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+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75717 ***
+
+[Note du transcripteur : Ce document contient à la fois le texte et
+l'Atlas.]
+
+
+
+
+ L’ETBAYE
+
+
+ * * * * *
+ Paris. — Imprimerie de CUSSET et Ce, rue Racine, 26.
+
+
+ =L’ETBAYE=
+ PAYS HABITÉ PAR LES ARABES BICHARIEH
+ =GÉOGRAPHIE, ETHNOLOGIE=
+ MINES D’OR
+
+ PAR
+ LINANT DE BELLEFONDS BEY
+ ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DES TRAVAUX PUBLICS DE L’ÉGYPTE,
+ ANCIEN INGÉNIEUR EN CHEF DU CANAL DE SUEZ, ETC., ETC.
+
+ =accompagné=
+ D’UN ATLAS RENFERMANT UNE TRÈS-GRANDE CARTE
+ ET 13 PLANCHES IN-FOLIO LITHOGRAPHIÉES
+
+ * * * * *
+
+ =PARIS=
+ ARTHUS BERTRAND, ÉDITEUR
+ LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
+ RUE HAUTEFEUILLE, 21
+
+
+
+
+ PRÉFACE
+
+ * * * * *
+
+
+J’avais, depuis longtemps, en portefeuille toutes les notes relatives à
+mon voyage dans l’Etbaye, et, quoique mon intention fût toujours de les
+publier, jamais mes occupations ne m’avaient permis d’y pourvoir ; ce
+n’est que tout récemment que j’ai eu le loisir de mettre de l’ordre dans
+un travail ébauché sous la tente.
+
+Comme il y a déjà quelques années que ce voyage a été fait, l’on est en
+droit de penser que l’à-propos, qui pourrait donner une valeur à sa
+relation, n’existe plus ; cependant je prétends le contraire. Personne,
+avant moi, n’avait visité l’Etbaye, et personne, depuis moi, n’y a
+pénétré. Les Bicharieh n’ont rien changé à leurs mœurs, à leurs
+habitudes ; ils ne sont ni plus ni moins soumis, et leurs communications
+avec l’Égypte sont toujours les mêmes. C’est donc encore une relation
+nouvelle que celle que l’on va lire ; l’intérêt qu’elle comporte n’a
+point été amoindri.
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+ L’ETBAYE
+
+ * * * * *
+
+ PREMIÈRE PARTIE.
+
+ * * * * *
+
+
+Durant un des fréquents voyages que j’ai faits en Nubie, ou pays des
+Barabras, entre la cataracte d’Assouan et celle de Wadée[1] Alfa, je
+venais de quitter le Soli, temple de Daké, et je remontais le Nil à
+pleine voile, dans ma dahabiet, belle et grande barque, marchant
+parfaitement, lorsque nous fûmes tout à coup pris en travers par un
+très-fort courant qui nous jeta violemment sur la rive gauche du fleuve.
+
+Plusieurs fois nous revînmes, avec toutes nos voiles enflées par un bon
+vent, pour chercher à remonter plus haut, et forcer ce courant venant de
+la rive droite. Cela fut impossible ; alors je fis approcher un peu en
+aval du courant sur la rive droite pour descendre à terre afin d’aller
+examiner d’où provenait ce fort courant.
+
+C’était un impétueux torrent, très-rapide, qui déversait dans le lit du
+fleuve ses eaux très-chargées de parties argileuses et de sable.
+
+Cependant le temps était clair, serein, et du côté de l’est, d’où venait
+cette grande quantité d’eau, avec une grande vitesse, on n’apercevait
+pas le moindre petit nuage, rien qui indiquât qu’un orage considérable
+pût être la cause de la formation d’un tel torrent.
+
+Les Barabras, habitants d’un petit village voisin, étaient venus, comme
+moi, pour regarder cette eau jaune qui coulait en bouillonnant
+bruyamment sur les roches et les cailloux du ravin pour se précipiter
+dans le Nil.
+
+Le fleuve, qui était alors assez bas, avait ses eaux à peu près claires,
+et celles du torrent formaient, dans son cours, une zone jaune et
+boueuse, d’une rive à l’autre, en déclinant dans le sens du courant du
+fleuve.
+
+Parmi les habitants du village se trouvaient plusieurs Arabes Ababdieh
+et Bicharieh. Je leur demandai d’abord comment se nommait le petit
+village qui était là, ainsi qu’une espèce de ville fortifiée qui était
+ruinée et placée sur le revers d’une montagne au nord de l’endroit où
+nous étions. La forteresse se nomme Coubanne et le petit village ou
+hameau ainsi que le lit du torrent s’appellent Wadée Ollaki. Ce nom de
+Ollaki me rappela de suite un passage de Diodore où il est parlé de cet
+endroit, et aussi de grandes mines d’or que les anciens rois égyptiens
+faisaient exploiter par des criminels.
+
+Je demandai aussi aux Arabes Bicharieh d’où venait cette grande masse
+d’eau et où était le principe de cette Ouadée ou vallée de Ollaki ; ils
+me dirent que l’on pouvait marcher pendant _neuf jours et plus_,
+expression arabe, dans le lit du torrent pour arriver aux montagnes où
+il prend naissance, et que les orages qui éclataient quelquefois sur ces
+montagnes étaient la cause de cette quantité d’eau coulant ici.
+
+J’attendis tout le jour et tout le lendemain pour que les eaux
+s’écoulassent, et pour que je pusse visiter l’entrée de la vallée.
+
+En examinant tous les débris de roche apportés par les eaux, je trouvai
+beaucoup de morceaux de quartz, et, en examinant bien, je trouvai
+quelques petits cristaux d’or natif dans ces quartz.
+
+Je ne doutai plus un moment que ce lit de torrent ne conduisît aux
+anciennes mines égyptiennes dont Diodore et d’autres auteurs ont parlé,
+et l’Arabe Macrizi principalement.
+
+J’aurais bien voulu immédiatement entreprendre un voyage chez les
+Bicharieh ; mais cela ne put se combiner dans la circonstance où je me
+trouvais, parce que ce voyage au milieu de tribus qui n’étaient pas
+soumises au gouvernement égyptien, et qui au contraire lui étaient
+hostiles, demandait des précautions et des préparatifs peu ordinaires.
+
+Plus tard, lorsque je fus au service du gouvernement égyptien, causant
+un jour avec Méhémet Ali, ce prince me demanda ce que j’avais vu de
+curieux pendant mes voyages dans le Soudan et dans les déserts, et il
+insista pour savoir si je n’avais point rencontré des mines d’or ou
+d’autres métaux : naturellement je lui racontai ce qui précède, et
+j’ajoutai que, dans la partie rapprochée de la route de Corouscos à Abou
+Ahmed, route du désert, j’avais vu beaucoup de travaux d’exploitation
+considérables ; mais que, pour les mines des Bicharieh, tout ce que je
+savais, c’est que beaucoup d’historiens anciens en avaient parlé ; que
+sous le règne d’Ahmed ben Teïloun, soudan d’Égypte, un chef arabe de
+Syrie, nommé Abou Abd el haman el Omary, avait travaillé avec sa tribu à
+l’exploitation de riches mines ; qu’à cette époque il y avait une
+activité merveilleuse dans tout le désert, entre le Nil, depuis la
+hauteur d’Assouan à Berber, et la mer Rouge, et, qu’au dire des
+écrivains arabes eux-mêmes, ces mines n’avaient point été abandonnées
+parce qu’elles ne rapportaient pas assez ; mais à cause des guerres qui
+avaient eu lieu entre les différentes tribus de ces contrées. Ensuite,
+l’ignorance et la paresse des Arabes Bicharieh et Ababdieh les avaient
+empêchés de profiter des richesses de leur pays.
+
+Le vice-roi alors me demanda si je voulais aller faire une
+reconnaissance dans cette direction, et je m’empressai de saisir cette
+circonstance pour connaître des pays où personne encore n’avait pu
+voyager, excepté Bruce qui, en revenant de Chindi en Égypte, les avait
+traversés par la ligne directe d’un point à un autre, mais sous
+l’influence de la crainte qu’inspirait à sa caravane le nom redouté des
+Bicharieh.
+
+Je me rendis donc à Assouan pour organiser le voyage avec les Arabes
+Ababdieh, qui sont, au moins quelques-uns, alliés à des tribus
+Bicharieh.
+
+Un des Ababdieh les plus puissants était le chek Baraca ; son frère
+aîné, nommé Kralif, était cependant plus renommé. Lorsque Méhémet Ali
+eut l’intention de faire la conquête du Soudan, après avoir chassé les
+mamelouks du Caire, après les avoir poursuivis dans la haute Égypte et
+jusqu’à Dongolah où ils s’établirent, déjà à cette époque le chek Kralif
+était bien connu ; voici à quelle occasion :
+
+Lorsque Méhémet Ali fit au Caire le massacre des mamelouks, ceux qui
+étaient dans la haute Égypte, pensant qu’ils ne pouvaient résister aux
+forces du vice-roi et croyant qu’ils n’avaient aucune grâce à espérer,
+furent effrayés à l’approche d’Ibraïm Pacha qui remontait le Nil, et
+tous avec leurs serviteurs et leurs soldats, s’enfuirent dans le désert
+des Ababdieh et des Bicharieh en partant d’Assouan, où ils s’étaient
+réunis. Ils étaient environ trois cents chefs.
+
+Après la première journée de marche, les mamelouks vinrent camper dans
+le voisinage du puits d’Oum _Eubal_, et y restèrent quelque temps.
+
+Heureusement pour eux, cette année-là, il était tombé beaucoup de pluie,
+ce qui fit qu’ils trouvèrent abondamment de quoi faire paître leurs
+chameaux.
+
+Ibraïm Pacha, arrivé à Assouan, demanda tous les cheks des Ababdieh qui
+arrivèrent aussitôt à lui. Les plus considérables étaient : pour la
+tribu Ababdi des Foukara, le chek Neïmer[2], et son fils aujourd’hui
+chek Saad wed Neïmer, le chek Kralif de la même tribu, celui-ci avait
+usurpé le pouvoir de chek Saad wed Neïmer encore jeune, Abou Guebranne,
+chek de la tribu des Achabal, et plusieurs autres moins puissants.
+
+Ibraïm Pacha commença par faire à tout ces cheks des reproches amers sur
+ce qu’ils avaient fourni des vivres et des moyens de transport aux
+mamelouks, ce qui était cause qu’il ne pouvait les rejoindre et les
+combattre.
+
+Un seul des cheks ne nia pas le fait et vint hardiment devant Ibraïm
+Pacha : c’était le chek Kralif, homme intelligent et fier ; il lui dit
+qu’il était vrai qu’on avait fourni vivres et chameaux aux mamelouks, et
+que lui-même leur avait donné l’hospitalité, les avait nourris et
+conduits ; qu’ils étaient ses anciens amis et, par conséquent, qu’il
+avait dû les secourir dans leur adversité tant qu’ils étaient restés sur
+le territoire où il commandait ; mais qu’aujourd’hui, Ibraïm Pacha étant
+le vainqueur, et, selon ce que l’on disait, les mamelouks étant révoltés
+contre les volontés du sultan El Islam, il les forcerait bien à quitter
+le pays en ne leur portant plus de vivres.
+
+Ibraïm Pacha exigea que les Ababdieh conduisissent des troupes d’Arabes
+Mograbins, qui l’accompagnaient, à l’endroit où étaient les mamelouks.
+Effectivement, plusieurs Ababdieh montèrent à dromadaire et guidèrent
+les troupes jusqu’au puits d’Oum Eubal, dans le désert. Rendus là, les
+Ababdieh dirent aux Mograbins : Voila les mamelouks devant vous ; vous
+ne pourrez pas dire à Ibraïm Pacha que nous ne vous avons pas conduits
+où il a ordonné. Cependant, à l’approche des Mograbins, les mamelouks,
+qui étaient sur leurs gardes, avaient tout préparé pour leur départ ;
+ils avaient enfoui sous terre beaucoup de leurs effets, afin de pouvoir
+les retrouver ; ils avaient comblé le puits avec des pierres, de la
+terre, des branches d’arbres épineux et tout ce qu’ils avaient trouvé de
+plus encombrant Puis ils s’étaient rangés en bataille et avaient attendu
+l’ennemi ; mais celui-ci ayant hésité, ils étaient partis dans la
+direction de Dongolah pour s’y établir.
+
+C’est à dater de cette époque que le chek Kralif commença, avec l’appui
+du gouvernement turc, à devenir plus important. Plus tard, Méhémet Ali,
+qui l’avait apprécié, se servit de lui pour bien connaître le Soudan
+avant d’en entreprendre la conquête, et, vers l’année 1820, quand il
+envoya, dans ce pays, une espèce d’ambassade qui avait pour chef
+officiel un certain Mahamed Aga, l’âme de l’expédition était le chek
+Kralif, l’Ababdieh, intelligent, spirituel, puissant et considéré.
+
+Le chef de l’ambassade, après avoir visité toutes les différentes
+peuplades le long du fleuve et au Sennar, alla aussi à Cordofan et à
+Darfour, où il fut retenu sans jamais avoir pu obtenir la permission de
+retourner en Égypte. Chek Kralif revint et continua à être l’agent avoué
+ou secret du gouvernement égyptien.
+
+Il fut assassiné à Berber, par un gouverneur turc jaloux de son
+influence dans le pays. Son frère Baraca lui succéda[3]. C’est ce
+dernier qui devait m’accompagner dans le désert des Bicharieh.
+
+Il n’est jamais facile d’organiser avec les Arabes un voyage dans le
+désert ; mais pour faire ce voyage dans un pays où jamais voyageur n’a
+mis le pied, dans un désert où l’on doit rester peut-être plusieurs
+mois, où l’on ne trouve rien, et où, par conséquent, il faut tout
+emporter pour soi, et beaucoup pour donner aux Arabes que l’on
+rencontre, les difficultés s’accroissent considérablement. Lorsque je me
+mis en route, il n’avait pas plu depuis longtemps ; tous les puits,
+sources ou réservoirs étaient à peu près taris ; il fallait prendre des
+outres en plus grande quantité. Comme les Bicharieh chez lesquels nous
+allions n’étaient point soumis au gouvernement égyptien, mais lui
+étaient plutôt hostiles, il fallait prendre des précautions de défense
+contre les vagabonds ; quant aux cheks des tribus, nous savions que,
+patronés par le chek Baraca, tous nous recevraient fort bien.
+
+Il fallait donc faire de grandes provisions, et malgré toutes mes
+observations, mon opposition même, je dus consentir, d’après les
+instances du gouverneur turc d’Assouan, personnage influent, d’après
+celles de quelques cheks arabes, à prendre une escorte. On voulut me
+donner des soldats turcs et mograbins, ce à quoi je me refusai de tout
+mon pouvoir, sachant bien que ce serait une fort mauvaise recommandation
+pour les Bicharieh, et que cela me causerait toute espèce de
+désagréments ; je ne voulus prendre que des Arabes Ababdieh et
+Bicharieh.
+
+Nous avions donné rendez-vous à plusieurs cheks des Bicharieh à Abou
+Ahmed, point, sur le Nil, où l’on arrive, étant parti de Corouscos,
+après huit à neuf journées de désert, ou bien point duquel l’on part
+pour venir à Corouscos et à Assouan afin de ne pas faire, en suivant le
+cours du fleuve, ce grand détour que le Nil fait en coulant dans le pays
+des Chakieks, de Dongolah, de Mahos, de Soccott pour arriver enfin à
+Wadée Alfa, d’où il coule presque directement vers le nord.
+
+Ce rendez-vous fit que nous dûmes, avant de nous interner tout à fait à
+l’est, chez les Bicharieh, remonter jusqu’à Corouscos, et de là
+traverser le désert, que d’ailleurs je devais aussi visiter.
+
+Je laissai donc la caravane faire sa route par terre, et je remontai en
+barque jusqu’à Corouscos.
+
+Ce point est devenu important à cause des caravanes qui vont et viennent
+sans cesse ; c’est la route la plus directe pour les communications
+entre le Soudan et l’Égypte ; cependant Corouscos n’est qu’un pauvre
+hameau où il y a seulement une construction en terre servant de magasin
+au gouvernement et des cahuttes servant de demeures aux Arabes.
+
+Nous terminâmes tous nos préparatifs, nos provisions d’eau, et enfin
+nous quittâmes les bords du fleuve pour prendre le désert.
+
+En partant de Corouscos, on passe, par une gorge étroite, au travers la
+chaîne de montagnes qui borde le fleuve. C’est le lit du torrent nommé
+Wadée Corouscos. On remonte ce ravin sur un terrain de cailloux et de
+sable. Les montagnes qui bordent la route sont peu élevées, isolées les
+unes des autres et de formes coniques. Leur formation est du grès
+moderne stratifié horizontalement ; elles sont dénudées.
+
+Les Arabes qui voyagent dans le désert ont donné des noms à tous les
+lieux un peu remarquables. Ainsi, par exemple, à environ deux lieues et
+demie de Corouscos, la vallée que l’on suit est resserrée entre deux
+rochers, et ce point étant élevé, on peut voir, du côté du couchant, les
+montagnes qui se trouvent de l’autre côté du fleuve ; c’est une grande
+joie pour les voyageurs venant du désert qui voient que dans peu de
+temps ils arriveront au Nil et pourront boire à volonté l’eau douce et
+bienfaisante dont ils ont été privés depuis plusieurs jours. Ce lieu se
+nomme Choroffa, qui veut dire ici _lieu élevé_ duquel l’on découvre au
+loin le pays.
+
+La végétation est fort rare dans cette partie ; l’on y voit quelques
+mimosas gommiers très-rabougris et peu de plantes.
+
+Pour voyager commodément dans le désert, il faut pouvoir marcher
+séparément des chameaux de charge, leur pas est fatigant et sa monotonie
+vous ennuie ; il faut avoir de bons dromadaires et surtout de bonnes
+selles bien organisées, bien posées ; c’est une étude à faire, et
+l’expérience seule, en imitant et améliorant ce que les Arabes font,
+vous conduit à être parfaitement sur le dos de ces animaux ; il faut
+aussi avoir des guides intelligents : alors vous laissez marcher votre
+caravane, vous partez après elle ou avant, vous vous arrêtez où vous
+voulez, vous vous détournez de la route directe et vous rejoignez
+toujours vos bagages au lieu du campement de nuit, ou au lieu du repos
+du jour. Avec des gens à dromadaires, vous accompagnant, vous avez
+toujours de la bonne eau que l’on va prendre à droite ou à gauche de la
+route, à des puits ou des sources, mais le plus souvent à des réservoirs
+formés naturellement dans les rochers des ravins, où les pluies en
+tombant forment des bassins très-souvent bien remplis.
+
+Les Arabes qui conduisent des caravanes ordinaires, avec des chameaux
+loués au voyage pour se rendre directement d’un point à un autre, ne se
+dérangent jamais du droit chemin pour que les personnes qu’ils
+conduisent trouvent de la bonne eau ; ils ne leur font connaître que les
+puits qui sont sur la route, qu’ils soient d’eau douce ou bien d’eau
+bonne seulement pour les chameaux. En parlant la langue du pays, en
+causant avec les guides, les Arabes que l’on rencontre, vous évitez
+cela ; car il n’y a pas de route auprès de laquelle, en vous détournant
+un peu, vous ne trouviez des plantes pour faire manger les chameaux et
+de l’eau pour votre usage. Sur la route des caravanes généralement, tout
+est brouté, tout est tari.
+
+Après avoir passé l’endroit nommé Choraffa, l’aspect de la route est le
+même ; c’est un sol sablonneux, sans végétation, par-ci par-là, à des
+distances fort grandes, un mimosa de l’espèce des gommiers, ou bien
+mimosa Sihalé à écorce et fleurs blanches, et très-rabougri, donne
+encore plus de tristesse à ce désert.
+
+A environ cinq heures de marche de chameaux, l’on rencontre quelques
+mimosas, et sur une roche de grès les empreintes de deux animaux, bœufs
+ou vaches, dont le dessin n’est pas trop mauvais ; ils ont de grandes
+cornes comme l’on en voit seulement aux bœufs d’Abyssinie.
+
+Un peu plus loin, toujours dans la même vallée où passe la route, est un
+rocher qui donne de l’ombre et sert d’abri aux voyageurs. On le nomme
+Ogab el Gamous, _lieu de repos des vaches ou des buffles_, parce qu’un
+Arabe étant parti de Corouscos avec des buffles, pour les conduire dans
+le Soudan, et s’étant reposé à l’ombre de ces rochers, ses buffles y
+moururent tous.
+
+Une citerne a été creusée dans ce rocher, sous le gouvernement de
+Méhémet-Ali ; elle est toujours sans eaux, les pluies étant extrêmement
+rares dans cette localité.
+
+Toujours en continuant la même route, dans un terrain sablonneux parsemé
+de monticules et de petites montagnes séparées les unes des autres et
+toutes de formation de grès, après sept heures de marche, de l’endroit
+où sont les vaches dessinées sur les rochers, l’on arrive à un lieu
+nommé Ogab el Mâra ou encore Ogab el Quelb, _lieu de repos de la femme
+ou du chien_. C’est encore un rocher de grès dans lequel est une caverne
+naturelle où l’on peut se mettre commodément à l’ombre et où l’on a
+creusé une citerne, qui aussi n’a presque jamais d’eau.
+
+En partant de ce lieu le terrain est le même, seulement il est plus uni,
+et semble plus solide, parce qu’il laisse voir quelques pierres. Le
+sable reparaît non loin de là, près d’un endroit nommé El Houchar[4].
+C’est un grand spécimen de cette famille qui a donné son nom à la
+localité ; il est immense, en effet, et sa belle végétation bien verte,
+fait présumer que si l’on creusait dans ce lieu l’on y trouverait de
+l’eau.
+
+Tous les sables environnants sont couverts de végétation lorsqu’il
+pleut ; malheureusement cela est rare, et l’on ne voit, le plus souvent,
+que les petites buttes formées par les racines des plantes contre
+lesquelles le sable vient s’accumuler.
+
+Plus loin, le pays est plus découvert, et enfin l’on arrive, après vingt
+et une heures et demie de marche, depuis Corouscos, à l’endroit nommé
+Bab el Corouscos, ce qui veut dire porte et défilé, ouverture de
+Corouscos.
+
+Cet endroit est effectivement une ouverture, un défilé dans la chaîne
+qui s’étend du sud-sud-ouest au nord-nord-est, entre le fleuve et le
+grand désert, comme une ligne de démarcation. Il n’y a que trois routes,
+au travers cette chaîne de montagnes, qui permettent d’arriver au
+fleuve, en venant d’Abou Ahmed : celle de Corouscos, celle de Gallat
+Addé et celle de Siboh. En partant du Nil, il est facile de se
+reconnaître, mais lorsque l’on vient du désert, cela est beaucoup plus
+difficile ; toutes les montagnes se ressemblent. Quand le temps n’est
+pas bien clair, on se trompe facilement, car rien n’indique le chemin
+que l’on doit prendre ; les traces des caravanes se perdent sur le sable
+au moindre petit vent, et si celui du sud souffle, si le sable est
+soulevé, à moins d’avoir un guide bien expérimenté l’on risque beaucoup
+de se perdre parmi ces innombrables petites montagnes en forme de cônes.
+
+En partant de Bab el Corouscos, on a devant soi une grande étendue de
+sable assez ferme, et à l’horizon, à une grande distance, les montagnes
+bleuâtres de Raft qui apparaissent au-dessus du sable jaune de la
+plaine.
+
+Cette plaine n’est pas unie ; elle est coupée par des vallées qui ont un
+lit et une pente où coulent les eaux quand il pleut.
+
+La première que l’on traverse se nomme Bhar Bella Mâh ; elle se perd
+dans une autre grande vallée qui coule du sud au nord, nommée Gabgabba ;
+celle-ci a son principe à l’est d’Abou Ahmed et vient se jeter dans
+l’Ouadée Ollaki un peu avant que celle-ci ne se perde dans le Nil.
+
+Le Barh Bella Mâh offre, comme beaucoup d’autres vallées, un lit, ce qui
+est commun dans le désert, où, quand il pleut, les eaux forment un
+écoulement ; mais de son nom, quoique Bhar signifie fleuve et mer en
+même temps, et Bella Mâh, sans eau, il ne faut pas conclure ou déduire
+que c’est le lit d’un fleuve desséché. Dans tous les déserts il y a des
+lieux qui portent ce nom, et souvent les voyageurs ont voulu reconnaître
+les traces d’anciens fleuves inconnus qui coulaient dans ces contrées,
+fleuves desséchés aujourd’hui ou ayant changé leur cours, ce qui est
+tout à fait erroné, à moins qu’on ne veuille faire remonter ces cours
+d’eau aux époques géologiques les plus reculées. Dans le Barh Bella Mâh
+on a voulu creuser un puits, il n’a pas réussi.
+
+A cinq heures de Barh Bella Mâh, dans le S. 1/4 S.-O., l’on voit un
+autre bas-fond au sommet duquel, vers le sud, se trouvent des tombeaux
+musulmans qui sont ceux de soldats égyptiens tués par les Bicharieh lors
+de l’expédition de la conquête du Soudan par Ismaïl Pacha, fils de
+Méhémet-Ali. Auprès de ces tombeaux est une roche isolée nommée Onni Gad
+(_la Mère Station_.) C’est une masse de grès percée naturellement, ce
+qui forme une grande caverne, ouverte de deux côtés, où les voyageurs,
+fatigués d’avoir parcouru les plaines de sables environnantes, trouvent
+ombre et fraîcheur.
+
+En continuant à marcher au sud-sud-est l’on traverse une plaine remplie
+de cailloux et parsemée de petites hauteurs rocheuses, puis ensuite une
+plaine de sable ferme qui va en pente vers le sud. On traverse aussi une
+dépression du sol formant une vallée qui, comme Bhar Bella Mâh, se
+dirige à l’est et va se perdre dans celle de _Gabgabba_ : on la nomme
+_Barh el Attab Arreiane_ à cause d’une montagne assez élevée qui se
+trouve sur le bord de cette vallée, à l’est de la route, et qui porte ce
+nom ; une autre, à l’ouest de celle-ci, par opposition, est nommée
+_Gebel attab el Attchane_.
+
+Dans toute cette plaine, autour des petits monticules de grès qui y sont
+parsemés, le sol est couvert de pierres noires comme des scories,
+sonnantes comme du métal, l’on en trouve de rondes qui sont creuses et
+remplies d’un sable blanc, très-fin, et quelquefois d’un sable rouge,
+donnant une belle couleur d’ocre. Tous ces cailloux contiennent du fer
+et de la silice ; quant à leur formation, elle semble être celle d’une
+matière en fusion jetée d’une certaine distance dans l’eau ou dans un
+centre humide, comme lorsqu’on jette du plomb en fusion pour faire de la
+grenaille ; puis en roulant sur des sables fins ou des terres très-
+fines, ils ont pu amasser différentes matières dans leur centre. On
+trouve aussi dans ces boules, au lieu de sable blanc ou rouge,
+quelquefois des cristallisations siliceuses d’une grande pureté.
+
+Enfin, après avoir marché, en faisant différentes haltes, environ dix-
+neuf heures depuis Bab el Corouscos, nous nous trouvâmes au pied du
+groupe des montagnes de _Raft_, et traversant les ravins de Oumriche et
+de Tellat el Gindi[5] nous nous arrêtâmes dans celui de Souffour[6].
+
+Le ravin de Tellat el Gindi est rempli de beaux mimosas gommiers dont
+l’aspect vert et frais réjouit la vue.
+
+Ce ravin est renommé, dans tout le pays, à cause d’un certain Arabe
+nommé Issé qui a été, disent les Turcs, un grand voleur, un brigand, et
+que les Arabes, au contraire, citent comme un brave et un grand homme.
+Son histoire fait connaître le caractère des Barabras qui se disent
+d’origine arabe ababdi Bicharieh.
+
+Le nommé Issé était tout simplement _ageïr_, ce qui veut dire courrier à
+dromadaire, au service du gouvernement égyptien, portant la
+correspondance d’un lieu à un autre. Il dépendait d’un certain Méhémet
+Aga, chef de Wadée Alfa. Celui-ci voulut, un jour, s’approprier un
+excellent dromadaire auquel son subordonné était très-attaché ; de là
+une dispute qui se termina à l’avantage du plus fort. Le subordonné
+perdit son dromadaire et fut, en outre, roué de coups.
+
+Issé n’était pas homme à supporter un pareil traitement, comme eût pu le
+faire un Égyptien. Il fait le malade, afin de n’inspirer aucune
+méfiance, puis, une belle nuit, ayant trouvé le moyen de s’emparer de
+son dromadaire, il s’enfuit de Wadée Alfa. Non content de cela, il va
+trouver ses parents, ses amis, il les excite contre les Turs, contre
+Méhémet Aga surtout, il tombe avec eux sur l’habitation du gouverneur,
+pille les magasins du gouvernement, prend tous les dromadaires qu’il
+trouve, et, avec ses gens et son butin, s’enfonce dans le désert, où il
+s’installe en Bédouin, mais principalement en ennemi de tout ce qui est
+Turc.
+
+Quelque temps après, Issé, qui était en relation d’amitié avec beaucoup
+de monde, apprit qu’un certain Malem Anné, Copte de religion et
+administrateur dans le gouvernement de l’Égypte, revenait du Soudan avec
+beaucoup d’or et d’argent, produit des onéreuses contributions levées à
+Sennar, Chindi, Berber, etc. Il alla à Soccot, sur le Nil, épier son
+passage, surprit le convoi et massacra les soldats turcs qui
+l’accompagnaient, laissant les Égyptiens et le Copte continuer leur
+route fort allégés, il est vrai, mais convaincus qu’Issé n’en voulait
+qu’aux Turcs, à ce qui était à eux, et qu’il les poursuivrait de sa
+vengeance tant qu’il le pourrait.
+
+Après ce fait il descendit plus bas que Wadée Alfa dans un village où
+commandait un caymacam turc, lui enleva en plein jour, devant sa maison,
+ses deux chevaux et un dromadaire qui étaient tous au piquet, et
+retourna dans ses montagnes.
+
+Ce caymacam furieux de ce qui venait d’être commis à son endroit,
+rassembla, de son autorité privée, beaucoup d’Arabes à dromadaires et
+quelques soldats turcs, puis se mit à la poursuite d’Issé en suivant sa
+piste qui était facile à reconnaître. Ils ne le rejoignirent qu’à la
+montagne de Semmée au-dessus de Wadée Alfa. Ce fut à la tombée de la
+nuit, et en suivant toujours les traces de ses chevaux volés, traces qui
+étaient très-visibles, que le caymacam et sa troupe s’engagèrent dans un
+défilé, lit d’un torrent à sec, fort étroit et encaissé dans de hautes
+montagnes. Issé savait fort bien que les Arabes qui accompagnaient le
+caymacam ne le trahiraient pas et il était assez tranquille. Comme
+précaution il avait placé une sentinelle d’un genre nouveau et tout à
+fait inconnu ailleurs. Dans l’endroit le plus étroit du ravin il avait
+fait laisser, agenouillé et bien lié, un dromadaire malade. Cet animal a
+pour habitude, quand il est dans cet état, malade ou blessé, de crier si
+on l’approche, et c’étaient ces cris sur lesquels Issé comptait pour
+être averti si quelqu’un approchait. Mais le guide[7] du caymacam, qui
+conduisait l’avant-garde arabe de l’expédition, connaissait cette ruse,
+et s’il n’avait pas été un ami d’Issé, celui-ci, malgré sa prévoyance,
+eût été surpris. Il fit faire halte loin du chameau en disant qu’il
+irait seul à la découverte. En effet, après un assez long détour, et,
+après avoir marché quelque temps au fond de l’étroit ravin, il parvint à
+un élargissement entouré de hautes montagnes, c’est là qu’Issé était
+campé près d’un puits qui lui fournissait de l’eau. Sa troupe, composée
+de dix hommes, l’entourait ; les deux chevaux du caymacam étaient
+attachés près de sa tente. Abd el Kérim, c’était le nom du guide,
+s’approcha tout tranquillement ; Issé, de son côté, ne laissa paraître
+aucune surprise. Les Arabes, comme tous les hommes qui vivent au désert,
+de quelque race qu’ils soient, ont presque tous les mêmes habitudes, les
+mêmes mœurs, et, sous bien des rapports, les Arabes Bicharieh, Ababdieh
+et les Nubiens ont de la ressemblance avec les Peaux-Rouges d’Amérique.
+
+Abd el Kérim représenta à Issé qu’il lui était impossible de continuer
+la vie qu’il menait, que tôt ou tard il serait pris, que, même dans ce
+moment, il était bien près de l’être ; car il lui paraissait impossible
+qu’il pût se tirer du mauvais pas où il se trouvait, puisqu’il n’avait
+aucun chemin pour s’échapper, que les Turcs étaient en grand nombre,
+sans compter les Arabes qui étaient à leur solde, et qu’enfin il agirait
+sagement en rendant les deux chevaux et le dromadaire, ce qui ferait
+qu’on le laisserait paisiblement aller où il voudrait. Mais Issé se
+révolta à l’idée de se soumettre à la volonté d’un Turc, il refusa de
+rendre les objets volés, repoussa même tout arrangement, et le guide Abd
+el Kérim fut forcé de retourner vers le caymacam.
+
+Alors les Turcs s’avancèrent dans le ravin ; mais ce ne fut qu’une
+démonstration, ce qui avait été prévu arriva, aucun des Arabes ne les
+suivit, et peu confiants dans leurs propres forces, craignant d’ailleurs
+une trahison, ils revinrent sur leurs pas en faisant beaucoup de
+reproches aux indigènes stipendiés par le gouvernement égyptien. Ceux-ci
+pour se justifier prétendirent qu’ils avaient reconnu qu’Issé avait des
+forces bien supérieures aux leurs, qu’il fallait garder le défilé et
+envoyer chercher du renfort. Un tel avis, s’il était suivi, devait
+fournir à Issé le temps de s’échapper, c’était visible. On fit autre
+chose : des chameaux, appartenant à Issé, paissaient dans une gorge
+voisine, l’on s’en empara avant la nuit, et l’on prit de bonnes
+positions. Le lendemain, au point du jour, les Turcs assistèrent, de là,
+au défilé de la petite troupe qu’ils avaient cru cernée, et qui
+s’échappait par les escarpements d’un ravin ; ils lui firent l’honneur
+de quelques coups de fusil et reprirent la route de Wadée Alfa. Issé
+alla s’installer dans les montagnes que l’on voit à Gallat addé sur le
+Nil.
+
+Il fut encore question de le poursuivre : c’est alors qu’il s’interna
+tout à fait et vint s’établir à la montagne de Raft, auprès du ravin de
+Tellat el Gindi. Effectivement je vis là les restes de son campement ;
+il avait fait avec des pierres sèches un retranchement avec des
+crénelures pour les fusils. Issé était parfaitement posé, il était sur
+la route des caravanes venant du Soudan en Égypte ou bien se rendant
+d’Égypte à Berber et Khartoum, et il pouvait fusiller les Turcs en
+restant à couvert ; il pouvait même, au besoin, s’enfuir dans les ravins
+de la montagne où l’on ne pouvait le poursuivre, et il avait à proximité
+les eaux des réservoirs d’Oum Riche dont il empêchait l’approche à ceux
+qui avaient un besoin indispensable d’y puiser, ce qui le rendait
+entièrement maître de leur sort.
+
+Issé resta fort longtemps dans ce lieu, il s’emparait de tout ce qui
+appartenait au gouvernement, dans les caravanes qui traversaient le
+désert, tuant sans pitié les Turcs pour assouvir sa vengeance ; mais
+jamais ne touchant à ce qui appartenait aux négociants ou aux gens du
+pays, au contraire, il traitait ce monde avec bienveillance, lui
+fournissait de l’eau et même des vivres s’il en avait besoin.
+
+Au bout de quelques mois Issé et sa troupe, ayant acquis beaucoup de
+richesses revinrent aux abords du fleuve et s’établirent aux environs de
+_Gallat Addé_.
+
+Les Turcs ayant appris cela et désirant aussi se venger, assemblèrent à
+Assouan et à Corouscos beaucoup d’Arabes et tous les soldats dont ils
+pouvaient disposer. Ils firent prévenir le gouverneur de Wadée Alfa, de
+telle sorte qu’Issé devait se trouver pris entre deux troupes, l’une
+venant d’en bas et l’autre d’en haut. Mais les Arabes l’avertirent, et
+il rentra dans les montagnes du désert.
+
+Pendant plusieurs jours, l’on suivit sa piste, comme celle du gibier que
+des chasseurs poursuivent. Le soir l’on campait, et l’on était fort
+étonné le lendemain matin, après s’être remis en marche, de rencontrer,
+à peu de distance, le campement où Issé avait passé la nuit.
+
+Si les Turcs eussent été seuls, s’ils ne se fussent pas adjoint des
+Arabes, Issé et les siens, très-facilement, auraient pu les attaquer,
+trouer leurs outres à eau, enlever leurs chameaux, et les laisser mourir
+de soif et de faim ; mais ils ne voulaient pas compromettre leurs
+compatriotes et leurs amis envers le gouvernement qu’ils servaient.
+
+Enfin, en suivant toujours les traces de la troupe qui leur échappait
+toujours, les chasseurs, puisque j’ai déjà émis ce terme de comparaison,
+arrivèrent près de Corouscos ; ils apprirent là que leur gibier, qui
+avait visité le Nil, était alors campé, à peu de distance, dans une
+petite vallée du désert d’Abou Ahmed. Sûrs, cette fois, de le
+surprendre, ils se remirent en marche après avoir renouvelé leurs
+provisions d’eau et de vivres.
+
+Les Turcs sont courageux jusqu’à la témérité ; mais ils ne sont pas
+prévoyants. Ils entrèrent dans un défilé étroit dont les deux parois
+étaient fort escarpées ; or à peine y furent-ils engagés qu’une grêle de
+balles les assaillit. Ne pouvant se défendre contre des ennemis cachés
+dans les pierres, ne pouvant non plus monter pour les joindre, ils
+prirent la fuite immédiatement, non sans laisser bon nombre d’entre eux
+dans le ravin ainsi que plusieurs chevaux. Issé leur avait tendu ce
+piége.
+
+Depuis cette affaire on le laissa tranquille, et il vécut paisiblement
+avec les autres Arabes qui restent tantôt sur les bords du Nil et tantôt
+dans le désert, lorsque quelques pluies tombent dans cette contrée et
+donnent au sol assez d’humidité pour produire des pâturages, ce qui est
+alors une raison de bonheur pour tous.
+
+Issé était un petit homme, grêle, fort leste, à l’œil pétillant
+d’intelligence et très-hautain. Je l’ai connu et j’ai été en négociation
+avec lui ; voici comment :
+
+Lorsqu’il était campé aux environs de Gallat Addé, j’étais en Nubie
+entre Assouan et Wadée Alfa, près d’Abou Semboul, et par conséquent peu
+loin de Gallat Addé.
+
+Souvent les autorités turques m’avaient parlé d’Issé qu’ils appelaient
+le voleur. Ils désiraient tous qu’il fît sa soumission au gouvernement ;
+car l’on était toujours sur le qui-vive à cause de lui. Ses amis les
+Arabes désiraient aussi qu’il fît sa soumission, afin qu’on lui
+pardonnât le passé et qu’il fût, pour l’avenir, à l’abri d’une surprise.
+Plusieurs cheks importants de ma connaissance m’avaient chargé
+d’intercéder, et, de mon côté, j’étais persuadé que si je conduisais
+Issé au vice-roi, il serait pardonné. Il s’agissait de l’amener à faire
+une démarche ; je me décidai à aller le trouver.
+
+Les chefs Barabras de Deïr, qui sont les chefs du pays, me promirent de
+me faire conduire ; ils me donnèrent pour guide, justement, cet Abd el
+kérim qui, dans une expédition avait conduit les Turcs à la poursuite
+d’Issé, et dont j’ai parlé plus haut. On voulait me donner aussi une
+escorte, je n’en voulus aucune, et je partis seul avec mon guide, tous
+deux montés sur d’excellents dromadaires dont j’étais le propriétaire.
+Nous arrivâmes le soir au campement d’Issé : c’était un lieu très-
+difficile à trouver dans les gorges des montagnes, à l’est de Gallat
+Addé, mais un lieu où Issé pouvait parfaitement se défendre contre des
+forces bien supérieures aux siennes et d’où, par des sentiers connus de
+lui seul, il pouvait s’échapper facilement.
+
+Soit qu’il fût prévenu de notre arrivée, soit qu’il ne fût pas gardé,
+nous parvînmes jusqu’à l’intérieur du campement comme si nous en
+eussions fait partie ; nous descendîmes de nos dromadaires, les
+attachâmes, et nous nous dirigeâmes vers la seule tente qu’il y eût,
+toute la troupe étant établie sous des rochers pour avoir leur ombre
+durant le jour.
+
+Certes, une personne qui n’aurait pas connu les usages des Arabes de ce
+pays eût été fort étonnée et peut-être fort embarrassée d’une réception
+de ce genre.
+
+J’entrai le premier dans la tente en saluant du salut arabe ordinaire.
+Issé se lavait les mains pour se mettre à manger ; il leva la tête, me
+regarda, me rendit mon salut et me dit de m’asseoir comme il aurait fait
+avec le premier bédouin venu. Cependant à ma figure, à mon costume
+arabe, il est vrai, mais plus propre que ceux qu’il avait sous les yeux,
+il devait bien s’apercevoir que j’étais un étranger. Je craignis un
+moment qu’il ne me prît pour un Turc déguisé. En réfléchissant, je vis
+bien que c’était une comédie qu’il jouait, et je la jouai aussi de mon
+côté. Nous restâmes quelque temps à nous regarder, nous allumâmes nos
+pipes sans prononcer une parole. On apporta le dîner et, à sa
+composition, je fus confirmé dans mon idée première, c’est que j’avais
+été annoncé ; car il y avait un mouton entier rôti, ce qui est toujours
+le mets des étrangers que l’on veut bien recevoir. Nous mangeâmes
+beaucoup et nous parlâmes de choses insignifiantes ; l’usage arabe étant
+de n’adresser aucune question indiscrète à son hôte, pas même pour lui
+demander qui il est, d’où il vient, où il va, ni ce qu’il veut. Issé ne
+me demanda rien, et je me gardai bien de faire autrement que lui.
+
+Après avoir dîné, nous fumâmes et nous prîmes le café ; la politesse
+permettait alors de se lever. Ce fut Issé qui sortit de la tente, pour
+moi, ne sachant où aller, j’y restai ; mais je m’attendais à ce qui
+allait se passer. Effectivement, bientôt Issé rentra avec empressement,
+vint à moi, m’embrassa et me fit ses excuses de sa pauvre hospitalité,
+disant : qu’il n’avait pas su, lorsque j’étais entré, qui j’étais, mais
+que mon guide venait de le lui apprendre, qu’il me connaissait depuis
+longtemps et m’avait vu même plusieurs fois, lorsqu’il était courrier à
+dromadaire, en m’apportant des lettres, qu’il avait souvent désiré me
+voir chez lui, qu’il avait espéré me rencontrer dans le désert et
+qu’enfin il était bien heureux de me recevoir sous sa tente.
+
+La glace était rompue et nous passâmes une grande partie de la nuit à
+causer. Je voulus entamer la question qui m’amenait près de lui ; mais
+il me fit signe de me taire, et, tout bas, il me dit que nous causerions
+de cela plus tard, dans un lieu où personne ne pourrait nous entendre.
+
+N’ayant plus rien à dire, et le besoin du repos se faisant sentir, nous
+nous installâmes, Issé et moi, en plein air, chacun sur une peau de
+mouton, sans autre abri que le ciel du désert dont la limpidité est
+inconnue en Europe, sans autre perspective que la silouette des
+montagnes en partie éclairées par la lune que nous ne voyions pas
+encore. Le calme était profond, nous nous endormîmes paisiblement.
+
+Au petit jour, tout le camp était sur pied. Issé m’engagea, après avoir
+pris plusieurs cafés, à faire le tour de son campement qui n’était ni
+brillant, ni curieux à aucun titre ; peu à peu nous nous en éloignâmes,
+et, étant montés sur un rocher isolé, nous nous assîmes l’un près de
+l’autre.
+
+Je sais, me dit-il, pourquoi tu es venu me trouver, je te fais mille
+remercîments à cause de tes bonnes intentions ; mais j’ai une telle
+haine pour tout ce qui est Turc que je ne pourrais jamais la vaincre. Ce
+n’est pas seulement à cause de l’outrage sanglant que m’a fait le
+gouverneur de Wadée Alfa ; non ! avant cet événement, déjà l’on avait
+pillé les dattiers de ma famille, l’on avait emporté moutons et
+chameaux, sous prétexte de contributions. Quoique je sache fort bien que
+d’un moment à l’autre je peux être trahi par un des miens que l’on
+gagnera pour de l’argent, j’aime mieux rester libre jusqu’à ma dernière
+heure dans mes montagnes, où je ne serai jamais pris vivant.
+
+Je fis à Issé une foule de raisonnements qui parurent l’ébranler ; je
+lui dis qu’après avoir fait sa soumission à Méhémet Ali, il serait libre
+de vivre soit au service, soit de sa vie indépendante sans être
+continuellement exposé à être poursuivi, pris et traité comme un
+malfaiteur.
+
+Enfin, après avoir passé toute la journée à discuter, il fut convenu que
+le lendemain il partirait avec moi et que je le conduirais moi-même où
+se trouvait le vice-roi. Il passa la nuit en préparatifs.
+
+De mon côté, je réfléchis beaucoup à la démarche que je venais de faire.
+Je savais fort bien que tant que je serais avec Issé il ne lui
+arriverait rien de fâcheux ; mais si je ne le conduisais pas moi-même,
+si je ne le ramenais pas dans son pays, confiant dans la parole qu’on
+lui aurait donnée, il pouvait, d’autant mieux, tomber dans quelque piége
+que des fonctionnaires subalternes lui dresseraient ; c’était une grosse
+responsabilité.
+
+Mais il n’était plus temps de faire des réflexions, et je me promis bien
+de prendre toutes les précautions possibles, de faire intervenir même
+les consuls, afin qu’Issé fût tout à fait en sûreté. Je ne craignais
+rien pour lui des autorités supérieures ; mais je craignais tout d’un
+soldat Albanais ou d’un caymacam de village.
+
+Tout s’était bien passé ; nos montures étaient prêtes et nous allions
+partir pour nous rendre au Nil et à ma barque. Issé était soucieux, il
+ne parlait ni à moi, ni à ses gens, ni même à ses parents. Dans le
+campement les femmes faisaient entendre de petits cris comme à
+l’approche d’un malheur. Tout le monde semblait consterné ; mais pas un
+mot, pas même un signe de mécontentement ne fut dirigé contre moi.
+
+Tout à coup Issé me regarda, donna un coup de pied à son dromadaire sur
+lequel il allait monter, et l’obligea de s’éloigner ; puis, d’un air
+bien déterminé, il vint à moi, me prit les mains avec effusion, et
+s’exprima ainsi : J’ai entière confiance en toi, je sais que tant que
+nous serons ensemble je n’aurai rien à craindre. Pardonne-moi de t’avoir
+dit hier que je te suivrai ; encore cette nuit je pensais cela
+faisable ; la réflexion m’a persuadé que c’était impossible. Les Turcs
+n’ont pas de parole avec des gens comme moi, ils sont perfides
+d’ailleurs, et j’ai tellement horreur d’eux, que je ne puis songer à me
+trouver en leur présence sans être dans une excitation affreuse. Laisse-
+moi et abandonne-moi à mon sort ; Dieu veillera sur moi.
+
+Il n’y avait pas à insister ; je promis à Issé mon amitié, quand même,
+et je repris seul la route de l’Égypte.
+
+Revenons à notre campement du ravin de Souffour que nous devions occuper
+quelque temps pour visiter le groupe des montagnes de Raft.
+
+Nous nous installâmes donc sous de beaux mimosas verts et en fleurs. Le
+nom de Souffour a été donné à ce lieu à cause de la présence de certains
+petits mamelons, de formation granitique, qui sont recouverts d’une
+terre argileuse rouge et jaune, tandis que tout ce qui tient à la masse
+de la montagne est de couleur noirâtre.
+
+De ce côté, son élévation n’est pas grande, si l’on en excepte quelques
+points. Les ravins ont leurs parois à pic, et les roches qui les forment
+sont de différentes formations volcaniques et offrent, comme les
+basaltes, des stratifications verticales.
+
+Dans tous ces ravins l’on trouve de l’eau après les pluies, ce qui est
+un grand bien pour les voyageurs qui le savent ; mais il est très-
+difficile d’en approcher, et l’on ne peut abreuver les chameaux qu’en
+descendant des outres pleines jusqu’à l’endroit où le mauvais chemin
+force ces animaux à s’arrêter ; cependant, depuis que Méhémet Ali a fait
+creuser l’ancien puits de Souffour qui, lorsqu’il pleut, devient un
+large réservoir, l’on a bien plus de facilités.
+
+Ce groupe de montagnes est isolé, il ne se rattache à aucune chaîne
+déterminée, mais seulement il tient, par des ramifications très-peu
+marquées, à d’autres groupes semblables.
+
+La montagne de Raft est bouleversée dans tous les sens, entrecoupée de
+beaucoup de ravins ; tous les versants viennent, par différentes petites
+vallées, se réunir à la vallée de Mourrat pour se fondre dans celle de
+Gabgabba.
+
+Le chek Baraca, depuis notre départ, me parlait de travaux dans la
+montagne, de villages dans les ravins, et je désirais visiter tout cela.
+
+A l’entrée du ravin principal qui porte le nom de la montagne, je vis
+plusieurs amas de pierres brutes, disposés en ronds, et ayant chacun 4
+mètres de diamètre. L’intérieur de ces ronds est rempli de petites
+pierres, et le tout élevé seulement de 80 centimètres à 1 mètre au-
+dessus de terre.
+
+On pourrait, au premier abord, prendre ces amas de pierres pour des
+élévations sur lesquelles les Arabes auraient posé leurs tentes ; mais
+cela n’est point. Les tentes des Arabes ne sont pas rondes, elles sont,
+chez les Bicharieh, en peaux et en nattes ; les autres les ont en étoffe
+grossière et solide, poil de chèvre ou de chameau ; mais, je le répète,
+jamais ces tentes ne sont rondes. D’ailleurs, pour établir sa demeure,
+nul Bédouin ne se donnerait la peine de faire un tel travail. Ces ronds
+ne peuvent être que des lieux de sépultures où, après un combat, les
+morts étaient enterrés tribu par tribu.
+
+Ils datent de l’époque où, sous le règne du sultan Ahmed Teïloun en
+Égypte, des Arabes syriens et d’autres exploitaient les mines d’or de ce
+pays, ce qui occasionna des jalousies et des guerres meurtrières dont je
+parlerai plus tard.
+
+Un peu plus dans l’intérieur de cette vallée, au delà des tombeaux, sur
+la droite, sont les restes des habitations : ce sont de petites
+murailles en pierres sèches tirées d’un des filons de la montagne,
+pierres noires, dures, cassantes et probablement porphyriques.
+
+Tout autour de ces habitations sont des meules de moulins à bras, en
+différents porphyres qui ne se trouvent pas sur le lieu même. On trouve
+aussi beaucoup de blocs de même composition, sur lesquels l’on écrasait
+quelque chose, et semblables à ceux dont on se sert dans tout le Soudan
+pour moudre le grain. La pièce avec laquelle on broyait la matière, sur
+ce genre de pierre à moulin, et que l’on tenait à la main, était un gros
+morceau de quartz mêlé de parties micacées ; il y en a des tas, tous
+rayés et maculés, ce qui prouve évidemment que l’on frottait ces
+morceaux de quartz sur les pierres pour les réduire en poudre, procédé
+que je n’ai vu que là.
+
+Dans la montagne, j’ai remarqué quelques travaux dans des terrains
+schisteux rougeâtres et des roches granitiques, travaux dont le but
+était d’enlever les parties quartzeuses ; mais il n’y a aucun filon
+continu.
+
+A côté de cet établissement, dans la vallée, était une source qui
+servait pour le lavage du quartz pulvérisé. On dit que, depuis une
+quarantaine d’années seulement, elle est tarie, et les Arabes, qui ont
+une manière à eux de tout expliquer, attribuent cette malheureuse
+circonstance à ce qu’un des leurs commit la faute de tuer un très-gros
+serpent qui avait l’habitude de venir boire tous les jours à cette
+source ; le serpent étant mort, l’eau n’avait plus de raison pour se
+produire.
+
+Le gouvernement égyptien a fait travailler dans cet endroit, mais sans
+résultat ; cependant je sais, bien certainement, qu’avec des travaux
+dirigés avec intelligence, l’on ferait revenir la source.
+
+Ce lieu était un établissement pour l’exploitation de l’or, il n’y a pas
+à en douter. Quoique je n’aie pu, ni dans les petites veines de quartz
+micacées de la montagne, ni même parmi les morceaux qui ont commencé à
+être broyés, trouver, à l’œil nu, la plus petite parcelle d’or natif,
+j’en ai l’intime conviction.
+
+Bien que nous ne fussions pas dans la saison des vents chauds, nous
+ressentîmes, pendant les jours que je restai à Souffour et aux environs,
+un vent brûlant qui nous incommoda beaucoup ; fort heureusement nous
+avions à discrétion de l’eau bonne et fraîche prise aux réservoirs des
+ravins de la montagne de Raft.
+
+Dans la vallée ou Wadée dellat el Doumat, qui a son principe aussi dans
+la montagne de Raft, plus au S.-O. que la vallée de Oum Riche et que
+celle de Raft même, croissent une grande quantité de doums. C’est le
+palmier éventail, bien différent du palmier qui vient en Égypte. Celui-
+ci ne se bifurque pas, son tronc est droit, blanchâtre, et s’élève d’un
+seul jet, en haut ses branches sont courtes, réunies au faîte du tronc
+elles forment une grosse touffe avec les régimes du fruit. Les doums
+sont aussi réguliers quoique bifurqués, ils ont des fruits bien formés,
+de la grosseur d’un petit œuf de poule, de couleur marron foncé, et,
+comme saveur, beaucoup plus doux que ceux d’Égypte. Ces arbres ont donné
+leur nom à la vallée dans laquelle ils croissent.
+
+Cette vallée est bordée de petites montagnes détachées les unes des
+autres et présentant un mélange de gneiss, de granit et de porphyre ;
+les parties supérieures sont des schistes disposés par couches ou
+stratifications inclinées de l’est à l’ouest. Partout l’on remarque des
+veines blanches d’un quartz quelquefois micacé.
+
+Le terrain qui la sépare de celle de Mourrat, qui est plus au sud et
+court dans la même direction à l’est, se trouve être, à peu de chose
+près, de même formation, il est accidenté aussi par de petites colines.
+
+Dans le haut de l’ouadée ou vallée de Mourrat, est un lieu nommé dellat
+el hell, _le hameau_, où il y a des restes d’une exploitation de mines
+d’or qui semble avoir eu quelque importance. Non loin sont des ruines de
+mauvaises habitations, des espèces de huttes en pierres, et enfin
+plusieurs moulins à bras, faits en porphyre.
+
+Sur le bord du bassin qui servait de réceptacle aux eaux de pluies, nous
+trouvâmes encore debout les montants d’une chadous, machine composée
+d’un simple levier qui sert à élever les eaux sur tous les bords du Nil,
+en Égypte. Ce chadous servait à élever les eaux pour le lavage du
+minerai, après que l’on avait broyé le quartz avec les moulins.
+
+[Illustration :
+
+A Bassin-puisard où l’on prend l’eau.
+
+B Plan incliné pour le lavage du minerai et déversant dans le bassin C.
+
+C Bassin recevant les eaux du lavage.
+
+D Conduit pour faire retourner les eaux dans le bassin A.
+
+E Lit du torrent, réceptacle des eaux de pluie.]
+
+Par la disposition du lavoir, on voit que l’eau était rare et qu’on la
+faisait servir plusieurs fois.
+
+_Le hameau_ a dû être habité par des Arabes musulmans, ce que l’on peut
+reconnaître à la disposition de quelques tombeaux et aussi à un lieu
+disposé pour la prière.
+
+Or la consommation d’eau que leurs besoins nécessitaient, en dehors de
+l’exploitation, fait supposer qu’ils avaient d’autres ressources que
+celle dont je viens de parler, et qu’ils utilisaient le voisinage du
+ravin, sur le bord duquel le lavoir était établi. Le ravin n’était, sans
+doute, pas toujours à sec.
+
+Dans la montagne, les filons exploités sont des schistes talqueux dans
+lesquels des veines de quartz micacés servent de gangue à de rares
+parcelles d’or natif. L’exploitation s’en faisait toujours à ciel
+ouvert, et par des moyens tout à fait primitifs.
+
+Ces filons sont dirigés du S.-E. au N.-E., leurs gisements n’étaient
+point riches ; car les installations sont peu considérables. Les
+travaux, d’ailleurs, paraissent avoir été conduits sans aucune règle,
+c’est à peine si l’on a gratté les couches aurifères. Cet établissement,
+enfin, semble beaucoup plus moderne que celui de Raft.
+
+La vallée de Mourrat, dans le haut de laquelle se trouve le petit
+établissement dont nous venons de parler, va se perdre dans la grande
+vallée de Gabgabba.
+
+Dans cette vallée de Mourrat, sont des puits qui se trouvent sur la
+route directe de Corouscos à Abou Ahmed ; ils sont creusés dans le lit
+du torrent. Les plus nouveaux sont les meilleurs pour la qualité de
+l’eau, quoique, dans tous, elle soit saumâtre et extrêmement désagréable
+à boire.
+
+Mourrat est une ancienne station où l’on est certain de trouver toujours
+de l’eau, ce qui est une grande ressource pour les caravanes qui
+traversent ce désert.
+
+Sur les rochers environnant les puits l’on voit des figures de vaches
+avec d’immenses cornes et aussi quelques chevaux ; j’y ai vu un nom en
+caractères hyérogliphiques ; mais le tout est seulement piqué sur les
+rochers et peu marqué.
+
+Près de Mourrat, en allant sur la route d’Abou Ahmed, est un bloc de
+granit, auquel sa forme, qui est celle d’un crocodile, a fait donner le
+nom de Hagiar el Timsah[8].
+
+En se dirigeant vers le sud, l’on passe, pendant près de 10 kilomètres,
+entre de petites montagnes formées de blocs de granit qui s’élèvent dans
+des sables. Sur la droite, vers l’ouest, sont de hautes montagnes, et
+devant soi, à une grande distance, l’on a le groupe des montagnes
+d’Absâh. Le reste du sol est plat, entrecoupé par des filons, à fleur de
+terre, formés de quartz blanc, souvent laiteux, et courant tous du S.-O.
+au N.-O.
+
+Jusqu’à ce dernier groupe, qui est à onze heures de marche des puits de
+Mourrat, l’on marche dans une plaine de sable.
+
+La route directe traverse la montagne par une gorge assez étroite. En
+prenant une autre route, sur la droite, après avoir marché pendant
+quelques heures, l’on entre dans un ravin où l’on trouve, lorsqu’il a
+fait des pluies, plusieurs réservoirs pleins d’une excellente eau.
+
+La vallée d’Absâh coule au sud du groupe de montagnes de ce nom ; elle a
+peu d’étendue et va se perdre, comme toutes les autres vallées, dans
+celle de Gabgabba.
+
+En débouchant du défilé ou gorge dont nous venons de parler, et en
+entrant dans la vallée d’Absâh, l’on trouve, sur le côté gauche,
+beaucoup d’habitations en ruines et une petite colline, toute
+bouleversée par la main des hommes, où l’on voit clairement que la
+pierre, qui a été enlevée, était un quartz très-peu micacé et presque
+pur.
+
+A l’est de ce point, entre la montagne et le lit de la vallée d’Absâh,
+sur la route directe de Corouscos à Abou Ahmed, nous découvrîmes encore
+d’autres restes d’habitations, espèce de huttes en pierres qui ont servi
+anciennement aux mineurs établis dans ce lieu. On y voit, entassée dans
+ces huttes, la gangue du minerai, et le minerai lui-même cassé en petits
+morceaux et prêt à être broyé par les moulins qui sont en grand nombre.
+Les mêmes moulins se retrouvent dans un établissement semblable, un peu
+plus loin, sur le bord du torrent, au pied d’une autre une petite
+colline. Là sont aussi les restes d’un lavoir comme celui de Raft, à
+Dellat el Hell.
+
+C’est sur le bord de la même vallée d’Absâh, au S. 1/4 S.-E. des huttes
+que s’élève cette dernière colline qui a été beaucoup travaillée aussi ;
+l’on n’y a suivi aucun filon, ni rien fait régulièrement ; comme
+ailleurs, tout y a été attaqué superficiellement. Le minerai, qui est
+toujours du quartz plus ou moins micacé contenu par petits filons dans
+des formations schisteuses, ou des gneiss décomposés, était pris là et
+transporté aux habitations pour y être traité.
+
+Premièrement, il était cassé en petits morceaux de la grosseur d’un
+demi-centimètre cube, au moyen de grosses pierres de porphyre arrondies
+que l’on jetait sur le minerai posé dans des trous faits naturellement
+sur la surface d’une roche ; puis ensuite ce minerai concassé était
+broyé en poudre très-fine, et cette poudre lavée sur les lavoirs dont
+j’ai parlé. Les parcelles d’or plus pesantes restaient sur le plan
+incliné, d’où probablement on les enlevait avec des éponges, si l’on en
+possédait, ou avec des chiffons.
+
+Tous ces moyens, on le voit, étaient bien primitifs et devaient produire
+fort peu ; cependant ce dernier établissement semble avoir prospéré.
+
+A Absâh, après les pluies, l’on trouve beaucoup d’eau partout dans les
+rochers, et effectivement nous en vîmes dans plusieurs endroits. Cette
+circonstance donnait, aux mineurs de cette localité, des avantages que
+ceux de Raft n’avaient pas ; de plus, il existe dans le ravin, au fond
+d’une grande fissure, un puits qui a toujours donné de l’eau, jusqu’à
+ces dernières années, assez abondamment pour former un petit ruisseau.
+Les Arabes prétendent que, dans certains moments, ce puits vomissait des
+plantes et des morceaux de bois des bords du Nil ; car il se trouvait,
+disent-ils, souterrainement en communication naturelle avec le fleuve.
+Ce qu’il y a de certain, c’est que de grosses pierres détachées de la
+montagne ont roulé dans le puits et l’ont comblé[9].
+
+Absâh est l’endroit le plus important de la route de Corouscos à Abou
+Ahmed ; aussi, pour nous rendre plus vite de cet endroit au Nil, où
+devait s’organiser notre grand voyage, ne donnerai-je qu’un journal
+sommaire du reste de la route que nous avons suivie.
+
+Nous avions marché six jours depuis le 8 septembre, à trois heures du
+soir, et nous étions arrivés, le 14 au matin, à l’ouadée Absâh.
+
+Nous en repartîmes le 14 au soir et nous nous arrêtâmes bientôt, pour
+coucher, dans un endroit où heureusement les pluies avaient fait verdir
+quelques plantes que nos dromadaires mangèrent. Il fit un fort vent très
+froid, et de gros nuages passaient au-dessus de nous.
+
+Le 15, on se mit en marche, et nous traversâmes, par une gorge, le
+groupe des montagnes de Adar aweb. Ce groupe s’élève par mamelons
+séparés, formés graduellement de gneiss et de schistes, et présentant
+l’aspect particulier d’une irruption volcanique.
+
+Là aussi l’on a fait des travaux de reconnaissance pour trouver des
+filons métalliques.
+
+Puis s’offrit à nos yeux une immense plaine aride, à l’horizon de
+laquelle apparaissaient de petites montagnes embrumées. Nous nous
+arrêtâmes dans une vallée peu profonde, voisine de la montagne et dite,
+comme elle, ouadée Adar aweb.
+
+Dans l’E.-S.-E. était une montagne nommée Abou Nogarra, qui veut dire le
+Père de la Grosse caisse ; elle est nommée ainsi parce que, de temps en
+temps, l’on y entend des bruits comme ceux que produisent des coups
+frappés sur un gros tambour. La formation de cette montagne ferait
+effectivement penser qu’il y a là un ancien volcan éteint.
+
+On se remit en route à deux heures après midi, en se dirigeant au S. 1/4
+S.-E. Nous passâmes entre deux petites montagnes nommées l’Gourabieh, et
+nous continuâmes à marcher sur un terrain couvert de cailloux roulés,
+mais tous plats.
+
+Au déclin du jour, après une heure de halte, pour faire reposer les
+chameaux, nous fîmes route jusqu’à l’ouadée l’Férouh, où nous
+couchâmes ; il était minuit.
+
+Le 16. Au soleil levant, nous recommençâmes notre marche toujours dans
+la même direction ; le pays était plat, couvert de cailloux. Après sept
+heures, par une chaleur excessive, nous arrivâmes à la montagne de
+Mogronne, où nous nous arrêtâmes à l’ombre rare de quelques arbres
+rabougris ; mais je fis dresser ma tente qui nous donna un abri plus
+agréable.
+
+Nous en repartîmes à trois heures, et six heures nous suffirent pour
+arriver tout près de Abou Ahmed, non loin du Nil. Nous nous arrêtâmes
+là, afin de ne pas arriver chez le chek Baraca pendant la nuit.
+
+Le 17. Le matin, après une heure de marche, nous étions devant le Nil,
+dans l’enceinte du bâtiment servant de magasin au gouvernement, et où le
+chek Baraca m’avait fait préparer une maison arabe.
+
+La première chose dont je m’occupai fut de faire expédier immédiatement
+des courriers aux cheks des Bicharieh qui devaient nous conduire dans
+leur désert et, le soir même, tous avaient pu partir dans différentes
+directions.
+
+Le séjour d’Abou Ahmed est peu agréable ; sa situation au sud des
+cataractes, et la présence des bois qui les avoisinent rendent cependant
+le pays relativement pittoresque.
+
+Les bois sont remplis de singes qui, à l’approche des hommes, s’enfuient
+dans les doums ou palmiers éventails. Pour les attrapper, les Arabes
+mettent le feu aux arbres, ce qui oblige ces animaux à sauter à terre.
+
+Abou Ahmed est un lieu important, parce que les caravanes qui viennent
+de traverser le désert de Corouscos s’y arrêtent pour se reposer, et
+parce que celles qui se rendent en Égypte s’y préparent pour le voyage.
+
+Fort souvent ici, dans les premières années de l’expédition du Soudan,
+au moment de la conquête, il s’est livré des combats très-sanglants
+entre les Arabes Bicharieh et les troupes qui venaient d’Égypte. Un
+corps de troupes irrégulières, composé de cinq cents à huit cents
+cavaliers et commandé par un certain Cojia Ahmet, ancien serviteur de
+Méhémet Ali, finit très-mal. Un jour qu’ils étaient campés près du
+fleuve, en vue d’Abou Ahmed, fatigués par une traversée qu’ils venaient
+de faire dans le désert, ces cavaliers furent assaillis à l’improviste
+par les Bicharieh, qui les mirent en déroute. Ceux qui échappèrent aux
+sabres et aux lances des Arabes furent précipités dans les cataractes,
+où ils se noyèrent.
+
+Nous attendîmes à Abou Ahmed jusqu’au 22 l’arrivée des cheks Bicharieh,
+qui enfin vinrent nous trouver ; ils paraissaient tous très-farouches ;
+cependant nous fûmes bientôt bons amis. Tous ces cheks étaient chefs de
+tribus non soumises au gouvernement ; mais l’influence du chek Baraca,
+allié par des mariages avec plusieurs d’entre eux, et, ensuite, les
+relations que j’avais eues moi-même, dans des voyages précédents, avec
+le chek principal des Bicharieh, à Balouc, près Goos Regeb, furent cause
+qu’ils se montrèrent très-contents de nous conduire dans leurs
+montagnes.
+
+Nous préparions tout pour notre prochain départ, et nous étions
+enchantés de voir la bonne tournure que prenaient les choses, lorsque
+malheureusement de nouvelles circonstances vinrent mettre des entraves,
+au moins pour le moment, à l’exécution de mes projets.
+
+Le gouverneur du Soudan Courchoud Pacha, homme ignorant comme beaucoup
+de ses collègues, ne voyant pas dans le voyage que je voulais faire une
+chose fort importante, soit qu’il eût véritablement besoin du chek
+Baraca pour son propre compte, soit pour une autre raison, écrivit à ce
+chek, et lui donna l’ordre de venir le trouver à Kartoum, lui enjoignant
+de quitter là mon service, en laissant, toutefois, un des siens auprès
+de moi. Le chek Baraca me dit que, sans lui, il ne me laisserait point
+aller chez les Bicharieh. Les cheks me dirent aussi que, sans le chek
+Baraca, ils ne pouvaient me mener où je voulais aller.
+
+Fallait-il prendre sur moi de retenir Baraca, qui prétendait être appelé
+à Kartoum pour une chose insignifiante ? Je n’osai m’y décider, ne
+voulant pas me mettre en hostilité avec un gouverneur, qui aurait trouvé
+mille prétextes pour prouver que j’avais eu tort de lui résister. Je me
+décidai donc à retourner au Caire, afin d’informer le vice-roi de ce qui
+se passait et me mettre en mesure de revenir ensuite avec des ordres
+bien positifs pour Courchoud-Pacha.
+
+Après avoir contenté tout le monde, après avoir renvoyé les cheks
+Bicharieh en leur promettant qu’ils me reverraient bientôt, et que
+j’effectuerais mon voyage dans leur pays, je repris la route de
+Corouscos, car j’y avais laissé ma barque, et je descendis le Nil
+jusqu’au Caire, où j’arrivai en peu de jours.
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+ * * * * *
+
+ DEUXIÈME PARTIE.
+
+ * * * * *
+
+
+Ce ne fut que deux mois plus tard que je pus me mettre une seconde fois
+en route pour le pays des Bicharieh, et je possédais tous les ordres
+nécessaires, tous les pouvoirs pour être sûr que je ne rencontrerais ni
+entraves, ni obstacles d’aucune sorte de la part des Turcs.
+
+Le voyage sur le Nil fut long ; c’était au mois de novembre et, à cette
+époque de l’année, les vents soufflent souvent du sud et sont, par
+conséquent, contraires.
+
+Enfin j’arrivai à Assouan, lieu où le voyage devait s’organiser, à la
+fin de décembre. Avec le chek Baraca, le gouverneur d’Assouan et
+quelques autres cheks, nous combinâmes tout ; les vivres furent
+préparés, les outres remplies, les chameaux et les dromadaires réunis.
+
+L’arabe Saad Wed Neimer, de la tribu des Ababdieh, fils du grand et
+légitime chek Neimer, que j’ai déjà nommé, était venu de Kartoum avec
+l’intention de m’accompagner ; mais, quoiqu’il fut bien connu et bien
+posé à cause de sa famille, je refusai néanmoins ses services ; je lui
+dis que les ordres que j’apportais étaient pour Baraca et non pour lui,
+et que je ne pouvais rien y changer. En réalité, c’est qu’à mes yeux
+Baraca était plus important et que j’attendais mieux de lui ; car il
+était frère de ce Kralif, déjà nommé aussi, qui avait usurpé l’autorité,
+au détriment de Saad, et qui gouvernait, en quelque sorte, tout le pays.
+
+On prétendit qu’il me serait impossible de faire le voyage chez les
+Bicharieh sans prendre une nombreuse escorte. Le gouverneur voulait me
+donner des soldats turcs, chek Saad m’offrait des Ababdieh. Nous
+convînmes avec Baraca que, seulement pour la forme, je prendrais dix
+Ababdieh de sa tribu, et que lui, comme suite, aurait encore dix hommes.
+Le _naser_ du gouvernement, les notables du pays, les cheks Ababdieh et
+même ceux des Bicharieh assurèrent qu’il me fallait au moins soixante
+hommes armés, et à dromadaires. Chek Saad insistait beaucoup sur cela,
+disant que je pouvais rencontrer des malfaiteurs, des voleurs ou bien
+encore les mécontents des tribus que le gouverneur de Berber venait de
+maltraiter ; les Arabes de Taka ou de El Bâque seraient aussi à
+craindre. Chek Saad était intéressé dans cette affaire ; car il devait
+fournir son contingent d’hommes et de montures. Ce chek, d’ailleurs,
+pensait lui-même aux bruits qu’il avait fait répandre sur mon compte ;
+il avait dit partout que je venais enlever des trésors qui étaient
+cachés et reconnaître les routes afin d’y conduire plus tard des troupes
+pour m’emparer du pays.
+
+Je repoussai Saad qui, outre ses prétentions, intriguait, de connivence
+avec les chameliers et d’autres individus, pour faire payer le plus cher
+possible tout ce dont j’avais besoin, et je le menaçai de le faire
+partir de force pour Kartoum, accompagné de soldats et enchaîné s’il ne
+s’éloignait immédiatement ; ce qu’il crut prudent de faire.
+
+Malgré tout, nous fûmes obligés pour contenter les cheks de prendre plus
+de dromadaires, plus de chameaux et plus de monde que je n’en voulais.
+
+J’avais distribué quelques cadeaux, donné d’avance de l’argent pour des
+services qui n’étaient pas rendus, il est vrai, mais qui étaient bien
+garantis ; j’avais manœuvré de manière à m’assurer plusieurs
+dévouements ; il ne restait plus rien à faire.
+
+Le 30 janvier, avant le lever du soleil, le chek Baraca nous envoya nos
+chameaux de charge et nos dromadaires ; l’on chargea les uns, sella les
+autres, et l’on partit.
+
+Les habitants d’Assouan qui sont les gens les plus désœuvrés du monde,
+vivant du produit de leurs dattiers et du transport des marchandises qui
+doivent passer les cataractes pour remonter le Nil ou le descendre,
+poursuivant le voyageur qui vient, dans leur pays, pour visiter les
+antiquités, l’inquiétant dans le but seul de lui arracher quelques
+piastres, voient en tout un événement qui les surexcite ; aussi notre
+départ fit-il sensation dans la ville. Les enfants demandaient des
+bacchiche, les femmes faisaient leur glou-glou-glou significatif[10], et
+les hommes nous donnaient mille bénédictions. Beaucoup d’entr’eux nous
+accompagnèrent pendant un assez long temps.
+
+Notre caravane formait une petite armée très-leste et surtout fort
+pittoresque ; il y avait peu de chameaux de charge, mais bien soixante-
+dix dromadaires tous montés, et sur lesquels étaient distribués la plus
+grande partie des bagages, les vivres et l’eau. Les cavaliers, avec le
+corps à moitié nu, avec les cheveux crépus et incultes, étonnaient par
+leur étrangeté ; ils étaient armés de boucliers, de lances et de sabres,
+tous valides et animés, comme il arrive dans un moment pareil où bêtes
+et hommes sont impatients de se mouvoir ; et tout cet ensemble faisait
+un tableau singulier qui se développait au milieu des rochers de granit
+parsemés sur un sol aride et sans végétation.
+
+Ce premier jour, nous marchâmes peu, et après cinq heures de route, nous
+campâmes à l’endroit nommé _Ogab el Melh_ (station du sel). Les
+chameliers, qui n’avaient pas bien partagé les charges, restèrent fort
+longtemps le lendemain matin pour les organiser, ce qui fit que nous ne
+partîmes que vers les huit heures ; la nuit avait été fraîche, et le
+matin il faisait froid.
+
+Nous passâmes par la vallée de Demit qui vient déboucher dans le Nil à
+l’endroit qui porte son nom. C’est un large lit qui reçoit tous les
+torrents des montagnes environnantes quand il pleut.
+
+Ensuite nous entrâmes dans une gorge traversant les montagnes de Dégo,
+groupe de rochers de granit peu élevés, appartenant toujours à la vallée
+de Demit qui perd ici son nom pour prendre celui de la montagne.
+
+Le fond du sol est composé d’un gros gravier de granit mélangé de
+sable ; mais il est encombré de pierres roulées, de toute espèce, car
+cette vallée torrentueuse, qui vient de loin apporte les détritus des
+montagnes qu’elle traverse avant d’arriver à Dégo.
+
+Il offre peu de végétation ; pourtant l’on y trouve des salem, espèce de
+genets, et des mimosas Sihale en grand nombre ; ceux-ci se coupent pour
+faire du charbon que l’on vend sur le marché d’Assouan.
+
+Nous arrivâmes bientôt à Oum Eubal dont j’ai parlé déjà au sujet du chek
+Kralif et de la fuite des mamelouks d’Assouan à Dongola.
+
+A Oum Eubal, dans la vallée même, est une caverne souterraine dans
+laquelle se trouve une source. On y descend par une espèce de puits qui
+a été construit en pierres brutes de granit, et sa margelle ainsi que
+toute sa partie supérieure en briques cuites et en mortier. J’ai
+remarqué que ces briques étaient de deux qualités, et, d’après leur
+forme et leur disposition, j’ai constaté que ce puits avait été
+construit, sinon par les Romains, au moins réparé avec des matériaux
+romains, comme ceux que l’on trouve dans les ruines d’Assouan. Nos
+guides prétendirent avoir vu des inscriptions sur les rochers
+environnants ; mais, malgré toutes leurs recherches et les nôtres, nous
+ne pûmes les retrouver.
+
+Ce n’est pas le seul endroit de ces montagnes où l’on trouve à se
+désaltérer, surtout quand il a plu ; mais depuis longtemps il n’était
+pas tombé une goutte d’eau, et nous dûmes mettre le puits à
+contribution.
+
+Nous campâmes tout auprès pour y passer la nuit. Dans les environs
+campaient aussi quelques Bicharieh qui allaient vendre à Assouan du séné
+et des moutons ; ils eurent une grande peur de nous, cependant ils se
+rassurèrent bientôt et vinrent se joindre à nos Arabes.
+
+Tout ce rassemblement, avec ses chameaux, ses dromadaires et ses hommes,
+remplissait la vallée où se massaient une foule de groupes formés tout
+autour de grands feux ; car le froid était pénétrant. C’était encore un
+tableau pittoresque éclairé par les flammes et sous un ciel brillant
+d’étoiles. Les broussailles et les plantes sèches, pour brûler, ne nous
+manquèrent pas.
+
+Le 1er février nous perdîmes beaucoup de temps à remplir nos outres,
+parce que le puits ne fournissait qu’une petite quantité d’eau ; cette
+opération était importante.
+
+En partant, la route que nous avions à suivre remontait la vallée
+pendant une lieue environ, nous en sortîmes pour marcher sur un terrain
+bien plus ouvert où, à des distances éloignées se voyaient de petites
+montagnes séparées les unes des autres ; elles étaient de formations de
+grès, entrecoupées de rochers granitiques qui les avaient soulevées, et
+ceux-ci étaient remplis de veines de quartz très-blanc.
+
+Devant nous était une montagne plus élevée nommée _Her el Couffa_, qui
+donne son nom à une vallée qui vient déboucher ou se perdre dans celle
+de Dégo.
+
+Pour arriver à la montagne de Her el Couffa, nous traversâmes deux
+immenses plaines de sable solide, où il n’y avait pas un brin de
+végétation ; cependant quand il pleut ces plaines verdissent et
+deviennent couvertes de pâturages pour les troupeaux des Arabes ;
+malheureusement il y avait plusieurs années qu’aucun orage n’était venu
+humecter le terrain.
+
+En poursuivant, et après avoir passé la montagne Her el Couffa, est
+encore une plaine, semblable aux autres, qui se termine à un lieu nommé
+Bab el Déhessi, éloigné de Oum Eubal de onze heures de marche.
+
+Avant d’arriver à ce lieu, nous trouvâmes une vieille femme Bichari,
+avec son fils, conduisant un chameau chargé de séné qu’elle allait
+vendre à Assouan ; ils avaient l’air très-pauvres tous les trois.
+
+Nous apprîmes d’elle que les Bicharieh fuyaient loin de la route que je
+devais suivre, ayant une grande peur, parce que l’on disait que nous
+avions avec nous beaucoup de soldats turcs. Ceci était la suite des
+bruits répandus par le chek Saad.
+
+Lorsque nous campâmes, plusieurs Arabes Bicharieh qui étaient dans le
+même endroit, avec des grains qu’ils portaient chez eux, et avec des
+moutons et du séné à destination d’Assouan, parurent inquiets et firent
+mine de vouloir s’échapper ; mais dès qu’ils virent chek Baraca, qui
+était de leur connaissance, ils restèrent avec nous, et le soir, lorsque
+notre campement fut terminé, les feux allumés, je leur demandai pourquoi
+ils avaient eu l’air de nous craindre et de vouloir s’enfuir ? ils me
+répondirent que ce n’était pas nous qu’ils craignaient ni les Arabes qui
+nous accompagnaient ; mais qu’ayant une affaire de sang avec les gens et
+la famille du chek Ababdi Carar, ils avaient eu peur de rencontrer des
+Arabes de sa tribu parmi les nôtres. Ayant exprimé alors le désir de
+connaître la raison ou plutôt l’histoire qui les forçait à s’éloigner
+des gens de Carar, l’un d’eux, tout en fumant la pipe et prenant le
+café, voulut bien me la raconter. Comme cette histoire dépeint bien les
+mœurs des Arabes Ababdieh qui ressemblent beaucoup aux mœurs des
+Bicharieh, je la rapporterai ici :
+
+Dans un des petits hameaux qui entourent Derrawé, village entièrement
+peuplé d’Ababdieh et de Bicharieh, un soir étaient réunis, dans une
+cabane de roseaux recouverts en terre, plusieurs Ababdieh et Bicharieh
+qui, dans cette espèce de cabaret, buvaient du Bouza et du Méris, tout
+en fumant, chantant et se divertissant. Parmi ces Arabes était le nommé
+Babecr, fils du chek Carar, chef d’une des tribus des Ababdieh ; il y
+avait aussi un nommé Mahamet Nour et son cousin, tous les deux
+Bicharieh. Ce dernier, c’est-à-dire le cousin, se prit de querelle avec
+un parent de Babecr qui lui jeta le vase contenant le méris à la figure.
+L’offensé se leva et prit sa lance pour combattre son adversaire ; mais
+comme cet incident avait fait beaucoup de tapage dans la cabane, tout le
+monde était en rumeur, se poussant, criant, gesticulant, et, dans ce
+tumulte, le susdit cousin de Mahamet Nour fut frappé, traîtreusement et
+par derrière, près de l’épaule. Il tomba avec un couteau enfoncé
+jusqu’au manche, dans sa blessure. On s’empressa, autour du blessé, pour
+lui porter secours, et Babecr, étant le plus important de l’assemblée,
+demanda la permission de retirer le couteau ; alors il en prit le
+manche, et, favorisé par l’obscurité, laissant tomber son vêtement sur
+sa main, il le tourna et retourna dans tous les sens, afin d’agrandir la
+plaie, et avec l’intention sauvage d’achever, sans qu’on s’en aperçût,
+celui qui avait eu querelle avec son parent.
+
+Le moribond, sentant les déchirures du couteau, prit toutes les
+personnes présentes à témoin, et dit que s’il mourait ce n’était pas de
+la main de celui qui lui avait porté le premier coup, mais bien de celle
+de Babecr ; il mourut en effet. La famille du Bicharieh demanda
+justice ; mais les gens de Carar étant puissants, elle ne put rien
+obtenir. Mahamet Nour, de son côté, ne fut pas plus heureux, il retourna
+dans le désert avec la ferme volonté de venger lui-même son cousin.
+
+Quelques temps après cet événement, Babecr devant aller chez les
+Bicharieh pour des affaires importantes, l’on réunit tous les parents du
+mort pour provoquer un arrangement. Mahamet Nour seul, qui conservait
+toujours ses idées de vengeance, ne parut pas à la réunion, il profita
+au contraire de cette circonstance pour laisser croire qu’il avait
+oublié la mort de son cousin. Son but était de ne recevoir, sous aucun
+prétexte, le prix du sang répandu afin d’avoir le droit de le répandre
+lui-même.
+
+Babecr effectua son voyage ; mais, au retour, Mahamet Nour feignant
+d’avoir des affaires aussi, se mit en route en même temps que lui. Il
+cachait si bien son projet, que personne ne pouvait le soupçonner.
+
+Un jour pendant la route, se trouvant en avant de la caravane avec
+Babecr, et croyant le moment favorable, il fit une première tentative
+qui ne réussit pas, et voici pourquoi :
+
+Ayant fait tomber la conversation sur les armes à feu, il avait dit à
+Babecr que tout dernièrement il venait d’acquérir un très-beau pistolet,
+qu’il l’avait chargé, et que, ne l’ayant pas encore tiré, il ne savait
+s’il partirait, que son désir était de l’essayer ; mais qu’il n’avait
+pas de munitions pour le recharger. Babecr, qui n’était ni fin ni
+soupçonneux, sa conduite le prouve, consentit à lui en fournir.
+
+Mahamet Nour pressa la détente du pistolet en question, qui fit feu
+parfaitement ; il regretta intérieurement de ne l’avoir pas déchargé sur
+Babecr.
+
+Alors ils descendirent de dromadaire pour procéder à ce qui était
+convenu. Mahamet Nour, dès ce moment, était bien décidé à tirer sur son
+compagnon de route, certain qu’il ne le manquerait pas et qu’il pourrait
+fuir facilement dans le désert ; mais il n’eut pas le temps d’accomplir
+son projet. Le pistolet n’était pas encore rechargé que les gens de
+Babecr, qui marchaient derrière, émus par le coup de feu qu’ils avaient
+entendu et craignant pour leur chef un accident quelconque, étaient
+arrivés au plus vite de leurs montures ; ils furent étonnés de voir les
+deux Arabes, calmes en apparence, occupés tranquillement à charger une
+arme. Toutefois Babecr, en voyant l’air inquiet de ses gens, et aussi
+l’attitude de Mahamet Nour, qui ne lui sembla plus naturelle, conçut des
+soupçons sur ses intentions. Il lui remit le pistolet chargé, mais sans
+y ajouter l’amorce, ce dont le propriétaire n’eut pas l’air de
+s’apercevoir.
+
+Le coup projeté par Mahamet Nour n’avait donc pas réussi ; ce n’était
+qu’une expérience acquise et une leçon pour mieux prendre ses mesures à
+l’avenir.
+
+Arrivés à Derrawé tout le monde se sépara.
+
+L’homme qui cherche une vengeance a la patience d’une bête fauve ; il ne
+se lasse point. Mahamet Nour aurait épié toute sa vie une nouvelle
+occasion favorable à son dessein ; mais cette occasion se présenta peu
+de temps après l’affaire du pistolet.
+
+Se trouvant un jour à Derrawé, il apprit que Babecr se mariait le soir
+même, et, qu’en attendant la nuit, il passait son temps à boire du
+méris, ce qui est l’habitude dans tous les villages ababdieh sur les
+bords du Nil, où les Arabes sont en général très-débauchés ; ils ne le
+cèdent qu’à leurs femmes, dont les dérèglements dépassent toute
+expression.
+
+Mahamet Nour n’avait pas de plan bien arrêté ; mais, en toute prévision,
+il alla remplir son outre d’eau, attacher à l’écart son dromadaire bien
+préparé ; puis il vint au lieu où l’on buvait. Le bruit, les chants y
+étaient étourdissants comme le soir de l’assassinat de son cousin. Cette
+coïncidence, qui le surexcita, lui fit concevoir une machination
+infernale. Voyant que Babecr était déjà parti, il courut à la case de la
+nouvelle mariée et parvint, sans être vu, à se cacher sous le lit[11],
+qui est élevé de terre de 50 à 40 centimètres et soutenu sur quatre
+pieds.
+
+Il est inutile de retracer les détails, que me donna le conteur, sur
+l’impatience de l’assassin, qui faillit, plus d’une fois, se trahir, et
+sur l’état de déraison où se trouvait la victime, état occasionné par
+l’action des liqueurs absorbées, bien plus que par un autre mobile, plus
+ordinaire en cette circonstance. Ce qui arriva, c’est qu’au bout de
+quelques heures Babecr fut trouvé, baigné dans son sang, à côté de sa
+femme dont les cris ne parvinrent pas à le rappeler à la vie.
+
+Mahamet Nour était sorti de sa cachette quand il avait jugé le moment
+favorable ; il avait, avec un sang-froid incroyable, promené légèrement
+sa main gauche sur les deux époux afin d’être bien sûr qu’il ne se
+trompait pas, et il avait plongé son poignard, qu’il tenait de la main
+droite, dans le ventre du meurtrier de son cousin, en lui labourant les
+entrailles, comme il avait été fait des entrailles de celui-ci ; puis il
+avait attendu, avant de s’échapper, que la mort de Babecr fût bien
+constatée.
