put +montrer pendant les deux derniers siècles une communauté très singulière +qui n’était pas un couvent, des frères qui n’étaient que des +demi-moines; c’était la communauté des frères cordonniers de +Saint-Crépin, établie en deux maisons, rue de la Grande-Truanderie et +rue Pavée-Saint-André. Les frères cordonniers ne faisaient pas de vœux +monastiques, ils ne portaient pas de froc, mais vivant en commun, ils +tiraient l’alène dévotement entre les offices et, il faut le croire, +confectionnaient, en l’honneur de leur patron, d’excellentes chaussures. +Le plan de Gomboust indique leur chapelle en cette rue +Pavée-Saint-André, dite aussi rue Pavée-d’Andouilles à cause de ses +éleveurs de porcs.</p> + +<p>A la même époque il y eut aussi des frères tailleurs vivant, priant et +travaillant en commun ainsi que les bons disciples de saint Crépin.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 299px;"> +<a href="images/illu-118.jpg"> +<img src="images/illu-118.jpg" width="299" height="238" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE COUVENT DU PETIT SAINT-ANTOINE</p></div> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 389px;"> +<a href="images/illu-119.jpg"> +<img src="images/illu-119.jpg" width="389" height="563" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>DERNIÈRE STATION AUX FILLES-DIEU DES CONDAMNÉS ALLANT A +MONTFAUCON</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_97" id="page_97">{97}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 356px;"> +<a href="images/illu-121-a.jpg"> +<img src="images/illu-121-a.jpg" width="356" height="271" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ÉCHOPPE DE NICOLAS FLAMEL, MAITRE ÉCRIVAIN ENLUMINEUR A +SAINT-JACQUES LA BOUCHERIE</p></div> +</div> + +<h3>III</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-121-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">UN PIGNON DE SAINT-MERRY +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>Les églises de la rive droite.—Paroisses royales de Saint-Germain +l’Auxerrois et Saint-Paul.—Au temps de la +Ligue.—Saint-Eustache.—La Jussienne.—Les paroissiens de +Saint-Jacques la Boucherie, écorcheurs et enlumineurs.—Les maisons +de Nicolas Flamel.—Saint-Merry.—Saint-Julien des Ménétriers.—La +loue des jongleurs, ménestrels et musiciens.—Saint-Gervais.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">S</span>I le Paris de la rive droite n’a pas de collèges, s’il a moins de +couvents que le Paris de la rive gauche, il possède par contre de +nombreuses églises.</p> + +<p>Il est peu de rues importantes qui ne se glorifient de plusieurs +clochers espacés, peu de voies secondaires qui ne possèdent au moins une +église, et il se trouve des édifices religieux jusque dans les quartiers +retirés, où mènent seulement des<span class="pagenum"><a name="page_98" id="page_98">{98}</a></span> ruelles détournées, et que l’étranger +non prévenu ne découvrirait pas. Presque toutes ces églises sont +entourées de leur cimetière ou bien, si l’espace leur a été marchandé, +elles enterrent leurs paroissiens à peu de distance, dans quelque +terrain bien enfermé de maisons.</p> + +<p>De même qu’il y a des églises de toutes les tailles, depuis la +majestueuse cathédrale jusqu’à l’humble petite chapelle, il est des +paroisses de toutes les grandeurs. Les unes étendent leur juridiction +religieuse sur tout un quartier, sur une immense agglomération de +maisons, les autres sur quelques rues ou ruelles. Quelques-unes doivent +se contenter de moins encore et la plus petite, Sainte-Marine dans la +Cité, n’a pour territoire qu’une vingtaine de maisons.</p> + +<p>Près les tours du Louvre et séparée seulement de la demeure royale par +l’hôtel de Bourbon, s’élève la plus ancienne des églises de la rive +droite, la plus glorieuse par ses souvenirs. L’église collégiale +Saint-Germain l’Auxerrois, paroisse royale, est née au temps des +Mérovingiens; fondée par Childebert, dit la tradition, elle s’appelait +alors Saint-Germain le Rond pour sa forme circulaire.</p> + +<p>Cette église primitive, les Normands en 886 la détruisirent et firent de +ses ruines le centre de leur camp retranché de ce côté de Paris, de même +qu’ils s’installèrent sur l’autre rive parmi les ruines de Saint-Germain +des Prés. Rebâtie par le roi Robert, l’église, pour n’être pas confondue +avec Saint-Germain le Vieux et Saint-Germain des Prés, fut appelée +Saint-Germain l’Auxerrois en souvenir du séjour à Paris de l’évêque +d’Auxerre.</p> + +<p>Dans la grande poussée de la période ogivale, on la reconstruisit +entièrement. La caractéristique de Saint-Germain l’Auxerrois, ce qui lui +donne cet aspect si pittoresque, ce bel agencement de lignes, c’est, en +avant-corps sous le grand pignon, un large porche du <small>XV</small>ᵉ siècle flanqué +de deux jolis pavillons à combles d’ardoises réunis par la terrasse à +balustrade qui couronne cinq grandes arcades de hauteurs et de formes +variées.</p> + +<p>La place en avant de ce porche, c’est le Cloître, non pas le préau à +arcades des monastères, mais un terrain appartenant à l’église, une +espèce de cour irrégulière, fermée de portes et entourée des maisons +habitées par les chanoines ou louées par le chapitre. Le porche et les +portes qu’il abrite, tout est sculpté, ciselé, fleuri, décoré de rangées +de figures sous les voussures, de statues sous des niches, de figurines +accrochées aux saillies.</p> + +<p>De chaque côté des portes centrales de ce porche, les deux pavillons à +comble ardoisé renferment chacun une belle chambre éclairée par des +fenêtres jumelles. Le trésor et les archives de l’église y sont gardés +dans de grandes armoires de chêne à panneaux sculptés. L’une de ces +chambres est encore intacte aujourd’hui dans ses dispositions anciennes +et dans son mobilier.</p> + +<p>Les années des troubles de la Ligue vont remplir cette place du cloître +des clameurs et du fracas de la guerre civile. Le signal d’ailleurs est +parti des clochers de l’église; le soir du 24 août, la reine Catherine, +toutes dispositions prises, et impatientée de ne rien entendre encore, +fit sonner la grosse cloche à laquelle répondit aussitôt celle du palais +de justice, jetant par leur grosse voix<span class="pagenum"><a name="page_99" id="page_99">{99}</a></span> l’ordre aux massacreurs de +commencer la besogne. Trois jours auparavant, Coligny, longeant le +cloître en sortant du Louvre pour regagner son hôtel de la rue de +Béthisy, avait reçu l’arquebusade de Maurevert, à l’affût dans une +maison de la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois.</p> + +<p>Aux journées des Barricades, en mai 1588, quand le roi essaie son coup +de force contre Guise et la Ligue, «en moins de rien, disent les +Mémoires de l’Estoile, chacun prend les armes, tend les chaînes et fait +barricade au coin des rues, l’artisan quitte ses outils, le marchand ses +trafics, l’Université ses livres, les procureurs leurs sacs, les avocats +leurs cornettes, les présidents et les conseillers mêmes mettent la main +aux hallebardes». Et tout de suite le quartier de +Saint-Germain-l’Auxerrois est soulevé et barricadé, sous la direction +d’un «coquin de tavernier, nommé Perrichon, qui depuis fut pendu par ses +compagnons». Les Ligueurs entassant barricades après barricades de ce +côté, bloquent le Louvre pendant que les soldats de Guise, avec une +troupe de sept à huit cents écoliers et quatre cents moines sortis de +tous les couvents, se préparent à marcher pour y forcer le roi.</p> + +<p>Mais les tumultes ont passé, les farouches prédicateurs de la Ligue se +sont tus, les pavés sont remis en place et les hallebardes aux +râteliers, le Béarnais au Louvre est le premier paroissien de +Saint-Germain. Il traverse quelquefois le cloître pour aller à la messe +ou pour voir la belle Gabrielle dans la maison dite du Doyenné occupée +par sa tante Mᵐᵉ de Sourdis,—une des maisons du cloître, où Gabrielle +reçut souvent le Vert-Galant, qu’elle comptait bien avant peu aller +rejoindre de l’autre côté de la rue du Louvre, comme épouse et reine. Ce +fut là aussi que Gabrielle, saisie d’un mal soudain après un repas chez +Zamet, se fit transporter mourante.</p> + +<p>Peu d’années après, Saint-Germain voit un autre cadavre lui arriver, ce +n’est plus une favorite, c’est un favori, celui de Marie de Médicis, +veuve d’Henri IV, Concini, le maréchal d’Ancre, maître détesté, dont +Luynes, Vitry et quelques conspirateurs débarrassent le jeune Louis +XIII, d’un coup de pistolet tiré sur le pont-levis du Louvre; on l’a +inhumé secrètement dans un caveau sous les orgues, mais la populace +avertie vint l’y déterrer, pour s’en aller le brûler sur le Pont-Neuf +devant la statue du bon roi.</p> + +<p>Saint-Germain, paroisse du Louvre, possédait les sépultures de nombreux +personnages de la cour, chanceliers, secrétaires d’État, grands +officiers de la couronne et aussi celles des artistes gratifiés par le +roi d’un logement dans les galeries du Louvre. On y voyait même la tombe +d’un fonctionnaire d’un autre ordre, d’un fou de Charles V auquel le roi +avait fait l’honneur d’une tombe de marbre noir sur laquelle était +couchée sa statue revêtue des insignes de sa charge et marotte en main.</p> + +<p>Dans ce quartier du Louvre, il y a Saint-Honoré, église collégiale +aussi, mais moins importante, enfermée au milieu de son carré de maisons +canoniales; Saint-Nicolas, proche la chapelle des +Bons-Enfants-Saint-Honoré, collège d’étudiants mendiants; Saint-Thomas, +entre le Louvre et la tour du Bois, autre petite collégiale dont la +voûte, s’écroulant en 1739, écrasa plusieurs chanoines...<span class="pagenum"><a name="page_100" id="page_100">{100}</a></span></p> + +<p>L’église Saint-Eustache n’est pas loin du Louvre non plus, mais elle +domine un quartier populaire, le très commerçant, très riche, et très +turbulent quartier des Halles.</p> + +<p>Simple chapelle au <small>XIII</small>ᵉ siècle, on la rebâtit en 1532, quand les +accroissements de population du quartier n’ont plus permis de se +contenter d’un aussi petit édifice. Entreprise sur des proportions +considérables, la nouvelle église Saint-Eustache ne devait pas se +terminer vite ou plutôt ne devait jamais s’achever, car son portail ne +l’est pas encore. La nef, très haute et très vaste, est d’un superbe +aspect, avec un caractère d’étrangeté due à l’alliance, sur un plan +gothique, des formes de l’art ogival et de l’art de la Renaissance, +constituant un ensemble d’une grande élégance et d’une extrême légèreté +aussi, par la délicatesse des colonnes et colonnettes superposées et +poussées audacieusement à une prodigieuse hauteur.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 301px;"> +<a href="images/illu-124.jpg"> +<img src="images/illu-124.jpg" width="301" height="236" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CHAMBRE AU-DESSUS DU PORCHE DE SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS</p></div> +</div> + +<p>Au dehors, c’est le même mélange des deux styles fusionnés produisant +néanmoins un bon ensemble, avec des détails remarquables comme le très +élégant portail latéral sud, qui fait face aux Halles.</p> + +<p>Les guerres civiles, qui vinrent interrompre les travaux, n’ont pas +permis d’achever l’œuvre et de donner à l’église un frontispice digne +d’elle. Le grand portail abandonné fut repris plus tard, et épaissi et +abîmé par de lourdes superpositions de colonnes, une sorte d’emplâtre +très laid qui déshonore un remarquable édifice.</p> + +<p>Non loin de Saint-Eustache, l’église des Saints-Innocents est de l’autre +côté des Halles, bâtie à l’un des angles du plus grand champ funéraire +de Paris, du<span class="pagenum"><a name="page_101" id="page_101">{101}</a></span> fameux cimetière où la nuit brûle la lampe des morts, un +fanal allumé sur un édicule, parmi des monuments nombreux. Coin sinistre +du vieux Paris, sur lequel planent de macabres légendes, ce sont les +grandes Halles de la Mort, très étrange réunion, à côté des Halles de la +Vie, des immenses charniers dont les galeries abritent, à +rez-de-chaussée, des boutiques vendant de menus articles de modes, et +fort bien achalandées, au-dessus desquelles s’empilent et s’entassent +les ossements exhumés d’un cimetière à la terre dévorante, sans cesse +approvisionné par la mort, comme les divers marchés d’à côté sont, par +l’incessante production de la terre, approvisionnés pour la vie.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 378px;"> +<a href="images/illu-125.jpg"> +<img src="images/illu-125.jpg" width="378" height="368" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE CLOITRE SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS A LA JOURNÉE DES +BARRICADES</p></div> +</div> + +<p>Sainte-Marie l’Égyptienne, dite par corruption la Jussienne, est une +simple chapelle de la «<i>grant rue Montmartre</i>» au coin de la rue de la +Jussienne, tout<span class="pagenum"><a name="page_102" id="page_102">{102}</a></span> proche le rempart; sainte Marie l’Égyptienne, sous +l’invocation de laquelle se trouve l’édifice, fut une pécheresse +repentie qui se retira au désert. L’abbé Le Bœuf pense, d’après quelques +vieux documents, que l’origine de cette chapelle vient d’une Égyptienne +ou bohémienne qui, lasse d’une vie de désordres, se serait retirée ici +dans un reclusoir.</p> + +<p>Cette chapelle est ornée de verrières illustrant naïvement la vie de la +sainte, même en ses moments scabreux avant la conversion, comme ce +vitrail qui montre Marie l’Égyptienne passant une rivière et offrant, +faute d’argent, son corps au batelier pour payer le passage.</p> + +<p>Gagnons plus loin la «<i>grant rue Saint-Denis</i>»; ici les passants ne +peuvent faire cent pas le long des maisons serrées, sous les auvents et +les enseignes des marchands, sans rencontrer quelque édifice religieux, +pignon d’hôpital ou portail d’église.</p> + +<p>Avant le commencement de la rue, au débouché du pont aux Meuniers sous +le Châtelet, se trouve déjà Saint-Leufroy, chapelle du Châtelet, petite +chapelle sans importance qui fut démolie sous Louis XIV pour +l’agrandissement des prisons. Après la voûte noire du Châtelet, commence +la rue Saint-Denis. A l’Apport-Paris, petit marché étranglé par les +maisons, devant la grande boucherie du Châtelet, tout de suite après les +étaux de la grande boucherie, on rencontre à droite l’hôpital +Sainte-Catherine et en face, à gauche, l’église Sainte-Opportune fondée +en l’honneur des reliques de sainte Opportune apportées du diocèse de +Séez à Paris, pour les mettre à l’abri des Normands, et que Paris ne +voulut pas rendre.</p> + +<p>Plus haut dans la rue, presque en face les Innocents, se montre le grand +pignon de l’église du Saint-Sépulcre; cette collégiale, fondée au <small>XIV</small>ᵉ +siècle à l’occasion d’un hôpital pour les pèlerins du saint Sépulcre de +Terre Sainte, est l’église de nombreuses confréries qui possèdent de +gros revenus et pourvoient largement aux magnificences des cérémonies et +à l’embellissement des chapelles, mais sont cause aussi de nombreux +différends entre les administrateurs de la confrérie du Saint-Sépulcre +et les chanoines,—querelles scandaleuses où les torts étaient souvent +des deux côtés et qui amenèrent en 1582 un arrêté du chapitre de +Notre-Dame, rapporté par M. H. Cocheris, où se lisent entre autres les +articles suivants donnant quelque idée des désordres survenus:</p> + +<p>«... Les maisons et eschoppes appartenantes à l’église du Sépulchre et +proches d’icelle ne seront louées à l’advenir à des ouvriers desquels le +travail se faict avec grand bruit qui empêche la célébration de l’office +divin.</p> + +<p>«Les chanoines, clercs et officiers sont advertis d’estre habillés +honnestement de longues soutanes ou robbes à l’église, et allant à la +ville ils porteront la soutane et le manteau long et deffences d’aller +en habits cours et de couleur, aultres que celles dont les +ecclésiastiques modestes usent ordinairement. Comme aussi de porter des +habits fendus sur la chemise, déccouppés ou chamarrez.</p> + +<p>«Les chanoines n’iront aux cabarets, ni aux jeux publicqs de boulles ou +aultres semblables.<span class="pagenum"><a name="page_103" id="page_103">{103}</a></span></p> + +<p>«Toutes les servantes qui sont maintenant demeurantes avec les chanoines +sortiront de leurs maisons... etc.»</p> + +<p>L’église Saint-Leu et Saint-Gilles se présente ensuite à peu de maisons +au-dessus du Sépulcre, puis c’est Saint-Jacques de l’Hôpital en face, +chapelle de l’hôpital des pèlerins de Saint-Jacques, qui possède en son +trésor d’admirables reliquaires, ensuite c’est Saint-Sauveur en face de +la Trinité.</p> + +<p>A Saint-Leu que le boulevard de Sébastopol, poussé inflexiblement en +ligne droite, a amputé d’une partie de son abside, il ne faut point +oublier le tour de force exécuté en 1727 par un maître charpentier nommé +Guérin, qui, la tour du Nord menaçant ruine, transporta tout simplement +le clocher avec la charpente et les cloches, de cette tour sur celle du +Sud en franchissant une distance de huit mètres.</p> + +<p>Dans le labyrinthe des ruelles tournant sur les côtés du Grand Châtelet, +par-dessus les toits serrés contre les chapelles, s’élève la haute tour +de Saint-Jacques la Boucherie, commencée sous Louis XII, en 1508, pour +compléter l’église déjà vieille alors de quelques siècles, mais qui +allait s’agrandissant et s’embellissant, au fur et à mesure que +croissaient la population du quartier et la richesse de cette +population. Quartier des bouchers, écorcheurs, corroyeurs et pelletiers, +des gros commerçants que la boucherie fait très riches et qui ont avec +l’argent l’influence, comme ils le montrent lors des grandes commotions +populaires des <i>XIV</i>ᵉ et <small>XV</small>ᵉ siècles; les maîtres des étaux de la grande +Boucherie sont les seigneurs de la foule aux bras musculeux et rouges +maniant la masse et le couteau dans les tueries et triperies, des rudes +ouvriers écorcheurs et assommeurs de bœufs qui, dans les séditions sous +Charles VI, saignèrent et assommèrent dans les prisons et par la ville +tous ceux qui paraissaient Armagnacs et qui tinrent Paris épouvanté sous +le couteau de leur chef Caboche.</p> + +<p>Bien heureusement il n’y a pas que ces rudes métiers dans le quartier, +il n’y a pas que des écorcheurs parmi les paroissiens de Saint-Jacques. +Sur le côté nord de l’église court une ruelle dite des <i>Écrivains</i>; là, +entre les contreforts, s’appuient de petites échoppes pour des +travailleurs paisibles et doux, pour les bons calligraphes et +enlumineurs, qui calligraphient des missels et les décorent de grandes +lettres ornées, peintes et dorées, de belles miniatures représentant les +personnages des scènes de l’Écriture ou de la légende des saints, en +costumes de seigneurs et de nobles dames ou de chevaliers de leur temps.</p> + +<p>L’un de ces écrivains a pour clientèle les plus riches bourgeois, les +princes, le roi Charles V lui-même qui lui a fait exécuter une superbe +Bible. Il s’appelle maistre Nicolas Flamel, c’est un homme de haut +talent et de grande réputation, époux de dame Pernelle, bonne et sage +bourgeoise. Son échoppe, au vitrage de laquelle on peut voir exposés +quelques échantillons de son talent, est une des premières en entrant à +main droite dans la rue des Écrivains, sous l’enseigne de la Fleur de +Lys. La maison qu’il habite est en face de l’échoppe à l’angle de la rue +Malivault.</p> + +<p>Maître Flamel a pignon sur rue, et même pignons sur plusieurs rues, car +on lui connaît rue de Montmorency une grande maison, dite la maison <i>du +grand<span class="pagenum"><a name="page_104" id="page_104">{104}</a></span> pignon</i>, qu’il a fait bâtir de ses économies, maison de rapport +comme on dit maintenant, dans laquelle il a réservé en haut quelques +logements donnés pour</p> + +<div class="figcenter" style="width: 273px;"> +<a href="images/illu-128.jpg"> +<img src="images/illu-128.jpg" width="273" height="464" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ÉGLISE SAINT-LEU-SAINT-GILLES, RUE SAINT-DENIS</p></div> +</div> + +<p class="nind">rien ou loués à bas prix à de pauvres artisans, ainsi qu’en témoigne +l’inscription gravée sur la poutre au-dessus des boutiques, sous un +grand bas-relief représen<span class="pagenum"><a name="page_105" id="page_105">{105}</a></span>tant, au milieu, Dieu le Père avec son Fils en +croix, et de chaque côté diverses figures parmi lesquelles Nicolas +Flamel et dame Pernelle:</p> + +<p>«<i>Nous homes et femes laboureurs damourant au porche de cette maison qui +fust batie en l’an de grâce mil quatre cens et sept, somes tenus chascun +en droit soy dire tous les jours une patenôtre et I Ave Maria en priant +Dieu q. sa grace face pardo. aux poures pescheurs tréspassez-Amen.</i>»</p> + +<p>Cette maison de Flamel existe encore aujourd’hui au nº 45 de la rue de +Montmorency, mais l’aspect de sa façade a été totalement changé, seule +l’inscription sur la poutre au-dessus des boutiques se lit toujours et +perpétue ce naïf souvenir du bon enlumineur. Quant à sa demeure près de +l’église Saint-Jacques, la rue de Rivoli passe sur son emplacement.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 371px;"> +<a href="images/illu-129.jpg"> +<img src="images/illu-129.jpg" width="371" height="531" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA TOUR SAINT-JACQUES, 1830</p></div> +</div> + +<p>Le riche Nicolas Flamel a consacré une<span class="pagenum"><a name="page_106" id="page_106">{106}</a></span> forte somme à faire établir à +l’église Saint-Jacques la Boucherie, en face de sa maison de la rue des +Écrivains, un petit portail sculpté dans le tympan duquel le sculpteur +l’a représenté agenouillé avec sa femme aux pieds de la Vierge Marie. +Notable paroissien et bienfaiteur de l’église, il y eut sa dalle +tumulaire représentant son cadavre étendu avec cette inscription:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">De terre suis venus et en terre retorne<br /></span> +<span class="i0">L’âme rens à toi IHS qui les péchés pardonne.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Flamel fut de son vivant une figure populaire; il était considéré +presque comme un alchimiste à cause de sa science, et aussi de sa +fortune que les bonnes gens du quartier grossissaient considérablement, +et il devint après sa mort bien vite légendaire. Pour expliquer ses +bonnes œuvres et toutes les largesses qu’il faisait aux églises et aux +hôpitaux, on racontait qu’il avait trouvé la pierre philosophale, sans +songer que le diable se fût montré bien niais de favoriser un si fervent +chrétien. On ajoutait que Satanas lui avait vendu le secret de la longue +vie, que cette tombe devant laquelle on passait chaque dimanche en se +signant ne renfermait aucune dépouille humaine, et que maître Flamel et +dame Pernelle continuaient leur alchimie quelque part au pays d’Orient. +La légende traversa les âges. Et longtemps il fut tenu pour certain que +la maison de la rue des Écrivains gardait quelque part, en une cachette +bien dissimulée, une partie des trésors amassés par l’alchimiste. +Plusieurs fois on fit des fouilles dans ce logis que Flamel avait légué +à la paroisse. Au siècle dernier encore, un particulier se disant en +quête de bonnes œuvres à accomplir, offrit à la paroisse de réparer à +ses frais la maison affaissée par l’âge; la paroisse ayant accepté, le +bienfaisant inconnu s’installa avec ses maçons, fouilla, creusa, +démolit, puis, ne trouvant aucun trésor, disparut sans payer personne.</p> + +<p>On travailla pendant tout le <small>XV</small>ᵉ siècle à l’église Saint-Jacques +agrandie et modifiée, le portail fut refait vers 1492, et en 1508 +commencèrent les travaux de la grosse tour destinée à remplacer le petit +clocher du temps de Flamel. Elle s’éleva et s’acheva en quatorze années, +majestueuse et dernière efflorescence du style gothique, sur laquelle le +tailleur d’ymaiges Rault campa une figure colossale de saint Jacques, +accompagnée, aux angles de la tour, des quatre figures symboliques des +Évangélistes, l’aigle, le lion, l’ange et le bœuf regardant au-dessous +d’eux bouillonner Paris.</p> + +<p>Il ne faut pas oublier qu’au <small>XIII</small>ᵉ siècle les chirurgiens se +réunissaient dans l’église Saint-Jacques la Boucherie et que les maîtres +avaient même obtenu l’autorisation d’y faire leurs cours, ce qui place, +on peut le dire, sauf le respect dû à la science, le berceau de la +chirurgie chez messieurs les bouchers.</p> + +<p>La <i>grant rue Saint-Martin</i>, où la foule des passants et des chalands se +pressant aux boutiques n’est pas moins serrée que dans la rue +Saint-Denis, possède dans sa partie basse Saint-Merry ou Médéric, et +Saint-Julien des Ménétriers. C’est une très ancienne église que +Saint-Merry, on en fait remonter la fondation au <small>VII</small>ᵉ siècle; alors elle +était une simple chapelle dédiée à saint Pierre où, vers<span class="pagenum"><a name="page_107" id="page_107">{107}</a></span> l’an 700, vint +mourir saintement un moine nommé Merry. Saint Pierre céda la place à +saint Merry, la chapelle fut rebâtie et agrandie par un des vaillants +défenseurs de Paris au grand siège des Normands, nommé Odon le +Fauconnier, qui reçut à sa mort la sépulture dans l’église.</p> + +<p>Sous François Iᵉʳ, en même temps que se termine la tour Saint-Jacques, +on reconstruit l’église Saint-Merry et l’on couvre d’une riche broderie +gothique le grand portail du milieu de la façade, les deux petites +portes voisines et les façades latérales, portails du transept, pignons +de chapelles, fenêtres flamboyantes, contreforts à pinacles. Décoration +très fouillée qui se trouve par malheur aux trois quarts perdue et +cachée sous le grand presbytère du côté sud, sous les petites maisons +appliquées contre les murailles, incrustées pour ainsi dire dans tous +les creux extérieurs de l’édifice et enveloppant complètement l’abside.</p> + +<p>La tour seule, terminée au <small>XVII</small>ᵉ siècle, est sacrifiée, ses étages +supérieurs sont sans décoration, flanqués de froids pilastres grecs. +L’intérieur de l’église a reçu la même riche ornementation, nervures +fouillées, frisées, clefs pendantes; aux fenêtres découpées en meneaux +délicats et variés, brillent de superbes vitraux. Sous la nef, il reste +de l’ancienne église la crypte de Saint-Merry, marquant l’endroit où fut +le tombeau du saint, belle chapelle souterraine dont la voûte à nervures +repose sur des colonnes trapues.</p> + +<div class="figright" style="width: 188px;"> +<a href="images/illu-131.jpg"> +<img src="images/illu-131.jpg" width="188" height="365" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>IMPASSE DE LA PORTE AUX PEINTRES, RUE SAINT-DENIS (1830)</p> + +<p>ANCIENNE PORTE SAINT-DENIS DE L’ENCEINTE DE PHILIPPE-AUGUSTE</p></div> +</div> + +<p>Un peu plus haut que Saint-Merry, à l’angle de la rue de <i>la Cour du +More</i>, presque en face de la rue aux Ours, s’élève le pignon de +Saint-Julien des Ménétriers, attenant à un hôpital de la confrérie des +jongleurs et ménétriers. Du Breul, bénédictin de Saint-Germain des Prés, +dans son <i>Théâtre des antiquités de Paris</i>, rapporte ainsi l’histoire +touchante de sa fondation:</p> + +<p>«En l’an de grâce 1328, le mardy durant la saincte Croix en Septembre, +il y avoit en la rue de Saint-Martin-des-Champs, deux compagnons +menestriers qui<span class="pagenum"><a name="page_108" id="page_108">{108}</a></span> s’entr’aymoient et estoient toujours ensemble. Si +estoit l’un de Lombardie et avait nom Jacque Grare de Pistoie, autrement +dit Lappe; l’autre estoit de Lorraine et avoit nom Huet, le guette du +Palais du Roy. Or advint que le jour susdit après disner, ces deux +compagnons estant assis sur le siège de la maison dudit Lappe et parlans +de leur besongne, virent de l’autre part de la voye, une pauvre femme +appelée Fleurie de Chartres laquelle estoit en une petite charrette et +n’en bougeait jour et nuict, comme entreprinse d’une partie de ses +membres, et là, vivait des aumosnes des bonnes gens. Ces deux, esmeus de +pitié, s’enquerrent à qui appartenoit la place, desirans l’achepter et y +bastir quelque petit hospital. Et après avoir entendu que c’estoit à +l’abbesse de Montmartre, ils l’allèrent trouver et pour le faire court, +elle leur quitta le lieu à perpétuité, à la charge de payer par chascun +an cent solz de rente et huict livres d’amendement dedans six ans +seulement et sur ce, leur fit expédier lettres, en octobre, le Dimanche +devant la Sainct Denys 1330. Le lendemain les dits Lappe et Huet +prinrent possession dudit lieu et pour la memoire et souvenir firent +festin à leurs amys.»</p> + +<p>«.... Les jongleurs, menestriers et maistres en l’art de menestrandrie +dependant de la science et art de musique qui lors étaient demourans en +ceste ville de Paris» se joignirent à leurs deux charitables confrères, +et, agrandissant leurs plans, résolurent de construire sur le terrain +acquis un hôpital pour héberger les pauvres «en l’honneur et revérence +de Dieu, de Notre Dame, de saint Julien du Mans et de saint Genest».</p> + +<p>L’hôpital avec sa chapelle se construisit rapidement. Le portail de +cette chapelle sur la rue Saint-Martin encadre dans sa grande ogive +toute une légion de petits anges accrochés à la voussure et jouant de la +harpe, de la viole, du rebec et autres instruments. A droite du portail +est la statue de saint Genest, comédien romain et martyr, que les +jongleurs ont pris pour patron, à gauche saint Julien l’Hospitalier, le +saint à la légende terrible, patron de l’église Saint-Julien de la rive +gauche.</p> + +<p>Voyez à certaines heures devant ce portail ces groupes aux allures +pittoresques, ces gens costumés de façons bizarres ou porteurs +d’instruments de musique. Ce sont jongleurs, ménestrels, chanteurs, +musiciens qui attendent ici qu’on vienne les louer pour les cérémonies, +banquets, noces et fêtes quelconques. Ils ont le siège de leur +corporation un peu plus bas que l’église dans la rue des Jongleurs, dite +plus tard des Ménétriers.</p> + +<p>Voulez-vous, honorable bourgeois, quelques bons joueurs d’instruments, +viole, mandoline, flûte et hautbois, pour faire danser vos invités aux +noces de votre fille? Vous, digne majordome, cherchez-vous bons diseurs +de vers ou farceurs joyeux pour une fête au manoir de votre maître, pour +l’ébattement des convives en un banquet de fête? Vous trouverez ici +votre affaire. Êtes-vous chargés de recruter un corps de musique pour +une cérémonie publique, désirez-vous bons sonneurs d’instruments à +placer sur les échafauds enguirlandés pour quelque entrée solennelle de +prince, quelque belle procession? Vous avez le choix, vous trouvez ici +gens capables de faire partie des Maîtres violons du roi, attachés à<span class="pagenum"><a name="page_109" id="page_109">{109}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 371px;"> +<a href="images/illu-133.jpg"> +<img src="images/illu-133.jpg" width="371" height="576" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉGLISE SAINT-JULIEN DES MÉNÉTRIERS, RUE SAINT-MARTIN</p> + +<p>LA LOUÉE DES MUSICIENS</p></div> +</div> + +<p class="nind">sa cour en l’hôtel Saint-Paul ou au Louvre; demandez au Roi des +ménétriers, Prévôt de Saint-Julien, grand chef élu de la corporation des +jongleurs, jongleresses et ménétriers, qui dirige toutes les affaires de +la corporation, fait observer ses règlements et<span class="pagenum"><a name="page_110" id="page_110">{110}</a></span> interdit à quiconque +n’est point reçu confrère de Saint-Julien de venir en la place proposer +au public des talents non reconnus.</p> + +<p>Jusqu’à la fin du <small>XIII</small>ᵉ siècle, qui marque aussi la fin des corporations +et la fin de la chapelle, se maintient l’usage établi de la louée des +musiciens sous le portail de Saint-Julien et l’église reste affectée à +la corporation, demeure même sa propriété, laquelle propriété, par suite +des transformations de la corporation, se disputent à coups de procès la +communauté des joueurs d’instruments et l’Académie de Danse, ancienne +communauté des maîtres à danser.</p> + +<p>Derrière la Maison aux piliers, l’Hôtel de Ville, il y a Saint-Gervais, +notable église, et Saint-Jehan de Grève. L’église Saint-Jehan est trop +voisine de cette maison de ville toujours grandissante, le futur palais +du peuple la couvre de son ombre et finira un jour par l’absorber. En +attendant, sous les tours de Saint-Jean se cache un quartier assez mal +famé qui est à la fois une juiverie et une cour des miracles où grouille +une population guenilleuse vivant de diverses industries équivoques, de +mendicité quand ce n’est de rapines, et logeant en des masures délabrées +adossées à la vieille tour Petaudiable, ancien hôtel Saint-Mesme, +ancienne propriété des Templiers qui tenait elle-même la place d’une +ancienne pierre druidique. Jean Gerson, le grand théologien, chanoine de +Notre-Dame, était curé de Saint-Jean aux temps troublés du <small>XIV</small>ᵉ siècle. +Il faillit un jour être massacré par les féroces bouchers de Caboche et +ne trouva son salut qu’en se cachant dans les grands combles de +Notre-Dame.</p> + +<p>A l’église Saint-Jean en Grève, à la fin du <small>XIII</small>ᵉ siècle, se disait +chaque année la <i>Messe de la pie</i>, en souvenir de la fameuse affaire de +la <i>Pie voleuse</i> et de la pauvre servante pendue pour le vol de dix +couverts d’argent, que l’on retrouva plus tard cachés sous les tuiles du +toit dans le nid de la pie.</p> + +<p>Saint-Gervais est une église plus ancienne, puisque Saint-Jean n’en fut +d’abord que la chapelle baptismale, érigée plus tard en paroisse. Dès le +<small>VI</small>ᵉ siècle, il y avait déjà là un édifice religieux, un oratoire devenu +église, agrandie et reconstruite au <small>XII</small>ᵉ siècle. Une complète +reconstruction en fut faite encore vers la fin du <small>XV</small>ᵉ siècle dans le +style flamboyant, œuvre superbe où l’on va admirer la grande clef +pendante de la chapelle de la Vierge, qui suspend aux nervures de la +voûte une délicate couronne de pierre ciselée.</p> + +<p>«Bonnes gens plaise vous savoir que ceste présente église de +messeigneurs saint Gervais et saint Prothais fut dédiée le dimanche +devant la feste de Saint-Simon et Saint-Jude l’an mil quatre cens et +vingt...» dit une inscription encastrée dans le mur du bas côté gauche, +et probablement antérieure à la dernière reconstruction.</p> + +<p>Saint-Gervais, déjà illuminé par de magnifiques vitraux de Pinaigrier et +par d’autres verrières non moins belles des <small>XV</small>ᵉ, <small>XVI</small>ᵉ et <small>XVII</small>ᵉ siècles, +peut se décorer aux grands jours de superbes tapisseries de haute lisse, +en plusieurs suites sur l’Histoire Sainte, l’histoire des Sibylles, +l’histoire d’Hector, représentant une longueur de plus de 540 mètres. +Des nombreux tombeaux de jadis, il ne reste à Saint-Gervais que celui du +ministre de Louis XIV Le Tellier, représenté à demi couché<span class="pagenum"><a name="page_111" id="page_111">{111}</a></span> sur un +sarcophage de marbre porté sur deux énormes têtes de vieillards et +accompagné de figures allégoriques.</p> + +<p>Au commencement du <small>XVII</small>ᵉ siècle, à la place de son portail gothique, +l’architecte Jacques de Brosse lui plaqua, comme un masque sur la +figure, ce portail où les colonnes doriques, ioniques et corinthiennes +se superposent pompeusement, déguisement sans aucun rapport avec +l’intérieur. Et l’on considéra ce placage comme une merveille, comme le +seul portail de Paris digne d’être admiré, bien autrement beau que la +façade barbare de Notre-Dame, et Voltaire, dédaignant l’église gothique, +en dit dans le <i>Temple du goût</i>: «le portail de Saint-Gervais, +chef-d’œuvre auquel il manque une église...»</p> + +<p>En sortant du cimetière Saint-Gervais bordé de maisons, nous tombons à +la place Baudet ou Baudoyer, marquant au pied du <i>monceau +Saint-Gervais</i>, la place d’une porte de l’enceinte attribuée au règne de +Louis VI, qui enveloppait le faubourg de la rive droite de la Seine et +fut reportée plus loin par Philippe-Auguste.</p> + +<p>La deuxième porte Baudoyer coupe la grand’rue Saint-Antoine par le +milieu; dans cette deuxième moitié de la rue que termine la sévère masse +grise des tours de la Bastille bouchant l’horizon, à côté des hôtels +divers formant l’ancien hôtel Saint-Paul, en face de l’hôtel des +Tournelles, se montre la tour, flanquée d’une haute tourelle d’escalier, +de l’église Saint-Paul, paroisse royale, quand les rois et les princes +étaient voisins et qui garda son importance tant que la noblesse et la +haute magistrature restèrent fidèles au quartier.</p> + +<p>La façade n’a rien de très remarquable, car Saint-Paul, primitivement, +n’était qu’une église de faubourg; le faubourg s’étant embelli, étant +devenu séjour royal, l’église y a gagné, avec des paroissiens de +qualité, une plus riche ornementation à l’intérieur, des verrières, des +tombeaux et des monuments nombreux. Comme les rois habitant l’hôtel +Saint-Paul y faisaient baptiser les enfants de France, un curé de +Saint-Paul changea l’ancienne cuve baptismale, trop modeste pour d’aussi +puissants paroissiens, contre des fonts plus riches, et les anciens +fonts où Charles V et Charles VI avaient été faits chrétiens, furent +recueillis par le seigneur de Médan près Poissy, pour l’église de sa +seigneurie.</p> + +<p>Les vitraux de Saint-Paul à personnages du <small>XV</small>ᵉ siècle étaient +magnifiques. Dans la plus remarquable de ces étincelantes verrières +figuraient quatre panneaux curieux. Les deux premiers représentaient +Moïse et David armés, avec cette légende:—Nous avons défendu la Loy. Le +troisième montrait un chevalier croisé, Godefroy de Bouillon, s’appuyant +sur son épée avec cette inscription:—Et moi la foy.</p> + +<p>Dans le quatrième enfin, le plus précieux, car c’était une +représentation contemporaine de la grande Lorraine, se voyait Jehanne la +Pucelle l’épée à la main, et la légende au-dessous achevait:—Et moi le +roy.</p> + +<p>Parmi les inscriptions curieuses de nombreuses pierres tombales de +l’église Saint-Paul, l’abbé Le Bœuf rapporte celle-ci:</p> + +<p>«Cy-devant gist Denisette la Bertichière, femme Husson la Bertichière, +Gardehuche de l’Echanssonnerie du Roy et lavandière de corps du Roy +nostre Sire:<span class="pagenum"><a name="page_112" id="page_112">{112}</a></span> Laquelle décéda le jeudi <small>XXVI</small> du mois d’octobre de l’an +MCCCCLI. Priez Dieu qu’il ait l’âme d’elle.»</p> + +<div class="figcenter" style="width: 267px;"> +<a href="images/illu-136.jpg"> +<img src="images/illu-136.jpg" width="267" height="342" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE, RUE SAINT-DENIS</p></div> +</div> + +<p>M. H. Cocheris, continuateur du savant chanoine, parmi d’innombrables +épitaphes de gentilshommes, de fonctionnaires de la cour, conseillers du +roy, magistrats, etc., en donne une autre du <small>XVI</small>ᵉ siècle non moins +curieuse. C’est celle de Pierre de Cambray, seigneur de la Fosse +Sandarville, tué à la bataille de Saint-Denis en 1567.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Le dixième jour de novembre,<br /></span> +<span class="i0">L’esprit du corps luy fallut rendre<br /></span> +<span class="i0">Et ce fut le jour d’un lundy<br /></span> +<span class="i0">Entre Paris et le Landy<br /></span> +<span class="i0">En débattant la querelle<br /></span> +<span class="i0">De Jésus-Christ et ses fidelles,<br /></span> +<span class="i0">Estant au combat<br /></span> +<span class="i0">Sous la charge du seigneur et comte de Brissac,<br /></span> +</div></div> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 377px;"> +<a href="images/illu-137.jpg"> +<img src="images/illu-137.jpg" width="377" height="550" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p><span class="pagenum"><a name="page_113" id="page_113">{113}</a></span> LA SAINT-BARTHÉLEMY</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +</div> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">De son cheval rué par terre.<br /></span> +<span class="i0">Par ses amis retourné querre<br /></span> +<span class="i0">Pour che Céans inhumez<br /></span> +<span class="i0">Priez Dieu pour les trépassés.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 363px;"> +<a href="images/illu-139.jpg"> +<img src="images/illu-139.jpg" width="363" height="491" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ÉGLISE SAINT-PAUL</p></div> +</div> + +<p>Sous les voûtes de Saint-Paul quand les mignons de Henri III moururent +dans le fameux combat des Tournelles, le roi fit enterrer avec pompe +Quélus, Maugiron et avec eux Saint-Mesgrin, attaqué en sortant du Louvre +par vingt ou trente cavaliers appostés par les Guise, qui le laissèrent +criblé de coups d’épée,<span class="pagenum"><a name="page_114" id="page_114">{114}</a></span> de dague et de pistolet. Il leur éleva un +monument décoré par le ciseau de Germain Pilon, œuvre superbe qui n’orna +pas longtemps l’église, car, bien peu d’années après, en 1588, la rue +étant toute aux Guises et à la Ligue, la populace pensa venger le +meurtre de Blois en détruisant ce mausolée des Mignons. Le meurtre et la +violence étaient tellement entrés dans les habitudes à cette époque de +sang, dans cette cour de bretteurs, que pendant les obsèques de +Saint-Mesgrin, sur la place de Saint-Paul, le seigneur de Grammont, pour +une futile querelle, tua un autre gentilhomme, lieutenant de sa +compagnie.</p> + +<p>Dans le cimetière séparant l’église des hôtels royaux, fut inhumé +l’homme qui, dans ce <small>XVI</small>ᵉ siècle si bouleversé, apparaît comme la +personnification de la bonne et franche humeur gauloise, d’un esprit de +philosophie «<i>confite en mépris des choses fortuites</i>», maître François +Rabelais, ayant vécu en toute sagesse, puisque la suprême sagesse est de +s’efforcer de tirer des circonstances tout le bien qu’elles sont +susceptibles de contenir, et puisque aussi «<i>mieux est de ris que de +larmes écrire</i>». Ayant quitté sa cure de Meudon, maître François s’en +vint vivre quelque temps sur la paroisse Saint-Paul, rue des +Jardins-Saint-Paul, dans une maison dont la place est inconnue, où très +chrétiennement il passa de vie à trépas en avril 1553. On l’enterra dans +le cimetière Saint-Paul sous un grand arbre que l’on conserva longtemps +en mémoire de lui, à défaut d’un de ces somptueux mausolées qui sont +faits pour les grands de ce monde, de qui le souvenir disparaîtrait si +vite et si complètement sans cela, aussitôt l’âme exhalée,—monuments +que la première Révolution survenant s’empresse de mettre en pièces.</p> + +<p>Tout à côté de la dépouille de Rabelais, le cimetière Saint-Paul donnait +le suprême <i>in pace</i> aux prisonniers de la Bastille, échappés à la +prison par la mort. Ainsi cette terre a dévoré le secret de l’homme au +Masque de Fer, mort en 1703. Qu’il fût le diplomate Marchiali, ou +Fouquet, ou le fils d’Anne d’Autriche et de Mazarin, ou le frère jumeau +de Louis XIV ou tout autre, son destin misérable s’est achevé ici, et il +repose aujourd’hui sous un lavoir installé sur l’emplacement du +cimetière.</p> + +<p>Dans le passage Saint-Pierre une partie des charniers survit à la +disparition de l’église et du cimetière; convertis en logements, et même +en synagogue fort pauvre pour les juifs, en nombre dans ce quartier, +venus d’outre-Rhin ou d’outre-Vistule, les vieux charniers résonnent au +bruit réaliste des battoirs et des caquets des blanchisseuses, +absolument ignorantes de tout ce qui faisait encore il y a cent ans la +vieille gloire du quartier.</p> + +<p>Le passage conduisant aux charniers longeait le côté sud de l’église; +sur le côté nord se trouvait une prison, l’ancienne Grange-Saint-Éloi, +vaste bâtiment appartenant au monastère de Saint-Éloi dans la Cité, dans +lequel, en juin 1418, Paris livré par Perrinet le Clerc, étant retombé +aux mains du parti bourguignon, on entassa, comme en beaucoup d’autres +lieux, des prisonniers du parti Armagnac, seigneurs, bourgeois et +prêtres. Comme en tant d’autres prisons aussi, les malheureux y furent +massacrés sans pitié.</p> + +<p>«... Lors se leva la déesse Discorde, qui estoit à la tour de +Mauconseil, et<span class="pagenum"><a name="page_115" id="page_115">{115}</a></span> esveilla Ire la forcenée, et Convoitise, et Enragerie, +et Vengeance, et prindrent armes de toutes manières et boutèrent hors +d’avecques eux Raison, Justice, Mémoire de Dieu, Atrempance, moult +honteusement. Lors Forcenerie et Meurtre et Occision abbatirent, +tuèrent, meurtrirent tout ce qu’ils trouvèrent es prisons sans merci, +sans cause ou à cause, et Convoitise avait les pans à sa ceinture et son +fils Larrecin qui tost après qu’ils estoient morts ou avant, leurs +ostoient tout ce qu’ils avoient...»</p> + +<div class="figcenter" style="width: 289px;"> +<a href="images/illu-141.jpg"> +<img src="images/illu-141.jpg" width="289" height="334" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOUR DE L’ÉGLISE SAINT-LAURENT, FAUBOURG SAINT-MARTIN</p></div> +</div> + +<p>Ainsi le Bourgeois de Paris commence le récit des horribles scènes de +carnage où se ruèrent les écorcheurs de Caboche et la lie de la +population, conduite par le bourreau Capeluche.</p> + +<p>«Et si n’eussiez trouvé à Paris rue où n’eust aucune occision et en +moins (de temps) qu’on y iroit cent pas de terre, depuis que morts +estoient, ne leur demeuroit que leurs brayes; et estoient en tas comme +porcs au milieu de la boue...»</p> + +<p>La prison de Saint-Éloi vit arriver les massacreurs une des premières; à +coups<span class="pagenum"><a name="page_116" id="page_116">{116}</a></span> de haches, d’assommoirs ou de piques, tous les prisonniers furent +dépêchés, sauf un, l’abbé de Saint-Denis, Philippe de Villette, qui eut +le temps de revêtir ses habits sacerdotaux et de se jeter, l’eucharistie +en mains, à genoux dans le sang, devant l’autel de la prison où les +assassins le laissèrent.</p> + +<p>Combien d’autres églises ou chapelles encore, perdues dans le lacis +embrouillé des petites rues centrales ou dans les faubourgs: +Saint-Josse, rue Aubry-le-Boucher,—Saint-Germain le Vieux, près le +Petit pont,—Saint-Jacques du Haut Pas, fondé au <small>XIII</small>ᵉ siècle par les +frères pontifes hospitaliers du Haut Pas (sur l’Arno près Lucques), +église que le <small>XVII</small>ᵉ siècle reconstruira,—Saint-Laurent hors Paris, +fondé aux premiers siècles dans les champs bordant la route de +Saint-Denis, réédifié aux <small>XV</small>ᵉ, <small>XVI</small>ᵉ et <small>XVII</small>ᵉ siècles,—Saint-Lazare en +face, très vieille église, antique monastère desservant la plus célèbre +léproserie du royaume,—Notre-Dame de Bonne-Nouvelle à +Villeneuve-sur-Gravois, près la porte Saint-Denis, chapelle extra-muros +bâtie parmi les moulins à vent, rasée pour la défense au temps de la +Ligue et reconstruite en attendant de nouvelles démolitions et +reconstructions;—Saint-Martin et Saint-Hippolyte au faubourg +Saint-Marcel,—l’église Saint-Marcel, grande et importante collégiale et +très antique édifice,—Saint-Médard, pittoresque église dans le même +faubourg, près de la Bièvre, accaparée par les tanneurs et teinturiers.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 257px;"> +<a href="images/illu-142.jpg"> +<img src="images/illu-142.jpg" width="257" height="294" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CLOITRE DES CÉLESTINS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_117" id="page_117">{117}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 359px;"> +<a href="images/illu-143-a.jpg"> +<img src="images/illu-143-a.jpg" width="359" height="221" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ÉGLISE DES JACOBINS DE LA RUE SAINT-JACQUES</p></div> +</div> + +<h3>IV</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-143-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">LE VAL-DE-GRACE +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>Les Églises des <small>XVII</small>ᵉ et <small>XVIII</small>ᵉ siècles.—Le vandalisme à perruque +et manchettes de dentelles.—Mutilations et +amputations.—Saint-Étienne du Mont, Val-de-Grâce.—La +Révolution.—Les édifices déséglisés.—Fermetures et +destructions.—Clubs et prisons, Temples, Marchés ou magasins.—La +grande démolition.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">L</span>ES révolutions du goût ne sont pas moins dangereuses pour les églises +de Paris que les révolutions politiques. Les révolutions politiques +abattent, les Révolutions du goût mutilent, charcutent. Les édifices +n’en meurent pas toujours, mais ils restent estropiés, amputés ou +raccommodés avec des membres d’occasion.</p> + +<p>Ce fut le sort de beaucoup d’églises gothiques à partir du <small>XVI</small>ᵉ siècle, +quand l’art ogival commença à être regardé comme vieillot et suranné. Au +début du grand mouvement de la Renaissance, comme le <small>XV</small>ᵉ siècle dans sa +deuxième partie, plus heureuse<span class="pagenum"><a name="page_118" id="page_118">{118}</a></span> que la première, achevait à peine de +réparer les désastres de la guerre civile et de la guerre anglaise, de +déblayer les ruines, de relever dans le style flamboyant les édifices +détruits, de donner à tant d’églises touchées par le temps ou abattues +par la guerre, ces beaux portails si délicatement ouvragés, le <small>XVI</small>ᵉ +siècle survenant ne trouva plus les édifices à son goût. Ce siècle donna +le premier l’exemple mauvais et dangereux de mépriser ses prédécesseurs. +Il croyait avoir retrouvé, dans les ruines de la Rome antique, l’art pur +et unique, en dehors duquel rien n’existait que barbarie. François Iᵉʳ, +rapportant d’outre-mont cette idée de la supériorité de l’art et des +artistes d’Italie, projeta même, pour sa capitale, un grand travail de +transformation des façades des principales églises gothiques qu’on +aurait mises au goût du jour par un rhabillage et des applications de +colonnades antiques.</p> + +<p>Cependant le <small>XVI</small>ᵉ siècle, gardant la structure gothique et modifiant +seulement les détails, créa encore de belles œuvres, à preuve l’élégante +église Saint-Eustache; le fond de l’étoffe est le même, ce sont les +broderies seules qui ont changé. Vint le <small>XVII</small>ᵉ siècle qui se libéra +complètement des traditions et des formules ogivales. Et pour les +remplacer par quoi? Par la pompe, l’excès de richesse et l’ostentation, +par la lourdeur aussi, quand ce n’est point par la sécheresse et +l’ennui.</p> + +<p>A son actif en fait de monuments religieux, le <small>XVII</small>ᵉ siècle a +Saint-Étienne du Mont, commencé cent ans auparavant dans le style ogival +et très élégamment achevé dans le style de la Renaissance, l’église des +jésuites, Saint-Paul-Saint-Louis, d’un grandiose aspect à l’intérieur, +le Val-de-Grâce, l’église des Invalides, colossale architecture au goût +du Grand Roi.</p> + +<p>Ce sont là des œuvres réussies. En revanche, on peut porter à son passif +de nombreuses petites églises froides et lourdes, des chapelles de +couvent non moins laides, plus une énorme quantité de méfaits: +démolitions, adjonctions, placages et enlaidissements quelconques! Et +après lui, hélas! le <small>XVIII</small>ᵉ siècle et le <small>XIX</small>ᵉ lutteront à qui commettra +le plus de dévastations, à qui poussera le plus loin le vandalisme, +jusqu’au jour où une réaction bien tardive arrivera juste à temps pour +sauver les derniers monuments restant encore à dénaturer ou à renverser.</p> + +<p>L’église Saint-Étienne du Mont est née d’une chapelle élevée par +l’abbaye de Sainte-Geneviève, pour servir de paroisse à la population +groupée autour de son enclos; cette chapelle dut être reconstruite au +<small>XIII</small>ᵉ siècle, puis à la fin du <small>XV</small>ᵉ elle fut abattue pour faire place à +un grand édifice appelé à former, avec l’église de l’abbaye, un groupe +de deux grandes églises jumelles, enfermées toutes deux dans l’enceinte +des moines.</p> + +<p>Le chœur de Saint-Étienne fut encore construit dans le style ogival, +mais sa nef est Renaissance. C’est un superbe édifice qui provoque +l’admiration par ses belles proportions, par la hauteur de sa nef où la +lumière joue à l’aise, indiquant des perspectives inattendues, révélant +des détails gracieux, de belles voûtes à nervures compliquées au +transept, d’audacieuses clefs pendantes délicatement fouillées.<span class="pagenum"><a name="page_119" id="page_119">{119}</a></span></p> + +<p>Le dernier jubé de Paris projette son arche élégante d’un côté du chœur +à l’autre et se combine avec des escaliers tournant en spirale autour de +chacune des deux premières colonnes du chœur, pour conduire à la galerie +de balustrades qui coupe les colonnades à mi-hauteur. L’aspect de +Saint-Étienne avec ce jubé et ces curieux escaliers est unique à Paris.</p> + +<p>La façade abondamment ouvragée présente une curieuse décoration de +frontons de différentes formes, de niches, de colonnes, de bas-reliefs +et de groupes, d’un goût moins heureux que l’intérieur cependant; ce qui +la sauve tout à fait, c’est le svelte clocher gothique qui monte sur un +des côtés, très gracieux de lignes effilées avec sa tourelle d’escalier +et son lanternon final; c’est le joli porche latéral à tourelles qui +semble un petit manoir accolé au bas de la tour et se prolonge sous le +bas côté par une galerie menant aux anciens charniers.</p> + +<p>C’est la reine Marguerite de Valois, Margot la Belle, qui posa la +première pierre du grand portail en 1610; l’église terminée fut dédiée +en 1626, comme en témoigne une inscription au-dessus de laquelle une +seconde pierre mentionne un accident survenu pendant la cérémonie.</p> + +<p>«..... Et pendant les <i>Cérimonies</i> de la | dédicace deux filles de la +paroisse | tombèrent du haut des galleries | du chœur avec l’appuy et +deux | des balustres, qui furent miraculeusement préservées | comme +aussi les assistans | ne s’estant rencontré personne, | soubz les +ruines, vue l’affluence du | peuple qui assistait aux dites cérimonies.»</p> + +<p>Saint-Étienne du Mont conserve le cercueil de pierre qui reçut le corps +de sainte Geneviève en 1511, sarcophage transféré ici lors de la +démolition de l’église Sainte-Geneviève. L’église possède aussi quelques +plaques ou épitaphes anciennes, entre autres celles de Pascal et de +Racine.</p> + +<p>Autre souvenir plus tragique et plus récent, c’est à Sainte-Geneviève, +lors de la neuvaine de 1857, que Mᵍʳ Sibour, archevêque de Paris, fut +assassiné par Verger.</p> + +<p>L’église Saint-Louis-Saint-Paul, dans la rue Saint-Antoine, fut +construite de 1627 à 1641 par les jésuites, à côté de leur noviciat, +aujourd’hui lycée Charlemagne.</p> + +<p>L’architecte était un jésuite, le père François Derrand. Cela se voit au +portail, ennuyeuse superposition de colonnes, de niches et de frontons, +échantillon du style peu séduisant adopté par la Société pour ses +églises.</p> + +<p>Mais l’intérieur avec ses piliers massifs, ses sculptures, ses galeries +à balcons de fer, et sa coupole centrale, bien assise, rachète +l’extérieur et déploie une pompe noble d’un grand caractère, avec une +ostentation de richesses qui tient autant du palais que du temple. C’est +bien là l’église qui convient à des grands seigneurs du temps de Louis +XIII, aux belles dames à grandes fraises et lourdes jupes ramagées, aux +cavaliers à grands feutres empanachés, relevant avec l’épée leur large +manteau et faisant sonner sur les dalles du palais d’un Dieu grand +seigneur aussi, les éperons de leurs bottes aux entonnoirs garnis de +dentelle. Le cardinal de Richelieu vint y dire la messe d’inauguration.<span class="pagenum"><a name="page_120" id="page_120">{120}</a></span></p> + +<p>L’édifice, imposant par sa masse et l’opulence de sa décoration, +témoigne de la richesse et de la puissance de l’ordre qui l’éleva. Comme +église de l’aristocratie de ce noble quartier du Marais, aux beaux jours +de la place Royale, Saint-Louis des jésuites succéda au vieux +Saint-Paul, son voisin, dont elle reprit aussi le titre plus tard. Les +caveaux renferment les sépultures de beaucoup de grands personnages et +de nombreuses notabilités de la compagnie de Jésus.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 372px;"> +<a href="images/illu-146.jpg"> +<img src="images/illu-146.jpg" width="372" height="386" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE JUBÉ DE SAINT-ÉTIENNE DU MONT</p></div> +</div> + +<p>Tout près de là, un peu plus haut dans la rue Saint-Antoine et touchant +presque à la Bastille, Mansard éleva l’église des filles de la +Visitation Sainte-Marie, appelées à Paris par la baronne de Chantal, +Sainte-Françoise de Chantal, grand’-<span class="pagenum"><a name="page_121" id="page_121">{121}</a></span>mère de Mᵐᵉ de Sévigné. Le petit +dôme ardoisé de l’église est fort élégant. Fouquet fut enterré à +Sainte-Marie, affectée aujourd’hui au culte protestant.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 366px;"> +<a href="images/illu-147.jpg"> +<img src="images/illu-147.jpg" width="366" height="424" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE TEMPLE PROTESTANT, ANCIENNE ÉGLISE SAINTE-MARIE (MAI +1871)</p></div> +</div> + +<p>Dans les champs à l’autre extrémité de Paris, après la porte +Saint-Jacques qui se trouvait au milieu de notre rue Soufflot, au bout +du faubourg qui s’allongeait derrière le grand enclos des Chartreux, +parmi des couvents nombreux, les Ursulines, les Feuillantines, les +Capucines, les Carmélites, Port-Royal, etc..., la reine Anne d’Autriche, +en remerciement de la naissance longtemps désirée de<span class="pagenum"><a name="page_122" id="page_122">{122}</a></span> l’enfant qui +devait être le Grand Roi, fonda l’abbaye du Val de Grâce pour les +Bénédictines du Val-Profond, dont elle modifia le nom en 1645.</p> + +<p>Louis XIV, âgé de sept ans, posa la première pierre en grande cérémonie. +«Les mousquetaires rangés en double haie occupaient le haut de +l’ouverture des fondations. Les Suisses étaient dans la tranchée sur les +parois de laquelle s’étendaient de magnifiques tapisseries du Louvre, +plusieurs tentes avaient été dressées pour cette magnifique solennité. +Huit étaient destinées aux religieuses, mais celles-ci, par esprit +d’humilité, préférèrent rester dans leur couvent. Jean-François de +Gondi, en camail et en rochet avec l’étole, précédé des porte-croix et +des porte-crosses, escorté d’un nombreux clergé, bénit la pierre et les +tranchées destinées aux fondations. La musique du roy pendant la +cérémonie accompagnait le chant des chœurs...»</p> + +<p>Les grands artistes des commencements du règne de Louis, François +Mansard, Jacques Lemercier, Mignard, Michel Auguier, etc... accumulèrent +pour cette église toutes les recherches d’une pompe majestueuse, toutes +les richesses d’une décoration non plus religieuse, mais plutôt +courtisanesque. C’est autant une église dédiée au roi qu’un temple élevé +à Dieu.</p> + +<p>Il fut décidé, en 1662, que le Val de Grâce donnerait la sépulture aux +cœurs des princes et princesses de la famille royale. En 1792, +quarante-cinq cœurs furent enlevés de la chapelle Sainte-Anne et +dispersés, pendant que les boîtes de métal précieux s’en allaient à la +Monnaie.</p> + +<p>Le <small>XVII</small>ᵉ siècle, dans sa deuxième moitié, éleva au bout du faubourg +Saint-Germain l’église des Invalides.</p> + +<p>C’est une autre église du même style, plus grande, plus large, plus +majestueuse; une autre coupole aux proportions plus vastes, d’une +décoration plus somptueuse. L’église d’abord n’avait point de dôme. +Hardouin Mansard posa ce gigantesque couronnement des grands bâtiments +de l’hôtel qui se développent avec une ampleur non moins majestueuse à +l’extrémité de larges avenues. Hélas! ce refuge ouvert aux pauvres +soldats qui ont reçu les faveurs de Bellone sous forme de balles, de +boulets ou de coups de sabre, le Grand Roi a bien pu lui donner +d’immenses proportions pour recueillir un certain nombre de militaires +estropiés en ses batailles, mais il est triste de songer que le moindre +combat d’aujourd’hui remplirait à lui seul une douzaine d’édifices de +cette taille.</p> + +<p>Aussi a-t-on changé sa destination; au lieu d’un refuge d’invalides, au +lieu d’un musée de glorieux débris humains échappés au fer et au feu, on +en a fait le musée des engins qui faisaient ces invalides, l’hôtel des +vieux canons illustrés dans les combats, des antiques carapaces de +chevaliers, des vieilles armes vaillantes du corps à corps et du tir à +trois cents pas au plus, engins démodés, remplacés aujourd’hui par des +instruments de précision à trop longue portée et par les derniers +produits de la chimie.</p> + +<p>On peut encore citer Saint-Nicolas du Chardonnet reconstruit au <small>XVII</small>ᵉ +siècle, sous la direction de Lebrun, et qui renferme le tombeau élevé +par Lebrun à sa mère et celui du peintre lui-même. L’église attend +encore un portail; telle qu’elle<span class="pagenum"><a name="page_123" id="page_123">{123}</a></span> est, avec son pignon provisoire depuis +deux siècles, et les masures au pied de la tour restée de l’église +primitive du vieux clos du Chardonnet, l’église ne manque pas de +pittoresque.</p> + +<p>Le <small>XVIII</small>ᵉ siècle acheva un certain nombre d’églises commencées sous +Louis XIV et dont la construction avait été ralentie ou interrompue par +le manque d’argent; il acheva le nouveau Saint-Sulpice, dont le portail +ne manque pas d’une certaine grandeur, à la place d’un petit +Saint-Sulpice gothique; il acheva Saint-Roch assez laid et qui ne vaut +que comme fond de tableau à l’épisode du 13 Vendémiaire. C’est sur ce +portail gris que se détache nettement le profil du général Bonaparte, +entrevu pour la première fois, quand il se fait connaître en mitraillant +les sections royalistes insurgées contre la Convention et massées sur +les marches du perron.</p> + +<p>Quelques autres églises sans importance sont l’œuvre de ce siècle +<small>XVIII</small>ᵉ, qui a surtout beaucoup démoli. Ce siècle a commencé la nouvelle +église Sainte-Geneviève (le Panthéon) et la Madeleine. Au Panthéon, +l’église souterraine fut établie en 1758 avec les ressources fournies +par une loterie. Le temps n’était plus où les Cathédrales poussaient +toutes seules dans un élan de foi, et l’on recourait aux loteries pour +avoir des fonds.</p> + +<p>Beaucoup d’églises alors doivent ainsi naissance à la loterie. Louis XV, +Clovis de la nouvelle Sainte-Geneviève, posa la première pierre de +l’église supérieure en 1763.</p> + +<p>La Madeleine, commencée lentement en 1763, sur le boulevard alors +champêtre qu’on appelait le Cours, où les <i>petites maisons</i> +s’entouraient de grands jardins, était inachevée quand survint la +Révolution.</p> + +<p>Les changements de plan se succédaient depuis la construction, mais on +n’était pas au bout. Que faire de ce bloc de marbre? Sera-t-il Dieu, +table ou cuvette?</p> + +<p>Que faire de ce temple grec aux énormes colonnes, de ce massif colossal +et ennuyeux? Sera-t-il la Bourse, le Tribunal du commerce ou la Banque +de France? On discutait donc toutes ces affectations qui lui convenaient +aussi bien l’une que l’autre. On aurait même pu en faire un théâtre, le +chœur étant disposé tout à fait comme une scène. Napoléon trancha la +question en le consacrant à la seule divinité de son cœur, il en voulut +faire le temple de la Gloire, où tous les ans, suivant le décret, on +célébrerait par un concert et des illuminations les anniversaires +d’Austerlitz et d’Iéna, mais la Restauration survenant décréta que le +temple grec redeviendrait église chrétienne.</p> + +<p>Les églises subissaient depuis deux siècles toutes les mutilations que +le faux goût leur pouvait infliger; on en était arrivé à considérer les +plus belles œuvres du <small>XIII</small>ᵉ siècle, ces édifices merveilleux, ces +magnifiques nefs gothiques au si grand caractère religieux, comme de +grossières bâtisses d’un peuple de barbares. Mercier, dans le <i>Tableau +de Paris</i>, miroir fidèle des idées de son temps, est impressionné par +leur grandeur, mais il commence ainsi le chapitre de Notre-Dame:</p> + +<p>«Quel est l’architecte goth qui a tracé le plan de cet édifice très +ancien?».....</p> + +<p>Les chanoines à perruques du temps de Louis XIV, les abbés académiques +et mondains pouvaient-ils encore s’accommoder de ces chœurs majestueux +aux<span class="pagenum"><a name="page_124" id="page_124">{124}</a></span> arcatures superposées, de ces sévères piliers romans, de ces frêles +colonnettes gothiques montant jusqu’aux voûtes d’un seul jet? Ils ne +songeaient qu’à couper, détruire, mutiler, qu’à enlever ce qui pouvait +s’enlever et à masquer ce que l’on était bien forcé de laisser, par des +applications d’ordres, des placages de marbres, des boiseries pompadour +blanc et or.</p> + +<p>Les magnifiques jubés placés à l’entrée des chœurs, balcons portés par +des colonnes formant le plus souvent trois grandes arcatures, superbe +décoration des grandes églises, furent démolis alors. On détruisit en +1709 le jubé de Saint-Merry, en 1725 le jubé de Notre-Dame qui datait du +<small>XIV</small>ᵉ siècle, en 1745 celui de Saint-Germain l’Auxerrois...</p> + +<p>En même temps on raclait les colonnes, on bouchait les ogives, on +charcutait les chapiteaux gothiques pour tâcher d’en faire de faux +corinthiens. C’était un véritable massacre; les vieilles statues des +ymaigiers du moyen âge, les saints et les saintes aux belles draperies +taillées dans la pierre au <small>XIII</small>ᵉ siècle, ces figures et ces groupes du +<small>XV</small>ᵉ siècle si curieusement travaillés d’un art naïf et sincère, d’une +imagination si touffue, si curieux de détails avec leurs costumes aux +plis cassés et contournés, étaient sans pitié détruits et remplacés par +de fades allégories, par de grandes statues amphigouriques et +boursouflées, anges bouffis, saints et saintes rococo du style le plus +prétentieux. Triste décadence de l’art religieux, sur laquelle nous +avons encore trouvé moyen de surenchérir avec nos statuettes et images +du quartier Saint-Sulpice.</p> + +<p>C’est alors que le vandalisme à perruques et manchettes de dentelles, à +cœur joie s’en donna dans Notre-Dame livrée à sa discrétion. Alors +disparurent le colossal saint Christophe debout à l’entrée de la nef +avec l’enfant Jésus sur les épaules, la statue équestre de Philippe le +Bel érigée au souvenir de la bataille de Mons-en-Puelle... C’est alors +qu’on «<i>nettoya</i>» les chapelles de la plus grande partie des monuments +artistiques et historiques accumulés dans le cours des âges, et que l’on +détruisit le chœur ancien avec tous ses précieux monuments, jubé, +clôture, grand autel, etc., pour remplacer tout cela par la décoration +fastueuse et théâtrale dite du vœu de Louis XIII.</p> + +<p>On croit rêver vraiment quand on songe que sous Louis XIV des projets +furent étudiés pour la transformation complète de la façade de +Notre-Dame, dont le bon goût du temps se trouvait trop offusqué, et +qu’on se proposait de rhabiller tout entière dans le style du portail +Saint-Gervais! Ce fut un heureux manque d’argent qui sauva la pauvre +cathédrale, on se contenta sous Louis XV de mutiler le portail central +et d’entailler le trumeau pour lui donner plus de hauteur, afin de +laisser passer les plumes du dais aux grandes processions!</p> + +<p>Alors aussi les vieux cloîtres subissaient les mêmes désastreux +<i>embellissements</i>; on jetait bas les arceaux gothiques et on les +remplaçait par de froides arcades à pilastres romains. Ainsi fut fait à +Saint-Martin des Champs, à Saint-Germain des Prés et ailleurs, dans tous +les monastères riches. En même temps, l’esprit de spéculation s’emparait +des Chapitres, on bâtissait à la place des vieilles clôtures des maisons +de rapport. Saint-Martin des Champs démolissait pour cela sa<span class="pagenum"><a name="page_125" id="page_125">{125}</a></span> vieille +enceinte, Saint-Germain des Prés bâtissait les rues Cardinale, de +l’Échaudé, de Furstenberg d’un côté, la rue Childebert de l’autre, au +pied de sa grande tour.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 381px;"> +<a href="images/illu-151.jpg"> +<img src="images/illu-151.jpg" width="381" height="523" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉGLISE SAINT-NICOLAS DU CHARDONNET</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_126" id="page_126">{126}</a></span></p> + +<p>L’heure fatale allait sonner, ces grands changements, ces +<i>embellissements</i>, s’achevaient à peine qu’arrivait l’heure de la +destruction totale pour les trois quarts des édifices religieux couvrant +Paris: vieilles abbayes de Childebert et de Clovis, murailles +historiques, antiques églises, cloîtres superbes ou couvents mesquins, +tout allait tomber!</p> + +<p>Après le souffle desséchant d’incrédulité qui avait passé même par les +ogives des cloîtres, en ce siècle d’abbés musqués et de philosophes +athées, après le grand courant de coquetterie Pompadour apportant dans +les sévères sanctuaires le style efféminé des boudoirs, tout à coup +éclatait la grande tourmente, dont chaque rafale devait faire crouler un +pan de la vieille société.</p> + +<p>Le vieux culte est supprimé, «<i>ite missa est</i>», les églises sont +confisquées par la nation et fermées; quand elles ne sont pas réclamées +par quelque nouveau culte philosophique ou attribuées à quelque club, +elles sont mises en adjudication comme bien national, et bien vite +transformées en magasins, en écuries, affectées aux plus viles +destinations ou démolies.</p> + +<p>Toutes ces vieilles cloches qui pendant tant de siècles ont parlé aux +générations, participé aux joies et aux deuils des aïeux, elles ont fini +de se faire entendre; ou plutôt, tombées des clochers et transformées en +canons, elles vont prendre une autre et plus terrible voix, et rugir +dans la grande bataille de vingt-cinq ans!</p> + +<p>Les trésors des églises qui contiennent tant de pièces merveilleuses, où +l’art l’emportait de beaucoup sur la richesse de la matière, vont se +vider dans les fourneaux de la Monnaie. D’ailleurs mauvaise opération +d’alchimie, ce sont des millions qui dans la flamme se transmuent en +gros sous.</p> + +<p>Ces trésors des églises étaient remplis de précieux chefs-d’œuvre +d’orfèvrerie religieuse, surtout de châsses de métal ciselées +superbement, de reliquaires de toutes formes, souvent illustrant de +façon pittoresque et naïve l’histoire du saint personnage dont ils +renfermaient une relique quelconque, os, dent, etc.; reliquaires +travaillés en forme de bras, de tête humaine, de tour, de chapelle, de +nef; châsses portées sur colonnettes, tous objets de l’art le plus +original, comme par exemple ce reliquaire du trésor de Saint-Jacques de +l’Hôpital cité par M. H. Cocheris dans ses additions de l’abbé Le Bœuf, +reliquaire figurant une montagne, au sommet de laquelle était un petit +Saint-Jacques couvert d’un chaperon, une escarcelle sous le bras, le +bourdon d’une main, un livre ouvert de l’autre, accompagné sur les +flancs de la montagne d’autres figurines: deux petits pèlerins assis et +buvant, un mulet qui monte...</p> + +<p>Alors des merveilles accumulées dans les églises, tout ce qui est métal +s’en va à la fonte, tout ce qui est bois s’en va en fumée.</p> + +<p>La Commune de Paris, à l’Hôtel de Ville, se chauffera pendant dix-huit +mois avec les splendides stalles enlevées des églises, avec toutes les +boiseries sculptées, traitées avec tant d’amour par le ciseau des +arrière-grands-pères.</p> + +<p>Et tout ce qui n’est que pierre sculptée est jeté aux gravats. Quelques +amis des arts, avec grand’peine et en risquant beaucoup, sauvent un +certain nombre des monuments les plus importants, épaves du grand +naufrage, qui enrichiront<span class="pagenum"><a name="page_127" id="page_127">{127}</a></span> plus tard le Louvre, l’église-musée de +Saint-Denis ou Cluny. Mais combien de belles choses, de reliques +artistiques ou historiques disparaîtront à jamais, périront ou serviront +aux plus vils usages comme certaines statues enlevées à des porches +d’églises et employées en guise de bornes, ou comme la pierre tombale de +Flamel sur laquelle pendant trente ans un fruitier hachera des +épinards...</p> + +<p>Les couvents fermés sont transformés en dépôts de poudre, en fabriques +de salpêtre et surtout en prisons.</p> + +<p>Assez peu habités en raison de la décadence des ordres, ces vieux +monastères où vivaient doucement et mollement quelques douzaines de +moines perdus dans les vastes bâtiments jadis débordants, où +travaillaient silencieusement dans la paix des bibliothèques des +théologiens et des savants en robe à côté de gens de lettres laïques, +retrouvent tout à coup comme en d’autres temps les foules bruyantes, le +mouvement... Mais quel changement! ces foules, ce sont les clubistes qui +s’emparent des grandes salles pour en faire leurs lieux de réunions. +Avec eux les mots <i>Feuillants</i>, <i>Cordeliers</i>, <i>Jacobins</i>, vont prendre +une nouvelle signification et les frères prêcheurs de la Ligue vont +avoir de terribles successeurs.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 329px;"> +<a href="images/illu-153.jpg"> +<img src="images/illu-153.jpg" width="329" height="274" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SULPICE</p></div> +</div> + +<p>Ou bien ce sont les nouvelles administrations qui s’installent, les +sections, ce sont les gardes nationaux qui viennent y établir leurs +postes, ce sont les prisonniers dont on les remplit: aristocrates, +ci-devant nobles, ci-devant prêtres,<span class="pagenum"><a name="page_128" id="page_128">{128}</a></span> suspects, républicains tièdes, +qu’on entasse pêle-mêle dans les vieux dortoirs de moines et de nonnes, +en attendant le tribunal révolutionnaire et la charrette...</p> + +<p>On démolit la Bastille, mais on en crée cinquante nouvelles rien que +pour Paris. Prisons à Saint-Germain des Prés, aux Carmes-Déchaussés, à +Saint-Lazare, à Port-Royal qui s’appelle alors dérisoirement Port-Libre, +dans les collèges Montaigu, des Écossais, du Plessis-Sorbonne, au +Luxembourg, et même prison au collège des Quatre-Nations, c’est-à-dire à +l’Institut, dans les bâtiments académiques actuels, qui durent contenir +alors, dit Michelet, deux mille prisonniers parmi lesquels le général +Hoche.</p> + +<p>Plusieurs couvents deviendront ensuite des casernes ou feront place à +des marchés.</p> + +<p>Les quelques églises conservées d’abord comme paroisses en 1791 sont +fermées en 93, ou consacrées au culte théo-philantrophique fondé par +Larévellière-Lépeaux; Saint-Germain l’Auxerrois prend le titre de +<i>temple de la Reconnaissance</i>, Saint-Laurent devient le <i>temple de la +Vieillesse</i>, Saint-Gervais le <i>temple de la Jeunesse</i>, et Saint-Merry le +<i>temple du Commerce</i>, pendant qu’à Notre-Dame la Commune installe la +déesse Raison.</p> + +<p>Ces édifices qu’on ne démolit pas, qu’on se borne à <i>déségliser</i>, +suivant un néologisme créé alors, et qui en sont quittes pour des +dévastations intérieures et extérieures, sont les plus heureux. En +quelques années, Paris subit une transformation extraordinaire; s’il +voit disparaître des monuments sans importance, une foule de couvents où +l’art avait peu de choses à pleurer, où les architectes des deux +derniers siècles s’étaient livrés à une débauche de frontons, de +pilastres et de colonnes à l’antique, en revanche la pioche s’attaque à +de splendides édifices à jamais regrettables, aux grands décors +historiques qui avaient encadré pendant dix siècles la vie tourmentée du +grand Paris.</p> + +<p>Formidable coup de théâtre! Tout cela qui semblait éternel, ou du moins +qui semblait ne devoir subir que les lentes transformations naturelles, +tout cela tombe subitement, en quelques années, comme des architectures +de toile peinte au coup de sifflet du machiniste. Si l’ouragan sauvage +de dévastations et de démolitions n’avait point soufflé si fort, si l’on +avait pu épargner quelques édifices d’un mérite artistique reconnu +pourtant par tous, si l’on avait consenti à ne pas exproprier +brutalement l’art et l’histoire, combien le Paris d’aujourd’hui n’en +paraîtrait-il pas plus beau, avec quelques superbes pièces de plus à sa +couronne monumentale, décorant certaines parties demeurées maintenant +bien dénuées, et donnant ainsi à la pensée effarouchée par le tourbillon +réaliste de la rue, quelques satisfactions supérieures, un peu de doux +repos aux yeux effarés par des kilomètres de boulevards interminables, +sans arrêt, ou de rues impitoyablement rectilignes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 385px;"> +<a href="images/illu-155.jpg"> +<img src="images/illu-155.jpg" width="385" height="550" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA PORTE DE NESLE</p> + +<p>LA NOUE ESSAIE DE PASSER LA SEINE LORS DE LA TENTATIVE D’HENRI IV SUR +PARIS EN 1589</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_129" id="page_129">{129}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_V" id="CHAPITRE_V"></a> +<a href="images/illu-157-a.jpg"> +<img src="images/illu-157-a.jpg" width="360" height="224" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +LE TEMPLE AU XVIIᵉ SIÈCLE +</span> +<br /><br /> +CHAPITRE V<br /><br /> +LES COMMANDERIES</h2> + +<div class="blockquot2"><p>L’ordre dee Templiers.—La Villeneuve du Temple.—L’église en +rotonde et la grosse tour.—Philippe le Bel.—Ecroulement de +l’ordre.—Le Temple aux chevaliers de Saint-Jean.—Franchises et +privilèges.—Le palais du grand prieur.—La prison de Louis +XVI.—L’enclos de Saint-Jean de Latran.—Disparition complète.</p></div> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-157-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption"> +TOURELLE D’ANGLE DE<br /> L’ENCEINTE DU TEMPLE +</span> +</div> + +<p class="nind"><span class="letra">A</span>U Nord de Paris, assez loin en dehors des murailles construites par +Philippe-Auguste, dans les cultures voisines de l’enclos de Saint-Martin +des Champs, s’était élevée au <small>XIII</small>ᵉ siècle la grosse tour de l’ordre +célèbre et mystérieux du Temple, donjon de la commanderie chef d’ordre, +d’où relevaient toutes les commanderies de France, château fort que le +château royal du Louvre regardait de loin avec inquiétude.</p> + +<p>Cet ordre du Temple né en 1118 en Terre-<span class="pagenum"><a name="page_130" id="page_130">{130}</a></span>Sainte, ordre hospitalier et +militaire, avait en peu de temps prodigieusement grandi; devenu une +puissance formidable, suscitant la crainte et l’envie, il possédait des +biens considérables, des places fortes, neuf mille commanderies en terre +chrétienne et d’immenses richesses, entassées, disait-on, dans cette +fameuse tour gardienne du trésor de l’ordre. Le but de l’institution fut +bien vite oublié dans la prospérité, la règle établie par saint Bernard +violée, le renoncement et la pauvreté remplacés par le luxe et la +satisfaction de tous les appétits. Contrairement à l’esprit des Ordres +religieux militaires, admirable création du siècle des croisades, voués +d’abord au service des pèlerins, puis uniquement occupés à la défense de +la Terre-Sainte, rempart d’épées dressées devant l’Islam,—de ces +chevaliers combattant sans cesse sur les brèches ouvertes et qui +rendirent à l’Europe l’immense service d’arrêter le débordement du monde +musulman,—l’ordre des Templiers dégénère en une association puissante, +redoutable même aux autres Ordres, ayant son but secret et sa politique. +Cette politique du Temple s’inspire des intérêts de l’ordre et non de +ceux de la chrétienté; forts de leurs cent millions de revenus annuels, +de leurs nombreuses milices, s’alliant avec les musulmans, avec le Vieux +de la Montagne, pour guerroyer contre les princes francs fixés en Terre +Sainte ou dans les royaumes fondés aux pays d’Orient, les grands +maîtres, souverains dans leurs commanderies, deviennent inquiétants pour +les rois d’Europe. Leur ambition croît avec leur richesse. Tout est +secret dans l’ordre, l’affiliation, la vie, le but véritable qui ne +semble plus être la défense de la Croix, depuis surtout que la Terre +Sainte échappe aux Chrétiens.</p> + +<p>La commanderie de Paris est une véritable forteresse, aux fortes +murailles crénelées flanquées de tours rondes. Ce vaste enclos ouvrant +par une seule porte solidement défendue, renferme de grands jardins, des +maisons disséminées, des bâtiments habités par une nombreuse population +de serviteurs et de vassaux, au-dessus desquels sont les frères servants +et au-dessus des frères servants, les chevaliers à la croix rouge sur +manteau blanc. Les édifices principaux sont: une église dont la nef est +précédée d’une rotonde à colonnes établie, dit-on, sur le modèle de +l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, et le château du grand prieur, +immense agglomération féodale que domine la grosse tour.</p> + +<p>La grosse tour du Temple est un très fort bâtiment carré, d’une +épaisseur de murs considérable, d’une grande hauteur, atteignant trente +mètres à son crénelage, et flanqué de quatre tours rondes plus hautes +avec un avant-corps à tourelles. Ce bâtiment a été élevé en 1212 par +Hubert, trésorier de l’ordre, pour servir de donjon et garder les +archives et le trésor.</p> + +<p>Cet enclos est une ville d’ailleurs, la <i>ville neuve du Temple</i> avec sa +juridiction, ses usages, ses métiers exercés en franchise, ses +boucheries qui font tort aux bouchers de Paris et suscitent de leur part +des réclamations inutiles. Une petite ville concurrente de la cité de +Paris et qui n’a pas les mêmes charges que celle-ci. L’installation des +grands maîtres est riche et forte. Henri III d’Angleterre revenant de +ses possessions de Guyenne en 1259 et faisant visite à saint Louis, +préféra loger en la forteresse du Temple plutôt que dans le palais de la +Cité.<span class="pagenum"><a name="page_131" id="page_131">{131}</a></span></p> + +<p>L’Ordre au faîte de la puissance allait s’écrouler pourtant. La ruine +allait atteindre subitement ces templiers si riches dont l’audacieuse et +toujours grandissante ambition pouvait devenir un danger pour les +rois,—et frapper ces chevaliers oublieux du but de l’institution, +seigneurs fastueux de qui le luxe et les excès en Europe étaient un +objet de scandale, pendant que les chevaliers des autres ordres, +repoussés d’Orient, luttaient pied à pied, cramponnés maintenant aux +îles grecques et mouraient pour la défense de l’Europe, attaquée à son +tour par l’Islam triomphant. L’orage s’amassait: d’un côté un ordre trop +riche, trop ambitieux, une puissance grandissante; de l’autre Philippe +le Bel, un roi menacé de toutes parts, gêné de toutes façons, à une +époque de crise où, aux dépens des grands fiefs, la monarchie se formait +avec de larges visées, et peu de ressources;—un roi aux prises avec +toutes les difficultés, toujours à court d’argent, pressurant ses +peuples, pillant les Juifs ou battant de la mauvaise monnaie.</p> + +<p>Philippe le Bel aux abois cherchait l’argent où il savait en devoir +trouver. Il n’y avait plus moyen de baisser encore le titre des +monnaies; déjà pour le trouble apporté par ces altérations successives, +une révolte avait éclaté à Paris. Il y avait eu bataille, massacre +d’agents du roi, pillage et destruction de la courtille Barbette, maison +d’Étienne Barbette, argentier royal; et même le roi, pendant cette +révolte, était justement venu au Temple dont il avait pu apprécier la +force.</p> + +<p>C’était le moment de la grande querelle de Philippe et du pape Boniface +VIII, entamée à propos des subsides réclamés par le roi au clergé. +Toujours l’âpre question d’argent, tracas perpétuel de ces temps où l’on +n’avait pas encore inventé de ronger l’avenir par l’emprunt à jet +continu, de vivre sur le travail des générations à venir.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 238px;"> +<a href="images/illu-159.jpg"> +<img src="images/illu-159.jpg" width="238" height="304" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA SURPRISE DU TEMPLE PAR GUILLAUME DE NOGARET</p></div> +</div> + +<p>Ceci dit non pour excuser, mais pour expliquer les exactions des rois +besoi<span class="pagenum"><a name="page_132" id="page_132">{132}</a></span>gneux, cette perpétuelle course à l’argent si difficile pour le +monarque et si dure au pauvre peuple foulé.</p> + +<p>Impôts arbitrairement établis, mal répartis et mal perçus, expédients +inventés au jour le jour, tailles nouvelles au fur et à mesure des +besoins immédiats, vente des offices, extorsions aux financiers dans les +moments difficiles: voilà le seul système financier d’alors. Aussi le +trésor royal pendant trois ou quatre siècles est-il presque constamment +à sec. Henri III en vint à emprunter individuellement aux membres du +Parlement, aux grands fonctionnaires, taxant chacun selon sa fortune, +demandant aux uns quelques milliers de livres, aux autres cinq cents, +deux cents, ou moins encore. Ce roi prodigue, quand l’argent rentrait +mal, dut plus d’une fois, en voyage, laisser les manteaux de ses pages +en gage. Temps naïfs! on ignorait alors le secret de reporter, par des +émissions de rente, ses charges sur le dos de ses descendants, comme +nous faisons aujourd’hui.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 367px;"> +<a href="images/illu-160.jpg"> +<img src="images/illu-160.jpg" width="367" height="325" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PHILIPPE LE BEL ASSISTE DU HAUT DE LA TOUR DU TEMPLE A +L’INCENDIE DE LA COURTILLE BARBETTE</p></div> +</div> + +<p>La lutte entre Philippe le Bel et Boniface VIII, poursuivie à coups de +bulles et<span class="pagenum"><a name="page_133" id="page_133">{133}</a></span> d’édits, se termina par un coup de force incroyable pour ces +temps: l’arrestation du pape arraché de son siège pontifical à Anagni, +par Guillaume de Nogaret. Ensuite un accord s’établit entre le roi et +Bertrand de Goth, archevêque de Bordeaux, élu pape sous le nom de +Clément V. L’ordre du Temple devait faire les frais de la réconciliation +entre la monarchie et la papauté; le roi vendit la tiare au pape, le +pape livra les templiers.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 366px;"> +<a href="images/illu-161.jpg"> +<img src="images/illu-161.jpg" width="366" height="300" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>DUGUESCLIN TRAITE AVEC LES CHEFS DES GRANDES COMPAGNIES</p></div> +</div> + +<p>Le 13 octobre 1307 l’affaire éclata. A la même heure, les instructions +cachetées envoyées par tout le royaume furent ouvertes, et toutes les +commanderies immédiatement investies.</p> + +<p>A Paris, Guillaume de Nogaret, l’homme du coup de main d’Anagni, se +présenta dès l’aube à la grand’porte du Temple et s’en saisit au nom du +roi. La porte prise, ses soldats se glissèrent rapidement dans tout le +Temple et mirent la main sur tous les chevaliers qui s’y trouvaient.</p> + +<p>Par toute la France le même coup réussissait de la même façon, à la même +heure les chevaliers trouvés dans les manoirs surpris allaient +s’entasser dans les prisons. Le long et terrible procès commença, mené +de parlement en concile, avec le roi et le pape pour grands juges et +pour bourreaux. On sait comment, sur quel<span class="pagenum"><a name="page_134" id="page_134">{134}</a></span>ques particularités assez +étranges de l’affiliation à l’Ordre, sur quelques rites mystérieux, fut +appuyée l’accusation d’hérésie et comment, à la plupart des chevaliers, +la torture arracha tous les aveux que l’on souhaitait pour la perte de +l’ordre. Ceux qui avouèrent des crimes imaginaires eurent la vie sauve, +ceux qui s’obstinèrent ou se rétractèrent périrent par le feu.</p> + +<p>A Paris cinquante-quatre Templiers furent brûlés en 1310 dans un champ +devant l’abbaye de Saint-Antoine, et le 11 mars 1314, dans l’île de +Bussy, formant l’extrême pointe de la Cité et rattachée aujourd’hui à la +grande île par le Pont-Neuf,—c’est-à-dire à la place où se dresse +aujourd’hui la statue d’Henri IV,—un bûcher, vu de tout Paris réuni sur +les rives, s’éleva pour le grand maître de l’ordre, Jacques Molay, et +Guy, maître de Normandie, qui, le même jour sur le parvis Notre-Dame, +avaient rétracté tous leurs aveux. Ces deux grandes victimes montèrent +au bûcher avec une fermeté qui frappa la multitude d’admiration et de +stupeur; la légende veut qu’enveloppés dans la flamme, ils +interpellèrent ce roi qu’ils voyaient assister à leur supplice de son +jardin du Palais et l’ajournèrent à comparaître devant Dieu quarante +jours après eux et le pape un an après.</p> + +<p>Les Templiers morts, leur trésor entré dans les coffres royaux, leurs +biens confisqués, la grande commanderie du Temple échappa au roi et fut +transférée par le pape à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de +Jérusalem, qui devint plus tard l’ordre de Malte. Le Temple aux +chevaliers de Malte, rien ne changea dans l’enclos, le palais du grand +maître devint le palais du grand prieur, la population augmenta. La +grosse tour cependant fut quelquefois prison d’État. Enguerrand de +Marigny, financier de Philippe le Bel et de Louis X, y fut enfermé avant +d’aller mourir à Montfaucon. C’est dans la forteresse du Temple que +Duguesclin réunit autour des tables d’un banquet les chefs des Grandes +Compagnies et traita avec eux pour les entraîner en Espagne et en +débarrasser la France.</p> + +<p>Malgré la force du Temple et son importance, il ne joua aucun rôle dans +les guerres contre l’Anglais ou dans les luttes entre Bourguignons et +Armagnacs; il n’y a point de faits notables dans son histoire aux +siècles troublés qui suivirent, il semble pour ainsi dire qu’il resta +terrain neutre constamment.</p> + +<p>La <i>Ville neuve du Temple</i> prospère; des maisons, des hôtels se sont +construits dans l’immense enclos. Il y a quelque raison à cela, c’est un +lieu de franchise, exempté de certains impôts; le commerce et +l’industrie sont libres sur son territoire et ne connaissent point les +restrictions, les entraves des maîtrises et des corporations. Ces lieux +de franchise sont nombreux à Paris; si les corporations, par les +barrières qu’elles élevaient devant la maîtrise, maintenaient la valeur +de l’enseignement professionnel et garantissaient, pour ainsi dire, la +bonne main-d’œuvre, le produit de bon aloi, il fallait bien à côté +d’elles une porte ouverte aux industriels qui n’avaient pu franchir +régulièrement les degrés corporatifs ou acheter une maîtrise. Le Temple, +la Commanderie de Saint-Jean de Latran, l’enclos des Quinze-Vingts et +bien d’autres petites enceintes privilégiées étaient donc ouverts en +franchise à tous artisans. On y travaillait librement, les produits +pouvaient être inférieurs, mais comme ils se vendaient à meilleur +marché, la clientèle du dehors<span class="pagenum"><a name="page_135" id="page_135">{135}</a></span> ne manquait pas; ainsi le grand marché +de nos jours ne fait que continuer la tradition. Autre privilège du +Temple, les débiteurs insolvables réfugiés dans l’enclos y étaient +garantis contre toute poursuite.</p> + +<p>Au <small>XVII</small>ᵉ siècle, les édifices du Temple, on le voit par les estampes, +ont un certain aspect de ruine, par suite de manque d’entretien, sans +doute, plutôt que par l’âge. C’est, depuis l’établissement de l’enceinte +de Charles V, une petite ville enfermée dans la grande, une petite ville +avec sa campagne, sa ferme, ses jardins maraîchers, contenus dans le +grand carré de murs crénelés. Devant l’église et les bâtiments des +charniers, on dirait une place de village avec son abreuvoir au milieu, +et ses terrains coupés de fondrières, les massifs d’arbres entourant de +vieilles constructions et les jardins seigneuriaux, à l’arrière-plan +sous le grand donjon.</p> + +<p>Des maisons, des petits hôtels, y sont loués à des gens de cour de +petite fortune, dames veuves, abbés de petit revenu qui viennent +chercher la tranquillité dans cette enceinte éloignée du bruit et du +mouvement. A côté de cette aristocratie que les carrosses des nobles +habitants du quartier du Marais viennent visiter, la population +industrielle continue à vivre libre d’impôts et d’entraves corporatives; +elle fait un commerce considérable. Avec les débiteurs insolvables qui +passent la porte du Temple comme on franchit aujourd’hui la frontière de +Belgique, mais qui peuvent circuler dans Paris le dimanche sans crainte +des recors, il y a plus de 4,000 âmes dans cette petite ville.</p> + +<p>Le palais du grand prieur, reconstruit au <small>XVII</small>ᵉ siècle, au fond d’une +cour bordée de charmilles en hémicycle, avec un grand portail à +colonnade sur la rue du Temple, fut occupé vers la fin du règne de Louis +XIV par un grand prieur épicurien, Philippe de Vendôme, petit-fils +d’Henri IV, et ce grand prieur, pendant la régence, trouva le moyen, +dans les petits soupers de son prieuré, de scandaliser le Paris de cette +folle époque. Le Temple fut alors aussi licencieux que le Palais-Royal. +Les nouveaux Templiers y buvaient au moins aussi bien que les anciens, +ils chantaient avec Chaulieu, abondant en vers anacréontiques. Quand le +<small>XVIII</small>ᵉ siècle arrive à sa fin, le Temple est complètement noyé dans +Paris, qui déborde en faubourgs de l’autre côté des boulevards.</p> + +<p>Les constructions s’étaient multipliées aussi dans le Temple, empiétant +fortement sur les jardins, le grand prieur de Vendôme a construit des +rues sur les anciennes dépendances et l’un de ses successeurs venait de +faire construire en 1781 ce grand bazar de marchandises neuves et +d’occasion, la Rotonde, étrange souvenir, comme la rotonde de l’église, +du temple de Jérusalem.</p> + +<p>Voici, esquissé par Mercier, le tableau du grand enclos du Temple à ses +derniers jours:</p> + +<p>«L’ancienne demeure des Templiers sert d’asile aux débiteurs qui ne +paient point. Là l’exploit de l’huissier devient nul, l’arrêt qui +ordonne la prise de corps expire sur le seuil de la porte, le débiteur +peut entretenir ses créanciers sur le seuil même, les saluer, leur +prendre la main. S’il faisait un pas de plus il serait pris; on fait +tout pour l’attirer au dehors, mais il n’a garde de tomber dans le<span class="pagenum"><a name="page_136" id="page_136">{136}</a></span> +piège. Il paie cher une petite chambre étroite toujours préférable à la +prison; du fond de cette retraite, il arrange ses affaires, il traite, +il négocie...</p> + +<p>«La visite des jurés des communautés n’a plus lieu dans le Temple. +Toutes les professions y sont libres; en voici un exemple récent. Un +épicier ruiné, ayant trouvé la recette d’une tisane purgative et +confortative, la débite aujourd’hui dans le Temple avec un prodigieux +succès, le débit de cette tisane monte jusqu’à douze cents pintes par +jour.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 379px;"> +<a href="images/illu-164.jpg"> +<img src="images/illu-164.jpg" width="379" height="267" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DE L’ENCLOS DU TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>«Mᵍʳ le duc d’Angoulême, fils de Mᵍʳ le comte d’Artois, frère du roi, +est grand prieur du Temple; on enterre dans l’église du Temple tous les +commandeurs, chevaliers de l’ordre de Malte, qui meurent à Paris...»</p> + +<p>De terribles événements bouleversèrent la France et l’Europe et tout à +coup, dans l’histoire de France, reparut le vieux donjon des Templiers, +fantôme noir oublié depuis le grand drame de 1307. Après cinq cents ans, +cette grosse tour sinistre allait servir de théâtre au dernier acte d’un +autre grand drame et les victimes du roi allaient pouvoir y contempler, +vengeance du destin, la royauté prisonnière.</p> + +<p>Ce n’est plus Nogaret et ses hommes d’armes qui forcent l’entrée du +Temple comme au matin de la surprise de 1307, c’est une immense troupe +de gardes nationaux, en grande partie sans uniformes et armés de piques, +qui se présente; c’est la multitude en bonnets rouges, ce sont les +combattants du 10 août qui vien<span class="pagenum"><a name="page_137" id="page_137">{137}</a></span>nent de forcer le palais des Tuileries +et de faire écrouler sur les cadavres de ses défenseurs l’antique +monarchie, ce vieil édifice qui résistait depuis quinze cents ans à tous +les assauts. Sous les invectives ou les menaces, à travers la houle des +fusils et des piques, le maire de Paris vient écrouer au Temple Louis +XVI, Marie-Antoinette, Mᵐᵉ Elisabeth et les enfants royaux et les +enferme dans la grosse tour, hâtivement mise en état de garder ses +prisonniers.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 255px;"> +<a href="images/illu-165.jpg"> +<img src="images/illu-165.jpg" width="255" height="362" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA FAMILLE ROYALE AMENÉE AU TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>Le roi est aussi bien gardé que pouvait l’être jadis, en cette même +tour, le trésor que son aïeul saint Louis avait apporté et confié aux +Templiers avant le départ pour la croisade.</p> + +<p>Grands bouleversements dans le Temple, on place corps de garde sur corps +de garde, on creuse un fossé et l’on élève une forte muraille autour de +la prison royale qu’il s’agit de rendre inaccessible aux tentatives +désespérées des royalistes,<span class="pagenum"><a name="page_138" id="page_138">{138}</a></span> aux conspirateurs tournant héroïquement +autour du sinistre donjon. Ce donjon se divise en quatre étages voûtés: +le rez-de-chaussée, où jadis était tenu le chapitre de l’ordre du +Temple, est occupé par les officiers municipaux; le premier étage est un +corps de garde; le roi habite le deuxième étage et la reine le +troisième, sans moyens de communication ensemble, sauf ceux que peut +inventer l’ingéniosité toujours en éveil des captifs. Au-dessus de la +plate-forme les merlons du crénelage ont été surélevés et les créneaux +bouchés par des jalousies. Louis Capet se promène sur cette galerie. +Plus tard, quand le roi est allé à la guillotine, place de la +Révolution, la reine, restée seule en attendant son tour, y vint guetter +les rares sorties dans le préau du malheureux petit Dauphin livré à +Simon. Dans cette dernière et terrible période de sa vie, on a vu la +fille des empereurs raccommoder là-haut sa chaussure trouée.</p> + +<div class="figleft" style="width: 257px;"> +<a href="images/illu-166.jpg"> +<img src="images/illu-166.jpg" width="257" height="281" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA ROTONDE DU TEMPLE, 1840</p></div> +</div> + +<p>Dans les premiers jours de la captivité, pendant les massacres de +Septembre, les tueurs de la Force et de l’Abbaye ont défilé sous les +fenêtres de la Tour en brandissant les outils du massacre, en appelant +avec des cris féroces Marie-Antoinette l’Autrichienne, pour lui montrer +au bout d’une pique la tête de la malheureuse princesse de Lamballe, +pâle et sanglante figure qu’un perruquier des environs a été contraint +de coiffer et de poudrer, et que les assassins dans leur tournée dans +Paris, promenant triomphalement pendant toute une journée leur horrible +trophée, déposaient à côté de leurs verres sur le comptoir des épiciers +ou limonadiers chez lesquels ils s’arrêtaient pour boire.</p> + +<p>Malgré les conspirations désespérées, les tentatives répétées, la Tour +du Temple a gardé ses prisonniers jusqu’au dernier jour et ne les a +lâchés que pour l’échafaud. Prison elle était redevenue, prison elle +demeura encore pendant une quinzaine d’années pour des prisonniers de +marque comme Pichegru, Toussaint-Louverture, Georges Cadoudal, Moreau, +etc...</p> + +<p>En 1811, on voulait faire du grand prieuré le ministère des cultes, le +souvenir<span class="pagenum"><a name="page_139" id="page_139">{139}</a></span> sinistre de 93 gêna, on abattit la grosse tour. Le Temple +disparaissait morceau par morceau, l’église et les autres bâtiments +avaient été rasés peu auparavant. Après 1814, un couvent de Bénédictines +prit la place du ministère, puis le couvent fut transformé en caserne. +Puis survinrent encore d’autres changements, et en peu d’années tout +vestige disparut du grand domaine des Templiers, de ce pittoresque +ensemble de bâtiments et de tours, du gros donjon historique et de cette +petite ville qu’il dominait, si particulière avec ses usages et ses +privilèges singuliers.</p> + +<div class="figright" style="width: 246px;"> +<a href="images/illu-167.jpg"> +<img src="images/illu-167.jpg" width="246" height="343" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>MARIE-ANTOINETTE DANS LA TOUR DU TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>Une autre commanderie des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem existait +encore il y a cent ans de l’autre côté de la Seine. Cet enclos, dit de +Saint-Jean de Latran, occupant un vaste espace entre le collège de +Beauvais et le collège de France, mais moins considérable que le Temple, +était lieu de franchise aussi; les commandeurs, par spéculation, y +avaient construit des maisons louées à des artisans qui pouvaient +exercer leurs professions en dehors de tout règlement corporatif. +Fondée, pense-t-on, vers 1158, elle avait bientôt groupé un ensemble de +bâtiments considérable autour du logis du commandeur fortifié par un +donjon. A côté s’élevait l’église, bâtie au commencement du <small>XIII</small>ᵉ +siècle, refaite en partie en gothique flamboyant aux <small>XV</small>ᵉ et <small>XVI</small>ᵉ +siècles, et remplie de tombeaux de commandeurs et de chevaliers. La +commanderie de Saint-Jean de Jérusalem s’était à une époque indéterminée +et sans qu’on sache la raison du changement, appelée Saint-Jean de +Latran. «La Grange aux Dîmes, dit M. de Guilhermy, dans son Itinéraire +archéologique, était une curieuse construction du <small>XIII</small>ᵉ siècle, couverte +de voûtes ogivales à nervures croisées et partagée en deux nefs par un +rang de colonnes monostyles... Depuis bien des années, des épiciers, des +marchands de vins, des vendeurs de peaux de lapins<span class="pagenum"><a name="page_140" id="page_140">{140}</a></span> remplissaient ces +vieilles galeries, où chacun s’était fait un gîte de plâtre et de bois.»