+
+Tout autre s’en serait tenu là, et se serait enfui. Mahamet ne le jugea
+pas ainsi : par un raffinement de cruauté, dont ces Arabes seuls sont
+capables, il se rendit à l’endroit où étaient encore beaucoup de
+camarades du mort, continuant l’orgie commencée la veille, et il leur
+dit audacieusement de ne pas se tromper sur le meurtrier de Babecr, que
+c’était bien lui, Mahamet Nour, qui l’avait tué et qu’il retournait dans
+son pays satisfait d’avoir consommé sa vengeance et le cœur réjoui et
+content. Ce fut alors seulement qu’à la faveur de la stupéfaction
+générale et favorisé par l’obscurité, il rejoignit son dromadaire, sauta
+en selle et retourna dans sa tribu.
+
+Parmi les Bischarieh cet homme est regardé comme un héros, il était avec
+les Arabes que nous trouvâmes à Bab el Déhessi.
+
+La veillée avait été remplie au moyen de cette histoire, et chacun
+songea à prendre du repos.
+
+Longtemps avant le jour le chek Baraca, qui ne savait pas juste l’heure,
+croyant qu’il était temps de lever le camp réveilla tout le monde ; mais
+il faisait tellement froid que nous ne partîmes qu’après le lever du
+soleil.
+
+Le pays que nous traversâmes était comme parsemé de petites montagnes,
+il y en avait de tous côtés ; ces montagnes, nullement liées entre
+elles, étaient toutes composées de grès que perçaient, de distance en
+distance, de très-forts rochers de granit.
+
+Nous avions, droit devant nous, une montagne plus importante nommée el
+Nassié. Avant d’y arriver, nous passâmes auprès d’un rocher d’un marbre
+blanc grisâtre qui formait une grosse saillie s’étendant du sud-sud-
+ouest au nord-nord-est.
+
+Ce fut dans l’après-midi seulement que nous arrivâmes à la montagne de
+Nassié, où nous trouvâmes une grande quantité de plantes sèches,
+pâturage dont nos montures avaient besoin.
+
+La montagne d’el Nassié est plus élevée que toutes les montagnes
+voisines ; elle a environ 360 mètres de hauteur, au-dessus de la plaine,
+est formée de grès comme le sol environnant et doit son soulèvement à la
+présence du granit que l’on aperçoit à sa base et qui a incliné ses
+couches.
+
+Le 3 février, le froid nous empêcha de partir avant neuf heures du
+matin, quoique la température fût élevée à 4 degrés Réaumur au-dessus de
+zéro. Nous traversâmes des plaines de graviers accidentées par beaucoup
+de petites veines de quartz laiteux ; le terrain inférieur était
+toujours granitique, et les saillies formées par le grès.
+
+La vallée d’Esserba, que nous traversâmes, était remplie de plantes et
+de broussailles avec beaucoup de Sihales ; tout paraissait déjà vert à
+cause des pluies qui étaient tombées depuis quelques jours seulement ;
+mais les herbes annuelles n’étaient pas encore poussées.
+
+Dans la vallée d’Esserba se trouvait le campement Bichari de la petite
+tribu dont Mahamet Nour faisait partie. C’était la réunion d’une dizaine
+de cahuttes de 8 pieds de côté, et faites avec des nattes. Leurs
+propriétaires, comme tous les Bédouins de ces contrées, me semblèrent
+fort misérables, et je me demandais comment des êtres si deshérités
+pouvaient ressentir cette fierté outrée qui ne pardonne jamais une
+offense, et qui fait de la vengeance le premier des devoirs.
+
+La route, après Esserba, se poursuit au milieu de ravins creusés dans
+des rochers, où se trouvent de loin en loin des réservoirs naturels que
+les pluies remplissent. La présence de ces rochers fait que le sol est
+recouvert de gros cailloux qui rendent le chemin difficile aux animaux
+de transport et aux montures. Partout nous rencontrions des Arabes
+Bicharieh et Ababdieh de la tribu du chek Baraca qui venaient, sur notre
+passage, pour nous saluer. La vallée devenue plus large était remplie de
+plantes et d’arbres ; un bouc sauvage, bel animal aux longues soies
+s’enfuit à notre approche, nous lui donnâmes la chasse inutilement ; car
+il gagna les montagnes avant que nos dromadaires pussent l’atteindre et
+il se trouva à l’abri de nos balles.
+
+Ce fut à Guéhettré que nous nous arrêtâmes afin de pouvoir le lendemain
+matin prendre de l’eau à un réservoir naturel, alimenté par les pluies,
+qui se trouve dans le haut de cette vallée.
+
+Le 4 février, nos chameaux, engourdis par le froid de la nuit, eurent
+toutes les peines du monde à se lever ; aussi fûmes-nous obligés
+d’attendre que le soleil les eût réchauffés pour pouvoir les mener
+boire ; ce qui fut d’ailleurs difficile. Le lieu où se trouve l’eau
+étant très-escarpé, et les chameaux ne pouvant y arriver, l’on fut
+obligé de porter l’eau à distance. Tout cela fit qu’il était une heure
+après midi quand nous fûmes en mesure de nous mettre en marche ; mais,
+comme le temps continuait d’être mauvais, avec un fort vent du sud-est
+qui soulevait des tourbillons de poussière, nous jugeâmes convenable de
+demeurer encore le reste de la journée à Guéhettré où nous trouvions à
+donner à manger aux chameaux, et du bois pour nous chauffer.
+
+Cette vallée de Guéhettré est creusée dans des montagnes assez élevées,
+de formation primitive ; les plus hautes ont un aspect rougeâtre et sont
+toutes bouleversées ; les gneiss ainsi que les rochers porphyriques y
+dominent, et beaucoup de filons quartzeux très-blancs, très-minces les
+traversent dans tous les sens. Le lit du torrent qui est toujours à sec,
+excepté quant il pleut, ce qui n’arrive pas tous les ans, était, en ce
+moment, couvert d’arbustes, de plantes et de broussailles ; l’on y
+voyait aussi cette espèce de mimosa _Sihale_ dont j’ai parlé, et qui,
+là, devient un très bel arbre. Les Arabes, déjà, avant qu’ils fussent
+tout à fait verts, les avaient dépouillés de leurs plus belles branches
+pour les donner à leurs troupeaux et surtout aux chameaux qui en sont
+fort friands.
+
+Nous eûmes la visite de beaucoup d’Arabes campés dans les environs ; ils
+étaient en grande partie de la tribu du chek Baraca et tous, comme
+toujours, fort pauvres, demandant à manger pour eux, et mendiant du
+grain pour leurs familles. Ce sont là des misères dont on ne peut guère
+se faire idée, et cependant, la liberté est si chère à ces hommes du
+désert qu’ils préfèrent encore leur état à l’existence plus aisée qu’ils
+obtiendraient en venant habiter les bords du Nil où ils pourraient
+cultiver quelques terres ; mais ce serait alors s’assimiler aux
+_Fellahs_, pour lesquels ils ont le plus profond mépris, et leur orgueil
+s’y oppose.
+
+Le 5, au matin, il faisait toujours très-froid et nous ne nous mîmes en
+marche qu’après sept heures et demie.
+
+A dix heures et demie, après avoir traversé un pays semblable à celui de
+la veille, nous arrivâmes à un lieu nommé _Ceïga_. C’est le principe de
+la vallée de ce nom, vallée formée de montagnes toutes séparées les unes
+des autres, et présentant comme une réunion de cours d’un aspect
+singulier. Dans ce lieu l’on a exploité une mine d’or ; mais l’on voit
+bien que les travaux sont plus modernes que ceux que j’ai visités
+précédemment.
+
+La petite montagne où est l’exploitation repose sur une base de granit,
+viennent ensuite les grès. Elle est composée de schistes micacés et
+talcaires, doux au toucher, un peu savonneux, et traversée par un large
+filon quartzeux qui se divise en beaucoup de petites veines se dirigeant
+dans toutes les directions. Ce sont ces veines et le gros filon qui
+étaient travaillés.
+
+La petite montagne peut avoir 100 mètres de hauteur au-dessus de la
+vallée, et 1,500 mètres de tour.
+
+Les morceaux de quartz que l’on extrayait, ainsi que les parties de
+schiste talcaire étaient portés dans les habitations des mineurs où le
+tout était broyé après avoir été concassé par des moulins à bras. On
+procédait ensuite au lavage, sur des plans inclinés, pour détacher l’or
+de tout ce qui lui était étranger, ainsi que je l’avais constaté à Absah
+et à Raft, sur la route de Corouscos à Abou Ahmed.
+
+Cette mine a été le centre d’une grande activité si l’on en juge par le
+nombre considérable de huttes dont il ne reste que les murs, murs
+construits en pierres sèches suivant la manière des Nubiens. Il pouvait
+y avoir là quatre à cinq cents habitations grandes et petites,
+dispersées dans les ravins environnants et toujours placées près des
+endroits où les eaux de pluie pouvaient couler. De plus, un trou, une
+cavité spéciale, avait été creusée dans le voisinage de chacune d’elles,
+pour recevoir les parcelles d’or détachées de la montagne. Dans beaucoup
+de ces habitations se trouvent encore des moulins à bras, et à côté un
+tas de matières provenant du lavage ; ces matières sont blanchâtres,
+légères et savonneuses au toucher, et ne contiennent plus aucune partie
+brillante ni dure.
+
+Je ne sais d’où les travailleurs pouvaient tirer assez d’eau pour les
+besoins de la vie quand il leur en fallait tant déjà pour le lavage de
+leur minerai seulement. Aujourd’hui il n’y en a qu’à deux journées de
+distance et en assez faible quantité. Ils avaient donc, à leur portée,
+des sources, des ruisseaux, des puits qui fonctionnaient ; c’est mon
+opinion, et j’ai recueilli la preuve que cet état de choses avait cessé
+bien après l’époque où les mines étaient en exploitation, de même les
+pluies, dans le pays, étaient devenues, depuis, moins fréquentes. Deux
+anciens puits, creusés dans la roche, m’avaient été signalés ; mais,
+malgré toutes mes recherches, je n’ai pu les trouver.
+
+Ces mines, à ce qu’il semble, n’ont point été abandonnées par suite
+d’accidents violents ; mais bien par suite de l’épuisement du métal dont
+je n’ai plus observé aucune trace dans le filon exploité. Les moulins
+tous usés, tous hors de service, prouvent en faveur de cette hypothèse ;
+ils sont tournants et non composés de simples pierres à écraser, comme
+ceux des Nubiens, ce qui m’a démontré aussi que les mineurs devaient
+être des étrangers, des gens venus du dehors.
+
+Les Arabes n’ont conservé, à cet égard, aucune tradition.
+
+Après avoir campé toute la nuit à l’Ouadée Oum Dérer, où nous nous
+étions arrêtés de bonne heure parce que, devant nous, nous avions une
+grande journée à faire avant d’atteindre un lieu où l’on trouverait des
+plantes pour nos animaux et du bois pour nous chauffer, nous partîmes et
+nous marchâmes longtemps dans un désert affreux dont le sol était
+couvert d’un sable jaune et quelquefois blanc, détritus entraînés des
+montagnes de grès et de calcaire. La plaine était légèrement ondulée, et
+dans ses ondulations apparaissaient, sous les sables, des rochers de
+granit peu saillants. Quelques plis formés par les écoulements des eaux
+de pluie, traversaient le désert immense ; mais ces plis étaient aussi
+secs et aussi dénudés que tout le reste.
+
+Avant d’arriver à l’Ouadée de Séguel, les chemins sont fort mauvais dans
+les montagnes ; il nous fallut six heures pour les franchir et nous
+atteignîmes cette vallée dans un endroit rempli, çà et là, de petits
+arbres Sihales très-verts.
+
+Le lendemain, le 7 février, une heure après être partis, nous trouvâmes
+celle de Gieugoub, où nous pûmes nous arrêter. Dans sa partie la plus
+élevée, les eaux de pluie ont creusé un grand trou, régulièrement
+arrondi, où elles tombent en manière de cascade ; il est peu facile d’y
+atteindre. Un peu plus bas, sous le sable même, est une source, peu
+apparente, dont l’eau est bien meilleure ; c’est là que nous campâmes.
+Pour en avoir suffisamment, il nous fallut percer une espèce de puits
+d’environ dix pieds de profondeur, travail malaisé, eu égard aux moyens
+insuffisants dont nous disposions. Ce travail toutefois réussit
+parfaitement, et nous procura de quoi satisfaire à toutes les exigences
+de la caravane.
+
+Mais alors il arriva là ce qui est pour ainsi dire inévitable quand
+beaucoup d’Arabes, à la fois, veulent faire boire leurs chameaux et
+faire une provision d’eau pour eux-mêmes : tout le monde criait, chacun
+voulait être le premier à remplir ses outres ; ce fut un tohu-bohu
+général. Heureusement le chek Baraca empêcha que ce tumulte ne prît un
+caractère sérieux en frappant de son courbache tous les turbulents et
+tous les impatients.
+
+Quoique nous eussions fort peu marché, nous passâmes la journée dans ce
+campement auprès de l’eau. Les Arabes Bicharieh des environs vinrent
+nous voir, leurs femmes vinrent aussi. Elles étaient très à l’aise, et
+ne paraissaient pas mues par cette curiosité stupide qui distingue les
+femmes Fellahs d’Égypte. Il y avait parmi elles deux jeunes filles très-
+jolies qui causèrent avec nous, et avec les Arabes, fort gaiement.
+
+En partant le matin, le gros de la caravane se dirigea directement vers
+le sud-est pour entrer dans la grande vallée de Ollaki, et je pris, avec
+quelques hommes, la direction de l’est pour aller visiter un endroit où
+je devais trouver des habitations abandonnées, ainsi que des traces de
+travaux dans la montagne.
+
+Nous passâmes par de mauvais chemins à travers de petits monticules et
+de petites vallées où verdissaient quelques arbres. Les pentes
+principales de cette localité se rendent dans la vallée d’Ollaki ; tout
+le sol est composé de schistes micacés, et les gneiss et les granits
+apparaissent, de loin en loin, avec des roches porphyriques.
+
+Dans une de ces petites vallées nommée l’Adayber, je remarquai tout près
+de celle de Souhan, où elle se perd, une petite montagne rougeâtre de la
+même formation que les précédentes et qui avait été travaillée. On y
+avait creusé des trous pour suivre les filons de quartz aurifères qui la
+traversent dans tous les sens ; mais, sur l’inspection de ce qui avait
+été fait, je jugeai que le minerai était fort pauvre, et que, pour cette
+raison, l’on avait abandonné les travaux. Les habitations des
+travailleurs étaient toutes dans les environs, et le lieu des lavages
+était près des excavations.
+
+Nous remontâmes la vallée de Souhan jusqu’à son origine, où nous
+trouvâmes encore beaucoup d’habitations ruinées et des travaux
+abandonnés, comme ceux que j’avais vus précédemment.
+
+Un peu plus loin, dans un endroit fort rétréci, fort étroit, l’on a
+exploité, à ciel ouvert, un filon aurifère qui traverse la vallée et qui
+passe dans les montagnes, courant du N.-O. au S.-E. Ce filon de quartz
+micacé est dans une pierre dure, et, par intervalles, dans du spath, ou
+du schiste. Il affecte une ligne brisée, tortueuse, et cependant il est
+creusé profondément à ciel ouvert.
+
+En sortant de là, nous fûmes rejoints par un Arabe Bichari que nous
+avions vu à Assouan, et qui nous avait dit qu’il serait, avant nous, à
+Ollaki. Depuis trois jours seulement il avait quitté Assouan ; mais il
+n’avait pris d’eau nulle part, quoiqu’il en eût grand besoin. Son
+intention était de marcher encore jusqu’à minuit, sans se détourner le
+moins du monde de sa route ; il se joignit néanmoins à notre caravane.
+
+Au coucher du soleil, nous arrivâmes dans l’ouadée Ollaki, principal but
+de mon voyage.
+
+Son abord, de ce côté, est fort large, et quelque peu mouvementé par la
+présence de petites dunes d’un sable blanc très-fin. Il y a beaucoup de
+plantes et d’arbustes, et une végétation, relativement très-abondante
+jusqu’aux montagnes qui sont assez éloignées.
+
+Notre camp avait été préparé d’avance, au milieu de la vallée, parmi les
+tentes des Bicharieh dont les chameaux paissaient les herbes que les
+dernières pluies avaient fait pousser. Beaucoup de monde nous attendait.
+
+A la vue de tout ce monde, selon l’usage, nous lançâmes nos dromadaires
+à toute vitesse, en poussant, tous, des cris pour répondre au glou-glou-
+glou poussé par les femmes, et nous vînmes descendre devant nos tentes.
+
+Aussitôt arriva le chek de la tribu, un homme petit, vieux, mais
+pourtant fort agile. Nous nous avançâmes vers lui ; il se nommait Ali
+Hérab. Il nous salua très-froidement ; cependant, au premier coup d’œil,
+je remarquai que ce devait être un bon homme ; sa figure était fine et
+agréable. Beaucoup d’Arabes le suivaient ; or, pour faire plus ample
+connaissance avec lui, je le retins à souper, ainsi qu’un autre chek
+nommé Soueket, parent, par alliance, du chek Baraca.
+
+Le lendemain matin, c’était le 10, Ali Hérab nous engagea, avec tant
+d’instances, à passer la journée à son camp, que nous ne pûmes refuser ;
+d’ailleurs comme c’était un des plus puissants chefs Bicharieh, et qu’il
+devait nous accompagner dans plusieurs courses, je devais le ménager.
+
+Aussitôt que j’eus décidé que nous passerions la journée avec lui, l’on
+s’installa pour le mieux, quoique l’endroit où nous étions fût fort
+désagréable ; le sol était couvert d’une poussière très fine, et le vent
+la faisait voler partout.
+
+Le chek Ali Hérab, suivant les règles de l’hospitalité arabe, nous
+envoya une belle et grasse chamelle, qu’il fallut procéder à tuer et à
+dépecer. Cette bête était superbe, et j’aurais bien voulu m’opposer à
+son exécution ; mais, voyant que j’aurais mécontenté tout le monde, je
+n’y insistais pas. La chamelle, manœuvrée comme si l’on allait la seller
+ou la charger, fut placée sur ses genoux, puis, et ce fut l’affaire d’un
+moment, on lui coupa la tête, on l’écorcha, et on la mit en pièce.
+
+Afin d’éviter les disputes qui auraient pu surgir au sujet du partage,
+l’on avait pris la précaution de tenir tous les prétendants à distance.
+Ils s’étaient placés sur les petites hauteurs environnantes, comme
+autant de vautours, prêts à fondre sur leur proie, et, spectacle
+vraiment sauvage, chacun, à un signal donné, devait se jeter sur la part
+qui lui était destinée. Quand la distribution fut faite, ce qui resta de
+chair fut coupé par lanières pour être séché au soleil, et conservé.
+
+Le repas dura toute la journée.
+
+Nos amis les Bicharieh qui allaient et venaient autour de nous
+paraissaient fort gais et fort contents ; ils furent bien moins
+importuns que je ne m’y attendais, ce que j’attribuai à la présence du
+chek Baraca, dont la personne était fort respectée dans le pays.
+
+Ils me dirent, me répétèrent même plusieurs fois, et avec affectation,
+que ma tente était la première tente étrangère qui eût été plantée chez
+eux et dans l’Ouadée Ollaki. Tous, ensuite se plaignirent de la dureté
+du temps, alléguant que, sur les bords du Nil, tout était fort cher, à
+cause de la présence des Turcs ; que, d’un autre côté, l’on achetait
+leurs moutons, leurs chameaux, etc., à trop bas prix et que cela, joint
+à la sécheresse qu’il faisait depuis plusieurs mois, les avaient rendus
+fort pauvres. Ils n’avaient d’espérance, pour le moment, que dans
+l’approche de la saison des pluies qui devaient fertiliser leurs
+pâturages... Ces plaintes, ces doléances, auxquelles je ne pouvais rien,
+avaient, en outre, un air de banalité qui me toucha fort peu, et je me
+contentai de dire à ceux qui les proféraient : Dieu est grand ! Dieu est
+grand ! paroles sacramentelles au moyen desquelles l’on clôt, chez les
+Arabes, toute espèce de conversation.
+
+Le 11, nous partîmes de bonne heure pour gagner l’Ouadée Hégatte, près
+de la montagne de ce nom, où nous avions donné rendez-vous à un grand
+chek d’une tribu Bichari ; nous campâmes auprès de l’eau, comme
+d’habitude. Il y avait là, dans les ravins environnants, plusieurs
+cabanes dont quelques-unes étaient à l’ombre d’un magnifique Sihale.
+Bientôt arriva le chek nommé Abou Goublé, monté sur un délicieux
+dromadaire qu’un arabe conduisait par la têtière, car le chek s’était
+cassé la jambe en tombant, il n’y avait pas longtemps. C’était un grand
+vieillard, avec la barbe blanche, l’air vif et noble, et la tenue
+respectable comme pas un de ceux qui nous accompagnaient. Il avait
+d’ailleurs une grande suite, et tous les Arabes lui témoignaient
+beaucoup de respect. Nous saluâmes ce vieillord avec empressement, et il
+parut bien aise de nous voir. Je jugeai que son fils Allamin, dont
+j’avais fait la connaissance à Abou Ahmed, et que j’avais bien traité,
+était pour beaucoup dans cette réception.
+
+Le soir il y eut, sous ma tente, un grand dîner, dîner composé d’un
+mouton rôti et d’un immense plat de riz. Nous causâmes beaucoup du
+voyage que je voulais faire à Gebel Elba, ainsi que dans tous les
+endroits du pays où il y avait quelque chose de curieux à voir.
+
+Abou Goublé ne pouvant nous accompagner, à cause de son infirmité, et
+surtout à cause des affaires qui le rappelaient dans sa tribu, promit de
+nous laisser son fils. Avant son départ, je lui fis cadeau d’un vêtement
+de drap rouge et de deux pièces de toile bleue pour deux de ses enfants,
+ce dont il fut très-content. Il me fit dire, car il ne parlait pas
+l’arabe, que maintenant que j’étais venu chez lui, que nous avions mangé
+ensemble, il me considérait comme un membre de sa famille, tout comme
+avait fait précédemment leur grand chek Ahmed Wed Ahmed, à Goos Regeb,
+que, par conséquent, ses enfants étaient mes frères, et que je pouvais
+compter sur eux et sur lui, dans toute circonstance.
+
+Après avoir vu partir le chek Abou Goublé et sa suite, je montai à
+dromadaire pour visiter plus en détail la vallée d’Hégatte et voir les
+habitations que l’on m’avait signalées. Cette vallée est resserrée entre
+de petites montagnes presque perpendiculaires ; le sol, couvert de sable
+blanc quartzeux, et de débris de granit, nourrit cependant beaucoup
+d’arbres de différentes essences. Je remarquai deux _harrazas_ très-
+grands, mimosas à larges feuilles, qui épanouissaient leur feuillage et
+leurs fleurs à peu de distance d’une source cachée sous le sable ; cette
+source était très-abondante alors ; dans l’été, elle disparaît
+entièrement.
+
+En s’élevant, la vallée devient très-étroite, et dans cette partie l’on
+trouve, toujours sous forme de ruines, beaucoup de petites maisons
+réunies ; plusieurs cependant dépassaient en grandeur, en importance,
+celles que j’avais rencontrées jusque-là. Toutes étaient placées dans
+les anfractuosités de la montagne par où les eaux pouvaient couler, et
+ces anfractuosités travaillées en manière de petits bassins ou de
+récipients, étaient barrées par des murs dans lesquels il y avait un
+trou pour servir d’exutoire.
+
+Aucun travail d’excavation ne se voit dans les environs, et, de cela, je
+conjecturai que les chercheurs d’or propriétaires des établissements ci-
+dessus recueillaient seulement l’or en parcelles que les pluies
+détachaient des roches de la montagne. Entraînées de cascades en
+cascades parmi d’autres détritus, ces parcelles subissaient un dernier
+lavage dans les petits bassins et pouvaient ensuite être recueillies. Du
+reste, je vis peu de débris de moulins à bras et tournants ; mais toutes
+les habitations me semblèrent plus anciennes que celles des autres lieux
+de ces contrées où l’on a exploité l’or.
+
+Le soir, à notre retour au camp, nous trouvâmes beaucoup de mendiants
+bicharieh auxquels je fis donner un peu de grains. Ils étaient aussi
+laids que misérables, et une chose me frappa, en les considérant, c’est
+que je reconnus en eux le type des prisonniers représentés
+légendairement sur les bas-reliefs des temples et des tombeaux des
+anciens Égyptiens. Leurs femmes, plus résignées dans leur pauvreté,
+avaient aussi un aspect moins repoussant.
+
+La montagne d’Hégatte est un pic en forme de pain de sucre, fort élevé,
+et qui s’aperçoit de fort loin dans toutes les directions. Elle est
+formée entièrement de gros blocs de granit rouge, comme celui d’Assouan,
+entassés les uns sur les autres. Depuis plusieurs jours, cette montagne
+me servait de point de relèvement et de sommet d’angle pour la
+triangulation qui devait me servir à dresser une carte de ce pays ;
+aussi je voulus monter à son faîte. L’escarpement en est si abrupte que
+les Arabes regardent cela comme impossible, et cependant il restait pour
+eux, à l’état de souvenir, qu’un homme était parvenu, une fois, tout en
+haut du mont, qu’il y avait trouvé une plate-forme recouverte de sable,
+et qu’il en avait rapporté un vase cassé.
+
+Quoique cette ascension semblât fort difficile, je l’entrepris cependant
+et je me trouvai bientôt au milieu de ces roches bouleversées dans tous
+les sens, de ces blocs étagés d’une façon désordonnée qui constituaient
+un véritable chaos. Entre la plupart étaient des plantes et des
+broussailles épineuses qui en défendaient l’accès, des pierres et des
+cailloux anguleux sur lesquels on ne pouvait poser les pieds sûrement.
+
+J’avais ailleurs, dans les montagnes du mont Sinaï, fait l’apprentissage
+de semblables difficultés ; mais je dois l’avouer, je n’en avais jamais
+rencontré de si grandes.
+
+Le mont Sinaï est de même formation que le mont Hégatte ; celui-ci,
+toutefois, est beaucoup moins élevé ; il atteint à peine 400 mètres au-
+dessus du sol de la vallée.
+
+Je mis une heure trois quarts à monter au sommet. Là je trouvai un
+dernier rocher d’environ 15 mètres de hauteur, qui, à cause de sa forme
+arrondie, fut le plus difficile à escalader ; mais, une fois cet effort
+accompli, le magnifique spectacle qui se déploya devant moi me
+dédommagea bien de ma peine. L’immensité du désert n’a rien d’analogue
+dans les pays d’Europe ; j’étais comme suspendu dans l’espace.
+
+De là je pus remarquer que toutes les petites chaînes de montagnes des
+environs étaient, comme celles d’Hégatte, composées de granit en grande
+partie, avec le mélange de toutes les formations primitives, et
+entrecoupées de filons de quartz blanc, affectant, par intervalles, des
+tons noirâtres et rougeâtres ; ils avaient tous la direction du S.-E. au
+N.-O., ce qui annonce les filons métalliques. C’étaient surtout les
+montagnes qui avoisinaient la vallée d’Ollaki qui avaient cette
+direction. Je pus remarquer encore que cette vallée, beaucoup plus basse
+que toutes celles que j’avais sous les yeux, était orientée de manière à
+recevoir toutes leurs eaux, ce qui, à certaines époques, lui donne
+l’apparence d’un fleuve, comme je l’avais vu à son embouchure dans le
+Nil.
+
+Après avoir, du sommet d’Hégatte, relevé toutes les montagnes en vue, je
+me disposais à redescendre, lorsque fis je un faux pas et me donnai une
+forte entorse ; il fallut pourtant effectuer une espèce d’exercice
+d’acrobate jusqu’à mon dromadaire.
+
+Les Bicharieh, étonnés de ma course, ne furent pas moins étonnés de
+m’entendre dire qu’il n’y avait, sur le sommet de la montagne, aucune
+construction.
+
+En arrivant au camp, j’étais si fatigué, mon entorse me faisait
+tellement souffrir que, pour avoir le temps de me reposer, je remis le
+départ au lendemain. On en profita pour faire une bonne provision d’eau.
+Le chek Baraca, de son côté, avait une affaire à arranger avec le chek
+Ali Hérab au sujet d’un chameau volé, il eut le temps de s’en occuper.
+Cette affaire, entre autres péripéties, avait donné lieu à une aventure
+fort curieuse ; je la donne dans toute sa naïveté primordiale :
+
+Des gelabs ou négociants du Dongolah revenaient par la route du grand
+désert. Cette route quitte le Nil à Damer ou Berber, et n’y revient qu’à
+la hauteur de Derrawé, un peu au nord d’Assouan. Ils étaient arrêtés à
+la montagne de Chigré, où ils prenaient de l’eau en attendant le moment
+de se remettre en route. Des Arabes Bicharieh vinrent les trouver, et,
+comme les gelabs avaient des chameaux malades et fatigués, ils leur en
+offrirent quelques-uns plus valides, comme renfort ; une vente régulière
+s’ensuivit.
+
+Ces gelabs continuèrent leur route et arrivèrent à la vallée ou Ouadée
+Terfawe avec l’idée de se reposer. Alors qu’ils dressaient les tentes,
+quelques-uns d’entre eux conduisirent tous leurs animaux à un puits
+voisin. Là étaient aussi des Arabes des environs. On se disputa, comme
+toujours, pour savoir qui commencerait à faire boire ses bêtes et à
+remplir ses outres. Pendant la bagarre, un des Arabes reconnut, parmi
+les chameaux des gelabs, un sujet qui lui appartenait et qui lui avait
+été volé peu de jours auparavant ; il voulut alors s’en emparer. Celui
+qui le conduisait était un jeune chamelier faisant partie de la caravane
+des négociants ; il se montra, ce qui est facile à comprendre, peu
+disposé à rendre le chameau qu’il avait acheté à la station de Chigré.
+On en vint aux coups et ensuite aux armes, tout le monde prit part à la
+dispute et, dans la mêlée, un Bicharieh tomba mort, frappé d’un coup de
+lance par le jeune Arabe propriétaire du chameau. Les gens des
+négociants retournèrent immédiatement à leur campement, les Bicharieh à
+leur tribu.
+
+Mais l’affaire ne pouvait pas en rester là. Ces derniers revinrent
+bientôt en grand nombre, entourèrent leurs adversaires et demandèrent, à
+grands cris, qu’on leur livrât le meurtrier et son chameau, ajoutant
+que, si cela n’était pas fait sur l’heure, ils allaient piller la
+caravane et massacrer tout le monde.
+
+Les pauvres gelabs, inférieurs en nombre et mal armés, ne savaient plus
+à quel prophète se recommander, d’autant que ceux d’entre eux qui
+avaient assisté à l’affaire ne voulaient pas dénoncer le coupable.
+
+Enfin, sentant qu’il n’y avait pas d’arrangement possible, ils se
+préparèrent à combattre, et déjà les lances étaient levées contre eux,
+lorsque le jeune homme, cause de la prise d’arme, sortit tout à coup du
+groupe dans lequel il se trouvait, monta sur un rocher voisin, et, de
+là, déclara fièrement être le meurtrier que l’on cherchait ; mais il
+n’avait pas de reproches à se faire, n’ayant donné la mort que pour se
+défendre, et conserver un bien acquis loyalement ; il déclara aussi que
+sa cause n’étant pas celle des gelabs, il se séparait d’eux pour ne pas
+leur faire tort ; puis, brandissant sa lance, il dit qu’il vendrait
+chèrement sa vie contre celui ou ceux qui voudraient l’attaquer.
+
+Cette démarche, qui avait quelque chose de grand, quelque chose
+d’antique, dans la belle acception du mot, n’eut point un résultat bien
+digne, mais elle concourut, avec ce que l’on va lire, à un dénoûment
+bien dramatique.
+
+Les Arabes, qui n’étaient pas tous de la trempe de notre héros, voyant
+qu’effectivement il faisait bonne contenance, n’osèrent pas
+l’approcher ; ils dirent aux gelabs que c’était à eux à livrer cet homme
+et que, dans le cas contraire, ils exécuteraient leurs menaces.
+
+Il était évident que la perspective de piller une grosse caravane,
+autant que le besoin de venger un des leurs, les dominait en ce moment.
+Les négociants le comprirent ainsi, et, en vue de détourner l’orage, ils
+s’adressèrent à leur ami pour l’engager à se livrer lui-même aux
+Bicharieh, à se mettre à leur merci. Ils lui représentèrent qu’il
+n’avait, personnellement, aucune chance de salut, que la mort de ses
+compagnons, de ses compatriotes, ne lui serait d’aucun secours, tandis
+qu’en se sacrifiant il les sauverait tous, et que la postérité
+chanterait sa bravoure et sa mort généreuse. Les malheureux avaient
+cessé de parler, et l’angoisse peinte sur leurs visages dénotait le peu
+d’espoir que la situation leur inspirait. Cependant, un grand et
+généreux dévouement avait enflammé le cœur du jeune homme ; sans rien
+répondre, il était descendu de son piédestal et s’était dirigé, d’un pas
+ferme, du côté des Bicharieh. En se mettant ainsi à leur discrétion, il
+faisait le sacrifice de sa vie ; il enlevait en effet à ses adversaires
+tout prétexte de pillage ; mais le côté inattendu de cette histoire du
+désert ne devait pas être épuisé.
+
+A son approche, tous les Bicharieh poussèrent des cris étranges, comme
+les bêtes féroces lorsqu’elles se ruent sur une proie. Les parents du
+mort, à qui incombait le droit de frapper les premiers, portèrent à leur
+victime des coups mal assurés, soit qu’ils fussent troublés par la
+grandeur de sa résignation, soit qu’ils voulussent prolonger son
+supplice. Ce que voyant, car vraisemblablement, fanatisé qu’il était par
+l’excès même de sa résolution, il ne sentait rien ; ce que voyant, dis-
+je, le jeune Arabe se prit à rire, à se moquer de ses bourreaux, disant
+qu’ils ne savaient pas frapper, qu’ils avaient de mauvais poignards, et
+qu’après tout ils n’étaient, eux, que de vieilles vaches[12]. Puis,
+ayant arraché une arme des mains de ceux qui le frappaient, il se fit
+lui-même, à la jambe, une profonde blessure.
+
+Qui le croirait ? Il dut son salut à cet acte d’énergie, à ce trait de
+bravoure sauvage : toutes les femmes bédouines qui étaient accourues
+pour assister à la mort du prétendu meurtier, se jetèrent sur lui comme
+une avalanche, renversant les Bicharieh et criant : grâce ! grâce !
+elles l’arrachèrent de force, pour ainsi dire, des mains des hommes, qui
+ne purent s’opposer à ce mouvement.
+
+Une résolution aussi spontanée, aussi caractéristique, devait avoir sa
+logique ; ces femmes soignèrent si bien et avec tant d’intérêt le pauvre
+blessé, en le cachant toujours à tous les yeux, que bientôt il guérit.
+Leur tactique, pour arriver à ce but, était bien simple. Comme il y
+avait toujours plusieurs d’entre elles dans la tente où il était, aucun
+mari, aucun parent, aucun être masculin ne pouvait y entrer, car c’eût
+été un crime, et les Arabes, à cet égard, ne transigent jamais.
+
+Le pauvre garçon fut donc très-bien traité pendant plusieurs mois, et
+l’on en était arrivé à ce moment où rien ne lui manquait plus que la
+liberté ; mais il avait un compte véritable à régler.
+
+Or, après sa guérison, il demeura encore quelque temps chez les
+Bicharieh, toujours caché par les femmes et à l’abri de toute surprise.
+
+L’exaltation de ses bienfaitrices avait progressé en raison du résultat
+qu’elles avaient obtenu, de telle sorte que la pensée leur était venue
+de propager dans leur tribu la race d’un homme qu’elles admiraient. Que
+de vaudevilles ne finissent pas toujours aussi bien ! Il va sans dire
+que le héros de cette histoire put enfin, sûrement, retourner dans son
+pays.
+
+L’affaire que le chek Baraca devait arranger avec le chek Ali Hérab
+était donc, non celle qui avait rapport au meurtre du Bicharieh, mais
+seulement celle relative au voleur qui avait vendu le chameau aux gelabs
+à la station de Chigré.
+
+Le lendemain de la journée de cet arrangement, qu’il est insignifiant de
+relater, nous levâmes notre camp et descendîmes la vallée d’Hégatte pour
+entrer dans celle d’Ollaki. Cette dernière est très-encaissée ; je
+trouvai encore, dans les pics qui la dominent, beaucoup de ressemblance
+avec les pics du mont Sinaï ; son sol était couvert de plantes et
+d’arbres de différentes espèces, des mimosas, des sihales, des iglics,
+puis des merk et des sallem, sortes de grands genêts.
+
+Beaucoup de plantes d’arrak et de houchars tapissaient certains fonds.
+Dans les arbres grimpaient des plantes parasites qui faisaient, avec le
+reste, et au soleil levant, un effet merveilleux, enfin, de tous côtés,
+l’on voyait des compagnies de perdrix rouges se promenant paisiblement
+avec des troupeaux de gazelles.
+
+Nous fîmes halte dans un endroit de cette vallée charmante nommé
+l’_Affawé_, où se trouvaient les cabanes du chek de tribu Souéket que
+nous avions rencontré sur notre route lorsqu’il venait au-devant de
+nous.
+
+Non loin de là, dans les montagnes environnantes, il y avait plusieurs
+endroits où se voyaient quelques restes de travaux de mines, je ne pus
+aller les visiter, car je me ressentais encore de l’entorse que je
+m’étais donnée à la montagne d’Hégatte.
+
+Tous les parents du chek Souéket vinrent me voir et me demander chacun
+quelque chose. Je donnai seulement au chef du drap rouge et de la toile,
+et je renvoyai les autres, ce qui ne fut pas une petite affaire, par la
+raison que je n’avais pas encore rencontré, chez les Bicharieh, de
+mendiants comme les gens de cette tribu, y compris Souéket lui-même.
+
+L’on nous apporta force moutons pour notre nourriture, et il est inutile
+d’ajouter que les visiteurs ne manquèrent jamais aux heures des repas,
+que l’on partageait avec eux.
+
+Le 15 février, je visitai dans le voisinage plusieurs habitations
+ruinées qui avaient appartenu à des mineurs dont les travaux avaient été
+exécutés dans un filon de quartz qui traverse la montagne du nord au sud
+et dans les mêmes conditions de terrains que ceux que j’avais vu
+précédemment. Ces travaux étaient peu importants, des éboulements,
+survenus à différentes époques, les avaient presque entièrement
+recouverts.
+
+Nous partîmes et remontâmes toujours la vallée d’Ollaki ; elle offrait
+le même aspect riant et gai. La quantité de gibier que nous rencontrâmes
+nous permit de faire une chasse abondante en perdrix, gazelles et
+lièvres, qui s’enfuyaient à peine au bruit de nos coups de fusils, et
+qui nous regardaient avec étonnement, mais sans effroi.
+
+Je remarquai dans plusieurs endroits des restes d’habitations et des
+tombeaux de forme ronde, construits en pierres sèches, et remplis avec
+du sable et des cailloux sous lesquels, à une petite profondeur, étaient
+encore des ossements humains.
+
+Nous nous arrêtâmes à l’embouchure d’une petite vallée nommée Camolit,
+affluent de celle d’Ollaki, parce qu’il s’y trouve une source que nous
+devions mettre à contribution. Cette source, qui est renommée dans le
+pays, est bien moins abondante depuis qu’une grosse pierre, roulée par
+les eaux pluviales, a bouché son orifice ; elle a dû prendre
+souterrainement une autre direction. Les Arabes des environs sont très-
+malheureux de cela, ils regrettent de n’avoir pas d’eau en plus grande
+quantité ; mais ils sont si paresseux qu’ils regardent à se réunir une
+dizaine d’hommes pour dégager la source, ce qui serait l’ouvrage de deux
+ou trois jours au plus.
+
+Nous consacrâmes la journée à nous reposer.
+
+Vers le soir, le chek Nasser Abou Goublé vint nous trouver quoiqu’il
+nous eût dit précédemment, en nous quittant, qu’il ne pouvait revenir.
+Sa présence nous étonna et le début de sa conversation, toute dépourvue
+d’emphase, ne nous sembla pas moins cacher un artifice. Il nous dit que,
+trouvant sa cabane trop petite, il était venu respirer avec nous à
+l’ombre des grands arbres.
+
+Pour moi, je devinai bien que le motif futile, allégué par Abou Goublé,
+n’était pas le vrai motif qui le faisait agir ; mais l’usage ne me
+permettant point de formuler une question, j’observai le plus grand
+calme, et j’attendis. Il commença alors par nous donner des nouvelles
+peu rassurantes, eu égard à la situation dans laquelle nous étions. Il
+nous dit que Courchoud Aga, gouverneur de Kartoum, était allé à Taka, en
+_Gazoua_[13], qu’il avait été battu par les Allingas et les Hadindannes,
+tribus bicharieh du sud et qu’il était rentré à Kartoum dans le plus
+grand désordre.
+
+Il nous dit aussi que deux cents soldats, qui étaient allés à l’Baky
+pour percevoir les contributions que payent annuellement les Arabes qui
+cultivent du dourah dans cette localité, après les pluies, se trouvaient
+dans une très-dangereuse position au sujet d’un mouton appartenant aux
+Arabes, et qu’un soldat avait tué. Le maître du mouton, étant venu en
+réclamer le prix, avait été battu par les soldats, ce qui avait
+occasionné une querelle et un combat après lequel ces derniers avaient
+été cernés de toute part. L’un d’eux pourtant s’était enfui à cheval
+pour aller donner cette nouvelle au gouvernement de Berber et demander
+du renfort ; mais l’on craignait qu’en attendant, les deux cents soldats
+ne fussent assaillis et massacrés.
+
+Tout cela, en effet, aurait pu nous inquiéter fortement si nous n’avions
+pas eu avec nous le chek Baraca et quelques-uns de ses parents,
+circonstance dont Abou Goublé était parfaitement informé. Aussi je
+pensai bien que celui-ci avait un but personnel auquel les nouvelles
+qu’il nous donnait servaient de prétexte. Dans la conversation qui
+suivit, je compris qu’il voulait encore quelques présents, trouvant sans
+doute que ce que je lui avais donné n’était pas suffisant.
+
+Il me parla des Bicharieh, en général, dans d’excellents termes ;
+malheureusement leurs cheks n’étaient que des brutes, des sauvages qui
+ne comprenaient pas les choses comme lui, homme sage, loyal et civilisé.
+Ces cheks lui avaient remontré qu’il avait tort de laisser parcourir le
+pays à un étranger envoyé par les Turcs ; mais qu’il avait répondu que,
+pour lui, il était mon ami, qu’il avait bu et mangé avec moi, et qu’il
+faciliterait toutes mes recherches, que certainement ce n’était pas par
+intérêt qu’il agissait ainsi ; car les faibles présents que je lui avais
+faits ne pouvaient faire présumer cela ; mais qu’enfin il me conduirait
+partout où je voudrais en me couvrant de sa protection. L’argument
+devenait de plus en plus palpable, je lui donnai encore quelques pièces
+de toile pour le satisfaire et rester son ami ; il passa la nuit avec
+nous.
+
+Le 16, de bonne heure, Abou Goublé monta sur son dromadaire pour
+retourner chez lui, et nous montâmes sur les nôtres pour continuer notre
+route dans la vallée d’Ollaki, qui devenait de plus en plus étroite et
+tortueuse. Les montagnes qui l’encaissaient étaient toujours les mêmes,
+du granit, puis des porphyres et toutes les roches de même espèce.
+
+Nous arrivâmes, après cinq heures de marche, à l’emplacement désigné
+sous le nom de Déréhib.
+
+C’était le site le plus important que je voulais visiter ; or, comme il
+fallait plusieurs jours pour cela, je choisis une place convenable et
+commode pour y établir mon camp.
+
+Déréhib est à l’origine de l’ouadée Ollaki, qui court vers l’ouest-nord-
+ouest jusqu’au Nil près de Daké, entre la première et la seconde
+cataracte.
+
+Sur le bord du torrent, au pied même de la montagne, sont encore les
+restes d’une petite ville construite sur un léger mouvement de terrain
+et s’étendant du nord au sud[14].
+
+Cette ville était partagée par une grande rue dans la direction de sa
+longueur, et par d’autres plus petites, transversales, qui la
+subdivisaient en îlots. Les maisons, bâties en pierres brutes, avaient
+des murs bien faits, droits et verticaux, garnis d’un crépissage formé
+avec l’argile du torrent et les résidus de lavages de minerai ; elles
+étaient couvertes au moyen de branches d’arbres, et de plantes mêlées à
+de la terre comme les maisons arabes en général, et, quant à la hauteur,
+à la distribution intérieure, elles ressemblaient parfaitement à celles
+d’Assouan et de Deïr.
+
+A peu près au centre était la mosquée auprès de laquelle l’on aperçoit
+un amas de déblais qui doit provenir du creusement d’un puits
+aujourd’hui comblé.
+
+Vis-à-vis de l’extrémité sud de la ville, de l’autre côté du torrent,
+sont deux châteaux placés sur des hauteurs à l’entrée d’une gorge qui
+pénètre dans la montagne[15].
+
+Le plus grand, qui est au nord, a son entrée du côté du sud, tandis que
+l’autre l’a du côté du nord.
+
+Tous les deux sont bâtis en pierres brutes, en schistes, et ces pierres,
+toutes plates, forment des assises assez régulières ; les murs sont fort
+épais et flanqués de tours à chacun des angles ; l’intérieur, disposé
+comme les okels ou kans d’aujourd’hui, se composait de plusieurs étages
+qui tous sont effondrés avec les terrasses qui servaient de couverture
+et qui étaient construites avec des poutres, des planches, des nattes et
+une couche de terre ; toutes les portes étaient cintrées.
+
+Derrière le plus petit château, il y a beaucoup de maisonnettes qui
+s’étendent le long du torrent, tout contre la montagne ; autour du grand
+château sont aussi beaucoup d’habitations ruinées qui n’étaient que des
+huttes.
+
+Le cimetière de la ville est au pied du grand château, vers le nord, ses
+tombeaux appartiennent à l’époque à laquelle on a bâti la mosquée. J’ai
+trouvé de grandes plaques de schiste noir, avec des inscriptions
+cufiques comme celles des tombeaux que l’on voit au sud d’Assouan ; ils
+sont couverts de versets du Coran, mais ils ne portent aucune date.
+
+Quoique ces tombeaux soient musulmans et que certaines parties de la
+ville aient été habitées par des hommes de cette religion, l’on constate
+facilement que les châteaux, ainsi qu’un grand nombre de maisons, sont
+d’une époque beaucoup plus ancienne.
+
+Les Arabes n’auraient pas aligné des rues comme cela, et, d’un autre
+côté, l’image des constructions qui sont reproduites sur les bas-reliefs
+des anciens temples égyptiens, bas-reliefs où sont représentés des
+assauts et des siéges, ne laissent aucun doute à cette assertion.
+
+Au nord de la ville et des châteaux sont les mines qui étaient
+exploitées par les habitants ; or, de même que l’on voit deux époques
+dans les procédés de constructions, l’on en voit deux aussi dans les
+procédés des travaux d’exploitation[16].
+
+Les mines de Déréhib occupent deux petites montagnes de la hauteur de
+soixante mètres environ au-dessus du sol de la vallée, montagnes de
+schistes avec quelques pointes de granit qui saillissent d’espace en
+espace. En outre de cette identité, la présence, dans chacune d’elle,
+d’un large filon de quartz blanc, avec entourage de parties d’argile
+rougeâtre et jaunâtre talcaires, leur donne encore plus de similitude.
+
+Ces deux larges filons ont beaucoup de ramifications, veines légères
+toujours de même composition, et que l’on a suivies dans tous les sens
+pour les exploiter.
+
+Les travaux anciens se remarquent par leur régularité et leur grandeur ;
+il y a beaucoup de puits verticaux creusés de chaque côté des deux
+filons, puits qui communiquaient entre eux par des galeries souterraines
+fort multipliées. Ces excavations sont immenses, mais des éboulements
+considérables en obstruent une grande partie et empêchent de pénétrer
+jusqu’aux endroits où les exploitations ont été conduites[16].
+
+En poursuivant, avec grande difficulté, une de ces galeries, j’en
+trouvai l’extrémité fermée par une maçonnerie assez solide, et je pensai
+naturellement que les mineurs s’étant retirés, par une raison que
+j’ignore, avaient voulu fermer la galerie dans laquelle se trouvait le
+filon qu’ils exploitaient, afin que l’on ne travaillât pas en leur
+absence. Je voulus donc reconnaître ce filon et j’entrepris la
+démolition du mur ; mais n’ayant aucun ouvrier, il fallut faire cela
+avec mes gens et concourir moi-même au travail qui dura à peu près deux
+heures, au bout desquelles je trouvai effectivement derrière le mur un
+petit vide qui constituait la fin de la galerie. Ici je dus m’arrêter,
+parce que, d’une part, le filon était trop difficile à entamer et que,
+d’autre part, mes gens avaient peur de travailler ainsi sous la terre.
+D’ailleurs, je n’étais pas venu pour commencer des travaux
+d’exploitation, mais seulement pour reconnaître les mines.
+
+On remarque bien que ces travaux, par puits et galeries, ne sont pas
+l’ouvrage des Arabes ; ce sont ceux des Égyptiens sous les Pharaons.
+
+Dans toutes les galeries, les parois noircies par la fumée des lampes
+des ouvriers, ont été, plus tard, piquées avec une pioche et un ciseau
+comme pour reconnaître le terrain ; or ces parties plus blanches que le
+reste prouvent évidemment qu’elles ont été reprises longtemps après les
+premiers travaux d’excavation.
+
+Plus tard aussi, l’on a creusé aux environs des principaux filons, et
+amoncelé des déblais considérables pour arriver au minerai ; c’est là le
+travail des Arabes musulmans, qui ont toujours craint de travailler
+autrement qu’à ciel ouvert[17].
+
+Toutes les montagnes des environs de la grande mine qui offraient
+quelque chance de rémunération ont été attaquées vigoureusement. C’est
+surtout du côté du sud que l’on trouve le plus de traces de travaux.
+
+Au nord de la grande mine, dans une gorge retirée, est un monticule de
+décombres qui a été entièrement formé des déblais d’une excavation dont
+l’entrée est aujourd’hui fermée par des éboulements. Ceci ne me parut
+pas avoir été une mine ; mais plutôt un grand tombeau égyptien ou un
+temple creusé sous terre. Dans cette conviction je voulus en faire
+rechercher l’entrée ; on avait déjà commencé à piocher, lorsqu’une
+grosse pierre coula d’en haut et vint tomber auprès de mes arabes qui se
+mirent à fuir de tous côtés. Ils crurent voir dans cet accident,
+pourtant bien naturel, une manifestation diabolique et, pour rien au
+monde, ils ne voulurent recommencer à travailler.
+
+Dans aucun endroit de ces établissements de mineurs je n’ai trouvé de
+moulins à bras, ni de moulins d’aucune espèce pour écraser le minerai et
+le préparer ; je n’ai vu non plus aucune trace de lavage. Pour les
+moulins, il est probable que l’on a pu les emporter sur d’autres
+chantiers et pour d’autres usages ; les lieux de lavage auront été
+détruits par les écoulements des eaux ou enfouis sous le sable qui
+couvre une grande partie du sol.
+
+Il semble, au grand nombre d’habitations répandues dans toute la vallée,
+aux pieds des collines et dans tous les lits des petits torrents
+ruisselant des montagnes lorsqu’il pleut, qu’il y a eu là, à une
+certaine époque, une forte population. On remarque même qu’il y avait
+quelques jardins ; car dans plusieurs endroits, tout près des maisons,
+se voient des murs d’enceinte faits évidemment pour empêcher les pierres
+roulées par les eaux, la terre et l’eau elle-même de détruire ces sortes
+de créations.
+
+Sans doute ici les pluies étaient plus fréquentes autrefois
+qu’aujourd’hui, comme cela a eu lieu aussi, d’après mes observations,
+dans plusieurs autres endroits : aux environs de Suez, au mont Sinaï et
+aux environs de l’Accaba.
+
+Mais je ne doute nullement de la facilité que l’on aurait de creuser des
+puits qui donneraient beaucoup d’eau, en outre de l’apport de plusieurs
+sources, plus ou moins abondantes, qui se trouvent à une distance de
+1,000 à 1,200 mètres en remontant la vallée, sources que l’on pourrait
+utiliser en raison de la pente régulière du sol. Elles l’ont été, tout
+le fait présumer, pour subvenir aux besoins d’arrosage des jardins dont
+j’ai parlé plus haut.
+
+Ce qui me surprit beaucoup c’est que, malgré toutes mes recherches, je
+ne trouvai aucun reste de monument ancien ni aucune inscription. La
+raison cependant en est bien simple : avec les pierres du pays les
+Égyptiens ne pouvaient rien construire suivant leur goût, suivant le
+style qui leur était propre. Ils affectionnaient le granit, le grès, le
+calcaire ; ils ne trouvaient ici que des schistes, des feldspath, des
+roches micacées, des quartz et autres formations analogues ; cela fait
+qu’ils n’ont laissé aucune trace de leur passage.
+
+Toutefois il n’y a pas à douter que ces mines ne soient celles des
+anciens Égyptiens où l’on envoyait les hommes condamnés à des travaux
+forcés ; car le nom d’Ollaki, donné par Diodore, est bien le même que
+celui d’Allake, prononciation moderne du mot qui ne constitue même pas
+une altération, car enfin parmi les travaux que je viens de signaler, il
+s’en trouve de bien plus anciens que ceux des arabes.
+
+Voici ce que Diodore rapporte à ce sujet[18] ; comme cela s’accorde
+entièrement avec ce que j’ai vu, je le cite tout au long :
+
+« Entre l’Égypte, l’Éthiopie et l’Arabie est un endroit de métaux et
+surtout d’or qu’on retire avec bien des travaux et de la dépense ; car
+la terre dans cet endroit est, de sa nature, dure et noire et
+entrecoupée de veines d’un marbre blanc si luisant qu’il surpasse, en
+éclat, les matières les plus brillantes. C’est là que ceux qui ont
+l’Intendance des métaux font travailler un grand nombre d’ouvriers. Le
+roi d’Égypte envoie quelquefois aux mines, avec toutes leur famille,
+ceux qui ont été convaincus de crimes, aussi bien que les prisonniers de
+guerre, ceux qui ont encouru son indignation ou qui succombent aux
+accusations vraies ou fausses, en un mot tous ceux qui sont condamnés
+aux prisons. Par ce moyen il tire de grands revenus de leur châtiment.
+Ces malheureux, qui sont en grand nombre, sont tous enchaînés par les
+pieds et attachés au travail sans relâche et sans qu’ils puissent jamais
+s’échapper ; car ils sont gardés par des soldats étrangers, et qui
+parlent une autre langue que la leur, de sorte qu’il leur est impossible
+de les corrompre par des paroles et par des caresses. Quand la terre,
+qui contient l’or, se trouve trop dure, on l’amollit avec le feu
+d’abord, après quoi ils la rompent à grands coups de piques ou d’autres
+instruments en fer. Ils ont à leur tête un entrepreneur qui connaît les
+veines de la mine et qui les conduit. Les plus forts d’entre les
+travailleurs fendent la pierre à grands coups de marteau, cet ouvrage ne
+demandant que la force des bras, sans art et sans adresse ; mais comme,
+pour suivre les veines qu’on a découvertes, il faut souvent se
+détourner, et qu’ainsi les allées que l’on creuse dans ces souterrains
+sont fort tortueuses, les ouvriers, qui sans cela ne verraient pas
+clair, portent des lampes attachées à leur front. Changeant de posture
+autant de fois que le requiert la nature du lieu, ils font tomber à
+leurs pieds les morceaux de pierre qu’ils ont détachés. Ils travaillent
+ainsi jours et nuits, forcés par les cris et par les coups de leurs
+gardes. De jeunes enfants entrent dans les ouvertures que les coins ont
+faites dans le roc et en retirent les petits morceaux de pierre qui s’y
+trouvent et qu’ils portent ensuite à l’entrée de la mine. Les hommes
+âgés d’environ trente ans prennent une certaine quantité de ces pierres
+qu’ils pilent dans des mortiers avec des pilons de fer jusqu’à ce qu’ils
+les aient réduites à la grosseur d’un grain de millet. Les femmes et les
+vieillards reçoivent ces pierres mises en grains, et les jettent sous
+des meules qui sont rangées par ordre ; se mettant ensuite deux ou trois
+à chaque meule, il les broient jusqu’à ce qu’ils aient réduit, en une
+poussière aussi fine que de la farine, la mesure qui leur a été donnée.
+Il n’y a personne qui n’ait compassion de l’extrême misère de ces
+forçats qui ne peuvent prendre aucun soin de leur corps, et qui n’ont
+pas même de quoi couvrir leur nudité ; car on n’y fait grâce ni aux
+malades ni aux estropiés ; mais on les contraint également à travailler
+de toutes leurs forces jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, ils meurent de
+fatigue. Ces infortunés n’ont d’espérance que dans la mort et leur
+situation présente leur fait craindre une longue vie. Les maîtres
+recueillant cette espèce de farine achèvent l’ouvrage de cette manière :
+ils l’étendent sur des planches larges et un peu inclinées, et ils
+l’arrosent de beaucoup d’eau. Ce qu’il y a de terrestre dans ces
+matières est emporté par l’eau qui coule le long de la planche ; mais
+l’or demeure dessus à cause de sa pesanteur. Après ce lavage, répété
+plusieurs fois, ils frottent quelque temps la matière entre leurs mains.
+Ensuite, s’essuyant avec de petites éponges, ils emportent ce qui y
+reste de terre jusqu’à ce que la poudre d’or soit entièrement nette.
+D’autres ouvriers, prenant cet or, au poids et à la mesure, le mettent
+dans des pots de terre, ils y mêlent, dans une certaine proportion, du
+plomb, des grains de sel, un peu d’étain et de la farine d’orge, ils
+versent le tout dans des vaisseaux couverts et lutés exactement, qu’ils
+tiennent cinq jours et cinq nuits de suite dans un feu de fournaise ;
+ensuite leur ayant donné le temps de se refroidir, l’on ne trouve plus
+aucun mélange des autres matières ; mais l’or est entièrement épuré,
+avec très-peu de déchet. Voilà, etc., etc. »
+
+Peut-on ne pas reconnaître l’identité des mines de Déréhib avec celle
+dont Diodore vient de nous donner une description aussi naïve ?
+
+Maintenant, il est avéré aussi que ces mines, ainsi que beaucoup
+d’autres que j’ai visitées, ont été exploitées par les Arabes ; mais,
+comme je l’ai dit plus haut, c’était par un procédé différent, c’est-à-
+dire toujours à ciel ouvert.
+
+Après Diodore, l’on ne voit plus rien, dans les auteurs anciens, qui ait
+rapport à ces questions, et ce n’est qu’en arrivant à l’époque musulmane
+que, dans un auteur arabe, un historien connu par ses ouvrages et
+surnommé Macrizi, du nom du quartier de la ville d’Alep où il était né,
+l’on retrouve des détails sur les travaux des mines d’or des Bicharieh.
+Macrizi, qui vivait en l’année 1385, par conséquent 1430 ans après
+Diodore, rapporte que, sous Ahmed, fils de Teïloun, souverain de
+l’Égypte, un arabe pénétra dans la Nubie et soutint une longue guerre
+contre les habitants de ces contrées.
+
+« C’était, dit-il, un certain Abou Abd el Haman el Omary[19], etc., qui
+naquit et fut élevé à Médine. Il vint à Fosto, où il professa la science
+des traditions ; il vint ensuite à Kirwan ; puis il retourna en Égypte
+avec une assez forte somme qu’il avait reçue en cadeau pour avoir
+composé des éloges en l’honneur du prince de ce pays. Il entendit alors
+parler de la mine dont on tirait l’or natif. Il acheta des esclaves avec
+l’idée d’aller travailler à l’extraction de l’or, et il se rendit à
+Assouan, sous le prétexte apparent d’y faire le commerce. Arrivé dans
+cette ville, il fréquenta les cheks ulémas, avec lesquels il s’entretint
+de sciences ; puis enfin il partit pour la mine, et choisit pour
+campement le lieu où était une tribu d’Arabes de Modar. Quelque temps
+après, la division se mit entre ceux-ci et ceux de Rébiah, à l’occasion
+d’un homme de la tribu de Modar qui avait été assassiné ; mais, les deux
+parties en étant venues à un arrangement, il n’y avait pas eu de
+rupture. Le meurtrier avait subi la peine du talion, et le plus proche
+parent du mort avait été satisfait.
+
+« El Omary n’ayant point été appelé à cet accord en fut profondément
+piqué et abandonna son habitation.
+
+« Quelques-uns des Arabes de la tribu, dont il était l’ami, le suivirent
+pour l’apaiser ; malgré tous leurs efforts, il résista à leurs
+sollicitations. Cependant, d’après les promesses qu’ils lui firent de
+n’agir désormais que par ses ordres, promesses accompagnées des serments
+les plus sacrés, el Omary profita de l’occasion ; il engagea ces Arabes
+à le reconnaître pour leur chef, et étant retourné avec eux à leur
+campement, leur ordonna de revenir sur l’accord qu’ils avaient conclu
+relativement au meurtre et d’en tirer vengeance les armes à la main, ce
+à quoi ils obéirent en attaquant les Arabes de Rébiah.
+
+« Après plusieurs combats, el Omary, forcé de céder au nombre, se retira
+vers une mine placée au midi de la première, où il était allé d’abord.
+
+« Dans cette nouvelle habitation, ses compagnons étaient obligés d’aller
+chercher l’eau à une grande distance et souffraient de la soif.
+
+« Cependant il était assez près du Nil, sans s’en douter, ce qui lui fut
+démontré par des oiseaux qu’il vit voler et qui ordinairement ne
+fréquentent que les bords des rivières. Il envoya au fleuve ses gens
+pour chercher de l’eau ; c’était dans le district de Makorrah. Mais les
+Nubiens, habitants de ce pays, voyant de mauvais œil l’arrivée des
+nouveaux hôtes, se saisirent de quelques-uns d’entre eux et les
+retinrent prisonniers. Ceux qui devaient apporter de l’eau à la mine ne
+revenant pas, les compagnons d’el Omary se trouvèrent exposés à toutes
+les horreurs de la soif ; en sorte que la quantité d’eau contenue dans
+une outre se vendait deux drachmes d’or natif.
+
+« El Omary, ayant inutilement employé la voie des négociations pour
+obtenir la liberté des prisonniers, alla la solliciter lui-même en
+personne, priant en même temps les Nubiens de lui fixer une route par
+laquelle ses Arabes pourraient se rendre au Nil pour puiser de l’eau,
+route dont ils ne s’écarteraient ni à droite ni à gauche. Les Nubiens,
+loin d’accéder à ses demandes, massacrèrent les hommes qui se trouvaient
+entre leurs mains.
+
+« El Omary, outré d’une pareille action, retourna vers ses compagnons et
+leur commanda de se tenir prêts à marcher. Tous s’étant rassemblés
+auprès de lui et ayant juré de le suivre, il leur ordonna d’apporter les
+instruments de fer qui servaient à travailler dans la mine et d’en
+forger des javelots.
+
+« Aussitôt après il se mit en marche pour tomber à l’improviste sur les
+Nubiens. Il arriva au lieu nommé _Scheukir_, situé au midi de la ville
+de Dongolah, à la distance d’environ deux mois de marche[20]. Le Nil, en
+cet endroit, fait, du côté de l’orient, un détour considérable et se
+rapproche tellement de Schankoh qu’il n’en est qu’à une distance de
+quelques heures de marche. De là il retourne vers l’occident, puis vers
+l’orient. Ces sinuosités rendent la route excessivement longue pour ceux
+qui remontent ou descendent le Nil ; aussi les Nubiens, pour éviter ces
+détours, prennent leur route au travers du désert ; en sorte qu’ils
+parcourent en deux jours un espace d’un mois de marche.
+
+« El Omary étant tombé sur les Nubiens, en tua un nombre considérable et
+ravagea le pays. Ses compagnons emmenèrent une telle quantité de
+prisonniers que lorsqu’un d’entre eux se faisait raser la tête, il
+donnait un esclave pour le salaire du barbier.
+
+« Les Nubiens s’étant retirés à l’occident du fleuve avec tout ce qu’ils
+possédaient, el Omary choisit parmi ses compagnons une troupe d’hommes
+d’élite auxquels il recommanda de traverser le Nil sur des outres
+pendant la nuit, de fondre sur les Nubiens et d’enlever leurs barques.
+Un Arabe de cette troupe, étant arrivé au bord occidental du fleuve, dit
+à ses compagnons : O mes amis, tirez-moi de l’eau, car un crocodile m’a
+coupé le pied. Il avait, pendant la traversée, éprouvé la morsure de ce
+cruel animal ; mais craignant, s’il faisait du bruit, de troubler
+l’expédition, il s’était contenu et avait supporté la douleur jusqu’au
+moment où l’on parvint à l’endroit où étaient les ennemis.
+
+« Les Arabes ayant donc surpris ceux-ci, les défirent complétement, et
+enlevèrent leurs barques dont ils se servirent pour faire des courses
+dans les îles et sur la rive occidentale.
+
+« A cette époque el Omary écrivit aux marchands de la ville d’Assouan
+pour les engager à lui apporter des provisions par la route de la mine.
+En conséquence, un habitant de cette ville, nommé Othman ben Handjallah,
+de la tribu de Temin, partit avec mille bêtes de somme chargées de
+froment et autres denrées.
+
+« El Omary alla à sa rencontre et fut charmé de son arrivée. Il y avait
+dans la mine, et dans la ville d’Assouan un nombre prodigieux d’esclaves
+nubiens ; les habitants de cette ville n’avaient presque plus pour leur
+harem que des femmes de cette nation, attendu qu’elles se vendaient à
+très-bas prix. »
+
+El Omary, on le voit, eut beaucoup de guerres à soutenir contre les
+Nubiens ; ce que l’on peut lire en détail dans la traduction des œuvres
+de Macrizi, par M. Quatremère ; mais, tout en guerroyant, il ne perdit
+jamais le but principal qu’il s’était proposé : l’exploitation des
+mines. Beaucoup d’Arabes des tribus de Syrie vinrent, à sa suite,
+s’établir dans le pays qu’il occupait et lui causèrent parfois des
+embarras ; car, ne s’entendant pas toujours, il arriva que plusieurs
+d’entre elles prirent parti pour les Nubiens.
+
+Laissons encore parler son historiographe :
+
+« El Omary eut aussi un autre ennemi. Il était venu près d’Assouan, au
+village de Cachlémle, une journée plus au sud, et un lieutenant d’Achmed
+ben Teïloun, nommé El Babeky, fut envoyé par son souverain, à Assouan,
+avec un corps de troupes pour réprimer les actes qu’il pourrait
+commettre ; mais, quoique El Omary fît tout son possible pour maintenir
+la paix, il ne put y parvenir, et il combattit le lieutenant d’Ahmed ben
+Teïloun, qui fut mis en déroute.
+
+« El Omary vint ensuite à Edfou, en Égypte, puis il retourna à sa mine,
+où il eut encore une terrible guerre à soutenir contre les Arabes de
+Rébiah.
+
+« En l’année 255 de l’hégire, il retourna encore s’installer à sa mine.
+
+« A cette époque, le pays devint tellement peuplé, dit toujours Macrizi,
+et cela à cause de l’exploitation des mines, que soixante mille bêtes de
+somme étaient employées à y porter des provisions de la ville
+d’Assouan ; sans compter tout ce qui arrivait par Kolzoum, sur la mer
+Rouge, et par Aïdab.
+
+« Les Bedjah, qui sont les Bicharieh, prirent part dans les guerres des
+Arabes contre El Omary, et lui tuèrent son frère Ibraïm el Makhzoum, qui
+était allé chercher des grains à la ville d’Aïdab.
+
+« El Omary eut encore beaucoup de luttes à soutenir, et l’on cite un
+combat très-meurtrier qu’il livra dans un lieu nommé Meïça.
+
+« Enfin, un mécontent de la tribu de Modar dressa un piége à El Omary et
+le massacra. C’est ainsi que finit cet homme qui avait repeuplé tout le
+désert par le moyen de l’exploitation des mines. »
+
+On n’est plus étonné, après avoir lu et Diodore et Macrizi, de trouver,
+dans ce pays, autant d’endroits où l’on ait travaillé à l’extraction de
+l’or ; mais ce qui est curieux, c’est qu’une seule mine ait été ouverte
+avant l’époque des Arabes, c’est que, pendant la période d’années
+écoulées entre Diodore et Ahmed ben Teïloun, période d’environ 914
+années, il n’ait été tenté aucun travail de la même nature que ceux de
+Déréhib.
+
+Comme tous les indigènes de ces contrées où sont d’anciens monuments,
+les Bicharieh prétendent que leurs deux vieux châteaux renferment,
+enfouis, des trésors considérables ; mais la peur qu’ils ont du diable
+qui, dans leur conviction, garde ces trésors, les empêche de tenter
+aucune fouille.
+
+Un des cheks qui m’accompagnaient, lequel n’avait pas l’air de craindre
+le moins du monde le diable des châteaux, me dit que son père était allé
+chercher à Assouan un savant fort expert pour reconnaître les lieux où
+des trésors se trouvaient cachés, afin de lui faire trouver ceux de
+Déréhib, mais que, lorsque ce savant avait voulu commencer la
+démolition, aux premiers coups de pioche il était sorti de terre une
+flamme qui lui avait brûlé la barbe.
+
+Tous les cheks me prièrent de faire quelque chose pour chasser le
+diable, afin qu’ils pussent fouiller dans des endroits indiqués. J’étais
+fort embarrassé ; car, si je ne faisais rien, ils pouvaient croire que
+c’était mauvaise volonté ; d’un autre côté, je répugnais à les
+entretenir dans leur ignorance en les laissant dans la persuasion que
+j’avais un pouvoir quelconque sur leur diable. Je causai de cela avec le
+chek Baraca et quelques autres moins bornés que leurs compagnons, et
+nous décidâmes de tenter une plaisanterie qui réussit parfaitement. Je
+plaçai un soir, sur le faîte de l’un des châteaux, quelques pièces
+d’artifice, telles que fusées et soleils, et j’allai y mettre le feu, ce
+qui divertit tout le monde. Je fis ensuite tuer plusieurs moutons que
+tous les Arabes présents mangèrent, et le lendemain matin, beaucoup
+d’entre eux, ayant foi dans la fuite du diable, se mirent à déblayer
+plusieurs endroits que je leur désignai. Ils ne bouleversèrent que des
+tas de poussière blanche provenant du lavage du minerai, et des amas de
+sable et de déblais qui résultaient de l’excavation d’un puits.
+
+Quelques hommes me firent voir un endroit où ils avaient plusieurs fois,
+en creusant le sol, trouvé des perles fines. Ceci ne m’étonna pas, car
+j’avais vu, pendant un de mes séjours à Assouan, des Arabes du désert
+qui venaient vendre des perles ramassées par eux dans des ruines ou dans
+des sites abandonnés. Les Arabes anciens avaient l’habitude, comme ceux
+d’aujourd’hui l’ont encore, d’enfouir leurs richesses sous terre ou dans
+des cachettes quelconques, afin de ne pas être volés. Dans cette
+situation, si la mort vient à surprendre le propriétaire, si la guerre
+l’oblige à quitter une résidence dans laquelle il ne peut plus revenir,
+l’on comprend bien que ses richesses demeurent perdues jusqu’au jour où
+le hasard les livre à des gens qui n’y ont aucun droit ; et c’est fort
+souvent ce qui arrive.
+
+A Oum Eubal, par exemple, l’on a trouvé beaucoup de perles et de bijoux
+qui avaient été enterrés par les mamelouks que Méhémet Ali avait mis en
+fuite, si bien que parmi les personnes que le vice-roi avait alors à son
+service, il y eut un prétendu savant, un maître minéralogiste qui, sur
+le dire des Arabes, persuada au gouvernement qu’il y avait des perles
+dans une montagne du désert, et le poussa à une expédition ridicule pour
+en exploiter la _mine_.
+
+La proximité de la mer Rouge faisait que les habitants des châteaux de
+Déréhib devaient avoir des perles, et c’est justement parmi les
+éboulements des murs que les Bicharieh en ont ramassé.
+
+Enfin, après être resté six jours sur ce point de la vallée d’Ollaki,
+n’ayant plus rien à voir, nous songeâmes à la quitter. Il s’était groupé
+autour de nous, dans les ravins, beaucoup d’hommes, de femmes et
+d’enfants : tous nous recommandaient de ne pas couper leurs arbres, qui
+étaient leur seule richesse ; mais en réalité ils n’étaient venus que
+pour solliciter des aumônes. Je fis de mon mieux pour contenter ces
+pauvres gens et pour faire qu’un bon souvenir de mon passage restât
+gravé dans leur esprit.
+
+Depuis quelques jours le temps était couvert et menaçant ; au lieu de la
+pluie que nous attendions, nous n’eûmes qu’un fort vent du nord très-
+froid.
+
+Nous marchâmes environ trois heures en traversant les montagnes, et nous
+nous arrêtâmes dans l’Ouadée Affériame près d’un puits.
+
+Pendant que l’on campait et que nous nous organisions pour la nuit, deux
+jeunes gens des Ababdieh qui nous accompagnaient eurent une querelle au
+sujet de l’herbage qu’ils cueillaient pour leurs chameaux.
+
+Le père de l’un d’eux, vieillard à cheveux blancs, vint prendre parti
+dans la querelle et frappa l’adversaire de son fils. Alors un parent de
+ce dernier intervint. Il saisit le vieillard par la barbe, le jeta par
+terre en lui reprochant son peu de prudence, sa maladresse dans cette
+circonstance, comme si lui-même ne commettait pas une imprudence, une
+maladresse plus grande en agissant ainsi. Le vieillard prit une pierre
+et fit une forte blessure à celui qui le tenait. Tout le camp fut en
+rumeur ; chacun s’intéressant plus ou moins à la bagarre, l’on se porta,
+de part et d’autre, quelques horions. Le chek des Ababdieh arriva assez
+à temps pour empêcher que l’on en vint aux armes et réconcilier les deux
+partis. Le moyen qu’il proposa fut accepté par tout le monde. Il fut
+convenu, d’un commun accord, de faire battre en duel les deux jeunes
+gens qui, depuis le départ d’Assouan, étaient continuellement en
+dispute. Ce duel eut lieu immédiatement, réglé suivant les usages du
+pays. En conséquence, l’on tendit deux cordes séparées parallèllement
+l’une à l’autre d’environ 1m,50, l’on fit dépouiller les deux champions
+de la partie de leurs vêtements qui les couvrait jusqu’à la ceinture,
+et, après les avoir armés chacun d’un superbe courbache, espèce de forte
+cravache faite d’une lanière de peau d’hippopotame, on les plaça en
+présence de chaque côté des deux cordes. De cette manière ils ne
+pouvaient se rapprocher qu’à la distance fixée ; mais ils pouvaient
+s’atteindre, et ils étaient libres de se frapper autant qu’ils le
+voudraient.
+
+Ils se frappèrent avec acharnement sans pousser un cri, une plainte,
+sans même sourciller. Dans un instant les corps des deux jeunes Arabes
+furent ruisselants de sang ; car le courbache, entre les mains de gens
+qui savent s’en servir, est une arme terrible, une arme qui coupe et
+meurtrit tout à la fois. L’honneur, comme l’on dit chez nous, était
+satisfait, et, sur mes instances, les témoins les plus intéressés
+jugèrent à propos de faire cesser le combat. Ils séparèrent les
+adversaires qui vinrent s’asseoir, l’un près de l’autre, aussi
+tranquillement que s’il ne s’était rien passé.
+
+Cette affaire grossière entre deux hommes sans renom m’impressionna
+vivement ; pourquoi cela ? c’est qu’avant et après l’action, c’est que
+pendant le combat même, la tenue des assistants et celle des acteurs se
+confondaient dans une mise en scène théâtrale qui trahissait un profond
+sentiment de la dignité humaine. On devait procéder ainsi dans le temps
+des combats homériques.
+
+Je laissai la caravane descendre la vallée de Massarrié, et je me
+dirigeai vers celle de Chawanib ; celle-ci est petite et étroite, l’on y
+voit beaucoup d’habitations ruinées remplies de moulins comme ceux dont
+j’ai déjà parlé. Ces habitations, comme toujours, sont près d’un lieu
+d’exploitation. Or il me parut fort intéressant d’y séjourner. Pour
+cela, il me fallut courir à la recherche de la caravane qui avait pris
+une autre direction à cause des mauvais passages dans les montagnes. Ce
+ne fut que le surlendemain que je pus l’atteindre et revenir, avec elle,
+à Wadée Chawanib.
+
+Ce retour, vers le point que j’avais quitté la veille, me permit de
+descendre la vallée d’Affériame qui est fort jolie, remplie de beaux
+arbres et de buissons vigoureux. Etroite et resserrée entre de petites
+montagnes et des rochers escarpés remarquables de formes et de couleurs,
+elle est en outre très-tortueuse ; elle contient plusieurs réservoirs
+naturels où les eaux de pluies se conservent longtemps, ce qui attire
+beaucoup de perdrix et de gazelles. Nous y trouvâmes aussi un âne
+sauvage, un onagre que nous poursuivîmes ; mais il disparut bientôt au
+milieu des rochers.
+
+De cette vallée d’Affériame nous passâmes dans une plus petite, bordée
+de basses collines de granit. Puis ensuite nous descendîmes dans une
+autre appelée Timestib à cause de la quantité de petits joncs qu’elle
+produit. Timestib est son nom en bicharieh, en arabe c’est Chouché.
+
+Dans tous ces ravins nous rencontrâmes beaucoup de troupeaux conduits
+par de vieilles femmes auxquelles nous causions une grande frayeur.
+
+Avant d’arriver dans l’Ouadée Massarrié, les montagnes deviennent plus
+élevées, elles ont une couleur très-rouge et sont toutes dégradées par
+des éboulements.
+
+La vallée de Massarrié est large, les collines qui la bordent d’un côté
+sont peu élevées, de l’autre côté ce sont de petites montagnes toujours
+de mêmes formations, mêlées ici de porphyres et de gneiss, là de granits
+et de schistes, et traversées dans tous les sens par des filons de
+quartz plus ou moins pur, plus ou moins micacé.
+
+Cette vallée est remplie de plantes et d’arbustes ; mais ici il nous
+arriva un contre-temps : nous étions tellement gelés par un fort vent du
+nord, qui soulevait des nuages d’une poussière blanche et fine,
+tellement aveuglés par cette poussière, qui nous empêchait de rien voir,
+que nous fûmes forcés de nous arrêter près d’une petite gorge où il y
+avait de l’eau et des buissons.
+
+Quelques Arabes, campés dans cette localité, vinrent très-poliment nous
+prier de ne pas prendre l’eau qui leur appartenait ; c’était assez
+difficile, attendu la situation. Quoiqu’ils nous répétassent, sous
+toutes les formes, qu’ils étaient les maîtres, nous dûmes leur faire
+comprendre que le droit que nous avions comme leurs hôtes, autant que le
+besoin de nous ravitailler, nous empêchait de consentir à ce qu’ils
+demandaient ; après quoi nous prîmes de l’eau, et personne ne s’y
+opposa.
+
+Vers le soir, le vent tomba ; mais nous étions littéralement couverts de
+poussière, nos personnes, nos montures, nos bagages, en étaient pour
+ainsi dire saturés, ce qui donnait à notre marche un aspect fort
+bizarre.
+
+Toute la nuit le froid se maintint très-vif, il ne diminua qu’après le
+lever du soleil, et nous ne rentrâmes dans l’ouadée Chawanib que vers
+l’après-midi.
+
+Mon premier soin, après m’être installé, fut de visiter les lieux
+d’exploitation et de placer des Arabes dans différents endroits pour y
+travailler.
+
+Ces mines de Chawanib sont situées entre plusieurs petites montagnes de
+peu d’élévation, la plus haute n’ayant pas plus de 120 mètres au-dessus
+du fond de la vallée ; elles présentent un mélange de plusieurs roches
+avec une base de granit ou de différentes espèces de porphyres. Le mica,
+le quartz et le feldspath se trouvent réunis dans des blocs séparés.
+
+L’endroit principal de l’exploitation est à droite de la vallée, en la
+remontant. C’est une petite colline de 20 mètres environ, entre deux
+petits torrents qui descendent de la montagne. Dans cette colline l’on a
+exploité deux filons qui traversent la petite vallée et continuent de
+l’autre côté, où ils sont aussi entamés ; leur direction est S.-E. et
+N.-O. sur une largeur de 95 centimètres. Le sol est ici encore de
+formation primitive, les schistes y dominent. Je remarquai aussi, autour
+de ces filons, des schistes rougeâtres dans lesquels se trouvent de
+petits cristaux cubiques qui ont de 2 à 4 millimètres de face, puis une
+terre argileuse très-compacte avec beaucoup de petites veines de quartz
+contenant le métal, c’est-à-dire l’or exploité. Enfin, les travaux
+exécutés verticalement conservent partout la même largeur dans tous les
+endroits où l’on avait fouillé, et ont été conduits, sur bien des
+points, jusqu’à l’épuisement complet de la partie quartzeuse.
+
+Il m’arriva ici, comme à Déréhib, de trouver le fond d’un filon exploité
+entièrement muré ; au delà du mur mes recherches furent aussi
+infructueuses que dans la mine de Déréhib.
+
+Quoique la présence de l’or soit fort peu sensible, l’on ne peut
+cependant pas douter qu’il n’y ait eu un grand travail, et que tous ces
+filons n’aient été fouillés. Dans plusieurs des habitations
+environnantes, et dans quelques autres j’ai trouvé, près du mortier où
+l’on pilait le minerai, la gangue qui renferme l’or, puis cette même
+pierre pilée et préparée pour être passée au moulin.
+
+J’ai constaté qu’un seul filon n’avait pas été comblé par les
+éboulements, et qu’il faudrait de grands travaux pour déblayer les
+autres si l’on voulait continuer l’exploitation. La maison de celui qui
+exploitait le filon principal était sur le lieu même, et des gardiens,
+dont on voit encore les guérites en pierres, veillaient sur le haut de
+la colline.
+
+Outre les points travaillés, il y en a beaucoup d’autres qui sont encore
+intacts et de même nature, il y en a même de plus importants que les
+plus grands de ceux que j’ai visités.
+
+Beaucoup d’habitations étaient disséminées au bas des collines voisines,
+bâties sans aucun ordre, en pierres brutes et de formes carrées. Presque
+dans toutes se retrouvaient les fragments de roches qui servaient à
+piler le minerai ou à écraser la gangue, et de plus le moulin à broyer
+presque complet. Enfin les installations du lavage y étaient presque
+nulles ; sans doute, pour cette opération, l’on se rapprochait des lieux
+où se trouvait l’eau, ou bien l’on attendait la saison des pluies.
+
+J’ai remarqué que les mineurs de Chawanib, divisés par petits groupes,
+s’attachaient au filon qui leur était dévolu, et qu’ils travaillaient
+aussi à ramasser, sur leur circonscription, les sables que les eaux de
+pluie entraînaient du haut de la montagne afin d’en faire le lavage. Il
+y a, auprès des maisons, beaucoup de tas de sable qui n’ont pas d’autre
+origine.
+
+D’après l’état de toutes ces maisons et d’après celui des travaux
+surtout, l’on peut être persuadé que cette mine n’a pas été abandonnée
+volontairement par les mineurs ; mais qu’ils ont dû y être contraints
+par force, sans doute à la suite des guerres qui ont ravagé le pays.
+
+Ce devaient être des musulmans, si l’on en juge par quelques tombeaux
+dispersés çà et là, et qui datent du temps où le chek Abd el Haman el
+Omary occupait le pays.
+
+Le nom de Chawanib donné à cette vallée lui viendrait, suivant les
+Bicharieh, de ce qu’un Arabe nommé Chawane, qui a encore aujourd’hui un
+descendant direct, l’aurait occupée à une certaine époque. Ils ont
+ajouté à son nom une terminaison suivant leur langage. Mais avec sa
+terminaison, Chawanib pourrait bien être aussi un pluriel de Chamin, qui
+veut dire Syrien, ce qui justifierait le passage de la citation de
+Macrizi où il est dit que des ouvriers syriens sont venus travailler aux
+mines.
+
+J’ai oublié de dire que les eaux pour les besoins particuliers des
+travailleurs étaient fournies par un puits qui se trouve plus bas dans
+la vallée, et qui a été comblé par les cailloux et tous les détritus que
+le torrent apporte lorsqu’il pleut. Personne, chez les Bicharieh, ne
+veut se donner la peine de désencombrer ce puits qui, au dire des
+anciens de l’endroit, était encore en bon état il y a peu d’années.
+
+Après être resté trois jours à Wadée Chawanib, nous partîmes pour une
+autre destination ; lorsqu’on leva le camp, il y eut beaucoup de bruit,
+car le chek Baraca s’était absenté pour aller voir le chek Abou Goublé.
+Chacun voulait prendre le moins de bagage possible. Un Ababdi qui se
+disputait avec un de mes gens parce que l’on avait un peu changé sa
+charge, refusa de la mettre sur son dromadaire. Je me fâchai et lui
+ordonnai d’obéir, et comme je m’avançais résolûment pour l’y
+contraindre, il prit une pioche et vint à moi avec menace. Comprenez-
+vous ce qui serait arrivé si, n’écoutant que ma colère, j’avais fait
+usage de l’arme que j’avais saisie pour mettre cet homme à la raison ?
+Mon bonheur voulut que les Arabes présents fussent plus prompts : ils
+sautèrent sur lui et l’entraînèrent loin de moi. Puis les Ababdieh
+vinrent me supplier de me calmer, et surtout de ne point parler aux
+cheks de ce qui s’était passé, ajoutant que le coupable était un
+Bicharieh sauvage et abruti qui ne comprenait rien au respect que l’on
+me devait, qu’il serait corrigé par eux, etc., etc. Ma colère était
+passée, je promis ce qu’ils demandaient ; mais je sus plus tard, par un
+jeune garçon qui parlait l’arabe, que l’individu révolté contre moi
+était bien réellement un Ababdi de la tribu du chek Saad ; ses camarades
+avaient voulu faire tomber sur les Bicharieh toute la responsabilité qui
+pesait sur eux. Ce trait, qui implique une certaine fourberie, est un
+des caractères distinctifs de leur tribu.
+
+Nous nous arrêtâmes dans l’ouadée Massarrié.
+
+Le lendemain, au lever du soleil, nous partîmes avec un vent extrêmement
+froid qui nous venait du nord et nous glaçait au point de nous faire
+souffrir. En passant dans la vallée d’Ollaki, nous rencontrâmes des
+Arabes de connaissance qui faisaient paître un grand nombre de femelles
+de dromadaires avec leurs petits ; ils ne voulurent pas nous laisser
+passer sans nous faire une politesse, et ils nous servirent de grands
+vases de lait qu’ils tiraient sur le moment ; cela nous réchauffa un
+peu.
+
+La route suivie était dans la direction de la vallée d’Hégatte. Nous
+remontâmes cette vallée, déjà parcourue, pour une raison importante que
+je vais dire : il était convenu que l’on s’arrêterait auprès d’un puits
+désigné, et que là on tiendrait une espèce de conseil avec les cheks de
+la caravane et d’autres cheks des environs que nous connaissions déjà,
+afin de décider s’ils viendraient avec moi au Caire pour que je les
+présentasse au vice-roi, et qu’ils fissent, entre ses mains, acte de
+soumission. Cette démarche était nécessaire pour l’avenir, si Méhémet
+Ali donnait suite au projet qu’il avait de faire exploiter les mines ;
+car ces Arabes n’avaient jamais été soumis, jamais personne, je l’ai
+dit, n’avait pénétré chez eux ; c’est à peine s’ils étaient connus du
+gouvernement égyptien.
+
+On était campé près de l’eau ; chacun avait quelque chose à faire : les
+uns firent la lessive, les autres arrangèrent les selles, les armes,
+etc. Moi, je passai l’inspection des vivres, et bien m’en prit. Je
+connaissais les Arabes, toujours imprévoyants, ils auraient consommé
+toutes leurs provisions sans mot dire, et quand il n’y aurait plus eu un
+biscuit, une mesure de farine, un grain de riz, ils seraient venus m’en
+faire part, et il aurait fallu tout abandonner pour regagner au plus
+vite la ville d’Assouan.
+
+Je trouvai que plusieurs groupes avaient déjà fini leurs biscuits,
+d’autres étaient presque dans la même position ; cependant, pour
+compléter mon voyage, j’avais encore un mois à courir le désert. Je
+prévins Baraca afin qu’il prit ses mesures en conséquence ; car c’était
+lui qui était responsable. Il avait reçu, à Assouan, plus d’argent qu’il
+ne fallait pour assurer la subsistance de la caravane pendant deux mois,
+et il avait pris l’engagement d’y pourvoir. Je décidai ensuite que nous
+partirions le surlendemain, soit que les cheks fussent venus, pour le
+conseil, ou non.