</p> + +<p>L’église, vendue à la Révolution, fut démolie en 1835, mais il en +subsista des ruines importantes longtemps encore, jusque vers 1863. Le +donjon méritait de survivre, c’était une magnifique construction +militaire aux murs solides soutenus par des contreforts, avec trois +belles salles voûtées superposées et un étage de crénelage. On le +démolit sans pitié en 1854 pour la rue des Écoles qui aurait bien pu +s’infléchir à droite ou à gauche et respecter ce vieux souvenir, pour +son caractère imposant et pour sa valeur artistique. On l’appelait alors +tour Bichat, parce qu’au commencement de notre siècle, elle avait été le +laboratoire d’anatomie du célèbre physiologiste.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 252px;"> +<a href="images/illu-168.jpg"> +<img src="images/illu-168.jpg" width="252" height="298" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA COMMANDERIE DE SAINT-JEAN DE LATRAN</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_141" id="page_141">{141}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_VI" id="CHAPITRE_VI"></a> +<br /> +<a href="images/illu-169-a.jpg"> +<img src="images/illu-169-a.jpg" width="359" height="259" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +LE CLOITRE DES CARMES DE LA PLACE MAUBERT +</span> +<br /> +<br /> +CHAPITRE VI<br /><br /> +A TRAVERS LA VILLE ESCHOLIÈRE</h2> + +<h3>I</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-169-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption"> +DÉBRIS DU COLLÈGE SAINT-MICHEL<br /> RUE DE BIÈVRE +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p><span class="letra">L</span>A grande Université de Paris.—Fondation de Mᵉ Robert de +Sorbon.—Les quatre nations de la faculté des Arts.—La rue du +Fouarre.—Les écoles de médecine.—Le collège des Haricots et son +maître fouetteur.—Les pauvres Capettes de Montaigu.—Etudiants +vagabonds.—Tavernes et mauvais lieux.—Désordres et bagarres.—Les +cinquante collèges.—Immunités et privilèges de l’Université.—La +procession du Landit.—Les écoles de droit au Clos Bruneau.—Robert +Estienne.</p></div> + +<p>«Les rois de France s’accoutumèrent à porter dans leurs armes la fleur +de lys peinte par trois feuilles afin qu’elles disent à tout le monde: +«Foi, Sapience et Chevalerie sont par la provision et la grâce de Dieu +plus abondamment en notre royaume qu’en les autres. Les deux feuilles de +la fleur de lys qui sont ailées signifient <i>sens</i> et <i>chevalerie</i> qui +gardent et défendent la tierce feuille au milieu, par laquelle <i>Foi</i> est +entendue<span class="pagenum"><a name="page_142" id="page_142">{142}</a></span> et signifiée, car elle doit être gouvernée par sapience et +défendue par chevalerie...»</p> + +<p>Ainsi dit le sire de Joinville, parlant des discordes entre les +bourgeois de Paris et les clercs de l’Université. Il ajoute: Précieux +joyaux sont la sapience et l’étude des lettres et la philosophie qui +vinrent primitivement de Grèce à Rome et de Rome en France...</p> + +<p>Passées sur la rive gauche au temps d’Abélard, cent ans avant saint +Louis, les écoles de Paris, ayant secoué le manteau épiscopal et sa +protection un peu lourde, étaient devenues la libre Université du <small>XIII</small>ᵉ +siècle, universalité des maîtres, des élèves et des études, corps +régulièrement organisé divisé en quatre facultés: Faculté des Arts dont +les étudiants étaient répartis en quatre nations: nation de France, +nation d’Angleterre, nation de Normandie et nation de Picardie; Faculté +de théologie, Faculté de décret ou droit canon, car on n’enseignait +point d’abord le droit romain, et Faculté de médecine. Seules les +petites écoles, celles où se distribuait l’instruction élémentaire, +étaient restées sous la dépendance de l’Église; établies dans chaque +paroisse elles relevaient d’un fonctionnaire de la cathédrale, le +<i>chantre de Notre-Dame</i>. Il y avait des maîtres et des maîtresses.</p> + +<p>L’ensemble de l’Université, collèges, maîtres et élèves, constituait sur +les pentes de la montagne Sainte-Geneviève une nation particulière dans +une ville à part, ayant sa langue particulière aussi, puisqu’on ne +parlait aux écoles que le latin.</p> + +<p>Bien vite, avec la renaissance des études, avec des maîtres dont les +noms célèbres portaient au loin la gloire de l’Université parisienne, +ces Écoles prirent une importance et une extension considérables. Les +écoliers leur arrivaient en foule des provinces lointaines, des pays +étrangers. Cette jeunesse avide de science, mieux pourvue de bonne +volonté que d’écus, ces étudiants de tous les pays trouvaient ici des +collèges innombrables, entretenus au moyen de fondations pieuses, où les +écoliers recevaient gîte et nourriture ou gîte seulement.</p> + +<p>Les bandes d’étudiants, accourant de tous les coins de l’Europe, +envahissant la ville des écoles, étaient donc primitivement réparties en +quatre nations, mais devant leur foule de plus en plus nombreuse chaque +année, on fut obligé de créer de nouvelles subdivisions. Remplis d’une +belle ardeur, ils venaient s’abreuver à la fontaine de science, décidés +à gravir un à un les échelons conduisant à la maîtrise et à la fortune, +sans se laisser rebuter par rien,—obscurités de la scholastique ou +difficultés de la vie matérielle,—décidés à mettre tout le temps +nécessaire, à passer des années et des années sous la chaire des +professeurs, mais à ne se point retirer sans la possession du Trivium et +du Quadrivium, les sept arts libéraux enseignés par les maîtres, +c’est-à-dire les trois premiers degrés, ou trivium: grammaire, +rhétorique et dialectique, base de l’enseignement, et les degrés +supérieurs ou quadrivium: arithmétique, musique, géométrie, astronomie.</p> + +<p>Ainsi est née avec des statuts élaborés au commencement du <small>XIII</small>ᵉ siècle +et approuvés par les papes, avec des privilèges accordés par les rois, +cette brillante Université dont les docteurs les plus éminents ont place +aux conciles, dont l’éclat dépasse les frontières de France et qui eut +pour élèves des papes, des archevêques,<span class="pagenum"><a name="page_143" id="page_143">{143}</a></span> des princes, des rois. Ainsi se +forma cette ville des écoles vivant de sa vie propre à côté de Paris, +avec ses mœurs particulières, ses coutumes, ses privilèges.</p> + +<p>Ils sont nombreux, ces privilèges de l’Université, ces immunités +particulières des escholiers; le moyen âge, cette époque qu’on s’est +toujours représentée si rude et si grossière, aime la science, et la +<i>clergie</i> confère aux plus humbles clercs, outre le respect et la +considération, une foule d’avantages sérieux. Aussi voit-on arriver dans +cette ville de la science, pour prendre leurs degrés aux Écoles de Paris +et obtenir par les lettres ces situations sociales, charges séculières +ou bénéfices ecclésiastiques, des escholiers de toutes conditions, des +cadets de maison noble, des fils de bonne famille bourgeoise, dédaigneux +de l’épée ou du négoce, des jeunes gens de petite extraction pourvus +d’une bourse en quelque maison, aussi bien que des étudiants dépourvus +de la plus mince ressource, venus en mendiant sur les routes, logés +ensuite à Paris dans quelque galetas de collège, mais obligés ou à peu +près de quêter leur pain par les rues.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Dedans Paris les sciences florissent<br /></span> +<span class="i0">Et gens sçavants en ce lieu resplendissent<br /></span> +<span class="i0">Plus qu’en nul lieu car Pallas y octroye<br /></span> +<span class="i0">Autant et plus qu’en Athènes ou Troie<br /></span> +<span class="i0">Le sien séjour et les muses sçavantes<br /></span> +<span class="i0">Font en ce lieu leur demeure tenantes...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>A la Sorbonne fondée par Robert de Sorbon, chapelain de saint Louis, +choisi par le roi «<i>pour la grant renommée qu’il avait d’être +prudhomme</i>», sont les grandes écoles de théologie qui ont commencé bien +modestement, avec quelques professeurs et quelques boursiers en une +pauvre maison. Les leçons des maîtres donnèrent rapidement à la maison +de Sorbonne une célébrité sans pareille, une prospérité extraordinaire +et une autorité sur toutes les matières de la foi, domaine légitime dont +on ne se contenta point aux siècles troublés, quand les docteurs de la +Sorbonne voulurent étendre cette autorité sur les choses de la +politique.</p> + +<p>Sur la savante montagne Sainte-Geneviève brille l’étoile de la pensée +que ne voileront pas les obscurités de la scholastique, le pédantisme +des études; et toutes les difficultés des épreuves et des thèses, le +terrible renom des Sorbonnagres, la rigueur des maîtres des diverses +écoles, ne rebuteront point la jeunesse avide de cette science qu’on lui +sert pourtant sous épineuse enveloppe et qu’il lui faut décortiquer avec +les dents effilées de l’intelligence. Et voyez comme dans son <i>Traité +des louanges de Paris</i> Jean de Jaudun, un moine du <small>XIV</small>ᵉ siècle, parle +avec une emphase respectueuse de ces maîtres:</p> + +<p>«... Dans la très paisible rue nommée de Sorbonne comme aussi dans +nombre de maisons religieuses on peut admirer des pères vénérables, des +seigneurs et pour ainsi dire des satrapes célestes et divins parvenus +heureusement au faîte de la perfection humaine qui élucident +solennellement les textes sacrés...»</p> + +<p>Les écoles de droit ou de décret sont au-dessus de la commanderie de +Saint-Jean de Latran, sur l’ancien clos Bruneau, autrefois l’un des +petits vignobles cou<span class="pagenum"><a name="page_144" id="page_144">{144}</a></span>vrant les pentes de la colline, clos fameux chez +les écoliers, où se sont installés plusieurs collèges, Beauvais, +Presles, etc. «Dans la rue qu’on nomme clos Bruneau, les utiles lecteurs +des décrets et des décrétales proposent leurs doctrines devant une +multitude nombreuse d’auditeurs.» C’est le berceau de la faculté de +droit restée fidèle au clos Bruneau jusqu’à la fin du siècle dernier, +époque où les bâtiments de la rue Saint-Jean-de-Beauvais tombant en +ruines, l’École émigra dans l’édifice construit pour elle à l’un des +angles de la place devant le Panthéon.</p> + +<p>Les écoles de médecine furent moins bien partagées que les écoles de +théologie, de droit ou de grammaire, elles restèrent longtemps errantes, +logées n’importe où. La médecine n’eut son local à elle qu’au <small>XV</small>ᵉ +siècle, quand on l’installa dans une maison de la rue de la Bucherie. +Jusque-là l’enseignement dut se donner dans d’assez mauvaises +conditions, on ne sait pas où exactement, dans les maisons des mires ou +médecins, dont la science confuse, composée surtout de pratiques +empiriques, n’était pas tenue en grand honneur alors et qui n’avaient pu +trouver place dans l’Université.</p> + +<p>Les docteurs se réunissaient dans des chapelles d’églises, à +Saint-Jacques la Boucherie, aux Mathurins, et surtout autour du bénitier +de Notre-Dame où se tenaient les assemblées générales. Le médecin de +Charles VII, Desparts, légua à sa mort une somme d’argent à la faculté +de médecine pour lui assurer un local. C’est alors que fut achetée aux +Chartreux la maison de la rue de la Bucherie, installation modeste qui +s’agrandit un peu par la suite.</p> + +<p>Quant aux écoles de grammaire de la faculté des Arts, elles occupent +pendant quatre siècles la vieille rue du Fouarre, bordée de locaux que +chaque jour remplissent les étudiants assis ou couchés sur la paille +devant la chaire des maîtres, locaux trop petits pour la foule qui s’y +presse, qui déborde dans la rue et s’efforce de recueillir +l’enseignement qui lui arrive par les fenêtres ouvertes quand il n’est +pas donné en plein air dans la rue même.</p> + +<p>Les collèges sont au nombre d’une cinquantaine peut-être, quelques-uns +ont des maîtres et des cours suivis, mais bon nombre ne sont en réalité +que des logis d’étudiants qui suivent les cours des grandes écoles. Ces +collèges sont des fondations de hauts personnages, de dignitaires de +l’Église ou de simples particuliers qui ont acheté des maisons pour +recevoir les écoliers de leur province, de leur diocèse ou de leur +ville. Il y a aussi des collèges étrangers, pour les étudiants attirés +d’Angleterre, d’Italie, des pays d’Allemagne, et même de plus loin, par +la renommée de l’Université parisienne.</p> + +<p>Aucune uniformité dans le régime de ces maisons, entretenues plus ou +moins bien par des donations, des rentes diverses, fournies quelquefois +par de nobles seigneurs, souvent par des legs d’écoliers parvenus, +d’honnêtes bourgeois, de bons chanoines, anciens écoliers reconnaissants +envers la maison qui donna la pâture intellectuelle et matérielle à leur +jeunesse studieuse.</p> + +<p>Sous Philippe-Auguste, on comptait déjà plus de deux mille écoliers, +mais ils n’avaient point encore de quartier particulier. Dispersés un +peu partout, ils venaient aux écoles de Notre-Dame, de Saint-Germain +l’Auxerrois ou d’ailleurs,</p> + +<div class="figcenter" style="width: 386px;"> +<a href="images/illu-173.jpg"> +<img src="images/illu-173.jpg" width="386" height="558" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA TÊTE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE PROMENÉE SOUS LES +FENÊTRES DU TEMPLE</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p> +<span class="pagenum"><a name="page_145" id="page_145">{145}</a></span></div> +</div> + +<p class="nind">«personne ne s’étant encore avisé de fonder des collèges ou hospices. Je +me sers du mot hospice, dit Sauval, non sans raison, car les collèges +qu’on vint à bâtir d’abord n’étaient simplement que pour loger et +nourrir de pauvres étudiants. Que si depuis on y a fait tant d’écoles, +ce n’a été que longtemps après et pour perfectionner ce que les +fondateurs en quelque façon n’avaient qu’ébauché».</p> + +<p>Joinville raconte que saint Louis fit acheter «maisons qui sont en deux +rues près le palais des Thermes, esquelles il fit faire maisons bonnes +et grandes pour ce que escholiers étudiant à Paris demeurassent +illecques à toujours: et encore de ces maisons sont aucunes louées à +autres écoliers, desquelles le prix ou le louage est converti au profit +des pauvres écoliers devant dis».</p> + +<p>Bon nombre de ces écoliers venant des provinces lointaines, boursiers de +quelque fondation, ne trouvent donc en arrivant à leur collège que le +couvert et doivent se pourvoir du reste, c’est une affaire entendue, +tandis que d’autres établissements plus riches nourrissent leurs +boursiers ou leur donnent chaque semaine quelques deniers pour +s’arranger à leur guise. Parmi les grands collèges qui sont quelque +chose de plus que des hôtelleries sans cuisine, le collège de Montaigu, +très important, est l’un des plus durs, comme régime de vie intérieure, +comme aussi l’un des plus pauvres.</p> + +<div class="figright" style="width: 209px;"> +<a href="images/illu-175.jpg"> +<img src="images/illu-175.jpg" width="209" height="329" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE MAITRE FOUETTEUR DU COLLÈGE MONTAIGU</p></div> +</div> + +<p>C’est là que les écoliers sont le moins nourris et le plus battus, car +en ces temps, l’une des façons réputées les meilleures de faire entrer +la science dans la tête des étudiants, c’est de distribuer largement les +étrivières sur une autre partie du corps. On ne s’en fait pas faute à +Montaigu, certain frère fouetteur de Montaigu gagna une telle réputation +de forte poigne que parfois les autres collèges l’envoyaient chercher. +«Tempeste, dit Rabelais parlant du principal de son temps, fut un grand +fouetteur d’escholiers au collège de Montagut; si pour fouetter pauvres +petits enfants, escholiers innocents, les pédagogues sont damnés, il +est, sur mon honneur en la roue d’Ixion, fouettant le chien courtaut qui +l’esbranle.»<span class="pagenum"><a name="page_146" id="page_146">{146}</a></span> Rabelais appelle Montaigu collège de pouillerie et +Pornocrates, le maître de Grandgousier s’indignant «de l’énorme cruauté +et villenye qu’il y connut, car trop mieux sont traités les forçats chez +les Maures, les meurtriers en la prison criminelle, voire certes les +chiens en votre maison, dit que s’il était roy de Paris, il ferait +brusler et principal et régents».</p> + +<p>Quelle triste chère aussi pour les pauvres diables d’écoliers condamnés +à une dizaine d’années de Montaigu, maigre, très maigre cuisine quand on +en fait, la maison est si pauvre! M. Cocheris, à propos de cette +pauvreté, cite une supplique au roi en 1675, exposant que le collège n’a +pas quatre francs par jour pour nourrir cinquante personnes.</p> + +<p>Rabelais qui, plus d’une fois dans son livre, accable Montaigu de son +indignation, avait peut-être goûté de son régime en sa jeunesse, M. +Édouard Fournier le suppose du moins.</p> + +<p>On y faisait donc de bonnes études, les écoliers s’acharnant peut-être +au travail pour en sortir plus vite. Erasme, quand il vint compléter ses +études à Paris, fut élève de Montaigu. Entré bien portant, avec la +fringale de la science seulement, il souffrit tant de l’autre fringale, +de la malpropreté et de la tristesse du lieu, qu’il en tomba malade et +dut regagner son pays.</p> + +<p>Les pauvres élèves de Montaigu étaient aussi mal habillés que mal +nourris, on ne leur fournissait que de pauvres hardes avec une cape de +grosse bure brune, ce qui les faisait appeler les <i>Capettes de +Montaigu</i>. Leur collège, objet de raillerie dans le pays latin, était +surnommé le <i>collège des Haricots</i>, à cause du légume dont on faisait +toute l’année le fond de la nourriture des élèves, ce qui ne veut +toutefois pas dire qu’on leur en donnât toujours suffisamment.</p> + +<p>Ce surnom si bien mérité a traversé les siècles: lorsque le collège +Montaigu aux bâtiments rébarbatifs, vieillis et encore assombris, eut +vécu ses derniers jours, lorsque la Révolution le supprima, de ce +collège <i>carcere duro</i>, elle fit tout naturellement une prison: des +détenus militaires remplacèrent les écoliers. Furent-ils mieux nourris? +il faut l’espérer pour eux qui n’avaient point l’étude pour +consolatrice. Le collège Montaigu devint, dans le langage courant, la +<i>prison des Haricots</i>.</p> + +<p>Après les militaires, on y mit des gardes nationaux récalcitrants; le +vieux nom persista; la maison d’arrêt de la garde nationale fut dénommée +par les soldats citoyens l’<i>hôtel des Haricots</i>. On démolit Montaigu +pour installer à sa place la bibliothèque Sainte-Geneviève, lorsqu’elle +émigra du vieux local bâti par les moines, beau débris du passé dont on +fit table rase sous un prétexte non justifié de manque de solidité, et +l’on aménagea vers Passy une nouvelle maison d’arrêt de la garde +nationale laquelle prit tout aussitôt le vieux surnom provenant de +Montaigu et resta, jusqu’à la fin de la garde nationale, l’<i>hôtel des +Haricots</i>, aux souvenirs vaudevillesques, aux <i>cachots</i>(!) illustrés de +dessins et peintures entremêlés d’inscriptions en vers et en prose par +les gens de lettres et artistes peu soucieux de la gloire de monter la +garde aux Tuileries ou à l’Hôtel de Ville. La cellule nº 14 y était +fameuse: Decamps, Théophile Gautier, Daumier, Gavarni,<span class="pagenum"><a name="page_147" id="page_147">{147}</a></span> Devéria, +Français, Alfred de Musset, y incarcérés, l’avaient décorée au crayon et +au pinceau.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">On dit triste comme la porte<br /></span> +<span class="i4">D’une prison<br /></span> +<span class="i0">Et je crois, diable m’emporte,<br /></span> +<span class="i4">Qu’on a raison.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p class="nind">avait rimé Musset dans cette peu terrible cellule.</p> + +<p>Étrange association de noms: Gavarni et Daumier reliés à Rabelais, +Gautier et Musset à Erasme, la garde nationale aux pauvres Capettes de +Montaigu!</p> + +<p>Plus heureux vraiment sont les écoliers presque vagabonds, mais libres, +qui, pour vivre, travaillent de leurs bras, louent quelquefois leurs +services, se font chantres de quelque église; plus heureux même ceux qui +mendient leur pain. Beaucoup de ces collèges sont loin d’être tenus avec +l’austérité et la sévérité de Montaigu, la discipline y est inconnue; +dans quelques-uns écoliers et maîtres vivent dans un désordre peu +favorable aux études; ils sont trop voisins des tavernes et l’on a vu +même quelquefois des régents peu scrupuleux serrer les écoliers dans une +partie des bâtiments et tirer parti du reste en louant des locaux à des +industriels qui en ont fait des cabarets et pire encore.</p> + +<p>Ainsi après des années d’études passées depuis l’enfance sous la férule +de pédagogues imbus de ce principe que le maître qui bat bien enseigne +bien, après les années d’études primaires passées en quelque école de +paroisse ou même en quelque collège prenant l’écolier tout jeune, études +poursuivies ensuite plus librement comme boursier de quelque fondation, +courant aux leçons des maîtres fameux ou préférant les esbattements des +tavernes, les plaisirs tumultueux du Pré aux Clercs et les joyeux propos +des camarades, au dur labeur de suivre les argumentations des savants à +méthodes rébarbatives,—l’escolier, après des examens très difficiles, +finissait par attraper ses diplômes et trouvait le moyen de se faire +nommer à quelque bénéfice ou pourvoir de quelque bonne place lui +fournissant amplement ces pécunes, dont il était jadis si peu pourvu.</p> + +<p>Il pouvait devenir pédagogue à son tour et transfuser la science à coups +de verges aux écoliers ses successeurs; ou bien il entrait dans les +ordres, obtenait quelque bonne cure, quelque canonicat douillet. S’il +dénichait de puissantes protections, les chemins étaient ouverts +largement devant lui; il pouvait tout espérer, les plus hautes +situations séculières ou ecclésiastiques, la faveur des princes et les +avantages qui en résultent, les grands emplois... Et alors, sur ses +vieux jours, se remémorant ses souvenirs du pays des Études, de ses +misères et de ses joies, du bon temps quelquefois si dur de sa jeunesse, +il se souvenait de son vieux collège, et lui léguait quelque petit bien +pour entretenir les étudiants, ses successeurs. Tous les escholiers +n’arrivaient point là. Écoutons François Villon en son grand testament:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Bien sçai si j’eusse étudié<br /></span> +<span class="i0">Au temps de ma jeunesse folle<br /></span> +<span class="i0">Et a bonnes mœurs dedié<br /></span> +<span class="i0">J’eusse maison et couche molle!...<span class="pagenum"><a name="page_148" id="page_148">{148}</a></span><br /></span> +<span class="i0">Ou sont les gratieux gallants<br /></span> +<span class="i0">Que je suivye au temps jadis,<br /></span> +<span class="i0">Si bien chantans, si bien parlans,<br /></span> +<span class="i0">Si plaisans en faictz et en dictz?<br /></span> +<span class="i0">Les anciens sont morts et roydiz,<br /></span> +<span class="i0">D’eulx n’est-il plus rien maintenant.<br /></span> +<span class="i0">Respits ils ayent au Paradis<br /></span> +<span class="i0">Et Dieu sauve le remenant!<br /></span> +<span class="i0">Et les aucuns sont devenuz<br /></span> +<span class="i0">Dieu mercy! grands seigneurs et maistres,<br /></span> +<span class="i0">Les aultres mendient tout nudz<br /></span> +<span class="i0">Et pain ne voyent qu’aux fenestres;<br /></span> +<span class="i0">Les aultres sont entrez en cloistres,<br /></span> +<span class="i0">De Célestins et de Chartreux,<br /></span> +<span class="i0">Bottés, housez com pescheurs d’oystres<br /></span> +<span class="i0">Voila l’estat divers d’entre eulx.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>De ces maisons de science, officines de bacheliers et de docteurs qui +hérissent la montagne de Sainte-Geneviève et font de ce Paris de la rive +gauche une ville particulière, la grande cité des Études, voici à peu +près la liste, non pas complète, car on pourrait y ajouter tels +établissements de minime importance qu’il est inutile de nommer, tels +collèges qui vécurent peu et disparurent faute de ressources +suffisantes:</p> + +<p><i>Collège de Sorbonne</i>, grande école de théologie fondée vers 1250, par +Robert de Sorbon, du village de Sorbon près de Rethel, grâce à un legs +de Robert de Douai, chanoine de Senlis, son ami, et aux libéralités de +saint Louis. Le collège de Sorbonne eut de très humbles commencements: +il n’y avait d’abord place, dans les maisons achetées par le roi, que +pour quelques docteurs menant la vie la plus modeste, pour ne pas dire +pauvre, et pour seize boursiers seulement. Peu après la fondation, +Robert de Sorbon put adjoindre à l’établissement primitif un petit +collège de jeunes enfants qui passaient plus tard dans les classes +supérieures, aux études de théologie.</p> + +<p>Bien petits commencements pour cette institution qui va croître si vite +en grandeur et en puissance, qui va régenter la théologie, décider sur +toutes les questions religieuses et bientôt connaître également de la +politique, se lancer passionnément, en terrible disputeuse et ergoteuse, +dans toutes les querelles des partis, prenant position dans toutes les +luttes, et bataillant à coups de thèses et de décrets, avec une vigueur, +une violence redoutables et une obstination jamais lassée. La Sorbonne +est une forteresse dont la garnison de docteurs et professeurs, dans les +crises nationales, n’a pas toujours arboré le bon drapeau. Elle fut +bourguignonne dans la guerre civile, anglaise ensuite et condamna Jeanne +d’Arc; elle fut guisarde, espagnole, combattit pour la Ligue avec furie +et fut, après la victoire du Béarnais tant de fois condamné par elle, +très lente à faire sa soumission.</p> + +<p>Richelieu, qui la réorganisa, marque la fin de sa grande époque. Dans +ces temps, la Sorbonne vieillie vit son champ de luttes se restreindre +singulièrement et elle s’achemina tout doucement vers sa transformation +définitive.<span class="pagenum"><a name="page_149" id="page_149">{149}</a></span></p> + +<p><i>Collège des Lombards</i>, rue des Carmes, fondé en 1334, dit maison des +<i>pauvres écoliers italiens de la bienheureuse Marie</i>, ruiné et abandonné +au <small>XVI</small>ᵉ siècle, devenu au <small>XVII</small>ᵉ collège des prêtres irlandais, qui ont +laissé une chapelle rue des Carmes, 23, au fond d’une cour.</p> + +<p><i>Collège de Karembert</i>, fondé par un gentilhomme breton pour les +écoliers du diocèse de Léon, collège de bonne heure tombé dans la +misère, les bâtiments s’écroulant, le principal vendant les portes et +les fenêtres, les malheureux boursiers obligés de chanter par les rues +pour vivre.</p> + +<p><i>Collège de Lisieux</i>, fondé en 1336 par Guy d’Harcourt, évêque de +Lisieux, pour vingt-quatre boursiers; démoli au <small>XVIII</small>ᵉ siècle, pour +former la grande place devant la nouvelle Sainte-Geneviève, c’est-à-dire +le Panthéon.</p> + +<p><i>Collège de Constantinople</i>, fondé au <small>XIII</small>ᵉ siècle pour des étudiants +grecs envoyés par l’empereur Baudoin, après la prise de Constantinople +par les Croisés.</p> + +<div class="figright" style="width: 269px;"> +<a href="images/illu-179.jpg"> +<img src="images/illu-179.jpg" width="269" height="473" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES ÉCOLIERS TIRELAINES AU CARREFOUR COUPE-GUEULE</p></div> +</div> + +<p><i>Collège de Clermont</i>, fondé en 1563 par Guillaume Duprat, évêque de +Clermont, qui le donna bientôt aux jésuites. Les jésuites eurent tout de +suite de graves désaccords avec l’Université, qui voyait<span class="pagenum"><a name="page_150" id="page_150">{150}</a></span> d’un œil +inquiet cette nouvelle puissance s’élever, et ces désaccords +dégénérèrent vite en guerre ouverte, en procès devant le Parlement. +L’Université avait fait sa soumission à Henri IV et voulait se faire +pardonner sa participation fougueuse à la Ligue; les jésuites s’étaient +distingués aussi, mais ils restaient devant le vainqueur dans une +réserve hostile. L’affaire se décida contre eux, lors de l’attentat de +Jean Chatel. Le collège fut fermé, le principal et les professeurs +furent arrêtés, le Parlement prononça leur bannissement et l’on vit un +jour, en 1595, les 37 jésuites de Clermont, conduits par un huissier du +Parlement, quitter la ville, les uns empilés dans trois charrettes, les +autres à pied. Ils revinrent en 1618 et leur collège de Clermont se +rouvrit triomphalement, malgré l’opposition de l’Université.</p> + +<p>Les jésuites, de plus en plus en faveur à la cour de Louis XIV, firent +disparaître une nuit le nom de Clermont inscrit sur leur porte et lui +substituèrent celui de Louis le Grand. Agrandi des collèges de +Marmoutiers et du Mans, le collège Louis le Grand acquit une prospérité +extraordinaire et vit se presser sur ses bancs les fils des plus grandes +familles de France, jusqu’à l’expulsion des Jésuites en 1763.</p> + +<p>Particularité curieuse, en 93, l’ancien collège des jésuites Louis le +Grand, sous le nom de collège Égalité, fut le seul collège qui resta +ouvert pendant toute la durée de la Terreur.</p> + +<p>Pendant les deux derniers siècles, le collège des Jésuites eut son +théâtre, où pour les solennelles distributions de prix, devant une foule +aristocratique, les élèves jouaient des tragédies rimées par des +professeurs, des pièces latines, des tragédies en musique et dansaient +même des ballets. M. Cocheris a donné une longue liste de ces pièces de +circonstance, dans laquelle nous pouvons relever quelques titres:</p> + +<p><i>Les réjouissances du Lys et de l’impériale</i>, ballet dédié à Leurs +Majestés par les écoliers du collège de Paris de la compagnie de Jésus, +1660.</p> + +<p><i>Les Tartares convertis</i>, 1657.</p> + +<p><i>La Prise de Babylone</i>.</p> + +<p><i>Le Ballet des songes</i>, 1671.</p> + +<p><i>La France victorieuse sous Louis le Grand</i>, ballet, 1680.</p> + +<p><i>Les Héros ou les Actions d’un grand prince</i>, ballet, 1684.</p> + +<p><i>Le ballet de Mars et de la Guerre</i>, 1696.</p> + +<p><i>Jason ou la conquête de la Toison d’or</i>, ballet mêlé de récits, 1701.</p> + +<p><i>Adonias</i>, tragédie; l’<i>Empire de l’Imagination</i>, ballet pour la +tragédie d’Adonias, 1702.</p> + +<p><i>Maurice, empereur d’Orient</i>, tragédie.</p> + +<p><i>L’Empire du monde partagé entre les dieux de la fable</i>, ballet, 1710.</p> + +<p><i>L’Empire de la folie</i>, ballet, 1712. <i>L’Art de vivre heureux</i>, ballet +intermède de la tragédie d’<i>Hermenegilde</i>, 1718, etc...</p> + +<p>Les jésuites avec leur théâtre <i>officiel</i>, pompeux et ordonné, ne +faisaient que reprendre en la modifiant une vieille tradition écolière. +Les collèges avaient eu autrefois des théâtres <i>libres</i>, où les +étudiants des collèges Navarre, Bourgogne, Justice,<span class="pagenum"><a name="page_151" id="page_151">{151}</a></span> Boncourt, etc., à +l’instar des Clercs de la Basoche du Palais, des Enfants Sans Souci et +des confrères de la Passion, donnaient en spectacle public des <i>farces</i> +et <i>moralités</i>, dans lesquelles les acteurs prenaient souvent +d’audacieuses libertés vis-à-vis des autorités de l’Église ou du +royaume, et des gens de la cour.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 258px;"> +<a href="images/illu-181.jpg"> +<img src="images/illu-181.jpg" width="258" height="332" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉGLISE DU COLLÈGE DE BEAUVAIS</p></div> +</div> + +<p>Reprenons la liste des collèges:</p> + +<p><i>Collège de Suède</i>, fondé au <small>XIV</small>ᵉ siècle.</p> + +<p><i>Collège des Allemands.</i></p> + +<p><i>Collège de Dace ou de Danemark</i>, fondé en 1275.</p> + +<p><i>Collège de Picardie.</i></p> + +<p><i>Collège de Chollet</i> ou <i>des Chollets</i>, fondé en 1292 par le cardinal +Jean Chollet, supprimé à la Révolution. Les derniers bâtiments et la +chapelle ont été rasés en 1822 pour l’agrandissement de Louis le Grand.</p> + +<p><i>Collège de Navarre</i>, fondé en 1304 par la reine Jeanne de Navarre, +femme de Philippe le Bel, et doté assez richement pour que les bourses y +fussent plus impor<span class="pagenum"><a name="page_152" id="page_152">{152}</a></span>tantes que partout ailleurs. On a calculé que la +valeur moyenne d’une bourse à Navarre était de 1,170 francs, monnaie +actuelle. Collège illustre entre tous et qui eut pour élèves Jean +Gerson, Ramus, et nombre de savants et professeurs fameux.</p> + +<p>C’était aussi le collège de la noblesse au <small>XVI</small>ᵉ siècle avant les succès +des jésuites. Henri de Valois, Henri de Bourbon et Henri de Guise y +étudièrent en même temps et y reçurent un jour, en 1568, la visite du +roi Henri II.</p> + +<p>Le roi de France était de fondation le premier boursier de Navarre et +l’argent de sa bourse était affecté à l’achat des verges <i>nécessaires</i> +aux études. Navarre possédait une belle entrée sur la rue de la +Montagne-Sainte-Geneviève, un beau porche décoré de statues s’ouvrant +dans une ligne de pignons gothiques. Navarre, à la Révolution, fut réuni +à Boncourt et devint l’École Polytechnique.</p> + +<p><i>Collège de Boncourt</i>, fondé en 1353 par Pierre de Boncourt.</p> + +<p><i>Collège de Tournai</i>, réuni à Navarre en 1638.</p> + +<p><i>Collège de Presles</i>, fondé en 1313 par Raoul de Presles.</p> + +<p><i>Collège du Plessis</i>, fondé en 1322 par Geoffroy du Plessis, uni à la +Sorbonne en 1646, prison en 93. Ce collège a été rasé pour les nouveaux +bâtiments de Louis le Grand.</p> + +<div class="figleft" style="width: 252px;"> +<a href="images/illu-182.jpg"> +<img src="images/illu-182.jpg" width="252" height="387" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENTRÉE DU COLLÈGE DE NAVARRE</p></div> +</div> + +<p><i>Collège des Écossais</i>, fondé en 1323 par l’évêque de Murray en Écosse. +Prison en 93, où Saint-Just au 9 thermidor fut écroué. Les bâtiments +occupés par une institution existent encore devant la rue Clovis.<span class="pagenum"><a name="page_153" id="page_153">{153}</a></span></p> + +<p><i>Collège d’Hubant</i> ou de l’<i>Ave Maria</i>, fondé en 1336 par Jean Hubant, +conseiller du roi, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève.</p> + +<p><i>Collège Saint-Michel</i>, rue de Bièvre, 12, fondé en 1348 par Guillaume +de Chanac, évêque de Paris.</p> + +<p><i>Collège des Trois-Évêques</i> ou <i>de Cambrai</i>, fondé en 1348 par les +évêques de Langres, de Laon et de Cambrai; démoli en 1774 pour le +collège de France.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 364px;"> +<a href="images/illu-183.jpg"> +<img src="images/illu-183.jpg" width="364" height="278" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE EN 1814</p></div> +</div> + +<p><i>Collège de Beauvais</i>, fondé en 1370 par le cardinal Jean de Dormans, +évêque de Beauvais, pour douze boursiers de Dormans ou de Soissons. +Après l’expulsion des Jésuites au <small>XVII</small>ᵉ siècle, les boursiers du collège +de Beauvais passèrent à Louis le Grand, et ses bâtiments furent affectés +au collège de Lisieux. A la Révolution, ils devinrent magasins +militaires, puis caserne dite de Lisieux. La caserne ayant été +supprimée, les bâtiments ont disparu, mais la chapelle subsiste rue +Saint-Jean-de-Beauvais; restaurée après la démolition de la Caserne, +elle est affectée aujourd’hui à l’église roumaine.</p> + +<p><i>Collège de Fortet</i>, fondé en 1397, berceau de la Ligue et du conseil +des Seize.</p> + +<p><i>Collège de Sainte-Barbe</i>, fondé en 1420; le collège vit arriver au <small>XVI</small>ᵉ +siècle un étudiant espagnol de trente-sept ans, déjà docteur de +l’université de Salamanque, Ignace de Loyola, qui devait devenir le +fondateur de la société de Jésus.<span class="pagenum"><a name="page_154" id="page_154">{154}</a></span></p> + +<p><i>Collège de Reims</i>, fondé en 1412 par l’archevêque de Reims, reconstruit +au <small>XVIII</small>ᵉ siècle et réuni à Sainte-Barbe.</p> + +<p><i>Collège de Bayeux</i>, fondé en 1308 par Guillaume Bonnet, évêque de +Bayeux, pour des boursiers du Mans et d’Anjou.</p> + +<p><i>Collège de Laon</i>, fondé en 1327 par Guy de Laon, trésorier de la +Sainte-Chapelle.</p> + +<p><i>Collège de Montaigu</i>, fondé en 1314 par le cardinal de Montaigu, évêque +de Laon.</p> + +<p><i>Collège de Narbonne</i>, fondé en 1307 par Bernard de Fargis, archevêque +de Narbonne.</p> + +<p><i>Collège de France</i> ou <i>collège Royal</i>, dit d’abord Collège des Trois +Langues, fondé en 1529 par François Iᵉʳ pour les hautes études.</p> + +<p><i>Collège de Tréguier</i>, fondé en 1325.</p> + +<p><i>Collège de Grassins</i>, fondé en 1571 par Pierre Grassins, conseiller au +Parlement. Ce collège innova au <small>XVIII</small>ᵉ siècle le palmarès; il en reste +une porte, rue Laplace, ancienne rue des Amandiers.</p> + +<p><i>Collège de Bourgogne</i>, fondé en 1332 par la reine Jeanne, femme de +Philippe V, rue des Cordeliers, acheté en 1769 par l’Académie Royale de +Chirurgie, aujourd’hui École de médecine.</p> + +<p><i>Collège Mignon</i>, fondé en 1345, appartenant aux religieux de l’ordre de +Grammont, chapelle reconstruite en 1749, transformée aujourd’hui en +imprimerie.</p> + +<p><i>Collège du Cardinal Lemoine</i>, fondé en 1297 par le cardinal Jean +Lemoine.</p> + +<p><i>Collège des Bons-Enfants Saint-Victor</i>, <small>XIII</small>ᵉ siècle. Ce collège eut +pour principal, au <small>XVII</small>ᵉ siècle, saint Vincent de Paul. Il fut +transformé plus tard en séminaire et devint prison en 93.</p> + +<p><i>Collège de Justice</i>, fondé par Jean de Justice, chantre de Bayeux, +chanoine de Paris, pour huit écoliers du diocèse de Rouen et quatre de +Bayeux.</p> + +<p><i>Collège des Trésoriers</i>, fondé en 1269 pour vingt-quatre écoliers par +le trésorier de Notre-Dame de Rouen.</p> + +<p><i>Collège de Calvi</i>, démoli au <small>XVII</small>ᵉ siècle pour la Sorbonne.</p> + +<p><i>Collège d’Harcourt</i>, fondé en 1200 par des membres de la famille +d’Harcourt, qui possédait près de là un hôtel.</p> + +<p><i>Collège de Cornouailles</i>, fondé en 1317.</p> + +<p><i>Collège de la Marche</i>, fondé en 1362 par Guillaume de la Marche, +chanoine de Toul.</p> + +<p><i>Collège d’Arras</i>, fondé en 1332 par l’abbé de Saint-Wast d’Arras.</p> + +<p><i>Collège de Tours</i>, fondé en 1333 par Étienne de Bourgueil, archevêque +de Tours.</p> + +<p><i>Collège d’Autun</i>, fondé en 1337, rue Saint-André-des-Arts.</p> + +<p><i>Collège de Boissi</i>, fondé en 1356 par Guillaume de Boissi pour +«étudiants pauvres et de basse extraction» de la famille de Boissi ou +natifs de Boissi-le-Sec.</p> + +<p><i>Collège de Dainville</i>, 1380; <i>collège de Seez</i>, 1427; <i>collège du +Mans</i>, 1519.<span class="pagenum"><a name="page_155" id="page_155">{155}</a></span></p> + +<p><i>Collège de Mᵉ Gervais</i>, fondé en 1371 par Gervais Chrétien, chanoine de +Bayeux et médecin de Charles V.</p> + +<p><i>Collège Mazarin</i> ou <i>des Quatre-Nations</i>, devenu le palais de +l’Institut.</p> + +<p>La plupart de ces collèges, on le voit, datent du <small>XIII</small>ᵉ ou des premières +années du <small>XIV</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>Ces fondations ainsi que les dons et legs destinés à l’entretien des +professeurs et des boursiers apportaient remède à la misère des +écoliers, si souvent relatée dans les documents du <small>XIII</small>ᵉ siècle, qui +nous montrent bien des fois le pauvre écolier allant au cours le ventre +vide, puis quêtant aux portes des couvents, ou ramassant les rebuts des +halles qu’il fait cuire tout en repassant ses cahiers dans le froid +taudis où il loge.</p> + +<p>Il faut ajouter à cette liste les collèges religieux où les couvents des +différents ordres envoyaient leurs novices pour compléter leurs études +dans Paris, centre des lettres et des sciences. Ce sont:</p> + +<p>Le <i>Grand collège des Bernardins</i>, fondé en 1244 par les moines de +l’abbaye de Clairvaux et de l’ordre de Cîteaux.</p> + +<p>Le <i>collège de Marmoutiers</i>, pour les religieux de Marmoutiers, fondé en +1327, passé aux jésuites en 1641.</p> + +<p>Le <i>collège des Prémontrés</i>, fondé en 1283 pour les chanoines réguliers +de l’abbaye de Prémontré dans la forêt de Coucy. La chapelle subsiste +près des Cordeliers.</p> + +<p>Le <i>collège de Cluny</i>, fondé en 1269, séminaire de l’ordre illustre qui +comptait plus de deux mille maisons en Europe. Le collège de Cluny +possédait un cloître superbe et une très belle église, ajourée comme la +Sainte Chapelle; après la Révolution le peintre David en fit son +atelier.</p> + +<p>Le <i>collège de la Merci</i>, fondé en 1516 pour les religieux de cet ordre.</p> + +<div class="figright" style="width: 185px;"> +<a href="images/illu-185.jpg"> +<img src="images/illu-185.jpg" width="185" height="320" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ANCIENNE CHAPELLE DU COLLÈGE MIGNON</p></div> +</div> + +<p>Quartier de contrastes, cette ville particulière de l’<i>Université</i>, +quartier de <i>moinerie</i> et de <i>clergie</i>, où moines et clercs se coudoient +par les rues que bordent de hautes constructions sévères; où les +cloîtres sont proches voisins des tavernes d’écoliers, où passent tant +de frocs de tout ordre et de toutes sortes, cachant sous le capuchon des +fronts plissés par la méditation ou de béates figures épanouies par les +satisfactions matérielles, Claude Frollos ou Gorenflots; ville +tranquille des<span class="pagenum"><a name="page_156" id="page_156">{156}</a></span> études, ville agitée des étudiants, où bouillonne une +jeunesse avide de science, et aussi,—malheureusement pour le repos des +couvents ses voisins—jeunesse amoureuse de bruit et de gaîté dans +l’intervalle des sévères études, jeunesse remuante et turbulente, +jalouse de ses droits et privilèges, souvent en lutte avec ses recteurs, +en dispute perpétuelle quand ce n’est pas en guerre ouverte avec les +moines de la grande abbaye de Saint-Germain des Prés.</p> + +<p>Fixés par diverses ordonnances royales, depuis Philippe-Auguste, les +privilèges de l’Université sont nombreux et importants: privilèges de +protection quand l’écolier est attaqué, privilège de justice +particulière quand il s’agit de délits commis par les écoliers. Tout +homme qui blesse un clerc est frappé d’excommunication et n’en peut être +relevé que par le pape. Hors le cas de flagrant délit, les écoliers ne +peuvent être arrêtés, ils ne sont justiciables que de la justice +ecclésiastique ou de l’Université.</p> + +<p>Et cette Université savait soutenir ses clercs et maintenir ses +privilèges. On le vit bien souvent à l’occasion de désordres d’écoliers +débauchés et batailleurs.</p> + +<p>Ces écoliers sans le sou, toujours en quête de ressources, amis des +<i>repues franches</i>, comme dit Villon, avaient souvent dispute avec +hôteliers et marchands, et par suite maille à partir avec les archers du +Prévôt de Paris. Le prévôt Hugues Aubryot, en reconstruisant le petit +Châtelet au Petit-pont, avait, sous la voûte, ménagé deux petites geôles +pour messieurs les clercs auxquels ses archers dans les bagarres +devaient mettre la main sur le collet. Et ce prévôt, qui n’aimait pas +beaucoup les écoliers, avait donné à ces deux cachots par dérision les +noms de <i>clos Bruneau</i> et de <i>rue du Fouarre</i>.</p> + +<p>Souvent des batailles ensanglantaient les tavernes où s’entassaient ces +clercs, futurs prêtres ou docteurs, les cabarets hantés par les filles, +des bagarres s’engageaient aux carrefours où quelques mauvais écoliers +se transformaient en tirelaines vulgaires.</p> + +<p>L’Université alla quelquefois, pour défendre ses droits et privilèges, +lorsqu’elle les croyait menacés ou méconnus, jusqu’à fermer ses collèges +et cesser ses cours. En 1230, l’affaire fut plus grave, l’Université +abandonna Paris, ville hostile et ennemie. «En cet an même, dit +Joinville, grande dissension mut à Paris entre les clercs et les +bourgeois et les bourgeois occirent aucuns des clercs par quoi +l’Université se départit et issit hors de Paris et allèrent en diverses +provinces.»</p> + +<p>Ce fut au grand chagrin de saint Louis. Il s’agissait d’une bataille +entre écoliers et habitants du faubourg Saint-Marceau, à la suite de la +mise à sac d’un cabaret par les écoliers; ceux-ci avaient blessé et tué +des bourgeois, les archers accourus, trouvant de la résistance de la +part des écoliers en fureur, à leur tour blessèrent ou tuèrent.</p> + +<p>Plusieurs fois des bagarres semblables donnèrent lieu à des demandes de +réparations de la part de l’Université et créèrent des conflits +interminables. Il ne s’agissait pas toujours de simples tumultes: en +1303, le prévôt de Paris Pierre le Jumeau ayant fait justice d’un +étudiant assassin il en résulta une énorme émotion au Pays des Études, +où tous les cours furent suspendus et les collèges fermés. A +l’Univer<span class="pagenum"><a name="page_157" id="page_157">{157}</a></span>sité réclamant son justiciable se joignit l’autorité +ecclésiastique qui le réclamait aussi, le supplicié étant tonsuré et +l’on vit un matin une longue et interminable procession de tous les +chanoines, prêtres et clercs de Paris se diriger solennellement, croix +et bannières des paroisses en tête, vers l’hôtel du Prévôt. Devant +l’hôtel fermé les formules d’excommunication furent prononcées et +aussitôt après chaque prêtre ou clerc lança une pierre dans les huis ou +les fenêtres immédiatement enfoncées.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 360px;"> +<a href="images/illu-187.jpg"> +<img src="images/illu-187.jpg" width="360" height="294" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’AMENDE HONORABLE DES HUISSIERS DU CHATELET AUX +AUGUSTINS</p></div> +</div> + +<p>Le malheureux prévôt fut obligé de dépendre son criminel et de donner un +baiser sur la bouche du cadavre, puis de s’en aller à pied à Avignon se +faire relever de l’excommunication.</p> + +<p>Encore en 1408, le même fait se reproduisit; deux écoliers voleurs et +assassins ayant été, pour crimes patents, condamnés et pendus par le +prévôt de Paris, l’Université réclama hautement et menaça encore de +fermer les Écoles; finalement le prévôt de Paris fut condamné à répéter +la réparation de son devancier, à s’en aller détacher les deux écoliers +du gibet où ils se balançaient depuis quelque temps déjà et à faire en +signe d’amende honorable le simulacre de leur donner un baiser sur la +bouche. Il dut ensuite placer les deux cadavres sur un char drapé de<span class="pagenum"><a name="page_158" id="page_158">{158}</a></span> +noir et les conduire processionnellement, prêtres et religieux en tête, +suivis de tous les archers de la prévôté, jusqu’au Parvis Notre-Dame +pour les présenter à l’évêque de Paris, puis de là au couvent des +Mathurins, pour les remettre au recteur de l’Université qui fit inhumer +les deux assassins dans l’église des Mathurins.</p> + +<p>En 1440, un maître de théologie nommé Aimeri, poursuivi pour quelque +méfait, ayant cru pouvoir recourir au droit d’asile de l’église des +Grands-Augustins, les huissiers ou sergents du Châtelet violèrent cet +asile; ils entrèrent dans le couvent de haute lutte et enlevèrent le +délinquant malgré la vive résistance opposée par les moines. L’un de +ceux-ci, par malheur, resta sur le carreau.</p> + +<p>Grande rumeur au pays latin, les Augustins firent agir l’autorité +ecclésiastique, l’Université réclama énergiquement et reprit sa grande +menace de fermeture des Écoles. Elle obtint satisfaction; suivant arrêt +du prévôt de Paris, les sergents envahisseurs Jean Bayard, Gillet +Rolland et Guillaume de Besançon vinrent pieds nus, en chemise et un +cierge à la main, suivis de tous les huissiers du Châtelet, faire à +genoux trois solennelles amendes honorables devant les religieux +Augustins et les dignitaires de l’Université, au Châtelet d’abord, +ensuite au couvent sur le lieu du meurtre et sur la place Maubert, après +quoi ils furent bannis. En témoignage de leur victoire, les Augustins +firent encastrer dans le mur extérieur de leur couvent sur le quai un +bas-relief représentant l’amende honorable des huissiers<a name="FNanchor_C_3" id="FNanchor_C_3"></a><a href="#Footnote_C_3" class="fnanchor">[C]</a>.</p> + +<p>Les assemblées générales de l’Université se tenaient depuis les premiers +jours dans l’église Saint-Julien le Pauvre, bientôt trop étroite pour la +foule universitaire. C’est là que, suivant ordonnance de Philippe le +Bel, le prévôt de Paris venait, tous les deux ans, prêter serment +d’observer et de faire observer les privilèges des maîtres et des +écoliers. Les élections des dignitaires, des délégués de la faculté des +arts pour la nomination du recteur, et l’élection du recteur se +faisaient également dans l’église hospitalière, et non quelquefois sans +dommage pour elle, car elles étaient souvent troublées par des disputes +graves, dégénérant vite en bousculades et en batailles, au cours +desquelles, plus d’une fois, de turbulents écoliers enfoncèrent les +portes et firent dans l’église d’importants dégâts.</p> + +<p>La foire du Landit ouvrant chaque année au mois de juin entre le village +de la Chapelle et celui de Saint-Denis, sur le territoire de l’abbaye de +Saint-Denis, fut bien souvent le théâtre de désordres occasionnés par +les écoliers.</p> + +<p>L’Université entière, maîtres et élèves, avait pour coutume de s’y +rendre en une immense procession, longue troupe bruyante de quinze ou +vingt mille étudiants, dont l’avant-garde était déjà au champ de foire +quand, disait-on, le recteur n’avait pas encore quitté Saint-Julien le +Pauvre ou les Mathurins.</p> + +<p>Les écoliers arrivés au Landit officiellement, avec leurs professeurs, +pour s’approvisionner de livres et de parchemins, se répandaient ensuite +dans le champ de foire aux mille échoppes et tentes, parmi l’innombrable +affluence de gens de toute<span class="pagenum"><a name="page_159" id="page_159">{159}</a></span> sorte, marchands et taverniers, bourgeois et +artisans, ribaudes et malandrins; et se laissaient aller dans la cohue, +dans la licence de la fête, à bien des tentations.</p> + +<p>Aux écoles de droit du clos Bruneau, on n’enseignait alors que le droit +ecclésiastique; le droit civil en ce temps où la coutume avec son +extraordinaire variété régnait seule, ne constituant pas encore une +science régulière. Ces écoles, trop à l’étroit dans leur maison +originaire, l’avaient vendue pour mieux s’installer à côté. Au <small>XVI</small>ᵉ +siècle, Robert Estienne, fondateur de la dynastie des Estienne, ces +illustres imprimeurs, établit son imprimerie dans la vieille maison des +décrétales, à l’enseigne de Saint-Jean-Baptiste et aussi de l’olivier, +la marque de ses livres. On raconte qu’il avait pour coutume d’accrocher +aux vitrages de sa maison sur la rue, les épreuves corrigées des livres +en cours d’impression, pour que les doctes passants, escholiers et +professeurs, pussent les lire. Il y avait une prime pour qui signalait +une faute oubliée. François Iᵉʳ, protecteur des lettres, et en +particulier protecteur d’Estienne qu’il avait nommé imprimeur royal pour +le grec, vint plus d’une fois faire visite à l’officine de +l’imprimeur-éditeur, d’où sortaient tant de savantes éditions et de +beaux livres illustrés.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 196px;"> +<a href="images/illu-189.jpg"> +<img src="images/illu-189.jpg" width="196" height="281" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DU COUVENT DES GRANDS-AUGUSTINS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_160" id="page_160">{160}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 362px;"> +<a href="images/illu-190-a.jpg"> +<img src="images/illu-190-a.jpg" width="362" height="205" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CLOITRE DU COLLÈGE DE CLUNY</p></div> +</div> + +<h3>II</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-190-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">LA PORTE DE NESLE +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>La chasse aux Huguenots de la petite Genève.—Mort de Pierre +Ramus.—La Ligue.—Formation du Conseil des Seize au collège +Fortet.—Les curés ligueurs.—La journée des +Barricades.—Escarmouches autour de la place Maubert.—Le comte de +Brissac bon sur le pavé.—La Commune blanche.—Misères des Écoles +pendant le siège.—Étudiants tirelaines.—Transformation du Pré aux +Clercs.—Comment la reine Marguerite faisait faire ses +pénitences.—La chapelle des Louanges.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">M</span>AINTES fois, dans les troubles politiques des <small>XIV</small>ᵉ et <small>XV</small>ᵉ siècles, +l’Université était entrée en scène, et ses docteurs avaient joué un rôle +important, assez triste au temps de Jeanne d’Arc et de la guerre +anglaise, par l’appui donné aux Bourguignons d’abord, puis au duc de +Bedfort, régent pour Henri V, roi de France et d’Angleterre.</p> + +<p>Au <small>XVI</small>ᵉ siècle, elle se jeta violemment dans les querelles religieuses. +Écoliers et maîtres se montrèrent fougueux catholiques et ligueurs</p> + +<div class="figcenter" style="width: 404px;"> +<a href="images/illu-191.jpg"> +<img src="images/illu-191.jpg" width="404" height="570" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>AU QUARTIER DES ÉCOLES</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_161" id="page_161">{161}</a></span></p> + +<p class="nind">déterminés, les protestants en eurent maintes preuves aux nombreuses +échauffourées qui se produisirent à l’occasion de réunions huguenotes ou +de prêches clandestins, découverts et assaillis par des bandes +d’écoliers, à la mise à sac de maisons protestantes dans le faubourg +Saint-Germain, aux désordres du Pré aux Clercs, et à l’échauffourée de +l’église de Saint-Médard, quand les protestants rassemblés en grand +nombre dans la maison du Patriarche, voisine de l’église, voulant faire +taire les cloches que l’on sonnait exprès à toute volée pour troubler +leur prêche, assaillirent l’église, et firent le siège du +clocher,—véritable bataille enfin dont les protestants sortirent +vainqueurs et où le temple mit l’église à sac.</p> + +<p>Alors sur la vieille place Maubert où aboutissent les rues écolières du +Clos Bruneau, de Saint-Victor, du mont Saint-Hilaire, de la Montagne +Sainte-Geneviève, grand carrefour réceptacle, recevant pour les tumultes +fréquents les bandes dégringolant des collèges, une potence se dresse +non loin de la croix du carrefour Saint-Victor. Maintes fois de pauvres +huguenots viennent y prendre la place des malandrins justiciés pour +leurs crimes; et l’on voit aussi à côté de la potence s’élever des +bûchers pour quelques victimes jugées dignes d’un plus cruel supplice, +ministres protestants, religionnaires connus, comme Étienne Dolet, +l’imprimeur brûlé avec ses livres en 1546. Et quelquefois aussi de +l’autre côté de la montagne écolière d’autres bûchers flambent devant +l’abbaye de Saint-Germain sur la place où s’élève le pilori abbatial.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 393px;"> +<a href="images/illu-193.jpg"> +<img src="images/illu-193.jpg" width="393" height="301" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE CADAVRE DE RAMUS TRAINÉ A LA SEINE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_162" id="page_162">{162}</a></span></p> + +<p>A la Saint-Barthélemy, quand les haines particulières, sous couleur de +religion, se donnent libre carrière, périt un des maîtres célèbres de +l’Université, Pierre Ramus, principal du collège de Presles. Pour avoir +un peu bousculé les idées philosophiques de son temps et les +sorbonnagres confits en Aristote, ce maître novateur s’était attiré bien +des haines; déjà, pendant les persécutions contre les réformés, Ramus +avait été obligé de s’enfuir et l’on avait profité de son absence pour +piller sa bibliothèque. Il faut dire aussi que, lors des troubles +survenus au Pré aux Clercs, il avait, de son côté, fortement chauffé +l’animosité des écoliers contre l’Abbaye de Saint-Germain.</p> + +<p>Rentré à son collège, Ramus fut, le surlendemain de la Saint-Barthélemy, +découvert caché au fond des caves et mis à rançon d’abord; mais la bande +d’assassins, recrutée par ses ennemis dans les bas-fonds de la populace, +revint à la charge, l’égorgea tout de même, traîna le pauvre cadavre nu +jusqu’à la Seine, et l’y précipita pour aller rejoindre les corps +ensanglantés que depuis deux jours la Seine charriait vers les îles de +Grenelle, où des fossoyeurs les recueillaient pour les jeter en de +grandes fosses.</p> + +<p>A l’époque de la Ligue, professeurs de l’Université, moines des +couvents, curés des paroisses rivalisent de zèle pour la Sainte-Union, +et manifestent des sentiments hautement guisards. Les frères prêcheurs +ou jacobins fournissent les plus furieux de ces prédicateurs qui mettent +la hallebarde et l’arquebuse aux mains des bourgeois fanatisés. Les +curés des paroisses luttent avec eux d’éloquence dans ces étranges +sermons où les grossièretés, les traits ridicules sur les textes de +l’Écriture appliqués aux événements, se mêlent aux provocations ouvertes +à la sédition et au meurtre. Parmi ces curés se distinguent surtout ceux +de Saint-Séverin et de Saint-Benoît, qu’un jour Henri III veut faire +arrêter et que la populace ameutée défend.</p> + +<p>Au collège Fortet, rue des Sept-Voies, chez Jean Boucher, curé de +Saint-Benoît, dans la grande salle d’un corps de logis qui existe +encore, appuyé par des contreforts et flanqué d’une haute tourelle +d’escalier, se réunit une assemblée de quatre-vingts personnes, prêtres, +gentilshommes, procureurs, bourgeois, tous animés du même zèle +catholique et guisard, qui organisèrent puissamment le parti de la +Ligue, dans Paris divisé en seize quartiers, en donnant comme chefs aux +Parisiens le fameux conseil des seize. Chacun de ces Seize répondait de +son quartier et faisait marcher les milices bourgeoises dirigées par des +chefs inférieurs, centeniers et dizeniers. Parmi ces fougueux Ligueurs, +ces quarteniers qui tenaient Paris à la façon des chefs cabochiens, il +se voyait d’étranges figures comme ce procureur ancien maître d’armes +Bussy Le Clerc, comme Lachapelle-Marteau, maître des comptes ou Crucé, +autre procureur, et des curés de paroisse, c’est-à-dire des agents des +Guise travaillant à porter sur le trône une nouvelle dynastie, des +politiciens forcenés, qui ayant trop de sang aux mains pour reculer, +finirent, quand ils entrevirent la ruine, par vendre leur pays à +l’Espagne.</p> + +<p>Dans ces fureurs catholiques et guisardes on peut démêler aussi le vieil +esprit révolutionnaire des Parisiens, et il se trouvait bien des +éléments démagogiques.<span class="pagenum"><a name="page_163" id="page_163">{163}</a></span> Ce fut deux siècles avant la Commune rouge de +93, quelque chose comme une Commune blanche qui sortit de cette maison +si paisiblement bourgeoise aujourd’hui.</p> + +<p>Simple rapprochement. Sous le collège Fortet, le cimetière de +Saint-Étienne du Mont occupait un terrain en triangle irrégulier. Là, +sous les fenêtres de ce curé Boucher qui fut une espèce de Marat de la +Ligue, vint échouer le corps du Marat de 93, après un séjour au +Panthéon, non jeté à l’égout comme on l’a dit, mais balayé des caveaux +et enterré nuitamment dans le vieux cimetière.</p> + +<p>Le collège Fortet donna donc dix années d’effroyable anarchie, dix +années de troubles, de luttes sourdes, quand ce n’était point guerre +ouverte, dix années pendant lesquelles Paris vécut en pleine révolution +et parfois en pleine terreur.</p> + +<p>C’est bien en vain qu’Henri III essaie de s’attacher les couvents par +des dons nombreux et fait procession sur procession, comme celle où il +va, avec ses mignons, tous revêtus de la cagoule des pénitents, chantant +des psaumes, recevant et donnant des coups de discipline, depuis les +Grands-Augustins jusqu’à Notre-Dame, sous une pluie battante. La Ligue +lui répondra par d’autres processions où les moines, au lieu de +disciplines, porteront la cuirasse et la hallebarde. Le roi est d’abord +ouvertement attaqué, méprisé, insulté dans la chaire et dans la rue; les +prédicateurs de la Ligue proclament journellement la nécessité d’en +finir par le fer avec lui.</p> + +<p>Il survient bien quelques rares périodes d’accalmie, mais elles sont +suivies d’une recrudescence de rébellion, de secousses soudaines comme +la journée des Barricades et la fuite du roi, puis éclate le coup de +théâtre de l’assassinat des Guises à Blois, auquel répond la déchéance +du roi proclamée solennellement par le Parlement et la Sorbonne, qui +délient les sujets de l’obéissance.</p> + +<p>Les Seize enfin organisent le régime terroriste, jettent en prison les +tièdes, accrochent aux potences ceux qui osent élever la voix contre +leurs décisions; ils arment des milices bourgeoises, des bataillons +populaires pour marcher à côté des troupes espagnoles contre l’armée +royale, contre Henri III d’abord, et contre le Béarnais son successeur, +quand Jacques Clément a enfin exécuté ce que tant de fois les +prédicateurs ont demandé.</p> + +<p>A la journée des Barricades, les écoliers se signalèrent sous la +conduite du comte de Brissac; ils prirent les armes et barricadèrent la +place Maubert pendant que Cordeliers et Jacobins, réunis aux bourgeois, +escarmouchaient au carrefour Saint-Séverin.</p> + +<p>M. de Brissac satisfaisait une rancune personnelle en s’attaquant au +roi. Pour quelques revers éprouvés par lui, en combats sur mer ou en +batailles sur le plancher solide des gendarmes, Henri III avait dit +qu’il n’était bon ni sur la terre ni sur l’eau. Furieux du mot, Brissac +se jeta plein d’ardeur dans la rébellion parisienne.</p> + +<p>—Pour le moins, dit-il, le roi saura que j’ai trouvé mon élément et que +je suis bon sur le pavé!</p> + +<p>Il le prouva bien avec ses écoliers, en recevant vigoureusement les +troupes<span class="pagenum"><a name="page_164" id="page_164">{164}</a></span> royales à coups d’arquebuse, en les repoussant la pertuisane +dans le flanc, sous la grêle des pavés qui leur tombait des fenêtres, et +il ne tint pas à lui de le prouver encore davantage, quand l’affaire fut +bien en train dans tout Paris, en prenant le Louvre avec les bandes +écolières, avec les troupes de moines armés et casqués, marchant mèches +allumées, les prédicateurs en tête, pendant que d’un autre côté, le duc +de Guise conduisait les bourgeois de la rive droite, les compagnies de +la rue Saint-Denis. Par bonheur pour lui, Henri III put sortir à temps +et courir jusqu’à Saint-Cloud, où le rejoignirent les troupes qui +décampaient de la ville guisarde.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 369px;"> +<a href="images/illu-196.jpg"> +<img src="images/illu-196.jpg" width="369" height="352" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE COUVENT DES GRANDS-AUGUSTINS, LA PROCESSION DE HENRI +III</p></div> +</div> + +<p>Cependant l’Université, qui s’est jetée à corps perdu dans le mouvement +de la Ligue, en souffre bientôt d’une terrible façon. Les études sont +mortes, les collèges sont presque abandonnés, les écoliers peu à peu se +dispersent, ceux venus de l’étranger ou des provinces sont retournés +chez eux, les autres meurent de faim<span class="pagenum"><a name="page_165" id="page_165">{165}</a></span> ou se font soldats. Élèves et +maîtres cèdent la place à des troupes espagnoles casernées dans les +vieux logis de la science. Les rues des études retentissent des tambours +du duc de Féria, on voit dans les cours des collèges, au lieu de régents +et d’écoliers, des bourgeois en train d’apprendre, sous la direction de +quelques lansquenets, le maniement de la pique ou du mousquet. Les +locaux non confisqués par les troupes s’emplissent de paysans des +environs de Paris, réfugiés ici avec leurs meubles et leurs bestiaux.</p> + +<p>C’est la guerre civile qui se prolonge avec toutes ses misères, c’est +Paris assiégé. On a fait roi sous le nom de Charles X le cardinal de +Bourbon, abbé de Saint-Germain des Prés; celui-là mort, on en veut faire +un autre qui ne soit pas le Béarnais.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 404px;"> +<a href="images/illu-197.jpg"> +<img src="images/illu-197.jpg" width="404" height="331" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>JOURNÉE DES BARRICADES. LES ÉCOLES DESCENDANT A LA PLACE +MAUBERT</p></div> +</div> + +<p>Moines et sorbonnagres n’ayant plus à déclamer contre Henri III, «<i>ce +vilain Hérode, concierge du Louvre, marguillier de Saint-Germain +l’Auxerrois et de toutes les églises de Paris, gauderonneur des collets +de sa femme et friseur de ses cheveux, etc.</i>,» donnent de toute leur +fureur contre Henri de Navarre, suppôt de l’enfer, dont l’armée enserre +Paris. Le conseil de la Sainte-Union pèse par la terreur comme un comité +de Salut public sur tous ceux qui, par raison, par politique ou par +fatigue, voudraient un accommodement. On a pendu le prudent Brisson et +on menace de pendre ou daguer tout ce qui ne marche pas d’enthousiasme +avec les Seize.<span class="pagenum"><a name="page_166" id="page_166">{166}</a></span></p> + +<p>«Fut-il jamais tyrannie et domination pareille à celle que nous voyons +et endurons? dit la Satire Menippée, composée en secret pendant cette +dure période par quelques braves Parisiens qui préparent la révolte du +bon sens, où est l’honneur de notre Université?</p> + +<p>«Où sont nos collèges? où sont les escholiers? où sont les religieux +étudiants aux couvents? Ils ont pris les armes et les voilà tous soldats +desbauchés... Où est la majesté et gravité du Parlement?</p> + +<p>«Avons-nous pas consommé peu à peu toutes nos provisions, vendu nos +meubles, fondu notre vaisselle, engagé jusqu’à nos habits pour vivoter +bien chétivement. Où sont nos salles et nos chambres tant bien garnies, +tant diaprées et tapissées. Nos banquets sont d’un morceau de vache pour +tout mets. Bienheureux qui n’a pas mangé chair de cheval et de chien, et +bienheureux qui a eu toujours du pain d’avoine et s’est pu passer de +bouillie de son vendue au coin des rues, au lieu où l’on vendait jadis +les friandises de langues, caillettes et pieds de mouton, et n’a pas +tenu à M. le légat et à l’ambassadeur d’Espagne que n’ayons mangé les os +de nos pères!...»</p> + +<p>Et quand tout fut terminé après tant d’années d’agitations sanglantes, +quand le roi Henri ayant en quatre années de chevauchées conquis son +royaume, ayant prononcé son abjuration à Saint-Denis et reçu la +sainte-ampoule à Reims, eut définitivement vaincu la Ligue, quand ses +troupes entrèrent dans Paris ruiné, affamé, dépeuplé, livré à bon prix +par ce même Brissac de la place Maubert, ce fut encore au quartier des +Écoles que se montrèrent quelques dernières velléités de résistance.</p> + +<p>Le Béarnais tant de fois maudit s’en allait à Notre-Dame, au milieu des +acclamations, les trompettes sonnant l’allégresse, les grosses cloches +mises joyeusement en branle, pendant que par la ville des magistrats +avec hérauts et trompettes couraient de carrefour en carrefour, +proclamer une amnistie générale. Au bruit, le quartier de l’Université +s’émut, quelques enragés ligueurs prirent leurs mousquets et même firent +mine de commencer une barricade devant Saint-Yves; Hamilton, le curé de +Saint-Cosme, sortit la pertuisane au poing, le capitaine Crucé réunit +une douzaine de ses vieux compagnons, et courut pour se saisir de la +porte Saint-Jacques, mais ils virent bientôt que tout était fini, que le +sentiment général de Paris, fatigué et désabusé, était contre eux et +qu’ils allaient être écrasés au premier choc. La proclamation de +l’amnistie les rassurant sur leur sort, ils jetèrent les armes et +rentrèrent chez eux. La Ligue avait vécu.</p> + +<p>Le <small>XVII</small>ᵉ siècle commençant trouva la plupart des collèges mal remis +encore des suites de la longue guerre civile. La Sorbonne confuse avait +fait sa soumission au roi; elle était en lutte alors avec les jésuites +dont les établissements prospéraient, et qui accaparaient les faveurs de +l’aristocratie. Quelques-uns des collèges, tombés en décadence et +couverts de dettes, n’avaient plus que quelques boursiers, six ou huit +et même moins. Plusieurs, par mauvaise administration, ne pouvaient même +plus subvenir à l’entretien de ces quelques boursiers, ni réparer les +bâtiments non entretenus depuis longtemps et tombant en ruines.<span class="pagenum"><a name="page_167" id="page_167">{167}</a></span></p> + +<p>Il advint plus d’une fois que le Parlement dut supprimer momentanément +les bourses pour laisser certains collèges obérés rétablir leurs +finances. Des désordres et des abus de toute sorte aggravaient encore +cette décadence. Des parties de collèges étaient louées à de la populace +aux mœurs peu recommandables et d’un contact dangereux pour les +étudiants. Certains régents ayant gardé le goût des armes, étaient +devenus de véritables bretteurs, et l’on revit, jusque sous Louis XIII, +des étudiants tirelaines s’en aller le soir attendre en quelques mauvais +carrefours, le passant attardé pour le détrousser et tirer de sa poche +de quoi payer le vivre et la débauche.</p> + +<p>Délaissant l’étude dont il n’était pas toujours besoin pour obtenir +grades et diplômes, que délivraient volontiers des docteurs aux oreilles +de qui quelques bons écus sonnaient mieux qu’un peu de science, +messieurs les écoliers, bottés et éperonnés, traînant l’épée comme des +soldats, s’en allaient mêlés aux pages et aux laquais par la ville, +cherchant et faisant naître au besoin les occasions de désordre, +profitant de toutes les cohues pour commettre mille insolences et se +permettre mille avanies, s’attaquant aussi bien aux femmes et filles des +bourgeois qu’à leurs bourses.</p> + +<p>La recrudescence de vogue de la foire Saint-Germain sous Henri IV leur +fournissait ces occasions d’un désordre agréable ou profitable. Toute +l’aristocratie, les seigneurs de la cour et le roi lui-même, accouraient +aux divertissements, amenant une suite nombreuse de pages et de laquais +dans la cohue bruyante. Les soirées de la foire de 1605 furent +particulièrement troublées. L’Estoile, dans son journal, rapportant les +excès commis aux tripots de la foire et dans les rues d’alentour dit que +laquais, écoliers, soldats se livraient de véritables petites batailles +rangées, si bien qu’un jour, des laquais ayant coupé les deux oreilles à +un écolier et les lui ayant mises dans sa poche, les écoliers furieux se +rassemblèrent pour le venger, et tombant en troupes armées sur les +laquais qu’ils rencontraient, en tuèrent ou blessèrent un grand nombre. +Quels délicieux chanoines, quels âpres procureurs, quels étranges +médecins devaient faire de pareils étudiants après de telles études!</p> + +<p>Voyons un peu les maîtres de ces escholiers, élite intellectuelle et +parfois tourbe désordonnée, jeunesse ardente qui bruit dans les vieilles +rues de la Montagne savante. Parmi ces maîtres, il y a dans le cours des +siècles des figures de toutes sortes, d’illustres philosophes, des +gloires de l’école dont le nom rayonne à travers les siècles et +d’humbles pédagogues enseignant le rudiment aux enfants, des lettrés de +toute envergure, d’austères docteurs et de simples marchands de soupe, +comme on dit maintenant.</p> + +<p>Après les maîtres des écoles épiscopales, Guillaume de Champeaux, Pierre +Comestor, Robert d’Arbrisselle, Roscelin de Compiègne, après Abélard +entraînant son camp de trois mille étudiants sur les pentes alors +plantées de vignes de la montagne Sainte-Geneviève, il y a d’autres +maîtres célèbres; il y a eu au <small>XII</small>ᵉ siècle Jean de Petit-Pont, +dialecticien et philosophe qui enseignait dans une maison bâtie sur le +Petit-Pont devant le premier Petit Châtelet construit par Louis le +Gros,<span class="pagenum"><a name="page_168" id="page_168">{168}</a></span> au <small>XIII</small>ᵉ siècle; l’Italien saint Thomas d’Aquin, <i>l’ange de +l’école</i>, l’auteur de la <i>Somme</i>; maître Albert, le mystérieux Albert le +Grand des légendes, alchimiste et magicien, dont le nom est peut-être +rappelé, quoi qu’on en ait dit, par la place</p> + +<div class="figcenter" style="width: 384px;"> +<a href="images/illu-200.jpg"> +<img src="images/illu-200.jpg" width="384" height="446" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA MISE A SAC DE L’ÉGLISE SAINT-MÉDARD</p></div> +</div> + +<p>Maubert ou maître Albert, s’il est vrai que faute de salle assez grande +pour contenir les écoliers qui se pressaient à ses cours, il a enseigné +en plein air sur cette place, alors simple terrain vague,—ainsi que +faisait aussi un autre maître, Sigier de<span class="pagenum"><a name="page_169" id="page_169">{169}</a></span> Brabant en la rue du Fouarre, +quand Dante proscrit de Florence, séjournant à Paris, venait se mêler à +la foule de ses auditeurs.</p> + +<p>La Sorbonne, du bon Robert de Sorbon, fournit au <small>XIV</small>ᵉ siècle et au <small>XV</small>ᵉ +siècle ces docteurs mêlés à toutes les intrigues politiques, à tous les +événements dramatiques des époques troublées, passant du parti d’Étienne +Marcel au parti du Dauphin, alliés du duc de Bourgogne ou du duc +d’Orléans, condamnant Jeanne Darc et affirmant les droits du roi +d’Angleterre à la couronne de France; elle nous donne ensuite ces grands +docteurs lancés à corps perdu dans les âpres luttes religieuses du +siècle de la Réforme. Alors le professeur quitte parfois la robe et +endosse la cuirasse pour conduire les escholiers aux émeutes, mais le +plus souvent il se contente, sans payer de sa personne, d’attiser le feu +des querelles par la parole ou la plume. Les haines sont terribles et +dans les désordres du temps trouvent le moyen de s’assouvir. Le pauvre +Ramus qui enseignait la philosophie au collège de Presles, en sait +quelque chose, lui qui sous prétexte de religion fut en réalité dagué en +l’honneur d’Aristote, par des assassins que lui envoyèrent des docteurs +rivaux.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 373px;"> +<a href="images/illu-201.jpg"> +<img src="images/illu-201.jpg" width="373" height="355" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ÉBATS D’ÉCOLIERS AU MOULIN DES GOBELINS</p></div> +</div> + +<p>Mais c’est aussi le siècle de la Renaissance des lettres, de l’antiquité +retrouvée, de la diffusion des sciences et des lettres antiques par +l’imprimerie; et ce sont des professeurs de Sorbonne qui ont introduit +l’imprimerie en France et favorisé<span class="pagenum"><a name="page_170" id="page_170">{170}</a></span> l’établissement des premiers +ateliers sur la Montagne des études. Guillaume Fichet, recteur, et un +professeur de la nation d’Allemagne appelèrent à Paris, en 1569, trois +imprimeurs de Bâle et dans les bâtiments de la Sorbonne installèrent les +premières presses parisiennes, sous la surveillance officielle de la +Sorbonne.</p> + +<p>Au collège de France, collège royal pour l’avancement des sciences fondé +par François Iᵉʳ, professe Guillaume Budé, le savant helléniste et +nombre d’autres maîtres éminents.</p> + +<p>On trouve dans les collèges des maîtres qui sont durs et sévères à +l’écolier, mais qui impriment une bonne direction aux études et donnent, +par cette rigoureuse discipline, une forte et grave éducation. On y +trouve des humanistes pédants et doux très aimés, et aussi des +principaux qui sont tout le contraire, qui se moquent au fond des +lettres et des écoliers, d’âpres fonctionnaires que l’on peut accuser de +conduire leurs collèges avec rapacité, de ne pas pourvoir aux vacances +des chaires de professeurs pour s’en appliquer les traitements, et même +de se livrer au commerce des grades enlevés à coups de pistoles.</p> + +<p>Richelieu, grand maître de la Sorbonne, apporte de l’ordre dans cette +Université si profondément troublée par un siècle de bouleversements. +Dans l’antique maison de Sorbonne, reconstruite par lui, siègent les +docteurs en bonnet carré, les terribles ergoteurs que les aspirants aux +grades n’abordent qu’en tremblant. Qu’une belle perruque sous ce bonnet +carré complète bien les graves personnages et leur prête de la majesté!</p> + +<p>Le jansénisme plus tard viendra, dans le grand siècle régulier, apporter +quelques rumeurs discrètement adoucies des querelles religieuses +d’antan. Rollin, le bon et illustre principal du collège de Beauvais, +recteur de l’Université, est janséniste, et la lutte qu’il doit soutenir +se termine par son expulsion au milieu des larmes de tout le personnel +de son collège, maîtres et élèves.</p> + +<p>Tous ces collèges du moyen âge, de petit et de haut enseignement, les +uns prenant les écoliers enfants, après les écoles de paroisses, dès le +commencement de leurs études comme nos collèges d’aujourd’hui, les +autres simples nids de boursiers venant dans les collèges de plein +exercice conquérir leurs diplômes et se faire recevoir maîtres ès arts, +licenciés, docteurs, disparaissaient peu à peu dans le cours des deux +derniers siècles.</p> + +<p>Les collèges de moindre importance furent absorbés par les grands. En +1763, une réforme générale de l’Université décida la suppression des +derniers petits collèges et ne conserva que dix établissements: la +Sorbonne, Louis le Grand, Lisieux, Cardinal Lemoine, de la Marche, des +Grassins, d’Harcourt, de Montaigu, de Navarre et des Quatre Nations. Les +bourses et les titres de quelques-uns se maintenaient encore, mais leurs +boursiers appartenaient à ces dix collèges. La Révolution ne trouva que +ceux-là en exercice.</p> + +<p>On sait que Louis le Grand subsiste, que d’Harcourt est devenu +Saint-Louis et que le collège de Navarre, réuni à Tournai et à Boncourt, +est aujourd’hui l’École polytechnique.<span class="pagenum"><a name="page_171" id="page_171">{171}</a></span></p> + +<p>Ces collèges, prospères pour la plupart, avaient reconstruit leurs vieux +bâtiments du moyen âge ou les avaient transformés au <small>XVIII</small>ᵉ siècle. Ils +n’en étaient pas plus beaux ni plus gais, loin de là! Chez quelques-uns, +tristes geôles aux cours sombres enserrées de plus en plus dans les +grandes bâtisses et les maisons surélevées, la Révolution eut peu à +faire pour les changer en prisons.</p> + +<p>La Sorbonne, ce vieux collège de théologie du temps de saint Louis, +ayant fait sa soumission au roi Henri et désavoué publiquement et +solennellement tout ce qu’elle avait pu dire et faire au temps de la +<i>détestable rébellion de la Ligue</i>, était rentrée en grâce. On reconnut +l’insuffisance de ses vieux bâtiments, et le cardinal de Richelieu, qui +était proviseur ou grand maître élu de la Sorbonne depuis 1622, en +entreprit la reconstruction sur un vaste plan, en s’agrandissant aux +dépens de quelques petits collèges voisins. Un quadrilatère de bâtiments +solennels et tristes enferma une vaste cour, au fond de laquelle s’éleva +l’église, monument d’un style à la fois noble et solennel, élégant et +sévère qui semble bien cadrer avec la figure du grand cardinal. +L’édifice est de l’architecte Jacques Lemercier, la première pierre en +fut posée par Richelieu le 15 mai 1635.</p> + +<p>La coupole qui surmonte l’église lui donne malgré ses recherches +d’élégance une lourdeur triste qui va bien aussi au caractère de ce +temple de la théologie scolastique, antre antique de la fameuse Thèse +Sorbonnique, grande et petite, couronnement de dix ou douze ans +d’études, disputes et argumentations. Cette épreuve décisive durait +treize heures pendant lesquelles «sans boire ni quitter la place» le +patient, avant de recevoir son bonnet de docteur en Sorbonne, devait +tenir tête à tous les docteurs et ergoteurs de la maison se relayant de +deux heures en deux heures pour l’assaillir, l’attaquer de tous les +côtés, le retourner de toutes les façons.</p> + +<p>Jusqu’à la Révolution, la cloche de la nouvelle Sorbonne, comme celle de +l’ancienne, sonne le couvre-feu pour le quartier des Écoles. Villon le +dit:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">... Je ouys la cloche de Sorbonne<br /></span> +<span class="i0">Qui toujours à neuf heures sonne...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p class="nind">ce qui n’empêchait guère messieurs les clercs d’occuper leurs soirées +autrement qu’à repasser leurs cahiers et n’assurait point la +tranquillité des carrefours.</p> + +<p>Le terrible cardinal restaurateur de la Sorbonne a son tombeau dans +cette église, un mausolée de marbre, édifié sur les dessins de Le Brun +en 1694, avec son effigie sculptée par Girardon. Et la coupole de +Richelieu continue de planer sur la Sorbonne moderne encore une fois +renouvelée et agrandie, en train de pousser sur la vieille Montagne des +Études.</p> + +<p>Une autre coupole et un édifice d’un style moins sévère rappelle un +autre cardinal tout en donnant l’hospitalité à une fondation de +Richelieu. C’est la coupole du collège des Quatre-Nations aujourd’hui +palais de l’Institut, siège de l’Académie aux quarante fauteuils, créée +par le grand cardinal ministre, auteur de tragédies rimées moins fortes +que les drames réels de l’histoire où il mit la main.</p> + +<p>Par son testament de 1661, le cardinal Mazarin légua une forte somme, +dont<span class="pagenum"><a name="page_172" id="page_172">{172}</a></span> deux millions affectés à la construction, pour la fondation d’un +collège Mazarin destiné à donner l’éducation à soixante gentilshommes +des provinces de Pignerol, d’Alsace, de Flandre et de Roussillon. Les +terrains de l’hôtel de Nesle furent achetés; avec un tas de vieux +bâtiments souventes fois rafistolés et d’une si pittoresque vétusté, on +jeta bas la porte de Nesle et aussi la vieille tour qui allait si bien à +ce côté de Paris, cavalièrement plantée là comme une aigrette sur un +casque, et bientôt, transformant radicalement ce vieux quartier à la +pointe du Pré-aux-Clercs, tels des alexandrins pompeusement alignés +succédant à des vers pittoresques de ballades à la Villon, s’élevèrent +les bâtiments en hémicycle, les pavillons d’angles à grands toits, la +façade à fronton et la coupole du collège des Quatre-Nations. Cette +coupole, c’était la chapelle au milieu de laquelle, comme Richelieu à la +Sorbonne, reposait Mazarin dans un riche mausolée sculpté par Coysevox, +transporté maintenant au Louvre.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 252px;"> +<a href="images/illu-204.jpg"> +<img src="images/illu-204.jpg" width="252" height="193" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ANCIENNE BIBLIOTHÈQUE SAINTE-GENEVIÈVE</p></div> +</div> + +<p>Sur la gauche et juxtaposés aux constructions du collège s’élevèrent en +même temps les bâtiments de la Bibliothèque Mazarine, collection formée +par les soins de Gabriel Naudé, ancien bibliothécaire de Richelieu, +laquelle, première bibliothèque ouverte au public à Paris, avait durant +la vie du cardinal occupé d’abord l’hôtel en pierres et briques du coin +des rues Vivienne et Neuve-des-Petits-Champs et s’était logée ensuite en +de nouvelles galeries construites au-dessus des chevaux de Son Éminence, +sur l’emplacement occupé par la Bibliothèque nationale actuelle.</p> + +<p>Les livres du cardinal, augmentés de beaucoup d’autres, sont encore +aujourd’hui dans les bâtiments grisâtres de la Bibliothèque Mazarine, au +fond des cours graves et silencieuses, si complètement en dehors du +courant bruyant de la vie moderne.</p> + +<p>La Révolution ferma ce collège de gentilshommes et l’utilisa comme tant<span class="pagenum"><a name="page_173" id="page_173">{173}</a></span> +d’autres en prison. A côté de cette prison, dans les bâtiments où +siègent aujourd’hui les quarante, tint séance pendant quelque temps le +comité de Salut public, terrible prédécesseur des Académiciens +d’aujourd’hui.</p> + +<p>M. Cocheris rapporte qu’alors, au plus fort de la Terreur, un prêtre +proscrit caché dans une chambrette de l’édifice, dit chaque jour sa +messe juste au-dessus de la salle où siégeait le terrible comité.</p> + +<p>En 1795 on plaça ici l’École centrale, que vint remplacer peu après +l’École des Beaux-Arts, l’édifice s’acheminant peu à peu vers sa +définitive destination. Napoléon enfin, en 1806, l’attribua à l’Institut +de France. Ainsi Mazarin donnait l’hospitalité à Richelieu et l’Académie +Française depuis tant d’années vagabonde et jusqu’ici se réunissant en +des locaux peu en rapport avec sa dignité, trouvait enfin un domicile.</p> + +<p>Tout a bien changé aujourd’hui dans l’antique ville de l’Université, les +transformations du <small>XVIII</small>ᵉ siècle, le grand ouragan de la Révolution et +enfin les démolitions de notre époque ont tout bouleversé. Les écoliers +de toute nation écoutant les maîtres en la rue du Fouarre, assis sur des +bottes de paille, nous semblent aussi loin que les Mèdes et les Perses.</p> + +<div class="figright" style="width: 265px;"> +<a href="images/illu-205.jpg"> +<img src="images/illu-205.jpg" width="265" height="362" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA SORBONNE</p></div> +</div> + +<p>Et cependant il est encore sur la Montagne de science, dans les vieilles +rues laissées à l’écart dédaigneusement par les grandes voies modernes, +beaucoup de ces noires maisons, aux façades plus ou moins modifiées, se +cachant un peu honteuses parmi les bâtisses neuves, il est de vieilles +pierres qui ont vu les maîtres<span class="pagenum"><a name="page_174" id="page_174">{174}</a></span> d’autrefois, les longues robes noires +des docteurs, les bonnets des sorbonnagres, les surcots râpés, les +souquenilles rapiécées des boursiers, et qui peuvent se rappeler les +tumultes des écoliers courant assiéger l’abbaye de Saint-Germain des +Prés, les moines et les écoliers, salade en tête, arquebuse à la main, +descendant aux barricades du <small>XVI</small>ᵉ siècle ou aux émeutes de la Fronde, +comme plus tard des étudiants et des polytechniciens sont allés aux +barricades de 1830 et de 1848.</p> + +<p>Avant de loger les étudiants de Gavarni et de Murger, apprentis médecins +ou notaires, professeurs, avocats et pharmaciens, ces vieilles maisons +tant de fois rafistolées ont abrité d’innombrables générations +d’écoliers, dont les habits et les idées, les goûts et les +enthousiasmes, et les mœurs aussi, varièrent beaucoup plus qu’elles. +Néanmoins, les coins ayant gardé un peu la physionomie du Quartier Latin +deviennent très rares; il subsiste à peine, respecté par le boulevard +Saint-Michel, un petit morceau de la rue de la Harpe qui montait à la +porte Saint-Michel, un peu de la rue Saint-Jacques et des débris de rues +çà et là.</p> + +<p>Sont restés plus intacts les entours de Saint-Séverin et de Saint-Julien +le Pauvre, la rue de la Huchette, la rue de la Parcheminerie qui tire +son nom du dépôt des parchemins que l’Université allait acheter au +Landit, la rue Hautefeuille aux belles tourelles, la rue Serpente, +quelques ruelles du quartier Saint-André-des-Arts.</p> + +<p>D’autres ruelles noires et sinistres se retrouvent encore, rues de +populace, autour des anciennes écoles de Médecine, débouchant sur la +place Maubert transformée, qui voit en ce moment de grandes maisons de +rapport confortables et bourgeoises remplacer les antiques bâtisses des +<small>XV</small>ᵉ et <small>XVI</small>ᵉ siècles tombées en misère.</p> + +<p>Après la grande expropriation révolutionnaire de tous les édifices +religieux ou scolaires du quartier, la désaffectation des églises, +couvents, chapelles, collèges, et la démolition qui fut ensuite le sort +de la plupart de ces édifices, vinrent, pour donner le dernier coup à ce +qui avait pu échapper, les grands travaux d’édilité de notre époque. Le +boulevard Saint-Michel traversa inflexiblement tout un quartier de +vieilles rues serrées; par bonheur le palais des Thermes et l’hôtel de +Cluny ne se trouvèrent point sur son passage, car il les eût sans pitié +renversés. La rue des Écoles et le boulevard Saint-Germain ensuite +firent non moins rigoureusement leur trouée à travers tout ce qui se +trouva sur le tracé arrêté, bicoques quelconques ou édifices +intéressants. Pendant qu’on y était on opéra même des trouées à droite +et à gauche de la voie, achevant sans nécessité des édifices entamés +comme les sauvages égorgent des blessés sur un champ de bataille. Ainsi +disparurent la tour de la Commanderie de Saint-Jean de Latran et +l’église Saint-Benoît, de même que la rue Soufflot fit disparaître les +derniers débris du couvent des Jacobins et les ruines de l’antique +Parloir aux Bourgeois, annexe de leur réfectoire.</p> + +<p>Quelles traces retrouverait-on aujourd’hui des vieux collèges? Bien peu +de choses, tant de restes vénérables, de débris artistiques doublement +précieux, qui avaient survécu aux coups violents de la Révolution ont +été perdus par négligence,<span class="pagenum"><a name="page_175" id="page_175">{175}</a></span> abandonnés à la spéculation, au vandalisme +privé, ou bien ont été abattus par le vandalisme officiel, par le pic et +la pioche des démolisseurs administratifs. Les sectateurs de +l’inflexible ligne droite, gens sans pitié ni merci, les sacrifiaient +pour des rues qui auraient certes gagné à s’infléchir un peu, pour des +boulevards d’une aride monotonie, qui n’ont pas consenti à s’orner de +monuments précieux par leurs souvenirs ou par leurs mérites artistiques.</p> + +<p>A part les deux dômes des cardinaux, on retrouve difficilement trace des +bâtiments universitaires d’antan. L’École polytechnique conserva presque +jusqu’à nos jours la vieille chapelle de Navarre et le grand bâtiment +gothique de la Bibliothèque qui lui faisait pendant de l’autre côté de +la cour; ces débris ont disparu il y a une trentaine d’années. Il reste +dans l’ancienne rue des Sept-Voies, aujourd’hui rue Valette, le collège +de Fortet, maison particulière, une façade du <small>XVIII</small>ᵉ siècle du collège +de la Mercy, rue des Carmes la chapelle des Irlandais; dans la rue de +Bièvre, une statuette de saint Michel au-dessus d’une porte indique +l’entrée de l’ancien collège Saint-Michel ou de Chanac dont le cardinal +Dubois fut boursier...</p> + +<p>On peut retrouver quelques maisons pour la plupart sans caractère +extérieur qui ont appartenu à d’autres collèges, mais ce sera tout, avec +la chapelle du collège Mignon, rebâtie en 1749, et la belle chapelle du +collège de Beauvais.</p> + +<p>Le local de la vieille école de médecine, rue de la Bucherie, à l’angle +de la rue du Fouarre, existe encore en partie. La vieille maison achetée +aux Chartreux au <small>XV</small>ᵉ siècle fut modifiée et agrandie au <small>XVII</small>ᵉ siècle; +elle eut alors une certaine décoration extérieure sur la cour, des +frontons et des sculptures. A l’intérieur on y trouvait une grande salle +décorée des portraits des doyens, local pour les assemblées de la +Faculté, les élections et les examens, une rotonde d’amphithéâtre +terminée en coupole, des salles de cours, etc... Les vieux bâtiments aux +ogives gothiques sont aujourd’hui transformés en lavoirs et en +logements. A côté c’est encore pis, car la coupole abrite une maison +honteuse.</p> + +<p>Cette installation, très belle pour un lavoir, médiocre pour la Faculté +de médecine, fut abandonnée peu avant la Révolution pour les bâtiments +construits en face du couvent des Cordeliers, édifice à l’antique, comme +un temple grec et qui figure, comme on l’a dit, plutôt un temple à +Esculape qu’une école de médecine.</p> + +<p>Le fameux Pré aux Clercs, champ de promenade que les escoliers +considéraient comme leur propriété et qu’ils prétendaient leur avoir été +concédé par Philippe-Auguste, s’étendait sur d’immenses espaces le long +de la Seine à peu près jusqu’à l’Esplanade des Invalides actuelle. Le +mur de Paris aboutissant à l’aile gauche du palais de l’Institut avec la +tour de Nesle et sentinelle sur la berge, la campagne commençait là. Il +n’y eut d’abord de ce côté aucune construction dans les prairies d’où +surgissaient à peu de distance les murs crénelés et les flèches de +l’abbaye de Saint-Germain, puis au <small>XIV</small>ᵉ siècle s’éleva le séjour de +Nesle, dépendance contenant les écuries et divers bâtiments de service +du grand hôtel de Nesle <i>intra muros</i>.</p> + +<p>Le Pré aux Clercs se subdivisait en deux parties: le petit pré, objet +des perpétuelles contestations entre les moines et l’Université, était +un champ irrégulier<span class="pagenum"><a name="page_176" id="page_176">{176}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 356px;"> +<a href="images/illu-208.jpg"> +<img src="images/illu-208.jpg" width="356" height="550" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>COUR DE L’ANCIENNE ÉCOLE DE MÉDECINE, RUE DE LA BUCHERIE. +ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 371px;"> +<a href="images/illu-209.jpg"> +<img src="images/illu-209.jpg" width="371" height="550" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ORGANISATION DU CONSEIL DES SEIZE, AU COLLÈGE FORTET +(<i>aujourd’hui rue Valette, 21</i>)</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_177" id="page_177">{177}</a></span></p> + +<p class="nind">circonscrit d’un côté par le séjour de Nesle et sur les autres faces par +la Seine, par le fossé de l’abbaye, maintenant rue Jacob, et par la Noue +ou petite Seine, le canal fournissant l’eau des fossés abbatiaux, et +représenté maintenant par la rue Bonaparte. Le grand pré aux Clercs, de +l’autre côté de la petite Seine, étendait au loin ses vallonnements +herbeux, verdoyants ici, pilés là-bas, coupés d’oseraies et de saulaies +sur les berges, déboulant en pente jusqu’aux roseaux. Ce n’était pas une +promenade régulière, bien peignée comme nous les arrangeons maintenant, +c’était la nature libre et fleurie à son gré, des champs d’herbe drue +pour les jeux, des sentiers serpentant capricieusement dans le vert ou +se perdant aux endroits battus par la foule. Des lignes de peupliers +fournissaient l’ombrage, et abritaient çà et là des cabarets de +campagne; sur la rive passaient les gros chevaux de halage pour la +nombreuse batellerie qui égayait la Seine.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 366px;"> +<a href="images/illu-211.jpg"> +<img src="images/illu-211.jpg" width="366" height="266" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES ÉCOLIERS PÊCHANT LE POISSON DE L’ABBAYE DE +SAINT-GERMAIN</p></div> +</div> + +<p>Le petit pré aux Clercs, outre les bagarres entre écoliers et moines, +vit aussi se dérouler quelques scènes de l’histoire parisienne. Le champ +clos de l’Abbaye, la lice des combats judiciaires, entamait un peu ce +pré; le 30 mai 1357, pendant les troubles de la commune de Paris, après +la prise du roi Jean à Poitiers, le roi de Navarre, allié d’Étienne +Marcel, s’en vint sur un échafaud ou tribune, préparé sur les murs de +l’abbaye pour le roi de France quand il venait assister aux duels +judiciaires, parler aux Parisiens rassemblés dans le petit pré au nombre +de plus<span class="pagenum"><a name="page_178" id="page_178">{178}</a></span> de dix mille. «Moult longuement sermonna et tant que l’on avait +dîné par Paris quand il cessa,» disent les grandes Chroniques de +Saint-Denis. Charles le Mauvais, roi de Navarre, essayait de tourner les +Parisiens à son parti, comme Marcel et les meneurs n’y étaient déjà que +trop portés.—«Contre le roi ni contre le duc (le Dauphin Charles, duc +de Normandie) il ne dit rien apertemment, toutefois dit-il assez de +choses déshonnêtes et vilaines par paroles couvertes.»</p> + +<p>Comme dans tous les temps de révolution, on «<i>haranguait</i>» beaucoup en +ce temps et sans parler de tous les discoureurs aux séances des états, +aux assemblées de l’Université, on vit le duc de Normandie, pour essayer +de ramener les Parisiens au parti royal, s’en aller en janvier 1358, +avec sept ou huit hommes seulement, haranguer à cheval le peuple +convoqué aux Halles. Pour contre-balancer l’effet de cette harangue sur +le populaire presque retourné, le prévôt des marchands organisa une +autre réunion—réunion publique contradictoire, comme on dirait +maintenant—à Saint-Jacques de l’Hôpital et fit parler dans cette séance +tumultueuse l’échevin Toussac, lequel parla si bien que les gens du +parti opposé durent se taire ou se retirer. Et peu après, en février, +Étienne Marcel ayant fait massacrer sous les yeux du Dauphin les +maréchaux de Champagne et de Normandie, monta à son tour haranguer d’une +fenêtre de la maison aux piliers, le peuple couvrant la grève, «moult +grand nombre de gens armés» qui l’approuvèrent et l’acclamèrent.</p> + +<p>Le grand pré aux Clercs, théâtre des ébats de la gent universitaire, fut +jusque sous Louis XIV la promenade favorite des Parisiens, quelque chose +comme le Bas-Meudon du moyen âge, un Bas-Meudon que l’on avait à sa +porte, à proximité de tous les quartiers centraux, de cette population +que l’agrandissement démesuré de Paris force aujourd’hui, pour +apercevoir un peu de verte campagne, à entreprendre un véritable voyage.</p> + +<p>Au temps de la Réforme, le Pré aux Clercs joua son rôle dans les +troubles. Tout Paris s’en allait aux belles soirées d’été respirer l’air +frais dans ces prairies gracieusement baignées par la Seine, dans le +paysage si magnifiquement encadré, vers le couchant, où tourne la +rivière, par de jolies collines verdoyantes, et de l’autre côté par le +hérissement superbe de la grande ville silhouettant ses tours +innombrables et ses clochers, le vieux Louvre, l’île du Palais, la +montagne Sainte-Geneviève, les abbayes, et couvrant la Seine de ponts +étranges chargés de maisons.</p> + +<p>Quelque soir des calvinistes et des écoliers à la promenade commencèrent +à chanter les psaumes de David mis en vers français par Clément Marot; +on écouta d’abord leurs chants avec curiosité, puis les écouteurs +entraînés se mirent à chanter aussi; le fait se reproduisit et l’on vit +bientôt chaque soir tous les promeneurs, formés en longs cortèges, +parcourir le pré au chant des psaumes. Des seigneurs de la cour, avec +eux Antoine de Bourbon, le roi de Navarre, et la reine, s’en vinrent +plusieurs fois de suite écouter ces chants et même faire leur partie +dans le chœur. Les catholiques se plaignirent et sollicitèrent des +ordres du roi pour faire cesser ces promenades chantantes, qui +menaçaient d’être bientôt une occasion de querelles et de désordres.<span class="pagenum"><a name="page_179" id="page_179">{179}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 325px;"> +<a href="images/illu-213.jpg"> +<img src="images/illu-213.jpg" width="325" height="524" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>COUPOLE DE L’ANCIENNE ÉCOLE DE MÉDECINE, RUE DE LA +BUCHERIE, ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_180" id="page_180">{180}</a></span></p> + +<p>C’était en 1558, l’année que les étudiants eurent encore maille à partir +avec l’abbaye. On sait que les écoliers, excités par Ramus, prétendant +que les moines avaient tiré sur eux des coups de fauconneaux du haut de +leurs remparts, brûlèrent quelques maisons du pré. Pour ce fait +d’incendie, un écolier huguenot, Baptiste Croquoison, fut brûlé au Pré +aux Clercs et l’on n’obtint pour lui que la grâce d’être étranglé sur le +bûcher.</p> + +<p>A cette époque déjà la rue de Seine et quelques ruelles s’intercalaient +entre la porte de Nesle et le Pré aux Clercs et rejoignaient le faubourg +Saint-Germain, formé entre le rempart, l’abbaye et le chemin de +Vaugirard. En ce naissant faubourg Saint-Germain habitaient beaucoup de +huguenots, et ceux-là seulement des seigneurs huguenots venus à Paris +pour les noces d’Henri de Navarre, qui se logèrent chez leurs +coreligionnaires du faubourg, échappèrent à la Saint-Barthélemy.</p> + +<p>Certaines maisons du faubourg étaient particulièrement signalées à la +haine des catholiques, les protestants s’y réunissaient pour des +cérémonies religieuses et, à l’occasion, pour des conciliabules +politiques. Des catholiques ardents, des écoliers rôdant en quête de +tumultes, surprirent plus d’une fois le secret de ces réunions. Alors +des foules ameutées assiégeaient ces maisons protestantes, tuant et +pillant, aidées par les archers du guet accourus au bruit, lesquels +traînaient aux prisons les malheureux huguenots hommes ou femmes, +échappés à la populace.</p> + +<div class="figleft" style="width: 181px;"> +<a href="images/illu-214.jpg"> +<img src="images/illu-214.jpg" width="181" height="305" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DES CHARTREUX</p></div> +</div> + +<p>Quelquefois les catholiques avaient affaire à forte partie, en cette +petite Genève comme on appelait la rue des <i>Marais</i>, maintenant +<i>Visconti</i>, au petit Pré aux Clercs, qui était un véritable centre +protestant, et où certaines maisons communiquaient entre elles par des +passages secrets pour faciliter les évasions en cas d’alerte. A +l’attaque de la maison d’un sieur le Vicomte, deux gentilshommes +chargèrent avec une telle furie les assaillants qu’ils les mirent en +déroute, ce qui permit aux protestants assemblés de s’échapper. Seul le +maître de la maison fut pris et envoyé avec sa famille pourrir dans les +cachots du Châtelet.</p> + +<p>Une autre fois, et pourtant dans un moment d’accalmie des querelles +reli<span class="pagenum"><a name="page_181" id="page_181">{181}</a></span>gieuses, les protestants, rassemblés en la maison d’un sieur de +Longjumeau, furent assaillis par une bande d’écoliers et subirent un +véritable siège, qui, devant la rude défense des assiégés, se changea en +un blocus. Au bout de quatre jours, la maison ayant brèches ouvertes et +se trouvant à moitié démolie, les protestants affamés, après avoir en +vain réclamé secours au Parlement, après avoir courageusement ferraillé, +profitèrent d’une négligence des assaillants pour s’ouvrir une issue par +laquelle ils eurent la chance de battre en retraite, emmenant leurs +blessés, mais laissant quelques morts.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 366px;"> +<a href="images/illu-215.jpg"> +<img src="images/illu-215.jpg" width="366" height="296" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PRÉ AUX CLERCS (XVIᵉ SIÈCLE)</p></div> +</div> + +<p>Le Pré aux Clercs fut occupé par l’armée d’Henri IV en 1589, lorsque le +roi tenta d’enlever Paris par une surprise qui ne réussit point. Les +guerres civiles et le siège qui les termina amenèrent la ruine et la +dévastation des faubourgs. Quand la tranquillité revint, des rues +nouvelles se créèrent rapidement au bourg Saint-Germain.</p> + +<p>Une circonstance hâta la fin du petit Pré aux Clercs. Marguerite de +Valois, épouse divorcée de Henri IV, rentrée à Paris et logée à l’hôtel +de Sens, voulut se construire un palais sur la rive gauche de la Seine, +en face des Tuileries de sa mère Catherine. Sur la rue de Seine s’éleva +bientôt un assez vaste hôtel de pierres<span class="pagenum"><a name="page_182" id="page_182">{182}</a></span> et briques dont le pavillon +central, terminé par un lanternon, comme le montre le plan de Méryan, +donnait juste en face de la vieille porte de Nesle. Ce pavillon existe +encore dans la cour du numéro 6 de la rue de Seine actuelle.</p> + +<p>Derrière, sur les terrains du petit Pré aux Clercs et d’une partie du +grand Pré, s’étendaient des jardins au milieu desquels la reine Margot +installa en 1609 une communauté de moines Augustins, «<i>les Augustins +déchaussés de la reine Marguerite</i>» dans une petite chapelle, dite +<i>chapelle des Louanges</i>, dont le dôme fut la première coupole construite +à Paris. «La reine voulut, dit Dulaure, que ces moines chantassent jour +et nuit sans discontinuer de deux en deux, en se relevant d’heure en +heure, à la louange du Seigneur, des hymnes et cantiques sur des airs +modernes qui leur seraient prescrits. Elle exigeait, en outre, que ces +frères, chanteurs éternels, ne sortissent jamais du couvent, ni eussent +aucune communication avec les séculiers.»</p> + +<p>La reine Margot ainsi faisait faire ses pénitences par d’autres. Après +quelques années de plain-chant, trouvant la pénitence suffisamment +faite, ou fatiguée de la musique des pauvres moines, elle les expulsa +sans plus de façons, les remplaçant en 1609 par des Augustins chaussés +de la réforme de Bourges, qu’elle laissa à sa mort avec des +constructions commencées, beaucoup de dettes et pas de ressources.</p> + +<p>Les Augustins trouvèrent heureusement des protections, la reine Anne +d’Autriche leur éleva une église dont la chapelle des Louanges forma le +chœur, et elle acheva la construction de leur couvent. A la Révolution, +le couvent des Petits-Augustins devint le Musée des monuments français +et plus tard l’École des Beaux-Arts. Alexandre Lenoir qui rendit à l’art +d’inappréciables services, avec le concours d’une commission de savants +et d’artistes, véritable commission de sauvetage fonctionnant en pleine +Terreur au milieu du vandalisme déchaîné, s’efforça de réunir dans ce +musée les débris intéressants de tant d’édifices renversés, de superbes +morceaux, monuments artistiques, tombeaux, statues, fragments divers +d’un précieux intérêt historique, tout ce qu’il put enfin arracher aux +démolisseurs forcenés, à travers de nombreux dangers et même au prix +d’un coup de baïonnette reçu en protégeant le tombeau de Richelieu.</p> + +<p>Au delà des Augustins un grand parc, le <i>jardin de la Reine Marguerite</i>, +ouvert au public, s’étendait le long de la Seine jusque vers la rue du +Bac. Hôtel, jardin et parc furent vendus pour payer les dettes de la +reine Margot, la promenade disparut au grand déplaisir des Parisiens; +des hôtels et des rues s’élevèrent plus loin même que la rue du Bac. Au +commencement du règne de Louis XIV, comme on le voit sur le plan de +Gomboust, il ne restait plus que l’extrémité du Pré aux Clercs, derrière +la Grenouillère continuant le quai Malaquais, bordée de maisons et de +cabarets, avec des chantiers de bois flotté à la suite. Peu à peu, après +des aliénations successives par l’Université propriétaire des terrains, +le faubourg Saint-Germain dévora tout ce qui restait de l’antique Pré +aux Clercs et il n’en demeure plus, comme souvenir, que le nom de rue de +Sorbonne ou rue de l’Université donné à la grande voie traversant les +champs d’esbattement de messieurs les écoliers, transformés en jardins +d’hôtels aristocratiques.<span class="pagenum"><a name="page_183" id="page_183">{183}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_VII" id="CHAPITRE_VII"></a> +<a href="images/illu-217-a.jpg"> +<img src="images/illu-217-a.jpg" width="359" height="267" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +L’HÔTEL DE BOURBON +</span> +<br /> +<br /> +CHAPITRE VII<br /><br /> +PARIS FÉODAL</h2> + +<h3>I</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-217-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption"> +LA FENÊTRE DU MEURTRIER</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>Petits palais et grands hôtels.—L’hôtel de Bourbon.—La trahison +du connétable.—Les États généraux de 1614 dans la grande salle de +l’hôtel.—Le séjour de Nesle.—Les femmes des trois fils de +Philippe le Bel.—Marguerite, Jeanne et Blanche de Bourgogne.—La +tour de Nesle et sa légende.—Le duc Jean de Berry.—Benvenuto +Cellini au Petit-Nesle.—L’hôtel de Nevers-Gonzague.—La tête de +Coconas.—L’hôtel de Bourgogne.—Jean sans Peur et le duc +d’Orléans.—Bourguignons et Armagnacs.—Les bouchers de +Paris.—Chaperon blanc et bonnet rouge.—Caboche et Capeluche.—Le +théâtre de l’hôtel de Bourgogne.—Gauthier-Garguille et Turlupin, +successeurs de Jean sans Peur.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">C</span>E que fut le Paris carolingien, nous ne pouvons que très difficilement +nous le figurer. Il est plus facile de se représenter le Paris +gallo-romain dont on a retrouvé tant de traces, dont il reste même des +monuments, mais le Paris des époques intermé<span class="pagenum"><a name="page_184" id="page_184">{184}</a></span>diaires entre ces temps si +lointains et l’épanouissement merveilleux du siècle des cathédrales, +demeurera à jamais enfoui dans l’inconnu. Il n’a pas laissé de traces ou +du moins s’il reste quelques pierres de ces temps, elles sont cachées +dans le sol, recouvertes par les constructions postérieures, elles ont +servi de soubassement au Paris des époques suivantes.</p> + +<p>Tout a disparu. Paris plus souvent bouleversé que n’importe quelle ville +ne possède pas le plus petit coin de maison romane comme on en rencontre +encore quelquefois ailleurs, pauvres, vieilles, ridées et crevassées, +oubliées en quelques tranquilles cités de province, sur lesquelles le +temps semble avoir pesé moins lourdement ou qui furent moins exposées +aux bouleversements de la guerre et de l’enrichissement, ces deux +grandes causes de destruction.</p> + +<p>Pour les humbles maisons des artisans, celles des bourgeois même, +construites en matériaux de médiocre durée, cette disparition complète +ne peut surprendre, mais pour les logis plus importants, les maisons que +des grands seigneurs laïques et ecclésiastiques, des magistrats, des +gros fonctionnaires devaient posséder en ville, le fait qu’aucun vestige +n’en soit resté ne peut s’expliquer que par l’afflux perpétuel de la +richesse sur le même point, et les changements non moins perpétuels et +les reconstructions qu’elle entraîne. Nous ne pouvons guère nous faire +une idée des villes d’autrefois, des pauvres toits du populaire et des +demeures plus importantes, nobles ou bourgeoises, que sur de vagues +indications fournies par des enluminures sommaires ou fantaisistes +d’antiques manuscrits.</p> + +<p>«Aux constructions de pierre de l’époque gallo-romaine, dit Viollet le +Duc, sont venues, après les invasions, s’ajouter des ouvrages de +charpenterie, système de construction particulier aux races du Nord et +de l’Est. Dans les villes fermées de murailles où l’espace par +conséquent était mesuré, les deux systèmes se superposèrent; sur les +rez-de-chaussée en maçonnerie suivant les traditions gallo-romaines, se +superposèrent des étages en pans de bois pour gagner en hauteur l’espace +qui manquait en surface... Il suffit de jeter les yeux sur les +manuscrits occidentaux des <small>IX</small>ᵉ, <small>X</small>ᵉ et <small>XI</small>ᵉ siècles, sur quelques +sculptures d’ivoire de cette époque et même sur la tapisserie de Bayeux +pour constater l’influence des traditions gallo-romaines dans les +maçonneries du rez-de-chaussée des habitations et celle des +constructions de bois indo-germaniques pour les couronnements des palais +et des maisons, tandis que les églises affectent toujours la forme de la +basilique latine ou celle de l’édifice byzantin.»</p> + +<p>L’architecture civile a brisé le moule romain aussitôt après la chute de +l’empire, et au bout de peu de temps rien ne rappelle plus, dans les +villes bâties sur nos fleuves gaulois, la vieille métropole du Tibre, +cette Rome, mère d’une innombrable quantité de petites Romes qu’elle +avait pour ainsi dire modelées, ou plutôt déguisées à son image, dans +les contrées les plus différentes et sous les climats les plus divers. +Aussitôt après l’écroulement de Rome et des idées romaines tout se +modifia. La caractéristique de l’architecture des époques suivantes fut +l’importance de la charpenterie: les fortifications des villes +elles-<span class="pagenum"><a name="page_185" id="page_185">{185}</a></span>mêmes s’en ressentirent, sur les débris des tours gallo-romaines +ébréchées par les guerres s’élevèrent des étages de bois hourdé. Sans +remonter jusqu’au gros donjon de bois du camp de Clovis, le <i>Lower</i> sur +l’emplacement duquel Philippe-Auguste bâtit plus tard le château royal +du Louvre, on voit au <small>IX</small>ᵉ siècle, quand Paris se défend contre les +Normands, les têtes de pont couronnées par des ouvrages et des tours de +bois.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 264px;"> +<a href="images/illu-219.jpg"> +<img src="images/illu-219.jpg" width="264" height="313" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>SOMMET DE L’ESCALIER DE LA TOUR JEAN-SANS-PEUR</p></div> +</div> + +<p>Le Paris des temps Carolingiens répandu sur la rive droite devant +l’ancienne Lutèce de l’île, ayant à peine quelques têtes de faubourgs +sur la rive gauche, entre la rivière et les abbayes, devait présenter +derrière ses remparts élevés à la hâte et criblés de blessures par les +sièges, un ensemble d’assez rude apparence, de massives constructions de +chefs militaires, des logis de l’aristocratie bourgeoise et marchande, +décorés avec un art encore grossier qui se cherchait dans les +ressouvenirs ou les imitations de l’époque romaine, des façades posées +au rez-de-chaussée sur des arcades protégeant contre la pluie et la +neige les passants et les petits marchands; puis, au centre, surtout aux +endroits où la ville se<span class="pagenum"><a name="page_186" id="page_186">{186}</a></span> serrait près des ponts communiquant avec la +vieille cité, des maisons de bois, pressées, se hissant les unes sur les +autres avec leurs étages encorbellés sur de grosses poutres surplombant +rues et ruelles.</p> + +<p>Ainsi par de lentes modifications nous arrivons aux siècles du moyen +âge, aux architectures que nous connaissons parfaitement, non seulement +par les représentations plus fidèles des miniatures qui enrichissent +tant de beaux manuscrits, mais de plus par les spécimens qui nous en +restent, fragments de palais, hôtels ou maisons encore habités, abritant +encore, après tant de générations, les descendants trop souvent ingrats +et malveillants de ceux qui les ont construits.</p> + +<p>Si des maisons du <small>XIII</small>ᵉ siècle il ne peut rester à Paris que des +fragments nombreux, cachés dans les bâtisses postérieures, ou des pans +de murs, au fond des vieux pâtés de maisons aux façades plusieurs fois +rhabillées, au fond des quartiers anciens, s’il ne subsiste des hôtels +seigneuriaux de ces temps rien à peu près d’antérieur au <small>XIV</small>ᵉ siècle, +les documents ne manquent plus et l’on peut très bien se faire une idée +exacte du Paris du moyen âge, avec les vieux historiographes de Paris, +avec toutes les peintures et gravures qui nous ont transmis la +physionomie des rues étroites, si grouillantes sur certains points de +croisements des grandes artères, et si encombrées de populaire, de +marchands, de chariots et de cavaliers, et l’aspect des grands logis +féodaux, des demeures de ville de hauts et puissants seigneurs, princes +de sang royal, grands officiers de la couronne, ou seigneurs +ecclésiastiques.</p> + +<p>Ces logis féodaux, manoirs ou <i>séjours</i> comme on disait au <small>XIV</small>ᵉ siècle, +bâtis cependant de façon à traverser les siècles, étaient plus exposés +aux destructions que les simples logis populaires. Leurs murs étaient de +taille à braver les coups de force des révolutions, à résister aux +tempêtes populaires si fréquentes sur l’océan parisien, mais les +révolutions de la mode, cette reine puissante, et les brusques +changements qu’elle apporte dans les goûts et les idées, ont eu raison +de la plupart d’entre eux.</p> + +<p>Si l’emplacement de ces hôtels seigneuriaux était bon, pas trop éloigné +des logis du roi, soit du Louvre, soit de Saint-Paul ou des Tournelles, +ces hôtels, suivant la fortune de leurs possesseurs, subissaient pour se +mettre au goût du siècle des transformations, des reconstructions +partielles ou totales. Si au contraire l’emplacement était médiocre, si +peu à peu la marée parisienne montait, si les maisons de marchands et de +populaire, envahissant jardins et cultures, venaient se coller aux +murailles seigneuriales, alors ses nobles possesseurs s’en allaient en +quelque quartier nouveau et plus aristocratique bâtir de nouveaux logis, +abandonnant les anciens à quelque riche marchand qui l’occupait avec ses +commis ou le partageait en divers logements.</p> + +<p>Des grands logis du moyen âge ce sont surtout ces derniers hôtels +abandonnés au populaire qui nous sont restés. Ainsi l’hôtel des +archevêques de Sens, l’hôtel des abbés de Cluny, le manoir de ville de +Jean sans Peur, qui était une espèce de château fort élevé tout près des +remparts parisiens, l’hôtel des prévôts de Paris, près des remparts +aussi, mais sur un autre point, ont survécu à tant d’autres<span class="pagenum"><a name="page_187" id="page_187">{187}</a></span> logis de +grands barons dont il n’est pas resté une pierre, et, plus ou moins +diminués ou abîmés, sont venus jusqu’à nous, peut-être parce qu’ils sont +tombés en roture dès le temps de Louis XIV.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 284px;"> +<a href="images/illu-221.jpg"> +<img src="images/illu-221.jpg" width="284" height="339" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’HÔTEL DU CHEVALIER DU GUET</p></div> +</div> + +<p>L’hôtel de la Trémouille, magnifique spécimen de l’architecture civile +du <small>XV</small>ᵉ siècle, l’hôtel du Chevalier du guet, plus ancien et plus sévère, +avaient ainsi traversé les siècles jusqu’à notre époque, tandis que tout +vestige avait dès longtemps disparu d’autres grandes et illustres +demeures. Ceux-là, ce sont des travaux d’édilité, des percées de rues +qui leur ont donné le coup suprême.</p> + +<p>Tout près du vieux Louvre de Philippe-Auguste, du Louvre à la grosse +tour suzeraine, s’élève au commencement du <small>XIV</small>ᵉ siècle l’hôtel de +Bourbon, bâti en 1309 par un prince de la maison de France, Louis de +Bourbon, fils du comte de<span class="pagenum"><a name="page_188" id="page_188">{188}</a></span> Clermont; cet hôtel, agrandi et embelli dans +le courant du <small>XIV</small>ᵉ siècle, occupe tout le carré formé par les fossés du +Louvre, la rue du Petit-Bourbon conduisant à Saint-Germain l’Auxerrois, +et la rue des Poulies qui aboutit à l’arche de Bourbon jetée sur la +berge au-dessus d’un abreuvoir.</p> + +<p>Sur le quai au coin de la rue des Poulies se dresse un grand corps de +logis à trois pignons, dont le plus grand, au milieu, porte une +bretèche, une belle loge fermée à balustrade délicatement sculptée, où +se découpent dans un entrelacement de fleurs de lis, les lettres du mot +«<i>Espérance</i>». Un long bâtiment, la <i>galerie dorée</i>, ornée de peintures, +borde le quai. En arrière est une cour dominée par le bâtiment de la +grande salle au pignon flanqué de tourelles, au comble énorme, aussi +élevé, dit Sauval, que celui de Saint-Eustache.</p> + +<p>Cet hôtel de Bourbon a bien des pages tragiques en son histoire. En 1418 +lorsque Perrinet Leclerc livra Paris aux Bourguignons, les tueurs du +parti de Bourgogne, ayant par le massacre vidé les prisons de tous les +Armagnacs qu’on y avait jetés, s’en vinrent après «<i>l’occision</i>» à +l’hôtel de Bourbon où ils tuèrent encore tout ce qu’ils rencontrèrent. +Et ayant, dans le pillage qui accompagnait naturellement ces horreurs, +trouvé dans une chambre «une grant bannière comme estandard où il y +avait un dragon figuré qui par la gueule jetait feu et sang, si furent +plus mus en ire que devant et la portèrent par tout Paris, les épées +toutes nues, criant sans raison: «Veez ici la bannière que le roy +d’Angleterre avait envoyé aux faux Arminaz...» et par tous les +carrefours se replongeant dans leur soulerie de sang, écorcheurs et +bouchers toute la nuit encore assaillirent tous ceux qu’on leur +signalait comme Armagnacs, sans même demander aucune preuve, et +massacrèrent hommes et femmes, les laissant nus sur le pavé, sans que le +duc de Bourgogne osât ou pût arrêter la tuerie!»</p> + +<p>Un siècle après l’hôtel était en la possession du connétable de Bourbon, +comte de Montpensier et dauphin d’Auvergne, duc de Bourbon, comte de +Clermont, de Forez, de la Marche, de Gien, etc., etc., possesseur +d’immenses domaines, prince du sang, aussi près du trône que son logis +de Paris l’était du château royal du Louvre. Héros de Marignan, seigneur +magnifique éblouissant la cour par son luxe et son opulence, Bourbon de +plus était un homme beau et bien fait.</p> + +<p>La mère du roi, Louise de Savoie, fatale en plus d’une occasion à +d’autres personnages et à la France, princesse alors âgée de +quarante-sept ans, s’éprit du superbe connétable qui dépassait de peu la +trentaine et venait de perdre sa femme Suzanne de Bourbon-Beaujeu. +Louise de Savoie rêvait de l’épouser, mais ses avances à différentes +reprises furent repoussées. Alors, la haine remplaçant l’amour déçu, +Louise de Savoie, liguée avec le chancelier Duprat, autre ennemi de +Bourbon, chercha par un grand procès en Parlement, à enlever au +connétable les terres de la maison de Bourbon qu’il tenait d’une +donation de sa femme et qui formaient peut-être la moitié de ses +domaines.</p> + +<p>Un premier procès fut perdu par le connétable, le comté de la Marche lui +fut enlevé et il parut à tous que Louise devait avoir gain de cause pour +le reste. C’est alors que les émissaires de Charles-Quint vinrent +trouver le connétable et,<span class="pagenum"><a name="page_189" id="page_189">{189}</a></span> profitant de sa fureur, réussirent à +l’entraîner dans une trahison qui n’allait à rien moins qu’au +démembrement de la France, dont on devait, avec un des morceaux ajouté +aux terres du connétable, fabriquer un royaume de Bourgogne. Les +événements se précipitèrent, la fuite de Bourbon hors du Royaume, le +connétable de France à la tête des bandes allemandes de l’Empereur, +l’invasion de la Provence et la défaite de Pavie.</p> + +<p>Pendant ce temps, à Paris, le Parlement instruisait lentement le procès +du traître, confisquait tous ses biens, flétrissait sa mémoire, le +retranchait de la race des Bourbons «comme notoirement dégénéré des +mœurs et fidélité des autres sieurs de ladite maison».</p> + +<div class="figcenter" style="width: 367px;"> +<a href="images/illu-223.jpg"> +<img src="images/illu-223.jpg" width="367" height="256" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’HOTEL DE LA REINE MARGUERITE SUR L’EMPLACEMENT DU PETIT +NESLE, ET LA CHAPELLE DES LOUANGES AU PETIT PRÉ AUX CLERCS</p></div> +</div> + +<p>En conséquence de l’arrêt, un jour de 1527, le connétable étant déjà +mort du coup d’arquebuse que Benvenuto Cellini se vantait d’avoir tiré +sur lui à l’assaut de Rome, l’hôtel de Bourbon paya pour lui. Devant la +foule assemblée on commença par décapiter, en signe d’infamie, la +tourelle formant l’angle de la rue des Poulies; puis le bourreau de +Paris brisa les armoiries du connétable, barbouilla d’ocre jaune, +couleur de flétrissure, le portail d’entrée, la <i>porte dorée</i>, les +fenêtres et tous leurs ornements et sema du sel dans les appartements.</p> + +<p>Les marques infâmes de la trahison furent longtemps visibles et la +tourelle d’angle demeura informe et tronquée jusqu’à la démolition de ce +qui restait de l’hôtel en 1758. Cette flétrissure n’empêcha pas la +grande salle de servir, de 1614<span class="pagenum"><a name="page_190" id="page_190">{190}</a></span> à 1615, aux séances solennelles des +États généraux, les derniers convoqués avant ceux de 89, les séances +ordinaires se tenant aux Augustins.</p> + +<p>Il y eut là des scènes qui furent comme la répétition de ce qui devait +se passer cent soixante-quinze ans plus tard: querelles d’étiquette +d’abord, dissentiments profonds entre les ordres, prétentions des uns +dans leurs cahiers, doléances et réclamations des autres, présentation +solennelle au roi des cahiers des trois ordres dans la grande salle de +l’hôtel de Bourbon, puis mise à la porte sans façon des députés du +tiers, qui le lendemain en arrivant pour siéger aux Augustins trouvèrent +la salle fermée et démeublée, avec défense de se réunir ailleurs. Il +fallut s’en aller; le tiers état n’était pas mûr alors pour un serment +du Jeu de Paume.</p> + +<p>Cette grande salle, salle de fêtes et salle de bal aux beaux jours de la +jeunesse de Louis XIV, fut, au milieu du <small>XVII</small>ᵉ siècle, transformée en +théâtre, sur lequel alternativement jouèrent la comédie Italienne et la +troupe de Molière. Celle-ci y donna le 18 novembre 1659 la première +représentation des <i>Précieuses Ridicules</i> et, le 28 mai 1660, celle de +<i>Sganarelle</i>. Molière y joua pendant deux ans; un jour la troupe +arrivant pour la représentation trouva la salle en démolition, on +mettait les acteurs à la porte comme de simples députés du tiers aux +États généraux, pour faire de la salle le garde-meubles de la Couronne.</p> + +<p>Cette affectation nouvelle, privant la cour d’une salle spéciale pour +les fêtes, l’obligea à chercher dans le Louvre un emplacement nouveau, +ce qui fut cause qu’au premier bal, le feu prit au palais et faillit +brûler, avec une foule de meubles précieux, le pauvre cardinal Mazarin +alors presque mourant dans son lit. Quant à la troupe de Molière, le roi +lui avait donné une autre salle, celle construite par Richelieu pour la +représentation de <i>Mirame</i>, dans le Palais-Royal, alors Palais Cardinal.</p> + +<p>Les derniers restes du Petit-Bourbon transformés en garde-meubles ne +tombèrent qu’en 1758, lors des travaux qui dégagèrent le Louvre de vieux +bâtiments de service accolés à la façade orientale et permirent de voir +cette fameuse colonnade de Perrault chantée par Boileau:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Dans Florence jadis vivait un médecin<br /></span> +<span class="i0">Savant hableur, dit-on, et célèbre assassin...<br /></span> +<span class="i0">Le rhume à son aspect se change en pleurésie<br /></span> +<span class="i0">Et par lui la migraine est bientôt frénésie...<br /></span> +<span class="i0">Notre assassin renonce à son art inhumain<br /></span> +<span class="i0">Et désormais la règle et l’équerre à la main<br /></span> +<span class="i0">Laissant de Galien la science suspecte<br /></span> +<span class="i0">De méchant médecin devient bon architecte...<br /></span> +<span class="i0">Soyez plutôt maçon si c’est votre talent...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Juste en face de l’hôtel de Bourbon, de l’autre côté de la Seine, +d’autres somptuosités, d’autres superbes bâtiments lui font pendant, +comme la tour de Philippe Hamelin ou de Nesle, de l’enceinte de Paris, +fait pendant à la tour du coin de l’enceinte du Louvre. L’hôtel de +Nesle, de fameuse et légendaire mémoire, a été bâti au <small>XIII</small>ᵉ siècle par +un seigneur de Nesle, sur le terrain formant ici l’angle<span class="pagenum"><a name="page_191" id="page_191">{191}</a></span> saillant de +l’enceinte de Philippe-Auguste. En 1308, Amaury de Nesle vendit son +hôtel au roi Philippe le Bel qui ne le garda pas longtemps, pas plus que +son fils Philippe le Long. A la mort de celui-ci, en 1322, l’hôtel +devint la propriété de sa veuve Jeanne de Bourgogne, laquelle, à sa mort +en 1329, ordonna par testament que l’hôtel serait vendu et le prix +appliqué à la fondation du collège dit de Bourgogne, avec bourses pour +les pauvres écoliers.</p> + +<p>Ce serait le séjour de cette reine pendant le court espace de sept à +huit ans qui valut à l’hôtel de Nesle sa réputation légendaire et à la +tour de Philippe Hamelin ou de Nesle sa célébrité sinistre.</p> + +<p>On connaît par les vieux chroniqueurs les débauches reprochées aux +femmes des trois fils de Philippe le Bel qui régnèrent successivement, +Marguerite de Bourgogne femme de Louis le Hutin, Jeanne de Bourgogne +femme de Philippe le Long, et Blanche de Bourgogne première femme de +Charles le Bel. Le terrible scandale qui éclata à la cour de France et +révéla les désordres des princesses est de 1314, l’année même de la mort +de Philippe le Bel. Après le procès et le supplice terrible des deux +frères Philippe et Gauthier d’Aulnay, Charles le Bel répudia sa femme et +la força de prendre le voile à l’abbaye de Maubuisson, près Pontoise; +Marguerite fut enfermée au château Gaillard où son mari Louis le Hutin, +désirant un divorce plus complet, la fit étrangler le jour où il monta +sur le trône.</p> + +<p>Quant à Jeanne de Bourgogne, on la déclara solennellement innocente pour +permettre à Philippe le Long de la garder et de conserver avec elle ses +domaines de Bourgogne apportés en dot.</p> + +<p>C’est donc l’épouse proclamée innocente qui est la reine dont parle +Villon dans sa ballade des dames du temps jadis,</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">..... la reine<br /></span> +<span class="i0">Qui commanda que Buridan<br /></span> +<span class="i0">Fut jetté en ung sac en Seine?<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Jeanne de Bourgogne, rapporte la tradition, de son hôtel placé au pays +des Ecoles, sur le chemin du Pré aux Clercs, voyait journellement passer +et repasser les jeunes gens de l’Université et pouvait à son aise jeter +son dévolu sur ceux qui lui plaisaient et les attirer en son logis. Le +bel écolier, mystérieusement introduit le soir par quelque poterne, +était conduit en une chambre de la tour de Nesle, laquelle était +pourtant séparée de l’hôtel par une rue, ce dont ne s’inquiète pas +beaucoup la tradition qui au besoin inventerait des passages secrets +sous la rue. En cette tour, l’écolier trouvait bon repas, bon gîte et le +reste, mais il ne sortait pas vivant. Avant le jour, Jeanne de Bourgogne +rassasiée quittait le pauvre écolier; celui-ci tout étourdi encore et +radieux de son bonheur, recevait un bon coup de dague et rapidement +était jeté en Seine d’une fenêtre de la tour. Quand le cadavre échouait +sur une berge de Passy ou de Saint-Cloud, on attribuait le crime aux +malandrins de Paris, on enterrait le pauvre diable et tout était dit. +L’écolier Buridan plus méfiant que les autres et mis en soupçon par les +disparitions successives de compagnons partis pour bonne fortune et +jamais revenus, fut plus<span class="pagenum"><a name="page_192" id="page_192">{192}</a></span> heureux et sortit de la tour de Nesle +autrement que par la fenêtre, car il vécut longtemps et devint même, +trente ans après, recteur de l’Université.</p> + +<p>Voilà le roman, la sombre légende de l’hôtel de Nesle, simple tradition +très grossie et très dramatisée sans doute des désordres connus de +Jeanne de Bourgogne et de son goût pour messieurs les écoliers, +fantaisie de grande dame cherchant à égayer les jours de son veuvage.</p> + +<p>Était-ce en souvenir pour ces escoliers qu’elle fonda par testament avec +le prix de l’hôtel de Nesle le collège de Bourgogne rue des Cordeliers, +remplacé au siècle dernier par l’école de Médecine?</p> + +<p>En 1350, l’hôtel de Nesle était habité par le roi Jean le Bon au retour +de son sacre à Reims. C’est là, qu’après les fêtes de son entrée +solennelle, il fit arrêter et décapiter le comte d’Eu et de Guines, +connétable de France, qui venait par traité de s’engager à livrer Guines +au roi d’Angleterre.</p> + +<p>En 1380, le duc de Berry, second fils de Jean le Bon, l’un des oncles de +Charles VI, acheta l’hôtel pour en faire son logis de Paris. C’était un +prince magnifique, aimant les arts, le luxe et les bâtisses somptueuses +comme il l’a prouvé par ses constructions de Bourges et par ses +châteaux.</p> + +<p>Le duc Jean de Berry apporte aux bâtiments de Nesle des adjonctions et +des embellissements nombreux. L’hôtel de Nesle devient entre ses mains +une résidence vraiment princière. Il occupe un grand triangle ayant la +tour et la porte de Nesle à sa pointe, la Seine d’un côté, le rempart de +l’autre; un long corps de logis très richement décoré tient tout le +troisième côté séparé par une ruelle, la rue de Nevers actuelle, du +couvent des Grands-Augustins et des jardins de l’hôtel de l’abbaye de +Saint-Denis.</p> + +<div class="figleft" style="width: 192px;"> +<a href="images/illu-226.jpg"> +<img src="images/illu-226.jpg" width="192" height="443" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA TOUR JEAN-SANS-PEUR. ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>La berge de la Seine est défendue par un rempart depuis la tour de +Nesle</p> + +<div class="figcenter" style="width: 398px;"> +<a href="images/illu-227.jpg"> +<img src="images/illu-227.jpg" width="398" height="559" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE DUC JEAN-SANS-PEUR RECEVANT CABOCHE ET CAPELUCHE A +L’HOTEL DE BOURGOGNE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_193" id="page_193">{193}</a></span></p> + +<p class="nind">jusqu’au château Gaillard, petit ouvrage terminal; un passage public +entre ce rempart et le mur de l’hôtel conduit à la porte de Nesle. De +l’autre côté de cette porte, en dehors de la ville, le duc de Berry a +bâti sur le petit Pré aux Clercs le séjour de Nesle où sont ses écuries. +Pendant les guerres entre Armagnacs et Bourguignons, les Le Goix, fameux +bouchers de Paris, du parti de Bourgogne, qui se livrèrent à tous les +excès dans Paris, pillèrent et dévastèrent le séjour de Nesle.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 293px;"> +<a href="images/illu-229.jpg"> +<img src="images/illu-229.jpg" width="293" height="348" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>JEAN SANS PEUR DANS LA TOUR DE BOURGOGNE</p></div> +</div> + +<p>L’hôtel de Nesle revint à la couronne à la mort du duc de Berry et ce +fut encore une princesse connue par ses désordres qui vint l’habiter, +Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, en grande partie responsable +des malheurs et des crimes de son temps. Les Anglais étaient à Paris, +qui souffrait de la guerre et d’une famine horrible. Pendant que Charles +VI végète à l’hôtel Saint-Paul entre deux accès de démence, Isabeau en +son hôtel, toujours magnifiquement vêtue de robes<span class="pagenum"><a name="page_194" id="page_194">{194}</a></span> éblouissantes, +coiffée de hennins ou de «<i>Cornes merveilleusement larges et hautes</i>» si +larges avec leurs accessoires que la reine et ses dames, lorsqu’elles +voulaient passer par la porte d’une chambre, étaient obligées de se +baisser et de se tourner de côté, Isabeau donne des fêtes au roi Henri V +d’Angleterre, régent de France, époux de sa fille Catherine et proclamé +héritier de France; elle fait représenter en l’hôtel de Nesle par les +confrères de la Passion <i>le mystère de la passion de saint Georges</i>, en +1422, bien peu de semaines avant que mourussent le roi Charles VI et le +régent Henri V lui-même.</p> + +<p>L’hôtel eut ensuite pour propriétaires, sinon pour habitants, le comte +de Richemont, connétable de France, duc de Bretagne, le comte de +Charolais, Charles le Téméraire, mais il revint encore à la couronne.</p> + +<p>François Iᵉʳ l’avait donné ou prêté à la ville de Paris pour +l’installation de quelques services, pour l’établissement d’une +juridiction spéciale aux écoliers. En 1540, le roi, pour loger Benvenuto +Cellini et son atelier, oublia l’attribution faite à la ville, reprit le +petit Nesle, c’est-à-dire la partie de l’hôtel qui touchait aux remparts +et complètement séparée du grand Nesle, le grand corps du logis du +fond,—mais Benvenuto n’entra pas en possession sans difficultés, le +prévôt de Paris défendit ses droits contre cet intrus malgré les ordres +du roi, et Cellini dut presque employer la force pour le déloger.</p> + +<p>Cellini qui était peut-être aussi grand hâbleur qu’excellent artiste, en +ses mémoires où les estocades et les arquebusades tiennent autant de +place que les souvenirs artistiques, raconte avec complaisance que pour +ne pas être attaqué dans son Petit-Nesle par les anciens occupants, et +assassiné, il dut s’entourer de précautions et armer jusqu’aux dents ses +élèves et serviteurs. Il avait mis son logis en état de siège. Une nuit +rentrant avec une forte somme touchée au Louvre pour ses travaux, il +faillit être assassiné sur la berge par de simples voleurs, et dut +combattre et estocader avec vigueur, bien qu’il fût gêné par l’argent +qu’il avait enveloppé dans son manteau.</p> + +<p>L’hôtel de Nesle devait tomber à la fin du <small>XVI</small>ᵉ siècle. A sa place +s’éleva, sans se terminer jamais, l’hôtel de Nevers, bâti par le duc de +Nevers, prince de Gonzague. Dans les bâtiments de l’hôtel de Nesle qui +ne furent détruits qu’au fur et à mesure de la construction du nouvel +hôtel, la belle duchesse de Nevers cacha sa douleur de l’exécution de M. +de Coconas, son amant, compromis dans une conspiration du duc d’Alençon, +sacrifié par cet horrible prince et décapité en place de Grève avec son +ami La Mole en 1574.</p> + +<p>La reine de Navarre, maîtresse de La Mole, et la duchesse de Nevers +n’avaient pu sauver les condamnés; la légende qui souvent n’est pas +beaucoup plus menteuse que l’histoire, veut que les deux princesses, la +nuit de l’exécution, soient allées chez le bourreau chercher les têtes +des suppliciés et qu’elles aient de leurs propres mains embaumé ces +pauvres chefs sanglants. Elle ajoute, pour la duchesse de Nevers, que +celle-ci, fidèle à Coconas, conserva toujours dans une armoire près de +son lit la tête de l’amant infortuné.</p> + +<p>L’histoire qui se répète quelquefois ajoute ceci, qu’en la même chambre +où<span class="pagenum"><a name="page_195" id="page_195">{195}</a></span> vécut la duchesse de Nevers avec cette sinistre relique d’amour à +côté de son oreiller, un demi-siècle après, sous Louis XIII ou plutôt +sous Richelieu, la petite-fille de la duchesse Marie de Gonzague, eut à +pleurer sur un autre supplicié, son amant Cinq-Mars arrêté pour +conspiration avec l’Espagne contre le terrible cardinal et décapité à +Lyon en compagnie du pauvre de Thou, entraîné par l’amitié dans +l’affaire et dont la maison était non loin de l’hôtel de Nevers, place +Saint-André-des-Arts.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 287px;"> +<a href="images/illu-231.jpg"> +<img src="images/illu-231.jpg" width="287" height="416" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PASSAGE SUR LES LIMITES DU SÉJOUR BARBETTE, RUE DES +FRANCS-BOURGEOIS, PRÈS DUQUEL FUT ASSASSINÉ LOUIS D’ORLÉANS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_196" id="page_196">{196}</a></span></p> + +<p>Cet hôtel de Nevers fait bonne figure dans les estampes de Callot et de +Pérelle, avec ses grands pavillons de pierres et briques, avec ses toits +immenses qui dominent quelques masures, vieux restes de dépendances de +l’hôtel de Nesle, et les remparts à demi ruinés touchant à la porte de +Nesle. L’hôtel de Nevers ne vécut pas longtemps, il fut démoli à son +tour et remplacé par l’hôtel de Guénégaud, plus tard Conti, lequel céda +la place à l’hôtel des Monnaies actuel.</p> + +<p>Des hôtels élevés par les grands seigneurs féodaux, par les princes de +la maison de France aux <small>XIII</small>ᵉ et <small>XIV</small>ᵉ siècles, il en est un qui traverse +en partie les siècles et dont le donjon, témoin des événements tragiques +de la grande querelle entre Armagnacs et Bourguignons, a survécu aux +tours royales du vieux Louvre, à la Bastille, à presque tous les +édifices ses contemporains. C’est la vieille tour du duc Jean sans Peur, +le donjon de l’hôtel de Bourgogne, fameux à des titres divers. +Précédemment le logis s’appelait hôtel d’Artois, parce qu’il avait +appartenu au comte d’Artois, frère de saint Louis. Ayant été confisqué +sur un de ses descendants, il fit partie de l’apanage de Philippe, +quatrième fils de Jean le Bon, surnommé le Hardi parce que tout enfant, +à la bataille de Poitiers, il s’était obstinément tenu en combattant à +côté de son père sans vouloir le quitter.</p> + +<p>—Père, garde-toi à gauche!... père, garde-toi à droite!... Un rude +enfant qui devait être l’aïeul de Jean sans Peur et de Charles le +Téméraire.</p> + +<p>Les ducs de Bourgogne agrandirent l’hôtel et le fortifièrent vers la fin +du <small>XIV</small>ᵉ siècle. Situé à cheval sur l’enceinte de Philippe-Auguste au +saillant nord, entre la porte aux Peintres de la rue Saint-Denis et la +porte de Bourgogne ou Montorgueil, il formait un vaste ensemble de +constructions, nous ne pouvons plus juger de son importance que par le +donjon subsistant; il dominait le mur de la ville et tout le quartier +qui s’appela Mauconseil, <i>mauvais conseil</i>, après les sanglantes +tragédies du commencement du <small>XV</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>Longtemps enfermée dans une arrière-cour, étouffée parmi les hautes +maisons serrées, la vieille tour vient de reparaître au jour, dégagée +sur un côté seulement par malheur.</p> + +<p>Ce bel et solide édifice rectangulaire en pierres de taille, divisé en +plusieurs étages accusés par des encorbellements, a gardé son +couronnement de mâchicoulis couvert aujourd’hui par une toiture basse. +Les divers étages sont éclairés par des baies carrées à meneaux, +inscrites, à l’étage de la grande salle, dans une haute ogive. Un large +escalier à vis tourne autour d’un pilier central qui se termine en haut +de la cage par un chapiteau en forme de caisse de jardin, d’où s’élance +un chêne sculpté, dont les grosses branches se subdivisent bientôt et +forment, avec leurs branchages entre-croisés et leur feuillage touffu, +quatre travées de voûte ogivale.</p> + +<p>On pense que Jean sans Peur avait fait construire ce donjon pour +renforcer son hôtel après qu’il eut fait assassiner le duc d’Orléans. +Monstrelet le dit: «Et mêmement fit faire en ces propres jours à +puissance d’ouvriers, une forte chambre de pierre bien taillée en +manière d’une tour, dedans laquelle il se couchait par nuit et était +ladite chambre fort avantageuse pour le garder.» Probablement, Jean<span class="pagenum"><a name="page_197" id="page_197">{197}</a></span> +sans Peur qui se fortifia en son hôtel en vue des événements, l’avait +commencée quelque temps avant le crime. Cette tour, dévastée +intérieurement par des appropriations diverses, et des intercalations +d’étages, montre encore, sculptés extérieurement au tympan d’une fenêtre +basse sur la rue, le niveau et les rabots choisis pour emblèmes par le +duc Jean.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 367px;"> +<a href="images/illu-233.jpg"> +<img src="images/illu-233.jpg" width="367" height="291" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE MEURTRE DU DUC D’ORLÉANS</p></div> +</div> + +<p>Son brillant cousin et rival le duc d’Orléans, confiant dans sa force, +avait pris pour emblème un bâton noueux avec la devise: <i>je l’envie</i> ou +<i>je l’ennuie</i>. Jean sans Peur adopta en réponse au défi l’emblème du +rabot, avec les mots flamands: <i>Ich oud</i>, <i>Je tiens</i>.</p> + +<p>Jadis pris par les Turcs à Nicopolis dans le grand désastre de la +Croisade aux pays du Danube, Jean sans Peur, héritier de Bourgogne, +avait été l’un des rares chevaliers francs épargnés par Bajazet, parce +qu’au moment où l’on allait le mettre à mort, dit une légende +probablement forgée plus tard, un vieil iman turc s’était écrié qu’il +fallait soigneusement préserver ce seigneur, destiné à faire couler plus +de sang chrétien qu’aucun musulman ne pourrait faire. L’événement ne +donna que trop raison à la prophétie.</p> + +<p>A la mort du duc de Bourgogne Philippe le Hardi, en 1404, son fils Jean +sans<span class="pagenum"><a name="page_198" id="page_198">{198}</a></span> Peur hérita de sa rivalité avec le duc d’Orléans. Depuis douze ans +déjà Charles VI était en démence et les oncles du roi, les princes, se +disputaient la direction des affaires. La lutte s’était bientôt +circonscrite entre le duc d’Orléans qui avait pris la position de chef +et de défenseur de la noblesse, et le duc de Bourgogne, chef du parti +populaire.</p> + +<p>Avec Jean sans Peur, fougueux et violent, la rivalité se changea presque +aussitôt en lutte ouverte, il y eut des préparatifs de guerre civile, +malgré des essais de réconciliation tentés quand Charles VI recouvrait +un instant l’esprit. On s’arrachait le dauphin. Le duc d’Orléans, avec +l’appui d’Isabeau de Bavière, levait des armées en province, le duc de +Bourgogne armait les Parisiens, leur rendait les chaînes de leurs rues +et les maillets des guerres civiles du siècle précédent. Puis il y eut +accalmie, une feinte réconciliation encore entre les ducs à l’occasion +de mariages princiers, mais toujours, suivant l’expression de Juvénal +des Ursins, il y avait «quelques <i>grommellis</i> entre les ducs et souvent +fallait faire alliances nouvelles».</p> + +<p>Les ducs, déguisant en affectation de courtoisie leur farouche inimitié, +s’embrassaient et se donnaient des fêtes magnifiques. Le duc d’Orléans, +tout en dehors, se reposait de la politique par une vie de plaisirs, +tandis que Jean sans Peur, retiré dans son donjon de Mauconseil, tramait +résolument la mort de son rival et travaillait patiemment à l’exécution +du plan longuement médité.</p> + +<p>Le coup fait dans les environs de l’hôtel Barbette, le 20 novembre 1407, +le duc de Bourgogne, accusé partout, dut se résoudre à l’avouer après +avoir tenu un coin du drap mortuaire aux obsèques qui furent faites en +l’église des Célestins. Devant l’horreur générale, ne se trouvant pas +assez en sûreté dans sa <i>chambre de pierre</i>, craignant de se trouver +assailli en son hôtel, il monta subitement à cheval, au retour d’un +conseil royal tenu à l’hôtel de Nesle où il n’avait pas été admis, et +partit à toute bride, suivi de six hommes seulement, sans s’arrêter +nulle part avant son château de Bapaume. Cette rapide chevauchée lui +sauva la vie, car dès que la nouvelle de sa fuite arriva en l’hôtel +d’Orléans, des hommes d’armes du défunt s’armèrent d’eux-mêmes et se +mirent à sa poursuite avec l’intention arrêtée de le mettre à mort.</p> + +<p>L’an 1407 fut «<i>l’année du grand hiver</i>», la gelée très rude dura +soixante-six jours et la débâcle de la Seine emporta le pont +Saint-Michel de Paris avec les maisons. Les neiges empêchèrent les +partis d’entrer en campagne tout de suite sur le coup de l’événement. Il +y eut des rassemblements de troupes dans les villes, des entrevues de +princes. Le roi de Sicile et le duc de Berry allant à Amiens conférer +avec Jean sans Peur et lui défendre au nom du roi de revenir à Paris +sans y être mandé, se trouvèrent presque arrêtés par les grandes neiges +et durent faire parfois marcher devant leur troupe des paysans pour +ouvrir le chemin.</p> + +<p>Jean sans Peur à la porte de son logis d’Amiens avait placé deux lances, +l’une à fer de guerre, l’autre à fer émoulu, offrant ainsi la paix ou la +guerre. Pour toute réponse à la défense des princes, il assembla des +troupes et dès que les neiges<span class="pagenum"><a name="page_199" id="page_199">{199}</a></span> le permirent, marcha droit sur Paris. Le +populaire goûtait fort les ducs de Bourgogne pour leur opposition +politique aux taxes et impôts, il cria Noël à l’entrée de Jean sans Peur +qui s’en alla réoccuper son hôtel bien pourvu de gens de guerre.</p> + +<p>Et ce ne sont plus, pendant des années, que terribles et successives +secousses, ayant pour point de départ cette tour de Mauconseil, où +revenait sans cesse se tapir le duc Jean sans Peur, qui entre temps, +pour sa répression des troubles en ses villes de Flandre, avait mérité +le nom de Jean sans Pitié. Paris en a pour douze années de +perturbations, de guerre ouverte et de révolutions sanglantes. Jean sans +Peur appuyé sur la démagogie déchaînée, sur les bouchers, les +écorcheurs, sur des bandes de malandrins sans aveu ne rêvant que +violences et pilleries, tient la ville où il a mis la main sur le +Dauphin, n’en sort que pour piller, faire tête aux gens de guerre du +parti des princes d’Orléans qu’on appelle maintenant les Armagnacs, du +nom du comte d’Armagnac, dont Louis d’Orléans, fils du prince assassiné, +venait d’épouser la fille.</p> + +<p>Armagnacs, Bourguignons et Anglais se disputent et s’arrachent la ville +où éclatent des mouvements révolutionnaires, les «<i>Journées</i>» de la +commune cabochienne, pendant lesquelles il n’est pas de pavé qui n’ait +sa tache de sang, pas de rue où les massacreurs ne travaillent.</p> + +<p>Dans la tour de Jean sans Pitié se tiennent des conciliabules avec les +bouchers, les chefs de la populace armée, prompte à la tuerie; ces chefs +ce sont les Saint-Yon, les Le Goix, avec Jeannot Caboche, écorcheur de +vaches à la boucherie de Saint-Jacques, qui tient Paris sous la terreur +et donne son nom aux gens de sa troupe et par extension à son parti. +Alors les Cabochiens prirent la Bastille par capitulation, comme en 89, +et néanmoins coupèrent peu après la tête à son gouverneur Pierre des +Essarts. Ce furent des journées de terreur où le chapeau blanc joua le +rôle du bonnet rouge de 93; il désignait les partisans de Bourgogne et +de la commune de Paris, comme le bonnet rouge coiffera plus tard les +patriotes sans culottes,—et ce chaperon blanc on l’imposa au roi de +l’hôtel Saint-Paul comme on le fera pour le bonnet rouge au roi des +Tuileries, en 92, l’histoire sans se recommencer se répétant souvent.</p> + +<p>Dans son jardin de l’hôtel de Bourgogne, Jean sans Peur se trouva même, +de par la révolution qu’il avait déchaînée, obligé de recevoir le +bourreau de Paris Capeluche, devenu homme d’importance et tueur par +amour du métier; il alla même jusqu’à lui toucher la main quand +Capeluche vint à la tête de sa bande lui parler hardiment.</p> + +<p>Jean sans Peur ayant réussi à envoyer les Cabochiens guerroyer aux +alentours de Paris, crut laver la tache restée à cette main, en faisant +saisir soudainement Capeluche pour lui couper la tête à son tour.</p> + +<p>Capeluche enlevé comme il buvait aux Halles, prit philosophiquement son +parti du changement de rôle, et, comme son propre valet chargé de le +décapiter lui semblait s’y prendre mal, il leva la tête du billot pour +lui donner d’une voix ferme quelques conseils sur la manière de trancher +proprement un col et, cette dernière leçon donnée, tendit froidement la +nuque au coupe-tête.<span class="pagenum"><a name="page_200" id="page_200">{200}</a></span></p> + +<p>Après Jean sans Peur vint Philippe le Bon, prince aux goûts superbes; +Philippe le Bon à l’avènement du roi Louis déploya son faste accoutumé +dans cet hôtel de Bourgogne aux sanglants souvenirs. Il avait tendu les +salles de magnifiques tapisseries d’Arras rehaussées de soie, d’argent +et d’or. Une vaisselle précieuse par le métal et merveilleuse par le +travail, garnissait de splendides buffets. Dans son jardin sous un +pavillon de velours doublé de soie, brodé de ses emblèmes et couvert des +armoiries de ses innombrables seigneuries, le duc donna de grands +festins à tous les princes et seigneurs réunis à Paris après les fêtes +de son sacre, festins auxquels il daigna convier «les plus notables +bourgeoises de la ville» sans oublier leurs maris il faut l’espérer.</p> + +<p>«Le duc Philippe, dit M. de Barante dans son <i>Histoire des ducs de +Bourgogne</i>, tenait en son hôtel un état qui émerveillait tout le monde. +Quand il allait visiter les églises, sa suite n’était jamais de moins +que quatre-vingts ou cent chevaliers parmi lesquels étaient des princes, +des ducs, des grands seigneurs. Les archers étaient richement équipés. +Pour lui il mettait chaque jour quelques joyaux différents, tantôt une +ceinture de diamants, tantôt un rosaire de pierres précieuses, d’autres +fois un bonnet ou une aumusse qui en étaient tout brodés. Le peuple de +Paris qui avait vu bien des princes et qui ne se dérangeait pas toujours +pour les voir passer, courait dans les rues pour regarder le duc de +Bourgogne chaque fois qu’il sortait.»</p> + +<p>Charles le Téméraire, fils de ce magnifique prince, semble réincarner en +lui Philippe le Hardi et Jean sans Peur, avec un caractère poussé encore +davantage dans le sens de la violence. Avec lui finit la superbe et +terrible maison de Bourgogne qui se couche dans une pourpre sanglante et +à sa mort l’hôtel de Mauconseil revient à la couronne qui, à défaut de +preneurs princiers, le subdivise et le loue à des particuliers.</p> + +<p>En 1453, François Iᵉʳ pressé par le besoin de pécunes, fit mettre en +vente aux enchères les anciens hôtels royaux ou princiers qu’il ne +pouvait utiliser, certaines parties de l’hôtel Saint-Paul, l’hôtel de +Bourbon confisqué au connétable, et avec eux l’ancien hôtel de +Bourgogne.</p> + +<p>C’était la fin pour cette grande résidence qui fut découpée en treize +lots à travers lesquels passait une rue nouvelle qui s’appella du nom du +roi, rue Françoise dont on a aujourd’hui, à tort, changé l’<i>o</i> en <i>a</i>. +Tout sur ce point se transforma bien vite, le jardin de Jean sans Peur +disparut, les grandes salles jadis si richement meublées et tapissées +tombèrent et des maisons vinrent s’accrocher au donjon. Évanouis, les +souvenirs tragiques des Bourguignons et des Armagnacs. Le vieil hôtel +sanglant où s’étaient préparés les grands drames du siècle précédent +devint le théâtre des confrères de la Passion et des enfants Sans Souci, +c’est-à-dire le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, si fameux pendant cent +cinquante ans, donnant ainsi pour successeurs à Jean sans Peur les +désopilants farceurs, Gros-Guillaume, Turlupin, Gauthier Garguille et +Bruscambille.</p> + +<p>Les <i>Confrères de la Passion</i>, chassés de l’hôpital de la Trinité, près +la porte Saint-Denis, s’arrangèrent une salle de spectacle à l’hôtel de +Bourgogne et reprirent<span class="pagenum"><a name="page_201" id="page_201">{201}</a></span> leurs représentations de mystères, jusqu’à ce +qu’un jour le Parlement leur ayant fait défense de tirer désormais leurs +sujets des légendes et miracles des saints, de l’histoire sacrée et des +dogmes mis continuellement à la scène, depuis la Création jusqu’au +Jugement dernier, avec tous les personnages de l’ancien ou du nouveau +testament, il ne leur resta plus pour domaine que les sujets profanes, +les romans de chevalerie et la mythologie, ainsi que les sotties et +moralités, ces farces satiriques des enfants Sans Souci dont les +allégories, fort audacieuses parfois, suscitaient les colères de +l’autorité, du parlement et du roi.</p> + +<p>En ce temps les confrères de la Passion faisaient annoncer leurs +représentations par un ou plusieurs acteurs, au son du tambour, par les +carrefours environnants. Vers 1570 il arriva même, dit-on, qu’un de ces +acteurs, Jean de Pontalais, alors célèbre par ses facéties, faisant +l’annonce devant le porche de Saint-Eustache, le curé de Saint-Eustache, +incommodé au cours d’un sermon par le bruit du tambour, descendit de la +chaire, et vint interrompre l’annonce:</p> + +<div class="figcenter" style="width: 219px;"> +<a href="images/illu-237.jpg"> +<img src="images/illu-237.jpg" width="219" height="170" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>GROS-GUILLAUME, TURLUPIN ET GAUTHIER-GARGUILLE, A L’HÔTEL +DE BOURGOGNE</p></div> +</div> + +<p>—Qui vous a fait si hardi, dit-il à Pontalais, de jouer du tambourin +pendant que je prêche?</p> + +<p>Pontalais, qui ne se laissait pas démonter facilement, répondit:</p> + +<p>—Eh! qui vous a fait si hardi de prêcher pendant que je tambourine?</p> + +<p>Le curé furieux creva la caisse et battit ensuite en retraite, mais +Pontalais le rattrapa sur les marches de l’église et le coiffa de son +tambour crevé, aux éclats de rire de l’assistance plus égayée que +scandalisée de cet exploit inattendu d’un comédien aimé.</p> + +<p>Au commencement du <small>XVII</small>ᵉ siècle le goût est à la farce joyeuse, c’est le +moment des fantoches comiques, des baladins et des bouffons jouant soit +dans les petits théâtres, soit en plein air sur les tréteaux des +charlatans et vendeurs d’orviétan du Pont-Neuf. Et pourtant l’hôtel de +Bourgogne, où des comédiens de métier ont succédé aux Confrères de la +Passion, joue alors des pièces quelque peu<span class="pagenum"><a name="page_202" id="page_202">{202}</a></span> amphigouriques, de froides +tragédies au langage précieux et il s’inquiète de voir de plus en plus +vides ses banquettes. Les farceurs célèbres, Gauthier-Garguille, +Gros-Guillaume et Turlupin, trois garçons boulangers du quartier +Saint-Jacques enlevés au pétrin par le goût de la farce, avaient fondé +un petit théâtre place de l’Estrapade; sur ces très humbles tréteaux +leurs joyeusetés eurent un succès de curiosité d’abord, puis une telle +vogue, que le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, se voyant de plus en plus +délaissé par le public, alla porter ses plaintes devant Richelieu, plus +favorable à la tragédie qu’à la farce. Celui-ci fit venir le trio au +Palais-Cardinal, le fit jouer devant lui et, gagné à son tour, engagea +sur l’heure l’hôtel de Bourgogne à se l’attacher.</p> + +<p>Et alors les pièces de Scudéry, Hardy et Rotrou, les premières tragédies +de Corneille alternèrent avec les grosses farces de l’énorme +Gros-Guillaume, au ventre cerclé comme un tonneau, du fluet et tout +disloqué Gauthier-Garguille et de Turlupin, leur maître peut-être en +bouffonneries, d’une verve extravagante peu ordinaire, mais aussi de +grosse joyeuseté très peu délicate, très ordurière et même frisant trop +souvent et de trop près l’obscénité.</p> + +<p>Immense succès pour les trois compères, vogue fabuleuse. On se bouscule +à la porte de l’hôtel de Bourgogne, où les bouffons ouvrent la +représentation par une parade pour attirer le public et égayer la +<i>queue</i> des spectateurs devant le guichet. Les banquettes sont bondées à +l’intérieur, on s’écrase, même pour les tragédies qui nous semblent les +plus rébarbatives, comme certaines de Scudéry qui eut pourtant l’honneur +de faire étouffer dans la presse le portier du théâtre.</p> + +<p>Bientôt d’autres bouffons, Bruscambille, Jean Farine qui <i>paradaient</i> en +même temps sur le Pont-Neuf, Galinette la Galina viennent seconder ou +remplacer le trio sur les planches de l’hôtel de Bourgogne, puis arrive +Guillot Gorju, dont le pseudonyme cachait un fils de médecin qui, après +avoir lui-même obtenu ses diplômes, courut la province comme charlatan +ambulant avant de devenir tout à fait comédien.</p> + +<p>Sous Louis XIV, grande rivalité entre les comédiens de l’hôtel de +Bourgogne et la troupe de Molière. Celle-ci après avoir couru la +province à la façon de la troupe du <i>Roman comique</i> de Scarron, pour +laquelle elle a servi peut-être de modèle, après avoir erré dans Paris +de salle en salle, chassée de la salle du jeu de paume de la Croix-Noire +du Marais au jeu de paume de la Croix-Blanche de la porte de Buci, puis +au jeu de paume de Nesle, a conquis enfin la faveur du roi et une salle +à l’hôtel de Bourbon.</p> + +<p>La troupe royale des comédiens français de l’hôtel de Bourgogne +regardait de son haut ces comédiens errants, lesquels finirent par lui +disputer la vogue. A la mort de Molière les deux troupes se fondirent en +une seule qui s’en alla occuper la salle de la rue Guénégaud, tandis que +la salle de l’hôtel de Bourgogne restait en la possession des comédiens +italiens, lesquels, appelés par Mazarin, alternaient déjà depuis +longtemps avec les comédiens français.</p> + +<p>Sous la tour de Jean sans Peur ce sont d’autres fantoches maintenant qui +égaient de leurs lazzis le vieux quartier Mauconseil; c’est Scaramouche +et sa<span class="pagenum"><a name="page_203" id="page_203">{203}</a></span> bande avec il signor Pantalone, c’est Scapin, c’est Arlequin, +c’est Polichinelle sans peur et sans pitié aussi, le farouche capitaine +Matamore, Cassandre toujours berné et le doux Pierrot avec Colombine la +Coquette.</p> + +<p>Les bouffons italiens s’étant permis quelques épigrammes sur Mᵐᵉ de +Maintenon dans une pièce intitulée <i>la fausse Prude</i>, on les mit à la +porte en 1693 et leur théâtre resta fermé jusqu’à la Régence. +Précédemment les confrères de la Passion qui n’étaient plus comédiens du +tout, mais dont l’association, en tant que confrérie de charité, était +demeurée propriétaire de la salle, avaient été supprimés par édit de +1677 et leurs revenus affectés à l’entretien des Enfants Trouvés.</p> + +<p>La salle abrita ensuite la comédie italienne, c’est-à-dire sous le même +titre, la musique italienne et l’opéra comique français, jusqu’à la +construction de la salle de la rue de Choiseul; tout était fini alors, +le vieux théâtre de l’hôtel de Bourgogne avait vécu. En 1783, au moyen +de quelques travaux d’aménagement il devint la halle aux cuirs, jusqu’à +l’éventrement du quartier pour le passage de la rue aux Ours ou +Étienne-Marcel, qui fit soudain reparaître au jour le donjon des ducs de +Bourgogne.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 357px;"> +<a href="images/illu-239.jpg"> +<img src="images/illu-239.jpg" width="357" height="241" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ANCIENS ANIMAUX SYMBOLIQUES DES ÉVANGÉLISTES DE LA TOUR +SAINT-JACQUES.—AUJOURD’HUI DANS LE JARDIN DE CLUNY.</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_204" id="page_204">{204}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 271px;"> +<a href="images/illu-240-a.jpg"> +<img src="images/illu-240-a.jpg" width="271" height="289" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>HÔTEL SAINT-AIGNAN, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE</p></div> +</div> + +<h3>II</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-240-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">MANOIR DIT DE LA REINE BLANCHE<br /> + AU FAUBOURG SAINT-MARCEL +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>L’hôtel de Cluny, Guise, Soubise.—Marguerite ou Miséricorde?—Les +mauvais garçons de Pierre de Craon.—L’assassinat de Clisson.—MM. +de Guise, rois de la très sainte Ligue.—La citadelle des +Ligueurs.—Le Balafré aux Barricades.—Mˡˡᵉ de +Montpensier.—L’hôtel aux Soubise.—Le séjour Barbette.—La reine +Isabeau.—Meurtre du duc d’Orléans.—La lampe du +meurtrier.—Savoisy.—L’hôtel du roi de Sicile.—Mᵐᵉ de Lamballe à +la Force.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">A</span>U quartier du Temple, dans la rue du Chaume qui continue la rue de +l’Homme-Armé, le connétable Olivier de Clisson en 1370 éleva pour «soi +demeurer pendant ses séjours à Paris» un hôtel point trop éloigné de +l’hôtel royal Saint-Paul, un peu en dehors de l’ancienne enceinte de +Philippe-Auguste, remplacée depuis peu par la muraille d’Étienne Marcel.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_205" id="page_205">{205}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 312px;"> +<a href="images/illu-241.jpg"> +<img src="images/illu-241.jpg" width="312" height="498" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DE L’HÔTEL DE GUISE, MAINTENANT PALAIS DES +ARCHIVES</p></div> +</div> + +<p>Cet hôtel de Clisson, modifié et augmenté, devint plus tard l’hôtel de +Guise et tint en cette qualité une place considérable dans l’histoire de +Paris, en reprenant<span class="pagenum"><a name="page_206" id="page_206">{206}</a></span> dans les troubles du <small>XVI</small>ᵉ siècle, le rôle de +l’hôtel de Bourgogne dans les guerres civiles du <small>XV</small>ᵉ siècle. Modifié +encore, reconstruit, il fut au <small>XVIII</small>ᵉ siècle l’hôtel Soubise et il est +maintenant le palais des Archives. Après avoir fait de l’histoire, il +abrite ce qui en est le résidu aujourd’hui, gardant entre ses murs +toutes les innombrables et précieuses paperasses, chartes, diplômes, +dossiers, lettres, etc., poussière des siècles vécus, lave refroidie des +Révolutions, dernières traces de tant de grands faits, de nobles ou +criminelles actions, de grands travaux et d’intrigues tortueuses, +d’événements lointains qui ont passionné les esprits, terrifié ou réjoui +les cœurs, fait couler les larmes et le sang des générations +successives...</p> + +<p>De l’hôtel de Clisson il reste la porte, une belle entrée d’aspect +militaire comme il convenait à une demeure de connétable, une haute +ogive protégée par deux tourelles en encorbellement. La tourelle de +droite a bien été un peu attaquée et amaigrie par les architectes du +siècle dernier, à qui nous devons savoir gré d’avoir oublié de la +démolir, mais la porte du connétable n’en souffre pas trop; les deux +écussons peints au-dessus de la voûte portent les armes de la maison de +Guise compliquées d’armoiries d’alliances et de chiffres.</p> + +<p>Plus haut, se voit gravée dans la pierre une grande M, initiale +mystérieuse sur laquelle on a beaucoup disserté. A Josselin en Bretagne, +dans l’église où dort le connétable sous un beau tombeau mutilé, l’M se +trouve partout, alternant avec des Marguerites presque effacées, c’était +l’initiale de Marguerite de Rohan sa femme. D’après la légende de +l’hôtel de Clisson, cela voudrait dire aussi Miséricorde et rappellerait +un épisode des insurrections parisiennes du règne de Charles VI.</p> + +<p>En 1382, au retour de l’expédition victorieuse de Flandre, Charles VI, +alors enfant de quatorze ans, trouva Paris en armes, atterré par la +nouvelle de la victoire de la noblesse à Rosebecke, alors que les bandes +parisiennes s’étaient préparées à joindre leurs efforts à ceux des +Flamands. Cette nouvelle révolte des Maillotins fut plus sévèrement +châtiée que celle de l’année précédente. Le roi et les princes ses +oncles, en trois «<i>batailles</i>», dont Clisson commanda la première, +entrèrent dans Paris par les portes rompues et abattues. Clisson avait +la main dure et le fit sentir aux révoltés. Après avoir pris tout ce qui +avait marqué dans la sédition, et décapité aux Halles les principaux +meneurs, on désarma Paris, on enleva les chaînes des rues; il fallut +livrer les maillets, arbalètes, vouges, fauchards, et tout les harnois +de guerre «et disait-on qu’il y en avait assez pour armer cent mille +hommes».</p> + +<p>Des bourgeois compromis restaient aux prisons attendant leur sort. Un +jour le peuple de Paris fut convié au Palais de Justice. Sur les degrés +de la cour un siège avait été élevé pour le petit roi, qu’entouraient +ses oncles et ses capitaines et ses conseillers. Le chancelier +d’Orgemont prit la parole, semonça véhémentement les Parisiens, rappela +toutes leurs séditions et commotions, et les crimes et délits commis +dans les désordres, puis arrivèrent les familles des prisonniers, «<i>les +dames et demoiselles toutes déchevelées</i>» qui se jetèrent aux pieds du +roi criant miséricorde; les oncles du roi, les capitaines en firent +autant et le peuple à genoux, nu-tête, de tous les points de la cour du +palais, clama de même: Miséricorde!<span class="pagenum"><a name="page_207" id="page_207">{207}</a></span></p> + +<p>Alors le roi, comme s’il se laissait attendrir, quitta sa figure +courroucée et donna l’ordre de mettre les prisonniers en liberté, +changeant les peines encourues en amendes qui servirent à payer les +gendarmes. On attribua surtout, dit-on, la clémence royale aux conseils +de Clisson et en reconnaissance le peuple, voyant ces M sculptés par +Clisson sur sa maison en l’honneur de sa femme, appela cette maison +l’hôtel de Miséricorde. Ceci est l’explication de la légende, la vérité +est peut-être toute contraire, et le mot miséricorde est plus +probablement une ironie des Parisiens se souvenant de la poigne de +Clisson dans la répression.</p> + +<p>Clisson avait des ennemis mortels; le duc de Bretagne, qui déjà l’avait +par trahison tenu en son château de l’Hermine à Vannes et ne l’avait +relâché que sur grosse rançon, ce dont il se repentait fort, et le +chevalier Pierre de Craon que Clisson avait fait chasser de la cour. Ces +deux haines s’entendirent et Pierre de Craon, assuré en tout cas d’un +refuge en Bretagne, s’en vint à Paris tendre une embuscade au +connétable, se jurant bien de trouver le moyen de réussir l’occision que +le duc avait manquée à Vannes.</p> + +<p>Au bout de la rue de la Verrerie, derrière l’hôpital Saint-Gervais, +c’est-à-dire tout proche de l’hôtel du connétable, par la rue des +Mauvais-Garçons et la rue du Murier, Pierre de Craon possédait un logis +dans lequel il fit secrètement provision d’armes et d’armures et qu’il +pourvut largement de vivres. Ces <i>pourvéances</i> faites, Craon réunit des +«<i>compagnons hardis et outrageux</i>»; il les envoya par petites troupes en +son hôtel où ils arrivaient de nuit et restaient tapis sans sortir, +faisant largement honneur aux victuailles amassées, en attendant +l’ouvrage inconnu qui leur était réservé. Quand il y en eut une +quarantaine, Craon arriva à son tour, toujours secrètement et s’enferma +comme les autres, gardant seulement dehors des espions qui guettaient +tous les faits et gestes du connétable.</p> + +<p>Enfin l’occasion si patiemment épiée se présenta. Il y avait fête à +l’hôtel Saint-Paul, le jour de la Fête-Dieu de 1392, joûtes toute la +journée dans les lices de l’hôtel devant les dames, puis festin et +danses. Les danses ne finirent qu’une heure après minuit, l’assemblée +tout aussitôt se dispersa, chacun s’en retournant au logis. Messire +Olivier de Clisson ayant causé longuement avec le roi quitta l’hôtel le +dernier, alors que les lumières de la fête s’éteignaient et que tous à +l’hôtel se préparaient à dormir. Ses gens et ses chevaux l’attendaient à +la porte, ils étaient huit seulement, avec deux torches que les valets +allumèrent dès que le connétable fut en selle.</p> + +<p>Pierre de Craon avait fait monter ses hommes à cheval et dans la nuit +noire s’en était allé s’embusquer au carrefour Baudoyer. La petite +troupe du connétable quittant la rue Saint-Paul, tourna au carrefour des +rues Saint-Antoine et Sainte-Catherine, maintenant Sévigné; Clisson +causait avec un écuyer, il était en train de lui dire: «Je dois demain +avoir au dîner chez moi, monseigneur de Touraine, le seigneur de Coucy, +messire Jean de Vienne, messire Charles d’Hangiers, le baron d’Ivry et +plusieurs autres, or pensez que ils soient tous aisés et que rien n’y +ait d’épargné...» lorsque tout à coup retentit en arrière le galop des +quarante chevaux de Craon.<span class="pagenum"><a name="page_208" id="page_208">{208}</a></span></p> + +<p>En un clin d’œil le cortège du connétable fut bousculé, les deux torches +éteintes. Le connétable prit d’abord l’attaque pour une plaisanterie du +duc d’Orléans, il cria aux assaillants: Monseigneur, par ma foi, c’est +mal fait, mais je vous le pardonne, car vous êtes jeune...</p> + +<p>—A mort Clisson! à mort, ci vous faut mourir, lui répondit un homme de +la mêlée.</p> + +<p>—Qui es-tu, qui dis de telles paroles?</p> + +<p>—Je suis Pierre de Craon!</p> + +<p>Et les épées commençaient leur jeu; les gens du connétable et lui-même, +dans leurs habits de fête, étaient peu armés, tandis que les hommes de +Craon étaient couverts de fer.</p> + +<p>—Occirons-nous tout? demandèrent-ils à Craon.</p> + +<p>—Oil, tous ceux qui se mettront en défense.</p> + +<p>Les gens de Clisson furent vite à terre ou jetés de côté, dans le noir +de la rue; le connétable se défendait de son mieux avec une courte épée +contre les coups qui pleuvaient dru sur lui. Par bonheur l’obscurité le +protégeait un peu, et d’un autre côté les hommes de Craon qui venaient +seulement d’apprendre à quel illustre personnage ils s’attaquaient, s’en +trouvaient fort troublés. Clisson ferraillant toujours, déjà meurtri et +blessé par tout le corps, se maintenait à cheval. Un coup formidable +asséné sur la tête le renversa enfin. Il tomba juste dans la porte d’un +boulanger qui préparait son pain et qui au terrible fracas des épées +venait d’entrebâiller son huis. Sous le poids du corps roulant à terre, +la porte s’ouvrit toute grande et le connétable resta sans mouvement, la +tête dans la maison du boulanger épouvanté, les jambes dans la rue.</p> + +<p>Craon hésita un moment, il n’osa descendre pour voir si l’œuvre était +bien achevée.—Allons, dit-il, nous en avons assez fait, s’il n’est pas +mort, il mourra du coup féru à la tête!...</p> + +<p>Et toute la troupe fila au grand trot vers la porte Saint-Antoine pour +s’échapper. Or toutes les portes de Paris, depuis la révolte des +Maillotins, avaient été enlevées, précisément sur le conseil du +connétable. Si elles avaient pu être closes comme jadis à la nuit, +jamais Craon n’aurait osé tramer son attentat, arrêté par +l’impossibilité de sortir une fois le coup fait. «Or considérez comme +les choses adviennent, dit Froissart, le connétable avait cueilli la +verge dont il fut battu.» Craon, sorti sans difficulté par la porte +Saint-Antoine, poussa tout d’une traite jusqu’à Chartres, y trouva des +chevaux préparés et continua de la même allure jusqu’au château de +Sablé.</p> + +<p>Criblé de blessures et la tête pleine de sang, Clisson gisait dans la +boutique du boulanger, on le croyait bien mort et l’on avait couru +prévenir à l’hôtel Saint-Paul, d’où le roi partit immédiatement en robe +de chambre, avec quelques chambellans et des gens d’armes, torches +allumées, et tout ce monde vint remplir la rue et la petite boutique du +boulanger. Cependant Clisson, que l’on avait déshabillé pour visiter ses +plaies, donnait quelques faibles signes de vie, au grand étonnement de +ses gens.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 387px;"> +<a href="images/illu-245.jpg"> +<img src="images/illu-245.jpg" width="387" height="563" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE CONNÉTABLE DE CLISSON RAPPORTÉ A SON HOTEL, RUE +VIEILLE-DU-TEMPLE</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_209" id="page_209">{209}</a></span></p> + +<p>—Connétable, comment vous sentez-vous? demanda le roi se penchant sur +ce corps tout sanglant qui remuait encore.</p> + +<p>—Cher sire, petitement et faiblement, murmura le connétable.</p> + +<p>—Qui vous a mis en cet état?</p> + +<p>—Sire, c’est Pierre de Craon, traîtreusement...</p> + +<p>—Connétable! je le jure, jamais chose ne sera si bien et si fort +vengée! Or tôt, aux médecins et surgiens d’abord!...</p> + +<p>Déjà les médecins de l’hôtel Saint-Paul accouraient. Ils examinèrent +longuement et pansèrent les blessures dont le connétable était navré par +tout le corps. Par chance miraculeuse, aucune n’était mortelle, le grand +nom de Clisson, jeté subitement aux assassins, avait pour ainsi dire +amolli leurs bras; néanmoins le connétable eût été achevé sous les pieds +des chevaux, si la porte du boulanger ne s’était ouverte quand il tomba +sous le grand coup porté par Craon.</p> + +<p>—Dans quinze jours, dirent les médecins au roi bien heureux, nous vous +le rendrons chevauchant!</p> + +<div class="figright" style="width: 230px;"> +<a href="images/illu-247.jpg"> +<img src="images/illu-247.jpg" width="230" height="469" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>UN COIN DE LA COUR DE L’HÔTEL DE MAYENNE-D’ORMESSON RUE +SAINT-ANTOINE</p></div> +</div> + +<p>On sait comment Craon ne fut pas rattrapé par le prévôt de Paris lancé +sur ses traces, comment n’estimant point le château de Sablé asile assez +sûr quand il apprit que le connétable n’était pas mort, il se réfugia +près du duc de Bretagne, comment, la guerre ayant été déclarée à ce duc, +Clisson guéri et le roi déjà malade, s’obstinant<span class="pagenum"><a name="page_210" id="page_210">{210}</a></span> malgré sa faiblesse, +menèrent l’armée vers la Bretagne, et comment se déclara dans la forêt +du Mans la folie de Charles IV.</p> + +<p>Que de maux découlèrent de ce meurtre manqué rue +Culture-Sainte-Catherine: les longues guerres civiles pendant la démence +du roi et la jeunesse de Charles VII, la lutte des princes s’arrachant +villes dévastées et provinces ravagées, les féroces massacres des +partis, cruelles meurtrissures auxquelles vinrent s’ajouter encore les +désastres de la guerre anglaise, comme pour achever de faire un cadavre +de la France pantelante.</p> + +<p>Pierre de Craon ne fut pas pris; mais il eut tous ses biens confisqués, +son logis de Paris fut rasé et l’emplacement ajouté au cimetière +Saint-Jean; la ruelle qui longeait les murs du logis et dont il reste un +fragment, prit alors, pense-t-on, le nom de rue des Mauvais-Garçons. +Plus tard Craon repentant fit, en signe d’amende honorable, élever dans +le cimetière, à l’endroit où avait été sa maison, une croix de pierre +portant son nom et l’aveu de son crime.</p> + +<p>L’hôtel de Clisson, après avoir passé dans diverses mains, devint en +1553 la propriété d’Anne d’Este, femme de François de Lorraine, duc de +Guise. Les Guises, par diverses adjonctions et bâtisses agrandirent +considérablement l’ancien logis de Clisson et formèrent le très haut et +très vaste hôtel à deux grandes cours, avec jardins derrière et sur les +côtés, que l’on peut voir sur le plan de Paris de Gomboust, tenant déjà +tout le pâté de bâtiments de la rue des Quatre-Fils à la rue des +Francs-Bourgeois.</p> + +<p>Dans cet immense hôtel magnifiquement installé et meublé, orné de +peintures murales du Primatice, décoré de tapisseries merveilleuses qui +étaient, d’après Sauval, avec celles du Vatican et du Louvre, les plus +belles du monde, les Guises tenaient une véritable cour et pouvaient +loger une suite considérable de gentilshommes attachés à leur fortune, +garnison qui s’augmenta, aux jours critiques, de soldats et de partisans +nombreux.</p> + +<p>A François de Guise, défenseur de Metz, assassiné sous Orléans par +Poltrot de Méré, succéda Henri de Guise le Balafré qui devait périr à +Blois. Dans l’Etat bouleversé par les factions, au moment le plus +terrible des guerres de religion, la maison de Guise si rapidement +élevée, n’ayant plus de frein à ses ambitions, pouvait tout espérer. +Elle avait déjà les cœurs d’une bonne partie des Français détachés des +Valois dégénérés; Paris conquis par ses curés et ses prédicateurs, par +les meneurs fanatiques, était Guisard. Les Guises pouvaient nourrir +l’espoir de culbuter les fils de l’italienne Catherine de Médicis, de +rejeter en sa Gascogne ou supprimer le Béarnais, cet Henri de Bourbon +que Charles IX avait épargné à la Saint-Barthélemy, puis, cet héritier +du trône écarté, d’enlever le trône de France au roi des Mignons, à cet +Henri III méprisé, que les ciseaux de la duchesse de Montpensier +comptaient bien tonsurer pour en faire frère Henri de Valois.</p> + +<p>En ces années tumultueuses, de 1560 à 1594, l’hôtel de Guise est une +citadelle rivale du Louvre. C’est là que les ligueurs prennent le mot +d’ordre, les gens de robe, intrigants, parlementaires ou sorbonnistes, +les gens d’épée cherchant le bon parti, les bourgeois remuants, les +terribles Seize. Le fil de toutes les intrigues<span class="pagenum"><a name="page_211" id="page_211">{211}</a></span> secrètes aboutit ici et +c’est d’ici que part le signal de toutes les complications qui viennent +embrouiller et compléter l’anarchie du pauvre royaume.</p> + +<p>Autant et plus que le Louvre, l’hôtel de Guise a trempé dans le sang de +la Saint-Barthélemy; la tentative d’assassinat de Maurevel sur Coligny y +fut tramée, et c’est le duc de Guise, dans son hôtel changé en place de +guerre et rempli de soldats, qui organisa le massacre, donna l’ordre au +prévôt des marchands et aux échevins de préparer leurs gens.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 364px;"> +<a href="images/illu-249.jpg"> +<img src="images/illu-249.jpg" width="364" height="341" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES PRÉDICATEURS DANS LE JARDIN DES JACOBINS DE LA RUE +SAINT-JACQUES, SOUS LA LIGUE</p> + +<p>AU FOND LES ÉCOLES SAINT-THOMAS, DÉMOLIES VERS 1850</p></div> +</div> + +<p>Aux coups du tocsin l’hôtel de Guise s’ouvre et lâche par la ville ses +bandes de forcenés, tandis que Guise lui-même à la tête d’une forte +troupe marche sur la maison de l’amiral pour faire exécuter sous ses +yeux ce que Maurevel avait manqué deux jours auparavant.</p> + +<p>Pendant les années qui suivent, Guise est aussi roi, sinon plus, que cet +Henri III<span class="pagenum"><a name="page_212" id="page_212">{212}</a></span> pour lequel il ne cache pas son mépris. Les gentilshommes de +l’hôtel de Guise insultent journellement les mignons du roi et lui tuent +les plus aimés, Quélus et Maugiron, tombés dans le fameux duel de trois +contre trois, aux Tournelles près de la Bastille. Guise est le vrai roi +de la ville de Paris, le roi de la très sainte Ligue dont il tient tous +les fils avec ses frères Mayenne et le cardinal de Guise, jouant même +avec adresse, pour l’opposer au roi de Navarre, de son oncle le cardinal +de Bourbon. De ce vieillard, ils ont l’air de faire l’héritier éventuel +du trône, dont chaque pas semble les rapprocher, pas assez vite +cependant au gré de l’impatience de la sœur des Guise, l’ardente et +vindicative duchesse de Montpensier, qui, à elle seule, suffirait à +entretenir toutes les intrigues, toutes les machinations de la maison, à +maintenir à la température voulue, dans la cuve parisienne, le +bouillonnement des passions révolutionnaires savamment malaxées.</p> + +<p>L’heure étant venue, l’insurrection parisienne étant bien préparée, tous +les rôles sus, le plan des barricades, faites de tonneaux remplis de +terre, adopté, les chefs de quartier nommés, les capitaines guisards +introduits et cachés, le duc de Guise malgré la défense du roi entre +dans Paris. C’est un triomphe, une ovation sans fin, de la porte +Saint-Denis à l’hôtel de Soissons où tout d’abord il se rend pour saluer +la reine mère. Puis il a l’audace de se présenter au Louvre, où peu s’en +faut qu’il ne trouve ce qui l’attend à Blois.</p> + +<p>—Sire, tenez-vous M. de Guise pour votre ami ou votre ennemi, dit au +roi le colonel des gardes Alphonse d’Ornano, il ne faut qu’un mot sans +vous en donner autrement peine et je vous apporte aujourd’hui sa tête à +vos pieds.</p> + +<p>Mais Henri III ne dit pas le mot, <i>il n’ose</i>, cette fois. Il ne se sent +pas assez fort dans Paris, au milieu de ce peuple dont il a entendu +jusque sous ses fenêtres les cris d’amour frénétiques pour les +Guises—«de qui la France, a-t-on dit, est folle car c’est trop peu dire +amoureuse».</p> + +<p>Rentré à l’hôtel de Guise, le Balafré prend les dernières mesures pour +le corps à corps avec le roi; l’hôtel de Guise devient un arsenal et un +quartier général. Dans le jour ce ne sont qu’allées et venues de +gentilshommes, de curés, de capitaines et de bourgeois; les meneurs +populaires sont les plus caressés par les princes lorrains. Pendant la +nuit on amène à l’hôtel grande provision d’armes. Le roi de son côté +fait venir des troupes.</p> + +<p>Le jeudi 12 mai 1588, la mine éclate, un immense réseau de barricades +couvre la ville. Tout le monde marche sous la direction des dixeniers et +quarteniers, dans la fumée des arquebusades; les suisses sont cernés, +culbutés et désarmés. Guise toute la journée resta aux fenêtres de +l’hôtel de Guise surveillant son œuvre et occupé à donner des ordres. A +quatre heures, la révolte étant partout maîtresse et les troupes qui +n’étaient pas prisonnières rabattues sur le Louvre, Guise sortit de son +hôtel en pourpoint blanc tailladé, avec une suite de gentilshommes. Les +rues autour de l’hôtel sont pleines de monde, à sa vue c’est une +frénésie d’enthousiasme, les gens des barricades, la foule qui se +presse, bourgeois et bourgeoises, l’acclament. «Il ne faut plus +lanterner, crient des gens,<span class="pagenum"><a name="page_213" id="page_213">{213}</a></span> il faut le mener à Reims!» On l’étourdit +par les rues de tant de cris de: Vive Guise! qu’il ne fait que lever son +grand chapeau et qu’il feint d’en être fâché. «Mes amis, c’est assez, +messieurs, c’est trop, criez vive le roi!»</p> + +<p>Il est presque au but maintenant, il ne reste plus pour achever l’œuvre +que la suppression d’Henri III et c’est, il y compte bien, ce que les +Parisiens fanatisés vont faire sans qu’il ait besoin d’y mettre la main. +Déjà des gens à lui excitaient le peuple à compléter sa victoire par la +prise du Louvre.</p> + +<p>—Allons prendre et barricader ce bougre de roi dans son Louvre! +criait-on aux carrefours changés en places d’armes.</p> + +<p>Toute la nuit se passe ainsi tumultueuse, les bourgeois de la Ligue ont +saisi les portes de la ville, ce qui permet aux partisans des Guises +d’accourir; ils s’emparent de l’Hôtel de Ville et de l’Arsenal et +bloquent la Bastille; les barricades touchent le Louvre et tout semble +présager une grande attaque du château.</p> + +<p>Ce vendredi la reine-mère monte en sa chaise et, péniblement, à travers +la foule armée, à travers les retranchements des rues «si dru semés» où +elle obtient difficilement passage, elle se dirige vers l’hôtel de +Guise, quartier général de l’insurrection déchaînée. Elle tente une +dernière démarche auprès du duc de Guise, le suppliant d’éteindre tant +de feux allumés et de venir s’entendre avec le roi disposé à toutes les +concessions. Le duc de Guise répond froidement qu’il n’y peut plus rien, +que le peuple est un taureau échappé qu’on ne peut plus retenir: il +déplore l’état des choses, mais quant à aller au Louvre il s’y refuse +absolument, ne voulant se mettre à la merci de ses ennemis.</p> + +<div class="figright" style="width: 193px;"> +<a href="images/illu-251.jpg"> +<img src="images/illu-251.jpg" width="193" height="435" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE HEROUET, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>Cette démarche cependant sauve peut-être le roi, car pendant ces +négociations, les colonnes ligueuses qui se préparent à marcher sur le +Louvre ne reçoivent<span class="pagenum"><a name="page_214" id="page_214">{214}</a></span> point les ordres de Guise et l’appoint de soldats +dont le courage éprouvé doit donner de la vigueur à l’attaque. Guise +tergiverse et va laisser échapper la proie qu’il tient presque en sa +main. Henri III, prévenu par sa mère, comprend que s’il reste un instant +de plus il est perdu, et il se décide à une fuite précipitée.</p> + +<p>Jamais plus il ne remettrait le pied dans Paris; il ne devait le revoir +que de loin, des hauteurs de Saint-Cloud quand il essaya de tenir son +serment d’y rentrer par la brèche. Mais alors l’arrêta le couteau du +cordelier Jacques Clément, mis en la main du moine par la duchesse de +Montpensier qui, à la journée des Barricades, n’aurait pas eu les +hésitations de son frère.</p> + +<p>Dans son journal, l’Estoile raconte qu’à la nouvelle de cette fuite qui +renversait tous les plans des Guisards, «un quidam dit que les deux +Henri avaient tous deux bien fait les ânes,» l’un pour n’avoir pas eu le +cœur d’exécuter ce qu’il avait entrepris, c’est-à-dire de faire tuer +Henri de Guise à sa visite au Louvre et fait donner sérieusement ses +troupes dès le commencement du soulèvement, et l’autre pour avoir le +lendemain laissé échapper la bête qu’il tenait en ses filets.</p> + +<p>L’hôtel de Guise, n’ayant point réussi à force ouverte, reprit sa +politique de feintes et de machinations, qui devaient bien étonner le +bon badaud ligueur ne voyant pas plus loin que le bout de sa hallebarde; +le duc de Guise pour reprendre contact avec le roi réfugié à Chartres, +ouvrit les négociations par une singulière ambassade, une procession de +capucins conduite par frère Ange, un Joyeuse qui s’était fait moine et +qui plus tard redevint homme d’épée. C’était une procession ridicule ou +plutôt une mascarade.</p> + +<p>En tête des Capucins, frère Ange déguisé en Jésus-Christ couronné +d’épines lié et garrotté, marchait sous les coups de fouet entre deux +femmes représentant Marie et Madeleine; des soldats venaient derrière en +costumes burlesques, portant en guise de casques des marmites renversées +et brandissant de vieilles armes rouillées.</p> + +<p>On négocia; par un accord signé entre le roi et les princes, le duc de +Guise fut nommé lieutenant général du royaume. S’y croyant tout autant +qu’à Paris le maître de la situation, il alla aux États réunis à Blois, +où les élections avaient envoyé une majorité ligueuse, où le président +du Tiers était La Chapelle-Marteau, un des Seize, un des chefs de la +journée des barricades, devenu prévôt des marchands de par les Guise.</p> + +<p>Cette fois le roi osa et deux des Guise périrent, le Balafré et le +cardinal.</p> + +<p>A l’hôtel de Guise il ne restait plus que Mayenne et la duchesse de +Montpensier; la déchéance du roi fut proclamée dès qu’arriva la nouvelle +du meurtre et Mayenne, prenant la présidence du conseil général de +l’Union, se nomma lieutenant général. Paris vécut dans l’effervescence +révolutionnaire, on pendit, on emprisonna les royaux et les politiques, +pendant que l’armée de Mayenne manœuvrait autour de Paris contre l’armée +royale formée des troupes combinées d’Henri de Valois et d’Henri de +Navarre. Quand, à la fin de juillet 1589, les deux rois vinrent attaquer +Paris, les Seize firent «<i>reserrer</i>» en toutes les prisons de Paris<span class="pagenum"><a name="page_215" id="page_215">{215}</a></span> +environ trois cents bourgeois des plus apparents et notables, pris comme +otages, et la duchesse de Montpensier, à l’hôtel de Guise, eut des +conférences avec le petit cordelier Jacques Clément amené par le prieur +Bourgoin. Bien caressé et catéchisé, enflammé par des promesses de +toutes sortes, celui-ci s’en alla résolument à Saint-Cloud, et son +couteau vengea l’assassinat de Blois.</p> + +<p>L’hôtel de Guise savourait la joie de la vengeance; la duchesse et ses +gentilshommes prirent l’écharpe verte en signe d’allégresse, mais tout +n’était pas fini, car il restait Henri de Navarre devenu le grand +adversaire. Celui-ci après sa victoire d’Ivry revint attaquer Paris. +Dans la ville assiégée, affamée, affolée, le foyer révolutionnaire +entretenu par les Guises flamba si fortement, devint si dangereux, les +Seize, en vrai comité de salut public, poussés par le curé Boucher qui +était une sorte de Marat pensionné par l’Espagne, allèrent si loin dans +leurs fureurs démagogiques que Mayenne les voyant dépasser de beaucoup +ses plans, dut se hâter d’intervenir et de faire pendre quelques-uns de +ceux qu’il avait précédemment le plus caressés.</p> + +<p>Mais après cinq années encore d’agitations, l’hôtel de Guise d’où sont +sortis tant de maux pour la France et pour Paris en particulier, ce +palais de la Ligue responsable de toutes les horreurs déchaînées, des +férocités de la populace guisarde, de la guerre civile, de l’appel aux +Espagnols, de la terrible famine du siège, l’hôtel de Guise est enfin +vaincu.</p> + +<p>Le fils du Balafré et Mayenne lui-même peu après, essoufflé par cinq +années de campagnes, firent leurs accommodements avec Henri IV +victorieux partout, maître de Paris, oint de la Sainte-Ampoule et rentré +dans le giron de l’Église catholique. L’hôtel de Guise humilié, déçu +dans ses ambitions n’est plus ce quartier général de la rébellion qu’il +a été tant d’années; Mayenne s’en va bâtir un hôtel particulier, en face +de celui de Sully son vieil ennemi, dans la rue Saint-Antoine. L’hôtel +de Guise, silencieux maintenant, reste pendant un siècle encore aux +mains des descendants du Balafré, seigneurs opulents qui ont renoncé aux +grands rêves et dont l’ambition ne trouble plus l’État. On ne loge plus +de conspirateurs à l’hôtel de Guise, ses immenses bâtiments que la foule +des traîneurs d’épée ne remplit plus, donnent l’hospitalité à des +protégés de la maison de Lorraine, à de tranquilles gens de lettres, +entre lesquels Corneille pendant quelque temps.</p> + +<p>En 1700, l’hôtel passa aux princes de Soubise. Alors tombèrent les +vieilles murailles pour la transformation du terrible hôtel, à l’aspect +grave et solide, en un palais <small>XVIII</small>ᵉ siècle largement ouvert, +somptueusement orné et décoré. Il ne resta pour rappeler le temps des +Guises qu’un bel escalier de pierre dont la rampe de fer est ornée de +croix de Lorraine. Les parties de murailles que l’on conserva furent +transformées et complètement déguisées par de nouvelles dispositions et +par une décoration à la mode nouvelle. Portique à colonnes +corinthiennes, vaste cour d’honneur encadrée d’une colonnade à terrasse, +grande façade avec fronton central, statues et sculptures diverses; +appartements magnifiques dont la décoration est due à Germain Boffrand, +boiseries splendides, plafonds, trumeaux, bas-reliefs, dessus de portes, +on trouve là toute la grâce, toute l’élégance du<span class="pagenum"><a name="page_216" id="page_216">{216}</a></span> <small>XVIII</small>ᵉ siècle. Tout +cela, quand arriva la Révolution, allait être mis en vente par les +créanciers des Soubise.</p> + +<p>Un moment, la Révolution triomphante vint réveiller à l’hôtel de Guise +l’écho des anciennes séditions. Un jour des gens armés envahirent les +cours, c’étaient les vainqueurs de la Bastille qui venaient entasser +dans l’hôtel quarante-cinq milliers de poudre trouvés dans la +forteresse. Les poudres parties, des ateliers divers pour l’armement de +la nation les remplacèrent, avec un détachement de hussards Chamboran +casernés dans les parties disponibles.</p> + +<p>Enfin l’Empire, en 1808, achète l’hôtel Soubise en même temps que +l’hôtel de Rohan qui le touche par les jardins. Il fait de celui-ci +l’Imprimerie nationale et donne à celui-là son affectation actuelle de +grand dépôt des Archives nationales et d’École des Chartes.</p> + +<p>Tout près de ce logis de Clisson et des Guises, s’élevait l’hôtel d’un +riche financier du <small>XIV</small>ᵉ siècle, Étienne Barbette, prévôt de Paris et +argentier ou surintendant des finances de Philippe le Bel. C’était un +<i>Séjour</i>, un manoir de campagne situé en dehors de l’enceinte de +Philippe-Auguste, près de la porte de la rue Vieille-du-Temple, qu’on +appelait en raison de ce voisinage porte Barbette.</p> + +<p>L’hôtel entouré de jardins était très considérable, les financiers de +tout temps ont fait imprudemment étalage de leurs richesses, qu’à tort +ou à raison, et très souvent à raison, on considérait comme mal +acquises. Ces questions de finances, d’impositions, tailles et aides +levées irrégulièrement et arbitrairement, c’est la grosse cause de +discordes entre les peuples et les rois; il était bien difficile d’y +apporter remède et d’améliorer le système de répartition et de +perception, à cause des privilèges de classes, des différences de +traitement des provinces et de la confusion des franchises, coutumes, +immunités. C’est la cause directe ou indirecte de presque toutes les +séditions. Les financiers haïs par les peuples, qui voient tous ces +ruisseaux d’argent converger vers leurs coffres, soupçonnés par les +princes qui les accusent d’en arrêter au passage une trop forte partie, +ont souvent payé fort cher leurs malversations. Les hôtels et châteaux +construits par eux témoignant imprudemment d’une opulence acquise aux +dépens de l’épargne des peuples et de la bourse du roi, leur ont attiré +souvent de terribles mésaventures et sont rarement passés à leurs +héritiers.</p> + +<p>Philippe le Bel, ayant usé de toutes les ressources de l’impôt, s’en +était pris aux monnaies, dont il diminua le titre à plusieurs reprises +au grand dommage et embarras de tous en général; cela créa une question +des loyers qui poussa enfin à bout l’irritation du peuple. Les loyers, +convenus en ancienne et loyale monnaie devaient-ils être payés en +monnaie altérée, ayant perdu une forte partie de sa valeur? Les +locataires disaient oui et les propriétaires non. Tous avec autant de +raison. Cette question d’argent tourna en émeute. Le populaire se porta +sur la courtille Barbette, mit le feu à l’hôtel et détruisit tout ce +qu’il pouvait détruire, jusqu’aux arbres du jardin.</p> + +<p>A la fin du <small>XIV</small>ᵉ siècle, au séjour Barbette réédifié, habitait la reine +Isabeau de Bavière qui au milieu d’une petite cour dissolue, menait +toujours sa vie de faste<span class="pagenum"><a name="page_217" id="page_217">{217}</a></span> et de désordres. Cette vie licencieuse bien +connue de tous, ces fêtes masquées, ces déportements dont l’écho +dépassait les murs du séjour Barbette, devinrent un tel scandale public +qu’un jour un moine Augustin nommé Jacques Legrand osa, dans un sermon +solennel prêché devant la reine et s’adressant à elle, se faire +l’interprète de l’indignation générale.—«Je voudrais, dit-il, noble +reine, ne rien vous dire qui ne vous fut agréable mais votre salut m’est +plus cher que vos bonnes grâces; je dirai donc la vérité, quels que +doivent être vos sentiments à mon égard. La déesse Vénus règne seule en +votre cour; l’ivresse et la débauche lui servent de cortège et font de +la nuit le jour, au milieu des danses les plus dissolues. Ces maudites +et infernales suivantes qui assiègent sans cesse votre cour corrompent +les mœurs et énervent les cœurs... Partout, noble reine, on parle de ces +désordres et de beaucoup d’autres qui déshonorent votre cour.»</p> + +<div class="figcenter" style="width: 371px;"> +<a href="images/illu-255.jpg"> +<img src="images/illu-255.jpg" width="371" height="319" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>UNE PORTE DANS LA COUR DE LA MAISON RUE DU JOUR Nº 25</p></div> +</div> + +<p>Ce dur langage ne pouvait être bien reçu, Isabeau et les dames de sa +suite se récrièrent, mais aux reproches le moine répondit plus bravement +encore, sans se soucier de la colère des familiers de la reine qui +parlaient de le faire jeter à l’eau.<span class="pagenum"><a name="page_218" id="page_218">{218}</a></span></p> + +<p>En ce <i>petit séjour</i> Barbette, très vaste hôtel qui tenait tout le carré +formé aujourd’hui par les rues Vieille-du-Temple, des Francs-Bourgeois, +Payenne, du Parc-Royal et de la Perle, avec l’entrée principale rue +Vieille-du-Temple,—Isabeau en relevailles d’un enfant mort en naissant, +reçut le 20 novembre 1407, la visite du duc d’Orléans, pour le moment +trop lié avec elle et qui resta à souper. Ce souper devait lui coûter la +vie. C’était l’occasion attendue depuis longtemps par le duc de +Bourgogne. Assez tard dans la soirée, un valet de chambre du roi, acheté +par Jean sans Peur, vint demander le duc d’Orléans et lui dit que le roi +l’envoyait quérir hâtivement pour choses importantes.</p> + +<p>Le duc immédiatement fit seller sa mule et quitta l’hôtel Barbette, +suivi seulement de deux écuyers montés sur le même cheval et de quatre +ou cinq valets porteurs de torches, car il était venu en petite +compagnie. Ils avaient à peine fait quelque chemin dans la rue obscure +et déserte, que soudain de l’ombre d’une ruelle il leur tomba sur le +corps dix-huit hommes, les uns à pied, les autres à cheval. Dès la +première poussée un coup de hache abattit la main du duc d’Orléans qui +n’avait pu se mettre en défense et criait: «Je suis le duc d’Orléans!»</p> + +<p>—C’est ce que nous demandons! à mort! à mort!</p> + +<p>En un instant le duc fut jeté à bas de sa mule et percé de coups. +Retourné à terre par les assaillants et encore terriblement martelé, il +mourut la tête écrasée, projetant sa cervelle sur les pavés, et avec lui +périt un de ses écuyers, un jeune Allemand qui, renversé aussi en le +défendant, se coucha sur son maître pour lui servir de bouclier.</p> + +<p>Au bruit le cheval qui portait les deux écuyers avait pris peur et +s’était emballé; lorsque à une certaine distance ils purent se rendre +maîtres de leur monture, les deux écuyers revinrent sur leurs pas et +arrêtèrent en route la mule du duc.</p> + +<p>Les maisons noires s’éclairaient çà et là de lumières, on s’éveillait au +bruit, mais on n’osait bouger. Les deux écuyers s’approchèrent du groupe +des assassins acharnés encore sur les cadavres; on leur cria de reculer +s’ils ne voulaient subir le sort des autres, puis, la besogne bien +terminée, les meurtriers s’échappèrent en criant au feu, et en jetant +des chausse-trapes derrière eux pour empêcher la poursuite.</p> + +<p>En même temps, pour augmenter le désordre, un des leurs mettait le feu à +la maison de l’image Notre-Dame touchant au séjour d’Isabeau, où ils +avaient vécu cachés depuis dix jours, commandés par un sieur Raoullet +d’Octonville, ennemi particulier du duc, et par Guillaume et Thomas +Courteheuse.</p> + +<p>On a prétendu que le duc de Bourgogne lui-même avait pris sa part de +l’exécution du crime afin d’être bien sûr qu’il réussirait mieux que +celui de Pierre de Craon. Ce qui est certain, c’est que les meurtriers +allèrent lui rendre bon compte de l’affaire à la tour Mauconseil, et +qu’il les fit partir déguisés pour son château de Lens, en même temps +qu’il s’éloignait de Paris après l’aveu de son crime.</p> + +<p>Le tumulte était grand autour de l’hôtel Barbette, les gens de la reine +arrivaient criant au meurtre, on se précipitait vers l’hôtel d’Orléans +et aussitôt accouraient serviteurs et chevaliers armés à la hâte. La +reine Isabeau, prise de peur, s’était<span class="pagenum"><a name="page_219" id="page_219">{219}</a></span> jetée en sa litière et s’était +fait porter à l’hôtel Saint-Paul, pendant que l’on enlevait le cadavre +pour le conduire au milieu des gémissements, d’abord chez le maréchal de +Rieux dans l’hôtel remplacé au <small>XVII</small>ᵉ siècle par l’hôtel Amelot de +Bizeuil ou des Ambassadeurs Bataves, puis en l’église Saint-Guillaume +des Blancs-Manteaux.</p> + +<p>Ce meurtre qui fut le coup de tonnerre annonçant la grande lutte entre +Armagnacs et Bourguignons et qui amena tant de malheurs sur le pays, +avant d’être expié par la mort de Jean sans Peur tombant à son tour sous +les haches et les épées au pont de Montereau, eut lieu dans la rue des +Francs-Bourgeois, probablement devant un petit passage bordé de vieux +murs et de bâtiments en encorbellement, subsistant peut-être des +dépendances de l’hôtel Barbette.</p> + +<p>Un peu plus d’un siècle après la reine Isabeau, l’hôtel Barbette reçut +dans ses murs une autre femme célèbre, une reine encore, mais de la main +gauche, Madame Diane de Poitiers, femme de Louis de Brézé grand sénéchal +de Normandie. A sa mort l’hôtel Barbette trop vaste pour être conservé +intact fut vendu en plusieurs lots. En 1563, les rues Barbette, du +Parc-Royal et des Trois-Pavillons,—celle-ci maintenant Elzévir et qui +s’appela aussi rue de Diane,—passèrent à travers le vaste ensemble de +constructions ayant formé la courtille Barbette. Il subsista une partie +des anciens bâtiments formant des hôtels particuliers comme l’hôtel +d’Estrées, marqué sur le plan de Gomboust, logis appartenant au maréchal +d’Estrées, père d’une troisième beauté célèbre, maîtresse royale encore, +de la <i>Belle Gabrielle</i> qui attacha son nom à tant de maisons, <i>nids +d’amour</i> éparpillés dans Paris, où elle recevait la visite du Vert +Galant, l’amant officiel, et aussi, dit-on, de plusieurs autres galants, +traîtres à leur roi. C’est en cet hôtel d’Estrées, reste des anciens +hôtels d’Isabeau et de Diane de Poitiers, que l’Empire plaça la +maison-mère des demoiselles de la Légion d’honneur.</p> + +<div class="figright" style="width: 174px;"> +<a href="images/illu-257.jpg"> +<img src="images/illu-257.jpg" width="174" height="394" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PUITS DE L’ANCIEN SÉJOUR D’ORLÉANS ET DE +L’ABRI-COYCTIER, SUBSISTANT COUR DE ROUEN</p></div> +</div> + +<p>La maison formant le coin des rues Vieille-du-Temple et des +Francs-Bourgeois porte sur l’angle une magnifique tourelle à pans +coupés, la plus jolie de celles<span class="pagenum"><a name="page_220" id="page_220">{220}</a></span> qui nous restent à Paris, gracieusement +décorée et ciselée d’arcatures ogivales. Tourelle et maison avaient bien +souffert; le poids du Temps s’était fait sentir, les affectations +diverses avaient forcément amené bien des modifications, mais une +restauration récente a rendu son comble effilé à la tourelle et rétabli +certaines fenêtres dénaturées. Logis et tourelle ne datent point +d’Étienne Barbette, ils n’ont même pu faire partie du séjour d’Isabeau, +mais probablement ont été construits plus tard sur quelque dépendance de +ce séjour.</p> + +<p>Un autre hôtel princier s’élevait dès le <small>XIII</small>ᵉ siècle sur les rues du +roi de Sicile et Pavée. Le roi de Sicile qui lui avait donné son nom +était Charles, frère de saint Louis. A la fin du <small>XIV</small>ᵉ siècle, l’hôtel +appartenait au roi Charles VI. Près de là, demeurait le favori Savoisy, +compagnon de jeunesse de Charles VI, en croupe de qui le roi, lors de +l’entrée solennelle de la reine Isabeau, s’en allait incognito courir +les rues de Paris pour jouir de la fête, ce qui lui attira dans la +presse quelques horions de bourgeois bousculés.</p> + +<p>Savoisy eut avec l’Université une affaire qui tourna mal pour lui. Un +jour que les Écoles allaient en procession générale à Sainte-Catherine +du Val des Ecoliers, le cortège se heurta aux gens de Savoisy menant +leurs chevaux boire à la Seine. Une querelle s’engagea, les gens de +Savoisy chevauchèrent raidement à travers la procession, renversèrent et +blessèrent quelques personnes, puis non contents de cela, étant rentrés +à l’hôtel s’y armèrent et revinrent tomber sur les écoliers qu’ils +poursuivirent jusque dans l’église. Alors une vraie bataille s’engagea, +par leur nombre, les écoliers finirent par avoir raison des assaillants +à leur tour fortement étrillés.</p> + +<p>Très irritée de l’offense, l’Université s’en alla en corps à l’hôtel +Saint-Paul réclamer vengeance, reprenant, en cas de non-satisfaction, sa +grande menace de quitter Paris. A cette époque de tiraillements +politiques aigus, quand les ducs d’Orléans et de Bourgogne se +disputaient le gouvernement, Dame Université était une puissance qu’il +importait d’avoir pour soi, aussi eut-elle pleine et entière +satisfaction. Pour l’offense faite par ses gens, Savoisy fut, par arrêt +du conseil, privé de sa charge de chambellan de l’hôtel du roi et banni; +on s’en prit aussi à sa maison qui fut rasée de fond en comble.