+
+Il y avait aux environs, des ruines d’anciennes habitations, des traces
+d’exploitations comme celles que j’avais déjà vues. Je dus renoncer à
+les visiter ; car il aurait fallu me détourner de ma route principale,
+et dépenser un temps précieux eu égard à la pénurie dans laquelle nous
+nous trouvions.
+
+Mon intention était de pousser jusqu’à l’Elba, dans la direction de la
+mer Rouge, et je dus prendre toutes les dispositions nécessaires pour
+effectuer cette excursion.
+
+Les cheks que nous attendions ne vinrent pas ; ils nous envoyèrent dire
+que si nous voulions rester dans les environs d’Ollaki, sans aller plus
+loin, et surtout à l’Elba, ils viendraient nous accompagner ; mais que
+si nous les faisions venir pour aller à cette montagne, ils ne nous
+accompagneraient pas, parce qu’ils savaient que les gens de cet endroit,
+à la nouvelle qu’on leur avait donnée de notre arrivée, s’étaient
+retirés avec tous leurs troupeaux dans l’intérieur de leurs rochers où
+il est très-difficile de pénétrer, et qu’ils nous attendaient avec des
+dispositions hostiles. Ils ne voulaient point faire la guerre à cause de
+nous, et encore moins partager notre mauvais sort.
+
+Ils me firent savoir aussi que, quant à aller se présenter au vice-roi,
+comme je le leur avais proposé, ils ne pensaient pas que cela fût très-
+nécessaire, qu’ils écriraient une lettre que tous signeraient pour
+assurer Son Altesse de leur soumission, et lui faire savoir, dans le cas
+où sa volonté serait d’envoyer des gens pour travailler aux mines,
+qu’ils les recevraient de leur mieux et les aideraient même dans leurs
+travaux ; mais que la crainte de la petite vérole, qui, lorsqu’elle
+était apportée chez eux, faisait d’affreux ravages, les empêchait de
+descendre en Égypte.
+
+La vraie raison venait d’une autre crainte, hélas ! bien fondée. Ils
+voyaient tous les jours les _avanies_ que les gouverneurs, les cachefs,
+les employés du gouvernement égyptien commettaient sur les autres
+Arabes, et ils ne se souciaient pas de s’y exposer. Ils connaissaient
+plusieurs faits arrivés à Assouan, à Abou Ahmet, à Coroscos, et il
+craignaient, ce qui du reste faisait l’éloge de leur bon sens, qu’en
+devenant les amis des Turcs, ils ne fussent encore plus maltraités qu’en
+restant dans les termes où ils se trouvaient avec eux.
+
+Voyant que pour négocier une affaire de ce genre j’étais exposé à subir
+bien des lenteurs, voyant, d’un autre côté, qu’un jour arriverait
+indubitablement où mes amis les Bicharieh me maudiraient, sans que
+j’eusse procuré à Méhémet Ali un avantage réel, je laissai là cette
+négociation, m’en rapportant, pour la question des mines, à toute autre
+donnée que la situation ferait naître.
+
+Cependant, comme j’avais déclaré que bon gré, mal gré, j’irais à l’Elba,
+un des cheks convoqués pour le conseil qui n’eut pas lieu, consentit à
+venir avec nous. Sans tenir compte de l’opposition de ses compatriotes,
+il promit de venir nous rejoindre à Meïça, localité qui se trouvait sur
+notre itinéraire.
+
+Un autre chek partit aussi pour Derrawe, où il alla m’attendre. Ces deux
+hommes étaient plus résolus que les autres ; je pensai donc, après tout,
+pouvoir les conduire au Caire.
+
+La caravane se mit en mouvement à dix heures du matin, le 2 mars. Nous
+descendîmes l’ouadée Hégatte pour entrer dans celle d’Ellébé. Toutes les
+collines et hauteurs que l’on a sous les yeux sont alors peu élevées,
+comme celles de Déréhib ; seulement l’on y voit un plus grand nombre de
+monticules de quartz brisés. Cette vallée, qui va toujours en se
+rétrécissant, presque sans végétation, conduit à une assez haute
+montagne du même nom, montagne curieuse à cause du spectacle qu’elle
+présente ; ce sont des couches renversées, brisées, des éboulements
+multipliés de roches aux couleurs chatoyantes, et, comme à Déréhib
+encore, de gros blocs de quartz, du granit et des schistes. Du côté du
+nord elle est toute ravinée par les pluies.
+
+Après l’ouadée Ellébé, nous traversâmes plusieurs petites montagnes sans
+que l’aspect général du pays eût changé. Nous entrâmes dans l’ouadé
+Daffetti et, après quelques heures, nous atteignîmes un terrain
+uniforme, presque plat, et tout couvert d’un beau gravier granitique
+mêlé à du sable siliceux.
+
+Les pluies, qui étaient tombées, avaient fait pousser beaucoup de
+petites herbes, imperceptibles pour nous ; mais que des troupeaux
+mangeaient déjà. Ces troupeaux étaient gardés par deux très-jolies et
+jeunes Bicharrieh qui d’abord s’effrayèrent à notre approche ; elles ne
+voulurent jamais nous dire de quelle tribu, ni de quelle famille elles
+étaient, ni à qui appartenaient les troupeaux ; mais bientôt elles nous
+parlèrent hardiment en riant et plaisantant, elles se moquèrent même de
+nous avec beaucoup de gaieté. Nous campâmes près de la vallée de
+Daffetti au coucher du soleil.
+
+Le lendemain, 3 mars, nous fîmes beaucoup de détours, tantôt d’un côté,
+tantôt d’un autre. La route suivie était vers l’Est ; mais les montagnes
+qui bordent l’ouadée Daffetti et qui se présentent verticales comme des
+murailles, nous barraient constamment le passage.
+
+Il nous fallut contourner cette chaîne d’obstacles dont la nature est la
+même que celle des environs d’Ollaki, à cela près qu’ici l’on voit
+beaucoup plus de quartz.
+
+Le pays était peuplé de gazelles, ce qui égaya un peu notre marche ;
+nous vîmes aussi plusieurs autruches.
+
+Après avoir franchi Daffetti et ses défilés, l’on a devant soi la
+montagne ainsi que la vallée de Beint el Fegue. Celle-ci est remplie de
+touffes de joncs et, par intervalles, de quelques petits arbres
+rabougris, tout secs et noirs, ce qui provient de la rosée abondante qui
+tombe pendant la nuit dans ces lieux et du soleil ardent qui brûle les
+plantes pendant la journée. Nous continuâmes à marcher toujours vers
+l’est du côté de la montagne de Chennâh, à droite de la chaîne de
+Daffetti.
+
+Dans ces parages, il se trouve beaucoup d’ânes sauvages, des onagres
+auxquels nous donnâmes la chasse inutilement. Le soir, épuisés de
+fatigue, nous dressâmes nos tentes à l’entrée d’une grande plaine de
+sable.
+
+Les ânes sauvages, troublés dans leur solitude, épiaient, à distance,
+tous les mouvements des Arabes, mais ils se tenaient toujours en dehors
+de la portée de leurs balles. Ces animaux sont extrêmement rusés et
+flairent l’homme de fort loin. Ce sont les seuls, dans le désert, que
+les Bicharieh ne peuvent forcer à la course. Ils forcent les gazelles et
+les autruches. Montés sur leurs dromadaires et en plaine, ils arrivent
+assez facilement à fatiguer ce gibier qui ne trouve de salut que dans la
+montagne ; l’âne sauvage, lui, ne se fatigue pas et court très-
+longtemps. Les Arabes ne les prennent que dans des piéges habilement et
+solidement tendus.
+
+Pendant la nuit, des Bicharieh, qui campaient aux environs, eurent
+l’idée d’attraper un onagre ; voici le procédé qu’ils employèrent : ils
+attachèrent à un gros tronc d’arbre mort un nœud coulant, fait avec une
+corde en lanières de peau très-souple et bien graissée, et ayant 3
+centimètres de diamètre. Cette espèce de lacet fut recouvert de petites
+herbes sèches et d’un peu de sable très-fin, de manière à ce que
+l’animal ne pût le voir et dût, en même temps, poser les pieds sur le
+terrain mobile.
+
+Ils placèrent, comme appât, auprès du tronc de l’arbre, une ânesse bien
+fortement attachée, puis ils s’éloignèrent, confiants dans leur ruse qui
+manque rarement son but.
+
+On comprend, en effet, l’excellence du procédé. Attirés par la présence
+d’une femelle, les mâles arrivent avec confiance, et tout en piétinant
+sur la terre préparée, l’un d’eux met infailliblement le pied dans le
+nœud coulant et se trouve pris. Le propriétaire de l’ânesse a le double
+avantage de prendre un âne sauvage et d’avoir sa bête saillie par lui,
+ce qui donne un produit très-estimé et d’une race excellente.
+
+Les ânesses ainsi exposées ne sont jamais maltraitées par les troupes
+d’onagres ; mais si, par aventure, ils rencontrent un baudet, celui-ci
+est immédiatement massacré par eux avec une fureur sans égale.
+
+Le matin, de bonne heure, l’on vint nous annoncer qu’un onagre était
+tombé dans le piége, et chacun s’empressa de courir pour l’aller voir.
+Il était pris par un pied de derrière, de telle sorte qu’il traînait le
+tronc d’arbre après lui, et qu’il nous fit faire bien du chemin avant
+que l’on pût l’atteindre. Sa fureur était à son paroxysme, il mordait la
+corde et même sa jambe pour se dégager ; mais il n’y parvint pas, et on
+le tua sans pitié. Je dis sans pitié, parce que les Arabes Bicharieh ne
+pardonnent pas à cette espèce de quadrupède sa rebellion constante
+contre toutes les tentatives qu’ils ont faites et celles qu’ils font
+encore pour arriver à l’apprivoiser.
+
+Après tout la chair de l’onagre est fort bonne à manger. Celui qui avait
+été pris par les Arabes de l’endroit, fut partagé avec mes hommes et
+l’on en fit un somptueux repas.
+
+Dans notre existence du désert, cet événement fut une cause de joie, une
+cause de fraternisation, et il arriva que nous nous mîmes en marche
+longtemps après le soleil levé.
+
+Nous piquâmes directement à l’est, comme disent les marins, toujours en
+montant et sur un terrain de sable, parsemé çà et là de rochers de
+granit, gros blocs parfaitement arrondis, et de roches quartzeuses d’un
+blanc laiteux plus ou moins nuancé. Après ces terrains sablonneux, nous
+descendîmes la vallée de Feuque qui, au nord, se joint à celle de
+l’Hodéïn, pour aller ensuite jusqu’à la mer.
+
+Notre route traversait cette vallée au delà de laquelle nous dûmes
+continuer entre de petites montagnes nommées el Samerah, à cause de leur
+couleur rougeâtre.
+
+De ce point, en six heures, nous arrivâmes au puits de la vallée de
+Chennah. Mon intention était de marcher encore, sachant bien que nous
+avions assez d’eau pour aller jusqu’à un autre puits que nous devions
+trouver le lendemain ; mais telle n’était celle de mes gens. Les
+Bicharieh ne me comprenaient pas, ils étaient d’ailleurs de la même
+opinion que les Ababdieh dont je connaissais l’entêtement bestial. Or,
+n’ayant aucun intérêt majeur à entamer une lutte qui pouvait tourner à
+mal, je pris le parti de dire comme tout le monde, en laissant croire
+que je m’étais trompé dans mon appréciation, et nous campâmes au puits
+de Chennah.
+
+Ce puits, situé dans un endroit fort aride, se trouvait quelque peu
+ensablé ; il nous fallut travailler à l’ouvrir, après quoi nous eûmes,
+je dois l’avouer, de l’eau très-bonne et très-claire, sourdant des
+sables granitiques.
+
+Toutes les montagnes environnantes étaient, du côté du sud, formées de
+gros blocs de granit rose ; il n’y en a pas d’autre dans ces contrées,
+et, du côté du nord, leur structure se présentait sous forme de gneiss,
+de schistes et roches micacées. Ces dernières paraissaient beaucoup plus
+élevées.
+
+En quittant ce lieu, c’est-à-dire en quittant le puits auquel je ne
+voulais pas toucher, le 5 mars, nous descendîmes la vallée qui est très-
+pittoresque à cause de ses sinuosités, et surtout à cause des hauts
+rochers qui l’enserrent ; ces rochers sont de grandes masses de granit
+siénitique. Tout au contraire, la montagne de Chennah, dont la hauteur
+est importante, ne laisse voir que des petites roches entassées les unes
+sur les autres, comme résultat des éboulements qui ont eu lieu partout.
+Cette circonstance lui donne un aspect particulier. Du côté de l’est, le
+granit y affecte des formes pyramidales très-variées.
+
+La vallée se perd dans celle d’Assiam, qui elle-même va se confondre
+avec une autre appelée Abou Houded. Ici la montagne de ce nom, située au
+nord de la vallée, est aussi élevée que celle de Chennah. Sa
+composition, parfaitement identique quant au fond, ne l’est point quant
+à la forme. Elle apparaît toute découpée, par aiguilles, comme les
+doigts de la main. C’est au reste la continuation de l’autre pic dont
+elle n’est séparée que par une faible distance.
+
+Du faîte de ce belvédère l’on domine une grande étendue de pays du côté
+de l’est et du côté du nord. On voit les montagnes de l’Béda qui sont à
+plus de seize lieues, celles de Guerfe où se trouvent la vallée de
+Bannet et celle de Chélal, renommée par ses sources et ses réservoirs
+naturels, et l’on jouit d’un spectacle d’autant plus splendide, que les
+premiers plans que l’on a sous les yeux sont garnis d’arbres et de
+végétation, et que les vapeurs du désert colorent tout cet ensemble des
+tons les plus variés et les plus fantastiques.
+
+La montagne de Guerfe est ainsi nommée parce qu’elle est la dernière
+ramification, au nord, de cette chaîne qui s’étend vers le sud plus loin
+que l’Elba. Elle est la plus élevée du pays et forme le point de partage
+des eaux. L’un de ses versants regarde l’est et la mer, l’autre regarde
+l’ouest et le Nil ; aussi tous les brouillards qui arrivent de la mer
+Rouge, par un vent de nord-est, s’arrêtent sans passer au sud-ouest, et
+font tomber sur le versant du levant, pendant les nuits d’hiver, une
+très-forte rosée qui mouille comme une pluie fine de printemps. Quoique
+la mer soit éloignée d’une vingtaine de lieues, il est à remarquer que
+les brouillards qu’elle envoie sont salins et que le ciel, couvert de
+gros nuages très-bas, ne se fond jamais en pluie véritable.
+
+Les eaux qui coulent de la vallée d’Abou Houded, auxquelles se joignent
+celles de Chennah et celles d’Assiam, se rendent à la mer par l’ouadée
+Gismit en traversant le désert de sable de la contrée de l’Elba.
+
+Tout ce pays est habité par les Bicharieh de la tribu du chek Souéket.
+La partie dans laquelle nous entrions se nomme l’Genoub, c’est-à-dire
+queue des vallées, appellation pittoresque qui désigne fort bien la
+contrée où les vallées se perdent dans la plaine.
+
+Nous laissâmes Abou Houded, et nous marchâmes encore à l’est par un sol
+sablonneux transpercé d’espace en espace par des roches de granit, et
+puis ensuite accidenté par des dunes de sables mouvants sur lesquels nos
+montures se fatiguèrent beaucoup. Partout la végétation était rare et
+les arbres rabougris.
+
+Nous campâmes, après une marche forcée de plusieurs heures, dans le lit
+peu profond de l’ouadée Sawaworib où il n’y avait que des plantes
+marines grasses et de la soude.
+
+Mais ces sables, que nous parcourions, dont l’aridité est effrayante à
+certaines époques de l’année, se couvrent, lorsque la saison des pluies
+arrive, de pâturages excellents pour le bétail, et même quoiqu’il n’eût
+pas encore plu, il y avait déjà en plaine beaucoup de chameaux et de
+moutons. Ces troupeaux appartenaient au chek Souéket, dont le fils vint
+bientôt nous trouver.
+
+Vers le soir, le ciel se couvrit de gros nuages et prit un aspect fort
+triste ; mais il ne tomba pas une goutte d’eau ; le brouillard seulement
+fut épais toute la nuit.
+
+Le 6, de bonne heure, le frère de Souéket, nommé Carar, nous amena deux
+moutons en présent. Il était accompagné de sa mère, parente du chek
+Baraca, ce qui fit événement. Tous les Arabes allèrent saluer la vieille
+femme avec les marques du plus profond respect.
+
+Ce jour-là notre marche s’infléchit un peu au nord, toujours dans des
+terrains sablonneux. Bientôt nous remontâmes une vallée venant de
+l’est ; elle était remplie d’arbres, et chemin faisant, j’y découvris
+beaucoup de tombeaux anciens. Il y avait, devant nous, sur le sable, les
+traces d’une caravane de chameaux qui ne devait avoir que quelques
+heures d’avance ; comme nous supposâmes que c’était une caravane de
+Gelabs, portant des grains pour vendre à l’Elba, nous fîmes notre
+possible pour les rejoindre.
+
+Depuis sept heures environ nous étions juchés sur nos dromadaires,
+lorsque nous en descendîmes à l’entrée de l’ouadée Meïça, comme des
+voyageurs qui mettent pied à terre à la porte d’une bonne hôtellerie.
+Pendant que l’on s’installait, je courus, avec le chek Baraca, à la
+reconnaissance du puits où l’on devait aller prendre de l’eau.
+
+Cette vallée, resserrée entre de petites montagnes de formes gracieuses
+et colorées, ressemblait en tous points à celle de Chawanib, si ce n’est
+pourtant que les quartz y sont moins abondants. Elle est remplie
+d’arbres et de plantes, et la même végétation subsiste jusque sur les
+montagnes, chose que nous n’avions pas vue jusque là.
+
+Le puits se trouve dans le haut de la vallée, au beau milieu du chemin ;
+il est large, profond de 8 à 9 mètres et construit avec des pierres
+brutes jusqu’à la margelle qui est en briques cimentées avec du mortier,
+ce qui prouve qu’il est ancien. Il fournit beaucoup d’eau très-limpide,
+mais cette eau est saumâtre et quelque peu salée.
+
+Près du puits je remarquai un rocher à pic sur lequel il y a des dessins
+ébauchés qui représentent des vaches à longues cornes et des chameaux
+tous fort mal faits, et, sur son flanc, une petite grotte naturelle où
+les Bicharieh prétendent que l’un des Sahabas, c’est-à-dire des
+compagnons du prophète Mahomet, mettait sa jument à l’ombre. La pauvre
+bête ne devait pas y être commodément ; car il fallait qu’elle entrât ou
+sortît en reculant, la grotte étant trop étroite pour qu’elle pût s’y
+retourner.
+
+Macrizi, en parlant de la vie du chek El Omari, dit que son frère Ibraïm
+el Makhzoum fut tué par les Bedjah en allant chercher des grains à la
+ville d’Aïdab. Je l’ai déjà cité plus haut ; puis il ajoute qu’à Meïça
+différentes tribus arabes se battirent avec les troupes d’Omary, que
+dans une rencontre, qui fut terrible, il périt plusieurs milliers
+d’hommes et que l’avantage resta aux indigènes.
+
+Les tombeaux des victimes de cette hécatombe sont encore visibles
+aujourd’hui. Ce sont de grands ronds, comme ceux que j’ai déjà décrits,
+élevés au-dessus du sol d’environ un mètre et tous faits en pierres sans
+mortier. Leur centre rempli de gravier et de terre cachait une
+excavation dans laquelle l’on plaçait les cadavres ; les ossements que
+j’y ai trouvés en font foi. D’ailleurs c’était un usage ancien, parmi
+les Arabes, d’enterrer ainsi leurs morts après le combat.
+
+En descendant la vallée, à une petite distance de l’endroit où est le
+puits, se trouvent les ruines du tombeau d’un musulman[21] ; c’est une
+bâtisse carrée, assez grossière, avec deux fenêtres cintrées sur chaque
+façade ; elle se terminait par un dôme qui était fort lourd, et qui a
+produit une poussée si grande sur les pieds-droits qui le soutenaient,
+que ceux-ci se sont élargis et que le susdit dôme s’est effondré avec
+tout un angle du monument. Le tout était bâti en moellons avec du
+mortier de chaux et du plâtre que l’on a dû apporter de fort loin ; car
+dans aucun terrain il n’y a rien qui annonce la présence de ces
+matériaux.
+
+Ce tombeau n’était pas le seul. Aux alentours il s’en trouvait d’autres
+plus petits qui sont aujourd’hui entièrement ruinés. Le plus grand
+devait être celui du frère d’el Omary, tué par les Bedjah en revenant
+d’Aïdab.
+
+Dans la vallée étaient beaucoup d’habitations de Bicharieh, et, dans ces
+habitations, beaucoup de jolis enfants très-étonnés de nous voir
+quoiqu’ils ne témoignassent aucune crainte.
+
+Les Gelabs, dont nous avions vu les traces la veille, sur le sable,
+étaient campés aussi dans cet endroit ; ils venaient d’Assouan avec une
+charge de grains pour vendre à l’Elba. A notre approche, ces gens ne
+nous reconnaissant pas, et nous prêtant des intentions de pillage,
+prirent leurs armes avec une résolution qui prouvait qu’ils étaient bien
+préparés contre toute surprise. Telle est la manière d’accueillir, dans
+le désert, les individus que l’on ne connaît pas ; l’on est toujours sur
+le qui-vive, attendu qu’il y a cent à parier contre un que vous
+rencontrez un ennemi ou des ennemis ; mais dans la circonstance présente
+l’erreur était manifeste, et les Gelabs, qui s’en aperçurent presque
+aussitôt, vinrent nous saluer très-amicalement. Avec eux se trouvait le
+fils du chek Ahmed Courouc qui nous dit que son père n’avait pas encore
+pu venir nous joindre parce que le jeûne du Ramadan le fatiguait
+beaucoup, et qu’il n’avait pas su précisément l’endroit où il pouvait
+nous rencontrer ; mais que, sans aucun doute, dans la journée du
+lendemain il arriverait.
+
+Comme il était fort important pour nous de voir ce chek pour aller à
+l’Elba, et que, d’un autre côté, nous en attendions deux autres dont les
+tribus habitaient la fameuse montagne, comme nous devions aussi nous
+entendre avec les Gelabs au sujet de provisions que nous avions à
+acheter, je résolus de passer la journée, la nuit et encore la journée
+du lendemain à Meïça.
+
+Le 7, pendant toute la journée, j’eus la visite de beaucoup de
+Bicharieh ; ils s’accordaient tous à dire que personne, dans la contrée,
+ne voulait aller avec nous à l’Elba. Pour pénétrer dans cette montagne,
+qui était, suivant eux, un lieu sacré aux yeux des Arabes, surtout aux
+yeux de ceux qui campaient près d’elle, il fallait gagner à notre cause
+au moins soixante-dix chefs, c’est-à-dire tous les principaux
+personnages du pays ; mais en réalité la montagne de l’Elba ne
+constituait qu’un repaire de brigands, un assemblage d’individus vivant
+de rapine et de vol, sans chef immédiat, et ne reconnaissant pas même à
+l’un d’entre eux cette autorité bénigne du chek qui n’est autre que
+celle du père de famille. Il était évident que l’on voulait exploiter ma
+présence à leur profit, ou plutôt, qu’eux s’étaient arrangés de manière
+à ce qu’il en fût ainsi. Je n’avais ni la volonté ni les moyens de subir
+cette pression ; tout mon espoir se concentrait donc dans l’influence
+des cheks qui m’accompagnaient et surtout dans celle de Baraca.
+
+Le 8, nous attendîmes en vain Ahmed Courouc ; mais ses deux fils, qui
+étaient auprès de nous, promirent de nous conduire à la place de leur
+père, et il fut convenu de faire tout ce qu’ils proposeraient. Ainsi
+donc ces deux jeunes gens se mirent à notre tête. Ils avaient un air de
+franchise et de loyauté qui inspirait la confiance, ils avaient des
+allures de jeunesse qui les rendaient sympathiques. Le 9 mars nous
+partîmes de Meïça.
+
+Notre route se fit au milieu de petites montagnes, toutes de formations
+primitives. C’étaient encore des blocs de granit avec filons quartzeux,
+des gneiss, puis des schistes. Le porphyre devenait plus rare mais le
+sable, qui recouvrait en partie tous ces accidents du sol, se trouvait
+être mouvant dans beaucoup d’endroits.
+
+Je laissai la caravane suivre directement sa route à l’est, sur l’Elba,
+et je pris plus à droite, avec Mohamed Adar, l’un de nos guides, pour
+aller voir deux sites où il m’avait dit qu’il y avait des bâtisses et
+des travaux. Ces deux sites constituent deux petits groupes de roches
+séparés par une colline de sable. Le tout peut avoir six milles
+d’étendue du nord au sud, et deux milles seulement de l’est à l’ouest ;
+ces deux petites montagnes se nomment to Giafferié, celle du sud,
+l’autre to Roumié. La première est plus petite et entièrement composée
+d’un feldspath très-beau, entremêlé de gros blocs de quartz laiteux et
+de quelques veines de même matière.
+
+Les travaux faits dans cet endroit sont peu considérables et exécutés
+sans ordre, sans suite. Cependant il y a beaucoup de restes
+d’habitations, elles contiennent peu de moulins à broyer. L’une de ces
+habitations se trouvait être la plus grande de toutes celles que j’ai
+vues dans tous les établissements de ce genre. Les lieux de lavage, s’il
+y en a eu, ne sont plus reconnaissables aujourd’hui ; ceux où l’on
+pilait le minerai et sa gangue ne le sont pas davantage ; il n’y a
+aucune trace d’eau ; le puits le plus voisin est à présent à Meïça.
+
+J’aurais cru, d’après les noms de ces deux hauteurs dont l’un signifie
+le Romain, le Grec indifféremment, et l’autre l’idolâtre, trouver
+quelques restes d’antiquité ; mais malgré mes recherches, je ne vis
+absolument rien. Je présume que cela provient de ce que la nature des
+roches ne permettait pas de faire la moindre inscription, la moindre
+sculpture, comme je l’ai constaté pour Déréhib et d’autres
+établissements.
+
+Si cette localité offrait des filons métalliques susceptibles d’être
+exploités avec bénéfice, ce serait la plus commode, en supposant
+toutefois que l’on trouvât de l’eau d’une manière ou d’autre ; car tous
+les approvisionnements, toutes les communications pourraient se faire
+par la mer Rouge qui n’est éloignée que d’une journée de marche. Le
+mouillage de Hesser, auprès du quel se trouve un grand bois et de l’eau
+en abondance, est fréquenté par les barques du Hedjah qui viennent y
+ancrer pour faire le commerce avec les gens de l’Elba et ceux des
+environs.
+
+Le soir nous retrouvâmes notre caravane campée près d’une petite
+montagne nommée Adatalob, entièrement formée de forts blocs de granit
+arrondis, d’une couleur plus foncée que celui de Sienne et d’un grain
+aussi beaucoup plus gros. La végétation qui les encadre avec une
+certaine régularité présentait un paysage particulier, d’autant que les
+sables environnants sont eux-mêmes garnis de broussailles et de plantes.
+
+Beaucoup de gazelles fréquentent cet endroit, et ne fuient que lorsque
+l’on descend de dromadaire pour les tirer, autrement nous les
+approchions de très-près, ainsi que les chacals qui sont aussi en grand
+nombre.
+
+Le 10 dès le matin, nous dirigeant sur l’Elba, nous aperçûmes une
+personne qui débouchait d’un petit sentier entre des rochers, et qui,
+montée sur un dromadaire, força le pas de sa monture pour nous éviter.
+
+Je me mis à sa poursuite avec le chek Ali Sabec, et nous l’atteignîmes
+bientôt ; mais quel fut mon étonnement, lorsque je me trouvai devant une
+fort jolie fille, amazone du désert, qui répondit gracieusement et sans
+embarras à nos saluts. J’avais cru poursuivre un individu mal
+intentionné à notre égard, un bédouin hostile avec qui il eût fallu
+parlementer, la situation n’était pas la même. Toutefois, ayant compris
+que la jeune amazone ainsi que mon jeune compagnon ne se rencontraient
+pas pour la première fois et qu’ils pouvaient avoir bien des choses à se
+dire, je continuai tout naturellement ma route en les laissant tous les
+deux tête à tête.
+
+Sous toutes les latitudes, chez les peuples civilisés comme chez les
+sauvages, la galanterie se produit toujours avec les mêmes phases ; dans
+le désert, et chez les Bicharieh notamment, elle affecte des formes plus
+chevaleresques. Ali Sabec me rejoignit une heure après que je l’eus
+quitté, et, discrètement, je ne lui demandai aucune explication sur le
+temps de son absence.
+
+La caravane nous rallia dans la vallée sablonneuse de Déhit, et nous
+marchâmes jusqu’à la fin de la journée, c’est-à-dire pendant dix heures
+encore au travers de sables mouvants, ce qui fatigua beaucoup nos
+montures et nos hommes.
+
+Le lieu où nous campâmes n’était point de nature à nous dédommager, il
+était d’une stérilité désolante et n’offrait aucun abri commode.
+
+Le 11 au matin nous traversâmes des petites montagnes de granit très-
+escarpées et entrecoupées de ravins, à la sortie desquelles nous
+plantâmes nos tentes, en vue de l’Elba qui n’était plus qu’à deux ou
+trois lieues de nous[22].
+
+Je ne voulais pas me rendre de suite à la vallée où est un très-beau
+puits, ni me rapprocher trop près d’un groupe d’indigènes, avant d’avoir
+connu leurs intentions à notre égard.
+
+Cependant, lorsque le camp fut posé, tout en ordre, je montai à
+dromadaire avec quelques-uns de nos Arabes, laissant les autres pour
+garder nos bagages et les défendre, au besoin, contre les voleurs, et je
+pris la route de ce puits qui se trouve au pied de la montagne même.
+Avant d’y arriver il fallut traverser plusieurs hauteurs couvertes de
+petits arbres rabougris et secs, et plusieurs collines de sable sur
+lesquelles de nombreux troupeaux de chèvres et de moutons étaient
+dispersés. Les bergers s’enfuyaient en toute hâte, ne nous attendant pas
+sitôt. J’envoyai Ali Sabec en avant pour les rassurer et leur dire de ne
+rien craindre.
+
+A mesure que nous approchions, le pays se transformait, et nous fûmes on
+ne peut plus agréablement surpris de voir se développer sous nos yeux un
+sol couvert d’arbres très-verts et de plantes luxuriantes. Ces arbres me
+semblaient être tous, ou à peu près tous, de l’espèce des mimosas ;
+quant aux plantes elles étaient variées mais, en général, nouvelles pour
+moi. Des oiseaux chantaient dans leurs nids de verdure, comme dans les
+bocages les plus fortunés, et leur gazouillement, aussi étranger pour
+mes oreilles que le langage des gens de la contrée, n’en était pas moins
+fort doux ; car, depuis notre départ d’Assouan où les oiseaux sont pour
+ainsi dire muets, je n’avais entendu que le croassement des corbeaux.
+
+Le puits en question est, à vrai dire, une source sortant d’un large
+creux fait dans le lit du torrent, ou autrement un beau bassin rempli
+d’une eau limpide et fraîche, ombragé par de beaux arbres. Autour de ce
+bassin les différentes familles des Arabes des environs ont construit,
+avec des pierres et de la terre, d’autres petits bassins pour faire
+boire leur bétail sans troubler la clarté de l’eau du réceptacle
+principal où chacun puise avec un seau en peau.
+
+Nous nous assîmes à l’ombre d’un superbe mimosa, et j’admirai la beauté
+de ce site enchanteur. Les bords du ravin étaient couverts d’herbes, de
+tous côtés dans les arbres se balançaient des plantes grimpantes.
+
+Bientôt arrivèrent les troupeaux ; c’était l’heure aussi de conduire à
+l’abreuvoir les chèvres, les chameaux, les ânes ; tous ces animaux
+étaient menés par des hommes porteurs d’outres qu’ils remplissaient tour
+à tour. Des femmes et des jeunes filles vinrent ensuite avec des vases
+pittoresquement campés sur les épaules et poussant devant elles des
+agneaux et des chevreaux. Il y avait parmi ces jeunes filles de fort
+beaux types. Leur costume, ne les couvrant que depuis la ceinture
+jusqu’aux genoux, permettait de voir parfaitement leurs formes qui
+étaient irréprochables. Elles allaient et venaient suivant les besoins
+du moment, et quand elles s’arrêtaient, soit pour s’appuyer contre un
+rocher, contre un arbre, soit pour porter à leurs épaules un vase rempli
+d’eau, leurs poses, simples et naturellement nobles, rappelaient les
+poses idéalisées dans les tableaux des peintres.
+
+Tout cet ensemble, avec sa couleur locale, avait un parfum biblique qui
+n’eût échappé à aucun poëte, et je regrettai, dans cette circonstance
+plus que dans toute autre encore, de ne pas être à la hauteur de mon
+sujet. Ce qu’il y a de bien positif, c’est que je m’éloignai avec peine
+d’un lieu où ma présence n’avait excité aucune surprise, où l’on était,
+au contraire, venu rire autour de moi et m’entretenir, par l’entremise
+des guides qui nous servaient d’interprètes. Quelques hommes seulement
+m’avaient assailli de questions et de demandes ; mais je les avais
+contentés en leur distribuant le tabac que je possédais.
+
+En rentrant au camp, ce fut bien autre chose ; je trouvai tout le monde
+en rumeur, tout le monde sous les armes et prêt à venir nous chercher.
+L’agitation, qui était générale, avait sa raison d’être ; voici ce qui
+s’était passé :
+
+Depuis la veille, nous avions envoyé en avant Mahamet Adar pour donner
+la nouvelle de notre arrivée, et, le soir même, il avait parlé aux gens
+de la montagne. Secondé par les Gelabs campés près de nous, il avait
+cherché à persuader aux Bicharieh des tribus de l’Elba que nous ne
+venions pas pour leur nuire, et qu’ils se repentiraient, dans l’avenir,
+s’il nous arrivait le moindre désagrément ; efforts inutiles, paroles
+perdues ; les indigènes prétendaient même nous empêcher de prendre de
+l’eau chez eux.
+
+Le matin, lorsque j’avais pris spontanément la résolution de me rendre
+au puits, avec quelques hommes d’élite, ils étaient assemblés chez les
+Gelabs et personne ne nous avait vus passer.
+
+Ce fut seulement très-peu de temps après, et pendant que j’étais en
+admiration devant la beauté du site que j’ai décrit plus haut, que deux
+hommes de notre camp eurent l’idée de se rendre chez les marchands pour
+apprendre des nouvelles de l’Égypte. Mais les notables du pays qui
+délibéraient, commençant les hostilités, voulurent les repousser, et de
+là une première rixe pendant laquelle la question de l’eau fut remise en
+avant. Une scission se fit alors parmi eux, les uns voulaient qu’il nous
+fût permis de remplir nos outres, les autres, et ce fut le plus grand
+nombre, nous refusaient cet avantage et voulaient de suite venir nous
+attaquer pour nous faire évacuer leur territoire.
+
+L’instant était critique. Mahamet, qui était accouru, feignit, afin de
+gagner du temps, de convenir que ces forcenés avaient raison, seulement
+il leur fit observer que s’ils nous attaquaient pendant le jour, ils ne
+seraient probablement pas les plus forts, attendu la supériorité de nos
+fusils, tandis que, s’ils venaient la nuit nous surprendre, tout
+l’avantage serait pour eux. Ce conseil, spécieux en apparence, ne
+manquait pas d’une certaine logique, et il aurait certainement été suivi
+par les Bicharieh les plus hostiles si l’on ne fût venu leur dire que
+j’étais dans le ravin, près de l’eau. Alors rien ne put les retenir ;
+ils partirent tous ensemble pour me chasser violemment, et nos gens
+coururent à notre camp porter cette nouvelle.
+
+C’est en ce moment que je rentrai, et que je trouvai tout mon monde en
+armes.
+
+Les Gelabs, eux, avaient suivi les Bicharieh vers le puits pour conjurer
+la situation ; mais tout cela fut inutile, les uns et les autres furent
+bien surpris quand ils virent que nous étions repartis tranquillement
+après avoir fait boire nos chameaux et après avoir rempli nos outres.
+
+Personne n’osa venir au camp ; mais on nous envoya les Gelabs qui nous
+trouvèrent fort calmes et tout disposés à recevoir convenablement
+l’ennemi. Avec les envoyés, les négociations recommencèrent. Ils étaient
+chargés de nous dire, que si nous voulions promettre de ne pas entrer
+dans la montagne et de nous en retourner de suite, l’on nous laisserait
+prendre de l’eau ; mais que si nous persistions à vouloir visiter le
+pays, comme nous avions fait ailleurs, l’on nous empêcherait de nous
+ravitailler et que l’on nous exterminerait jusqu’au dernier.
+
+Je répondis que les habitants de l’Elba devaient bien savoir, par les
+cheks des autres tribus Bicharieh leurs compatriotes, que nous n’étions
+venus pour faire la guerre à personne, que tous les Arabes avec lesquels
+nous avions été en rapport n’avaient rien à nous reprocher, que je ne
+prétendais, quant à moi, rien obtenir d’eux par la force, et que, si mes
+intentions n’avaient pas été telles, j’aurais conduit avec moi plus de
+monde, sinon des soldats turcs et égyptiens ; tandis que je ne me
+présentais qu’avec des Bicharieh comme eux, tout confiant dans leur
+bonne foi ; et j’ajoutai que, si j’étais obligé de m’en retourner sans
+avoir fait ce que j’étais chargé de faire, je ne pouvais répondre de ce
+qui arriverait ; que probablement le gouvernement égyptien me ferait
+revenir une autre fois avec des forces étrangères assez considérables
+pour que ce fût moi, alors, qui leur imposasse mes conditions et les
+empêchasse de prendre de l’eau à leur propre puits.
+
+Pendant que les Gelabs allaient porter ma réponse, il se présenta au
+camp plusieurs principaux personnages de la tribu des Chintirab et des
+Ahmed Gourabieh, tous habitants de l’Elba. Beaucoup d’autres individus
+vinrent aussi pour nous vendre des peaux préparées et différentes choses
+de leur pays.
+
+Vers le soir, presque tous les chefs vinrent ; ils connaissaient ma
+réponse et mes intentions. Je leur donnai à souper à tous, puis après,
+en fumant et buvant du café, nous entrâmes en pourparler. A force de les
+presser, j’obtins d’eux que nous pourrions aller dans quelques vallées
+ou gorges de la montagne ; mais sans y faire aucune tentative
+d’excavation, leur persuasion étant que l’on ne remuait la terre que
+pour y chercher des trésors.
+
+Ils prétendaient avoir entendu, tout récemment, pendant la nuit, un
+très-fort bruit, une espèce de gémissement formidable qui leur annonçait
+de grands malheurs pour le cas où nous toucherions à une seule pierre.
+
+Jamais je ne pus obtenir le moindre renseignement sur une statue
+colossale que des Arabes m’avaient dit exister dans la montagne, statue
+dont je parlerai plus loin. Ils me disaient toujours que cette statue
+n’existait pas, que l’on m’avait fait un mensonge. Cependant, lorsque je
+prenais en particulier un homme du pays, il m’avouait que la chose était
+vraie, qu’il connaissait bien le chemin qui conduisait à l’endroit où
+était cette statue ; un autre convenait qu’il avait mis son bras tout
+entier dans sa narine, et que, de temps en temps, lorsqu’elle respirait,
+une grande table en pierre qui se trouvait devant elle se couvrait de
+vapeur ; mais personne ne voulait pourtant consentir à me servir de
+guide. Celui-ci avait peur de commettre un sacrilége, celui-là craignait
+la colère des chefs. Je ne savais que penser ; car, malgré toutes les
+exagérations, malgré tous les mensonges dont ces rapports étaient
+évidemment entachés, et, tout en faisant la part de l’ignorance de ces
+hommes incapables de distinguer un objet travaillé d’un objet naturel
+ayant une forme ou un aspect quelconque, je reconnaissais bien qu’il
+devait y avoir là quelque chose de singulier, et j’étais curieux de m’en
+assurer ; ce pouvait être un ancien travail égyptien, ce pouvait n’être
+aussi que le résultat d’un jeu de la nature apprécié et commenté par
+l’imagination d’une population essentiellement superstitieuse.
+
+Je rentrai sous ma tente avec le regret de n’avoir pu rien apprendre de
+clair ni de positif.
+
+Toute la nuit l’on fit bonne garde, pour plusieurs raisons. La
+réputation des Arabes de l’Elba et les termes dans lesquels nous étions
+ensemble l’exigeaient. J’ai dit qu’ils étaient connus partout comme de
+grands et adroits voleurs ; mais ce que je n’ai pas dit, c’est que les
+autres Arabes, lorsqu’ils se trouvent mêlés avec eux, se permettent, de
+leur côté, des larcins dont ils croient que l’on ne les accusera pas.
+
+Il ne nous arriva rien ; seulement, dans la matinée du 12, notre camp
+s’étant trouvé inopinément transformé en un vrai marché, l’on s’aperçut
+bientôt que plusieurs objets avaient été dérobés, et un de mes hommes
+vint me dire qu’on lui avait volé sa chemise.
+
+Cette dernière affaire ébruitée, il fallait faire un exemple. Je fis
+prendre tous les étrangers présents, et je leur enjoignis de jurer, un à
+un, sur le Coran, qu’ils étaient innocents.
+
+Tous sans exception jurèrent, de sorte que le voleur resta inconnu. Mon
+procédé cependant ne fut point inutile ; car, tandis que l’on prêtait le
+serment, la chemise fut retrouvée, placée à la portée de tous les yeux.
+
+Les Bicharieh de l’Elba se récrièrent, disant qu’on les avait accusés
+sans raison, et que le voleur était parmi nous. Ils récriminèrent très-
+haut et avec tant d’acharnement que la dispute aurait pris un caractère
+des plus graves si je n’avais fait mettre, à l’instant, hors des limites
+du camp, tous les éléments du marché.
+
+Toute la journée se passa encore en négociations pour pénétrer dans la
+montagne, et, devant la résistance opiniâtre que je rencontrai, je ne
+pus qu’opposer la déclaration que j’avais déjà faite, c’est-à-dire que
+j’y pénétrerais d’une façon ou d’une autre.
+
+Effectivement, le 13, au point du jour, je pris avec moi vingt Ababdieh,
+tous bien montés, bien armés, et deux guides, dont un nommé Mohamed Issé
+appartenant à la tribu des Ahmed Gourabieh, et je me dirigeai, par le
+ravin du puits, du côté de la montagne. Mes deux guides manifestèrent
+une grande appréhension lorsqu’ils connurent mon projet ; cependant ils
+ne me quittèrent point.
+
+Le chek Baraca était demeuré au camp pour le garder.
+
+Arrivé à la vallée de l’eau, je ne vis absolument personne ; il était
+sans doute encore trop bonne heure. Je parcourus un ravin qui me sembla
+plus large et qui tenait à l’un des contreforts de l’Elba.
+
+Nous traversâmes ensuite une petite plaine entourée de montagnes
+couvertes d’arbres, et nous commencions à monter par une gorge assez
+abrupte, lorsque nous vîmes, au faîte d’un rocher se détachant sur le
+ciel, quatre individus, armés de lances, qui étaient assis sur des
+pierres de chaque côté de la route, comme pour nous barrer le passage.
+Je pensai que derrière le rocher il y avait d’autres Arabes, et peut-
+être en grand nombre ; nullement, ces individus étaient seuls. Lorsque
+nous approchâmes d’eux, nous les saluâmes tout tranquillement, et ils
+nous répondirent en nous regardant passer sans manifester aucune
+intention hostile.
+
+Alors, du haut de ce contre-fort, je vis à nos pieds, du côté de la
+haute montagne de l’Elba, de gros monticules de sables couverts de
+plantes où paissaient de nombreux troupeaux ; puis, après ces sables, de
+grands rochers le long desquels se développait une belle vallée large
+d’un mille environ, et toute remplie par une magnifique forêt. Le soleil
+commençait à paraître au-dessus des hauteurs, ses rayons filtraient au
+travers des rochers et des arbres, c’était un ravissant spectacle dont
+la grandeur était encore augmentée par l’éclat des ravins et des
+anfractuosités de la montagne, à mesure que la lumière y pénétrait.
+
+Dans la vallée le bois était si touffu, que nous fûmes obligés de
+descendre de dromadaire ; plus loin, nous trouvâmes le sol garni de gros
+blocs de granit et de porphyre, et tout raviné par les eaux.
+
+Je laissai là les montures, et ne gardai avec moi que six personnes au
+nombre desquelles était le chek Ali Sabec, que je fus bientôt aussi
+obligé de laisser, car il ne pouvait marcher à pied dans les pierres et
+dans les épines.
+
+Notre présence, sur le versant d’une colline au sommet de laquelle je
+voulais monter pour voir par où il fallait me diriger, occasionna une
+espèce d’événement. De tous les côtés, de l’intérieur du bois et du
+milieu des rochers, les femmes et les enfants qui, de leurs habitations
+cachées, nous avaient vu passer, sortirent en poussant des cris
+horribles comme je n’en avais jamais entendu.
+
+Le but de ces cris était pour engager les hommes à nous tuer afin de
+nous empêcher d’aller plus avant.
+
+Beaucoup d’entre ces derniers étaient avec les Gelabs loin de nous, ce
+qui fit que je m’émus fort peu de tout ce tapage. D’ailleurs j’étais
+encouragé par le Chek Mahamet Issé, qui me disait que je n’avais rien à
+craindre, que lui allait rester où nous nous trouvions, et que je
+pouvais aller où je voudrais. Cela voulait dire où je pourrais ; car je
+n’avais aucune indication, et, dans ce pays en quelque sorte vierge, il
+n’était pas aisé de se diriger. Mes guides, à qui j’avais montré un
+endroit que je voulais atteindre, firent fausse route à travers les
+bois ; or, en débouchant à ciel ouvert, je ne reconnus plus le lieu que
+j’avais remarqué. La montagne était à pic devant moi et fort difficile à
+escalader. Je ne me rebutais point cependant, et j’en commençai
+l’ascension.
+
+J’allais toujours en avant, quoique mes armes et mes vêtements me
+gênassent beaucoup ; j’éprouvais cette espèce de vertige qui fait que
+l’on s’acharne à une chose en raison de la ligne convenable que l’on a
+transgressée ; à tous moments il me fallait attendre les personnes qui
+montaient avec moi ; mon compagnon, M. Bonomi, se blessa à une jambe en
+gravissant un rocher, il fut forcé de s’arrêter pour attendre mon
+retour.
+
+Étant arrivé sur une partie élevée, je vis que la direction que je
+prenais était impossible ; alors je descendis dans un large ravin que je
+remontai avec bien de la peine, et je parvins enfin au faîte de l’une
+des pointes de l’Elba.
+
+Mon intention était de chercher la fameuse statue, pensant bien que, de
+cette hauteur, j’apercevrais quelque sentier qui m’y conduirait, quelque
+trace du passage des hommes ou de celui des animaux que l’on menait pour
+les sacrifier ; mais je fus bien désappointé ; du sommet où je me
+trouvais, je ne vis que des rochers immenses de tous côtés, des rochers
+pour ainsi dire inaccessibles, des ravins profonds et étroits, des
+pointes de granit se terminant en aiguilles. Ne sachant de quel côté
+porter mes pas dans ce dédale, dans cet amas de pics qui constituent la
+montagne de l’Elba, dont l’étendue, en tous les sens, est de plusieurs
+lieues, avec des ramifications qui s’étendent vers le Sud, ne sachant
+comment parvenir dans la localité que je cherchais, localité que le
+hasard seul pouvait mettre sous mes yeux, ne pouvant consacrer plus de
+temps à cette recherche ; car je n’avais ni vivres ni eau, sentant
+enfin, déjà, les atteintes d’une fatigue excessive, je pris le parti de
+rétrograder.
+
+Aucun des hommes qui étaient avec moi ne pouvait me guider ; je fus donc
+obligé de descendre comme j’étais monté, c’est-à-dire d’après mes seules
+appréciations. A peine pensais-je être de retour au camp avant la nuit.
+Je pris une autre route que j’estimais plus courte ; car, en outre de
+mes préoccupations de chercheur, j’en avais aussi une autre, celle de
+savoir ce qui pouvait être arrivé pendant mon absence.
+
+Forcé, pour reprendre haleine, de m’arrêter de temps en temps, je
+trouvais partout de très-beaux arbres dont le feuillage inconnu me
+servait d’abri ; partout mes yeux se reposaient sur des plantes en
+fleur, sur des broussailles verdoyantes qui tapissaient les parois des
+rochers et du milieu desquelles surgissaient des aloès gigantesques.
+C’était encore un ensemble des plus pittoresques, des plus majestueux,
+je puis dire, un panorama d’autant plus saisissant que, tout autour de
+l’Elba, le pays est sec et aride, et que, du côté de l’Ouest, du Nord-
+Ouest et du Nord, le sable s’étend à perte de vue.
+
+En descendant un ravin, nous fûmes aperçus par deux hommes qui étaient
+cachés dans les buissons et qui, de fort loin, nous crièrent de les
+attendre. Ils voulaient savoir qui nous étions et ce que nous
+cherchions. Sur mon invitation, ils s’approchèrent, et ne parurent pas
+mécontents de nous voir là ; bien plus, nous étant arrêtés pour leur
+offrir une pipe et du tabac, ils poussèrent la reconnaissance jusqu’à me
+dire que les Mahamet Gourabieh, dont ils faisaient partie, et moi, ayant
+une origine commune (ils me prenaient pour un asiatique), nous étions de
+la même famille, et, par conséquent, des amis, et ils me conduisirent
+directement à l’endroit où j’avais laissé une partie de mon escorte, en
+me promettant de m’apporter le lendemain, des plantes, des branches
+d’arbres et des pierres de la montagne.
+
+Bientôt je fus dans le bois, où s’étaient remisés mes gens qui me
+félicitèrent fort au sujet de mon retour. Les indigènes des environs
+ajoutèrent que j’étais bien heureux d’être venu chez eux sous les
+auspices du chek Baraca et de quelques autres, sans cela ils m’auraient
+assassiné ; car j’étais le seul étranger qui eut mis les pieds sur leur
+montagne où ils ne laissent même pas pénétrer les Ababdieh ni les
+Bicharieh de certaines tribus.
+
+Je leur répondis que je ne croyais rien de ce qu’ils me disaient, et
+que, dans le cas où ils auraient voulu m’attaquer, ils s’en seraient
+fortement repentis, que j’étais certain d’en jeter par terre au moins
+dix d’entre eux avant qu’ils m’eussent assassiné, que vingt, même de
+ceux qui étaient présents devant moi, ne me faisaient pas peur. Ils se
+mirent à rire tout en me complimentant, et nous restâmes bons amis ;
+mais il faut dire que je dus ce résultat aux largesses de tabac que je
+fis, bien plus qu’à ma rodomontade. Tout cela me conduisit à faire la
+réflexion suivante, à savoir : que les Arabes de l’Elba ne sont pas
+aussi intraitables qu’on le dit, et que si les Turcs, dans le Saïd, ne
+s’étaient pas rendus odieux par leurs brigandages, leurs cruautés, leur
+mauvaise foi, ces Arabes, non plus que les Bicharieh, ne les auraient
+pas pris en aversion, qu’ils auraient eu des relations avec eux, et que
+les voyageurs qui auraient la curiosité de visiter leur pays pourraient
+en profiter.
+
+Il était temps de monter à dromadaire ; le soleil tombait, l’ombre des
+rochers s’allongeait dans la vallée, sur le bois dans lequel nous nous
+trouvions et sur les terrains environnants, les oiseaux chantaient leurs
+chansons du soir.
+
+Nous partîmes gaiement pour rejoindre le gros de la caravane. Lorsque
+nous arrivâmes, déjà les feux étaient allumés ; tout le monde était
+tranquillement occupé aux différents soins à prendre pour le souper et
+pour la nuit.
+
+Tous les Bicharieh voulurent me faire croire que j’avais couru de grands
+dangers, et que si, eux présents, ne s’étaient pas opposés aux mauvaises
+intentions des autres, je ne serais pas revenu de mon excursion. Je
+répliquai que je connaissais l’intérêt qui les poussait, et, tout en
+plaisantant, je leur fis comprendre que j’appréciais, à sa juste valeur,
+cette manière d’obtenir des cadeaux. Je leur dis que les mœurs des
+Arabes m’étaient fort connues, car j’avais vécu longtemps avec eux ;
+enfin pour leur prouver combien j’étais éloigné d’ajouter foi à leurs
+paroles, je déclarai que j’étais décidé à recommencer ma course dans la
+montagne pour chercher la pierre, en forme d’homme, dont on m’avait
+parlé, que cette pierre devait représenter un de mes ancêtres et que je
+voulais la voir. Tout cela les surprit beaucoup ; mais ils cherchèrent
+encore à me détourner de mon projet en me répétant que l’on m’avait
+trompé.
+
+Il m’en coutait à abandonner l’Elba sans être bien édifié sur ce sujet.
+Je pris un à un plusieurs des Mahamet Gourabieh, je leur fis des
+présents pour les engager à me conduire à la statue ou, au moins, pour
+m’en indiquer la route. Or ce fut encore, à peu près, la répétition de
+ce qui s’était déjà passé ; tous m’avouèrent en particulier que la
+statue existait ; mais aucun ne voulut consentir à venir avec moi dans
+la crainte d’offenser ce que nous appelons, chez nous, l’opinion
+publique ; bien plus, devant leurs compagnons, ils affirmèrent que tout
+ce que l’on m’avait dit était mensonge.
+
+Je crus un instant avoir trouvé un expédient : Après la nuit, passée
+fort paisiblement, j’annonçai dans tout le camp que, pendant mon
+sommeil, j’avais été visité par Couca (c’est le nom que les Bicharieh
+donnent à la statue), et qu’il m’avait dit d’aller lui sacrifier quatre
+beaux moutons. Je pensais que l’espoir de manger ces animaux, que
+l’occasion de faire un festin peu ordinaire me concilierait tout le
+monde, et, pour que l’entraînement fût complet, j’ajoutai que Couca
+m’avait encore dit que c’était le moyen de faire tomber de grandes
+pluies dans le pays. Beaucoup crurent à mon songe ; cependant personne
+ne fut assez hardi pour braver les préjugés de tous et consentir à
+m’accompagner. Seulement j’appris alors, ce qui me fut confirmé par le
+chek Baraca qui avait pris, de son côté, des renseignements meilleurs
+que ceux que l’on m’avait donnés, j’appris, dis-je, que l’on n’était pas
+bien certain que la prétendue statue fût une pierre taillée ou une
+pierre naturelle, et qu’il fallait au moins marcher deux jours dans la
+montagne, par des chemins de chèvres, pour se rendre auprès d’elle. A la
+hauteur où elle se trouvait, il faisait très-froid ; de plus, lorsque le
+temps était à la pluie et que les torrents débordaient, l’on pouvait
+être retenu pendant plusieurs jours devant des passages impraticables.
+
+Tout cela, joint à l’incertitude où j’étais de trouver quelque chose de
+curieux, puis le peu de vivres qui restaient au camp, et la demande que
+le chek Baraca me fit de ne pas persister dans ce qui était alors mon
+idée fixe ; car il pouvait en résulter une grande mésintelligence entre
+lui, les cheks Bicharieh qui nous accompagnaient et les Mahamet
+Gourabieh, les Chintirab et les autres habitants de la montagne ; tout
+cela, dis-je, me détermina à quitter, bien à regret, une contrée aussi
+curieuse et jusqu’alors tout à fait inconnue. Nous nous préparâmes donc
+à partir le lendemain pour nous rapprocher de la mer.
+
+Avant d’entreprendre cette phase de mon voyage, qui constitue mon retour
+vers Assouan, il est opportun, je crois, puisque nous sommes encore au
+centre du pays des Bicharieh, de donner quelques renseignements sur les
+différentes tribus avec lesquelles j’ai été en relation, sur leur
+origine et sur leurs traditions. Je rappellerai aussi ce qui a été dit,
+à leur sujet, par les auteurs anciens.
+
+Voici d’abord quelques détails touchant la montagne de l’Elba :
+
+Toute cette montagne n’est qu’un groupe considérable de blocs de granit
+siénite, absolument comme le mont Sinaï. On y voit beaucoup de ravins
+profonds surplombés par des rochers à pic s’élevant à une grande
+hauteur. Les plus hauts de ces derniers, au-dessus du niveau de la mer,
+ont environ dix-huit cents mètres. Quant aux points que j’ai visités, je
+n’y ai vu que des granits dans les parties saillantes et des porphyres
+dans les parties basses, avec très-peu de filons ou veines de quartz
+métallique. Il y a eu là un immense soulèvement.
+
+Entre la mer et la montagne se trouve une plaine sablonneuse d’environ
+six à sept kilomètres. Devant la côte, à une petite distance en mer,
+règne partout une barre en coraux taillés à pic du côté du large, où
+l’on trouve immédiatement une grande profondeur, tandis que, du côté de
+terre, ils apparaissent à fleur d’eau à marée basse ; c’est du reste la
+formation de presque tous les bords de cette mer. Sur la côte de l’Elba,
+il y a plusieurs endroits où les barques viennent mouiller et où elles
+trouvent des ancrages abrités par des pointes de sables et de coraux, au
+débouché d’un torrent quelconque venant de la montagne. Ainsi le torrent
+de la vallée où est le puits dont j’ai parlé, vallée nommée Oyometerre,
+a formé dans la mer une longue pointe qui s’étend vers le Nord-Est, et
+trace une espèce de baie où les navires sont à l’abri des vents
+fréquents et forts du Nord-Nord-Ouest et du Sud-Sud-Ouest ; d’autres
+abris se rencontrent vers le Sud, mais toujours formés de la même
+manière.
+
+Les formations siénitiques règnent communément depuis le pied de la
+montagne jusque près de la mer ; mais elles demeurent recouvertes en
+partie par les sables ; ce sont d’immenses blocs de granit arrondis,
+plats, et comme posés par couches stratifiées.
+
+Cette partie est couverte de plantes et d’herbages dont les troupeaux se
+nourrissent ; ils s’abreuvent à des puits, des sources ou des réservoirs
+naturels qui conservent l’eau après les pluies, et qui sont disséminés
+çà et là, contractant un goût salé lorsqu’on approche de la mer.
+
+La montagne de l’Elba, du côté du Nord, est reliée à une autre montagne
+par une plaine très-unie d’une assez grande étendue ; du côté du Sud et
+de l’Ouest, elle est contiguë à d’autres élévations dont elle semble
+être le point culminant. Ces élévations longent la mer Rouge au Nord
+avec des ramifications en manière de contre-forts à l’Ouest.
+
+La végétation dans les ravins et sur les parois de la montagne, du côté
+du Nord surtout, est fort belle ; il y croît beaucoup de plantes
+odorantes et une grande variété d’arbustes. J’y ai vu le basilic,
+plusieurs espèces de géraniums, des résédas, des mauves et de
+l’oseille ; les aloès y viennent très-grands, et j’ai constaté que tous
+les arbres, dont la plupart m’étaient inconnus, appartenaient au genre
+épineux ; plusieurs sont d’un assez riche produit pour les Bicharieh ;
+les différentes espèces de mimosas, par exemple, produisent des gommes
+qui se vendent très-bien ; leurs écorces et leurs fruits fournissent un
+tan très-estimé pour la préparation des peaux. Les feuilles d’une autre
+espèce d’arbre servent encore pour le même usage. Il y en a de ceux-ci
+qui donnent une sorte de résine odoriférante dont on use dans tout
+l’Etbaye, comme parfum, et il y a aussi des mousses qui servent à
+parfumer les graisses dont tous les Bicharieh et les Arabes du Soudan
+s’enduisent le corps.
+
+La montagne de l’Elba, proprement dite, a quatre journées de tour ; le
+plus grand nombre des habitants occupe les vallées, formées par les
+contre-forts. Les chasseurs seuls habitent la montagne pour y tuer les
+chèvres sauvages, les capricornes et les gazelles dont les peaux,
+préparées par eux avec le tan qu’ils possèdent, leur fournissent un
+sujet de commerce qui rapporte beaucoup. Ces peaux se vendent dans tout
+le Soudan, et sont très-recherchées à cause de leur finesse, de leur
+souplesse, de leur couleur et de leur force ; elles servent pour les
+tétières des chameaux, pour les ceintures des femmes, les selles de
+dromadaires et pour une grande quantité d’ornements qui se fabriquent
+avec de petites lanières aussi fines que du gros fil.
+
+L’Elba, parmi les Arabes Ababdieh, les Bicharieh et tous les Arabes
+habitants du désert depuis la latitude de Coséir jusqu’à celle de Taka,
+et entre le Nil et la mer Rouge, a beaucoup de réputation. C’est un lieu
+renommé d’abord pour sa richesse, et ensuite pour sa sainteté. Il est
+riche, parce que l’on y trouve partout de l’eau et de la végétation ; il
+est saint, parce que l’on sait qu’il renferme la pierre colossale, ayant
+forme humaine, que j’ai cherchée, et qu’il s’attache à elle une légende
+respectée.
+
+La prétendue statue qui est assise a, dit-on, devant elle, une pierre
+placée horizontalement comme une table, et le sable que l’on pose dessus
+est immédiatement balayé par un souffle puissant ; car cette statue
+respire. Lorsque l’année doit être favorable aux Bicharieh, et surtout
+aux Mahamet Gourabieh, sa respiration est fraîche ; au contraire, elle
+devient chaude lorsqu’un malheur doit arriver. Voilà ce que l’on dit,
+dans le pays même, avec beaucoup d’autres contes plus ou moins empreints
+de superstition ; mais au milieu de tout cela, une chose est certaine,
+c’est que dans l’Elba est un lieu vénéré (est-ce un tombeau, un temple,
+un monument égyptien ou autre chose ?) dans lequel l’on va faire des
+pèlerinages ainsi que des sacrifices de moutons, de chèvres, etc. Or,
+ceci se rapporterait à ce que disent les Bicharieh sur leur origine dont
+voici l’exposé tel qu’il m’a été donné par eux-mêmes :
+
+Les Bicharieh prétendent descendre, par les femmes, d’une tribu d’Arabie
+nommée Assadite, et, par les hommes, d’une autre nommée Cawala. Ils
+disent qu’un Arabe, nommé _Couca_, de la tribu des Assadites, vint à
+l’Elba avec sa femme en traversant la mer, que le père de Couca se
+nommait Bichara, d’où vient le nom de Bicharieh aux descendants de la
+femme de Couca.
+
+Cependant il advint qu’un navire, monté par des commerçants turcs qui se
+rendaient en Arabie, se mit à l’abri, par un mauvais temps, dans un
+endroit appelé Abou Romatte, d’autres disent Essoterba, ces deux noms
+ont la même signification ; car l’un veut dire, en arabe, le père de la
+cendre ou de la poussière, et l’autre, en bichari, l’endroit de la
+poussière.
+
+Les gens du navire rencontrèrent la femme de Couca, l’emportèrent à leur
+bord et s’en furent à Sawakin.
+
+Mais bientôt, leur commerce les obligeant à retourner chez eux, ils
+vinrent encore aux environs de l’Elba ; cette fois c’était pour prendre
+de l’eau. La femme de Couca, qu’ils avaient enlevée, trouvant alors le
+moyen de s’échapper, alla rejoindre son mari ; elle était, pendant son
+séjour à bord, devenue enceinte ; le chef des Turcs, qui en avait fait
+sa femme, voulut aller à sa poursuite. Il descendit à terre avec ses
+compagnons, et s’avança dans les gorges de la montagne, jusqu’à une
+grande grotte ou caverne qu’il pensait être le refuge de la fugitive. A
+peine y fut-il entré, lui et son monde, que la voûte de la caverne
+s’écroula, et qu’ils furent tous engloutis sous les décombres. On montre
+encore le théâtre de cette catastrophe au sud de la montagne, du côté de
+la mer.
+
+La femme de Couca mit au monde un garçon qui fut nommé Annac, et qui
+devint l’ancêtre des tribus arabes, Ahmed ou Mahamet, Gourabieh,
+Chintirab, Amarrar.
+
+Couca et sa femme ayant eu déjà trois autres garçons, ceux-ci furent les
+ancêtres des tribus du Sud.
+
+Couca disparut dans la montagne de l’Elba sans que l’on pût savoir s’il
+s’était tué, à la chasse, en tombant dans un précipice, ou bien s’il
+avait été dévoré par quelque bête féroce ; mais les Bicharieh croient
+qu’il a été changé en pierre, et que c’est cette pierre ou cette statue
+que l’on va visiter. Telle est leur tradition.
+
+Si un voyageur, plus heureux que moi, arrive jamais à pénétrer dans la
+montagne de l’Elba, il pourra peut-être élucider tous ces
+renseignements.
+
+Les auteurs anciens disent peu de chose sur le pays des Bicharieh,
+qu’ils comprennent dans celui des Éthiopiens, aussi confondent-ils
+souvent les usages de ces différents peuples.
+
+Diodore, qui parle le plus au long de ces derniers, c’est-à-dire des
+Éthiopiens, donne des détails sur leur manière de se nourrir, les classe
+d’après le genre de leur nourriture, ainsi que d’après leur manière de
+se la procurer. Les Bicharieh, en prenant leurs tribus depuis les
+frontières d’Abyssinie jusqu’à Coséir, possèdent en partie la manière de
+vivre dont parle Diodore, sauf pourtant certaines exagérations.
+
+Quoique les Bicharieh se disent de race arabe, comme je l’ai dit aussi
+moi-même, en les considérant bien il semblerait le contraire. D’abord le
+type de leur figure est bien différent de celui, par exemple, des tribus
+arabes qui sont tout près d’eux, dans l’Albara, comme le Giahélines, les
+Scukerieh, les Abou Gin, etc., lesquels sont venus du Hedjah en
+traversant la mer Rouge. Ces émigrations ont eu lieu à diverses
+reprises, comme cela est encore arrivé dans les premières années de
+l’Islamisme, et les tribus en question parlent l’arabe, et ont tous les
+caractères arabes. Les Bicharieh, eux, ont le teint plus foncé, les
+traits plus européens. Leurs cheveux sont légèrement crépus comme ceux
+des Abyssins ; enfin, ils ont une langue à eux qui n’a rien de commun ni
+avec la langue arabe, ni avec celle de Barabras ou Nubiens Kenous qui
+habitent les bords du fleuve.
+
+Les habitants répandus dans la contrée qui forme aujourd’hui l’Etbaye,
+étaient connus sous le nom de Blemmyes. Ammien-Marcellin, Olympiodore,
+Ptolémée Agathemère, Étienne de Byzance et d’autres, dans leurs récits,
+les appellent ainsi et les désignent tous sous le même nom.
+
+Les auteurs arabes les nomment Bedjah, nom qui est encore donné
+aujourd’hui à leur pays aussi bien que celui d’Etbaye.
+
+Macrizy dit qu’ils sont d’origine berber, d’autres disent qu’ils sont
+venus d’Abyssinie.
+
+Quoi qu’il en soit de ces diverses origines, qui toutes doivent se
+perdre dans la nuit des temps, les Bicharieh n’en forment pas moins une
+grande peuplade qui n’est pas arabe, il faut le reconnaître.
+
+Il serait trop long de répéter ici tout ce qui a été dit sur les
+Blemmyes ou les Bedjah, qui sont réellement les Bicharieh descendants de
+Bichara. Je ferai seulement remarquer que leurs tribus ont été, à
+certaines époques, assez entreprenantes pour venir faire des excursions
+en Égypte, dans le Saïd, et même jusqu’aux portes du Caire.
+
+Les anciens Égyptiens avaient fermé, par de bonnes murailles en briques
+crues, les défilés par lesquels ces barbares pouvaient descendre du
+désert dans les terres cultivées ; l’on en voit des restes dans beaucoup
+d’endroits, et notamment sur la route de Sycome ou Assouan, au-dessus
+des cataractes, à Philé. Les Pharaons faisaient la guerre contre eux,
+mais ils les ménageaient cependant, à cause de l’exploitation des mines
+d’or.
+
+Les Grecs, sous les Ptolémées, firent de même.
+
+Pendant la domination romaine en Égypte, l’on dut plusieurs fois
+réprimer les Blemmyes envahisseurs. Sous le règne de Probus, ils
+s’emparèrent de Coptos et de Ptolémaïs.
+
+Ces Blemmyes faisaient des courses aussi sur mer ; ils vinrent vers l’an
+378 ravager la ville de Raïthe sur la côte de la Péninsule du mont
+Sinaï, d’où ils furent repoussés par la garnison qui s’y trouvait. Plus
+tard, ils ravagèrent une des oasis, ce qui prouve qu’ils passaient du
+côté ouest du Nil ; il est impossible d’en douter, puisque dans le
+désert de Baïouda, que l’on traverse en allant de Dongolah jusqu’à
+Mettamna, et plus haut jusqu’à Kartoum, l’on trouve aujourd’hui des
+tribus Bicharieh.
+
+Sous les sultans du Caire, plusieurs fois les Bedjah vinrent piller les
+musulmans qui, le jour de la fête du Courban Baïram, allaient sur le
+Mokattam faire la prière. Pour les repousser, l’on était obligé de
+mettre une forte garde, ce jour-là, au pied de la montagne, au lac el
+Abèche, et cette garde ne suffit pas toujours ; car, sous Ahmed ben
+Teïloun, ces mêmes Bedjah surprirent les Égyptiens, les massacrèrent et
+les pillèrent dans une circonstance semblable. Il arriva enfin qu’on les
+fit tomber dans une embuscade et qu’on en tua un très-grand nombre.
+
+Cependant, les musulmans, attirés dans le pays des Bedjah par l’attrait
+de l’exploitation des mines, s’y portèrent en masse ; ils s’allièrent
+avec les indigènes par des mariages, et en convertirent beaucoup à leur
+religion. Cette conversion les rendit moins sauvages si l’on en juge par
+ce que sont aujourd’hui les Bicharieh. On peut lire, dans les mémoires
+de M. Quatremère, bien des détails intéressants touchant ces
+populations, détails extraits des auteurs anciens et des auteurs arabes.
+
+De nos jours, elles ont été fort peu soumises au gouvernement égyptien ;
+il n’y a guère que les tribus du sud, celles qui sont à Goos Regeb, sur
+l’Albara, qui soient tributaires ; celles du désert de l’Elba ne le sont
+nullement.
+
+Les Bicharieh sont divisés en plusieurs tribus qui, toutes, ont un nom
+particulier et un chef.
+
+La principale, celle dont le chek est reconnu par toutes les autres
+comme le chef suprême, est la tribu des Ahmedab. Elle passe pour être la
+plus noble de toutes, et son chek jouit d’une grande autorité. Dans un
+de mes précédents voyages, j’ai eu quelques relations avec lui ; c’était
+alors un beau vieillard que l’on nommait Ahmed Wed Ahmed, sa résidence
+est au canton de Balouc, sur le fleuve Albara que l’on appelle aussi
+Mogranne depuis son embouchure jusqu’à Goos Regeb.
+
+Viennent ensuite :
+
+La tribu d’Amarrar, entre l’Elba et Sawakin, dans la chaîne de montagnes
+qui longent la mer ; chek Ahmed Assaye.
+
+Celle de El Bétranne qui habite entre Berber, sur le Nil, et Sawakin,
+sur la mer, dans un lieu nommé El Bâkg ; chek Rahmâ. Cette tribu occupe
+un territoire fort étendu, où elle cultive le dourah après les pluies
+annuelles, et le commerce qu’elle en fait attire chez elle beaucoup de
+monde.
+
+La tribu de Chintirab au sud de l’Elba, à Essoterba ; chek Rahmâ, même
+nom que le précédent.
+
+Les Cawatil dans l’Ouadée Ollaki ; chek Ali Erab, dont j’ai eu occasion
+de parler.
+
+La tribu des Amérab, dans la vallée de Nassari et ses environs ; chek
+Nasr abou Gablé.
+
+Celle des Mélécab dans le voisinage d’Ollaki ; chek Souéket, nous
+l’avons vu.
+
+Une fraction des Cawatil, déjà nommés, et qui campe à Genoub ; chek
+Mahamed Courouc.
+
+Les Balgab qui restent au sud de l’Ouadée Meïça ; ils n’ont pas de chek.
+
+La tribu des Ahmed Gourabieh, qui habite les contre-forts du nord de la
+montagne de l’Elba ; aucun chek connu. C’est un rassemblement de gens
+mal famés de toutes les tribus et qui a la réputation de n’être composé
+que de voleurs.
+
+Il y a encore la tribu des Gam Attab à Feray, sur les bords de la mer ;
+
+Celle de Guérab, près de El Bakg et sur l’Albara ;
+
+Celle de Hannar, au nord de El Bakg ;
+
+Celle de Mansourab, également ;
+
+Celle de Erehab, même territoire ;
+
+Celle de Hammâ, chek Amedan, sur le Nil, à Wadée l’Homar ;
+
+La tribu des Allinga, au sud de Goos Regeb, qui est aussi Bichari ;
+
+Celle des Metquénab, chek Bêlal, puissante tribu habitant le désert au
+Nord-Est de Goos Regeb ;
+
+Celle des Hadindane qui est à Taka, très-grande tribu aussi ;
+
+Celle des Béni-Amer et Mennah ; chek Ocout, au sud de Taka ;
+
+Une fraction de la tribu des Gam Attab, à la pointe nord de l’Albara,
+près l’embouchure du Barh Mogranne ;
+
+Enfin la tribu des Aderba, ou pour mieux dire des Adareb (pluriel du
+mot) qui réside à Sawakin et aux environs.
+
+Cette dernière était autrefois considérée comme la plus noble et la plus
+importante, mais aujourd’hui elle n’est guère estimée si ce n’est à
+cause de sa richesse.
+
+Les autres Bicharieh traitent ses membres comme des citadins, des
+Gelabs, et non comme des Bédouins, des hommes indépendants. Cela tient
+aux occupations de commerce auxquelles les Adareb ont été conduits à se
+livrer. Fixés à Sawakin, seul point de ces parages que l’on peut
+regarder comme un port, ils sont devenus forcément les intermédiaires
+entre les négociants de l’intérieur qui apportent, chez eux, les
+produits de leurs pays, et les négociants du Hedjah, de l’Yémen et même
+de l’Inde qui y viennent échanger ou écouler les leurs. Ce sont, du
+reste, de fort beaux hommes, plus grands de taille, plus rapprochés, par
+les formes, du type européen que les Bicharieh des autres tribus ; ils
+sont aussi plus soigneux de leurs personnes, de leurs vêtements, de
+leurs armes ; et l’on peut les citer comme les fashionables de la
+nation. Ils ont un langage recherché qui est toujours le Bedjah ; mais
+qui affecte des termes inusités par la masse, un langage qui dénote une
+ancienne aristocratie.
+
+Les Bicharieh, en général, n’atteignent pas une taille élevée ; ils sont
+maigres, surtout lorsqu’ils avancent en âge ; leur teint, chocolat
+clair, quand il est pur de tout mélange avec le sang nègre, reste
+couleur d’ocre rouge tirant un peu sur le jaune, beaucoup plus foncé de
+ton que celui de leurs femmes qui vivent moins exposées aux ardeurs du
+soleil. Tous sont bien faits, bien proportionnés ; mais leurs visages,
+détériorés par la vie en plein air, par le vent, par la réverbération
+constante d’une grande lumière sur le sable prend, de bonne heure, une
+expression sauvage. J’en ai vu cependant qui avaient conservé, avec des
+formes corporelles fort élégantes, des figures charmantes et très-
+distinguées. Ils ont les cheveux longs, légèrement crépus, mais non
+laineux, des dents d’une blancheur éclatante, ceux qui les ont
+mauvaises, et alors dans un état déplorable, doivent cela, sans doute, à
+l’usage du tabac et peut-être aussi à l’usage de la viande ; ils ont des
+traits, des physionomies qui n’accusent rien d’africain ; mais en
+vieillissant ils deviennent généralement très-laids. Les hommes et les
+femmes, soumis à la même misère et aux mêmes fatigues, donnent l’idée de
+l’état dans lequel peut tomber une population presque toujours affamée.
+
+Cependant les Bicharieh sont d’une nature gaie, curieuse ; ils aiment à
+causer par-dessus tout, et leur profonde ignorance ne les empêche pas de
+le faire avec esprit. Quoiqu’ils se montrent mendiants à l’excès,
+voleurs même quand l’occasion se présente, paresseux au delà de toute
+expression, l’on ne peut nier qu’ils ne soient braves, loyaux et fort
+souvent chevaleresques. Ces contradictions se rencontrent aussi chez les
+sauvages, qui n’ont d’autre règle que leur instinct, et qui se
+passionnent facilement.
+
+Parmi les tribus que j’ai citées, celles des Balgab et des Amarrar sont
+renommées pour la beauté de leurs hommes et surtout de leurs femmes ;
+celles-ci ont des traits tellement fins qu’on les prendrait pour des
+Européennes. Les deux tribus sont plus renommées encore pour le
+relâchement de leurs mœurs.
+
+Tous les Bicharieh vivent du produit de leurs troupeaux ; ils ne tuent
+guère de moutons ou de chameaux que dans les grandes circonstances :
+soit aux noces, soit enfin pour recevoir des hôtes ; car ils considèrent
+l’hospitalité comme un devoir, et ils l’exercent sous toutes ses formes.
+
+Si les pluies ont été abondantes et qu’il y ait des pâturages, ils se
+nourrissent de laitage, sinon ils s’arrangent pour aller à Assouan, à
+Derrawé, en Nubie, vendre du bétail, de la laine, des produits du
+désert, tels que gomme, séné, coloquinte ou peaux tannées, et ils
+rapportent chez eux du dourah. C’est dans ces occasions qu’ils achètent
+les étoffes de coton dont ils ont besoin.
+
+La chasse, pour quelques-uns, est un moyen d’existence, quoiqu’elle ne
+soit pas très-abondante. Dans les plaines ils trouvent les gazelles, les
+autruches, les ânes sauvages ou onagres ; dans les vallées, les
+lièvres ; dans les montagnes, les capricornes. Les animaux féroces du
+pays sont les hyènes, les loups ordinaires, quelques léopards, et les
+chacals ; l’on y voit aussi une espèce de petit renard nommé bacho et
+une espèce de grand loup très-féroce nommé, comme en Abyssinie chez les
+Gallas, oselo. Enfin, dans beaucoup de localités, les perdrix grises et
+les perdrix rouges abondent ; mais les Bicharieh ne les tuent pas ; ce
+sont des oiseaux sacrés.
+
+Les tribus de el Bakg et de l’Elba sont les plus aisées de toutes, parce
+qu’à el Bakg, je l’ai dit ailleurs, les habitants cultivent le dourah,
+dont ils font commerce ; parce que ceux de l’Elba, ayant toujours à leur
+portée de très-bons pâturages, peuvent élever de nombreux troupeaux. Ils
+font avec les négociants de Djeddah, qui fréquentent leurs côtes, des
+échanges continuels ; mais ce qui contribue le plus à leur bien-être, ce
+sont les vols qu’ils vont commettre au loin, et ceux même qu’ils
+commettent au détriment des marchands qui viennent chez eux, vols
+toujours impunis, attendu qu’une fois rentrés dans leurs repaires, il
+est impossible d’atteindre les voleurs, et que, d’un autre côté,
+l’absence d’un chek reconnu met le volé dans l’impossibilité de formuler
+aucune plainte.
+
+Les principaux de ces tribus ont trouvé un moyen ingénieux de se donner
+des apparences de probité : ils vendent aux négociants leur protection
+moyennant un droit que ceux-ci payent sur leurs marchandises et qui
+s’élève ordinairement au cinquième du rendement des objets vendus.
+Quoique ce droit soit exorbitant, il n’est aucun gelab qui ne s’y
+soumette ; car, attendu l’entente qui existe entre les Arabes, il serait
+bien plus coûteux de faire autrement. C’est un genre d’assurance comme
+un autre ; seulement, en fait de sinistres, le seul cas que les
+assureurs ordinaires excluent, le cas de force majeure, se trouve ici
+uniquement admis.
+
+Le vêtement des Bicharieh consiste en une pièce de toile de coton longue
+de douze picks (le pick pour la toile est de 54 centimètres) qu’ils
+coupent en deux, et dont ils cousent les deux parties au bout l’une de
+l’autre. Ils se drapent avec cela le corps de toutes les manières, se
+couvrant tantôt un côté, tantôt un autre, mais toujours de telle sorte
+que le centre de cette longue écharpe se trouve placé au milieu du dos.
+Peu d’individus portent des chemises ; ce ne sont que les cheks ou les
+gens riches ; elles vont jusqu’aux pieds ; le col en est très-étroit,
+les manches en sont larges et très-longues. Tous laissent croître leurs
+cheveux, qui sont tressés et arrangés à la façon des statues
+égyptiennes ; ils se graissent souvent la tête et le corps, et dans
+leurs cheveux est toujours une épingle en bois très-longue qui leur sert
+à se gratter sans déranger leur coiffure. Quand ils font leur toilette,
+ils prennent de la graisse de chameau préparée en petites boules de la
+grosseur d’une noix et mélangée avec des parfums en poudre, ils se
+frottent bien les mains avec ces boules et les mettent ensuite sur leurs
+têtes, de manière à ce que le soleil, en les fondant, puisse faire
+couler la graisse goutte à goutte sur leur corps et sur leurs vêtements.
+Cette coquetterie, qui est tout à fait en dehors de nos usages, a sa
+raison d’être ; elle a pour but de donner aux membres une grande
+élasticité et aux étoffes une souplesse qu’elles n’auraient point sans
+cela.
+
+Les femmes sont vêtues de la même étoffe ; leur toilette est la même ;
+elles portent presque toutes en dessous de leur draperie une ceinture
+frangée en lanières de peau extrêmement déliées et fines, de la longueur
+de 40 à 50 centimètres. Cette ceinture, lorsqu’elles sont déshabillées,
+leur cache encore parfaitement une partie du corps. Les jeunes filles
+n’ont pas d’autre vêtement[23] ; leurs ornements sont un anneau assez
+grand passé au nez, d’autres plus petits aux oreilles, puis, autour du
+corps, au-dessous des seins principalement, des grains de verroterie,
+d’ambre, de corail, des coquillages et des onix, disposés d’une façon
+bizarre ; elles portent aussi des bracelets en argent. Quant aux jeunes
+garçons, tout leur habillement se compose d’un morceau de toile de coton
+passé entre les jambes et noué au-dessus des hanches.
+
+Les habitations, les tentes des Bicharieh ont, en général, un aspect
+misérable, je l’ai déjà dit ; elles sont faites avec des morceaux
+d’étoffes grossières, tissées en poil de chèvre et de chameau ; elles
+ont de mauvaises cordes et de mauvais bois. Les plus importantes peuvent
+avoir 4 mètres sur 3 de grandeur ; jamais je n’en ai rencontré une
+neuve. Des familles logent aussi quelquefois sous un abri naturel, dans
+des rochers. Du côté du sud, où il pleut plus souvent, les tentes sont
+établies plus solidement : ce sont des espèces de berceaux construits
+avec des bois qui forment une légère charpente et qui sont recouverts
+avec des peaux très-souples ; l’intérieur en est garni de un ou de deux
+_angareb_, châssis de 2 mètres de longueur sur 1 de large, monté sur
+quatre pieds en bois qui l’élèvent au-dessus du sol d’environ 50
+centimètres. Ce châssis contient un filet en lanières bien préparées et
+bien tendues, sur lequel l’on est très au frais pour dormir. Ceux qui en
+ont les moyens posent sur les lanières une natte ou un tapis. Les
+tentes-berceaux se transportent aussi facilement que les autres tentes
+et sont bien préférables. Enfin j’ai encore vu, dans la contrée entre le
+Nil et l’Elba, une troisième espèce de tentes que les indigènes
+confectionnent, en manière de cabanes, avec des branches d’arbres et des
+feuilles de doume ou palmier éventail tressées, et qu’ils tapissent
+intérieurement avec des étoffes grossières fabriquées par les femmes.
+Ils tirent de l’ouadée Douma, sur la route de Coroscos à Abou Ahmed, et
+de celle de Terfawé tous les matériaux qui leur sont nécessaires.
+
+Dans toutes ces habitations, les ustensiles de ménage sont les mêmes :
+un moulin à bras, une espèce de poêle en tôle pour cuire le pain, une ou
+deux terrines en terre, des outres pour l’eau, le lait ou le beurre, des
+œufs d’autruche, des courges, des petits paniers tressés fort serrés qui
+ne laissent point filtrer les liquides et des vases pour faire le méris
+ou le bouza quand les propriétaires en boivent. — Comme ornement, il y a
+des sachets couverts de coquillages, de plumes d’autruches, de morceaux
+de drap rouge et de parchemin vert, il y a aussi force amulettes en
+cuir.
+
+Les Bicharieh supportent la fatigue, la faim, la soif pendant plusieurs
+jours sans paraître en être incommodés. Ils sont d’une insouciance,
+d’une imprévoyance extrême ; quand ils ont mangé ils ne se préoccupent
+plus du lendemain. La moindre chose en effet leur suffira ; mais aussi,
+toutes les fois qu’ils en trouvent l’occasion, ils se repaissent, à
+l’instar des boas, de manière à ne plus pouvoir bouger. Ils sont
+capables d’absorber, par tête, dans un seul repas, tout un mouton et de
+n’en laisser littéralement que les gros os, puis ils resteront trois ou
+quatre jours sans absorber aucune nourriture. On rencontre des individus
+qui n’ont jamais bu que du lait et qui ne peuvent avaler une goutte
+d’eau sans en souffrir beaucoup.
+
+Quand les pluies sont tombées avec abondance et ont fait produire au
+désert des pâturages pour les troupeaux, les Bicharieh sont au comble du
+bonheur ; ils restent alors tranquilles dans leurs campements, savourant
+le _far niente_ oriental et ne se rassasiant que de laitage.
+
+Ils n’ont pas de chevaux et ne se servent que de dromadaires pour leurs
+transports, leurs voyages et leurs expéditions guerrières. Ordinairement
+ils se mettent deux sur la même monture, l’un en avant sur la bosse où
+est posée une légère selle, il guide le dromadaire, l’autre derrière la
+selle en croupe et à poil et se tenant à un pommeau de l’arçon.
+
+De cette manière ils parcourent promptement et en nombre de très-grandes
+distances.
+
+Les armes des Bicharieh sont des lances, qui se fabriquent à Assouan, à
+Sawakin, à Berber et à Chaindi, des sabres ou espadons, comme en
+portaient nos anciens dragons, larges de 4 à 5 centimètres, longs de
+1m,30 environ et tranchants des deux côtés. Ces armes viennent d’Europe,
+d’Allemagne ou d’Espagne ; les anciennes sont renommées et se payent
+très-cher, jusqu’à 500 francs pièce, tandis que les autres ne valent
+guère que 20 à 30 francs. Ils ont encore des couteaux ou poignards
+plats, recourbés d’une façon particulière et tranchants aussi des deux
+côtés, qu’ils portent attachés à la ceinture par-dessous leurs
+vêtements, et d’autres plus petits attachés au bras ou à la cuisse. Pour
+compléter cet armement ils portent un bouclier rond, quelquefois ovale,
+fait en peau de crocodile, de girafe, d’hippopotame, de rhinocéros,
+d’éléphant ou de buffle sauvage.
+
+Leurs guerres, le plus souvent, et surtout celles qui ont lieu entre eux
+et les tribus arabes, sont occasionnées par la question des eaux et des
+pâturages, par des représailles d’assassinats, par des vols de
+dromadaires. Mais c’est presque toujours sur les puits que commencent
+les querelles, chacun veut abreuver le premier ses animaux, chacun veut
+commencer à remplir ses outres ; des disputes l’on en vient aux coups,
+aux armes. Un homme est-il tué dans la mêlée ? voilà le sujet d’une
+guerre. Le meurtrier est poursuivi ; s’il se réfugie dans sa tribu l’on
+cherche à négocier le prix du sang versé, et si les parents du mort
+n’acceptent pas ce qui leur est proposé, s’ils exigent la loi du talion,
+la guerre se déclare entre deux familles, guerre à laquelle prennent
+part les parents, les amis, les connaissances des intéressés. D’un autre
+côté, la paix qui est faite par l’acceptation du prix du sang est
+rarement durable, de fréquentes ruptures s’en suivent habituellement.
+
+La moindre discussion, la moindre affaire d’intérêt devient, pour une
+valeur contestée de 3 ou 4 piastres, une affaire très-grave ; car
+souvent la partie plaignante, ne pouvant obtenir justice, vole un
+mouton, un chameau à la partie adverse ; cela amène une complication
+qui, si elle n’est pas arrangée de suite par le chek ou les notables de
+la tribu, produit un assassinat et tout ce qui en découle.