</p> + +<p>L’hôtel du roi de Sicile, voisin de cette place vide, eut après une +longue et brillante existence un sort plus triste qu’une mort violente. +Après avoir appartenu à des princes de sang royal, au duc d’Alençon, il +fut acheté en 1390 par Charles VI avant sa démence, alors que ce roi +était un jeune prince très chevalereux, passionné d’armes et de tournois +et qui donnait les plus grandes espérances; l’hôtel ensuite passa aux +rois de Navarre, puis aux Roquelaure, aux comtes de Saint-Paul qui le +rebâtirent, au cardinal de Birague qui en même temps qu’il y apportait +quelques embellissements fit élever la fontaine de Birague en face +Saint-Paul démolie de nos jours; l’hôtel vint enfin aux Caumont la +Force, dont il prit le nom.</p> + +<p>C’était une magnifique demeure avec de beaux jardins; une partie des +bâtiments, après diverses affectations, fut en 1780 transformée en +prison pour remplacer le For-l’Evêque et le petit Châtelet. L’hôtel +devint la prison de la Force, la<span class="pagenum"><a name="page_221" id="page_221">{221}</a></span> <i>Grande Force</i>, avec l’hôtel de +Brienne voisin pour annexe appelée la <i>Petite Force</i>.</p> + +<p>En cette prison de la Force fut écrouée en 92 la princesse de Lamballe. +Elle faillit échapper aux massacres de septembre, grâce au dévouement de +quelques amis qui couvrirent d’or quelques-uns des tueurs chargés de la +besogne en cette prison; mais la malheureuse femme, sortie des geôles +sanglantes à demi folle de terreur, fut saisie à la porte par d’autres +assassins qu’on n’avait pas achetés, qui lui coupèrent la tête sur une +borne au coin de la rue du roi de Sicile. Non satisfaits, ces +cannibales, après que le cadavre dépouillé de ses vêtements fut resté +quelque temps exposé aux regards de tous, pendant qu’un perruquier +réquisitionné était contraint de friser et poudrer la tête de la +malheureuse femme, ouvrirent le corps, enlevèrent le cœur et le +placèrent au bout d’une pique pour le promener avec la tête dans tout +Paris, du Temple à l’Assemblée, en s’arrêtant pour boire dans des +cabarets, où ils déposaient la tête sur le comptoir à côté de leurs +verres.</p> + +<p>Il n’est rien resté de la Force qui fut démolie en 1840.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 232px;"> +<a href="images/illu-259.jpg"> +<img src="images/illu-259.jpg" width="232" height="239" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA PETITE FORCE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_222" id="page_222">{222}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 362px;"> +<a href="images/illu-260-a.jpg"> +<img src="images/illu-260-a.jpg" width="362" height="264" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’HÔTEL SCIPION SARDINI, ÉTAT ACTUEL.</p></div> +</div> + +<h3>III</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-260-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">LE PRÉVÔT DE PARIS +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>L’hôtel des Prévôts de Paris.—Hugues Aubryot et les +Maillotins.—L’hôtel d’Orléans.—A l’Abri-Coyctier.—Le fief de la +Trémouille.—Magnificences de la maison à l’enseigne de la Couronne +d’or.—Sa destruction.—L’hôtel des archevêques de Sens.—Tristan +de Salazar.—La justice sommaire de la reine Margot.—L’hôtel des +abbés de Cluny.—François Iᵉʳ et la veuve de Louis XII.—Les +émotions du cardinal de Guise.—Le connétable de Montmorency.—Le +manoir de la Salamandre.—Le chancelier Séguier.—Catherine de +Médicis.—La kermesse de l’Agio à l’hôtel de Soissons.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">E</span>NTRE le lycée Charlemagne et l’église Saint-Paul, dans la cour du +passage Charlemagne, subsistent quelques débris notables de diverses +époques provenant d’un hôtel des Prévôts de Paris. Ce sont des restes de +façades de la Renaissance et du <small>XVII</small>ᵉ siècle,<span class="pagenum"><a name="page_223" id="page_223">{223}</a></span> à côté d’une tour +d’escalier à pans coupés dont les larges fenêtres sont encadrées d’une +haute ogive. Un corps de logis de la Renaissance, assez important, a été +démoli récemment.</p> + +<p>Les prévôts de Paris, magistrats royaux dont les fonctions étaient +importantes et qui représentaient à peu près les préfets actuels, comme +le prévôt des marchands représentait un maire, ne devaient pas, suivant +une très sage ordonnance de saint Louis, être pris parmi les Parisiens +d’origine. Le siège de leur juridiction était le Châtelet, mais +généralement en entrant en charge, ils quittaient leur domicile +particulier pour s’en aller habiter l’hôtel des Prévôts, à proximité du +logis royal de Saint-Paul.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 361px;"> +<a href="images/illu-261.jpg"> +<img src="images/illu-261.jpg" width="361" height="329" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’HÔTEL DES PRÉVÔTS, PASSAGE CHARLEMAGNE, ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>Cette tour d’escalier est le seul débris de l’hôtel primitif bâti par le +célèbre prévôt Hugues Aubryot, à l’époque la plus troublée du <small>XIV</small>ᵉ +siècle. Hugues Aubryot, natif de Bourgogne, arrivant après la répression +de la commune de 1358,<span class="pagenum"><a name="page_224" id="page_224">{224}</a></span> n’avait pas besogne facile, dans ce Paris encore +si profondément remué. Il eut à diriger d’importants travaux, à terminer +d’abord la muraille d’Etienne Marcel, cette nouvelle enceinte de la rive +droite qui triplait de ce côté l’étendue de la ville et avait été +hâtivement élevée en l’espace d’une année seulement, en travaillant nuit +et jour, pour mettre la Commune révolutionnaire à l’abri de l’attaque +des troupes royales. On n’avait alors probablement, dans la grande +presse, cherché qu’à se clore; Hugues Aubryot paracheva les travaux.</p> + +<p>Pour compléter le système de défense, il construisit la Bastille +Saint-Antoine, forteresse formidable destinée aussi bien à garder le +saillant Est de la ville et le quartier de l’hôtel Saint-Paul de toute +insulte du dehors, qu’à maintenir au dedans le peuple de Paris, toujours +grondant et si prompt à se laisser entraîner aux séditions.</p> + +<div class="figleft" style="width: 188px;"> +<a href="images/illu-262.jpg"> +<img src="images/illu-262.jpg" width="188" height="483" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE-ORATOIRE DE L’HÔTEL LA TRÉMOUILLE DÉMOLIE EN +1842</p></div> +</div> + +<p>Hugues Aubryot eut encore à ordonner d’autres constructions: la +réédification du Petit-Châtelet de Philippe-Auguste qui tombait en +ruines, le pont Saint-Michel alors appelé le Pont-Neuf. Mais Aubryot, +riche et puissant personnage, administrateur rigoureux, s’était, dans +ses multiples et importantes fonctions, attiré de grandes inimitiés. +L’orage fondit sur lui après la mort de Charles V. «Sur toutes choses, +dit Juvénal des Ursins, avait en grande irrévérence les gens d’église et +principalement l’Université de Paris»; s’il s’était attiré l’inimitié +des dignitaires de l’Université, les écoliers ne l’aimaient pas non +plus, car dans la reconstruction du Châtelet il avait ménagé sous la +voûte menant au</p> + +<div class="figcenter" style="width: 401px;"> +<a href="images/illu-263.jpg"> +<img src="images/illu-263.jpg" width="401" height="568" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>RÉCEPTION D’HOTES IMPORTANTS A L’HOTEL DES ABBÉS DE +CLUNY</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_225" id="page_225">{225}</a></span></p> + +<p class="nind">quartier des écoliers, deux cachots spécialement réservés à Messieurs +les étudiants, deux violons que par ironie il appelait Clos-Bruneau et +rue du Fouarre, du nom des deux principales rues des études. L’Église et +l’Université coalisées préparèrent sa perte. On fit une enquête secrète +sur son gouvernement et sa vie «qui était très orde et déshonnête en +toute ribaudise, à décevoir femmes partie par force et partie par +argent, dons et promesses, et avait compagnie à Juives, et ne croyait +pas le Saint Sacrement de l’autel et s’en moquait...».</p> + +<div class="figcenter" style="width: 364px;"> +<a href="images/illu-265.jpg"> +<img src="images/illu-265.jpg" width="364" height="339" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>COUR DE L’HÔTEL LA TRÉMOUILLE VERS 1840</p></div> +</div> + +<p>C’est ainsi que Hugues Aubryot fit connaissance avec les cachots de la +Bastille qu’il venait justement d’achever après dix ans de travaux. Son +procès s’instruisait, un procès pour «plusieurs hérésies», avec lequel +on comptait bien le mener jusqu’au bûcher. Transféré ès prisons de +l’évêché, il fut examiné sur plusieurs points «et fut trouvé par gens +clercs, ce connaissants, qu’il était digne d’être brûlé». Cependant +grâce aux prières des princes, oncles de Charles VI, cette peine<span class="pagenum"><a name="page_226" id="page_226">{226}</a></span> fut +commuée, après amende honorable au parvis Notre-Dame, en prison +perpétuelle en basse fosse, au pain et à l’eau.</p> + +<p>Heureusement pour lui cette basse fosse n’était pas dans sa solide +Bastille—mais dans les prisons de l’Evêque. Il s’y trouvait depuis +quelques mois, un an peut-être, lorsque éclata l’insurrection des +Maillotins, en 1382.</p> + +<p>Il s’agissait encore d’impôts nouveaux. La sédition commença aux Halles +par le refus qu’une vieille marchande de cresson opposa aux percepteurs +de l’impôt. Ses cris ameutèrent la populace qui se mit aussitôt à courir +sus aux fermiers des aides et à les massacrer. Les émeutiers, mal armés +d’abord, marchèrent sur l’Hôtel de Ville, enfoncèrent les portes et +s’emparèrent des armes amassées, harnois de guerre, cottes de mailles et +«grande foison de maillets de plomb».</p> + +<p>Ainsi armés, les insurgés deviennent les «<i>Maillotins</i>»; la terreur est +si grande par la ville en proie à la violence déchaînée, que les +officiers royaux, les magistrats et l’évêque se sauvent. Les Maillotins +se livrent à tous les excès, ils tuent, saccagent et pillent. Ils +assiègent l’abbaye de Saint-Germain qui se défend vigoureusement et +réussit à les repousser. Ils délivrent les prisonniers du Châtelet qui +se joignent à eux, ils vont à la prison de l’évêque, enfoncent tout +aussi et parmi les prisonniers trouvent Hugues Aubryot.</p> + +<p>Sentant le besoin d’avoir un chef, ils lui proposèrent d’être leur +capitaine. Hugues Aubryot heureux de revoir le jour, leur promit une +assistance vigoureuse mais demanda d’abord à s’aller rafraîchir et armer +dans son hôtel. Et très sagement, pendant que les Maillotins passaient +la nuit en désordres et orgies dans la ville épouvantée, Aubryot trouva +le moyen de s’enfuir et de gagner la Bourgogne son pays, d’où il se +garda bien de revenir jamais; pendant que tombait d’elle-même cette +insurrection sans chef, que se dissipaient les bandes, si forcenées les +premiers jours et maintenant effrayées elles-mêmes de leurs excès et que +tout se terminait par la punition sévère des plus coupables, dont +beaucoup furent secrètement jetés la nuit dans la rivière.</p> + +<p>L’histoire de cet hôtel des Prévôts est, après Aubryot, assez confuse; +la tradition y fait se succéder des princes, des grands seigneurs, et +ensuite d’autres prévôts successeurs d’Aubryot revenant à l’hôtel +affecté à leurs prédécesseurs: on y voit le duc d’Orléans qui y fonda +l’ordre du Porc-Epic, Jean de Montaigu, surintendant des finances, plus +mal traité par le sort que Aubryot et décapité en 1409, le duc de Berry, +le connétable de Richemont, l’amiral de Graville, le connétable de +Bourbon, le connétable de Montmorency, etc...</p> + +<p>Au <small>XVI</small>ᵉ siècle l’hôtel fut reconstruit, puis encore remanié et subdivisé +au siècle suivant. Outre la tour d’escalier il reste un corps de logis +remarquable par d’anciennes lucarnes et de grandes figures en +cariatides; à part ces débris, des locaux industriels et une maison de +rapport bordent maintenant la vieille cour qui vit si souvent messieurs +les Prévôts de la grande ville, en chaperon et robe aux armes de la +ville, le bâton de commandement à la main, partir à cheval précédés des +sergents en hoquetons aux couleurs parisiennes, pour présider aux +cérémonies en solennité, ou pour marcher au bruit, les jours d’émotion +populaire.<span class="pagenum"><a name="page_227" id="page_227">{227}</a></span></p> + +<p>Si des connétables de France possédèrent ce vieux logis des prévôts, un +autre connétable, le chevalier Bertrand du Guesclin, avait son hôtel de +Paris dans la rue de la Verrerie, mais rien de rien n’en demeure qui +pourrait sur un point bien précis fixer le souvenir du grand Breton. On +sait seulement que son logis avait par derrière, dans les communs, une +sortie sur la rue Barre-du-Bec englobée dans la rue du Temple, à la +hauteur du numéro 17 actuel de cette rue.</p> + +<p>Le malheureux duc d’Orléans, assassiné rue des Francs-Bourgeois, avait +son hôtel de l’autre côté de la Seine, appuyé au rempart entre la porte +de Buci, que Perrinet Le Clerc devait livrer aux Bourguignons, et la +porte Saint-Germain. C’était un magnifique séjour qui resta aux ducs +d’Orléans jusqu’à Louis XII.</p> + +<p>A son avènement celui-ci le vendit en plusieurs parties, dont un lot +important fut acquis par Jacques Coyctier, l’ancien médecin de Louis XI, +«habile homme, dit Commines, qui savait prendre son malade et lui était +si rude que l’on ne dirait point à un valet les dures paroles qu’il lui +disait». Cet homme si rude était très retors, en travaillant sans +vergogne par la crainte de la mort l’esprit de son malade, il sut tirer +de Louis XI d’énormes sommes, des gages de 10 000 écus par mois, des +seigneuries et différents bénéfices pour lui ou sa famille. Il dut en +partie rendre gorge plus tard et versa au trésor royal 50 000 écus, mais +n’en resta pas moins fort à l’aise dans son <i>abri-Coictier</i>, comme il +appelait sa maison où il avait fait sculpter à côté d’un éléphant chargé +d’une tour, ornement de l’hôtel d’Orléans, l’<i>abricotier</i>, son emblème +particulier formant rébus.</p> + +<p>L’abri Coyctier est tombé; on retrouverait pourtant quelques fragments +des murailles qui en ont fait partie, au fond de la deuxième cour de +Rouen, dans le passage du Commerce; il en subsiste, dans tous les cas, +dans un angle de cette cour, un vieux puits gothique dont la margelle +sculptée est à demi enterrée aujourd’hui dans le sol remblayé.</p> + +<p>Mais retournons de l’autre côté de l’eau dans les parages de la Tour de +Bourgogne. Dans la rue des Bourdonnais, se continuant par la rue +Thibautodé jusqu’à l’arche Marion, exista jusqu’à nos jours, à l’angle +de la rue de Béthisy, un magnifique hôtel du <small>XV</small>ᵉ siècle, le plus beau +peut-être, avec celui-ci de Cluny, des édifices civils de Paris, au +moyen âge. Le très important fief de la Trémouille, qui possédait tous +droits de justice et englobait dans sa censive quelques rues autour de +l’hôtel, avait été acheté au duc d’Orléans par Guy de la Trémouille, +vers la fin du <small>XIV</small>ᵉ siècle. Les la Trémouille se contentèrent pendant +une centaine d’années de l’hôtel du <small>XIII</small>ᵉ siècle. Louis de la +Trémouille, rude homme de guerre, celui qui, tout jeune, vainquit à +Saint-Aubin-du-Cormier le futur Charles VIII, alors duc d’Orléans, et +fit couper la tête aux seigneurs pris avec lui, celui qui, plus tard, +commanda les armées de ce même Charles VIII et s’en fut mourir en 1525 à +la journée de Pavie, fit construire en 1490 ce très charmant édifice, un +des joyaux si nombreux du vieux Paris, que Paris a malheureusement +perdus.</p> + +<p>Dans le magnifique hôtel où Louis de la Trémouille s’installe aux +premières années du <small>XVI</small>ᵉ siècle, le corps de logis principal se trouve +entre une grande cour, donnant rue des Bourdonnais, et un jardin fermé +par des communs sur la rue<span class="pagenum"><a name="page_228" id="page_228">{228}</a></span> Tirechappe, bâtiments et jardins longés par +la rue de Béthisy. Cette cour est bordée, en face du grand logis, de +portiques irréguliers en ogive et en anse de panier surmontés d’un +étage, portiques qui se continuent sur le côté droit de la cour et vont +rejoindre le grand logis par la tour contenant l’escalier principal.</p> + +<p>La façade principale, élevée de deux étages sur rez-de-chaussée, est +flanquée à droite par cette tour d’escalier, ouvrant au-dessus d’un +perron une magnifique porte toute fleurie, où les plus délicats rinceaux +entourent de leurs volutes l’écusson des la Trémouille; à gauche par une +tourelle d’une grâce et d’une légèreté inouïes, entièrement portée par +des colonnettes et couverte du haut en bas des plus fines ciselures +gothiques, laquelle tourelle au premier étage contient un oratoire +annexé aux chambres.</p> + +<p>La décoration de cette façade est vraiment merveilleuse, c’est une +splendide parure gothique où dans les ramages flamboyants se mêlent déjà +quelques détails Renaissance, comme cette rangée de médaillons des +lucarnes. Le parti pris est simple, ce sont trois lignes horizontales, +deux en fausses balustrades ogivales séparant les étages, balustrades +variées offrant de travée en travée toutes les combinaisons de lignes +possibles; puis le couronnement des fenêtres du deuxième étage dépassant +la naissance du toit et dressant sur les combles leurs frontons ajourés +reliés par de légères arcatures. Trois lignes verticales complètent +cette décoration, la tourelle oratoire, la tour d’escalier et près de +cette tour d’escalier une superbe porte superposant jusqu’au toit les +ogives, les niches et les arcatures où s’encadrent des écussons et des +statues.</p> + +<p>Cet admirable logis, chef-d’œuvre de la dernière période ogivale, ne +resta pas longtemps dans la famille de la Trémouille: dès 1535, c’était +déjà un hôtel de magistrature appartenant à Antoine Dubourg, chancelier +de François Iᵉʳ; passant ensuite de Pomponne de Bellièvre, chancelier de +Henri IV, à Nicolas de Bellièvre, président à mortier au parlement de +Paris.</p> + +<p>De la magistrature, l’hôtel passa au commerce en 1738 et devint un +magasin de soieries à l’enseigne de la <i>Couronne d’or</i>. Combien à partir +de cette époque eut-il à subir de mutilations et de barbares +traitements! On sait dans quel mépris incompréhensible étaient alors +tenus ces merveilleux spécimens de notre art national. Les artistes +eux-mêmes n’avaient que du grec et du romain dans la tête et une taie +sur les yeux pour le reste. Que dire des autres! Et dans ces +chefs-d’œuvre de l’art français, on rognait, on taillait, on charcutait +sans la moindre hésitation; on abattait tout ce que l’on pouvait abattre +et quand on ne pouvait gratter la ciselure des murailles, on emplâtrait +les meneaux délicats, les sculptures feuillues et fleuries, avec l’idée +que l’on rendait ainsi les pauvres façades plus propres et plus +présentables.</p> + +<p>L’hôtel de Louis de la Trémouille transformé en magasins, en ateliers, +en logements, nous arriva fort maltraité, mais enfin, tout couvert de +blessures qu’il fût, il existait, ce qui est le point principal. Il +était question d’en faire la Mairie du 1ᵉʳ arrondissement ce qui eût été +doublement heureux, puisque d’un côté on sauvait le noble édifice, et +que de l’autre on évitait d’altérer l’aspect de la belle église<span class="pagenum"><a name="page_229" id="page_229">{229}</a></span> +Saint-Germain l’Auxerrois par une adjonction de pastiches, par la mairie +qui lui fait pendant et la tour pseudo-gothique qui sert de trait +d’union.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 351px;"> +<a href="images/illu-269.jpg"> +<img src="images/illu-269.jpg" width="351" height="476" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PAGE DE LA REINE MARGUERITE DÉCAPITÉ DEVANT L’HÔTEL DE +SENS</p></div> +</div> + +<p>L’hôtel chef-lieu du fief la Trémouille pouvait être restauré, on +pouvait facile<span class="pagenum"><a name="page_230" id="page_230">{230}</a></span>ment en débouchant ses arcades fermées, ses grandes +fenêtres rétrécies, en rétablissant les morceaux disparus de ses +lucarnes, lui rendre sa splendeur d’autrefois et conserver au centre de +Paris, à quelques pas du Louvre, un monument incomparable. On lésina sur +l’achat, on préféra le laisser démolir en 1842, sauf à porter à l’école +des Beaux-Arts quelques débris des sculptures, pour construire à sa +place la maison qui porte le numéro 31 de la rue des Bourdonnais où l’on +peut voir comme marque d’emplacement un débris de balustrade enchâssé +dans la façade sur la cour. Comme on l’a regretté depuis ce monumental +hôtel, gâché et perdu, qui eût été l’une des attractions du vieux +quartier traversé par la rue de Rivoli! On gémit maintenant qu’il est +trop tard, et l’on va laisser perdre de la même façon un édifice non +moins précieux: l’hôtel de Sens, en si grand danger d’être démoli, +abandonné par les édiles à son sort, et sur lequel on gémira plus tard, +de la même façon, une fois l’acte de vandalisme stupide accompli.</p> + +<p>Par miracle l’hôtel des archevêques de Sens, rue du Figuier, à l’entrée +du quartier Saint-Paul, existe encore, après avoir eu les mêmes +destinées que l’hôtel la Trémouille, mais le miracle persistera-t-il et +ne verrons-nous pas soudain une maison de rapport de cinq étages +s’élever à sa place? Son sauvetage malgré l’urgence, malgré les +réclamations unanimes des artistes, de la société des Amis des Monuments +parisiens, de tout ce qui pense, enfin, rencontre bien des difficultés. +Ne tombera-t-elle pas bientôt, la pioche de Damoclès suspendue sur sa +tête? Et tant d’affectations diverses seraient possibles pour le +conserver!</p> + +<p>Les archevêques de Sens, métropolitains des évêques de Paris jusqu’à +l’érection du siège parisien en archevêché en 1623, possédaient au <small>XV</small>ᵉ +siècle entre l’ancienne enceinte de Philippe-Auguste, touchant au +couvent des Filles de l’Ave Maria, et la nouvelle enceinte d’Étienne +Marcel, une demeure que le roi leur prit par échange avec l’hôtel +d’Hastomesnil ou d’Estomenil, pour l’englober dans cette agglomération +de grands logis, irrégulièrement disposés sur des cours et des vergers, +constituant l’hôtel royal de Saint-Paul.</p> + +<p>L’archevêque de Sens, Tristan de Salazar, prélat aux goûts artistes, se +fit construire en 1475, un nouveau logis au carrefour des rues du +Figuier, du Fauconnier et des Barrés. La façade d’entrée qui donne un si +grand caractère à ce carrefour est fort pittoresque par son +irrégularité, ses deux belles tourelles d’angle et son portail donnant +sur un porche voûté. La grande porte cavalière encadrée d’une profonde +ogive a, comme particularité, un mâchicoulis dissimulé à la pointe de +cette ogive. Jadis les écussons des archevêques garnissaient le tympan +des portes, disposés sur un champ d’étoiles, emblèmes des Salazar.</p> + +<p>La cour n’est pas moins intéressante. Dans un angle rentrant un petit +donjon comme tour d’escalier, domine de haut les vieux toits; une +échauguette à créneaux et mâchicoulis défend la porte et laisse encore +deviner entre les merlons des traces d’armoiries.</p> + +<p>Une petite chapelle en avant-corps faisait pendant à la tour d’escalier, +elle a disparu en même temps que les logis subissaient des +transformations intérieures et que disparaissaient quelques dépendances +avec le jardin. A son extrémité<span class="pagenum"><a name="page_231" id="page_231">{231}</a></span> l’étroite rue de l’Hôtel-de-Ville, +jadis de la Mortellerie, passe sous une longue partie des vieux murs de +l’hôtel, que décore une troisième tourelle semblable aux deux du +carrefour, moins la poivrière rognée.</p> + +<p>Le cardinal Duprat, archevêque de Sens et chancelier de France, succéda +à Tristan de Salazar; les archevêques Senonnais occupèrent en personne, +ou louèrent leur hôtel jusqu’au jour où ils perdirent leur suprématie +sur Paris. Le cardinal de Lorraine, le cardinal Pellevé, le cardinal du +Perron l’habitèrent. A l’entrée d’Henri IV dans Paris, le cardinal +Pellevé, violent ligueur, se trouvait au lit malade; il en mourut de +fièvre chaude criant sans cesse: «Qu’on le prenne! qu’on le prenne!»</p> + +<p>Lorsque Marguerite de Navarre, femme divorcée du Béarnais, revint à +Paris avec l’intention de se faire bâtir un palais au Pré aux Clercs, +elle habita pendant un an environ l’hôtel de Sens. Elle avait +cinquante-deux ans, elle était envahie par l’embonpoint, mais toujours +intrigante, toujours coquette, belle encore, toujours galante et +s’efforçant de réparer sans cesse l’œuvre des années, pour demeurer la +séduisante reine Margot qui naguère encore «par la seule vue de l’ivoire +de son bras» triomphait de son gardien au château d’Usson.</p> + +<p>Triste fin pour la belle héroïne de ce <small>XVI</small>ᵉ siècle étincelant et +terrible! Doublant l’ampleur de ses charmes par l’ampleur de ses +vertugadins, la tête engoncée dans de hautes fraises, outrageusement +fardée, peinte et musquée, elle déploie un grand faste dans sa +résidence.</p> + +<div class="figright" style="width: 171px;"> +<a href="images/illu-271.jpg"> +<img src="images/illu-271.jpg" width="171" height="386" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOUR D’ESCALIER DE L’HÔTEL DE SENS, ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>Deux de ses pages, deux beaux jeunes gens de vingt ans, nommés +Saint-Julien et Vermond, se disputaient ses faveurs; Saint-Julien parut +un instant le préféré, à la grande fureur de l’autre page. Le 5 avril +1606, comme la reine Marguerite venait d’entendre la messe aux +Célestins, Vermond abattait d’un coup de pistolet son rival aux pieds de +la reine. La punition ne se fit pas attendre. Deux jours après, sur un +échafaud dressé devant la porte de l’hôtel de Sens, la reine, altérée de +vengeance comme une lionne blessée, faisait sous ses yeux trancher la +tête<span class="pagenum"><a name="page_232" id="page_232">{232}</a></span> du meurtrier et quittait immédiatement la demeure maudite pour n’y +plus rentrer.</p> + +<p>Vers la fin du <small>XVII</small>ᵉ siècle, le logis féodal des archevêques cessa +d’être une demeure aristocratique. Les coches de la Bourgogne et du +Lyonnais s’y installèrent, ce fut la gare de Lyon de ce temps-là. Des +remises et des écuries, de grosses voitures et de gros chevaux, du +tapage et des coups de fouet dans la cour où tant de prélats, de princes +et de princesses avaient passé. Vendu à la Révolution, tantôt occupé par +des entreprises de roulage, ou par des industriels, par un gros marchand +de peaux de lapins, nous l’avons connu fabrique de confitures. +L’intérieur a reçu forcément bien des outrages en passant par tant de +mains irrespectueuses, mais l’extérieur, malgré tout, est resté complet +dans son ensemble, a conservé sa grande allure et il est à souhaiter +qu’il soit bientôt soustrait au péril imminent qui le menace, arraché au +vandalisme, pour que Paris possède ici un superbe pendant de son hôtel +de Cluny.</p> + +<p>L’hôtel de Cluny, également logis de prélats féodaux, fut le manoir de +ville des abbés de Cluny, cette grande abbaye bénédictine de Bourgogne, +mère de tant d’abbayes et de couvents. Sur les ruines romaines des +Thermes de Julien, éparpillés en décombres ou dressant dans les jardins +désordonnés les croupes de leurs robustes voûtes drapées de +broussailles, des maisons s’étaient juchées. Pierre de Chaslus, abbé de +Cluny vers le milieu du <small>XIV</small>ᵉ siècle, acheta un lot de ces ruines avec +quelques maisons et jardins et fit construire un premier édifice destiné +à servir de résidence parisienne aux abbés de la célèbre abbaye.</p> + +<p>D’après les recherches de M. Charles Normand pour son histoire de +l’hôtel de Cluny, les travaux de l’abbé Jean de Bourbon, vers 1460, ne +seraient probablement que des remaniements de cet hôtel primitif et +c’est à Jacques d’Amboise, 43ᵉ abbé, un des frères de Georges d’Amboise, +cardinal archevêque de Rouen, ministre de Louis XII, et grand bâtisseur +comme tous ces d’Amboise, hommes d’Etat ou prélats, que reviendrait +l’honneur d’avoir élevé de 1485 à 1510, ce magnifique monument, dernière +et splendide fleur de l’architecture gothique, poussée au moment où va +commencer le mouvement de réaction de la Renaissance.</p> + +<p>Abandonnée tout à coup par suite d’un engouement rapporté d’Italie pour +l’art romain, art de formules et de répétitions, art qui pourtant, avec +les architectes ayant dans les veines le sang des artistes nationaux, +donnera encore bien des œuvres gracieuses avant d’aboutir à tant de +froids pastiches, l’architecture ogivale d’invention inépuisable, avant +de disparaître s’épanouit splendidement ici, élève comme à l’hôtel la +Trémouille des bâtiments de noble carrure et les décore de ses plus +gracieuses dentelures et broderies.</p> + +<p>Cette belle cour à la muraille crénelée s’entoure de grands logis dont +les riches balustrades se couronnent de hautes et magnifiques lucarnes +d’un dessin varié; une robuste tour à huit pans, portant une fine +tourelle sur le côté, se détache en avant-corps et montre des cordons de +feuillage, des ouvertures en accolades fleuries, avec des écussons de +Jacques d’Amboise surmontés de devises sur des banderoles flottantes, +dans un semis de coquilles de Saint-Jacques, écussons et coquilles se +retrouvant dans les frontons des lucarnes.<span class="pagenum"><a name="page_233" id="page_233">{233}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 365px;"> +<a href="images/illu-273.jpg"> +<img src="images/illu-273.jpg" width="365" height="501" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA CHAPELLE DE L’HÔTEL DE CLUNY</p></div> +</div> + +<p>Il y a derrière ce corps de logis une autre cour non moins belle, la +cour sur laquelle donne la petite chapelle de l’hôtel; cette chapelle, +située au premier étage,<span class="pagenum"><a name="page_234" id="page_234">{234}</a></span> se termine extérieurement par une petite +abside en tourelle suspendue à la muraille et portée hardiment sur un +pilier séparant les deux arcades ogivales du bas. La chapelle au dedans +est très richement ornée de sculptures, de belles frises feuillagées, de +niches à hauts pinacles, etc.</p> + +<p>C’est une demeure vraiment seigneuriale que ce logis des puissants abbés +de Cluny, aussi splendidement décorée, avec des détails charmants, dans +toutes ses salles intérieures et dans les plus petits coins, que sur la +cour d’honneur.</p> + +<p>L’hôtel était dans toute sa fraîcheur, à peine sorti des mains des +sculpteurs, lorsqu’en 1515, la jeune femme de Louis XII, Marie +d’Angleterre, sœur d’Henri VIII, devenue veuve après deux mois de +mariage, vint l’habiter. La couronne de François Iᵉʳ ne tenait alors +qu’à peu de chose, à un héritier posthume qui pouvait survenir du feu +roi. Aussi le Valois qui tenait à cette couronne faisait-il surveiller +étroitement l’hôtel, et non sans raison, car, suivant la chronique, +François vint y surprendre un jour un consolateur de la jeune reine, le +duc de Suffolk, ambassadeur d’Angleterre, de qui les assiduités avaient +été signalées.</p> + +<p>Et sur l’heure le roi, feignant une grande indignation, força Suffolk à +épouser Marie dans la chapelle de l’hôtel, après quoi François se +chargea d’obtenir le consentement d’Henri VIII au mariage effectué, +expédia en Angleterre, avec tous les honneurs possibles, la reine Marie +et son nouvel époux, et enfin dégagé de ce souci put s’occuper de son +sacre.</p> + +<p>L’hôtel, une vingtaine d’années après, fut encore résidence royale. +François Iᵉʳ y logea Jacques V, roi d’Écosse, qui le 1ᵉʳ janvier 1536 y +épousa Madeleine de France, fille du roi.</p> + +<p>Le cardinal de Guise, Charles de Lorraine, étant abbé de Cluny, occupa +l’hôtel. En 1565, il lui arriva son aventure fameuse avec le maréchal de +Montmorency son ennemi, alors gouverneur de Paris. Le cardinal, revenant +du concile de Trente, voulait faire dans Paris son entrée solennelle à +la tête de ses abbés et de ses gentilshommes et entouré de toute sa +maison en armes, ainsi qu’il avait fait à Saint-Denis. Le maréchal de +Montmorency, prévenu de son intention, lui envoya une défense formelle +d’entrer avec cet appareil militaire et sur une réponse hautaine du +cardinal, il prit ses mesures pour le faire repentir de son orgueilleuse +prétention. Les archers du prévôt de Paris se trouvèrent à la porte +Saint-Denis quand se présenta le cortège et sommèrent au nom du roi le +cardinal de laisser son appareil trop militaire. Le cardinal ne fit que +rire de la défense, dispersa les archers et passa outre.</p> + +<p>Montmorency, qui s’y attendait, avait fait monter ses gentilshommes à +cheval, et se précipita fortement accompagné à la rencontre de son +ennemi. Le cortège cardinalice descendait la rue Saint-Denis et se +trouvait devant les Innocents, lorsque déboucha la troupe de Montmorency +chargeant aussitôt à outrance.</p> + +<p>En peu d’instants la troupe du cardinal fut culbutée et dispersée, +quelques-uns qui voulurent résister furent tués, leurs mules cherchaient +pleines d’émoi refuge dans les boutiques. Le cardinal pouvait tout +appréhender de Montmorency, mais il put se jeter dans une maison de la +rue Trousse-Vache et chercher une<span class="pagenum"><a name="page_235" id="page_235">{235}</a></span> cachette en un galetas, sous le lit +d’une servante, d’où il ne se hasarda à sortir que le soir pour gagner +l’hôtel de Cluny. Les Parisiens, futurs ligueurs et guisards, ne firent +que rire de la mésaventure.</p> + +<p>En 1584, l’hôtel des abbés de Cluny abrita un théâtre, une troupe de +comédiens donna quelque temps des représentations fort suivies; ils +avaient plus de spectateurs, dit l’Estoile, que les quatre meilleurs +prédicateurs de Paris tous ensemble quand ils prêchaient. Un arrêt du +parlement expulsa les comédiens.</p> + +<p>Au commencement du <small>XVII</small>ᵉ siècle l’hôtel de Cluny devint la résidence des +nonces du Pape. Le cardinal Mazarini vint l’habiter en cette qualité en +1634.</p> + +<p>A partir du <small>XVIII</small>ᵉ siècle l’hôtel de Cluny entre pour cent ans dans une +période moins brillante. L’illustre maison, abandonnée par les abbés, +glisse peu à peu à des affectations désastreuses pour ses beautés +architecturales. Elle est louée par parties à des industries diverses; +il y a des libraires, des imprimeurs, des relieurs et des procureurs +dans la maison. La belle tour octogonale sert d’observatoire; de 1750 à +1817 les astronomes Delisle, Lalande et Messier s’y succèdent.</p> + +<p>Devenu bien national à la Révolution, l’hôtel fut vendu à un +particulier; un instant la superbe chapelle courut le risque d’être +cédée à un Anglais pour être réédifiée en Angleterre, heureusement le +propriétaire repoussa les propositions, pour conserver à Paris la +merveille alors dédaignée par Paris. L’hôtel continua ensuite à être +loué en magasins et appartements; c’est ainsi que M. Du Sommerard, le +célèbre antiquaire, y installa sa précieuse collection, noyau du musée +actuel, laquelle resta dans l’hôtel qu’enfin l’État consentit à +racheter, après une longue et laborieuse campagne de MM. A. Lenoir et +Vitet, syndiquant les efforts de tous les amis de l’art et de +l’histoire.</p> + +<p>Les Montmorency possédaient plusieurs maisons dans Paris, l’hôtel de +Montmorency rue Sainte-Avoye, le seul qui restera marqué sous ce nom +dans le plan de Gomboust, l’hôtel neuf de Montmorency en face de +celui-ci, devenu plus tard l’hôtel de Mesmes, plus l’hôtel de Rochepot +rue Saint-Antoine, l’hôtel de Damville rue Couture-Sainte-Catherine, et +enfin l’hôtel patrimonial de la rue de Montmorency alors rue +Courtauvillain. C’était un grand logis du <small>XIII</small>ᵉ siècle, reconstruit plus +tard et qui porte aujourd’hui le nº 5 de la rue de Montmorency. Cet +hôtel fut confisqué par Richelieu, sous Louis XIV; Nicolas Fouquet +l’habita alors qu’il n’était encore que procureur général en Parlement. +Grandeurs passées, la finance succède aux hauts barons, le commerce +succède à la finance, et maintenant cette grande façade à hautes +fenêtres sans ornements ne se distingue plus guère des maisons voisines +que par ses proportions.</p> + +<p>Dans l’hôtel neuf rue Sainte-Avoye, aujourd’hui rue du Temple, 14, vint +mourir le vieux connétable Anne de Montmorency, âgé de quatre-vingts +ans, blessé d’un coup de pistolet dans les reins, dans une charge +poussée à fond par le prince de Condé à la bataille de Saint-Denis, le +10 décembre 1567. C’était pendant la deuxième guerre civile, l’armée +protestante bloquait Paris: le connétable, qui n’avait que peu de +troupes et attendait des renforts, avait dû, malgré lui, donner bataille +pour faire cesser les murmures des Parisiens. Rapporté dans son<span class="pagenum"><a name="page_236" id="page_236">{236}</a></span> logis +le soir de la bataille, il mourut trois jours après. Comme ceux qui le +soignaient essayaient de lui donner de l’espoir, le vieux connétable +s’irrita:—Assez! leur dit-il, pensez-vous que j’aie vécu quatre-vingts +ans et que je n’aie pas appris à mourir un petit quart d’heure!</p> + +<p>Henri II était venu quelquefois dans la maison. Henri III y vint danser +aux noces du duc d’Épernon. L’hôtel du vieux connétable devint un siècle +après, pour les de Mesmes, hôtel de parlementaires, et plus tard maison +de financiers pour Law, qui, avant de mettre ses commis rue Quincampoix, +établit ici ses bureaux. Encore une fois la finance après les grands +barons.</p> + +<p>Un logis important au commencement du <small>XVI</small>ᵉ siècle, logis royal, logis de +duchesse et de maîtresse de roi, occupait un vaste espace entre le pont +Saint-Michel et le couvent des Grands-Augustins, c’était l’hôtel +d’Étampes, un manoir dit de la Salamandre, bâti par François Iᵉʳ pour +Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes. Le roi chevalier avait ainsi à +côté l’une de l’autre sa maîtresse et son chancelier le cardinal Duprat, +quand celui-ci cessa d’habiter l’hôtel de Sens pour prendre l’hôtel +d’Hercule qui fut plus tard de Nantouillet, à l’angle de la rue des +Grands-Augustins.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 272px;"> +<a href="images/illu-276.jpg"> +<img src="images/illu-276.jpg" width="272" height="195" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES CHARNIERS DE SAINT-PAUL</p></div> +</div> + +<p>L’hôtel de la duchesse d’Étampes portait partout la Salamandre, la +marque royale, qui se retrouve encore dans un des débris dissimulé au nº +20 de la rue de l’Hirondelle.</p> + +<p>C’était un véritable palais que ce nid des amours royales, luxueusement +décoré de peintures et de tapisseries, couvert d’emblèmes et de devises +galantes. Au siècle suivant, la maîtresse royale étant devenue une dame +du temps jadis, l’hôtel d’Étampes fut morcelé. Il se partagea en hôtel +de Luynes et hôtel d’O; celui-ci formait le coin de la rue Gilles-Cœur +et du quai, alors rue de Hurepoix. L’hôtel<span class="pagenum"><a name="page_237" id="page_237">{237}</a></span> d’O appartenait aux Séguier. +La fille du chancelier Séguier épousa un de Luynes et sans doute les +deux logis contigus furent de nouveaux réunis.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 370px;"> +<a href="images/illu-277.jpg"> +<img src="images/illu-277.jpg" width="370" height="454" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’HÔTEL DE SOISSONS (ÉTAT ANCIEN) ET LA COLONNE DE +CATHERINE DE MÉDICIS (ÉTAT ACTUEL)</p></div> +</div> + +<p>Pendant la Fronde, lors de l’affaire Broussel, le chancelier Séguier y +courut danger de mort. Il avait quitté courageusement sa demeure à six +heures du matin pour se rendre au Parlement malgré les barricades, +s’obstinant à passer, laissant son carrosse pour une chaise à porteurs +et quittant ensuite la chaise pour continuer à pied à travers les pavés +soulevés, lorsqu’une troupe de furieux se jeta sur lui.</p> + +<p>Bousculé avec l’évêque de Meaux, il put néanmoins se réfugier à l’hôtel +de Luynes qu’aussitôt les émeutiers assiégèrent et dont la porte fut +bientôt enfoncée. Le chancelier avait trouvé une cachette dans une +chambre bien dissimulée où son frère le confessait et lui donnait +l’absolution pendant que les émeutiers cherchaient partout, fouillaient +la maison, sondaient les murs, saccageaient, brisaient les meubles et, +en désespoir de cause, pillaient tout ce qu’il pouvait y avoir à piller.</p> + +<p>La partie du petit palais qui avait gardé le nom d’hôtel de la +Salamandre<span class="pagenum"><a name="page_238" id="page_238">{238}</a></span> n’avait pas eu la même chance que les hôtels de Luynes et +d’O; elle fut occupée par divers industriels; bientôt les appartements +particuliers de Mᵐᵉ d’Étampes n’eurent plus rien d’aristocratique, la +chambre de bains de la belle servit d’écurie à une auberge, qui +naturellement se para pour son enseigne de l’emblème royal de la +Salamandre. La chambre de François Iᵉʳ fut une cuisine et les belles +salles furent transformées en logements.</p> + +<p>La belle-fille de François, la veuve de Henri II, Catherine de Médicis, +délaissant les Tuileries <i>sur la paroisse Saint-Germain l’Auxerrois</i>, +les Tuileries à peine achevées, en raison de la crainte inspirée par un +horoscope qui lui annonçait qu’elle devait mourir <i>près de +Saint-Germain</i>, se fit construire à quelques pas de Saint-Eustache un +nouveau palais qui s’appela hôtel de la Reine, puis hôtel de Soissons.</p> + +<p>Il se trouvait alors sur cet emplacement un vieil édifice gothique jadis +hôtel de <i>Nesle</i>, où la reine Blanche de Castille, mère de saint Louis, +était morte, et qui avait appartenu à Charles, comte de Valois, à Jean +de Luxembourg, roi de Bohême, au duc d’Orléans. Celui-ci en devenant +Louis XII avait donné cet hôtel de Nesle ou de Bohême à un couvent de +Filles pénitentes qui s’y étaient cloîtrées.</p> + +<p>La reine ayant besoin du terrain expulsa ces pénitentes et les envoya +rue Saint-Denis à l’abbaye de Saint-Magloire.</p> + +<p>L’édifice construit par Jean Bullant sur l’emplacement du vieil hôtel, +augmenté de quelques autres terrains, n’avait plus rien du fier aspect +des demeures féodales, c’était un palais, une vaste résidence composée +d’un grand corps de logis à trois pavillons, avec ailes en retour +encadrant une cour d’honneur et se prolongeant sur des jardins.</p> + +<p>On vantait beaucoup la magnificence des appartements et la beauté de la +chapelle, édifice séparé, bâti au bout des jardins à l’angle des rues +Coquillière et de Grenelle-Saint-Honoré, aujourd’hui +Jean-Jacques-Rousseau. Germain Pilon, Jean Goujon et tous les plus +célèbres artistes du temps avaient travaillé à la décoration du +somptueux palais, ou fourni des statues pour les jardins.</p> + +<p>Une singularité de cet hôtel de la reine c’était la haute colonne +cannelée qui dominait les toits des pavillons, et au sujet de laquelle +il a été fait tant de suppositions. C’est aujourd’hui tout ce qui reste +du palais de Catherine, tout ce qui a survécu aux changements et +démolitions. Elle a vingt-cinq mètres de haut et elle est semée dans ses +cannelures d’ornements divers, fleurs de lis, cornes d’abondance, +miroirs brisés, grandes initiales C H, entrelacées et couronnées, +ornements aujourd’hui effacés par places.</p> + +<p>A quoi cette colonne surmontée d’une bizarre armature de fer terminée +par une sphère également en ferronnerie ajourée a-t-elle bien pu servir? +La tradition en fait un observatoire non pas astronomique mais +astrologique, pour les sorciers et cabalistes ordinaires de la reine +mère; là sur ce perchoir planté au-dessus des appartements où la reine +cachait ses sombres méditations, s’exécutaient les opérations magiques, +les sorcelleries criminelles de la redoutable Italienne, par les soins +de son sorcier en chef, le fameux Ruggieri.<span class="pagenum"><a name="page_239" id="page_239">{239}</a></span></p> + +<p>En somme, la légende s’appuie sur des faits avérés. Il est parfaitement +certain que Catherine se faisait suivre partout des astrologues attachés +à sa maison, on trouve même au château de Blois, où elle mourut, un +observatoire astrologique sur la tour du Foix.</p> + +<p>Si la colonne, comme on le pense aussi, fut un monument commémoratif +élevé par Catherine à la mémoire de son époux Henri II<a name="FNanchor_D_4" id="FNanchor_D_4"></a><a href="#Footnote_D_4" class="fnanchor">[D]</a>, bien qu’il +soit extraordinaire qu’aucune inscription n’ait consacré cette +destination pieuse, les astrologues de la reine utilisèrent ce monument +à deux fins, et nous pouvons lui laisser sa vieille réputation de +piédestal de sorciers.</p> + +<p>Catherine vécut une douzaine d’années en son palais; fêtes, +divertissements, intrigues de toutes sortes, intermèdes pour tant de +drames et de catastrophes sanglantes s’y succèdent, pendant ces jeunes +années de l’hôtel abritant la vieillesse tragique de Catherine. C’est +là, qu’à la veille de la grande journée des barricades, le duc de Guise, +arrivé à Paris malgré la défense du roi, descendit sans débotter avant +de se rendre à l’hôtel de Guise. Après une longue et délicate +conversation, la reine mère se mit en sa chaise à porteurs et emmena au +Louvre le duc de Guise qui marchait à pied à côté de la chaise au milieu +des acclamations de la foule ligueuse, remuée par l’arrivée de celui +qu’elle appelait son sauveur, acclamations qui le suivirent de rue en +rue, jusqu’au palais où l’attendait Henri III blême de rage et hésitant +à le faire daguer sur l’heure. La crise suprême commençait pour les +Valois.</p> + +<p>Le Balafré et Catherine devaient huit mois après s’en aller mourir tous +deux à Blois, à quelques jours de distance. A la mort de Catherine +couverte de dettes, l’hôtel de la Reine fut saisi par les créanciers +comme une simple maison de particulier; la liquidation laborieuse ne se +termina qu’en 1601 par la vente de l’hôtel au comte de Soissons, fils du +prince de Condé.</p> + +<p>Les mânes de la première propriétaire durent tressaillir au temps de +l’affaire des poisons, en 1680, quand la comtesse de Soissons compromise +avec La Voisin ainsi que d’autres grandes dames, pour des histoires de +sorcellerie et surtout pour des emplettes de poudre de succession, fut +obligée de quitter l’hôtel et la France pour éviter de comparaître +devant la chambre ardente.</p> + +<p>L’agiotage, c’est-à-dire l’empoisonnement moral, <i>les poudres de +succession</i> appliquées aux fortunes, s’installa ensuite à l’hôtel de +Soissons au moment de la fièvre de spéculation inoculée par Law. Quand +la rue Quincampoix fut fermée, le camp des agioteurs se transporta +d’abord place Vendôme, puis le prince de Carignan, à qui appartenait +alors l’hôtel de Soissons, sollicita du Régent le privilège de cette +Bourse errante et l’établit dans ses jardins.</p> + +<p>Curieux tableau que ce camp de l’agio, cette Bourse de la Régence, dans +les jardins de Catherine. Cela ne ressemblait guère à la Bourse du +Commerce que l’on trouve aujourd’hui à la même place, c’était plutôt une +espèce de kermesse financière. Le prince de Carignan fit construire plus +de six cents baraques<span class="pagenum"><a name="page_240" id="page_240">{240}</a></span> louées chacune 500 livres par mois, ce qui lui +donnait un revenu mensuel de 300,000 livres. Dans les allées du jardin +où ces baraques élégantes s’alignent sous les arbres, une foule bigarrée +se presse; des carrosses, des chaises à porteurs amènent grands +seigneurs et belles dames, spéculateurs à cordons bleus, joueuses en +falbalas. On spécule, on intrigue, on danse et l’on rit, malgré la +terrible crise qui sévit et les ruines qui s’accumulent. Les danses aux +violons sous les tentes ou sous les ombrages alternent avec la danse des +écus, jusqu’à la chute définitive du système amenant la ruine totale de +tant de gens.</p> + +<p>Il y avait jadis toujours un peu de spectacle et de gaîté dans tout, +même en des choses qui ne nous semblent pas devoir en comporter. Quelle +distance entre la cohue noire de la Bourse actuelle, hurlante et +vociférante en son temple grec, et le marché financier de la Régence, +coquet, fleuri et enrubanné, digne d’être peint par Watteau, où sur des +airs de menuet s’écroulent les fortunes, où tant de grands seigneurs, +entraînés dans le branle financier, se ruinent en faisant des grâces, +quitte à se brûler la cervelle en sortant de leurs hôtels patrimoniaux +perdus, après avoir légué leurs fils au roi pour ses armées et leurs +filles à Dieu pour ses couvents.</p> + +<p>A la mort du prince de Carignan, l’hôtel de Soissons fut encore une fois +mis en vente par des créanciers et faute d’acquéreurs livré aux +démolisseurs en 1749. Tout disparut; de l’édifice de Catherine augmenté +par les successeurs, il ne demeura debout que la fameuse colonne sous +laquelle s’éleva en 1772 la rotonde de la halle aux blés, avec quelques +rues circulaires tournant autour. Primitivement cette halle n’était +qu’une grande cour ronde à ciel ouvert, on la recouvrit dix ans après de +la coupole que nous avons connue.</p> + +<p>La halle aux blés vécut un peu plus d’un siècle. Son tour vint de +tomber, pour être remplacée par la Bourse du Commerce, mais la colonne +de Catherine fut heureusement respectée encore, et avec elle continuent +à planer, sur un quartier bien transfiguré et très prosaïque, le vieux +souvenir historique et la légende romanesque.</p> + +<p>La colonne Ruggieri n’a survécu au palais de Catherine que grâce à +l’écrivain Bachaumont qui, pour faire rougir les édiles de leur +vandalisme, l’acheta 800 livres au moment où elle allait être comprise +dans la démolition, et qui la recéda plus tard à la ville à la condition +qu’elle ne serait pas démolie.</p> + +<p>L’un des nombreux Italiens amenés à Paris par Catherine de Médicis, +Scipion Sardini, a laissé dans un quartier fort éloigné et qui alors +confinait à la campagne, sur les bords de la Bièvre, un hôtel assez +important qui a pu, sans doute grâce à son éloignement du centre, +traverser trois siècles, affecté à différents services.</p> + +<p>Les Italiens venus à la cour de France au <small>XVI</small>ᵉ siècle firent tous des +fortunes rapides, comme les Gondi, les Strozzi, les Zamet, les Concini +et autres. Ce Scipion était un traitant fermier des impôts, qui se +transforma bientôt en un riche gentilhomme, baron de Chaumont-sur-Loire, +possédant château en Touraine, château féodal de haute importance, ayant +appartenu à Catherine,—et où se voit encore, à côté de la chambre de la +Reine, la chambre de son astrologue Ruggieri,—possédant</p> + +<div class="figcenter" style="width: 392px;"> +<a href="images/illu-281.jpg"> +<img src="images/illu-281.jpg" width="392" height="560" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE DUC DE GUISE A LA JOURNÉE DES BARRICADES.—1588</p> + +<p>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_241" id="page_241">{241}</a></span></p> + +<p class="nind">en outre un bel hôtel à Blois, et en situation sous Henri III de se +bâtir à Paris un autre logis plus riche et plus vaste.</p> + +<p>Ce bel hôtel des bords de la Bièvre rappelle les édifices des rives de +la Loire par son architecture de briques et pierres, ses arcades, ses +médaillons à têtes romaines, comme on en voit là-bas, notamment à +l’hôtel d’Alluye.</p> + +<p>Hélas, la vie est courte et les années de prospérité surtout passent +vite, c’était bien la peine de se lancer en belles constructions. +Sardini était à peine mort aux premières années du <small>XVII</small>ᵉ siècle, que du +bel hôtel, probablement confisqué comme règlement de comptes avec le +financier, on faisait un hôpital de mendiants.</p> + +<p>Alors s’opérait comme une grande liquidation de ce siècle de troubles +religieux, de révolutions et de guerres civiles; dans tous les coins de +Paris s’élevaient des hôpitaux, des hospices, des refuges et des prisons +pour recevoir les pauvres soldats estropiés, les innombrables mendiants, +les soudards devenus tire-laine faute d’emploi, épaves de la longue +tourmente. L’hôtel Scipion Sardini, sous le nom d’hôpital Sainte-Marthe, +reçut sa part de malheureux entassés sous les lambris du riche traitant +défunt, dont les splendeurs durent disparaître rapidement.</p> + +<p>En 1636, les prisons de la Conciergerie furent vidées en partie dans +l’hôtel Scipion, en raison d’une épidémie de peste.</p> + +<p>La boulangerie générale des hôpitaux y était déjà, elle s’y trouve +encore. Des arcades de la cour, la plupart ont été bouchées, les bustes +des médaillons ont fortement souffert, mais on peut encore par +l’imagination reconstituer la demeure du financier du <small>XVI</small>ᵉ siècle, et en +oubliant tout ce qui l’entoure aujourd’hui, essayer de la compléter par +des jardins, par des horizons plus aimables, et par une Bièvre plus +claire courant sur des berges fleuries de pâquerettes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 230px;"> +<a href="images/illu-283.jpg"> +<img src="images/illu-283.jpg" width="230" height="232" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PASSAGE SAINT-PIERRE DONNANT DANS L’ANCIEN CIMETIÈRE +SAINT-PAUL (ÉTAT ACTUEL)</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_242" id="page_242">{242}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_VIII" id="CHAPITRE_VIII"></a> +<a href="images/illu-284-a.jpg"> +<img src="images/illu-284-a.jpg" width="369" height="246" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption">INONDATION DE LA VALLÉE DE MISÈRE EN 1493 +</span> +<br /><br /> +CHAPITRE VIII<br /><br /> +PARIS BOURGEOIS ET POPULAIRE</h2> + +<h3>I</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-284-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption"> +VIEUX PIGNONS RUE BEAUBOURG</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>Souvenirs champêtres.—Clos, granges, cultures, fermes.—La double +croisée de Paris.—Autour du Châtelet.—Les maîtres bouchers et la +grande boucherie.—La rue Trop-va-qui-dure et la Vallée de +misère.—Grandeurs, prospérités et solennités de la grande rue de +Saint-Denis.—Chemin royal au commencement et à la fin des +règnes.—Entrées de l’empereur Charles IV, d’Isabeau de Bavière, de +Louis XI, etc.—Cortèges, spectacles et divertissements.—Les +funérailles royales.—Un Arbre de Jessé.—Noms de +maisons.—Anciennes hôtelleries.—Les omnibus de Blaise Pascal.—La +grande rue Saint-Honoré.—L’Arbre sec.—Arbrissel ou potence?—La +croix du Trahoir.—La rue de la Ferronnerie.—Aux +Innocents.—Grandes halles de la mort et grand marché des vivants.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">C</span>E Paris bourgeois et populaire qui répand ses innombrables maisons +autour des grands hôtels féodaux, des logis de noblesse et des séjours +de princes a, depuis le jour où il a débordé de l’île berceau sur les +deux rives, englobé, dans son accroissement jamais arrêté,<span class="pagenum"><a name="page_243" id="page_243">{243}</a></span> bien des +hameaux, des fermes, des petits fiefs champêtres rejoints d’abord, puis +étouffés bientôt dans les lacis des ruelles qui les enserrent.</p> + +<p>Il ne restera de ces villages absorbés au plus touffu de l’immense +enchevêtrement de pignons, de cubes de pierres et de cages en pans de +bois où grouille la fourmilière parisienne, que des noms de quartiers, +que des appellations agrestes pour des voies commerçantes où ne verdit +plus aucun feuillage, ou bien des noms jolis et ensoleillés étiquetant +ironiquement des ruelles profondes et noires que le soleil ne connaît +plus.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 260px;"> +<a href="images/illu-285.jpg"> +<img src="images/illu-285.jpg" width="260" height="282" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ÉGLISE SAINT-SAUVEUR, RUE SAINT-DENIS</p></div> +</div> + +<p>En fouillant au plus profond des quartiers encombrés on retrouve des +souvenirs d’anciens clos, le clos de Laas, le clos Bruneau au pays des +écoles, le clos Garlande, le clos Georgeau, le clos des Halliers, le +clos des Arènes à Saint-Victor, le clos Thyron appartenant à l’abbaye de +Thiron ou Tiron près Chartres,—laquelle avait aussi donné son nom à une +rue où les abbés avaient leur logis près de la rue Saint-Antoine, ainsi +qu’à une prison,—le clos des Mureaux, le clos Saint-Symphorien planté +en vignes sur la montagne Sainte-Geneviève et bien d’autres tant sur la +rive gauche que sur la rive droite.</p> + +<p>On rencontre d’agrestes souvenirs étouffés sous les pierres, plusieurs +rues des Amandiers, dont une sous Sainte-Geneviève où se sont bâtis des +collèges, la rue<span class="pagenum"><a name="page_244" id="page_244">{244}</a></span> Hautefeuille, le Chardonnet, champ de chardons où fut +édifiée l’église Saint-Nicolas du Chardonnet, les Vignes, les Marais, +les Champeaux, des Granges, la Grange aux Merciers, la Grange batelière +qui fut un fief important, dont le manoir était situé sur l’emplacement +de l’hôtel Drouot.</p> + +<p>La transformation du quartier Saint-Paul aux dépens des jardins de +l’hôtel royal au <small>XVI</small>ᵉ siècle, donna les rues de la Cerisaie, +Beautreillis; on avait déjà les rues des Jardins-Saint-Paul, du Mûrier, +du Figuier, du Champ Fleuri, des Petits-Champs, des Rosiers, du Vertbois +et même la rue des Orties entre le Louvre et les Tuileries.</p> + +<p>Plus tard, quand la ville, grandissant toujours, fera la conquête +d’autres villages et hameaux suburbains, on aura la ferme des Mathurins, +le buisson Saint-Louis, le champ de l’Alouette, le Gros Caillou, etc...</p> + +<div class="figleft" style="width: 220px;"> +<a href="images/illu-286.jpg"> +<img src="images/illu-286.jpg" width="220" height="252" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>BAS-RELIEF DE LA MAISON DE L’ANNONCIATION, 89, RUE +SAINT-DENIS</p></div> +</div> + +<p>Le Paris de la rive droite est traversé par deux grandes artères +perpendiculaires à la Seine, la grande rue Saint-Denis qui se relie par +le pont au Change à la Cité et par le pont Saint-Michel à la ville +universitaire, et la grande rue Saint-Martin qui mène au pont +Notre-Dame. Une troisième grande voie parallèle au fleuve, la grande rue +Saint-Antoine, reliée par des petites rues tournantes à la grande rue +Saint-Honoré, traverse Paris de l’est à l’ouest et forme avec les deux +autres ce qu’on appela alors la <i>Croisée de Paris</i>. Ces trois rues, ce +sont des rivières charriant des flots humains, entre des berges fort +étroites aux maisons serrées; il y coule sans cesse une foule pressée et +tassée de cavaliers et de piétons, de charrettes, de litières et de +carrosses.</p> + +<p>Ce sont des rues bruyantes et houleuses, toujours encombrées, toujours +retentissantes, mais dont la foule change vingt fois de caractère +suivant la région traversée; plus bourgeoise en certains endroits où +sont les gros marchands, plus ouvrière à certains carrefours, près des +quartiers où, dans toutes les maisons et toute la journée, frappent, +tapent, cognent sur le fer ou le bois, les gens de métiers; plus +populacière sur certains points et haillonneuse çà et là, montrant plus +de truands et de mendiants aux abords des cours de Miracles où gîtent +les <i>truandailles</i>, la lie toujours prête à remonter à la surface.<span class="pagenum"><a name="page_245" id="page_245">{245}</a></span></p> + +<p>En passant au long des moutiers, sous les grands murs appuyés de +contreforts, sous les églises, le flot des passants est plus sombre; il +y a plus de soutanes noires, plus de frocs de bure. La rue est plus +noire aussi du côté du Châtelet, au pays des procureurs et de la +basoche, tandis qu’en s’approchant des régions aristocratiques, aux +environs du Louvre à l’ouest ou de l’hôtel Saint-Paul dans la région de +l’est, elle devient plus élégante, égayée par des chaperons de gros +bourgeois ou des pourpoints de jeunes seigneurs, par les harnois +brillants de quelques gens d’armes, par des toilettes de belles dames +voisinant à pied ou chevauchant à mules, avec petits ou grands cortèges, +pour visites ou promenades. Le point de rencontre de ces artères +principales, la <i>Croisée de Paris</i>, est aux abords du Châtelet juste au +point le plus serré et le plus populeux, où le Paris de la rive droite +commence, où les maisons forment un conglomérat de toits et de pignons, +sillonné et comme fendillé par un réseau de ruelles étroites qui sinuent +autour du grand Châtelet, cette antique forteresse défendant jadis la +tête du pont de Lutèce, rebâtie et refaite plus d’une fois, devenue au +centre de la ville une sombre cage à prisonniers, le siège de la +juridiction de la prévôté et vicomté de Paris, c’est-à-dire aussi un nid +de justiciers redoutables, de tout ordre depuis le simple clerc du +greffe jusqu’au tourmenteur chargé de <i>questionner</i> les patients sur le +terrible chevalet.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 363px;"> +<a href="images/illu-287.jpg"> +<img src="images/illu-287.jpg" width="363" height="237" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENTRÉE DE LA RUE SAINT-DENIS, LA GRANDE BOUCHERIE, LE +MARCHÉ DE L’APPORT-PARIS ET LE CHATELET</p></div> +</div> + +<p>De plus, outre ses prisonniers et ses gehenneurs, comme si ce n’était +assez pour son renom sinistre, ce redoutable paquet de tours cache +encore autre chose de plus lugubre, il abrite une <i>morgue</i> pour les +cadavres rejetés par le flot sur les berges de la rivière ou laissés par +la nuit au coin des carrefours malfamés.<span class="pagenum"><a name="page_246" id="page_246">{246}</a></span></p> + +<p>C’est ici le quartier des bouchers, les noms des rues le disent assez, +rue Triperie, rue de la Place-aux-Veaux, rue du Pied-de-Bœuf, de la +Tuerie... Juste devant l’entrée du Châtelet, c’est-à-dire du passage +voûté traversant la forteresse, se trouve la Grande Boucherie de +l’Apport-Paris, un vaste bâtiment de pierres au rez-de-chaussée avec +étage de bois largement ouvert pour l’aération.</p> + +<p>La Grande Boucherie est une espèce de halle à la viande, contenant vingt +et quelques étaux où se vendent les bêtes abattues dans les tueries +voisines; une odeur de sang plane sur ces rues des bouchers, le sang +coule vers la rivière, sur le pavé sans cesse lavé et relavé par le flot +rouge, et par le ruissellement des seaux d’eau lancés à tour de bras +après l’abatage.</p> + +<p>Établie là depuis des temps fort lointains, moyennant un cens payé à +l’abbaye de Montmartre, la Grande Boucherie est la plus importante de +Paris; il y a d’autres étaux près du petit Châtelet, et d’autres aux +halles, à la grande boucherie de Beauvais, qui se plaignent également de +la concurrence des boucheries des moines de Saint-Germain des Prés et de +Sainte-Geneviève, et de celles établies jadis par les Templiers dans +l’enceinte du Temple.</p> + +<p>Les bouchers forment une corporation puissante par la richesse des +patrons et par son armée de robustes gaillards habitués aux besognes +sanglantes. Les Thibert, les Saint-Yon sont les gros bonnets de la +corporation et forment des dynasties qui marquent dans les luttes +violentes des <small>XIV</small>ᵉ et <small>XV</small>ᵉ siècles et jusque sous la Ligue; des Le Goix +de la boucherie de Sainte-Geneviève se perpétuent dans le même commerce +jusqu’à nos jours, tandis que des Saint-Yon enrichis achètent des +charges au <small>XVII</small>ᵉ siècle et passent ainsi dans la noblesse de robe.</p> + +<p>Au temps de la grande querelle des princes, quand Armagnacs et +Bourguignons se massacrent à qui mieux mieux, les maîtres bouchers +marchent à la tête de bandes nombreuses et bien organisées qui tiennent +énergiquement pour Bourgogne. Pendant la démence de Charles VI, ils ne +veulent pas d’autre régent que Jean sans Peur, qui s’appuie sur ces +corporations redoutables et flatte leurs tendances démagogiques. Jean +sans Peur est alors pour eux, comme pour la majorité des Parisiens, ce +que sera pour leurs petit-fils le duc de Guise.</p> + +<p>Les chefs aux prises d’armes de la boucherie sont «les Thibert et les +Saint-Yon de la grande boucherie jouxte le Châtelet et les trois fils de +Thomas le Goix, qui était boucher, bel homme et en son état bon +marchand, dit Juvénal des Ursins, demeurant lui et ses enfants et +vendant chair en la boucherie de Sainte-Geneviève, bourgeois et natifs +de Paris». Avec eux se voient un chirurgien, Jean de Troyes «qui avait +moult bel langage» et le fameux écorcheur de bêtes Caboche «qui était de +la boucherie d’auprès l’Hôtel-Dieu, devant Notre-Dame».</p> + +<p>On sait quelles traces sanglantes ces bouchers du <small>XV</small>ᵉ siècle ont +laissées dans l’histoire des Révolutions de Paris. S’ils massacrèrent un +peu partout par les rues aux grandes journées, ils combattaient aussi +aux batailles livrées aux alentours entre les armées des princes, comme +à la prise de Saint-Cloud. Un de leurs chefs, un le Goix tué à une +défaite du parti bourguignon en Beauce, fut ramené à Paris, eut à +Sainte-Geneviève des funérailles de prince, où l’on vit le duc de +Bourgogne<span class="pagenum"><a name="page_247" id="page_247">{247}</a></span> lui-même marcher derrière le cercueil. Cet épisode de +l’enterrement en grande pompe du chef insurgé, quand on le lit dans +Juvénal des Ursins, rappelle les enterrements avec grand cortège et +musique funèbre des chefs de la commune contemporaine tués aux +avant-postes.</p> + +<p>Le parti de Bourgogne devient le parti des Cabochiens, prenant le nom de +l’écorcheur Jeannot ou Simonet Caboche qui s’était distingué par sa +violence et son audace avec les le Goix, à l’enlèvement de la Bastille +le 8 avril 1413 et aux journées sanglantes. Alors règne en souveraine +farouche et délirante la violence déchaînée, pataugeant dans le sang des +massacres. Les écorcheurs extorquent des rançons aux gros bourgeois qui +n’ont pu quitter la ville à temps, ils pillent, dérobent, proscrivent et +assomment à tort et à travers, se plongeant dans la soulerie du sang, +faisant peur au duc Jean sans Peur lui-même, et à la fin suscitant la +réaction.</p> + +<div class="figright" style="width: 252px;"> +<a href="images/illu-289.jpg"> +<img src="images/illu-289.jpg" width="252" height="537" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CARREFOUR RUE PIROUETTE, ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>Toute la ville, sous la terreur des bandes cabochiennes, prend donc le +chaperon blanc, couleur du parti révolutionnaire, même les princes, les +seigneurs, les gens d’Église. Le dauphin<span class="pagenum"><a name="page_248" id="page_248">{248}</a></span> qui reçoit à son hôtel la +redoutable visite des communes doit coiffer le chaperon cabochien, et +Charles VI, dans un intervalle de sa maladie, l’arbore aussi quand, pour +aller faire ses oraisons à Notre-Dame, il traverse la grande multitude +des Parisiens en armes sur son passage.</p> + +<p>Il y avait derrière les gens de coups de main, des politiques aussi, +plus sages, réprouvant au fond ces violences, et qui essayaient, par +l’ordonnance dite <i>cabochienne</i>, de régulariser le mouvement et d’en +tirer des réformes possibles, quelque chose comme une refonte du système +politique. Mais comme toujours ces politiques et leurs idées devaient +être emportés et noyés dans le mouvement tumultueux des masses +soulevées, des hommes de violence irréfléchie.</p> + +<p>Les Cabochiens trouvèrent cependant à qui parler; en assemblée à l’Hôtel +de Ville un maître charpentier osa leur dire qu’il y avait à Paris +autant de frappeurs de cognée que d’assommeurs de bœufs. Les modérés +relevèrent la tête. Alors Juvénal des Ursins, qui fut le courageux +meneur de la lutte contre les Cabochiens, et quelques vaillants +bourgeois entraînés par ses exhortations, se sentant soutenus par tout +ce qui dans Paris en avait assez de la violente tyrannie cabochienne, +arrachèrent la ville au parti démagogique, allèrent chercher le dauphin +et le duc de Berry pour les faire marcher à leur tête et achever de +rétablir l’ordre.</p> + +<p>Comment finit l’écorcheur Caboche, ce meneur sanguinaire de la populace, +l’histoire ne le sait pas au juste. Il eut son procès en parlement, avec +les principaux chefs; Jean de Troyes eut le col coupé aux Halles, les +autres, les le Goix, Deniset de Chaumont, Robinet de Mailly, +Jacqueville, furent simplement bannis du royaume. Comme eux Caboche +échappa au bourreau, probablement parce qu’il avait pu avec eux gagner à +temps les terres du duc de Bourgogne.</p> + +<div class="figleft" style="width: 186px;"> +<a href="images/illu-290.jpg"> +<img src="images/illu-290.jpg" width="186" height="404" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA RUE BRISEMICHE, ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>Dans la réaction qui suivit, la Grande Boucherie fut démolie, mais elle +fut<span class="pagenum"><a name="page_249" id="page_249">{249}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 328px;"> +<a href="images/illu-291.jpg"> +<img src="images/illu-291.jpg" width="328" height="529" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ATTAQUE DU CLOITRE SAINT-MERRY, AVRIL 1832</p></div> +</div> + +<p class="nind">reconstruite quelques années après, au retour des Cabochiens bannis, +quand<span class="pagenum"><a name="page_250" id="page_250">{250}</a></span> Paris livré par Perrinet Leclerc retomba au pouvoir du parti +bourguignon, et elle subsista aussi longtemps que le Châtelet lui-même, +son voisin, pour ne tomber qu’en même temps que lui au commencement de +notre siècle.</p> + +<p>Devant cette Grande Boucherie des rudes compagnons de Caboche, se tient +le marché de l’Apport de Paris ou la Porte Paris, un petit marché aux +légumes qui est tous les matins une cause d’encombrement en ce lieu déjà +si encombré, au débouché de la sombre voûte du Châtelet, près de la +barrière aux Sergents, poste de vingt-cinq hommes de police. Aux +étalages d’herbes et de verdures qui apportent parmi ces bâtisses +tassées de bonnes odeurs de campagne s’ajoutent les étalages de poisson +moins agréablement odorants.</p> + +<p>Tout le long de la rue Pierre-à-Poisson, simple ruelle serpentant le +long des sombres murailles du Châtelet, côté du couchant, des échoppes +s’alignent avec des pierres pour étaler le poisson. Le poisson frais de +la rue Pierre-à-Poisson rencontre le poisson salé de la rue de la +Saunerie qui n’a pas meilleure odeur. De la rue aux Salaisons on tombe +par la rue Trop-va-qui-Dure à la rue de la Poulaillerie et à la vallée +de Misère.</p> + +<p>De l’autre côté du Châtelet, tourne au pied des murs la rue de la +Joaillerie où sont des boutiques d’orfèvres assez étrangement placées +dans ce quartier voué au commerce des victuailles.</p> + +<p>Le nom de la rue <i>Trop-va-qui-Dure</i>, ou <i>Qui-m’y-trouva-si-dure</i>, a mis +les cerveaux des chercheurs d’étymologies à la gehenne. L’appelle-t-on +ainsi parce qu’elle conduit à l’entrée du terrible Châtelet et que pour +bien des malheureux elle est le chemin du supplice? Il va trop longtemps +celui qui dure encore après l’avoir suivie, car les juges et les +bourreaux l’attendent. Peut-être aussi est-ce tout simplement un nom +torturé lui-même et à la fin tout à fait dénaturé comme on en peut citer +beaucoup d’autres.</p> + +<p>Quant à la vallée de Misère, c’est la place où se tenait le marché aux +volailles, la Poulaillerie, une place bordée de quelques vieilles +maisons que dominent le sommet des tours du Châtelet et le petit +clocheton de Saint-Leufroy. Son nom lui vient peut-être de l’aspect +misérable de son entourage, ou peut-être parce que la place étant en +contre-bas du quai de la Mégisserie et du débouché des ponts aux +Changeurs et aux Meuniers, la Seine, à la moindre crue, lui vient faire +visite et gêner les pauvres marchands de volaille.</p> + +<p>En souvenir de l’une des plus sérieuses de ces inondations si +fréquentes, la vallée de Misère avait son petit monument à l’angle d’une +maison du quai, un pilier portant une image de la Vierge avec cette +inscription:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Mil quatre cens quatre vingt treize<br /></span> +<span class="i0">Le septiesme jour de janvier<br /></span> +<span class="i0">Seyne fut icy à son aise<br /></span> +<span class="i0">Battant le siège du pillier.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Les rues constituant la croisée de Paris furent les premières voies +parisiennes régulièrement pavées. Boueuses à la moindre pluie, d’une +boue qui se changeait<span class="pagenum"><a name="page_251" id="page_251">{251}</a></span> l’été en poussière désagréable et malsaine que le +moindre vent soulevait, les rues laissaient fort à désirer alors au +double point de vue de la viabilité et de la salubrité.</p> + +<p>On raconte que Philippe-Auguste prenant un soir d’été l’air à une +fenêtre de son palais de la Cité, comme un bon bourgeois qui se repose +après la journée faite, se trouva fort incommodé par les miasmes se +dégageant des rues poudreuses, par la poussière malodorante soulevée +sous les pieds des chevaux et les roues des charrettes traversant en si +grand nombre la Cité.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 369px;"> +<a href="images/illu-293.jpg"> +<img src="images/illu-293.jpg" width="369" height="257" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>VIEUX PIGNONS DE LA RUE GALANDE (1894)</p></div> +</div> + +<p>Le roi, obligé par ces inconvénients de se retirer des fenêtres, prit +alors la résolution de faire cesser cet état de choses. Le prévôt et les +bourgeois furent convoqués au palais et Philippe ordonna le pavage en +forte et dure pierre des voies principales; la dépense un peu forte fit +faire la grimace aux édiles, mais le roi, comme bourgeois de Paris, y +contribua pour sa part.</p> + +<p>Ce premier pavage, disent les vieux historiens de Paris qui en ont pu +voir les traces en certains endroits sous le sol exhaussé, était fait de +grandes dalles de grès, de <i>carreaux</i> de trois pieds de longueur. En +raison de la dépense excessive on se borna à daller ainsi les grandes +voies passagères, laissant les autres en l’état.</p> + +<p>La grande rue Saint-Denis qui commence,—ou finit,—à la Grande +Bou<span class="pagenum"><a name="page_252" id="page_252">{252}</a></span>cherie, c’est l’artère principale, de beaucoup la plus mouvementée, +le fleuve pas bien large pourtant recueillant sur son chemin bien des +affluents importants; c’est la grande route aussi. Tout ce qui vient des +provinces du Nord descend par cette longue rue après avoir franchi la +Bastille Saint-Denis, la porte la plus importante de l’enceinte +construite par Étienne Marcel et Charles V.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 293px;"> +<a href="images/illu-294.jpg"> +<img src="images/illu-294.jpg" width="293" height="316" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ANCIENNE FAÇADE DE LA MAISON DE NICOLAS FLAMEL, RUE DE +MONTMORENCY, 45, DONT IL NE RESTE QUE LA POUTRE A L’INSCRIPTION</p></div> +</div> + +<p>C’est le chemin des entrées triomphales, des réceptions solennelles de +rois et de reines. C’est par la porte Saint-Denis, pour ne citer que les +plus fameuses et les plus fastueuses de ces réceptions royales, +qu’entrèrent en la bonne ville de Paris l’empereur d’Allemagne Charles +IV, venant visiter le roi Charles V en 1378, la reine Isabeau de +Bavière, femme de Charles VI, qui apportait avec elle tant de malheurs +pour Paris et la France, les rois Louis XI, en 1461, et François Iᵉʳ en +1515, la reine Anne de Bretagne en 1504...</p> + +<p>Nous n’avons aucune idée des magnificences déployées en ces +circonstances, et notre époque, jusque dans ses fêtes, ignore +désespérément le pittoresque. Une fête<span class="pagenum"><a name="page_253" id="page_253">{253}</a></span> pour nous c’est plus ou moins de +sociétés musicales ou de gymnastique, plus ou moins de drapeaux et de +lanternes vénitiennes aux fenêtres, plus ou moins de soleils tournants +et d’étoiles filantes au feu d’artifice. Notre imagination, quand elle a +ajouté quelques mâts de cocagne à ce programme, est à bout.</p> + +<p>Le moyen âge déployait un peu plus de recherches de splendeurs, dans +toutes les réunions et solennités; aux grandes journées, nos aïeux +s’ingéniaient à relever la pompe de ces grands cortèges par tous les +moyens et à les égayer sur leur route par toutes sortes de +divertissements et d’intermèdes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 362px;"> +<a href="images/illu-295.jpg"> +<img src="images/illu-295.jpg" width="362" height="297" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>COUR DU COMPAS D’OR, RUE MONTORGUEIL</p></div> +</div> + +<p>Il n’y a qu’à ouvrir les vieux chroniqueurs pour en avoir maintes et +maintes preuves. La grande ville de Paris se tirait particulièrement +bien de ces occasions, les gros bourgeois donnaient de leurs personnes +dans les cortèges, les corporations, les quartiers cherchaient à se +distinguer, le menu peuple s’esbaudissait et comme chacun y allait tout +naïvement bon jeu bon argent, personne, malgré le penchant bien connu +des Parisiens à la raillerie, ne songeait à se moquer si quelque chose +du programme venait à clocher. La rue Saint-Denis avait donc le +privilège des cortèges royaux aux circonstances solennelles, après le +sacre, lors des<span class="pagenum"><a name="page_254" id="page_254">{254}</a></span> noces princières, ou autres joyeux événements, comme au +retour des campagnes victorieuses. Philippe-Auguste qui avait pavé notre +rue, fit son entrée triomphale au retour de sa campagne de Bouvines, +lorsque, au milieu d’une allégresse inouïe et de fêtes générales qui +n’en finissaient plus, il ramena le comte de Flandre Ferrand, son vassal +enfin vaincu, si bien enferré sur un chariot.</p> + +<p>Aux entrées princières, tous les carrefours, tous les parvis d’église, +tous les endroits où pouvait un instant stationner un cortège, +recevaient des décorations particulières, en quelque sorte comme les +reposoirs aux processions de la Fête-Dieu, et servaient de théâtre à des +divertissements particuliers. On y élevait des machineries à surprises, +des échafauds pour des représentations de mystères ou d’allégories, des +tréteaux pour jongleurs et jongleresses, des lices pour combats simulés; +on y dressait des tables bien garnies pour rafraîchir le cortège, tandis +que pour le populaire, les fontaines, au lieu d’eau, coulaient du vin ou +de l’hypocras.</p> + +<p>Quand l’empereur Charles IV vint faire visite à Charles V en 1378, le +prévôt de Paris, le chevalier du guet, le prévôt des marchands, les +échevins s’en furent au-devant de lui jusqu’à mi-chemin de Saint-Denis, +suivis de dix-huit cents bourgeois à cheval, vêtus de robes mi-partie +blanc et violet. A la Chapelle Saint-Denis l’empereur, qui voyageait en +litière parce qu’il avait été pris en route d’un violent accès de +goutte, quitta cette litière et se hissa sur un cheval noir richement +caparaçonné, envoyé par le roi.</p> + +<p>Le cortège se remit en marche et trouva, l’attendant en avant de la +porte Saint-Denis, le roi de France avec les ducs de Berry, de Bourgogne +et de Bar, les archevêques de Reims, de Rouen et de Sens, les évêques de +Paris, Laon, Beauvais, Noyon, Bayeux, des abbés de grandes abbayes, tous +à cheval, avec une quantité de seigneurs de la cour et d’innombrables +chevaliers. Le roi, vêtu d’une cotte hardie d’écarlate vermeille et d’un +manteau fourré, montait un grand palefroi blanc. Outre les hauts et +puissants seigneurs laïques et ecclésiastiques dessus dits, il était +accompagné de tous les fonctionnaires de la cour: chambellans, +chevaliers d’honneur, maîtres d’hôtel, écuyers, huissiers, pannetiers, +échansons, sommeliers en nombre, plus cinquante-deux valets de chambre +et soixante sergents d’armes, foule étincelante et chatoyante vêtue de +velours et de satins aux couleurs éclatantes. Pour juger de la +magnificence des costumes, il suffit de citer les queux et écuyers de +cuisine vêtus de houppelandes de soie et aumusses fourrées à boutons de +perles.</p> + +<p>Après que les monarques se furent salués, embrassés et complimentés, le +cortège se remit en marche et descendit la rue Saint-Denis dans l’ordre +suivant: trente sergents d’armes à pied tenant tout le travers de la rue +pour ouvrir le passage, ensuite les gens de l’empereur, huit cents +chevaliers de France avec un nombre infini d’écuyers, tous vêtus et +montés magnifiquement, le chancelier de France et les conseillers du +roi, le prévôt de Paris, le maréchal de Blainville à la tête des écuyers +du roi, la garde d’honneur de l’empereur composée de gentilshommes +français conduits par le seigneur de Coucy et le comte de Saar<span class="pagenum"><a name="page_255" id="page_255">{255}</a></span>bruck, +tous descendus de cheval, marchant en files serrées un bâton au poing et +entourant le roi et l’empereur. Après les huissiers d’armes à pied, +s’avançaient les frères du roi, le frère de l’empereur, une quantité de +seigneurs allemands et français; derrière ce groupe vingt chevaliers à +pied et vingt-cinq arbalétriers, puis les archevêques et les évêques, +les chevaux de parement du roi, tout le reste de la cavalcade, et pour +clore la marche, le prévôt des marchands, le chevalier du guet avec ses +archers et sergents et les bourgeois.</p> + +<p>Grâce aux bonnes mesures prises, le défilé de l’interminable cortège se +fit dans le plus grand ordre sans trop grande presse et sans accident, +au grand émerveillement des gens qui n’avaient vu «<i>telle ni si bonne +ordonnance de telle multitude</i>».</p> + +<p>La réception de la reine Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI, eut +un autre caractère que ce grandiose et chevaleresque défilé. C’était une +fête en même temps, une marche nuptiale coupée de réjouissances, et la +rue Saint-Denis vit ce jour-là passer dans le flamboiement des drapeaux +et des bannières, entre deux interminables murailles de tapisseries de +haute lisse, de verdures et de fleurs, et sous un ciel de draperies de +soies, un éblouissant cortège de nobles dames en grands atours, toutes +les princesses de la cour, toutes les femmes de la haute noblesse de +France.</p> + +<div class="figright" style="width: 189px;"> +<a href="images/illu-297.jpg"> +<img src="images/illu-297.jpg" width="189" height="324" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA FONTAINE MAUBUÉE, RUE SAINT-MARTIN. ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>Supposons-nous un instant dans une de ces maisons enguirlandées, +pavoisées de la base au faîte et garnie de spectateurs penchés sur +toutes les saillies, de têtes pressées à toutes ses ouvertures grandes +ou petites, aux larges fenestrages où pendent des tapisseries ou des +étoffes brillantes, et jusqu’aux lucarnes du toit.</p> + +<p>C’était le dimanche 20 août 1389. Sur le chemin de Saint-Denis se +tenaient douze cents bourgeois de Paris à cheval, vêtus de vert et de +vermeil. La reine Isabeau s’avançait en litière richement parée et +découverte, entourée des ducs frères du roi et de dix seigneurs de haut +rang à cheval, marchant au petit pas. Venaient ensuite la duchesse de +Berry sur un palefroi, <i>adextrée</i> de deux seigneurs, la duchesse de Bar +en litière, la duchesse de Bourgogne et la comtesse de Nevers,<span class="pagenum"><a name="page_256" id="page_256">{256}</a></span> la +duchesse de Touraine à cheval et une foule d’autres dames et damoiselles +en chars couverts ou sur palefrois galamment harnachés, des +gentilshommes, prélats et chevaliers en nombre, précédés de sergents +d’armes et d’officiers du roi, ouvrant la marche et très <i>embesognés</i>, +comme bien on pense, à percer la foule immense qui remplissait les rues +et les places.</p> + +<p>A la Bastille Saint-Denis, des enfants <i>appareillés en ordonnance +d’anges</i>, dans un ciel semé d’étoiles et d’armoiries, chantèrent au +passage du cortège <i>moult mélodieusement et doucement</i>. Des vins et +liqueurs coulaient de la grande fontaine monumentale qui se trouvait à +la hauteur de la rue Guérin-Boisseau, décorée pour ce jour de drap +d’azur semé de fleurs de lis et couverte d’écussons aux armes des hauts +et notables seigneurs; des jeunes filles aux riches costumes chantèrent +encore en l’honneur de la reine, et chantèrent si bien que, dit le +chroniqueur, «douce chose et plaisante était à l’ouïr!» Leur chant +terminé elles prirent hanaps et coupes d’or et présentèrent à boire des +vins de la fontaine aux nobles seigneurs du cortège.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 337px;"> +<a href="images/illu-298.jpg"> +<img src="images/illu-298.jpg" width="337" height="242" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES CHARNIERS DE L’ANCIEN CIMETIÈRE SAINT-PAUL (1895)</p></div> +</div> + +<p>A quelques pas de là, devant le moutier de la Trinité où peu après +s’établirent les Confrères de la Passion, il y eut grande représentation +théâtrale. On donnait <i>le pas du roi Saladin</i> avec une multitude de +personnages; après un compliment à la reine, des personnages +représentant les douze pairs de France et Richard Cœur de Lion +assaillirent une forteresse défendue par Saladin et ses Sarrasins, «et +là y eut par esbattement grande bataille qui dura une bonne espace».</p> + +<div class="figcenter" style="width: 397px;"> +<a href="images/illu-299.jpg"> +<img src="images/illu-299.jpg" width="397" height="565" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES PREMIÈRES BARRICADES AU TEMPS D’ÉTIENNE MARCEL</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_257" id="page_257">{257}</a></span></p> + +<p>A la deuxième porte Saint-Denis, dite Porte aux Peintres, ouvrant dans +l’enceinte de Philippe-Auguste, d’autres anges attendaient encore la +reine, dans un ciel constellé, mais ils avaient cette fois avec eux Dieu +le père, Dieu le fils et le Saint-Esprit. A l’arrivée du cortège, des +chants éclatèrent dans ce Paradis, il y eut belle séance de musique, +puis la porte du ciel s’ouvrit, deux anges descendirent des nuages et +vinrent poser sur la tête de la reine une belle couronne d’or garnie de +pierres précieuses, en lui chantant ces vers avant de remonter:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Dame enclose entre fleurs de lys,<br /></span> +<span class="i0">Reine estes vous de Paris,<br /></span> +<span class="i0">De France et de tout le pays.<br /></span> +<span class="i0">Nous en r’allons en Paradis.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 289px;"> +<a href="images/illu-301.jpg"> +<img src="images/illu-301.jpg" width="289" height="376" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA TOUR PETAUDIABLE, QUARTIER DE LA GRÈVE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_258" id="page_258">{258}</a></span></p> + +<p>A la chapelle Saint-Jacques, autre arrêt devant une haute chambre +encourtinée montée sur un échafaud où de grandes orgues faisaient +éclater leur musique. La plus grande station fut au Châtelet devant +lequel avait été élevé un castel de charpente avec tourelles «assez +fortes, dit Froissart, pour durer quarante ans,» et gardé à tous ses +créneaux par des hommes d’armes armés de toutes pièces. Au milieu sur un +lit richement paré était une femme représentant madame sainte Anne.</p> + +<p>En avant de ce castel, dans un espace fermé de palissades on avait +<i>planté</i> un petit bois, une garenne où se trouvait «grand foison de +lièvres, de lapins et d’oisillons, courant ou voletant dans la ramée». +Quand le cortège déboucha devant le Châtelet, un grand cerf blanc sortit +du bois et s’en vint devant le lit de justice de sainte Anne, comme pour +chercher asile contre les attaques d’un lion et d’un aigle qui le +suivaient de près. Alors parurent douze belles jeunes filles l’épée nue +à la main, qui se mirent devant le cerf pour repousser les +assaillants...</p> + +<p>La nuit était venue quand le cortège, arrêté à chaque rue par d’autres +jeux, parvint à la Cité, après avoir passé le pont Notre-Dame, couvert +entièrement d’un ciel de soie vermeille étoilée, et gagna la cathédrale, +du haut de laquelle, ainsi que fit plus tard Mᵐᵉ Saqui, s’envola un +acrobate qui, sur une corde tendue de la tour au pont aux Changeurs, +descendit en chantant et tenant de chaque main un cierge allumé.</p> + +<p>Louis XI à son tour, au début de son règne, fit par notre grande rue +Saint-Denis une entrée mémorable dans sa bonne ville de Paris, qu’il +avait très à cœur de s’attacher, en prévision des futures luttes qu’il +pressentait devoir bientôt soutenir contre les grands vassaux de la +couronne, ces princes trop rapprochés du trône, et dont l’ambition et +les compétitions funestes avaient causé tant de maux depuis cent ans. +D’autres entrées, bien mémorables pour d’autres causes, dans +l’intervalle avaient eu lieu: entrée du duc de Bourgogne, entrée des +Armagnacs, entrée des Anglais et enfin entrée par escalade avec rude +bataille par les rues, des troupes du roi de France arrachant Paris à +l’étranger. Il fallait faire oublier tout cela, rejeter dans l’ombre du +passé les vieux souvenirs des discordes, les maux soufferts, la longue +défiance de Charles VII contre Paris, défiance justifiée, il faut le +dire, par le vieil esprit de sédition couvant perpétuellement dans le +sein de la bonne ville si prompte aux colères.</p> + +<p>L’évêque de Paris, le Parlement, le prévôt de Paris, le prévôt des +marchands et les échevins tous vêtus de robes de damas fourrées de +martre, accueillirent le roi à son arrivée en avant de la Bastille +Saint-Denis, et le prévôt des marchands lui présenta les clefs de la +ville.</p> + +<p>Devant l’église Saint-Lazare dans le faubourg, dernière station avant +l’entrée, un héraut d’armes à cheval, splendidement costumé aux couleurs +et armes de la ville attendait le roi. Il prenait pour nom <i>Loyal cœur</i> +et présentait au roi, galante attention du corps de ville, cinq dames en +superbes atours montées sur de magnifiques chevaux, blasonnés à la nef +parisienne. Dans le costume de<span class="pagenum"><a name="page_259" id="page_259">{259}</a></span> chacune de ces dames se distinguait une +grande lettre richement brodée et les cinq lettres réunies formaient le +mot PARIS.</p> + +<p>Tous les princes et grands seigneurs du royaume, comme au sacre, +tenaient leur place dans le cortège royal et déployaient un luxe +extraordinaire. Dans cette étincelante chevauchée de princes se +remarquaient le fils de Jean sans Peur tué à Montereau, le vieux duc de +Bourgogne, Philippe le Bon qui allait, en cette occasion, éblouir les +Parisiens de son faste dans sa résidence de l’hôtel de Bourgogne et son +fils, le comte de Charolais, destiné à devenir plus tard le grand +adversaire de Louis XI, Charles le Téméraire.</p> + +<p>Au sommet de la porte Saint-Denis on avait construit une belle nef de +charpente argentée, la nef du blason de la ville, dans laquelle des +figurants costumés représentaient les trois états, clergé, noblesse et +tiers. Aux châteaux d’avant et d’arrière étaient deux personnages +allégoriques <i>Justice</i> et <i>Equité</i>, tandis que dans la hune du mât «qui +était en façon d’un lys» se voyait un roi que deux anges conduisaient.</p> + +<p>A l’entrée de la grande rue, la fontaine de la Reine jouait encore son +rôle dans la fête. Là se vit un combat d’homme et femme «sauvages» puis +«trois bien belles filles faisant personnages de sirènes toutes nues» +sortirent de l’eau du bassin et chantèrent quelques motets et +bergerettes au son des instruments. Le divertissement terminé les tuyaux +de la fontaine se mirent à jeter du lait, du vin et de l’hypocras pour +rafraîchir les seigneurs du cortège.</p> + +<div class="figright" style="width: 240px;"> +<a href="images/illu-303.jpg"> +<img src="images/illu-303.jpg" width="240" height="284" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA BARBE D’OR, RUE DES BOURDONNAIS</p></div> +</div> + +<p>Et la fête se continuait tout le long de la rue aux endroits accoutumés. +Les confrères de la Passion sur un échafaud, devant leur local du +moutier de la Trinité, représentèrent le mystère de la Passion, +Jésus-Christ sur la croix, entre les deux larrons. A la porte aux +Peintres autre représentation. Plus loin devant l’église des +Saints-Innocents, ce fut une chasse, une biche poursuivie par chasseurs +et chiens menant grand bruit d’abois et de trompes. A la Grande +Boucherie on avait élevé encore un château fort figurant la bastille de +Dieppe, jadis enlevée<span class="pagenum"><a name="page_260" id="page_260">{260}</a></span> d’assaut aux Anglais par Louis alors Dauphin, et +quand le roi passa il se livra un merveilleux «assault de gens du roy, à +l’encontre des Anglais qui furent prins et gagnez et eurent tous les +gorges coupées».</p> + +<p>Enfin au passage du cortège sur le pont au Change, tout fermé et tendu +d’un ciel d’étoffes brillantes, deux cents douzaines d’oiseaux de toutes +sortes s’envolèrent tout à coup, lâchés par les oiseleurs de Paris, +suivant leur coutume aux entrées, «pour ce qu’ils ont sur le dict pont, +lieu et place à jours de fête pour vendre les dicts oyseaulx».</p> + +<p>En d’autres circonstances d’autres cortèges au lieu de descendre la rue +Saint-Denis la remontaient. Notre rue était le chemin de l’abbaye royale +de Saint-Denis. Rois et reines qui avaient suivi ce chemin à cheval ou +en litière, pour leurs noces ou entrées joyeuses, un jour le reprenaient +couchés dans leur bière pour leur enterrement... Si on la descendait +joyeusement couronne en tête au commencement des règnes, aux retours du +sacre, au temps des belles espérances, souvent déçues, plus tard la +dépouille mortelle de ces rois tant acclamés refaisaient à rebours le +même chemin pour aller retrouver dans les caveaux de Saint-Denis les +ombres de leurs prédécesseurs.</p> + +<p>Autres circonstances, autres pompes et autres sentiments dans les cœurs +des assistants. C’était lentement, à la lueur des torches funèbres, que +le cercueil royal au sortir de Notre-Dame montait vers la porte +Saint-Denis, suivi par les princes, les prélats, les officiers royaux à +pied. Plus de fleurs, plus de guirlandes de verdure, plus de joyeuses +volées de cloches, mais au passage du cortège le glas funèbre sonné par +toutes les églises, à l’unisson du gros bourdon de Notre-Dame.</p> + +<div class="figleft" style="width: 127px;"> +<a href="images/illu-304.jpg"> +<img src="images/illu-304.jpg" width="127" height="529" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ARBRE DE JESSÉ RUE SAINT-DENIS (1895)</p></div> +</div> + +<p>Le cortège des funérailles de Charles VII peut donner une idée de ces +funèbres processions, la chronique de Jean de Troyes nous en donne le +détail: en avant du corps marchaient deux cents «povres personnes» en +robes et chaperons de deuil, portant torches armoriées de quatre livres +de cire; le corps suivait dans une litière portée par les officiers<span class="pagenum"><a name="page_261" id="page_261">{261}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 297px;"> +<a href="images/illu-305.jpg"> +<img src="images/illu-305.jpg" width="297" height="529" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PRESBYTÈRE DE SAINT-GERMAIN L’AUXERROIS. JOURNÉES DE +JUILLET 1830</p></div> +</div> + +<p class="nind">des gabelles de Paris, au-dessus de cette litière couverte d’un riche +drap d’or, se<span class="pagenum"><a name="page_262" id="page_262">{262}</a></span> voyait la <i>pourtraiture</i> en cire du roi Charles revêtue +de l’habit royal, couronne en tête et sceptre en main. Le duc d’Orléans, +le comte d’Angoulême, le comte d’Eu, Dunois, Jean Juvénal des Ursins, +grand chancelier, tous à cheval, menaient le deuil. Derrière eux, +marchaient six coursiers couverts de velours noir et montés par six +pages en habit de deuil, puis deux à deux et à pied tous les officiers +de l’hôtel royal, «tous vestus de deuil angoisseux».</p> + +<p>Mais indépendamment de ces journées exceptionnelles, la rue Saint-Denis +en temps ordinaire, avec la simple circulation habituelle dans le cadre +de la vie journalière, offrait par elle-même assez de variété d’aspects +pour intéresser et émerveiller l’étranger entrant dans Paris et le bon +bourgeois en flânerie. Certes tout a bien changé; il n’y a plus +d’occasion de spectacles extraordinaires aujourd’hui pour notre rue, et +sur tout le parcours règnent une uniformité de lignes générale et une +monotonie de détails répondant à l’uniformité de la vie. Ainsi passent +les gloires de ce monde.</p> + +<p>Où sont les beaux pignons ouvragés qui virent passer toutes ces choses +d’autrefois, les pignons à charpente en ogive, ou cintrées ou en +trèfles, les façades égayées de sculptures, quadrillées de pans de bois, +cherchant toutes à se diversifier par quelque irrégularité de structure +ou d’ornementation? On n’en retrouve plus guère de ces témoins de la +vieille gloire de la rue, quelques-uns çà et là, fort abîmés et comme +honteux parmi les lignes bien régulières des maisons neuves, ou parmi +d’autres qui ne sont que de vieilles personnes déguisées et fardées, +dissimulant leur âge sous des rhabillages trompeurs.</p> + +<p>Où sont les vieilles églises qui coupaient de distance en distance la +file des pignons laïques par un pignon plus ouvragé, le couvent de +moines ou de nonnes sur le compte desquels on aimait à médire en bons +voisins? Moutiers et églises sont tous tombés, sauf l’église +Saint-Leu-Saint-Gilles.</p> + +<p>Qu’est devenu le carrefour macabre des Saints-Innocents devant la porte +des Charniers? La joyeuse et si bien vivante rue Saint-Denis ne +s’offusquait pas du grand cimetière ouvert là, et qui la dévorait +génération après génération. Elle ne s’en attristait guère et acceptait +le voisinage avec la philosophie de l’habitude. Au temps de l’occupation +anglaise, époque de désastres et de tristesses, on y représenta pendant +des mois, sur un théâtre élevé dans le cimetière même et adossé aux +charniers, la grande Danse Macabre en costumes appropriés, la Mort +menant le branle des vivants, depuis le pape et le roi jusqu’au pauvre +gagne-deniers. D’août 1424 au carême suivant, ce spectacle fantastique, +dans ce décor si bien approprié, fit courir les Parisiens au grand +cimetière.</p> + +<p>Les galeries des charniers se remplissaient d’ossements déterrés, +enlevés à la terre dévorante pour faire vite place à d’autres. On +surélevait ces galeries en laissant aux maisons voisines la vue de +toutes ces têtes de morts empilées sur des tas d’ossements; n’importe, +les rez-de-chaussée des galeries pliant sous leur funèbre fardeau se +garnissaient de petites boutiques et d’échoppes vendant lingeries et +colifichets de mode.</p> + +<p>Bien rares sont devenues les maisons qui ont pu voir défiler ces +cortèges de<span class="pagenum"><a name="page_263" id="page_263">{263}</a></span> rois et de reines, considérer de tous leurs yeux, de toutes +leurs fenêtres grandes ouvertes, la belle Isabeau en joyeux atours et le +roi Louis XI somptueusement habillé, ce qui n’était guère son habitude, +passant à cheval sous un dais porté par les échevins. Il y en a une +pourtant au coin de la rue des Prêcheurs, une façade vieille, noire et +flétrie qui, sous ses rides, garde les traces des coquetteries de son +jeune temps. Vieux atours en triste état, hélas! Son poteau d’angle sur +la rue des Prêcheurs est un arbre de Jessé sculpté du haut en bas, +figuration en sculpture de la généalogie de Jésus-Christ. A la base est +le patriarche Jessé endormi, du sein de qui jaillit un tronc d’arbre qui +porte sur des rameaux étagés à droite et à gauche des statuettes de rois +de Juda et enfin la Vierge et le Christ.</p> + +<p>Le moyen âge aimait ce motif très décoratif, avec lequel il orna parfois +d’une façon originale les poteaux corniers des maisons de bois. Celui-ci +est fort abîmé l’usure et la poussière de cinq siècles ont altéré +considérablement la physionomie des personnages sculptés; notre temps +irrespectueux méconnaissant leur signification, ne voyant là qu’un arbre +avec des figurines informes perchées dans les branches, a infligé à la +maison le titre d’hôtel de l’Écureuil.</p> + +<div class="figright" style="width: 298px;"> +<a href="images/illu-307.jpg"> +<img src="images/illu-307.jpg" width="298" height="275" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENSEIGNE DU SOLEIL D’OR, RUE SAINT-SAUVEUR (CABARET ET +JEU DE PAUME)</p></div> +</div> + +<p>Quant à la rue des Prêcheurs qui devait son nom à quelque couvent et qui +débouchait autrefois aux piliers des Halles, presque devant le Pilori, +ce n’est plus qu’un bout de ruelle noire.</p> + +<p>Avant l’introduction du numérotage chaque maison avait son nom ou son +enseigne peinte ou sculptée, un signe quelconque marqué sur la pierre ou +le bois pour la désigner, et vraiment rien n’était plus amusant que +toutes ces appellations souvent originales.</p> + +<p>Certaines se répétaient bien des fois et se voyaient dans presque toutes +les rues. Les propriétaires dévotieux donnaient à leurs logis des +enseignes ayant un<span class="pagenum"><a name="page_264" id="page_264">{264}</a></span> caractère religieux, rappelant par le nom ou par un +attribut, soit le saint leur patron, soit la Vierge, soit un saint de +corporation ou particulièrement révéré dans le quartier. D’autres +enseignes se rapportaient au métier exercé ou ayant été exercé dans la +maison, un grand nombre enfin étaient purement fantaisistes, faisaient +allusion à un proverbe populaire, à un fabliau, étaient tirées d’une +idée comique ou satirique, d’une invention joviale.</p> + +<p>En voici quelques-unes parmi l’immense quantité de celles qu’on a pu +relever à Paris. Appellations religieuses: l’image Notre-Dame, en nombre +considérable, l’image Saint-Michel, l’image Saint-Louis, les Trois-Rois, +Saint-Nicolas, Notre-Dame de Liesse, Sainte-Catherine, Notre-Dame +d’Argent, Sainte-Véronique, Saint-Esprit, Saint-Fiacre.