+
+Il est rare que toutes les tribus se mettent en campagne ensemble ; l’on
+n’a vu cela que lorsqu’il s’est agi de repousser les Turcs, les
+Égyptiens et de piller les bords du Nil.
+
+Les Bicharieh ont l’habitude, après un combat, d’enterrer leurs morts ;
+j’en ai eu plusieurs fois la preuve dans le courant de mon voyage. Quand
+un chek, un homme considérable vient à être tué, s’il meurt en route,
+des suites d’une blessure, s’il meurt même de maladie, ses compagnons le
+mettent dans une grande outre de peau de bœuf, avec beaucoup de sel et,
+bien clos dans ce cercueil, le transportent jusqu’au campement de la
+tribu où est leur champ des morts.
+
+Soit au fort d’une bataille, soit dans une simple attaque de voyageurs,
+après avoir jeté leurs lances, celui des deux cavaliers qui est en
+croupe sur le dromadaire saute à terre et cherche à parvenir, en
+rampant, sous la monture de son adversaire, pour l’éventrer avec son
+poignard ou lui couper les jarrets, de telle sorte que l’homme
+désarçonné, jeté en bas violemment, est tout à sa discrétion. Si c’est
+contre un fantassin qu’il doit combattre, sa tactique est à peu près la
+même, en ce sens qu’il ne vise qu’à une chose, à couper avec son sabre
+les jarrets de son ennemi.
+
+Lorsque les Bicharieh sont en expédition, ils cherchent toujours, avant
+d’attaquer, à connaître les forces de l’ennemi. S’ils reconnaissent
+qu’il est faible, ils fondent sur lui, le matin au point du jour, afin
+que personne ne puisse leur échapper pendant les ténèbres. Si, au
+contraire, ils craignent qu’il soit fort et qu’il y ait, pour eux, des
+chances d’insuccès, ils attaquent dans la nuit, afin de pouvoir profiter
+des ténèbres pour se sauver en cas de défaite.
+
+Ils ne font pas de prisonniers, et, quand ils se battent contre une
+autre nation que la leur, les femmes et les enfants sont pris en
+esclavage.
+
+La propriété, chez eux, n’est point personnelle quant à la terre ; elle
+est divisée comme partout ailleurs ; mais entre tribus, entre familles
+seulement ; ce sont des groupes et non des individualités qui possèdent.
+Tel canton appartient à un groupe, telle vallée à un autre groupe, et
+ainsi de suite. Les arbres de ces vallées appartiennent à telle ou telle
+famille. Il y a cependant des parties du désert sur lesquelles toutes
+les tribus ont un droit de vaine pâture dans toute l’acception du mot.
+
+Les mœurs des Bicharieh sont assez pures dans quelques tribus, tandis
+que dans beaucoup d’autres elles sont, au contraire, très-relâchées ;
+chez les Amarrar, par exemple, on fait peu d’attention à l’adultère ;
+car ils prétendent que la race, la noblesse se perpétue par les femmes
+plus sûrement que par les hommes. Au surplus, cette opinion est
+l’opinion des mahométans, qui reconnurent à la fille de leur prophète,
+sa fille Fathmé, le droit de noblesse qu’elle transmit à ses
+descendants, hommes ou femmes, sans distinction. Depuis elle et par
+elle, le fils ou la fille d’une femme chérif qui a le droit de porter le
+turban vert, peuvent le porter aussi comme signe.
+
+Chez ces mêmes Amarrar, l’on a commerce avec la femme de son frère et
+les parentes au même degré. Chose singulière ! ce sont les tribus dont
+les mœurs sont aussi mauvaises, qui ont le plus beau sang, les sujets
+les mieux constitués.
+
+Il y en a chez qui le sentiment religieux est assez développé. Celles-là
+pratiquent le culte de Mahomet autant que faire se peut ; car aucun
+Bichari ne sait lire l’arabe, et sa propre langue ne s’écrit pas. Chaque
+année seulement il vient, de la Mecque, des missionnaires musulmans qui
+pénètrent dans les familles pour prêcher le Coran. Ces missionnaires
+sont parfaitement écoutés, à cela près qu’ils ne parviennent jamais à
+communiquer le fanatisme qui les anime.
+
+J’ai été lié intimement avec un chek très-considéré qui me disait :
+« Vous, vous êtes un brave homme comme nous, vous n’aimez pas le mal.
+Quel dommage que vous ne soyez pas musulman ! »
+
+Les mariages se font quelquefois difficilement ; car il faut, pour
+obtenir une fille de bonne famille, pouvoir donner au moins six
+chamelles, tuer, le jour de la noce, une vingtaine de moutons et offrir
+des vêtements neufs. Ces présents s’adressent naturellement à la femme
+et restent dans le ménage, à moins qu’il n’y ait divorce, auquel cas
+l’épouse retient tout, outre la dot que son père lui a faite, dot
+toujours égale à celle de son époux.
+
+Quand un jeune homme et une jeune fille sont épris l’un de l’autre, et
+que la fortune du jeune homme ne lui permet pas d’apporter en mariage ce
+que le père de celle qu’il recherche exige, les jeunes gens n’en
+continuent pas moins à se voir. Cela amène souvent une situation qui,
+chez nous, serait appréciée par ces termes : Il faut les marier. Or ici,
+comme chez nous encore, l’on arrive presque toujours à s’entendre, et le
+père récalcitrant finit par où il aurait dû commencer, avec cette
+différence qu’il n’agit sous la pression d’aucune idée de déshonneur et
+que sa résolution nouvelle est tout simplement, tout bonnement
+raisonnée.
+
+Les Bicharieh considèrent les accidents de famille de cette sorte comme
+fort naturels, ils ne s’en émeuvent pas autrement. Bien plus, le jeune
+homme peut se retirer à la dernière heure, sans encourir aucun blâme ;
+il donne alors un chameau à titre de dédit, et la jeune fille, toujours
+aussi bien vue de ses parents, de ses amis, trouve à se marier ailleurs
+comme si rien ne s’était passé. Le sort de l’enfant qui survient a été
+réglé d’avance par la loi du pays ; cet enfant, qu’il y ait mariage ou
+non, est réputé comme fils du frère de sa mère. La sagesse de cet
+arrangement peut être appréciée par qui de droit.
+
+Si un homme prend une jeune fille de force et qu’il y ait viol, il est
+tué sans rémission ; s’il prend la femme d’un autre, il est puni dans de
+certaines limites, et regardé comme seul coupable ; mais cette punition
+est illusoire, parce que le mari offensé se bat toujours avec lui ou
+l’assassine.
+
+Le drame suivant donne, dans cet ordre d’idées, la mesure du caractère
+de ces populations ; il s’est passé, presque sous mes yeux, dans les
+environs de Déréhib.
+
+Une femme Bichari, nommée Settina (notre maîtresse) était mariée à son
+cousin, qui en était fort amoureux et fort jaloux ; car elle était très-
+belle. Settina, quoiqu’elle aimât beaucoup son mari, ayant été élevée
+dans les mœurs relachées de la tribu des Amarrar, avait un amant qui
+obtenait d’elle tout ce qu’il est possible à une femme de donner, et qui
+était aussi son parent. Il se nommait Faddalla, et le mari se nommait
+Ahmed. Tous deux eurent besoin de faire ensemble un voyage pour aller
+porter à Assouan ce qu’ils avaient à échanger contre des grains et
+autres choses nécessaires à leur famille, et de plus pour régler
+quelques affaires dans une tribu voisine. On fit les préparatifs
+ordinaires ; mais, au moment du départ, Faddalla prétendit qu’il avait à
+terminer quelque chose qui devait le retenir un jour chez lui. Il pria
+donc Ahmed, afin que le voyage ne souffrît pas de retard, de se mettre
+en route avec les chameaux qui étaient prêts, ainsi que les bagages,
+l’assurant que bientôt il le rejoindrait à l’aide de son dromadaire.
+Cela fut arrangé ainsi ; cependant, à peine en route, Ahmed conçut
+quelques soupçons ; son humeur jalouse le talonna de telle sorte que, ne
+se contenant plus, il laissa sa petite caravane et s’en revint le soir à
+sa tente, dans laquelle il trouva moyen de se cacher, après y être entré
+furtivement.
+
+Le vrai motif qui avait empêché son ami de partir ne tarda pas alors à
+lui être révélé ; car Faddalla entra aussi dans la tente avec Settina,
+et ils lui donnèrent la preuve de l’intimité qui régnait entre eux. Dans
+une situation pareille, Ahmed eut le courage de rester immobile et
+d’attendre un moment favorable pour pouvoir s’échapper de chez lui ; son
+plan était arrêté. Il rallia sa caravane sans laisser voir aucune
+émotion, et le lendemain, lorsque son cousin parut en sa présence, il ne
+lui témoigna aucune défiance. C’était un homme fortement trempé, un
+homme capable de prendre une résolution extrême, mais aussi capable d’un
+grand dévouement.
+
+Le voyage s’effectua comme il avait été conçu ; mais en revenant, Ahmed
+répudia sa femme sans l’aller voir et sans dire le motif qui le faisait
+agir. Ce motif, personne ne le soupçonna, car il le refoula dans son
+cœur, par égard pour celle qu’il aimait encore, par considération pour
+sa famille, à laquelle il appartenait aussi.
+
+Peu de temps après ce divorce, Faddalla épousa sa maîtresse, qui le
+rendit heureux comme elle avait rendu heureux son premier mari, c’est-à-
+dire pendant un temps fort limité ; car la race dont elle descendait,
+antipathique aux liens indissolubles, semblait l’autoriser à chercher
+sans cesse de nouveaux plaisirs. Or il arriva que Settina faillit
+encore ; il arriva que Faddalla la surprit en flagrant délit, ainsi que
+Ahmed l’avait surprise, et que, tout aussi jaloux, mais moins généreux
+que lui, il n’hésita pas à l’immoler sur place avec son complice.
+
+Ce dénoûment avait-il été prévu par Ahmed ? Je ne saurais le croire, par
+la raison que sa conduite a prouvé qu’il avait voulu, avant tout,
+ménager sa femme, par la raison encore qu’après la mort de Settina il se
+rendit auprès du meurtrier et l’accabla de reproches, en lui remontrant
+combien il était coupable d’avoir puni une trahison pour laquelle il eût
+dû se montrer indulgent. Cette dernière démarche surtout fait voir que
+son caractère était plus noble. Mais, en présence du sang répandu, ses
+résolutions prirent un autre cours. Il avoua à Faddalla qu’il avait
+connu ses relations avec Settina, et qu’il avait divorcé. Il lui avoua
+qu’il l’avait épargné à cause d’elle, et qu’elle n’existant plus, tout
+était changé. Puis, en parlant ainsi, il l’entraîna sur la tombe à peine
+fermée et le poignarda avec le plus grand sang-froid.
+
+Voici encore quelques traits, d’un autre genre, bien caractéristiques :
+
+Les Bicharieh, pour ce qui regarde les souffrances physiques, sont d’une
+insensibilité extraordinaire. J’ai vu, dans la province de Berber et de
+Chaindi, des hommes condamnés, par le gouverneur, à être empalés, et
+souffrir cet horrible supplice sans proférer une seule plainte ; l’un
+d’eux, transpercé d’outre en outre, tout mutilé et tout déchiré,
+injuriait froidement son bourreau qui le fit tuer à coups de pistolets,
+pour mettre fin à ses sarcasmes.
+
+Un autre, condamné à avoir la tête tranchée, fut conduit sur la place
+publique sans même être lié, on le fit mettre à genoux, et le soldat
+chargé de l’exécuter lui porta un coup de sabre qui ne lui fit qu’une
+profonde blessure. Il ne poussa aucun cri, se releva, comme pour
+respirer un moment plus à l’aise et se replaça ensuite à genoux, avec le
+plus grand calme, pour recevoir le coup fatal.
+
+Dans une circonstance analogue, j’ai vu aussi un Bichari à qui l’on
+infligeait le supplice du fouet. Il était couché à terre, libre de ses
+mouvements, et l’on frappait autant que possible sur ses épaules. A
+chaque coup, des lambeaux de sa chaire étaient enlevés, son sang coulait
+abondamment ; il ne bougea pas, ne poussa même pas un soupir et s’en
+alla, sans broncher, d’un pas calme et hardi, lorsqu’il eut subi sa
+peine.
+
+Je pourrais citer une multitude de faits semblables dont j’ai encore été
+témoin, ils ne sont pas plus significatifs que les faits ci-dessus. Or,
+maintenant, il serait curieux de rechercher les causes de cette profonde
+insensibilité du corps chez des êtres humains ; mais cela n’est point de
+mon ressort ; tout ce que j’ai pu observer c’est que l’habitude de vivre
+constamment nu, exposé au soleil ainsi qu’à toutes les intempéries de
+l’air, pourrait bien être une de ces causes si elle n’en est pas la
+seule.
+
+Les duels parmi ces hommes ne sont pas rares. J’en ai raconté un dont
+les armes étaient de simples courbaches ; il y en a aussi à l’arme
+blanche. Chez les Amarrar, par exemple, lorsque quelque cas grave
+conduit deux individus sur le terrain, les chefs de la tribu les y ont
+précédés ; ils s’assoient accroupis suivant leur coutume, et de manière
+à former un cercle au milieu duquel, se placent, posés à califourchon,
+l’un contre l’autre, les champions entièrement nus. On leur donne alors
+un couteau, un seul couteau, dont le plus favorisé se sert pour frapper
+le premier son adversaire, après quoi il lui présente l’instrument pour
+que celui-ci le frappe à son tour, et ainsi, non pas jusqu’à ce que mort
+s’ensuive ; car il est défendu de porter des coups mortels, mais jusqu’à
+ce qu’il plaise aux cheks, juges du combat, de vouloir y mettre fin.
+Ceux-ci, pendant que les combattants se tailladent les bras, les
+cuisses, les mollets, les épaules, avec une espèce de courtoisie sauvage
+qui implique l’éloge ou le blâme du dernier coup porté, ceux-ci, dis-je,
+fument et boivent du lait que l’on fait circuler à la ronde dans des
+courges, des outres ou d’autres vases. Leurs yeux ont suivi toutes les
+péripéties du duel, et quand ils pensent que le sang a suffisamment
+coulé, ils se lèvent et séparent les deux antagonistes qui s’avouent
+satisfaits et s’en retournent tranquillement à leurs tentes.
+
+Une des mauvaises passions des Bicharieh c’est l’avarice. On m’a dit
+chez eux que, dans des temps de disette, quand la pluie fait défaut,
+l’on voyait des hommes préférer mourir plutôt que de se décider à vendre
+un chameau, ou se défaire d’un objet qu’il pourrait fort bien remplacer
+plus tard. Cet amour excessif de la propriété, cet amour poussé jusqu’au
+dernier sacrifice, ne se comprend pas dans la vie du désert ; c’est une
+monstruosité que l’on est moins étonné de rencontrer ailleurs. J’aime
+bien mieux l’attachement de même nature que le Bichari porte à son
+dromadaire, parce qu’alors c’est un ami auquel il tient et dont il ne
+veut pas se séparer volontairement ; comme le bédouin de certaines
+contrées fait pour son cheval.
+
+Les Bicharieh, je l’ai dit, n’ont point de chevaux ; ils s’adonnent
+particulièrement, avec leurs voisins les Ababdieh qui restent du côté de
+Coseir, à l’élève des chameaux et des dromadaires. Leurs produits sont,
+sans contredit, des meilleurs et des plus parfaits que l’on puisse
+trouver. Je vais donner ici tous les détails que j’ai recueillis
+touchant cette race d’animaux si mal connus en Europe, où l’on n’a
+jamais vu que des types grossiers, à formes allourdies, à pelage velu,
+venant de Barbarie ou d’Asie, types en effet fort différents de ceux
+qu’obtiennent les Bicharieh et les Ababdieh, ou les tribus arabes du
+mont Sinaï et de la péninsule arabique ; mais d’abord il faut bien
+s’entendre sur le mot chameau et sur le mot dromadaire.
+
+D’après la classification des naturalistes, ces mots désigneraient
+chacun une espèce différente ; et Buffon dit que les chameaux ont deux
+bosses, et que les dromadaires n’en ont qu’une. Notons, en passant, que
+ceux-là ne naissent ni en Afrique ni en Arabie ; mais seulement en
+Tartarie, d’où il en vient dans quelques parties de l’Asie.
+
+De ce que cette diversité a été admise, il est résulté une confusion
+difficile à détruire ; car, pour ce qui regarde la race des dromadaires,
+les Européens, qui, par suite de leur séjour dans le pays, ont acquis
+des notions plus exactes sur ce sujet, appellent chameaux ceux que l’on
+charge et dromadaires ceux que l’on monte. Autorisés en cela par les
+Arabes eux-mêmes qui désignent les premiers par le nom de _gémél_, les
+seconds par le nom de _égine_ ; et, de fait, ce sont les mêmes animaux
+qui diffèrent entre eux comme les chevaux, dont les uns sont pour le
+trait et les autres pour la selle, et qui sont d’origine plus ou moins
+bonne, plus ou moins renommée. Le égine, ou comme le nomment les
+Européens, le dromadaire est donc le chameau que l’on monte, espèce plus
+perfectionnée et plus légère.
+
+Quelquefois un bon dromadaire, accouplé à une bonne femelle, ne donnera
+pas un bon produit, quelquefois aussi l’un des deux n’étant point
+parfait, le produit sera excellent ; absolument comme pour les chevaux.
+Cependant l’expérience a fait voir que les descendants de deux
+dromadaires de bonne race, connus de père en fils, étaient toujours
+meilleurs que ceux des espèces mélangées ; les Arabes, qui savent cela,
+se préoccupent beaucoup de la question des accouplements.
+
+Les deux races les plus appréciées en Égypte, sont : celle des Arabes du
+Hedjah, à Mascat principalement, et à Noman (les Mascatieh et les
+Nomanieh), puis celle des Bicharieh et des Ababdieh[24].
+
+Il y a des personnes qui estiment mieux la dernière ; mais c’est une
+affaire de caprice. La vérité est que l’on trouve d’excellents
+dromadaires dans les deux races.
+
+Les dromadaires de Barbarie (les Hérieh et les Emiarieh) sont loin
+d’être aussi bons ; on ne les recherche pas, surtout parce qu’ils sont
+bien moins élégants de formes et d’allures.
+
+Il existe ensuite bien des races secondaires parmi lesquelles on trouve
+des exceptions remarquables ; mais, si l’on remonte à leur origine, on
+voit toujours qu’il y a là du sang des deux races primitives de l’Etbaie
+et de l’Arabie. En effet, ce sont les plus voisines des localités où
+naissent celles-ci qui possèdent le plus de qualités.
+
+Les dromadaires nomanieh et mascatieh ont des formes un peu plus fortes,
+plus ramassées que les bicharieh, leur couleur fauve est plus foncée et
+leur poil plus long.
+
+Le bichari, au contraire, est très-svelte, ses jambes sont longues et
+fines, sa couleur est à peu près celle de la gazelle (il y en a pourtant
+beaucoup de tout à fait blancs), son poil est ras, il a le col souple et
+le ventre moins gros que le dromadaire arabe.
+
+Leur manière respective de marcher est aussi très-distincte, et quoique
+l’on puisse dire que les allures différentes, chez ces animaux, ne
+soient pas un signe de variété dans la race, il ne m’est pas prouvé que
+cela provienne seulement de la manière de les élever. J’ai possédé des
+dromadaires des deux provenances ; j’en ai eu qui sont nés chez moi, et
+j’ai voulu, sur de jeunes sujets qui n’avaient pas encore été montés,
+essayer de faire prendre aux bicharieh l’allure des nomanieh et à ceux-
+ci celle de bicharieh, jamais je n’ai pu y parvenir complétement.
+
+Les nomanieh marchent en posant les quatre pieds les uns après les
+autres, ce qui fait un pas précipité, sans secousses violentes ; mais le
+cavalier perçoit un balancement de droite à gauche, et d’arrière en
+avant tout à la fois qui, à la longue, fatigue la poitrine et peut
+donner le mal de mer. Ils tiennent la tête fort basse, et, à chaque pas,
+exécutent un mouvement de va-et-vient que l’on pourrait croire l’effet
+d’un ressort à boudin. Ce n’est point une allure franche en apparence,
+car cela ressemble au pas relevé du cheval, mêlé à un peu d’amble. De
+cette manière les nomanieh font environ huit mille à l’heure. Pour aller
+plus vite, il faudrait prendre le trot, qui n’est ni la bonne ni la
+vraie allure de l’animal.
+
+Les bicharieh, eux, ont le pas moins allongé et moins précipité. La pose
+des quatre pieds, en marchant, quoique se faisant de la même façon, est
+cependant moins régulière ; il y a, si je puis dire ainsi, plus d’amble
+dans son fait, ce qui donne au cavalier un seul mouvement d’arrière en
+avant bien déterminé. Ce pas est loin de valoir celui des nomanieh ;
+mais l’allure naturelle du bichari c’est le trot. Alors ses jambes sont
+lancées avec une hardiesse, une souplesse, une agilité incroyables ; ses
+pieds ne transmettent aucune secousse. Cette allure, chez les bons
+animaux (et je ne parle que de ceux-ci, en comparant les deux races),
+est si douce qu’elle n’est comparable au trot d’aucun cheval. En allant
+au pas, le bichari fait de trois à trois milles et demi à l’heure, au
+petit trot et au grand trot, on peut varier sa vitesse et on arrive
+très-facilement à faire dix, douze et même quatorze milles.
+
+Le dromadaire galope aussi, mais pendant fort peu de temps de suite ; il
+n’est pas construit pour cela. Peu de cavaliers, même parmi les Arabes,
+peuvent supporter ce galop sans tomber ou sans se cramponner fortement
+aux pommeaux de la selle.
+
+Dans l’Etbaie, on monte plutôt les mâles que les femelles. Celles-ci
+sont pourtant plus agréables que les mâles ; quoiqu’elles aient souvent
+le défaut de se coucher, quand elles ont trop chaud ou qu’elles se
+sentent seulement fatiguées, auquel cas tout ce que l’on peut faire ne
+sert de rien, il faut attendre son bon plaisir ; mais les Bicharieh
+ménagent les femelles en vue de la reproduction ; ils prétendent que
+c’est par elles que les qualités du sang se perpétuent. Nous avons vu
+qu’ils ont cette opinion au sujet de l’espèce humaine[25].
+
+Les meilleurs dromadaires des Bicharieh sont ceux des tribus de Hamma,
+Mahamet Gourabieh, Chintirab et Balgab. Ces derniers ont l’avantage de
+marcher à l’aise dans les terrains pierreux, attendu qu’ils viennent
+d’un pays de montagnes.
+
+On a cru longtemps que les dromadaires ne s’accouplaient pas comme les
+autres quadrupèdes, parce que leur conformation n’avait point été
+soigneusement observée, et cette erreur existait aussi pour le lion ;
+mais aujourd’hui il n’est plus permis de croire aux fables répandues par
+des ignorants ; l’anatomie des animaux du désert est aussi connue que
+celle de nos animaux domestiques, et l’histoire naturelle en a fait son
+profit.
+
+Les Arabes, quand ils veulent faire saillir une femelle, la conduisent
+toujours dans un endroit retiré. Cette condition n’est pas
+indispensable ; mais elle réussit beaucoup mieux, l’instinct de
+l’isolement étant un des caractères distinctifs de la bête.
+
+Ils ont choisi d’avance un mâle de l’âge de cinq ans, fort et bien
+constitué.
+
+L’hiver est l’époque ordinaire de ces accouplements, c’est la saison des
+pâturages ; cependant on peut les tenter, avec fruit, dans toutes les
+saisons de l’année.
+
+Quand la femelle a conçu, l’on s’en en aperçoit au bout de dix à douze
+jours ; différents indices vous en fournissent la preuve.
+
+Elle porte douze mois, et, pendant tout ce temps, vous pouvez la monter,
+la charger comme à l’habitude, elle devient même plus fringante, court
+mieux et ne se couche plus, en route, par caprice. Souvent elle met bas
+en voyage, ce qui ne l’empêche pas de continuer la route en faisant,
+toutefois, de petites marches. Alors l’on suspend, le plus commodément
+possible, le petit à son côté, et celui-ci, à l’âge de huit jours à
+peine révolus, commence à suivre la caravane.
+
+On laisse téter les jeunes dromadaires pendant dix-huit mois si les
+mères sont en liberté ; mais celles dont on se sert, celles qui font un
+service quelconque n’allaitent que pendant six mois. Au bout de ce
+temps, d’ailleurs, leurs petits commencent à manger de l’herbe et du
+grain.
+
+A dix-huit mois, quelquefois un peu plutôt, quelquefois un peu plus
+tard, selon la croissance de l’animal, on commence à le faire monter, à
+poil, par un jeune garçon, précaution nécessaire, car autrement il
+deviendrait rétif ; les éleveurs ne manquent jamais de la prendre ;
+seulement j’ai remarqué que les Nomanieh étaient, pour cela, plus
+entendus que les Bicharieh, en ce sens qu’ils ne se hâtaient jamais. Les
+dromadaires de ces derniers ont souvent des défauts qui leur viennent de
+ce qu’ils ont été fatigués trop jeunes.
+
+Les uns et les autres sont dans toute leur force à l’âge de cinq ans, et
+ils conservent cette force jusqu’à l’âge de quinze ans. Plus tard,
+quoiqu’ils soient encore bons, quoiqu’ils soutiennent aussi bien la
+fatigue, ils n’en commencent pas moins à perdre leur légèreté et leurs
+qualités les plus essentielles. J’ai monté cependant des dromadaires qui
+étaient connus depuis 32 ans et qui marchaient toujours très-bien.
+
+C’est encore une erreur de croire que le dromadaire ne se couche, en
+s’agenouillant, que par le fait de l’éducation, et que les espèces de
+callosités qu’il a aux coudes, aux genoux et à l’estomac lui arrivent
+par suite de la manière de se poser quand on le monte ou quand on le
+charge. Ces callosités, il les possède en naissant et, à peine né, il
+vient s’accroupir auprès de sa mère absolument dans la position que l’on
+suppose factice.
+
+Quant il a atteint toute sa croissance, il faut qu’il ait une belle
+taille, deux mètres ou deux mètres quinze au moins d’élévation sur la
+croupe et sur le garrot, sa bosse doit avoir, en sus, de 30 à 40
+centimètres, si elle dépasse cette hauteur, cela ne vaut rien ; car
+c’est un signe de gros embonpoint. Sa robe doit être couleur fauve un
+peu claire, sa tête petite, son cou large, ses jambes fines et droites,
+son train de derrière légèrement plus haut que le train de devant, et
+si, avec toutes ces qualités il a encore celle de posséder la bosse
+placée juste au milieu du corps, condition essentielle pour bien porter
+la selle, s’il a les pieds petits, les ongles et les poils qui les
+entourent bien noirs, s’il a sous la gorge, sur le derrière de la tête
+et sur la bosse des poils plus longs que sur le reste du corps où ils ne
+doivent être ni trop ras ni trop secs, ce qui est ordinairement l’indice
+d’une constitution molle ; s’il possède tout cela, il est réputé pour
+une perfection et cité comme type à bien des lieues à la ronde.
+
+Les Arabes attachent une grande importance à connaître la provenance des
+dromadaires. Pour cela, chaque tribu met sa marque sur tous les sujets
+nés chez elle ; le propriétaire leur appose aussi la sienne. Ces deux
+marques consistent en brûlures faites à l’aide d’un fer chaud. Elles ont
+aussi un autre but, celui de faire retrouver un animal volé. Tous les
+dromadaires bicharieh portent en outre un signe commun, un signe pour
+ainsi dire national qui est représenté par une ligne posée en travers
+sur la jambe droite de devant et que l’on nomme ogal, du nom de la corde
+qui sert d’attache pour les empêcher de se lever quand on veut les
+retenir dans un endroit quelconque.
+
+Les dromadaires et les chameaux, avec leur structure solide, avec les
+apparences d’une santé inattaquable, sont en réalité fort délicats ; ils
+contractent facilement une foule de maladies qui prennent aussitôt de
+grandes proportions et deviennent incurables ; ainsi de la gale, de
+certains abcès, de certaines coliques, etc. Leur médication est
+extrêmement restreinte ; c’est, le plus souvent, au moyen du feu, soit
+aux jambes, soit au ventre ou à la poitrine qu’on les traite. Tout le
+monde connaît, au moins par ouï-dire, leur sobriété, elle est
+proverbiale ; cependant il ne faut pas croire qu’ils soient faciles à
+nourrir. Les herbages du désert et le dourah leur conviennent beaucoup,
+et ils s’habituent difficilement aux herbages des terres cultivées ainsi
+qu’aux fèves, à la paille, au froment pilé ; quant à l’orge, on doit
+bien se garder de leur en donner, c’est une nourriture qui les tue.
+
+Rien n’est plus pittoresque qu’un cavalier arabe monté sur son
+dromadaire. Il le conduit à l’aide de deux petites cordes, qui tiennent
+lieu de brides. L’une de ces cordes est fixée à la têtière, et l’autre à
+un anneau en argent ou en cuivre passé dans la narine gauche de
+l’animal. Cette dernière s’appelle zemam, c’est la principale et même
+souvent la seule.
+
+Quand le dromadaire est soutenu par la têtière, son trot est fort doux,
+il devient plus rapide et plus doux encore quand la petite corde
+attachée à l’anneau agit en même temps. Le galop s’obtient en rendant,
+instantanément, les deux cordes. J’ai parlé, plus haut, de ces diverses
+allures.
+
+Le cavalier n’emploie aucun effort, il n’a recours à aucune brutalité ;
+bien au contraire, il trouve de la docilité en raison de la douceur
+qu’il dépense, et l’entente la plus parfaite s’établit entre lui et sa
+monture, comme si l’un était le complément de l’autre. Le frêle bâton,
+ayant la forme d’une béquille renversée, dont il est armé représente
+tout ce que l’on veut ; mais nullement un instrument de correction ; et
+à cette condition il franchit des distances incroyables.
+
+Il est extrêmement rare de trouver un bon dromadaire à vendre ; quant
+aux sujets exceptionnels, à moins de les prendre de vive force, à moins
+d’en recevoir un, comme cadeau, de la part d’un chek opulent et ami, il
+est impossible de s’en procurer.
+
+Les Bicharieh, comme tous les Arabes, vendent très-difficilement les
+femelles, tandis qu’ils se défont volontiers de certains mâles. Le prix
+de ceux-ci, chez les premiers, est d’environ cinquante pièces de six
+francs ou talaris d’Espagne, c’est ce que coûte un garçon ou une femme
+esclave. Entre eux ils font souvent des échanges, et j’ai vu donner
+quatre femelles pour un bon mâle ; ce prix alors commence à être élevé.
+Chez les gens de Chaindi, de Dongolah, etc., il augmente encore ; près
+de Dar Chaquieh, dans la tribu des Ménaçir, un de ces animaux s’est
+vendu, en ma présence, la somme de quatre mille francs. Certains
+dromadaires coûtent beaucoup plus cher.
+
+Les nomanieh et les mascatieh, au Caire, montent à cinq mille francs et
+quelquefois plus haut. Il en est de même des ababdieh qui joignent, à
+toutes les bonnes qualités des bicharieh, une bien meilleure éducation.
+Parmi eux, ceux de la tribu des Ménaçir et ceux de la tribu des
+Achababs, au sud de Coseïr, sont généralement fort recherchés ; ils ont
+un ancêtre très-renommé appelé Coubèri, lequel, avec un de ses
+semblables, du nom de Héréfhi, qui est aussi un grand type, constituent
+les deux meilleures souches connues.
+
+On raconte beaucoup de faits extraordinaires au sujet de la vitesse de
+ces deux bêtes, faits que l’on est très-porté à admettre quand on sait
+que de bons coureurs ordinaires, dans le désert, peuvent forcer à la
+course les gazelles et les autruches, comme cela se pratique communément
+chez les Bicharieh, qui n’ont guère que cette manière de chasser.
+
+Ainsi l’on dit que le propriétaire du célèbre Héréfhi se trouvant à la
+montagne, qui depuis porte son nom, à trente lieues environ de Derrawé,
+et voulant tout simplement acheter du tabac, partit un matin pour cette
+localité et fut de retour à son campement avant la nuit. Il avait fait,
+en dix heures, soixante lieues, c’est-à-dire la valeur de trois bonnes
+journées de marche de caravane.
+
+On dit aussi qu’une fameuse femelle de dromadaire, descendante de
+Coubèri, nommée l’Fagrher, partit de Dalla-t-el-Doum, vallée située sur
+la route de Coroscos à Abou Ahmed, et franchit à peu près quatre-vingts
+lieues dans un jour, avec cette particularité, qu’étant arrivée aux
+trois quarts de la route, et son maître ayant voulu l’arrêter là, elle
+refusa de s’agenouiller, comme pour témoigner qu’elle pouvait marcher
+encore. En effet celui-ci continua jusqu’à Coroscos et ne s’arrêta qu’à
+Singarri peu de temps avant le coucher du soleil.
+
+J’ai déjà indiqué que ces faits, quelque excessifs qu’ils dussent
+paraître, pouvaient très-bien être admis comme possibles ; or, d’après
+ce que j’ai expérimenté moi-même, je suis maintenant résolu de les
+croire vrais. Il m’est arrivé de faire la route de Suez au Caire en
+moins de treize heures, en m’arrêtant plusieurs fois, d’abord pour
+déjeuner et ensuite pour fumer et prendre le café ; je ne pressais pas
+mon dromadaire, et celui-ci n’était pas des meilleurs.
+
+Une autre fois, je me suis rendu d’Alexandrie, par Rosette, Giafférieh,
+Kanka et Suez, à Wadée Chek au mont Sinaï, en quatre jours et demi ; il
+y a plus de cent cinquante lieues ; ce qui constitue environ trente-sept
+lieues par vingt-quatre heures, sur lesquelles j’en consacrais dix au
+repos ; et en outre je marchais souvent la nuit.
+
+Enfin, à grande course, j’ai pu effectuer dix-huit milles anglais en
+quarante minutes.
+
+On fait toujours des tours de force semblables ; mais une chose est à
+remarquer, c’est que les bons dromadaires deviennent de jour en jour
+plus rares ; soit que les Arabes, refoulés dans leurs déserts,
+réussissent à les cacher, soit pour d’autres motifs qu’il ne m’est point
+permis de rechercher ici.
+
+Cette digression a déjà été bien longue ; il est temps de revenir au
+point où j’en étais de mon voyage.
+
+Le 15, nous nous mîmes en marche dans la direction de la mer, toujours
+sur un sol granitique encombré, pour ainsi dire, de plantes et
+d’arbustes ; c’était une vallée descendant de l’Elba et courant du côté
+de la mer où elle arrive après avoir traversé un terrain de formations
+entièrement calcaires.
+
+Le temps qui avait été fort calme et couvert par des brouillards,
+s’éclaircit et s’éleva ; mais un très-fort vent du sud soulevant des
+masses de poussière et de sable ne tarda pas à voiler le soleil de telle
+sorte que l’on ne distinguait plus rien devant soi. Je forçai le pas
+pour arriver plus vite au bord de la mer, pensant que toute la caravane
+me suivait ; mais, une fois sur la plage, je m’aperçus du contraire, et
+je l’attendis en vain ; elle avait pris une autre direction, ou bien
+elle était passée sans que je la visse. Comme je n’étais pas seul, après
+quelques instants, nous remontâmes à dromadaire pour chercher ses
+traces. Le vent qui continuait à souffler nous obligea de nous arrêter
+encore.
+
+Pendant ce temps nos gens, qui pensaient que nous étions en avant,
+continuaient leur marche, si bien que lorsque le vent tomba, ils avaient
+complétement disparu. Nous vîmes seulement une troupe d’ânes sauvages,
+et un peu plus loin une troupe d’autruches. Je crus alors qu’ils
+s’étaient éloignés de la mer, tout en marchant parallèlement à elle, et
+je les cherchai dans cette direction, cela n’amena aucun résultat. Enfin
+comme il était possible que les Arabes avant de sortir tout à fait de la
+vallée eussent, en raison du vent, craint de s’aventurer dans la plaine
+de sable qu’ils avaient devant eux et qu’ils fussent restés dans la
+vallée même, je voulus y retourner pour m’en assurer, et dans tous les
+cas pour retrouver leur piste. Nous retournâmes donc sur nos pas ; mais
+je reconnus bientôt qu’ils avaient continué la route.
+
+Le soleil était près de se coucher ; pour arriver à l’endroit où il
+avait été convenu que l’on camperait, il y avait encore six bonnes
+lieues à faire ; nous n’avions ni eau, ni pain, et de plus, un de nos
+dromadaires s’étant blessé, ne marchait plus qu’avec peine. Cependant me
+guidant sur les empreintes que les chameaux avaient laissées sur le
+sable, je partis en avant avec mon guide, qui ne savait pas plus que moi
+ce qu’il y avait à faire. Mon intention était de rejoindre la caravane
+et d’envoyer du secours à mon ami M. Bonomi, que je laissais en arrière.
+
+Nous courûmes, au grand trot, sur un terrain sablonneux à peu de
+distance de la mer. La tempête était apaisée ; il faisait un clair de
+lune splendide, ce qui facilitait notre recherche. De temps en temps je
+m’arrêtais pour tirer quelques coups de fusil, afin de faire savoir à
+nos compagnons où nous étions.
+
+La caravane, qui alors ne se trouvait plus très-loin, entendit nos
+détonations ; elle y répondit de son côté, mais nous n’entendîmes rien.
+Je ne voyais non plus aucun indice de l’approche de M. Bonomi, et la
+situation paraissait se compliquer lorsque je vis, à peu de distance
+devant moi, un feu mouvant auquel la limpidité de la nuit prêtait
+quelque chose de fantastique. Je ne doutai pas un instant que ce ne fût
+l’indication du campement de notre monde, et je m’avançai résolûment.
+C’était, en effet, un de nos Arabes, monté sur son dromadaire, un tison
+à la main, qui venait de notre côté.
+
+Nous fûmes bientôt installés sous nos tentes, d’où j’envoyai
+immédiatement des montures, de l’eau et des provisions aux retardataires
+qui nous rallièrent, à leur tour, dans le courant de la nuit, en sorte
+que nous ne tardâmes pas à être tous réunis autour d’un bon feu et sous
+des abris convenables. On avait été fort en peine de nous.
+
+Le temps était froid et une rosée fort épaisse trempa tous nos bagages.
+
+Le matin, le brouillard qui, tous les jours jusqu’à midi entoure la
+montagne de l’Elba et qui s’étendait ce jour-là jusqu’à nous, était
+tellement épais que nous ne pûmes nous mettre en marche que quand il
+commença à tomber, c’est-à-dire vers les huit heures. Nos nouveaux amis
+Bicharieh qui nous suivaient depuis la veille s’en retournèrent, non
+sans demander beaucoup de choses. Je fis un présent au chef des Mahamet
+Gourabieh, consistant en une robe en drap, de la toile de coton, etc. ;
+mais comme il ne pouvait s’en servir, car rien n’était cousu, je fus
+obligé, pour le satisfaire, de lui donner mes propres vêtements, n’ayant
+plus autre chose ; il les mit immédiatement sur son corps sale et
+couvert de graisse.
+
+Je connaissais bien la direction à suivre pour aller à la montagne de
+l’Béda, où nous devions prendre de l’eau et nous reposer. Je la
+connaissais, dis-je, parce que j’avais précédemment relevé cette
+montagne ; cependant les guides et les cheks se fourvoyèrent et, malgré
+mes observations, persistèrent dans leur erreur. Ce ne fut qu’après
+avoir marché plusieurs heures inutilement que l’on s’aperçut que j’avais
+raison ; le brouillard était dissipé, nous rentrâmes dans la bonne
+route.
+
+Vers midi, deux Bicharieh à dromadaire venant du côté de la mer,
+s’approchèrent de nous, causèrent longtemps avec tout le monde, puis
+s’arrêtèrent en arrière. Il y avait là un homme avec son chameau malade
+qui nous suivait avec beaucoup de peine. Les deux Bicharieh s’emparèrent
+de force du chameau et laissèrent l’homme se débrouiller à sa guise.
+J’étais assez loin en avant avec le chek Baraca lorsqu’on nous apporta
+cette nouvelle ; je fis arrêter la caravane d’autant mieux que nous nous
+trouvions près d’un bois de mimosas et non loin de la vallée de Hesser,
+où les Arabes de l’Elba envoient leurs troupeaux, et je donnai l’ordre à
+quelques hommes de courir à la poursuite des voleurs.
+
+Comme ils ne pouvaient être de retour avant la nuit, je profitai du
+temps que cela me laissait pour aller voir la vallée voisine, dans
+laquelle nous trouvâmes effectivement beaucoup de chamelles et de jeunes
+chameaux au milieu des arbres et des herbages les plus riches que nous
+eussions encore vus.
+
+A l’embouchure de cette vallée de Hesser, il y a un port formé par une
+pointe de sable et de rochers à fleur d’eau où beaucoup de petits
+navires viennent mouiller pour faire le commerce avec les indigènes ; le
+pays appartient aux Mahamet Gourabieh ; les puits que l’on y rencontre
+sont d’une eau un peu salée, mais très-abondante.
+
+Dès le matin, nos hommes qui avaient été à la poursuite des voleurs du
+chameau étaient de retour avec l’animal qui, n’ayant pas pu marcher,
+avait été abandonné. Il faisait un épais brouillard, et un gros vent
+comme la veille, ce qui nous empêcha d’aller directement à l’Béda. Nous
+préférâmes repasser par Meïça, d’autant plus qu’il nous fallait
+absolument de l’eau. Malgré cette résolution, notre marche fut très-
+pénible ; les hommes et les animaux souffrirent beaucoup de la violence
+du vent de S.-E., vent fort chaud qui soulève de la poussière et du
+sable en telle quantité, qu’il devient, par moment, presque impossible
+de respirer.
+
+Nous retrouvâmes encore à Meïça les Gelabs que nous y avions laissés.
+
+Ceux de nos hommes qui coururent aussitôt au puits d’eau douce, se
+firent longtemps attendre et rapportèrent la fâcheuse nouvelle que le
+puits donnait fort peu d’eau ; quelques outres seulement avaient été
+remplies. Il existait ailleurs de l’eau salée que l’on ne pouvait guère
+boire ; nous décidâmes de rester ici une journée pour creuser le susdit
+puits.
+
+Nos efforts répétés furent inutiles ; nous n’obtînmes rien de plus, et
+nous fûmes forcés d’avoir recours à l’eau salée pour abreuver nos
+chameaux. Cependant, un peu plus tard, un de nos hommes, qui était allé
+à la découverte dans les rochers environnants, vint nous signaler un
+réservoir naturel, lequel, fort difficile à approcher, nous fournit
+pourtant de quoi compléter notre provision.
+
+J’avais eu, pendant la nuit, la visite du chek Mahamet Wed Courouc, le
+père des deux jeunes gens qui nous avaient accompagné à l’Elba. On lui
+avait dit que les gens de la montagne avaient voulu faire une querelle,
+lors de nos pourparlers avec eux, et il était accouru à notre aide ;
+mais nous étions déjà partis.
+
+Ce chek était chef d’une des plus puissantes tribus ; et mon intention
+avait toujours été de l’engager à venir trouver le vice-roi au Caire. Je
+lui fis comprendre que ce serait avantageux, attendu qu’on lui donnerait
+un firman au moyen duquel il ne serait plus inquiété si, les pluies
+venant à faire défaut dans le désert, il lui convenait de s’approcher du
+Nil. Les grands ni les petits gouverneurs ne pourraient jamais le gêner.
+Il me répondit simplement : Je crois tout ce que l’on dit de bien du
+vice-roi d’Égypte, et personnellement je désirerais le connaître ; mais
+je n’ai aucun besoin de sa protection ; lui, au contraire, il peut avoir
+besoin de mes chameaux et de mes dromadaires pour ses transports
+continuels, et je puis lui être d’un grand secours. Or je ne m’y
+refuserai pas, quoique mon intérêt comme celui de tous les cheks, soit
+d’avoir le moins de relations possible avec les villages et les villes
+de l’Égypte à cause des maladies qu’ils nous envoient et qui sont
+affreuses pour nous ; je ne m’y refuserai pas quoique je m’expose à être
+traité, dans l’avenir, comme les Bicharieh des environs de Berber, que
+l’on a pillés tout dernièrement, bien qu’ils fussent très-soumis.
+Ensuite, comme preuve de ses bonnes dispositions, il prit à témoin
+toutes les personnes présentes de ce à quoi il entendait s’engager, et
+comme personne des siens ne savait écrire, il me chargea d’informer
+verbalement le vice-roi.
+
+La substance de ses engagements était que les personnes que l’on
+enverrait aux mines pour y travailler seraient toutes sous sa
+sauvegarde, qu’il empêcherait les autres tribus de les molester, qu’il
+engagerait les Bicharieh à travailler aux mêmes conditions que les
+Égyptiens, et qu’ils seraient soumis aux mêmes règlements, et qu’enfin
+il fournirait tous les chameaux nécessaires pour les communications
+entre Assouan et le siége des mines moyennant un salaire que l’on
+fixerait d’avance. Seulement il priait très-humblement Son Altesse
+Méhémet Ali de ne pas envoyer de soldats turcs, qui pouvaient être la
+cause ou le prétexte d’un soulèvement général dans les tribus. Je pris
+bonne note de ces paroles, auxquelles devaient se joindre, quand le
+moment de les répéter serait venu, les paroles plus explicites encore du
+chek Baraca, sur le dévouement de qui j’avais lieu de compter jusqu’au
+bout.
+
+Nous quittâmes le chek Wed Courouc et ses deux fils dans les meilleurs
+termes, après leur avoir fait quelques cadeaux en rapport avec l’estime
+et la considération qu’ils m’avaient inspirées, et nous prîmes la route
+de Derrawé.
+
+Toute la journée nous restâmes engagés dans des terrains sablonneux et
+granitiques, légèrement accidentés. La végétation y était clair-semée,
+rabougrie et d’un aspect noirâtre, circonstance que les Arabes
+attribuent à la nature des brouillards qui viennent de la mer. Une heure
+avant le coucher du soleil, nous nous arrêtâmes pour camper.
+
+Durant la nuit, on fut continuellement sur le qui-vive, à cause des
+Mahamet Gourabieh qui occupent le littoral fort près du lieu où nous
+étions, et qui sont, je l’ai déjà dit, de grands voleurs. Pour moi,
+comme j’avais vu à Meïça deux de ces Arabes qui regardaient mon
+dromadaire avec convoitise, je ne rentrai sous ma tente, pour reposer,
+qu’après lui avoir fait mettre aux pieds une entrave en fer et l’avoir
+fait attacher avec une chaîne bien cadenassée. Je dus assurément à cette
+précaution l’avantage de conserver une monture à laquelle je tenais
+beaucoup, car c’était une bête de premier ordre. Du reste, aucune
+mésaventure ne se produisit.
+
+Nous repartîmes par un temps fort couvert, et par une obscurité relative
+qu’occasionnait une grande quantité de poussière en suspension, depuis
+la veille, dans l’air, malgré le calme apparent le plus plat possible.
+
+Il y a ici quelques hauteurs de granit feldspathique, posées toujours
+sur un fond de sable, jusqu’à la longue vallée de Chélal[26] qu’il nous
+fallut traverser (cette vallée est aussi fort large et toute remplie
+d’arbres, sihales et samours), pour atteindre celle de Quérègue, à
+l’entrée de laquelle nous plantâmes nos tentes. Cette dernière prend
+naissance dans les montagnes de Guerfe ; elle jouit d’une certaine
+réputation, parce qu’elle contient le tombeau de hadji Mansour, un des
+ancêtres des Ababdieh, qui fut tué par les Bicharieh. Elle est sainte,
+et bien des arbres qui s’y trouvent sont considérés comme saints.
+
+Le lendemain, pour arriver à l’ouadée l’Béda, nous passâmes dans un
+défilé formé par de hautes montagnes qui rétrécissent considérablement
+le passage. On trouve un premier puits dans un ravin bordé de grands
+rochers presque verticaux[27], et au milieu d’un site des plus sauvages
+et des plus pittoresques. L’eau, qui vient à six pieds environ au-
+dessous du sol, y est fournie par des sources qui sortent des fentes des
+rochers et coulent souterrainement. Elle est salée et très-abondante ;
+les chameaux la boivent néanmoins volontiers. Malheureusement, toutes
+les fois que des pluies se produisent, ce puits est comblé par les
+sables, et il faut le recreuser, travail que les Arabes ne font que
+juste pour leurs besoins du moment.
+
+Sur les rochers environnants, il y a beaucoup de figures de chameaux et
+de chevaux montés, et en grattant un peu la pierre, j’y ai découvert
+quelques mots en caractères arabes ; mais je n’y ai rien vu d’égyptien.
+Ces dessins sont assez mal faits et entièrement dans le goût de ceux que
+j’ai déjà signalés dans diverses localités au commencement de mon
+voyage. En remontant l’ouadée, à l’embouchure même d’un petit torrent,
+se trouvent plusieurs tombeaux sans aucune importance, à l’exception du
+dernier, qui consiste en une petite bâtisse carrée, élevée d’environ
+trois mètres et presque tout à fait ruinée.
+
+J’ai dit que le premier puits de l’Béda fournissait de l’eau salée. Il y
+en a un qui fournit de l’eau douce ; mais il est bien plus haut, creusé
+au cœur du torrent et dans une roche de schiste. Il peut avoir douze
+pieds de profondeur ; l’eau en est fort bonne. Toutes les montagnes que
+l’on a sous les yeux sont de formation primitive, avec des schistes en
+abondance, schistes variés de couleurs, et pour la plupart fort doux au
+toucher, avec aussi de petits gisements de feldspath, et quelques veines
+de quartz très-minces.
+
+Après l’Béda, la route se poursuit par des lits de torrents qui se
+succèdent et qui, plus ou moins surplombés par de très-grandes
+élévations, conduisent à l’ouadée Rhachab[28], dont le sol offre plus
+d’un endroit favorable pour la halte des caravanes.
+
+Puis, nous n’étions repartis que dans la matinée, les terrains changent
+tout à coup d’aspect ; les montagnes se transforment en petites
+collines, le sol des vallées devient plat, uniforme, et, les rochers
+presque noirs, à moitié recouverts de sable, ne protégent aucune plante.
+Il faisait, ce jour-là, un vent d’ouest très-fort et très-froid, ce qui
+fatigue toujours beaucoup, le ciel était couvert de nuages et fort
+triste. Aussi, à deux heures après midi, nous arrêtâmes-nous avec
+délices dans la belle vallée de l’Hodeïn. Il est bien entendu que le mot
+_belle_ doit se prendre ici dans un sens tout autre que le sens que nous
+lui donnons chez nous. Cette vallée, dans l’endroit qui nous donnait
+accès, était encaissée dans des rochers de granit ; un sable blanc mêlé
+à de la terre argileuse très-fine, et déposé sans doute par les eaux de
+pluie, en recouvrait le sol ; plus loin, l’on apercevait un bois de
+merks très-vert, tout rempli de semences.
+
+Nous campâmes à l’embouchure de l’ouadée Dif, et nous fîmes là une
+rencontre qui aurait pu avoir des conséquences fatales si l’attention
+que l’on apportait toujours dans nos installations eût été relâchée. Nos
+Arabes, en fouillant le sol, troublèrent le sommeil d’un gros serpent
+enroulé sous le sable. Il se dressa et fit mine de s’élancer sur les
+individus présents. C’était un céraste, ou autrement dit une vipère
+cornue, reptile dont la plus légère morsure est mortelle. Les plus
+audacieux s’étaient armés de bâtons, et toutes leurs bravades se
+bornaient à des évolutions infructueuses. Je tuai le monstre d’un coup
+de fusil. L’espèce à laquelle il appartenait, et dont j’ai vu souvent
+des types, ne dépasse point, comme grandeur, 50 ou 60 centimètres ;
+celui-là avait 1m,30 de long ; il était gros en proportion.
+
+Cette petite aventure, qui venait de rompre la monotonie d’une de nos
+plus mauvaises journées, fut encore pour nos Arabes, le lendemain, un
+sujet intarissable de conversation.
+
+En quittant notre campement le matin, nous suivîmes un désert de sable
+accidenté par de petites hauteurs de granit ; à notre gauche s’élevaient
+les hautes montagnes de Dif. Au bout de quelques heures la vallée de
+l’Hodeïn nous offrit un bois de houchars et de sihales magnifiques ;
+mais, dès ce moment, commencèrent des montagnes de grès stratifiés,
+élevées à pic sur un sol uni et comptant plus de 180 mètres de hauteur
+entièrement verticale. Cette partie de vallée, formée par dénudation,
+était le seul endroit que j’eusse encore rencontré présentant cette
+particularité. Elle fait là un angle droit avec la vallée de Dif qui
+court à l’est, tandis que l’Hodeïn court au nord.
+
+Vis-à-vis l’ouadée el Magal se trouve encore un tombeau d’un Ababdieh ;
+c’est une espèce de petit temple voisin d’un rocher sur lequel, comme au
+puits de l’Béda, il y a des figures grossièrement tracées et quelques
+inscriptions arabes n’ayant rien d’intéressant.
+
+La vallée de l’Hodeïn, devenue très-étroite, continue toujours entre
+deux montagnes de grès semblables à deux murailles. Ces grès sont de
+formation moderne, en couches horizontales de l’épaisseur de 1 à 2
+mètres et séparées par d’autres petites couches argileuses. A
+l’extérieur, ils ont été noircis par l’action combinée du soleil et des
+eaux ; intérieurement, ils sont gris, un peu rougeâtres, et composés
+d’un sable très-grossier extrêmement friable.
+
+L’eau se trouve dans cet endroit[29] ; elle sort des flancs de la
+montagne à environ 6 mètres au-dessus du sol, fournie par des sources
+qui coulent toutes dans la vallée et se perdent dans les sables ; mais
+avant, elles emplissent plusieurs bassins ou fosses arrangés de main
+d’homme. Cette eau est délicieuse, claire comme la plus belle eau de
+roche, fraîche et agréable au goût. Quel bonheur pour les gens qui
+voyagent dans ces pays déserts de faire une pareille rencontre ! il faut
+l’avoir éprouvé par soi-même pour en sentir tout le prix ; aucun mot,
+aucune expression ne peut en donner l’idée à un homme d’Europe.
+Plusieurs vallées de cette contrée ont des sources pareilles ; celles de
+Dif, de Souta renferment les plus abondantes.
+
+L’Hodeïn, dont le nom signifie les deux bassins, à cause de deux
+réceptacles plus importants que les autres, a été jadis habitée, au
+moins dans cette partie qui était connue des anciens Égyptiens. Il
+existe encore à la fontaine principale une petite construction du
+milieu[30] de laquelle sort l’eau, et l’on y voit une corniche
+d’architecture égyptienne, avec le toron et le globe qui se trouvent sur
+toutes les portes des anciens temples. La surface même du rocher
+représente la façade d’un petit temple ; mais rien n’est achevé. Au-
+dessus de la corniche sont pratiqués quatre trous carrés qui ont dû
+servir à placer des poutres pour faire une couverture, une espèce de
+portique dont il reste la base d’une colonne. Enfin, il y a un très-
+petit tableau hiéroglyphique, qui ne pouvait être qu’une inscription
+fort courte, sur laquelle on distingue, entre autres caractères le nom
+de Ptolémée Evergète. Ce dut être là, en effet, une station de chasse
+créée par ce monarque frappé sans doute par la grandeur du site, et par
+la présence de l’eau qui devait attirer de son temps, en grand nombre,
+les ânes sauvages, les autruches, les gazelles, les capricornes, etc.,
+comme elle les attire encore aujourd’hui.
+
+Tout récemment un Arabe, moins paresseux que les autres et surtout plus
+industrieux, s’était imaginé d’établir dans cet endroit une espèce de
+culture ; il y semait du coton, du dourah, de l’orge, et se servait avec
+intelligence de l’eau des sources. J’ai vu la haie d’enclos qu’il avait
+élevée, puis un doum et deux dattiers plantés par lui.
+
+Le grand vent et les nuées de sable qu’il soulevait nous empêchèrent de
+continuer notre route. Il passa sur nous une véritable bourrasque plus
+forte que tout ce que nous avions essuyé dans ce genre-là, et ce ne fut
+que le lendemain qu’il nous fut possible de repartir quoiqu’il fît
+encore une bise de N.-O. glaciale que nous recevions en pleine figure.
+La journée fut très-pénible, surtout pour les chameaux, qui s’arrêtaient
+à tout moment pour tourner le derrière au vent, sans se soucier des
+arbustes et des plantes dont le chemin était rempli. Toutefois, nous
+arrivâmes sans autre temps d’arrêt au point culminant de la vallée qui
+est aussi, pour la chaîne des montagnes de l’Hodeïn, le point du partage
+des eaux. Ici le terrain devient plat et donne naissance à beaucoup de
+petits vallons. La marche y est plus facile. Nous nous arrêtâmes dans
+une sorte d’enceinte formée par de gros rochers de grès.
+
+Après une bonne nuit de repos, il nous fallut traverser un désert des
+plus arides dont l’un des côtés était bordé par des roches de grès et
+l’autre par des roches de granit ; nous marchions sur du gravier très-
+épais et très-grossier. Ce point est encore élevé, et les eaux des
+pluies qui y tombent coulent vers le Nil. Les formations de grès,
+placées par couches horizontales, reposent sur de petits soulèvements
+granitiques ; elles sont traversées par une étroite vallée que les eaux
+ont creusée et que l’on nomme Roh-t-Carouf ; ce fut là notre gîte.
+
+La température n’était point très-basse ; elle marquait 4 degrés Réaumur
+au-dessus de zéro ; cependant il nous fut impossible de nous réchauffer.
+Dans ce pays, le froid est extrêmement pénétrant, quoique l’on soit vêtu
+et couvert autant qu’on le serait au milieu des glaces, l’on en souffre
+beaucoup plus. Cela prouve une chose d’ailleurs bien évidente pour moi,
+c’est que le thermomètre n’est pas, en fait d’instrument, la dernière
+expression d’après laquelle on puisse se régler pour mesurer d’une
+manière absolue les sensations de froid et de chaud qu’éprouve l’homme.
+
+Je vis en descendant la vallée de Roh-t-Carouf des rochers de granit et
+de gneiss, avec de grandes parties de feldspath. Tous les fonds étaient
+garnis de plantes et de sihales. Là se trouvaient les dernières eaux que
+nous devions rencontrer avant d’arriver à Derrawé, c’est-à-dire au Nil.
+
+De nombreux puits jalonnent cette route, mais tous ne donnent pas de la
+bonne eau ; ce sont les moins creusés qui ont cet avantage ; les autres,
+dont la profondeur atteint jusqu’à 6 mètres, n’étant pour ainsi dire
+bons à aucun usage, demeurent abandonnés.
+
+Ces puits, ainsi que beaucoup de petits abreuvoirs à l’usage des
+animaux, ont été faits par les Arabes Ababdieh-Achabab à une époque qui
+n’est pas fort ancienne. Ils étaient campés dans cette partie du désert,
+et une série d’années pluvieuses les avait mis au comble du bien-être en
+créant pour leurs troupeaux des pâturages abondants, de telle sorte que
+les transports sur la route de Coseïr, auxquels ils s’adonnent
+habituellement pour vivre avaient été abandonnés, et qu’ils savouraient
+les délices des seules richesses qu’il soit donné à ces populations de
+goûter. Cet état de bonheur momentané les enorgueillit, et l’oisiveté
+leur inspira l’idée de faire la guerre à leurs voisins les Bicharieh.
+Sous un prétexte futile, ils rompirent avec eux ; mais, dès la première
+rencontre, ils eurent cinq cents hommes tués, et ils furent contraints
+d’abandonner Roh-t-Carouf qui, aujourd’hui, n’est plus qu’une station
+ordinaire où l’on vient quand il a plu.
+
+Notre étape s’était arrêtée à l’ouadée l’Ararit ou Rararit ; nous nous
+en éloignâmes en nous dirigeant sur la petite montagne de Hérefhi, celle
+qui tient son nom du fameux dromadaire dont j’ai parlé plus haut. Elle
+est formée de granit rouge et s’élève au milieu d’autres montagnes bien
+plus basses, de composition absolument identique, mais moins colorée.
+Puis après nous dépassâmes un très-grand mamelon, tout à fait isolé et
+appelé _Omour-Acarmi_ ; voici l’origine de ce titre qui veut dire
+l’œuvre d’Acarmi :
+
+Après avoir quitté le Hédjah, car ils prétendent être venus de là, les
+Ababdieh adoptèrent cette partie du désert, et un petit groupe se fixa
+sur le mamelon en question sous la conduite d’un chef nommé Abdalla,
+fondateur de la tribu des Foucara. Toute cette émigration dut longtemps
+faire la guerre aux habitants des bords du Nil, connus alors sous le nom
+de Cafer ou idolâtres ; mais, son intérêt le commandant, elle finit par
+conclure la paix avec eux. Abdalla seul refusa d’y acquiescer ; il
+répondit à ceux qui lui conseillaient de prendre les Cafer pour alliés,
+qu’il n’avait d’autres alliés que son sabre et ses lances, et il
+continua les hostilités.
+
+Pendant une de ses expéditions il laissa sa famille à la montagne sans
+grains et sans aucune ressource pour s’en procurer. Or ce fut un Arabe
+appelé Acarmi qui la fit vivre et qui la soutint avec le produit de sa
+chasse. Cet homme continua sa bonne œuvre tant que dura l’expédition, au
+retour de laquelle Abdalla, dont la nature n’était pas moins généreuse,
+pour lui prouver sa reconnaissance, partagea d’abord avec lui tout le
+butin qu’il avait fait, l’institua son frère adoptif et voulut enfin que
+l’on donnât à sa résidence le nom d’_Omour Acarmi_, c’est-à-dire
+d’_œuvre d’Acarmi_.
+
+C’est ainsi que, dans ces contrées sauvages, toute chose rappelle un
+nom, un fait, une histoire dont le souvenir se transmet, par tradition,
+de père en fils, de famille en famille.
+
+L’endroit où nous nous arrêtâmes était encore assez élevé ; nous y
+trouvâmes beaucoup d’herbages que des pluies récentes avaient fait
+pousser, et je fus mieux que jamais à même de constater avec quelle
+rapidité la végétation se produit, lorsqu’une bonne ondée est venu
+humecter un sol en apparence si ingrat. Là où l’on ne voyait que sable,
+pierres et graviers, quelques jours après la pluie, tout germe, pousse
+et devient vert.
+
+Comme nous n’avions plus de vivres pour les hommes et fort peu d’eau
+potable, comme nous devions faire encore une très-grande route avant
+d’arriver seulement en vue de Derrawè, je fis lever le camp deux heures
+avant le jour afin que nos montures souffrissent moins de la chaleur ;
+car elles étaient, ainsi que les hommes, bien fatiguées. Mon dromadaire
+que j’avais monté constamment et qui avait fait plus de chemin que les
+autres, par la raison que je courais sans cesse de droite à gauche, pour
+voir le pays, et que je marchais souvent aussi pendant que la caravane
+stationnait, mon dromadaire était à bout de forces. D’un autre côté je
+voulais autant que possible avancer et franchir, avant que le
+découragement ne s’en mêlât, un grand désert plat et aride, qui était
+devant nous. Nous demeurâmes treize heures sans quitter la selle ; l’on
+dressa les tentes dans le lit, à peine accusé, d’un torrent, ne pouvant
+pas aller plus loin.
+
+La fatigue, jointe à la privation absolue de nourriture, avait tellement
+affaibli tout le monde, que je craignis un moment, d’être forcé de
+laisser des hommes en arrière ; mais l’espoir d’arriver les soutint
+encore. Ils touchaient au terme du voyage et ils oubliaient jusqu’à la
+faute qu’ils avaient commise de négliger les provisions. Au reste, cela
+ne se passe jamais autrement quand l’on a affaire à des Arabes. Dans une
+course de courte durée ou dans une expédition de longue haleine, leur
+imprévoyance est toujours la même, et l’expérience de la veille ne
+saurait leur profiter le lendemain.
+
+Je donnai le signal du départ à minuit ; personne n’avait mangé ni bu ;
+cependant personne ne témoigna aucune plainte.
+
+Lorsque après avoir marché six heures, le soleil se leva, nous nous
+trouvions dans une plaine désolée ; mais à l’horizon l’on voyait,
+colorés par ses premiers rayons, les massifs des dattiers de Derrawè.
+Chacun s’arrêta alors, comme frappé par l’explosion d’un contentement
+intérieur, et, les yeux fixés sur le point convoité, manifesta sa joie à
+sa manière. Un poëte ajouterait que les dromadaires eux-mêmes frémirent
+d’aise.
+
+Nous profitâmes de cet instant, Chek Baraca et moi, pour mettre un peu
+d’ordre dans la caravane et pour stimuler l’amour-propre de chaque
+cavalier, puis, avec quelques-uns des mieux montés, nous nous
+empressâmes de prendre les devants.
+
+A dix heures nous arrivâmes à Derrawè. Du plus loin qu’ils nous avaient
+aperçus, les parents des cheks et des Arabes qui étaient avec nous
+vinrent en courant à notre rencontre, sur des dromadaires et sur des
+chevaux, apportant des vivres, de l’eau et des paniers de fruits, toutes
+choses que nous envoyâmes immédiatement à nos compagnons attardés.
+
+On nous salua avec des cris d’allégresse, on tira force coups de fusil,
+on exécuta des fantasias à dromadaire. Dans le village, toutes les
+femmes et les esclaves faisaient entendre leurs roucoulements. C’était
+un tapage général difficile à définir, mais auquel il était impossible
+de se méprendre, l’on nous infligeait une ovation. Les femmes esclaves
+se tenaient par groupes au dehors, les femmes libres au dedans des
+cahuttes, les enfants couraient de tous côtés.
+
+Dès que j’eus mis pied à terre, ce fut bien autre chose ; l’on
+m’installa dans la maison du chek et là une foule de personnes se
+succédèrent, pendant plusieurs heures, pour nous visiter ; il fallut
+s’embrasser, il fallut fumer et prendre du café avec tout le monde ; ce
+dernier signe de contentement ne tarissait point.
+
+Pour moi, j’étais bien content aussi, je me sentai touché de la part qui
+me revenait de toutes ces manifestations ; mais je n’étais pas non plus
+insensible au plaisir de revoir le Nil, ni à la pensée que j’allais
+retrouver, chez moi, le confortable dont j’étais privé depuis si
+longtemps.
+
+Cependant, pour rester à la hauteur de la circonstance, je dus encore
+dîner avec tous les notables de la tribu ; ce fut dans un joli petit
+jardin rempli de jasmins et d’orangers en fleurs, et le repas termina la
+fête. Peu d’instants après, débarrassé des notables, des cheks, des
+fakiks (interprètes de la loi), de tous les indigènes et des Turcs qui
+étaient venus des environs, je pus me retirer dans ma barque, où couché
+dans un bon lit, je m’endormis bercé en imagination par le mouvement du
+dromadaire et faisant encore avec la bouche le petit sifflement
+particulier que l’on a coutume de faire pour exciter sa monture.
+
+Le lendemain il me restait à régler l’affaire de la reconnaissance
+envers tous les Ababdieh qui avaient été en relation avec moi. Je
+m’acquittai de cela en leur faisant mes adieux, et le même jour je
+partis de Derrawè.
+
+Le chek Baraca demeura fidèle à son engagement, il me suivit en Égypte.
+De mon côté, je le conduisis en présence du vice-roi dès que je fus en
+mesure de rendre compte de ma mission ; or voici ce qu’il advint :
+
+En présentant mon rapport sur les différentes mines que j’avais
+examinées, je donnai aussi des échantillons de chacune. L’analyse de ces
+échantillons ne fournit point des résultats très-satisfaisants, et cela
+devait être ; car je n’avais pu me procurer du minerai en assez grande
+quantité. Cependant, comme l’existence de mines d’or ne pouvait être
+révoquée en doute, le vice-roi voulut y envoyer une expédition sérieuse,
+dans le but de les exploiter. J’avais bien eu la précaution de faire
+connaître les conventions arrêtées avec les cheks Bicharieh, conventions
+auxquelles il fallait adhérer complétement ; mais l’on ne parut pas s’en
+préoccuper. Une seule chose étonnait le divan, c’est que les tribus
+auxquelles on allait avoir affaire ne fussent pas encore soumises. Je
+donnai des explications, et j’insistai surtout sur la nécessité de ne
+point envoyer de soldats turcs. Il me fut répondu par une fin de non-
+recevoir, l’orgueil national se révoltant à l’idée d’une concession de
+ce genre.
+
+L’expédition, composée d’un certain nombre d’ouvriers Égyptiens avec un
+ingénieur français que je plaçai à leur tête, fut mise sous la direction
+d’un chef turc assisté de soldats turcs aussi. Elle partit ainsi, pour
+les mines de Wadée Allake, conduite tout naturellement par le chek
+Baraca qui s’en retourna fort mécontent, d’abord de ce que l’on avait
+fraudé les conventions et ensuite de ce que je ne l’accompagnais pas.
+
+Quant tout ce monde fut arrivé sur les lieux, les cheks Bicharieh qui
+avaient conclu l’arrangement avec moi, vinrent faire une reconnaissance.
+A la vue des soldats turcs, ils se récriérent et déclarèrent qu’ils ne
+permettraient pas que l’on travaillât aux mines tant qu’on ne les aurait
+pas renvoyés ; puis ils se placèrent dans la montagne, rompant ainsi
+toute relation et jurant que, si l’on donnait un coup de pioche, ils
+commenceraient les hostilités. Ces gens étaient dans leur droit. Force
+fut donc au commandant de repartir ; il chargea deux chameaux des
+premières pierres venues pour que l’on ne put pas dire qu’il n’avait
+rien trouvé et il laissa là l’ingénieur avec ses ouvriers. Ceux-ci
+purent immédiatement se mettre à l’œuvre, les Bicharieh revinrent pour
+les aider en signe de réconciliation ; mais ce n’était encore que le
+prélude de la chose.
+
+L’essentiel consistait maintenant à savoir comment la petite colonie
+subsisterait. Nous allons voir de quelle façon il y avait été pourvu :
+
+Dès les premiers travaux, comme des éboulements considérables se
+produisaient, l’ingénieur avait jugé à propos d’ouvrir une nouvelle
+galerie pour rejoindre le filon exploité par les anciens mineurs. Son
+travail marchait bien ; mais il avait demandé du temps, et le moment
+était venu d’envoyer à Assouan prévenir le gouverneur pour qu’il envoyât
+des vivres. Celui-ci fit répondre qu’il n’avait aucune mission pour
+cela, de sorte que, au bout de quelques jours, les ouvriers affamés
+furent contraints de quitter leur chantier et de reprendre eux-mêmes la
+route d’Assouan où ils arrivèrent exténués de toutes manières.
+
+On s’était imaginé que là où il y avait des mines il n’y avait qu’à se
+baisser pour ramasser l’or ; tout au plus devait-on avoir la peine d’en
+charger des chameaux pour l’apporter au Caire. Quand, au lieu de cela,
+on vit arriver les pierres du chef de l’expédition, pierres où l’or ne
+brillait pas ; quand on sut de lui, qu’il fallait se livrer à des
+travaux incessants pour obtenir le métal désiré, l’affaire fut
+immédiatement abandonnée. Mais les Européens, qui furent témoins de ce
+revirement, reconnurent, dans ce fait, l’esprit des hommes qui n’ont
+jamais su semer pour récolter, ni tenter aucune entreprise sans que le
+revenu en ait été escompté d’avance.
+
+Depuis ce temps personne n’a plus parlé des mines de l’Etbaye.
+
+
+
+
+ VOCABULAIRE BICHARI
+
+ * * * * *
+
+
+NOTA. Les mots qui ressemblent à des mots arabes, ceux qui ont de
+l’analogie seulement et ceux qui se prononcent de même dans les deux
+langues, sont en italique. Il faut remarquer que les noms empruntés aux
+Arabes désignent des objets que les Bicharieh n’ont pu connaître que
+quand ils ont été en relation avec eux ; ces noms expriment généralement
+des choses d’une époque plus moderne.
+
+Quoique le nombre de mots que j’ai pu recueillir soit très-restreint, je
+les donne ici pensant qu’il peut être intéressant de les connaître.
+
+ FRANÇAIS. BICHARI.
+ --- ---
+
+ Dieu. Otani.
+
+ Le ciel. To bérah.
+
+ La terre. To daya.
+
+ La mer. Wemi _bhar_.
+
+ L’air. Waram tah.
+
+ Le feu. To _nah_.
+
+ La pluie. O berrah.
+
+ Le vent. O barâh.
+
+ Le tonnerre. Tafferattah.
+
+ Les éclairs. To tatawah.
+
+ Le soleil. To hi.
+
+ Les étoiles. Wohayonc.
+
+ La lune. Thehethérié.
+
+ Les nuages. O comberis.
+
+ La brume. O baramamie.
+
+ Le diable. O _chitane_.
+
+ Les démons. O hallé.
+
+ Le monde. O taye.
+
+ Montagne. O rebah.
+
+ Vallée. To daya.
+
+ Désert. O _atmour_.
+
+ Fleuve. O _bhar_ o naffer.
+
+ Pierres. O hawa.
+
+ Arbres. O haudhé.
+
+ Torrent. O couan.
+
+ Père. O _baba_.
+
+ Mère. To édah.
+
+ Frère. O senne.
+
+ Sœur. To coua.
+
+ Cousin. O dourahar.
+
+ Cousine. To douraytor.
+
+ Oncle. Babi o cor.
+
+ Tante. Babi to hor.
+
+ Nouveau marié. To dobah.
+
+ Gendre. O am.
+
+ Parents. O ahitaco.
+
+ La fête. To hardah.
+
+ Corps. To hadah.
+
+ Tête. O gourma.
+
+ Poitrine. O dabbah.
+
+ Ventre. O calaho.
+
+ Bras. O arca.
+
+ Jambes. O raccat.
+
+ Pieds. O andarthé.
+
+ Mains. O agah.
+
+ Ongles. O naf.
+
+ Oreille. O omgonil.
+
+ Œil. To lili.
+
+ Nez. O _génouf_.
+
+ Joues. O bédah.
+
+ Bouche. O hef.
+
+ Menton. O channac.
+
+ Moustache. O goulam.
+
+ Lèvres. To ombarohé.
+
+ Dents. To courah.
+
+ Langue. O midab.
+
+ Prunelle des yeux. To sottah.
+
+ Sourcils. O chombanni.
+
+ Cheveux. To hama.
+
+ Col. To môe.
+
+ Nombril. To tpha.
+
+ Sang. O boye.
+
+ Sein ou mamelle. O nouc.
+
+ Peau. O serre.
+
+ Urine. Te hochah.
+
+ Salive. E sil.
+
+ Larmes. Te mlah.
+
+ Graisse. To omfou.
+
+ Chair. To cha.
+
+ Os. To mytad.
+
+ Chameau. O cam.
+
+ Chamelle. To cah.
+
+ Jeune chameau. O rabeh.
+
+ Cheval. O atad.
+
+ Jument. To atal.
+
+ Poulain. O atay hor.
+
+ Mouton. O nâh.
+
+ Brebis. To anab.
+
+ Bouc. O bouc.
+
+ Chèvre. To nay.
+
+ Chien. O hias.
+
+ Corbeau. O quickay.
+
+ Vautour. To equih.
+
+ Bœuf. O écha.
+
+ Loup. Osselo (le même mot en abyssinie).
+
+ Hyène. O carray.
+
+ Renard. O domiagag.
+
+ Gazelle. O gannay.
+
+ Poisson. O _houtti_.
+
+ Peau de mouton. To hersi.
+
+ Froment. O _gammah_.
+
+ Orge. O _cheïr_.
+
+ Dourah. O arrah.
+
+ Viande. Lo cha.
+
+ Lait. Te ha.
+
+ Pain. O tam.
+
+ Eau. E yam.
+
+ Vin. To _annabeh_.
+
+ Farine. O bou.
+
+ Lance. To fénah.
+
+ Sabre. O mathad.
+
+ Fusil. O _bandone_.
+
+ Bouclier. O goubah.
+
+ Poudre. O _barouli_.
+
+ Couteau. O _hangiar_.
+
+ Or. O achetah et to adarroh.
+
+ Argent. E mallagah.
+
+ Cuivre. O _nas_.
+
+ Fer. To _edih_.
+
+ Plomb. To _rossassah_.
+
+ Maison. O _gaah_.
+
+ Lit. To madam.
+
+ Habit. E miqueh.
+
+ Selle de dromadaire. E cor.
+
+ Sac en peau. O mosouch.
+
+ Sac en laine. To arrarah.
+
+ Outre pour l’eau. O sécouah.
+
+ Cordes. O loulle.
+
+ Tapis. O csahi.
+
+ Nord. Domec.
+
+ Sud. Mo acouweg.
+
+ Est. O mahoc.
+
+ Ouest. Arroc.
+
+ Année. O awil.
+
+ Mois. O téric.
+
+ Nuit. O hawatte.
+
+ Jour. O hi.
+
+ Matin. O mimah.
+
+ Soir. To awadah.
+
+ Froid. O macourah.
+
+ Chaud. Enébeh.
+
+ Poule. O giagiag.
+
+ Œuf. To bedah.
+
+ Village. O belled.
+
+ Tombeaux. To omgiannah.
+
+ Faim. To argone.
+
+ Soif. To yawah.
+
+ Dattes. Te melone.
+
+ Argent monnaie. O tawah.
+
+ Piastres. O _gourouche_.
+
+ Printemps. O basse.
+
+ Été. O magayi.
+
+ Automne. To obeh.
+
+ Hiver. O wiha.
+
+ Vivre. Damhihi.
+
+ Manger. Tamtini.
+
+ Boire. Yoatmi.
+
+ Marcher. Sactini.
+
+ Danser. Tett lig.
+
+ Rire. Efiet.
+
+ Chanter. Ninoini.
+
+ Monter à cheval. Etime réwini.
+
+ Battre. Enthih.
+
+ Couper. Owac.
+
+ Sauter. Farini.
+
+ Crier. Toadid.
+
+ Prendre. Abicah.
+
+ Rendre. Etgnieh.
+
+ Finir. Allasih.
+
+ Laver. Chouyouda.
+
+ Aimer. Arcani.
+
+ Acheter. Delbat.
+
+ Lire. Graya.
+
+ Prier. Sètelini.
+
+ Coudre. Oaydah.
+
+ Raser. Oman.
+
+ Remplir. Otab.
+
+ Vider. Essarrar.
+
+ Jeter. Agit.
+
+ Dormir. Douwet.
+
+ Fatiguer. Garrarih.
+
+ Envoyer. Touggoumat.
+
+ Converser. Adissammat.
+
+ Travailler. Abbaccah.
+
+ Enivrer. Marrassih.
+
+ Mourir. Iya.
+
+ Pleurer. Owawini.
+
+ Entendre. Emsiwoh.
+
+ Voir. Chebbat.
+
+ Goûter. Daamsat.
+
+ Demander. Anarriva.
+
+ Voyager. Ebaqquénamab.
+
+ Apprêter. Hahatte.
+
+ Sentir. Fihat.
+
+ Puer. Doumiab.
+
+ Peigner. Adgné.
+
+ Écrire. _Quetabat_.
+
+ Pétrir. O had.
+
+ Graisser. To caamat.
+
+ Coucher. Embat.
+
+ Accoucher. Teemconé.
+
+ Marier. Idob.
+
+ Tuer. Deratte.
+
+ Boucle d’oreille. To lemné.
+
+ Bague. To nattem.
+
+ Bracelets. O coulel.
+
+ Mon. Ma.
+
+ Ton. Moc.
+
+ Son. Mo.
+
+ Ma. Ta.
+
+ Ta. Toc.
+
+ Sa. To.
+
+ Notre. Mom.
+
+ Votre. Mocoue.
+
+ Leur. Mocqnino.
+
+ Moi. Aneb.
+
+ Toi. Baroc.
+
+ Lui. Baroha.
+
+ Nous. Enena.
+
+ Vous. Barcha.
+
+ Le mien. Anito.
+
+ Le tien. Barihoc.
+
+ Le nôtre. Enetto.
+
+ Le sien. Baretonoto.
+
+ Le vôtre. Barioco.
+
+ Le leur. Barétahota.
+
+ Qui Hàbou.
+
+ Lequel. Ha ba riwa.
+
+ Quand. Noma.
+
+ A présent. _Aderi_.
+
+ Toujours. Bouh.
+
+ Jamais. _Abadah_.
+
+ Loin. Sagitté.
+
+ Près. Dalloute.
+
+ Ici. Intonou.
+
+ Là. Beintonou.
+
+ Où. Quêctah.
+
+ Dedans. Tohiléh.
+
+ Dehors. Arraha.
+
+ Devant. Sourone.
+
+ Derrière. Arroune.
+
+ Hier. Ourrah.
+
+ Demain. Thihit.
+
+ Avant-hier. Orob elgaye.
+
+ Après-demain. Thibaca.
+
+ Peu. Chalicto.
+
+ Beaucoup. Goudatte.
+
+ Rien. Quetha.
+
+ Moyen. Tomalhoy.
+
+ Grand. To hewint.
+
+ Petit. To dheed.
+
+ Bon. _Dahibo_.
+
+ Mauvais. Affereyo.
+
+ Meilleur. Hayhisse.
+
+ Le meilleur. Ohagissa.
+
+ Joli. Noadribo.
+
+ Jolie. Noadrito.
+
+ Jeune (masc.) Adamibo.
+
+ Jeune (fémin.) Adamito.
+
+ Gras. Dahabo.
+
+ Rond. Qualalho.
+
+ Bête. Arrafho.
+
+ Brave. Inguimabo.
+
+ Blanc. Erabo.
+
+ Noir. Sotago.
+
+ Léger. Inchofho.
+
+ Brûlant. Nabaho.
+
+ Maigre. Onyayo.
+
+ Malade. Dawasisabo.
+
+ Aveugle. Amauchayo.
+
+ Chauve. Layou.
+
+ Pourquoi. Nanah.
+
+ Mais. Taha.
+
+ Oui. Aho.
+
+ Non. Lano.
+
+ Rouge. Adarabo.
+
+ Jaune. Osotay.
+
+ Herbes. Osiham.
+
+ Peur. O mourquay.
+
+ Brun. Ohadal.
+
+ Serpent. Tocmatiha.
+
+ Scorpion. Otallana.
+
+ Je mange. _Tamani_.
+
+ Tu manges. Tamtiniam.
+
+ Il mange. Tamini.
+
+ Nous mangeons. Tamanhi.
+
+ Vous mangez. Tamtené.
+
+ Ils mangent. Tamed.
+
+ J’ai mangé. Tamhar.
+
+ Tu as mangé. Tamtha.
+
+ Il a mangé. Tamiha.
+
+ Nous avons mangé. Tamenha.
+
+ Vous avez mangé. Tamtanha.
+
+ Ils ont mangé. Tamihar.
+
+ Salut. _Salam a lec_.
+
+ Comment te portes tu ? Dabayana.
+
+ D’où viens-tu ? No leyto heta.
+
+ Où vas-tu ? Nohote by ia.
+
+ Que veux-tu ? Nanharréwo.
+
+ Bois, boire. Goha.
+
+ Mange. Tàmâ.
+
+ Dors. Douha.
+
+ De quel pays es-tu ? Daylouquèlay.
+
+ De quelle tribu ? Nahai bona.
+
+ Sais-tu la route? Osala tictèna.
+
+
+ * * * * *
+
+ Paris. — Imprimerie de CUSSET et Ce, rue Racine, 26.
+
+
+
+
+NOTES :
+
+
+[Note 1 : En arabe, _wadée_ ou _ouadée_ signifie vallée.]
+
+[Note 2 : Tigre.]
+
+[Note 3 : Celui-ci assassina plus tard le meurtrier de son frère, après
+m’avoir conduit chez les Bicharieh, et lui-même fut tué quelques années
+plus tard par les parents du gouverneur turc.]
+
+[Note 4 : _Asclepia gigantea_.]
+
+[Note 5 : Montée du militaire ou montée du guerrier.]
+
+[Note 6 : Jaune.]
+
+[Note 7 : Ce guide, plus tard, fut aussi le mien.]
+
+[Note 8 : Pierre du crocodile.]
+
+[Note 9 : Il a été remis en état plus tard.]
+
+[Note 10 : Espèce de cri guttural qui dénote toujours, chez la femme
+arabe, une profonde émotion.]
+
+[Note 11 : Ce lit particulier se nomme _angareb_.]
+
+[Note 12 : C’est le plus grand terme de mépris que l’on puisse donner à
+un Arabe.]
+
+[Note 13 : En expédition militaire.]
+
+[Note 14 : Planche 2.]
+
+[Note 15 : Planches 3 et 4.]
+
+[Note 16 : Planches 5 et 6.]
+
+[Note 17 : Toutes les grandes carrières de Lorah, qui ont fourni les
+pierres pour la construction des pyramides, sont d’immenses excavations
+faites dans le sein de la montagne, tandis que toutes les exploitations
+de ces mêmes carrières, faites depuis, sont entièrement à ciel ouvert.]
+
+[Note 18 : Livre III, chap. VI.]
+
+[Note 19 : Abd el Haman passait aussi pour être originaire de Syrie.]
+
+[Note 20 : Ceci ne peut être qu’une erreur.]
+
+[Note 21 : Planche 7.]
+
+[Note 22 : Planche VIII, campement en vue de l’Elba.]
+
+[Note 23 : Cette ceinture se nomme _râhab_.]
+
+[Note 24 : Planche 9, Dromadaire nomani. Planche 10, Dromadaires
+bicharieh et ababdieh.]
+
+[Note 25 : Planche 11. Dromadaires bicharieh, marche de la caravane.]
+
+[Note 26 : Cataracte.]
+
+[Note 27 : Planche 12.]
+
+[Note 28 : Vallée du bois.]
+
+[Note 29 : _Voir_ la carte.]
+
+[Note 30 : Planche 13.]
+
+
+
+
+ =L’ETBAYE=
+ PAYS HABITÉ PAR LES ARABES BICHARIEH
+ GÉOGRAPHIE, ETHNOLOGIE
+ =MINES D’OR=
+
+ PAR
+ =LINANT DE BELLEFONDS BEY=
+ ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DES TRAVAUX PUBLICS DE L’ÉGYPTE,
+ ANCIEN INGÉNIEUR EN CHEF DU CANAL DE SUEZ, ETC., ETC.
+
+ * * * * *
+
+ ATLAS
+
+ * * * * *
+
+ PARIS
+ ARTHUS BERTRAND, ÉDITEUR
+ LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
+ =RUE HAUTEFEUILLE, 21=
+
+
+
+
+[Illustration : PL. 1.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+VUE DE L’OUADÉE ET DE LA MONTAGNE HÉGATTE.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 2.
+
+Gravé par J. Geisendörfer, 142 rue du Bac, Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.
+
+PLAN DE LA VILLE RUINÉE DE DÉRÉHIB DANS L’OUADÉE OLLAKI
+où sont les anciennes mines d’or.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 3.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+VUE D’UN CHÂTEAU ARABE À DÉRÉHIB, AUX MINES D’OR, DANS L’OUADÉE OLLAKI.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 4.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+VUE DES DEUX CHÂTEAUX ARABES ET DES RESTES D’HABITATION À DÉRÉHIB,
+AUX MINES D’OR, DANS L’OUADÉE OLLAKI.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 5.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+PRINCIPALE ENTRÉE DES MINES À DÉRÉHIB, DANS L’OUADÉE OLLAKI.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 6.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+INTÉRIEUR DE LA MINE À LA PRINCIPALE ENTRÉE.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 7.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+ANCIEN TOMBEAU MUSULMAN DU FRÈRE DE CHEK EL OMARY, DANS L’OUADÉE MEÏÇA.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 8.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+Laurens lith.
+
+CARAVANE DE BICHARIEH ET D’ABABDIEH, ACCOMPAGNANT M. LINANT À LA
+MONTAGNE DE L’ELBA.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 9.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+Laurens lith.
+
+CAMPEMENT DE LA CARAVANE EN VUE DE LA MONTAGNE DE L’ELBA.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 10.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+Laurens lith.
+
+DROMADAIRE NOMANI.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 11.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+Laurens lith.
+
+DROMADAIRES BICHARIEH ET ABABDIEH.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 12.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+PUITS DE L’OUADÉE L’BÉDA.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : PL. 13.
+
+Linant de Bellefonds delt.
+
+E. Ciceri lith.
+
+L’OUADÉE L’HODEÏN Station de chasse de Ptolémé Evergète.
+
+Publié par Arthus-Bertrand à Paris.
+
+Imp. Becquet à Paris.]
+
+
+[Illustration : CARTE DE L’ETBAYE
+
+Profil de Courouscos à Abou Ahmed.]
+
+
+
+
+Note du transcripteur :
+
+
+ Page 15, " beaucoup d’Arabes à drodromadaires " a été remplacé par
+ " dromadaires "
+
+ Page 16, " tous les mêmes habi-bitudes " a été remplacé par
+ " habitudes "
+
+ Page 17, " s’en empara avant la la nuit " a été remplacé par
+ " s’en empara avant la nuit "
+
+ Page 30, " qui est a onze heures " a été remplacé par
+ " qui est à onze heures "
+
+ Page 32, " en repartîmes e 14 au soir " a été remplacé par " le 14 "
+
+ Page 32, " un endroit où heurensement " a été remplacé par
+ " heureusement "
+
+ Page 33, " après uue heure de halte " a été remplacé par " une "
+
+ Page 34, " ces animanx à sauter " a été remplacé par " animaux "
+
+ Page 44, " sous aucun prétexe " a été remplacé par " prétexte "
+
+ Page 46, note 11, " _augareb_ " a été remplacé par " _angareb_ "
+
+ Page 59, " Entre a plupart étaient " a été remplacé par
+ " Entre la plupart étaient "
+
+ Page 85, " on les placa en présence " a été remplacé par " plaça "
+
+ Page 87, " un aspect fort bizarrre " a été remplacé par " bizarre "
+
+ Page 93, 101, 103, 104, 105, 157, 158, 160, " Meïca " a été remplacé
+ par " Meïça "
+
+ Page 98, " va se onfondre avec " a été remplacé par " confondre "
+
+ Page 98, 160 " Chétal " a été remplacé par " Chélal "
+ (Notez cependant que la Carte l'écrit Chétal)
+
+ Page 116, " étaient avec avec moi " a été remplacé par
+ " étaient avec moi "
+
+ Page 120, " mon retour vers Assonan " a été remplacé par " Assouan "
+
+ Page 134, " longueur sur 1 de arge " a été remplacé par " large "
+
+ Page 157, " de l’eau. malgré cette résolution " a été remplacé par
+ " de l’eau. Malgré cette résolution "
+
+ Page 161, note 27, " Planche 13 " a été remplacé par " Planche 12 "
+
+ Page 162, " l’ouadée Rkachab " a été remplacé par " Rhachab "
+
+ Page 164, note 30, " Planche 14 " a été remplacé par " Planche 13 "
+
+ De plus, quelques changements mineurs de ponctuation et
+ d’orthographe ont été apportés.
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75717 ***
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+<title>L’Etbaye pays habité par les arabes Bicharieh ; géographie,
+ethnologie, mines d'or | Project Gutenberg</title>
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+<body>
+<div style='text-align:center'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75717 ***</div>
+<div class="transnote">
+<p class="center less">Ce document contient à la fois le texte et
+l'Atlas.</p>
+
+<p class="center less x-ebookmaker-drop">On peut cliquer sur les
+illustrations pour les agrandir.</p>
+
+<p class="center less x-ebookmaker-drop"><a href="#c2">Deuxième
+partie</a> —<a href="#vocab">Vocabulaire Bichari</a> — <a href=
+"#atlas">Atlas</a></p>
+</div>
+
+<div class="page">
+<p class="center space-above">L’ETBAYE</p>
+</div>
+
+<div class="page">
+<p class="space-above2">
+</p>
+
+<hr class="decor width12">
+
+<p class="center small">Paris. — Imprimerie de <span class=
+"sc">Cusset</span> et C<sup>e</sup>, rue Racine, 26.</p>
+</div>
+
+<div class="title-page">
+<h1><span class=
+"bold xxlarge letter-spaced0075">L’ETBAYE</span><br>
+PAYS HABITÉ PAR LES ARABES BICHARIEH<br>
+<span class="bold">GÉOGRAPHIE, ETHNOLOGIE</span><br>
+<span class="xlarge letter-spaced03">MINES D’OR</span></h1>
+
+<p class="center"><span class="small">PAR</span><br class=
+"spaced2">
+LINANT DE BELLEFONDS BEY<br class="spaced2">
+<span class="vsmall">ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DES TRAVAUX PUBLICS
+DE L’ÉGYPTE,<br>
+ANCIEN INGÉNIEUR EN CHEF DU CANAL DE SUEZ, ETC., ETC.</span></p>
+
+<p class="center spaced15"><span class=
+"small bold">accompagné</span><br class="spaced2">
+<span class="med">D’UN ATLAS RENFERMANT UNE TRÈS-GRANDE
+CARTE</span><br>
+<span class="small">ET 13 PLANCHES IN-FOLIO LITHOGRAPHIÉES</span>
+</p>
+
+<div class="container figcenter iwdecor1"><img src=
+"images/decor1.png" alt="[Décoration]">
+</div>
+
+<p class="publisher"><span class="large bold">PARIS</span><br>
+ARTHUS BERTRAND, ÉDITEUR<br>
+<span class="less">LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE</span><br>
+<span class="small">RUE HAUTEFEUILLE, 21</span></p>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2 class="large letter-spaced01">PRÉFACE</h2>
+
+<hr class="decor width3 spaced2">
+
+<p>J’avais, depuis longtemps, en portefeuille toutes les notes
+relatives à mon voyage dans l’Etbaye, et, quoique mon intention fût
+toujours de les publier, jamais mes occupations ne m’avaient permis
+d’y pourvoir&nbsp;; ce n’est que tout récemment que j’ai eu le
+loisir de mettre de l’ordre dans un travail ébauché sous la
+tente.</p>
+
+<p>Comme il y a déjà quelques années que ce voyage a été fait, l’on
+est en droit de penser que l’à-propos, qui pourrait donner une
+valeur à sa relation, n’existe plus&nbsp;; cependant je prétends le
+contraire. Personne, avant moi, n’avait visité l’Etbaye, et
+personne, depuis moi, n’y a pénétré. Les Bicharieh n’ont rien
+changé à leurs mœurs, à leurs habitudes&nbsp;; ils ne sont ni plus
+ni moins soumis, et leurs communications avec l’Égypte sont
+toujours les mêmes. C’est donc encore une relation nouvelle que
+celle que l’on va lire&nbsp;; l’intérêt qu’elle comporte n’a point
+été amoindri.</p>
+
+<div class="container figcenter iwdecor2"><img src=
+"images/decor2.png" alt="[Décoration]">
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<p class="center space-above xlarge letter-spaced02 pb">
+<span class="pagenum" id="Page_1">[1]</span>L’ETBAYE</p>
+
+<hr class="decor width20 spaced3">
+
+<h2 class="nopb large letter-spaced01"><a id="c1"></a>PREMIÈRE
+PARTIE.</h2>
+
+<hr class="decor width4 spaced2">
+
+<p>Durant un des fréquents voyages que j’ai faits en Nubie, ou pays
+des Barabras, entre la cataracte d’Assouan et celle de Wadée<a id=
+"FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>
+Alfa, je venais de quitter le Soli, temple de Daké, et je remontais
+le Nil à pleine voile, dans ma dahabiet, belle et grande barque,
+marchant parfaitement, lorsque nous fûmes tout à coup pris en
+travers par un très-fort courant qui nous jeta violemment sur la
+rive gauche du fleuve.</p>
+
+<p>Plusieurs fois nous revînmes, avec toutes nos voiles enflées par
+un bon vent, pour chercher à remonter plus haut, et forcer ce
+courant venant de la rive droite. Cela fut impossible&nbsp;; alors
+je fis approcher un peu en aval du courant sur la rive droite pour
+descendre à terre afin d’aller examiner d’où provenait ce fort
+courant.</p>
+
+<p>C’était un impétueux torrent, très-rapide, qui déversait
+dans<span class="pagenum" id="Page_2">[2]</span> le lit du fleuve
+ses eaux très-chargées de parties argileuses et de sable.</p>
+
+<p>Cependant le temps était clair, serein, et du côté de l’est,
+d’où venait cette grande quantité d’eau, avec une grande vitesse,
+on n’apercevait pas le moindre petit nuage, rien qui indiquât qu’un
+orage considérable pût être la cause de la formation d’un tel
+torrent.</p>
+
+<p>Les Barabras, habitants d’un petit village voisin, étaient
+venus, comme moi, pour regarder cette eau jaune qui coulait en
+bouillonnant bruyamment sur les roches et les cailloux du ravin
+pour se précipiter dans le Nil.</p>
+
+<p>Le fleuve, qui était alors assez bas, avait ses eaux à peu près
+claires, et celles du torrent formaient, dans son cours, une zone
+jaune et boueuse, d’une rive à l’autre, en déclinant dans le sens
+du courant du fleuve.</p>
+
+<p>Parmi les habitants du village se trouvaient plusieurs Arabes
+Ababdieh et Bicharieh. Je leur demandai d’abord comment se nommait
+le petit village qui était là, ainsi qu’une espèce de ville
+fortifiée qui était ruinée et placée sur le revers d’une montagne
+au nord de l’endroit où nous étions. La forteresse se nomme
+Coubanne et le petit village ou hameau ainsi que le lit du torrent
+s’appellent Wadée Ollaki. Ce nom de Ollaki me rappela de suite un
+passage de Diodore où il est parlé de cet endroit, et aussi de
+grandes mines d’or que les anciens rois égyptiens faisaient
+exploiter par des criminels.</p>
+
+<p>Je demandai aussi aux Arabes Bicharieh d’où venait cette grande
+masse d’eau et où était le principe de cette Ouadée ou vallée de
+Ollaki&nbsp;; ils me dirent que l’on pouvait marcher pendant
+<em>neuf jours et plus</em>, expression arabe, dans le lit du
+torrent pour arriver aux montagnes où il prend naissance, et que
+les orages qui éclataient quelquefois sur ces montagnes étaient la
+cause de cette quantité d’eau coulant ici.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_3">[3]</span>J’attendis tout le
+jour et tout le lendemain pour que les eaux s’écoulassent, et pour
+que je pusse visiter l’entrée de la vallée.</p>
+
+<p>En examinant tous les débris de roche apportés par les eaux, je
+trouvai beaucoup de morceaux de quartz, et, en examinant bien, je
+trouvai quelques petits cristaux d’or natif dans ces quartz.</p>
+
+<p>Je ne doutai plus un moment que ce lit de torrent ne conduisît
+aux anciennes mines égyptiennes dont Diodore et d’autres auteurs
+ont parlé, et l’Arabe Macrizi principalement.</p>
+
+<p>J’aurais bien voulu immédiatement entreprendre un voyage chez
+les Bicharieh&nbsp;; mais cela ne put se combiner dans la
+circonstance où je me trouvais, parce que ce voyage au milieu de
+tribus qui n’étaient pas soumises au gouvernement égyptien, et qui
+au contraire lui étaient hostiles, demandait des précautions et des
+préparatifs peu ordinaires.</p>
+
+<p>Plus tard, lorsque je fus au service du gouvernement égyptien,
+causant un jour avec Méhémet Ali, ce prince me demanda ce que
+j’avais vu de curieux pendant mes voyages dans le Soudan et dans
+les déserts, et il insista pour savoir si je n’avais point
+rencontré des mines d’or ou d’autres métaux&nbsp;: naturellement je
+lui racontai ce qui précède, et j’ajoutai que, dans la partie
+rapprochée de la route de Corouscos à Abou Ahmed, route du désert,
+j’avais vu beaucoup de travaux d’exploitation considérables&nbsp;;
+mais que, pour les mines des Bicharieh, tout ce que je savais,
+c’est que beaucoup d’historiens anciens en avaient parlé&nbsp;; que
+sous le règne d’Ahmed ben Teïloun, soudan d’Égypte, un chef arabe
+de Syrie, nommé Abou Abd el haman el Omary, avait travaillé avec sa
+tribu à l’exploitation de riches mines&nbsp;; qu’à cette époque il
+y avait une activité merveilleuse dans tout le désert, entre le
+Nil, depuis la hauteur d’Assouan à Berber, et la mer Rouge, et,
+qu’au dire des écrivains<span class="pagenum" id=
+"Page_4">[4]</span> arabes eux-mêmes, ces mines n’avaient point été
+abandonnées parce qu’elles ne rapportaient pas assez&nbsp;; mais à
+cause des guerres qui avaient eu lieu entre les différentes tribus
+de ces contrées. Ensuite, l’ignorance et la paresse des Arabes
+Bicharieh et Ababdieh les avaient empêchés de profiter des
+richesses de leur pays.</p>
+
+<p>Le vice-roi alors me demanda si je voulais aller faire une
+reconnaissance dans cette direction, et je m’empressai de saisir
+cette circonstance pour connaître des pays où personne encore
+n’avait pu voyager, excepté Bruce qui, en revenant de Chindi en
+Égypte, les avait traversés par la ligne directe d’un point à un
+autre, mais sous l’influence de la crainte qu’inspirait à sa
+caravane le nom redouté des Bicharieh.</p>
+
+<p>Je me rendis donc à Assouan pour organiser le voyage avec les
+Arabes Ababdieh, qui sont, au moins quelques-uns, alliés à des
+tribus Bicharieh.</p>
+
+<p>Un des Ababdieh les plus puissants était le chek Baraca&nbsp;;
+son frère aîné, nommé Kralif, était cependant plus renommé. Lorsque
+Méhémet Ali eut l’intention de faire la conquête du Soudan, après
+avoir chassé les mamelouks du Caire, après les avoir poursuivis
+dans la haute Égypte et jusqu’à Dongolah où ils s’établirent, déjà
+à cette époque le chek Kralif était bien connu&nbsp;; voici à
+quelle occasion&nbsp;:</p>
+
+<p>Lorsque Méhémet Ali fit au Caire le massacre des mamelouks, ceux
+qui étaient dans la haute Égypte, pensant qu’ils ne pouvaient
+résister aux forces du vice-roi et croyant qu’ils n’avaient aucune
+grâce à espérer, furent effrayés à l’approche d’Ibraïm Pacha qui
+remontait le Nil, et tous avec leurs serviteurs et leurs soldats,
+s’enfuirent dans le désert des Ababdieh et des Bicharieh en partant
+d’Assouan, où ils s’étaient réunis. Ils étaient environ trois cents
+chefs.</p>
+
+<p>Après la première journée de marche, les mamelouks
+vinrent<span class="pagenum" id="Page_5">[5]</span> camper dans le
+voisinage du puits d’Oum <em>Eubal</em>, et y restèrent quelque
+temps.</p>
+
+<p>Heureusement pour eux, cette année-là, il était tombé beaucoup
+de pluie, ce qui fit qu’ils trouvèrent abondamment de quoi faire
+paître leurs chameaux.</p>
+
+<p>Ibraïm Pacha, arrivé à Assouan, demanda tous les cheks des
+Ababdieh qui arrivèrent aussitôt à lui. Les plus considérables
+étaient&nbsp;: pour la tribu Ababdi des Foukara, le chek
+Neïmer<a id="FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class=
+"fnanchor">[2]</a>, et son fils aujourd’hui chek Saad wed Neïmer,
+le chek Kralif de la même tribu, celui-ci avait usurpé le pouvoir
+de chek Saad wed Neïmer encore jeune, Abou Guebranne, chek de la
+tribu des Achabal, et plusieurs autres moins puissants.</p>
+
+<p>Ibraïm Pacha commença par faire à tout ces cheks des reproches
+amers sur ce qu’ils avaient fourni des vivres et des moyens de
+transport aux mamelouks, ce qui était cause qu’il ne pouvait les
+rejoindre et les combattre.</p>
+
+<p>Un seul des cheks ne nia pas le fait et vint hardiment devant
+Ibraïm Pacha&nbsp;: c’était le chek Kralif, homme intelligent et
+fier&nbsp;; il lui dit qu’il était vrai qu’on avait fourni vivres
+et chameaux aux mamelouks, et que lui-même leur avait donné
+l’hospitalité, les avait nourris et conduits&nbsp;; qu’ils étaient
+ses anciens amis et, par conséquent, qu’il avait dû les secourir
+dans leur adversité tant qu’ils étaient restés sur le territoire où
+il commandait&nbsp;; mais qu’aujourd’hui, Ibraïm Pacha étant le
+vainqueur, et, selon ce que l’on disait, les mamelouks étant
+révoltés contre les volontés du sultan El Islam, il les forcerait
+bien à quitter le pays en ne leur portant plus de vivres.</p>
+
+<p>Ibraïm Pacha exigea que les Ababdieh conduisissent des troupes
+d’Arabes Mograbins, qui l’accompagnaient, à l’endroit où étaient
+les mamelouks. Effectivement, plusieurs Ababdieh
+montèrent<span class="pagenum" id="Page_6">[6]</span> à dromadaire
+et guidèrent les troupes jusqu’au puits d’Oum Eubal, dans le
+désert. Rendus là, les Ababdieh dirent aux Mograbins&nbsp;: Voila
+les mamelouks devant vous&nbsp;; vous ne pourrez pas dire à Ibraïm
+Pacha que nous ne vous avons pas conduits où il a ordonné.
+Cependant, à l’approche des Mograbins, les mamelouks, qui étaient
+sur leurs gardes, avaient tout préparé pour leur départ&nbsp;; ils
+avaient enfoui sous terre beaucoup de leurs effets, afin de pouvoir
+les retrouver&nbsp;; ils avaient comblé le puits avec des pierres,
+de la terre, des branches d’arbres épineux et tout ce qu’ils
+avaient trouvé de plus encombrant Puis ils s’étaient rangés en
+bataille et avaient attendu l’ennemi&nbsp;; mais celui-ci ayant
+hésité, ils étaient partis dans la direction de Dongolah pour s’y
+établir.</p>
+
+<p>C’est à dater de cette époque que le chek Kralif commença, avec
+l’appui du gouvernement turc, à devenir plus important. Plus tard,
+Méhémet Ali, qui l’avait apprécié, se servit de lui pour bien
+connaître le Soudan avant d’en entreprendre la conquête, et, vers
+l’année 1820, quand il envoya, dans ce pays, une espèce d’ambassade
+qui avait pour chef officiel un certain Mahamed Aga, l’âme de
+l’expédition était le chek Kralif, l’Ababdieh, intelligent,
+spirituel, puissant et considéré.</p>
+
+<p>Le chef de l’ambassade, après avoir visité toutes les
+différentes peuplades le long du fleuve et au Sennar, alla aussi à
+Cordofan et à Darfour, où il fut retenu sans jamais avoir pu
+obtenir la permission de retourner en Égypte. Chek Kralif revint et
+continua à être l’agent avoué ou secret du gouvernement
+égyptien.</p>
+
+<p>Il fut assassiné à Berber, par un gouverneur turc jaloux de son
+influence dans le pays. Son frère Baraca lui succéda<a id=
+"FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class=
+"fnanchor">[3]</a>.<span class="pagenum" id="Page_7">[7]</span>
+C’est ce dernier qui devait m’accompagner dans le désert des
+Bicharieh.</p>
+
+<p>Il n’est jamais facile d’organiser avec les Arabes un voyage
+dans le désert&nbsp;; mais pour faire ce voyage dans un pays où
+jamais voyageur n’a mis le pied, dans un désert où l’on doit rester
+peut-être plusieurs mois, où l’on ne trouve rien, et où, par
+conséquent, il faut tout emporter pour soi, et beaucoup pour donner
+aux Arabes que l’on rencontre, les difficultés s’accroissent
+considérablement. Lorsque je me mis en route, il n’avait pas plu
+depuis longtemps&nbsp;; tous les puits, sources ou réservoirs
+étaient à peu près taris&nbsp;; il fallait prendre des outres en
+plus grande quantité. Comme les Bicharieh chez lesquels nous
+allions n’étaient point soumis au gouvernement égyptien, mais lui
+étaient plutôt hostiles, il fallait prendre des précautions de
+défense contre les vagabonds&nbsp;; quant aux cheks des tribus,
+nous savions que, patronés par le chek Baraca, tous nous
+recevraient fort bien.</p>
+
+<p>Il fallait donc faire de grandes provisions, et malgré toutes
+mes observations, mon opposition même, je dus consentir, d’après
+les instances du gouverneur turc d’Assouan, personnage influent,
+d’après celles de quelques cheks arabes, à prendre une escorte. On
+voulut me donner des soldats turcs et mograbins, ce à quoi je me
+refusai de tout mon pouvoir, sachant bien que ce serait une fort
+mauvaise recommandation pour les Bicharieh, et que cela me
+causerait toute espèce de désagréments&nbsp;; je ne voulus prendre
+que des Arabes Ababdieh et Bicharieh.</p>
+
+<p>Nous avions donné rendez-vous à plusieurs cheks des Bicharieh à
+Abou Ahmed, point, sur le Nil, où l’on arrive, étant parti de
+Corouscos, après huit à neuf journées de désert, ou bien point
+duquel l’on part pour venir à Corouscos et à Assouan afin de ne pas
+faire, en suivant le cours du fleuve, ce grand détour<span class=
+"pagenum" id="Page_8">[8]</span> que le Nil fait en coulant dans le
+pays des Chakieks, de Dongolah, de Mahos, de Soccott pour arriver
+enfin à Wadée Alfa, d’où il coule presque directement vers le
+nord.</p>
+
+<p>Ce rendez-vous fit que nous dûmes, avant de nous interner tout à
+fait à l’est, chez les Bicharieh, remonter jusqu’à Corouscos, et de
+là traverser le désert, que d’ailleurs je devais aussi visiter.</p>
+
+<p>Je laissai donc la caravane faire sa route par terre, et je
+remontai en barque jusqu’à Corouscos.</p>
+
+<p>Ce point est devenu important à cause des caravanes qui vont et
+viennent sans cesse&nbsp;; c’est la route la plus directe pour les
+communications entre le Soudan et l’Égypte&nbsp;; cependant
+Corouscos n’est qu’un pauvre hameau où il y a seulement une
+construction en terre servant de magasin au gouvernement et des
+cahuttes servant de demeures aux Arabes.</p>
+
+<p>Nous terminâmes tous nos préparatifs, nos provisions d’eau, et
+enfin nous quittâmes les bords du fleuve pour prendre le
+désert.</p>
+
+<p>En partant de Corouscos, on passe, par une gorge étroite, au
+travers la chaîne de montagnes qui borde le fleuve. C’est le lit du
+torrent nommé Wadée Corouscos. On remonte ce ravin sur un terrain
+de cailloux et de sable. Les montagnes qui bordent la route sont
+peu élevées, isolées les unes des autres et de formes coniques.
+Leur formation est du grès moderne stratifié horizontalement&nbsp;;
+elles sont dénudées.</p>
+
+<p>Les Arabes qui voyagent dans le désert ont donné des noms à tous
+les lieux un peu remarquables. Ainsi, par exemple, à environ deux
+lieues et demie de Corouscos, la vallée que l’on suit est resserrée
+entre deux rochers, et ce point étant élevé, on peut voir, du côté
+du couchant, les montagnes qui se trouvent de l’autre côté du
+fleuve&nbsp;; c’est une grande joie pour les voyageurs venant du
+désert qui voient que dans peu de temps<span class="pagenum" id=
+"Page_9">[9]</span> ils arriveront au Nil et pourront boire à
+volonté l’eau douce et bienfaisante dont ils ont été privés depuis
+plusieurs jours. Ce lieu se nomme Choroffa, qui veut dire ici
+<em>lieu élevé</em> duquel l’on découvre au loin le pays.</p>
+
+<p>La végétation est fort rare dans cette partie&nbsp;; l’on y voit
+quelques mimosas gommiers très-rabougris et peu de plantes.</p>
+
+<p>Pour voyager commodément dans le désert, il faut pouvoir marcher
+séparément des chameaux de charge, leur pas est fatigant et sa
+monotonie vous ennuie&nbsp;; il faut avoir de bons dromadaires et
+surtout de bonnes selles bien organisées, bien posées&nbsp;; c’est
+une étude à faire, et l’expérience seule, en imitant et améliorant
+ce que les Arabes font, vous conduit à être parfaitement sur le dos
+de ces animaux&nbsp;; il faut aussi avoir des guides
+intelligents&nbsp;: alors vous laissez marcher votre caravane, vous
+partez après elle ou avant, vous vous arrêtez où vous voulez, vous
+vous détournez de la route directe et vous rejoignez toujours vos
+bagages au lieu du campement de nuit, ou au lieu du repos du jour.
+Avec des gens à dromadaires, vous accompagnant, vous avez toujours
+de la bonne eau que l’on va prendre à droite ou à gauche de la
+route, à des puits ou des sources, mais le plus souvent à des
+réservoirs formés naturellement dans les rochers des ravins, où les
+pluies en tombant forment des bassins très-souvent bien
+remplis.</p>
+
+<p>Les Arabes qui conduisent des caravanes ordinaires, avec des
+chameaux loués au voyage pour se rendre directement d’un point à un
+autre, ne se dérangent jamais du droit chemin pour que les
+personnes qu’ils conduisent trouvent de la bonne eau&nbsp;; ils ne
+leur font connaître que les puits qui sont sur la route, qu’ils
+soient d’eau douce ou bien d’eau bonne seulement pour les chameaux.
+En parlant la langue du pays, en causant avec les guides, les
+Arabes que l’on rencontre, vous évitez cela&nbsp;; car il n’y a pas
+de route auprès de<span class="pagenum" id="Page_10">[10]</span>
+laquelle, en vous détournant un peu, vous ne trouviez des plantes
+pour faire manger les chameaux et de l’eau pour votre usage. Sur la
+route des caravanes généralement, tout est brouté, tout est
+tari.</p>
+
+<p>Après avoir passé l’endroit nommé Choraffa, l’aspect de la route
+est le même&nbsp;; c’est un sol sablonneux, sans végétation, par-ci
+par-là, à des distances fort grandes, un mimosa de l’espèce des
+gommiers, ou bien mimosa Sihalé à écorce et fleurs blanches, et
+très-rabougri, donne encore plus de tristesse à ce désert.</p>
+
+<p>A environ cinq heures de marche de chameaux, l’on rencontre
+quelques mimosas, et sur une roche de grès les empreintes de deux
+animaux, bœufs ou vaches, dont le dessin n’est pas trop
+mauvais&nbsp;; ils ont de grandes cornes comme l’on en voit
+seulement aux bœufs d’Abyssinie.</p>
+
+<p>Un peu plus loin, toujours dans la même vallée où passe la
+route, est un rocher qui donne de l’ombre et sert d’abri aux
+voyageurs. On le nomme Ogab el Gamous, <em>lieu de repos des vaches
+ou des buffles</em>, parce qu’un Arabe étant parti de Corouscos
+avec des buffles, pour les conduire dans le Soudan, et s’étant
+reposé à l’ombre de ces rochers, ses buffles y moururent tous.</p>
+
+<p>Une citerne a été creusée dans ce rocher, sous le gouvernement
+de Méhémet-Ali&nbsp;; elle est toujours sans eaux, les pluies étant
+extrêmement rares dans cette localité.</p>
+
+<p>Toujours en continuant la même route, dans un terrain sablonneux
+parsemé de monticules et de petites montagnes séparées les unes des
+autres et toutes de formation de grès, après sept heures de marche,
+de l’endroit où sont les vaches dessinées sur les rochers, l’on
+arrive à un lieu nommé Ogab el Mâra ou encore Ogab el Quelb,
+<em>lieu de repos de la femme ou du chien</em>. C’est encore un
+rocher de grès dans lequel est une caverne<span class="pagenum" id=
+"Page_11">[11]</span> naturelle où l’on peut se mettre commodément
+à l’ombre et où l’on a creusé une citerne, qui aussi n’a presque
+jamais d’eau.</p>
+
+<p>En partant de ce lieu le terrain est le même, seulement il est
+plus uni, et semble plus solide, parce qu’il laisse voir quelques
+pierres. Le sable reparaît non loin de là, près d’un endroit nommé
+El Houchar<a id="FNanchor_4"></a><a href="#Footnote_4" class=
+"fnanchor">[4]</a>. C’est un grand spécimen de cette famille qui a
+donné son nom à la localité&nbsp;; il est immense, en effet, et sa
+belle végétation bien verte, fait présumer que si l’on creusait
+dans ce lieu l’on y trouverait de l’eau.</p>
+
+<p>Tous les sables environnants sont couverts de végétation
+lorsqu’il pleut&nbsp;; malheureusement cela est rare, et l’on ne
+voit, le plus souvent, que les petites buttes formées par les
+racines des plantes contre lesquelles le sable vient
+s’accumuler.</p>
+
+<p>Plus loin, le pays est plus découvert, et enfin l’on arrive,
+après vingt et une heures et demie de marche, depuis Corouscos, à
+l’endroit nommé Bab el Corouscos, ce qui veut dire porte et défilé,
+ouverture de Corouscos.</p>
+
+<p>Cet endroit est effectivement une ouverture, un défilé dans la
+chaîne qui s’étend du sud-sud-ouest au nord-nord-est, entre le
+fleuve et le grand désert, comme une ligne de démarcation. Il n’y a
+que trois routes, au travers cette chaîne de montagnes, qui
+permettent d’arriver au fleuve, en venant d’Abou Ahmed&nbsp;: celle
+de Corouscos, celle de Gallat Addé et celle de Siboh. En partant du
+Nil, il est facile de se reconnaître, mais lorsque l’on vient du
+désert, cela est beaucoup plus difficile&nbsp;; toutes les
+montagnes se ressemblent. Quand le temps n’est pas bien clair, on
+se trompe facilement, car rien n’indique le chemin que l’on doit
+prendre&nbsp;; les traces des caravanes<span class="pagenum" id=
+"Page_12">[12]</span> se perdent sur le sable au moindre petit
+vent, et si celui du sud souffle, si le sable est soulevé, à moins
+d’avoir un guide bien expérimenté l’on risque beaucoup de se perdre
+parmi ces innombrables petites montagnes en forme de cônes.</p>
+
+<p>En partant de Bab el Corouscos, on a devant soi une grande
+étendue de sable assez ferme, et à l’horizon, à une grande
+distance, les montagnes bleuâtres de Raft qui apparaissent
+au-dessus du sable jaune de la plaine.</p>
+
+<p>Cette plaine n’est pas unie&nbsp;; elle est coupée par des
+vallées qui ont un lit et une pente où coulent les eaux quand il
+pleut.</p>
+
+<p>La première que l’on traverse se nomme Bhar Bella Mâh&nbsp;;
+elle se perd dans une autre grande vallée qui coule du sud au nord,
+nommée Gabgabba&nbsp;; celle-ci a son principe à l’est d’Abou Ahmed
+et vient se jeter dans l’Ouadée Ollaki un peu avant que celle-ci ne
+se perde dans le Nil.</p>
+
+<p>Le Barh Bella Mâh offre, comme beaucoup d’autres vallées, un
+lit, ce qui est commun dans le désert, où, quand il pleut, les eaux
+forment un écoulement&nbsp;; mais de son nom, quoique Bhar signifie
+fleuve et mer en même temps, et Bella Mâh, sans eau, il ne faut pas
+conclure ou déduire que c’est le lit d’un fleuve desséché. Dans
+tous les déserts il y a des lieux qui portent ce nom, et souvent
+les voyageurs ont voulu reconnaître les traces d’anciens fleuves
+inconnus qui coulaient dans ces contrées, fleuves desséchés
+aujourd’hui ou ayant changé leur cours, ce qui est tout à fait
+erroné, à moins qu’on ne veuille faire remonter ces cours d’eau aux
+époques géologiques les plus reculées. Dans le Barh Bella Mâh on a
+voulu creuser un puits, il n’a pas réussi.</p>
+
+<p>A cinq heures de Barh Bella Mâh, dans le S. 1/4 S.-O., l’on voit
+un autre bas-fond au sommet duquel, vers le sud, se trouvent des
+tombeaux musulmans qui sont ceux de soldats<span class="pagenum"
+id="Page_13">[13]</span> égyptiens tués par les Bicharieh lors de
+l’expédition de la conquête du Soudan par Ismaïl Pacha, fils de
+Méhémet-Ali. Auprès de ces tombeaux est une roche isolée nommée
+Onni Gad (<em>la Mère Station</em>.) C’est une masse de grès percée
+naturellement, ce qui forme une grande caverne, ouverte de deux
+côtés, où les voyageurs, fatigués d’avoir parcouru les plaines de
+sables environnantes, trouvent ombre et fraîcheur.</p>
+
+<p>En continuant à marcher au sud-sud-est l’on traverse une plaine
+remplie de cailloux et parsemée de petites hauteurs rocheuses, puis
+ensuite une plaine de sable ferme qui va en pente vers le sud. On
+traverse aussi une dépression du sol formant une vallée qui, comme
+Bhar Bella Mâh, se dirige à l’est et va se perdre dans celle de
+<em>Gabgabba</em>&nbsp;: on la nomme <em>Barh el Attab
+Arreiane</em> à cause d’une montagne assez élevée qui se trouve sur
+le bord de cette vallée, à l’est de la route, et qui porte ce
+nom&nbsp;; une autre, à l’ouest de celle-ci, par opposition, est
+nommée <em>Gebel attab el Attchane</em>.</p>
+
+<p>Dans toute cette plaine, autour des petits monticules de grès
+qui y sont parsemés, le sol est couvert de pierres noires comme des
+scories, sonnantes comme du métal, l’on en trouve de rondes qui
+sont creuses et remplies d’un sable blanc, très-fin, et quelquefois
+d’un sable rouge, donnant une belle couleur d’ocre. Tous ces
+cailloux contiennent du fer et de la silice&nbsp;; quant à leur
+formation, elle semble être celle d’une matière en fusion jetée
+d’une certaine distance dans l’eau ou dans un centre humide, comme
+lorsqu’on jette du plomb en fusion pour faire de la
+grenaille&nbsp;; puis en roulant sur des sables fins ou des terres
+très-fines, ils ont pu amasser différentes matières dans leur
+centre. On trouve aussi dans ces boules, au lieu de sable blanc ou
+rouge, quelquefois des cristallisations siliceuses d’une grande
+pureté.</p>
+
+<p>Enfin, après avoir marché, en faisant différentes haltes,
+environ<span class="pagenum" id="Page_14">[14]</span> dix-neuf
+heures depuis Bab el Corouscos, nous nous trouvâmes au pied du
+groupe des montagnes de <em>Raft</em>, et traversant les ravins de
+Oumriche et de Tellat el Gindi<a id="FNanchor_5"></a><a href=
+"#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a> nous nous arrêtâmes dans
+celui de Souffour<a id="FNanchor_6"></a><a href="#Footnote_6"
+class="fnanchor">[6]</a>.</p>
+
+<p>Le ravin de Tellat el Gindi est rempli de beaux mimosas gommiers
+dont l’aspect vert et frais réjouit la vue.</p>
+
+<p>Ce ravin est renommé, dans tout le pays, à cause d’un certain
+Arabe nommé Issé qui a été, disent les Turcs, un grand voleur, un
+brigand, et que les Arabes, au contraire, citent comme un brave et
+un grand homme. Son histoire fait connaître le caractère des
+Barabras qui se disent d’origine arabe ababdi Bicharieh.</p>
+
+<p>Le nommé Issé était tout simplement <em>ageïr</em>, ce qui veut
+dire courrier à dromadaire, au service du gouvernement égyptien,
+portant la correspondance d’un lieu à un autre. Il dépendait d’un
+certain Méhémet Aga, chef de Wadée Alfa. Celui-ci voulut, un jour,
+s’approprier un excellent dromadaire auquel son subordonné était
+très-attaché&nbsp;; de là une dispute qui se termina à l’avantage
+du plus fort. Le subordonné perdit son dromadaire et fut, en outre,
+roué de coups.</p>
+
+<p>Issé n’était pas homme à supporter un pareil traitement, comme
+eût pu le faire un Égyptien. Il fait le malade, afin de n’inspirer
+aucune méfiance, puis, une belle nuit, ayant trouvé le moyen de
+s’emparer de son dromadaire, il s’enfuit de Wadée Alfa. Non content
+de cela, il va trouver ses parents, ses amis, il les excite contre
+les Turs, contre Méhémet Aga surtout, il tombe avec eux sur
+l’habitation du gouverneur, pille les magasins du gouvernement,
+prend tous les dromadaires qu’il trouve, et, avec ses gens et son
+butin, s’enfonce dans le désert, où il<span class="pagenum" id=
+"Page_15">[15]</span> s’installe en Bédouin, mais principalement en
+ennemi de tout ce qui est Turc.</p>
+
+<p>Quelque temps après, Issé, qui était en relation d’amitié avec
+beaucoup de monde, apprit qu’un certain Malem Anné, Copte de
+religion et administrateur dans le gouvernement de l’Égypte,
+revenait du Soudan avec beaucoup d’or et d’argent, produit des
+onéreuses contributions levées à Sennar, Chindi, Berber, etc. Il
+alla à Soccot, sur le Nil, épier son passage, surprit le convoi et
+massacra les soldats turcs qui l’accompagnaient, laissant les
+Égyptiens et le Copte continuer leur route fort allégés, il est
+vrai, mais convaincus qu’Issé n’en voulait qu’aux Turcs, à ce qui
+était à eux, et qu’il les poursuivrait de sa vengeance tant qu’il
+le pourrait.</p>
+
+<p>Après ce fait il descendit plus bas que Wadée Alfa dans un
+village où commandait un caymacam turc, lui enleva en plein jour,
+devant sa maison, ses deux chevaux et un dromadaire qui étaient
+tous au piquet, et retourna dans ses montagnes.</p>
+
+<p>Ce caymacam furieux de ce qui venait d’être commis à son
+endroit, rassembla, de son autorité privée, beaucoup d’Arabes à
+dromadaires et quelques soldats turcs, puis se mit à la poursuite
+d’Issé en suivant sa piste qui était facile à reconnaître. Ils ne
+le rejoignirent qu’à la montagne de Semmée au-dessus de Wadée Alfa.
+Ce fut à la tombée de la nuit, et en suivant toujours les traces de
+ses chevaux volés, traces qui étaient très-visibles, que le
+caymacam et sa troupe s’engagèrent dans un défilé, lit d’un torrent
+à sec, fort étroit et encaissé dans de hautes montagnes. Issé
+savait fort bien que les Arabes qui accompagnaient le caymacam ne
+le trahiraient pas et il était assez tranquille. Comme précaution
+il avait placé une sentinelle d’un genre nouveau et tout à fait
+inconnu ailleurs. Dans l’endroit le plus étroit du ravin il avait
+fait laisser, agenouillé et bien lié, un dromadaire malade. Cet
+animal a pour habitude,<span class="pagenum" id=
+"Page_16">[16]</span> quand il est dans cet état, malade ou blessé,
+de crier si on l’approche, et c’étaient ces cris sur lesquels Issé
+comptait pour être averti si quelqu’un approchait. Mais le
+guide<a id="FNanchor_7"></a><a href="#Footnote_7" class=
+"fnanchor">[7]</a> du caymacam, qui conduisait l’avant-garde arabe
+de l’expédition, connaissait cette ruse, et s’il n’avait pas été un
+ami d’Issé, celui-ci, malgré sa prévoyance, eût été surpris. Il fit
+faire halte loin du chameau en disant qu’il irait seul à la
+découverte. En effet, après un assez long détour, et, après avoir
+marché quelque temps au fond de l’étroit ravin, il parvint à un
+élargissement entouré de hautes montagnes, c’est là qu’Issé était
+campé près d’un puits qui lui fournissait de l’eau. Sa troupe,
+composée de dix hommes, l’entourait&nbsp;; les deux chevaux du
+caymacam étaient attachés près de sa tente. Abd el Kérim, c’était
+le nom du guide, s’approcha tout tranquillement&nbsp;; Issé, de son
+côté, ne laissa paraître aucune surprise. Les Arabes, comme tous
+les hommes qui vivent au désert, de quelque race qu’ils soient, ont
+presque tous les mêmes habitudes, les mêmes mœurs, et, sous bien
+des rapports, les Arabes Bicharieh, Ababdieh et les Nubiens ont de
+la ressemblance avec les Peaux-Rouges d’Amérique.</p>
+
+<p>Abd el Kérim représenta à Issé qu’il lui était impossible de
+continuer la vie qu’il menait, que tôt ou tard il serait pris, que,
+même dans ce moment, il était bien près de l’être&nbsp;; car il lui
+paraissait impossible qu’il pût se tirer du mauvais pas où il se
+trouvait, puisqu’il n’avait aucun chemin pour s’échapper, que les
+Turcs étaient en grand nombre, sans compter les Arabes qui étaient
+à leur solde, et qu’enfin il agirait sagement en rendant les deux
+chevaux et le dromadaire, ce qui ferait qu’on le laisserait
+paisiblement aller où il voudrait. Mais<span class="pagenum" id=
+"Page_17">[17]</span> Issé se révolta à l’idée de se soumettre à la
+volonté d’un Turc, il refusa de rendre les objets volés, repoussa
+même tout arrangement, et le guide Abd el Kérim fut forcé de
+retourner vers le caymacam.</p>
+
+<p>Alors les Turcs s’avancèrent dans le ravin&nbsp;; mais ce ne fut
+qu’une démonstration, ce qui avait été prévu arriva, aucun des
+Arabes ne les suivit, et peu confiants dans leurs propres forces,
+craignant d’ailleurs une trahison, ils revinrent sur leurs pas en
+faisant beaucoup de reproches aux indigènes stipendiés par le
+gouvernement égyptien. Ceux-ci pour se justifier prétendirent
+qu’ils avaient reconnu qu’Issé avait des forces bien supérieures
+aux leurs, qu’il fallait garder le défilé et envoyer chercher du
+renfort. Un tel avis, s’il était suivi, devait fournir à Issé le
+temps de s’échapper, c’était visible. On fit autre chose&nbsp;: des
+chameaux, appartenant à Issé, paissaient dans une gorge voisine,
+l’on s’en empara avant la nuit, et l’on prit de bonnes positions.
+Le lendemain, au point du jour, les Turcs assistèrent, de là, au
+défilé de la petite troupe qu’ils avaient cru cernée, et qui
+s’échappait par les escarpements d’un ravin&nbsp;; ils lui firent
+l’honneur de quelques coups de fusil et reprirent la route de Wadée
+Alfa. Issé alla s’installer dans les montagnes que l’on voit à
+Gallat addé sur le Nil.</p>
+
+<p>Il fut encore question de le poursuivre&nbsp;: c’est alors qu’il
+s’interna tout à fait et vint s’établir à la montagne de Raft,
+auprès du ravin de Tellat el Gindi. Effectivement je vis là les
+restes de son campement&nbsp;; il avait fait avec des pierres
+sèches un retranchement avec des crénelures pour les fusils. Issé
+était parfaitement posé, il était sur la route des caravanes venant
+du Soudan en Égypte ou bien se rendant d’Égypte à Berber et
+Khartoum, et il pouvait fusiller les Turcs en restant à
+couvert&nbsp;; il pouvait même, au besoin, s’enfuir dans les
+ravins<span class="pagenum" id="Page_18">[18]</span> de la montagne
+où l’on ne pouvait le poursuivre, et il avait à proximité les eaux
+des réservoirs d’Oum Riche dont il empêchait l’approche à ceux qui
+avaient un besoin indispensable d’y puiser, ce qui le rendait
+entièrement maître de leur sort.</p>
+
+<p>Issé resta fort longtemps dans ce lieu, il s’emparait de tout ce
+qui appartenait au gouvernement, dans les caravanes qui
+traversaient le désert, tuant sans pitié les Turcs pour assouvir sa
+vengeance&nbsp;; mais jamais ne touchant à ce qui appartenait aux
+négociants ou aux gens du pays, au contraire, il traitait ce monde
+avec bienveillance, lui fournissait de l’eau et même des vivres
+s’il en avait besoin.</p>
+
+<p>Au bout de quelques mois Issé et sa troupe, ayant acquis
+beaucoup de richesses revinrent aux abords du fleuve et
+s’établirent aux environs de <em>Gallat Addé</em>.</p>
+
+<p>Les Turcs ayant appris cela et désirant aussi se venger,
+assemblèrent à Assouan et à Corouscos beaucoup d’Arabes et tous les
+soldats dont ils pouvaient disposer. Ils firent prévenir le
+gouverneur de Wadée Alfa, de telle sorte qu’Issé devait se trouver
+pris entre deux troupes, l’une venant d’en bas et l’autre d’en
+haut. Mais les Arabes l’avertirent, et il rentra dans les montagnes
+du désert.</p>
+
+<p>Pendant plusieurs jours, l’on suivit sa piste, comme celle du
+gibier que des chasseurs poursuivent. Le soir l’on campait, et l’on
+était fort étonné le lendemain matin, après s’être remis en marche,
+de rencontrer, à peu de distance, le campement où Issé avait passé
+la nuit.</p>
+
+<p>Si les Turcs eussent été seuls, s’ils ne se fussent pas adjoint
+des Arabes, Issé et les siens, très-facilement, auraient pu les
+attaquer, trouer leurs outres à eau, enlever leurs chameaux, et les
+laisser mourir de soif et de faim&nbsp;; mais ils ne voulaient pas
+compromettre leurs compatriotes et leurs amis envers le
+gouvernement qu’ils servaient.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_19">[19]</span>Enfin, en suivant
+toujours les traces de la troupe qui leur échappait toujours, les
+chasseurs, puisque j’ai déjà émis ce terme de comparaison,
+arrivèrent près de Corouscos&nbsp;; ils apprirent là que leur
+gibier, qui avait visité le Nil, était alors campé, à peu de
+distance, dans une petite vallée du désert d’Abou Ahmed. Sûrs,
+cette fois, de le surprendre, ils se remirent en marche après avoir
+renouvelé leurs provisions d’eau et de vivres.</p>
+
+<p>Les Turcs sont courageux jusqu’à la témérité&nbsp;; mais ils ne
+sont pas prévoyants. Ils entrèrent dans un défilé étroit dont les
+deux parois étaient fort escarpées&nbsp;; or à peine y furent-ils
+engagés qu’une grêle de balles les assaillit. Ne pouvant se
+défendre contre des ennemis cachés dans les pierres, ne pouvant non
+plus monter pour les joindre, ils prirent la fuite immédiatement,
+non sans laisser bon nombre d’entre eux dans le ravin ainsi que
+plusieurs chevaux. Issé leur avait tendu ce piége.</p>
+
+<p>Depuis cette affaire on le laissa tranquille, et il vécut
+paisiblement avec les autres Arabes qui restent tantôt sur les
+bords du Nil et tantôt dans le désert, lorsque quelques pluies
+tombent dans cette contrée et donnent au sol assez d’humidité pour
+produire des pâturages, ce qui est alors une raison de bonheur pour
+tous.</p>
+
+<p>Issé était un petit homme, grêle, fort leste, à l’œil pétillant
+d’intelligence et très-hautain. Je l’ai connu et j’ai été en
+négociation avec lui&nbsp;; voici comment&nbsp;:</p>
+
+<p>Lorsqu’il était campé aux environs de Gallat Addé, j’étais en
+Nubie entre Assouan et Wadée Alfa, près d’Abou Semboul, et par
+conséquent peu loin de Gallat Addé.</p>
+
+<p>Souvent les autorités turques m’avaient parlé d’Issé qu’ils
+appelaient le voleur. Ils désiraient tous qu’il fît sa soumission
+au gouvernement&nbsp;; car l’on était toujours sur le qui-vive à
+cause<span class="pagenum" id="Page_20">[20]</span> de lui. Ses
+amis les Arabes désiraient aussi qu’il fît sa soumission, afin
+qu’on lui pardonnât le passé et qu’il fût, pour l’avenir, à l’abri
+d’une surprise. Plusieurs cheks importants de ma connaissance
+m’avaient chargé d’intercéder, et, de mon côté, j’étais persuadé
+que si je conduisais Issé au vice-roi, il serait pardonné. Il
+s’agissait de l’amener à faire une démarche&nbsp;; je me décidai à
+aller le trouver.</p>
+
+<p>Les chefs Barabras de Deïr, qui sont les chefs du pays, me
+promirent de me faire conduire&nbsp;; ils me donnèrent pour guide,
+justement, cet Abd el kérim qui, dans une expédition avait conduit
+les Turcs à la poursuite d’Issé, et dont j’ai parlé plus haut. On
+voulait me donner aussi une escorte, je n’en voulus aucune, et je
+partis seul avec mon guide, tous deux montés sur d’excellents
+dromadaires dont j’étais le propriétaire. Nous arrivâmes le soir au
+campement d’Issé&nbsp;: c’était un lieu très-difficile à trouver
+dans les gorges des montagnes, à l’est de Gallat Addé, mais un lieu
+où Issé pouvait parfaitement se défendre contre des forces bien
+supérieures aux siennes et d’où, par des sentiers connus de lui
+seul, il pouvait s’échapper facilement.</p>
+
+<p>Soit qu’il fût prévenu de notre arrivée, soit qu’il ne fût pas
+gardé, nous parvînmes jusqu’à l’intérieur du campement comme si
+nous en eussions fait partie&nbsp;; nous descendîmes de nos
+dromadaires, les attachâmes, et nous nous dirigeâmes vers la seule
+tente qu’il y eût, toute la troupe étant établie sous des rochers
+pour avoir leur ombre durant le jour.</p>
+
+<p>Certes, une personne qui n’aurait pas connu les usages des
+Arabes de ce pays eût été fort étonnée et peut-être fort
+embarrassée d’une réception de ce genre.</p>
+
+<p>J’entrai le premier dans la tente en saluant du salut arabe
+ordinaire. Issé se lavait les mains pour se mettre à manger&nbsp;;
+il leva la tête, me regarda, me rendit mon salut et me dit de
+m’asseoir<span class="pagenum" id="Page_21">[21]</span> comme il
+aurait fait avec le premier bédouin venu. Cependant à ma figure, à
+mon costume arabe, il est vrai, mais plus propre que ceux qu’il
+avait sous les yeux, il devait bien s’apercevoir que j’étais un
+étranger. Je craignis un moment qu’il ne me prît pour un Turc
+déguisé. En réfléchissant, je vis bien que c’était une comédie
+qu’il jouait, et je la jouai aussi de mon côté. Nous restâmes
+quelque temps à nous regarder, nous allumâmes nos pipes sans
+prononcer une parole. On apporta le dîner et, à sa composition, je
+fus confirmé dans mon idée première, c’est que j’avais été
+annoncé&nbsp;; car il y avait un mouton entier rôti, ce qui est
+toujours le mets des étrangers que l’on veut bien recevoir. Nous
+mangeâmes beaucoup et nous parlâmes de choses insignifiantes&nbsp;;
+l’usage arabe étant de n’adresser aucune question indiscrète à son
+hôte, pas même pour lui demander qui il est, d’où il vient, où il
+va, ni ce qu’il veut. Issé ne me demanda rien, et je me gardai bien
+de faire autrement que lui.</p>
+
+<p>Après avoir dîné, nous fumâmes et nous prîmes le café&nbsp;; la
+politesse permettait alors de se lever. Ce fut Issé qui sortit de
+la tente, pour moi, ne sachant où aller, j’y restai&nbsp;; mais je
+m’attendais à ce qui allait se passer. Effectivement, bientôt Issé
+rentra avec empressement, vint à moi, m’embrassa et me fit ses
+excuses de sa pauvre hospitalité, disant&nbsp;: qu’il n’avait pas
+su, lorsque j’étais entré, qui j’étais, mais que mon guide venait
+de le lui apprendre, qu’il me connaissait depuis longtemps et
+m’avait vu même plusieurs fois, lorsqu’il était courrier à
+dromadaire, en m’apportant des lettres, qu’il avait souvent désiré
+me voir chez lui, qu’il avait espéré me rencontrer dans le désert
+et qu’enfin il était bien heureux de me recevoir sous sa tente.</p>
+
+<p>La glace était rompue et nous passâmes une grande partie de la
+nuit à causer. Je voulus entamer la question qui
+m’amenait<span class="pagenum" id="Page_22">[22]</span> près de
+lui&nbsp;; mais il me fit signe de me taire, et, tout bas, il me
+dit que nous causerions de cela plus tard, dans un lieu où personne
+ne pourrait nous entendre.</p>
+
+<p>N’ayant plus rien à dire, et le besoin du repos se faisant
+sentir, nous nous installâmes, Issé et moi, en plein air, chacun
+sur une peau de mouton, sans autre abri que le ciel du désert dont
+la limpidité est inconnue en Europe, sans autre perspective que la
+silouette des montagnes en partie éclairées par la lune que nous ne
+voyions pas encore. Le calme était profond, nous nous endormîmes
+paisiblement.</p>
+
+<p>Au petit jour, tout le camp était sur pied. Issé m’engagea,
+après avoir pris plusieurs cafés, à faire le tour de son campement
+qui n’était ni brillant, ni curieux à aucun titre&nbsp;; peu à peu
+nous nous en éloignâmes, et, étant montés sur un rocher isolé, nous
+nous assîmes l’un près de l’autre.</p>
+
+<p>Je sais, me dit-il, pourquoi tu es venu me trouver, je te fais
+mille remercîments à cause de tes bonnes intentions&nbsp;; mais
+j’ai une telle haine pour tout ce qui est Turc que je ne pourrais
+jamais la vaincre. Ce n’est pas seulement à cause de l’outrage
+sanglant que m’a fait le gouverneur de Wadée Alfa&nbsp;; non&nbsp;!
+avant cet événement, déjà l’on avait pillé les dattiers de ma
+famille, l’on avait emporté moutons et chameaux, sous prétexte de
+contributions. Quoique je sache fort bien que d’un moment à l’autre
+je peux être trahi par un des miens que l’on gagnera pour de
+l’argent, j’aime mieux rester libre jusqu’à ma dernière heure dans
+mes montagnes, où je ne serai jamais pris vivant.</p>
+
+<p>Je fis à Issé une foule de raisonnements qui parurent
+l’ébranler&nbsp;; je lui dis qu’après avoir fait sa soumission à
+Méhémet Ali, il serait libre de vivre soit au service, soit de sa
+vie indépendante sans être continuellement exposé à être poursuivi,
+pris et traité comme un malfaiteur.</p>
+
+<p>Enfin, après avoir passé toute la journée à discuter, il
+fut<span class="pagenum" id="Page_23">[23]</span> convenu que le
+lendemain il partirait avec moi et que je le conduirais moi-même où
+se trouvait le vice-roi. Il passa la nuit en préparatifs.</p>
+
+<p>De mon côté, je réfléchis beaucoup à la démarche que je venais
+de faire. Je savais fort bien que tant que je serais avec Issé il
+ne lui arriverait rien de fâcheux&nbsp;; mais si je ne le
+conduisais pas moi-même, si je ne le ramenais pas dans son pays,
+confiant dans la parole qu’on lui aurait donnée, il pouvait,
+d’autant mieux, tomber dans quelque piége que des fonctionnaires
+subalternes lui dresseraient&nbsp;; c’était une grosse
+responsabilité.</p>
+
+<p>Mais il n’était plus temps de faire des réflexions, et je me
+promis bien de prendre toutes les précautions possibles, de faire
+intervenir même les consuls, afin qu’Issé fût tout à fait en
+sûreté. Je ne craignais rien pour lui des autorités
+supérieures&nbsp;; mais je craignais tout d’un soldat Albanais ou
+d’un caymacam de village.</p>
+
+<p>Tout s’était bien passé&nbsp;; nos montures étaient prêtes et
+nous allions partir pour nous rendre au Nil et à ma barque. Issé
+était soucieux, il ne parlait ni à moi, ni à ses gens, ni même à
+ses parents. Dans le campement les femmes faisaient entendre de
+petits cris comme à l’approche d’un malheur. Tout le monde semblait
+consterné&nbsp;; mais pas un mot, pas même un signe de
+mécontentement ne fut dirigé contre moi.</p>
+
+<p>Tout à coup Issé me regarda, donna un coup de pied à son
+dromadaire sur lequel il allait monter, et l’obligea de
+s’éloigner&nbsp;; puis, d’un air bien déterminé, il vint à moi, me
+prit les mains avec effusion, et s’exprima ainsi&nbsp;: J’ai
+entière confiance en toi, je sais que tant que nous serons ensemble
+je n’aurai rien à craindre. Pardonne-moi de t’avoir dit hier que je
+te suivrai&nbsp;; encore cette nuit je pensais cela faisable&nbsp;;
+la réflexion m’a persuadé que c’était impossible. Les Turcs n’ont
+pas de parole<span class="pagenum" id="Page_24">[24]</span> avec
+des gens comme moi, ils sont perfides d’ailleurs, et j’ai tellement
+horreur d’eux, que je ne puis songer à me trouver en leur présence
+sans être dans une excitation affreuse. Laisse-moi et abandonne-moi
+à mon sort&nbsp;; Dieu veillera sur moi.</p>
+
+<p>Il n’y avait pas à insister&nbsp;; je promis à Issé mon amitié,
+quand même, et je repris seul la route de l’Égypte.</p>
+
+<p>Revenons à notre campement du ravin de Souffour que nous devions
+occuper quelque temps pour visiter le groupe des montagnes de
+Raft.</p>
+
+<p>Nous nous installâmes donc sous de beaux mimosas verts et en
+fleurs. Le nom de Souffour a été donné à ce lieu à cause de la
+présence de certains petits mamelons, de formation granitique, qui
+sont recouverts d’une terre argileuse rouge et jaune, tandis que
+tout ce qui tient à la masse de la montagne est de couleur
+noirâtre.</p>
+
+<p>De ce côté, son élévation n’est pas grande, si l’on en excepte
+quelques points. Les ravins ont leurs parois à pic, et les roches
+qui les forment sont de différentes formations volcaniques et
+offrent, comme les basaltes, des stratifications verticales.</p>
+
+<p>Dans tous ces ravins l’on trouve de l’eau après les pluies, ce
+qui est un grand bien pour les voyageurs qui le savent&nbsp;; mais
+il est très-difficile d’en approcher, et l’on ne peut abreuver les
+chameaux qu’en descendant des outres pleines jusqu’à l’endroit où
+le mauvais chemin force ces animaux à s’arrêter&nbsp;; cependant,
+depuis que Méhémet Ali a fait creuser l’ancien puits de Souffour
+qui, lorsqu’il pleut, devient un large réservoir, l’on a bien plus
+de facilités.</p>
+
+<p>Ce groupe de montagnes est isolé, il ne se rattache à aucune
+chaîne déterminée, mais seulement il tient, par des ramifications
+très-peu marquées, à d’autres groupes semblables.</p>
+
+<p>La montagne de Raft est bouleversée dans tous les sens,
+entrecoupée de beaucoup de ravins&nbsp;; tous les versants
+viennent,<span class="pagenum" id="Page_25">[25]</span> par
+différentes petites vallées, se réunir à la vallée de Mourrat pour
+se fondre dans celle de Gabgabba.</p>
+
+<p>Le chek Baraca, depuis notre départ, me parlait de travaux dans
+la montagne, de villages dans les ravins, et je désirais visiter
+tout cela.</p>
+
+<p>A l’entrée du ravin principal qui porte le nom de la montagne,
+je vis plusieurs amas de pierres brutes, disposés en ronds, et
+ayant chacun 4 mètres de diamètre. L’intérieur de ces ronds est
+rempli de petites pierres, et le tout élevé seulement de 80
+centimètres à 1 mètre au-dessus de terre.</p>
+
+<p>On pourrait, au premier abord, prendre ces amas de pierres pour
+des élévations sur lesquelles les Arabes auraient posé leurs
+tentes&nbsp;; mais cela n’est point. Les tentes des Arabes ne sont
+pas rondes, elles sont, chez les Bicharieh, en peaux et en
+nattes&nbsp;; les autres les ont en étoffe grossière et solide,
+poil de chèvre ou de chameau&nbsp;; mais, je le répète, jamais ces
+tentes ne sont rondes. D’ailleurs, pour établir sa demeure, nul
+Bédouin ne se donnerait la peine de faire un tel travail. Ces ronds
+ne peuvent être que des lieux de sépultures où, après un combat,
+les morts étaient enterrés tribu par tribu.</p>
+
+<p>Ils datent de l’époque où, sous le règne du sultan Ahmed Teïloun
+en Égypte, des Arabes syriens et d’autres exploitaient les mines
+d’or de ce pays, ce qui occasionna des jalousies et des guerres
+meurtrières dont je parlerai plus tard.</p>
+
+<p>Un peu plus dans l’intérieur de cette vallée, au delà des
+tombeaux, sur la droite, sont les restes des habitations&nbsp;: ce
+sont de petites murailles en pierres sèches tirées d’un des filons
+de la montagne, pierres noires, dures, cassantes et probablement
+porphyriques.</p>
+
+<p>Tout autour de ces habitations sont des meules de moulins à
+bras, en différents porphyres qui ne se trouvent pas sur le lieu
+même. On trouve aussi beaucoup de blocs de même
+composition,<span class="pagenum" id="Page_26">[26]</span> sur
+lesquels l’on écrasait quelque chose, et semblables à ceux dont on
+se sert dans tout le Soudan pour moudre le grain. La pièce avec
+laquelle on broyait la matière, sur ce genre de pierre à moulin, et
+que l’on tenait à la main, était un gros morceau de quartz mêlé de
+parties micacées&nbsp;; il y en a des tas, tous rayés et maculés,
+ce qui prouve évidemment que l’on frottait ces morceaux de quartz
+sur les pierres pour les réduire en poudre, procédé que je n’ai vu
+que là.</p>
+
+<p>Dans la montagne, j’ai remarqué quelques travaux dans des
+terrains schisteux rougeâtres et des roches granitiques, travaux
+dont le but était d’enlever les parties quartzeuses&nbsp;; mais il
+n’y a aucun filon continu.</p>
+
+<p>A côté de cet établissement, dans la vallée, était une source
+qui servait pour le lavage du quartz pulvérisé. On dit que, depuis
+une quarantaine d’années seulement, elle est tarie, et les Arabes,
+qui ont une manière à eux de tout expliquer, attribuent cette
+malheureuse circonstance à ce qu’un des leurs commit la faute de
+tuer un très-gros serpent qui avait l’habitude de venir boire tous
+les jours à cette source&nbsp;; le serpent étant mort, l’eau
+n’avait plus de raison pour se produire.</p>
+
+<p>Le gouvernement égyptien a fait travailler dans cet endroit,
+mais sans résultat&nbsp;; cependant je sais, bien certainement,
+qu’avec des travaux dirigés avec intelligence, l’on ferait revenir
+la source.</p>
+
+<p>Ce lieu était un établissement pour l’exploitation de l’or, il
+n’y a pas à en douter. Quoique je n’aie pu, ni dans les petites
+veines de quartz micacées de la montagne, ni même parmi les
+morceaux qui ont commencé à être broyés, trouver, à l’œil nu, la
+plus petite parcelle d’or natif, j’en ai l’intime conviction.</p>
+
+<p>Bien que nous ne fussions pas dans la saison des vents chauds,
+nous ressentîmes, pendant les jours que je restai à Souffour et aux
+environs, un vent brûlant qui nous incommoda<span class="pagenum"
+id="Page_27">[27]</span> beaucoup&nbsp;; fort heureusement nous
+avions à discrétion de l’eau bonne et fraîche prise aux réservoirs
+des ravins de la montagne de Raft.</p>
+
+<p>Dans la vallée ou Wadée dellat el Doumat, qui a son principe
+aussi dans la montagne de Raft, plus au S.-O. que la vallée de Oum
+Riche et que celle de Raft même, croissent une grande quantité de
+doums. C’est le palmier éventail, bien différent du palmier qui
+vient en Égypte. Celui-ci ne se bifurque pas, son tronc est droit,
+blanchâtre, et s’élève d’un seul jet, en haut ses branches sont
+courtes, réunies au faîte du tronc elles forment une grosse touffe
+avec les régimes du fruit. Les doums sont aussi réguliers quoique
+bifurqués, ils ont des fruits bien formés, de la grosseur d’un
+petit œuf de poule, de couleur marron foncé, et, comme saveur,
+beaucoup plus doux que ceux d’Égypte. Ces arbres ont donné leur nom
+à la vallée dans laquelle ils croissent.</p>
+
+<p>Cette vallée est bordée de petites montagnes détachées les unes
+des autres et présentant un mélange de gneiss, de granit et de
+porphyre&nbsp;; les parties supérieures sont des schistes disposés
+par couches ou stratifications inclinées de l’est à l’ouest.
+Partout l’on remarque des veines blanches d’un quartz quelquefois
+micacé.</p>
+
+<p>Le terrain qui la sépare de celle de Mourrat, qui est plus au
+sud et court dans la même direction à l’est, se trouve être, à peu
+de chose près, de même formation, il est accidenté aussi par de
+petites colines.</p>
+
+<p>Dans le haut de l’ouadée ou vallée de Mourrat, est un lieu nommé
+dellat el hell, <em>le hameau</em>, où il y a des restes d’une
+exploitation de mines d’or qui semble avoir eu quelque importance.
+Non loin sont des ruines de mauvaises habitations, des espèces de
+huttes en pierres, et enfin plusieurs moulins à bras, faits en
+porphyre.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_28">[28]</span>Sur le bord du
+bassin qui servait de réceptacle aux eaux de pluies, nous trouvâmes
+encore debout les montants d’une chadous, machine composée d’un
+simple levier qui sert à élever les eaux sur tous les bords du Nil,
+en Égypte. Ce chadous servait à élever les eaux pour le lavage du
+minerai, après que l’on avait broyé le quartz avec les moulins.</p>
+
+<div class="figcenter iw6">
+<figure id="i00"><a href="images/i00.jpg"><img src='images/i00.jpg'
+alt=''></a>
+<ul class="cplist">
+<li>A Bassin-puisard où l’on prend l’eau.</li>
+
+<li>B Plan incliné pour le lavage du minerai et déversant dans le
+bassin C.</li>
+
+<li>C Bassin recevant les eaux du lavage.</li>
+
+<li>D Conduit pour faire retourner les eaux dans le bassin A.</li>
+
+<li>E Lit du torrent, réceptacle des eaux de pluie.</li>
+</ul>
+</figure>
+</div>
+
+<p>Par la disposition du lavoir, on voit que l’eau était rare et
+qu’on la faisait servir plusieurs fois.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_29">[29]</span><em>Le hameau</em>
+a dû être habité par des Arabes musulmans, ce que l’on peut
+reconnaître à la disposition de quelques tombeaux et aussi à un
+lieu disposé pour la prière.</p>
+
+<p>Or la consommation d’eau que leurs besoins nécessitaient, en
+dehors de l’exploitation, fait supposer qu’ils avaient d’autres
+ressources que celle dont je viens de parler, et qu’ils utilisaient
+le voisinage du ravin, sur le bord duquel le lavoir était établi.
+Le ravin n’était, sans doute, pas toujours à sec.</p>
+
+<p>Dans la montagne, les filons exploités sont des schistes
+talqueux dans lesquels des veines de quartz micacés servent de
+gangue à de rares parcelles d’or natif. L’exploitation s’en faisait
+toujours à ciel ouvert, et par des moyens tout à fait
+primitifs.</p>
+
+<p>Ces filons sont dirigés du S.-E. au N.-E., leurs gisements
+n’étaient point riches&nbsp;; car les installations sont peu
+considérables. Les travaux, d’ailleurs, paraissent avoir été
+conduits sans aucune règle, c’est à peine si l’on a gratté les
+couches aurifères. Cet établissement, enfin, semble beaucoup plus
+moderne que celui de Raft.</p>
+
+<p>La vallée de Mourrat, dans le haut de laquelle se trouve le
+petit établissement dont nous venons de parler, va se perdre dans
+la grande vallée de Gabgabba.</p>
+
+<p>Dans cette vallée de Mourrat, sont des puits qui se trouvent sur
+la route directe de Corouscos à Abou Ahmed&nbsp;; ils sont creusés
+dans le lit du torrent. Les plus nouveaux sont les meilleurs pour
+la qualité de l’eau, quoique, dans tous, elle soit saumâtre et
+extrêmement désagréable à boire.</p>
+
+<p>Mourrat est une ancienne station où l’on est certain de trouver
+toujours de l’eau, ce qui est une grande ressource pour les
+caravanes qui traversent ce désert.</p>
+
+<p>Sur les rochers environnant les puits l’on voit des figures de
+vaches avec d’immenses cornes et aussi quelques chevaux&nbsp;;
+j’y<span class="pagenum" id="Page_30">[30]</span> ai vu un nom en
+caractères hyérogliphiques&nbsp;; mais le tout est seulement piqué
+sur les rochers et peu marqué.</p>
+
+<p>Près de Mourrat, en allant sur la route d’Abou Ahmed, est un
+bloc de granit, auquel sa forme, qui est celle d’un crocodile, a
+fait donner le nom de Hagiar el Timsah<a id=
+"FNanchor_8"></a><a href="#Footnote_8" class=
+"fnanchor">[8]</a>.</p>
+
+<p>En se dirigeant vers le sud, l’on passe, pendant près de 10
+kilomètres, entre de petites montagnes formées de blocs de granit
+qui s’élèvent dans des sables. Sur la droite, vers l’ouest, sont de
+hautes montagnes, et devant soi, à une grande distance, l’on a le
+groupe des montagnes d’Absâh. Le reste du sol est plat, entrecoupé
+par des filons, à fleur de terre, formés de quartz blanc, souvent
+laiteux, et courant tous du S.-O. au N.-O.</p>
+
+<p>Jusqu’à ce dernier groupe, qui est à onze heures de marche des
+puits de Mourrat, l’on marche dans une plaine de sable.</p>
+
+<p>La route directe traverse la montagne par une gorge assez
+étroite. En prenant une autre route, sur la droite, après avoir
+marché pendant quelques heures, l’on entre dans un ravin où l’on
+trouve, lorsqu’il a fait des pluies, plusieurs réservoirs pleins
+d’une excellente eau.</p>
+
+<p>La vallée d’Absâh coule au sud du groupe de montagnes de ce
+nom&nbsp;; elle a peu d’étendue et va se perdre, comme toutes les
+autres vallées, dans celle de Gabgabba.</p>
+
+<p>En débouchant du défilé ou gorge dont nous venons de parler, et
+en entrant dans la vallée d’Absâh, l’on trouve, sur le côté gauche,
+beaucoup d’habitations en ruines et une petite colline, toute
+bouleversée par la main des hommes, où l’on voit clairement que la
+pierre, qui a été enlevée, était un quartz très-peu micacé et
+presque pur.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_31">[31]</span>A l’est de ce
+point, entre la montagne et le lit de la vallée d’Absâh, sur la
+route directe de Corouscos à Abou Ahmed, nous découvrîmes encore
+d’autres restes d’habitations, espèce de huttes en pierres qui ont
+servi anciennement aux mineurs établis dans ce lieu. On y voit,
+entassée dans ces huttes, la gangue du minerai, et le minerai
+lui-même cassé en petits morceaux et prêt à être broyé par les
+moulins qui sont en grand nombre. Les mêmes moulins se retrouvent
+dans un établissement semblable, un peu plus loin, sur le bord du
+torrent, au pied d’une autre une petite colline. Là sont aussi les
+restes d’un lavoir comme celui de Raft, à Dellat el Hell.</p>
+
+<p>C’est sur le bord de la même vallée d’Absâh, au S. 1/4 S.-E. des
+huttes que s’élève cette dernière colline qui a été beaucoup
+travaillée aussi&nbsp;; l’on n’y a suivi aucun filon, ni rien fait
+régulièrement&nbsp;; comme ailleurs, tout y a été attaqué
+superficiellement. Le minerai, qui est toujours du quartz plus ou
+moins micacé contenu par petits filons dans des formations
+schisteuses, ou des gneiss décomposés, était pris là et transporté
+aux habitations pour y être traité.</p>
+
+<p>Premièrement, il était cassé en petits morceaux de la grosseur
+d’un demi-centimètre cube, au moyen de grosses pierres de porphyre
+arrondies que l’on jetait sur le minerai posé dans des trous faits
+naturellement sur la surface d’une roche&nbsp;; puis ensuite ce
+minerai concassé était broyé en poudre très-fine, et cette poudre
+lavée sur les lavoirs dont j’ai parlé. Les parcelles d’or plus
+pesantes restaient sur le plan incliné, d’où probablement on les
+enlevait avec des éponges, si l’on en possédait, ou avec des
+chiffons.</p>
+
+<p>Tous ces moyens, on le voit, étaient bien primitifs et devaient
+produire fort peu&nbsp;; cependant ce dernier établissement semble
+avoir prospéré.</p>
+
+<p>A Absâh, après les pluies, l’on trouve beaucoup d’eau
+partout<span class="pagenum" id="Page_32">[32]</span> dans les
+rochers, et effectivement nous en vîmes dans plusieurs endroits.
+Cette circonstance donnait, aux mineurs de cette localité, des
+avantages que ceux de Raft n’avaient pas&nbsp;; de plus, il existe
+dans le ravin, au fond d’une grande fissure, un puits qui a
+toujours donné de l’eau, jusqu’à ces dernières années, assez
+abondamment pour former un petit ruisseau. Les Arabes prétendent
+que, dans certains moments, ce puits vomissait des plantes et des
+morceaux de bois des bords du Nil&nbsp;; car il se trouvait,
+disent-ils, souterrainement en communication naturelle avec le
+fleuve. Ce qu’il y a de certain, c’est que de grosses pierres
+détachées de la montagne ont roulé dans le puits et l’ont
+comblé<a id="FNanchor_9"></a><a href="#Footnote_9" class=
+"fnanchor">[9]</a>.</p>
+
+<p>Absâh est l’endroit le plus important de la route de Corouscos à
+Abou Ahmed&nbsp;; aussi, pour nous rendre plus vite de cet endroit
+au Nil, où devait s’organiser notre grand voyage, ne donnerai-je
+qu’un journal sommaire du reste de la route que nous avons
+suivie.</p>
+
+<p>Nous avions marché six jours depuis le 8 septembre, à trois
+heures du soir, et nous étions arrivés, le 14 au matin, à l’ouadée
+Absâh.</p>
+
+<p>Nous en repartîmes le 14 au soir et nous nous arrêtâmes bientôt,
+pour coucher, dans un endroit où heureusement les pluies avaient
+fait verdir quelques plantes que nos dromadaires mangèrent. Il fit
+un fort vent très froid, et de gros nuages passaient au-dessus de
+nous.</p>
+
+<p>Le 15, on se mit en marche, et nous traversâmes, par une gorge,
+le groupe des montagnes de Adar aweb. Ce groupe s’élève par
+mamelons séparés, formés graduellement de gneiss<span class=
+"pagenum" id="Page_33">[33]</span> et de schistes, et présentant
+l’aspect particulier d’une irruption volcanique.</p>
+
+<p>Là aussi l’on a fait des travaux de reconnaissance pour trouver
+des filons métalliques.</p>
+
+<p>Puis s’offrit à nos yeux une immense plaine aride, à l’horizon
+de laquelle apparaissaient de petites montagnes embrumées. Nous
+nous arrêtâmes dans une vallée peu profonde, voisine de la montagne
+et dite, comme elle, ouadée Adar aweb.</p>
+
+<p>Dans l’E.-S.-E. était une montagne nommée Abou Nogarra, qui veut
+dire le Père de la Grosse caisse&nbsp;; elle est nommée ainsi parce
+que, de temps en temps, l’on y entend des bruits comme ceux que
+produisent des coups frappés sur un gros tambour. La formation de
+cette montagne ferait effectivement penser qu’il y a là un ancien
+volcan éteint.</p>
+
+<p>On se remit en route à deux heures après midi, en se dirigeant
+au S. 1/4 S.-E. Nous passâmes entre deux petites montagnes nommées
+l’Gourabieh, et nous continuâmes à marcher sur un terrain couvert
+de cailloux roulés, mais tous plats.</p>
+
+<p>Au déclin du jour, après une heure de halte, pour faire reposer
+les chameaux, nous fîmes route jusqu’à l’ouadée l’Férouh, où nous
+couchâmes&nbsp;; il était minuit.</p>
+
+<p>Le 16. Au soleil levant, nous recommençâmes notre marche
+toujours dans la même direction&nbsp;; le pays était plat, couvert
+de cailloux. Après sept heures, par une chaleur excessive, nous
+arrivâmes à la montagne de Mogronne, où nous nous arrêtâmes à
+l’ombre rare de quelques arbres rabougris&nbsp;; mais je fis
+dresser ma tente qui nous donna un abri plus agréable.</p>
+
+<p>Nous en repartîmes à trois heures, et six heures nous suffirent
+pour arriver tout près de Abou Ahmed, non loin du Nil. Nous nous
+arrêtâmes là, afin de ne pas arriver chez le chek Baraca pendant la
+nuit.</p>
+
+<p>Le 17. Le matin, après une heure de marche, nous
+étions<span class="pagenum" id="Page_34">[34]</span> devant le Nil,
+dans l’enceinte du bâtiment servant de magasin au gouvernement, et
+où le chek Baraca m’avait fait préparer une maison arabe.</p>
+
+<p>La première chose dont je m’occupai fut de faire expédier
+immédiatement des courriers aux cheks des Bicharieh qui devaient
+nous conduire dans leur désert et, le soir même, tous avaient pu
+partir dans différentes directions.</p>
+
+<p>Le séjour d’Abou Ahmed est peu agréable&nbsp;; sa situation au
+sud des cataractes, et la présence des bois qui les avoisinent
+rendent cependant le pays relativement pittoresque.</p>
+
+<p>Les bois sont remplis de singes qui, à l’approche des hommes,
+s’enfuient dans les doums ou palmiers éventails. Pour les
+attrapper, les Arabes mettent le feu aux arbres, ce qui oblige ces
+animaux à sauter à terre.</p>
+
+<p>Abou Ahmed est un lieu important, parce que les caravanes qui
+viennent de traverser le désert de Corouscos s’y arrêtent pour se
+reposer, et parce que celles qui se rendent en Égypte s’y préparent
+pour le voyage.</p>
+
+<p>Fort souvent ici, dans les premières années de l’expédition du
+Soudan, au moment de la conquête, il s’est livré des combats
+très-sanglants entre les Arabes Bicharieh et les troupes qui
+venaient d’Égypte. Un corps de troupes irrégulières, composé de
+cinq cents à huit cents cavaliers et commandé par un certain Cojia
+Ahmet, ancien serviteur de Méhémet Ali, finit très-mal. Un jour
+qu’ils étaient campés près du fleuve, en vue d’Abou Ahmed, fatigués
+par une traversée qu’ils venaient de faire dans le désert, ces
+cavaliers furent assaillis à l’improviste par les Bicharieh, qui
+les mirent en déroute. Ceux qui échappèrent aux sabres et aux
+lances des Arabes furent précipités dans les cataractes, où ils se
+noyèrent.</p>
+
+<p>Nous attendîmes à Abou Ahmed jusqu’au 22 l’arrivée des cheks
+Bicharieh, qui enfin vinrent nous trouver&nbsp;; ils
+paraissaient<span class="pagenum" id="Page_35">[35]</span> tous
+très-farouches&nbsp;; cependant nous fûmes bientôt bons amis. Tous
+ces cheks étaient chefs de tribus non soumises au
+gouvernement&nbsp;; mais l’influence du chek Baraca, allié par des
+mariages avec plusieurs d’entre eux, et, ensuite, les relations que
+j’avais eues moi-même, dans des voyages précédents, avec le chek
+principal des Bicharieh, à Balouc, près Goos Regeb, furent cause
+qu’ils se montrèrent très-contents de nous conduire dans leurs
+montagnes.</p>
+
+<p>Nous préparions tout pour notre prochain départ, et nous étions
+enchantés de voir la bonne tournure que prenaient les choses,
+lorsque malheureusement de nouvelles circonstances vinrent mettre
+des entraves, au moins pour le moment, à l’exécution de mes
+projets.</p>
+
+<p>Le gouverneur du Soudan Courchoud Pacha, homme ignorant comme
+beaucoup de ses collègues, ne voyant pas dans le voyage que je
+voulais faire une chose fort importante, soit qu’il eût
+véritablement besoin du chek Baraca pour son propre compte, soit
+pour une autre raison, écrivit à ce chek, et lui donna l’ordre de
+venir le trouver à Kartoum, lui enjoignant de quitter là mon
+service, en laissant, toutefois, un des siens auprès de moi. Le
+chek Baraca me dit que, sans lui, il ne me laisserait point aller
+chez les Bicharieh. Les cheks me dirent aussi que, sans le chek
+Baraca, ils ne pouvaient me mener où je voulais aller.</p>
+
+<p>Fallait-il prendre sur moi de retenir Baraca, qui prétendait
+être appelé à Kartoum pour une chose insignifiante&nbsp;? Je n’osai
+m’y décider, ne voulant pas me mettre en hostilité avec un
+gouverneur, qui aurait trouvé mille prétextes pour prouver que
+j’avais eu tort de lui résister. Je me décidai donc à retourner au
+Caire, afin d’informer le vice-roi de ce qui se passait et me
+mettre en mesure de revenir ensuite avec des ordres bien positifs
+pour Courchoud-Pacha.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_36">[36]</span>Après avoir
+contenté tout le monde, après avoir renvoyé les cheks Bicharieh en
+leur promettant qu’ils me reverraient bientôt, et que
+j’effectuerais mon voyage dans leur pays, je repris la route de
+Corouscos, car j’y avais laissé ma barque, et je descendis le Nil
+jusqu’au Caire, où j’arrivai en peu de jours.</p>
+
+<hr class="decor width5">
+
+<hr class="chap">
+
+<p class="pb space-above2">
+</p>
+
+<hr class="decordb width20">
+
+<h2 class="nopb space-above1 large letter-spaced01"><span class=
+"pagenum" id="Page_37">[37]</span><a id="c2"></a>DEUXIÈME
+PARTIE.</h2>
+
+<hr class="decor width4 spaced2">
+
+<p>Ce ne fut que deux mois plus tard que je pus me mettre une
+seconde fois en route pour le pays des Bicharieh, et je possédais
+tous les ordres nécessaires, tous les pouvoirs pour être sûr que je
+ne rencontrerais ni entraves, ni obstacles d’aucune sorte de la
+part des Turcs.</p>
+
+<p>Le voyage sur le Nil fut long&nbsp;; c’était au mois de novembre
+et, à cette époque de l’année, les vents soufflent souvent du sud
+et sont, par conséquent, contraires.</p>
+
+<p>Enfin j’arrivai à Assouan, lieu où le voyage devait s’organiser,
+à la fin de décembre. Avec le chek Baraca, le gouverneur d’Assouan
+et quelques autres cheks, nous combinâmes tout&nbsp;; les vivres
+furent préparés, les outres remplies, les chameaux et les
+dromadaires réunis.</p>
+
+<p>L’arabe Saad Wed Neimer, de la tribu des Ababdieh, fils du grand
+et légitime chek Neimer, que j’ai déjà nommé, était venu de Kartoum
+avec l’intention de m’accompagner&nbsp;; mais, quoiqu’il fut bien
+connu et bien posé à cause de sa famille, je refusai néanmoins ses
+services&nbsp;; je lui dis que les ordres que j’apportais étaient
+pour Baraca et non pour lui, et que je ne pouvais rien y changer.
+En réalité, c’est qu’à mes yeux Baraca était plus important et que
+j’attendais mieux de<span class="pagenum" id="Page_38">[38]</span>
+lui&nbsp;; car il était frère de ce Kralif, déjà nommé aussi, qui
+avait usurpé l’autorité, au détriment de Saad, et qui gouvernait,
+en quelque sorte, tout le pays.</p>
+
+<p>On prétendit qu’il me serait impossible de faire le voyage chez
+les Bicharieh sans prendre une nombreuse escorte. Le gouverneur
+voulait me donner des soldats turcs, chek Saad m’offrait des
+Ababdieh. Nous convînmes avec Baraca que, seulement pour la forme,
+je prendrais dix Ababdieh de sa tribu, et que lui, comme suite,
+aurait encore dix hommes. Le <em>naser</em> du gouvernement, les
+notables du pays, les cheks Ababdieh et même ceux des Bicharieh
+assurèrent qu’il me fallait au moins soixante hommes armés, et à
+dromadaires. Chek Saad insistait beaucoup sur cela, disant que je
+pouvais rencontrer des malfaiteurs, des voleurs ou bien encore les
+mécontents des tribus que le gouverneur de Berber venait de
+maltraiter&nbsp;; les Arabes de Taka ou de El Bâque seraient aussi
+à craindre. Chek Saad était intéressé dans cette affaire&nbsp;; car
+il devait fournir son contingent d’hommes et de montures. Ce chek,
+d’ailleurs, pensait lui-même aux bruits qu’il avait fait répandre
+sur mon compte&nbsp;; il avait dit partout que je venais enlever
+des trésors qui étaient cachés et reconnaître les routes afin d’y
+conduire plus tard des troupes pour m’emparer du pays.</p>
+
+<p>Je repoussai Saad qui, outre ses prétentions, intriguait, de
+connivence avec les chameliers et d’autres individus, pour faire
+payer le plus cher possible tout ce dont j’avais besoin, et je le
+menaçai de le faire partir de force pour Kartoum, accompagné de
+soldats et enchaîné s’il ne s’éloignait immédiatement&nbsp;; ce
+qu’il crut prudent de faire.</p>
+
+<p>Malgré tout, nous fûmes obligés pour contenter les cheks de
+prendre plus de dromadaires, plus de chameaux et plus de monde que
+je n’en voulais.</p>
+
+<p>J’avais distribué quelques cadeaux, donné d’avance de
+l’argent<span class="pagenum" id="Page_39">[39]</span> pour des
+services qui n’étaient pas rendus, il est vrai, mais qui étaient
+bien garantis&nbsp;; j’avais manœuvré de manière à m’assurer
+plusieurs dévouements&nbsp;; il ne restait plus rien à faire.</p>
+
+<p>Le 30 janvier, avant le lever du soleil, le chek Baraca nous
+envoya nos chameaux de charge et nos dromadaires&nbsp;; l’on
+chargea les uns, sella les autres, et l’on partit.</p>
+
+<p>Les habitants d’Assouan qui sont les gens les plus désœuvrés du
+monde, vivant du produit de leurs dattiers et du transport des
+marchandises qui doivent passer les cataractes pour remonter le Nil
+ou le descendre, poursuivant le voyageur qui vient, dans leur pays,
+pour visiter les antiquités, l’inquiétant dans le but seul de lui
+arracher quelques piastres, voient en tout un événement qui les
+surexcite&nbsp;; aussi notre départ fit-il sensation dans la ville.
+Les enfants demandaient des bacchiche, les femmes faisaient leur
+glou-glou-glou significatif<a id="FNanchor_10"></a><a href=
+"#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>, et les hommes nous
+donnaient mille bénédictions. Beaucoup d’entr’eux nous
+accompagnèrent pendant un assez long temps.</p>
+
+<p>Notre caravane formait une petite armée très-leste et surtout
+fort pittoresque&nbsp;; il y avait peu de chameaux de charge, mais
+bien soixante-dix dromadaires tous montés, et sur lesquels étaient
+distribués la plus grande partie des bagages, les vivres et l’eau.
+Les cavaliers, avec le corps à moitié nu, avec les cheveux crépus
+et incultes, étonnaient par leur étrangeté&nbsp;; ils étaient armés
+de boucliers, de lances et de sabres, tous valides et animés, comme
+il arrive dans un moment pareil où bêtes et hommes sont impatients
+de se mouvoir&nbsp;; et tout cet ensemble<span class="pagenum" id=
+"Page_40">[40]</span> faisait un tableau singulier qui se
+développait au milieu des rochers de granit parsemés sur un sol
+aride et sans végétation.</p>
+
+<p>Ce premier jour, nous marchâmes peu, et après cinq heures de
+route, nous campâmes à l’endroit nommé <em>Ogab el Melh</em>
+(station du sel). Les chameliers, qui n’avaient pas bien partagé
+les charges, restèrent fort longtemps le lendemain matin pour les
+organiser, ce qui fit que nous ne partîmes que vers les huit
+heures&nbsp;; la nuit avait été fraîche, et le matin il faisait
+froid.</p>
+
+<p>Nous passâmes par la vallée de Demit qui vient déboucher dans le
+Nil à l’endroit qui porte son nom. C’est un large lit qui reçoit
+tous les torrents des montagnes environnantes quand il pleut.</p>
+
+<p>Ensuite nous entrâmes dans une gorge traversant les montagnes de
+Dégo, groupe de rochers de granit peu élevés, appartenant toujours
+à la vallée de Demit qui perd ici son nom pour prendre celui de la
+montagne.</p>
+
+<p>Le fond du sol est composé d’un gros gravier de granit mélangé
+de sable&nbsp;; mais il est encombré de pierres roulées, de toute
+espèce, car cette vallée torrentueuse, qui vient de loin apporte
+les détritus des montagnes qu’elle traverse avant d’arriver à
+Dégo.</p>
+
+<p>Il offre peu de végétation&nbsp;; pourtant l’on y trouve des
+salem, espèce de genets, et des mimosas Sihale en grand
+nombre&nbsp;; ceux-ci se coupent pour faire du charbon que l’on
+vend sur le marché d’Assouan.</p>
+
+<p>Nous arrivâmes bientôt à Oum Eubal dont j’ai parlé déjà au sujet
+du chek Kralif et de la fuite des mamelouks d’Assouan à
+Dongola.</p>
+
+<p>A Oum Eubal, dans la vallée même, est une caverne souterraine
+dans laquelle se trouve une source. On y descend par une espèce de
+puits qui a été construit en pierres brutes de granit, et sa
+margelle ainsi que toute sa partie supérieure en<span class=
+"pagenum" id="Page_41">[41]</span> briques cuites et en mortier.