</p> + +<div class="figleft" style="width: 129px;"> +<a href="images/illu-308-a.jpg"> +<img src="images/illu-308-a.jpg" width="129" height="117" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE BON PUITS, ENSEIGNE RUE BEAUBOURG</p></div> +</div> + +<div class="figleft" style="width: 196px;"> +<a href="images/illu-308-b.jpg"> +<img src="images/illu-308-b.jpg" width="196" height="158" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENSEIGNE DE L’ENFANT JÉSUS, RUE DES BOURDONNAIS</p></div> +</div> + +<p>Appellations diverses: le Heaume, le Singe, le Cygne, la Couronne-d’Or, +le Bœuf-Couronné, le Cœur-Volant, le Croissant, le Lansquenet, la +Bouteille, l’Étoile, la Lune, la Hure-de-Sanglier, les Trois-Colombes, +l’Arbalète, le Coq et la Pie, la Corne-de-Cerf, le Grand-Cerf, le +Pélican, la Prison de Saint-Crépin, le Cheval-Blanc, le Sauvage, le +Griffon d’Or, la Licorne, les Quatre-Vents, le Bras d’Or, l’Écu de +France, les Trois-Chandeliers, le Chat qui pêche, la Truie qui file, la +Fleur de Lis, le Chat-Noir, le Lion d’Argent, l’Épée-de-Bois, le +Grand-Cerf, la Balance, la Croix-de-Fer, la Croix-de-Lorraine, les +Croix-Rouge, Blanche, d’Or ou Noire, les Trois-Entonnoirs, le +Fort-Samson, le Barbe-d’Or, la Tête-Noire, le More, l’Aigle, le +Singe-Vert, le Chapeau-Rouge, la Clef, la Pomme-de-Pin, les Deux-Écus, +les Trois-Maillets, la Limace, les Trois-Couronnes, les Deux-Anges, la +Rose-Blanche, le Gros-Chêne, le Chêne-Vert, le Moulinet-d’Or, le Faisan, +le Renard-Rouge, les Gros-Raisins, l’Ours, le Grand-Turc, la Clef-d’Or, +le Chaudron, le Pot-Cassé, l’Homme-Sauvage, l’Éléphant, le Sagittaire, +la Bonne-Femme, les Grenouilles, le Gril, le Barillet, le Papegaut, la +Cuiller, la Pelle, la Crosse, l’Entonnoir, l’Huis de Fer, la Grimace, la +Lamproie, la Nonnain qui ferre l’Oie, la Chicheface, le Pot-Cassé, la +Cage, l’Arbalète, l’Écrevisse, la queue de Renard, le Chevalier au +Cygne, l’Oriflant, l’Adventure, la Coste de Baleine, l’Échiquier, la +Galerie, la Gerbe-d’Or, la Chaste-Suzanne, le Grand-Lion, le Petit-Lion, +le Quatre-Fils Aymon, le Sabot, le Saumon, les Trois-Chandelles, la +Pomme-Rouge, la Femme-sans-Tête... M. Berty<span class="pagenum"><a name="page_265" id="page_265">{265}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 303px;"> +<a href="images/illu-309.jpg"> +<img src="images/illu-309.jpg" width="303" height="514" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA RUE DE LA FERRONNERIE. ASSASSINAT D’HENRY IV</p></div> +</div> + +<p class="nind">en a relevé quelques milliers, de maison en maison, en fouillant les +vieux titres,<span class="pagenum"><a name="page_266" id="page_266">{266}</a></span> les vieux registres des tailles, rien que pour les +quartiers de la Cité et du Louvre.</p> + +<p>Certaines de ces appellations étaient des enseignes d’hôtelleries qui se +sont perpétuées jusqu’à nous, souvent bien déchues, par malheur, et +devenues en leur vieillesse de simples auberges de rouliers. On est tout +surpris de rencontrer, au centre de Paris, aux endroits où les maisons +étroites et serrées, les façades à ventre renversé se disputent le +terrain, de vastes cours avec d’immenses hangars à gros poteaux de bois, +comptant leur âge par siècles, puis de sombres écuries sous d’antiques +bâtiments vermoulus, et là dedans les tas de fumier, les poules picorant +et caquetant comme en des cours de campagne...</p> + +<p>Jadis descendaient dans ces hôtelleries les gentilshommes de passage à +Paris, les riches bourgeois venus pour affaires, les gros marchands en +tournée d’achats. Des troupes de cavaliers, de seigneurs en carrosses, +des dames en litières s’arrêtaient sous cette voûte où les accueillait +l’hôte le bonnet à la main. Ces vieilles écuries ont logé des chevaux de +seigneurs venus pour les noces d’Isabeau, des coursiers de guerre aussi, +amenés par les partisans d’Armagnac ou de Bourgogne, les amis de +messieurs de Guise ou du prince de Condé.</p> + +<p>Ces années de jeunesse et de gloire sont loin, il n’y a plus dans ces +écuries et sous ces hangars que gros chevaux de roulage, camions, +charrettes, attelages de maraîchers ou de paysans des environs de Paris +apportant leurs légumes aux Halles.</p> + +<div class="figleft" style="width: 169px;"> +<a href="images/illu-310.jpg"> +<img src="images/illu-310.jpg" width="169" height="250" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ANCIENNE ENSEIGNE DE L’ORME SAINT-GERVAIS AUJOURD’HUI RUE +DU TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>Où sont les coches, les carrosses, berlines et chaises de poste qui +donnaient un tel mouvement à ces rues et remplissaient à certains jours +ces vastes cours de bruit et de mouvement. Au siècle dernier, du +Grand-Cerf, rue Saint-Denis, partaient les carrosses de Lille, de +Dunkerque, de Belgique et de Hollande, deux fois par semaine. D’autres +lignes en des auberges voisines avaient leurs remises et points de +départ. Les carrosses de Strasbourg partaient une fois par semaine de +l’hôtel de Pomponne, rue de la Verrerie, les carrosses de Dijon deux +fois par semaine, de Besançon, de Franche-Comté une fois par semaine, de +l’hôtel de Sens quand il cessa de loger les archevêques Senonnais et la +reine Marguerite; les carrosses d’Orléans, Tours, Bordeaux et la +Rochelle gîtaient rue Contrescarpe; ceux de Soissons, Laon et Reims rue +Saint-Martin.</p> + +<p>De ces auberges des siècles passés le Compas d’Or, rue Montorgueil, +bureau de roulages divers maintenant, ou le Cheval-Blanc, rue Mazet, +ancienne rue Con<span class="pagenum"><a name="page_267" id="page_267">{267}</a></span>trescarpe-Dauphine, peuvent nous donner quelque idée. +La vieille cour du Cheval-Blanc, forme un joli cadre pour une arrivée de +voyageurs du temps de Louis XIII et Louis XIV, si fanés que soient +aujourd’hui ses bâtiments qui furent des dépendances de l’hôtel des +archevêques de Lyon et où des vieux murs peut-être proviennent d’un +séjour de Navarre ayant appartenu à Jeanne de Navarre, femme de Philippe +le Bel.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 304px;"> +<a href="images/illu-311.jpg"> +<img src="images/illu-311.jpg" width="304" height="418" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ORME SAINT-GERVAIS</p></div> +</div> + +<p>C’est la vieille croisée de Paris naturellement qui eut la gloire de +voir passer les premiers omnibus, bien avant ceux que nous connaissons, +des omnibus du<span class="pagenum"><a name="page_268" id="page_268">{268}</a></span> <small>XVII</small>ᵉ siècle, création de M. Blaise Pascal, tout +simplement. Pascal avait eu l’idée de ces carrosses publics et, pour +commencer, une première ligne, une <i>route</i> comme on disait, avait été +établie du Luxembourg à la porte Saint-Antoine. Par prudence, pour +garantir les véhicules contre les malintentionnés, le Grand Prévost +avait, dans les premiers jours, fait monter un soldat dans chaque +voiture, mais la précaution fut inutile, les carrosses omnibus à cinq +sols, bien accueillis par tous, n’eurent à subir aucune insulte ni +attaque.</p> + +<p>On se rendit en foule, paraît-il, sur le Pont-Neuf et sur toute la route +pour les voir passer. Ils se suivaient assez rapidement, tous les +demi-quarts d’heure; la rue Saint-Denis devait avoir la deuxième <i>route</i> +établie, mais le roi en ayant exprimé le désir, aussitôt le succès +reconnu de la première ligne, on mit en service une ligne pour la porte +Saint-Honoré, passant devant le Louvre, et la rue Saint-Denis vint en +troisième.</p> + +<p>Les cochers de ces omnibus, raconte Mᵐᵉ Périer, la sœur de Blaise +Pascal, avaient pour uniforme des casaques bleues «aux couleurs du roi +et de la ville, avec les armes du roi et de la ville en broderies sur +l’estomac».</p> + +<p>Ce fut donc un grand succès, puis, la première curiosité passée, les +gens qui n’avaient pas de voiture à eux reprirent leur vieille habitude +de faire leurs courses à pied, sauf à prendre aux grandes occasions une +brouette ou une vinaigrette. Ces carrosses à cinq sous étaient +d’ailleurs établis dans de mauvaises conditions et secouaient +terriblement les huit voyageurs entassés dans leur caisse non suspendue. +L’institution tomba. Le temps n’était pas encore aux grands tramways ni +aux véhicules électriques.</p> + +<div class="figleft" style="width: 203px;"> +<a href="images/illu-312.jpg"> +<img src="images/illu-312.jpg" width="203" height="334" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA CROIX DU TRAHOIR</p></div> +</div> + +<p>La rue Saint-Martin dispute à la rue Saint-Fiacre l’invention des +voitures de place, moins démocratiques que les omnibus. Le nom de ces +véhicules leur vient-il de leur port d’attache à l’image Saint-Fiacre, +rue Saint-Martin, ou de ce que leur inventeur, le sieur Sauvage, +habitait la rue Saint-Fiacre, ou encore de ce que chaque voiture était +ornée du portrait du frère Fiacre, moine du couvent des<span class="pagenum"><a name="page_269" id="page_269">{269}</a></span> Augustins +déchaussés ou petits Pères, très célèbre au <small>XVII</small>ᵉ siècle? Petite +question qui reste douteuse.</p> + +<p>C’est l’an 1739 qui les vit rouler pour la première fois avec le +portrait du frère Fiacre collé sur la caisse. Les chaises à porteurs +existaient antérieurement. Dès 1617, un bâtard du duc de Bellegarde en +avait obtenu le privilège; c’était une invention anglaise et Londres en +voyait déjà circuler dans ses rues avec grand succès.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 369px;"> +<a href="images/illu-313.jpg"> +<img src="images/illu-313.jpg" width="369" height="428" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA FONTAINE ET LE MARCHÉ DES INNOCENTS EN 1830</p></div> +</div> + +<p>Il y eut bientôt dans Paris une vingtaine de places où les chaises +attendaient les clients. Outre les fiacres et chaises à porteurs, outre +les vinaigrettes, qui étaient des chaises montées sur une paire de +roues, tirées en avant par un homme et poussées derrière par un gamin, +il y eut encore aux deux derniers siècles une entreprise qui se +chargeait, non de véhiculer les Parisiens, mais seulement de les +escorter le soir en les éclairant<span class="pagenum"><a name="page_270" id="page_270">{270}</a></span> pour rentrer chez eux. C’étaient les +porteurs de falots, dont l’assistance n’était pas inutile à une époque +où, si les réverbères étaient ou tout à fait absents, ou très rares, les +détrousseurs, tire-laine, vagabonds, voleurs et assassins l’étaient un +peu moins. Mais nous aurons l’occasion de parler de ces falots plus +loin.</p> + +<p>Des vieux carrefours d’autrefois épargnés par le tracé des grandes voies +modernes qui ont découpé Paris en triangles réguliers, des carrefours +restés à peu près ce qu’ils étaient au temps jadis, il en reste bien peu +et seulement dans les rues tombées en misère. Et c’est seulement sur +ceux-là, pauvres malheureux carrefours aux façades déjetées et +squameuses, qu’aujourd’hui l’on juge les autres, ceux qui ont disparu, +ou dont il ne reste que le nom, s’appliquant maintenant à des devantures +neuves et clinquantes. La vieille mendiante édentée et chassieuse, +grognante et trognonnante, a peut-être été une jolie fille fraîche et +rieuse. La ruelle sordide a été blanche et gaie, le carrefour sombre où +débouchent des rues en corridors, hideuses et puantes, mal famées, mal +hantées, a pu être une jolie petite place à boutiques prospères, sur +laquelle tombaient, ainsi que des coulisses, des rues très éveillées, +versant l’animation et la vie.</p> + +<p>La grande rue Saint-Honoré qui forme la croisée de Paris, en rejoignant +assez difficilement, il est vrai, et par maints détours, la grande rue +Saint-Antoine, n’a pas moins de souvenirs que la rue Saint-Denis et à sa +brillante époque, elle offre encore plus de contrastes qu’elle. Ne +relie-t-elle pas les Tuileries de Catherine de Médicis, le Louvre de +Philippe-Auguste et Charles V au quartier non moins royal de Saint-Paul, +au Marais aristocratique, en passant par ces quartiers grouillants de +populaire des Halles et des Innocents, par le sombre Châtelet, par +Saint-Merry et la rue de la Verrerie?</p> + +<p>Elle avait pour commencement sous Philippe-Auguste la vieille porte +Saint-Honoré située à l’Oratoire du Louvre, laquelle fut reportée par +Etienne Marcel à la hauteur de la place du Carrousel. En arrière il n’y +eut jusqu’au <small>XVI</small>ᵉ siècle qu’un embryon de faubourg, et sur toutes les +buttes ou relèvements du sol, des moulins à vent, cette ancienne +couronne de moulins tournant joyeusement autour de Paris.</p> + +<p>La porte Saint-Honoré et la bastille Saint-Denis furent les deux points +d’attaque de Jeanne d’Arc quand elle essaya, en 1428, d’arracher Paris +aux Anglais. C’est ici qu’elle combattit elle-même et qu’elle reçut les +injures et les flèches non seulement des soudards anglais, mais encore +des Parisiens du parti de Bourgogne.</p> + +<p>Deux siècles après Jeanne d’Arc, la porte Saint-Honoré se trouvait +reportée encore plus à l’ouest, juste au travers de la rue Royale +actuelle, au point où commence aujourd’hui le faubourg,—auquel se sont +encore ajoutés depuis d’autres faubourgs et des villages soudés bout à +bout, des kilomètres de maisons sans interruption, ce qui reporterait +l’entrée de la rue Saint-Honoré au-dessus de Courbevoie.</p> + +<p>En attendant ces jours d’expansion formidable, choux et carottes +poussent encore sur l’emplacement de la place Vendôme, et des tuiles se +fabriquent encore réellement aux Tuileries. La rue Saint-Honoré, +aussitôt après les Quinze-Vingts et l’église Saint-Honoré, devient rue +de grand commerce; drapiers, fourreurs, orfèvres, rubanniers, étalent +leurs riches marchandises dans les boutiques des<span class="pagenum"><a name="page_271" id="page_271">{271}</a></span> rez-de-chaussée, +occupant quelquefois avec leurs apprentis logés en famille la maison +tout entière, ce qui n’est pas difficile, lorsque aux endroits très +serrés, aux bons carrefours, la maison pressée entre deux voisines n’a +que deux fenêtres de largeur, si ce n’est une.</p> + +<p>Aux abords des Halles se dresse dans la rue Saint-Honoré, au carrefour +de l’Arbre Sec, la croix du Trahoir ou du Tiroir, sur le nom de laquelle +on a bien disserté. De fondation très ancienne, la croix du Trahoir +avait dû déjà être plus d’une fois renouvelée, lorsque François Iᵉʳ dut +la refaire encore, en l’arrangeant comme couronnement d’une petite +fontaine octogone.</p> + +<p>Il est probable, suivant Berty et d’autres, que son nom lui vient de ce +que l’on <i>triait</i> ici les animaux amenés pour les boucheries voisines. +Cette explication étant trop simple, on allait jusqu’à voir dans la +croix du Trahoir ou Tiroir un souvenir du supplice de Brunehaut, le lieu +où s’était arrêtée la cavale farouche qui traînait attachée à sa queue +par les cheveux, par un pied et par un bras, le cadavre de la rivale de +Frédégonde, déchiquetée aux pierres et aux ronces du terrain. Comme le +supplice de Brunehaut n’eut pas lieu à Paris, la croix du Tiroir ne +pouvait en marquer la place.</p> + +<p>De même pour le nom de l’Arbre Sec. Son nom primitif devait être +l’Arbrissel, l’arbrisseau, enseigne d’une maison, on en avait fait +l’Arbre-Sec, un nom qui éveillait l’idée de la potence, arbre éminemment +sec bien qu’il porte souvent de très gros fruits; la confusion +d’ailleurs était justifiée par le voisinage de la croix du Trahoir où +s’exécutaient les arrêts de justice du territoire de +Saint-Germain-l’Auxerrois. Les appellations pittoresques abondent dans +le quartier, il se trouve entre la rue Tirechappe et la rue des +Bourdonnais le fief de chasteau Festu qui donnait son nom à cette partie +de la rue Saint-Honoré. Château-Festu, d’après les recherches de M. +Cocheris qui en a trouvé plusieurs dans le Paris du moyen âge, était un +nom ironique donné à d’antiques constructions branlantes et sans valeur.</p> + +<p>En arrière des maisons bourgeoises et commerçantes bordant la grande +voie passagère, quelques pignons et tourelles de nobles hôtels se lèvent +sur des jardins. Il y a là le grand hôtel jadis de Nesle, de Bohême, +puis d’Orléans, où la reine Catherine de Médicis bâtira l’hôtel de +Soissons. Au <small>XVI</small>ᵉ siècle, les Filles repenties en occupaient une partie, +laissant vides de grands logis avec hautes tours d’escalier sur la rue +de Guernelle ou Grenelle-Saint-Honoré qui devait devenir plus tard la +rue Jean-Jacques-Rousseau.</p> + +<p>Et la rue du Jour, qui va rejoindre la rue Montmartre, s’appelle alors +rue du Séjour. C’est un séjour royal, un logis de Charles V à l’angle de +la rue Montmartre; au <small>XVI</small>ᵉ siècle le séjour de Charles V fut transformé +en un bel hôtel Renaissance et il en demeure au numéro 25 de notre rue +du Jour, un superbe morceau dans la cour, une magnifique entrée +d’escalier encadrée de sculptures, surmontée d’une imposte fermée d’un +grillage en fer forgé aux initiales P. M.; il reste encore deux consoles +ayant jadis porté des bustes absents aujourd’hui, à côté d’une large +porte d’écurie également ornée de sculptures, sans compter çà et là +d’autres jolis détails épargnés lors des adaptations et +transformations.<span class="pagenum"><a name="page_272" id="page_272">{272}</a></span></p> + +<p>On retrouve ici les bouchers, la violente et redoutable corporation qui +opprima Paris dans le grand trouble bourguignon; près de la croix du +Tiroir est la boucherie de Beauvais, grande boucherie contiguë au marché +à la friperie des Halles. Les piliers des Halles commencent là sur la +rue de la Tonnellerie pour aller rejoindre les piliers de la place du +Pilori, en tournant autour de cet amas incohérent de bâtiments, maisons +et grands hangars qui constituent le grand marché où s’approvisionne la +ville.</p> + +<p>On se trouvait là au centre du mouvement, au confluent des grandes voies +qui sans cesse amènent des flots d’allants et venants, et justement, sur +ces points de rencontre, les grandes voies s’étranglaient en rues +tourmentées plus étroites, presque des ruelles, où le flux et le reflux +des passants se trouvait plus gêné.</p> + +<p>Par la rue de la Ferronnerie longeant le cimetière des Innocents ou par +des ruelles passant derrière Sainte-Opportune, il fallait gagner la rue +Saint-Denis, la descendre un instant et continuer par les rues des +Lombards et de la Verrerie. La rue de la Ferronnerie n’avait de maisons +que sur un côté, regardant en face, par-dessus le cimetière et les +galeries des charniers, les maisons de la rue aux Fers.</p> + +<p>On sait qu’il ne fallait pas plus d’une voiture arrêtée pour la barrer +complètement. Le 14 mai 1610, dans un encombrement causé par une voiture +de tonneaux et un fardier transportant des pierres, se trouva pris le +carrosse dans lequel Henri IV, avec quelques seigneurs, se rendait à +l’Arsenal pour faire visite à Sully malade, à la veille de partir pour +faire sacrer la reine Marie de Médicis à Reims, et de courir ensuite aux +armées rassemblées pour une grande guerre longuement méditée, qu’il +espérait faire aboutir à une paix bien assise, à une Europe remaniée et +mieux équilibrée, en entravant les puissances inquiétantes et en +achevant avec tous les matériaux français demeurés hors frontières +l’édifice d’une grande France.</p> + +<p>Le carrosse royal, robuste et large caisse à lourds ornements, fermé +seulement par des rideaux de cuir, dut s’arrêter dans l’étroite rue, +devant la maison d’un notaire nommé Poutrain. Comme les seigneurs +remplissant la voiture se penchaient pour découvrir la cause de la +presse, un homme surgit de l’ombre sous l’auvent d’une boutique, profita +de ce que l’escorte royale était rejetée en arrière, et sans opposition +de personne, put monter sur le moyeu d’une roue pour enfoncer un couteau +dans le flanc d’Henri IV.</p> + +<p>Le crime de Ravaillac favorisé par un vulgaire accident arrêtait tout. +Les armées déjà en branle reprenaient le chemin de leurs garnisons, le +grand projet était abandonné et les destins de l’Europe modifiés sans +doute.</p> + +<p>L’endroit précis où mourut <i>le Béarnais</i>, bon maçon qui recimenta +l’édifice national si lézardé, était près de la place aux Chats, à la +jonction des rues de la Chaussetterie et de la Ferronnerie, c’est-à-dire +sur un point enlevé par notre moderne rue des Halles, entre la rue des +Bourdonnais et la rue des Déchargeurs.</p> + +<p>Longtemps l’enseigne «Au bon roi Henri» avec un buste du roi sur la +façade de la maison du notaire Poutrain, subsista pour rappeler +l’événement qui changea probablement tant de choses; la transformation +du quartier des Halles a fait tomber cette maison et les trois quarts de +la rue. La Révolution avait supprimé</p> + +<div class="figcenter" style="width: 402px;"> +<a href="images/illu-317.jpg"> +<img src="images/illu-317.jpg" width="402" height="569" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA RECLUSE DU CIMETIÈRE DES INNOCENTS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_273" id="page_273">{273}</a></span></p> + +<p class="nind">le buste, et le commerçant occupant alors la maison avait mis, à la +place du roi, <i>le grand Marat</i> sur l’enseigne, d’autres disent même <i>le +grand Ravaillac</i>.</p> + +<p>Et rien maintenant ne remémore plus au Parisien qui passe ici que sur +tel ou tel point précis de son pavé le sang de Henri IV a coulé. +Laissons de côté toute idée politique et plaçons-nous au seul point de +vue historique: ne restituerait-on pas ainsi à nos rues une partie de +l’intérêt que la régularisation et le parti pris de l’uniformité leur +ont enlevé, si l’on rappelait par une pierre, une plaque, un petit +édicule, les faits plus ou moins importants dont elles ont été le +théâtre, si l’on s’efforçait de réveiller et de fixer autant que +possible ces traditions qui s’oublient, tant et tant de souvenirs qui se +perdent peu à peu?</p> + +<div class="figcenter" style="width: 292px;"> +<a href="images/illu-319.jpg"> +<img src="images/illu-319.jpg" width="292" height="390" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PILORI DES HALLES</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_274" id="page_274">{274}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 368px;"> +<a href="images/illu-320-a.jpg"> +<img src="images/illu-320-a.jpg" width="368" height="297" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CARREFOUR BRISE-MICHE ET TAILLE-PAIN. CLOÎTRE +SAINT-MERRY, 1832</p></div> +</div> + +<h3>II</h3> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-320-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">LE PUITS QUI PARLE +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>Chronique des rues et carrefours de Paris.—Le Puits d’amour, la +rue Pirouette et le Pilori des Halles.—Les rues de +métiers.—Quelques bourgeois parisiens d’il y a longtemps.—Vieux +noms de rues estropiés et dénaturés.—Noms bizarres.—Les rues à +mauvaise renommée.—Cabarets d’autrefois et vieilles enseignes.—La +Pomme de pin et les cabarets littéraires du <small>XVII</small>ᵉ siècle.—La +maison de l’amiral Coligny.—L’hôtel du chevalier du Guet.—Les +dernières tourelles de nos rues.—Les empoisonneurs.—Sainte-Croix +et la Brinvilliers.—La fontaine des Innocents.—Souvenirs du +carrefour de l’Arbre sec.—Les maisons de Molière.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">S</span>E découpant de la façon la plus irrégulière, au confluent de ces rues +étranglées et tortueuses, combien pittoresques étaient ces vieux +carrefours qui dans des perspectives pleines d’imprévu faisaient filer +les lignes de façades à pignons aigus. Ils n’avaient pas tous d’aussi +tragiques sou<span class="pagenum"><a name="page_275" id="page_275">{275}</a></span>venirs que celui de la Ferronnerie, mais il en était peu +qui n’eussent servi de théâtre à quelque épisode de commotion populaire +ou de farouche révolte, comme il était peu de pavés qui n’eussent, de +siècle en siècle, été soulevés pour défendre les quartiers derrière les +grosses chaînes d’Etienne Marcel tendues au travers des rues, ou pour +servir à confectionner les barricades de la Ligue et de la Fronde; pas +de ruisseaux qui n’eussent été rougis par des rigoles de sang aux traces +bien vite effacées.</p> + +<p>La chronique des rues de Paris avait aussi ses pages presque poétiques. +Que nous raconte par exemple ce vieux carrefour, qui existe encore au +centre d’un quartier assez noir, à l’intersection des rues de la Grande +et de la Petite-Truanderie, rues sombres et renfrognées aujourd’hui et +dont le vieux nom n’indique pas non plus un passé bien noble? Là, +jusqu’au siècle dernier, exista un vieux puits appelé le Puits d’amour. +La légende voulait qu’une jeune fille s’y fût jetée jadis par désespoir +amoureux. Au <small>XVI</small>ᵉ siècle le puits était à demi ruiné; un amant éconduit +par les parents de sa belle voulant donner raison à la légende, vint un +jour s’y précipiter. Par bonheur il en fut tiré avant la noyade complète +et seulement couvert de meurtrissures attendrissantes; les parents de la +jeune fille touchés de cette preuve de passion lui accordèrent la main +de son adorée et peu après, par reconnaissance, les mariés firent +réédifier le puits, avec quelques ornements sculptés encadrant un +distique:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">L’amour m’a refait,<br /></span> +<span class="i0">En 1525, tout à fait.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<div class="figright" style="width: 254px;"> +<a href="images/illu-321.jpg"> +<img src="images/illu-321.jpg" width="254" height="336" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE PUITS D’AMOUR, AU CARREFOUR DES RUES PETITE ET +GRANDE-TRUANDERIE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_276" id="page_276">{276}</a></span></p> + +<p>Un cabaret établi probablement de toute antiquité en ce carrefour à +l’angle des deux rues, mit le Puits-d’Amour sur son enseigne. Ce cabaret +vécut longtemps mais n’existe plus malheureusement, quand tant d’autres +prospèrent sous des enseignes moins jolies.</p> + +<p>A l’autre bout de la rue de la Grande-Truanderie se trouve encore +aujourd’hui un autre antique carrefour, curieux comme disposition de +maisons à ventres renversés, de pignons bien plantés, mais dont +l’appellation pittoresque de carrefour Pirouette rappelle de moins +gracieux souvenirs que le Puits-d’Amour.</p> + +<p>La rue Pirouette donne sur le côté des Halles centrales; jadis, du temps +que les Halles possédaient leur entourage irrégulier, mais continu, de +maisons à lourds piliers trapus, la rue Pirouette, comme distraction de +haut goût, regardait par toutes ses fenêtres le fameux pilori des +Halles. Tourelle gothique ouverte sur toutes ses faces, ce pilori +n’avait pas mauvaise tournure et n’était pas dépourvu d’ornements. Le +temps passé enjolivait jusqu’aux instruments de punition, les échelles +patibulaires quelquefois montraient un peu de style, le puissant gibet +de Montfaucon s’élevait monumental et le pilori des Halles déployait +quelque élégance.</p> + +<p>Le criminel quelconque amené au pilori avec tout un cortège de +magistrats à cheval et d’archers du Châtelet, était conduit à la +plate-forme ouverte de la tourelle, et là, le cou et les mains pris dans +un grand cercle de bois, tournait avec le plancher en montrant +successivement sa tête par toutes les ouvertures. De là, dit-on, le nom +de Pirouette donné à cette rue à qui l’on offrait assez souvent +l’occasion de prendre quelque amusement aux grimaces forcément +grotesques des pilorisés. C’est l’origine la plus probable de la +pittoresque appellation, bien que certains chercheurs prétendent aussi +que Pirouette serait une déformation du nom du fief de Thérouenne sur +lequel la rue fut bâtie, possession d’un évêque de Thérouenne, +archidiacre de Paris au <small>XIII</small>ᵉ siècle, étymologie un peu tirée à quatre +chevaux.</p> + +<p>Outre le Puits-d’Amour, quelques autres puits existaient sur la voie +publique. On en voyait un très beau sur la place du +Cloître-Saint-Germain l’Auxerrois, il y avait le puits de l’Abbaye au +marché Sainte-Marguerite devant Saint-Germain des Prés, le puits Certain +au carrefour des rues Fromentel et Charretière derrière Saint-Jean de +Latran, puits appelé du nom de celui qui l’avait fait édifier, Robert +Certain, curé de l’église voisine Saint-Hilaire; sur la rive gauche +encore, le <i>Puits qui parle</i> et le <i>Puits de l’Hermite</i>, qui ont laissé +leurs noms à des rues et qui, eux aussi, avaient leurs légendes.</p> + +<p>Le Puits qui parle, dans le faubourg Saint-Marcel près de la rue des +Postes, autrefois rue des Pots ou des Poteries, c’était tout simplement +un puits sonore, pourvu d’un écho sur lequel peu à peu s’étaient +établies des légendes dont le souvenir est assez confus, parmi +lesquelles il suffit de rapporter, d’après Charles Nodier, celle d’un +méchant mari qui, tourmenté par les caquets de sa femme, aurait jeté +celle-ci dans le puits.</p> + +<p>Évidemment cela de tout temps a bien pu suffire pour faire bavarder un +puits,<span class="pagenum"><a name="page_277" id="page_277">{277}</a></span> mais l’explication est trop ironique pour être la bonne et il +faut se contenter de celle d’un écho plus ou moins phénoménal.</p> + +<p>Quant au Puits de l’Hermite, il ne devait son nom à aucun ermitage, mais +seulement à un nommé Adam l’Hermite, tanneur de son état, à la maison +duquel il était adossé.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 248px;"> +<a href="images/illu-323.jpg"> +<img src="images/illu-323.jpg" width="248" height="437" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CARREFOUR BUCI, AVEC L’ESTRADE DES ENROLEMENTS EN 1792.</p></div> +</div> + +<p>Si pour bien des rues la bizarrerie des noms provient de lentes +déformations,<span class="pagenum"><a name="page_278" id="page_278">{278}</a></span> il y a néanmoins dans la simple nomenclature des +anciennes rues de Paris, à recueillir des vestiges plus ou moins +embrouillés de vieilles légendes, à glaner des indications de toute +sorte, des renseignements topographiques et des souvenirs historiques, +et même quelques dernières traces de vieilles familles parisiennes qui +tinrent grande place jadis, évocations d’antiques bourgeois étonnés de +voir leurs noms traverser les siècles.</p> + +<p>Beaucoup de corps de métiers avaient eu jadis une tendance à se grouper +sur certains points; cet usage présentait évidemment des avantages pour +les marchands et les vendeurs, et répondait à de vieilles habitudes; les +acheteurs avaient ainsi sous la main des points de comparaison et +pouvaient faire leur choix plus facilement dans ces rues qui tiraient +leur nom des professions exercées.</p> + +<p>C’est ainsi que nous trouvions et que nous trouvons encore en partie +autour des Halles, la rue de la Tonnellerie, dont la ligne de piliers se +continuait jusqu’à la rue Pirouette, la rue de la Cordonnerie, la rue de +la Cossonnerie ou Poulaillerie, la rue de la Poterie, les rues de la +Lingerie, de la Chaussetterie, la rue de la Ferronnerie faisant pendant +à la rue aux Fers, jadis aux Febvres, de l’autre côté du grand cimetière +des Innocents; la rue des Déchargeurs, ces ancêtres des forts de la +halle, plus loin les rues de la Coutellerie, jadis Guignoreille, de la +Vannerie, de la Tissanderie, de la Verrerie, de la Savonnerie, de la +Tannerie, le quai de la Mégisserie, dit aussi de la Ferraille, la rue +puis le quai des Orfèvres, etc. Mais de bonne heure, paraît-il, suivant +les recherches faites par les fouilleurs du passé dans les registres des +tailles, ces métiers réunis s’étaient disséminés et les noms seuls +étaient restés à ces rues spéciales, sauf pour les marchands autour des +Halles et du Châtelet.</p> + +<div class="figleft" style="width: 130px;"> +<a href="images/illu-324.jpg"> +<img src="images/illu-324.jpg" width="130" height="300" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>MAISON DE NICOLAS FLAMEL RUE DES ÉCRIVAINS DÉMOLIE POUR +LE SQUARE SAINT-JACQUES LA BOUCHERIE</p></div> +</div> + +<p>La rue des Lombards nous reporte au <small>XII</small>ᵉ siècle et nous rappelle ces +négociants et changeurs originaires presque tous d’Italie, venus établir +leurs boutiques dans toutes les villes populeuses et commerçantes, pour +faire le change ou se livrer à tous les commerces de l’argent. +Quelques-uns de ces banquiers prêtaient sur gages et faisaient l’usure, +ce qui n’amenait pas beaucoup de sympathies à la corporation. Lombard +était alors souvent synonyme de Juif, et dans les séditions populaires +les boutiques et les coffres de ces marchands d’argent couraient +quelques risques.</p> + +<p>Ce qui reste de la rue des Lombards a changé de commerce et semble voué<span class="pagenum"><a name="page_279" id="page_279">{279}</a></span> +surtout aux produits pharmaceutiques, où déjà les enseignes de +droguerie, les <i>Barbe d’or</i>, les <i>Mortier d’or</i> ont plus d’un siècle +d’âge.</p> + +<p>A côté des souvenirs des vieilles corporations, des noms d’antiques +bourgeois de temps fort lointains surnagent dans l’immense Paris de +leurs arrière-descendants, appliqués encore, après bien des siècles, aux +rues qu’ils ont habitées et qu’ils ne pourraient guère reconnaître. +Cette longue gloire posthume refusée à tant de gens importants dans leur +temps, et dont le souvenir s’éteint sous des couches successives +d’autres gens non moins importants, le boulanger Quiquetonne la connaît; +il faisait sans doute d’excellent pain blanc, mais à quelle époque? La +rue s’appelle encore rue Tiquetonne de son nom à peine estropié. C’est +aussi un boulanger sans doute qui fut le parrain de la rue +Jean-Pain-Mollet; celle-ci a perdu ses droits séculaires de bourgeoisie +de nos jours seulement, lorsque la rue de Rivoli, la rencontrant sur son +chemin, l’avala d’une bouchée.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 251px;"> +<a href="images/illu-325.jpg"> +<img src="images/illu-325.jpg" width="251" height="246" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PIGNON DE LA RENAISSANCE RUE DU DRAGON</p></div> +</div> + +<p>Les Bourdon, Adam et Guillaume, furent au <small>XIII</small>ᵉ siècle de notables +bourgeois et commerçants qui, sans doute, perpétuèrent quelque temps +leurs boutiques et leur lignée; leur rue s’en appelle encore rue des +Bourdonnais. Pierre Coquillier, riche bourgeois du <small>XII</small>ᵉ siècle, survit +depuis sept cents ans, grâce à la rue Coquillière, qui, au <small>XVI</small>ᵉ siècle, +aboutissait à un moulin sur le rempart, à peu près où se trouve +aujourd’hui la Banque de France.<span class="pagenum"><a name="page_280" id="page_280">{280}</a></span></p> + +<p>Jusqu’aux dernières démolitions de la Cité, la rue Cocatrix garda le nom +de Geoffroy Cocatrix, échanson de Philippe le Bel. De même pour Jehan +Tison et Jehan Lantier ou Jehan Lointier, Aubry le Boucher, +Guérin-Boisseau ou Guérin-Boucel, Simon le Franc, Pierre Sarrazin, +Geoffroy l’Angevin, Bertin Poirée ou Porée. Guillot dans son <i>Dict des +rues de Paris</i> parle de tous:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Emprès la rue Jehan Lointier<br /></span> +<span class="i0">Là ne fus-je pas trop lointier<br /></span> +<span class="i0">De la rue Bertin Porée...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Ces braves gens ne furent pourtant point des seigneurs importants, de +hauts personnages ou des échevins, mais tout simplement de bons +bourgeois, des commerçants ouvrant boutiques achalandées dans ces rues +qu’ils baptisèrent et leurs noms ont traversé les siècles.</p> + +<p>Pierre Oilard, bourgeois de Paris, eut moins de chance, son nom donné à +sa rue se transforma en Pierre au Lard, à cause, dit-on, du voisinage +d’un marché aux pourceaux qui amena la confusion. De même le nom de +Jehan Portevin, autre bourgeois, a subi une altération aussi sensible, +sa rue étant avec l’âge devenue la rue Portefoin.</p> + +<p>En ces temps où les noms des rues n’étaient point fixés <i>ne varietur</i> +par des plaques, les fantaisies de la langue et de l’oreille les +dénaturaient facilement et il est curieux de suivre les variations +successives de certaines appellations en parcourant les anciens plans. +Amenées par la mauvaise prononciation, ces modifications ont parfois été +un peu fortes; qui retrouverait par exemple dans la rue Boutebrie, le +nom primitif d’Érembourg ou Éremburge de Brie. Parallèle à la <i>grant rue +de la Harpe</i>, cette voie si importante du quartier latin, on la trouve +appelée rue du Bout-de-Brie sur le plan Truschet et Bourg-de-Brie sur le +plan Gomboust.</p> + +<p>Le collège de Maître Gervais y faisait le coin de la rue du +Foin-Saint-Jacques; en face, à l’autre coin, une reine douairière de +France y avait un hôtel. Quelle était cette reine? On ne le sait plus +guère. Le logis s’appelait l’hôtel de la reine Blanche, nom sous lequel +étaient aussi connues plusieurs autres maisons dans Paris. Comme les +reines de France portaient au moyen âge leur deuil en blanc, la reine +veuve devenait pour le populaire la reine Blanche. Ensuite, la reine +douairière disparue à son tour, la légende faisait du logis qu’elle +avait habité un séjour de la reine Blanche de Castille. C’est ainsi que +la mère de saint Louis a été gratifiée de tant de sombres pâtés de vieux +murs perdus dans les antiques quartiers.</p> + +<p>L’hôtel de la rue Boutebrie, dans tous les cas, ne remontait pas plus +loin que le <small>XVI</small>ᵉ siècle. On y voyait une très élégante petite porte +Renaissance ornée d’un écusson aux trois croissants de Diane entrelacés, +marque énigmatique évoquant Catherine de Médicis ou Diane de Poitiers. +Le boulevard Saint-Germain a emporté le logis et l’énigme avec bien +d’autres choses.</p> + +<p>La rue Sac-à-Lie de la paroisse Saint-Séverin, ruelle sordide hantée +sans doute<span class="pagenum"><a name="page_281" id="page_281">{281}</a></span> par les ivrognes, qui ne pouvaient pourtant s’y étendre sans +toucher les façades d’un côté avec la tête et celles de l’autre côté +avec les pieds, a transformé, honteuse de son vilain nom, Sac-à-Lie en +Zacharie, nom très présentable qu’on a étendu à la rue des +Trois-Chandelles.</p> + +<p>La rue aux Oües, ou aux Ouches, c’est-à-dire aux Oies, appellation due à +de nombreuses hôtelleries qui répandaient dans son atmosphère le parfum +des oies à la broche, est devenue la rue aux Ours, ce qui est bien de +l’ingratitude pour les excellentes volailles dépossédées au profit +d’Ours qui n’ont jamais eu rien à faire ici. Rien que le nom de rue aux +Oües faisait venir l’eau à la bouche d’un Parisien des vieux temps, +songeant aux bons repas qui s’y préparaient. Hélas! ces rôtisseries et +ces hôtelleries ont depuis longtemps éteint leurs fourneaux, et la rue +elle-même est réduite à peu de chose.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 365px;"> +<a href="images/illu-327.jpg"> +<img src="images/illu-327.jpg" width="365" height="349" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES PILIERS DES HALLES ET L’ÉGLISE SAINT-EUSTACHE</p></div> +</div> + +<p>La rue de l’Autruche, par une non moins étrange transformation, s’est +appelée la rue d’Autriche. Les bourgeois de celle-ci n’étaient pas des +moindres, puisqu’elle passait entre le Louvre et l’hôtel de Bourbon; +elle ne disparut qu’avec la transformation du Louvre sous Louis XIV.<span class="pagenum"><a name="page_282" id="page_282">{282}</a></span></p> + +<p>La rue des Prouvaires qui arrive à Saint-Eustache, c’est la rue des +Prêtres ou des Prieurs, prouvaires en vieux français. Au <small>XV</small>ᵉ siècle, le +roi de Portugal Alphonse V étant venu à Paris pour intéresser Louis XI à +sa querelle avec l’Aragon, le roi ne daigna pas lui offrir gîte chez +lui, il le logea chez Laurent Herbelot, riche marchand épicier de la rue +des Prouvaires. De même qu’il traitait son hôte avec assez peu de façons +quant au logement, Louis XI ne se ruina pas non plus en fêtes pour le +divertir; il lui offrit la réjouissance d’une belle plaidoirie au +Palais, suivie de réceptions de docteurs en théologie et, pour couronner +le tout, le régala, pour la veille de son départ, d’une grande +procession de l’Université, recteurs, suppôts, massiers, escholiers +défilant sous les fenêtres d’Alphonse, rue des Prouvaires.</p> + +<p>La rue Greneta était au <small>XIII</small>ᵉ siècle la rue Darnetal, du nom d’un +bourgeois, Pierre Darnetal, ainsi transformé à la longue.</p> + +<p>La rue Bourgthibourg était primitivement le Bourg Thiébault, comme +Vaugirard était Valgérard, de Gérard de Moret, abbé de +Saint-Germain-en-Laye, lequel y construisit un hospice au <small>XIII</small>ᵉ siècle. +La rue Fer-à-Moulin, Fer-de-Moulain au <small>XVI</small>ᵉ siècle, s’appelait +auparavant Permoulin, du nom d’un de ses habitants.</p> + +<p>Pour la rue Gît-le-Cœur, il n’y a point à chercher sous le nom ainsi +orthographié quelque légende terrible et sanglante, il faut choisir +seulement entre deux parrains, l’un aristocratique, Gilles Cœur, un des +fils de Jacques Cœur, l’argentier de Charles VII, et l’autre très +démocratique: Gilles Queux, maître queux, cuisinier ou rôtisseur, ce +dernier beaucoup plus probable. Forgier l’Asnier est devenu Geoffroy +l’Asnier, pour une petite voie très pittoresque de la paroisse +Saint-Gervais.</p> + +<div class="figleft" style="width: 147px;"> +<a href="images/illu-328.jpg"> +<img src="images/illu-328.jpg" width="147" height="448" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE LA RUE DU JARDINET DÉMOLIE POUR LE BOULEVARD +SAINT-GERMAIN</p></div> +</div> + +<p>Pour Quincampoix, enseigne de la rue fameuse par le coup de folie de la +Régence, c’était vers le <small>XIII</small>ᵉ siècle, la rue Quiquenpoit ou +Quiquenpoix, mot bizarre dénaturant le nom d’un lointain gentilhomme +breton, possesseur d’un logis dans ce riche et bruyant quartier entre +les deux grandes rues Saint-Denis et Saint-Martin, comme plus tard un +autre gentilhomme breton verra pour<span class="pagenum"><a name="page_283" id="page_283">{283}</a></span> son hôtel de la culture +Sainte-Catherine son nom de Ker-Nevenec, trop dur à prononcer pour des +lèvres parisiennes, transformé en Carnavalet.</p> + +<p>La rue Cassette n’a dans ses souvenirs aucune histoire de trésor, son +nom vient d’un hôtel <i>de Cassel</i> connu au <small>XVI</small>ᵉ siècle. La rue du Jour +était, nous l’avons dit, la rue du Séjour, à cause du manoir ou séjour +bâti par Charles V.</p> + +<p>Qu’était le Thibaut dont le nom survécut longtemps dans la rue +Thibautodé? Était-ce Thibaut Odet, argentier ou financier, ou bien +Thibaut Todé, ou encore Thibaut aux Dez, du nom du patron de quelque +cabaret fameux hanté par les joueurs, avant le <small>XIII</small>ᵉ siècle, puisque +Guillot la cite? Qui le sait maintenant? Cette rue, confondue +aujourd’hui avec la rue des Bourdonnais, était toute proche de la rue de +Béthisy où mourut Gaspard de Coligny, derrière l’ancien hôtel des +monnaies, abandonné en 1778 pour l’hôtel du quai Conti, la <i>Vieille +Monnaie</i>, antique établissement dont survivent peut-être quelques bouts +de muraille au fond des cours, à côté d’autres débris des Greniers à sel +qui les avoisinaient sur la rue Saint-Germain-l’Auxerrois.</p> + +<p>Le nom de la rue de la Grange-Batelière nous fournit un autre exemple de +transformation bizarre. Cette grange était une ferme de campagne, hors +des murs, entre Montmartre et Paris, un carré de bâtiments bien fermés, +avec son colombier au milieu; on la voit sur le plan Truchet de 1550, +non loin des Porcherons et du château du Coq, petit château à tourelles +bâti par Jean Bureau, le vieux maître de l’artillerie de Charles VII.</p> + +<p>Le ruisseau de Ménilmontant coulait au pied de la Grange-Batelière et +descendait au château du Coq, auquel il fournissait de l’eau pour le +fossé baignant les bâtiments. Louis XI, à une entrée solennelle dans +Paris, s’arrêta au manoir du Coq. Les Porcherons n’étaient qu’une +dépendance du château, une vraie ferme avant de devenir les fameuses +guinguettes où le <small>XVIII</small>ᵉ siècle galant et joyeux vint se divertir.</p> + +<p>La ferme de la Grange-Batelière, comme la plupart des fermes de +campagne, était pourvue de quelques échauguettes et percée de +meurtrières sur son pourtour. C’était la Grange <i>bataillée</i> dont on fit +<i>batelière</i> plus tard, bien que jamais le ruisseau de Ménilmontant, +facile à franchir d’un saut, n’eût porté barques ni bateliers, une +petite arche de pont ou quelques planches suffisant très bien pour le +passer.</p> + +<p>Un des plus curieux exemples d’altérations de noms, c’est celui fourni +par la rue du Petit-Musc. Qui donc irait chercher là-dessous la rue +<i>pute-y-muce</i> ou <i>muche</i> du moyen âge? Nom provenant soit d’une voirie +puante, soit d’un séjour de filles de joie. Le changement est heureux au +point de vue des convenances si les mœurs de la rue lui avaient valu +cette étiquette grossière; il devient d’une ironie amusante si le nom +était dû soit à un égout, soit à l’un des trous punais, réceptacles +d’ordures que l’on trouvait aux endroits écartés.</p> + +<p>Guillot, dans son <i>Dict des rues de Paris</i> de la fin du <small>XIII</small>ᵉ siècle, a +pris soin de signaler toutes les rues spécialement habitées par</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">... Dames o cors gent<br /></span> +<span class="pagenum"><a name="page_284" id="page_284">{284}</a></span></div></div> +</div> + +<p class="nind">toutes les rues à clapiers, tous les quartiers des femmes et filles +<i>folles de leurs corps</i>. Et Dieu sait s’il y en avait, à l’en croire, du +Val d’amour de Glatigny à la Truanderie grande ou petite.</p> + +<p>La rue du Petit-Musc dut transformer son nom de bonne heure, dans ce +quartier aristocratique de Saint-Paul et des Tournelles. Il reste en un +coin du Paris moderne, dans la rue Geoffroy-Lasnier, une impasse +Putigneux fort ancienne dont le nom doit avoir une origine aussi peu +recommandable.</p> + +<p>D’autres rues, il faut l’avouer, arboraient avec une franchise brutale, +et sans rougir le moins du monde, des appellations triviales encore plus +grossières, parmi lesquelles on ne peut guère citer que la rue +<i>Tireboudin</i> à laquelle on a donné le nom de Marie-Stuart au +commencement de notre siècle, la rue <i>Troussenonnain</i>, changée en +Transnonnain et débaptisée tout à fait en 1850, pour éteindre le +souvenir du farouche égorgement de 1832, entre soldats et insurgés. Il y +avait aussi une rue <i>Troussevache</i>, allant du coin du cimetière des +Innocents à la rue des Cinq-Diamants; ce qu’il en reste maintenant a +pris le nom de M. de la Reynie, le fameux lieutenant de police de Paris +sous Louis XIV. C’est rue Troussevache que le connétable de Montmorency +fit au cardinal de Guise la belle peur que nous avons racontée plus +haut.</p> + +<p>Pour l’amour du pittoresque il ne faut pas oublier la rue <i>Orde</i>, le +plus propre de tous les noms donnés à quelques voies réputées pour leur +saleté; la rue <i>Maubuée</i> qui fait supposer aussi de très mauvaises +odeurs, deux ou trois rues dites <i>Pavées d’andouilles</i>, probablement +pour quelques porcheries; les noms impliquant quelque mauvaise renommée +comme les rues <i>Maudétour</i>, <i>Mauvoisin</i>, <i>Mauconseil</i>, des +<i>Mauvais-Garçons</i>, des <i>Mauvaises-Paroles</i>; les carrefours à mauvaise +réputation hantés par les tirelaines: la rue <i>Coupe-Gueule</i>, la rue +<i>Vide-Gousset</i>, la rue <i>Tirechappe</i>, ainsi nommée de ses fripiers +toujours sur le pas de leur échoppe à guetter les clients et les tirant +par la manche pour leur vanter les belles friperies, les vêtements neufs +ou d’occasion suspendus aux étalages.</p> + +<p>Quant au vieux nom de Baudoyer, appliqué d’abord à une porte de +l’enceinte antérieure à Philippe-Auguste au-dessous de Saint-Gervais, +puis à la porte de l’enceinte de Philippe-Auguste reportée plus loin +devant l’église Saint-Louis-Saint-Paul,—nom resté à la place que +l’orgueilleuse rue de Rivoli traverse entre la caserne Lobau et la +mairie du IVᵉ arrondissement,—son origine, si lointaine et si obscure, +permet d’échafauder toutes les suppositions et prête aux plus savantes +dissertations. Pour beaucoup, la vieille porte Baudet ou Baudoyer est la +porte des Bagaudes, ces paysans gaulois insurgés qui tentèrent de +secouer le joug romain quand déjà, depuis deux ou trois siècles, les +villes étaient romanisées. Mais il vaut mieux avouer que l’on ne sait +rien de certain sur l’origine du nom, et se contenter de constater la +célébrité parisienne de l’endroit, rendez-vous pendant de longs siècles +des oisifs et des badauds, venant, en prenant l’air hors des murs, se +conter les nouvelles de la ville, c’est-à-dire <i>baguenaudant</i>, vocable +assez cousin de <i>bagaude</i>, si bagaude vient de <i>bagad</i>, qui voudrait +dire en Celte attroupement.<span class="pagenum"><a name="page_285" id="page_285">{285}</a></span></p> + +<p>Et combien d’indications topographiques, de points de repère historiques +nous sont conservés par les noms des rues, combien de vieux souvenirs +surgissent sur la simple vue d’une plaque indicatrice à l’angle d’un +carrefour, lequel bien souvent, trop radicalement transformé et +modernisé, n’a plus que cela pour frapper l’esprit.</p> + +<p>Des nombreuses rues ou places du <i>Cloître</i> il ne reste plus que trois ou +quatre indiquant les cloîtres Saint-Merry, Notre-Dame et Saint-Honoré, +c’est-à-dire les places formant enceinte fermée devant ces églises; mais +beaucoup d’autres noms rappellent des églises ou des monastères +supprimés. Toutes les pierres en ont disparu, c’est à peine si quelques +fragments sculptés ont pu être retrouvés et portés à Cluny, mais ces +églises, dont il ne subsiste qu’un vague souvenir, continuent à dénommer +le quartier jadis serré à leurs pieds.</p> + +<p>Pour les lignes de rempart ayant successivement enfermé la ville, à +défaut des tours disparues, nous en retrouvons parfois la configuration +dans certaines rues qui suivent le tracé des anciens fossés et qui +longtemps en ont gardé le nom; nous avons encore les rues des +Fossés-Saint-Bernard, des Fossés-Saint-Jacques et des +Fossés-Saint-Marcel, mais on n’a fait que changer les noms des fossés +Montmartre, Saint-Germain des Prés, Sainte-Geneviève, Saint-Victor, +Saint-Martin, etc.</p> + +<div class="figright" style="width: 193px;"> +<a href="images/illu-331.jpg"> +<img src="images/illu-331.jpg" width="193" height="382" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE LA RUE DU COQ EN GRÈVE DÉMOLIE VERS 1850</p></div> +</div> + +<p>Les rues Culture-Sainte-Catherine, Couture-Saint-Gervais, marquent la +place des jardins maraîchers d’autrefois appartenant au couvent de +Sainte-Catherine et à l’hôpital Saint-Gervais, comme la rue du Chaume, à +côté, rappelle les champs de blé du <small>XIII</small>ᵉ siècle, avant la poussée des +hôtels seigneuriaux; comme la rue du <i>Parc Royal</i>, au quartier du +Marais, fait surgir le souvenir du parc de ce palais des Tournelles où +mourut Henri II; comme les rues des Jardins-Saint-Paul, Beautreillis, de +la Cerisaie, évoquent d’autres jardins royaux, ceux du vieil hôtel<span class="pagenum"><a name="page_286" id="page_286">{286}</a></span> +Saint-Paul où <i>s’esbattirent</i> sous les ombrages et les treilles, rois, +reines et princes des temps troublés du <small>XIV</small>ᵉ siècle, où ils reçurent les +tumultueuses et terribles visites des Maillotins, des milices d’Étienne +Marcel et des Cabochiens, ainsi que plus tard, en d’autres jardins +royaux, passèrent les bandes guisardes de la Ligue, les Frondeurs mêlés +de grands seigneurs et de duchesses jouant avec l’émeute, les masses +terrifiantes des sectionnaires de 92, puis les gardes nationales du <small>XIX</small>ᵉ +siècle...</p> + +<p>Si nous voulons des souvenirs plus lointains, les rues du Cendrier, de +Lourcine, <i>locus cinerum</i> et la Tombe-Issoire sont encore là pour +rappeler de très anciens cimetières des périodes gallo-romaine et +mérovingienne. Toute la région sur les confins des quartiers +Saint-Marcel et du Val-de-Grâce fut un lieu de sépultures. La Lutèce des +premiers siècles éparpillait à la mode romaine ses tombeaux le long des +chemins. Sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève de nombreux +sarcophages ont été découverts, quelques pierres avec inscriptions sont +allées à Cluny; le Paris mérovingien et carolingien continua à envoyer +ses morts ou leurs cendres dans cet immense champ de repos.</p> + +<div class="figleft" style="width: 197px;"> +<a href="images/illu-332.jpg"> +<img src="images/illu-332.jpg" width="197" height="404" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE LA RUE SAINT-PAUL (1895)</p></div> +</div> + +<p>La rue d’Enfer tire-t-elle son nom de <i>via infera</i>, par rapport à la rue +Saint-Jacques, <i>via supera</i>, comme le veulent certains des +historiographes de Paris, ou doit-on chercher l’origine du nom dans le +voisinage des vieux cimetières et dans les contes populaires qui +faisaient de tout ce territoire un lieu hanté par esprits et fantômes. +La Bièvre, la rivière des Gobelins, délimite cette région et Gobelin en +vieux français signifie lutin ou démon. Le nom d’Enfer s’explique donc +aisément. De plus elle conduisait au vieux château de Vauvert, manoir du +fils d’Hugues Capet, Robert le Pieux, dès longtemps ruiné et abandonné, +et dans les<span class="pagenum"><a name="page_287" id="page_287">{287}</a></span> décombres duquel démons horribles et fallacieux gobelins +faisaient rage aux ordres d’un vieux magicien, un vieillard vert à barbe +blanche et queue de serpent. Malheur à qui s’aventurait le soir en ce +quartier sinistre, le diable Vauvert en faisait sa proie—ou les voleurs +cachés dans les ruines.—Aller au diable Vauvert était une entreprise +téméraire. Les Chartreux, plus tard, purifièrent l’endroit et plus tard +encore l’Observatoire, ayant succédé aux jardins de la Chartreuse, au +lieu de magicien il y eut des astronomes. Il n’y a plus de rue d’Enfer, +mais bien, par un calembour administratif, la rue Denfert-Rochereau, ce +qui relie d’une façon bien imprévue à ce diable Vauvert le défenseur de +Belfort en 1870.</p> + +<p>Les diverses rues des Francs-Bourgeois au +Marais,—Saint-Marcel—Saint-Michel réveillent les ombres de ces riches +bourgeois des temps féodaux qui défendaient si rudement, lorsqu’il le +fallait, les franchises acquises ou conquises et leurs pignons sur +rue,—la pépinière des notables, échevins et magistrats pour +l’administration de la cité parisienne, ce premier échelon vers la +noblesse, caste supérieure mais ouverte en somme, ouverte plus qu’on ne +le dit, puisqu’un flot constant y arrivait, de grosse bourgeoisie +achetant charges qui comportaient l’anoblissement, se pourvoyant de +fiefs et de terres et se confondant bien vite avec la noblesse d’épée, +ainsi qu’on en peut trouver nombre de preuves.</p> + +<div class="figright" style="width: 197px;"> +<a href="images/illu-333.jpg"> +<img src="images/illu-333.jpg" width="197" height="452" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE LA RUE DU TEMPLE (1895)</p></div> +</div> + +<p>Tout au bout de la rue des Francs-Bourgeois au Marais, en arrivant aux +parages aristocratiques de la place Royale, on trouvait naguère encore +la rue de l’Écharpe, qui tirait son nom du cabaret de l’<i>Écharpe +blanche</i>. Voilà qui sentait furieusement son commencement du <small>XVII</small>ᵉ +siècle et faisait penser tout de suite<span class="pagenum"><a name="page_288" id="page_288">{288}</a></span> au vainqueur de la Ligue, au roi +Henriot conquérant son royaume casque en tête et rapière au poing. Nous +le voyons, ce cabaret de l’Écharpe Blanche, avec sa clientèle de +cavaliers à grands feutres et longue flamberge, de soldats aux gardes et +de mousquetaires, comme nous voyons, au débouché opposé de la place +Royale dans la petite rue du <i>Pas de la Mule</i>, les graves magistrats, +les parlementaires un peu moins lestes que messieurs les gendarmes du +roi, se hisser sur leur mule en profitant du montoir de pierre qui a +valu à la rue son nom pittoresque. On nous a rendu dernièrement le <i>Pas +de la Mule</i>, pourquoi ne pas nous rendre la rue de l’<i>Écharpe</i>?</p> + +<p>Il y a quelque trente ans, une petite rue au pied de la butte des +Moulins, la rue des <i>Frondeurs</i>, était encore là pour nous faire +souvenir des troubles de la Fronde, du temps où, dans ce quartier du +Palais Cardinal, les Parisiens, mis en branle par le parlement et par M. +le coadjuteur, s’essayaient joyeusement à recommencer une Ligue et +faisaient de si belles peurs à M. de Mazarin.</p> + +<p>Pour réveiller de plus sombres idées, nous avons la rue de l’Échelle, +qui dans notre brillante avenue de l’Opéra, fait surgir l’échelle ou les +fourches patibulaires, signe de la juridiction des évêques de Paris; +nous avons de l’autre côté de l’eau, derrière le Panthéon, la rue de +l’Estrapade qui, jadis, sur le revers du rempart bordant +Sainte-Geneviève, au-dessous de la porte papale, était le lieu où +s’exécutaient les sentences militaires, où les soldats condamnés +subissaient le supplice de l’estrapade. L’instrument de la justice +militaire, à demeure ici, était une sorte de potence très haute et à +très longs bras, avec un tourniquet en bas par le moyen duquel le +condamné, attaché les bras croisés derrière le dos, était hissé jusqu’en +haut et brusquement précipité jusqu’au ras du sol.</p> + +<p>D’autres voies, comme la rue de l’Écharpe, n’avaient eu pour parrains +que les buveurs de quelque cabaret célèbre à un titre quelconque, +l’enseigne du cabaret devenant le nom de la rue: ainsi en était-il pour +les rues des Deux-Écus, du Cygne, des Ciseaux, des Deux-Anges, de +l’Épée-de-Bois, des Deux-Maillets, du Chat-qui-Pesche, du Sabot, de la +Cloche-Percée, et d’une foule d’autres que nous retrouvons toujours dans +le Paris d’aujourd’hui, quoique les tavernes qui servirent à les +dénommer soient depuis longtemps défuntes.</p> + +<p>La rue Cloche-Perce, ainsi baptisée du cabaret de la <i>Cloche percée</i>, +s’appela aussi au <small>XVII</small>ᵉ siècle rue de la <i>grosse Margot</i>, du nom d’un +cabaret rival, finalement vaincu par la Cloche.</p> + +<p>La section de la rue Saint-Sauveur entre les rues Montorgueil et +Montmartre, tirait son nom de rue du Bout du Monde d’une enseigne de +cabaret représentant un bouc sur un globe terrestre, le <i>bouc du monde</i>; +ce mauvais calembour voulait dire que la campagne n’était pas loin après +la porte Montmartre, ouverte un peu plus haut au bout de la rue des +Jeûneurs ou des Jeux Neufs, ainsi nommée de deux jeux de boules donnant +sur le bastion.</p> + +<p>La rue des Canettes doit son nom à un joli bas-relief représentant des +canes nageant dans un étang, sculpté sur la façade d’une maison du +commencement du <small>XVIII</small>ᵉ siècle. Le bas-relief est plus ancien, et encore +rappelle-t-il sans doute une</p> + +<div class="figcenter" style="width: 558px;"> +<a href="images/illu-335.jpg"> +<img src="images/illu-335.jpg" width="558" height="386" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’ARRESTATION DE BROUSSEL</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_289" id="page_289">{289}</a></span></p> + +<p class="nind">plus ancienne enseigne. Ces vieilles enseignes de toute forme et de +toute taille, on peut bien les regretter, celles qui, suspendues à des +potences de fer, tintinnabulaient au-dessus de la tête des passants, +divertissant à la fois l’œil et l’oreille, ou même les dernières, moins +artistiques, celles qui se contentaient de porter un emblème fixe, une +figure, un animal plus ou moins héraldique, une indication +professionnelle, la botte gigantesque des cordonniers, l’homme de fer ou +l’épée de l’armurier, la couronne de chandelles de l’épicier, etc. Que +de plaintes elles suscitaient dans les rues étroites où les fardiers et +les carrosses les accrochaient au passage! On les accusait aussi avec +quelque raison d’être un danger pour le passant aux jours de tempête; +des ordonnances réitérées réglementèrent leur taille. Elles gênaient en +quelques endroits, on les supprima partout et les commerçants durent se +contenter d’enseignes sculptées ou peintes sur les façades mêmes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 232px;"> +<a href="images/illu-337.jpg"> +<img src="images/illu-337.jpg" width="232" height="325" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENSEIGNE DES TROIS CANETTES, RUE DES CANETTES (1895)</p></div> +</div> + +<p>Les anciennes enseignes disparaissent rapidement; quelques-unes +subsistent encore, mais pour combien de temps? on ne les retrouvera +bientôt plus que dans le curieux livre de M. Édouard Fournier, +l’<i>Histoire des Enseignes de Paris</i>.</p> + +<p>On peut juger du caractère artistique et décoratif des vieilles +enseignes par ces dernières épaves qui subsistent, tandis que toutes les +annonces ou indications commerciales d’aujourd’hui sont tout ce qu’il y +a de plus banales et presque toujours du plus exécrable mauvais goût; +est-il rien de plus écœurant et de plus hideux que ces maisons ou ces +monuments bariolés d’annonces gigantesques, sans parler de ces pignons +peinturlurés des couleurs les plus criardes pour crever les yeux au +loin, qui gâtent nos paysages urbains et déshonoreraient les plus belles +perspectives.<span class="pagenum"><a name="page_290" id="page_290">{290}</a></span></p> + +<p>Parmi toutes les boutiques d’une vulgarité lamentable, il se rencontre +encore de modestes cabarets d’autrefois, qui à défaut d’enseignes, ont +gardé leurs belles grilles artistiques, des enroulements de ferronnerie +superbes de style, forgés aux <small>XVII</small>ᵉ et <small>XVIII</small>ᵉ siècles. L’Empire, au +commencement du siècle, a laissé aussi quelques devantures de boutiques +d’un goût particulier; ensuite on ne trouve plus rien que la banalité +pure.</p> + +<p>Cette chute complète de l’art industriel décoratif, d’un art qui +précédemment n’avait jamais eu d’éclipses et se transformait +perpétuellement, sans interrègnes de styles, cette disparition subite, +absolue, et cette décadence des métiers peuvent s’expliquer par la +suppression des corporations à la Révolution. Avec leurs défauts, les +corporations maintenaient le niveau du goût et transmettaient les +traditions.</p> + +<p>Quand l’ouragan éclata sur la malheureuse génération d’il y a cent ans, +toute la partie jeune des métiers fut enlevée pour les armées et fauchée +dans les grandes guerres; il ne resta que les hommes d’âge mûr, qui, +ayant reçu les traditions, firent encore quelque chose, puis, ceux-là +disparus, tout disparut. Tout était à recréer. De ce que l’art pur se +maintint on ne peut tirer une contradiction, attendu que l’art +proprement dit avait conservé son enseignement et ses traditions.</p> + +<div class="figleft" style="width: 184px;"> +<a href="images/illu-338.jpg"> +<img src="images/illu-338.jpg" width="184" height="228" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CABARET DE L’ÉPÉE-DE-BOIS, MAISON DE LULLY RUE +SAINTE-ANNE (1895)</p></div> +</div> + +<p>De ces cabarets à enseignes pittoresques, bien peu ont survécu. De même +que l’ivrogne d’autrefois, ce joyeux buveur à rouge trogne, a été +remplacé par le sombre alcoolique facilement tourné en furieux, le +cabaret d’antan a pour successeurs l’assommoir à comptoir de zinc et +l’officine du distillateur, où flamboient les cuivres des alambics +distribuant les poisons verts et jaunes.</p> + +<p>Bien des cabarets de jadis, fréquentés non par des ivrognes mais par +d’honnêtes gens, heureux de causer et de rire les coudes sur la table, +ont laissé des souvenirs joyeux dans la chronique des rues de Paris, ou +même dans l’histoire littéraire. Telle la fameuse <i>Pomme de Pin</i> qui +florissait sous Louis XIV.</p> + +<p>Située au cœur de la Cité, rue de la Juiverie, en face de l’église de la +Madeleine, la Pomme-de-Pin, bien que d’apparence modeste, n’en avait pas +moins d’illustres clients. Là se rencontraient Boileau, Molière, Racine, +Lafontaine, Chapelle, Lully, Mignard, Furetière et autres. On s’y grisa +même quelquefois, dit la chro<span class="pagenum"><a name="page_291" id="page_291">{291}</a></span>nique, entre illustres compagnons. +Chapelle, du moins, s’y laissait aller à son penchant pour les crus de +Bourgogne, lesquels alors ne se montraient point si grands seigneurs +qu’aujourd’hui et daignaient connaître le chemin du gosier des poètes à +bourse plate.</p> + +<p>Néanmoins, pour l’ordinaire, les brocs de la Pomme-de-Pin étaient le +prétexte de simples et joyeuses débauches d’esprit. Boileau fut l’un des +plus fidèles, lui qui, enfant de la Cité, fils d’un greffier du Palais, +né quai des Orfèvres, ne fit d’infidélité à son vieux berceau de Lutèce +que pour sa maison d’Auteuil, laquelle maison il abandonna dès que la +vieillesse et les infirmités l’accablèrent, pour venir passer ses +derniers jours en un logis de chanoine du cloître Notre-Dame.</p> + +<p>Un jour que Boileau, saisissant Chapelle en quelque Pomme-de-Pin, le +morigénait pour son peu de résistance aux appas du vin frais tiré, +celui-ci, raconte Voltaire, se laisse docilement sermonner mais invite +son ami à s’asseoir pour continuer son sermon plus à l’aise. On +s’assoit. Boileau s’anime; le sermon est si bien écouté et l’apôtre de +la sobriété se rafraîchit si souvent, que bientôt il n’a guère plus de +raison que celui qu’il avait tenté de convertir. Chapelle avait gagné sa +cause.</p> + +<p>L’antique Pomme-de-Pin aux littéraires souvenirs, devenue peut-être un +infâme caboulot, ne disparut que de nos jours dans la démolition +générale de la Cité, comme a sombré tout vestige d’autres cabarets +littéraires, le <i>Mouton-Blanc</i>, rue de la Verrerie au cimetière +Saint-Jean, cabaret où Racine causant avec Boileau et d’autres amis, +traça le plan de ses <i>Plaideurs</i>, la <i>Tête-Noire</i> près de la +Sainte-Chapelle, l’<i>Ange</i>, les <i>Bons Enfants</i>, le <i>Caveau</i>, rue de Bucy, +etc.</p> + +<p>Nous connaissons encore, à défaut de la Pomme-de-Pin, quelques vieilles +enseignes sculptées ou forgées, débris du passé, demeurées au +frontispice de quelques anciennes maisons. Lully qui fréquentait avec +Boileau le fameux cabaret de la Cité, se fit bâtir une superbe maison au +coin des rues Sainte-Anne et des Petits-Champs. La musique mène plus que +sa sœur aînée, la poésie, à l’opulence, car Lully était déjà le seigneur +suzerain de quelques maisons dans Paris.</p> + +<p>Cette maison de la rue Sainte-Anne était un logis somptueux, décoré de +sculptures, notamment d’un grand panneau d’attributs de musique. Au +rez-de-chaussée à l’angle du carrefour, Lully, propriétaire avisé, +installa un cabaret dont on peut voir encore, à côté d’un superbe +balcon, les belles ferronneries à la mode du <small>XVII</small>ᵉ siècle, enchâssant +l’enseigne de l’<i>Épée de bois</i>, laquelle épée de bois ou de métal, se +trouvait aussi dans l’écu de Lully, devenu gentilhomme par l’achat d’une +charge à la cour.</p> + +<p>Rue Saint-Sauveur, près de la rue Montmartre, autre enseigne du temps du +grand roy, le <i>Soleil d’Or</i>, large bas-relief où l’on peut voir un +soleil doré et emperruqué comme Louis XIV, darder ses rayons sur des +ceps de vigne à l’ombre desquels des amours assis sur des futailles +hument allègrement le piot.</p> + +<p>Un cabaret à enseigne religieuse peut passer pour une rareté à notre +époque; il s’en trouve pourtant un près des Halles, rue des Bourdonnais; +c’est le cabaret de<span class="pagenum"><a name="page_292" id="page_292">{292}</a></span> l’<i>Enfant Jésus</i>, représenté en belle ferronnerie +dorée. Très probablement voilà des siècles que l’image de l’<i>Enfant +Jésus</i> se perpétue à ce coin de rue et l’enseigne en ferronnerie a dû en +remplacer une plus antique fort bien vue sans doute des Parisiens du +temps de la Ligue ou d’avant. A côté de cet Enfant Jésus, il convient de +ne pas oublier un petit hôtel particulier du <small>XVI</small>ᵉ siècle, à l’enseigne +de la Barbe d’Or, figurée par un buste de vieillard à barbe d’or +au-dessus de sa porte. La Barbe d’Or donne d’un côté sur une antique +ruelle, impasse aujourd’hui, qui s’appelait jadis la rue de la +Fosse-aux-Chiens, sans doute parce qu’elle n’était qu’un réceptacle +d’immondices; cette ruelle de la Fosse-aux-Chiens avoisinait d’ailleurs +la place aux Chats, entre les Halles et le cimetière des Innocents.</p> + +<p>La rue de la Huchette, une rue de huchiers ou coffriers menuisiers au +moyen âge, peut montrer aussi une enseigne sculptée, vieille à peine de +deux siècles, la Hure d’Or, datée de 1722, mais qui sans doute remplace +une hure plus ancienne. L’enseigne du <i>Bon Puits</i> arborée rue Beaubourg +n’est pas sans originalité pour un cabaret. La rue de Grenelle possède +la <i>Petite Chaise</i>, fondée en 1700. C’est à peu près tout, nous sommes +donc assez pauvres maintenant en curieuses enseignes à la mode +d’autrefois, ces quelques dernières survivantes suffisent pour faire +regretter la <i>Bonne-Vendange</i>, le <i>Gaillardbois</i>, la <i>Côte-Rôtie</i>, le +<i>Juste-Prie</i>, c’est-à-dire le <i>Juste-Prix</i>, le <i>Cygne-de-la-Croix</i>, le +<i>Cerf-Mont</i>, pour le sermon, le <i>Singe-en-Batiste</i> pour le +Saint-Jean-Baptiste, le <i>Puissant-Vin</i>, la <i>Vieille-Science</i>, autres +enseignes en rébus, la <i>Bonne-Femme</i>, le <i>Pied-de-Mouton</i>, le +<i>Treillis-Vert</i>, le <i>Panier-Fleuri</i>, la <i>Bouteille-d’Or</i>, le +<i>Chariot-d’Or</i> et surtout parmi tant d’autres, le <i>Monde en travail +d’Argent</i>, situé rue Saint-Médard, la <i>Lamproie-sur-le-Gril</i>, décorant +la rue de la Huchette, d’après M. Lefeuvre, l’historiographe des rues de +Paris.</p> + +<p>Pour en revenir aux rues, il y avait au plus serré des quartiers serrés, +un dédale de petites voies fortement entamé aujourd’hui, qui pouvait +bien mériter la palme, autant pour l’originalité de ses appellations que +pour l’intensité et la truculence de son pittoresque. Certes, il ne +s’agit nullement de réclamer contre les mesures prises au nom de +l’hygiène, trop méconnue sur ce point, mais seulement de signaler +l’intérêt de ce vieux décor en grande partie disparu.</p> + +<p>C’était entre Saint-Merry, l’hôtel de ville et le féodal hôtel de Guise, +coquettement accommodé par les Soubise à la façon du <small>XVIII</small>ᵉ siècle. La +rue Saint-Martin d’abord ne commençait jadis qu’à l’archet Saint-Merry, +poterne percée dans le premier rempart du Paris sorti de l’île-berceau, +avant l’enceinte de Philippe-Auguste. Entre l’archet Saint-Merry et le +pont Notre-Dame, il y eut jusqu’en 1851, la rue des Arcis, incommode +étranglement d’une voie si fréquentée, et la rue de la Planche-Mibray +presque aussi étroite.</p> + +<p>Regrettons le nom de la <i>Planche-Mibray</i>, il rappelait des jours +extrêmement lointains, les premiers temps où Paris débordant de son île +eut un embryon de faubourg en avant du pont Notre-Dame, et sans doute +une tête de pont fortifié. Un fossé, une dérivation de la Seine +précédait cette tête de pont, marécage quelconque qu’un pont de bois +traversait. Ce pont, c’était la <i>Planche de Mibray</i>,<span class="pagenum"><a name="page_293" id="page_293">{293}</a></span> c’est-à-dire +<i>mi-boues</i>. Rien que ce nom sur une plaque nous reportait à des siècles +presque carolingiens et nous évoquait, sur ce point si central +aujourd’hui, une entrée de ville, des chemins bourbeux sous de +pittoresques remparts.</p> + +<p>De même la rue du Temple n’arrivait pas comme aujourd’hui jusqu’à la +place de Grève. Après l’échelle du Temple, c’était la rue Sainte-Avoye, +du nom du couvent de religieuses faisant l’angle de la rue +Geoffroy-l’Angevin; puis la rue devenait ruelle et s’appelait, jusqu’à +la rue de la Verrerie, rue Barre-du-Bec, à cause de la barre de justice +de l’abbaye du Bec en Normandie, dont les abbés possédaient dans Paris +un petit fief et plusieurs cures. Pour déboucher devant la maison de +ville des Parisiens, sur la fameuse, houleuse et si souvent sanglante +place de Grève, il fallait tourner par la rue des Coquilles, un vrai +couloir circulant entre de hauts pignons serrés et tassés, qui devait +son nom à une maison dont la façade était ornée de coquilles sculptées.</p> + +<p>Toutes les voies qui si souvent jetaient des flots de populaire joyeux +ou frémissant sur la place de Grève pour les jours sanglants, les +exécutions et les émeutes, ou pour les grandes occasions de liesse, +quand Sa Majesté daignait accepter de messieurs de la ville festin dans +la grande salle, toutes ces voies n’étaient ainsi que des corridors +resserrés, les rues de la Tannerie, de la Vannerie, Jean de l’Espine, du +Mouton, des Vieilles-Garnisons, aussi bien et quelquefois plus encore +que la rue des Coquilles.</p> + +<div class="figright" style="width: 202px;"> +<a href="images/illu-341.jpg"> +<img src="images/illu-341.jpg" width="202" height="123" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENSEIGNE DE LA HURE D’OR, RUE DE LA HUCHETTE (1895)</p></div> +</div> + +<p>Derrière Saint-Jean de la Grève, il y avait le quartier de la tour +Pétaudiable, quartier mal famé parmi les plus mal famés, et de l’autre +côté de la rue de la Tisseranderie, cet autre coin louche, le carrefour +Guillory appelé aussi Guignoreille, parce que, dit-on, aux temps +lointains, le bourreau de Paris y essorillait les malfaiteurs...</p> + +<p>Qu’on se les figure, ces ruelles, aux jours sinistres, pendant la longue +série d’émeutes de la Ligue, pendant la Fronde qui ne fut vraiment +terrible que lorsque faillit flamber tout à fait l’hôtel de ville +saccagé, qu’on se les figure aux grandes journées de la Révolution. Il +nous suffit pour nous représenter ces quartiers au temps des lointaines +crises politiques, secoués par les vieilles convulsions révolutionnaires +périodiques, de nous rappeler les secousses de naguère, l’aspect +sinistre du bas de la rue du Temple le soir du 22 janvier 1871, quand +les mobiles bretons gardaient les carrefours avoisinant l’hôtel de ville +menacé, et ensuite les barricades de Mars et de Mai...</p> + +<p>La moderne rue des Archives, pour déboucher à l’hôtel de ville, a fait +élargir ou plutôt a presque absorbé la rue des Billettes où subsiste le +seul cloître gothique<span class="pagenum"><a name="page_294" id="page_294">{294}</a></span> de Paris et la rue de l’<i>Homme-Armé</i>. Celle-ci +n’est plus, pour ainsi dire, elle avait 1ᵐ,50 de large, elle en a +maintenant dix fois plus et nous ne pouvons plus retrouver que dans le +vague du souvenir ce sinueux corridor d’un aspect si moyen âge.</p> + +<p>Son nom seul reste sur les plaques; il lui venait, selon une vieille +légende, de la prouesse d’un nommé Galleran, écuyer de Renaud de Bréhan, +chevalier breton, qui pendant les troubles de la minorité de saint +Louis, s’attacha fidèlement au parti du roi. Une nuit de février 1228, +cinq soudards anglais pénétrèrent dans le logis de Renaud de Bréhan, +situé dans ce quartier, espérant occire sans difficulté le chevalier, +mais celui-ci quoique surpris, se défendit bravement avec l’aide de son +chapelain et de son écuyer Galleran. Seul le pauvre chapelain périt dans +la lutte; Renaud et Galleran le vengèrent bien, ils tuèrent trois de +leurs agresseurs et mirent en fuite les deux autres plus ou moins +éclopés.</p> + +<p>En reconnaissance du courage déployé par son écuyer, Renaud de Bréhan +lui fit don du logis et du verger y attenant. Le populaire pour célébrer +l’exploit du breton, appela ce logis la maison de l’<i>homme armé</i>. La rue +s’appela bientôt de même, ou des <i>hommes armés</i>, comme on le voit sur le +plan Truschet, pendant que le quartier devenait le champ aux bretons ou +la Bretonnerie, ce qui fit appeler Sainte-Croix de la Bretonnerie le +couvent des frères croisiers établi sur ce point trente ans après.</p> + +<p>Deux ruelles qui se suivent bout à bout derrière Saint-Merry, dans ce +qu’on appelait le cloître avant le percement de la rue du +Cloître-Saint-Merry, portent encore les noms de rue <i>Brisemiche</i> et rue +<i>Taillepain</i>, suffisamment bizarres pour attirer l’attention. Ces deux +rues aux antiques maisons noires, hautes, massives et serrées, bâties +sur des terrains du chapitre de Saint-Merry, doivent leurs noms +vraisemblablement à des distributions de pains par le chapitre. Au moyen +âge, malgré les chanoines peu flattés du voisinage, ces rues furent des +clapiers de filles que plusieurs fois le prévôt de Paris, sur requête du +chapitre, tenta d’épurer, mais bien inutilement, car pour dix ribaudes +expulsées, il en revenait cinquante.</p> + +<p>Ce quartier fut le champ de bataille de l’insurrection qui éclata le +jour des funérailles du général Lamarque, le 5 juin 1832. Retranchés +dans ce dédale de petites rues, couverts par des barricades élevées +autour de l’église, les insurgés commandés par un combattant de Juillet +nommé Jeanne, résistèrent une nuit et un jour, se défendirent avec +fureur contre des forces importantes, barricade après barricade, dans +les détours du cloître et dans le passage Jabach. Cernés sur leur +dernier tas de pavés, les derniers survivants foncèrent à la baïonnette +sur la troupe, Jeanne en tête, et réussirent à se perdre dans les noires +ruelles, terrifiées par les péripéties tragiques de la longue lutte. Le +passage Jabach où se traîna la tuerie avait été ouvert en 1828 sur les +dépendances et devant l’hôtel de Jabach, riche financier et +collectionneur du <small>XVIII</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>Au-dessous de Saint-Merry, le court tronçon de la rue Saint-Bon reste +pour rappeler la petite chapelle Saint-Bon ou Saint-Bonnet, dépendance +de l’abbaye<span class="pagenum"><a name="page_295" id="page_295">{295}</a></span> de Saint-Maur. Sous l’abside de l’église s’abritait l’hôtel +des Juges consuls, le premier tribunal de commerce, que fonda Henri III, +justement frappé de la longueur des procès commerciaux portés devant le +Parlement, qui n’y entendait goutte et volontiers eût décidé de ces +causes comme le juge Bridoye de Pantagruel, <i>lequel sententiait les +procès au sort des déz</i>.</p> + +<p>Les alentours du Louvre n’étaient pas moins que les environs de la Grève +un labyrinthe de rues et de ruelles, dont quelques-unes n’avaient rien +de recommandable, au point de vue de la propreté et de la moralité des +habitants.</p> + +<p>Au bas de la butte Saint-Roch, où des moulins tournèrent jusqu’en 1670, +au cloître Saint-Germain-l’Auxerrois, s’il y avait nombre d’hôtels de +noblesse qui disparurent quand le Louvre s’agrandit du côté de l’est, +sous Louis XIV, s’il y avait une agglomération de maisons +aristocratiques, hôtels d’Aumont, de Villequier, de Longueville, de la +Force, de Créquy, à côté du vaste hôtel du Petit-Bourbon, il se trouvait +aussi nombre de corridors étroits se faufilant derrière ces hôtels, le +long de maisons souvent immondes, ou de masures bâties sur des passages +perdus, dans des impasses, le tout formant autour du palais des rois une +ceinture de rues plus ou moins mal famées, habitées par une population +plus ou moins douteuse.</p> + +<p>Rien ne peut aujourd’hui nous donner une idée de l’aspect de ces +quartiers tels que le <small>XIX</small>ᵉ siècle les a trouvés, les grands travaux +autour du Louvre, autour de Saint-Germain l’Auxerrois, l’immense +tranchée de la rue de Rivoli, les ont radicalement transformés. +Saint-Germain l’Auxerrois, semblable à un surtout de table avec la +Mairie construite en pendant, était enveloppé de vieilles maisons +canoniales ou autres. La rue des Fossés-Saint-Germain sur le côté gauche +rappelait les fossés creusés par les Normands, quand ils se fortifièrent +dans les ruines de l’église brûlée par eux au siège de 886.</p> + +<p>Reliée au cloître par la ruelle très étroite du Demi-Saint, en face la +rue Jean-Tison, elle se continuait après la rue de l’Arbre-Sec par la +rue de Béthisy. En cette rue de Béthisy se trouvait la maison où périt +la principale victime de la Saint-Barthélemy, l’amiral Gaspard de +Coligny, que M. de Guise prit soin de faire assassiner sous ses yeux par +des massacreurs que dirigeaient l’italien Petrucci et le bohême +Dianowitz, surnommé Boesme, tous deux colonels de gardes françaises.</p> + +<p>Le logis a subsisté jusqu’à nos jours et n’a disparu qu’avec la grande +démolition d’il y a quarante ans. Quelques jours avant la +Saint-Barthélemy, comme l’amiral revenait du Louvre où il avait été si +bien caressé par Charles IX, l’assassin aux gages du duc de Guise, +Maurevel, embusqué dans une maison de la rue des Fossés-Saint-Germain, +lui tira un coup d’arquebuse qui l’atteignit au coude gauche. +L’assassin, sans perdre de temps après l’affaire manquée, sauta par une +fenêtre de la rue du Demi-Saint, traversa le cloître Saint-Germain, +trouva un cheval qui l’attendait et s’enfuit.</p> + +<p>Le logis de l’amiral était l’ancien hôtel de Ponthieu, bâti par Jacques +de Béthisy, avocat au parlement, vers 1416, et appartenant alors à la +famille d’Antoine Dubourg, chancelier de France, d’après M. Édouard +Fournier, qui a retrouvé le récit d’un<span class="pagenum"><a name="page_296" id="page_296">{296}</a></span> prêtre allemand, témoin oculaire +de la Saint-Barthélemy. Dans ce récit d’une</p> + +<div class="figcenter" style="width: 343px;"> +<a href="images/illu-344.jpg"> +<img src="images/illu-344.jpg" width="343" height="487" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA MORT DE COLIGNY A LA SAINT-BARTHÉLEMY</p></div> +</div> + +<p class="nind">intense couleur dramatique sont rapportés tous les épisodes connus, la +mise à sac<span class="pagenum"><a name="page_297" id="page_297">{297}</a></span> de la maison par les hommes du duc de Guise, le massacre +d’une quarantaine de soldats et de serviteurs dans l’escalier et dans +les chambres pour arriver jusqu’à la chambre et au lit où Coligny blessé +attendait les assassins.</p> + +<p>Ici le récit diffère de la tradition, Coligny ne se laissa pas égorger +dans son lit, mais se défendit vigoureusement au dernier moment. Percé +de quelques coups dès l’entrée des meurtriers, Coligny retrouva tout à +coup ses forces pour lutter contre les assassins; ceux-ci durent +l’accabler de coups de hallebarde et lui tirer même un coup d’arquebuse +dans la bouche avant d’en venir à bout, l’achevant ainsi en le traînant +jusqu’à une fenêtre.</p> + +<p>—L’Amiral est-il mort? Jetez-le en bas! criait M. de Guise +s’impatientant dans la cour avec le duc d’Aumale, pendant que s’achevait +la besogne.</p> + +<p>Alors une fenêtre s’ouvrit, un corps vint s’aplatir sur le pavé aux +pieds de Guise qui fut obligé, pour reconnaître Coligny, d’essuyer avec +son manteau le sang couvrant la figure.</p> + +<p>Cet hôtel devint plus tard l’hôtel du duc de Montbazon et l’on a +longtemps dit qu’en ce lieu, déjà tragique, s’était passée l’aventure de +Rancé, amant de Mᵐᵉ de Montbazon, arrivant joyeux de voyage sans savoir +que sa maîtresse était morte et trouvant dans la maison les chirurgiens +en train d’embaumer la duchesse, le corps ouvert sur une table et la +tête de la femme aimée sur le parquet.</p> + +<div class="figright" style="width: 213px;"> +<a href="images/illu-345.jpg"> +<img src="images/illu-345.jpg" width="213" height="354" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE LA RUE JEAN-TISON DÉMOLIE EN 1850</p></div> +</div> + +<p>Cette horrible explication de la fondation de la Trappe par Rancé +serait, paraît-il, un conte inventé pour dramatiser le renoncement de +Rancé, quittant le monde et ses plaisirs pour la tombe effrayante du +Trappiste.</p> + +<p>Le massacre de Coligny et des gens de sa maison suffisait à la légende +de l’hôtel, qui devint, après avoir été aux Montbazon, une simple +hôtellerie, l’hôtel<span class="pagenum"><a name="page_298" id="page_298">{298}</a></span> de Lisieux, maison de roulage et de messageries. Et +voici dans ce sanglant logis de plus gracieux souvenirs. Le peintre +Carle Vanloo l’habita. Dans la chambre même où périt l’amiral naquit +Sophie Arnould, qui devait se faire un si joli et si galant renom de +comédienne, après s’être fait enlever dès ses quinze ans de chez ses +parents les hôteliers.</p> + +<p>Il se trouvait encore au bout de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, vers +le Châtelet, place Perrin-Gasselin, l’hôtel du chevalier du Guet, forte +et massive construction d’aspect suffisamment rébarbatif, élevée au <small>XIV</small>ᵉ +siècle au centre d’un quartier remuant, rempli de malandrins et de +<i>mauvais garçons</i>. C’était le commandant du guet royal, milice casernée +dépendant du prévôt de Paris, armée de vouges et d’arbalètes, et fort +différente du guet bourgeois dit <i>Guet assis</i>, <i>Guet dormant</i>, peu +redouté des voleurs. L’hôtel du chevalier du guet survécut à +l’institution, adapté à différents usages; il servit même quelque temps +de mairie au IVᵉ arrondissement, jusqu’à la construction de +l’édifice-pastiche en pendant à Saint-Germain l’Auxerrois.</p> + +<p>Comme les enseignes, qui furent trouvées gênantes seulement lorsque +triompha la ligne droite, les jolies tourelles que l’on rencontrait si +souvent dans le vieux Paris, presque dans chaque rue, accrochées au +milieu des façades ou suspendues à l’angle des maisons sur les +carrefours, ont presque toutes disparu. Extérieurement elles donnaient +du pittoresque et de la grâce à la rue; à l’intérieur des maisons +c’était de la lumière et de la gaieté, qu’elles fussent annexe d’une +grande pièce ou simple cabinet de toilette. De ces cages étroites et +minces, la maîtresse du logis suivait le mouvement de la rue tout en +travaillant, bonne ménagère, à l’entretien des hardes de la maisonnée. +Pauvres tourelles! combien en reste-t-il aujourd’hui? on peut facilement +les compter.</p> + +<p>Les grands travaux de Paris, depuis une quarantaine d’années, en ont +fait tomber plusieurs particulièrement à regretter pour leur beauté ou +pour les vieilles histoires qu’elles pouvaient raconter au passant. Dans +la rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois, il y avait la tourelle du +presbytère fort élégante, accrochée au coin d’une ancienne maison +canoniale nichée dans les contreforts de l’église, après le portail +latéral. Il n’y a guère plus de trente ans qu’on l’a démolie; en ses +derniers jours elle avait pu entendre siffler les balles des combattants +de juillet, à l’attaque de la colonnade du Louvre défendue par les +Suisses de Charles X, et voir entasser les victimes de la guerre civile +dans l’église transformée en ambulance. Peu après, en 1831, ce fut autre +chose, à l’occasion d’un service célébré pour le duc de Berry, une bande +d’énergumènes saccagea l’église et le presbytère et leur fit subir les +plus tristes dégâts.</p> + +<p>De l’autre côté de l’église, au coin des rues Bailleul et Jean-Tison, il +se trouvait une autre tourelle suspendue à l’angle d’une maison du <small>XV</small>ᵉ +siècle qui faisait face au vieil hôtel Schomberg, plus tard d’Aligre.</p> + +<p>La rue du Coq-en-Grève, démolie pour l’agrandissement de l’hôtel de +ville vers 1840, et dont il ne reste qu’une impasse, en possédait une +fort gracieusement décorée à l’angle d’une maison du <small>XV</small>ᵉ siècle.<span class="pagenum"><a name="page_299" id="page_299">{299}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 276px;"> +<a href="images/illu-347.jpg"> +<img src="images/illu-347.jpg" width="276" height="436" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE LA RUE DE L’ÉCOLE-DE-MÉDECINE, DÉMOLIE POUR +LE BOULEVARD SAINT-GERMAIN</p></div> +</div> + +<p>La rue de Rivoli en a fait disparaître un peu plus tard une plus +importante et plus belle, encorbellée non sur un coin de maison, mais +dans un angle rentrant d’un pâté de maisons donnant sur la place de +l’Hôtel-de-Ville, entre les rues du Mouton et de la Vannerie. Maison et +tourelle étaient du <small>XV</small>ᵉ siècle, mais au-dessous les caves immenses +dataient du <small>XIII</small>ᵉ. Cette vieille tourelle de la Grève, qui contemplait +la façade de la maison de ville dès le temps de Louis XI, avait-<span class="pagenum"><a name="page_300" id="page_300">{300}</a></span>elle +souvenir des spectacles mouvementés et terribles que lui donna sa +terrible voisine et la Grève ouverte sous ses fenêtres; des têtes +roulant sur les billots et des condamnés écartelés ou rompus sur la +roue; des réjouissances aux entrées royales et des canons de la ville +tirant pour le feu de la Saint-Jean; de la potence royale et de la +lanterne populaire, des bandes insurrectionnelles barricadant pour la +Ligue, la Fronde ou la Révolution,—jusqu’au jour où la maison devint, +pour la compagnie de garde à l’hôtel de ville, le café restaurant de la +garde nationale de 1830, de la garde nationale boutiquière, amie de +l’ordre, marchant courageusement avec la ligne contre les barricades—ou +bien laissant faire suivant le cas, baïonnettes intelligentes, +embataillonnées pour défendre les institutions et au besoin pour les +combattre. La garde nationale est morte en 1871, on n’avait pas attendu +jusque-là pour abattre la pauvre tourelle.</p> + +<p>Le boulevard Saint-Germain a fait disparaître une autre tourelle plus +jeune d’un siècle, décorant agréablement un carrefour des rues de +l’École-de-Médecine et Larrey, jadis des Cordeliers et du Paon, tout +près du grand couvent dont il reste le réfectoire, et de la cour du +Commerce, passage tracé sur les fossés remblayés de la porte Buci, un +des vieux coins de Paris où des maisons se sont incrustées dans des +tours, dans des morceaux du rempart, malheureusement, sans qu’il y +paraisse aux façades, passage ramifié avec des arrière-cours sur +lesquelles s’élèvent de beaux corps de logis en pierres et briques d’un +hôtel des archevêques de Rouen.</p> + +<p>Dans la partie de la cour du Commerce malheureusement supprimée, à +l’entrée du passage, demeurait Danton. Il pouvait apercevoir de l’autre +côté de la rue le cordonnier Simon, il pouvait voisiner avec Desmoulins +rue Dauphine à deux pas, et avec Marat qui imprimait l’<i>Ami du peuple</i> +au numéro 8 de la cour et qui demeurait, non comme on l’a dit, dans la +maison à la tourelle, mais dans celle d’à côté, au numéro 20.</p> + +<p>La maison à la tourelle n’avait pas eu le dément Marat pour locataire, +mais elle avait assisté à toutes les scènes révolutionnaires dont le +club voisin des Cordeliers avait été le théâtre, elle avait pu entendre +les motions des farouches orateurs et le chant terrible que le bataillon +des Marseillais fit entendre pour la première fois à Paris, la veille du +10 août lorsque la Commune le logea en face dans le couvent vidé de ses +moines; elle avait vu passer l’héroïne de Caen, la petite-nièce de +Corneille Charlotte Corday, arrivant résolue avec son couteau caché dans +son fichu, et peu d’instants après, quand le couteau disparut dans la +poitrine de Marat, elle avait vu dans la rue bouleversée, au milieu des +clameurs de mort et des bousculades éperdues, deux cortèges défiler: +d’un côté les sans-culottes entraînant Charlotte Corday à la section de +l’Abbaye, et de l’autre, une autre troupe poussant des gémissements +emphatiques, portant le corps sanglant de Marat au jardin des Cordeliers +où l’on fit de ce cadavre et de sa baignoire rouge de sang une +exhibition théâtrale en attendant les funérailles au Panthéon.</p> + +<p>Journées tragiques dont les derniers témoins sur ce point si bouleversé +sont, au coin de la rue Dupuytren, ces quelques vieux pignons renversés +en arrière, aux<span class="pagenum"><a name="page_301" id="page_301">{301}</a></span> toits mouvementés, avec leurs grandes fenêtres et leurs +lucarnes irrégulières, où tant de têtes effarées durent se pencher ces +jours-là.</p> + +<p>Une autre jolie tourelle voisine a disparu aussi; elle ornait une maison +de la petite rue du Jardinet, ruelle d’aspect antique et provincial qui +se relie à la cour du Commerce, en passant devant le vieux puits de +l’Abri-Coyctier.</p> + +<p>L’abbaye de Saint-Germain avait légué au quartier poussé sur ses ruines +après la Révolution, une très jolie tourelle carrée, portée en +encorbellement par une trompe, à l’angle d’un bâtiment, au coin des rues +Jacob et Saint-Benoît qui limitaient le grand jardin de l’abbaye, tracé +au <small>XVII</small>ᵉ siècle sur l’emplacement du rempart et du fossé comblé de la +petite Seine. Le pavillon et la tourelle dataient de cette +transformation de l’abbaye, vers 1630, et de la création de la rue +appelée d’abord du Colombier à cause d’une vieille tour du rempart de +l’abbaye, et aujourd’hui dotée du nom biblique de Jacob, en souvenir +d’une fantaisie de la reine Margot, du couvent fondé par elle sous +l’appellation d’Autel de Jacob et qui devint l’École des beaux-arts. La +tourelle et le pavillon qui jalonnaient de ce côté le territoire de +l’abbaye ont été remplacés par une maison quelconque en 1850.</p> + +<div class="figright" style="width: 240px;"> +<a href="images/illu-349.jpg"> +<img src="images/illu-349.jpg" width="240" height="229" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>MAUSOLÉE ÉLEVÉ À MARAT DANS LA COUR DES CORDELIERS</p></div> +</div> + +<p>Arrivons maintenant aux quelques tourelles restées pour l’ornement de +quelques rares quartiers. Une rue de l’Université a eu la chance +particulière de garder celles qui la décorent, c’est la rue +Hautefeuille, très favorisée, car elle possède encore la tourelle de +l’hôtel de Fécamp, la maison à trois tourelles engagées, une sur l’angle +et deux encadrant la porte du logis, belle construction du <small>XV</small>ᵉ siècle +d’un aspect si robuste, ancien hôtel de Miraulmont, et la mince tourelle +carrée à l’angle de la rue Pierre-Sarrazin, gracieux ornements qui +ajoutent encore à sa physionomie si intéressante déjà par ses nombreuses +maisons anciennes, par ses toits accidentés.</p> + +<p>La grosse tourelle ronde sur l’impasse provient de l’hôtel possédé par +les abbés de Fécamp au <small>XIII</small>ᵉ siècle, hôtel ou manoir dit aussi de la +<i>Serpente</i>, ayant son corps de logis principal rue Serpente, qui tire +son nom de la Sirène ou <i>Ser<span class="pagenum"><a name="page_302" id="page_302">{302}</a></span>pente</i> jadis sculptée comme enseigne sur +l’hôtel. Si la tourelle n’a pas tout à fait cette ancienneté, encore +est-il qu’elle peut dater, comme restauration peut-être, du commencement +du <small>XVI</small>ᵉ siècle, les débris de sa fine ornementation l’indiquent. A +l’intérieur elle est lambrissée de jolies boiseries de la même époque.</p> + +<p>Dans l’appartement auquel s’annexe la tourelle demeura Sainte-Croix, +l’amant de la marquise de Brinvilliers. Sainte-Croix, officier au +régiment de Tracy, avait été jeté à la Bastille sur la requête du mari +de sa maîtresse, M. de Brinvilliers, son colonel, et du père de la +marquise, M. d’Aubray, lieutenant civil de Paris. Il fit en prison la +connaissance de l’Italien Exili, qui l’initia à ses recherches sur les +poisons. La marquise essaya les produits de Sainte-Croix et d’Exili, les +poudres de succession, sur son père d’abord, puis sur ses frères.</p> + +<p>Une série de crimes effroyables s’ensuivit, la Brinvilliers eut des +émules et des imitateurs dans les plus hautes régions de la ville et de +la cour. Tout se découvrit à la suite d’un accident arrivé à +Sainte-Croix. Celui-ci, la figure couverte d’un masque de verre, +préparait ses poisons dans un laboratoire, lorsque subitement son masque +se brisa. Suffoqué par des vapeurs mortelles, Sainte-Croix tomba sur son +fourneau et exhala aussitôt son âme noire. Dans l’enquête faite par la +justice sur les causes de cette mort, on mit la main sur une cassette +contenant avec des fioles et des paquets de poudres, des lettres de la +marquise qui ne pouvaient laisser aucun doute sur les crimes commis. +L’affaire dite des poisons éclata, effroyable et terrifiante, qui +devait, à la suite de longues et romanesques péripéties, mener la +Brinvilliers au bûcher. L’empoisonneuse s’était enfuie dans un couvent +de Belgique où l’on ne pouvait la saisir; après des tentatives diverses, +on lui expédia un bel agent déguisé en abbé qui obtint vite toute sa +confiance et parvint un jour, fort galamment, à l’entraîner hors du +couvent jusqu’à un carrosse dans lequel il la jeta de force, pour courir +ensuite à toutes brides jusque sur le sol français.</p> + +<div class="figleft" style="width: 221px;"> +<a href="images/illu-350.jpg"> +<img src="images/illu-350.jpg" width="221" height="276" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE LA RUE SAINT-BENOIT DÉMOLIE EN 1850</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_303" id="page_303">{303}</a></span></p> + +<p>La rue Vieille-du-Temple possède encore, récemment restaurée avec goût, +la vraiment remarquable tourelle de l’hôtel Herouët, considérée souvent +à tort comme un reste de l’hôtel Barbette, parce qu’elle touchait à +l’hôtel Barbette qu’habita Isabeau de Bavière, et au sortir duquel fut +assassiné le duc d’Orléans en 1409. D’après les recherches de M. +Sellier, cette maison, construite probablement sur quelque ancienne +dépendance du séjour Barbette, appartenait déjà à une demoiselle +Herouët, lorsqu’en 1561 le séjour Barbette fut vendu par ses derniers +propriétaires, les héritiers de Diane de Poitiers, pour être démoli peu +d’années après. La tradition rapporte que l’un des assassins du duc +d’Orléans, pris de remords, établit à perpétuité sur le lieu du crime +une lampe allumée le soir dans une fenêtre grillée de cette tourelle. La +tourelle étant bien postérieure au meurtre, les remords seraient venus +bien tard à ce criminel, à moins que la fondation de la lampe du remords +sur ce point n’ait été établie avant la construction de la maison et +n’ait persisté ensuite.</p> + +<div class="figright" style="width: 264px;"> +<a href="images/illu-351.jpg"> +<img src="images/illu-351.jpg" width="264" height="418" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE L’HOTEL DE FÉCAMP, RUE HAUTEFEUILLE, HABITÉ +PAR SAINTE-CROIX</p></div> +</div> + +<p>Cette tourelle de l’hôtel Herouët est aussi précieuse que celles du même +temps qui flanquent l’hôtel de Sens. Plus bas dans la rue du Temple, la +maison qui fait<span class="pagenum"><a name="page_304" id="page_304">{304}</a></span> l’angle de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie porte +sur cet angle une haute tourelle carrée dépourvue d’ornements. Elle est +loin de valoir celles que le <small>XV</small>ᵉ siècle nous a laissées, mais elle n’en +donne pas moins une belle allure à la maison qui la supporte. Cette +tourelle est datée de 1610, le cabaret à qui elle sert d’enseigne fait +remonter sa naissance à 1690.</p> + +<p>Un peu plus bas dans la rue du Temple, à propos d’enseigne, se trouve +appliquée sur la façade d’une maison, l’enseigne de l’<i>Orme +Saint-Gervais</i> provenant d’une maison de la place Saint-Gervais.</p> + +<p>Ce fameux orme qui sans doute est pour quelque chose dans le dicton +ironique: <i>attendez-moi sous l’orme</i>, était planté devant le portail de +l’église Saint-Gervais; on l’avait entouré d’un banc toujours occupé par +des flâneurs ou par les bonnes gens du quartier venant y goûter, après +journée faite, le repos assaisonné de petites ou grandes nouvelles.</p> + +<p>L’orme traditionnel de Saint-Gervais, pas toujours le même, car il +vieillissait et mourait comme tout dans la nature, mais pour renaître +bien vite, ombrageait cette étroite place de l’église depuis six ou huit +siècles; en 1131 il était là déjà, Philippe, fils de Louis le Gros, +passant à cheval sur la place, se cassa la tête près de lui, son cheval +ayant pris peur d’un porc qui se jeta dans ses jambes.</p> + +<p>Le <small>XIX</small>ᵉ siècle ne respecte guère les antiques traditions, on le sait; il +trouva encore à sa place le fameux orme parisien, mais, sans pitié pour +ce monument végétal, Napoléon le fit raser.</p> + +<p>Revenons aux tourelles, il en est une encore, carrée comme la tourelle +de la rue du Temple, qui s’encorbelle à la maison du coin des rues +Saint-Paul et des Lions-Saint-Paul, une haute et forte tourelle +accrochée à un énorme pignon remarquable par sa masse, mais qui a dû +perdre dans des ravalements successifs les ornements que ses +constructeurs avaient pu lui donner. D’après M. Lefeuvre, là demeurait +le médecin de Charles IX et de Henri III, peu après le percement de la +rue des Lions sur les terrains de l’hôtel Saint-Paul.</p> + +<p>La partie de l’hôtel dite <i>hôtel de la Reine</i> était derrière, entre +cette tourelle et l’église Saint-Paul. Quant à la rue des Lions, on la +nomma ainsi parce qu’elle traverse, dans les dépendances de l’hôtel +Saint-Paul, l’emplacement de la ménagerie des rois, qui gardaient près +de leur palais des cages pour <i>lions</i>, <i>ours</i>, <i>sangliers et aultres +bêtes étrangères et sauvaiges</i>. La ménagerie royale en s’établissant +plus tard au jardin du roi ou des Plantes ne fit que traverser la +rivière.</p> + +<p>Henri III eut sa ménagerie au Louvre: la chronique du temps rapporte +qu’à la suite d’un rêve où il se voyait dévoré par ses lions et ses +ours, il fit arquebuser tous ses pensionnaires, ce qui ne conjura pas le +danger, car on lui expliqua aussitôt que les bêtes du songe étaient +allégoriques et représentaient les dragons furieux de la révolte prêts à +le déchirer, les factions de la très Sainte Ligue.</p> + +<p>Nous trouvons maintenant encore une tourelle dans le quartier du Marais, +celle de l’hôtel Lamoignon, tourelle carrée portée sur une trompe. +Ensuite, plus de tourelles aux hôtels du <small>XVII</small>ᵉ siècle, plus +d’encorbellements. Sous le règne de</p> + +<div class="figcenter" style="width: 384px;"> +<a href="images/illu-353.jpg"> +<img src="images/illu-353.jpg" width="384" height="558" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>CHARLOTTE CORDAY CONDUITE A LA SECTION DE L’ABBAYE</p> + +<p>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_305" id="page_305">{305}</a></span></p> + +<p class="nind">la ligne droite, on ne songea guère à gracieusement accidenter la +silhouette des constructions.</p> + +<p>Le <small>XVIII</small>ᵉ siècle cependant, cherchant à donner un peu d’agréments aux +lignes, a laissé en fait d’encorbellements la curieuse maison qui fait +l’angle des rues de la Vrillière et Croix-des-Petits-Champs. Assez +semblable à deux tours accolées dont on aurait fortement rogné la base, +la maison avec ses corniches saillantes, ses espèces de frontons +ondulés, conserve quelque prestance malgré les enseignes commerciales +cachant en partie sa ceinture de balcons.</p> + +<p>Outre les puits de carrefours assez nombreux, des fontaines aussi +ornaient quelques places. La plus ancienne était celle des Innocents qui +existait avant le <small>XIII</small>ᵉ siècle. La fontaine primitive avait-elle un +caractère architectural, c’est fort probable. On dut la reconstruire au +<small>XVI</small>ᵉ siècle; appuyée à l’église des Innocents, elle donnait sur la rue +Saint-Denis et sur la rue aux Fers. C’était, de par les talents réunis +de Pierre Lescot et de Jean Goujon, un monument charmant orné des +nymphes gracieuses que l’on connaît.</p> + +<p>En 1786, à la suppression de l’église et du cimetière, on créa sur +l’emplacement le marché des Innocents; alors, en remontant la fontaine, +il fallut lui donner les deux faces qui lui manquaient, avec trois +nymphes de plus, que le sculpteur Pajou traita dans la manière de Jean +Goujon.