+J’ai remarqué que ces briques étaient de deux qualités, et, d’après
+leur forme et leur disposition, j’ai constaté que ce puits avait
+été construit, sinon par les Romains, au moins réparé avec des
+matériaux romains, comme ceux que l’on trouve dans les ruines
+d’Assouan. Nos guides prétendirent avoir vu des inscriptions sur
+les rochers environnants&nbsp;; mais, malgré toutes leurs
+recherches et les nôtres, nous ne pûmes les retrouver.</p>
+
+<p>Ce n’est pas le seul endroit de ces montagnes où l’on trouve à
+se désaltérer, surtout quand il a plu&nbsp;; mais depuis longtemps
+il n’était pas tombé une goutte d’eau, et nous dûmes mettre le
+puits à contribution.</p>
+
+<p>Nous campâmes tout auprès pour y passer la nuit. Dans les
+environs campaient aussi quelques Bicharieh qui allaient vendre à
+Assouan du séné et des moutons&nbsp;; ils eurent une grande peur de
+nous, cependant ils se rassurèrent bientôt et vinrent se joindre à
+nos Arabes.</p>
+
+<p>Tout ce rassemblement, avec ses chameaux, ses dromadaires et ses
+hommes, remplissait la vallée où se massaient une foule de groupes
+formés tout autour de grands feux&nbsp;; car le froid était
+pénétrant. C’était encore un tableau pittoresque éclairé par les
+flammes et sous un ciel brillant d’étoiles. Les broussailles et les
+plantes sèches, pour brûler, ne nous manquèrent pas.</p>
+
+<p>Le 1<sup>er</sup> février nous perdîmes beaucoup de temps à
+remplir nos outres, parce que le puits ne fournissait qu’une petite
+quantité d’eau&nbsp;; cette opération était importante.</p>
+
+<p>En partant, la route que nous avions à suivre remontait la
+vallée pendant une lieue environ, nous en sortîmes pour marcher sur
+un terrain bien plus ouvert où, à des distances éloignées se
+voyaient de petites montagnes séparées les unes des autres&nbsp;;
+elles étaient de formations de grès, entrecoupées de<span class=
+"pagenum" id="Page_42">[42]</span> rochers granitiques qui les
+avaient soulevées, et ceux-ci étaient remplis de veines de quartz
+très-blanc.</p>
+
+<p>Devant nous était une montagne plus élevée nommée <em>Her el
+Couffa</em>, qui donne son nom à une vallée qui vient déboucher ou
+se perdre dans celle de Dégo.</p>
+
+<p>Pour arriver à la montagne de Her el Couffa, nous traversâmes
+deux immenses plaines de sable solide, où il n’y avait pas un brin
+de végétation&nbsp;; cependant quand il pleut ces plaines
+verdissent et deviennent couvertes de pâturages pour les troupeaux
+des Arabes&nbsp;; malheureusement il y avait plusieurs années
+qu’aucun orage n’était venu humecter le terrain.</p>
+
+<p>En poursuivant, et après avoir passé la montagne Her el Couffa,
+est encore une plaine, semblable aux autres, qui se termine à un
+lieu nommé Bab el Déhessi, éloigné de Oum Eubal de onze heures de
+marche.</p>
+
+<p>Avant d’arriver à ce lieu, nous trouvâmes une vieille femme
+Bichari, avec son fils, conduisant un chameau chargé de séné
+qu’elle allait vendre à Assouan&nbsp;; ils avaient l’air
+très-pauvres tous les trois.</p>
+
+<p>Nous apprîmes d’elle que les Bicharieh fuyaient loin de la route
+que je devais suivre, ayant une grande peur, parce que l’on disait
+que nous avions avec nous beaucoup de soldats turcs. Ceci était la
+suite des bruits répandus par le chek Saad.</p>
+
+<p>Lorsque nous campâmes, plusieurs Arabes Bicharieh qui étaient
+dans le même endroit, avec des grains qu’ils portaient chez eux, et
+avec des moutons et du séné à destination d’Assouan, parurent
+inquiets et firent mine de vouloir s’échapper&nbsp;; mais dès
+qu’ils virent chek Baraca, qui était de leur connaissance, ils
+restèrent avec nous, et le soir, lorsque notre campement fut
+terminé, les feux allumés, je leur demandai pourquoi ils avaient eu
+l’air de nous craindre et de vouloir s’enfuir&nbsp;? ils me
+répondirent<span class="pagenum" id="Page_43">[43]</span> que ce
+n’était pas nous qu’ils craignaient ni les Arabes qui nous
+accompagnaient&nbsp;; mais qu’ayant une affaire de sang avec les
+gens et la famille du chek Ababdi Carar, ils avaient eu peur de
+rencontrer des Arabes de sa tribu parmi les nôtres. Ayant exprimé
+alors le désir de connaître la raison ou plutôt l’histoire qui les
+forçait à s’éloigner des gens de Carar, l’un d’eux, tout en fumant
+la pipe et prenant le café, voulut bien me la raconter. Comme cette
+histoire dépeint bien les mœurs des Arabes Ababdieh qui ressemblent
+beaucoup aux mœurs des Bicharieh, je la rapporterai ici&nbsp;:</p>
+
+<p>Dans un des petits hameaux qui entourent Derrawé, village
+entièrement peuplé d’Ababdieh et de Bicharieh, un soir étaient
+réunis, dans une cabane de roseaux recouverts en terre, plusieurs
+Ababdieh et Bicharieh qui, dans cette espèce de cabaret, buvaient
+du Bouza et du Méris, tout en fumant, chantant et se divertissant.
+Parmi ces Arabes était le nommé Babecr, fils du chek Carar, chef
+d’une des tribus des Ababdieh&nbsp;; il y avait aussi un nommé
+Mahamet Nour et son cousin, tous les deux Bicharieh. Ce dernier,
+c’est-à-dire le cousin, se prit de querelle avec un parent de
+Babecr qui lui jeta le vase contenant le méris à la figure.
+L’offensé se leva et prit sa lance pour combattre son
+adversaire&nbsp;; mais comme cet incident avait fait beaucoup de
+tapage dans la cabane, tout le monde était en rumeur, se poussant,
+criant, gesticulant, et, dans ce tumulte, le susdit cousin de
+Mahamet Nour fut frappé, traîtreusement et par derrière, près de
+l’épaule. Il tomba avec un couteau enfoncé jusqu’au manche, dans sa
+blessure. On s’empressa, autour du blessé, pour lui porter secours,
+et Babecr, étant le plus important de l’assemblée, demanda la
+permission de retirer le couteau&nbsp;; alors il en prit le manche,
+et, favorisé par l’obscurité, laissant tomber son vêtement sur sa
+main, il le tourna et retourna dans tous les sens, afin d’agrandir
+la plaie, et avec l’intention sauvage<span class="pagenum" id=
+"Page_44">[44]</span> d’achever, sans qu’on s’en aperçût, celui qui
+avait eu querelle avec son parent.</p>
+
+<p>Le moribond, sentant les déchirures du couteau, prit toutes les
+personnes présentes à témoin, et dit que s’il mourait ce n’était
+pas de la main de celui qui lui avait porté le premier coup, mais
+bien de celle de Babecr&nbsp;; il mourut en effet. La famille du
+Bicharieh demanda justice&nbsp;; mais les gens de Carar étant
+puissants, elle ne put rien obtenir. Mahamet Nour, de son côté, ne
+fut pas plus heureux, il retourna dans le désert avec la ferme
+volonté de venger lui-même son cousin.</p>
+
+<p>Quelques temps après cet événement, Babecr devant aller chez les
+Bicharieh pour des affaires importantes, l’on réunit tous les
+parents du mort pour provoquer un arrangement. Mahamet Nour seul,
+qui conservait toujours ses idées de vengeance, ne parut pas à la
+réunion, il profita au contraire de cette circonstance pour laisser
+croire qu’il avait oublié la mort de son cousin. Son but était de
+ne recevoir, sous aucun prétexte, le prix du sang répandu afin
+d’avoir le droit de le répandre lui-même.</p>
+
+<p>Babecr effectua son voyage&nbsp;; mais, au retour, Mahamet Nour
+feignant d’avoir des affaires aussi, se mit en route en même temps
+que lui. Il cachait si bien son projet, que personne ne pouvait le
+soupçonner.</p>
+
+<p>Un jour pendant la route, se trouvant en avant de la caravane
+avec Babecr, et croyant le moment favorable, il fit une première
+tentative qui ne réussit pas, et voici pourquoi&nbsp;:</p>
+
+<p>Ayant fait tomber la conversation sur les armes à feu, il avait
+dit à Babecr que tout dernièrement il venait d’acquérir un
+très-beau pistolet, qu’il l’avait chargé, et que, ne l’ayant pas
+encore tiré, il ne savait s’il partirait, que son désir était de
+l’essayer&nbsp;; mais qu’il n’avait pas de munitions pour le
+recharger.<span class="pagenum" id="Page_45">[45]</span> Babecr,
+qui n’était ni fin ni soupçonneux, sa conduite le prouve, consentit
+à lui en fournir.</p>
+
+<p>Mahamet Nour pressa la détente du pistolet en question, qui fit
+feu parfaitement&nbsp;; il regretta intérieurement de ne l’avoir
+pas déchargé sur Babecr.</p>
+
+<p>Alors ils descendirent de dromadaire pour procéder à ce qui
+était convenu. Mahamet Nour, dès ce moment, était bien décidé à
+tirer sur son compagnon de route, certain qu’il ne le manquerait
+pas et qu’il pourrait fuir facilement dans le désert&nbsp;; mais il
+n’eut pas le temps d’accomplir son projet. Le pistolet n’était pas
+encore rechargé que les gens de Babecr, qui marchaient derrière,
+émus par le coup de feu qu’ils avaient entendu et craignant pour
+leur chef un accident quelconque, étaient arrivés au plus vite de
+leurs montures&nbsp;; ils furent étonnés de voir les deux Arabes,
+calmes en apparence, occupés tranquillement à charger une arme.
+Toutefois Babecr, en voyant l’air inquiet de ses gens, et aussi
+l’attitude de Mahamet Nour, qui ne lui sembla plus naturelle,
+conçut des soupçons sur ses intentions. Il lui remit le pistolet
+chargé, mais sans y ajouter l’amorce, ce dont le propriétaire n’eut
+pas l’air de s’apercevoir.</p>
+
+<p>Le coup projeté par Mahamet Nour n’avait donc pas réussi&nbsp;;
+ce n’était qu’une expérience acquise et une leçon pour mieux
+prendre ses mesures à l’avenir.</p>
+
+<p>Arrivés à Derrawé tout le monde se sépara.</p>
+
+<p>L’homme qui cherche une vengeance a la patience d’une bête
+fauve&nbsp;; il ne se lasse point. Mahamet Nour aurait épié toute
+sa vie une nouvelle occasion favorable à son dessein&nbsp;; mais
+cette occasion se présenta peu de temps après l’affaire du
+pistolet.</p>
+
+<p>Se trouvant un jour à Derrawé, il apprit que Babecr se mariait
+le soir même, et, qu’en attendant la nuit, il passait son temps à
+boire du méris, ce qui est l’habitude dans tous les
+villages<span class="pagenum" id="Page_46">[46]</span> ababdieh sur
+les bords du Nil, où les Arabes sont en général
+très-débauchés&nbsp;; ils ne le cèdent qu’à leurs femmes, dont les
+dérèglements dépassent toute expression.</p>
+
+<p>Mahamet Nour n’avait pas de plan bien arrêté&nbsp;; mais, en
+toute prévision, il alla remplir son outre d’eau, attacher à
+l’écart son dromadaire bien préparé&nbsp;; puis il vint au lieu où
+l’on buvait. Le bruit, les chants y étaient étourdissants comme le
+soir de l’assassinat de son cousin. Cette coïncidence, qui le
+surexcita, lui fit concevoir une machination infernale. Voyant que
+Babecr était déjà parti, il courut à la case de la nouvelle mariée
+et parvint, sans être vu, à se cacher sous le lit<a id=
+"FNanchor_11"></a><a href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a>,
+qui est élevé de terre de 50 à 40 centimètres et soutenu sur quatre
+pieds.</p>
+
+<p>Il est inutile de retracer les détails, que me donna le conteur,
+sur l’impatience de l’assassin, qui faillit, plus d’une fois, se
+trahir, et sur l’état de déraison où se trouvait la victime, état
+occasionné par l’action des liqueurs absorbées, bien plus que par
+un autre mobile, plus ordinaire en cette circonstance. Ce qui
+arriva, c’est qu’au bout de quelques heures Babecr fut trouvé,
+baigné dans son sang, à côté de sa femme dont les cris ne
+parvinrent pas à le rappeler à la vie.</p>
+
+<p>Mahamet Nour était sorti de sa cachette quand il avait jugé le
+moment favorable&nbsp;; il avait, avec un sang-froid incroyable,
+promené légèrement sa main gauche sur les deux époux afin d’être
+bien sûr qu’il ne se trompait pas, et il avait plongé son poignard,
+qu’il tenait de la main droite, dans le ventre du meurtrier de son
+cousin, en lui labourant les entrailles, comme il avait été fait
+des entrailles de celui-ci&nbsp;; puis il avait attendu, avant de
+s’échapper, que la mort de Babecr fût bien constatée.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_47">[47]</span>Tout autre s’en
+serait tenu là, et se serait enfui. Mahamet ne le jugea pas
+ainsi&nbsp;: par un raffinement de cruauté, dont ces Arabes seuls
+sont capables, il se rendit à l’endroit où étaient encore beaucoup
+de camarades du mort, continuant l’orgie commencée la veille, et il
+leur dit audacieusement de ne pas se tromper sur le meurtrier de
+Babecr, que c’était bien lui, Mahamet Nour, qui l’avait tué et
+qu’il retournait dans son pays satisfait d’avoir consommé sa
+vengeance et le cœur réjoui et content. Ce fut alors seulement qu’à
+la faveur de la stupéfaction générale et favorisé par l’obscurité,
+il rejoignit son dromadaire, sauta en selle et retourna dans sa
+tribu.</p>
+
+<p>Parmi les Bischarieh cet homme est regardé comme un héros, il
+était avec les Arabes que nous trouvâmes à Bab el Déhessi.</p>
+
+<p>La veillée avait été remplie au moyen de cette histoire, et
+chacun songea à prendre du repos.</p>
+
+<p>Longtemps avant le jour le chek Baraca, qui ne savait pas juste
+l’heure, croyant qu’il était temps de lever le camp réveilla tout
+le monde&nbsp;; mais il faisait tellement froid que nous ne
+partîmes qu’après le lever du soleil.</p>
+
+<p>Le pays que nous traversâmes était comme parsemé de petites
+montagnes, il y en avait de tous côtés&nbsp;; ces montagnes,
+nullement liées entre elles, étaient toutes composées de grès que
+perçaient, de distance en distance, de très-forts rochers de
+granit.</p>
+
+<p>Nous avions, droit devant nous, une montagne plus importante
+nommée el Nassié. Avant d’y arriver, nous passâmes auprès d’un
+rocher d’un marbre blanc grisâtre qui formait une grosse saillie
+s’étendant du sud-sud-ouest au nord-nord-est.</p>
+
+<p>Ce fut dans l’après-midi seulement que nous arrivâmes à la
+montagne de Nassié, où nous trouvâmes une grande quantité de
+plantes sèches, pâturage dont nos montures avaient besoin.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_48">[48]</span>La montagne d’el
+Nassié est plus élevée que toutes les montagnes voisines&nbsp;;
+elle a environ 360 mètres de hauteur, au-dessus de la plaine, est
+formée de grès comme le sol environnant et doit son soulèvement à
+la présence du granit que l’on aperçoit à sa base et qui a incliné
+ses couches.</p>
+
+<p>Le 3 février, le froid nous empêcha de partir avant neuf heures
+du matin, quoique la température fût élevée à 4 degrés Réaumur
+au-dessus de zéro. Nous traversâmes des plaines de graviers
+accidentées par beaucoup de petites veines de quartz laiteux&nbsp;;
+le terrain inférieur était toujours granitique, et les saillies
+formées par le grès.</p>
+
+<p>La vallée d’Esserba, que nous traversâmes, était remplie de
+plantes et de broussailles avec beaucoup de Sihales&nbsp;; tout
+paraissait déjà vert à cause des pluies qui étaient tombées depuis
+quelques jours seulement&nbsp;; mais les herbes annuelles n’étaient
+pas encore poussées.</p>
+
+<p>Dans la vallée d’Esserba se trouvait le campement Bichari de la
+petite tribu dont Mahamet Nour faisait partie. C’était la réunion
+d’une dizaine de cahuttes de 8 pieds de côté, et faites avec des
+nattes. Leurs propriétaires, comme tous les Bédouins de ces
+contrées, me semblèrent fort misérables, et je me demandais comment
+des êtres si deshérités pouvaient ressentir cette fierté outrée qui
+ne pardonne jamais une offense, et qui fait de la vengeance le
+premier des devoirs.</p>
+
+<p>La route, après Esserba, se poursuit au milieu de ravins creusés
+dans des rochers, où se trouvent de loin en loin des réservoirs
+naturels que les pluies remplissent. La présence de ces rochers
+fait que le sol est recouvert de gros cailloux qui rendent le
+chemin difficile aux animaux de transport et aux montures. Partout
+nous rencontrions des Arabes Bicharieh et Ababdieh de la tribu du
+chek Baraca qui venaient, sur notre passage, pour nous saluer. La
+vallée devenue plus large était remplie de<span class="pagenum" id=
+"Page_49">[49]</span> plantes et d’arbres&nbsp;; un bouc sauvage,
+bel animal aux longues soies s’enfuit à notre approche, nous lui
+donnâmes la chasse inutilement&nbsp;; car il gagna les montagnes
+avant que nos dromadaires pussent l’atteindre et il se trouva à
+l’abri de nos balles.</p>
+
+<p>Ce fut à Guéhettré que nous nous arrêtâmes afin de pouvoir le
+lendemain matin prendre de l’eau à un réservoir naturel, alimenté
+par les pluies, qui se trouve dans le haut de cette vallée.</p>
+
+<p>Le 4 février, nos chameaux, engourdis par le froid de la nuit,
+eurent toutes les peines du monde à se lever&nbsp;; aussi
+fûmes-nous obligés d’attendre que le soleil les eût réchauffés pour
+pouvoir les mener boire&nbsp;; ce qui fut d’ailleurs difficile. Le
+lieu où se trouve l’eau étant très-escarpé, et les chameaux ne
+pouvant y arriver, l’on fut obligé de porter l’eau à distance. Tout
+cela fit qu’il était une heure après midi quand nous fûmes en
+mesure de nous mettre en marche&nbsp;; mais, comme le temps
+continuait d’être mauvais, avec un fort vent du sud-est qui
+soulevait des tourbillons de poussière, nous jugeâmes convenable de
+demeurer encore le reste de la journée à Guéhettré où nous
+trouvions à donner à manger aux chameaux, et du bois pour nous
+chauffer.</p>
+
+<p>Cette vallée de Guéhettré est creusée dans des montagnes assez
+élevées, de formation primitive&nbsp;; les plus hautes ont un
+aspect rougeâtre et sont toutes bouleversées&nbsp;; les gneiss
+ainsi que les rochers porphyriques y dominent, et beaucoup de
+filons quartzeux très-blancs, très-minces les traversent dans tous
+les sens. Le lit du torrent qui est toujours à sec, excepté quant
+il pleut, ce qui n’arrive pas tous les ans, était, en ce moment,
+couvert d’arbustes, de plantes et de broussailles&nbsp;; l’on y
+voyait aussi cette espèce de mimosa <em>Sihale</em> dont j’ai
+parlé, et qui, là, devient un très bel arbre. Les
+Arabes,<span class="pagenum" id="Page_50">[50]</span> déjà, avant
+qu’ils fussent tout à fait verts, les avaient dépouillés de leurs
+plus belles branches pour les donner à leurs troupeaux et surtout
+aux chameaux qui en sont fort friands.</p>
+
+<p>Nous eûmes la visite de beaucoup d’Arabes campés dans les
+environs&nbsp;; ils étaient en grande partie de la tribu du chek
+Baraca et tous, comme toujours, fort pauvres, demandant à manger
+pour eux, et mendiant du grain pour leurs familles. Ce sont là des
+misères dont on ne peut guère se faire idée, et cependant, la
+liberté est si chère à ces hommes du désert qu’ils préfèrent encore
+leur état à l’existence plus aisée qu’ils obtiendraient en venant
+habiter les bords du Nil où ils pourraient cultiver quelques
+terres&nbsp;; mais ce serait alors s’assimiler aux
+<em>Fellahs</em>, pour lesquels ils ont le plus profond mépris, et
+leur orgueil s’y oppose.</p>
+
+<p>Le 5, au matin, il faisait toujours très-froid et nous ne nous
+mîmes en marche qu’après sept heures et demie.</p>
+
+<p>A dix heures et demie, après avoir traversé un pays semblable à
+celui de la veille, nous arrivâmes à un lieu nommé <em>Ceïga</em>.
+C’est le principe de la vallée de ce nom, vallée formée de
+montagnes toutes séparées les unes des autres, et présentant comme
+une réunion de cours d’un aspect singulier. Dans ce lieu l’on a
+exploité une mine d’or&nbsp;; mais l’on voit bien que les travaux
+sont plus modernes que ceux que j’ai visités précédemment.</p>
+
+<p>La petite montagne où est l’exploitation repose sur une base de
+granit, viennent ensuite les grès. Elle est composée de schistes
+micacés et talcaires, doux au toucher, un peu savonneux, et
+traversée par un large filon quartzeux qui se divise en beaucoup de
+petites veines se dirigeant dans toutes les directions. Ce sont ces
+veines et le gros filon qui étaient travaillés.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_51">[51]</span>La petite montagne
+peut avoir 100 mètres de hauteur au-dessus de la vallée, et 1,500
+mètres de tour.</p>
+
+<p>Les morceaux de quartz que l’on extrayait, ainsi que les parties
+de schiste talcaire étaient portés dans les habitations des mineurs
+où le tout était broyé après avoir été concassé par des moulins à
+bras. On procédait ensuite au lavage, sur des plans inclinés, pour
+détacher l’or de tout ce qui lui était étranger, ainsi que je
+l’avais constaté à Absah et à Raft, sur la route de Corouscos à
+Abou Ahmed.</p>
+
+<p>Cette mine a été le centre d’une grande activité si l’on en juge
+par le nombre considérable de huttes dont il ne reste que les murs,
+murs construits en pierres sèches suivant la manière des Nubiens.
+Il pouvait y avoir là quatre à cinq cents habitations grandes et
+petites, dispersées dans les ravins environnants et toujours
+placées près des endroits où les eaux de pluie pouvaient couler. De
+plus, un trou, une cavité spéciale, avait été creusée dans le
+voisinage de chacune d’elles, pour recevoir les parcelles d’or
+détachées de la montagne. Dans beaucoup de ces habitations se
+trouvent encore des moulins à bras, et à côté un tas de matières
+provenant du lavage&nbsp;; ces matières sont blanchâtres, légères
+et savonneuses au toucher, et ne contiennent plus aucune partie
+brillante ni dure.</p>
+
+<p>Je ne sais d’où les travailleurs pouvaient tirer assez d’eau
+pour les besoins de la vie quand il leur en fallait tant déjà pour
+le lavage de leur minerai seulement. Aujourd’hui il n’y en a qu’à
+deux journées de distance et en assez faible quantité. Ils avaient
+donc, à leur portée, des sources, des ruisseaux, des puits qui
+fonctionnaient&nbsp;; c’est mon opinion, et j’ai recueilli la
+preuve que cet état de choses avait cessé bien après l’époque où
+les mines étaient en exploitation, de même les pluies, dans le
+pays, étaient devenues, depuis, moins fréquentes.<span class=
+"pagenum" id="Page_52">[52]</span> Deux anciens puits, creusés dans
+la roche, m’avaient été signalés&nbsp;; mais, malgré toutes mes
+recherches, je n’ai pu les trouver.</p>
+
+<p>Ces mines, à ce qu’il semble, n’ont point été abandonnées par
+suite d’accidents violents&nbsp;; mais bien par suite de
+l’épuisement du métal dont je n’ai plus observé aucune trace dans
+le filon exploité. Les moulins tous usés, tous hors de service,
+prouvent en faveur de cette hypothèse&nbsp;; ils sont tournants et
+non composés de simples pierres à écraser, comme ceux des Nubiens,
+ce qui m’a démontré aussi que les mineurs devaient être des
+étrangers, des gens venus du dehors.</p>
+
+<p>Les Arabes n’ont conservé, à cet égard, aucune tradition.</p>
+
+<p>Après avoir campé toute la nuit à l’Ouadée Oum Dérer, où nous
+nous étions arrêtés de bonne heure parce que, devant nous, nous
+avions une grande journée à faire avant d’atteindre un lieu où l’on
+trouverait des plantes pour nos animaux et du bois pour nous
+chauffer, nous partîmes et nous marchâmes longtemps dans un désert
+affreux dont le sol était couvert d’un sable jaune et quelquefois
+blanc, détritus entraînés des montagnes de grès et de calcaire. La
+plaine était légèrement ondulée, et dans ses ondulations
+apparaissaient, sous les sables, des rochers de granit peu
+saillants. Quelques plis formés par les écoulements des eaux de
+pluie, traversaient le désert immense&nbsp;; mais ces plis étaient
+aussi secs et aussi dénudés que tout le reste.</p>
+
+<p>Avant d’arriver à l’Ouadée de Séguel, les chemins sont fort
+mauvais dans les montagnes&nbsp;; il nous fallut six heures pour
+les franchir et nous atteignîmes cette vallée dans un endroit
+rempli, çà et là, de petits arbres Sihales très-verts.</p>
+
+<p>Le lendemain, le 7 février, une heure après être partis, nous
+trouvâmes celle de Gieugoub, où nous pûmes nous arrêter. Dans sa
+partie la plus élevée, les eaux de pluie ont creusé un<span class=
+"pagenum" id="Page_53">[53]</span> grand trou, régulièrement
+arrondi, où elles tombent en manière de cascade&nbsp;; il est peu
+facile d’y atteindre. Un peu plus bas, sous le sable même, est une
+source, peu apparente, dont l’eau est bien meilleure&nbsp;; c’est
+là que nous campâmes. Pour en avoir suffisamment, il nous fallut
+percer une espèce de puits d’environ dix pieds de profondeur,
+travail malaisé, eu égard aux moyens insuffisants dont nous
+disposions. Ce travail toutefois réussit parfaitement, et nous
+procura de quoi satisfaire à toutes les exigences de la
+caravane.</p>
+
+<p>Mais alors il arriva là ce qui est pour ainsi dire inévitable
+quand beaucoup d’Arabes, à la fois, veulent faire boire leurs
+chameaux et faire une provision d’eau pour eux-mêmes&nbsp;: tout le
+monde criait, chacun voulait être le premier à remplir ses
+outres&nbsp;; ce fut un tohu-bohu général. Heureusement le chek
+Baraca empêcha que ce tumulte ne prît un caractère sérieux en
+frappant de son courbache tous les turbulents et tous les
+impatients.</p>
+
+<p>Quoique nous eussions fort peu marché, nous passâmes la journée
+dans ce campement auprès de l’eau. Les Arabes Bicharieh des
+environs vinrent nous voir, leurs femmes vinrent aussi. Elles
+étaient très à l’aise, et ne paraissaient pas mues par cette
+curiosité stupide qui distingue les femmes Fellahs d’Égypte. Il y
+avait parmi elles deux jeunes filles très-jolies qui causèrent avec
+nous, et avec les Arabes, fort gaiement.</p>
+
+<p>En partant le matin, le gros de la caravane se dirigea
+directement vers le sud-est pour entrer dans la grande vallée de
+Ollaki, et je pris, avec quelques hommes, la direction de l’est
+pour aller visiter un endroit où je devais trouver des habitations
+abandonnées, ainsi que des traces de travaux dans la montagne.</p>
+
+<p>Nous passâmes par de mauvais chemins à travers de petits
+monticules et de petites vallées où verdissaient
+quelques<span class="pagenum" id="Page_54">[54]</span> arbres. Les
+pentes principales de cette localité se rendent dans la vallée
+d’Ollaki&nbsp;; tout le sol est composé de schistes micacés, et les
+gneiss et les granits apparaissent, de loin en loin, avec des
+roches porphyriques.</p>
+
+<p>Dans une de ces petites vallées nommée l’Adayber, je remarquai
+tout près de celle de Souhan, où elle se perd, une petite montagne
+rougeâtre de la même formation que les précédentes et qui avait été
+travaillée. On y avait creusé des trous pour suivre les filons de
+quartz aurifères qui la traversent dans tous les sens&nbsp;; mais,
+sur l’inspection de ce qui avait été fait, je jugeai que le minerai
+était fort pauvre, et que, pour cette raison, l’on avait abandonné
+les travaux. Les habitations des travailleurs étaient toutes dans
+les environs, et le lieu des lavages était près des
+excavations.</p>
+
+<p>Nous remontâmes la vallée de Souhan jusqu’à son origine, où nous
+trouvâmes encore beaucoup d’habitations ruinées et des travaux
+abandonnés, comme ceux que j’avais vus précédemment.</p>
+
+<p>Un peu plus loin, dans un endroit fort rétréci, fort étroit,
+l’on a exploité, à ciel ouvert, un filon aurifère qui traverse la
+vallée et qui passe dans les montagnes, courant du N.-O. au S.-E.
+Ce filon de quartz micacé est dans une pierre dure, et, par
+intervalles, dans du spath, ou du schiste. Il affecte une ligne
+brisée, tortueuse, et cependant il est creusé profondément à ciel
+ouvert.</p>
+
+<p>En sortant de là, nous fûmes rejoints par un Arabe Bichari que
+nous avions vu à Assouan, et qui nous avait dit qu’il serait, avant
+nous, à Ollaki. Depuis trois jours seulement il avait quitté
+Assouan&nbsp;; mais il n’avait pris d’eau nulle part, quoiqu’il en
+eût grand besoin. Son intention était de marcher encore jusqu’à
+minuit, sans se détourner le moins du monde de sa route&nbsp;; il
+se joignit néanmoins à notre caravane.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_55">[55]</span>Au coucher du
+soleil, nous arrivâmes dans l’ouadée Ollaki, principal but de mon
+voyage.</p>
+
+<p>Son abord, de ce côté, est fort large, et quelque peu mouvementé
+par la présence de petites dunes d’un sable blanc très-fin. Il y a
+beaucoup de plantes et d’arbustes, et une végétation, relativement
+très-abondante jusqu’aux montagnes qui sont assez éloignées.</p>
+
+<p>Notre camp avait été préparé d’avance, au milieu de la vallée,
+parmi les tentes des Bicharieh dont les chameaux paissaient les
+herbes que les dernières pluies avaient fait pousser. Beaucoup de
+monde nous attendait.</p>
+
+<p>A la vue de tout ce monde, selon l’usage, nous lançâmes nos
+dromadaires à toute vitesse, en poussant, tous, des cris pour
+répondre au glou-glou-glou poussé par les femmes, et nous vînmes
+descendre devant nos tentes.</p>
+
+<p>Aussitôt arriva le chek de la tribu, un homme petit, vieux, mais
+pourtant fort agile. Nous nous avançâmes vers lui&nbsp;; il se
+nommait Ali Hérab. Il nous salua très-froidement&nbsp;; cependant,
+au premier coup d’œil, je remarquai que ce devait être un bon
+homme&nbsp;; sa figure était fine et agréable. Beaucoup d’Arabes le
+suivaient&nbsp;; or, pour faire plus ample connaissance avec lui,
+je le retins à souper, ainsi qu’un autre chek nommé Soueket,
+parent, par alliance, du chek Baraca.</p>
+
+<p>Le lendemain matin, c’était le 10, Ali Hérab nous engagea, avec
+tant d’instances, à passer la journée à son camp, que nous ne pûmes
+refuser&nbsp;; d’ailleurs comme c’était un des plus puissants chefs
+Bicharieh, et qu’il devait nous accompagner dans plusieurs courses,
+je devais le ménager.</p>
+
+<p>Aussitôt que j’eus décidé que nous passerions la journée avec
+lui, l’on s’installa pour le mieux, quoique l’endroit où nous
+étions fût fort désagréable&nbsp;; le sol était couvert d’une
+poussière très fine, et le vent la faisait voler partout.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_56">[56]</span>Le chek Ali Hérab,
+suivant les règles de l’hospitalité arabe, nous envoya une belle et
+grasse chamelle, qu’il fallut procéder à tuer et à dépecer. Cette
+bête était superbe, et j’aurais bien voulu m’opposer à son
+exécution&nbsp;; mais, voyant que j’aurais mécontenté tout le
+monde, je n’y insistais pas. La chamelle, manœuvrée comme si l’on
+allait la seller ou la charger, fut placée sur ses genoux, puis, et
+ce fut l’affaire d’un moment, on lui coupa la tête, on l’écorcha,
+et on la mit en pièce.</p>
+
+<p>Afin d’éviter les disputes qui auraient pu surgir au sujet du
+partage, l’on avait pris la précaution de tenir tous les
+prétendants à distance. Ils s’étaient placés sur les petites
+hauteurs environnantes, comme autant de vautours, prêts à fondre
+sur leur proie, et, spectacle vraiment sauvage, chacun, à un signal
+donné, devait se jeter sur la part qui lui était destinée. Quand la
+distribution fut faite, ce qui resta de chair fut coupé par
+lanières pour être séché au soleil, et conservé.</p>
+
+<p>Le repas dura toute la journée.</p>
+
+<p>Nos amis les Bicharieh qui allaient et venaient autour de nous
+paraissaient fort gais et fort contents&nbsp;; ils furent bien
+moins importuns que je ne m’y attendais, ce que j’attribuai à la
+présence du chek Baraca, dont la personne était fort respectée dans
+le pays.</p>
+
+<p>Ils me dirent, me répétèrent même plusieurs fois, et avec
+affectation, que ma tente était la première tente étrangère qui eût
+été plantée chez eux et dans l’Ouadée Ollaki. Tous, ensuite se
+plaignirent de la dureté du temps, alléguant que, sur les bords du
+Nil, tout était fort cher, à cause de la présence des Turcs&nbsp;;
+que, d’un autre côté, l’on achetait leurs moutons, leurs chameaux,
+etc., à trop bas prix et que cela, joint à la sécheresse qu’il
+faisait depuis plusieurs mois, les avaient rendus fort pauvres. Ils
+n’avaient d’espérance, pour le moment, que dans l’approche de la
+saison des pluies qui devaient<span class="pagenum" id=
+"Page_57">[57]</span> fertiliser leurs pâturages... Ces plaintes,
+ces doléances, auxquelles je ne pouvais rien, avaient, en outre, un
+air de banalité qui me toucha fort peu, et je me contentai de dire
+à ceux qui les proféraient&nbsp;: Dieu est grand&nbsp;! Dieu est
+grand&nbsp;! paroles sacramentelles au moyen desquelles l’on clôt,
+chez les Arabes, toute espèce de conversation.</p>
+
+<p>Le 11, nous partîmes de bonne heure pour gagner l’Ouadée
+Hégatte, près de la montagne de ce nom, où nous avions donné
+rendez-vous à un grand chek d’une tribu Bichari&nbsp;; nous
+campâmes auprès de l’eau, comme d’habitude. Il y avait là, dans les
+ravins environnants, plusieurs cabanes dont quelques-unes étaient à
+l’ombre d’un magnifique Sihale. Bientôt arriva le chek nommé Abou
+Goublé, monté sur un délicieux dromadaire qu’un arabe conduisait
+par la têtière, car le chek s’était cassé la jambe en tombant, il
+n’y avait pas longtemps. C’était un grand vieillard, avec la barbe
+blanche, l’air vif et noble, et la tenue respectable comme pas un
+de ceux qui nous accompagnaient. Il avait d’ailleurs une grande
+suite, et tous les Arabes lui témoignaient beaucoup de respect.
+Nous saluâmes ce vieillord avec empressement, et il parut bien aise
+de nous voir. Je jugeai que son fils Allamin, dont j’avais fait la
+connaissance à Abou Ahmed, et que j’avais bien traité, était pour
+beaucoup dans cette réception.</p>
+
+<p>Le soir il y eut, sous ma tente, un grand dîner, dîner composé
+d’un mouton rôti et d’un immense plat de riz. Nous causâmes
+beaucoup du voyage que je voulais faire à Gebel Elba, ainsi que
+dans tous les endroits du pays où il y avait quelque chose de
+curieux à voir.</p>
+
+<p>Abou Goublé ne pouvant nous accompagner, à cause de son
+infirmité, et surtout à cause des affaires qui le rappelaient dans
+sa tribu, promit de nous laisser son fils. Avant son départ, je lui
+fis cadeau d’un vêtement de drap rouge et de deux<span class=
+"pagenum" id="Page_58">[58]</span> pièces de toile bleue pour deux
+de ses enfants, ce dont il fut très-content. Il me fit dire, car il
+ne parlait pas l’arabe, que maintenant que j’étais venu chez lui,
+que nous avions mangé ensemble, il me considérait comme un membre
+de sa famille, tout comme avait fait précédemment leur grand chek
+Ahmed Wed Ahmed, à Goos Regeb, que, par conséquent, ses enfants
+étaient mes frères, et que je pouvais compter sur eux et sur lui,
+dans toute circonstance.</p>
+
+<p>Après avoir vu partir le chek Abou Goublé et sa suite, je montai
+à dromadaire pour visiter plus en détail la vallée d’Hégatte et
+voir les habitations que l’on m’avait signalées. Cette vallée est
+resserrée entre de petites montagnes presque
+perpendiculaires&nbsp;; le sol, couvert de sable blanc quartzeux,
+et de débris de granit, nourrit cependant beaucoup d’arbres de
+différentes essences. Je remarquai deux <em>harrazas</em>
+très-grands, mimosas à larges feuilles, qui épanouissaient leur
+feuillage et leurs fleurs à peu de distance d’une source cachée
+sous le sable&nbsp;; cette source était très-abondante alors&nbsp;;
+dans l’été, elle disparaît entièrement.</p>
+
+<p>En s’élevant, la vallée devient très-étroite, et dans cette
+partie l’on trouve, toujours sous forme de ruines, beaucoup de
+petites maisons réunies&nbsp;; plusieurs cependant dépassaient en
+grandeur, en importance, celles que j’avais rencontrées jusque-là.
+Toutes étaient placées dans les anfractuosités de la montagne par
+où les eaux pouvaient couler, et ces anfractuosités travaillées en
+manière de petits bassins ou de récipients, étaient barrées par des
+murs dans lesquels il y avait un trou pour servir d’exutoire.</p>
+
+<p>Aucun travail d’excavation ne se voit dans les environs, et, de
+cela, je conjecturai que les chercheurs d’or propriétaires des
+établissements ci-dessus recueillaient seulement l’or en parcelles
+que les pluies détachaient des roches de la montagne.<span class=
+"pagenum" id="Page_59">[59]</span> Entraînées de cascades en
+cascades parmi d’autres détritus, ces parcelles subissaient un
+dernier lavage dans les petits bassins et pouvaient ensuite être
+recueillies. Du reste, je vis peu de débris de moulins à bras et
+tournants&nbsp;; mais toutes les habitations me semblèrent plus
+anciennes que celles des autres lieux de ces contrées où l’on a
+exploité l’or.</p>
+
+<p>Le soir, à notre retour au camp, nous trouvâmes beaucoup de
+mendiants bicharieh auxquels je fis donner un peu de grains. Ils
+étaient aussi laids que misérables, et une chose me frappa, en les
+considérant, c’est que je reconnus en eux le type des prisonniers
+représentés légendairement sur les bas-reliefs des temples et des
+tombeaux des anciens Égyptiens. Leurs femmes, plus résignées dans
+leur pauvreté, avaient aussi un aspect moins repoussant.</p>
+
+<p>La montagne d’Hégatte est un pic en forme de pain de sucre, fort
+élevé, et qui s’aperçoit de fort loin dans toutes les directions.
+Elle est formée entièrement de gros blocs de granit rouge, comme
+celui d’Assouan, entassés les uns sur les autres. Depuis plusieurs
+jours, cette montagne me servait de point de relèvement et de
+sommet d’angle pour la triangulation qui devait me servir à dresser
+une carte de ce pays&nbsp;; aussi je voulus monter à son faîte.
+L’escarpement en est si abrupte que les Arabes regardent cela comme
+impossible, et cependant il restait pour eux, à l’état de souvenir,
+qu’un homme était parvenu, une fois, tout en haut du mont, qu’il y
+avait trouvé une plate-forme recouverte de sable, et qu’il en avait
+rapporté un vase cassé.</p>
+
+<p>Quoique cette ascension semblât fort difficile, je l’entrepris
+cependant et je me trouvai bientôt au milieu de ces roches
+bouleversées dans tous les sens, de ces blocs étagés d’une façon
+désordonnée qui constituaient un véritable chaos. Entre la plupart
+étaient des plantes et des broussailles épineuses<span class=
+"pagenum" id="Page_60">[60]</span> qui en défendaient l’accès, des
+pierres et des cailloux anguleux sur lesquels on ne pouvait poser
+les pieds sûrement.</p>
+
+<p>J’avais ailleurs, dans les montagnes du mont Sinaï, fait
+l’apprentissage de semblables difficultés&nbsp;; mais je dois
+l’avouer, je n’en avais jamais rencontré de si grandes.</p>
+
+<p>Le mont Sinaï est de même formation que le mont Hégatte&nbsp;;
+celui-ci, toutefois, est beaucoup moins élevé&nbsp;; il atteint à
+peine 400 mètres au-dessus du sol de la vallée.</p>
+
+<p>Je mis une heure trois quarts à monter au sommet. Là je trouvai
+un dernier rocher d’environ 15 mètres de hauteur, qui, à cause de
+sa forme arrondie, fut le plus difficile à escalader&nbsp;; mais,
+une fois cet effort accompli, le magnifique spectacle qui se
+déploya devant moi me dédommagea bien de ma peine. L’immensité du
+désert n’a rien d’analogue dans les pays d’Europe&nbsp;; j’étais
+comme suspendu dans l’espace.</p>
+
+<p>De là je pus remarquer que toutes les petites chaînes de
+montagnes des environs étaient, comme celles d’Hégatte, composées
+de granit en grande partie, avec le mélange de toutes les
+formations primitives, et entrecoupées de filons de quartz blanc,
+affectant, par intervalles, des tons noirâtres et rougeâtres&nbsp;;
+ils avaient tous la direction du S.-E. au N.-O., ce qui annonce les
+filons métalliques. C’étaient surtout les montagnes qui
+avoisinaient la vallée d’Ollaki qui avaient cette direction. Je pus
+remarquer encore que cette vallée, beaucoup plus basse que toutes
+celles que j’avais sous les yeux, était orientée de manière à
+recevoir toutes leurs eaux, ce qui, à certaines époques, lui donne
+l’apparence d’un fleuve, comme je l’avais vu à son embouchure dans
+le Nil.</p>
+
+<p>Après avoir, du sommet d’Hégatte, relevé toutes les montagnes en
+vue, je me disposais à redescendre, lorsque fis je un faux pas et
+me donnai une forte entorse&nbsp;; il fallut pourtant<span class=
+"pagenum" id="Page_61">[61]</span> effectuer une espèce d’exercice
+d’acrobate jusqu’à mon dromadaire.</p>
+
+<p>Les Bicharieh, étonnés de ma course, ne furent pas moins étonnés
+de m’entendre dire qu’il n’y avait, sur le sommet de la montagne,
+aucune construction.</p>
+
+<p>En arrivant au camp, j’étais si fatigué, mon entorse me faisait
+tellement souffrir que, pour avoir le temps de me reposer, je remis
+le départ au lendemain. On en profita pour faire une bonne
+provision d’eau. Le chek Baraca, de son côté, avait une affaire à
+arranger avec le chek Ali Hérab au sujet d’un chameau volé, il eut
+le temps de s’en occuper. Cette affaire, entre autres péripéties,
+avait donné lieu à une aventure fort curieuse&nbsp;; je la donne
+dans toute sa naïveté primordiale&nbsp;:</p>
+
+<p>Des gelabs ou négociants du Dongolah revenaient par la route du
+grand désert. Cette route quitte le Nil à Damer ou Berber, et n’y
+revient qu’à la hauteur de Derrawé, un peu au nord d’Assouan. Ils
+étaient arrêtés à la montagne de Chigré, où ils prenaient de l’eau
+en attendant le moment de se remettre en route. Des Arabes
+Bicharieh vinrent les trouver, et, comme les gelabs avaient des
+chameaux malades et fatigués, ils leur en offrirent quelques-uns
+plus valides, comme renfort&nbsp;; une vente régulière
+s’ensuivit.</p>
+
+<p>Ces gelabs continuèrent leur route et arrivèrent à la vallée ou
+Ouadée Terfawe avec l’idée de se reposer. Alors qu’ils dressaient
+les tentes, quelques-uns d’entre eux conduisirent tous leurs
+animaux à un puits voisin. Là étaient aussi des Arabes des
+environs. On se disputa, comme toujours, pour savoir qui
+commencerait à faire boire ses bêtes et à remplir ses outres.
+Pendant la bagarre, un des Arabes reconnut, parmi les chameaux des
+gelabs, un sujet qui lui appartenait et qui lui avait été volé peu
+de jours auparavant&nbsp;; il voulut alors s’en emparer. Celui qui
+le conduisait était un jeune chamelier faisant<span class="pagenum"
+id="Page_62">[62]</span> partie de la caravane des
+négociants&nbsp;; il se montra, ce qui est facile à comprendre, peu
+disposé à rendre le chameau qu’il avait acheté à la station de
+Chigré. On en vint aux coups et ensuite aux armes, tout le monde
+prit part à la dispute et, dans la mêlée, un Bicharieh tomba mort,
+frappé d’un coup de lance par le jeune Arabe propriétaire du
+chameau. Les gens des négociants retournèrent immédiatement à leur
+campement, les Bicharieh à leur tribu.</p>
+
+<p>Mais l’affaire ne pouvait pas en rester là. Ces derniers
+revinrent bientôt en grand nombre, entourèrent leurs adversaires et
+demandèrent, à grands cris, qu’on leur livrât le meurtrier et son
+chameau, ajoutant que, si cela n’était pas fait sur l’heure, ils
+allaient piller la caravane et massacrer tout le monde.</p>
+
+<p>Les pauvres gelabs, inférieurs en nombre et mal armés, ne
+savaient plus à quel prophète se recommander, d’autant que ceux
+d’entre eux qui avaient assisté à l’affaire ne voulaient pas
+dénoncer le coupable.</p>
+
+<p>Enfin, sentant qu’il n’y avait pas d’arrangement possible, ils
+se préparèrent à combattre, et déjà les lances étaient levées
+contre eux, lorsque le jeune homme, cause de la prise d’arme,
+sortit tout à coup du groupe dans lequel il se trouvait, monta sur
+un rocher voisin, et, de là, déclara fièrement être le meurtrier
+que l’on cherchait&nbsp;; mais il n’avait pas de reproches à se
+faire, n’ayant donné la mort que pour se défendre, et conserver un
+bien acquis loyalement&nbsp;; il déclara aussi que sa cause n’étant
+pas celle des gelabs, il se séparait d’eux pour ne pas leur faire
+tort&nbsp;; puis, brandissant sa lance, il dit qu’il vendrait
+chèrement sa vie contre celui ou ceux qui voudraient
+l’attaquer.</p>
+
+<p>Cette démarche, qui avait quelque chose de grand, quelque chose
+d’antique, dans la belle acception du mot, n’eut point<span class=
+"pagenum" id="Page_63">[63]</span> un résultat bien digne, mais
+elle concourut, avec ce que l’on va lire, à un dénoûment bien
+dramatique.</p>
+
+<p>Les Arabes, qui n’étaient pas tous de la trempe de notre héros,
+voyant qu’effectivement il faisait bonne contenance, n’osèrent pas
+l’approcher&nbsp;; ils dirent aux gelabs que c’était à eux à livrer
+cet homme et que, dans le cas contraire, ils exécuteraient leurs
+menaces.</p>
+
+<p>Il était évident que la perspective de piller une grosse
+caravane, autant que le besoin de venger un des leurs, les dominait
+en ce moment. Les négociants le comprirent ainsi, et, en vue de
+détourner l’orage, ils s’adressèrent à leur ami pour l’engager à se
+livrer lui-même aux Bicharieh, à se mettre à leur merci. Ils lui
+représentèrent qu’il n’avait, personnellement, aucune chance de
+salut, que la mort de ses compagnons, de ses compatriotes, ne lui
+serait d’aucun secours, tandis qu’en se sacrifiant il les sauverait
+tous, et que la postérité chanterait sa bravoure et sa mort
+généreuse. Les malheureux avaient cessé de parler, et l’angoisse
+peinte sur leurs visages dénotait le peu d’espoir que la situation
+leur inspirait. Cependant, un grand et généreux dévouement avait
+enflammé le cœur du jeune homme&nbsp;; sans rien répondre, il était
+descendu de son piédestal et s’était dirigé, d’un pas ferme, du
+côté des Bicharieh. En se mettant ainsi à leur discrétion, il
+faisait le sacrifice de sa vie&nbsp;; il enlevait en effet à ses
+adversaires tout prétexte de pillage&nbsp;; mais le côté inattendu
+de cette histoire du désert ne devait pas être épuisé.</p>
+
+<p>A son approche, tous les Bicharieh poussèrent des cris étranges,
+comme les bêtes féroces lorsqu’elles se ruent sur une proie. Les
+parents du mort, à qui incombait le droit de frapper les premiers,
+portèrent à leur victime des coups mal assurés, soit qu’ils fussent
+troublés par la grandeur de sa résignation, soit qu’ils voulussent
+prolonger son supplice. Ce que<span class="pagenum" id=
+"Page_64">[64]</span> voyant, car vraisemblablement, fanatisé qu’il
+était par l’excès même de sa résolution, il ne sentait rien&nbsp;;
+ce que voyant, dis-je, le jeune Arabe se prit à rire, à se moquer
+de ses bourreaux, disant qu’ils ne savaient pas frapper, qu’ils
+avaient de mauvais poignards, et qu’après tout ils n’étaient, eux,
+que de vieilles vaches<a id="FNanchor_12"></a><a href=
+"#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>. Puis, ayant arraché une
+arme des mains de ceux qui le frappaient, il se fit lui-même, à la
+jambe, une profonde blessure.</p>
+
+<p>Qui le croirait&nbsp;? Il dut son salut à cet acte d’énergie, à
+ce trait de bravoure sauvage&nbsp;: toutes les femmes bédouines qui
+étaient accourues pour assister à la mort du prétendu meurtier, se
+jetèrent sur lui comme une avalanche, renversant les Bicharieh et
+criant&nbsp;: grâce&nbsp;! grâce&nbsp;! elles l’arrachèrent de
+force, pour ainsi dire, des mains des hommes, qui ne purent
+s’opposer à ce mouvement.</p>
+
+<p>Une résolution aussi spontanée, aussi caractéristique, devait
+avoir sa logique&nbsp;; ces femmes soignèrent si bien et avec tant
+d’intérêt le pauvre blessé, en le cachant toujours à tous les yeux,
+que bientôt il guérit. Leur tactique, pour arriver à ce but, était
+bien simple. Comme il y avait toujours plusieurs d’entre elles dans
+la tente où il était, aucun mari, aucun parent, aucun être masculin
+ne pouvait y entrer, car c’eût été un crime, et les Arabes, à cet
+égard, ne transigent jamais.</p>
+
+<p>Le pauvre garçon fut donc très-bien traité pendant plusieurs
+mois, et l’on en était arrivé à ce moment où rien ne lui manquait
+plus que la liberté&nbsp;; mais il avait un compte véritable à
+régler.</p>
+
+<p>Or, après sa guérison, il demeura encore quelque temps chez les
+Bicharieh, toujours caché par les femmes et à l’abri de toute
+surprise.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_65">[65]</span>L’exaltation de
+ses bienfaitrices avait progressé en raison du résultat qu’elles
+avaient obtenu, de telle sorte que la pensée leur était venue de
+propager dans leur tribu la race d’un homme qu’elles admiraient.
+Que de vaudevilles ne finissent pas toujours aussi bien&nbsp;! Il
+va sans dire que le héros de cette histoire put enfin, sûrement,
+retourner dans son pays.</p>
+
+<p>L’affaire que le chek Baraca devait arranger avec le chek Ali
+Hérab était donc, non celle qui avait rapport au meurtre du
+Bicharieh, mais seulement celle relative au voleur qui avait vendu
+le chameau aux gelabs à la station de Chigré.</p>
+
+<p>Le lendemain de la journée de cet arrangement, qu’il est
+insignifiant de relater, nous levâmes notre camp et descendîmes la
+vallée d’Hégatte pour entrer dans celle d’Ollaki. Cette dernière
+est très-encaissée&nbsp;; je trouvai encore, dans les pics qui la
+dominent, beaucoup de ressemblance avec les pics du mont
+Sinaï&nbsp;; son sol était couvert de plantes et d’arbres de
+différentes espèces, des mimosas, des sihales, des iglics, puis des
+merk et des sallem, sortes de grands genêts.</p>
+
+<p>Beaucoup de plantes d’arrak et de houchars tapissaient certains
+fonds. Dans les arbres grimpaient des plantes parasites qui
+faisaient, avec le reste, et au soleil levant, un effet
+merveilleux, enfin, de tous côtés, l’on voyait des compagnies de
+perdrix rouges se promenant paisiblement avec des troupeaux de
+gazelles.</p>
+
+<p>Nous fîmes halte dans un endroit de cette vallée charmante nommé
+l’<em>Affawé</em>, où se trouvaient les cabanes du chek de tribu
+Souéket que nous avions rencontré sur notre route lorsqu’il venait
+au-devant de nous.</p>
+
+<p>Non loin de là, dans les montagnes environnantes, il y avait
+plusieurs endroits où se voyaient quelques restes de travaux de
+mines, je ne pus aller les visiter, car je me ressentais encore de
+l’entorse que je m’étais donnée à la montagne d’Hégatte.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_66">[66]</span>Tous les parents
+du chek Souéket vinrent me voir et me demander chacun quelque
+chose. Je donnai seulement au chef du drap rouge et de la toile, et
+je renvoyai les autres, ce qui ne fut pas une petite affaire, par
+la raison que je n’avais pas encore rencontré, chez les Bicharieh,
+de mendiants comme les gens de cette tribu, y compris Souéket
+lui-même.</p>
+
+<p>L’on nous apporta force moutons pour notre nourriture, et il est
+inutile d’ajouter que les visiteurs ne manquèrent jamais aux heures
+des repas, que l’on partageait avec eux.</p>
+
+<p>Le 15 février, je visitai dans le voisinage plusieurs
+habitations ruinées qui avaient appartenu à des mineurs dont les
+travaux avaient été exécutés dans un filon de quartz qui traverse
+la montagne du nord au sud et dans les mêmes conditions de terrains
+que ceux que j’avais vu précédemment. Ces travaux étaient peu
+importants, des éboulements, survenus à différentes époques, les
+avaient presque entièrement recouverts.</p>
+
+<p>Nous partîmes et remontâmes toujours la vallée d’Ollaki&nbsp;;
+elle offrait le même aspect riant et gai. La quantité de gibier que
+nous rencontrâmes nous permit de faire une chasse abondante en
+perdrix, gazelles et lièvres, qui s’enfuyaient à peine au bruit de
+nos coups de fusils, et qui nous regardaient avec étonnement, mais
+sans effroi.</p>
+
+<p>Je remarquai dans plusieurs endroits des restes d’habitations et
+des tombeaux de forme ronde, construits en pierres sèches, et
+remplis avec du sable et des cailloux sous lesquels, à une petite
+profondeur, étaient encore des ossements humains.</p>
+
+<p>Nous nous arrêtâmes à l’embouchure d’une petite vallée nommée
+Camolit, affluent de celle d’Ollaki, parce qu’il s’y trouve une
+source que nous devions mettre à contribution. Cette source, qui
+est renommée dans le pays, est bien moins abondante depuis qu’une
+grosse pierre, roulée par les eaux pluviales, a bouché son
+orifice&nbsp;; elle a dû prendre souterrainement<span class=
+"pagenum" id="Page_67">[67]</span> une autre direction. Les Arabes
+des environs sont très-malheureux de cela, ils regrettent de
+n’avoir pas d’eau en plus grande quantité&nbsp;; mais ils sont si
+paresseux qu’ils regardent à se réunir une dizaine d’hommes pour
+dégager la source, ce qui serait l’ouvrage de deux ou trois jours
+au plus.</p>
+
+<p>Nous consacrâmes la journée à nous reposer.</p>
+
+<p>Vers le soir, le chek Nasser Abou Goublé vint nous trouver
+quoiqu’il nous eût dit précédemment, en nous quittant, qu’il ne
+pouvait revenir. Sa présence nous étonna et le début de sa
+conversation, toute dépourvue d’emphase, ne nous sembla pas moins
+cacher un artifice. Il nous dit que, trouvant sa cabane trop
+petite, il était venu respirer avec nous à l’ombre des grands
+arbres.</p>
+
+<p>Pour moi, je devinai bien que le motif futile, allégué par Abou
+Goublé, n’était pas le vrai motif qui le faisait agir&nbsp;; mais
+l’usage ne me permettant point de formuler une question, j’observai
+le plus grand calme, et j’attendis. Il commença alors par nous
+donner des nouvelles peu rassurantes, eu égard à la situation dans
+laquelle nous étions. Il nous dit que Courchoud Aga, gouverneur de
+Kartoum, était allé à Taka, en <em>Gazoua</em><a id=
+"FNanchor_13"></a><a href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>,
+qu’il avait été battu par les Allingas et les Hadindannes, tribus
+bicharieh du sud et qu’il était rentré à Kartoum dans le plus grand
+désordre.</p>
+
+<p>Il nous dit aussi que deux cents soldats, qui étaient allés à
+l’Baky pour percevoir les contributions que payent annuellement les
+Arabes qui cultivent du dourah dans cette localité, après les
+pluies, se trouvaient dans une très-dangereuse position au sujet
+d’un mouton appartenant aux Arabes, et qu’un soldat avait tué. Le
+maître du mouton, étant venu en réclamer le prix, avait été battu
+par les soldats, ce qui avait occasionné<span class="pagenum" id=
+"Page_68">[68]</span> une querelle et un combat après lequel ces
+derniers avaient été cernés de toute part. L’un d’eux pourtant
+s’était enfui à cheval pour aller donner cette nouvelle au
+gouvernement de Berber et demander du renfort&nbsp;; mais l’on
+craignait qu’en attendant, les deux cents soldats ne fussent
+assaillis et massacrés.</p>
+
+<p>Tout cela, en effet, aurait pu nous inquiéter fortement si nous
+n’avions pas eu avec nous le chek Baraca et quelques-uns de ses
+parents, circonstance dont Abou Goublé était parfaitement informé.
+Aussi je pensai bien que celui-ci avait un but personnel auquel les
+nouvelles qu’il nous donnait servaient de prétexte. Dans la
+conversation qui suivit, je compris qu’il voulait encore quelques
+présents, trouvant sans doute que ce que je lui avais donné n’était
+pas suffisant.</p>
+
+<p>Il me parla des Bicharieh, en général, dans d’excellents
+termes&nbsp;; malheureusement leurs cheks n’étaient que des brutes,
+des sauvages qui ne comprenaient pas les choses comme lui, homme
+sage, loyal et civilisé. Ces cheks lui avaient remontré qu’il avait
+tort de laisser parcourir le pays à un étranger envoyé par les
+Turcs&nbsp;; mais qu’il avait répondu que, pour lui, il était mon
+ami, qu’il avait bu et mangé avec moi, et qu’il faciliterait toutes
+mes recherches, que certainement ce n’était pas par intérêt qu’il
+agissait ainsi&nbsp;; car les faibles présents que je lui avais
+faits ne pouvaient faire présumer cela&nbsp;; mais qu’enfin il me
+conduirait partout où je voudrais en me couvrant de sa protection.
+L’argument devenait de plus en plus palpable, je lui donnai encore
+quelques pièces de toile pour le satisfaire et rester son
+ami&nbsp;; il passa la nuit avec nous.</p>
+
+<p>Le 16, de bonne heure, Abou Goublé monta sur son dromadaire pour
+retourner chez lui, et nous montâmes sur les nôtres pour continuer
+notre route dans la vallée d’Ollaki, qui devenait de plus en plus
+étroite et tortueuse. Les montagnes qui<span class="pagenum" id=
+"Page_69">[69]</span> l’encaissaient étaient toujours les mêmes, du
+granit, puis des porphyres et toutes les roches de même espèce.</p>
+
+<p>Nous arrivâmes, après cinq heures de marche, à l’emplacement
+désigné sous le nom de Déréhib.</p>
+
+<p>C’était le site le plus important que je voulais visiter&nbsp;;
+or, comme il fallait plusieurs jours pour cela, je choisis une
+place convenable et commode pour y établir mon camp.</p>
+
+<p>Déréhib est à l’origine de l’ouadée Ollaki, qui court vers
+l’ouest-nord-ouest jusqu’au Nil près de Daké, entre la première et
+la seconde cataracte.</p>
+
+<p>Sur le bord du torrent, au pied même de la montagne, sont encore
+les restes d’une petite ville construite sur un léger mouvement de
+terrain et s’étendant du nord au sud<a id=
+"FNanchor_14"></a><a href="#Footnote_14" class=
+"fnanchor">[14]</a>.</p>
+
+<p>Cette ville était partagée par une grande rue dans la direction
+de sa longueur, et par d’autres plus petites, transversales, qui la
+subdivisaient en îlots. Les maisons, bâties en pierres brutes,
+avaient des murs bien faits, droits et verticaux, garnis d’un
+crépissage formé avec l’argile du torrent et les résidus de lavages
+de minerai&nbsp;; elles étaient couvertes au moyen de branches
+d’arbres, et de plantes mêlées à de la terre comme les maisons
+arabes en général, et, quant à la hauteur, à la distribution
+intérieure, elles ressemblaient parfaitement à celles d’Assouan et
+de Deïr.</p>
+
+<p>A peu près au centre était la mosquée auprès de laquelle l’on
+aperçoit un amas de déblais qui doit provenir du creusement d’un
+puits aujourd’hui comblé.</p>
+
+<p>Vis-à-vis de l’extrémité sud de la ville, de l’autre côté du
+torrent, sont deux châteaux placés sur des hauteurs à l’entrée
+d’une gorge qui pénètre dans la montagne<a id=
+"FNanchor_15"></a><a href="#Footnote_15" class=
+"fnanchor">[15]</a>.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_70">[70]</span>Le plus grand, qui
+est au nord, a son entrée du côté du sud, tandis que l’autre l’a du
+côté du nord.</p>
+
+<p>Tous les deux sont bâtis en pierres brutes, en schistes, et ces
+pierres, toutes plates, forment des assises assez régulières&nbsp;;
+les murs sont fort épais et flanqués de tours à chacun des
+angles&nbsp;; l’intérieur, disposé comme les okels ou kans
+d’aujourd’hui, se composait de plusieurs étages qui tous sont
+effondrés avec les terrasses qui servaient de couverture et qui
+étaient construites avec des poutres, des planches, des nattes et
+une couche de terre&nbsp;; toutes les portes étaient cintrées.</p>
+
+<p>Derrière le plus petit château, il y a beaucoup de maisonnettes
+qui s’étendent le long du torrent, tout contre la montagne&nbsp;;
+autour du grand château sont aussi beaucoup d’habitations ruinées
+qui n’étaient que des huttes.</p>
+
+<p>Le cimetière de la ville est au pied du grand château, vers le
+nord, ses tombeaux appartiennent à l’époque à laquelle on a bâti la
+mosquée. J’ai trouvé de grandes plaques de schiste noir, avec des
+inscriptions cufiques comme celles des tombeaux que l’on voit au
+sud d’Assouan&nbsp;; ils sont couverts de versets du Coran, mais
+ils ne portent aucune date.</p>
+
+<p>Quoique ces tombeaux soient musulmans et que certaines parties
+de la ville aient été habitées par des hommes de cette religion,
+l’on constate facilement que les châteaux, ainsi qu’un grand nombre
+de maisons, sont d’une époque beaucoup plus ancienne.</p>
+
+<p>Les Arabes n’auraient pas aligné des rues comme cela, et, d’un
+autre côté, l’image des constructions qui sont reproduites sur les
+bas-reliefs des anciens temples égyptiens, bas-reliefs où sont
+représentés des assauts et des siéges, ne laissent aucun doute à
+cette assertion.</p>
+
+<p>Au nord de la ville et des châteaux sont les mines qui étaient
+exploitées par les habitants&nbsp;; or, de même que l’on voit deux
+époques<span class="pagenum" id="Page_71">[71]</span> dans les
+procédés de constructions, l’on en voit deux aussi dans les
+procédés des travaux d’exploitation<a id="FNanchor_16"></a><a href=
+"#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>.</p>
+
+<p>Les mines de Déréhib occupent deux petites montagnes de la
+hauteur de soixante mètres environ au-dessus du sol de la vallée,
+montagnes de schistes avec quelques pointes de granit qui
+saillissent d’espace en espace. En outre de cette identité, la
+présence, dans chacune d’elle, d’un large filon de quartz blanc,
+avec entourage de parties d’argile rougeâtre et jaunâtre talcaires,
+leur donne encore plus de similitude.</p>
+
+<p>Ces deux larges filons ont beaucoup de ramifications, veines
+légères toujours de même composition, et que l’on a suivies dans
+tous les sens pour les exploiter.</p>
+
+<p>Les travaux anciens se remarquent par leur régularité et leur
+grandeur&nbsp;; il y a beaucoup de puits verticaux creusés de
+chaque côté des deux filons, puits qui communiquaient entre eux par
+des galeries souterraines fort multipliées. Ces excavations sont
+immenses, mais des éboulements considérables en obstruent une
+grande partie et empêchent de pénétrer jusqu’aux endroits où les
+exploitations ont été conduites<a id="FNanchor_16bis"></a><a href=
+"#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>.</p>
+
+<p>En poursuivant, avec grande difficulté, une de ces galeries,
+j’en trouvai l’extrémité fermée par une maçonnerie assez solide, et
+je pensai naturellement que les mineurs s’étant retirés, par une
+raison que j’ignore, avaient voulu fermer la galerie dans laquelle
+se trouvait le filon qu’ils exploitaient, afin que l’on ne
+travaillât pas en leur absence. Je voulus donc reconnaître ce filon
+et j’entrepris la démolition du mur&nbsp;; mais n’ayant aucun
+ouvrier, il fallut faire cela avec mes gens et concourir moi-même
+au travail qui dura à peu près deux heures, au bout desquelles je
+trouvai effectivement derrière le mur un petit vide qui constituait
+la fin de la galerie. Ici je dus m’arrêter,<span class="pagenum"
+id="Page_72">[72]</span> parce que, d’une part, le filon était trop
+difficile à entamer et que, d’autre part, mes gens avaient peur de
+travailler ainsi sous la terre. D’ailleurs, je n’étais pas venu
+pour commencer des travaux d’exploitation, mais seulement pour
+reconnaître les mines.</p>
+
+<p>On remarque bien que ces travaux, par puits et galeries, ne sont
+pas l’ouvrage des Arabes&nbsp;; ce sont ceux des Égyptiens sous les
+Pharaons.</p>
+
+<p>Dans toutes les galeries, les parois noircies par la fumée des
+lampes des ouvriers, ont été, plus tard, piquées avec une pioche et
+un ciseau comme pour reconnaître le terrain&nbsp;; or ces parties
+plus blanches que le reste prouvent évidemment qu’elles ont été
+reprises longtemps après les premiers travaux d’excavation.</p>
+
+<p>Plus tard aussi, l’on a creusé aux environs des principaux
+filons, et amoncelé des déblais considérables pour arriver au
+minerai&nbsp;; c’est là le travail des Arabes musulmans, qui ont
+toujours craint de travailler autrement qu’à ciel ouvert<a id=
+"FNanchor_17"></a><a href="#Footnote_17" class=
+"fnanchor">[17]</a>.</p>
+
+<p>Toutes les montagnes des environs de la grande mine qui
+offraient quelque chance de rémunération ont été attaquées
+vigoureusement. C’est surtout du côté du sud que l’on trouve le
+plus de traces de travaux.</p>
+
+<p>Au nord de la grande mine, dans une gorge retirée, est un
+monticule de décombres qui a été entièrement formé des déblais
+d’une excavation dont l’entrée est aujourd’hui fermée par des
+éboulements. Ceci ne me parut pas avoir été une mine&nbsp;; mais
+plutôt un grand tombeau égyptien ou un temple creusé sous terre.
+Dans cette conviction je voulus en faire rechercher l’entrée&nbsp;;
+on avait déjà commencé à piocher, lorsqu’une grosse<span class=
+"pagenum" id="Page_73">[73]</span> pierre coula d’en haut et vint
+tomber auprès de mes arabes qui se mirent à fuir de tous côtés. Ils
+crurent voir dans cet accident, pourtant bien naturel, une
+manifestation diabolique et, pour rien au monde, ils ne voulurent
+recommencer à travailler.</p>
+
+<p>Dans aucun endroit de ces établissements de mineurs je n’ai
+trouvé de moulins à bras, ni de moulins d’aucune espèce pour
+écraser le minerai et le préparer&nbsp;; je n’ai vu non plus aucune
+trace de lavage. Pour les moulins, il est probable que l’on a pu
+les emporter sur d’autres chantiers et pour d’autres usages&nbsp;;
+les lieux de lavage auront été détruits par les écoulements des
+eaux ou enfouis sous le sable qui couvre une grande partie du
+sol.</p>
+
+<p>Il semble, au grand nombre d’habitations répandues dans toute la
+vallée, aux pieds des collines et dans tous les lits des petits
+torrents ruisselant des montagnes lorsqu’il pleut, qu’il y a eu là,
+à une certaine époque, une forte population. On remarque même qu’il
+y avait quelques jardins&nbsp;; car dans plusieurs endroits, tout
+près des maisons, se voient des murs d’enceinte faits évidemment
+pour empêcher les pierres roulées par les eaux, la terre et l’eau
+elle-même de détruire ces sortes de créations.</p>
+
+<p>Sans doute ici les pluies étaient plus fréquentes autrefois
+qu’aujourd’hui, comme cela a eu lieu aussi, d’après mes
+observations, dans plusieurs autres endroits&nbsp;: aux environs de
+Suez, au mont Sinaï et aux environs de l’Accaba.</p>
+
+<p>Mais je ne doute nullement de la facilité que l’on aurait de
+creuser des puits qui donneraient beaucoup d’eau, en outre de
+l’apport de plusieurs sources, plus ou moins abondantes, qui se
+trouvent à une distance de 1,000 à 1,200 mètres en remontant la
+vallée, sources que l’on pourrait utiliser en raison de la pente
+régulière du sol. Elles l’ont été, tout le fait présumer, pour
+subvenir aux besoins d’arrosage des jardins dont j’ai parlé plus
+haut.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_74">[74]</span>Ce qui me surprit
+beaucoup c’est que, malgré toutes mes recherches, je ne trouvai
+aucun reste de monument ancien ni aucune inscription. La raison
+cependant en est bien simple&nbsp;: avec les pierres du pays les
+Égyptiens ne pouvaient rien construire suivant leur goût, suivant
+le style qui leur était propre. Ils affectionnaient le granit, le
+grès, le calcaire&nbsp;; ils ne trouvaient ici que des schistes,
+des feldspath, des roches micacées, des quartz et autres formations
+analogues&nbsp;; cela fait qu’ils n’ont laissé aucune trace de leur
+passage.</p>
+
+<p>Toutefois il n’y a pas à douter que ces mines ne soient celles
+des anciens Égyptiens où l’on envoyait les hommes condamnés à des
+travaux forcés&nbsp;; car le nom d’Ollaki, donné par Diodore, est
+bien le même que celui d’Allake, prononciation moderne du mot qui
+ne constitue même pas une altération, car enfin parmi les travaux
+que je viens de signaler, il s’en trouve de bien plus anciens que
+ceux des arabes.</p>
+
+<p>Voici ce que Diodore rapporte à ce sujet<a id=
+"FNanchor_18"></a><a href="#Footnote_18" class=
+"fnanchor">[18]</a>&nbsp;; comme cela s’accorde entièrement avec ce
+que j’ai vu, je le cite tout au long&nbsp;:</p>
+
+<p>«&nbsp;Entre l’Égypte, l’Éthiopie et l’Arabie est un endroit de
+métaux et surtout d’or qu’on retire avec bien des travaux et de la
+dépense&nbsp;; car la terre dans cet endroit est, de sa nature,
+dure et noire et entrecoupée de veines d’un marbre blanc si luisant
+qu’il surpasse, en éclat, les matières les plus brillantes. C’est
+là que ceux qui ont l’Intendance des métaux font travailler un
+grand nombre d’ouvriers. Le roi d’Égypte envoie quelquefois aux
+mines, avec toutes leur famille, ceux qui ont été convaincus de
+crimes, aussi bien que les prisonniers de guerre, ceux qui ont
+encouru son indignation ou qui succombent aux accusations vraies ou
+fausses, en un mot tous<span class="pagenum" id=
+"Page_75">[75]</span> ceux qui sont condamnés aux prisons. Par ce
+moyen il tire de grands revenus de leur châtiment. Ces malheureux,
+qui sont en grand nombre, sont tous enchaînés par les pieds et
+attachés au travail sans relâche et sans qu’ils puissent jamais
+s’échapper&nbsp;; car ils sont gardés par des soldats étrangers, et
+qui parlent une autre langue que la leur, de sorte qu’il leur est
+impossible de les corrompre par des paroles et par des caresses.
+Quand la terre, qui contient l’or, se trouve trop dure, on
+l’amollit avec le feu d’abord, après quoi ils la rompent à grands
+coups de piques ou d’autres instruments en fer. Ils ont à leur tête
+un entrepreneur qui connaît les veines de la mine et qui les
+conduit. Les plus forts d’entre les travailleurs fendent la pierre
+à grands coups de marteau, cet ouvrage ne demandant que la force
+des bras, sans art et sans adresse&nbsp;; mais comme, pour suivre
+les veines qu’on a découvertes, il faut souvent se détourner, et
+qu’ainsi les allées que l’on creuse dans ces souterrains sont fort
+tortueuses, les ouvriers, qui sans cela ne verraient pas clair,
+portent des lampes attachées à leur front. Changeant de posture
+autant de fois que le requiert la nature du lieu, ils font tomber à
+leurs pieds les morceaux de pierre qu’ils ont détachés. Ils
+travaillent ainsi jours et nuits, forcés par les cris et par les
+coups de leurs gardes. De jeunes enfants entrent dans les
+ouvertures que les coins ont faites dans le roc et en retirent les
+petits morceaux de pierre qui s’y trouvent et qu’ils portent
+ensuite à l’entrée de la mine. Les hommes âgés d’environ trente ans
+prennent une certaine quantité de ces pierres qu’ils pilent dans
+des mortiers avec des pilons de fer jusqu’à ce qu’ils les aient
+réduites à la grosseur d’un grain de millet. Les femmes et les
+vieillards reçoivent ces pierres mises en grains, et les jettent
+sous des meules qui sont rangées par ordre&nbsp;; se mettant
+ensuite deux ou trois à chaque meule, il les broient jusqu’à ce
+qu’ils aient réduit, en une poussière aussi fine<span class=
+"pagenum" id="Page_76">[76]</span> que de la farine, la mesure qui
+leur a été donnée. Il n’y a personne qui n’ait compassion de
+l’extrême misère de ces forçats qui ne peuvent prendre aucun soin
+de leur corps, et qui n’ont pas même de quoi couvrir leur
+nudité&nbsp;; car on n’y fait grâce ni aux malades ni aux
+estropiés&nbsp;; mais on les contraint également à travailler de
+toutes leurs forces jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, ils meurent
+de fatigue. Ces infortunés n’ont d’espérance que dans la mort et
+leur situation présente leur fait craindre une longue vie. Les
+maîtres recueillant cette espèce de farine achèvent l’ouvrage de
+cette manière&nbsp;: ils l’étendent sur des planches larges et un
+peu inclinées, et ils l’arrosent de beaucoup d’eau. Ce qu’il y a de
+terrestre dans ces matières est emporté par l’eau qui coule le long
+de la planche&nbsp;; mais l’or demeure dessus à cause de sa
+pesanteur. Après ce lavage, répété plusieurs fois, ils frottent
+quelque temps la matière entre leurs mains. Ensuite, s’essuyant
+avec de petites éponges, ils emportent ce qui y reste de terre
+jusqu’à ce que la poudre d’or soit entièrement nette. D’autres
+ouvriers, prenant cet or, au poids et à la mesure, le mettent dans
+des pots de terre, ils y mêlent, dans une certaine proportion, du
+plomb, des grains de sel, un peu d’étain et de la farine d’orge,
+ils versent le tout dans des vaisseaux couverts et lutés
+exactement, qu’ils tiennent cinq jours et cinq nuits de suite dans
+un feu de fournaise&nbsp;; ensuite leur ayant donné le temps de se
+refroidir, l’on ne trouve plus aucun mélange des autres
+matières&nbsp;; mais l’or est entièrement épuré, avec très-peu de
+déchet. Voilà, etc., etc.&nbsp;»</p>
+
+<p>Peut-on ne pas reconnaître l’identité des mines de Déréhib avec
+celle dont Diodore vient de nous donner une description aussi
+naïve&nbsp;?</p>
+
+<p>Maintenant, il est avéré aussi que ces mines, ainsi que beaucoup
+d’autres que j’ai visitées, ont été exploitées par les<span class=
+"pagenum" id="Page_77">[77]</span> Arabes&nbsp;; mais, comme je
+l’ai dit plus haut, c’était par un procédé différent, c’est-à-dire
+toujours à ciel ouvert.</p>
+
+<p>Après Diodore, l’on ne voit plus rien, dans les auteurs anciens,
+qui ait rapport à ces questions, et ce n’est qu’en arrivant à
+l’époque musulmane que, dans un auteur arabe, un historien connu
+par ses ouvrages et surnommé Macrizi, du nom du quartier de la
+ville d’Alep où il était né, l’on retrouve des détails sur les
+travaux des mines d’or des Bicharieh. Macrizi, qui vivait en
+l’année 1385, par conséquent 1430 ans après Diodore, rapporte que,
+sous Ahmed, fils de Teïloun, souverain de l’Égypte, un arabe
+pénétra dans la Nubie et soutint une longue guerre contre les
+habitants de ces contrées.</p>
+
+<p>«&nbsp;C’était, dit-il, un certain Abou Abd el Haman el
+Omary<a id="FNanchor_19"></a><a href="#Footnote_19" class=
+"fnanchor">[19]</a>, etc., qui naquit et fut élevé à Médine. Il
+vint à Fosto, où il professa la science des traditions&nbsp;; il
+vint ensuite à Kirwan&nbsp;; puis il retourna en Égypte avec une
+assez forte somme qu’il avait reçue en cadeau pour avoir composé
+des éloges en l’honneur du prince de ce pays. Il entendit alors
+parler de la mine dont on tirait l’or natif. Il acheta des esclaves
+avec l’idée d’aller travailler à l’extraction de l’or, et il se
+rendit à Assouan, sous le prétexte apparent d’y faire le commerce.
+Arrivé dans cette ville, il fréquenta les cheks ulémas, avec
+lesquels il s’entretint de sciences&nbsp;; puis enfin il partit
+pour la mine, et choisit pour campement le lieu où était une tribu
+d’Arabes de Modar. Quelque temps après, la division se mit entre
+ceux-ci et ceux de Rébiah, à l’occasion d’un homme de la tribu de
+Modar qui avait été assassiné&nbsp;; mais, les deux parties en
+étant venues à un arrangement, il n’y avait pas eu de rupture. Le
+meurtrier avait subi la peine du talion, et le plus proche parent
+du mort avait été satisfait.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_78">[78]</span>«&nbsp;El Omary
+n’ayant point été appelé à cet accord en fut profondément piqué et
+abandonna son habitation.</p>
+
+<p>«&nbsp;Quelques-uns des Arabes de la tribu, dont il était l’ami,
+le suivirent pour l’apaiser&nbsp;; malgré tous leurs efforts, il
+résista à leurs sollicitations. Cependant, d’après les promesses
+qu’ils lui firent de n’agir désormais que par ses ordres, promesses
+accompagnées des serments les plus sacrés, el Omary profita de
+l’occasion&nbsp;; il engagea ces Arabes à le reconnaître pour leur
+chef, et étant retourné avec eux à leur campement, leur ordonna de
+revenir sur l’accord qu’ils avaient conclu relativement au meurtre
+et d’en tirer vengeance les armes à la main, ce à quoi ils obéirent
+en attaquant les Arabes de Rébiah.</p>
+
+<p>«&nbsp;Après plusieurs combats, el Omary, forcé de céder au
+nombre, se retira vers une mine placée au midi de la première, où
+il était allé d’abord.</p>
+
+<p>«&nbsp;Dans cette nouvelle habitation, ses compagnons étaient
+obligés d’aller chercher l’eau à une grande distance et souffraient
+de la soif.</p>
+
+<p>«&nbsp;Cependant il était assez près du Nil, sans s’en douter,
+ce qui lui fut démontré par des oiseaux qu’il vit voler et qui
+ordinairement ne fréquentent que les bords des rivières. Il envoya
+au fleuve ses gens pour chercher de l’eau&nbsp;; c’était dans le
+district de Makorrah. Mais les Nubiens, habitants de ce pays,
+voyant de mauvais œil l’arrivée des nouveaux hôtes, se saisirent de
+quelques-uns d’entre eux et les retinrent prisonniers. Ceux qui
+devaient apporter de l’eau à la mine ne revenant pas, les
+compagnons d’el Omary se trouvèrent exposés à toutes les horreurs
+de la soif&nbsp;; en sorte que la quantité d’eau contenue dans une
+outre se vendait deux drachmes d’or natif.</p>
+
+<p>«&nbsp;El Omary, ayant inutilement employé la voie des
+négociations pour obtenir la liberté des prisonniers, alla la
+solliciter lui-même en personne, priant en même temps les Nubiens
+de<span class="pagenum" id="Page_79">[79]</span> lui fixer une
+route par laquelle ses Arabes pourraient se rendre au Nil pour
+puiser de l’eau, route dont ils ne s’écarteraient ni à droite ni à
+gauche. Les Nubiens, loin d’accéder à ses demandes, massacrèrent
+les hommes qui se trouvaient entre leurs mains.</p>
+
+<p>«&nbsp;El Omary, outré d’une pareille action, retourna vers ses
+compagnons et leur commanda de se tenir prêts à marcher. Tous
+s’étant rassemblés auprès de lui et ayant juré de le suivre, il
+leur ordonna d’apporter les instruments de fer qui servaient à
+travailler dans la mine et d’en forger des javelots.</p>
+
+<p>«&nbsp;Aussitôt après il se mit en marche pour tomber à
+l’improviste sur les Nubiens. Il arriva au lieu nommé
+<em>Scheukir</em>, situé au midi de la ville de Dongolah, à la
+distance d’environ deux mois de marche<a id=
+"FNanchor_20"></a><a href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>.
+Le Nil, en cet endroit, fait, du côté de l’orient, un détour
+considérable et se rapproche tellement de Schankoh qu’il n’en est
+qu’à une distance de quelques heures de marche. De là il retourne
+vers l’occident, puis vers l’orient. Ces sinuosités rendent la
+route excessivement longue pour ceux qui remontent ou descendent le
+Nil&nbsp;; aussi les Nubiens, pour éviter ces détours, prennent
+leur route au travers du désert&nbsp;; en sorte qu’ils parcourent
+en deux jours un espace d’un mois de marche.</p>
+
+<p>«&nbsp;El Omary étant tombé sur les Nubiens, en tua un nombre
+considérable et ravagea le pays. Ses compagnons emmenèrent une
+telle quantité de prisonniers que lorsqu’un d’entre eux se faisait
+raser la tête, il donnait un esclave pour le salaire du
+barbier.</p>
+
+<p>«&nbsp;Les Nubiens s’étant retirés à l’occident du fleuve avec
+tout ce qu’ils possédaient, el Omary choisit parmi ses compagnons
+une troupe d’hommes d’élite auxquels il recommanda<span class=
+"pagenum" id="Page_80">[80]</span> de traverser le Nil sur des
+outres pendant la nuit, de fondre sur les Nubiens et d’enlever
+leurs barques. Un Arabe de cette troupe, étant arrivé au bord
+occidental du fleuve, dit à ses compagnons&nbsp;: O mes amis,
+tirez-moi de l’eau, car un crocodile m’a coupé le pied. Il avait,
+pendant la traversée, éprouvé la morsure de ce cruel animal&nbsp;;
+mais craignant, s’il faisait du bruit, de troubler l’expédition, il
+s’était contenu et avait supporté la douleur jusqu’au moment où
+l’on parvint à l’endroit où étaient les ennemis.</p>
+
+<p>«&nbsp;Les Arabes ayant donc surpris ceux-ci, les défirent
+complétement, et enlevèrent leurs barques dont ils se servirent
+pour faire des courses dans les îles et sur la rive
+occidentale.</p>
+
+<p>«&nbsp;A cette époque el Omary écrivit aux marchands de la ville
+d’Assouan pour les engager à lui apporter des provisions par la
+route de la mine. En conséquence, un habitant de cette ville, nommé
+Othman ben Handjallah, de la tribu de Temin, partit avec mille
+bêtes de somme chargées de froment et autres denrées.</p>
+
+<p>«&nbsp;El Omary alla à sa rencontre et fut charmé de son
+arrivée. Il y avait dans la mine, et dans la ville d’Assouan un
+nombre prodigieux d’esclaves nubiens&nbsp;; les habitants de cette
+ville n’avaient presque plus pour leur harem que des femmes de
+cette nation, attendu qu’elles se vendaient à très-bas
+prix.&nbsp;»</p>
+
+<p>El Omary, on le voit, eut beaucoup de guerres à soutenir contre
+les Nubiens&nbsp;; ce que l’on peut lire en détail dans la
+traduction des œuvres de Macrizi, par M. Quatremère&nbsp;; mais,
+tout en guerroyant, il ne perdit jamais le but principal qu’il
+s’était proposé&nbsp;: l’exploitation des mines. Beaucoup d’Arabes
+des tribus de Syrie vinrent, à sa suite, s’établir dans le pays
+qu’il occupait et lui causèrent parfois des embarras&nbsp;; car, ne
+s’entendant pas toujours, il arriva que plusieurs d’entre elles
+prirent parti pour les Nubiens.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_81">[81]</span>Laissons encore
+parler son historiographe&nbsp;:</p>
+
+<p>«&nbsp;El Omary eut aussi un autre ennemi. Il était venu près
+d’Assouan, au village de Cachlémle, une journée plus au sud, et un
+lieutenant d’Achmed ben Teïloun, nommé El Babeky, fut envoyé par
+son souverain, à Assouan, avec un corps de troupes pour réprimer
+les actes qu’il pourrait commettre&nbsp;; mais, quoique El Omary
+fît tout son possible pour maintenir la paix, il ne put y parvenir,
+et il combattit le lieutenant d’Ahmed ben Teïloun, qui fut mis en
+déroute.</p>
+
+<p>«&nbsp;El Omary vint ensuite à Edfou, en Égypte, puis il
+retourna à sa mine, où il eut encore une terrible guerre à soutenir
+contre les Arabes de Rébiah.</p>
+
+<p>«&nbsp;En l’année 255 de l’hégire, il retourna encore
+s’installer à sa mine.</p>
+
+<p>«&nbsp;A cette époque, le pays devint tellement peuplé, dit
+toujours Macrizi, et cela à cause de l’exploitation des mines, que
+soixante mille bêtes de somme étaient employées à y porter des
+provisions de la ville d’Assouan&nbsp;; sans compter tout ce qui
+arrivait par Kolzoum, sur la mer Rouge, et par Aïdab.</p>
+
+<p>«&nbsp;Les Bedjah, qui sont les Bicharieh, prirent part dans les
+guerres des Arabes contre El Omary, et lui tuèrent son frère Ibraïm
+el Makhzoum, qui était allé chercher des grains à la ville
+d’Aïdab.</p>
+
+<p>«&nbsp;El Omary eut encore beaucoup de luttes à soutenir, et
+l’on cite un combat très-meurtrier qu’il livra dans un lieu nommé
+Meïça.</p>
+
+<p>«&nbsp;Enfin, un mécontent de la tribu de Modar dressa un piége
+à El Omary et le massacra. C’est ainsi que finit cet homme qui
+avait repeuplé tout le désert par le moyen de l’exploitation des
+mines.&nbsp;»</p>
+
+<p>On n’est plus étonné, après avoir lu et Diodore et Macrizi, de
+trouver, dans ce pays, autant d’endroits où l’on ait
+travaillé<span class="pagenum" id="Page_82">[82]</span> à
+l’extraction de l’or&nbsp;; mais ce qui est curieux, c’est qu’une
+seule mine ait été ouverte avant l’époque des Arabes, c’est que,
+pendant la période d’années écoulées entre Diodore et Ahmed ben
+Teïloun, période d’environ 914 années, il n’ait été tenté aucun
+travail de la même nature que ceux de Déréhib.</p>
+
+<p>Comme tous les indigènes de ces contrées où sont d’anciens
+monuments, les Bicharieh prétendent que leurs deux vieux châteaux
+renferment, enfouis, des trésors considérables&nbsp;; mais la peur
+qu’ils ont du diable qui, dans leur conviction, garde ces trésors,
+les empêche de tenter aucune fouille.</p>
+
+<p>Un des cheks qui m’accompagnaient, lequel n’avait pas l’air de
+craindre le moins du monde le diable des châteaux, me dit que son
+père était allé chercher à Assouan un savant fort expert pour
+reconnaître les lieux où des trésors se trouvaient cachés, afin de
+lui faire trouver ceux de Déréhib, mais que, lorsque ce savant
+avait voulu commencer la démolition, aux premiers coups de pioche
+il était sorti de terre une flamme qui lui avait brûlé la
+barbe.</p>
+
+<p>Tous les cheks me prièrent de faire quelque chose pour chasser
+le diable, afin qu’ils pussent fouiller dans des endroits indiqués.
+J’étais fort embarrassé&nbsp;; car, si je ne faisais rien, ils
+pouvaient croire que c’était mauvaise volonté&nbsp;; d’un autre
+côté, je répugnais à les entretenir dans leur ignorance en les
+laissant dans la persuasion que j’avais un pouvoir quelconque sur
+leur diable. Je causai de cela avec le chek Baraca et quelques
+autres moins bornés que leurs compagnons, et nous décidâmes de
+tenter une plaisanterie qui réussit parfaitement. Je plaçai un
+soir, sur le faîte de l’un des châteaux, quelques pièces
+d’artifice, telles que fusées et soleils, et j’allai y mettre le
+feu, ce qui divertit tout le monde. Je fis ensuite tuer plusieurs
+moutons que tous les Arabes présents mangèrent, et le lendemain
+matin, beaucoup d’entre eux, ayant foi dans la<span class="pagenum"
+id="Page_83">[83]</span> fuite du diable, se mirent à déblayer
+plusieurs endroits que je leur désignai. Ils ne bouleversèrent que
+des tas de poussière blanche provenant du lavage du minerai, et des
+amas de sable et de déblais qui résultaient de l’excavation d’un
+puits.</p>
+
+<p>Quelques hommes me firent voir un endroit où ils avaient
+plusieurs fois, en creusant le sol, trouvé des perles fines. Ceci
+ne m’étonna pas, car j’avais vu, pendant un de mes séjours à
+Assouan, des Arabes du désert qui venaient vendre des perles
+ramassées par eux dans des ruines ou dans des sites abandonnés. Les
+Arabes anciens avaient l’habitude, comme ceux d’aujourd’hui l’ont
+encore, d’enfouir leurs richesses sous terre ou dans des cachettes
+quelconques, afin de ne pas être volés. Dans cette situation, si la
+mort vient à surprendre le propriétaire, si la guerre l’oblige à
+quitter une résidence dans laquelle il ne peut plus revenir, l’on
+comprend bien que ses richesses demeurent perdues jusqu’au jour où
+le hasard les livre à des gens qui n’y ont aucun droit&nbsp;; et
+c’est fort souvent ce qui arrive.</p>
+
+<p>A Oum Eubal, par exemple, l’on a trouvé beaucoup de perles et de
+bijoux qui avaient été enterrés par les mamelouks que Méhémet Ali
+avait mis en fuite, si bien que parmi les personnes que le vice-roi
+avait alors à son service, il y eut un prétendu savant, un maître
+minéralogiste qui, sur le dire des Arabes, persuada au gouvernement
+qu’il y avait des perles dans une montagne du désert, et le poussa
+à une expédition ridicule pour en exploiter la <em>mine</em>.</p>
+
+<p>La proximité de la mer Rouge faisait que les habitants des
+châteaux de Déréhib devaient avoir des perles, et c’est justement
+parmi les éboulements des murs que les Bicharieh en ont
+ramassé.</p>
+
+<p>Enfin, après être resté six jours sur ce point de la vallée
+d’Ollaki, n’ayant plus rien à voir, nous songeâmes à la
+quitter.<span class="pagenum" id="Page_84">[84]</span> Il s’était
+groupé autour de nous, dans les ravins, beaucoup d’hommes, de
+femmes et d’enfants&nbsp;: tous nous recommandaient de ne pas
+couper leurs arbres, qui étaient leur seule richesse&nbsp;; mais en
+réalité ils n’étaient venus que pour solliciter des aumônes. Je fis
+de mon mieux pour contenter ces pauvres gens et pour faire qu’un
+bon souvenir de mon passage restât gravé dans leur esprit.</p>
+
+<p>Depuis quelques jours le temps était couvert et menaçant&nbsp;;
+au lieu de la pluie que nous attendions, nous n’eûmes qu’un fort
+vent du nord très-froid.</p>
+
+<p>Nous marchâmes environ trois heures en traversant les montagnes,
+et nous nous arrêtâmes dans l’Ouadée Affériame près d’un puits.</p>
+
+<p>Pendant que l’on campait et que nous nous organisions pour la
+nuit, deux jeunes gens des Ababdieh qui nous accompagnaient eurent
+une querelle au sujet de l’herbage qu’ils cueillaient pour leurs
+chameaux.</p>
+
+<p>Le père de l’un d’eux, vieillard à cheveux blancs, vint prendre
+parti dans la querelle et frappa l’adversaire de son fils. Alors un
+parent de ce dernier intervint. Il saisit le vieillard par la
+barbe, le jeta par terre en lui reprochant son peu de prudence, sa
+maladresse dans cette circonstance, comme si lui-même ne commettait
+pas une imprudence, une maladresse plus grande en agissant ainsi.
+Le vieillard prit une pierre et fit une forte blessure à celui qui
+le tenait. Tout le camp fut en rumeur&nbsp;; chacun s’intéressant
+plus ou moins à la bagarre, l’on se porta, de part et d’autre,
+quelques horions. Le chek des Ababdieh arriva assez à temps pour
+empêcher que l’on en vint aux armes et réconcilier les deux partis.
+Le moyen qu’il proposa fut accepté par tout le monde. Il fut
+convenu, d’un commun accord, de faire battre en duel les deux
+jeunes gens qui, depuis le départ d’Assouan, étaient
+continuellement en dispute. Ce duel<span class="pagenum" id=
+"Page_85">[85]</span> eut lieu immédiatement, réglé suivant les
+usages du pays. En conséquence, l’on tendit deux cordes séparées
+parallèllement l’une à l’autre d’environ 1<sup>m</sup>,50, l’on fit
+dépouiller les deux champions de la partie de leurs vêtements qui
+les couvrait jusqu’à la ceinture, et, après les avoir armés chacun
+d’un superbe courbache, espèce de forte cravache faite d’une
+lanière de peau d’hippopotame, on les plaça en présence de chaque
+côté des deux cordes. De cette manière ils ne pouvaient se
+rapprocher qu’à la distance fixée&nbsp;; mais ils pouvaient
+s’atteindre, et ils étaient libres de se frapper autant qu’ils le
+voudraient.</p>
+
+<p>Ils se frappèrent avec acharnement sans pousser un cri, une
+plainte, sans même sourciller. Dans un instant les corps des deux
+jeunes Arabes furent ruisselants de sang&nbsp;; car le courbache,
+entre les mains de gens qui savent s’en servir, est une arme
+terrible, une arme qui coupe et meurtrit tout à la fois. L’honneur,
+comme l’on dit chez nous, était satisfait, et, sur mes instances,
+les témoins les plus intéressés jugèrent à propos de faire cesser
+le combat. Ils séparèrent les adversaires qui vinrent s’asseoir,
+l’un près de l’autre, aussi tranquillement que s’il ne s’était rien
+passé.</p>
+
+<p>Cette affaire grossière entre deux hommes sans renom
+m’impressionna vivement&nbsp;; pourquoi cela&nbsp;? c’est qu’avant
+et après l’action, c’est que pendant le combat même, la tenue des
+assistants et celle des acteurs se confondaient dans une mise en
+scène théâtrale qui trahissait un profond sentiment de la dignité
+humaine. On devait procéder ainsi dans le temps des combats
+homériques.</p>
+
+<p>Je laissai la caravane descendre la vallée de Massarrié, et je
+me dirigeai vers celle de Chawanib&nbsp;; celle-ci est petite et
+étroite, l’on y voit beaucoup d’habitations ruinées remplies de
+moulins comme ceux dont j’ai déjà parlé. Ces habitations, comme
+toujours, sont près d’un lieu d’exploitation. Or il me parut fort
+intéressant<span class="pagenum" id="Page_86">[86]</span> d’y
+séjourner. Pour cela, il me fallut courir à la recherche de la
+caravane qui avait pris une autre direction à cause des mauvais
+passages dans les montagnes. Ce ne fut que le surlendemain que je
+pus l’atteindre et revenir, avec elle, à Wadée Chawanib.</p>
+
+<p>Ce retour, vers le point que j’avais quitté la veille, me permit
+de descendre la vallée d’Affériame qui est fort jolie, remplie de
+beaux arbres et de buissons vigoureux. Etroite et resserrée entre
+de petites montagnes et des rochers escarpés remarquables de formes
+et de couleurs, elle est en outre très-tortueuse&nbsp;; elle
+contient plusieurs réservoirs naturels où les eaux de pluies se
+conservent longtemps, ce qui attire beaucoup de perdrix et de
+gazelles. Nous y trouvâmes aussi un âne sauvage, un onagre que nous
+poursuivîmes&nbsp;; mais il disparut bientôt au milieu des
+rochers.</p>
+
+<p>De cette vallée d’Affériame nous passâmes dans une plus petite,
+bordée de basses collines de granit. Puis ensuite nous descendîmes
+dans une autre appelée Timestib à cause de la quantité de petits
+joncs qu’elle produit. Timestib est son nom en bicharieh, en arabe
+c’est Chouché.</p>
+
+<p>Dans tous ces ravins nous rencontrâmes beaucoup de troupeaux
+conduits par de vieilles femmes auxquelles nous causions une grande
+frayeur.</p>
+
+<p>Avant d’arriver dans l’Ouadée Massarrié, les montagnes
+deviennent plus élevées, elles ont une couleur très-rouge et sont
+toutes dégradées par des éboulements.</p>
+
+<p>La vallée de Massarrié est large, les collines qui la bordent
+d’un côté sont peu élevées, de l’autre côté ce sont de petites
+montagnes toujours de mêmes formations, mêlées ici de porphyres et
+de gneiss, là de granits et de schistes, et traversées dans tous
+les sens par des filons de quartz plus ou moins pur, plus ou moins
+micacé.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_87">[87]</span>Cette vallée est
+remplie de plantes et d’arbustes&nbsp;; mais ici il nous arriva un
+contre-temps&nbsp;: nous étions tellement gelés par un fort vent du
+nord, qui soulevait des nuages d’une poussière blanche et fine,
+tellement aveuglés par cette poussière, qui nous empêchait de rien
+voir, que nous fûmes forcés de nous arrêter près d’une petite gorge
+où il y avait de l’eau et des buissons.</p>
+
+<p>Quelques Arabes, campés dans cette localité, vinrent
+très-poliment nous prier de ne pas prendre l’eau qui leur
+appartenait&nbsp;; c’était assez difficile, attendu la situation.
+Quoiqu’ils nous répétassent, sous toutes les formes, qu’ils étaient
+les maîtres, nous dûmes leur faire comprendre que le droit que nous
+avions comme leurs hôtes, autant que le besoin de nous ravitailler,
+nous empêchait de consentir à ce qu’ils demandaient&nbsp;; après
+quoi nous prîmes de l’eau, et personne ne s’y opposa.</p>
+
+<p>Vers le soir, le vent tomba&nbsp;; mais nous étions
+littéralement couverts de poussière, nos personnes, nos montures,
+nos bagages, en étaient pour ainsi dire saturés, ce qui donnait à
+notre marche un aspect fort bizarre.</p>
+
+<p>Toute la nuit le froid se maintint très-vif, il ne diminua
+qu’après le lever du soleil, et nous ne rentrâmes dans l’ouadée
+Chawanib que vers l’après-midi.</p>
+
+<p>Mon premier soin, après m’être installé, fut de visiter les
+lieux d’exploitation et de placer des Arabes dans différents
+endroits pour y travailler.</p>
+
+<p>Ces mines de Chawanib sont situées entre plusieurs petites
+montagnes de peu d’élévation, la plus haute n’ayant pas plus de 120
+mètres au-dessus du fond de la vallée&nbsp;; elles présentent un
+mélange de plusieurs roches avec une base de granit ou de
+différentes espèces de porphyres. Le mica, le quartz et le
+feldspath se trouvent réunis dans des blocs séparés.</p>
+
+<p>L’endroit principal de l’exploitation est à droite de la
+vallée,<span class="pagenum" id="Page_88">[88]</span> en la
+remontant. C’est une petite colline de 20 mètres environ, entre
+deux petits torrents qui descendent de la montagne. Dans cette
+colline l’on a exploité deux filons qui traversent la petite vallée
+et continuent de l’autre côté, où ils sont aussi entamés&nbsp;;
+leur direction est S.-E. et N.-O. sur une largeur de 95
+centimètres. Le sol est ici encore de formation primitive, les
+schistes y dominent. Je remarquai aussi, autour de ces filons, des
+schistes rougeâtres dans lesquels se trouvent de petits cristaux
+cubiques qui ont de 2 à 4 millimètres de face, puis une terre
+argileuse très-compacte avec beaucoup de petites veines de quartz
+contenant le métal, c’est-à-dire l’or exploité. Enfin, les travaux
+exécutés verticalement conservent partout la même largeur dans tous
+les endroits où l’on avait fouillé, et ont été conduits, sur bien
+des points, jusqu’à l’épuisement complet de la partie
+quartzeuse.</p>
+
+<p>Il m’arriva ici, comme à Déréhib, de trouver le fond d’un filon
+exploité entièrement muré&nbsp;; au delà du mur mes recherches
+furent aussi infructueuses que dans la mine de Déréhib.</p>
+
+<p>Quoique la présence de l’or soit fort peu sensible, l’on ne peut
+cependant pas douter qu’il n’y ait eu un grand travail, et que tous
+ces filons n’aient été fouillés. Dans plusieurs des habitations
+environnantes, et dans quelques autres j’ai trouvé, près du mortier
+où l’on pilait le minerai, la gangue qui renferme l’or, puis cette
+même pierre pilée et préparée pour être passée au moulin.</p>
+
+<p>J’ai constaté qu’un seul filon n’avait pas été comblé par les
+éboulements, et qu’il faudrait de grands travaux pour déblayer les
+autres si l’on voulait continuer l’exploitation. La maison de celui
+qui exploitait le filon principal était sur le lieu même, et des
+gardiens, dont on voit encore les guérites en pierres, veillaient
+sur le haut de la colline.</p>
+
+<p>Outre les points travaillés, il y en a beaucoup d’autres
+qui<span class="pagenum" id="Page_89">[89]</span> sont encore
+intacts et de même nature, il y en a même de plus importants que
+les plus grands de ceux que j’ai visités.</p>
+
+<p>Beaucoup d’habitations étaient disséminées au bas des collines
+voisines, bâties sans aucun ordre, en pierres brutes et de formes
+carrées. Presque dans toutes se retrouvaient les fragments de
+roches qui servaient à piler le minerai ou à écraser la gangue, et
+de plus le moulin à broyer presque complet. Enfin les installations
+du lavage y étaient presque nulles&nbsp;; sans doute, pour cette
+opération, l’on se rapprochait des lieux où se trouvait l’eau, ou
+bien l’on attendait la saison des pluies.</p>
+
+<p>J’ai remarqué que les mineurs de Chawanib, divisés par petits
+groupes, s’attachaient au filon qui leur était dévolu, et qu’ils
+travaillaient aussi à ramasser, sur leur circonscription, les
+sables que les eaux de pluie entraînaient du haut de la montagne
+afin d’en faire le lavage. Il y a, auprès des maisons, beaucoup de
+tas de sable qui n’ont pas d’autre origine.</p>
+
+<p>D’après l’état de toutes ces maisons et d’après celui des
+travaux surtout, l’on peut être persuadé que cette mine n’a pas été
+abandonnée volontairement par les mineurs&nbsp;; mais qu’ils ont dû
+y être contraints par force, sans doute à la suite des guerres qui
+ont ravagé le pays.</p>
+
+<p>Ce devaient être des musulmans, si l’on en juge par quelques
+tombeaux dispersés çà et là, et qui datent du temps où le chek Abd
+el Haman el Omary occupait le pays.</p>
+
+<p>Le nom de Chawanib donné à cette vallée lui viendrait, suivant
+les Bicharieh, de ce qu’un Arabe nommé Chawane, qui a encore
+aujourd’hui un descendant direct, l’aurait occupée à une certaine
+époque. Ils ont ajouté à son nom une terminaison suivant leur
+langage. Mais avec sa terminaison, Chawanib pourrait bien être
+aussi un pluriel de Chamin, qui veut dire Syrien, ce qui
+justifierait le passage de la citation de Macrizi<span class=
+"pagenum" id="Page_90">[90]</span> où il est dit que des ouvriers
+syriens sont venus travailler aux mines.</p>
+
+<p>J’ai oublié de dire que les eaux pour les besoins particuliers
+des travailleurs étaient fournies par un puits qui se trouve plus
+bas dans la vallée, et qui a été comblé par les cailloux et tous
+les détritus que le torrent apporte lorsqu’il pleut. Personne, chez
+les Bicharieh, ne veut se donner la peine de désencombrer ce puits
+qui, au dire des anciens de l’endroit, était encore en bon état il
+y a peu d’années.</p>
+
+<p>Après être resté trois jours à Wadée Chawanib, nous partîmes
+pour une autre destination&nbsp;; lorsqu’on leva le camp, il y eut
+beaucoup de bruit, car le chek Baraca s’était absenté pour aller
+voir le chek Abou Goublé. Chacun voulait prendre le moins de bagage
+possible. Un Ababdi qui se disputait avec un de mes gens parce que
+l’on avait un peu changé sa charge, refusa de la mettre sur son
+dromadaire. Je me fâchai et lui ordonnai d’obéir, et comme je
+m’avançais résolûment pour l’y contraindre, il prit une pioche et
+vint à moi avec menace. Comprenez-vous ce qui serait arrivé si,
+n’écoutant que ma colère, j’avais fait usage de l’arme que j’avais
+saisie pour mettre cet homme à la raison&nbsp;? Mon bonheur voulut
+que les Arabes présents fussent plus prompts&nbsp;: ils sautèrent
+sur lui et l’entraînèrent loin de moi. Puis les Ababdieh vinrent me
+supplier de me calmer, et surtout de ne point parler aux cheks de
+ce qui s’était passé, ajoutant que le coupable était un Bicharieh
+sauvage et abruti qui ne comprenait rien au respect que l’on me
+devait, qu’il serait corrigé par eux, etc., etc. Ma colère était
+passée, je promis ce qu’ils demandaient&nbsp;; mais je sus plus
+tard, par un jeune garçon qui parlait l’arabe, que l’individu
+révolté contre moi était bien réellement un Ababdi de la tribu du
+chek Saad&nbsp;; ses camarades avaient voulu faire tomber sur les
+Bicharieh toute la responsabilité qui pesait sur eux. Ce trait,
+qui<span class="pagenum" id="Page_91">[91]</span> implique une
+certaine fourberie, est un des caractères distinctifs de leur
+tribu.</p>
+
+<p>Nous nous arrêtâmes dans l’ouadée Massarrié.</p>
+
+<p>Le lendemain, au lever du soleil, nous partîmes avec un vent
+extrêmement froid qui nous venait du nord et nous glaçait au point
+de nous faire souffrir. En passant dans la vallée d’Ollaki, nous
+rencontrâmes des Arabes de connaissance qui faisaient paître un
+grand nombre de femelles de dromadaires avec leurs petits&nbsp;;
+ils ne voulurent pas nous laisser passer sans nous faire une
+politesse, et ils nous servirent de grands vases de lait qu’ils
+tiraient sur le moment&nbsp;; cela nous réchauffa un peu.</p>
+
+<p>La route suivie était dans la direction de la vallée d’Hégatte.
+Nous remontâmes cette vallée, déjà parcourue, pour une raison
+importante que je vais dire&nbsp;: il était convenu que l’on
+s’arrêterait auprès d’un puits désigné, et que là on tiendrait une
+espèce de conseil avec les cheks de la caravane et d’autres cheks
+des environs que nous connaissions déjà, afin de décider s’ils
+viendraient avec moi au Caire pour que je les présentasse au
+vice-roi, et qu’ils fissent, entre ses mains, acte de soumission.
+Cette démarche était nécessaire pour l’avenir, si Méhémet Ali
+donnait suite au projet qu’il avait de faire exploiter les
+mines&nbsp;; car ces Arabes n’avaient jamais été soumis, jamais
+personne, je l’ai dit, n’avait pénétré chez eux&nbsp;; c’est à
+peine s’ils étaient connus du gouvernement égyptien.</p>
+
+<p>On était campé près de l’eau&nbsp;; chacun avait quelque chose à
+faire&nbsp;: les uns firent la lessive, les autres arrangèrent les
+selles, les armes, etc. Moi, je passai l’inspection des vivres, et
+bien m’en prit. Je connaissais les Arabes, toujours imprévoyants,
+ils auraient consommé toutes leurs provisions sans mot dire, et
+quand il n’y aurait plus eu un biscuit, une mesure de farine, un
+grain de riz, ils seraient venus m’en faire part,<span class=
+"pagenum" id="Page_92">[92]</span> et il aurait fallu tout
+abandonner pour regagner au plus vite la ville d’Assouan.</p>
+
+<p>Je trouvai que plusieurs groupes avaient déjà fini leurs
+biscuits, d’autres étaient presque dans la même position&nbsp;;
+cependant, pour compléter mon voyage, j’avais encore un mois à
+courir le désert. Je prévins Baraca afin qu’il prit ses mesures en
+conséquence&nbsp;; car c’était lui qui était responsable. Il avait
+reçu, à Assouan, plus d’argent qu’il ne fallait pour assurer la
+subsistance de la caravane pendant deux mois, et il avait pris
+l’engagement d’y pourvoir. Je décidai ensuite que nous partirions
+le surlendemain, soit que les cheks fussent venus, pour le conseil,
+ou non.</p>
+
+<p>Il y avait aux environs, des ruines d’anciennes habitations, des
+traces d’exploitations comme celles que j’avais déjà vues. Je dus
+renoncer à les visiter&nbsp;; car il aurait fallu me détourner de
+ma route principale, et dépenser un temps précieux eu égard à la
+pénurie dans laquelle nous nous trouvions.</p>
+
+<p>Mon intention était de pousser jusqu’à l’Elba, dans la direction
+de la mer Rouge, et je dus prendre toutes les dispositions
+nécessaires pour effectuer cette excursion.</p>
+
+<p>Les cheks que nous attendions ne vinrent pas&nbsp;; ils nous
+envoyèrent dire que si nous voulions rester dans les environs
+d’Ollaki, sans aller plus loin, et surtout à l’Elba, ils
+viendraient nous accompagner&nbsp;; mais que si nous les faisions
+venir pour aller à cette montagne, ils ne nous accompagneraient
+pas, parce qu’ils savaient que les gens de cet endroit, à la
+nouvelle qu’on leur avait donnée de notre arrivée, s’étaient
+retirés avec tous leurs troupeaux dans l’intérieur de leurs rochers
+où il est très-difficile de pénétrer, et qu’ils nous attendaient
+avec des dispositions hostiles. Ils ne voulaient point faire la
+guerre à cause de nous, et encore moins partager notre mauvais
+sort.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_93">[93]</span>Ils me firent
+savoir aussi que, quant à aller se présenter au vice-roi, comme je
+le leur avais proposé, ils ne pensaient pas que cela fût
+très-nécessaire, qu’ils écriraient une lettre que tous signeraient
+pour assurer Son Altesse de leur soumission, et lui faire savoir,
+dans le cas où sa volonté serait d’envoyer des gens pour travailler
+aux mines, qu’ils les recevraient de leur mieux et les aideraient
+même dans leurs travaux&nbsp;; mais que la crainte de la petite
+vérole, qui, lorsqu’elle était apportée chez eux, faisait d’affreux
+ravages, les empêchait de descendre en Égypte.</p>
+
+<p>La vraie raison venait d’une autre crainte, hélas&nbsp;! bien
+fondée. Ils voyaient tous les jours les <em>avanies</em> que les
+gouverneurs, les cachefs, les employés du gouvernement égyptien
+commettaient sur les autres Arabes, et ils ne se souciaient pas de
+s’y exposer. Ils connaissaient plusieurs faits arrivés à Assouan, à
+Abou Ahmet, à Coroscos, et il craignaient, ce qui du reste faisait
+l’éloge de leur bon sens, qu’en devenant les amis des Turcs, ils ne
+fussent encore plus maltraités qu’en restant dans les termes où ils
+se trouvaient avec eux.</p>
+
+<p>Voyant que pour négocier une affaire de ce genre j’étais exposé
+à subir bien des lenteurs, voyant, d’un autre côté, qu’un jour
+arriverait indubitablement où mes amis les Bicharieh me
+maudiraient, sans que j’eusse procuré à Méhémet Ali un avantage
+réel, je laissai là cette négociation, m’en rapportant, pour la
+question des mines, à toute autre donnée que la situation ferait
+naître.</p>
+
+<p>Cependant, comme j’avais déclaré que bon gré, mal gré, j’irais à
+l’Elba, un des cheks convoqués pour le conseil qui n’eut pas lieu,
+consentit à venir avec nous. Sans tenir compte de l’opposition de
+ses compatriotes, il promit de venir nous rejoindre à Meïça,
+localité qui se trouvait sur notre itinéraire.</p>
+
+<p>Un autre chek partit aussi pour Derrawe, où il alla
+m’attendre.<span class="pagenum" id="Page_94">[94]</span> Ces deux
+hommes étaient plus résolus que les autres&nbsp;; je pensai donc,
+après tout, pouvoir les conduire au Caire.</p>
+
+<p>La caravane se mit en mouvement à dix heures du matin, le 2
+mars. Nous descendîmes l’ouadée Hégatte pour entrer dans celle
+d’Ellébé. Toutes les collines et hauteurs que l’on a sous les yeux
+sont alors peu élevées, comme celles de Déréhib&nbsp;; seulement
+l’on y voit un plus grand nombre de monticules de quartz brisés.
+Cette vallée, qui va toujours en se rétrécissant, presque sans
+végétation, conduit à une assez haute montagne du même nom,
+montagne curieuse à cause du spectacle qu’elle présente&nbsp;; ce
+sont des couches renversées, brisées, des éboulements multipliés de
+roches aux couleurs chatoyantes, et, comme à Déréhib encore, de
+gros blocs de quartz, du granit et des schistes. Du côté du nord
+elle est toute ravinée par les pluies.</p>
+
+<p>Après l’ouadée Ellébé, nous traversâmes plusieurs petites
+montagnes sans que l’aspect général du pays eût changé. Nous
+entrâmes dans l’ouadé Daffetti et, après quelques heures, nous
+atteignîmes un terrain uniforme, presque plat, et tout couvert d’un
+beau gravier granitique mêlé à du sable siliceux.</p>
+
+<p>Les pluies, qui étaient tombées, avaient fait pousser beaucoup
+de petites herbes, imperceptibles pour nous&nbsp;; mais que des
+troupeaux mangeaient déjà. Ces troupeaux étaient gardés par deux
+très-jolies et jeunes Bicharrieh qui d’abord s’effrayèrent à notre
+approche&nbsp;; elles ne voulurent jamais nous dire de quelle
+tribu, ni de quelle famille elles étaient, ni à qui appartenaient
+les troupeaux&nbsp;; mais bientôt elles nous parlèrent hardiment en
+riant et plaisantant, elles se moquèrent même de nous avec beaucoup
+de gaieté. Nous campâmes près de la vallée de Daffetti au coucher
+du soleil.</p>
+
+<p>Le lendemain, 3 mars, nous fîmes beaucoup de
+détours,<span class="pagenum" id="Page_95">[95]</span> tantôt d’un
+côté, tantôt d’un autre. La route suivie était vers l’Est&nbsp;;
+mais les montagnes qui bordent l’ouadée Daffetti et qui se
+présentent verticales comme des murailles, nous barraient
+constamment le passage.</p>
+
+<p>Il nous fallut contourner cette chaîne d’obstacles dont la
+nature est la même que celle des environs d’Ollaki, à cela près
+qu’ici l’on voit beaucoup plus de quartz.</p>
+
+<p>Le pays était peuplé de gazelles, ce qui égaya un peu notre
+marche&nbsp;; nous vîmes aussi plusieurs autruches.</p>
+
+<p>Après avoir franchi Daffetti et ses défilés, l’on a devant soi
+la montagne ainsi que la vallée de Beint el Fegue. Celle-ci est
+remplie de touffes de joncs et, par intervalles, de quelques petits
+arbres rabougris, tout secs et noirs, ce qui provient de la rosée
+abondante qui tombe pendant la nuit dans ces lieux et du soleil
+ardent qui brûle les plantes pendant la journée. Nous continuâmes à
+marcher toujours vers l’est du côté de la montagne de Chennâh, à
+droite de la chaîne de Daffetti.</p>
+
+<p>Dans ces parages, il se trouve beaucoup d’ânes sauvages, des
+onagres auxquels nous donnâmes la chasse inutilement. Le soir,
+épuisés de fatigue, nous dressâmes nos tentes à l’entrée d’une
+grande plaine de sable.</p>
+
+<p>Les ânes sauvages, troublés dans leur solitude, épiaient, à
+distance, tous les mouvements des Arabes, mais ils se tenaient
+toujours en dehors de la portée de leurs balles. Ces animaux sont
+extrêmement rusés et flairent l’homme de fort loin. Ce sont les
+seuls, dans le désert, que les Bicharieh ne peuvent forcer à la
+course. Ils forcent les gazelles et les autruches. Montés sur leurs
+dromadaires et en plaine, ils arrivent assez facilement à fatiguer
+ce gibier qui ne trouve de salut que dans la montagne&nbsp;; l’âne
+sauvage, lui, ne se fatigue pas et court très-longtemps. Les Arabes
+ne les prennent que dans des piéges habilement et solidement
+tendus.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_96">[96]</span>Pendant la nuit,
+des Bicharieh, qui campaient aux environs, eurent l’idée d’attraper
+un onagre&nbsp;; voici le procédé qu’ils employèrent&nbsp;: ils
+attachèrent à un gros tronc d’arbre mort un nœud coulant, fait avec
+une corde en lanières de peau très-souple et bien graissée, et
+ayant 3 centimètres de diamètre. Cette espèce de lacet fut
+recouvert de petites herbes sèches et d’un peu de sable très-fin,
+de manière à ce que l’animal ne pût le voir et dût, en même temps,
+poser les pieds sur le terrain mobile.</p>
+
+<p>Ils placèrent, comme appât, auprès du tronc de l’arbre, une
+ânesse bien fortement attachée, puis ils s’éloignèrent, confiants
+dans leur ruse qui manque rarement son but.</p>
+
+<p>On comprend, en effet, l’excellence du procédé. Attirés par la
+présence d’une femelle, les mâles arrivent avec confiance, et tout
+en piétinant sur la terre préparée, l’un d’eux met infailliblement
+le pied dans le nœud coulant et se trouve pris. Le propriétaire de
+l’ânesse a le double avantage de prendre un âne sauvage et d’avoir
+sa bête saillie par lui, ce qui donne un produit très-estimé et
+d’une race excellente.</p>
+
+<p>Les ânesses ainsi exposées ne sont jamais maltraitées par les
+troupes d’onagres&nbsp;; mais si, par aventure, ils rencontrent un
+baudet, celui-ci est immédiatement massacré par eux avec une fureur
+sans égale.</p>
+
+<p>Le matin, de bonne heure, l’on vint nous annoncer qu’un onagre
+était tombé dans le piége, et chacun s’empressa de courir pour
+l’aller voir. Il était pris par un pied de derrière, de telle sorte
+qu’il traînait le tronc d’arbre après lui, et qu’il nous fit faire
+bien du chemin avant que l’on pût l’atteindre. Sa fureur était à
+son paroxysme, il mordait la corde et même sa jambe pour se
+dégager&nbsp;; mais il n’y parvint pas, et on le tua sans pitié. Je
+dis sans pitié, parce que les Arabes Bicharieh ne pardonnent pas à
+cette espèce de quadrupède sa rebellion<span class="pagenum" id=
+"Page_97">[97]</span> constante contre toutes les tentatives qu’ils
+ont faites et celles qu’ils font encore pour arriver à
+l’apprivoiser.</p>
+
+<p>Après tout la chair de l’onagre est fort bonne à manger. Celui
+qui avait été pris par les Arabes de l’endroit, fut partagé avec
+mes hommes et l’on en fit un somptueux repas.</p>
+
+<p>Dans notre existence du désert, cet événement fut une cause de
+joie, une cause de fraternisation, et il arriva que nous nous mîmes
+en marche longtemps après le soleil levé.</p>
+
+<p>Nous piquâmes directement à l’est, comme disent les marins,
+toujours en montant et sur un terrain de sable, parsemé çà et là de
+rochers de granit, gros blocs parfaitement arrondis, et de roches
+quartzeuses d’un blanc laiteux plus ou moins nuancé. Après ces
+terrains sablonneux, nous descendîmes la vallée de Feuque qui, au
+nord, se joint à celle de l’Hodéïn, pour aller ensuite jusqu’à la
+mer.</p>
+
+<p>Notre route traversait cette vallée au delà de laquelle nous
+dûmes continuer entre de petites montagnes nommées el Samerah, à
+cause de leur couleur rougeâtre.</p>
+
+<p>De ce point, en six heures, nous arrivâmes au puits de la vallée
+de Chennah. Mon intention était de marcher encore, sachant bien que
+nous avions assez d’eau pour aller jusqu’à un autre puits que nous
+devions trouver le lendemain&nbsp;; mais telle n’était celle de mes
+gens. Les Bicharieh ne me comprenaient pas, ils étaient d’ailleurs
+de la même opinion que les Ababdieh dont je connaissais
+l’entêtement bestial. Or, n’ayant aucun intérêt majeur à entamer
+une lutte qui pouvait tourner à mal, je pris le parti de dire comme
+tout le monde, en laissant croire que je m’étais trompé dans mon
+appréciation, et nous campâmes au puits de Chennah.</p>
+
+<p>Ce puits, situé dans un endroit fort aride, se trouvait quelque
+peu ensablé&nbsp;; il nous fallut travailler à l’ouvrir, après
+quoi<span class="pagenum" id="Page_98">[98]</span> nous eûmes, je
+dois l’avouer, de l’eau très-bonne et très-claire, sourdant des
+sables granitiques.</p>
+
+<p>Toutes les montagnes environnantes étaient, du côté du sud,
+formées de gros blocs de granit rose&nbsp;; il n’y en a pas d’autre
+dans ces contrées, et, du côté du nord, leur structure se
+présentait sous forme de gneiss, de schistes et roches micacées.
+Ces dernières paraissaient beaucoup plus élevées.</p>
+
+<p>En quittant ce lieu, c’est-à-dire en quittant le puits auquel je
+ne voulais pas toucher, le 5 mars, nous descendîmes la vallée qui
+est très-pittoresque à cause de ses sinuosités, et surtout à cause
+des hauts rochers qui l’enserrent&nbsp;; ces rochers sont de
+grandes masses de granit siénitique. Tout au contraire, la montagne
+de Chennah, dont la hauteur est importante, ne laisse voir que des
+petites roches entassées les unes sur les autres, comme résultat
+des éboulements qui ont eu lieu partout. Cette circonstance lui
+donne un aspect particulier. Du côté de l’est, le granit y affecte
+des formes pyramidales très-variées.</p>
+
+<p>La vallée se perd dans celle d’Assiam, qui elle-même va se
+confondre avec une autre appelée Abou Houded. Ici la montagne de ce
+nom, située au nord de la vallée, est aussi élevée que celle de
+Chennah. Sa composition, parfaitement identique quant au fond, ne
+l’est point quant à la forme. Elle apparaît toute découpée, par
+aiguilles, comme les doigts de la main. C’est au reste la
+continuation de l’autre pic dont elle n’est séparée que par une
+faible distance.</p>
+
+<p>Du faîte de ce belvédère l’on domine une grande étendue de pays
+du côté de l’est et du côté du nord. On voit les montagnes de
+l’Béda qui sont à plus de seize lieues, celles de Guerfe où se
+trouvent la vallée de Bannet et celle de Chélal, renommée par ses
+sources et ses réservoirs naturels, et l’on jouit d’un spectacle
+d’autant plus splendide, que les premiers<span class="pagenum" id=
+"Page_99">[99]</span> plans que l’on a sous les yeux sont garnis
+d’arbres et de végétation, et que les vapeurs du désert colorent
+tout cet ensemble des tons les plus variés et les plus
+fantastiques.</p>
+
+<p>La montagne de Guerfe est ainsi nommée parce qu’elle est la
+dernière ramification, au nord, de cette chaîne qui s’étend vers le
+sud plus loin que l’Elba. Elle est la plus élevée du pays et forme
+le point de partage des eaux. L’un de ses versants regarde l’est et
+la mer, l’autre regarde l’ouest et le Nil&nbsp;; aussi tous les
+brouillards qui arrivent de la mer Rouge, par un vent de nord-est,
+s’arrêtent sans passer au sud-ouest, et font tomber sur le versant
+du levant, pendant les nuits d’hiver, une très-forte rosée qui
+mouille comme une pluie fine de printemps. Quoique la mer soit
+éloignée d’une vingtaine de lieues, il est à remarquer que les
+brouillards qu’elle envoie sont salins et que le ciel, couvert de
+gros nuages très-bas, ne se fond jamais en pluie véritable.</p>
+
+<p>Les eaux qui coulent de la vallée d’Abou Houded, auxquelles se
+joignent celles de Chennah et celles d’Assiam, se rendent à la mer
+par l’ouadée Gismit en traversant le désert de sable de la contrée
+de l’Elba.</p>
+
+<p>Tout ce pays est habité par les Bicharieh de la tribu du chek
+Souéket. La partie dans laquelle nous entrions se nomme l’Genoub,
+c’est-à-dire queue des vallées, appellation pittoresque qui désigne
+fort bien la contrée où les vallées se perdent dans la plaine.</p>
+
+<p>Nous laissâmes Abou Houded, et nous marchâmes encore à l’est par
+un sol sablonneux transpercé d’espace en espace par des roches de
+granit, et puis ensuite accidenté par des dunes de sables mouvants
+sur lesquels nos montures se fatiguèrent beaucoup. Partout la
+végétation était rare et les arbres rabougris.</p>
+
+<p>Nous campâmes, après une marche forcée de plusieurs<span class=
+"pagenum" id="Page_100">[100]</span> heures, dans le lit peu
+profond de l’ouadée Sawaworib où il n’y avait que des plantes
+marines grasses et de la soude.</p>
+
+<p>Mais ces sables, que nous parcourions, dont l’aridité est
+effrayante à certaines époques de l’année, se couvrent, lorsque la
+saison des pluies arrive, de pâturages excellents pour le bétail,
+et même quoiqu’il n’eût pas encore plu, il y avait déjà en plaine
+beaucoup de chameaux et de moutons. Ces troupeaux appartenaient au
+chek Souéket, dont le fils vint bientôt nous trouver.</p>
+
+<p>Vers le soir, le ciel se couvrit de gros nuages et prit un
+aspect fort triste&nbsp;; mais il ne tomba pas une goutte
+d’eau&nbsp;; le brouillard seulement fut épais toute la nuit.</p>
+
+<p>Le 6, de bonne heure, le frère de Souéket, nommé Carar, nous
+amena deux moutons en présent. Il était accompagné de sa mère,
+parente du chek Baraca, ce qui fit événement. Tous les Arabes
+allèrent saluer la vieille femme avec les marques du plus profond
+respect.</p>
+
+<p>Ce jour-là notre marche s’infléchit un peu au nord, toujours
+dans des terrains sablonneux. Bientôt nous remontâmes une vallée
+venant de l’est&nbsp;; elle était remplie d’arbres, et chemin
+faisant, j’y découvris beaucoup de tombeaux anciens. Il y avait,
+devant nous, sur le sable, les traces d’une caravane de chameaux
+qui ne devait avoir que quelques heures d’avance&nbsp;; comme nous
+supposâmes que c’était une caravane de Gelabs, portant des grains
+pour vendre à l’Elba, nous fîmes notre possible pour les
+rejoindre.</p>
+
+<p>Depuis sept heures environ nous étions juchés sur nos
+dromadaires, lorsque nous en descendîmes à l’entrée de l’ouadée
+Meïça, comme des voyageurs qui mettent pied à terre à la porte
+d’une bonne hôtellerie. Pendant que l’on s’installait, je courus,
+avec le chek Baraca, à la reconnaissance du puits où l’on devait
+aller prendre de l’eau.</p>
+
+<p>Cette vallée, resserrée entre de petites montagnes de
+formes<span class="pagenum" id="Page_101">[101]</span> gracieuses
+et colorées, ressemblait en tous points à celle de Chawanib, si ce
+n’est pourtant que les quartz y sont moins abondants. Elle est
+remplie d’arbres et de plantes, et la même végétation subsiste
+jusque sur les montagnes, chose que nous n’avions pas vue jusque
+là.</p>
+
+<p>Le puits se trouve dans le haut de la vallée, au beau milieu du
+chemin&nbsp;; il est large, profond de 8 à 9 mètres et construit
+avec des pierres brutes jusqu’à la margelle qui est en briques
+cimentées avec du mortier, ce qui prouve qu’il est ancien. Il
+fournit beaucoup d’eau très-limpide, mais cette eau est saumâtre et
+quelque peu salée.</p>
+
+<p>Près du puits je remarquai un rocher à pic sur lequel il y a des
+dessins ébauchés qui représentent des vaches à longues cornes et
+des chameaux tous fort mal faits, et, sur son flanc, une petite
+grotte naturelle où les Bicharieh prétendent que l’un des Sahabas,
+c’est-à-dire des compagnons du prophète Mahomet, mettait sa jument
+à l’ombre. La pauvre bête ne devait pas y être commodément&nbsp;;
+car il fallait qu’elle entrât ou sortît en reculant, la grotte
+étant trop étroite pour qu’elle pût s’y retourner.</p>
+
+<p>Macrizi, en parlant de la vie du chek El Omari, dit que son
+frère Ibraïm el Makhzoum fut tué par les Bedjah en allant chercher
+des grains à la ville d’Aïdab. Je l’ai déjà cité plus haut&nbsp;;
+puis il ajoute qu’à Meïça différentes tribus arabes se battirent
+avec les troupes d’Omary, que dans une rencontre, qui fut terrible,
+il périt plusieurs milliers d’hommes et que l’avantage resta aux
+indigènes.</p>
+
+<p>Les tombeaux des victimes de cette hécatombe sont encore
+visibles aujourd’hui. Ce sont de grands ronds, comme ceux que j’ai
+déjà décrits, élevés au-dessus du sol d’environ un mètre et tous
+faits en pierres sans mortier. Leur centre rempli de gravier et de
+terre cachait une excavation dans<span class="pagenum" id=
+"Page_102">[102]</span> laquelle l’on plaçait les cadavres&nbsp;;
+les ossements que j’y ai trouvés en font foi. D’ailleurs c’était un
+usage ancien, parmi les Arabes, d’enterrer ainsi leurs morts après
+le combat.</p>
+
+<p>En descendant la vallée, à une petite distance de l’endroit où
+est le puits, se trouvent les ruines du tombeau d’un musulman<a id=
+"FNanchor_21"></a><a href="#Footnote_21" class=
+"fnanchor">[21]</a>&nbsp;; c’est une bâtisse carrée, assez
+grossière, avec deux fenêtres cintrées sur chaque façade&nbsp;;
+elle se terminait par un dôme qui était fort lourd, et qui a
+produit une poussée si grande sur les pieds-droits qui le
+soutenaient, que ceux-ci se sont élargis et que le susdit dôme
+s’est effondré avec tout un angle du monument. Le tout était bâti
+en moellons avec du mortier de chaux et du plâtre que l’on a dû
+apporter de fort loin&nbsp;; car dans aucun terrain il n’y a rien
+qui annonce la présence de ces matériaux.</p>
+
+<p>Ce tombeau n’était pas le seul. Aux alentours il s’en trouvait
+d’autres plus petits qui sont aujourd’hui entièrement ruinés. Le
+plus grand devait être celui du frère d’el Omary, tué par les
+Bedjah en revenant d’Aïdab.</p>
+
+<p>Dans la vallée étaient beaucoup d’habitations de Bicharieh, et,
+dans ces habitations, beaucoup de jolis enfants très-étonnés de
+nous voir quoiqu’ils ne témoignassent aucune crainte.</p>
+
+<p>Les Gelabs, dont nous avions vu les traces la veille, sur le
+sable, étaient campés aussi dans cet endroit&nbsp;; ils venaient
+d’Assouan avec une charge de grains pour vendre à l’Elba. A notre
+approche, ces gens ne nous reconnaissant pas, et nous prêtant des
+intentions de pillage, prirent leurs armes avec une résolution qui
+prouvait qu’ils étaient bien préparés contre toute surprise. Telle
+est la manière d’accueillir, dans le désert, les individus que l’on
+ne connaît pas&nbsp;; l’on est toujours sur le qui-vive, attendu
+qu’il y a cent à parier contre un que vous rencontrez<span class=
+"pagenum" id="Page_103">[103]</span> un ennemi ou des
+ennemis&nbsp;; mais dans la circonstance présente l’erreur était
+manifeste, et les Gelabs, qui s’en aperçurent presque aussitôt,
+vinrent nous saluer très-amicalement. Avec eux se trouvait le fils
+du chek Ahmed Courouc qui nous dit que son père n’avait pas encore
+pu venir nous joindre parce que le jeûne du Ramadan le fatiguait
+beaucoup, et qu’il n’avait pas su précisément l’endroit où il
+pouvait nous rencontrer&nbsp;; mais que, sans aucun doute, dans la
+journée du lendemain il arriverait.</p>
+
+<p>Comme il était fort important pour nous de voir ce chek pour
+aller à l’Elba, et que, d’un autre côté, nous en attendions deux
+autres dont les tribus habitaient la fameuse montagne, comme nous
+devions aussi nous entendre avec les Gelabs au sujet de provisions
+que nous avions à acheter, je résolus de passer la journée, la nuit
+et encore la journée du lendemain à Meïça.</p>
+
+<p>Le 7, pendant toute la journée, j’eus la visite de beaucoup de
+Bicharieh&nbsp;; ils s’accordaient tous à dire que personne, dans
+la contrée, ne voulait aller avec nous à l’Elba. Pour pénétrer dans
+cette montagne, qui était, suivant eux, un lieu sacré aux yeux des
+Arabes, surtout aux yeux de ceux qui campaient près d’elle, il
+fallait gagner à notre cause au moins soixante-dix chefs,
+c’est-à-dire tous les principaux personnages du pays&nbsp;; mais en
+réalité la montagne de l’Elba ne constituait qu’un repaire de
+brigands, un assemblage d’individus vivant de rapine et de vol,
+sans chef immédiat, et ne reconnaissant pas même à l’un d’entre eux
+cette autorité bénigne du chek qui n’est autre que celle du père de
+famille. Il était évident que l’on voulait exploiter ma présence à
+leur profit, ou plutôt, qu’eux s’étaient arrangés de manière à ce
+qu’il en fût ainsi. Je n’avais ni la volonté ni les moyens de subir
+cette pression&nbsp;; tout mon<span class="pagenum" id=
+"Page_104">[104]</span> espoir se concentrait donc dans l’influence
+des cheks qui m’accompagnaient et surtout dans celle de Baraca.</p>
+
+<p>Le 8, nous attendîmes en vain Ahmed Courouc&nbsp;; mais ses deux
+fils, qui étaient auprès de nous, promirent de nous conduire à la
+place de leur père, et il fut convenu de faire tout ce qu’ils
+proposeraient. Ainsi donc ces deux jeunes gens se mirent à notre
+tête. Ils avaient un air de franchise et de loyauté qui inspirait
+la confiance, ils avaient des allures de jeunesse qui les rendaient
+sympathiques. Le 9 mars nous partîmes de Meïça.</p>
+
+<p>Notre route se fit au milieu de petites montagnes, toutes de
+formations primitives. C’étaient encore des blocs de granit avec
+filons quartzeux, des gneiss, puis des schistes. Le porphyre
+devenait plus rare mais le sable, qui recouvrait en partie tous ces
+accidents du sol, se trouvait être mouvant dans beaucoup
+d’endroits.</p>
+
+<p>Je laissai la caravane suivre directement sa route à l’est, sur
+l’Elba, et je pris plus à droite, avec Mohamed Adar, l’un de nos
+guides, pour aller voir deux sites où il m’avait dit qu’il y avait
+des bâtisses et des travaux. Ces deux sites constituent deux petits
+groupes de roches séparés par une colline de sable. Le tout peut
+avoir six milles d’étendue du nord au sud, et deux milles seulement
+de l’est à l’ouest&nbsp;; ces deux petites montagnes se nomment to
+Giafferié, celle du sud, l’autre to Roumié. La première est plus
+petite et entièrement composée d’un feldspath très-beau, entremêlé
+de gros blocs de quartz laiteux et de quelques veines de même
+matière.</p>
+
+<p>Les travaux faits dans cet endroit sont peu considérables et
+exécutés sans ordre, sans suite. Cependant il y a beaucoup de
+restes d’habitations, elles contiennent peu de moulins à broyer.
+L’une de ces habitations se trouvait être la plus grande de toutes
+celles que j’ai vues dans tous les établissements de ce<span class=
+"pagenum" id="Page_105">[105]</span> genre. Les lieux de lavage,
+s’il y en a eu, ne sont plus reconnaissables aujourd’hui&nbsp;;
+ceux où l’on pilait le minerai et sa gangue ne le sont pas
+davantage&nbsp;; il n’y a aucune trace d’eau&nbsp;; le puits le
+plus voisin est à présent à Meïça.</p>
+
+<p>J’aurais cru, d’après les noms de ces deux hauteurs dont l’un
+signifie le Romain, le Grec indifféremment, et l’autre l’idolâtre,
+trouver quelques restes d’antiquité&nbsp;; mais malgré mes
+recherches, je ne vis absolument rien. Je présume que cela provient
+de ce que la nature des roches ne permettait pas de faire la
+moindre inscription, la moindre sculpture, comme je l’ai constaté
+pour Déréhib et d’autres établissements.</p>
+
+<p>Si cette localité offrait des filons métalliques susceptibles
+d’être exploités avec bénéfice, ce serait la plus commode, en
+supposant toutefois que l’on trouvât de l’eau d’une manière ou
+d’autre&nbsp;; car tous les approvisionnements, toutes les
+communications pourraient se faire par la mer Rouge qui n’est
+éloignée que d’une journée de marche. Le mouillage de Hesser,
+auprès du quel se trouve un grand bois et de l’eau en abondance,
+est fréquenté par les barques du Hedjah qui viennent y ancrer pour
+faire le commerce avec les gens de l’Elba et ceux des environs.</p>
+
+<p>Le soir nous retrouvâmes notre caravane campée près d’une petite
+montagne nommée Adatalob, entièrement formée de forts blocs de
+granit arrondis, d’une couleur plus foncée que celui de Sienne et
+d’un grain aussi beaucoup plus gros. La végétation qui les encadre
+avec une certaine régularité présentait un paysage particulier,
+d’autant que les sables environnants sont eux-mêmes garnis de
+broussailles et de plantes.</p>
+
+<p>Beaucoup de gazelles fréquentent cet endroit, et ne fuient que
+lorsque l’on descend de dromadaire pour les tirer, autrement nous
+les approchions de très-près, ainsi que les chacals qui sont aussi
+en grand nombre.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_106">[106]</span>Le 10 dès le
+matin, nous dirigeant sur l’Elba, nous aperçûmes une personne qui
+débouchait d’un petit sentier entre des rochers, et qui, montée sur
+un dromadaire, força le pas de sa monture pour nous éviter.</p>
+
+<p>Je me mis à sa poursuite avec le chek Ali Sabec, et nous
+l’atteignîmes bientôt&nbsp;; mais quel fut mon étonnement, lorsque
+je me trouvai devant une fort jolie fille, amazone du désert, qui
+répondit gracieusement et sans embarras à nos saluts. J’avais cru
+poursuivre un individu mal intentionné à notre égard, un bédouin
+hostile avec qui il eût fallu parlementer, la situation n’était pas
+la même. Toutefois, ayant compris que la jeune amazone ainsi que
+mon jeune compagnon ne se rencontraient pas pour la première fois
+et qu’ils pouvaient avoir bien des choses à se dire, je continuai
+tout naturellement ma route en les laissant tous les deux tête à
+tête.</p>
+
+<p>Sous toutes les latitudes, chez les peuples civilisés comme chez
+les sauvages, la galanterie se produit toujours avec les mêmes
+phases&nbsp;; dans le désert, et chez les Bicharieh notamment, elle
+affecte des formes plus chevaleresques. Ali Sabec me rejoignit une
+heure après que je l’eus quitté, et, discrètement, je ne lui
+demandai aucune explication sur le temps de son absence.</p>
+
+<p>La caravane nous rallia dans la vallée sablonneuse de Déhit, et
+nous marchâmes jusqu’à la fin de la journée, c’est-à-dire pendant
+dix heures encore au travers de sables mouvants, ce qui fatigua
+beaucoup nos montures et nos hommes.</p>
+
+<p>Le lieu où nous campâmes n’était point de nature à nous
+dédommager, il était d’une stérilité désolante et n’offrait aucun
+abri commode.</p>
+
+<p>Le 11 au matin nous traversâmes des petites montagnes de granit
+très-escarpées et entrecoupées de ravins, à la sortie<span class=
+"pagenum" id="Page_107">[107]</span> desquelles nous plantâmes nos
+tentes, en vue de l’Elba qui n’était plus qu’à deux ou trois lieues
+de nous<a id="FNanchor_22"></a><a href="#Footnote_22" class=
+"fnanchor">[22]</a>.</p>
+
+<p>Je ne voulais pas me rendre de suite à la vallée où est un
+très-beau puits, ni me rapprocher trop près d’un groupe
+d’indigènes, avant d’avoir connu leurs intentions à notre
+égard.</p>
+
+<p>Cependant, lorsque le camp fut posé, tout en ordre, je montai à
+dromadaire avec quelques-uns de nos Arabes, laissant les autres
+pour garder nos bagages et les défendre, au besoin, contre les
+voleurs, et je pris la route de ce puits qui se trouve au pied de
+la montagne même. Avant d’y arriver il fallut traverser plusieurs
+hauteurs couvertes de petits arbres rabougris et secs, et plusieurs
+collines de sable sur lesquelles de nombreux troupeaux de chèvres
+et de moutons étaient dispersés. Les bergers s’enfuyaient en toute
+hâte, ne nous attendant pas sitôt. J’envoyai Ali Sabec en avant
+pour les rassurer et leur dire de ne rien craindre.</p>
+
+<p>A mesure que nous approchions, le pays se transformait, et nous
+fûmes on ne peut plus agréablement surpris de voir se développer
+sous nos yeux un sol couvert d’arbres très-verts et de plantes
+luxuriantes. Ces arbres me semblaient être tous, ou à peu près
+tous, de l’espèce des mimosas&nbsp;; quant aux plantes elles
+étaient variées mais, en général, nouvelles pour moi. Des oiseaux
+chantaient dans leurs nids de verdure, comme dans les bocages les
+plus fortunés, et leur gazouillement, aussi étranger pour mes
+oreilles que le langage des gens de la contrée, n’en était pas
+moins fort doux&nbsp;; car, depuis notre départ d’Assouan où les
+oiseaux sont pour ainsi dire muets, je n’avais entendu que le
+croassement des corbeaux.</p>
+
+<p>Le puits en question est, à vrai dire, une source sortant d’un
+large creux fait dans le lit du torrent, ou autrement un
+beau<span class="pagenum" id="Page_108">[108]</span> bassin rempli
+d’une eau limpide et fraîche, ombragé par de beaux arbres. Autour
+de ce bassin les différentes familles des Arabes des environs ont
+construit, avec des pierres et de la terre, d’autres petits bassins
+pour faire boire leur bétail sans troubler la clarté de l’eau du
+réceptacle principal où chacun puise avec un seau en peau.</p>
+
+<p>Nous nous assîmes à l’ombre d’un superbe mimosa, et j’admirai la
+beauté de ce site enchanteur. Les bords du ravin étaient couverts
+d’herbes, de tous côtés dans les arbres se balançaient des plantes
+grimpantes.</p>
+
+<p>Bientôt arrivèrent les troupeaux&nbsp;; c’était l’heure aussi de
+conduire à l’abreuvoir les chèvres, les chameaux, les ânes&nbsp;;
+tous ces animaux étaient menés par des hommes porteurs d’outres
+qu’ils remplissaient tour à tour. Des femmes et des jeunes filles
+vinrent ensuite avec des vases pittoresquement campés sur les
+épaules et poussant devant elles des agneaux et des chevreaux. Il y
+avait parmi ces jeunes filles de fort beaux types. Leur costume, ne
+les couvrant que depuis la ceinture jusqu’aux genoux, permettait de
+voir parfaitement leurs formes qui étaient irréprochables. Elles
+allaient et venaient suivant les besoins du moment, et quand elles
+s’arrêtaient, soit pour s’appuyer contre un rocher, contre un
+arbre, soit pour porter à leurs épaules un vase rempli d’eau, leurs
+poses, simples et naturellement nobles, rappelaient les poses
+idéalisées dans les tableaux des peintres.</p>
+
+<p>Tout cet ensemble, avec sa couleur locale, avait un parfum
+biblique qui n’eût échappé à aucun poëte, et je regrettai, dans
+cette circonstance plus que dans toute autre encore, de ne pas être
+à la hauteur de mon sujet. Ce qu’il y a de bien positif, c’est que
+je m’éloignai avec peine d’un lieu où ma présence n’avait excité
+aucune surprise, où l’on était, au contraire, venu rire autour de
+moi et m’entretenir, par l’entremise<span class="pagenum" id=
+"Page_109">[109]</span> des guides qui nous servaient
+d’interprètes. Quelques hommes seulement m’avaient assailli de
+questions et de demandes&nbsp;; mais je les avais contentés en leur
+distribuant le tabac que je possédais.</p>
+
+<p>En rentrant au camp, ce fut bien autre chose&nbsp;; je trouvai
+tout le monde en rumeur, tout le monde sous les armes et prêt à
+venir nous chercher. L’agitation, qui était générale, avait sa
+raison d’être&nbsp;; voici ce qui s’était passé&nbsp;:</p>
+
+<p>Depuis la veille, nous avions envoyé en avant Mahamet Adar pour
+donner la nouvelle de notre arrivée, et, le soir même, il avait
+parlé aux gens de la montagne. Secondé par les Gelabs campés près
+de nous, il avait cherché à persuader aux Bicharieh des tribus de
+l’Elba que nous ne venions pas pour leur nuire, et qu’ils se
+repentiraient, dans l’avenir, s’il nous arrivait le moindre
+désagrément&nbsp;; efforts inutiles, paroles perdues&nbsp;; les
+indigènes prétendaient même nous empêcher de prendre de l’eau chez
+eux.</p>
+
+<p>Le matin, lorsque j’avais pris spontanément la résolution de me
+rendre au puits, avec quelques hommes d’élite, ils étaient
+assemblés chez les Gelabs et personne ne nous avait vus passer.</p>
+
+<p>Ce fut seulement très-peu de temps après, et pendant que j’étais
+en admiration devant la beauté du site que j’ai décrit plus haut,
+que deux hommes de notre camp eurent l’idée de se rendre chez les
+marchands pour apprendre des nouvelles de l’Égypte. Mais les
+notables du pays qui délibéraient, commençant les hostilités,
+voulurent les repousser, et de là une première rixe pendant
+laquelle la question de l’eau fut remise en avant. Une scission se
+fit alors parmi eux, les uns voulaient qu’il nous fût permis de
+remplir nos outres, les autres, et ce fut le plus grand nombre,
+nous refusaient cet avantage<span class="pagenum" id=
+"Page_110">[110]</span> et voulaient de suite venir nous attaquer
+pour nous faire évacuer leur territoire.</p>
+
+<p>L’instant était critique. Mahamet, qui était accouru, feignit,
+afin de gagner du temps, de convenir que ces forcenés avaient
+raison, seulement il leur fit observer que s’ils nous attaquaient
+pendant le jour, ils ne seraient probablement pas les plus forts,
+attendu la supériorité de nos fusils, tandis que, s’ils venaient la
+nuit nous surprendre, tout l’avantage serait pour eux. Ce conseil,
+spécieux en apparence, ne manquait pas d’une certaine logique, et
+il aurait certainement été suivi par les Bicharieh les plus
+hostiles si l’on ne fût venu leur dire que j’étais dans le ravin,
+près de l’eau. Alors rien ne put les retenir&nbsp;; ils partirent
+tous ensemble pour me chasser violemment, et nos gens coururent à
+notre camp porter cette nouvelle.</p>
+
+<p>C’est en ce moment que je rentrai, et que je trouvai tout mon
+monde en armes.</p>
+
+<p>Les Gelabs, eux, avaient suivi les Bicharieh vers le puits pour
+conjurer la situation&nbsp;; mais tout cela fut inutile, les uns et
+les autres furent bien surpris quand ils virent que nous étions
+repartis tranquillement après avoir fait boire nos chameaux et
+après avoir rempli nos outres.</p>
+
+<p>Personne n’osa venir au camp&nbsp;; mais on nous envoya les
+Gelabs qui nous trouvèrent fort calmes et tout disposés à recevoir
+convenablement l’ennemi. Avec les envoyés, les négociations
+recommencèrent. Ils étaient chargés de nous dire, que si nous
+voulions promettre de ne pas entrer dans la montagne et de nous en
+retourner de suite, l’on nous laisserait prendre de l’eau&nbsp;;
+mais que si nous persistions à vouloir visiter le pays, comme nous
+avions fait ailleurs, l’on nous empêcherait de nous ravitailler et
+que l’on nous exterminerait jusqu’au dernier.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_111">[111]</span>Je répondis que
+les habitants de l’Elba devaient bien savoir, par les cheks des
+autres tribus Bicharieh leurs compatriotes, que nous n’étions venus
+pour faire la guerre à personne, que tous les Arabes avec lesquels
+nous avions été en rapport n’avaient rien à nous reprocher, que je
+ne prétendais, quant à moi, rien obtenir d’eux par la force, et
+que, si mes intentions n’avaient pas été telles, j’aurais conduit
+avec moi plus de monde, sinon des soldats turcs et égyptiens&nbsp;;
+tandis que je ne me présentais qu’avec des Bicharieh comme eux,
+tout confiant dans leur bonne foi&nbsp;; et j’ajoutai que, si
+j’étais obligé de m’en retourner sans avoir fait ce que j’étais
+chargé de faire, je ne pouvais répondre de ce qui arriverait&nbsp;;
+que probablement le gouvernement égyptien me ferait revenir une
+autre fois avec des forces étrangères assez considérables pour que
+ce fût moi, alors, qui leur imposasse mes conditions et les
+empêchasse de prendre de l’eau à leur propre puits.</p>
+
+<p>Pendant que les Gelabs allaient porter ma réponse, il se
+présenta au camp plusieurs principaux personnages de la tribu des
+Chintirab et des Ahmed Gourabieh, tous habitants de l’Elba.
+Beaucoup d’autres individus vinrent aussi pour nous vendre des
+peaux préparées et différentes choses de leur pays.</p>
+
+<p>Vers le soir, presque tous les chefs vinrent&nbsp;; ils
+connaissaient ma réponse et mes intentions. Je leur donnai à souper
+à tous, puis après, en fumant et buvant du café, nous entrâmes en
+pourparler. A force de les presser, j’obtins d’eux que nous
+pourrions aller dans quelques vallées ou gorges de la
+montagne&nbsp;; mais sans y faire aucune tentative d’excavation,
+leur persuasion étant que l’on ne remuait la terre que pour y
+chercher des trésors.</p>
+
+<p>Ils prétendaient avoir entendu, tout récemment, pendant la nuit,
+un très-fort bruit, une espèce de gémissement
+formidable<span class="pagenum" id="Page_112">[112]</span> qui leur
+annonçait de grands malheurs pour le cas où nous toucherions à une
+seule pierre.</p>
+
+<p>Jamais je ne pus obtenir le moindre renseignement sur une statue
+colossale que des Arabes m’avaient dit exister dans la montagne,
+statue dont je parlerai plus loin. Ils me disaient toujours que
+cette statue n’existait pas, que l’on m’avait fait un mensonge.
+Cependant, lorsque je prenais en particulier un homme du pays, il
+m’avouait que la chose était vraie, qu’il connaissait bien le
+chemin qui conduisait à l’endroit où était cette statue&nbsp;; un
+autre convenait qu’il avait mis son bras tout entier dans sa
+narine, et que, de temps en temps, lorsqu’elle respirait, une
+grande table en pierre qui se trouvait devant elle se couvrait de
+vapeur&nbsp;; mais personne ne voulait pourtant consentir à me
+servir de guide. Celui-ci avait peur de commettre un sacrilége,
+celui-là craignait la colère des chefs. Je ne savais que
+penser&nbsp;; car, malgré toutes les exagérations, malgré tous les
+mensonges dont ces rapports étaient évidemment entachés, et, tout
+en faisant la part de l’ignorance de ces hommes incapables de
+distinguer un objet travaillé d’un objet naturel ayant une forme ou
+un aspect quelconque, je reconnaissais bien qu’il devait y avoir là
+quelque chose de singulier, et j’étais curieux de m’en
+assurer&nbsp;; ce pouvait être un ancien travail égyptien, ce
+pouvait n’être aussi que le résultat d’un jeu de la nature apprécié
+et commenté par l’imagination d’une population essentiellement
+superstitieuse.</p>
+
+<p>Je rentrai sous ma tente avec le regret de n’avoir pu rien
+apprendre de clair ni de positif.</p>
+
+<p>Toute la nuit l’on fit bonne garde, pour plusieurs raisons. La
+réputation des Arabes de l’Elba et les termes dans lesquels nous
+étions ensemble l’exigeaient. J’ai dit qu’ils étaient connus
+partout comme de grands et adroits voleurs&nbsp;; mais ce que je
+n’ai pas dit, c’est que les autres Arabes, lorsqu’ils
+se<span class="pagenum" id="Page_113">[113]</span> trouvent mêlés
+avec eux, se permettent, de leur côté, des larcins dont ils croient
+que l’on ne les accusera pas.</p>
+
+<p>Il ne nous arriva rien&nbsp;; seulement, dans la matinée du 12,
+notre camp s’étant trouvé inopinément transformé en un vrai marché,
+l’on s’aperçut bientôt que plusieurs objets avaient été dérobés, et
+un de mes hommes vint me dire qu’on lui avait volé sa chemise.</p>
+
+<p>Cette dernière affaire ébruitée, il fallait faire un exemple. Je
+fis prendre tous les étrangers présents, et je leur enjoignis de
+jurer, un à un, sur le Coran, qu’ils étaient innocents.</p>
+
+<p>Tous sans exception jurèrent, de sorte que le voleur resta
+inconnu. Mon procédé cependant ne fut point inutile&nbsp;; car,
+tandis que l’on prêtait le serment, la chemise fut retrouvée,
+placée à la portée de tous les yeux.</p>
+
+<p>Les Bicharieh de l’Elba se récrièrent, disant qu’on les avait
+accusés sans raison, et que le voleur était parmi nous. Ils
+récriminèrent très-haut et avec tant d’acharnement que la dispute
+aurait pris un caractère des plus graves si je n’avais fait mettre,
+à l’instant, hors des limites du camp, tous les éléments du
+marché.</p>
+
+<p>Toute la journée se passa encore en négociations pour pénétrer
+dans la montagne, et, devant la résistance opiniâtre que je
+rencontrai, je ne pus qu’opposer la déclaration que j’avais déjà
+faite, c’est-à-dire que j’y pénétrerais d’une façon ou d’une
+autre.</p>
+
+<p>Effectivement, le 13, au point du jour, je pris avec moi vingt
+Ababdieh, tous bien montés, bien armés, et deux guides, dont un
+nommé Mohamed Issé appartenant à la tribu des Ahmed Gourabieh, et
+je me dirigeai, par le ravin du puits, du côté de la montagne. Mes
+deux guides manifestèrent une grande appréhension lorsqu’ils
+connurent mon projet&nbsp;; cependant ils ne me quittèrent
+point.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_114">[114]</span>Le chek Baraca
+était demeuré au camp pour le garder.</p>
+
+<p>Arrivé à la vallée de l’eau, je ne vis absolument
+personne&nbsp;; il était sans doute encore trop bonne heure. Je
+parcourus un ravin qui me sembla plus large et qui tenait à l’un
+des contreforts de l’Elba.</p>
+
+<p>Nous traversâmes ensuite une petite plaine entourée de montagnes
+couvertes d’arbres, et nous commencions à monter par une gorge
+assez abrupte, lorsque nous vîmes, au faîte d’un rocher se
+détachant sur le ciel, quatre individus, armés de lances, qui
+étaient assis sur des pierres de chaque côté de la route, comme
+pour nous barrer le passage. Je pensai que derrière le rocher il y
+avait d’autres Arabes, et peut-être en grand nombre&nbsp;;
+nullement, ces individus étaient seuls. Lorsque nous approchâmes
+d’eux, nous les saluâmes tout tranquillement, et ils nous
+répondirent en nous regardant passer sans manifester aucune
+intention hostile.</p>
+
+<p>Alors, du haut de ce contre-fort, je vis à nos pieds, du côté de
+la haute montagne de l’Elba, de gros monticules de sables couverts
+de plantes où paissaient de nombreux troupeaux&nbsp;; puis, après
+ces sables, de grands rochers le long desquels se développait une
+belle vallée large d’un mille environ, et toute remplie par une
+magnifique forêt. Le soleil commençait à paraître au-dessus des
+hauteurs, ses rayons filtraient au travers des rochers et des
+arbres, c’était un ravissant spectacle dont la grandeur était
+encore augmentée par l’éclat des ravins et des anfractuosités de la
+montagne, à mesure que la lumière y pénétrait.</p>
+
+<p>Dans la vallée le bois était si touffu, que nous fûmes obligés
+de descendre de dromadaire&nbsp;; plus loin, nous trouvâmes le sol
+garni de gros blocs de granit et de porphyre, et tout raviné par
+les eaux.</p>
+
+<p>Je laissai là les montures, et ne gardai avec moi que
+six<span class="pagenum" id="Page_115">[115]</span> personnes au
+nombre desquelles était le chek Ali Sabec, que je fus bientôt aussi
+obligé de laisser, car il ne pouvait marcher à pied dans les
+pierres et dans les épines.</p>
+
+<p>Notre présence, sur le versant d’une colline au sommet de
+laquelle je voulais monter pour voir par où il fallait me diriger,
+occasionna une espèce d’événement. De tous les côtés, de
+l’intérieur du bois et du milieu des rochers, les femmes et les
+enfants qui, de leurs habitations cachées, nous avaient vu passer,
+sortirent en poussant des cris horribles comme je n’en avais jamais
+entendu.</p>
+
+<p>Le but de ces cris était pour engager les hommes à nous tuer
+afin de nous empêcher d’aller plus avant.</p>
+
+<p>Beaucoup d’entre ces derniers étaient avec les Gelabs loin de
+nous, ce qui fit que je m’émus fort peu de tout ce tapage.
+D’ailleurs j’étais encouragé par le Chek Mahamet Issé, qui me
+disait que je n’avais rien à craindre, que lui allait rester où
+nous nous trouvions, et que je pouvais aller où je voudrais. Cela
+voulait dire où je pourrais&nbsp;; car je n’avais aucune
+indication, et, dans ce pays en quelque sorte vierge, il n’était
+pas aisé de se diriger. Mes guides, à qui j’avais montré un endroit
+que je voulais atteindre, firent fausse route à travers les
+bois&nbsp;; or, en débouchant à ciel ouvert, je ne reconnus plus le
+lieu que j’avais remarqué. La montagne était à pic devant moi et
+fort difficile à escalader. Je ne me rebutais point cependant, et
+j’en commençai l’ascension.</p>
+
+<p>J’allais toujours en avant, quoique mes armes et mes vêtements
+me gênassent beaucoup&nbsp;; j’éprouvais cette espèce de vertige
+qui fait que l’on s’acharne à une chose en raison de la ligne
+convenable que l’on a transgressée&nbsp;; à tous moments il me
+fallait attendre les personnes qui montaient avec moi&nbsp;; mon
+compagnon, M. Bonomi, se blessa à une jambe en gravissant un
+rocher, il fut forcé de s’arrêter pour attendre mon retour.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_116">[116]</span>Étant arrivé sur
+une partie élevée, je vis que la direction que je prenais était
+impossible&nbsp;; alors je descendis dans un large ravin que je
+remontai avec bien de la peine, et je parvins enfin au faîte de
+l’une des pointes de l’Elba.</p>
+
+<p>Mon intention était de chercher la fameuse statue, pensant bien
+que, de cette hauteur, j’apercevrais quelque sentier qui m’y
+conduirait, quelque trace du passage des hommes ou de celui des
+animaux que l’on menait pour les sacrifier&nbsp;; mais je fus bien
+désappointé&nbsp;; du sommet où je me trouvais, je ne vis que des
+rochers immenses de tous côtés, des rochers pour ainsi dire
+inaccessibles, des ravins profonds et étroits, des pointes de
+granit se terminant en aiguilles. Ne sachant de quel côté porter
+mes pas dans ce dédale, dans cet amas de pics qui constituent la
+montagne de l’Elba, dont l’étendue, en tous les sens, est de
+plusieurs lieues, avec des ramifications qui s’étendent vers le
+Sud, ne sachant comment parvenir dans la localité que je cherchais,
+localité que le hasard seul pouvait mettre sous mes yeux, ne
+pouvant consacrer plus de temps à cette recherche&nbsp;; car je
+n’avais ni vivres ni eau, sentant enfin, déjà, les atteintes d’une
+fatigue excessive, je pris le parti de rétrograder.</p>
+
+<p>Aucun des hommes qui étaient avec moi ne pouvait me
+guider&nbsp;; je fus donc obligé de descendre comme j’étais monté,
+c’est-à-dire d’après mes seules appréciations. A peine pensais-je
+être de retour au camp avant la nuit. Je pris une autre route que
+j’estimais plus courte&nbsp;; car, en outre de mes préoccupations
+de chercheur, j’en avais aussi une autre, celle de savoir ce qui
+pouvait être arrivé pendant mon absence.</p>
+
+<p>Forcé, pour reprendre haleine, de m’arrêter de temps en temps,
+je trouvais partout de très-beaux arbres dont le feuillage inconnu
+me servait d’abri&nbsp;; partout mes yeux se reposaient sur des
+plantes en fleur, sur des broussailles verdoyantes<span class=
+"pagenum" id="Page_117">[117]</span> qui tapissaient les parois des
+rochers et du milieu desquelles surgissaient des aloès
+gigantesques. C’était encore un ensemble des plus pittoresques, des
+plus majestueux, je puis dire, un panorama d’autant plus saisissant
+que, tout autour de l’Elba, le pays est sec et aride, et que, du
+côté de l’Ouest, du Nord-Ouest et du Nord, le sable s’étend à perte
+de vue.</p>
+
+<p>En descendant un ravin, nous fûmes aperçus par deux hommes qui
+étaient cachés dans les buissons et qui, de fort loin, nous
+crièrent de les attendre. Ils voulaient savoir qui nous étions et
+ce que nous cherchions. Sur mon invitation, ils s’approchèrent, et
+ne parurent pas mécontents de nous voir là&nbsp;; bien plus, nous
+étant arrêtés pour leur offrir une pipe et du tabac, ils poussèrent
+la reconnaissance jusqu’à me dire que les Mahamet Gourabieh, dont
+ils faisaient partie, et moi, ayant une origine commune (ils me
+prenaient pour un asiatique), nous étions de la même famille, et,
+par conséquent, des amis, et ils me conduisirent directement à
+l’endroit où j’avais laissé une partie de mon escorte, en me
+promettant de m’apporter le lendemain, des plantes, des branches
+d’arbres et des pierres de la montagne.</p>
+
+<p>Bientôt je fus dans le bois, où s’étaient remisés mes gens qui
+me félicitèrent fort au sujet de mon retour. Les indigènes des
+environs ajoutèrent que j’étais bien heureux d’être venu chez eux
+sous les auspices du chek Baraca et de quelques autres, sans cela
+ils m’auraient assassiné&nbsp;; car j’étais le seul étranger qui
+eut mis les pieds sur leur montagne où ils ne laissent même pas
+pénétrer les Ababdieh ni les Bicharieh de certaines tribus.</p>
+
+<p>Je leur répondis que je ne croyais rien de ce qu’ils me
+disaient, et que, dans le cas où ils auraient voulu m’attaquer, ils
+s’en seraient fortement repentis, que j’étais certain d’en jeter
+par terre au moins dix d’entre eux avant qu’ils m’eussent
+assassiné, que vingt, même de ceux qui étaient présents
+devant<span class="pagenum" id="Page_118">[118]</span> moi, ne me
+faisaient pas peur. Ils se mirent à rire tout en me complimentant,
+et nous restâmes bons amis&nbsp;; mais il faut dire que je dus ce
+résultat aux largesses de tabac que je fis, bien plus qu’à ma
+rodomontade. Tout cela me conduisit à faire la réflexion suivante,
+à savoir&nbsp;: que les Arabes de l’Elba ne sont pas aussi
+intraitables qu’on le dit, et que si les Turcs, dans le Saïd, ne
+s’étaient pas rendus odieux par leurs brigandages, leurs cruautés,
+leur mauvaise foi, ces Arabes, non plus que les Bicharieh, ne les
+auraient pas pris en aversion, qu’ils auraient eu des relations
+avec eux, et que les voyageurs qui auraient la curiosité de visiter
+leur pays pourraient en profiter.</p>
+
+<p>Il était temps de monter à dromadaire&nbsp;; le soleil tombait,
+l’ombre des rochers s’allongeait dans la vallée, sur le bois dans
+lequel nous nous trouvions et sur les terrains environnants, les
+oiseaux chantaient leurs chansons du soir.</p>
+
+<p>Nous partîmes gaiement pour rejoindre le gros de la caravane.
+Lorsque nous arrivâmes, déjà les feux étaient allumés&nbsp;; tout
+le monde était tranquillement occupé aux différents soins à prendre
+pour le souper et pour la nuit.</p>
+
+<p>Tous les Bicharieh voulurent me faire croire que j’avais couru
+de grands dangers, et que si, eux présents, ne s’étaient pas
+opposés aux mauvaises intentions des autres, je ne serais pas
+revenu de mon excursion. Je répliquai que je connaissais l’intérêt
+qui les poussait, et, tout en plaisantant, je leur fis comprendre
+que j’appréciais, à sa juste valeur, cette manière d’obtenir des
+cadeaux. Je leur dis que les mœurs des Arabes m’étaient fort
+connues, car j’avais vécu longtemps avec eux&nbsp;; enfin pour leur
+prouver combien j’étais éloigné d’ajouter foi à leurs paroles, je
+déclarai que j’étais décidé à recommencer ma course dans la
+montagne pour chercher la pierre, en forme d’homme, dont on m’avait
+parlé, que cette pierre devait<span class="pagenum" id=
+"Page_119">[119]</span> représenter un de mes ancêtres et que je
+voulais la voir. Tout cela les surprit beaucoup&nbsp;; mais ils
+cherchèrent encore à me détourner de mon projet en me répétant que
+l’on m’avait trompé.</p>
+
+<p>Il m’en coutait à abandonner l’Elba sans être bien édifié sur ce
+sujet. Je pris un à un plusieurs des Mahamet Gourabieh, je leur fis
+des présents pour les engager à me conduire à la statue ou, au
+moins, pour m’en indiquer la route. Or ce fut encore, à peu près,
+la répétition de ce qui s’était déjà passé&nbsp;; tous m’avouèrent
+en particulier que la statue existait&nbsp;; mais aucun ne voulut
+consentir à venir avec moi dans la crainte d’offenser ce que nous
+appelons, chez nous, l’opinion publique&nbsp;; bien plus, devant
+leurs compagnons, ils affirmèrent que tout ce que l’on m’avait dit
+était mensonge.</p>
+
+<p>Je crus un instant avoir trouvé un expédient&nbsp;: Après la
+nuit, passée fort paisiblement, j’annonçai dans tout le camp que,
+pendant mon sommeil, j’avais été visité par Couca (c’est le nom que
+les Bicharieh donnent à la statue), et qu’il m’avait dit d’aller
+lui sacrifier quatre beaux moutons. Je pensais que l’espoir de
+manger ces animaux, que l’occasion de faire un festin peu ordinaire
+me concilierait tout le monde, et, pour que l’entraînement fût
+complet, j’ajoutai que Couca m’avait encore dit que c’était le
+moyen de faire tomber de grandes pluies dans le pays. Beaucoup
+crurent à mon songe&nbsp;; cependant personne ne fut assez hardi
+pour braver les préjugés de tous et consentir à m’accompagner.
+Seulement j’appris alors, ce qui me fut confirmé par le chek Baraca
+qui avait pris, de son côté, des renseignements meilleurs que ceux
+que l’on m’avait donnés, j’appris, dis-je, que l’on n’était pas
+bien certain que la prétendue statue fût une pierre taillée ou une
+pierre naturelle, et qu’il fallait au moins marcher deux jours dans
+la montagne, par des chemins de chèvres, pour se rendre auprès
+d’elle. A la<span class="pagenum" id="Page_120">[120]</span>
+hauteur où elle se trouvait, il faisait très-froid&nbsp;; de plus,
+lorsque le temps était à la pluie et que les torrents débordaient,
+l’on pouvait être retenu pendant plusieurs jours devant des
+passages impraticables.</p>
+
+<p>Tout cela, joint à l’incertitude où j’étais de trouver quelque
+chose de curieux, puis le peu de vivres qui restaient au camp, et
+la demande que le chek Baraca me fit de ne pas persister dans ce
+qui était alors mon idée fixe&nbsp;; car il pouvait en résulter une
+grande mésintelligence entre lui, les cheks Bicharieh qui nous
+accompagnaient et les Mahamet Gourabieh, les Chintirab et les
+autres habitants de la montagne&nbsp;; tout cela, dis-je, me
+détermina à quitter, bien à regret, une contrée aussi curieuse et
+jusqu’alors tout à fait inconnue. Nous nous préparâmes donc à
+partir le lendemain pour nous rapprocher de la mer.</p>
+
+<p>Avant d’entreprendre cette phase de mon voyage, qui constitue
+mon retour vers Assouan, il est opportun, je crois, puisque nous
+sommes encore au centre du pays des Bicharieh, de donner quelques
+renseignements sur les différentes tribus avec lesquelles j’ai été
+en relation, sur leur origine et sur leurs traditions. Je
+rappellerai aussi ce qui a été dit, à leur sujet, par les auteurs
+anciens.</p>
+
+<p>Voici d’abord quelques détails touchant la montagne de
+l’Elba&nbsp;:</p>
+
+<p>Toute cette montagne n’est qu’un groupe considérable de blocs de
+granit siénite, absolument comme le mont Sinaï. On y voit beaucoup
+de ravins profonds surplombés par des rochers à pic s’élevant à une
+grande hauteur. Les plus hauts de ces derniers, au-dessus du niveau
+de la mer, ont environ dix-huit cents mètres. Quant aux points que
+j’ai visités, je n’y ai vu que des granits dans les parties
+saillantes et des porphyres dans les parties basses, avec très-peu
+de filons ou veines de quartz métallique. Il y a eu là un immense
+soulèvement.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_121">[121]</span>Entre la mer et
+la montagne se trouve une plaine sablonneuse d’environ six à sept
+kilomètres. Devant la côte, à une petite distance en mer, règne
+partout une barre en coraux taillés à pic du côté du large, où l’on
+trouve immédiatement une grande profondeur, tandis que, du côté de
+terre, ils apparaissent à fleur d’eau à marée basse&nbsp;; c’est du
+reste la formation de presque tous les bords de cette mer. Sur la
+côte de l’Elba, il y a plusieurs endroits où les barques viennent
+mouiller et où elles trouvent des ancrages abrités par des pointes
+de sables et de coraux, au débouché d’un torrent quelconque venant
+de la montagne. Ainsi le torrent de la vallée où est le puits dont
+j’ai parlé, vallée nommée Oyometerre, a formé dans la mer une
+longue pointe qui s’étend vers le Nord-Est, et trace une espèce de
+baie où les navires sont à l’abri des vents fréquents et forts du
+Nord-Nord-Ouest et du Sud-Sud-Ouest&nbsp;; d’autres abris se
+rencontrent vers le Sud, mais toujours formés de la même
+manière.</p>
+
+<p>Les formations siénitiques règnent communément depuis le pied de
+la montagne jusque près de la mer&nbsp;; mais elles demeurent
+recouvertes en partie par les sables&nbsp;; ce sont d’immenses
+blocs de granit arrondis, plats, et comme posés par couches
+stratifiées.</p>
+
+<p>Cette partie est couverte de plantes et d’herbages dont les
+troupeaux se nourrissent&nbsp;; ils s’abreuvent à des puits, des
+sources ou des réservoirs naturels qui conservent l’eau après les
+pluies, et qui sont disséminés çà et là, contractant un goût salé
+lorsqu’on approche de la mer.</p>
+
+<p>La montagne de l’Elba, du côté du Nord, est reliée à une autre
+montagne par une plaine très-unie d’une assez grande étendue&nbsp;;
+du côté du Sud et de l’Ouest, elle est contiguë à d’autres
+élévations dont elle semble être le point culminant. Ces élévations
+longent la mer Rouge au Nord avec<span class="pagenum" id=
+"Page_122">[122]</span> des ramifications en manière de
+contre-forts à l’Ouest.</p>
+
+<p>La végétation dans les ravins et sur les parois de la montagne,
+du côté du Nord surtout, est fort belle&nbsp;; il y croît beaucoup
+de plantes odorantes et une grande variété d’arbustes. J’y ai vu le
+basilic, plusieurs espèces de géraniums, des résédas, des mauves et
+de l’oseille&nbsp;; les aloès y viennent très-grands, et j’ai
+constaté que tous les arbres, dont la plupart m’étaient inconnus,
+appartenaient au genre épineux&nbsp;; plusieurs sont d’un assez
+riche produit pour les Bicharieh&nbsp;; les différentes espèces de
+mimosas, par exemple, produisent des gommes qui se vendent
+très-bien&nbsp;; leurs écorces et leurs fruits fournissent un tan
+très-estimé pour la préparation des peaux. Les feuilles d’une autre
+espèce d’arbre servent encore pour le même usage. Il y en a de
+ceux-ci qui donnent une sorte de résine odoriférante dont on use
+dans tout l’Etbaye, comme parfum, et il y a aussi des mousses qui
+servent à parfumer les graisses dont tous les Bicharieh et les
+Arabes du Soudan s’enduisent le corps.</p>
+
+<p>La montagne de l’Elba, proprement dite, a quatre journées de
+tour&nbsp;; le plus grand nombre des habitants occupe les vallées,
+formées par les contre-forts. Les chasseurs seuls habitent la
+montagne pour y tuer les chèvres sauvages, les capricornes et les
+gazelles dont les peaux, préparées par eux avec le tan qu’ils
+possèdent, leur fournissent un sujet de commerce qui rapporte
+beaucoup. Ces peaux se vendent dans tout le Soudan, et sont
+très-recherchées à cause de leur finesse, de leur souplesse, de
+leur couleur et de leur force&nbsp;; elles servent pour les
+tétières des chameaux, pour les ceintures des femmes, les selles de
+dromadaires et pour une grande quantité d’ornements qui se
+fabriquent avec de petites lanières aussi fines que du gros
+fil.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_123">[123]</span>L’Elba, parmi
+les Arabes Ababdieh, les Bicharieh et tous les Arabes habitants du
+désert depuis la latitude de Coséir jusqu’à celle de Taka, et entre
+le Nil et la mer Rouge, a beaucoup de réputation. C’est un lieu
+renommé d’abord pour sa richesse, et ensuite pour sa sainteté. Il
+est riche, parce que l’on y trouve partout de l’eau et de la
+végétation&nbsp;; il est saint, parce que l’on sait qu’il renferme
+la pierre colossale, ayant forme humaine, que j’ai cherchée, et
+qu’il s’attache à elle une légende respectée.</p>
+
+<p>La prétendue statue qui est assise a, dit-on, devant elle, une
+pierre placée horizontalement comme une table, et le sable que l’on
+pose dessus est immédiatement balayé par un souffle puissant&nbsp;;
+car cette statue respire. Lorsque l’année doit être favorable aux
+Bicharieh, et surtout aux Mahamet Gourabieh, sa respiration est
+fraîche&nbsp;; au contraire, elle devient chaude lorsqu’un malheur
+doit arriver. Voilà ce que l’on dit, dans le pays même, avec
+beaucoup d’autres contes plus ou moins empreints de
+superstition&nbsp;; mais au milieu de tout cela, une chose est
+certaine, c’est que dans l’Elba est un lieu vénéré (est-ce un
+tombeau, un temple, un monument égyptien ou autre chose&nbsp;?)