</p> + +<div class="figright" style="width: 201px;"> +<a href="images/illu-355.jpg"> +<img src="images/illu-355.jpg" width="201" height="441" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DE L’HÔTEL DE MIRAULMONT, RUE HAUTEFEUILLE (1895)</p></div> +</div> + +<p>Il était fort pittoresque ce marché des Innocents et la fontaine en +faisait superbement le centre; en 1865, on le supprima à son tour pour +le remplacer par un square. Hélas! elle fait moins bien maintenant, la +pauvre fontaine, sur les pelouses banales de ce jardin correct et +bour<span class="pagenum"><a name="page_306" id="page_306">{306}</a></span>geois. Oh! les squares ridiculement bien peignés, que de monuments +ils ont gâtés!</p> + +<p>On connaît les noms et les emplacements de quelques-unes des fontaines +d’avant la Renaissance, Sainte-Avoye, Barre-du-Bec, de la place +Baudoyer, des Filles-Dieu, etc., celle du prieuré Saint-Martin existe +toujours ainsi que la fontaine Maubuée.</p> + +<p>Celle-ci, reconstruite en 1734, fut ornée de sculptures bien abîmées +aujourd’hui, au-dessus desquelles cependant un bel écusson de la ville +de Paris subsiste malgré tout et laisse voir la nef parisienne sous +forme de frégate marchant toutes voiles dehors.</p> + +<p>Rien n’est resté, pas même un dessin, de la fontaine monumentale de la +Trinité, près la porte Saint-Denis, cette fontaine qui jouait toujours +son rôle dans les divertissements des entrées royales.</p> + +<p>La fontaine primitive de la Croix-du-Trahoir a disparu aussi, mais elle +a été remplacée par celle que nous connaissons. François Iᵉʳ +reconstruisant en 1529 la croix ruinée du Trahoir, lui donna pour +soubassement une petite fontaine octogonale qui formait le centre d’un +petit marché, dans un carrefour pourtant fort étroit. La grande gêne qui +en résultait pour la circulation fit déplacer cette fontaine en 1636; on +l’appliqua contre un pavillon construit par le prévôt des marchands +François Miron, pour recevoir les eaux de l’aqueduc d’Arcueil.</p> + +<p>Au <small>XVIII</small>ᵉ siècle cette vieille fontaine tombant en ruines fut remplacée +par celle que nous voyons aujourd’hui, construite sur les dessins de +Soufflot.</p> + +<p>Le carrefour de l’Arbre-Sec, avec sa fontaine et la croix du Trahoir, +était un de ces vieux décors de l’histoire parisienne, fameux à bien des +titres. Proche des Halles et du Louvre, au confluent de la rue +Saint-Honoré, avec le fleuve humain coulant sur le Pont-Neuf, c’était un +endroit vivant, bourdonnant et remuant et qui ne manquait pas de jouer +son rôle aux jours d’émeute.</p> + +<p>Si le bourreau y venait quelquefois accrocher ses clients à la potence +qui faisait pendant à la vieille croix du Trahoir, le roi y passait +aussi. Un jour, Henri III s’y rencontra avec Monsieur de Paris au moment +où celui-ci allait pendre un pauvre diable. Le criminel à la vue du roi +se débattit en criant grâce et le roi s’arrêta pour s’informer des +méfaits du patient. Renseignements pris, le crime était vraiment trop +notable pour que Sa Majesté pût faire acte de clémence; le roi, en +haussant les épaules, continua son chemin en disant: Qu’on ne le pende +point qu’il n’ait dit son <i>In manus!</i>... Le pendu récalcitrant jura +qu’il se garderait bien de le dire, et voilà juges, greffiers et +bourreaux bien embarrassés. On courut après le cortège royal pour +exposer le cas et cette fois Henri III ne put faire autrement que +d’octroyer sa grâce à ce criminel si avisé.</p> + +<p>Le 21 juillet 1578, le mignon Saint-Mesgrin sortant du Louvre à onze +heures du soir, fut chargé par une troupe nombreuse tout près du Trahoir +et percé de trente-quatre coups mortels. Et, dit l’Estoile, «de ce +meurtre n’en fut fait autre instance ou poursuite, tout favori du roi +qu’il était, Sa Majesté étant bien avertie que le duc de Guise l’avait +fait faire par le bruit qu’avait ce mignon d’entretenir sa femme». +C’était d’ailleurs le frère de Guise, le duc de Mayenne, qui conduisait +les assassins, le fait était connu.<span class="pagenum"><a name="page_307" id="page_307">{307}</a></span></p> + +<p>Bien d’autres assassinats entre gens de qualité, en ce terrible <small>XVI</small>ᵉ +siècle et aussi après, ensanglantèrent ce carrefour ou ses environs. +N’est-ce pas entre l’Arbre-Sec et la barrière des Sergents qu’en 1618 le +chevalier de Guise, fils du duc de Guise, ayant formé le projet de tuer +le maréchal d’Ancre pour prendre sa place dans les bonnes grâces de la +veuve d’Henri IV, Marie de Médicis, et voyant ses plans déjoués par un +avertissement donné à Concini, se vengea sur l’indiscret, qui était un +vieux gentilhomme nommé le baron de Luz. Il le rencontra en carrosse rue +de l’Arbre-Sec, le força à descendre de voiture et le tua d’un coup +d’épée avant que le baron eût pu se mettre en garde. Le fils du baron +ayant voulu venger son père, provoqua peu après le chevalier de Guise, +qui, dit-on, se servit encore du procédé qui lui avait réussi et +assassina le fils de la même façon que le père.</p> + +<p>A la journée des barricades de la Fronde, dont le coadjuteur fait en ses +Mémoires un si pittoresque tableau, le carrefour de l’Arbre-Sec eut sa +bonne part d’émotions. Quelle journée mouvementée pour le coadjuteur +frétillant d’ambition, et pour le quartier du Pont-Neuf!</p> + +<div class="figcenter" style="width: 241px;"> +<a href="images/illu-357.jpg"> +<img src="images/illu-357.jpg" width="241" height="455" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>MAISON NATALE DE MOLIÈRE A L’ENSEIGNE DU «PAVILLON DES +CINGES», ANGLE DES RUES SAINT-HONORÉ ET DES ÉTUVES</p></div> +</div> + +<p>Quand la sédition occasionnée par l’arrestation du conseiller Broussel +est bien<span class="pagenum"><a name="page_308" id="page_308">{308}</a></span> allumée et que le populaire en fureur bouscule les quelques +troupes envoyées pour le contenir, le cardinal de Retz sort en rochet et +camail pour aller trouver la reine, prend en passant le maréchal de la +Meilleraye fort en peine au Pont-Neuf au milieu de l’émeute et arrive +avec lui au Palais-Royal, suivi d’une foule criant: Broussel! Broussel! +Il est d’abord mal reçu par la reine courroucée, par les courtisans qui +essayent en s’en moquant de diminuer l’importance de cette sédition +soulevée, disent-ils, par la nourrice du bonhomme Broussel,—lequel +bonhomme avait quatre-vingts ans.</p> + +<p>Anne d’Autriche furieuse déclara que plutôt que de rendre Broussel elle +l’étranglerait de ses deux mains! Mais sur de nouveaux renseignements +annonçant que l’émeute est à deux doigts de tourner en révolution, les +courtisans qui tout à l’heure se moquaient ouvertement du coadjuteur, +arrachent à la reine la promesse de la liberté de Broussel, promesse que +l’on comptait bien d’ailleurs ne pas tenir une fois l’ébullition +parisienne refroidie.</p> + +<p>Munis de cette promesse, le coadjuteur et le maréchal repartent pour +répandre la nouvelle dans la ville soulevée. Le maréchal de la +Meilleraye, encore ému de ses embarras de la matinée et de la peine +qu’il a dû se donner pour convaincre la cour, se fraie péniblement un +passage dans la foule, à la tête de ses chevau-légers, et marche l’épée +haute, s’époumonnant à dominer les vociférations populaires par le cri +de vive le Roi, liberté à Broussel!</p> + +<p>Mais en touchant à la rue de l’Arbre-Sec, l’épée qu’il brandit paraît +une menace aux émeutiers, qui dans le tumulte ne saisissent point le +sens de ses paroles. Le maréchal est pressé, menacé, des bras se lèvent +contre lui, il se défend, il se fâche et abat un homme d’un coup de +pistolet. A ce coup tout paraît gâté, l’escorte repoussée se débat et +essaie de charger, les bourgeois allument la mèche de leurs arquebuses +et la mêlée s’engage dans le carrefour bondé d’une foule hurlante.</p> + +<p>Fort de la faveur des Parisiens le coadjuteur veut, pour arrêter la +bagarre, interposer son autorité; il est renversé d’un coup de pierre et +un garçon apothicaire lui appuie le canon de son mousquet sur le front, +il va lui faire sauter la cervelle lorsque Retz, qui garde un grand +sang-froid à cette minute terrible, se retourne et lui crie: «Ah! +malheureux, si ton père te voyait!» Le garçon interdit à ce mot relève +son mousquet, et le coadjuteur peut se faire reconnaître. On parlemente, +Retz entraîné dans la foule traverse les quartiers soulevés et bientôt, +suivi de trente ou quarante mille Parisiens criant, chantant, acclamant +et menaçant, foule bariolée, bardée de vieilles cuirasses, hérissée de +toutes les vieilles arquebuses et hallebardes de la Ligue, il reparaît +devant le Palais-Royal avec la Meilleraye que son intervention à +l’Arbre-Sec avait sauvé, et rentre avec lui chez la Reine pour +renouveler ses instances en faveur de Broussel.</p> + +<p>Ainsi chemin direct, sinon trait d’union entre le palais des rois et la +maison du peuple, la rue Saint-Honoré, depuis que le Parisien s’émeut, +et cela lui est arrivé assez souvent dans le cours des siècles, a servi +de champ à bien des bagarres semblables. Il est peu de générations de +Parisiens qui n’aient eu l’occasion de la voir parcourue par des bandes +ayant pour objectif l’un ou l’autre de ces deux édifices<span class="pagenum"><a name="page_309" id="page_309">{309}</a></span> ennemis, qui +se regardaient depuis si longtemps par-dessus Paris bouillonnant.</p> + +<p>Lorsque triompha l’édifice de la Grève où siégeait la commune de 93, la +rue Saint-Honoré ne fut-elle pas aussi le chemin conduisant du tribunal +révolutionnaire, tenant séance dans le palais de saint Louis, à la +guillotine de la place Louis XV, dite alors de la Révolution et +maintenant de la Concorde? Après les cortèges royaux, les convois des +charrettes fatales.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 312px;"> +<a href="images/illu-359.jpg"> +<img src="images/illu-359.jpg" width="312" height="333" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE RUES HAUTEFEUILLE ET PIERRE-SARRAZIN</p></div> +</div> + +<p>En ce siècle les habitants de la vieille rue y ont eu surabondance de +spectacles: splendeurs impériales, défilés de soldats épiques revenant, +harassés de victoires, de toutes les contrées d’Europe avec le fulgurant +empereur en tête; bandes insurgées criant Vive la Charte, vive Orléans, +vive la République ou vive la Commune! comme leurs pères avaient crié: +vive Bourgogne, vive Guise ou vive la Ligue!</p> + +<p>Le dernier défilé de ce genre, nous l’avons vu nous-même le 22 mai 1871 +au matin, c’était la débâcle des soldats de la Commune surpris au petit +jour aux remparts de Passy et refluant en désordre le long des boutiques +se fermant à la hâte...<span class="pagenum"><a name="page_310" id="page_310">{310}</a></span></p> + +<p>Encore un souvenir cependant à notre carrefour de l’Arbre-Sec. Molière +fut un de ses enfants. Nous avions à Paris pour le grand poète comique, +deux maisons natales, une rue de la Tonnellerie aux Halles, et une rue +des Étuves-Saint-Honoré en face de la croix du Trahoir, et deux maisons +mortuaires rue de Richelieu. Des plaques en font encore foi.</p> + +<p>C’était vraiment beaucoup. Il n’y a plus guère de doute maintenant. Les +recherches des moliéristes semblent avoir définitivement prouvé qu’en +1622, au moment de la naissance de l’enfant qui devait être Molière, le +tapissier Jean Poquelin avait quitté la rue de la Tonnellerie et +occupait la maison faisant le coin de la rue des Étuves et de la rue +Saint-Honoré. Dans tous les cas, Molière y a passé son enfance.</p> + +<p>En ce temps la rue des Étuves, aujourd’hui rue Sauval menant à la Bourse +du commerce, aboutissait aux jardins de l’hôtel de la reine Catherine de +Médicis. La maison Poquelin était une construction à pans de bois +apparents, déjà vieille de plus d’un siècle, décorée sur l’angle d’un +beau poteau sculpté jusqu’au toit; ce poteau cornier figurait un arbre +après lequel grimpait une troupe de singes, se contorsionnant, grimaçant +et croquant des pommes. Le tapissier en avait tiré son enseigne: <i>au +pavillon des cinges</i>. On a pu voir encore ce poteau des singes au +commencement de notre siècle, la maison ayant vécu jusqu’en 1802.</p> + +<p>Quant aux deux maisons mortuaires rue de Richelieu 34 et 40, il paraît +que la dernière seule a droit à la plaque relatant la mort de Molière le +6 février 1673.</p> + +<div class="figleft" style="width: 163px;"> +<a href="images/illu-360.jpg"> +<img src="images/illu-360.jpg" width="163" height="498" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE PLACE DE L’HOTEL DE VILLE, DÉMOLIE EN 1850</p></div> +</div> + +<p>Grâce à l’intervention du roi près de l’archevêque de Paris, la +dépouille du grand comédien put s’en aller reposer en terre sacrée. On +l’enterra à sept heures du soir dans le cimetière de la petite église +Saint-Joseph, bâtie à l’angle des rues Mont<span class="pagenum"><a name="page_311" id="page_311">{311}</a></span>martre et du Temps-Perdu, +maintenant Saint-Joseph. Une grande pierre recouvrait la tombe et sur +cette pierre la veuve de Molière fit charitablement, dans un hiver +rigoureux, allumer de grands feux pour un chauffoir public.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 256px;"> +<a href="images/illu-361.jpg"> +<img src="images/illu-361.jpg" width="256" height="420" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENTERREMENT DE MOLIÈRE AU CIMETIÈRE SAINT-JOSEPH, RUE +MONTMARTRE</p></div> +</div> + +<p>A la Révolution on créa un marché sur l’emplacement de l’église et du +cimetière; nous avons vu il y a peu d’années démolir ce marché +Saint-Joseph, et retirer des fouilles des tombereaux d’ossements, parmi +lesquels peut-être les os et le crâne de Molière. Alas, poor Yorick!<span class="pagenum"><a name="page_312" id="page_312">{312}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_IX" id="CHAPITRE_IX"></a> +<a href="images/illu-362-a.jpg"> +<img src="images/illu-362-a.jpg" width="356" height="281" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +FRONTON DE L’HÔTEL SALÉ. ÉTAT ACTUEL +</span> +<br /> +<br /> +CHAPITRE IX<br /><br /> +LA PLACE ROYALE ET LE MARAIS</h2> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-362-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption"> +AU CARROUSEL DE LA PLACE ROYALE</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>Le dernier tournoi.—Fêtes au palais des Tournelles.—La lance de +Montgommery.—Le combat des Mignons.—Fondation de la place +Royale.—Le carrousel d’inauguration.—Les raffinés d’honneur et la +manie des duels.—L’hôtel Sully.—M. de Mayenne.—L’hôtel +Lamoignon.—Les logis de Gabrielle d’Estrées.—Zamet.—Les +ruelles.—Précieuses et Alcôvistes.—Poètes et beaux esprits.—Mᵐᵉ +de Sévigné à Carnavalet.—Marion Delorme et Ninon de Lenclos.—Le +malade de la Reine.—Mᵐᵉ Scarron.—L’hôtel de Beauvais.—Théâtres +et jeux de paume.—Le Roi des Halles.—L’hôtel Salé.—Hôtels de +grands seigneurs et de Parlementaires.—Grandes portes et frontons +sculptés.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">J</span>USQUE vers la fin du <small>XVI</small>ᵉ siècle la grande muraille de Charles V +enferma, entre la Bastille et le Temple, de vastes terrains non bâtis; +les quartiers du Marais et de la future place Royale, ces quartiers qui +devaient bientôt<span class="pagenum"><a name="page_313" id="page_313">{313}</a></span> devenir le centre du Paris aristocratique, restèrent +en jardins, en cultures de maraîchers, entremêlés de quelques hôtels, de +couvents en certain nombre, de maisons de repenties.</p> + +<p>La lance de Montgommery en frappant Henri II dans le dernier tournoi +chevaleresque fut comme la baguette magique qui donna le signal de la +transformation, bien lente il est vrai.</p> + +<p>Le palais des Tournelles avait succédé comme demeure royale à l’hôtel +Saint-Paul, le vieil <i>hôtel des grands esbattements</i>; la cour occupait, +de l’autre côté de la rue Saint-Antoine, juste sous la Bastille, le +vaste palais ceint d’une muraille que flanquaient de place en place les +<i>tournelles</i> ou tourelles qui lui avaient valu son nom.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 368px;"> +<a href="images/illu-363.jpg"> +<img src="images/illu-363.jpg" width="368" height="289" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>HÔTEL SULLY, FAÇADE SUR LA RUE SAINT-ANTOINE. ÉTAT +ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>Des lices, un champ clos pour <i>tournoyer</i> tenaient un large espace bordé +de bâtiments à galeries. Les grandes joutes chevaleresques données en +1559 à l’occasion des accordailles de la fille du roi avec Philippe II +d’Espagne et des noces de Marguerite, sœur du roi, avec Emmanuel +Philibert, duc de Savoie, coûtèrent la vie au roi de France et au palais +des Tournelles.</p> + +<p>Le tournoi fatal, dans des lices spécialement établies entre la Bastille +et le Palais, dura quatre jours. A la fin du quatrième jour, le roi +ayant déjà rompu<span class="pagenum"><a name="page_314" id="page_314">{314}</a></span> quelques lances, voulut malgré l’avis de certains +seigneurs saisis d’un vague pressentiment, courir une dernière joute et +tenter de faire vider les arçons à Montgommery, capitaine de sa garde +écossaise, «<i>grand et raide jeune homme</i>» qu’il avait déjà ébranlé une +première fois. Le choc eut lieu; par malheur, Montgommery oublia de +jeter aussitôt sa lance rompue; le bois de cette lance donna dans la +visière du roi et s’enfonça dans un œil.</p> + +<p>Le roi tomba de son cheval à moitié mort déjà.</p> + +<p>Malgré toute la science des premiers chirurgiens, et bien qu’on eût fait +toutes les expériences et essais possibles sur les têtes de quatre +criminels décapités au Grand Châtelet, on ne put retirer les esquilles +logées dans le cerveau et, après dix jours d’horribles souffrances, +Henri II trépassa, à peine âgé de quarante-trois ans.</p> + +<p>Catherine de Médicis prenant les Tournelles en horreur, les quitta +sur-le-champ et finit par obtenir de Charles IX en 1563 un arrêt de +démolition.</p> + +<p>Cette démolition se fit très lentement, les Tournelles restèrent +longtemps à l’état de ruines dont on ne savait que faire, entourées de +terrains vagues où se tint même un marché aux chevaux. Les événements +n’étaient guère favorables, la Ligue et la guerre civile donnaient +d’autres sujets de préoccupations aux rois qui se succédaient sur un +trône en état de démolition aussi.</p> + +<p>L’autorité royale rétablie sous Henri IV, les dernières ruines des +Tournelles disparurent définitivement. Alors par la création de la place +Royale avec son carré de bâtiments d’une si belle ordonnance, le +quartier aristocratique en formation prit tout à coup une grande et +noble allure et conquit avec la vogue son renom d’élégance et de +gentilhommerie cavalière.</p> + +<p>Les raffinés Louis XIII, les belles dames et les gens de qualité, les +précieux et les précieuses se donnant rendez-vous sous les arcades, +allaient en faire le centre du Paris élégant, et succéder aux maquignons +et aux maraîchers chassés de leurs terrains où poussaient maintenant au +lieu de choux de magnifiques hôtels.</p> + +<p>Mais pendant que les Tournelles étaient encore en l’état de ruine à demi +démolie, sur le terrain de la future place Royale, emplacement de +l’ancienne grande cour du palais et alors marché aux chevaux, eut lieu +en 1578 le fameux duel des mignons d’Henri III.</p> + +<p>Un jeune gentilhomme attaché aux Guises, Charles d’Entragues, le bel +Entraguet, ayant, dans l’enceinte même du Louvre, insulté publiquement +Quélus l’un des mignons du roi, une rencontre fut arrêtée pour le +lendemain 29 avril à cinq heures du matin, au marché aux chevaux. Quélus +avait pris pour seconds Maugiron et Livarot, autres mignons du roi, +Entraguet amenait Riberac et Schomberg; c’étaient de très jeunes gens +tous les six et qui n’avaient même pas tous atteint leur vingtième +année.</p> + +<p>L’animosité était si grande alors entre guisards et royaux que le combat +s’engagea furieusement tout de suite, aux cris de «Vive le roi!» et de +«Vive Guise!» Or, Quélus n’avait que son épée.—Tu as une dague et je +n’en ai point! dit-il à son adversaire quand ils tombèrent l’un sur +l’autre.<span class="pagenum"><a name="page_315" id="page_315">{315}</a></span></p> + +<p>—Tu as donc fait une grande sottise de l’oublier au logis! lui répondit +Entraguet en ferraillant.</p> + +<p>Et le malheureux Quélus eut bien vite la main gauche «toute découpée de +plaies» en parant les coups avec le bras faute de dague. Bientôt +Maugiron et Schomberg roulèrent à terre tués raides; leurs adversaires +victorieux, Riberac et Livarot n’en valaient guère mieux.</p> + +<p>Quélus couvert de sang luttait encore; après s’être longtemps défendu, +il ne tomba que criblé de dix-neuf blessures; tandis qu’Entraguet s’en +tirait avec une simple écorchure.</p> + +<p>Riberac mourut le lendemain, Livarot fut six semaines en danger. Quant à +Quélus, dans l’hôtel de Boissy où il avait été transporté, il mit +trente-trois jours à mourir, soigné par les chirurgiens du roi et par le +roi lui-même qui venait passer les journées à son chevet.</p> + +<p>Ce <small>XVI</small>ᵉ siècle, quel temps d’énergie surexcitée! et ces enragés +ferrailleurs n’étaient que des adolescents efféminés, des mignons de cet +étrange Henri III, et ils avaient déjà fait leurs preuves, si +sérieusement que Maugiron en était borgne, ayant eu l’œil crevé à seize +ans au siège d’Issoire. Cela fait penser aux débuts du terrible Montluc, +à peu près au même âge, se lançant à corps perdu dans un trou de brèche +à l’assaut d’une bicoque du Piémont, tombant sous les arquebusades à +bout portant, accroché par une jambe par ses compagnons qui le tirent de +là en lui cassant cette jambe et plusieurs côtes.</p> + +<p>Henri III éleva à Quélus et Maugiron, réunis à Saint-Mesgrin tué rue +Saint-Honoré, un tombeau magnifique dans Saint-Paul, avec des +inscriptions où sa douleur s’épanchait en vers et en prose. Saint-Foix +dans ses <i>Essais</i> sur Paris donne, entre autres, l’étrange épitaphe de +Maugiron, gravée sur le tombeau détruit en 1588 par les ligueurs:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">La déesse Cyprine avait conçu des Cieux,<br /></span> +<span class="i0">En ce siècle dernier, un enfant dont la vue<br /></span> +<span class="i0">De flammes et d’éclairs était si bien pourvue<br /></span> +<span class="i0">Qu’Amour, son fils aîné, en devint envieux.<br /></span> +<span class="i0">Chagrin contre son frère et jaloux de ses yeux<br /></span> +<span class="i0">Le gauche lui creva, mais sa main fut déçue<br /></span> +<span class="i0">Car l’autre qui était d’une lumière aiguë<br /></span> +<span class="i0">Blessait plus que devant les hommes et les Dieux.<br /></span> +<span class="i0">Il vint en soupirant s’en complaindre à sa mère;<br /></span> +<span class="i0">Sa mère s’en moqua; lui tout plein de colère<br /></span> +<span class="i0">La Parque supplia de lui donner confort<br /></span> +<span class="i0">La Parque, comme Amour en devint amoureuse;<br /></span> +<span class="i0">Ainsi Maugiron gît sous cette tombe ombreuse,<br /></span> +<span class="i0">Et vaincu par l’Amour et vaincu par la mort.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>C’est seulement en 1605 que disparurent les dernières ruines du palais +des Tournelles et avec elles les restes de ses jardins. Sur cet +emplacement abandonné, qui peu à peu prenait un aspect misérable et +devenait, par sa population sordide, une vraie cour des miracles, Sully +avait fait décider par Henri IV la création d’une vaste place carrée +qu’on appellerait place de France et sur laquelle viendraient<span class="pagenum"><a name="page_316" id="page_316">{316}</a></span> aboutir +huit grandes rues destinées à porter des noms de huit provinces. Le +temps manqua au Béarnais pour exécuter complètement le projet de Sully, +la place seule fut achevée et encore seulement au commencement du règne +de son successeur, en 1612.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 334px;"> +<a href="images/illu-366.jpg"> +<img src="images/illu-366.jpg" width="334" height="427" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>HÔTEL LA VIEUVILLE, RUE SAINT-PAUL (1895)</p></div> +</div> + +<p>La place Royale par sa noble et symétrique ordonnance, ses arcades +ininterrompues, ses pavillons réguliers aux immenses combles, ses +grandes lignes, son<span class="pagenum"><a name="page_317" id="page_317">{317}</a></span> heureux mélange de pierres et de briques demeure un +spécimen complet et précieux de l’architecture des commencements du +<small>XVII</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>Sur les deux grands côtés du rectangle, deux hauts pavillons dominent +les autres, l’un ouvrant sur la rue de Birague par trois larges arcades, +du côté de la rue Saint-Antoine, est le pavillon du Roi; il porte +d’ailleurs pour le rappeler, au fronton de la fenêtre centrale du +principal étage, le buste du bon Henri à la barbiche souriante. Le +pavillon qui lui fait face, ouvert également par trois arcades, +s’appelle le pavillon de la Reine.</p> + +<p>Henri IV bâtit lui-même la face méridionale, côté du pavillon du roi, et +l’on raconte qu’il venait souvent, comme un particulier qui se livre à +la bâtisse, surveiller ses maçons, dont il ne devait malheureusement pas +voir l’œuvre achevée. Les terrains des autres faces avaient été mis en +adjudication, à charge pour les acquéreurs de bâtir aussitôt suivant les +plans arrêtés. Grands seigneurs et riches parlementaires s’étaient +disputé les terrains. Le quartier était lancé. En même temps que les +hôtels de la place Royale sortaient de terre, d’autres constructions +s’élevaient rapidement aux alentours, sur tous les emplacements libres, +couvrant le vieux Marais de logis princiers, de beaux hôtels +aristocratiques.</p> + +<p>Les somptueux logis de la place Royale aux majestueux appartements d’une +seigneuriale hauteur de plafonds, ouvrant au-dessus des arcades leurs +balcons ventrus, eurent parmi les premiers occupants les Rohan-Guémenée, +le marquis de Vitry, le maréchal de Lavardin, le marquis de Tresmes, le +duc de Chaulnes, etc... On y vit plus tard les Rohan-Chabot, le marquis +de Dangeau, le duc de Richelieu et bien d’autres parmi les noms les plus +illustres. Un seul hôtel est resté depuis la fondation jusqu’à nos jours +dans la famille de l’acquéreur primitif, c’est l’hôtel d’Escalopier, au +numéro 25.</p> + +<p>Bientôt trois siècles se sont écoulés depuis ces temps, la place Royale +n’a plus cette brillante population qui faisait de ce vaste carré rouge +et blanc quelque chose comme une immense cour de château, les nobles +seigneurs se sont envolés, mais elle a gardé son grand air. Cette +douairière ne vieillit pas trop et se défend contre les atteintes du +temps. Ses hôtels ont à l’intérieur gardé de beaux restes de leur +splendeur, et conservé extérieurement leurs vieux balcons.</p> + +<p>Parmi ceux que des noms particulièrement grands recommandent, il +convient de citer l’hôtel portant aujourd’hui le numéro 1 <i>bis</i> et +l’hôtel numéro 6. Au premier de ces hôtels naquit Mᵐᵉ de Sévigné. Le +second, qui fut primitivement l’hôtel Guéménée, vaut par la majesté du +génie une demeure royale, illustre entre les plus illustres, car il fut +le logis de Victor Hugo de 1830 à 1852. Aux grands jours de la place +Royale, en ce même hôtel vécut la belle Marion Delorme, dont le souvenir +devait inspirer au poète un de ses plus beaux drames.</p> + +<p>Ainsi habitée par les plus grands seigneurs, devenue en quelques années +le plus aristocratique carré du sol parisien, la place Royale toute +fraîche voit affluer sous ses arcades toute la fleur de Paris, les +brillants cavaliers, les seigneurs à la moustache galamment retroussée +en barbe de chat, le col encadré dans les grands rabats, de la dentelle +au cou, de la dentelle aux bottes, relevant<span class="pagenum"><a name="page_318" id="page_318">{318}</a></span> avec l’épée les pans de +leurs manteaux brodés et soutachés, et toutes les belles dames de la +cour et de la ville, femmes de qualité ou beautés à la mode, recevant ou +lançant les œillades, presque toutes la figure cachée sous un masque +qu’elles retiennent par un bouton de verre dans un coin de la bouche.</p> + +<p>C’est un vivant tableau d’Abraham Bosse que cette place Royale des +premiers temps; tous les personnages du graveur et les gentilshommes de +Callot, toutes les élégances du temps rencontrent sous les arcades ou +sous les tilleuls de la place, les gens de robe d’allure plus grave et +les gens de finance. Parmi ces jeunes cavaliers au large feutre +empanaché circulent de vieilles barbes engoncées dans les fraises à +l’ancienne mode, vieux compagnons des longues chevauchées du feu roi, ou +de non moins vénérables barbes d’échevins et de parlementaires, épaves +de la Très Sainte Ligue, des gens trempés au feu des terribles luttes +religieuses, d’anciens ligueurs apaisés, oublieux des vieilles passions.</p> + +<p>De temps en temps dans le bourdonnement des causeries et des rires +scandés par des bruits d’éperons, un mouvement se produit, on s’arrête, +on se hausse pour voir, on s’incline pour saluer, c’est le siècle défunt +qui passe, c’est Maximilien de Béthune, M. le duc de Sully, grave et +imposante figure à belle barbe blanche, marchant cérémonieusement +entouré de ses gardes et de ses gentilshommes, et rentrant en son hôtel +de la rue Saint-Antoine, qui touche par les jardins à un angle de la +place Royale.</p> + +<p>Cette place qui devait sa naissance au tournoi d’Henri II, le dernier +tournoi chevaleresque marquant la fin des gendarmes aux lourdes armures +et de toute l’antique et majestueuse ferraille des combats, avait été +inaugurée en 1612, à l’occasion des fiançailles du petit Louis XIII avec +Anne d’Autriche, par un grand carrousel, tournoi théâtral et galant où +le clinquant, les rubans et les plumes remplaçaient les armures, la +lance et les masses d’armes.</p> + +<p>Tout le pourtour de la place avait été garni d’immenses estrades et de +pavillons merveilleusement décorés et pavoisés, destinés à recevoir la +cour et tout ce que Paris renfermait de gens de qualité ou de notables. +Au centre la lice était gardée par les mousquetaires et les Suisses, +sous les ordres du duc d’Épernon. Les tenants de ce tournoi pour rire +étaient les ducs de Guise, de Nevers, de Bassompierre, de Chevreuse et +le marquis de la Châtaigneraie, caracolant à la tête de cinq cents +gentilshommes qui luttaient de somptuosité dans les costumes et les +équipages et qui s’évertuaient en inventions fastueuses de toute sorte.</p> + +<p>Le sujet de ce pas d’armes inauguratif, réglé comme un ballet, était des +plus galants. Sur un côté de la place avait été élevé un château fort à +tourelles joyeusement pavoisé, <i>le palais de la félicité</i> que devaient +défendre contre tout venant les tenants du carrousel, les chevaliers de +la Gloire, dénommés Alcindor, Léontide, Alphée, Lysandre, Argant, +assistés par plusieurs escadrons de non moins brillants gentilshommes, +les <i>chevaliers du Lys</i>, à la tête desquels marchait le duc de Vendôme, +les <i>chevaliers de la Félicité</i> commandés par le duc de Retz, les +<i>chevaliers de l’Univers</i>, les <i>chevaliers du Soleil</i>, conduits par le +prince de Conti sous le nom d’Aristée, les deux Amadis, Persée, plus un +certain nombre de preux<span class="pagenum"><a name="page_319" id="page_319">{319}</a></span> de romans de chevalerie, bizarrement mélangés +de chevaliers romains, de nymphes de Diane représentées par de jeunes +gentilshommes, plus une interminable suite de hérauts d’armes, +d’archers, d’estafiers, de pages, d’écuyers, d’esclaves, etc...</p> + +<p>On devait y voir même les Quatre Vents, mais ils ne se trouvaient plus +par malheur qu’au nombre de trois, le Vent du Nord, c’est-à-dire le +chevalier de Balagny, dit Balagny le brave, bretteur fameux par nombre +de duels heureux, ayant eu la malechance de se faire tuer l’avant-veille +dans une dernière querelle.</p> + +<div class="figright" style="width: 193px;"> +<a href="images/illu-369.jpg"> +<img src="images/illu-369.jpg" width="193" height="310" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>UN PANNEAU DE LA GRANDE PORTE DE L’HOTEL SAINT-AIGNAN 71, +RUE DU TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>Il y avait aussi un rocher figurant le Pinde, garni d’un orchestre de +divinités chantant agréablement et comme intermèdes des défilés de chars +divers de toutes formes, de bêtes fabuleuses, de géants de carton et +d’animaux vivants. Pour cette immense cavalcade, des sommes folles +avaient été dépensées, aussi bien par ceux qui figuraient dans les +cortèges que par les invités des tribunes, mais quel succès que ces +trois jours de fête, de passes d’armes courtoises, de courses de +quintaine et bagues, au fracas des musiques, des arquebusades sur la +place et de deux cents canons tonnant à la Bastille! Journées joyeuses, +terminées chaque soir par un défilé du cortège interminable à travers la +ville, à la lueur des lanternes. Superbe occasion de désordres dans le +turbulent Paris d’alors, et pourtant, à quelques bousculades près, tout +se passa bien «sans qu’il en résultât d’autres accidents que deux +incendies».</p> + +<p>Mais la destinée de la place Royale n’était pas seulement de servir de +champ clos à des luttes réglées comme des menuets, elle devait revoir +des rencontres assez semblables à celles des Mignons et des Guisards au +temps du marché aux chevaux des Tournelles. Tous ces galants à grandes +flamberges qui promenaient leurs panaches sous les arcades avec mille +politesses et mille gracieusetés pour les dames rencontrées, tous ces +<i>raffinés d’honneur</i>, ces seigneurs pimpants et piaffants avaient aussi +l’amour des belles estocades. Leurs rapières n’étaient pas<span class="pagenum"><a name="page_320" id="page_320">{320}</a></span> seulement +pour battre leurs talons, elles sortaient facilement du fourreau à la +moindre occasion, pour une querelle, sérieuse ou anodine, pour une +rivalité quelconque, pour un mot, pour un coup d’œil de travers, pour un +regard de dame intercepté, ou pour rien, «pour le plaisir»!</p> + +<p>La manie des duels, en quinze ans sous Henri IV, avait coûté la vie à +sept ou huit mille gentilshommes. Il y avait pourtant des défenses +formelles, des édits sévères, mais les survivants de ces combats en +étaient quittes pour se mettre quelque temps à l’abri des officiers de +justice et pour solliciter, une fois l’affaire assoupie, des lettres de +rémission.</p> + +<p>Richelieu arrivé au pouvoir renouvela les prohibitions d’Henri IV et +résolut par des exemples sévères de couper court à cette rage de combats +singuliers. L’un de ces plus enragés parmi ces enragés duellistes, le +comte de Bouteville-Montmorency, exilé à Bruxelles pour quelques +rencontres où il avait couché ses adversaires sur le carreau, faisait +demander vainement au roi de rapporter l’ordre d’exil. Provoqué à +Bruxelles par le marquis de Beuvron, parent du comte de Thorigny, un de +ses derniers adversaires, Bouteville déclara qu’il se battrait à Paris +en pleine place Royale et en plein jour.</p> + +<p>Il prend la poste, rentre à Paris et le 12 mai 1627, dans l’après-midi, +à l’heure du beau monde, apparaît place Royale avec son adversaire et +les seconds, qui vont, selon la vieille coutume, s’entrégorger +également. Bouteville amène le comte des Chapelles et la Berthe, Beuvron +est accompagné de Briquet et de Bussy d’Amboise, lequel, malade depuis +deux semaines, sortait du lit avec la fièvre pour venir estocader aux +côtés de son ami.</p> + +<p>Il y a foule sur la place; aussitôt qu’on les reconnaît, galants +cavaliers et belles dames font le cercle et voilà les six adversaires +aux prises. Bouteville et Beuvron après avoir ferraillé furieusement et +s’être désarmés successivement, se réconcilient tout à coup, mais +pendant ce temps, des Chapelles tue le pauvre Bussy. Les archers du +guet, accourus au bruit, ont de la peine à fendre la foule, ils arrivent +juste pour voir les survivants sauter sur des chevaux et s’efforcer de +mettre du terrain entre eux et le cardinal bafoué.</p> + +<p>C’est à cette occasion que Mᵐᵉ de Sévigné dut de perdre son père, le +baron de Chantal, quelques mois à peine après son entrée en ce monde +dans l’hôtel de la place Royale. Le baron avait aidé à la fuite des +duellistes: poursuivi lui-même, il dut fuir à son tour et se réfugia +chez son ami le comte de Toiras, gouverneur de l’île de Ré; il y périt +l’an d’après au moment du siège de la Rochelle; les Anglais venant +secourir la cité protestante débarquèrent dans l’île et le baron de +Chantal fut tué dans le combat.</p> + +<p>Bouteville et des Chapelles couraient sur la route de Lorraine, Beuvron +et Briquet galopaient vers un port de mer pour gagner l’Angleterre. Les +deux premiers se laissèrent rattraper à Vitry-le-Brûlé. On les ramena à +Paris et le 21 juin 1627, le grand cardinal ayant repoussé +inflexiblement toutes les sollicitations, ils furent décapités sur la +place de Grève. A propos de «l’accident qui est arrivé à M. de +Bouteville», écrit le cardinal dans une lettre, «pour couper les</p> + +<div class="figcenter" style="width: 557px;"> +<a href="images/illu-371.jpg"> +<img src="images/illu-371.jpg" width="557" height="389" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE DUEL DE BOUTEVILLE-BEUVRON, SUR LA PLACE ROYALE, EN +1627</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +<span class="pagenum"><a name="page_321" id="page_321">{321}</a></span> +</div> + +<div class="figcenter" style="width: 331px;"> +<a href="images/illu-373.jpg"> +<img src="images/illu-373.jpg" width="331" height="538" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’HÔTEL SULLY, FAÇADE SUR LA COUR</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_322" id="page_322">{322}</a></span></p> + +<p class="nind">racines de ce mal si invétéré dans le royaume, le roi a cru être obligé +en conscience et devant Dieu et devant les hommes, de laisser le cours +libre à la justice en cette occasion».</p> + +<p>Ce terrible exemple refroidit un peu les têtes trop chaudes de la jeune +noblesse. Bouteville habitait l’hôtel de Royaumont, rue du Jour, sous +l’église Saint-Eustache, hôtel bâti pour les abbés de Royaumont et qui +existe encore aujourd’hui, occupé par un magasin de faïences; il en +avait fait une véritable académie de bretteurs, non pas seulement +friands de lame, mais bien possédés de la fringale de l’épée.</p> + +<p>En 1639 une statue de Louis XIII fut érigée par Richelieu au milieu de +la place Royale qui n’était délimitée alors que par un carré de +barrières. La monture royale était, ainsi que le cheval de bronze de +Henri IV au Pont-Neuf, un cheval d’occasion qui avait déjà dû servir +pour une statue de Henri II projetée par Catherine de Médicis sur cette +même place.</p> + +<p>Le cavalier, paraît-il, valait moins comme art que le cheval: on le +trouvait grotesque. Louis XIII était représenté avec le bâton de +commandement en main, une nuit d’audacieux satiristes en action lui +enlevèrent ce bâton. Le cardinal, en dressant cette statue au roi pour +le compte duquel il gouvernait, avait chargé les inscriptions du +piédestal de préciser un peu indiscrètement son rôle. La dédicace le +donnait déjà à entendre:</p> + +<p>«<i>Pour la glorieuse et immortelle mémoire du très grand, très invincible +Louis le juste XIIIᵉ du nom, roi de France et de Navarre, Armand, +cardinal et duc de Richelieu, son principal ministre dans tous ses +illustres et généreux desseins, etc...</i>»</p> + +<p>En réponse à cette dédicace, un sonnet de Desmarets faisant parler Louis +XIII, disait sur l’autre face:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Armand, le grand Armand, l’âme de mes exploits<br /></span> +<span class="i0">Porta de toutes parts mes armes et mes lois<br /></span> +<span class="i0">Et donna tout l’éclat aux rayons de ma gloire...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Cheval et cavalier, en 92, furent envoyés à la fonte par la Révolution. +Une autre statue équestre les remplaça sous la Restauration.</p> + +<p>A cette belle place Royale, dont le nom seul fait revivre tant de choses +et qui, restée complète, intacte, nous représente toute cette époque, on +a infligé le nom de place des Vosges; on peut se demander ce que ces +montagnes viennent faire ici, la raison en est qu’en 93 ou 94, pour +récompenser le département des Vosges d’avoir achevé le premier de payer +ses contributions, on inscrivit ce nom sur les plaques à la place du nom +historique. Il est fort louable de payer ses impôts avec exactitude, +mais la débaptisation de la pauvre place n’en est pas moins ridicule.</p> + +<p>Le grand ministre du grand Henri, le duc de Sully, qui survécut trente +années à son roi, ne fit point bâtir l’hôtel de Sully, ce vaste hôtel de +magnifique architecture, qui demeure assez mélancolique dans sa pompe +seigneuriale au fond<span class="pagenum"><a name="page_323" id="page_323">{323}</a></span> de sa grande cour toujours silencieuse si près de +la rue bruyante et populaire, à deux pas du remuant faubourg +Saint-Antoine, où se ralluma le feu des révolutions juste deux siècles +après la pacification de la France par le roi et le ministre. Sully +n’est pas le constructeur de cet hôtel et pourtant, comme il est bien +dans le caractère du ministre, avec sa solennité, son ornementation +abondante mais lourde, cet aspect ordonné, solide et massif qui respire +la noblesse et la gravité, avec une certaine dose de morgue; comme cette +façade grise d’une noblesse imposante, mais pesante et morose, évoque +puissamment la grande figure de Sully vieillissant dans l’inaction et +dans l’ennui solennel!</p> + +<p>Et pourtant, ce cadre tout à fait digne de lui, Sully l’aurait acheté, +sinon tout fait du moins fort avancé, d’un sieur Gallet, riche +financier, spéculateur et joueur, qui en avait gagné, disait-on, le +terrain d’un coup de dés heureux. Ce terrain était un morceau des +Tournelles, là-dessus en 1624 le très riche Gallet fit édifier par Jean +Androuet du Cerceau l’hôtel que nous voyons et peu de temps après, en +1627, la construction n’étant pas achevée, Gallet ruiné vendit à un +acquéreur qui recéda au vieux ministre en 1634 l’hôtel non encore +terminé. Il y a encore incertitude sur tout cela. On se représente assez +peu un financier à la fortune peu assise édifiant un pareil hôtel tandis +que Sully semble en être le maître naturel.</p> + +<div class="figleft" style="width: 309px;"> +<a href="images/illu-375.jpg"> +<img src="images/illu-375.jpg" width="309" height="420" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>TOURELLE DE L’HÔTEL LAMOIGNON</p></div> +</div> + +<p>Le style, d’ailleurs, retarde un peu sur l’époque de Louis XIII, comme +l’homme et en 1630 il en est resté à Henri IV. Bossages, riches +encadrements et frontons de fenêtres, lucarnes énormes et robustes +consoles, la façade est très décorée; de grand bas-reliefs, un Hercule +et un Bacchus ornent les trumeaux du premier étage au-dessus de +l’entrée. Cette façade principale au fond de la cour est<span class="pagenum"><a name="page_324" id="page_324">{324}</a></span> précédée d’un +fossé sur lequel est jeté un pont que gardent deux espèces de sphinx +Renaissance. Aux bâtiments en retour sur la cour, toujours même +décoration, mêmes robustes lucarnes, et de grands bas-reliefs de nymphes +et de déesses.</p> + +<p>Derrière est un jardin qui va rejoindre la place Royale, l’aspect de ce +côté est aussi bien <small>XVII</small>ᵉ siècle, ce ne sont que grands murs à vieille +décoration, antiques bâtiments par-dessus lesquels se profilent les +grands toits des maisons de la place. De tout l’hôtel, la façade sur la +rue Saint-Antoine seule a été modifiée; entre les deux gros pavillons à +larges frontons arrondis, à fenêtres colossales, le grand portail +d’entrée voûté à caissons, jadis couvert d’une simple terrasse, a été +surmonté d’un bâtiment d’une hauteur égale à celle des pavillons, ce qui +a bouché la cour, supprimé la vue à la façade du fond et donné à cette +cour un air de froide tristesse.</p> + +<div class="figleft" style="width: 273px;"> +<a href="images/illu-376.jpg"> +<img src="images/illu-376.jpg" width="273" height="457" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PAVILLON DE L’HÔTEL LAMOIGNON AVEC LES CROISSANTS DE +DIANE AUX FRONTONS. ÉTAT ACTUEL</p></div> +</div> + +<p>Sully qui s’était démis de sa surintendance des finances six mois après +la mort d’Henri IV, écœuré par les dilapidations de la régence de Marie +de Médicis, c’est-à-dire du règne de Concini devenu soudainement grand +seigneur et maréchal d’Ancre, demeura grand maître de l’artillerie et +garda une habitation à l’Arsenal. Il partagea sa vie entre ses châteaux, +Villebon et Sully-<span class="pagenum"><a name="page_325" id="page_325">{325}</a></span>sur-Loire, l’Arsenal et cet hôtel de la rue +Saint-Antoine; éloigné des affaires, absent du siècle pour ainsi dire, +il vécut dans un fastueux ennui jusqu’à quatre-vingt-deux ans, quittant +ce monde six mois à peine avant Richelieu.</p> + +<p>Presque en face de l’hôtel Sully vécut un autre survivant du <small>XVI</small>ᵉ siècle +et des longues guerres, M. de Mayenne, l’ancien adversaire du Béarnais +que le Béarnais essouffla si bien en des années de courses et de +combats. L’hôtel de Mayenne est d’une quinzaine d’années antérieur à +celui de Sully, il fut élevé sur un terrain ayant dépendu de l’hôtel +Saint-Paul. Lorsque Sully vint occuper son logis, Mayenne n’existait +plus et c’est dommage, car c’eût été motif à philosopher que de voir les +deux vieux ennemis encore face à face, se regardant à travers la rue, +tous deux, le vainqueur et le vaincu, pacifiés et bien revenus des +furieuses haines d’antan. Mayenne n’a pas eu de chance, son hôtel a +quitté son nom et pris celui de l’intendant des finances Lefèvre +d’Ormesson. L’hôtel d’Ormesson élève sur l’angle des rues Saint-Antoine +et du Petit-Musc de hautes et sévères murailles, ce fut la pension +Favart, c’est maintenant une grande école libre des Frères. Dans un +angle de la belle cour récemment restaurée et modifiée, au-dessus du +bâtiment d’entrée surélevé comme à l’hôtel Sully, se voit une jolie +tourelle d’angle, encorbellée sur une trompe.</p> + +<p>Rue Pavée, à l’angle de la rue des Francs-Bourgeois, s’élève l’hôtel de +Lamoignon qui jadis s’en allait par ses jardins border la rue de la +Culture-Sainte-Catherine et ne se trouvait guère séparé de la place +Royale que par le couvent de Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers. C’est +encore un logis qui fait surgir de l’histoire des noms fameux du <small>XVI</small>ᵉ +siècle. Aux frontons des grands pavillons sur la cour se reconnaissent +les emblèmes de Diane de Poitiers, les cerfs et les chiens, les +croissants de la maîtresse de Henri II. Malgré ces marques ce n’est +pourtant pas elle qui a construit l’hôtel, mais sa fille légitimée Diane +de France. Celle-ci fut une très vertueuse dame fort éloignée de +ressembler à sa mère la belle Diane; elle avait épousé Charles de +Valois, duc d’Angoulême, fils naturel de Charles IX et de Marie Touchet, +son neveu par conséquent, lequel était un très vilain personnage. On +connaît la réponse du duc d’Angoulême aux réclamations de ses valets +auxquels il oubliait de payer leurs gages:—Des gages! C’est à vous à +vous pourvoir, quatre rues aboutissent à l’hôtel d’Angoulême, vous êtes +en beau lieu, profitez-en si vous voulez!</p> + +<p>L’hôtel, bien que serré par les constructions élevées à la place de ses +dépendances, a conservé grande allure avec ses énormes pilastres +corinthiens et ses frontons; à l’encoignure de ce carrefour où les +valets du duc auraient dû prélever leurs gages sur les passants, il +encorbelle encore une large tourelle carrée, d’un bel effet. Le nom de +ce duc d’Angoulême, triste et méprisable sire, n’est pas resté à +l’hôtel, pour lequel on a préféré le nom respectable de Lamoignon.</p> + +<p>Le célèbre premier président au Parlement de Paris, sage magistrat qui +tenta quelques réformes dans le système judiciaire et essaya d’adoucir +un peu la patte de fer de Dame Justice, vint habiter l’hôtel dans le +dernier quart du <small>XVII</small>ᵉ siècle, et ses descendants le gardèrent jusqu’à +la Révolution, jusqu’à Guillaume de<span class="pagenum"><a name="page_326" id="page_326">{326}</a></span> Lamoignon de Malesherbes, non moins +vertueux magistrat, vieillard admirable qui vint courageusement et +simplement, à soixante-dix-sept ans, s’offrir comme défenseur à Louis +XVI, c’est-à-dire apporter de lui-même sa tête à la guillotine.</p> + +<p>Lamoignon de Malesherbes dans sa jeunesse prenait des leçons de danse +sans grand profit. Un jour après six mois de persévérance le maître à +danser, son professeur, vint désespérément trouver son père.—Monsieur +le président, dit-il, je dois à la confiance dont vous avez bien voulu +m’honorer, ainsi qu’à ma conscience de maître dans notre art si +important, de vous déclarer que j’y renonce, monsieur votre fils ne +dansera jamais! et il ne fera jamais rien! j’en suis désolé. Essayez de +l’Église, car rien qu’à la manière dont il porte la tête, je le déclare +incapable de réussir jamais dans la magistrature!...</p> + +<p>La superbe Diane de Poitiers, ensuite Marie Touchet, qui malgré +l’anagramme flatteur: <i>Je charme tout</i>, fut de toute façon figure bien +moindre, ne sont pas les seules ombres de maîtresses royales que le +passant épris du passé rencontre en ces parages du Marais et de la Place +Royale. L’ombre de la maîtresse du Béarnais plane aussi sur quelques +points de la région. Elle y vécut avant que la Place Royale fût créée, +elle y eut de nombreuses intrigues, prétend la chronique qui lui prête +volontiers toutes les qualités hormis celle de la fidélité, et si elle +n’y mourut pas, elle y prit le poison cause de sa mort, chez le +financier italien Zamet qui avait son hôtel rue de la Cerisaie.</p> + +<p>Il y a peu d’années existait encore cet hôtel devenu l’hôtel de +Lesdiguières ou des Diguières, comme on disait jadis. Il avait été bâti +par Sébastien Zamet. Cet homme, fils d’un cordonnier de Lucques, était +devenu, en passant par d’assez vilains métiers, grand financier et +«<i>seigneur suzerain de dix-sept cent mille écus</i>», pêchés en eaux +troubles pendant les guerres civiles.</p> + +<p>Or en 1599, la charmante Gabrielle, créée duchesse de Beaufort, mère de +deux enfants, les ducs de Beaufort et de Vendôme, se trouvait sur le +point de devenir reine de France; Henri IV était résolu à l’épouser et +faisait prononcer ou plutôt régulariser le divorce depuis si longtemps +effectué avec sa femme de la Saint-Barthélemy, la reine Margot. Le +mariage n’était plus que l’affaire de quelques semaines, la belle +Gabrielle allait devenir reine de France. Au printemps, pour aller faire +ses Pâques à Paris et terminer quelques apprêts en vue du grand +changement prochain, elle quitta le château de Fontainebleau escortée +jusqu’à Melun par le roi et toute la cour. Les adieux furent très +tendres, Henri ne pouvait qu’avec grand’peine se détacher de cette +<i>racine de son cœur</i>, comme il appela Gabrielle. Il ne devait plus la +revoir. Le roi, pour logement à Gabrielle, donnait l’hôtel du seigneur +Zamet, rue de la Cerisaie, maison fort bien montée—Henri le savait pour +y avoir fait souvent quelques parties clandestines—logis fort agréable +et dont le maître s’efforça de faire avec quelque grandeur les honneurs +à la future reine.</p> + +<p>Une après-midi, en prenant l’air dans le jardin de Zamet, après un repas +magnifique, elle ne put résister au désir de goûter d’un fruit que lui +offrit le maître du lieu. En quittant l’hôtel ce jour-là, jeudi saint, +Gabrielle alla ouïr un<span class="pagenum"><a name="page_327" id="page_327">{327}</a></span> peu de musique sacrée dans la chapelle du petit +Saint-Antoine. Mais il lui prit soudain un malaise tel qu’on dut la +ramener à l’hôtel.</p> + +<p>Chez Zamet l’indisposition empira violemment, le mal était si profond, +les souffrances de la pauvre femme tellement atroces que la belle +Gabrielle en eut tout de suite la face comme ravagée. Elle comprit sans +doute, car lorsqu’elle put parler, dans un instant d’accalmie «<i>elle +n’eut d’autre parole, sinon qu’on l’ôtât promptement du logis</i>». On la +porta dans la maison de Mᵐᵉ de Sourdis au cloître +Saint-Germain-l’Auxerrois, où elle n’arriva presque que pour mourir, +terriblement défigurée en quelques heures par le mal mystérieux.</p> + +<p>Ainsi finit la pauvre Gabrielle à la veille de partager le trône du +Béarnais. Cette mort survenue à un tel moment est une des énigmes de +l’histoire. Fut-elle empoisonnée par le Florentin Zamet? Ne le fut-elle +pas? Mystère! En tout cas, dix-huit mois après, Henri épousait Marie de +Médicis, triste union pour lui et pour la France. Et Marie de Médicis, +qui prit la place de la malheureuse Gabrielle, ne craignit pas +d’accepter elle-même nombre de fois l’hospitalité et les collations de +Zamet, devenu l’un de ses confidents intimes. Apparemment il n’y avait +rien à craindre pour elle des poires ou des oranges de son ami.</p> + +<p>Pour en revenir à la maison de Zamet, elle devint, après le financier, +l’hôtel du duc de Lesdiguières, connétable de France, dont elle garda le +nom en passant plus tard aux Villeroy. Du temps des Lesdiguières, une +habitante de l’hôtel mourut qui fut si fort regrettée qu’on l’enterra +dans le jardin sous un monument portant une épitaphe en vers:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Cy gist une chatte jolie<br /></span> +<span class="i0">Sa maîtresse qui n’aima rien<br /></span> +<span class="i0">L’aima jusqu’à la folie<br /></span> +<span class="i0">Pourquoi le dire? on le voit bien.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Cette chatte tant aimée appartenait à Marguerite de Gondi, veuve de +François de Créquy, duc de Lesdiguières. Le monument subsista longtemps, +le tzar Pierre le Grand put le voir lors de son voyage en France en +1717. Il logea dans l’hôtel Zamet chez le maréchal de Villeroy, et y +reçut la visite de Louis XV enfant. On sait dans quel étonnement, dans +quel effarement même, le monarque moscovite aux façons pour le moins +excentriques, et sa suite peu raffinée, plongèrent les gens de +Versailles, les anciens courtisans du Grand Roy. Lorsque le petit Louis +XV, amené en grande cérémonie, lui rendit la visite reçue à Versailles, +il l’enleva sans façon dans ses bras et l’embrassa sur les deux joues, +ce qui parut une chose absolument inouïe.</p> + +<p>Les maisons auxquelles reste attaché le nom de Gabrielle d’Estrées sont +assez nombreuses à Paris. Elle habita ou fréquenta de nombreux logis, +son père le maréchal François d’Estrées et sa mère, massacrée plus tard +à la prise d’Issoire par les protestants, possédaient rue Barbette, sur +les terrains de l’ancien séjour Barbette, un vaste hôtel dont les +jardins donnaient rue des Trois-Pavillons, maintenant Elzévir, hôtel qui +fut plus tard au président de Corberon, et devint sous l’empire la +maison mère des filles de la Légion d’honneur. Tout près de cet hôtel,<span class="pagenum"><a name="page_328" id="page_328">{328}</a></span> +par-dessus la rue Barbette, un autre grand logis de la rue des +Francs-Bourgeois fut habité par la belle Gabrielle et, suivant la +tradition, vit souvent le roi Henri franchir son seuil. De ces deux +figures de la Reine de Beauté et du Vert Galant, que la maison, restée +presque intacte jusqu’en ces dernières années, et son vieux jardin +purent voir jadis, on peut rapprocher un autre locataire, Barras, vert +galant aussi, le presque roi du Directoire, bientôt jeté bas par le +général Bonaparte.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 287px;"> +<a href="images/illu-380.jpg"> +<img src="images/illu-380.jpg" width="287" height="432" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>MAISONS RUE GALANDE, 1895</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_329" id="page_329">{329}</a></span></p> + +<p>La tradition fait passer aussi Gabrielle d’Estrées mais sans nulles +preuves, rue des Gravilliers, 69, rue du Four-Saint-Germain dans une +maison qui porta ensuite l’enseigne de la chaste Suzanne; elle lui donne +aussi une maison rue Galande, façade de belle apparence, logis +respectable jadis, tombé aujourd’hui au dernier rang des bouges. Pauvre +rue Galande, dont les morceaux encore respectés par les nouvelles voies +alignent encore quelques très beaux pignons, qui se douterait +aujourd’hui à voir ses assommoirs sinistres, ses louches repaires, +qu’elle fut jadis rue écolière très docte, rue de robe, où les régents +de collège voisinaient avec les magistrats, les conseillers au +Parlement. Des Lamoignon y demeurèrent avant d’aller s’installer à +l’ancien hôtel d’Angoulême. Triste décadence.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 330px;"> +<a href="images/illu-381.jpg"> +<img src="images/illu-381.jpg" width="330" height="383" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENTRÉE DE L’HÔTEL DE CÉSAR DE VENDÔME, RUE DE MOUSSY, +DÉMOLI EN 1893</p></div> +</div> + +<p>Pour en revenir à Gabrielle d’Estrées, la chronique parisienne la +gratifie<span class="pagenum"><a name="page_330" id="page_330">{330}</a></span> encore de quelques logis, entre autres d’une maison rue +Brantôme, jadis propriété des nonnes de Montmartre, dont une abbesse qui +gouverna fort longtemps l’abbaye était sa cousine Marie de Beauvilliers, +simple nonnain au temps du siège de Paris par Henri IV, et qui précéda +Gabrielle dans le cœur du Vert Galant. Le dernier logis de la belle fut +cette maison du cloître Saint-Germain-l’Auxerrois habitée par Mᵐᵉ de +Sourdis, sa tante, où elle se fit transporter dans sa cruelle agonie.</p> + +<p>Un peu en dehors du quartier du Marais, près de la Grève et du Monceau +Saint-Gervais, César duc de Vendôme, fils de Henri IV et de Gabrielle +d’Estrées, eut sa résidence dans un hôtel du <small>XVI</small>ᵉ siècle qui allait de +la rue Bourthibourg à la ruelle de Moussy, sur laquelle ouvrait la +grande porte. Vieux quartier et bien vieux murs tombant aujourd’hui un à +un. Quand le démolisseur fait sa trouée dans toutes ces ruelles serrées, +l’éventrement des vieilles façades, enlaidies par les replâtrages ou la +décrépitude, laisse apparaître souvent de vieux ornements salis, de +fines sculptures ou des traces d’or aux vieilles poutres, des escaliers +à rampes de fer forgé ou bien à gros balustres de bois, des armoiries +parfois, donnant de nobles origines à ces logis tombés en roture +d’abord, puis en misère. Nous avons vu disparaître l’hôtel de Vendôme, +et récemment en 1893 on a démoli la belle entrée qui avait survécu un +peu à l’hôtel, une large porte où restaient des sculptures et une énorme +serrure, entrée surmontée d’une galerie encorbellée sur de belles +consoles.</p> + +<p>Dans notre quartier de la Place Royale, un hôtel fameux tire son +illustration principale d’une femme dont il ne porte pas le nom +d’ailleurs; c’est l’hôtel Carnavalet, tout rempli du souvenir de la +femme à la plume d’or, de la marquise de Sévigné, née place Royale près +du Pavillon du roi. Sur des terrains maraîchers du prieuré de +Sainte-Catherine du Val-des-Ecoliers, fondé après la bataille de +Bouvines par les sergents d’armes du roi «<i>qui pour lors gardaient le +pont de Bouvines</i>», le président au Parlement, Jacques des Ligneris +construisit vers 1550 une superbe demeure, œuvre de Pierre Lescot et +Jean Bullant décorée par Jean Goujon, demeure que la mort lui fit +quitter à peine achevée. La maison fut alors acquise par la marquise +veuve de Kernevenoy qui lui imposa son nom breton francisé en +Carnavalet. Le marquis de Kernevenoy avait été en son vivant premier +écuyer de Henri II, gouverneur du futur Henri III, un vaillant soldat de +Montcontour, dit M. Jules Cousin en son étude sur l’hôtel. Mᵐᵉ de +Carnavalet qui vécut fort longtemps en ce logis a, pour armes parlantes, +laissé un masque de carnaval au-dessus de l’ancien écu aux armes +disparues des Ligneris, dans le tympan de la porte d’entrée.</p> + +<p>Au milieu du <small>XVII</small>ᵉ siècle, la finance s’installa dans l’hôtel avec +l’intendant Claude Boislève, un des subordonnés de Fouquet. La finance +ne pouvait se contenter de l’hôtel bâti par M. des Ligneris, il lui +fallait un somptueux logis à la nouvelle mode. Ce fut le château de Vaux +de l’ami de Fouquet; il fit agrandir, surélever ou reconstruire +l’édifice ancien par François Mansard, changea toutes les dispositions +de ce qu’il conservait, et fit ajouter aux grandes figures sculptées par +Jean Goujon une nouvelle série de bas-reliefs.<span class="pagenum"><a name="page_331" id="page_331">{331}</a></span></p> + +<p>Les travaux achevés, les fastueux appartements préparés, survinrent +l’arrestation et la ruine de Fouquet entraînant l’effondrement de +Boislève. Le financier jeté en prison aussi, l’hôtel fut confisqué et +vendu au nom du roi. Un conseiller au Parlement l’acheta et en 1677 il +eut la gloire d’avoir pour locataire notre illustre marquise, heureuse +de s’installer au centre du beau quartier, dans les splendeurs préparées +par le financier avec les bénéfices de la maltote. «Enfin nous avons +notre chère Carnavalette, écrit-elle après des négociations laborieuses, +le bel air, une belle cour, un beau jardin, un beau quartier!»</p> + +<p>Toute la famille tient à l’aise en ce vaste logis, la marquise, son +fils, les Grignan quand ils ne sont pas en Provence, son oncle, l’abbé +de Coulanges, «<i>le bien bon</i>,» etc... Et pendant une vingtaine d’années +Mᵐᵉ de Sévigné habite sa Carnavalette qu’elle ne quitte que certains +étés pour les Rochers, son château de Bretagne sous Vitré, ou pour aller +voir sa fille à Grignan.</p> + +<p>Marie de Rabutin-Chantal avait épousé en 1644, à dix-huit ans, le +marquis de Sévigné, fort mauvais sujet qui la délaissa pour Ninon de +Lenclos et alla peu après pour les beaux yeux de quelque autre se faire +tuer en duel. Restée veuve de bonne heure et très jolie veuve, Mᵐᵉ de +Sévigné se consacra tout entière à ses deux enfants, un fils ressemblant +quelque peu à son père, une fille qui épousa M. de Grignan, gouverneur +de Provence. La séparation de la mère et de la fille nous a valu la plus +grande partie de cette correspondance merveilleuse, chronique vivante, +spirituelle et légère de Paris et de Versailles, miroir fidèle de la +société au temps du grand roi et qui nous rend <i>au naturel</i> tant et tant +d’illustres ou de gros personnages. De toutes ces lettres exquises, une +grande partie a été écrite ici, dans ces salons où se trouve aujourd’hui +la bibliothèque du musée.</p> + +<p>Donc, en son logis de Carnavalet, la marquise, dit M. Cousin, «régna +vingt ans sur cette société polie dont ses lettres sont l’éblouissante +chronique, au milieu d’une petite cour de familiers ayant nom Retz, la +Rochefoucauld, Arnault, Pomponne, Séguier, Turenne, Condé, Bossuet, +Bourdaloue et tant d’autres».</p> + +<p>De tels noms suffiraient à donner de la majesté à ce Carnavalet superbe, +legs des <small>XVI</small>ᵉ et <small>XVII</small>ᵉ siècles, s’il n’avait pas gardé ou repris toute +sa splendeur, son imposante mine d’autrefois.</p> + +<p>La marquise quitta sa Carnavalette en 1696 pour aller soigner sa fille à +Grignan et elle ne revint plus. Après elle, l’hôtel eut des conseillers +à la cour, des financiers pour locataires ou propriétaires; pendant près +d’un siècle la finance y succéda à la robe et la robe à la finance. On y +vit sous la Terreur les bureaux de l’enregistrement; tout était mort +alors, sauf le fisc qui ne mourra jamais et qui alors était devenu, par +les séquestres et confiscations, le plus gros propriétaire de France. +Sous l’Empire, autre administration: la direction de l’imprimerie et de +la librairie, autrement dit la Censure. L’école des Ponts et Chaussées +lui succéda en 1815, les mânes de la pauvre Mᵐᵉ de Sévigné ont dû +souffrir alors, pour tant de géométrie et de mathématiques dans sa +maison. Ce fut ensuite une grande pension, l’institution Verdot jusqu’à +l’achat par la ville de Paris en 1866.</p> + +<p>L’hôtel Carnavalet, sauvé par cet achat de la triste décadence qui +attend tous<span class="pagenum"><a name="page_332" id="page_332">{332}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 375px;"> +<a href="images/illu-384.jpg"> +<img src="images/illu-384.jpg" width="375" height="509" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>Mᵐᵉ DE SÉVIGNÉ A L’HÔTEL CARNAVALET</p></div> +</div> + +<p class="nind">ces vieux hôtels des quartiers aristocratiques abandonnés par +l’aristocratie, est devenu le musée Parisien par excellence, le musée +des souvenirs spéciaux à<span class="pagenum"><a name="page_333" id="page_333">{333}</a></span> Paris. Il n’y a pas perdu, il y a gagné au +contraire, indépendamment des richesses <i>mobilières</i> du musée, puisque +aux richesses architecturales de l’<i>immeuble</i>, d’autres richesses sont +venues s’ajouter.</p> + +<p>La belle cour de l’hôtel refait par Boislève a été restaurée +dernièrement, c’est là qu’on admire les véritablement merveilleux +bas-reliefs des Saisons, sculptés pour M. des Ligneris par Jean Goujon, +particulièrement la plantureuse Cérès symbolisant l’Été, corps superbe +si élégamment drapé, et le robuste Automne. Ces chefs-d’œuvre décorent +la façade du fond de la cour; en face, au revers du pavillon d’entrée, +Jean Goujon sculpta également à la clef de voûte de la porte cochère une +élégante Renommée, et sur les côtés de l’arc deux Victoires couchées +tenant des palmes.</p> + +<p>Les ailes en retour, œuvre de Mansard ont également de grandes figures +entre les fenêtres du premier étage, mais elles sont bien inférieures, +ce sont les quatre Éléments d’un sculpteur inconnu, et les quatre +déesses fort lourdes de Gérard Van Ostal.</p> + +<p>Les appartements de l’hôtel Carnavalet avaient souffert des +transformations et adaptations diverses et des changements de goût, +depuis Mᵐᵉ de Sévigné à qui l’on peut reprocher d’avoir, à l’instigation +de sa fille, fait enlever des «<i>antiquailles</i>» de cheminées du <small>XVI</small>ᵉ +siècle. Dans la grande restauration entreprise par la ville on a +restitué le grand corps de logis de la Renaissance, les hautes fenêtres +et les combles élevés, à la place du comble à la Mansard et l’on a rendu +à l’intérieur quelques-unes des anciennes dispositions, en y ajoutant +quelques cheminées et de belles décorations d’appartements sauvées +ailleurs des démolitions parisiennes.</p> + +<div class="figright" style="width: 181px;"> +<a href="images/illu-385.jpg"> +<img src="images/illu-385.jpg" width="181" height="377" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>MAISON DE LA RENAISSANCE, RUE SAINT-PAUL DÉMOLIE VERS +1840</p></div> +</div> + +<p>Tout cela est plein maintenant et déborde. Vieux souvenirs parisiens, +précieux vestiges d’autrefois, estampes et tableaux, reliques de nos +ancêtres, curiosités de<span class="pagenum"><a name="page_334" id="page_334">{334}</a></span> toutes sortes et de toutes les époques mais +plus particulièrement de la Révolution, objets divers parlant si +éloquemment des temps tragiques, toutes les pièces du musée sont dignes +de l’écrin et le moment va venir où il faudra l’agrandir.</p> + +<p>Derrière le grand corps de logis est l’ancien jardin de l’hôtel. Les +galeries qui l’entourent abritent des fragments de sculptures et relient +de beaux débris d’édifices parisiens atteints par les démolitions, +rapportés et reconstitués ici autour de cette charmante cour fleurie, au +parterre de broderies dessiné dans le style des jardins d’autrefois.</p> + +<p>L’un de ces débris d’édifice est la façade de l’ancien bureau des +drapiers autrefois rue des Déchargeurs, construit sous Louis XIII, +arrivé jusqu’à nous très abîmé, mais restitué aussi fidèlement que +possible, avec son grand écusson représentant le vaisseau de Paris en +gros navire de commerce toutes voiles dehors, sous un fronton supporté +par de puissantes cariatides.</p> + +<p>En face, le joli pavillon Renaissance ouvert par une large arcade sur la +rue des Francs-Bourgeois, c’est le vieil arc de Nazareth, très élégant +débris de l’ancien palais de justice rapporté de la vieille impasse de +Nazareth, autrefois de Galilée, qui s’appelait ainsi, de même que la rue +de Jérusalem, en souvenir des pèlerins de Terre Sainte ici logés dans +des bâtiments spéciaux du palais de saint Louis.</p> + +<p>L’arc avait été élevé sous Henri II pour relier des bâtiments de +l’ancienne et admirable chambre des comptes de Louis XII. Une magnifique +grille, du temps d’Henri II aussi, complète cette superbe porte du musée +parisien où tant de curieuses choses sont à signaler.</p> + +<p>Aux beaux jours du quartier du Marais, si la place Royale eut ses +raffinés d’honneur, bravant les édits et la rigueur du terrible +cardinal, elle eut aussi ses Précieux et ses Précieuses, belles dames, +gens de qualité ou gens de lettres, se rencontrant sur la place aux +promenades de l’après-midi, se retrouvant ensuite dans les salons ou +dans les ruelles des hôtels du quartier. Tout le grand siècle se promena +sous ces arcades et leur resta fidèle tant que le roi Louis XIV n’eut +pas inventé Versailles,—tout le noble et élégant <small>XVII</small>ᵉ siècle, depuis +les vieux amis d’Henri IV, les grands seigneurs du commencement, qui se +souvenaient encore des rudes temps de la Ligue, et leurs fils les +brillants cavaliers, de qui le grand cardinal régnant avait tant de +peine à retenir les épées trop fringantes. Les duchesses et les princes +de la Fronde y viennent lancer mille pointes contre le Mazarin, +successeur de Richelieu et de Louis XIII; les poètes qui vont faire de +leur époque un grand siècle littéraire, y rencontrent beaux esprits et +précieuses qui vont raffiner et subtiliser sur tous les sentiments et +s’efforcer d’écheniller la langue de toutes les vulgarités, ou du moins +de tout ce que dans les ruelles on trouvait plat et commun.</p> + +<p>C’est un besoin de régularité et d’ordonnance qui semble général et +s’impose à tout; on élague le langage comme on élague aussi et comme on +régularise dans la vie nationale et dans le cadre où la vie s’agite, +dans l’architecture touffue des âges précédents; car tout se tient dans +ce monde, les manières de penser comme les manières de se vêtir; les +idées influent sur le costume, l’architecture,<span class="pagenum"><a name="page_335" id="page_335">{335}</a></span> le mobilier, le +gouvernement, la littérature, les perruques et tout le reste, il est +aisé de s’en apercevoir.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 271px;"> +<a href="images/illu-387.jpg"> +<img src="images/illu-387.jpg" width="271" height="436" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>GRANDE PORTE RUE DES FRANCS-BOURGEOIS, 1895</p></div> +</div> + +<p>La <i>Ruelle</i> qui joue un si grand rôle dans l’histoire littéraire du +<small>XVII</small>ᵉ siècle, c’est l’alcôve de la <i>chambre de parade</i>, séparée de cette +chambre par un <i>balustre</i>, comme on disait, une balustrade reliant +parfois des colonnes somptueuses, riche encadrement laissant voir la +maîtresse du lieu couchée dans le grand lit à colonnes,<span class="pagenum"><a name="page_336" id="page_336">{336}</a></span> courtines et +panaches, au milieu d’un cercle de dames, de seigneurs et de beaux +esprits lancés dans une causerie animée, dans des dissertations +littéraires, ou écoutant les poètes dire les petits vers, l’épigramme ou +le sonnet du jour.</p> + +<p>La plus fameuse de ces réunions de Précieuses, celle de l’hôtel de +Rambouillet n’était point voisine du centre brillant de la place Royale. +L’hôtel de Rambouillet était situé rue Saint-Thomas-du-Louvre, près de +l’hôtel de Longueville, autre logis de Précieuses. C’est là que trôna +d’abord Catherine de Vivonne, première marquise de Rambouillet, puis sa +fille Julie d’Angennes, plus tard duchesse de Montausier. Chaque jour à +deux heures, Mˡˡᵉ de Rambouillet ouvrait sa <i>Chambre bleue</i> au milieu de +laquelle, sur une estrade, se trouvait un grand lit entouré d’une +balustrade; elle s’étendait sur ce lit pour recevoir visiteurs et +visiteuses, grands seigneurs, nobles dames, poètes, beaux esprits, et +alors commençaient les discussions quotidiennes sur toutes les +questions, sur tous les raffinements possibles de la galanterie ou de la +littérature, pour démêler de tout le <i>grand fin</i> et le <i>fin du fin</i>.</p> + +<p>Il passa ici, en ce cercle de beaux esprits, les plus pimpantes, les +plus fines et les plus précieuses beautés de cette première et plus +belle partie du grand siècle, les plus hauts seigneurs de France et les +poètes les plus spirituels et les plus grands, Mᵐᵉ de Longueville, +l’héroïne de la Fronde, la duchesse de Chevreuse, l’amie d’Anne +d’Autriche, la marquise de Sablé, la duchesse de Lesdiguières, la jeune +marquise de Sévigné, le cardinal de Retz, Condé, le prince de Conti, le +chevalier de Grammont, M. de Montausier qui fut l’Alceste du +<i>Misanthrope</i>, Bossuet en son adolescence, prêchant déjà, ce qui faisait +dire à Voiture un soir que le futur évêque avait parlé longtemps: Je +n’ai jamais entendu prêcher ni si tôt ni si tard!...</p> + +<p>Et les gens de lettres, toutes les étoiles littéraires du temps, celles +qui étincellent toujours, et les autres, lumignons éteints, Corneille, +Chapelain, Balzac l’emphatique et le dédaigneux, Conrart qui parlait +quelquefois, Colletet, Chapelain l’épique époumonné, Scudéry le +matamore, Voiture et Benserade, les auteurs des fameux sonnets +d’<i>Uranie</i>:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Il faut finir mes jours dans l’amour d’Uranie<br /></span> +<span class="i0">L’absence ni le temps ne m’en sauraient guérir...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p class="nind">et de Job,</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Job de mille tourments atteint...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p class="nind">qui eurent tant de succès dans les ruelles littéraires et partagèrent +tous les alcôvistes en Uranistes et Jobelins, ce qui valut un troisième +sonnet de Corneille:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Deux sonnets se partagent la ville,<br /></span> +<span class="i0">Deux sonnets se partagent la cour<br /></span> +<span class="i0">Et semblent vouloir à leur tour<br /></span> +<span class="i0">Rallumer la guerre civile...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Tous les poètes de l’hôtel de Rambouillet,—et tout ce qui rimait ou +rimaillait dans Paris aspirait à faire partie du Parnasse de la belle +Julie d’Angennes,—se</p> + +<div class="figcenter" style="width: 561px;"> +<a href="images/illu-389.jpg"> +<img src="images/illu-389.jpg" width="561" height="392" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES BOULEVARDS DE PARIS SOUS LE PREMIER EMPIRE</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +<span class="pagenum"><a name="page_337" id="page_337">{337}</a></span> +</div> + +<p class="nind">réunirent pour composer la fameuse Guirlande de Julie, recueil de +superbes miniatures et de madrigaux dont le manuscrit admirablement +exécuté, offert par le duc de Montausier, valut enfin à celui-ci la main +de l’idole après laquelle il soupirait depuis tant d’années.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 361px;"> +<a href="images/illu-391.jpg"> +<img src="images/illu-391.jpg" width="361" height="465" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DE L’HÔTEL DE CHALONS-LUXEMBOURG, RUE +GEOFFROY-L’ASNIER</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_338" id="page_338">{338}</a></span></p> + +<p>Ces précieuses habituées de la célèbre ruelle de Rambouillet et les +autres alcovistes se retrouvaient aux ruelles littéraires de notre +quartier du Marais, lesquelles bien qu’éclipsées par la triomphante +réunion rivale n’en ont pas moins brillé aussi et réuni les mêmes +personnages de qualité, les mêmes poètes ou beaux esprits.</p> + +<p>La marquise de Sablé et la comtesse de Maure, ces deux inséparables +précieuses demeurant porte à porte sous les arcades, passaient leur vie +ensemble, excepté lorsque le moindre «<i>mauvais air</i>» courait dans Paris, +la plus petite grippe, car elles étaient horriblement peureuses, et +elles se calfeutraient alors dans leurs appartements, s’écrivant l’une à +l’autre billet sur billet, faute de pouvoir causer.</p> + +<p>Mᵐᵉ Cornuel leur amie était du quartier aussi, c’est la dame aux +piquants bons mots, esprit des plus vifs et qui trouvait des mots même +dans les situations les plus <i>refroidissantes</i>, comme un certain soir +lorsque, dans quelque carrefour voisin, en sortant de quelque réunion de +beaux esprits, elle fut arrêtée et dévalisée par d’audacieux voleurs qui +cherchèrent des bijoux jusqu’en son corsage.</p> + +<p>Madeleine de Scudéry à l’encrier inépuisable, fournissant +infatigablement à l’admiration de ses lecteurs d’interminables romans +héroïco-précieux en 8000 pages, demeurait rue de Beauce. Elle avait des +samedis très fréquentés où les précieuses luttèrent jusqu’à la fin et +opposèrent une belle résistance aux épigrammes des poètes et beaux +esprits de la période suivante. Mˡˡᵉ de Scudéry ne se rendit jamais et +resta précieuse Louis XIII jusqu’à la fin, jusqu’à sa mort à un âge +aussi avancé que son amie Ninon, au commencement du <small>XVIII</small>ᵉ siècle.</p> + +<p>La place Royale si elle avait de nobles dames, grandes par le nom, par +l’esprit et la beauté, pouvait aussi voir passer sous ses arcades +d’autres femmes non moins admirées et non moins entourées, mais qui +n’avaient pour toute principauté que leur charme et leur beauté. Les +hommages de tous n’en étaient que plus sincères.</p> + +<p>Dans un des hôtels de la place demeurait Marion Delorme, superbe et +prodigue, pour qui soupirèrent des princes, le froid Louis XIII lui-même +et aussi, dit-on, le terrible cardinal «<i>l’homme rouge qui passe</i>»! On +dit qu’elle ne lui fut pas cruelle et ne le laissa pas soupirer trop +longtemps sous son balcon. Marion était bonne catholique et l’on sait +par des mémoires du temps,—calomniateurs ou médisants, qui peut savoir +au juste,—comment elle convertit deux jeunes gentilshommes protestants, +le comte de Chavagnac et le chevalier de Chatillon. Elle avait mis cette +conversion pour prix à ses faveurs et conduisit à confesse, avant tout +paiement, les deux cavaliers touchés par la grâce. Comme Ninon de +Lenclos, cette femme à la mode avait de la naissance et malgré sa vie +libre, la bonne compagnie fréquentait sa maison, dont les galants +soldaient les frais et dont elle faisait les honneurs avec une grâce +spirituelle et charmante. Quand elle mourut à trente-sept ans, dans tout +l’éclat de sa beauté, elle fut exposée vingt-quatre heures sur un lit de +parade dans son logis de la Place-Royale et tout Paris vint la voir.</p> + +<p>Ninon de Lenclos habitait rue des Tournelles, dans ce quartier aussi; +cette<span class="pagenum"><a name="page_339" id="page_339">{339}</a></span> épicurienne fantaisiste était de bonne maison et se fit pardonner +toutes ses fantaisies à force d’esprit. La haute société ne lui tenait +aucunement rigueur; la charmeuse destinée à rester belle, et charmeuse, +et spirituelle presque tout un siècle et à porter la tradition des +précieuses du temps de Louis XIII presque jusqu’à la Régence, avait une +ruelle où se rencontraient bien des gens d’esprit et des précieuses de +qualité. Mᵐᵉ de Sévigné y fut souvent; Mᵐᵉ de Maintenon y vint aussi +quand elle n’était que la femme du poète Scarron, <i>le malade</i> en titre +de la reine. Ninon était oublieuse et légère, heureusement pour elle, +sans quoi, dans son cœur que de grands noms du grand siècle, que +d’importants seigneurs!</p> + +<p>Son dernier logis rue des Tournelles, où elle était locataire de +Hardouin Mansart, existe encore; c’est celui qui la vit prendre de l’âge +sans vieillir et mourir bien près de la centaine. Par malheur a disparu +l’autre logis, celui qui pourrait dire que de serments elle a faits qui +valurent juste autant que le bon billet de La Châtre.</p> + +<p>Mᵐᵉ de Maintenon est aussi une des figures célèbres de la Place Royale, +que parmi tant d’autres il ne faut point oublier. C’était au temps de +son obscurité quand elle accompagnait la chaise à porteurs dans laquelle +on amenait son mari gémissant, souffrant et riant, pour prendre un peu +de soleil sur la place.</p> + +<p>Le pauvre Scarron, tordu et perclus à vingt-cinq ans, après on ne sait +trop quel accident, mais perclus à ne pouvoir remuer que les doigts, ce +«<i>poète circonflexe, raccourci de la misère humaine</i>», comme il +s’intitulait, vécut d’abord avec ses sœurs rue des Douze-Portes, pourvu +d’une petite pension de 500 écus qu’il justifiait burlesquement par sa +charge de <i>Malade de la reine</i>,—de toutes les charges du royaume, la +plus consciencieusement occupée, hélas! Enfoncé dans ce fauteuil qui +resta sa coquille pour la vie, il s’efforçait de prendre son mal en +gaieté, entassait incessamment avec une verve inattaquable à la maladie, +les rimes les plus folles, écrivait le <i>Roman comique</i> et se raillait de +tout, spirituellement, avec ses amis les poètes qui venaient rire et +causer en sa chambre de malade.</p> + +<p>Au temps de la Fronde il fit comme les autres, chansonna Mazarin et se +vit retirer cette charge qu’il remplissait si bien. Privé de sa pension, +il se consola encore, écrivit et rima davantage, s’efforçant de rire +plus haut. En 1652, cet homme ruiné de toutes façons épousa par bonté +d’âme la petite Françoise d’Aubigné, alors âgée de dix-sept ans, et qui +ne se voyait point d’autre asile que le couvent. Les nouveaux mariés +allèrent habiter rue de la Tixeranderie près de l’Hôtel de Ville. Ce +triste mariage fut pourtant le point de départ de la fortune de Mˡˡᵉ +d’Aubigné. C’est par son mari le pauvre poète, ami de la fine fleur des +beaux esprits, protégé par quelques grands seigneurs, que Françoise +d’Aubigné entra en relations avec les grandes familles de la +Place-Royale et mit le pied très modestement dans ce monde brillant, qui +ne se doutait guère alors de la haute fortune à elle promise par le +destin.</p> + +<p>Tous les mémoires ou récits du temps sont d’accord pour dire que la +belle Mᵐᵉ Scarron se tint dignement, très simple et très réservée, en +cette maison du<span class="pagenum"><a name="page_340" id="page_340">{340}</a></span> poète burlesque, maison irrégulière où les revenus +étaient bien incertains, où le rôti absent se remplaçait parfois par une +histoire, mais où assez souvent aussi de nobles convives et de joyeux +lettrés s’invitaient sans façon à manger les poulardes et les venaisons +apportées par chacun ou envoyées par des amis, maison gaie en somme, +malgré les tracas d’argent, et que plus tard, sous le terrible fardeau +de ses grandeurs, Mᵐᵉ de Maintenon avoua quelquefois regretter en +cachette.</p> + +<p>Mᵐᵉ Scarron fréquentait alors beaucoup, entre autres nobles maisons du +quartier, l’hôtel de Richelieu sur la place, l’hôtel Lesdiguières, +l’hôtel d’Albret, un des beaux hôtels encore de la rue des +Francs-Bourgeois au numéro 5, en face Carnavalet; elle était assidue +chez Mᵐᵉ de Sévigné qui n’habitait pas encore Carnavalet. Combien de +fois la marquise écrit-elle à sa fille «Mᵐᵉ Scarron vint dîner hier» ou +«Mᵐᵉ Scarron que je vis l’autre jour disait...» On la voit mêlée à +l’existence de toute cette haute société, et même plus tard emmenée par +Mᵐᵉ de Montespan au château de Saint-Germain où est la cour.</p> + +<p>Quand l’excellent Scarron, à moitié mort depuis si longtemps, acheva de +mourir, quittant sa chaise, sa vie de souffrances si bravement +supportées, ses bons amis affligés, il laissa Mᵐᵉ Scarron fort +dépourvue. Il avait rimé depuis longtemps sa touchante épitaphe:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Celui qui cy maintenant dort<br /></span> +<span class="i0">Fit plus de pitié que d’envie<br /></span> +<span class="i0">Et souffrit mille fois la mort<br /></span> +<span class="i0">Avant de perdre la vie.<br /></span> +</div><div class="stanza"> +<span class="i0">Passant ne fais icy de bruit,<br /></span> +<span class="i0">Garde bien que tu ne l’éveilles<br /></span> +<span class="i0">Car voicy la première nuit<br /></span> +<span class="i0">Que le pauvre Scarron sommeille.<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>La veuve dans son dénuement dut se retirer chez les Hospitalières de la +Charité de l’impasse du Foin, maintenant de Béarn et elle eut à se +chercher des protecteurs parmi ses belles relations. La protection +n’avait plus couleur littéraire, Scarron n’étant plus là pour payer en +esprit; sa femme n’était plus qu’une veuve distinguée, mais très pauvre, +qui dut se résoudre à bien des amertumes et même à des humiliations. +Enfin elle hérita de la pension que l’on avait rendue à Scarron, et s’en +alla habiter, croit-on, rue du Perche, une maison qui existe encore.</p> + +<p>Elle eut dix ans d’obscurité et de petite vie bourgeoise aux prises avec +la gêne, lorsque tout à coup, en 1670, se produisit ce foudroyant coup +de fortune qui la jeta dans l’histoire et presque sur le trône de +France.</p> + +<p>Chez la maréchale d’Albret, Mᵐᵉ de Montespan, maîtresse du roi, avait +jadis remarqué cette jeune femme modeste et spirituelle, au maintien +très digne, et qui, traitée en protégée, rendait de petits services dans +la maison. La favorite du roi avait déjà fait rétablir la petite pension +encore une fois supprimée à la mort d’Anne d’Autriche. Elle pensa un +jour à cette veuve instruite, intelligente et de bonnes mœurs, pour en +faire la gouvernante des enfants qu’elle avait de Louis XIV, ce qui fit +mener à Mᵐᵉ Scarron une vie mystérieuse et fatigante, l’obligeant à +courir<span class="pagenum"><a name="page_341" id="page_341">{341}</a></span> en cachette à Vaugirard dans une petite maison qu’on lui avait +donnée, où étaient les nourrices et les enfants, pour revenir au petit +jour, rentrer chez elle par une porte de derrière, se rhabiller et +monter en carrosse pour aller faire visite à l’hôtel d’Albret, à l’hôtel +de Richelieu.</p> + +<p>Le secret ne put être si bien gardé cependant que ses amis de la Place +Royale et la cour ne fussent à la fin au courant. L’ascension fut longue +et dura dix années. Admise à la cour, vivant dans la confidence des +amours du roi et de l’altière et querelleuse Montespan, qui même pour le +grand roi, était une maîtresse difficile, Mᵐᵉ de Maintenon, car elle ne +s’appelait plus Mᵐᵉ Scarron, ayant été gratifiée de la terre et du beau +château de Maintenon, plus tard érigé en marquisat, la marquise de +Maintenon n’était occupée qu’à recevoir les plaintes de l’un et de +l’autre, et devenait par fonctions la confidente des brouilles et +l’intermédiaire des réconciliations.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 355px;"> +<a href="images/illu-395.jpg"> +<img src="images/illu-395.jpg" width="355" height="300" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>BALCON DE L’HÔTEL DE BRAQUE, RUE DE BRAQUE NUMÉRO 4</p></div> +</div> + +<p>Il est permis de croire qu’elle travailla un peu à ces brouilles. Enfin +le moment arriva en 1680 où la veuve du pauvre Scarron, triomphante, de +confidente devint autre chose, devint <i>madame de Maintenant</i>, comme +disait Mᵐᵉ de Sévigné, et supplanta dans le cœur de Louis, Montespan et +Fontanges, si bien et si complète<span class="pagenum"><a name="page_342" id="page_342">{342}</a></span>ment qu’à la mort de la reine, par une +nuit de janvier 1685, la chapelle de Versailles vit célébrer par +l’archevêque de Paris mandé secrètement, le mariage de la veuve du poète +burlesque avec Sa toute-puissante Majesté le roi Soleil.</p> + +<p>La maison de Scarron le burlesque, rue des Douze-Portes, fut plus tard +celle de Crébillon le tragique. Il y a ainsi en ce siècle des rencontres +curieuses; par exemple Regnard venant au monde dans la maison natale de +Molière, du moins dans une des deux qui revendiquent ce titre, dans +celle de la rue de la Tonnellerie aux Halles, et peut-être, si c’est la +bonne, dans la même chambre, et Boileau le satiriste, naissant quai des +Orfèvres, dans l’ancienne chambre du chanoine Gillot, où se réunissaient +aux mauvais jours de la Ligue les auteurs de la Satire Ménippée, +quarante-cinq ans auparavant.</p> + +<p>Des vieux hôtels de ce temps, aux alentours de notre centre élégant, les +survivants, plus ou moins atteints par la vieillesse et la décadence, ne +manquent pas. Ne parlons pas des simples maisons, celles-ci sont en +nombre considérable, mais plus touchées et plus déguisées à force de +replâtrages; dans la partie de la rue Saint-Antoine qu’on a débaptisée +pour lui donner le nom de l’échevin François Myron au nº 68, se voit le +très remarquable hôtel de Beauvais, dont la façade a beaucoup perdu à +des changements effectués au siècle dernier, mais qui garde sur la cour +une réelle splendeur.</p> + +<p>Mᵐᵉ de Beauvais, qui l’a fait construire par Antoine Lepautre vers 1654, +sur le terrain d’anciennes maisons de l’abbaye de Chalis achetées au +surintendant Fouquet et à d’autres propriétaires, était Henriette +Bellier femme de chambre d’Anne d’Autriche, complaisante confidente +prêtant les mains à toutes les intrigues, connaissant tous les secrets +petits ou grands de la reine et sachant admirablement en tirer parti.</p> + +<p>Encore un exemple de haute fortune qui peut être rapprochée de celle de +Mᵐᵉ de Maintenon. Entre ces deux noms tient toute la vie galante du roi +Soleil, quelque peu sultan à Versailles.</p> + +<p>Si Mᵐᵉ Scarron fut la dernière passion de Louis XIV, la femme de chambre +d’Anne d’Autriche, disent les cancans de la cour, doit être mise en tête +de la liste pour Louis adolescent. Et alors Henriette Bellier est +toute-puissante, ses coffres se remplissent, la reine, Mazarin, Fouquet +sont là pour cela. Echange de bons offices. On pourvoit son mari d’une +charge conférant noblesse, et elle se fait bâtir un magnifique hôtel, +aidée de toutes façons par la reine qui va jusqu’à donner pour les +bâtisses de sa confidente des pierres destinées aux travaux du Louvre.</p> + +<p>Le 26 avril 1660, après la paix des Pyrénées, après le mariage royal +consacrant la réconciliation de la France et de l’Espagne, eut lieu +l’entrée solennelle en leur bonne ville de Louis XIV et de l’infante +Marie-Thérèse d’Espagne. On sait quelle fut la pompe déployée et combien +d’arcs de triomphe colossaux, de groupes allégoriques et de +réjouissances diverses marquèrent, depuis la place du Trône jusqu’au +Louvre, le passage du splendide et interminable cortège.</p> + +<p>C’était une immense cavalcade. Après le corps de ville, les prévôts, les +échevins, les conseillers, les archers, l’université, des députations du +clergé et des<span class="pagenum"><a name="page_343" id="page_343">{343}</a></span> couvents, les juges et les huissiers du Châtelet à +cheval, la cour des aides, la chambre des comptes, à cheval aussi en +robes et bonnets carrés, et le Parlement de même, venaient le train de +Son Eminence le cardinal Mazarin composé de ses officiers et d’une suite +de 72 mulets caparaçonnés et empanachés, conduits par des pages +escortant les carrosses de ladite Eminence, les écuries du roi, la +maison du roi, tous les gentilshommes officiers de la chambre, les +mousquetaires et chevau-légers, la chancellerie avec une haquenée +blanche portant le sceau royal, flanquée de conseillers en robe la +tenant par la bride, la prévôté de l’hôtel, les Cent Suisses, puis Louis +XIV à cheval suivi de la garde écossaise et d’un brillant escadron de +princes, enfin dans un char découvert étincelant de dorures, traîné par +huit chevaux, la reine non moins étincelante, couverte de tous les +joyaux de la couronne.</p> + +<div class="figright" style="width: 249px;"> +<a href="images/illu-397.jpg"> +<img src="images/illu-397.jpg" width="249" height="417" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>HÔTEL MONTHOLON, 79, RUE DU TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>Entre les arcs de triomphe toutes les rues étaient décorées, +enguirlandées de verdure, jonchées d’herbes et de fleurs; de riches +tapisseries flottaient aux fenêtres, les hôtels et les maisons des +bourgeois se paraient de longues bandes de satin. Pour voir tout cela, +pour voir défiler le cortège, la reine mère s’en vint chez Mᵐᵉ de +Beauvais et prit place sur le balcon au-dessus de la grande porte avec +Henriette d’Angleterre, avec Mazarin, Turenne et d’autres grands +personnages. Et le cortège en passant fit halte devant l’hôtel pour +laisser échanger les compliments entre le roi et sa mère... Ce glorieux +balcon<span class="pagenum"><a name="page_344" id="page_344">{344}</a></span> n’est plus, ou du moins il a été modifié quand la façade a été +abîmée par le financier Orry entre les mains brutales de qui la +propriété passa en 1704.</p> + +<p>L’hôtel de Beauvais bâti sur le plan le plus irrégulier, tout en +zigzags, sur la commerçante rue Saint-Antoine d’alors, l’hôtel +seigneurial avait des boutiques au rez-de-chaussée; il les a encore. +Entre ces boutiques s’ouvre un long passage aboutissant à un porche en +rotonde soutenu par huit hautes colonnes, devant lequel se développe une +belle cour à demi circulaire dans le fond pour le rez-de-chaussée +seulement, en écuries et remises; une terrasse sur ces écuries se +continue en balcon porté sur de fortes consoles autour de la cour, +au-dessus de laquelle terrasse la chapelle encadrée de colonnes fait +face au portique d’entrée. Le grand escalier à gauche sous la rotonde +est également un superbe morceau avec colonnes et motifs de sculptures. +Mais il faut voir le plan de l’hôtel pour se rendre compte du parti +merveilleux tiré par Lepautre de son terrain et de l’ingéniosité des +dispositions. Sous ce rapport l’hôtel de Beauvais est unique. Loret, +dans ses gazettes rimées, parle plus d’une fois et des visites d’Anne +d’Autriche à sa confidente et amie, et des merveilles de l’hôtel tout +battant neuf, admiré par les gens de la cour, qui n’épargnaient pas +d’ailleurs les épigrammes à la propriétaire jalousée.</p> + +<p>Après Mᵐᵉ de Beauvais, après le financier son successeur qui fut un +maltôtier peu scrupuleux, après ses héritiers de meilleure réputation, +la maison logea l’ambassadeur de Bavière. Logis inviolable alors, local +interdit au contrôle de la police, l’hôtel fut un tripot fréquenté par +les joueurs et les filous de haut vol.</p> + +<p>Bien national en 93, l’hôtel eut ses magnifiques appartements +d’autrefois fort abîmés et partagés en petits locaux, tandis qu’une +entreprise de diligences utilisait ses grandes écuries et ses remises.</p> + +<p>Dans la rue de Jouy, au nº 7, derrière l’hôtel de Beauvais, Mansart a +bâti pour le duc d’Aumont un hôtel occupé aujourd’hui par la Pharmacie +centrale, façade imposante, mais d’une élégance assise un peu +lourdement. L’antique rue Geoffroy-l’Asnier, ruelle plutôt, a gardé au +nº 26, juste devant la non moins étroite rue <i>Grenier-sur-l’eau</i> qui +arrive pittoresquement sous l’abside de Saint-Gervais où jadis était le +cimetière, un autre logis bien plus remarquable. C’est l’hôtel de +Châlons-Luxembourg, élégante construction en briques et pierres du +commencement du <small>XVII</small>ᵉ siècle ou de la fin du <small>XVI</small>ᵉ, élevée sur la cour +derrière un autre bâtiment dans lequel s’ouvre une grande porte, d’une +ampleur superbe.</p> + +<p>Un grand arc, souligné par une frise à rinceaux, encadre un beau +cartouche largement traité, destiné à recevoir des armoiries disparues, +et sur lequel on trouve seulement l’indication que l’hôtel était de +Châlons en 1625 et de Luxembourg en 1659. Les boiseries de la porte +elle-même sont un chef-d’œuvre de menuiserie et le marteau de bronze une +véritable petite merveille.</p> + +<p>Dans le quartier près de la Seine qui renferme tant de maisons des <small>XV</small>ᵉ +et <small>XVI</small>ᵉ siècles sans compter les débris plus anciens, il y a encore les +hôtels la Vieuville et Fieubet. Tous deux, comme les maisons voisines, +ont été construits sur l’emplacement du séjour royal de Saint-Paul. La +Vieuville, à l’extrémité de la rue Saint-Paul présente encore sur sa +cour de beaux et solides bâtiments en<span class="pagenum"><a name="page_345" id="page_345">{345}</a></span> briques et pierres qui cachent +peut-être quelques débris des écuries royales achetées</p> + +<div class="figcenter" style="width: 312px;"> +<a href="images/illu-399.jpg"> +<img src="images/illu-399.jpg" width="312" height="477" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA COUR DE L’HÔTEL DE BEAUVAIS</p></div> +</div> + +<p class="nind">sous François Iᵉʳ par Galliot de Genouillac, grand maître de +l’artillerie. Le marquis de la Vieuville qui a donné son nom à l’hôtel +est ce ministre de la jeu<span class="pagenum"><a name="page_346" id="page_346">{346}</a></span>nesse de Louis XIII, surintendant des +finances, qui fit entrer Richelieu au conseil du roi et que tout de +suite Richelieu supplanta.</p> + +<p>A l’autre extrémité du quai, l’hôtel Fieubet est une construction plus +importante et surtout plus ornée. Primitivement il était beaucoup moins +orné, et malheureusement on ne sait que trop maintenant ce qui est œuvre +authentique ou simple pastiche plus ou moins heureux. Il provient de +Gaspard de Fieubet, conseiller du roi, chancelier d’Anne d’Autriche, bel +esprit et poète de ruelles.</p> + +<p>Précédemment, sur son terrain, Galliot de Genouillac abritait les +fauconneaux et coulevrines de François Iᵉʳ; aux bâtiments de ce temps +qui avaient succédé à ceux de l’hôtel Saint-Paul, succéda l’édifice +construit pour Fieubet par Hardouin Mansard. L’hôtel subit bien des +transformations et reçut bien des destinations. Enfin, M. de la Valette, +rédacteur en chef du journal <i>l’Assemblée nationale</i> de 1848, l’acheta, +s’éprit de son acquisition et se mit à restaurer l’hôtel à tour de bras, +à le modifier, à le compléter par des sculptures rapportées du haut en +bas. Ce qui fait qu’à côté de fort belles choses, de sculptures de +grande allure, on voit de maigres ornements et de fort médiocres +bas-reliefs. Le pavillon d’angle, qu’il soit une restauration ou qu’il +provienne entièrement de M. de la Valette, fait bon effet tout de même +avec sa boutique encadrée de gaines à figures barbues, sous un lourd +amoncellement de trophées et d’attributs.</p> + +<p>Cette région de Paris, habitée par tant de grand et beau monde, centre +d’élégances, était aussi centre de plaisirs, ce qui lui avait amené +cette population de mœurs faciles qui se presse toujours dans les +endroits à la mode. Où la vie de Paris battait-elle son plein alors +sinon à la place Royale? Les bourgeois du Marais ne se piquaient point +de rigorisme. Le bon Scarron, vivant ici avec ses sœurs non mariées, les +voyait mener une existence des plus libres dans ce tourbillon du beau +monde. Il est vrai qu’il eût été bien empêché pour les surveiller. Il +lui en était venu un neveu qu’il qualifiait spirituellement de <i>neveu à +la mode du Marais</i>.</p> + +<p>Le Marais possédait des théâtres qui au <small>XVII</small>ᵉ siècle disputaient la +vogue aux comédiens de l’hôtel de Bourgogne, aux farceurs du Pont-Neuf. +Il y avait des salles nombreuses pour le jeu de paume, en grande vogue +alors parmi les jeunes cavaliers, comme, pour le populaire, les jeux de +boule qui ont servi à baptiser soit directement, soit en passant par des +enseignes, des <i>boules noires</i>, <i>rouges</i> ou <i>blanches</i>, plusieurs rues, +par exemple la rue du Bouloi.</p> + +<p>C’est dans un jeu de paume du quartier du Marais que M. de Beaufort, aux +beaux jours de la Fronde, en train de jouer avec des amis, fut +interrompu dans son jeu par les femmes de la Halle, désireuses +d’apporter au roi des Halles, ce beau gentilhomme blond de si cavalières +façons et petit-fils d’Henri IV par-dessus le marché, pour qui tout +Paris brûlait d’une véritable passion, leur tribut d’admiration et +d’amour.</p> + +<p>Guy Patin, le spirituel et endiablé médecin, raconte l’anecdote dans une +lettre. Les femmes de la Halle s’en allaient par pelotons voir leur +idole envoyer la balle. «Comme elles faisaient du tumulte pour entrer et +que ceux du logis s’en plaignaient, il fallut qu’il quittât le jeu et +qu’il vînt lui-même mettre le holà, ce<span class="pagenum"><a name="page_347" id="page_347">{347}</a></span> qu’il ne put faire sans +permettre que ces femmes entrassent en petit nombre, les unes après les +autres, pour le voir jouer, et s’apercevant qu’une de ces femmes le +regardait de bon œil, il lui dit: «Hé bien, ma commère, vous avez voulu +entrer, quel plaisir prenez-vous à me voir jouer et à me voir perdre mon +argent?» Elle lui répondit aussitôt: «Monsieur de Beaufort, jouez +hardiment, vous ne manquerez pas d’argent; ma commère que voilà et moi +vous apportons deux cents écus et, s’il en faut davantage, je suis prête +d’en retourner quérir autant.» Toutes les autres femmes commencèrent +aussi à crier qu’elles en avaient autant à son service, dont il les +remercia. Il fut visité ce jour-là par plus de deux mille femmes...»</p> + +<div class="figcenter" style="width: 274px;"> +<a href="images/illu-401.jpg"> +<img src="images/illu-401.jpg" width="274" height="243" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>FRONTON, 106, RUE DU TEMPLE</p></div> +</div> + +<p>Ces mêmes femmes de la Halle deux jours après lui criaient sur son +passage: «Monsieur, ne consentez pas à votre mariage avec la nièce du +Mazarin, quelque chose que vous fasse ou vous dise M. de Vendôme votre +père. S’il vous abandonne, vous ne manquerez de rien, nous vous ferons +tous les ans dans la Halle une pension de soixante mille livres!...»</p> + +<p>Les idoles populaires dans le cours des siècles, quelle jolie galerie de +figures! Il y a de tout, des princes, des tribuns, des magistrats, des +journalistes, des soldats et même des rois comme le Vert Galant, et +quelle étrange diversité de raisons aussi à ces popularités. Mais il +faut toujours la parole ou la haute mine, de grandes phrases ou de +cavalières façons,—bien plus rarement une action réelle et une +direction vers le bien.</p> + +<p>Les comédiens du Marais avaient leur théâtre rue Vieille-du-Temple, +entre<span class="pagenum"><a name="page_348" id="page_348">{348}</a></span> les rues de la Perle et des Cultures Saint-Gervais, dans l’ancien +local d’un jeu de paume. C’est là que se donna la <i>première</i> du <i>Cid</i> +avec nombre d’autres pièces de Corneille. Les comédiens comptèrent même +au nombre de leurs auteurs le cardinal de Richelieu, qui leur fit jouer +l’<i>Aveugle de Smyrne</i>, avant que pour <i>Mirame</i> il se fût construit un +théâtre particulier au Palais Cardinal.</p> + +<p>Madeleine Béjart, sœur d’Armande Béjart, femme de Molière, fit +probablement partie de la troupe du Marais, les Béjart étaient du +quartier, établis sur la paroisse de Saint-Paul. C’est sans doute au +théâtre de la rue Vieille-du-Temple que Molière, tout jeune et dévoré de +sa passion pour le théâtre, la connut, l’apprécia et l’enrôla avec ses +frères Joseph et Louis dans la troupe de l’<i>Illustre Théâtre</i>, +audacieuse entreprise dont le succès fut loin de couronner les efforts.</p> + +<p>Après avoir essayé pour ses représentations du jeu de paume des +<i>Métayers</i>, à la porte de Nesle en 1643, la troupe désespérée de ne +jouer que devant des banquettes et de ne point encaisser seulement de +quoi payer les chandelles, décida de se rapprocher du beau monde et loua +dans le beau quartier le jeu de paume de la <i>Croix Noire</i>, rue des +Jardins-Saint-Paul. Hélas! cruelle persistance de la déveine, l’illustre +théâtre ne réussit pas mieux au Marais que de l’autre côté de l’eau, les +élégants de la place Royale conservent leur faveur aux comédiens de la +rue Vieille-du-Temple, se souciant peu de la nouvelle troupe. On joue de +grandes tragédies, toujours devant les banquettes, la troupe fait des +dettes, Molière dans les affres de cette détresse signe des billets +qu’il ne peut payer à l’échéance et un beau jour, comme dénouement de la +navrante situation, les huissiers viennent l’appréhender au corps et il +est emprisonné au Châtelet à la requête de ses créanciers, parmi +lesquels son moucheur de chandelles.</p> + +<p>Le grand roman comique de Molière allait commencer. Après une tentative, +en sortant du Châtelet, dans un troisième jeu de paume, à la <i>croix +Blanche</i>, dans le faubourg Saint-Germain, la troupe de l’<i>Illustre +Théâtre</i> abandonne décidément Paris indifférent et se lance pour douze +années à travers la province, du Nord au Midi, de Pézenas à Rouen, +roulant sur les routes, courant de ville en ville, donnant des +représentations dans des auberges, des salles de châteaux ou des +granges, jusqu’au jour où Molière, ayant acquis quelque notoriété, +auteur de nombreuses comédies, que certains ont pu applaudir en +province, revient à Paris, et tout à coup, sur le théâtre de l’hôtel +Bourbon, conquiert enfin le succès si longtemps inutilement poursuivi, +par sa comédie des <i>Précieuses Ridicules</i> qui fit un terrible esclandre +dans le monde des ruelles, parmi toutes les Précieuses, aussi bien les +grandes précieuses de l’hôtel de Rambouillet, que les précieuses +affectées, bourgeoises imitatrices des grandes dames à prétentions +littéraires.</p> + +<p>Les temps de gloire de la région du Marais ressuscitent dans l’esprit du +passant, lorsque dans ces rues devenues manufacturières, purement +industrielles, il retrouve malgré démolitions et transformations, tant +de vieux hôtels qui, en dépit des adaptations diverses, gardent de beaux +restes de leur physionomie d’autrefois. Les nobles seigneurs, les belles +dames à carrosses, les imposants parlementaires à longues barbes et à +bonnets carrés, les magistrats à perruque ont cédé la place<span class="pagenum"><a name="page_349" id="page_349">{349}</a></span> à des +négociants, à des fabricants d’articles de Paris, à des droguistes en +gros; partout les raisons sociales couvrent les vieux écussons, partout +les enseignes commerciales bariolent les nobles architectures, coupant +les fenêtres, masquant les</p> + +<div class="figcenter" style="width: 362px;"> +<a href="images/illu-403.jpg"> +<img src="images/illu-403.jpg" width="362" height="437" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>HÔTEL AMELOT DE BIZEUIL, 47, RUE VIEILLE-DU-TEMPLE</p></div> +</div> + +<p class="nind">bas-reliefs ou les beaux balcons; n’importe, il reste assez de superbes +frontons sculptés, de balcons ventrus, portés par des figures +magistralement traitées, par des consoles d’un art charmant; il subsiste +assez d’admirables motifs décoratifs,<span class="pagenum"><a name="page_350" id="page_350">{350}</a></span> assez de traits magnifiques sous +les rides ou les cicatrices, pour que l’esprit s’essaie en +reconstitutions du passé de ces nobles logis, en évocations du décor +complet, tel qu’il fut par exemple lorsque Gomboust, au commencement du +règne de Louis XIV, traçait son grand plan de Paris, avec la figuration +des hôtels et logis importants comme en une vue à vol d’oiseau.</p> + +<p>Il en manque certes beaucoup aujourd’hui, mais il n’avait pas tout mis, +ayant un tel choix alors. Il a omis par exemple l’hôtel Amelot de +Bizeuil ou des ambassadeurs de Hollande, au nº 47 de la rue +Vieille-du-Temple, une belle demeure pourtant, pourvue d’un superbe +portail par-dessus lequel se silhouette un beau pavillon ardoisé +couronnant un fronton, où des génies supportent un écusson avec d’autres +petits génies en consoles.</p> + +<p>Cy était précédemment l’hôtel du maréchal de Rieux. Le 4 novembre 1407, +à l’heure de minuit le carrefour Barbette tout voisin retentit du bruit +d’une lutte, d’appels et de cris de mort. C’était le duc d’Orléans que +les hommes de Jean sans Peur assassinaient. L’hôtel de Rieux s’ouvrit, +les gens du maréchal se précipitèrent, mais il était déjà trop tard, ils +n’arrivèrent que pour ramasser les cadavres du duc et de son écuyer +qu’ils apportèrent à l’hôtel.</p> + +<p>L’hôtel Amelot de Bizeuil remplaça vers 1640 les anciennes constructions +de Rieux, les ambassadeurs Bataves peu après s’y logèrent. Les panneaux +de la grande porte sont fort beaux, avec leurs têtes de Méduses +entourées de vipères, qui contemplent ce sol ayant bu jadis le premier +sang versé des longues guerres entre Bourguignons et Armagnacs. Le +revers de ce portail encadre un large bas-relief représentant Rémus et +Romulus allaités par la louve. Les côtés de la cour ont pour décoration +de grands cadrans solaires peints en grisaille avec attributs et +sentences latines.</p> + +<p>L’hôtel Saint-Aignan, rue du Temple, dans la partie qui prenait jadis le +nom du couvent de Sainte-Avoye, attire forcément le regard par ses +proportions formidables, ses hautes lucarnes, ses fenêtres à croisillons +sur la rue et son portail colossal, dont la porte a aussi de beaux +panneaux dans le style de ceux de l’hôtel de Bizeuil. En face était un +des hôtels de Montmorency disparu aujourd’hui; à côté se voit encore +l’hôtel de Mesme, logis sous Louis XIV du premier président Antoine de +Mesme, puis au nº 79 l’hôtel de Montmor, devenu plus tard de Montholon, +lequel montre comme Saint-Aignan une grande cour entourée de hautes +constructions de très noble aspect, avec son fronton central, son +admirable grand balcon au premier palier de l’immense cage d’escalier, +ses sculptures et ses lucarnes ardoisées. Comme à l’hôtel de Bizeuil, le +revers du portail d’entrée est décoré d’un beau bas-relief.</p> + +<p>Un bel édifice du temps de Louis XIV occupe l’angle des rues de Thorigny +et des Coutures-Saint-Gervais, élevé sur les jardins maraîchers ou +cultures des hospitaliers Saint-Gervais, où l’on commença à bâtir en +1620 seulement. L’hôtel est de 1656; il fut construit pour le financier +Aubert de Fontenay, à qui ses bénéfices dans les gabelles permettaient +de se loger magnifiquement. A l’aspect de ces somptuosités où le +traitant étalait un peu trop au grand jour une fortune<span class="pagenum"><a name="page_351" id="page_351">{351}</a></span> extraite des +droits sur le sel, on donna unanimement à l’édifice le nom d’<i>hôtel +Salé</i>, qui devint si bien son nom officiel qu’il le porte toujours.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 289px;"> +<a href="images/illu-405.jpg"> +<img src="images/illu-405.jpg" width="289" height="404" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DE L’HÔTEL DE BOULIGNEUX, RUE MICHEL-LE-COMTE, 28</p></div> +</div> + +<p>C’est encore une de ces belles cours du Marais, très vaste, et noblement +encadrée, gardée par de grands sphinx posés sur la corniche des +bâtiments bas en retour, jadis couverts en terrasses à balustrades. +L’entrée du grand corps de logis central se couronne d’un énorme fronton +avec des figures de femmes, des amours enguirlandés et de grands chiens, +supports de l’écusson effacé. Là se déploie<span class="pagenum"><a name="page_352" id="page_352">{352}</a></span> majestueusement, d’une +ampleur à contenir une maison de nos jours, un magnifique escalier d’une +grande richesse de décoration, abondance de sculptures qui se +poursuivait, et se retrouve encore en partie dans les appartements.</p> + +<p>L’hôtel Salé après avoir été la demeure du maréchal de Villeroy, l’hôtel +des Ambassadeurs de Venise, etc., fut pendant quelque temps avant 89 +l’hôtel de Mᵍʳ de Juigné archevêque de Paris.</p> + +<p>A la Révolution on y entassa les livres saisis dans les couvents +supprimés, puis l’hôtel fut vendu comme bien national et transformé en +pension jusqu’à l’installation de l’Ecole centrale, qui l’a quitté il y +a peu d’années pour le nouvel édifice contigu aux <i>Arts et Métiers</i>.</p> + +<p>L’Imprimerie nationale, rue Vieille-du-Temple occupe les vastes locaux +de l’hôtel de Rohan, qui s’appela aussi le palais Cardinal ou l’hôtel de +Strasbourg. Plus jeune que les autres grands logis du Marais, l’édifice +ne date que du commencement du <small>XVIII</small>ᵉ siècle et fut construit par le +cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg.</p> + +<p>Quatre-vingts ans après lui un autre cardinal de Rohan habitait aussi ce +palais, réuni par les jardins au palais de Soubise, précédemment hôtel +Clisson-de-Guise. Rohan était le cardinal de cette scandaleuse et +mystérieuse affaire du collier, commencement pour Marie-Antoinette des +terribles infortunes qui l’amenèrent en peu d’années prisonnière à la +tour du Temple, si proche voisine de l’hôtel du cardinal.</p> + +<p>A l’hôtel de Rohan, l’art du <small>XVIII</small>ᵉ siècle a laissé de nombreuses +beautés un peu partout et un morceau de sculpture vraiment superbe, le +grand bas-relief de Le Lorrain, qui couvre la muraille au-dessus de +l’ancienne porte des écuries et représente Phaéton faisant boire le +quadrige de chevaux attelés au char du Soleil. L’imprimerie vint occuper +le palais en 1808.</p> + +<p>Que d’autres superbes logis dans ce Marais, qui sans avoir +l’illustration de ces demeures princières, se montrent un peu partout, +dans leurs vieux atours en partie respectés, ou laissent transparaître +quelques débris de leur ancienne splendeur. Les belles portes sont +nombreuses d’où l’on s’attendrait presque à voir sortir la chaise de +quelque marquise, ou l’un de ces longs carrosses du grand siècle menant +un président au Parlement. Celle du nº 30 actuel de la rue des +Francs-Bourgeois est encore un très beau morceau; monumentale également +celle de l’hôtel du maréchal d’Albret, un peu plus loin dans la même +rue. Au 28 de la rue Michel-le-Comte, l’immense porte de style grec +donnait entrée à l’hôtel de Bouligneux, puis d’Halwill; elle est de +l’architecte des barrières de Paris, Ledoux, qui donnait à ses +constructions un caractère puissant tout particulier.</p> + +<p>Combien d’autres encore, et de riches balcons comme ceux de l’hôtel de +La Grange, rue de Braque, nº 6, des fenêtres Louis XIV ou de style +rocaille, de grands pavillons, d’énormes toits Louis XIII, dans les rues +Pastourelle, des Quatre-Fils, des Vieilles-Haudriettes, au coin de +laquelle une fontaine du <small>XVIII</small>ᵉ siècle nous montre une jolie naïade +couchée sur son urne. Combien de frontons curieux comme celui de la rue +Payenne où l’on voit un long et maigre Temps couché sur</p> + +<div class="figcenter" style="width: 393px;"> +<a href="images/illu-407.jpg"> +<img src="images/illu-407.jpg" width="393" height="563" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p><span class="smcap">LA RUE QUINCAMPOIX PENDANT LE</span> <i>Système</i></p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p> +<span class="pagenum"><a name="page_353" id="page_353">{353}</a></span></div> +</div> + +<p class="nind">des débris de colonnes renversées, vieillard allégorique qui a l’air de +songer tristement aux jours brillants du Marais, aux beaux temps finis +pour jamais.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 328px;"> +<a href="images/illu-409.jpg"> +<img src="images/illu-409.jpg" width="328" height="462" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DES ÉCURIES DE L’HÔTEL DE ROHAN (IMPRIMERIE +NATIONALE)</p></div> +</div> + +<p>Où sont les hôtels de Lorraine, de Chavigny, voisins de l’hôtel +d’Angoulême-Lamoignon sur la rue Pavée, les hôtels d’Orléans et d’Effiat +rue Vieille-du-Temple, les hôtels d’Estrées, d’Epernon, de Sordis, +Nicolaï, etc. Détruits, disparus complètement, ou, si quelques restes +subsistent, ils sont si bien dissimulés par les replâtrages et +transformations, si bien perdus dans les reconstructions que c’est tout +comme si rien absolument n’en restait!...<span class="pagenum"><a name="page_354" id="page_354">{354}</a></span></p> + +<p>La mélancolie des choses qui ne sont plus ne flotte pourtant pas dans +l’air et ne tombe pas des murailles grises; il y a tant de bruit et de +mouvement dans ce quartier monumental, dans cette ville aristocratique +abandonnée au commerce, envahie par tous les métiers, qui la traitent en +pays conquis; tant de chariots industriels sortent des portes cochères à +carrosses et font retentir d’un fracas de ferraille le pavé des rues +démocratisées. Il est bien vivant ce quartier des élégances défuntes, on +entrevoit dans les cours le mouvement de la fourmilière travailleuse +parmi les ballots empilés, les caisses de marchandises encombrant tous +les coins et débordant par toutes les baies, dégringolant des larges +escaliers à rampes en volutes de fer forgé... A certaines heures, de ces +vieux hôtels des élégantes du grand siècle, de ces logis compassés de +haute magistrature, débouchent des foules bruyantes, ouvriers et +apprentis en bourgerons, ouvrières en longs sarraus, employés en veston +courant au déjeuner.</p> + +<p>Il est pourtant bien attristant de penser que fatalement des +modifications journalières vont davantage altérer peu à peu la +physionomie des vieilles façades, et feront disparaître demain ce que +l’on admirait encore hier. Les grands hôtels subsistant à peu près +intacts deviendront de plus en plus rares, et peu à peu chaque année +enlèvera un trait à leur physionomie... Et le vieillard symbolique du +fronton de la rue Payenne, s’il n’est abattu lui aussi, restera seul à +se souvenir et à échanger par-dessus les toits des soupirs attristés +avec l’ombre affligée de Mᵐᵉ de Sévigné, errant dans le vieil hôtel de +Ligneris-Kernevenoy-Carnavalet préservé par son affectation officielle, +et d’où elle gémit de ne pouvoir écrire sur tous ces désastreux +changements à Mᵐᵉ de Grignan une longue, bien longue lettre, remplie +d’exclamations, de protestations et de récriminations.....</p> + +<div class="figcenter" style="width: 269px;"> +<a href="images/illu-410.jpg"> +<img src="images/illu-410.jpg" width="269" height="159" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>FRONTON RUE PAYENNE</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_355" id="page_355">{355}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_X" id="CHAPITRE_X"></a> +<a href="images/illu-411-a.jpg"> +<img src="images/illu-411-a.jpg" width="354" height="289" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +LE DUEL DE BEAUFORT-NEMOURS AU MARCHÉ AUX CHEVAUX (RUE DE +LA PAIX ACTUELLE) +</span> +<br /><br /> +CHAPITRE X<br /><br /> + +LE PARIS DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV</h2> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-411-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">PLACE DES VICTOIRES +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>La fin du Pré aux Clercs.—Développement du faubourg +Saint-Germain.—Les Invalides.—Le Luxembourg.—Les ruines de la +Ligue.—L’enceinte de Louis XIII.—Places, portes et statues +triomphales du roi Soleil.—M. de la Feuillade et la place des +Victoires.—L’hôtel de la Vrillière.—L’hôtel de Vendôme et la +place des Conquêtes-Vendôme-Des Piques.—Duel Beaufort et Nemours +au marché aux chevaux.—Paris la nuit.—Premières lanternes.—Les +porteurs de falots.—Les voleurs et la police.—M. de la Reynie et +M. d’Argenson.—Le système de Law.—La grande folie de la rue +Quincampoix.—Le crime de l’Épée de bois.—Un cardinal de la +Régence.—Emplacements révolutionnaires: le champ de la fédération, +la place Louis XV.—La catastrophe du feu d’artifice.—La +guillotine.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">T</span>RIOMPHANT et glorieux au temps du roi Henri IV, le quartier du Marais +et de la Place Royale décline en même temps que le siècle qui a vu<span class="pagenum"><a name="page_356" id="page_356">{356}</a></span> sa +naissance et sa poussée rapide. Les beaux jours, hélas, passent vite et +la vogue capricieuse s’échappe et se porte ailleurs. En un siècle Paris +s’était considérablement agrandi du côté de l’ouest, il avait fait une +très large enjambée dans la direction du couchant, du côté où son +expansion avait été si longtemps contrariée par le rempart et par +l’abbaye de Saint-Germain sur la rive gauche, de même que longtemps le +Louvre et les Tuileries arrêtèrent et arrêteront l’expansion sur la rive +droite.</p> + +<p>Louis XIV et les grands seigneurs avaient colonisé Versailles; princes +et courtisans, pour suivre le roi Soleil, se contentaient à Versailles +d’un simple pied à terre ou d’un mesquin logement au château, mais ils +se construisaient de grands hôtels dans les quartiers neufs du faubourg +Saint-Germain.</p> + +<p>Henri IV avait encore trouvé l’abbaye de Saint-Germain isolée hors de la +ville, avec un commencement de faubourgs sous ses remparts. Au delà +était la campagne. Il n’y a qu’à regarder les estampes de Callot, Israël +Sylvestre et Pérelle pour voir, avec son aspect de bout de ville donnant +sur une banlieue, le quartier de la Porte de Nesle toujours dominé par +la vieille tour de Philippe Hamelin, ce quartier désordonné de vieilles +bicoques et d’antiques constructions au milieu desquelles s’élevaient +les grands bâtiments de briques et pierres de l’hôtel de Guénégaud non +terminé et destiné à être remplacé par l’hôtel Conti, la future Monnaie.</p> + +<p>La reine Marguerite s’était bâti un grand hôtel qualifié de palais, +pourvu d’un long jardin pris sur les terrains du Pré aux Clercs, sans +contestations avec ces écoliers qui cinquante ans auparavant +s’opposaient par la force à tout empiètement sur leur domaine, et +l’Université elle-même avait aliéné le reste de ces terrains sur +lesquels assez vite s’élevèrent de belles constructions. Un quartier +aristocratique naissait qui se préparait à enlever la vogue à la région +de l’Est si longtemps en possession du prestige avec ses souvenirs des +vieux palais de Saint-Paul et des Tournelles.</p> + +<p>La place ne manquait point pour s’étendre par là, puisque l’on n’avait +qu’à mordre en pleine campagne, et le site était assez séduisant, juste +en face du vieux Louvre et des jeunes Tuileries, des verdures du Cours +la Reine, avec un horizon de belles collines encaissant le tournant de +la Seine, gracieusement allongée au pied des villages de Chaillot, +Passy, Auteuil, si lointains alors et cachés dans les arbres de leurs +vergers.</p> + +<p>Jusqu’en 1660, l’ombre de la tour de Nesle continua de se projeter sur +le talus herbeux et mouvementé du port au nom ironique: +Malaquest—mauvaise acquisition—où débouche la rue de Seine et que +bordent les constructions de la reine Marguerite, avec la chapelle des +Louanges des Petits-Augustins, puis les jardins qui touchent de l’autre +côté l’ancien clos de l’Abbaye transformé, montrant des amorces de rues, +mais où s’élève encore sur sa butte le vieux moulin à vent des moines, à +côté de la chapelle de la Maladrerie.</p> + +<p>La tour de Nesle et la porte disparaissent, le rempart est éventré, les +fossés comblés, le collège des Quatre-Nations s’élève assez lentement. +Transformation<span class="pagenum"><a name="page_357" id="page_357">{357}</a></span> complète, un vieux paysage parisien s’efface, un nouveau +décor le remplace plus régulier et plus froid.</p> + +<p>Pendant que le monument s’élevait, les rues du faubourg Saint-Germain +s’allongeaient et se bâtissaient, la rue de la Sorbonne, maintenant rue +de l’Université, s’avançait à travers le grand Pré aux Clercs en suivant +à peu près le tracé d’un petit chemin qui s’appelait le chemin des +Treilles et conduisait à l’île aux Treilles ou des Cygnes. De même se +bâtissait aussi la rue de Grenelle, et l’ancien chemin des vaches, +devenu la longue rue parallèle intermédiaire de Saint-Dominique depuis +l’installation, sur un morceau des anciennes possessions de +Saint-Germain, d’un couvent de Jacobins de Saint-Dominique.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 276px;"> +<a href="images/illu-413.jpg"> +<img src="images/illu-413.jpg" width="276" height="392" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>ENTRÉE DE LA RUE DE SEINE DERRIÈRE LE COLLÈGE DES QUATRE +NATIONS (INSTITUT)</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_358" id="page_358">{358}</a></span></p> + +<p>Au milieu du siècle, les constructions du faubourg Saint-Germain +arrivent à peine à la hauteur de la porte de la Conférence au jardin des +Tuileries; la berge de la Grenouillère, en face de cette porte de la +Conférence, restait couverte de chantiers de bois. Peu à peu cependant +les bâtisses s’égrènent dans les champs et le moment approche où les +maisons de campagne devront céder le terrain aux beaux hôtels, mais +c’est toujours la pleine campagne, les prés et les champs un peu plus +loin, autour de l’hôtel des Invalides qui commence à s’élever en 1670 et +reçoit dès 1674 ses premiers pensionnaires, pendant que son église croît +lentement.</p> + +<p>Le sort des pauvres soldats mutilés dans les guerres était réellement +alors plus lamentable que celui de leurs camarades tombés pour ne plus +se relever. Que pouvaient-ils devenir, ces pauvres invalides, triste +résidu de la gloire, simples ouvriers de la victoire, tombant sur les +champs de bataille, chargés de lauriers, mais avec, en moins, une jambe +ou un bras qu’emportèrent les boulets ou que hachèrent les sabres. +Estropiés, incapables de gagner leur vie, se traînant par les chemins +sur des béquilles, ils mouraient de faim, s’ils n’avaient pas la chance +rare d’être recueillis par quelque couvent, ou bien, s’ils se trouvaient +induits par la misère à la maraude, la potence les attendait.</p> + +<p>Cette horrible injustice avait révolté Henri III qui avait essayé d’y +porter remède, en créant la maison de Lourcine, hôpital destiné à en +recueillir au moins quelques-uns. Mais combien devaient encore mourir +sur les grands chemins, de ces tristes épaves de la bataille au temps de +la longue guerre civile! Henri IV hérita de l’œuvre et l’agrandit un +peu. Louis XIII plaça ces invalides dans des bâtiments construits à +Bicêtre sur l’emplacement du château bâti au <small>XV</small>ᵉ siècle par l’évêque de +Winchester (Angleterre), dont le nom s’était transformé en Vinchestre, +puis Bicestre.</p> + +<p>Louis XIV à son tour s’occupa des invalides; il en avait fait assez dans +ses guerres et reconnut la nécessité de tenter quelque chose pour eux. +Mais c’était le Grand roi, il voyait tout de certaine façon, toutes ses +idées tournaient d’elles-mêmes au grandiose et à l’ostentation, et ses +architectes semblent avoir pensé à élever plutôt un temple à la gloire +du roi, qu’un asile pour les soldats mutilés, victimes de son rêve +dominateur. C’est un palais qu’ils ont construit, un colossal édifice +d’une imposante ordonnance, une pompeuse façade, avec une triomphale +entrée au fronton de laquelle domine la statue équestre du roi, et des +bâtiments somptueux où travaillèrent les peintres et les sculpteurs +ordinaires du monarque. Un superbe monument enfin, mais, hélas, +susceptible de recevoir seulement une bien faible partie de tous ceux +qui avaient chèrement payé le droit d’y espérer un logement.</p> + +<p>Au-dessus du chemin de Vaugirard, entre le bourg Saint-Germain des Prés +et le faubourg Saint-Jacques, le plan Truschet de 1550 ne nous montre +que des champs encore et quelques maisons éparses. Au loin sont des +bâtiments qualifiés de <i>Pressoir de l’Hôtel-Dieu</i>, et le grand enclos +silencieux des Chartreux qu’indique la flèche effilée de son église. Un +sieur de Harlay de Sancy, vers cette époque, y fit construire un hôtel +qui passa en 1583 au duc d’Epinay-Luxembourg. Celui-ci<span class="pagenum"><a name="page_359" id="page_359">{359}</a></span> se trouvant à +l’étroit arrondit considérablement le domaine en constructions et en +jardins.</p> + +<p>De même que Catherine de Médicis pour se donner un logis particulier +avait construit les Tuileries, de même une autre reine de la même +famille, Marie de Médicis voulut, quand le couteau de Ravaillac l’eut +faite veuve, avoir un palais à elle. Les longues trames qui aboutirent à +l’assassinat de Henri IV et au bouleversement des grands plans arrêtés, +sont un des mystères de l’histoire. La deuxième Médicis, la triste +épouse qu’avait été chercher à Florence ce roi de France qui avait eu +tant à redouter une première Médicis comme roi de Navarre, participa +peut-être à ces complots et l’on comprend alors que lui fût devenu +désagréable le séjour en ce Louvre sur lequel planait l’ombre de Henri +IV. En 1612 Marie de Médicis acheta l’hôtel du Luxembourg, plus la +grande ferme dite le pressoir de l’Hôtel-Dieu et les fit démolir; elle +ajouta au terrain des jardins divers, des pièces de terre et, s’étant +constitué un immense emplacement, elle entreprit la construction d’un +palais confiée à l’architecte Jacques de Brosse. Ses travaux furent +poussés avec rapidité et terminés en cinq années malgré les événements +politiques, les crises nombreuses, la guerre civile éclatant, la mort de +Concini et l’exil de la reine Régente loin de ce palais où les artistes +chargés de la décoration intérieure, Rubens entre autres, se mettaient à +l’œuvre.</p> + +<p>Avec ses belles façades en bossages, avec son élégant pavillon d’entrée +à coupole faisant face à la rue de Seine, son grand jardin, le +Luxembourg, car on lui conserve malgré tout le nom de l’hôtel disparu, +est un magnifique ornement pour le Paris qui va se développer de ce côté +et masquer complètement les vieux remparts que l’on aperçoit encore, +dominés par les flèches des couvents adossés aux tours.</p> + +<p>Sur la rive droite de la Seine, pendant que les nouveaux quartiers de la +rive gauche se couvrent de maisons, nous voyons également Paris +s’avancer très vite. Au commencement du règne de Henri IV, les Tuileries +inachevées, le logis de Catherine de Médicis avec l’élégant pavillon +central à dôme de Philibert Delorme, le beau palais non encore +transformé, agrandi et alourdi par Louis XIV, se trouvait isolé hors de +la ville. En arrière entre le nouveau palais et le Louvre s’élevaient +les vieux remparts d’Étienne Marcel aboutissant sur le bord du fleuve à +la tour du Bois, absolument semblable à la tour de Nesle, mais sœur non +jumelle, car elle avait quelque chose comme cent quatre-vingts ans de +moins que la sentinelle parisienne d’en face.</p> + +<p>En dedans de la ville, le flot pressé des maisons battait partout cette +enceinte vieillie, fort dégradée sur certains points, mais qui venait de +servir à la défense de Paris ligueur contre les troupes royales. Au nord +et à l’ouest, en dehors des fossés éboulés remplis d’eau bourbeuse, les +faubourgs s’étaient considérablement épaissis pendant le cours du <small>XVI</small>ᵉ +siècle. La guerre civile accumula ruine sur ruine dans la ville, les +faubourgs furent en partie rasés pour la défense, et le roi vainqueur +trouva sa capitale fort mal en point. Il fallut quelques années pour +réparer ces désastres, relever les maisons abattues, faire renaître le +commerce<span class="pagenum"><a name="page_360" id="page_360">{360}</a></span> et l’industrie, rendre la vie enfin à un organisme malade et +ruiné à fond par une si longue série de crises. Henri IV s’employa +fortement à l’œuvre de reconstitution avec les échevins et +particulièrement le prévôt des marchands François Myron.</p> + +<p>Après les premières années difficiles, les progrès de cette renaissance +se firent plus rapides. Les ambassadeurs espagnols, au moment des +négociations de la paix de Vervins, n’en revenaient pas et avouèrent ne +plus reconnaître le Paris qu’ils avaient vu en si triste état au temps +du siège. Ce grand nettoyage matériel ne laissait pas d’être une dure +besogne, le prévôt des marchands avait beau s’occuper des restaurations +d’édifices, de la propreté des rues, des travaux d’assainissement et +d’embellissement, des quais et des égouts, l’ordre et la sécurité dans +ce Paris nettoyé et embelli restaient difficiles à assurer avec la +nombreuse population de gens de sac et de corde, ayant conservé de la +période des discordes civiles l’habitude et le goût du brigandage. Pour +un tire-laine que les archers saisissaient et qui s’en allait figurer +aux potences du roi, il s’en retrouvait quatre-vingt-dix-neuf qui +continuaient à infester, dès la nuit venue, les rues et les carrefours, +à dévaliser les passants et à les assassiner s’ils tentaient de +résister.</p> + +<p>Malgré cette insécurité de la ville, qui fut à peu près de toutes les +époques, la prospérité matérielle se prouvait par une continuelle +transformation, par des travaux d’intérêt public, par l’achèvement de +constructions restées en route, par une poussée d’édifices nouveaux, des +églises, des couvents, des hôpitaux, des reconstructions de ponts à +maisons auxquels on s’efforçait de donner un aspect décoratif régulier +et plus de solidité.</p> + +<p>En quelques années, après 1630, la partie des vieux remparts comprise +entre la tour du Bois et la porte Saint-Denis tomba et la nouvelle ligne +d’enceinte fut reportée de la porte nouvelle de la Conférence, ouvrant +sur le quai des Tuileries tout près de la place de la Concorde actuelle, +à une nouvelle porte Saint-Honoré sise en travers de notre rue Royale, +et de là, en passant à la hauteur de la Bourse, jusqu’à la porte +Saint-Denis. C’était la marge donnée à Paris pour son développement sur +cette rive de la Seine.</p> + +<p>La nouvelle enceinte englobait les Tuileries et leur grand jardin, tout +le faubourg Saint-Honoré, les buttes de Saint-Roch, de vastes étendues +des champs où bientôt les anciens chemins et les sentiers se changèrent +en rues et en ruelles, poussant les maisons à la conquête de l’espace +libre jusqu’aux nouveaux bastions.</p> + +<p>Au milieu du siècle, le changement de décor est déjà complet. Le grand +palais que s’est donné Richelieu, le palais Cardinal, aujourd’hui Royal, +avec ses vastes jardins, l’autre palais Cardinal qui le suit le long de +la rue comme les deux cardinaux se suivent dans l’histoire,—le palais +de Jules Mazarin, aujourd’hui la Bibliothèque nationale,—occupent tout +le terrain entre le Louvre et la porte Richelieu. L’hôtel de Vendôme, +rue Neuve-Saint-Honoré, forme plus à l’est un autre noyau de grandes +constructions entouré de plusieurs couvents, Feuillants, Capucins, +Jacobins.<span class="pagenum"><a name="page_361" id="page_361">{361}</a></span></p> + +<p>Corneille dans le <i>Menteur</i>, joué en 1642, constate les grands +changements survenus:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Paris voit tous les jours de ces métamorphoses;<br /></span> +<span class="i0">Dans tout le Pré aux Clercs tu verras mêmes choses:<br /></span> +<span class="i0">Et l’univers entier ne peut rien voir d’égal<br /></span> +<span class="i0">Aux superbes dehors du palais Cardinal;<br /></span> +<span class="i0">Toute une ville entière avec pompe bâtie,<br /></span> +<span class="i0">Semble d’un vieux fossé par miracle sortie...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Du vieux fossé il reste encore trace alors, au milieu de ces superbes +constructions surgissant du sol bouleversé; à côté de la Tour du Bois +restée debout sur la berge, se voient des éboulis et des terrains vagues +à la place du rempart démoli, de grands trous non comblés encore, des +cloaques oubliés sous les masures jadis cachées par le rempart, et +maintenant surprises par le grand jour.</p> + +<p>Et Paris ne se contente pas alors de dévorer ses faubourgs, il conquiert +au dedans de la vieille enceinte au milieu de la Seine une grande île +restée inhabitée, l’île Notre-Dame coupée en deux par le fossé d’un +rempart disparu qui la faisait entrer dans le système de défense de +Philippe-Auguste entre la tour Barbeau et la Tournelle; l’île +appartenait au chapitre de Notre-Dame, le roi l’acheta en 1614, et les +sieurs Christophe Marie, Le Regrattier et Poulletier entreprirent de la +rattacher par des ponts à la ville, de créer de toutes pièces au milieu +de la rivière une petite ville à l’arrière de la vieille cité. Une +église s’éleva dédiée à saint Louis et peu après le même nom s’appliqua +à la vieille île de Notre-Dame enlevée aux quelques vaches qui tondaient +ses herbages.</p> + +<div class="figright" style="width: 187px;"> +<a href="images/illu-417.jpg"> +<img src="images/illu-417.jpg" width="187" height="242" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>UN BALCON RUE SAINT-JACQUES</p></div> +</div> + +<p>C’est donc sur toute l’étendue de sa partie ouest que Paris, sautant +par-dessus ses remparts, gagne les champs et grandit considérablement. +Dans le cours du siècle il va pousser fort loin les rues commencées aux +talus des vieux fossés et remplir du flot de ses maisons les espaces +conquis. Des spéculateurs avisés créeront tout d’une pièce des quartiers +nouveaux et bâtiront des rues entières en réalisant de jolies fortunes. +La ville prend un aspect nouveau; on veut maintenant de la régularité, +des façades rectilignes. C’est au détriment du pittoresque; plus de +belles saillies comme dans les âges précédents, plus de pignons pointus, +d’en<span class="pagenum"><a name="page_362" id="page_362">{362}</a></span>corbellements, de détails imprévus, on a pris le goût des +ordonnances froides et lourdes.</p> + +<p>Les hôtels que se construit la noblesse n’ont plus rien de l’aspect +féodal des grandes maisons nobles d’antan, plus rien de seigneurial +même, pour ceux qui ne visent pas au palais. Rien ne les distingue des +logis de grosse bourgeoisie, ce sont des maisons cossues et voilà tout, +et ce caractère aristocratiquement bourgeois ou bourgeoisement +aristocratique s’accentuera encore au <small>XVIII</small>ᵉ siècle, même dans le +faubourg Saint-Germain où les plus grands noms de France vont briller au +fronton de toutes les grandes portes de style plus ou moins pompeux.</p> + +<p>Ces hôtels auront beau montrer une carrure importante, élever sur des +cours bien fermées de hauts pavillons avec de vastes ailes en retour, on +sent malgré tout une vague tristesse planer, quelque chose comme le +découragement pesant déjà sur une caste qui voit confusément arriver la +déchéance politique, la fin du grand rôle joué par elle pendant des +siècles. A part quelques écussons, quelques maigres sculptures aux +fenêtres, toute la décoration est réservée à l’intérieur, aux somptueux +appartements, au mobilier, comme si les descendants des fières races +féodales, domptés et domestiqués à la longue par les rois, les nerfs +coupés, abandonnaient désormais toute idée d’un rôle extérieur à jouer +en dehors de leurs fonctions ou de leur rôle purement décoratif à la +cour.</p> + +<p>Ils ont beau élever de hautes constructions avec dépendances nombreuses, +grandes écuries et remises pour leurs chevaux et leurs carrosses, larges +communs pour leurs gens, il y a du renfrogné dans ces logis, de la +maussaderie qui tournera plus tard à la mélancolie. On peut y mener vie +magnifique au milieu d’un monde de serviteurs galonnés, du roulement des +équipages, des allées et venues du personnel, mais c’est en somme une +existence qui ne diffère guère de celle du bourgeois riche ou du +traitant chez qui l’or afflue; les grands seigneurs ne se retrouveront +plus réellement grands seigneurs que loin de Paris, dans les châteaux de +leurs ancêtres, dans le rayon dominé par les vieux donjons fièrement +posés jadis sur plaines et vallons.</p> + +<p>De la rue on ne voit rien de ces hôtels bâtis au noble faubourg dans le +courant du <small>XVII</small>ᵉ ou du <small>XVIII</small>ᵉ siècle, rien que de grands murs; on devine +de beaux jardins à la française, des parterres correctement dessinés. +Les appartements sont richement ornés, des tapisseries, des tableaux de +maîtres s’encadrent dans les délicates boiseries aux détails menus, fort +jolis, dans le style de Berain et Lepautre, ou dans le genre rocaille, +mais si menus qu’on les croirait dessinés plutôt que sculptés.</p> + +<p>Au centre de Paris, sous le grand roi, un quartier où s’élevaient déjà +de beaux hôtels, entre le palais Cardinal, l’hôtel de Soissons et +l’hôtel de la Vrillière, vit par un acte de courtisanerie du duc de la +Feuillade s’ouvrir la place des Victoires. Le duc de la Feuillade, +maréchal de France, colonel des gardes françaises, gouverneur du +Dauphiné, vaillant soldat couvert de blessures, qui depuis sa jeunesse +avait couru à tous les endroits où les horions se distribuaient et fait +brillamment toutes les campagnes du règne, eut l’idée de marquer +l’espèce de culte enthou<span class="pagenum"><a name="page_363" id="page_363">{363}</a></span>siaste qu’il avait voué au roi pour la grandeur +duquel il avait été se faire un peu partout cribler de coups de +mousquet, en dédiant à Louis une statue allégorisant les victoires +royales au centre d’une place publique aux architectures symétriques.</p> + +<p>L’entreprise se fit avec la participation de la ville de Paris. Le +maréchal acheta l’hôtel de la Ferté-Senneterre, la ville acheta l’hôtel +d’Emery à côté; on les démolit et sur leur emplacement Mansard et Predot +créèrent une place circulaire entourée de façades d’une ordonnance +régulière. Au centre de la place baptisée des Victoires, M. de la +Feuillade érigea la statue du monarque, Louis XIV à pied, vêtu à la +romaine, foulant aux pieds la triple alliance représentée par un monstre +à trois têtes, avec une Victoire voltigeant derrière qui le couronnait +de lauriers. Ce groupe de bronze doré, haut de treize pieds, se dressait +sur un piédestal de vingt-cinq pieds, aux quatre angles duquel quatre +figures enchaînées symbolisaient les nations vaincues. Le duc pour +assurer l’entretien du monument qui devait être redoré tous les +vingt-cinq ans, avait constitué sa terre de la Feuillade en majorat +grevé à tout jamais de cette charge, et, à défaut de successeurs, la +terre devait revenir avec la charge à la ville de Paris.</p> + +<p>Quel bruit en 1686 à l’inauguration de ce groupe colossal, acte +d’idolâtrie à la romaine, qui valut au duc de la Feuillade un renom de +courtisanerie effaçant sa renommée d’homme de guerre et le souvenir de +ses services aux armées! Des épigrammes coururent Paris sur le duc et +sur le Roi Soleil lui-même. La victoire du monument place-t-elle la +couronne sur la tête du roi ou la lui ôte-t-elle? Il n’était pas +jusqu’aux lanternes flanquant le monument qui ne fussent devenues motif +de moqueries:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">La Feuillade, sandis! jé crois qué tu me bernes<br /></span> +<span class="i0">Dé mettre lé soleil entre quatré lanternes!<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Lorsque la victoire tourna et que Louis XIV entra dans sa cruelle +période de revers, ce fut d’abord aux lanternes que l’on s’en prit, +elles disparurent en 1699, puis ce fut la statue royale elle-même, de +pose assez prétentieuse, qui fut remplacée par un autre Romain de +Coysevox.</p> + +<p>A la Révolution l’âme du pauvre La Feuillade eut à subir un plus +terrible assaut. Cette fois on enleva d’abord, au nom de la fraternité +des peuples, par politesse internationale, les Nations enchaînées qui +furent portées aux Invalides et on jeta ensuite le monarque à terre, +pour l’envoyer à la fonte et en faire des canons destinés à envoyer à +ces mêmes peuples, en guise d’autres politesses, de solides boulets.</p> + +<p>Que mettre en ce milieu de place où l’on s’était habitué à voir quelque +chose? On commença par y dresser une pyramide de bois portant les noms +des citoyens morts au 10 août, en attaquant le palais du successeur du +grand roi. Les grenadiers du 18 brumaire se chauffèrent, dans un corps +de garde voisin, avec ce monument, et pour le remplacer on érigea, +encore en bois, un modèle de monument égyptien consacré aux mânes de +Desaix et de Kléber. Peu après le modèle alla aussi au feu et Desaix +tout seul hérita de la place. Desaix en Romain ne<span class="pagenum"><a name="page_364" id="page_364">{364}</a></span> resta pas longtemps +sur son socle, la Restauration le fit descendre à son tour et fit +reparaître Louis XIV non plus à pied mais sur un cheval caracolant.</p> + +<p>A côté de la place des Victoires la Banque occupe le vaste hôtel +construit par Mansard pour le secrétaire d’État Phélipaux de la +Vrillière, une demeure vaste et somptueuse où, plus tard, le comte de +Toulouse, fils légitimé de Louis XIV, puis ses successeurs et la Banque +de France ont apporté bien des modifications, mais où les modifications +ont respecté une galerie digne d’un palais royal par ses proportions et +par la richesse de sa décoration.</p> + +<p>La place des <i>Victoires royales</i> n’avait pas suffi au roi Soleil pour sa +glorification; au même moment où M. de la Feuillade travaillait avec +grande hâte à son œuvre, le roi travaillait lui-même à une autre place +qui en était comme le pendant de toutes les façons, qui devait être en +hémicycle et bordée de bâtiments symétriques, comme l’autre, s’appeler +place des Conquêtes et avoir comme ornement central la statue équestre +de Louis, statue colossale montrant le roi en dominateur de l’Europe.</p> + +<p>C’était une idée de M. de Louvois; le ministre voulait faire grand, +élever des édifices majestueux destinés à loger la bibliothèque du roi, +les ambassadeurs extraordinaires, certaines administrations et aussi +l’Académie qui n’avait pas encore de local bien à elle et tenait séance +où elle pouvait.</p> + +<p>L’emplacement n’était pas tout à fait vide, l’hôtel de Vendôme et ses +jardins en occupaient une partie, un couvent de capucins sur le côté +avait le reste; au-dessus, c’est-à-dire dans la rue de la Paix actuelle, +était un marché aux chevaux utilisant le terre-plein d’un bastion de +l’enceinte de Louis XIV. L’hôtel de Vendôme était une très importante +habitation construite par Henri IV pour le fils aîné de la belle +Gabrielle, César de Vendôme; il comprenait un grand pavillon central à +colonnades et loggias et des bâtiments sur deux grandes cours, plus un +très grand jardin bordant le marché aux chevaux du bastion.</p> + +<p>En 1652,—quelques semaines après la journée de la paille, où les +émeutiers prirent l’hôtel de ville, massacrèrent les magistrats mazarins +ou frondeurs, sans distinguer, et mirent le feu à l’édifice,—au plus +fort de la Fronde, le 3 juillet à 7 heures du soir, eut lieu sur ce +marché aux chevaux un duel fameux qui peut faire le pendant de celui des +Mignons au marché aux chevaux des Tournelles.</p> + +<p>Cette fois les combattants étaient cinq contre cinq, et il resta trois +morts sur le carreau. Le héros principal du combat c’était le petit-fils +de Gabrielle, le duc de Beaufort idolâtré des Parisiens. Le roi des +Halles vaniteux et fougueux, était depuis longtemps au plus mal avec son +beau-frère le duc de Nemours; déjà, au conseil même des chefs de la +Fronde, ces deux beaux-frères s’étaient, comme deux crocheteurs, +littéralement pris aux cheveux et battus à coups de poings. S’étant +repris de querelle, de la même façon en une partie de débauche au jardin +de Regnard, ce cabaret célèbre du jardin des Tuileries, ils résolurent +d’en finir et sans désemparer réunirent chacun quatre seconds pour vider +la querelle derrière les jardins de l’hôtel de Vendôme.</p> + +<p>Le duc de Nemours aussitôt arrivé sur le terrain, pendant que les +seconds<span class="pagenum"><a name="page_365" id="page_365">{365}</a></span> quatre contre quatre, commençaient à ferrailler, s’avança sur +Beaufort et lui déchargea un coup de pistolet. La balle passa dans les +boucles blondes du roi des Halles, celui-ci hésita un instant, mais +voyant Nemours le charger l’épée à la main, il tira à son tour, Nemours +tomba comme une masse et mourut pendant qu’on le transportait dans son +carrosse. Du côté des seconds les choses allaient aussi vite, il y avait +déjà plusieurs blessés, Héricourt, l’un des seconds de Beaufort, était +tué par le marquis de Villars qui ne l’avait jamais vu auparavant, et il +y eut encore un autre blessé qui mourut peu après.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 287px;"> +<a href="images/illu-421.jpg"> +<img src="images/illu-421.jpg" width="287" height="283" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>BALCON RUE THÉVENOT (DÉMOLI EN 1895)</p></div> +</div> + +<p>Louis XIV acheta l’hôtel de Vendôme et le fit démolir. Les travaux de la +place des Conquêtes commencèrent, mais ils coïncidèrent avec la +désertion de la Fortune; fatiguée d’une trop longue constance, elle +passait à l’ennemi. Le temps des revers était venu, le grand projet en +souffrit, les travaux traînèrent en longueur; puis Mansard modifia les +plans ou les réduisit à des proportions plus modestes, on abandonna +l’idée de la place en hémicycle et des palais, on éleva les façades tout +de même comme un grand décor derrière lequel les acquéreurs des lots +purent s’arranger à leur aise.</p> + +<p>Enfin le Louis XIV vêtu à la romaine se dressa sur son cheval de bronze +et la place, quoique non terminée, s’inaugura par une magnifique +cérémonie en<span class="pagenum"><a name="page_366" id="page_366">{366}</a></span> 1699. Des financiers surtout habitèrent ces hôtels mis en +vente par la ville. En 1792 la place des Conquêtes ou Louis-le-Grand +devint la place des Piques, chef-lieu de la section du même nom. La +statue de Louis XIV était tombée; transmuée en canons elle aussi, +peut-être servit-elle à la conquête des canons ennemis qui fournirent la +matière de la gigantesque colonne de la Grande Armée au sommet de +laquelle domine un autre violenteur de la Fortune, le grand empereur +Napoléon, statue vêtue à la romaine encore et qui déjà connaît le revers +des enthousiasmes populaires.</p> + +<p>A l’autre extrémité de la ville on travaillait aussi à un gigantesque +monument triomphal qui devait porter à 250 pieds au-dessus du sol une +troisième statue équestre du roi Soleil; c’était au bout du faubourg +Saint-Antoine, à la place du Trône, où déjà s’était élevé un arc de +triomphe provisoire pour l’entrée du roi et de la reine Marie-Thérèse, +aux fêtes de leur mariage.</p> + +<p>A la suite d’un concours entre les architectes, un projet de Perrault +avait été adopté. C’était une modification des arcs de triomphe de Rome, +avec d’énormes colonnes accouplées formant avant-corps sur le côté des +portes. Ce gigantesque piédestal de la statue royale fut commencé, puis +faute d’argent on éleva une carcasse de charpente et de plâtre avec un +modèle de la statue en attendant de pouvoir reprendre les travaux. La +fin du règne arriva, l’arc de triomphe se détériorait, asile d’une +innombrable armée de rats, comme plus tard l’éléphant de la Bastille. +Sous la Régence on eut bien autre chose à faire que de continuer des +arcs de triomphe dédiés au grand roi dont on était débarrassé, on +abattit cette ruine...</p> + +<p>Deux autres monuments, des arcs de triomphe aussi, construits en 1674, +au moment des grands succès de Louis XIV, ont eu plus de chance. Ce sont +nos portes Saint-Denis et Saint-Martin qui méritent d’ailleurs cette +chance sous tous les rapports, parce que les armées de Louis XIV s’y +trouvent associées à son triomphe, et parce que l’architecte Blondel qui +les éleva, leur a donné un tout autre aspect que celui de purs pastiches +des monuments romains.</p> + +<p>Le Paris de Louis XIV a vu les premiers essais réguliers d’éclairage des +rues entrepris par la municipalité: il y avait bien eu précédemment, aux +époques de troubles, quelques ordonnances enjoignant aux propriétaires +de placer après neuf heures une chandelle allumée sur une fenêtre du +premier étage de chaque maison, mais ces ordonnances étaient oubliées +aussitôt la tranquillité revenue, et Paris retombait dans l’obscurité +propice aux entreprises des larrons. Aussi ne sortait-on le soir qu’en +cas de nécessité, et, quand on se risquait dehors par des temps sans +lune, n’oubliait-on point de se munir d’une lanterne ou d’un falot. Le +souci des fondrières le voulait, comme la prudence commandait de ne se +point hasarder sans armes dans certains quartiers.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">..... La frayeur des nuits précipite mes pas.<br /></span> +<span class="i0">Car sitôt que du soir des ombres pacifiques<br /></span> +<span class="i0">Au double cadenas font fermer les boutiques:<br /></span> +<span class="i0">Que, retiré chez lui, le paisible marchand<span class="pagenum"><a name="page_367" id="page_367">{367}</a></span><br /></span> +<span class="i0">Va revoir ses billets et compter son argent;<br /></span> +<span class="i0">Que dans le Marché Neuf tout est calme et tranquille,<br /></span> +<span class="i0">Les voleurs à l’instant s’emparent de la ville.<br /></span> +<span class="i0">Le bois le plus funeste et le moins fréquenté<br /></span> +<span class="i0">Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté.<br /></span> +<span class="i0">Malheur donc à celui qu’une affaire imprévue<br /></span> +<span class="i0">Engage un peu trop tard au détour d’une rue!<br /></span> +<span class="i0">Bientôt quatre bandits lui serrant les côtés,<br /></span> +<span class="i0">La bourse!... Il faut se rendre! ou bien non, résistez,<br /></span> +<span class="i0">Afin que votre mort, de tragique mémoire,<br /></span> +<span class="i0">Des massacres fameux aille grossir l’histoire...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Voilà ce que disait Boileau en 1660 dans sa satire des <i>Embarras de +Paris</i> et le satiriste n’exagérait vraiment pas. Il ajoute un peu plus +loin:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">..... Des filous effrontés, d’un coup de pistolet,<br /></span> +<span class="i0">Ebranlent ma fenêtre, et percent mon volet;<br /></span> +<span class="i0">J’entends crier partout: Au meurtre! on m’assassine!...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>On devine ce que pouvaient être, dès la nuit bien tombée, ces rues +enténébrées, ces étroites rues aux ramifications compliquées, où les +hautes façades rapprochées comme des falaises de ravins sombres et +profonds, à peine piquées de quelque lumignon timide çà et là, laissent +à peine entrevoir quelques étoiles, ces carrefours de mauvaise +réputation où le tournant des ruelles menace à droite et à gauche, ces +voûtes inquiétantes, portes cochères ou entrées d’impasses, innocentes +dans le jour, prenant l’aspect de coupe-gorge avec la nuit, et tout ce +noir qui vous enveloppait, ce noir sinistre, lugubre, se poursuivant +interminablement!</p> + +<p>Messieurs les voleurs ne se gênaient pas toujours en plein jour et dès +la nuit venue pouvaient se dire les rois du pavé. La chronique de ces +temps est pleine de leurs coups d’audace. N’osèrent-ils pas un beau soir +s’attaquer à M. de Turenne lui-même! Le grand maréchal, ne voyant pas la +résistance possible, y laissa sa bourse; sans doute elle n’était pas +assez ronde, car les voleurs avec la plus grande politesse d’ailleurs, +taxèrent leur illustre victime à une certaine somme en plus, qu’un des +leurs se chargea d’aller toucher le lendemain.</p> + +<p>Le sieur Loret dans sa gazette rimée raconte maints exploits des +détrousseurs de carrefour, qui ne se montraient pas toujours d’aussi +bonnes façons qu’avec Turenne:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">La sœur du chevalier du guet<br /></span> +<span class="i0">Fut un jour dévalisée,<br /></span> +<span class="i0">Et tout entière dépouillée<br /></span> +<span class="i0">Par des barbares inhumains...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>M. de la Reynie, magistrat intègre et vigilant, pour qui l’on créa, à la +réorganisation de la police en 1667, la charge de lieutenant général de +la police de la ville de Paris, travailla énergiquement à l’épuration +des bas-fonds de la capitale, poursuivit à outrance les innombrables +coupe-jarrets et tire-laine, les voleurs et assassins pullulant dans +Paris, ferma les cours des Miracles et jeta truands et vagabonds dans +les prisons ou les hôpitaux.<span class="pagenum"><a name="page_368" id="page_368">{368}</a></span></p> + +<p>Dans sa lutte contre les criminels ou contre les simples fauteurs de +désordres, il commença, en même temps qu’il augmentait le guet, par +éclairer le champ d’opérations de tous les malandrins. On plaça une +lanterne garnie d’une chandelle à l’extrémité de chaque rue et une au +milieu quand la rue était longue. Cette mesure causa une sensation si +profonde, parut une innovation si importante et un bienfait si grand que +pour en perpétuer le souvenir on frappa en 1669 une médaille où se +voyait la Ville de Paris, une lanterne à la main, avec la légende: +<i>Urbis securitas et nitor</i>. Pour forcer les <i>mauvais garçons</i> à +respecter ces lanternes gênantes, il y avait peine de galères pour +quiconque y toucherait.</p> + +<p>Par malheur, ces lanternes n’étaient allumées que pendant l’hiver, du 20 +octobre au 31 mars. Le reste du temps on s’en remettait, pour +l’illumination des rues, à l’antique Phébé, lanterne qui ne coûte rien +et que l’on n’a pas la peine d’allumer. On avait aussi les <i>falots</i>, une +entreprise dans les divers bureaux de laquelle on trouvait des porteurs +de falots numérotés par qui l’on pouvait se faire accompagner et qui +rendaient divers services à leurs clients.</p> + +<p>Cette institution des falots numérotés vécut longtemps et subsista +jusqu’à la fin du <small>XVIII</small>ᵉ siècle, malgré l’augmentation de l’éclairage +des rues, malgré les réverbères.</p> + +<div class="figleft" style="width: 209px;"> +<a href="images/illu-424.jpg"> +<img src="images/illu-424.jpg" width="209" height="289" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTAIL DE L’ÉGLISE DES FILLES SAINT-CHAUMONT</p></div> +</div> + +<p>Le sévère La Reynie resta une trentaine d’années en charge. La ville de +Paris lui fut redevable d’un grand nombre de règlements de police, +concernant la sécurité des personnes et la salubrité des rues. Par +malheur, vers la fin du <small>XVII</small>ᵉ siècle, avec l’augmentation de la +population et la misère publique, les désordres recommencèrent; il +fallut encore pour remédier au mal doubler le guet à pied et à cheval et +remplacer La Reynie, dont la sévérité s’était peut-être amollie avec +l’âge, par Voyer d’Argenson.</p> + +<p>La dureté et l’inflexibilité de d’Argenson jetèrent la terreur parmi les +malfaiteurs, effrayèrent les méchants sans pour cela rassurer tout à +fait les autres,</p> + +<div class="figcenter" style="width: 569px;"> +<a href="images/illu-425.jpg"> +<img src="images/illu-425.jpg" width="569" height="390" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA BUTTE DES MOULINS AU XVIᵉ SIÈCLE</p> + +<p><i>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</i></p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_369" id="page_369">{369}</a></span></p> + +<p class="nind">car cette vigilance énergique était aussi au service des intérêts et des +passions politiques de la cour. Les tristesses de la fin du règne, le +mouvement de folie de la Régence, la multiplication des impôts et le +débordement de la passion du jeu sous toutes ses formes, le <i>système</i> de +Law et l’épidémie de spéculations engendrant la ruine et la +démoralisation, il n’en fallait pas tant pour jeter le trouble partout +et donner naissance aux pires désordres.</p> + +<p>C’est le moment où les exploits du fameux Cartouche mettent sur les +dents lieutenant de police, exempts et commissaires. Malgré +l’augmentation du guet et malgré les agents secrets de d’Argenson, +Cartouche et sa bande terrifient la ville, Paris nocturne redevient +extrêmement dangereux pendant quelque temps. L’arrestation de Cartouche +avec une cinquantaine de ses complices, livrés par un soldat de leur +bande, fit un bruit énorme. Les premiers pris, mis à la question, en +firent découvrir d’autres de toutes les classes sociales, y compris même +des exempts du Châtelet. Les prisons en étaient pleines et après le +grand procès, lorsque Cartouche et les plus coupables conduits en Grève +furent couchés sur la roue où ils devaient être rompus vifs, ils +dénoncèrent encore de nombreux complices pour retarder leur supplice +d’une nuit ou deux.</p> + +<div class="figright" style="width: 263px;"> +<a href="images/illu-427.jpg"> +<img src="images/illu-427.jpg" width="263" height="435" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LE BUREAU DES MARCHANDES-LINGÈRES, 6, RUE COURTALON</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_370" id="page_370">{370}</a></span></p> + +<p>Après avoir couvé quelques années dans quelques premières tentatives +d’organisation du crédit, tentatives qui n’avaient réussi ou semblé +réussir que grâce à une série de mesures obtenues de l’État alors acculé +à la banqueroute et gémissant sur ses coffres vides, la fièvre chaude de +la spéculation s’était complètement emparée de Paris en 1719. Le +financier écossais Law était passé dieu.</p> + +<p>Bel homme et beau joueur, ayant couru déjà mille aventures de tout +genre, desquelles il avait toujours su se tirer, même quand elles +avaient abouti à la prison, ce banquier audacieux fut jeté par le hasard +dans les débauches du duc d’Orléans et se trouva ainsi à même de +convertir la Régence à ses plans financiers, à son fameux <i>Système</i> +d’organisation du crédit. Ce joueur effréné allait attirer la France +entière, à demi folle, dans l’immense tripot de la rue Quincampoix.</p> + +<p>Malgré l’opposition et les remontrances du Parlement, l’hostilité de +d’Argenson, le <i>Système</i> triomphait. La Banque générale fondée par le +financier écossais devint la Banque royale et ouvrit l’émission à jet +continu d’actions sur lesquelles les premiers bénéfices éblouirent la +foule. On se rua bientôt sur tous les papiers de la banque, billets, +actions, promesses d’actions. La compagnie universelle des Indes et les +autres affaires de la banque, les fermes et les monopoles accaparés par +elle, fournirent l’occasion d’émissions d’actions, jetées par séries +successives à la tête des spéculateurs.</p> + +<p>Plus d’argent, plus d’or, rien que du papier, des actions par centaines +de mille montées bientôt à des taux formidables, des millions de billets +sur lesquels on se livrait à un agiotage sans frein. Paris, la France, +l’Europe sont infestés. Le cœur de Paris, de la France et du monde bat +rue Vivienne où sont les bureaux de la Banque et rue Quincampoix, +quartier général des financiers.</p> + +<p>A la voir aujourd’hui cette pauvre rue Quincampoix, sombre et triste, +voie tortueuse et assez misérable, où ne passe plus personne, étouffée +qu’elle se trouve entre la vieille rue Saint-Martin et le jeune +boulevard Sébastopol, pourrait-on se douter qu’à un certain moment elle +fut le camp de la finance, le centre des affaires. Ses grandes maisons, +noires aujourd’hui et bien délaissées par le luxe, laissent apercevoir à +peine quelques traces de leur fortune d’antan, quelques sculptures ou +ornements rocaille. Entre les deux grandes artères voisines si vivantes +et si bruyantes, son silence, sa tristesse marquent davantage sa +déchéance. Antérieurement au système, la rue Quincampoix était déjà +vouée au commerce de l’argent, le <i>bureau des Merciers</i>, siège d’une +importante corporation, était à l’entrée en face de la petite église +Saint-Josse et proche de la <i>Chambre des assurances maritimes</i>; il y +avait des banquiers, des courtiers, des juifs surtout, des usuriers et +tripoteurs agiotant sur les traites et les billets de l’État, tombés +considérablement à la fin du règne du grand Roi. La rue avait donc ses +habitués, quand débuta l’affaire du système, elle se vit envahie tout à +coup par des hordes d’agioteurs de toutes les classes sociales.</p> + +<p>Pendant toute l’année 1719, une foule tumultueuse s’y étouffait aux +heures marquées pour le trafic, une foule enragée de l’âpre passion de +la spéculation s’y<span class="pagenum"><a name="page_371" id="page_371">{371}</a></span> ruait sur les papiers de la Compagnie, pendant que +chez le Régent, les plus grands seigneurs de France et jusqu’à des +mandataires des souverains étrangers sollicitaient des souscriptions +privilégiées aux émissions. A la fin de 1719 il y avait un milliard de +billets du système sur le marché.</p> + +<p>La fortune était folle et la démence s’emparait de toutes les classes +sociales. De la corne d’abondance de la déesse aux yeux bandés, à la +roue prestigieuse, des millions pleuvaient, lancés à tort et à travers +sur la foule. Du soir au matin des situations sociales changeaient du +tout au tout, tel richard du matin se trouvait tombé à la misère le +soir, et tel qui s’éveillait misérable se voyait le soir possesseur de +quelques millions... en papier. Ceux qui savaient réaliser à temps et +quitter le tripot avec leurs bénéfices achetaient terres et châteaux, +vendus par des gens empressés de courir en porter le prix rue +Quincampoix.</p> + +<p>Chance inouïe pour les propriétaires des moindres logis de la rue +Quincampoix, les maisons rapportaient des loyers fabuleux, les plus +humbles locaux se louaient à des prix extravagants pour y établir des +bureaux d’agioteurs. Il y en avait partout en haut et en bas des +maisons, des financiers plus ou moins gros, plus ou moins marrons, dans +tous les coins où pouvait s’installer une table pour les opérations de +tous ces écumeurs qui trouvaient leur Mississipi dans les ruisseaux de +la rue Quincampoix, et les Grandes Indes dans les poches de leur +clientèle affolée. La banque de Law était établie au nº 47 dans une +maison à trois fenêtres de façade, ornées de quelques sculptures, maison +disparue aujourd’hui, emportée par le percement de la rue de Rambuteau. +Il fallut faire placer une grille et un corps de garde aux deux +extrémités de cette rue. Au milieu une cloche sonnait l’ouverture des +séances à 6 heures du matin et la clôture à 9 heures du soir. Aux +alentours de ce champ de foire financier, on se plaignait de l’affluence +des carrosses qui interrompaient la circulation et bouchaient les +carrefours.</p> + +<p>Dès que la cloche avait sonné l’ouverture légale des opérations, la +bousculade commençait, on se pressait, on s’étouffait; du haut en bas +des maisons des flots d’or roulaient, s’échangeant furieusement contre +des papiers de la banque. Les actions de 500 livres étaient montées à +12, 15, 20,000 livres et l’invraisemblable ascension des cours ne +semblait pas près de finir. La monnaie de métal d’ailleurs baissait de +valeur et même se voyait proscrite, l’or et l’argent pourchassés +n’étaient plus reçus dans les paiements que pour une petite fraction. Il +était interdit d’en conserver plus d’une certaine quantité, le reste des +capitaux monnayés devait sous les peines les plus dures être apporté aux +caisses de l’État pour y être échangé contre des billets de la banque +Royale. Le pauvre <small>XVIII</small>ᵉ siècle a donc vu deux fois les assignats, ceux +de la République, pourvus d’une illusion de garantie au moyen des biens +nationaux, ceux de la Régence hypothéqués sur les mirages du Mississipi.</p> + +<p>On peut donc se figurer, dans la rue Quincampoix, l’encombrement et le +tapage, les clameurs diverses qui remplissent aujourd’hui notre monument +grec de la rue Vivienne. Du haut en bas des maisons et d’un bout de la +rue à l’autre sur le pavé, on criait des cours, des offres de demandes, +tout se faisait rapide<span class="pagenum"><a name="page_372" id="page_372">{372}</a></span>ment, si l’on avait quelque signature à donner, +quelques mots à écrire, dans la presse, le dos d’un personnage +obligeant, moyennant une misère, un écu ou deux, se transformait en +pupitre. Le petit bossu, fameux dans l’histoire du système, amassa ainsi +en peu de temps 150,000 livres, qu’entraîné par l’exemple il eut la +sottise de risquer comme les autres et qu’il perdit de même. Les belles +dames intéressées par cette folie de l’époque, ou piquées elles aussi +par le démon de l’agio, venaient s’entasser dans l’échoppe en planches +d’un savetier, pour contempler le spectacle extraordinaire de cette +course à la fortune, ou plutôt surveiller les opérations de leurs maris +et mandataires. L’heureux savetier avait cessé de ressemeler des +souliers et s’amassait des rentes avec ses belles locataires d’un +moment.</p> + +<p>On cite une foule d’anecdotes sur ce temps, la plus drôle est celle de +l’abbé qui vint vendre, au lieu d’actions, des billets d’enterrement +sans que les acheteurs, dans leur hâte d’empocher, s’aperçussent de la +plaisanterie. Les cours montaient ou descendaient avec une rapidité +inouïe et les fortunes faisaient de même; des grands seigneurs se +trouvaient ruinés à plate couture en une séance, de braves marchands de +province devenaient soixante fois millionnaires dans le même temps, des +commissionnaires, des laquais se transformaient soudain en énormes +capitalistes. La veuve de Racine y perdit tout son modeste avoir. Un +banquier qui se ruina en même temps que son valet s’enrichissait, céda à +celui-ci son hôtel, ses chevaux et son carrosse.</p> + +<div class="figleft" style="width: 214px;"> +<a href="images/illu-430.jpg"> +<img src="images/illu-430.jpg" width="214" height="230" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA MAISON DE LAW, RUE QUINCAMPOIX (DÉMOLIE)</p></div> +</div> + +<p>Les mouvements de hausse étaient si rapides que des intermédiaires +chargés d’acheter des actions trouvaient moyen de réaliser de +considérables bénéfices dans l’intervalle entre l’achat et la livraison. +Aussi quelle existence menaient ces gens étourdis par tout ce +bruissement de millions remués par toutes les mains! Il se faisait mille +folies, par tous les lieux de plaisir; on jouait dans les tripots de la +foire Saint-Germain des billets de 10,000 livres sur une carte. Alors +dans ce roulement extravagant des fortunes, le commerce et l’industrie +prirent tout à coup un essor fabuleux, les têtes avaient tourné à tout +le monde, les nouveaux enrichis ne savaient comment employer leurs fonds +et se lançaient dans un luxe insensé. Un de ces nababs nouveaux, pour +monter rapidement sa maison, acheta<span class="pagenum"><a name="page_373" id="page_373">{373}</a></span> le fonds d’un orfèvre; avec la +vaisselle plate il se trouvait une grande quantité de ciboires et de +reliquaires, il prit le tout et le disposa sur ses buffets, dans un +hôtel meublé somptueusement avec la même profusion inouïe.</p> + +<p>Mais quel réveil quand vint la débâcle, quelle chute pour ceux qui ne +surent pas comprendre que ce mouvement tout factice devait forcément +s’arrêter. Les beaux jours du système tiraient à leur fin. Toutes les +actions, les premières, les <i>mères</i>, et celles des émissions suivantes, +les <i>filles</i> et les <i>petites-filles</i>, avaient tellement monté qu’elles +ne pouvaient plus que descendre, les gens prudents jugèrent le moment +venu de sortir de l’affaire et de réaliser définitivement leurs +bénéfices.</p> + +<p>En peu de semaines le mouvement des réalisations s’accéléra, la baisse +commençait. Le prince de Conti, ennemi de Law, précipita encore le +mouvement en venant à la Banque enlever ses fonds ostensiblement, avec +trois chariots. Bientôt ce fut la panique, on s’étouffa de plus en plus +dans la rue Quincampoix ou devant les bureaux de Law, mais ce fut pour +essayer de sauver quelques bribes du désastre. Dans la rue Vivienne, +envahie dès trois heures du matin, il y eut un jour seize personnes +étouffées.</p> + +<div class="figright" style="width: 261px;"> +<a href="images/illu-431.jpg"> +<img src="images/illu-431.jpg" width="261" height="501" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>HÔTEL DE LA CHANCELLERIE D’ORLÉANS, RUE DES +BONS-ENFANTS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_374" id="page_374">{374}</a></span></p> + +<p>Law dans ces moments terribles où il luttait en désespéré fut plusieurs +fois en grand péril. On renversa ses voitures, on assomma ses gens, s’il +était tombé entre les mains du peuple furieux, il était mis en pièces. +Une grave crise politique s’en suivit. Le parlement s’étant mis sur la +question en opposition avec la Régence était exilé à Pontoise.</p> + +<p>...C’est fini pour la rue Quincampoix, on la ferme. Le Système est à +l’agonie, le papier tombe, mais il y a encore des agioteurs, qui +tripotent maintenant à la baisse. Law transporte ses bureaux dans un des +hôtels neufs de la place Vendôme. Le camp de l’agio est transféré sous +les tentes établies au milieu de la place Vendôme qui était alors un +quartier de gros financiers. Le Système meurt gaiement en musique, dans +une espèce de fête galante que l’on transporte bientôt dans les jardins +de l’hôtel de Soissons sous des baraques mieux installées. Et celui qui +a mis cette immense affaire en branle, qui a bouleversé toutes les +fortunes particulières et celle de la France, Law vaincu, complètement +ruiné, quitte un jour Paris, emportant à peine quelques poignées de +louis, pour s’en aller mourir peu après à Venise.</p> + +<p>Il est assez extraordinaire de pouvoir dire qu’en définitive tous les +désastres accumulés par le vertigineux coup de folie, tous les +successifs effondrements de tant de fortunes privées, tous les +écroulements particuliers tournèrent au profit de la fortune générale +une fois la douloureuse liquidation faite et la banqueroute partielle de +l’Etat acceptée. Tous les historiens le constatent; le Système, parmi +tant de ruines, avait fait quelque bien. Law avait à son actif quelques +heureuses mesures, suppressions de charges, régularisation d’impôts, et +le mouvement industriel et commercial, né de la grande secousse, devait, +après un temps d’arrêt, reprendre et continuer. Mais quelle profonde +perturbation, le ver était dans le siècle, avec les germes de +démoralisation devant faire lentement leur œuvre, pour aboutir à cette +autre terrible liquidation que les enfants de la Régence verraient en +leur vieillesse.</p> + +<p>Il ne faut donc plus chercher la maison d’où sortirent toutes ces choses +et la rue elle-même a modifié son aspect. Les façades qui ont vu la +grande folie sont maintenant fort rares; pour cause d’alignement elles +ont reculé de deux mètres pour la plupart; il n’y a plus de ce temps que +celles qui avancent encore et marquent l’ancienne largeur—ou +étroitesse—de la rue. Après la rue Aubry-le-Boucher, l’ancienne rue des +Cinq-Diamants est restée étroite et intacte; il faut s’y casser le cou +pour admirer quelques mascarons aux fenêtres et de vieux balcons à des +maisons qui furent jadis demeures de gens importants.</p> + +<p>Au moment le plus chaud du système, se produisit une affaire qui eut un +retentissement terrible. A l’angle de l’étroite ruelle de Venise qui +fait communiquer la rue Quincampoix avec la rue Saint-Martin se trouvait +le cabaret de l’<i>Epée de bois</i>, toute la journée rempli et bondé +d’agioteurs. Le jeune comte de Horn, fils d’un prince allemand, parent +de l’Empereur et du Régent, venu à Paris sans doute pour prendre sa part +des profits, avait considérablement perdu à l’agio et au jeu dans les +tripots de la foire Saint-Germain. Pour se refaire d’un seul coup, il +eut<span class="pagenum"><a name="page_375" id="page_375">{375}</a></span> l’audace, avec deux aigrefins ses complices, en plein jour, +d’attirer dans une petite chambre du second étage, en ce cabaret de +l’Épée de bois, un malheureux courtier porteur de 150.000 livres en +billets.</p> + +<p>On entama une opération, comme le courtier se penchait pour écrire, le +comte de Horn soudain lui entortilla la tête avec une serviette pendant +que ses complices le poignardaient. L’homme put crier pourtant et ses +cris jetèrent l’alarme dans la maison. On accourut. Les deux complices +quittèrent la chambre à temps et se perdirent dans la foule; le comte de +Horn effaré prit par la fenêtre, et s’accrochant à des bois de charpente +étayant la maison put descendre jusqu’en bas sans se blesser. Il pouvait +encore essayer de se sauver, mais il prit le parti de se rendre lui-même +chez le commissaire, et de dire, pour détourner les soupçons, qu’il +avait failli aussi être assassiné. Convaincu bientôt de son crime, le +comte de Horn fut condamné à mort malgré tous les efforts et toutes les +supplications de sa noble parenté. Le régent, sur les instances de +d’Argenson et du cardinal Dubois, tint bon et ce fils de prince régnant +fut rompu en Grève avec un de ses complices que l’on avait pu retrouver.</p> + +<p>A côté du Palais Royal où Philippe d’Orléans partageait son temps entre +les conseils de cabinet et les petits soupers, entre les affaires de +l’Etat et les parties de débauche, avec sa bande de roués et ses +maîtresses, Dubois, son principal conseiller habitait un hôtel +particulier que l’on peut voir dans la rue des Bons-Enfants, un peu +noirci mais encore intact avec sa façade d’une élégante tournure, sa +porte magistrale. C’était la chancellerie d’Orléans, une dépendance du +Palais Royal.</p> + +<p>Saint-Simon, qui n’a pas le crayon tendre, trace en deux lignes un +croquis physique et moral de Dubois: «C’est un petit homme maigre, +effilé, chafouin, à perruque blonde, à mine de fouine, à physionomie +d’esprit. Tous les vices combattaient en lui à qui en resterait le +maître.»</p> + +<p>Fils d’un apothicaire de Brives-la-Gaillarde, Dubois était venu faire +ses études comme boursier dans un des petits collèges de Paris, au +collège Saint-Michel, dont il subsiste rue de Bièvre, nº 12, une maison +signalée par une statuette gothique de saint Michel au-dessus de la +porte. Sa situation au sortir du collège demeura quelque temps +misérable, il fut instituteur de petits bourgeois ici, laquais ailleurs, +jusqu’au jour où le précepteur du futur duc d’Orléans se l’adjoignit, +après lui avoir fait prendre le petit collet. Il était ainsi l’abbé +Dubois sans avoir reçu les ordres. Peu à peu l’intelligent adjoint du +précepteur en titre suppléa celui-ci qui se faisait vieux et, avec +l’appui de son élève lui-même et de ses amis, obtint à la fin la place, +malgré sa mauvaise réputation déjà bien établie. Ce précepteur ivrogne +et débauché, mais spirituel et rusé, insuffla sa corruption dans l’âme +du duc d’Orléans, né pourtant avec les plus heureuses qualités, et lui +donna tous ses vices. Attaché désormais à la maison d’Orléans, quelle +fortune inespérée pour le boursier de Saint-Michel aux commencements si +durs! Ce n’était pourtant pas fini et le sort lui réservait beaucoup +mieux en sa vieillesse. L’abbé Dubois est déjà vieux, il a soixante ans +quand son élève prend la Régence; sa fortune alors fait un<span class="pagenum"><a name="page_376" id="page_376">{376}</a></span> bond +prodigieux. Dubois est diplomate, ambassadeur, il est ministre et dirige +les affaires extérieures de la France, au mieux, dit-on, des intérêts de +l’Angleterre qui lui paie pour cela une pension de 100.000 écus. Ces +hautes dignités ne lui suffisent pas, il n’est qu’abbé pour rire, il +veut être archevêque de Cambrai; il violente le Régent qui l’injurie, +mais qui se laisse arracher le siège, et Dubois avant de coiffer sa +mitre et de prendre sa crosse doit s’en aller d’abord recevoir la +prêtrise.—Ne vous faudrait-il pas aussi le baptême? lui demanda +ironiquement l’évêque qui l’ordonna. Devenu archevêque, il ne lui +restait plus que le chapeau de cardinal à conquérir, il y arriva bien +vite...</p> + +<p>Ce prélat, qui riait volontiers de son élévation dans les soupers du +Palais Royal et défiait tous les cardinaux réunis d’être à eux tous plus +athées que lui tout seul, ne put jouir longtemps de ses extraordinaires +succès; il mourut en 1723 et fut enterré dans l’église Saint-Honoré, +voisine de la Chancellerie. Il y eut son tombeau surmonté de sa statue +par Coustou fils. La malchance s’acharna sur le tombeau de Dubois; +d’abord il avait été placé de façon telle que la statue tournait le dos +à l’autel, ce qui donnait l’occasion de rappeler à tout visiteur +l’indignité du cardinal des orgies de la Régence. Lorsqu’on démolit +l’église en 1792 et que l’on construisit sur son emplacement le passage +Saint-Honoré, on utilisa certains murs de l’église; alors dans la +chapelle du cardinal, ignoble affectation, s’installa une maison de +débauche, et l’âme de Dubois sans doute ne s’y trouvait point trop mal à +l’aise; mais ce ne fut pas tout et le plus horrible reste à dire: comme +pour symboliser terriblement l’ignominie restée attachée au nom de +Dubois dans l’histoire de cette maison de débauche, le caveau funéraire +de Dubois devint la fosse d’aisances!</p> + +<p>Au commencement du siècle la vieille abbaye de Saint-Germain avait +achevé de perdre ce qu’il lui restait de son caractère de petite ville +close, qu’elle avait gardé si longtemps. Le faubourg Saint-Germain +s’étendait et prospérait, le prix des terrains montait; les moines, pour +profiter de cette hausse, et d’ailleurs ayant dépensé beaucoup d’argent +dans les travaux de transformation exécutés sous Louis XIV, bâtirent +plusieurs rues dans leur enclos, entre autres les rues Cardinale et +Furstenberg, ainsi baptisées du nom de l’abbé qui était le cardinal Jean +de Furstenberg. Ces rues enserraient le beau palais abbatial d’un amas +de maisons et de bâtisses à petits loyers qui lui nuisaient beaucoup. +Les abbés par cette spéculation se résignaient à un voisinage médiocre +bien rapproché; ils n’étaient plus chez eux, sauf par derrière où leurs +jardins étaient à peu près enfermés par l’église et par le gros bâtiment +carré de la prison de l’Abbaye, passée aux mains de l’Etat et qui devait +prendre un sinistre renom lors des égorgements de 1792.</p> + +<p>Après la prison, sur le flanc sud de l’église on fit encore deux rues, +la rue Childebert et la rue Sainte-Marthe encadrant la place du Parvis +au pied de la grosse tour. Le boulevard Saint-Germain a fait sauter tout +cela. La prison de l’Abbaye, démolie en 1854, tenait toute la largeur du +boulevard devant le petit passage de l’abbaye.</p> + +<p>Le nom de la rue Childebert évoque pour nous le souvenir d’une maison +célèbre dans les fastes littéraires du siècle, maison fameuse, maison +bruyante, la<span class="pagenum"><a name="page_377" id="page_377">{377}</a></span> <i>Childebert</i> comme on disait, où vécurent des poètes et +des peintres tous plus ou moins échevelés, de l’époque romantique. Une +jolie petite fontaine appuyée sur une façade de cette rue Childebert, +une simple niche en coquille surmontée de deux dauphins, mérite de +rester dans le souvenir.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 309px;"> +<a href="images/illu-435.jpg"> +<img src="images/illu-435.jpg" width="309" height="344" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PASSAGE DU CLOÎTRE SAINT-HONORÉ</p></div> +</div> + +<p>En face de la vieille abbaye et des maisons de la rue Childebert, avait +rapidement prospéré, sous le règne du grand roi, une Académie comme il y +en avait plusieurs en ce quartier, rue de Condé, rue de l’Université, +rue du Vieux-Colombier, etc., établissements où les jeunes gentilshommes +venaient compléter leur éducation, c’est-à-dire apprendre les armes, +l’équitation et la danse. Cette académie est déjà marquée sur le plan de +Gomboust; ses bâtiments se retrouvent dans la cour du Dragon, qui +n’était pas alors un passage, cour très curieuse, remarquable d’abord +par sa porte d’entrée; la haute voûte cintrée encadrant une fenêtre à +beau balcon supporté par un gigantesque Dragon, ailé, boursouflé et +pustuleux. Ce<span class="pagenum"><a name="page_378" id="page_378">{378}</a></span> dragon, représentant un monstre légendaire dompté par +sainte Marguerite, est là parce qu’il faisait face à la rue +Sainte-Marguerite aujourd’hui Gozlin. La maison au fond de la cour du +dragon n’est pas moins pittoresque avec ses deux tours encorbellées où +se suit extérieurement la spirale de l’escalier; le passage donne rue du +Dragon, jadis du Sépulcre, où se trouvent des maisons du <small>XVI</small>ᵉ siècle +plus ou moins transformées, mais montrant encore parfois des pignons ou +des détails caractéristiques. Au nº 24 a demeuré Bernard Palissy, le +maître potier des <i>Rustiques figulines</i>. On y voyait naguère comme +souvenir, encadré dans la muraille au-dessus de la porte, un médaillon +de Palissy représentant Samson terrassant un lion, avec cette légende +qui servait d’enseigne à la maison: <i>Au fort Samson</i>. Le plat a disparu +pour aller enrichir quelque collection.</p> + +<p>Non loin de ces académies de danse et d’équitation s’élevait au +commencement du <small>XVIII</small>ᵉ siècle, sur des terrains cédés par les Carmes +déchaussés, le bel hôtel dit de Hinisdal, du nom de l’un de ses +propriétaires après la Révolution. Grande porte majestueuse, style du +grand siècle, belle cour entourée d’imposants corps de logis. Ce fut il +y a cent ans l’hôtel du dernier gouverneur de Paris sous l’ancien +régime, le duc de Brissac, qui par dévouement à la monarchie ne voulut +pas émigrer, resta près du roi, devint le commandant de sa garde +constitutionnelle en 90 et fut en 93 arrêté en province et massacré à +Versailles, comme on le ramenait à Paris pour le juger. Il aimait d’une +affection très vraie, avec un grand dévouement aussi, Mᵐᵉ du Barry, qui +devait finir peu après lui sur l’échafaud où l’amenaient les +dénonciations de ses gens de Louveciennes, intendant et valets pillards, +y compris le nègre Zamore, devenu une autorité dans le pays.</p> + +<p>Ce coin des rues Cassette et de Vaugirard est un endroit tragique. Au +couvent des Carmes qui touche à l’hôtel de Brissac, les massacreurs de +septembre égorgèrent 117 prêtres insermentés parmi lesquels plusieurs +évêques. La chapelle des martyrs existe encore. Dans le jardin où les +assassins poursuivaient leurs victimes, les flonflons résonnèrent +aussitôt après la Terreur; c’était le bal des Tilleuls, un des +innombrables endroits où Paris sortant de son bain de sang, heureux de +vivre, se rua au plaisir.</p> + +<p>Ces quartiers de la rive gauche virent encore au <small>XVIII</small>ᵉ siècle s’achever +d’autres transformations. Sur le côté gauche du collège des Quatre +Nations, l’hôtel Guénégaud qui avait succédé à l’hôtel de Nesle, était +devenu sous Louis XIV l’hôtel Conti, pour la princesse de Conti qui +l’avait augmenté d’un petit hôtel. En 1750, la ville de Paris acheta le +tout et après diverses hésitations, on en décida en 1769 la démolition +pour construire sur cet emplacement l’hôtel des Monnaies, celui que nous +voyons actuellement, considérable masse de bâtiments dans lesquels fut +cependant conservé le petit hôtel Conti.</p> + +<p>Parmi les beaux hôtels du faubourg Saint-Germain, deux palais importants +s’élevaient, le premier était né en 1722, mais on y avait travaillé tout +le long du siècle. C’est le palais Bourbon, notre chambre des députés, +dont les bâtiments primitifs construits pour la duchesse de Bourbon, +continués par les princes de la maison de Condé, furent au moment de la +Révolution considérablement trans<span class="pagenum"><a name="page_379" id="page_379">{379}</a></span>formés et augmentés pour loger d’abord +la commission des travaux publics, en 93, quand le palais des Condé +s’appela maison de la Révolution, puis le conseil des Cinq-Cents sous le +Directoire. La façade sur le quai date de l’Empire; mais, de +transformations en adaptations, les travaux continuèrent jusque vers +1830.</p> + +<p>L’autre palais est un charmant édifice construit d’un seul jet dans le +style gréco-français de Louis XVI, par l’architecte Rousseau, pour le +prince Frédéric III, rhingrave de Salm-Kirburg. Il donne sur la rue de +Lille et sur le quai d’Orsay; l’entrée principale rue de Lille est une +sorte d’arc de triomphe ouvrant au milieu d’un portique ionique qui se +continue tout autour de la cour d’honneur. Pour racheter la froideur +antique de cette arche triomphale on a jeté coquettement au-dessus de +l’archivolte de la voûte des bouquets de fleurs et de feuillages.</p> + +<p>Sur le quai le palais ne se présente pas moins gracieusement; au-dessus +d’un jardin en terrasse, façade décorée d’une rangée de bustes, et au +milieu, pavillon demi-circulaire terminé par une coupole basse entourée +de statues.</p> + +<p>Le prince de Salm qui se construisit ce palais était un grand seigneur +allemand au service de la France, marié à une Hohenzollern. Grand +joueur, ayant entamé déjà sa principauté en prodigalités ostentatives, +le prince se trouva, la construction terminée, à peu près complètement +ruiné. Il acheva cette ruine en dépenses d’installations, en fêtes et +pendaisons de crémaillère, si bien qu’au commencement de la Révolution +il n’était plus que le locataire de son architecte.</p> + +<p>Pour couronner dignement une vie de désordres, ce prince Frédéric de +Salm-Kirburg, jadis aussi absolument aristocrate que possible, se jeta +dans le mouvement révolutionnaire et s’efforça de faire oublier son +origine par l’excès de son sans-culottisme. Il ouvrit même un club +démagogique en son hôtel, mais comme malgré tout on se moquait du prince +sans-culotte, on appela cette réunion où l’on phrasait à tort et à +travers le club Salm-igondis, et le pauvre citoyen Salm, emprisonné +malgré ses preuves de civisme, fut guillotiné par ses nouveaux amis.</p> + +<p>Sous le Directoire, le palais tomba en de tristes mains, il fut acheté +par un nommé Lieuthrand, ex-garçon perruquier, enrichi dans l’agiotage +et les fournitures nationales, et qui se faisait appeler marquis de +Beauregard. Pour continuer la tradition du prince, Beauregard donna des +fêtes splendides à toute la bande d’agioteurs et de financiers véreux de +ce temps, mais il vit bientôt sa carrière interrompue par la gendarmerie +et dut quitter son palais pour les galères, en raison de quelques +escroqueries un peu trop fortes.</p> + +<p>Mᵐᵉ de Staël occupa quelque temps le palais ensuite, le temps de le +purifier, puis Napoléon l’acheta pour y installer la Chancellerie de la +Légion d’honneur. Elle est encore là, mais le palais n’est plus tout à +fait celui du prince de Salm, pétrolé en 71. La Commune y avait installé +le général Eudes et son état-major; le 23 mai, quand arrivèrent les +troupes de Versailles, les fédérés battirent en retraite après avoir +savamment organisé l’incendie du palais. Les derniers tisons éteints, il +ne restait plus debout, sur les décombres, que le portique d’entrée et +les colonnades de la cour d’honneur; il fallut donc reconstruire le +palais, mais on s’abstint d’apporter aucun changement aux anciens +plans.<span class="pagenum"><a name="page_380" id="page_380">{380}</a></span></p> + +<div class="figcenter" style="width: 316px;"> +<a href="images/illu-438.jpg"> +<img src="images/illu-438.jpg" width="316" height="406" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PORTE DE LA COUR DU DRAGON</p></div> +</div> + +<p>Parmi les grands travaux accomplis sous le roi Louis XV le Bien-Aimé, il +faut citer la création de la place Louis XV, plus tard de la Révolution, +puis de la Concorde, l’Ecole militaire et la fontaine de la rue de +Grenelle. Celle-ci est un bel échantillon de l’art décoratif académique +du <small>XVIII</small>ᵉ siècle; elle n’a rien de rococo, de ce qui caractérisait le +style Louis XV aux lignes contournées, parfois amples et grasses; on y +sent déjà l’école de David et le triomphe des purs Romains de la +génération suivante: mais il y a de jolis morceaux dans ce grand décor +assez froid et de gracieuses figures sculptées par Edme Bouchardon.<span class="pagenum"><a name="page_381" id="page_381">{381}</a></span></p> + +<p>Cinq cents jeunes gentilshommes devaient être logés à l’École militaire +et y recevoir toute l’instruction nécessaire à la carrière d’officier; +l’architecte Gabriel leur éleva la monumentale caserne à portique qui +fait le fond du Champ de Mars, vaste quadrilatère aménagé pour les +exercices militaires des élèves.</p> + +<div class="figright" style="width: 274px;"> +<a href="images/illu-439.jpg"> +<img src="images/illu-439.jpg" width="274" height="497" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA COUR DU DRAGON</p></div> +</div> + +<p>Il semble que Louis XV dont le triste règne a préparé la terrible crise +de la Révolution, préparait aussi par une sorte de fatalité le terrain +nécessaire pour les grandes évolutions de peuple, arrangeait le cadre +des formidables événements qui devaient marquer le règne de son +successeur et la fin sanglante de la dynastie. En grande partie +responsable de la Révolution, pour les hontes et les fautes de son règne +néfaste, il fit le lit de cette Révolution.</p> + +<p>Là-bas, devant l’Ecole militaire, il traçait le champ de la future +fédération, où le 14 juillet 1790, au commencement de la grande +commotion, les Français des diverses classes, l’Assemblée, la garde +nationale, des députations des gardes nationales de quarante-deux<span class="pagenum"><a name="page_382" id="page_382">{382}</a></span> +départements, avec le drapeau tricolore encadré par le drapeau blanc et +par une représentation de la vieille oriflamme des anciens temps portée +par des maréchaux de France, le roi et les représentants de la Commune +vinrent solennellement jurer la Constitution, Lafayette conduisant +l’immense cortège, et M. de Talleyrand, alors évêque d’Autun, disant une +messe solennelle sur l’autel de la Patrie.</p> + +<p>D’autres fêtes devaient suivre cette journée de fraternisation, il ne +fallut pas attendre plus d’un an pour y voir couler le sang sur les +marches de l’autel de la Patrie; ce fut un jour de grande explosion des +colères populaires savamment attisées par des meneurs, manifestation +aboutissant à la proclamation de la loi martiale, à des fusillades et +mitraillades jonchant de cadavres le terrain où l’année d’avant ces +Français s’étaient embrassés. Après cette journée sanglante dont +l’épilogue eut lieu sur le même point dix-huit mois plus tard, par le +supplice de Bailly, du malheureux Bailly attendant assis dans sa +charrette, sous la pluie et la bise glaciale de novembre, que le montage +de la guillotine fût achevé, le Champ de Mars vit d’autres fêtes: Fête +commémorative de la prise de la Bastille, défilé de l’Assemblée, des +gardes nationales et du peuple autour d’un bûcher où l’on brûla +solennellement armoiries, couronnes, titres de noblesse; Fête des +victoires après la première campagne de Bonaparte en Italie; Fête de la +fondation de la République avec jeux et courses de chars à la romaine, +etc... Ces premières années du Champ de Mars furent bien mouvementées, +mais des temps plus calmes vinrent et il ne fut plus qu’une Esplanade de +manœuvres, jusqu’aux jours où les Expositions universelles +l’accaparèrent pour les grandes assises de l’industrie.</p> + +<p>Arrivons à l’autre emplacement révolutionnaire préparé par Louis XV. +Sous le règne précédent Paris finissait ici au bout du jardin des +Tuileries par un bastion enfermant une garenne entre la Porte de la +Conférence sur le quai, et la Porte Saint-Honoré plus haut, mais Paris +avait grandi, le jardin des Tuileries avait renversé le bastion. Entre +le jardin et le commencement du Cours la Reine, restait devant le pont +tournant du jardin des Tuileries un vaste espace vide ou occupé par des +hangars, des dépôts du magasin des marbres, espace dont le prévôt des +marchands et l’échevinage projetèrent de faire une place monumentale +avec, pour principal ornement, la statue du roi Louis XV, alors le +Bien-Aimé, que la petite vérole avait failli enlever à l’amour de son +peuple.</p> + +<p>Votée en 1748, la statue ne put être terminée qu’en 1763, Louis XV était +toujours sur le trône, mais il n’était plus le Bien-Aimé, c’était le roi +du parc aux cerfs et de Mᵐᵉ de Pompadour, que Mᵐᵉ du Barry allait +remplacer. Aussi, quand la statue parut sur un piédestal flanquée de +quatre grandes figures de femmes symbolisant la Force, la Paix, la +Prudence et la Justice, les pasquinades insultantes ne manquèrent pas. +On placarda sur le piédestal entre autres épigrammes celle-ci:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">O la belle statue! ô le beau piédestal!<br /></span> +<span class="i0">Les vertus sont à pied, le vice est à cheval!<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>L’architecte Gabriel avait fait à cette statue un cadre vraiment +magnifique. Le quadrilatère de la place Louis XV était dessiné par un +large fossé entouré de<span class="pagenum"><a name="page_383" id="page_383">{383}</a></span> balustrades, ouvert aux angles et au milieu de +chaque face. Au fond s’élevèrent les deux bâtiments jumeaux du +garde-meuble et du ministère de la marine, édifices d’une belle +ordonnance et de lignes imposantes, entre lesquels alors s’apercevaient, +au lieu du temple grec de la Madeleine, les petites maisons du boulevard +et la verdure de la campagne voisine.</p> + +<p>Hélas! la belle place aux tragiques destins si proches devait avoir, à +peine achevée, un sinistre baptême. C’était le 30 mai 1770. En +réjouissance du mariage du dauphin avec l’archiduchesse +Marie-Antoinette, la municipalité fit tirer un feu d’artifice sur la +place encore en partie obstruée de matériaux. Une foule immense était +venue contempler le spectacle. Aussitôt la dernière fusée éteinte, cette +foule entassée entre les fossés et qui n’avait pour rentrer dans Paris +que l’issue de la rue Royale, se mit en mouvement et se heurta à une +autre foule de curieux descendant des boulevards. Il y eut dans +l’obscurité une atroce mêlée. Les deux masses se heurtant s’étouffèrent; +tout ce qui tombait était piétiné, écrasé, des flots humains roulaient +sur d’autres flots humains, se broyaient sur les obstacles, soulevaient +des voitures dont on égorgeait les chevaux à coups de couteau; des gens +affolés mettaient l’épée à la main pour essayer de se faire jour. Quand +l’effroyable mêlée se fut dissipée, il restait sur le terrain plusieurs +centaines de cadavres. Tristes noces pour le pauvre couple qui devait +finir ici même aussi, vingt-trois ans après.</p> + +<p>Entre ce baptême lugubre et les grandes et sanglantes journées qui vont +venir, la place Louis XV a peu de choses en ses annales; elle hérita de +la foire Saint-Ovide qui se tenait précédemment sur la place Vendôme, et +qui amena avec elle de la gaieté pour quelques années. Dans la nuit du +22 au 23 septembre 1777, un incendie éclata, baraques de saltimbanques +et de montreurs de curiosités, boutiques de marchands, théâtres de +marionnettes, tréteaux de chanteurs, tout brûla.</p> + +<p>Que citer encore? Des défilés joyeux en attendant les autres, le défilé +du carnaval qui dans ces dernières années de la monarchie était très +bruyant et remplissait la rue Saint-Honoré et les grandes voies +d’innombrables masques; le cortège du beau monde, à la fin du carnaval, +pour la promenade traditionnelle de Longchamps, où les impures et les +filles d’Opéra, mêlées aux duchesses, rivalisaient de luxe et d’élégance +dans les toilettes et dans les équipages tarabiscotés, pour lesquels les +carrossiers trouvaient les inventions les plus galantes, comme cette +conque dorée et enguirlandée dans laquelle trôna Mˡˡᵉ Guimard fardée +jusqu’à l’extravagance.</p> + +<p>Mais voici avec l’an 89 bien d’autres foules et bien d’autres tumultes; +la place Louis XV voit passer le prince de Lambesc cavalcadant et +sabrant à la tête de Royal Allemand, puis des bandes de gardes +nationaux, de fédérés fêtant dans les guinguettes des Champs-Élysées la +liberté conquise et la Bastille démolie, des cortèges de clubistes et de +sectionnaires, allant pour quelque cérémonie à l’autel de la Patrie.</p> + +<p>Mais ce n’est encore que la petite pièce avant la grande. Voici le drame +qui se dessine et les événements qui se précipitent. Les femmes de +Paris, le 6 octobre,<span class="pagenum"><a name="page_384" id="page_384">{384}</a></span> sont allés enlever la royauté de son château de +Versailles et la ramènent à Paris, déjà captive, sinon prisonnière. +C’est encore dans le carrosse royal traîné à huit chevaux que Louis XVI +et Marie-Antoinette font leur entrée dans leur capitale, mais autour de +ce carrosse les poissardes dansent et chantent, le peuple brandit des +milliers de sabres et de fusils, et, en avant pour ouvrir la marche, des +énergumènes balancent à la pointe des piques quelques têtes de gardes du +corps.</p> + +<p>Le 10 août 1792, le canon et la fusillade annoncent que derrière les +bosquets des Tuileries le peuple donne le dernier assaut à la royauté, +puis les feux de peloton, les salves d’artillerie s’espacent, d’immenses +clameurs de victoire et d’horribles cris retentissent. Le château est +pris, ses derniers défenseurs sont égorgés ou fuient dans le jardin; on +leur donne la chasse, ils tombent sous les arbres les uns après les +autres; seuls, quelques groupes peuvent gagner les Champs-Élysées...</p> + +<div class="figleft" style="width: 264px;"> +<a href="images/illu-442.jpg"> +<img src="images/illu-442.jpg" width="264" height="304" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>BALCON, RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS</p></div> +</div> + +<p>Le pont de la Concorde, alors appelé pont Louis XVI, a été commencé en +1787; ironie du sort, ce pont Louis XVI, on l’achève avec les pierres +provenant de la démolition de la Bastille. Comme il mène à la Chambre +des députés, il restera révolutionnaire, en dépit de son nouveau nom, et +chemin naturel de l’émeute, nous l’avons déjà vu maintes fois.</p> + +<p>Toute blanche, toute fraîche dans la fleur de sa jeunesse, la place +Louis XV voit disparaître la statue de Louis le Bien-Aimé et s’élever +sur le même piédestal une colossale figure de la Liberté. La place n’en +reste pas moins coquette et jolie. A l’ombre de cette figure de la +Liberté, on construit autre chose, l’autel sur lequel on va lui offrir +de terribles holocaustes, l’autel sur lequel Samson dira tous les jours +pendant des mois la <i>messe rouge</i>.</p> + +<p>La place Louis XV est la place de la Révolution ou plutôt la place de</p> + +<div class="figcenter" style="width: 389px;"> +<a href="images/illu-443.jpg"> +<img src="images/illu-443.jpg" width="389" height="569" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>UNE FÊTE A LA FOLIE-MONCEAUX.—1787</p> + +<p>Imp. Draeger & Lesieur, Paris</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_385" id="page_385">{385}</a></span></p> + +<p class="nind">la Guillotine. Le carrosse royal encore une fois va passer. Le 21 +janvier 93, sur l’immense place couverte de troupes, la guillotine fait +le centre d’un carré de fusils et de canons derrière lesquels se +pressent, houleuses et sombres, les masses populaires. A dix heures du +matin, au roulement des tambours de Santerre qui étouffent la dernière +protestation royale, tombe la tête de Louis XVI.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 370px;"> +<a href="images/illu-445.jpg"> +<img src="images/illu-445.jpg" width="370" height="264" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>INCENDIE DU PALAIS DE LA LÉGION D’HONNEUR (HÔTEL DE +SALM), MAI 1871</p></div> +</div> + +<p>Le roi était venu à la guillotine dans son carrosse, la reine, plusieurs +mois après, y viendra en charrette, après avoir suivi, les mains liées +derrière le dos, toute la rue Saint-Honoré, longue route d’un calvaire +qui lui permettait d’entrevoir au détour de chaque rue transversale, le +palais où elle avait régné et les beaux ombrages du jardin où le soleil +avait éclairé les heureuses journées de naguère.</p> + +<p>Avant elle et après elle, combien de fois la charrette fit-elle, ou +plutôt le convoi de charrettes fit-il ce voyage, amenant à Samson la +fournée quotidienne de condamnés que le tribunal révolutionnaire lui +envoyait: les Girondins et les Feuillants, Mᵐᵉ Roland, Camille +Desmoulins et Danton, Charlotte Corday, Philippe Egalité... puis, les +fournisseurs de la guillotine arrivant à leur tour, Hébert, +Fouquier-Tinville, Robespierre...</p> + +<p>Ainsi chaque jour, comme des employés de ministère qui vont à leur +bureau, Samson et ses aides arrivaient sur la place pour l’effroyable +besogne, procédaient tranquillement au nettoyage de leur machine, et se +mettaient ensuite à trancher<span class="pagenum"><a name="page_386" id="page_386">{386}</a></span> froidement toutes ces têtes, jeunes ou +vénérables, illustres ou obscures, innocentes ou scélérates... Et le +ruisseau rouge coulait, mare de jour en jour plus impossible à étancher +et que le sol saturé refusait de boire, dont l’odeur attirait les chiens +errants et faisait reculer les chevaux au passage. Quand nous traversons +près de l’Obélisque et des fontaines jaseuses, la place actuelle, +vivante, élégante et gaie, fermons un peu les yeux sur le présent et +voici que s’évoque, sinistre vision, la place de la Révolution avec +l’instrument de mort, les deux bras rouges levés en l’air et les +horribles tricoteuses en cercle, guettant l’éclair du couperet qui +tombe...</p> + +<p>Pendant des mois, tous les jours, Fouquier-Tinville envoie sa fournée, +Samson travaille. Le sol saturé refuse de boire le sang qui coule dans +une fosse sous l’instrument; de même le cimetière des suppliciés à la +Madeleine refuse les cadavres, on envoie les corps dans un nouveau +cimetière taillé dans le parc du duc de Chartres à Monceaux, puis à +partir du 25 prairial an II (13 juin 93), le terrible abattoir humain +est transporté à la place du Trône.</p> + +<p>La rue Saint-Honoré n’a plus chaque après-midi son défilé de charrettes, +c’est le faubourg Saint-Antoine qui hérite du tragique spectacle et qui +s’en émeut, qui réclame à son tour.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 368px;"> +<a href="images/illu-446.jpg"> +<img src="images/illu-446.jpg" width="368" height="293" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>PLACE DE LA RÉVOLUTION</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_387" id="page_387">{387}</a></span></p> + +<h2><a name="CHAPITRE_XI" id="CHAPITRE_XI"></a> + +<a href="images/illu-447-a.jpg"> +<img src="images/illu-447-a.jpg" width="359" height="245" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +LA BUTTE DES MOULINS AU COMMENCEMENT DU XVIᵉ SIÈCLE +</span> +<br /><br /> +CHAPITRE XI +<br /><br />L’ENFANTEMENT DU PARIS MODERNE</h2> + +<div class="figleft"> +<img src="images/illu-447-b.jpg" +width="200" +alt="[Pas d’image disponible.]" /> +<br /><span class="caption">A TIVOLI +</span> +</div> + +<div class="blockquot2"><p>La Chaussée d’Antin.—Les Porcherons.—Le Temple de +Paphos.—Petites maisons et Folies.—Abattis et grandes +trouées.—La disparition du vieux Paris.—La Butte des moulins.</p></div> + +<p class="nind"><span class="letra">T</span>RÈS près de nous encore est le temps où de bons maraîchers faisaient +pousser des choux et des salades sur l’emplacement de l’Opéra et des +beaux et brillants quartiers d’aujourd’hui; il ne faudrait guère pour +retrouver ces honnêtes cultures villageoises reculer de plus d’une +centaine d’années.</p> + +<p>L’extrémité de la ligne des grands boulevards au point le plus animé, le +plus peuplé, qui fait à peu près le centre du Paris d’aujourd’hui, ce +n’était, il y a cent et quelques années, qu’un commencement de banlieue. +La promenade des boulevards pour les Parisiens du milieu du <small>XVIII</small>ᵉ +siècle, c’était une ouverture sur la campagne; il y avait des arbres, il +y en a encore, mais moins vigoureux et moins nature; il y avait de +petites maisons, des guinguettes champêtres éparpillées aux<span class="pagenum"><a name="page_388" id="page_388">{388}</a></span> entours de +quelques <i>folies</i> de grands seigneurs ou de financiers, presque des +maisons de campagne, coquets nids d’amour, joyeux vide-bouteilles où les +fredaines galantes du beau monde trouvaient une discrète tranquillité.</p> + +<p>La Chaussée d’Antin est née dans la première moitié du <small>XVIII</small>ᵉ siècle, +alors que les choux des champs environnants avaient encore de longues +années de tranquillité devant eux. Cette précocité s’explique, cette +chaussée nouvelle conduisait au pimpant hameau des Porcherons en avant +du village de Clichy. Un petit chemin serpentant dans les cultures +s’appelait Chaussée de l’Egout de Gaillon, ou chemin des Porcherons. +Quand on en fit une rue, on lui donna d’abord le nom de rue de +l’Hôtel-Dieu parce que l’Hôtel-Dieu y avait une ferme et des terres, +voisines de celles des Mathurins, desquelles terres l’Hôtel-Dieu +conserva des bribes jusque vers 1840.</p> + +<p>Sur tout ce côté nord de Paris serpentait le ruisseau descendant du +village de Ménilmontant; il touchait presque à la porte du Temple et +courait ensuite à certaine distance des murs de la ville, coupant les +faubourgs Saint-Martin, Saint-Denis, Montmartre, moitié ruisseau et +moitié collecteur des petits égouts qu’il recevait au passage. Au siècle +dernier, il descendait moins d’eau des hauteurs déboisées de +Ménilmontant, une partie de ces eaux étant captée au passage par les +maraîchers ou pour une dérivation sur Vincennes, et le ruisseau était en +bien des endroits une sentine. A la sortie des Porcherons, le ruisseau +passait sous un pont nommé pont Arcans (?) il se dirigeait vers le +Roule, ex-village devenu faubourg s’ajoutant au faubourg Saint-Honoré et +s’en allait se jeter à la Seine sous Chaillot. Couvert aujourd’hui, son +lit est le collecteur des égouts de la rive droite; le ruisseau n’en +continue pas moins à couler dans le collecteur ou perdu dans les terres +et on le retrouve, croit-on, dans une nappe d’eau qui baigne les +fondations de l’Opéra de Charles Garnier et qui en a bien gêné la +construction.</p> + +<p>Du côté de la Chaussée d’Antin le grand égout ne fut couvert qu’en 1771 +et l’on construisit dessus la rue de Provence. Aux Porcherons florissait +Ramponneau, maître cabaretier en possession de la célébrité. Ce cabaret, +à l’enseigne du <i>Tambour Royal</i>, est une ancienne auberge d’ouvriers de +campagne, tout à fait dépourvue d’élégance, vaste mais très sommairement +installée, un comptoir en planches grossières sous un haut manteau de +cheminée campagnarde, la cheminée à faire sauter les omelettes au lard, +des tables, des bancs de bois et c’est tout, avec quelques dessins +charbonnés sur le mur pour ornements, œuvres d’art représentant Mˡˡᵉ +<i>Camargo</i> dansant avec le soldat <i>Belle Humeur</i>, <i>Crédit tué par les +mauvais payeurs</i>, <i>Monnoye fait tout</i>, et autres plaisanteries de +cabaret. Tous les rangs sont confondus chez Ramponneau, on y boit, on y +chante, on y est gai, on s’y grise. Le succès de ce cabaret est énorme +et Ramponneau devient un type populaire.</p> + +<p>Il y a Ramponneau, il y a la Grande Pinte, il y a bien d’autres cabarets +aux Porcherons qui ont abandonné l’élevage des porcs, leur ancienne +industrie, et ne sont plus qu’une immense et joyeuse guinguette.</p> + +<p>Quelle vogue eurent pendant tout le <small>XVIII</small>ᵉ siècle les parties de plaisir +dans<span class="pagenum"><a name="page_389" id="page_389">{389}</a></span> tous ces bruyants cabarets où sous les treilles l’on chantait et +buvait à l’aise. Il y en avait pour tous les goûts et tous les rangs, +les petits commis de boutique, les clercs de procureur en bonne fortune, +tout comme les jeunes seigneurs en partie fine trouvaient une tonnelle +ou une salle pour s’installer gaiement avec les grisettes endimanchées +ou les belles impures, devant des nappes blanches agréablement chargées. +Les bons bourgeois y venaient avec les demoiselles d’opéra. Quand une +fille voulait jeter son bonnet par-dessus les moulins, elle n’avait pas +besoin de monter jusqu’à Montmartre. Derrière les Porcherons, le moulin +des dames de Montmartre—rue de la Tour-des-Dames maintenant—faisait +tourner ses grandes ailes un peu au-dessus des cabarets et du château du +Coq, manoir du <small>XIV</small>ᵉ siècle, où le roi Louis XI avait couché la veille de +son entrée solennelle dans Paris.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 295px;"> +<a href="images/illu-449.jpg"> +<img src="images/illu-449.jpg" width="295" height="241" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>L’HÔTEL DE LA GUIMARD, CHAUSSÉE D’ANTIN</p></div> +</div> + +<p>Comme pour racheter les péchés de ce temps, notre siècle a bâti une +église à peu près sur l’emplacement des Porcherons, sur ce sol où l’on a +tant bu et chanté si galamment. Justement cette église n’a rien +d’austère dans le style de son architecture, elle semble même coquette, +c’est la Trinité qui se voit au bout de notre Chaussée d’Antin actuelle. +L’église Notre-Dame de Lorette remplace presque sur le même point, la +chapelle du même nom aux Porcherons.</p> + +<p>Cette Chaussée d’Antin prit son nom de l’hôtel du duc d’Antin bâti en +1713, qui passa plus tard au maréchal duc de Richelieu. A cet hôtel, le +maréchal, célèbre à tant de titres par ses victoires et conquêtes sous +les drapeaux réunis de<span class="pagenum"><a name="page_390" id="page_390">{390}</a></span> Mars et de Vénus, ajouta ce pavillon donnant sur +le rempart, auquel la malignité publique accrocha le nom de Hanovre pour +dire que le maréchal en y prodiguant les grâces extérieures et +intérieures, ne faisait qu’employer le butin de la campagne de Hanovre.</p> + +<p>La Chaussée d’Antin s’embellit rapidement et se garnit de jolis hôtels +enchâssés dans quelques ombrages encore. C’était un faubourg élégant qui +commençait là et qui avait considérablement gagné et grandi à la fin du +siècle. Mˡˡᵉ Guimard, vers 1762, la danseuse diaphane si légère et si +maigre, «le squelette des Grâces» adorée par tant de grands seigneurs, +s’y fit construire un hôtel par l’architecte Le Doux.</p> + +<p>Naturellement ce Grec forcené construisit pour Mˡˡᵉ Guimard une manière +de petit temple qu’on appela temple de Terpsichore, un cube de pierre +ouvrant par un péristyle ovale à colonnes ioniques. On disait de ce +temple de Terpsichore que la Volupté en dessina le plan et que l’Amour +en fit les frais. C’était le prince de Soubise surtout. L’hôtel +paraissait petit, mais il était vaste en réalité, sans doute par des +annexes; il y avait grands et petits appartements, galerie de tableaux, +salle de spectacle pouvant contenir cinq cents personnes, plus des +jardins magnifiques avec un petit temple à Paphos. La divinité du lieu y +menait une existence de folles dépenses et de luxe scandaleux, soupers, +orgies, fêtes à spectacles, représentations théâtrales, etc... Elle +donnait régulièrement trois grands soupers par semaine, le premier aux +princes et grands seigneurs plus ou moins attachés à son char, le second +aux gens de lettres et artistes, épicuriens de second rang; le +troisième, la grande orgie, réunissait seigneurs et financiers viveurs, +comédiennes et impures en renom.</p> + +<p>Un jour, la Guimard se dégoûta de son temple; ses légions de créanciers +se fâchaient ou les galants qui fournissaient à ses fabuleuses dépenses +s’étaient fatigués de lui apporter les millions qu’elle jetait ensuite +par toutes les fenêtres, même par celles de la bienfaisance quand elle +allait, aux lendemains d’orgie, porter dans les taudis misérables +quelques poignées de tout cet or qui roulait incessamment en offrandes à +Vénus. La rivière était-elle tarie? ou la belle courtisane, l’heure de +la retraite étant sonnée, prenait-elle ses dispositions pour quitter le +pays de Cythère et s’en aller finir ses jours en bourgeoise du Marais? +Le temple de Terpsichore fut mis en loterie; il y avait 2,500 billets à +cinq louis, le tirage eut lieu en 1786 et l’hôtel fut gagné par une dame +qui n’avait pris qu’un seul billet. Peu d’années après, l’ancien temple +stupéfait devenait le local de la section du Mont-Blanc. Quel changement +pour le logis licencieux, pour ces salons resplendissants où tous les +grands seigneurs de France se pressaient jadis aux grandes fêtes. Ils +étaient loin alors, emportés par le vent de tempête comme de pauvres +feuilles mortes, guillotinés ou errant fort dépourvus hors frontières, +tandis que la danseuse, devenue peut-être une bourgeoise épaisse, vivait +cachée quelque part, oubliée dans quelque coin silencieux de vieille +maison aux murs gris et moroses.</p> + +<p>Mirabeau était venu mourir au nº 42 de la Chaussée d’Antin le 2 avril +1791. Désolation universelle, Paris en larmes se presse à ses obsèques +solennelles à<span class="pagenum"><a name="page_391" id="page_391">{391}</a></span> Notre-Dame, l’Assemblée nationale en tête, et conduit le +grand orateur à la nouvelle église de Sainte-Geneviève que l’on +désaffecta pour en faire le Panthéon. La rue débaptisée s’appela rue +Mirabeau et sur la maison mortuaire fut scellée une plaque de marbre +noir portant ces deux vers de Marie-Joseph Chénier:</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">L’âme de Mirabeau s’exhala dans ces lieux!<br /></span> +<span class="i0">Hommes libres, pleurez! Tyrans, baissez les yeux!<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>Ce qui n’empêcha pas 93 de rejeter le corps du Panthéon, d’enlever la +plaque de marbre et de changer encore le nom de la chaussée pour celui +de rue du Mont-Blanc.</p> + +<p>Avant 1789, un petit casernement des gardes françaises occupait l’angle +du boulevard à droite; le temple Guimard était au nº 9. M. Necker avait +un hôtel au nº 7.—Autres salons, autres hôtes qu’à côté. Voici chez M. +Necker les grands noms de la littérature et de la bonne société à la fin +de l’ancien régime. Une jeune fille écoute les brillantes causeries, +c’est la future Mᵐᵉ de Staël. Après la tourmente, M. Necker cède son +hôtel à un banquier, M. Jacques Récamier, et pendant une dizaine +d’années, dans ses appartements décorés à la romaine, la belle Mᵐᵉ +Récamier, statue vivante, apparaît comme une déesse descendue de son +nuage pour recevoir le tribut d’admiration de toute la nouvelle société, +les débris de l’ancien grand monde mêlés à la nouvelle aristocratie +émergée du grand bouleversement. C’est un des plus brillants salons de +Paris, moins politique que celui de Mᵐᵉ de Staël et plus gai, plus +animé. On y fait de la musique et de la littérature, on y danse +beaucoup; la déesse invente des danses nouvelles qui lui permettent de +déployer toutes ses grâces merveilleuses.</p> + +<p>Le nom ancien d’une rue qui traverse la Chaussée d’Antin, ancienne +ruelle boueuse montée en grade en même temps que la chaussée et nommée +alors rue <i>Chantereine</i>, était un dernier souvenir des marécages +transformés d’abord en cultures, puis couverts de maisons. +<i>Chantereine</i>, c’était: Chante-reinette ou grenouille. Les grenouilles y +coassaient il y a moins d’un siècle et demi. Talma y possédait une +maison qu’il tenait de Condorcet. Les Girondins, dit Nodier, l’avaient +fréquentée, Talma y eut, en 1797, un locataire qui se moquait bien des +grandes phrases et des beaux discours. Ce successeur de la bavarde +Gironde, c’était le général Bonaparte, ex-jacobin, mari de Joséphine de +Beauharnais.</p> + +<p>Ce petit général, revenant couvert de lauriers de sa triomphante +campagne d’Italie, fit soudain de la rue Chantereine, débaptisée par +l’enthousiasme et appelée rue de la Victoire, le point sur lequel +convergeront les regards attentifs et les espérances de Paris las de +soubresauts et de la France écœurée du relent des corruptions +politiques. Bonaparte partit quelques mois après de la rue de la +Victoire pour s’en aller au Caire et aux Pyramides; il y revint plus +prestigieux encore, pour préparer dans la maison du tragédien le 18 +Brumaire et l’Empire.</p> + +<p>Petites maisons, folies de grands seigneurs ou de fermier général, le +<small>XVIII</small>ᵉ siècle en avait enveloppé Paris; il y en avait dans tous les +villages de la première banlieue que Paris grandissant devait atteindre +bientôt, il y en avait dans les coins dis<span class="pagenum"><a name="page_392" id="page_392">{392}</a></span>crets et tranquilles, à l’abri +de coquets jardins ou de beaux parcs bien ombragés. Pour tout grand +seigneur, c’était presque l’annexe obligée de l’hôtel patrimonial, +maison officielle de l’époux et de la famille. Pour loger quelque belle +impure, quelque comédienne, quelque célébrité du corps de ballet, on +demandait à l’austère architecture de se faire galante et libertine, à +la peinture de développer ses thèmes les plus voluptueux pour faire un +cadre cythéréen à la reine de boudoir. Meubles précieux et chefs-d’œuvre +gracieux de l’art industriel s’accumulaient dans toutes les pièces de la +blanche petite maison nichée dans la verdure. Que fallait-il encore? Une +cave bien montée et un cuisinier de talent. On les avait. Et comme s’il +prévoyait les drames terribles qui se préparaient, comme s’il cherchait +à s’étourdir, le siècle se plongeait dans l’orgie galante.</p> + +<p>Il y avait des folies de toutes tailles, suivant la fortune du prince ou +du traitant. On en retrouve encore de temps en temps quelqu’une, oubliée +derrière les bâtisses modernes qui ont envahi les quartiers où elles se +croyaient tranquilles et qui les ont écrasées ou enterrées. Il y en +avait partout et même en des quartiers où leur souvenir est bien fait +pour nous surprendre, dans les environs de la Roquette par exemple, qui +n’était alors qu’un couvent de nonnes, dans les villages, riants alors, +de la Roquette et de Popincourt,—celui-ci qu’on appelait alors par +abréviation Pincourt, mais qui doit son nom à Jean de Popincourt, +premier président du Parlement sous Charles VI. Popincourt était presque +un site historique; c’est sur la terrasse d’une de ses maisons que +Mazarin et Louis XIV vinrent contempler la bataille du faubourg +Saint-Antoine et entendre tonner le canon de la Bastille, tirant par les +ordres de Mˡˡᵉ de Montpensier sur les troupes royales. De beaux ombrages +entre le faubourg Saint-Antoine et la Roquette abritaient la folie +Titon, un riche fermier général qui s’était arrangé là une fabuleuse +installation, folie coûteuse où se ruina le financier, et dont un lot +plus tard logea la fabrique de papiers peints Réveillon, pillée et +incendiée peu de jours avant la prise de la Bastille. Un autre +financier, Samuel Bernard, avait la sienne dans les mêmes environs, et +aussi le duc de Fronsac, fils du maréchal de Richelieu.</p> + +<p>Mais le point où les petites maisons étaient plus serrées, où leurs +habitués pouvaient voisiner les uns chez les autres, c’étaient les +quartiers de Clichy et des Porcherons, ce qui se comprend du reste, par +la situation agréable sur les pentes ondulant vers Montmartre et par les +traditions du lieu. Le maréchal de Richelieu, le grand vainqueur, le +maître de tous les roués petits et grands, ne se contentait pas de son +pavillon de Hanovre sur le rempart, il avait planté une maison plus +petite et plus discrète sur la hauteur de Clichy, maison qui fut, sous +le Directoire, habitée par la belle Mᵐᵉ Hamelin, une des Merveilleuses +de l’époque. Le <small>XVIII</small>ᵉ siècle, ce débauché vieilli, revenait à la nature +sur ses vieux jours; désireux de finir en églogue, en buvant du lait, +servi par des bergères poudrées, il s’était pris d’un bel amour pour la +nature arrangée, pomponnée, gracieusement enjolivée, sinon embellie, et +ce goût de décorations champêtres, qui avait produit le village de +Trianon, allait trouver à s’exercer dans un genre particulier de +<i>Folies</i>, qui n’étaient plus seulement la petite maison galante, mais +des créations autour<span class="pagenum"><a name="page_393" id="page_393">{393}</a></span> d’un petit palais champêtre, de parcs immenses +meublés de fabriques, ruines et curiosités de toutes sortes.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 367px;"> +<a href="images/illu-453.jpg"> +<img src="images/illu-453.jpg" width="367" height="194" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LES PORCHERONS AU XVIᵉ SIÈCLE (PLACE DE LA TRINITÉ +ACTUELLE)</p></div> +</div> + +<p>Parmi les plus fameuses, prenons-en deux seulement pour leur importance +et leurs particularités: celle du financier Boutin et celle du duc de +Chartres. La folie Boutin était une merveille avec son magnifique jardin +anglais, qui avait coûté plus d’un million au financier, allant de la +rue Saint-Lazare à la rue de Clichy. Ce fermier général était un fort +brave homme, très bienfaisant et un ami des arts. Sous le Directoire, le +pauvre Boutin ayant été guillotiné, on fit de son jardin le <i>Tivoli</i> des +incroyables et des merveilleuses qui eut un succès prodigieux où dans un +décor de temples, de moulins, cascades, ponts rustiques, grotte de +sorcier, curiosités de toutes sortes, se donnaient des fêtes de tout +genre, surtout fêtes de nuit avec illuminations, ascensions de ballons +et feux d’artifice.</p> + +<p>Napoléon donna dans ce merveilleux Tivoli un banquet à sa garde +impériale au retour d’une de ses triomphales courses à travers les +capitales étrangères.</p> + +<p>La folie de Chartres s’appelle aussi le jardin Mousseaux ou Monceaux du +nom d’un petit village éparpillant quelques maisonnettes dans la plaine; +en 1778, Philippe d’Orléans duc de Chartres, le futur Égalité, acheta +d’immenses terrains plats, un sol ingrat et sans verdure, et bouleversa +le tout avec des légions d’ouvriers. Il avait chargé Carmontelle, +peintre et musicien, de dessiner son futur domaine, en laissant +chevaucher sa fantaisie bride sur le cou. Carmontelle ne lésina sur +rien, mais le résultat fut une merveille. Ce n’est pas le parc Monceaux +que nous connaissons. Celui-ci est joli, mais il n’a point la fantaisie +de l’autre, bien que ses principales beautés lui viennent encore des +débris de la folie de Chartres.</p> + +<p>Dans les détours des vallons enfantés par Carmontelle, au milieu +desquels<span class="pagenum"><a name="page_394" id="page_394">{394}</a></span> circulait une petite rivière jaseuse, il y avait de tout: un +temple de Mars en ruines, un moulin à vent hollandais, avec la maison du +meunier et une laiterie, un château gothique ruiné, une tour et des +tourelles ébréchées sur un mamelon, un bois poétique de cyprès et de +sycomores, abritant des tombeaux antiques au milieu desquels se dressait +une pyramide et à côté de ce site sévère, un coin riant d’Italie, avec +quelques motifs antiques et une vigne encadrant dans les pampres une +statue de Bacchus. De l’exotique, maintenant: un portique chinois, passé +lequel on rencontrait un pavillon bleu, puis un pavillon de verre, puis +un pavillon jaune, une immense galerie formant jardin d’hiver... Les +ponts, les cascades ne se comptaient pas, ni les grottes non plus; il y +en avait une dans laquelle le duc de Chartres donnait quelquefois à +souper, grotte très vaste à laquelle étaient annexées les cuisines et +une arrière-grotte pour les musiciens. Il y avait encore des temples, +des obélisques, des fontaines, des pagodes chinoises mobiles, des jeux +de bague curieusement installés; enfin, comme morceau important, la +charmante naumachie, la belle colonnade ruinée, entourant la pièce d’eau +que nous connaissons.</p> + +<p>C’était une féerie dont nous sommes loin d’avoir indiqué tous les +tableaux. Quand les fermiers généraux en 1782 établirent le fameux mur +d’octroi qui mettait Monceaux dans Paris,</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Le mur murant Paris rend Paris murmurant,<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p class="nind">on bâtit ce mur dans un fossé pour ne pas priver la folie Monceaux de +ses vues sur la campagne.</p> + +<p>Le duc d’Orléans ne jouit pas longtemps de ces merveilleux jardins. La +Révolution survient qui confisque Monceaux et en fait après la Terreur, +lorsque l’on est sorti du terrible cauchemar, un établissement de fêtes +comme Tivoli, comme l’Elysée, ancienne folie Beaujon.</p> + +<p>Sous Napoléon, on ne dansa plus à Monceaux; l’empereur l’avait donné à +Cambacérès, qui le rendit peu après à l’Etat en raison des trop +considérables frais d’entretien. La Restauration le restitua à la +famille d’Orléans à laquelle la Révolution de 48 l’enleva encore. On y +mit alors la direction des ateliers nationaux. C’est seulement vers 1860 +que la Ville de Paris entra en possession et créa le parc actuel qui ne +comprend guère plus de la moitié de l’ancien jardin, le reste ayant +servi à la création du beau quartier environnant.</p> + +<p>Le sort de ces grands jardins aristocratiques fut le même au +commencement du siècle, établissements de plaisirs d’abord, transformés +ensuite en jardins publics ou découpés pour la création de quartiers +nouveaux. Les parcs plus modestes, toutes ces petites maisons aux +souvenirs licencieux devenus hôtels de spéculateurs enrichis après la +Révolution, ou de généraux de l’Empire, ont disparu peu à peu, atteints +par les nouvelles grandes voies, écrasés sous les grandes maisons de +rapport. Dans la région de l’Est, c’est l’industrie qui s’en est +emparée; de l’autre côté, dans la grande marche de la ville vers le +soleil couchant, la marée montante des constructions atteint les +derniers débris de la coquette villégiature<span class="pagenum"><a name="page_395" id="page_395">{395}</a></span> de jadis, les derniers +ombrages des derniers petits parcs lointains, pour y faire surgir des +rues neuves à petits hôtels.</p> + +<p>Quels changements en une ou deux générations de Parisiens. La ligne de +remparts, les fortifications de 1840, englobaient toute une ceinture de +villages séparés encore par des champs et des cultures. Où sont-elles +maintenant? où sont les vignes et les champs de violettes de Belleville, +ce village qui était le Montmorency des bourgeois du quartier +Saint-Denis de 1830? Il y a vingt ans, la campagne commençait après le +Trocadéro. Les Parisiens d’aujourd’hui ont connu des maraîchers à Passy +et de grands espaces en jardins et parcs, entre ce Passy et Auteuil, +isolé au bout du monde, à la pointe extrême du rempart; leurs pères ont +vu des chantiers de bois à la place de la gare Saint-Lazare et leurs +grands-pères ont pu assister à des grandes manœuvres et petites guerres +exécutées par la garnison de Paris jusqu’en 1830, dans les plaines +désertes de Monceaux.</p> + +<p>Les grands boulevards intérieurs, la promenade du rempart du siècle +dernier, sont devenus la grande artère intérieure; une seconde ligne les +double et les remplace, les boulevards extérieurs tenant la place du mur +d’octroi des fermiers généraux de 1782, et une troisième ligne de +boulevards, le chemin militaire des bastions de l’enceinte, se bâtit +rapidement, voit s’élever du côté de l’ouest de superbes hôtels +regardant la campagne par-dessus les talus, en attendant que Paris +encore une fois franchisse cette enceinte et dévore les agglomérations +formées <i>extra-muros</i>.</p> + +<p>A l’intérieur de grandes trouées ont été faites dans tous les sens pour +donner de l’air au Paris trop serré d’autrefois; ces trouées, personne +ne les blâme; on ne critique que leur implacable tracé rectiligne, qui +ne se serait pas dérangé pour Notre-Dame ou la Sainte-Chapelle s’il +avait heurté ces monuments. La vieille croisée de Paris du temps de +Philippe-Auguste a été modifiée, la nouvelle croisée, c’est la rue de +Rivoli coupant la ligne des boulevards Sébastopol et Saint-Michel.</p> + +<p>Commencée presque au début du siècle, l’an X de la République, par le +Premier Consul, la rue de Rivoli dans son premier tronçon modifia +considérablement les abords du jardin des Tuileries, en effaçant des +souvenirs du commencement de la Révolution. Les premiers coups de pioche +firent tomber la salle du Manège, construite sur l’ancien manège des +écuries royales, la salle où peu d’années auparavant avaient siégé la +Constituante, la Législative et la terrible Convention, et que celle-ci +avait quittée pour une salle dans les Tuileries mêmes. En même temps +disparurent les Feuillants dont l’enclos mitoyen avec le jardin royal +donnait son nom à la terrasse de ce côté, et le couvent des Capucins sur +l’emplacement duquel fut en partie construit le ministère des finances +incendié par la commune. Aux premiers jours de la Révolution, un club +rival des Jacobins et des Cordeliers se tint au couvent des Feuillants; +les hommes du parti des Feuillants étaient modérés; ils firent les +premiers le voyage à la place de la Révolution.</p> + +<p>Arrêtée longtemps entre le Louvre et le Palais Royal, la rue de Rivoli +reprit sa course au commencement du second Empire et continua sa percée +à travers Paris en transformant extraordinairement les abords du Louvre +comme elle avait fait<span class="pagenum"><a name="page_396" id="page_396">{396}</a></span> précédemment pour les Tuileries, et après les +entours du Louvre, ceux du palais rival, de la vieille maison de ville +des Parisiens.</p> + +<div class="figleft" style="width: 231px;"> +<a href="images/illu-456.jpg"> +<img src="images/illu-456.jpg" width="231" height="347" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>RESTES DE L’ÉGLISE DES MATHURINS (1840)</p></div> +</div> + +<p>Tout le long de sa route, elle éventra de vieux quartiers tortueux et +embrouillés, elle dévora des ruelles antiques aux séculaires bâtisses +souvent misérables et sordides, coins lépreux cachés au cœur de la +ville, à deux pas de la demeure des rois et du Paris brillant.</p> + +<p>Le changement était prodigieux et par quelques ruelles qui nous restent +bien dissimulées derrière de hauts édifices aux environs du Pont Neuf, +nous ne pouvons guère nous faire une idée de ce qui dans le cours des +siècles s’était tassé là au débouché des ponts autour du Châtelet. La +rue de Rivoli et les travaux qui en furent la suite jetèrent bas ce qui +subsistait des ruelles ayant enserré le vieux Châtelet tombé en 1808 et +bouleversèrent complètement les environs, dégageant la tour +Saint-Jacques du marché à la friperie qui l’entourait et amenant même le +transport à 12 mètres de distance de la fontaine dite du Palmier, +consacrée sous le premier Empire au souvenir des victoires remportées en +Italie et en Egypte. Alors disparut, avec la rue Pierre-à-Poisson, la +rue de la Tannerie et quelques autres mal odorantes, la rue de la +Vieille-Lanterne, repaire immonde et noir coupe-gorge auquel la mort du +pauvre Gérard de Nerval assassiné en quelque bouge et pendu ensuite au +grillage d’une fenêtre, venait de donner une renommée sinistre.</p> + +<p>Même formidable abatis et même transformation auprès de l’Hôtel de +Ville, du nouvel hôtel considérablement agrandi en 1835 et qui devait +s’effondrer dans les flammes de 71. On achevait de dégager le monument, +et l’on régularisait la vieille place de Grève. Pendant tout le second +Empire la pioche et le pic maniés par le préfet Haussmann ne +s’arrêtèrent pas. Le vieux Paris disparaissait ou se<span class="pagenum"><a name="page_397" id="page_397">{397}</a></span> masquait, démoli +ou dissimulé derrière un rideau de hautes bâtisses monotones. L’air et +la lumière devenaient denrées moins rares pour le Paris central, +l’hygiène y gagnait assurément, mais ces avantages se trouvaient +chèrement payés, par la perte de bien des édifices intéressants et par +l’accablante monotonie des rues nouvelles. Toute idée d’art semblait +bannie du plan, on pourrait le croire, comme aussi tout vrai sentiment +décoratif. Au centre, à droite, à gauche, partout la pioche bousculait +les séculaires décors de la cité parisienne, et bouleversait +profondément le sol, enfouissant les souvenirs, grattant, effaçant +l’histoire. Pour ne parler que des grandes percées des vieux quartiers +historiques, en négligeant les boulevards filant aux quatre coins de +l’horizon à travers territoires annexés, villages absorbés, ou faubourgs +à peine âgés de quelques pauvres siècles, on poussait au nord les +boulevards de Sébastopol et de Strasbourg, et au sud les grandes voies +modifiant si profondément la physionomie du quartier des Études.</p> + +<div class="poetry"> +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Non, tu n’es plus, mon vieux quartier Latin...<br /></span> +</div></div> +</div> + +<p>... Le boulevard Saint-Michel, la rue Monge, la rue des Ecoles, le +boulevard Saint-Germain et les grands travaux qui se poursuivent encore +sur les pentes de la Montagne l’ont du moins fortement entamé.</p> + +<div class="figright" style="width: 241px;"> +<a href="images/illu-457.jpg"> +<img src="images/illu-457.jpg" width="241" height="320" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LA MAISON DE CORNEILLE, RUE D’ARGENTEUIL</p></div> +</div> + +<p>Au centre, la rue Turbigo réunissait le boulevard du Temple aux Halles, +en surcoupant les vieilles rues déjà coupées par le boulevard +Sébastopol, et les alentours des Halles étaient bouleversés de fond en +comble. Alors disparurent les derniers vestiges des vieux marchés +d’autrefois et les dernières rues à piliers, aux pittoresques vieilles +maisons sous lesquelles débordait le grand marché.</p> + +<p>L’avenue de l’Opéra, étincelante et superbe, fourmillante, bruyante, si +parisienne et si cosmopolite, grande artère faisant communiquer le vieux +centre de la<span class="pagenum"><a name="page_398" id="page_398">{398}</a></span> vie d’autrefois, le Louvre et le Palais Royal, avec le +centre de la vie d’aujourd’hui, les boulevards élégants et l’Opéra, est +une tranchée ouverte il y a bien peu d’années. A voir l’immense +circulation, les files de voitures et le flot des piétons sur chaque +trottoir, qui se douterait qu’on a pu s’en passer jamais!</p> + +<p>Elle a bouleversé de l’histoire, elle aussi, en approchant de la vieille +rue Saint-Honoré et des Tuileries, en perforant largement le quartier de +la butte des Moulins. Au <small>XV</small>ᵉ siècle c’était, de ce côté, une banlieue +fangeuse et assez mal habitée; la porte Saint-Honoré, de l’enceinte +d’Etienne-Marcel, était presque à l’entrée de l’avenue de l’Opéra. Au +delà s’étendaient les terrains du marché aux pourceaux avec quelques +bâtisses, étables ou porcheries. La butte venait de naître, car la +question controversée de l’origine naturelle ou factice de cette butte a +été tranchée justement par les travaux d’édilité qui l’ont fait +disparaître. Elle était faite de terres rapportées et ne remontait pas +au delà du <small>XIV</small>ᵉ siècle, puisqu’on n’y a rien trouvé d’antérieur. +L’historien de la butte, M. Edouard Fournier, suppose cependant que +peut-être les premiers éléments ont pu être fournis par les débris du +Lower, château fort des Francs, ancêtre du Louvre de Philippe-Auguste, +mais la butte doit sa constitution aux gravats et terres tirés du fossé +lors de la construction de l’enceinte de 1358, des remparts si +rapidement élevés par Marcel, munis de 750 guérites de bois sur le +pourtour, et armés de bombardes.</p> + +<p>Cette butte n’était pas le seul amas de déblais transformé en montagne; +il y en eut tout autour des remparts et plusieurs de ces buttes +subsistent chargées de maisons ou couvertes de verdure, souvenirs soit +des travaux de fortifications du <small>XIV</small>ᵉ et du <small>XVI</small>ᵉ siècle, soit des +<i>boulevards</i>, grands bastions de terre gazonnée élevés pour couvrir des +points faibles sous François Iᵉʳ, lors de la grande alarme, quand les +Impériaux maîtres de la Picardie touchaient presque Paris. Villeneuve +sur gravats à la porte Saint-Denis, la butte Copeau au Jardin des +Plantes, le renflement du boulevard à la porte Saint-Martin et d’autres +élévations, d’autres bosses cachées sous les maisons ont la même origine +et la plupart de ces buttes furent couronnées de moulins, même quand +elles étaient encore ouvrages de fortification.</p> + +<p>Notre butte des Moulins, sise à deux ou trois cents mètres de la porte +Saint-Honoré eut l’honneur de servir de soutien à l’assaut de cette +porte par Jeanne d’Arc en 1429. Jeanne d’Arc, voulant essayer d’arracher +par une brusque attaque Paris aux Anglais, y plaça son artillerie, et se +jeta de là résolument sur le rempart, malheureusement trop bien défendu. +Descendue dans le fossé, elle s’obstinait sous la grêle des traits à +chercher l’endroit le moins profond pour le combler de fascines, +lorsqu’elle fut grièvement blessée; elle ne consentait point cependant à +lâcher l’attaque et il fallut que le duc d’Alençon vînt la chercher +lui-même. Sous François Iᵉʳ la butte fut convertie en un bastion, +défense avancée de la porte Saint-Honoré. A partir de ce moment, +couronnée de ses moulins, la butte est double; une seconde éminence +faite de déblais encore, est venue s’ajouter à la première et se +distingue parfaitement sur les plans, séparée de la première par une +petite échancrure où serpente un chemin.<span class="pagenum"><a name="page_399" id="page_399">{399}</a></span></p> + +<p>Le marché aux pourceaux avec les porcheries qui l’environnent, la voirie +qui a donné naissance à la butte ou s’est perpétuée longtemps sur ses +flancs, n’étaient pas pour en faire un endroit bien fréquenté. Notre +butte possédait de plus la <i>Justice</i> de l’évêque; outre des moulins et +des buissons, il y avait poussé deux ou trois gibets. A côté, un carré +de pierres, visible sur le plan Truschet, devait être à deux fins, +c’était le soubassement du bûcher pour des supplices d’hérétiques, comme +on en vit trop souvent à certaines époques, et le fourneau pour faire +chauffer la chaudière d’huile dans laquelle étaient bouillis les +malheureux convaincus du crime de fausse monnaie.</p> + +<p>Cette affectation sinistre de la butte n’empêcha pourtant pas un +faubourg de se former peu à peu autour des porcheries et des gibets, ni +les cabarets à la fin du <small>XVI</small>ᵉ siècle de venir se camper sur les pentes, +au-dessous des moulins, et de recevoir à leurs tables rustiques sous les +tonnelles bon nombre de Parisiens en quête de campagne. Le quartier +nouveau avait sa chapelle dédiée à saint Roch; peu à peu il se faisait +plus ville, enfermant les buttes aux Moulins parmi les bâtisses et les +cabarets de plus en plus nombreux, banlieue remuante et de mœurs +irrégulières. Sous la Fronde, c’est le champ d’exercice de l’émeute, qui +s’échauffe ici à discourir contre le Mazarin, feux de paille qui +essaient de devenir brandons de guerre civile et qui finiront par +flamber réellement, de façon à brûler bien des doigts imprudents. On +s’amuse en attendant, on voit là une imitation des gamins du quartier +Saint-Honoré qui ont coutume de venir par bandes se battre à coups de +fronde sur les pentes de la butte, et le jeu de ces gamins baptise les +nouvelles factions politiques.</p> + +<p>Cependant, la tranquillité revenue, les maisons reprirent de plus belle +l’assaut de la butte, les moulins étaient bien menacés: on voulait faire +à leur place et sur les pentes un nouveau quartier plus digne du +voisinage du Louvre et des Tuileries que le faubourg désordonné de +l’ancien marché aux pourceaux. Enfin les rues montant à l’escalade de la +butte ou la perforant dans divers sens arrivèrent au sommet et alors, au +grand regret de quelques-uns, aux grands soupirs des gazettes en rimes +ou en prose, le jour vint, vers 1668, où ils durent déménager. Les +moulins de la «<i>Gentille butte Saint-Roch</i>» s’en furent les uns +rejoindre ceux qui tournaient déjà sur la butte Montmartre, les autres +ailleurs et de nouvelles rues s’alignèrent à leur place, la rue du +Clos-Georgeau, la rue des Moineaux, la rue des Moulins, etc...</p> + +<p>Avant que les moulins n’eussent déguerpi, un homme pouvait, de son logis +de la rue d’Argenteuil formée avec l’ancien chemin de ce nom, les +regarder tourner au-dessus de tous les tripots et cabarets, où +bretteurs, amis du désordre et frondeurs s’en donnaient à cœur joie. +C’était Corneille dont la maison a subsisté au nº 18 de cette rue +jusqu’à ce que l’avenue de l’Opéra, opérant sa grande trouée, l’emportât +avec ce qui restait de la butte elle-même et sa charge de maisons très +serrées. Ce quartier après les souvenirs lointains que nous venons de +réveiller n’avait plus eu que des souvenirs littéraires, épicuriens ou +galants au <small>XVIII</small>ᵉ siècle. Les noms illustres ou célèbres ne manquent +pas: après Lulli, Mignard, La Fon<span class="pagenum"><a name="page_400" id="page_400">{400}</a></span>taine, on y trouve Voltaire, Rousseau, +Grimm, d’Holbach, Helvétius, etc., en voisinage avec filles d’opéra ou +filles du monde, avec bien des cabarets plus ou moins fameux. La +politique reparut autour de Saint-Roch aux jours suivants, le terrible +club des Jacobins était trop voisin et Robespierre aussi qui demeurait +rue Saint-Honoré, chez les Duplay; quand la Terreur prit fin, que le +club terroriste fut fermé, quand la réaction fit sa tentative de +Vendémiaire, les sections royalistes vinrent se faire mitrailler sur les +marches de l’église par un petit général corse d’assez pauvre mine, mais +qui n’y allait pas de main morte...</p> + +<p>  </p> + +<p>Maintenant l’avenue percée à travers ce qui était encore banlieue il y a +deux siècles est artère centrale, le grand Paris continue à dévorer ce +qui était naguère encore cultures ou villégiatures champêtres; nous +l’avons vu faire des bonds de quelques kilomètres dans sa rapide poussée +vers l’ouest et dans tel grand quartier surgi depuis vingt ans, il n’y a +pas bien loin, on peut le dire, du dernier lièvre abattu, des derniers +choux poussés, aux vraiment superbes architectures qui s’élèvent tous +les jours pour rattacher le Paris moderne au Paris des grandes époques, +en faisant oublier des temps intermédiaires bien indigents de style.</p> + +<div class="figcenter" style="width: 181px;"> +<a href="images/illu-460.jpg"> +<img src="images/illu-460.jpg" width="181" height="259" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>LUCARNE DE L’HÔTEL MONTHOLON, AU MARAIS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_401" id="page_401">{401}</a></span></p> + +<h2><a name="TABLE_DES_CHAPITRES" id="TABLE_DES_CHAPITRES"></a> + +<a href="images/illu-461.jpg"> +<img src="images/illu-461.jpg" width="339" height="332" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +LE CLUB DES JACOBINS (RUE SAINT-HONORÉ) +</span> +<br /> +<br /> +TABLE DES +CHAPITRES</h2> + +<table cellpadding="0"> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_PREMIER"><span class="smcap">Chapitre Premier.</span>—L’ILE BERCEAU</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">Le cœur de Paris et ses déplacements.—Lutèce gauloise.—Le village insulaire entre marais +et forêts.—L’arrivée du Romain.—Premier siège et premier incendie.—Camulogène +et Labiénus.—Lutèce gallo-romaine.—Le premier coup d’État militaire.—Un +empereur de Paris.—Le Palais de Julien aux Thermes.—Les Nautes.—Les arènes +parisiennes.—Lutèce mérovingienne.—Sainte-Geneviève.—Le Palais des Comtes de +Paris dans la Cité.—Les marchands de l’Eau</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_1">1</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_II"><span class="smcap">Chapitre II.</span>—LA CROISSANCE</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">La cité de Paris.—Le temple de Jupiter devient l’église cathédrale Notre-Dame de Paris.—Les +<span class="pagenum"><a name="page_402" id="page_402">{402}</a></span>petites églises de la Cité.—Saint-Jean le Rond et les Enfants trouvés.—Très +haut et très puissant seigneur le chapitre de Notre-Dame.—Le cloître et ses premières +écoles.—Guillaume de Champeaux et Abélard.—Naissance de l’Université.—Les +légendes: le diable Biscornette.—L’anneau de la Vierge.—Le grand Jeusneur.—Folies +et mascarades des fêtes de l’âne, des fous et des innocents.—Diables, guivres et +chimères</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_17">17</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_III"><span class="smcap">Chapitre III.</span>—LES TROIS GRANDES ABBAYES DE LA RIVE GAUCHE</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">L’abbaye de Sainte-Geneviève.—Clovis et Clotilde.—Saint-Germain des Prés, fondation +de Childebert.—La sépulture des rois mérovingiens.—Les Normands.—Massacres et +dévastations.—L’Abbaye, petite ville féodale à côté de Paris.—Le réfectoire, fabrique +de poudres.—L’explosion et l’incendie.—Ruine définitive.—Le Pré aux Clercs.—Luttes +avec les Escholiers.—La foire Saint-Germain.—Les abbés commendataires.—L’abbaye +de Saint-Victor.—Les jardins des chanoines.—La Bièvre.—Ce qui reste des +trois abbayes</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_35">35</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_IV"><span class="smcap">Chapitre IV.</span>—LE PARIS DES ÉGLISES ET DES COUVENTS</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">I.—La légende de Saint-Julien l’Hospitalier.—Au cimetière Saint-Severin.—Opéré ou +pendu.—Inscriptions macabres.—Les reclusoirs et les recluses.—Saint-Yves des Avocats.—Saint-Benoist +le Bientourné.—Les belliqueux Augustins.—Sièges de couvents.—Les +Bernardins.—Le cloître des Carmes.—Les frères aux Anes.—Le couvent des +Cordeliers.—Désordres et bagarres.—Émeute en plain-chant.—Le corps de Marat.—Le +bataillon des Marseillais.—Aux Jacobins.—Les prédicateurs de la Ligue.—La +Chartreuse du Luxembourg.—Au grand Diable Vauvert</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_54">54</a></td></tr> + +<tr><td class="pdd">II.—L’enclos féodal du prieuré de Saint-Martin des Champs.—Le réfectoire et la chaire du +lecteur.—Abbés trop gras et moines trop mal nourris.—Les procès de l’Epée.—Duels +judiciaires dans la lice du prieuré.—Carrouges et Le Gris.—Les Célestins.—L’église. +Musée de grands tombeaux seigneuriaux.—Les serfs de la Vierge Marie.—Aux Carmes +Billettes, le dernier cloître gothique de Paris.—Le cadavre d’Etienne Marcel à Sainte-Catherine +du Val des Ecoliers.—L’abbaye de Saint-Antoine.—Pécheresses repenties.—Fondations +hospitalières.—Les Haudriettes.—Les confrères de la Trinité et les +origines du théâtre.—Les Quinze-Vingts.—Frères cordonniers et frères tailleurs</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_71">71</a></td></tr> + +<tr><td class="pdd">III.—Les églises de la rive droite.—Paroisses royales de Saint-Germain l’Auxerrois et +Saint-Paul.—Au temps de la Ligue.—Saint-Eustache.—La Jussienne.—Les paroissiens +de Saint-Jacques la Boucherie, écorcheurs et enlumineurs.—Les maisons de Nicolas +Flamel.—Saint-Merry.—Saint-Julien des Ménétriers.—La loue des jongleurs, +ménestrels et musiciens.—Saint-Gervais</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_97">97</a></td></tr> + +<tr><td class="pdd">IV.—Les églises des <small>XVII</small>ᵉ et <small>XVIII</small>ᵉ siècles.—Le vandalisme à perruque et manchettes +de dentelles.—Mutilations et amputations.—Saint-Etienne du Mont, Val-de-Grâce.—La +Révolution.—Les édifices déséglisés.—Fermetures et destructions.—Clubs et +prisons, temples, marchés ou magasins.—La grande démolition</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_117">117</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_V"><span class="smcap">Chapitre V.</span>—LES COMMANDERIES</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">L’ordre des Templiers.—La Villeneuve du Temple.—L’église en rotonde et la grosse +tour.—Philippe le Bel.—Ecroulement de l’ordre.—Le Temple aux chevaliers de +Saint-Jean.—Franchises et privilèges.—Le palais du grand prieur.—La prison de +<span class="pagenum"><a name="page_403" id="page_403">{403}</a></span>Louis XVI.—L’enclos de Saint-Jean de Latran.—Disparition complète</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_129">129</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_VI"><span class="smcap">Chapitre VI.</span>—A TRAVERS LA VILLE ESCHOLIÈRE</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">I.—La grande Université de Paris.—Fondation de Mᵉ Robert de Sorbon.—Les quatre +nations de la faculté des Arts.—La rue du Fouarre.—Les écoles de médecine.—Le +collège des Haricots et son maître fouetteur.—Les pauvres Capettes de Montaigu.—Etudiants +vagabonds.—Tavernes et mauvais lieux.—Désordres et bagarres.—Les +cinquante collèges.—Immunités et privilèges de l’Université.—La procession du Landit.—Les +écoles de droit au Clos Bruneau.—Robert Estienne</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_141">141</a></td></tr> + +<tr><td class="pdd">II.—La chasse aux Huguenots de la petite Genève.—Mort de Pierre Ramus.—La +Ligue.—Formation du Conseil des Seize au collège Fortet.—Les curés ligueurs.—La +journée des Barricades.—Escarmouches autour de la place Maubert.—Le comte de +Brissac bon sur le pavé.—La Commune blanche.—Misères des Écoles pendant le +siège.—Étudiants tire-laine.—Transformation du Pré aux Clercs.—Comment la reine +Marguerite faisait faire ses pénitences.—La chapelle des Louanges</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_160">160</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_VII"><span class="smcap">Chapitre VII.</span>—PARIS FÉODAL</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">I.—Petit palais et grands hôtels.—L’hôtel de Bourbon.—La trahison du connétable.—Les +États généraux de 1614 dans la grande salle de l’hôtel.—Le séjour de Nesle.—Les +femmes des trois fils de Philippe le Bel.—Marguerite, Jeanne et Blanche de Bourgogne.—La +tour de Nesle et sa légende.—Le duc Jean de Berry.—Benvenuto Cellini au +Petit-Nesle.—L’hôtel de Nevers-Gonzague.—La tête de Coconas.—L’hôtel de Bourgogne.—Jean +sans Peur et le duc d’Orléans.—Bourguignons et Armagnacs.—Les +bouchers de Paris.—Chaperon blanc et bonnet rouge.—Caboche et Capeluche.—Le +théâtre et l’hôtel de Bourgogne.—Gauthier-Garguille et Turlupin, successeurs de Jean +sans Peur</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_183">183</a></td></tr> + +<tr><td class="pdd">II.—L’hôtel de Cluny, Guise, Soubise.—Marguerite ou Miséricorde?—Les mauvais +garçons de Pierre de Craon.—L’assassinat de Clisson.—MM. de Guise, rois de la très +sainte Ligue.—La citadelle des Ligueurs.—Le Balafré aux Barricades.—Mˡˡᵉ de +Montpensier.—L’hôtel aux Soubise.—Le séjour Barbette.—La reine Isabeau.—Meurtre +du duc d’Orléans.—La lampe du meurtrier.—Savoisy.—L’hôtel du roi de +Sicile.—Mᵐᵉ de Lamballe à la Force</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_204">204</a></td></tr> + +<tr><td class="pdd">III.—L’hôtel des Prévôts de Paris.—Hugues Aubryot et les Maillotins.—L’hôtel d’Orléans.—A +l’Abri-Coyctier.—Le fief de la Trémouille.—Magnificences de la maison à +l’enseigne de la Couronne d’or.—Sa destruction.—L’hôtel des archevêques de Sens.—Tristan +de Salazar.—La justice sommaire de la reine Margot.—L’hôtel des abbés de +Cluny.—François Iᵉʳ et la veuve de Louis XII.—Les émotions du cardinal de Guise.—Le +connétable de Montmorency.—Le manoir de la Salamandre.—Le chancelier +Séguier.—Catherine de Médicis.—La kermesse de l’Agio à l’hôtel de Soissons</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_222">222</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_VIII"><span class="smcap">Chapitre VIII.</span>—PARIS BOURGEOIS ET POPULAIRE</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">I.—Souvenirs champêtres.—Clos, granges, cultures, fermes.—La double croisée de +Paris.—Autour du Châtelet.—Les maîtres bouchers et la grande boucherie.—La +rue Trop-va-qui-dure et la Vallée de Misère.—Grandeurs, prospérités et solennités de +la grande rue Saint-Denis.—Chemin royal au commencement et à la fin des règnes.—Entrées +de l’empereur Charles IV, d’Isabeau de Bavière, de Louis XI, etc.—Cortèges, +spectacles et divertissements.—Les funérailles royales.—Un arbre de Jessé.—Noms +<span class="pagenum"><a name="page_404" id="page_404">{404}</a></span>de maisons.—Anciennes hôtelleries.—Les omnibus de Blaise Pascal.—La grande rue +Saint-Honoré.—L’Arbre sec.—Arbrissel ou potence?—La croix du Trahoir.—La +rue de la Ferronnerie.—Aux Innocents.—Grandes halles de la mort et grand marché +des vivants</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_242">242</a></td></tr> + +<tr><td class="pdd">II.—Chronique des rues et carrefours de Paris.—Le Puits d’amour, la rue Pirouette et +le Pilori des Halles.—Les rues de métiers.—Quelques bourgeois parisiens d’il y a +longtemps.—Vieux noms de rues estropiés et dénaturés.—Noms bizarres.—Les +rues à mauvaise renommée.—Cabarets d’autrefois et vieilles enseignes.—La Pomme +de pin et les cabarets littéraires du <small>XVII</small>ᵉ siècle.—La maison de l’amiral Coligny.—L’hôtel +du chevalier du Guet.—Les dernières tourelles de nos rues.—Les empoisonneurs.—Sainte-Croix +et la Brinvilliers.—La fontaine des Innocents.—Souvenirs du +carrefour de l’Arbre sec.—Les maisons de Molière</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_274">274</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_IX"><span class="smcap">Chapitre IX.</span>—LA PLACE ROYALE ET LE MARAIS</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">Le dernier tournoi.—Fêtes au palais des Tournelles.—La lance de Montgommery.—Le +combat des Mignons.—Fondation de la place Royale.—Le carrousel d’inauguration.—Les +raffinés d’honneur et la manie des duels.—L’hôtel Sully.—M. de +Mayenne.—L’hôtel Lamoignon.—Les logis de Gabrielle d’Estrées.—Zamet.—Les +ruelles.—Précieuses et Alcôvistes.—Poètes et beaux esprits.—Mᵐᵉ de Sévigné à Carnavalet.—Marion +Delorme et Ninon de Lenclos.—Le malade de la Reine.—Mᵐᵉ +Scarron.—L’hôtel de Beauvais.—Théâtres et jeux de paume.—Le Roi des +Halles.—L’hôtel Salé.—Hôtels de grands seigneurs et de parlementaires.—Grandes +portes et frontons sculptés</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_312">312</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_X"><span class="smcap">Chapitre X.</span>—LE PARIS DE LOUIS XIV ET DE LOUIS XV</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">La fin du Pré aux Clercs.—Développement du faubourg Saint-Germain.—Les Invalides.—Le +Luxembourg.—Les ruines de la Ligue.—L’enceinte de Louis XIII.—Places, +portes et statues triomphales du roi Soleil.—M. de la Feuillade et la place des Victoires.—L’hôtel +de la Vrillière.—L’hôtel de Vendôme et la place des Conquêtes-Vendôme-Des-Piques.—Duel +Beaufort et Nemours au marché aux chevaux.—Paris la nuit.—Premières +lanternes.—Les porteurs de falots.—Les voleurs et la police.—M. de la Reynie +et M. d’Argenson.—Le Système de Law.—La grande folie de la rue Quincampoix.—Le +crime de l’Épée de bois.—Un cardinal de la Régence.—Emplacements révolutionnaires: +le champ de la fédération, la place Louis XV.—La catastrophe du feu d’artifice.—La +guillotine</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_355">355</a></td></tr> + +<tr><th><a href="#CHAPITRE_XI"><span class="smcap">Chapitre XI.</span>—L’ENFANTEMENT DU PARIS MODERNE</a></th></tr> + +<tr><td class="pdd">La chaussée d’Antin.—Les Porcherons.—Le temple de Paphos.—Petites maisons et +Folies.—Abatis et grandes trouées.—La disparition du vieux Paris.—La Butte des +moulins</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_387">387</a></td></tr> +</table> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_405" id="page_405">{405}</a></span></p> + +<h2><a id="TABLE_DES_ILLUSTRATIONS"></a> +<a href="images/illu-465.jpg"> +<img src="images/illu-465.jpg" width="234" height="271" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +ANCIENNE ÉGLISE NOTRE-DAME DES CHAMPS PRÈS LE VAL DE +GRACE +</span> +<br /><br /> +TABLE DES ILLUSTRATIONS</h2> + +<table cellpadding="0"> +<tr><td class="pdd">Le Pont-Neuf et la pointe de la cité au <small>XVII</small>ᵉ siècle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_1">1</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Petite tourelle de l’hôtel de Sens</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_1">1</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Lutèce gauloise. Pointe de l’île avec les îlots sur lesquels passe le Pont-Neuf actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_3">3</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Lutèce incendiée à l’arrivée des Romains</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_5">5</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les légions gauloises proclament Julien empereur</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_7">7</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le clos de Laas et le palais des Thermes</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_8">8</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Paris mérovingien.—La pointe de la cité</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_9">9</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Palais des Thermes.—La grande salle au <small>XVIII</small>ᵉ siècle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_12">12</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le palais des Thermes</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_13">13</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les arènes de Lutèce retrouvées</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_15">15</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Lutèce</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_16">16</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">A Notre-Dame</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_17">17</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">A Notre-Dame</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_19">19</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">1711. Découverte des débris d’un autel de Jupiter sous le chœur de Notre-Dame</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_19">19</a><span class="pagenum"><a name="page_406" id="page_406">{406}</a></span></td></tr> +<tr><td class="pdd">Saint-Jean le Rond et les enfants abandonnés</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_21">21</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">En haut des tours de Notre-Dame</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_24">24</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La fête des fous</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_25">25</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les chimères de Notre-Dame</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_27">27</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les chimères de Notre-Dame</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_27">27</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le grand jeûneur, sur le parvis</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_31">31</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les écoles du cloître</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_32">32</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Notre-Dame et l’archevêché, <small>XVII</small>ᵉ siècle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_33">33</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Vieille maison du cloître Notre-Dame, rue Chanoinesse</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_34">34</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’abbaye de Saint-Victor</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_35">35</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La première église Sainte-Geneviève. Fondation de Clovis</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_35">35</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Rue Clovis, fragment du rempart de Philippe-Auguste et tour de Sainte-Geneviève</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_36">36</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Restes de l’abbaye de Sainte-Geneviève au lycée Henri IV</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_39">39</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Abbaye de Saint-Germain des Prés, fondation de Childebert. La tour de l’église</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_40">40</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Bagarre entre les escholiers et les gens de l’abbaye sur le Pré aux Clercs</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_41">41</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’explosion de l’abbaye de Saint-Germain. Destruction du réfectoire</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_44">44</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La foire Saint-Germain</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_46">46</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Entrée de la foire Saint-Germain au <small>XVII</small>ᵉ siècle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_47">47</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’abbaye de Sainte-Geneviève au <small>XVIII</small>ᵉ siècle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_49">49</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le palais abbatial, rue de Furstenberg</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_50">50</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Construction du Panthéon, au premier plan collège des Cholets</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_52">52</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tour Alexandre de l’abbaye de Saint-Victor. En arrière, la butte Copeau, futur labyrinthe du Jardin des Plantes</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_53">53</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La chartreuse du Luxembourg</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_54">54</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le bataillon des Marseillais vient loger aux Cordeliers</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_54">54</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La Dante à Saint-Julien le Pauvre</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_55">55</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Bas-relief de Saint-Julien, rue Galande</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_56">56</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les sacs de procédure portés à Saint-Yves par les plaideurs après un procès gagné</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_57">57</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Église Saint-Séverin</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_59">59</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les anciens charniers de Saint-Séverin</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_61">61</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La duchesse de Montpensier apporte aux Cordeliers la nouvelle de l’assassinat d’Henri III</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_64">64</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le couvent des Bernardins</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_65">65</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte du couvent des Jacobins de la rue Saint-Jacques</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_67">67</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Église Saint-Benoit le Bientourné</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_69">69</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’entrée de la Chartreuse du Luxembourg (intérieur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_70">70</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les Célestins, l’arsenal et l’île Louviers</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_71">71</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Fondation de Sainte-Catherine par les sergents d’armes de Bouvines</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_71">71</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le prieuré de Saint-Martin des Champs (Arts et Métiers)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_72">72</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le nouveau pignon de Saint-Martin des Champs (Arts et Métiers)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_73">73</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La chaire du lecteur, vue de l’extérieur</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_75">75</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancien clocher roman de Saint-Martin des Champs</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_76">76</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Réfectoire de Saint-Martin des Champs.—La chaire du lecteur</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_77">77</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le duel Carrouges et le Gris dans la lice de Saint-Martin</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_80">80</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La tour du Vertbois à Saint-Martin des Champs</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_81">81</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Église Saint-Nicolas des Champs</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_83">83</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le cloître des Billettes, rue des Archives</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_85">85</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Dépendances du couvent des Guillemites, rue des Guillemites</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_88">88</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les corps d’Étienne Marcel et de ses partisans dans le préau de Sainte-Catherine</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_89">89</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’église des Filles-Dieu</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_92">92</a><span class="pagenum"><a name="page_407" id="page_407">{407}</a></span></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les Quinze-Vingts à la porte Saint-Honoré</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_93">93</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les cochons du petit Saint-Antoine</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_94">94</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les frères cordonniers</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_95">95</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le couvent du petit Saint-Antoine</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_96">96</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’échoppe de Nicolas Flamel, maître écrivain enlumineur à Saint-Jacques la Boucherie</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_97">97</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Chambre au-dessus du porche de Saint-Germain l’Auxerrois</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_100">100</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le cloître Saint-Germain l’Auxerrois à la journée des Barricades</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_101">101</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’église Saint-Leu-Saint-Gilles, rue Saint-Denis</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_104">104</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La tour Saint-Jacques, 1830</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_105">105</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancienne demeure de Nicolas Flamel, rue des Écrivains, démolie pour le square Saint-Jacques la Boucherie</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_107">107</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Église Saint-Julien des Ménétriers, rue Saint-Martin. La louée des musiciens</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_109">109</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Église du Saint-Sépulcre, rue Saint-Denis</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_112">112</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’église Saint-Paul</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_113">113</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tour de l’église Saint-Laurent, faubourg Saint-Martin</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_115">115</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Cloître des Célestins</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_116">116</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’église des Jacobins de la rue Saint-Jacques</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_117">117</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le Val-de-Grâce</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_118">118</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le jubé de Saint-Étienne du Mont</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_120">120</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le temple protestant, ancienne église Saint-Marie (mai 1871)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_121">121</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Église Saint-Nicolas du Chardonnet</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_125">125</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancienne église Saint-Sulpice</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_127">127</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le Temple au <small>XVII</small>ᵉ siècle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_129">129</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle d’angle de l’enceinte du Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_129">129</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La surprise du Temple par Guillaume de Nogaret</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_131">131</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Philippe Le Bel assiste du haut de la tour du Temple à l’incendie de la Courtille Barbette</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_132">132</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Duguesclin traite avec les chefs des grandes compagnies</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_133">133</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte de l’enclos du Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_136">136</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La famille royale amenée au Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_137">137</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La rotonde du Temple, 1840</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_138">138</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Marie-Antoinette dans la tour du Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_139">139</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La commanderie de Saint-Jean de Latran</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_140">140</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le cloître des carmes de la place Maubert</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_141">141</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Débris du collège Saint-Michel rue de Bièvre</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_141">141</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le maître fouetteur du collège Montaigu</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_145">145</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les écoliers tire-laine au carrefour Coupe-Gueule</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_149">149</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Église du collège de Beauvais</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_151">151</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Entrée du collège de Navarre</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_152">152</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’école Polytechnique en 1814</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_153">153</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancienne chapelle du collège Mignon</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_155">155</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’amende honorable des huissiers du Châtelet aux Augustins</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_157">157</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte du couvent des Grands-Augustins</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_159">159</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Cloître du collège de Cluny</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_160">160</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La porte de Nesle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_160">160</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le cadavre de Ramus traîné à la Seine</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_161">161</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le couvent des Grands-Augustins, la procession d’Henri III</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_164">164</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Journée des Barricades. Les écoles descendant à la place Maubert</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_165">165</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La mise à sac de l’église Saint-Médard</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_168">168</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ébats d’écoliers au moulin des Gobelins</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_169">169</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancienne bibliothèque Sainte-Geneviève</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_172">172</a><span class="pagenum"><a name="page_408" id="page_408">{408}</a></span></td></tr> +<tr><td class="pdd">La Sorbonne</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_173">173</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Cour de l’ancienne école de médecine, rue de la Bucherie. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_176">176</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les écoliers pêchant le poisson de l’abbaye de Saint-Germain</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_177">177</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Coupole de l’ancienne école de médecine, rue de la Bucherie. Etat actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_179">179</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle des Chartreux</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_180">180</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le pré aux Clercs (<small>XVI</small>ᵉ siècle)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_181">181</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel de Bourbon</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_183">183</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La fenêtre du meurtrier</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_183">183</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Sommet de l’escalier de la tour Jean-Sans-Peur</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_185">185</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel du chevalier du Guet</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_187">187</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel de la reine Marguerite sur l’emplacement du Petit Nesle, et la chapelle des Louanges au petit Pré aux Clercs</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_189">189</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La tour Jean-Sans-Peur. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_192">192</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Jean sans Peur dans la tour de Bourgogne</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_193">193</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Passage sur les limites du séjour Barbette, rue des Francs-Bourgeois, près duquel fut assassiné Louis d’Orléans</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_195">195</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le meurtre du duc d’Orléans</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_197">197</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Gros-Guillaume, Turlupin et Gauthier-Garguille, à l’hôtel de Bourgogne</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_201">201</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Anciens animaux symboliques des évangélistes de la tour Saint-Jacques.—Aujourd’hui dans le jardin de Cluny</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_203">203</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Hôtel Saint-Aignan, rue Vieille-du-Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_204">204</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Manoir dit de la reine Blanche au faubourg Saint-Marcel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_204">204</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte de l’hôtel de Guise, maintenant palais des Archives</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_205">205</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Un coin de la cour de l’hôtel de Mayenne-d’Ormesson rue Saint-Antoine</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_209">209</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les prédicateurs dans le jardin des Jacobins de la rue Saint-Jacques, sous la Ligue, au fond les écoles Saint-Thomas, démolies vers 1850</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_211">211</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle Herouet, rue Vieille-du-Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_213">213</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Une porte dans la cour de la maison rue du Jour, nº 25</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_217">217</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le puits de l’ancien séjour d’Orléans et de l’Abri-Coyctier, subsistant cour de Rouen</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_219">219</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La Petite Force</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_221">221</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel Scipion Sardini. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_222">222</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le prévôt de Paris</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_222">222</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel des prévôts, passage Charlemagne. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_223">223</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle-oratoire de l’hôtel la Trémouille démolie en 1842</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_224">224</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Cour de l’hôtel la Trémouille vers 1840</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_225">225</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le page de la reine Marguerite décapité devant l’hôtel de Sens</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_229">229</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tour d’escalier de l’hôtel de Sens. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_231">231</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La chapelle de l’hôtel de Cluny</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_233">233</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les charniers de Saint-Paul</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_236">236</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel de Soissons (état ancien) et la colonne de Catherine de Médicis (état actuel)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_237">237</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le passage Saint-Pierre donnant dans l’ancien cimetière Saint-Paul (état actuel)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_241">241</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Inondation de la Vallée de Misère en 1493</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_242">242</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Vieux pignons rue Beaubourg</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_242">242</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’église Saint-Sauveur, rue Saint-Denis</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_243">243</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Bas-relief de la maison de l’Annonciation, 89, rue Saint-Denis</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_244">244</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Entrée de la rue Saint-Denis, la grande boucherie, le marché de l’Apport-Paris et le Châtelet</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_245">245</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Carrefour rue Pirouette. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_247">247</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La rue Brise-Miche. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_248">248</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’attaque du cloître Saint-Merry, avril 1832</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_249">249</a><span class="pagenum"><a name="page_409" id="page_409">{409}</a></span></td></tr> +<tr><td class="pdd">Vieux pignons de la rue Galande (1894)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_251">251</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancienne façade de la maison de Nicolas Flamel, rue de Montmorency, 45, dont il ne reste que la poutre à l’inscription</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_252">252</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Cour du Compas d’Or, rue Montorgueil</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_253">253</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La fontaine Maubuée, rue Saint-Martin. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_255">255</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les charniers de l’ancien cimetière Saint-Paul (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_256">256</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La tour Petaudiable, quartier de la Grève</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_257">257</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La Barbe d’or, rue des Bourdonnais</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_259">259</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’arbre de Jessé rue Saint-Denis (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_260">260</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le presbytère de Saint-Germain l’Auxerrois. Journées de juillet 1830</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_261">261</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Enseigne du Soleil d’Or, rue Saint-Sauveur (cabaret et jeu de paume)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_263">263</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le Bon Puits, enseigne rue Beaubourg</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_264">264</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Enseigne de l’Enfant Jésus, rue des Bourdonnais</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_264">264</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La rue de la Ferronnerie. Assassinat d’Henri IV</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_265">265</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancienne enseigne de l’orme Saint-Gervais aujourd’hui rue du Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_266">266</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’orme Saint-Gervais</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_267">267</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La croix du Trahoir</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_268">268</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La fontaine et le marché des Innocents en 1830</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_269">269</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le Pilori des Halles</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_273">273</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Carrefour Brise-Miche et Taille-Pain. Cloître Saint-Merry, 1832</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_274">274</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le Puits qui parle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_274">274</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le Puits d’Amour, au carrefour des rues petite et grande Truanderie</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_275">275</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Carrefour. Buci, avec l’estrade des enrôlements en 1792</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_277">277</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Maison de Nicolas Flamel, rue des Écrivains, démolie pour le square Saint-Jacques-la-Boucherie</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_278">278</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Pignon de la Renaissance, rue du Dragon</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_279">279</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les piliers des Halles et l’église Saint-Eustache</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_281">281</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de la rue du Jardinet, démolie pour le boulevard Saint-Germain</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_282">282</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de la rue du Coq-en Grève, démolie vers 1850</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_285">285</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de la rue Saint-Paul (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_286">286</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de la rue du Temple (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_287">287</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Enseigne des Trois Canettes, rue des Canettes (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_289">289</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Cabaret de l’épée de bois, maison de Lully, rue Sainte-Anne (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_290">290</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Enseigne de la Hure d’Or, rue de la Huchette (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_293">293</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La mort de Coligny à la Saint-Barthélemy</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_296">296</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de la rue Jean-Tison, démolie en 1850</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_297">297</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de la rue de l’École-de-Médecine, démolie pour le boulevard Saint-Germain</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_299">299</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Mausolée élevé à Marat dans la cour des Cordeliers</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_301">301</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de la rue Saint-Benoit, démolie en 1850</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_302">302</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de l’hôtel de Fécamp, rue Hautefeuille, habité par Sainte-Croix</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_303">303</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte de l’hôtel de Miraulmont, rue Hautefeuille (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_305">305</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Maison natale de Molière à l’enseigne du «Pavillon des cinges», angle des rues Saint-Honoré et des Étuves</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_307">307</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelles rues Hautefeuille et Pierre-Sarrazin</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_309">309</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle place de l’Hôtel-de-Ville, démolie en 1850</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_310">310</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Enterrement de Molière au cimetière Saint-Joseph, rue Montmartre</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_311">311</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Fronton de l’hôtel Salé. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_312">312</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Au carrousel de la place Royale</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_312">312</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Hôtel Sully, façade sur la rue Saint-Antoine. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_313">313</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Hôtel la Vieuville, rue Saint-Paul (1895)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_316">316</a><span class="pagenum"><a name="page_410" id="page_410">{410}</a></span></td></tr> +<tr><td class="pdd">Un panneau de la grande porte de l’hôtel Saint-Aignan. 71, rue du Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_319">319</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel Sully. Façade sur la cour</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_321">321</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Tourelle de l’hôtel Lamoignon</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_323">323</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Pavillon de l’hôtel Lamoignon avec les croissants de Diane aux frontons. État actuel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_324">324</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Maisons rue Galande, 1895</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_328">328</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Entrée de l’hôtel de César de Vendôme, rue de Moussy, démoli en 1893</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_329">329</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Mᵐᵉ de Sévigné à l’hôtel Carnavalet</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_332">332</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Maison de la Renaissance, rue Saint-Paul, démolie vers 1840</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_333">333</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Grande porte rue des Francs-Bourgeois, 1895</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_335">335</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte de l’hôtel de Châlons-Luxembourg, rue Geoffroy-l’Asnier</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_337">337</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Balcon de l’hôtel de Braque, rue de Braque, nº 4</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_341">341</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Hôtel Montholon, 79, rue du Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_343">343</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La cour de l’hôtel de Beauvais</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_345">345</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Fronton, 106, rue du Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_347">347</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Hôtel Amelot de Bizeuil, 47, rue Vieille-du-Temple</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_349">349</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte de l’hôtel de Bouligneux, rue Michel-le-Comte, 28</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_351">351</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte des écuries de l’hôtel de Rohan (Imprimerie Nationale)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_353">353</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Fronton rue Payenne</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_354">354</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le duel de Beaufort-Nemours au marché aux chevaux (rue de la Paix actuelle)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_355">355</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Entrée de la rue de Seine derrière le collège des Quatre-Nations (Institut)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_357">357</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Un balcon rue Saint-Jacques</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_361">361</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Balcon rue Thévenot, démoli en 1895</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_365">365</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Portail de l’église des filles Saint-Chaumont</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_368">368</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le bureau des marchandes-lingères, 6, rue Courtalon</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_369">369</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La maison de Law, rue Quincampoix (démolie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_372">372</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Hôtel de la Chancellerie d’Orléans, rue des Bons-Enfants</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_373">373</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Incendie du palais de la Légion d’honneur (hôtel de Salm), mai 1871</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_385">385</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Passage du cloître Saint-Honoré</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_377">377</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Porte de la cour du Dragon</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_380">380</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La cour du Dragon</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_381">381</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Balcon, rue Saint-André-des-Arts</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_384">384</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Place de la Révolution</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_386">386</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La butte des Moulins au commencement du <small>XVI</small>ᵉ siècle</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_387">387</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">A Tivoli</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_387">387</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’hôtel de la Guimard, chaussée d’Antin</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_388">388</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les Porcherons au <small>XVI</small>ᵉ siècle (place de la Trinité actuelle)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_393">393</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Restes de l’église des Mathurins (1840)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_396">396</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La maison de Corneille, rue d’Argenteuil</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_397">397</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Lucarne de l’hôtel Montholon, au Marais</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_400">400</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le club des Jacobins, rue Saint-Honoré</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_401">401</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ancienne église Notre-Dame des Champs près de Val-de-Grâce</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_405">405</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Fontaine Childebert</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_411">411</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Maison rue Croix-des-Petits-Champs</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_412">412</a></td></tr> +</table> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_411" id="page_411">{411}</a></span></p> + +<h2><a name="PLANCHES_HORS_TEXTE" +id="PLANCHES_HORS_TEXTE"></a> +<a href="images/illu-471.jpg"> +<img src="images/illu-471.jpg" width="189" height="312" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<br /><span class="caption"> +FONTAINE CHILDEBERT ANCIENNEMENT PRÈS DE SAINT-GERMAIN +DES PRÉS +</span> +<br /> +<br /> +PLANCHES HORS TEXTE</h2> + +<table cellpadding="0"> +<tr><td class="pdd">La Reine Marguerite de Valois à l’hôtel de Sens (eau-forte)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_1">1</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Henri III allant poser la première pierre du Pont-Neuf (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_17">17</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La rue de la Montagne-Sainte-Geneviève et Saint-Etienne du Mont, un jour de pèlerinage (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_33">33</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Ecoliers au Pilori de l’Abbaye de Saint-Germain (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_49">49</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Aux Cordeliers. Querelle de clubistes et sectionnaires (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_65">65</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les Cordeliers apprenant l’exercice (1588)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_81">81</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Dernière station aux Filles-Dieu des condamnés allant à Montfaucon (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_97">97</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La Saint-Barthélemy</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_113">113</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La porte de Nesle. La Noue essaie de passer la Seine lors de la tentative d’Henri IV sur Paris en 1589 (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_129">129</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La tête de la princesse de Lamballe promenée sous les fenêtres du Temple (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_145">145</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Au quartier des Ecoles (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_161">161</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Organisation du Conseil des Seize au collège Fortet</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_177">177</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le duc Jean sans Peur recevant Caboche et Capeluche à l’hôtel de Bourgogne (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_193">193</a><span class="pagenum"><a name="page_412" id="page_412">{412}</a></span></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le connétable de Clisson rapporté à son hôtel rue Vieille-du-Temple (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_209">209</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Réception d’hôtes importants à l’hôtel des abbés de Cluny (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_225">225</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le duc de Guise à la journée des Barricades (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_241">241</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les premières barricades au temps d’Etienne Marcel (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_257">257</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La recluse du cimetière des Innocents (lithographie)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_273">273</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">L’arrestation de Broussel</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_289">289</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Charlotte Corday conduite à la section de l’Abbaye</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_305">305</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Le duel de Bouteville-Beuvron sur la place Royale en 1627 (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_321">321</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Les boulevards de Paris sous le premier Empire</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_337">337</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La rue Quincampoix pendant le Système</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_353">353</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">La Butte des Moulins au <small>XVI</small>ᵉ siècle (couleur)</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_369">369</a></td></tr> +<tr><td class="pdd">Une fête à la Folie-Monceaux en 1787</td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_385">385</a></td></tr> +</table> + +<div class="figcenter" style="width: 180px;"> +<a href="images/illu-472.jpg"> +<img src="images/illu-472.jpg" width="180" height="350" alt="[Pas d’mage disponible.]" /></a> +<div class="caption"><p>MAISON RUE CROIX-DES-PETITS-CHAMPS</p></div> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_413" id="page_413">{413}</a></span>  </p> + +<p><span class="pagenum"><a name="page_414" id="page_414">{414}</a></span>  </p> + +<div class="footnotes"><p class="cb"><a name="NOTES" id="NOTES"></a>NOTES:</p> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_1" id="Footnote_A_1"></a><a href="#FNanchor_A_1"><span class="label">[A]</span></a> Les ogives du chœur de Saint-Martin des Champs seraient les +premières qu’on ait faites à Paris. (M. de Guilhermy et Ch. Normand.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_2" id="Footnote_B_2"></a><a href="#FNanchor_B_2"><span class="label">[B]</span></a> Au Louvre maintenant avec plusieurs autres de ces +mausolées.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_C_3" id="Footnote_C_3"></a><a href="#FNanchor_C_3"><span class="label">[C]</span></a> Bas-relief transporté à l’École des Beaux-Arts lors de la +démolition des Grands-Augustins.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_D_4" id="Footnote_D_4"></a><a href="#FNanchor_D_4"><span class="label">[D]</span></a> Suivant M. Piton dans ses études sur l’hôtel de la Reine et +le quartier des Halles.</p></div> +</div> + +<div class="figcenter"> +<a href="images/back.jpg"> +<img src="images/back.jpg" height="500" alt="[Pas d’image disponible.]" /></a> +</div> + +<hr class="full" /> +<div lang='en' xml:lang='en'> +<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>PARIS DE SIÈCLE EN SIÈCLE</span> ***</div> +<div style='text-align:left'> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +Updated editions will replace the previous one—the old editions will +be renamed. +</div> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright +law means that no one owns a United States copyright in these works, +so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United +States without permission and without paying copyright +royalties. 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Information about the Mission of Project Gutenberg™ +</div> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of +computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It +exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations +from people in all walks of life. +</div> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s +goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg™ and future +generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see +Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. +</div> + +<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +</div> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. 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Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +</div> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread +public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine-readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. +</div> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. 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