+dans lequel l’on va faire des pèlerinages ainsi que des sacrifices
+de moutons, de chèvres, etc. Or, ceci se rapporterait à ce que
+disent les Bicharieh sur leur origine dont voici l’exposé tel qu’il
+m’a été donné par eux-mêmes&nbsp;:</p>
+
+<p>Les Bicharieh prétendent descendre, par les femmes, d’une tribu
+d’Arabie nommée Assadite, et, par les hommes, d’une autre nommée
+Cawala. Ils disent qu’un Arabe, nommé <em>Couca</em>, de la tribu
+des Assadites, vint à l’Elba avec sa femme en traversant la mer,
+que le père de Couca se nommait Bichara, d’où vient le nom de
+Bicharieh aux descendants de la femme de Couca.</p>
+
+<p>Cependant il advint qu’un navire, monté par des
+commerçants<span class="pagenum" id="Page_124">[124]</span> turcs
+qui se rendaient en Arabie, se mit à l’abri, par un mauvais temps,
+dans un endroit appelé Abou Romatte, d’autres disent Essoterba, ces
+deux noms ont la même signification&nbsp;; car l’un veut dire, en
+arabe, le père de la cendre ou de la poussière, et l’autre, en
+bichari, l’endroit de la poussière.</p>
+
+<p>Les gens du navire rencontrèrent la femme de Couca,
+l’emportèrent à leur bord et s’en furent à Sawakin.</p>
+
+<p>Mais bientôt, leur commerce les obligeant à retourner chez eux,
+ils vinrent encore aux environs de l’Elba&nbsp;; cette fois c’était
+pour prendre de l’eau. La femme de Couca, qu’ils avaient enlevée,
+trouvant alors le moyen de s’échapper, alla rejoindre son
+mari&nbsp;; elle était, pendant son séjour à bord, devenue
+enceinte&nbsp;; le chef des Turcs, qui en avait fait sa femme,
+voulut aller à sa poursuite. Il descendit à terre avec ses
+compagnons, et s’avança dans les gorges de la montagne, jusqu’à une
+grande grotte ou caverne qu’il pensait être le refuge de la
+fugitive. A peine y fut-il entré, lui et son monde, que la voûte de
+la caverne s’écroula, et qu’ils furent tous engloutis sous les
+décombres. On montre encore le théâtre de cette catastrophe au sud
+de la montagne, du côté de la mer.</p>
+
+<p>La femme de Couca mit au monde un garçon qui fut nommé Annac, et
+qui devint l’ancêtre des tribus arabes, Ahmed ou Mahamet,
+Gourabieh, Chintirab, Amarrar.</p>
+
+<p>Couca et sa femme ayant eu déjà trois autres garçons, ceux-ci
+furent les ancêtres des tribus du Sud.</p>
+
+<p>Couca disparut dans la montagne de l’Elba sans que l’on pût
+savoir s’il s’était tué, à la chasse, en tombant dans un précipice,
+ou bien s’il avait été dévoré par quelque bête féroce&nbsp;; mais
+les Bicharieh croient qu’il a été changé en pierre, et que c’est
+cette pierre ou cette statue que l’on va visiter. Telle est leur
+tradition.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_125">[125]</span>Si un voyageur,
+plus heureux que moi, arrive jamais à pénétrer dans la montagne de
+l’Elba, il pourra peut-être élucider tous ces renseignements.</p>
+
+<p>Les auteurs anciens disent peu de chose sur le pays des
+Bicharieh, qu’ils comprennent dans celui des Éthiopiens, aussi
+confondent-ils souvent les usages de ces différents peuples.</p>
+
+<p>Diodore, qui parle le plus au long de ces derniers, c’est-à-dire
+des Éthiopiens, donne des détails sur leur manière de se nourrir,
+les classe d’après le genre de leur nourriture, ainsi que d’après
+leur manière de se la procurer. Les Bicharieh, en prenant leurs
+tribus depuis les frontières d’Abyssinie jusqu’à Coséir, possèdent
+en partie la manière de vivre dont parle Diodore, sauf pourtant
+certaines exagérations.</p>
+
+<p>Quoique les Bicharieh se disent de race arabe, comme je l’ai dit
+aussi moi-même, en les considérant bien il semblerait le contraire.
+D’abord le type de leur figure est bien différent de celui, par
+exemple, des tribus arabes qui sont tout près d’eux, dans l’Albara,
+comme le Giahélines, les Scukerieh, les Abou Gin, etc., lesquels
+sont venus du Hedjah en traversant la mer Rouge. Ces émigrations
+ont eu lieu à diverses reprises, comme cela est encore arrivé dans
+les premières années de l’Islamisme, et les tribus en question
+parlent l’arabe, et ont tous les caractères arabes. Les Bicharieh,
+eux, ont le teint plus foncé, les traits plus européens. Leurs
+cheveux sont légèrement crépus comme ceux des Abyssins&nbsp;;
+enfin, ils ont une langue à eux qui n’a rien de commun ni avec la
+langue arabe, ni avec celle de Barabras ou Nubiens Kenous qui
+habitent les bords du fleuve.</p>
+
+<p>Les habitants répandus dans la contrée qui forme aujourd’hui
+l’Etbaye, étaient connus sous le nom de Blemmyes. Ammien-Marcellin,
+Olympiodore, Ptolémée Agathemère,<span class="pagenum" id=
+"Page_126">[126]</span> Étienne de Byzance et d’autres, dans leurs
+récits, les appellent ainsi et les désignent tous sous le même
+nom.</p>
+
+<p>Les auteurs arabes les nomment Bedjah, nom qui est encore donné
+aujourd’hui à leur pays aussi bien que celui d’Etbaye.</p>
+
+<p>Macrizy dit qu’ils sont d’origine berber, d’autres disent qu’ils
+sont venus d’Abyssinie.</p>
+
+<p>Quoi qu’il en soit de ces diverses origines, qui toutes doivent
+se perdre dans la nuit des temps, les Bicharieh n’en forment pas
+moins une grande peuplade qui n’est pas arabe, il faut le
+reconnaître.</p>
+
+<p>Il serait trop long de répéter ici tout ce qui a été dit sur les
+Blemmyes ou les Bedjah, qui sont réellement les Bicharieh
+descendants de Bichara. Je ferai seulement remarquer que leurs
+tribus ont été, à certaines époques, assez entreprenantes pour
+venir faire des excursions en Égypte, dans le Saïd, et même
+jusqu’aux portes du Caire.</p>
+
+<p>Les anciens Égyptiens avaient fermé, par de bonnes murailles en
+briques crues, les défilés par lesquels ces barbares pouvaient
+descendre du désert dans les terres cultivées&nbsp;; l’on en voit
+des restes dans beaucoup d’endroits, et notamment sur la route de
+Sycome ou Assouan, au-dessus des cataractes, à Philé. Les Pharaons
+faisaient la guerre contre eux, mais ils les ménageaient cependant,
+à cause de l’exploitation des mines d’or.</p>
+
+<p>Les Grecs, sous les Ptolémées, firent de même.</p>
+
+<p>Pendant la domination romaine en Égypte, l’on dut plusieurs fois
+réprimer les Blemmyes envahisseurs. Sous le règne de Probus, ils
+s’emparèrent de Coptos et de Ptolémaïs.</p>
+
+<p>Ces Blemmyes faisaient des courses aussi sur mer&nbsp;; ils
+vinrent vers l’an 378 ravager la ville de Raïthe sur la côte de la
+Péninsule du mont Sinaï, d’où ils furent repoussés par la garnison
+qui s’y trouvait. Plus tard, ils ravagèrent une des
+oasis,<span class="pagenum" id="Page_127">[127]</span> ce qui
+prouve qu’ils passaient du côté ouest du Nil&nbsp;; il est
+impossible d’en douter, puisque dans le désert de Baïouda, que l’on
+traverse en allant de Dongolah jusqu’à Mettamna, et plus haut
+jusqu’à Kartoum, l’on trouve aujourd’hui des tribus Bicharieh.</p>
+
+<p>Sous les sultans du Caire, plusieurs fois les Bedjah vinrent
+piller les musulmans qui, le jour de la fête du Courban Baïram,
+allaient sur le Mokattam faire la prière. Pour les repousser, l’on
+était obligé de mettre une forte garde, ce jour-là, au pied de la
+montagne, au lac el Abèche, et cette garde ne suffit pas
+toujours&nbsp;; car, sous Ahmed ben Teïloun, ces mêmes Bedjah
+surprirent les Égyptiens, les massacrèrent et les pillèrent dans
+une circonstance semblable. Il arriva enfin qu’on les fit tomber
+dans une embuscade et qu’on en tua un très-grand nombre.</p>
+
+<p>Cependant, les musulmans, attirés dans le pays des Bedjah par
+l’attrait de l’exploitation des mines, s’y portèrent en
+masse&nbsp;; ils s’allièrent avec les indigènes par des mariages,
+et en convertirent beaucoup à leur religion. Cette conversion les
+rendit moins sauvages si l’on en juge par ce que sont aujourd’hui
+les Bicharieh. On peut lire, dans les mémoires de M. Quatremère,
+bien des détails intéressants touchant ces populations, détails
+extraits des auteurs anciens et des auteurs arabes.</p>
+
+<p>De nos jours, elles ont été fort peu soumises au gouvernement
+égyptien&nbsp;; il n’y a guère que les tribus du sud, celles qui
+sont à Goos Regeb, sur l’Albara, qui soient tributaires&nbsp;;
+celles du désert de l’Elba ne le sont nullement.</p>
+
+<p>Les Bicharieh sont divisés en plusieurs tribus qui, toutes, ont
+un nom particulier et un chef.</p>
+
+<p>La principale, celle dont le chek est reconnu par toutes les
+autres comme le chef suprême, est la tribu des Ahmedab. Elle passe
+pour être la plus noble de toutes, et son chek jouit
+d’une<span class="pagenum" id="Page_128">[128]</span> grande
+autorité. Dans un de mes précédents voyages, j’ai eu quelques
+relations avec lui&nbsp;; c’était alors un beau vieillard que l’on
+nommait Ahmed Wed Ahmed, sa résidence est au canton de Balouc, sur
+le fleuve Albara que l’on appelle aussi Mogranne depuis son
+embouchure jusqu’à Goos Regeb.</p>
+
+<p>Viennent ensuite&nbsp;:</p>
+
+<p>La tribu d’Amarrar, entre l’Elba et Sawakin, dans la chaîne de
+montagnes qui longent la mer&nbsp;; chek Ahmed Assaye.</p>
+
+<p>Celle de El Bétranne qui habite entre Berber, sur le Nil, et
+Sawakin, sur la mer, dans un lieu nommé El Bâkg&nbsp;; chek Rahmâ.
+Cette tribu occupe un territoire fort étendu, où elle cultive le
+dourah après les pluies annuelles, et le commerce qu’elle en fait
+attire chez elle beaucoup de monde.</p>
+
+<p>La tribu de Chintirab au sud de l’Elba, à Essoterba&nbsp;; chek
+Rahmâ, même nom que le précédent.</p>
+
+<p>Les Cawatil dans l’Ouadée Ollaki&nbsp;; chek Ali Erab, dont j’ai
+eu occasion de parler.</p>
+
+<p>La tribu des Amérab, dans la vallée de Nassari et ses
+environs&nbsp;; chek Nasr abou Gablé.</p>
+
+<p>Celle des Mélécab dans le voisinage d’Ollaki&nbsp;; chek
+Souéket, nous l’avons vu.</p>
+
+<p>Une fraction des Cawatil, déjà nommés, et qui campe à
+Genoub&nbsp;; chek Mahamed Courouc.</p>
+
+<p>Les Balgab qui restent au sud de l’Ouadée Meïça&nbsp;; ils n’ont
+pas de chek.</p>
+
+<p>La tribu des Ahmed Gourabieh, qui habite les contre-forts du
+nord de la montagne de l’Elba&nbsp;; aucun chek connu. C’est un
+rassemblement de gens mal famés de toutes les tribus et qui a la
+réputation de n’être composé que de voleurs.</p>
+
+<p>Il y a encore la tribu des Gam Attab à Feray, sur les bords de
+la mer&nbsp;;</p>
+
+<p>Celle de Guérab, près de El Bakg et sur l’Albara&nbsp;;</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_129">[129]</span>Celle de Hannar,
+au nord de El Bakg&nbsp;;</p>
+
+<p>Celle de Mansourab, également&nbsp;;</p>
+
+<p>Celle de Erehab, même territoire&nbsp;;</p>
+
+<p>Celle de Hammâ, chek Amedan, sur le Nil, à Wadée
+l’Homar&nbsp;;</p>
+
+<p>La tribu des Allinga, au sud de Goos Regeb, qui est aussi
+Bichari&nbsp;;</p>
+
+<p>Celle des Metquénab, chek Bêlal, puissante tribu habitant le
+désert au Nord-Est de Goos Regeb&nbsp;;</p>
+
+<p>Celle des Hadindane qui est à Taka, très-grande tribu
+aussi&nbsp;;</p>
+
+<p>Celle des Béni-Amer et Mennah&nbsp;; chek Ocout, au sud de
+Taka&nbsp;;</p>
+
+<p>Une fraction de la tribu des Gam Attab, à la pointe nord de
+l’Albara, près l’embouchure du Barh Mogranne&nbsp;;</p>
+
+<p>Enfin la tribu des Aderba, ou pour mieux dire des Adareb
+(pluriel du mot) qui réside à Sawakin et aux environs.</p>
+
+<p>Cette dernière était autrefois considérée comme la plus noble et
+la plus importante, mais aujourd’hui elle n’est guère estimée si ce
+n’est à cause de sa richesse.</p>
+
+<p>Les autres Bicharieh traitent ses membres comme des citadins,
+des Gelabs, et non comme des Bédouins, des hommes indépendants.
+Cela tient aux occupations de commerce auxquelles les Adareb ont
+été conduits à se livrer. Fixés à Sawakin, seul point de ces
+parages que l’on peut regarder comme un port, ils sont devenus
+forcément les intermédiaires entre les négociants de l’intérieur
+qui apportent, chez eux, les produits de leurs pays, et les
+négociants du Hedjah, de l’Yémen et même de l’Inde qui y viennent
+échanger ou écouler les leurs. Ce sont, du reste, de fort beaux
+hommes, plus grands de taille, plus rapprochés, par les formes, du
+type européen que les Bicharieh des autres tribus&nbsp;; ils sont
+aussi plus soigneux de leurs personnes, de leurs vêtements, de
+leurs armes&nbsp;; et l’on peut les citer comme<span class=
+"pagenum" id="Page_130">[130]</span> les fashionables de la nation.
+Ils ont un langage recherché qui est toujours le Bedjah&nbsp;; mais
+qui affecte des termes inusités par la masse, un langage qui dénote
+une ancienne aristocratie.</p>
+
+<p>Les Bicharieh, en général, n’atteignent pas une taille
+élevée&nbsp;; ils sont maigres, surtout lorsqu’ils avancent en
+âge&nbsp;; leur teint, chocolat clair, quand il est pur de tout
+mélange avec le sang nègre, reste couleur d’ocre rouge tirant un
+peu sur le jaune, beaucoup plus foncé de ton que celui de leurs
+femmes qui vivent moins exposées aux ardeurs du soleil. Tous sont
+bien faits, bien proportionnés&nbsp;; mais leurs visages,
+détériorés par la vie en plein air, par le vent, par la
+réverbération constante d’une grande lumière sur le sable prend, de
+bonne heure, une expression sauvage. J’en ai vu cependant qui
+avaient conservé, avec des formes corporelles fort élégantes, des
+figures charmantes et très-distinguées. Ils ont les cheveux longs,
+légèrement crépus, mais non laineux, des dents d’une blancheur
+éclatante, ceux qui les ont mauvaises, et alors dans un état
+déplorable, doivent cela, sans doute, à l’usage du tabac et
+peut-être aussi à l’usage de la viande&nbsp;; ils ont des traits,
+des physionomies qui n’accusent rien d’africain&nbsp;; mais en
+vieillissant ils deviennent généralement très-laids. Les hommes et
+les femmes, soumis à la même misère et aux mêmes fatigues, donnent
+l’idée de l’état dans lequel peut tomber une population presque
+toujours affamée.</p>
+
+<p>Cependant les Bicharieh sont d’une nature gaie, curieuse&nbsp;;
+ils aiment à causer par-dessus tout, et leur profonde ignorance ne
+les empêche pas de le faire avec esprit. Quoiqu’ils se montrent
+mendiants à l’excès, voleurs même quand l’occasion se présente,
+paresseux au delà de toute expression, l’on ne peut nier qu’ils ne
+soient braves, loyaux et fort souvent chevaleresques. Ces
+contradictions se rencontrent aussi chez les<span class="pagenum"
+id="Page_131">[131]</span> sauvages, qui n’ont d’autre règle que
+leur instinct, et qui se passionnent facilement.</p>
+
+<p>Parmi les tribus que j’ai citées, celles des Balgab et des
+Amarrar sont renommées pour la beauté de leurs hommes et surtout de
+leurs femmes&nbsp;; celles-ci ont des traits tellement fins qu’on
+les prendrait pour des Européennes. Les deux tribus sont plus
+renommées encore pour le relâchement de leurs mœurs.</p>
+
+<p>Tous les Bicharieh vivent du produit de leurs troupeaux&nbsp;;
+ils ne tuent guère de moutons ou de chameaux que dans les grandes
+circonstances&nbsp;: soit aux noces, soit enfin pour recevoir des
+hôtes&nbsp;; car ils considèrent l’hospitalité comme un devoir, et
+ils l’exercent sous toutes ses formes.</p>
+
+<p>Si les pluies ont été abondantes et qu’il y ait des pâturages,
+ils se nourrissent de laitage, sinon ils s’arrangent pour aller à
+Assouan, à Derrawé, en Nubie, vendre du bétail, de la laine, des
+produits du désert, tels que gomme, séné, coloquinte ou peaux
+tannées, et ils rapportent chez eux du dourah. C’est dans ces
+occasions qu’ils achètent les étoffes de coton dont ils ont
+besoin.</p>
+
+<p>La chasse, pour quelques-uns, est un moyen d’existence,
+quoiqu’elle ne soit pas très-abondante. Dans les plaines ils
+trouvent les gazelles, les autruches, les ânes sauvages ou
+onagres&nbsp;; dans les vallées, les lièvres&nbsp;; dans les
+montagnes, les capricornes. Les animaux féroces du pays sont les
+hyènes, les loups ordinaires, quelques léopards, et les
+chacals&nbsp;; l’on y voit aussi une espèce de petit renard nommé
+bacho et une espèce de grand loup très-féroce nommé, comme en
+Abyssinie chez les Gallas, oselo. Enfin, dans beaucoup de
+localités, les perdrix grises et les perdrix rouges abondent&nbsp;;
+mais les Bicharieh ne les tuent pas&nbsp;; ce sont des oiseaux
+sacrés.</p>
+
+<p>Les tribus de el Bakg et de l’Elba sont les plus aisées de
+toutes, parce qu’à el Bakg, je l’ai dit ailleurs, les
+habitants<span class="pagenum" id="Page_132">[132]</span> cultivent
+le dourah, dont ils font commerce&nbsp;; parce que ceux de l’Elba,
+ayant toujours à leur portée de très-bons pâturages, peuvent élever
+de nombreux troupeaux. Ils font avec les négociants de Djeddah, qui
+fréquentent leurs côtes, des échanges continuels&nbsp;; mais ce qui
+contribue le plus à leur bien-être, ce sont les vols qu’ils vont
+commettre au loin, et ceux même qu’ils commettent au détriment des
+marchands qui viennent chez eux, vols toujours impunis, attendu
+qu’une fois rentrés dans leurs repaires, il est impossible
+d’atteindre les voleurs, et que, d’un autre côté, l’absence d’un
+chek reconnu met le volé dans l’impossibilité de formuler aucune
+plainte.</p>
+
+<p>Les principaux de ces tribus ont trouvé un moyen ingénieux de se
+donner des apparences de probité&nbsp;: ils vendent aux négociants
+leur protection moyennant un droit que ceux-ci payent sur leurs
+marchandises et qui s’élève ordinairement au cinquième du rendement
+des objets vendus. Quoique ce droit soit exorbitant, il n’est aucun
+gelab qui ne s’y soumette&nbsp;; car, attendu l’entente qui existe
+entre les Arabes, il serait bien plus coûteux de faire autrement.
+C’est un genre d’assurance comme un autre&nbsp;; seulement, en fait
+de sinistres, le seul cas que les assureurs ordinaires excluent, le
+cas de force majeure, se trouve ici uniquement admis.</p>
+
+<p>Le vêtement des Bicharieh consiste en une pièce de toile de
+coton longue de douze picks (le pick pour la toile est de 54
+centimètres) qu’ils coupent en deux, et dont ils cousent les deux
+parties au bout l’une de l’autre. Ils se drapent avec cela le corps
+de toutes les manières, se couvrant tantôt un côté, tantôt un
+autre, mais toujours de telle sorte que le centre de cette longue
+écharpe se trouve placé au milieu du dos. Peu d’individus portent
+des chemises&nbsp;; ce ne sont que les cheks ou les gens
+riches&nbsp;; elles vont jusqu’aux pieds&nbsp;; le col en est
+très-étroit, les manches en sont larges et très-longues. Tous
+laissent<span class="pagenum" id="Page_133">[133]</span> croître
+leurs cheveux, qui sont tressés et arrangés à la façon des statues
+égyptiennes&nbsp;; ils se graissent souvent la tête et le corps, et
+dans leurs cheveux est toujours une épingle en bois très-longue qui
+leur sert à se gratter sans déranger leur coiffure. Quand ils font
+leur toilette, ils prennent de la graisse de chameau préparée en
+petites boules de la grosseur d’une noix et mélangée avec des
+parfums en poudre, ils se frottent bien les mains avec ces boules
+et les mettent ensuite sur leurs têtes, de manière à ce que le
+soleil, en les fondant, puisse faire couler la graisse goutte à
+goutte sur leur corps et sur leurs vêtements. Cette coquetterie,
+qui est tout à fait en dehors de nos usages, a sa raison
+d’être&nbsp;; elle a pour but de donner aux membres une grande
+élasticité et aux étoffes une souplesse qu’elles n’auraient point
+sans cela.</p>
+
+<p>Les femmes sont vêtues de la même étoffe&nbsp;; leur toilette
+est la même&nbsp;; elles portent presque toutes en dessous de leur
+draperie une ceinture frangée en lanières de peau extrêmement
+déliées et fines, de la longueur de 40 à 50 centimètres. Cette
+ceinture, lorsqu’elles sont déshabillées, leur cache encore
+parfaitement une partie du corps. Les jeunes filles n’ont pas
+d’autre vêtement<a id="FNanchor_23"></a><a href="#Footnote_23"
+class="fnanchor">[23]</a>&nbsp;; leurs ornements sont un anneau
+assez grand passé au nez, d’autres plus petits aux oreilles, puis,
+autour du corps, au-dessous des seins principalement, des grains de
+verroterie, d’ambre, de corail, des coquillages et des onix,
+disposés d’une façon bizarre&nbsp;; elles portent aussi des
+bracelets en argent. Quant aux jeunes garçons, tout leur
+habillement se compose d’un morceau de toile de coton passé entre
+les jambes et noué au-dessus des hanches.</p>
+
+<p>Les habitations, les tentes des Bicharieh ont, en général,
+un<span class="pagenum" id="Page_134">[134]</span> aspect
+misérable, je l’ai déjà dit&nbsp;; elles sont faites avec des
+morceaux d’étoffes grossières, tissées en poil de chèvre et de
+chameau&nbsp;; elles ont de mauvaises cordes et de mauvais bois.
+Les plus importantes peuvent avoir 4 mètres sur 3 de
+grandeur&nbsp;; jamais je n’en ai rencontré une neuve. Des familles
+logent aussi quelquefois sous un abri naturel, dans des rochers. Du
+côté du sud, où il pleut plus souvent, les tentes sont établies
+plus solidement&nbsp;: ce sont des espèces de berceaux construits
+avec des bois qui forment une légère charpente et qui sont
+recouverts avec des peaux très-souples&nbsp;; l’intérieur en est
+garni de un ou de deux <em>angareb</em>, châssis de 2 mètres de
+longueur sur 1 de large, monté sur quatre pieds en bois qui
+l’élèvent au-dessus du sol d’environ 50 centimètres. Ce châssis
+contient un filet en lanières bien préparées et bien tendues, sur
+lequel l’on est très au frais pour dormir. Ceux qui en ont les
+moyens posent sur les lanières une natte ou un tapis. Les
+tentes-berceaux se transportent aussi facilement que les autres
+tentes et sont bien préférables. Enfin j’ai encore vu, dans la
+contrée entre le Nil et l’Elba, une troisième espèce de tentes que
+les indigènes confectionnent, en manière de cabanes, avec des
+branches d’arbres et des feuilles de doume ou palmier éventail
+tressées, et qu’ils tapissent intérieurement avec des étoffes
+grossières fabriquées par les femmes. Ils tirent de l’ouadée Douma,
+sur la route de Coroscos à Abou Ahmed, et de celle de Terfawé tous
+les matériaux qui leur sont nécessaires.</p>
+
+<p>Dans toutes ces habitations, les ustensiles de ménage sont les
+mêmes&nbsp;: un moulin à bras, une espèce de poêle en tôle pour
+cuire le pain, une ou deux terrines en terre, des outres pour
+l’eau, le lait ou le beurre, des œufs d’autruche, des courges, des
+petits paniers tressés fort serrés qui ne laissent point filtrer
+les liquides et des vases pour faire le méris ou le bouza quand les
+propriétaires en boivent. — Comme ornement, il y<span class=
+"pagenum" id="Page_135">[135]</span> a des sachets couverts de
+coquillages, de plumes d’autruches, de morceaux de drap rouge et de
+parchemin vert, il y a aussi force amulettes en cuir.</p>
+
+<p>Les Bicharieh supportent la fatigue, la faim, la soif pendant
+plusieurs jours sans paraître en être incommodés. Ils sont d’une
+insouciance, d’une imprévoyance extrême&nbsp;; quand ils ont mangé
+ils ne se préoccupent plus du lendemain. La moindre chose en effet
+leur suffira&nbsp;; mais aussi, toutes les fois qu’ils en trouvent
+l’occasion, ils se repaissent, à l’instar des boas, de manière à ne
+plus pouvoir bouger. Ils sont capables d’absorber, par tête, dans
+un seul repas, tout un mouton et de n’en laisser littéralement que
+les gros os, puis ils resteront trois ou quatre jours sans absorber
+aucune nourriture. On rencontre des individus qui n’ont jamais bu
+que du lait et qui ne peuvent avaler une goutte d’eau sans en
+souffrir beaucoup.</p>
+
+<p>Quand les pluies sont tombées avec abondance et ont fait
+produire au désert des pâturages pour les troupeaux, les Bicharieh
+sont au comble du bonheur&nbsp;; ils restent alors tranquilles dans
+leurs campements, savourant le <em>far niente</em> oriental et ne
+se rassasiant que de laitage.</p>
+
+<p>Ils n’ont pas de chevaux et ne se servent que de dromadaires
+pour leurs transports, leurs voyages et leurs expéditions
+guerrières. Ordinairement ils se mettent deux sur la même monture,
+l’un en avant sur la bosse où est posée une légère selle, il guide
+le dromadaire, l’autre derrière la selle en croupe et à poil et se
+tenant à un pommeau de l’arçon.</p>
+
+<p>De cette manière ils parcourent promptement et en nombre de
+très-grandes distances.</p>
+
+<p>Les armes des Bicharieh sont des lances, qui se fabriquent à
+Assouan, à Sawakin, à Berber et à Chaindi, des sabres ou espadons,
+comme en portaient nos anciens dragons, larges de 4 à 5
+centimètres, longs de 1<sup>m</sup>,30 environ et tranchants
+des<span class="pagenum" id="Page_136">[136]</span> deux côtés. Ces
+armes viennent d’Europe, d’Allemagne ou d’Espagne&nbsp;; les
+anciennes sont renommées et se payent très-cher, jusqu’à 500 francs
+pièce, tandis que les autres ne valent guère que 20 à 30 francs.
+Ils ont encore des couteaux ou poignards plats, recourbés d’une
+façon particulière et tranchants aussi des deux côtés, qu’ils
+portent attachés à la ceinture par-dessous leurs vêtements, et
+d’autres plus petits attachés au bras ou à la cuisse. Pour
+compléter cet armement ils portent un bouclier rond, quelquefois
+ovale, fait en peau de crocodile, de girafe, d’hippopotame, de
+rhinocéros, d’éléphant ou de buffle sauvage.</p>
+
+<p>Leurs guerres, le plus souvent, et surtout celles qui ont lieu
+entre eux et les tribus arabes, sont occasionnées par la question
+des eaux et des pâturages, par des représailles d’assassinats, par
+des vols de dromadaires. Mais c’est presque toujours sur les puits
+que commencent les querelles, chacun veut abreuver le premier ses
+animaux, chacun veut commencer à remplir ses outres&nbsp;; des
+disputes l’on en vient aux coups, aux armes. Un homme est-il tué
+dans la mêlée&nbsp;? voilà le sujet d’une guerre. Le meurtrier est
+poursuivi&nbsp;; s’il se réfugie dans sa tribu l’on cherche à
+négocier le prix du sang versé, et si les parents du mort
+n’acceptent pas ce qui leur est proposé, s’ils exigent la loi du
+talion, la guerre se déclare entre deux familles, guerre à laquelle
+prennent part les parents, les amis, les connaissances des
+intéressés. D’un autre côté, la paix qui est faite par
+l’acceptation du prix du sang est rarement durable, de fréquentes
+ruptures s’en suivent habituellement.</p>
+
+<p>La moindre discussion, la moindre affaire d’intérêt devient,
+pour une valeur contestée de 3 ou 4 piastres, une affaire
+très-grave&nbsp;; car souvent la partie plaignante, ne pouvant
+obtenir justice, vole un mouton, un chameau à la partie
+adverse&nbsp;; cela amène une complication qui, si elle n’est pas
+arrangée de<span class="pagenum" id="Page_137">[137]</span> suite
+par le chek ou les notables de la tribu, produit un assassinat et
+tout ce qui en découle.</p>
+
+<p>Il est rare que toutes les tribus se mettent en campagne
+ensemble&nbsp;; l’on n’a vu cela que lorsqu’il s’est agi de
+repousser les Turcs, les Égyptiens et de piller les bords du
+Nil.</p>
+
+<p>Les Bicharieh ont l’habitude, après un combat, d’enterrer leurs
+morts&nbsp;; j’en ai eu plusieurs fois la preuve dans le courant de
+mon voyage. Quand un chek, un homme considérable vient à être tué,
+s’il meurt en route, des suites d’une blessure, s’il meurt même de
+maladie, ses compagnons le mettent dans une grande outre de peau de
+bœuf, avec beaucoup de sel et, bien clos dans ce cercueil, le
+transportent jusqu’au campement de la tribu où est leur champ des
+morts.</p>
+
+<p>Soit au fort d’une bataille, soit dans une simple attaque de
+voyageurs, après avoir jeté leurs lances, celui des deux cavaliers
+qui est en croupe sur le dromadaire saute à terre et cherche à
+parvenir, en rampant, sous la monture de son adversaire, pour
+l’éventrer avec son poignard ou lui couper les jarrets, de telle
+sorte que l’homme désarçonné, jeté en bas violemment, est tout à sa
+discrétion. Si c’est contre un fantassin qu’il doit combattre, sa
+tactique est à peu près la même, en ce sens qu’il ne vise qu’à une
+chose, à couper avec son sabre les jarrets de son ennemi.</p>
+
+<p>Lorsque les Bicharieh sont en expédition, ils cherchent
+toujours, avant d’attaquer, à connaître les forces de l’ennemi.
+S’ils reconnaissent qu’il est faible, ils fondent sur lui, le matin
+au point du jour, afin que personne ne puisse leur échapper pendant
+les ténèbres. Si, au contraire, ils craignent qu’il soit fort et
+qu’il y ait, pour eux, des chances d’insuccès, ils attaquent dans
+la nuit, afin de pouvoir profiter des ténèbres pour se sauver en
+cas de défaite.</p>
+
+<p>Ils ne font pas de prisonniers, et, quand ils se battent
+contre<span class="pagenum" id="Page_138">[138]</span> une autre
+nation que la leur, les femmes et les enfants sont pris en
+esclavage.</p>
+
+<p>La propriété, chez eux, n’est point personnelle quant à la
+terre&nbsp;; elle est divisée comme partout ailleurs&nbsp;; mais
+entre tribus, entre familles seulement&nbsp;; ce sont des groupes
+et non des individualités qui possèdent. Tel canton appartient à un
+groupe, telle vallée à un autre groupe, et ainsi de suite. Les
+arbres de ces vallées appartiennent à telle ou telle famille. Il y
+a cependant des parties du désert sur lesquelles toutes les tribus
+ont un droit de vaine pâture dans toute l’acception du mot.</p>
+
+<p>Les mœurs des Bicharieh sont assez pures dans quelques tribus,
+tandis que dans beaucoup d’autres elles sont, au contraire,
+très-relâchées&nbsp;; chez les Amarrar, par exemple, on fait peu
+d’attention à l’adultère&nbsp;; car ils prétendent que la race, la
+noblesse se perpétue par les femmes plus sûrement que par les
+hommes. Au surplus, cette opinion est l’opinion des mahométans, qui
+reconnurent à la fille de leur prophète, sa fille Fathmé, le droit
+de noblesse qu’elle transmit à ses descendants, hommes ou femmes,
+sans distinction. Depuis elle et par elle, le fils ou la fille
+d’une femme chérif qui a le droit de porter le turban vert, peuvent
+le porter aussi comme signe.</p>
+
+<p>Chez ces mêmes Amarrar, l’on a commerce avec la femme de son
+frère et les parentes au même degré. Chose singulière&nbsp;! ce
+sont les tribus dont les mœurs sont aussi mauvaises, qui ont le
+plus beau sang, les sujets les mieux constitués.</p>
+
+<p>Il y en a chez qui le sentiment religieux est assez développé.
+Celles-là pratiquent le culte de Mahomet autant que faire se
+peut&nbsp;; car aucun Bichari ne sait lire l’arabe, et sa propre
+langue ne s’écrit pas. Chaque année seulement il vient, de la
+Mecque, des missionnaires musulmans qui pénètrent dans les familles
+pour prêcher le Coran. Ces missionnaires sont
+parfaitement<span class="pagenum" id="Page_139">[139]</span>
+écoutés, à cela près qu’ils ne parviennent jamais à communiquer le
+fanatisme qui les anime.</p>
+
+<p>J’ai été lié intimement avec un chek très-considéré qui me
+disait&nbsp;: «&nbsp;Vous, vous êtes un brave homme comme nous,
+vous n’aimez pas le mal. Quel dommage que vous ne soyez pas
+musulman&nbsp;!&nbsp;»</p>
+
+<p>Les mariages se font quelquefois difficilement&nbsp;; car il
+faut, pour obtenir une fille de bonne famille, pouvoir donner au
+moins six chamelles, tuer, le jour de la noce, une vingtaine de
+moutons et offrir des vêtements neufs. Ces présents s’adressent
+naturellement à la femme et restent dans le ménage, à moins qu’il
+n’y ait divorce, auquel cas l’épouse retient tout, outre la dot que
+son père lui a faite, dot toujours égale à celle de son époux.</p>
+
+<p>Quand un jeune homme et une jeune fille sont épris l’un de
+l’autre, et que la fortune du jeune homme ne lui permet pas
+d’apporter en mariage ce que le père de celle qu’il recherche
+exige, les jeunes gens n’en continuent pas moins à se voir. Cela
+amène souvent une situation qui, chez nous, serait appréciée par
+ces termes&nbsp;: Il faut les marier. Or ici, comme chez nous
+encore, l’on arrive presque toujours à s’entendre, et le père
+récalcitrant finit par où il aurait dû commencer, avec cette
+différence qu’il n’agit sous la pression d’aucune idée de
+déshonneur et que sa résolution nouvelle est tout simplement, tout
+bonnement raisonnée.</p>
+
+<p>Les Bicharieh considèrent les accidents de famille de cette
+sorte comme fort naturels, ils ne s’en émeuvent pas autrement. Bien
+plus, le jeune homme peut se retirer à la dernière heure, sans
+encourir aucun blâme&nbsp;; il donne alors un chameau à titre de
+dédit, et la jeune fille, toujours aussi bien vue de ses parents,
+de ses amis, trouve à se marier ailleurs comme si rien ne s’était
+passé. Le sort de l’enfant qui survient a été réglé<span class=
+"pagenum" id="Page_140">[140]</span> d’avance par la loi du
+pays&nbsp;; cet enfant, qu’il y ait mariage ou non, est réputé
+comme fils du frère de sa mère. La sagesse de cet arrangement peut
+être appréciée par qui de droit.</p>
+
+<p>Si un homme prend une jeune fille de force et qu’il y ait viol,
+il est tué sans rémission&nbsp;; s’il prend la femme d’un autre, il
+est puni dans de certaines limites, et regardé comme seul
+coupable&nbsp;; mais cette punition est illusoire, parce que le
+mari offensé se bat toujours avec lui ou l’assassine.</p>
+
+<p>Le drame suivant donne, dans cet ordre d’idées, la mesure du
+caractère de ces populations&nbsp;; il s’est passé, presque sous
+mes yeux, dans les environs de Déréhib.</p>
+
+<p>Une femme Bichari, nommée Settina (notre maîtresse) était mariée
+à son cousin, qui en était fort amoureux et fort jaloux&nbsp;; car
+elle était très-belle. Settina, quoiqu’elle aimât beaucoup son
+mari, ayant été élevée dans les mœurs relachées de la tribu des
+Amarrar, avait un amant qui obtenait d’elle tout ce qu’il est
+possible à une femme de donner, et qui était aussi son parent. Il
+se nommait Faddalla, et le mari se nommait Ahmed. Tous deux eurent
+besoin de faire ensemble un voyage pour aller porter à Assouan ce
+qu’ils avaient à échanger contre des grains et autres choses
+nécessaires à leur famille, et de plus pour régler quelques
+affaires dans une tribu voisine. On fit les préparatifs
+ordinaires&nbsp;; mais, au moment du départ, Faddalla prétendit
+qu’il avait à terminer quelque chose qui devait le retenir un jour
+chez lui. Il pria donc Ahmed, afin que le voyage ne souffrît pas de
+retard, de se mettre en route avec les chameaux qui étaient prêts,
+ainsi que les bagages, l’assurant que bientôt il le rejoindrait à
+l’aide de son dromadaire. Cela fut arrangé ainsi&nbsp;; cependant,
+à peine en route, Ahmed conçut quelques soupçons&nbsp;; son humeur
+jalouse le talonna de telle sorte que, ne se contenant plus, il
+laissa sa petite caravane et s’en revint le soir à sa tente, dans
+laquelle<span class="pagenum" id="Page_141">[141]</span> il trouva
+moyen de se cacher, après y être entré furtivement.</p>
+
+<p>Le vrai motif qui avait empêché son ami de partir ne tarda pas
+alors à lui être révélé&nbsp;; car Faddalla entra aussi dans la
+tente avec Settina, et ils lui donnèrent la preuve de l’intimité
+qui régnait entre eux. Dans une situation pareille, Ahmed eut le
+courage de rester immobile et d’attendre un moment favorable pour
+pouvoir s’échapper de chez lui&nbsp;; son plan était arrêté. Il
+rallia sa caravane sans laisser voir aucune émotion, et le
+lendemain, lorsque son cousin parut en sa présence, il ne lui
+témoigna aucune défiance. C’était un homme fortement trempé, un
+homme capable de prendre une résolution extrême, mais aussi capable
+d’un grand dévouement.</p>
+
+<p>Le voyage s’effectua comme il avait été conçu&nbsp;; mais en
+revenant, Ahmed répudia sa femme sans l’aller voir et sans dire le
+motif qui le faisait agir. Ce motif, personne ne le soupçonna, car
+il le refoula dans son cœur, par égard pour celle qu’il aimait
+encore, par considération pour sa famille, à laquelle il
+appartenait aussi.</p>
+
+<p>Peu de temps après ce divorce, Faddalla épousa sa maîtresse, qui
+le rendit heureux comme elle avait rendu heureux son premier mari,
+c’est-à-dire pendant un temps fort limité&nbsp;; car la race dont
+elle descendait, antipathique aux liens indissolubles, semblait
+l’autoriser à chercher sans cesse de nouveaux plaisirs. Or il
+arriva que Settina faillit encore&nbsp;; il arriva que Faddalla la
+surprit en flagrant délit, ainsi que Ahmed l’avait surprise, et
+que, tout aussi jaloux, mais moins généreux que lui, il n’hésita
+pas à l’immoler sur place avec son complice.</p>
+
+<p>Ce dénoûment avait-il été prévu par Ahmed&nbsp;? Je ne saurais
+le croire, par la raison que sa conduite a prouvé qu’il avait
+voulu, avant tout, ménager sa femme, par la raison encore qu’après
+la mort de Settina il se rendit auprès du meurtrier et<span class=
+"pagenum" id="Page_142">[142]</span> l’accabla de reproches, en lui
+remontrant combien il était coupable d’avoir puni une trahison pour
+laquelle il eût dû se montrer indulgent. Cette dernière démarche
+surtout fait voir que son caractère était plus noble. Mais, en
+présence du sang répandu, ses résolutions prirent un autre cours.
+Il avoua à Faddalla qu’il avait connu ses relations avec Settina,
+et qu’il avait divorcé. Il lui avoua qu’il l’avait épargné à cause
+d’elle, et qu’elle n’existant plus, tout était changé. Puis, en
+parlant ainsi, il l’entraîna sur la tombe à peine fermée et le
+poignarda avec le plus grand sang-froid.</p>
+
+<p>Voici encore quelques traits, d’un autre genre, bien
+caractéristiques&nbsp;:</p>
+
+<p>Les Bicharieh, pour ce qui regarde les souffrances physiques,
+sont d’une insensibilité extraordinaire. J’ai vu, dans la province
+de Berber et de Chaindi, des hommes condamnés, par le gouverneur, à
+être empalés, et souffrir cet horrible supplice sans proférer une
+seule plainte&nbsp;; l’un d’eux, transpercé d’outre en outre, tout
+mutilé et tout déchiré, injuriait froidement son bourreau qui le
+fit tuer à coups de pistolets, pour mettre fin à ses sarcasmes.</p>
+
+<p>Un autre, condamné à avoir la tête tranchée, fut conduit sur la
+place publique sans même être lié, on le fit mettre à genoux, et le
+soldat chargé de l’exécuter lui porta un coup de sabre qui ne lui
+fit qu’une profonde blessure. Il ne poussa aucun cri, se releva,
+comme pour respirer un moment plus à l’aise et se replaça ensuite à
+genoux, avec le plus grand calme, pour recevoir le coup fatal.</p>
+
+<p>Dans une circonstance analogue, j’ai vu aussi un Bichari à qui
+l’on infligeait le supplice du fouet. Il était couché à terre,
+libre de ses mouvements, et l’on frappait autant que possible sur
+ses épaules. A chaque coup, des lambeaux de sa chaire étaient
+enlevés, son sang coulait abondamment&nbsp;; il ne
+bougea<span class="pagenum" id="Page_143">[143]</span> pas, ne
+poussa même pas un soupir et s’en alla, sans broncher, d’un pas
+calme et hardi, lorsqu’il eut subi sa peine.</p>
+
+<p>Je pourrais citer une multitude de faits semblables dont j’ai
+encore été témoin, ils ne sont pas plus significatifs que les faits
+ci-dessus. Or, maintenant, il serait curieux de rechercher les
+causes de cette profonde insensibilité du corps chez des êtres
+humains&nbsp;; mais cela n’est point de mon ressort&nbsp;; tout ce
+que j’ai pu observer c’est que l’habitude de vivre constamment nu,
+exposé au soleil ainsi qu’à toutes les intempéries de l’air,
+pourrait bien être une de ces causes si elle n’en est pas la
+seule.</p>
+
+<p>Les duels parmi ces hommes ne sont pas rares. J’en ai raconté un
+dont les armes étaient de simples courbaches&nbsp;; il y en a aussi
+à l’arme blanche. Chez les Amarrar, par exemple, lorsque quelque
+cas grave conduit deux individus sur le terrain, les chefs de la
+tribu les y ont précédés&nbsp;; ils s’assoient accroupis suivant
+leur coutume, et de manière à former un cercle au milieu duquel, se
+placent, posés à califourchon, l’un contre l’autre, les champions
+entièrement nus. On leur donne alors un couteau, un seul couteau,
+dont le plus favorisé se sert pour frapper le premier son
+adversaire, après quoi il lui présente l’instrument pour que
+celui-ci le frappe à son tour, et ainsi, non pas jusqu’à ce que
+mort s’ensuive&nbsp;; car il est défendu de porter des coups
+mortels, mais jusqu’à ce qu’il plaise aux cheks, juges du combat,
+de vouloir y mettre fin. Ceux-ci, pendant que les combattants se
+tailladent les bras, les cuisses, les mollets, les épaules, avec
+une espèce de courtoisie sauvage qui implique l’éloge ou le blâme
+du dernier coup porté, ceux-ci, dis-je, fument et boivent du lait
+que l’on fait circuler à la ronde dans des courges, des outres ou
+d’autres vases. Leurs yeux ont suivi toutes les péripéties du duel,
+et quand ils pensent que le sang a suffisamment coulé, ils se
+lèvent et séparent les<span class="pagenum" id=
+"Page_144">[144]</span> deux antagonistes qui s’avouent satisfaits
+et s’en retournent tranquillement à leurs tentes.</p>
+
+<p>Une des mauvaises passions des Bicharieh c’est l’avarice. On m’a
+dit chez eux que, dans des temps de disette, quand la pluie fait
+défaut, l’on voyait des hommes préférer mourir plutôt que de se
+décider à vendre un chameau, ou se défaire d’un objet qu’il
+pourrait fort bien remplacer plus tard. Cet amour excessif de la
+propriété, cet amour poussé jusqu’au dernier sacrifice, ne se
+comprend pas dans la vie du désert&nbsp;; c’est une monstruosité
+que l’on est moins étonné de rencontrer ailleurs. J’aime bien mieux
+l’attachement de même nature que le Bichari porte à son dromadaire,
+parce qu’alors c’est un ami auquel il tient et dont il ne veut pas
+se séparer volontairement&nbsp;; comme le bédouin de certaines
+contrées fait pour son cheval.</p>
+
+<p>Les Bicharieh, je l’ai dit, n’ont point de chevaux&nbsp;; ils
+s’adonnent particulièrement, avec leurs voisins les Ababdieh qui
+restent du côté de Coseir, à l’élève des chameaux et des
+dromadaires. Leurs produits sont, sans contredit, des meilleurs et
+des plus parfaits que l’on puisse trouver. Je vais donner ici tous
+les détails que j’ai recueillis touchant cette race d’animaux si
+mal connus en Europe, où l’on n’a jamais vu que des types
+grossiers, à formes allourdies, à pelage velu, venant de Barbarie
+ou d’Asie, types en effet fort différents de ceux qu’obtiennent les
+Bicharieh et les Ababdieh, ou les tribus arabes du mont Sinaï et de
+la péninsule arabique&nbsp;; mais d’abord il faut bien s’entendre
+sur le mot chameau et sur le mot dromadaire.</p>
+
+<p>D’après la classification des naturalistes, ces mots
+désigneraient chacun une espèce différente&nbsp;; et Buffon dit que
+les chameaux ont deux bosses, et que les dromadaires n’en ont
+qu’une. Notons, en passant, que ceux-là ne naissent ni en Afrique
+ni<span class="pagenum" id="Page_145">[145]</span> en Arabie&nbsp;;
+mais seulement en Tartarie, d’où il en vient dans quelques parties
+de l’Asie.</p>
+
+<p>De ce que cette diversité a été admise, il est résulté une
+confusion difficile à détruire&nbsp;; car, pour ce qui regarde la
+race des dromadaires, les Européens, qui, par suite de leur séjour
+dans le pays, ont acquis des notions plus exactes sur ce sujet,
+appellent chameaux ceux que l’on charge et dromadaires ceux que
+l’on monte. Autorisés en cela par les Arabes eux-mêmes qui
+désignent les premiers par le nom de <em>gémél</em>, les seconds
+par le nom de <em>égine</em>&nbsp;; et, de fait, ce sont les mêmes
+animaux qui diffèrent entre eux comme les chevaux, dont les uns
+sont pour le trait et les autres pour la selle, et qui sont
+d’origine plus ou moins bonne, plus ou moins renommée. Le égine, ou
+comme le nomment les Européens, le dromadaire est donc le chameau
+que l’on monte, espèce plus perfectionnée et plus légère.</p>
+
+<p>Quelquefois un bon dromadaire, accouplé à une bonne femelle, ne
+donnera pas un bon produit, quelquefois aussi l’un des deux n’étant
+point parfait, le produit sera excellent&nbsp;; absolument comme
+pour les chevaux. Cependant l’expérience a fait voir que les
+descendants de deux dromadaires de bonne race, connus de père en
+fils, étaient toujours meilleurs que ceux des espèces
+mélangées&nbsp;; les Arabes, qui savent cela, se préoccupent
+beaucoup de la question des accouplements.</p>
+
+<p>Les deux races les plus appréciées en Égypte, sont&nbsp;: celle
+des Arabes du Hedjah, à Mascat principalement, et à Noman (les
+Mascatieh et les Nomanieh), puis celle des Bicharieh et des
+Ababdieh<a id="FNanchor_24"></a><a href="#Footnote_24" class=
+"fnanchor">[24]</a>.</p>
+
+<p>Il y a des personnes qui estiment mieux la dernière&nbsp;;
+mais<span class="pagenum" id="Page_146">[146]</span> c’est une
+affaire de caprice. La vérité est que l’on trouve d’excellents
+dromadaires dans les deux races.</p>
+
+<p>Les dromadaires de Barbarie (les Hérieh et les Emiarieh) sont
+loin d’être aussi bons&nbsp;; on ne les recherche pas, surtout
+parce qu’ils sont bien moins élégants de formes et d’allures.</p>
+
+<p>Il existe ensuite bien des races secondaires parmi lesquelles on
+trouve des exceptions remarquables&nbsp;; mais, si l’on remonte à
+leur origine, on voit toujours qu’il y a là du sang des deux races
+primitives de l’Etbaie et de l’Arabie. En effet, ce sont les plus
+voisines des localités où naissent celles-ci qui possèdent le plus
+de qualités.</p>
+
+<p>Les dromadaires nomanieh et mascatieh ont des formes un peu plus
+fortes, plus ramassées que les bicharieh, leur couleur fauve est
+plus foncée et leur poil plus long.</p>
+
+<p>Le bichari, au contraire, est très-svelte, ses jambes sont
+longues et fines, sa couleur est à peu près celle de la gazelle (il
+y en a pourtant beaucoup de tout à fait blancs), son poil est ras,
+il a le col souple et le ventre moins gros que le dromadaire
+arabe.</p>
+
+<p>Leur manière respective de marcher est aussi très-distincte, et
+quoique l’on puisse dire que les allures différentes, chez ces
+animaux, ne soient pas un signe de variété dans la race, il ne
+m’est pas prouvé que cela provienne seulement de la manière de les
+élever. J’ai possédé des dromadaires des deux provenances&nbsp;;
+j’en ai eu qui sont nés chez moi, et j’ai voulu, sur de jeunes
+sujets qui n’avaient pas encore été montés, essayer de faire
+prendre aux bicharieh l’allure des nomanieh et à ceux-ci celle de
+bicharieh, jamais je n’ai pu y parvenir complétement.</p>
+
+<p>Les nomanieh marchent en posant les quatre pieds les uns après
+les autres, ce qui fait un pas précipité, sans secousses
+violentes&nbsp;; mais le cavalier perçoit un balancement de droite
+à gauche, et d’arrière en avant tout à la fois qui, à la
+longue,<span class="pagenum" id="Page_147">[147]</span> fatigue la
+poitrine et peut donner le mal de mer. Ils tiennent la tête fort
+basse, et, à chaque pas, exécutent un mouvement de va-et-vient que
+l’on pourrait croire l’effet d’un ressort à boudin. Ce n’est point
+une allure franche en apparence, car cela ressemble au pas relevé
+du cheval, mêlé à un peu d’amble. De cette manière les nomanieh
+font environ huit mille à l’heure. Pour aller plus vite, il
+faudrait prendre le trot, qui n’est ni la bonne ni la vraie allure
+de l’animal.</p>
+
+<p>Les bicharieh, eux, ont le pas moins allongé et moins précipité.
+La pose des quatre pieds, en marchant, quoique se faisant de la
+même façon, est cependant moins régulière&nbsp;; il y a, si je puis
+dire ainsi, plus d’amble dans son fait, ce qui donne au cavalier un
+seul mouvement d’arrière en avant bien déterminé. Ce pas est loin
+de valoir celui des nomanieh&nbsp;; mais l’allure naturelle du
+bichari c’est le trot. Alors ses jambes sont lancées avec une
+hardiesse, une souplesse, une agilité incroyables&nbsp;; ses pieds
+ne transmettent aucune secousse. Cette allure, chez les bons
+animaux (et je ne parle que de ceux-ci, en comparant les deux
+races), est si douce qu’elle n’est comparable au trot d’aucun
+cheval. En allant au pas, le bichari fait de trois à trois milles
+et demi à l’heure, au petit trot et au grand trot, on peut varier
+sa vitesse et on arrive très-facilement à faire dix, douze et même
+quatorze milles.</p>
+
+<p>Le dromadaire galope aussi, mais pendant fort peu de temps de
+suite&nbsp;; il n’est pas construit pour cela. Peu de cavaliers,
+même parmi les Arabes, peuvent supporter ce galop sans tomber ou
+sans se cramponner fortement aux pommeaux de la selle.</p>
+
+<p>Dans l’Etbaie, on monte plutôt les mâles que les femelles.
+Celles-ci sont pourtant plus agréables que les mâles&nbsp;;
+quoiqu’elles aient souvent le défaut de se coucher, quand elles ont
+trop chaud ou qu’elles se sentent seulement fatiguées,
+auquel<span class="pagenum" id="Page_148">[148]</span> cas tout ce
+que l’on peut faire ne sert de rien, il faut attendre son bon
+plaisir&nbsp;; mais les Bicharieh ménagent les femelles en vue de
+la reproduction&nbsp;; ils prétendent que c’est par elles que les
+qualités du sang se perpétuent. Nous avons vu qu’ils ont cette
+opinion au sujet de l’espèce humaine<a id=
+"FNanchor_25"></a><a href="#Footnote_25" class=
+"fnanchor">[25]</a>.</p>
+
+<p>Les meilleurs dromadaires des Bicharieh sont ceux des tribus de
+Hamma, Mahamet Gourabieh, Chintirab et Balgab. Ces derniers ont
+l’avantage de marcher à l’aise dans les terrains pierreux, attendu
+qu’ils viennent d’un pays de montagnes.</p>
+
+<p>On a cru longtemps que les dromadaires ne s’accouplaient pas
+comme les autres quadrupèdes, parce que leur conformation n’avait
+point été soigneusement observée, et cette erreur existait aussi
+pour le lion&nbsp;; mais aujourd’hui il n’est plus permis de croire
+aux fables répandues par des ignorants&nbsp;; l’anatomie des
+animaux du désert est aussi connue que celle de nos animaux
+domestiques, et l’histoire naturelle en a fait son profit.</p>
+
+<p>Les Arabes, quand ils veulent faire saillir une femelle, la
+conduisent toujours dans un endroit retiré. Cette condition n’est
+pas indispensable&nbsp;; mais elle réussit beaucoup mieux,
+l’instinct de l’isolement étant un des caractères distinctifs de la
+bête.</p>
+
+<p>Ils ont choisi d’avance un mâle de l’âge de cinq ans, fort et
+bien constitué.</p>
+
+<p>L’hiver est l’époque ordinaire de ces accouplements, c’est la
+saison des pâturages&nbsp;; cependant on peut les tenter, avec
+fruit, dans toutes les saisons de l’année.</p>
+
+<p>Quand la femelle a conçu, l’on s’en en aperçoit au bout de dix à
+douze jours&nbsp;; différents indices vous en fournissent la
+preuve.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_149">[149]</span>Elle porte douze
+mois, et, pendant tout ce temps, vous pouvez la monter, la charger
+comme à l’habitude, elle devient même plus fringante, court mieux
+et ne se couche plus, en route, par caprice. Souvent elle met bas
+en voyage, ce qui ne l’empêche pas de continuer la route en
+faisant, toutefois, de petites marches. Alors l’on suspend, le plus
+commodément possible, le petit à son côté, et celui-ci, à l’âge de
+huit jours à peine révolus, commence à suivre la caravane.</p>
+
+<p>On laisse téter les jeunes dromadaires pendant dix-huit mois si
+les mères sont en liberté&nbsp;; mais celles dont on se sert,
+celles qui font un service quelconque n’allaitent que pendant six
+mois. Au bout de ce temps, d’ailleurs, leurs petits commencent à
+manger de l’herbe et du grain.</p>
+
+<p>A dix-huit mois, quelquefois un peu plutôt, quelquefois un peu
+plus tard, selon la croissance de l’animal, on commence à le faire
+monter, à poil, par un jeune garçon, précaution nécessaire, car
+autrement il deviendrait rétif&nbsp;; les éleveurs ne manquent
+jamais de la prendre&nbsp;; seulement j’ai remarqué que les
+Nomanieh étaient, pour cela, plus entendus que les Bicharieh, en ce
+sens qu’ils ne se hâtaient jamais. Les dromadaires de ces derniers
+ont souvent des défauts qui leur viennent de ce qu’ils ont été
+fatigués trop jeunes.</p>
+
+<p>Les uns et les autres sont dans toute leur force à l’âge de cinq
+ans, et ils conservent cette force jusqu’à l’âge de quinze ans.
+Plus tard, quoiqu’ils soient encore bons, quoiqu’ils soutiennent
+aussi bien la fatigue, ils n’en commencent pas moins à perdre leur
+légèreté et leurs qualités les plus essentielles. J’ai monté
+cependant des dromadaires qui étaient connus depuis 32 ans et qui
+marchaient toujours très-bien.</p>
+
+<p>C’est encore une erreur de croire que le dromadaire ne se
+couche, en s’agenouillant, que par le fait de l’éducation, et que
+les espèces de callosités qu’il a aux coudes, aux genoux et
+à<span class="pagenum" id="Page_150">[150]</span> l’estomac lui
+arrivent par suite de la manière de se poser quand on le monte ou
+quand on le charge. Ces callosités, il les possède en naissant et,
+à peine né, il vient s’accroupir auprès de sa mère absolument dans
+la position que l’on suppose factice.</p>
+
+<p>Quant il a atteint toute sa croissance, il faut qu’il ait une
+belle taille, deux mètres ou deux mètres quinze au moins
+d’élévation sur la croupe et sur le garrot, sa bosse doit avoir, en
+sus, de 30 à 40 centimètres, si elle dépasse cette hauteur, cela ne
+vaut rien&nbsp;; car c’est un signe de gros embonpoint. Sa robe
+doit être couleur fauve un peu claire, sa tête petite, son cou
+large, ses jambes fines et droites, son train de derrière
+légèrement plus haut que le train de devant, et si, avec toutes ces
+qualités il a encore celle de posséder la bosse placée juste au
+milieu du corps, condition essentielle pour bien porter la selle,
+s’il a les pieds petits, les ongles et les poils qui les entourent
+bien noirs, s’il a sous la gorge, sur le derrière de la tête et sur
+la bosse des poils plus longs que sur le reste du corps où ils ne
+doivent être ni trop ras ni trop secs, ce qui est ordinairement
+l’indice d’une constitution molle&nbsp;; s’il possède tout cela, il
+est réputé pour une perfection et cité comme type à bien des lieues
+à la ronde.</p>
+
+<p>Les Arabes attachent une grande importance à connaître la
+provenance des dromadaires. Pour cela, chaque tribu met sa marque
+sur tous les sujets nés chez elle&nbsp;; le propriétaire leur
+appose aussi la sienne. Ces deux marques consistent en brûlures
+faites à l’aide d’un fer chaud. Elles ont aussi un autre but, celui
+de faire retrouver un animal volé. Tous les dromadaires bicharieh
+portent en outre un signe commun, un signe pour ainsi dire national
+qui est représenté par une ligne posée en travers sur la jambe
+droite de devant et que l’on nomme ogal, du nom de la corde qui
+sert d’attache pour les empêcher<span class="pagenum" id=
+"Page_151">[151]</span> de se lever quand on veut les retenir dans
+un endroit quelconque.</p>
+
+<p>Les dromadaires et les chameaux, avec leur structure solide,
+avec les apparences d’une santé inattaquable, sont en réalité fort
+délicats&nbsp;; ils contractent facilement une foule de maladies
+qui prennent aussitôt de grandes proportions et deviennent
+incurables&nbsp;; ainsi de la gale, de certains abcès, de certaines
+coliques, etc. Leur médication est extrêmement restreinte&nbsp;;
+c’est, le plus souvent, au moyen du feu, soit aux jambes, soit au
+ventre ou à la poitrine qu’on les traite. Tout le monde connaît, au
+moins par ouï-dire, leur sobriété, elle est proverbiale&nbsp;;
+cependant il ne faut pas croire qu’ils soient faciles à nourrir.
+Les herbages du désert et le dourah leur conviennent beaucoup, et
+ils s’habituent difficilement aux herbages des terres cultivées
+ainsi qu’aux fèves, à la paille, au froment pilé&nbsp;; quant à
+l’orge, on doit bien se garder de leur en donner, c’est une
+nourriture qui les tue.</p>
+
+<p>Rien n’est plus pittoresque qu’un cavalier arabe monté sur son
+dromadaire. Il le conduit à l’aide de deux petites cordes, qui
+tiennent lieu de brides. L’une de ces cordes est fixée à la
+têtière, et l’autre à un anneau en argent ou en cuivre passé dans
+la narine gauche de l’animal. Cette dernière s’appelle zemam, c’est
+la principale et même souvent la seule.</p>
+
+<p>Quand le dromadaire est soutenu par la têtière, son trot est
+fort doux, il devient plus rapide et plus doux encore quand la
+petite corde attachée à l’anneau agit en même temps. Le galop
+s’obtient en rendant, instantanément, les deux cordes. J’ai parlé,
+plus haut, de ces diverses allures.</p>
+
+<p>Le cavalier n’emploie aucun effort, il n’a recours à aucune
+brutalité&nbsp;; bien au contraire, il trouve de la docilité en
+raison de la douceur qu’il dépense, et l’entente la plus parfaite
+s’établit entre lui et sa monture, comme si l’un était le
+complément<span class="pagenum" id="Page_152">[152]</span> de
+l’autre. Le frêle bâton, ayant la forme d’une béquille renversée,
+dont il est armé représente tout ce que l’on veut&nbsp;; mais
+nullement un instrument de correction&nbsp;; et à cette condition
+il franchit des distances incroyables.</p>
+
+<p>Il est extrêmement rare de trouver un bon dromadaire à
+vendre&nbsp;; quant aux sujets exceptionnels, à moins de les
+prendre de vive force, à moins d’en recevoir un, comme cadeau, de
+la part d’un chek opulent et ami, il est impossible de s’en
+procurer.</p>
+
+<p>Les Bicharieh, comme tous les Arabes, vendent très-difficilement
+les femelles, tandis qu’ils se défont volontiers de certains mâles.
+Le prix de ceux-ci, chez les premiers, est d’environ cinquante
+pièces de six francs ou talaris d’Espagne, c’est ce que coûte un
+garçon ou une femme esclave. Entre eux ils font souvent des
+échanges, et j’ai vu donner quatre femelles pour un bon mâle&nbsp;;
+ce prix alors commence à être élevé. Chez les gens de Chaindi, de
+Dongolah, etc., il augmente encore&nbsp;; près de Dar Chaquieh,
+dans la tribu des Ménaçir, un de ces animaux s’est vendu, en ma
+présence, la somme de quatre mille francs. Certains dromadaires
+coûtent beaucoup plus cher.</p>
+
+<p>Les nomanieh et les mascatieh, au Caire, montent à cinq mille
+francs et quelquefois plus haut. Il en est de même des ababdieh qui
+joignent, à toutes les bonnes qualités des bicharieh, une bien
+meilleure éducation. Parmi eux, ceux de la tribu des Ménaçir et
+ceux de la tribu des Achababs, au sud de Coseïr, sont généralement
+fort recherchés&nbsp;; ils ont un ancêtre très-renommé appelé
+Coubèri, lequel, avec un de ses semblables, du nom de Héréfhi, qui
+est aussi un grand type, constituent les deux meilleures souches
+connues.</p>
+
+<p>On raconte beaucoup de faits extraordinaires au sujet de la
+vitesse de ces deux bêtes, faits que l’on est très-porté à admettre
+quand on sait que de bons coureurs ordinaires, dans le<span class=
+"pagenum" id="Page_153">[153]</span> désert, peuvent forcer à la
+course les gazelles et les autruches, comme cela se pratique
+communément chez les Bicharieh, qui n’ont guère que cette manière
+de chasser.</p>
+
+<p>Ainsi l’on dit que le propriétaire du célèbre Héréfhi se
+trouvant à la montagne, qui depuis porte son nom, à trente lieues
+environ de Derrawé, et voulant tout simplement acheter du tabac,
+partit un matin pour cette localité et fut de retour à son
+campement avant la nuit. Il avait fait, en dix heures, soixante
+lieues, c’est-à-dire la valeur de trois bonnes journées de marche
+de caravane.</p>
+
+<p>On dit aussi qu’une fameuse femelle de dromadaire, descendante
+de Coubèri, nommée l’Fagrher, partit de Dalla-t-el-Doum, vallée
+située sur la route de Coroscos à Abou Ahmed, et franchit à peu
+près quatre-vingts lieues dans un jour, avec cette particularité,
+qu’étant arrivée aux trois quarts de la route, et son maître ayant
+voulu l’arrêter là, elle refusa de s’agenouiller, comme pour
+témoigner qu’elle pouvait marcher encore. En effet celui-ci
+continua jusqu’à Coroscos et ne s’arrêta qu’à Singarri peu de temps
+avant le coucher du soleil.</p>
+
+<p>J’ai déjà indiqué que ces faits, quelque excessifs qu’ils
+dussent paraître, pouvaient très-bien être admis comme
+possibles&nbsp;; or, d’après ce que j’ai expérimenté moi-même, je
+suis maintenant résolu de les croire vrais. Il m’est arrivé de
+faire la route de Suez au Caire en moins de treize heures, en
+m’arrêtant plusieurs fois, d’abord pour déjeuner et ensuite pour
+fumer et prendre le café&nbsp;; je ne pressais pas mon dromadaire,
+et celui-ci n’était pas des meilleurs.</p>
+
+<p>Une autre fois, je me suis rendu d’Alexandrie, par Rosette,
+Giafférieh, Kanka et Suez, à Wadée Chek au mont Sinaï, en quatre
+jours et demi&nbsp;; il y a plus de cent cinquante lieues&nbsp;; ce
+qui constitue environ trente-sept lieues par
+vingt-quatre<span class="pagenum" id="Page_154">[154]</span>
+heures, sur lesquelles j’en consacrais dix au repos&nbsp;; et en
+outre je marchais souvent la nuit.</p>
+
+<p>Enfin, à grande course, j’ai pu effectuer dix-huit milles
+anglais en quarante minutes.</p>
+
+<p>On fait toujours des tours de force semblables&nbsp;; mais une
+chose est à remarquer, c’est que les bons dromadaires deviennent de
+jour en jour plus rares&nbsp;; soit que les Arabes, refoulés dans
+leurs déserts, réussissent à les cacher, soit pour d’autres motifs
+qu’il ne m’est point permis de rechercher ici.</p>
+
+<p>Cette digression a déjà été bien longue&nbsp;; il est temps de
+revenir au point où j’en étais de mon voyage.</p>
+
+<p>Le 15, nous nous mîmes en marche dans la direction de la mer,
+toujours sur un sol granitique encombré, pour ainsi dire, de
+plantes et d’arbustes&nbsp;; c’était une vallée descendant de
+l’Elba et courant du côté de la mer où elle arrive après avoir
+traversé un terrain de formations entièrement calcaires.</p>
+
+<p>Le temps qui avait été fort calme et couvert par des
+brouillards, s’éclaircit et s’éleva&nbsp;; mais un très-fort vent
+du sud soulevant des masses de poussière et de sable ne tarda pas à
+voiler le soleil de telle sorte que l’on ne distinguait plus rien
+devant soi. Je forçai le pas pour arriver plus vite au bord de la
+mer, pensant que toute la caravane me suivait&nbsp;; mais, une fois
+sur la plage, je m’aperçus du contraire, et je l’attendis en
+vain&nbsp;; elle avait pris une autre direction, ou bien elle était
+passée sans que je la visse. Comme je n’étais pas seul, après
+quelques instants, nous remontâmes à dromadaire pour chercher ses
+traces. Le vent qui continuait à souffler nous obligea de nous
+arrêter encore.</p>
+
+<p>Pendant ce temps nos gens, qui pensaient que nous étions en
+avant, continuaient leur marche, si bien que lorsque le vent tomba,
+ils avaient complétement disparu. Nous vîmes seulement une troupe
+d’ânes sauvages, et un peu plus loin une<span class="pagenum" id=
+"Page_155">[155]</span> troupe d’autruches. Je crus alors qu’ils
+s’étaient éloignés de la mer, tout en marchant parallèlement à
+elle, et je les cherchai dans cette direction, cela n’amena aucun
+résultat. Enfin comme il était possible que les Arabes avant de
+sortir tout à fait de la vallée eussent, en raison du vent, craint
+de s’aventurer dans la plaine de sable qu’ils avaient devant eux et
+qu’ils fussent restés dans la vallée même, je voulus y retourner
+pour m’en assurer, et dans tous les cas pour retrouver leur piste.
+Nous retournâmes donc sur nos pas&nbsp;; mais je reconnus bientôt
+qu’ils avaient continué la route.</p>
+
+<p>Le soleil était près de se coucher&nbsp;; pour arriver à
+l’endroit où il avait été convenu que l’on camperait, il y avait
+encore six bonnes lieues à faire&nbsp;; nous n’avions ni eau, ni
+pain, et de plus, un de nos dromadaires s’étant blessé, ne marchait
+plus qu’avec peine. Cependant me guidant sur les empreintes que les
+chameaux avaient laissées sur le sable, je partis en avant avec mon
+guide, qui ne savait pas plus que moi ce qu’il y avait à faire. Mon
+intention était de rejoindre la caravane et d’envoyer du secours à
+mon ami M. Bonomi, que je laissais en arrière.</p>
+
+<p>Nous courûmes, au grand trot, sur un terrain sablonneux à peu de
+distance de la mer. La tempête était apaisée&nbsp;; il faisait un
+clair de lune splendide, ce qui facilitait notre recherche. De
+temps en temps je m’arrêtais pour tirer quelques coups de fusil,
+afin de faire savoir à nos compagnons où nous étions.</p>
+
+<p>La caravane, qui alors ne se trouvait plus très-loin, entendit
+nos détonations&nbsp;; elle y répondit de son côté, mais nous
+n’entendîmes rien. Je ne voyais non plus aucun indice de l’approche
+de M. Bonomi, et la situation paraissait se compliquer lorsque je
+vis, à peu de distance devant moi, un feu mouvant auquel la
+limpidité de la nuit prêtait quelque chose de fantastique. Je ne
+doutai pas un instant que ce ne fût l’indication<span class=
+"pagenum" id="Page_156">[156]</span> du campement de notre monde,
+et je m’avançai résolûment. C’était, en effet, un de nos Arabes,
+monté sur son dromadaire, un tison à la main, qui venait de notre
+côté.</p>
+
+<p>Nous fûmes bientôt installés sous nos tentes, d’où j’envoyai
+immédiatement des montures, de l’eau et des provisions aux
+retardataires qui nous rallièrent, à leur tour, dans le courant de
+la nuit, en sorte que nous ne tardâmes pas à être tous réunis
+autour d’un bon feu et sous des abris convenables. On avait été
+fort en peine de nous.</p>
+
+<p>Le temps était froid et une rosée fort épaisse trempa tous nos
+bagages.</p>
+
+<p>Le matin, le brouillard qui, tous les jours jusqu’à midi entoure
+la montagne de l’Elba et qui s’étendait ce jour-là jusqu’à nous,
+était tellement épais que nous ne pûmes nous mettre en marche que
+quand il commença à tomber, c’est-à-dire vers les huit heures. Nos
+nouveaux amis Bicharieh qui nous suivaient depuis la veille s’en
+retournèrent, non sans demander beaucoup de choses. Je fis un
+présent au chef des Mahamet Gourabieh, consistant en une robe en
+drap, de la toile de coton, etc.&nbsp;; mais comme il ne pouvait
+s’en servir, car rien n’était cousu, je fus obligé, pour le
+satisfaire, de lui donner mes propres vêtements, n’ayant plus autre
+chose&nbsp;; il les mit immédiatement sur son corps sale et couvert
+de graisse.</p>
+
+<p>Je connaissais bien la direction à suivre pour aller à la
+montagne de l’Béda, où nous devions prendre de l’eau et nous
+reposer. Je la connaissais, dis-je, parce que j’avais précédemment
+relevé cette montagne&nbsp;; cependant les guides et les cheks se
+fourvoyèrent et, malgré mes observations, persistèrent dans leur
+erreur. Ce ne fut qu’après avoir marché plusieurs heures
+inutilement que l’on s’aperçut que j’avais raison&nbsp;; le
+brouillard était dissipé, nous rentrâmes dans la bonne route.</p>
+
+<p>Vers midi, deux Bicharieh à dromadaire venant du côté
+de<span class="pagenum" id="Page_157">[157]</span> la mer,
+s’approchèrent de nous, causèrent longtemps avec tout le monde,
+puis s’arrêtèrent en arrière. Il y avait là un homme avec son
+chameau malade qui nous suivait avec beaucoup de peine. Les deux
+Bicharieh s’emparèrent de force du chameau et laissèrent l’homme se
+débrouiller à sa guise. J’étais assez loin en avant avec le chek
+Baraca lorsqu’on nous apporta cette nouvelle&nbsp;; je fis arrêter
+la caravane d’autant mieux que nous nous trouvions près d’un bois
+de mimosas et non loin de la vallée de Hesser, où les Arabes de
+l’Elba envoient leurs troupeaux, et je donnai l’ordre à quelques
+hommes de courir à la poursuite des voleurs.</p>
+
+<p>Comme ils ne pouvaient être de retour avant la nuit, je profitai
+du temps que cela me laissait pour aller voir la vallée voisine,
+dans laquelle nous trouvâmes effectivement beaucoup de chamelles et
+de jeunes chameaux au milieu des arbres et des herbages les plus
+riches que nous eussions encore vus.</p>
+
+<p>A l’embouchure de cette vallée de Hesser, il y a un port formé
+par une pointe de sable et de rochers à fleur d’eau où beaucoup de
+petits navires viennent mouiller pour faire le commerce avec les
+indigènes&nbsp;; le pays appartient aux Mahamet Gourabieh&nbsp;;
+les puits que l’on y rencontre sont d’une eau un peu salée, mais
+très-abondante.</p>
+
+<p>Dès le matin, nos hommes qui avaient été à la poursuite des
+voleurs du chameau étaient de retour avec l’animal qui, n’ayant pas
+pu marcher, avait été abandonné. Il faisait un épais brouillard, et
+un gros vent comme la veille, ce qui nous empêcha d’aller
+directement à l’Béda. Nous préférâmes repasser par Meïça, d’autant
+plus qu’il nous fallait absolument de l’eau. Malgré cette
+résolution, notre marche fut très-pénible&nbsp;; les hommes et les
+animaux souffrirent beaucoup de la violence du vent de S.-E., vent
+fort chaud qui soulève de la poussière et<span class="pagenum" id=
+"Page_158">[158]</span> du sable en telle quantité, qu’il devient,
+par moment, presque impossible de respirer.</p>
+
+<p>Nous retrouvâmes encore à Meïça les Gelabs que nous y avions
+laissés.</p>
+
+<p>Ceux de nos hommes qui coururent aussitôt au puits d’eau douce,
+se firent longtemps attendre et rapportèrent la fâcheuse nouvelle
+que le puits donnait fort peu d’eau&nbsp;; quelques outres
+seulement avaient été remplies. Il existait ailleurs de l’eau salée
+que l’on ne pouvait guère boire&nbsp;; nous décidâmes de rester ici
+une journée pour creuser le susdit puits.</p>
+
+<p>Nos efforts répétés furent inutiles&nbsp;; nous n’obtînmes rien
+de plus, et nous fûmes forcés d’avoir recours à l’eau salée pour
+abreuver nos chameaux. Cependant, un peu plus tard, un de nos
+hommes, qui était allé à la découverte dans les rochers
+environnants, vint nous signaler un réservoir naturel, lequel, fort
+difficile à approcher, nous fournit pourtant de quoi compléter
+notre provision.</p>
+
+<p>J’avais eu, pendant la nuit, la visite du chek Mahamet Wed
+Courouc, le père des deux jeunes gens qui nous avaient accompagné à
+l’Elba. On lui avait dit que les gens de la montagne avaient voulu
+faire une querelle, lors de nos pourparlers avec eux, et il était
+accouru à notre aide&nbsp;; mais nous étions déjà partis.</p>
+
+<p>Ce chek était chef d’une des plus puissantes tribus&nbsp;; et
+mon intention avait toujours été de l’engager à venir trouver le
+vice-roi au Caire. Je lui fis comprendre que ce serait avantageux,
+attendu qu’on lui donnerait un firman au moyen duquel il ne serait
+plus inquiété si, les pluies venant à faire défaut dans le désert,
+il lui convenait de s’approcher du Nil. Les grands ni les petits
+gouverneurs ne pourraient jamais le gêner. Il me répondit
+simplement&nbsp;: Je crois tout ce que l’on dit de bien du vice-roi
+d’Égypte, et personnellement je désirerais<span class="pagenum" id=
+"Page_159">[159]</span> le connaître&nbsp;; mais je n’ai aucun
+besoin de sa protection&nbsp;; lui, au contraire, il peut avoir
+besoin de mes chameaux et de mes dromadaires pour ses transports
+continuels, et je puis lui être d’un grand secours. Or je ne m’y
+refuserai pas, quoique mon intérêt comme celui de tous les cheks,
+soit d’avoir le moins de relations possible avec les villages et
+les villes de l’Égypte à cause des maladies qu’ils nous envoient et
+qui sont affreuses pour nous&nbsp;; je ne m’y refuserai pas quoique
+je m’expose à être traité, dans l’avenir, comme les Bicharieh des
+environs de Berber, que l’on a pillés tout dernièrement, bien
+qu’ils fussent très-soumis. Ensuite, comme preuve de ses bonnes
+dispositions, il prit à témoin toutes les personnes présentes de ce
+à quoi il entendait s’engager, et comme personne des siens ne
+savait écrire, il me chargea d’informer verbalement le
+vice-roi.</p>
+
+<p>La substance de ses engagements était que les personnes que l’on
+enverrait aux mines pour y travailler seraient toutes sous sa
+sauvegarde, qu’il empêcherait les autres tribus de les molester,
+qu’il engagerait les Bicharieh à travailler aux mêmes conditions
+que les Égyptiens, et qu’ils seraient soumis aux mêmes règlements,
+et qu’enfin il fournirait tous les chameaux nécessaires pour les
+communications entre Assouan et le siége des mines moyennant un
+salaire que l’on fixerait d’avance. Seulement il priait
+très-humblement Son Altesse Méhémet Ali de ne pas envoyer de
+soldats turcs, qui pouvaient être la cause ou le prétexte d’un
+soulèvement général dans les tribus. Je pris bonne note de ces
+paroles, auxquelles devaient se joindre, quand le moment de les
+répéter serait venu, les paroles plus explicites encore du chek
+Baraca, sur le dévouement de qui j’avais lieu de compter jusqu’au
+bout.</p>
+
+<p>Nous quittâmes le chek Wed Courouc et ses deux fils dans les
+meilleurs termes, après leur avoir fait quelques cadeaux
+en<span class="pagenum" id="Page_160">[160]</span> rapport avec
+l’estime et la considération qu’ils m’avaient inspirées, et nous
+prîmes la route de Derrawé.</p>
+
+<p>Toute la journée nous restâmes engagés dans des terrains
+sablonneux et granitiques, légèrement accidentés. La végétation y
+était clair-semée, rabougrie et d’un aspect noirâtre, circonstance
+que les Arabes attribuent à la nature des brouillards qui viennent
+de la mer. Une heure avant le coucher du soleil, nous nous
+arrêtâmes pour camper.</p>
+
+<p>Durant la nuit, on fut continuellement sur le qui-vive, à cause
+des Mahamet Gourabieh qui occupent le littoral fort près du lieu où
+nous étions, et qui sont, je l’ai déjà dit, de grands voleurs. Pour
+moi, comme j’avais vu à Meïça deux de ces Arabes qui regardaient
+mon dromadaire avec convoitise, je ne rentrai sous ma tente, pour
+reposer, qu’après lui avoir fait mettre aux pieds une entrave en
+fer et l’avoir fait attacher avec une chaîne bien cadenassée. Je
+dus assurément à cette précaution l’avantage de conserver une
+monture à laquelle je tenais beaucoup, car c’était une bête de
+premier ordre. Du reste, aucune mésaventure ne se produisit.</p>
+
+<p>Nous repartîmes par un temps fort couvert, et par une obscurité
+relative qu’occasionnait une grande quantité de poussière en
+suspension, depuis la veille, dans l’air, malgré le calme apparent
+le plus plat possible.</p>
+
+<p>Il y a ici quelques hauteurs de granit feldspathique, posées
+toujours sur un fond de sable, jusqu’à la longue vallée de
+Chélal<a id="FNanchor_26"></a><a href="#Footnote_26" class=
+"fnanchor">[26]</a> qu’il nous fallut traverser (cette vallée est
+aussi fort large et toute remplie d’arbres, sihales et samours),
+pour atteindre celle de Quérègue, à l’entrée de laquelle nous
+plantâmes nos tentes. Cette dernière prend naissance dans
+les<span class="pagenum" id="Page_161">[161]</span> montagnes de
+Guerfe&nbsp;; elle jouit d’une certaine réputation, parce qu’elle
+contient le tombeau de hadji Mansour, un des ancêtres des Ababdieh,
+qui fut tué par les Bicharieh. Elle est sainte, et bien des arbres
+qui s’y trouvent sont considérés comme saints.</p>
+
+<p>Le lendemain, pour arriver à l’ouadée l’Béda, nous passâmes dans
+un défilé formé par de hautes montagnes qui rétrécissent
+considérablement le passage. On trouve un premier puits dans un
+ravin bordé de grands rochers presque verticaux<a id=
+"FNanchor_27"></a><a href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a>,
+et au milieu d’un site des plus sauvages et des plus pittoresques.
+L’eau, qui vient à six pieds environ au-dessous du sol, y est
+fournie par des sources qui sortent des fentes des rochers et
+coulent souterrainement. Elle est salée et très-abondante&nbsp;;
+les chameaux la boivent néanmoins volontiers. Malheureusement,
+toutes les fois que des pluies se produisent, ce puits est comblé
+par les sables, et il faut le recreuser, travail que les Arabes ne
+font que juste pour leurs besoins du moment.</p>
+
+<p>Sur les rochers environnants, il y a beaucoup de figures de
+chameaux et de chevaux montés, et en grattant un peu la pierre, j’y
+ai découvert quelques mots en caractères arabes&nbsp;; mais je n’y
+ai rien vu d’égyptien. Ces dessins sont assez mal faits et
+entièrement dans le goût de ceux que j’ai déjà signalés dans
+diverses localités au commencement de mon voyage. En remontant
+l’ouadée, à l’embouchure même d’un petit torrent, se trouvent
+plusieurs tombeaux sans aucune importance, à l’exception du
+dernier, qui consiste en une petite bâtisse carrée, élevée
+d’environ trois mètres et presque tout à fait ruinée.</p>
+
+<p>J’ai dit que le premier puits de l’Béda fournissait de l’eau
+salée. Il y en a un qui fournit de l’eau douce&nbsp;; mais il est
+bien plus haut, creusé au cœur du torrent et dans une roche de
+schiste. Il peut avoir douze pieds de profondeur&nbsp;; l’eau en
+est<span class="pagenum" id="Page_162">[162]</span> fort bonne.
+Toutes les montagnes que l’on a sous les yeux sont de formation
+primitive, avec des schistes en abondance, schistes variés de
+couleurs, et pour la plupart fort doux au toucher, avec aussi de
+petits gisements de feldspath, et quelques veines de quartz
+très-minces.</p>
+
+<p>Après l’Béda, la route se poursuit par des lits de torrents qui
+se succèdent et qui, plus ou moins surplombés par de très-grandes
+élévations, conduisent à l’ouadée Rhachab<a id=
+"FNanchor_28"></a><a href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a>,
+dont le sol offre plus d’un endroit favorable pour la halte des
+caravanes.</p>
+
+<p>Puis, nous n’étions repartis que dans la matinée, les terrains
+changent tout à coup d’aspect&nbsp;; les montagnes se transforment
+en petites collines, le sol des vallées devient plat, uniforme, et,
+les rochers presque noirs, à moitié recouverts de sable, ne
+protégent aucune plante. Il faisait, ce jour-là, un vent d’ouest
+très-fort et très-froid, ce qui fatigue toujours beaucoup, le ciel
+était couvert de nuages et fort triste. Aussi, à deux heures après
+midi, nous arrêtâmes-nous avec délices dans la belle vallée de
+l’Hodeïn. Il est bien entendu que le mot <em>belle</em> doit se
+prendre ici dans un sens tout autre que le sens que nous lui
+donnons chez nous. Cette vallée, dans l’endroit qui nous donnait
+accès, était encaissée dans des rochers de granit&nbsp;; un sable
+blanc mêlé à de la terre argileuse très-fine, et déposé sans doute
+par les eaux de pluie, en recouvrait le sol&nbsp;; plus loin, l’on
+apercevait un bois de merks très-vert, tout rempli de semences.</p>
+
+<p>Nous campâmes à l’embouchure de l’ouadée Dif, et nous fîmes là
+une rencontre qui aurait pu avoir des conséquences fatales si
+l’attention que l’on apportait toujours dans nos installations eût
+été relâchée. Nos Arabes, en fouillant le sol, troublèrent le
+sommeil d’un gros serpent enroulé sous le sable. Il se dressa et
+fit mine de s’élancer sur les individus présents.<span class=
+"pagenum" id="Page_163">[163]</span> C’était un céraste, ou
+autrement dit une vipère cornue, reptile dont la plus légère
+morsure est mortelle. Les plus audacieux s’étaient armés de bâtons,
+et toutes leurs bravades se bornaient à des évolutions
+infructueuses. Je tuai le monstre d’un coup de fusil. L’espèce à
+laquelle il appartenait, et dont j’ai vu souvent des types, ne
+dépasse point, comme grandeur, 50 ou 60 centimètres&nbsp;; celui-là
+avait 1<sup>m</sup>,30 de long&nbsp;; il était gros en
+proportion.</p>
+
+<p>Cette petite aventure, qui venait de rompre la monotonie d’une
+de nos plus mauvaises journées, fut encore pour nos Arabes, le
+lendemain, un sujet intarissable de conversation.</p>
+
+<p>En quittant notre campement le matin, nous suivîmes un désert de
+sable accidenté par de petites hauteurs de granit&nbsp;; à notre
+gauche s’élevaient les hautes montagnes de Dif. Au bout de quelques
+heures la vallée de l’Hodeïn nous offrit un bois de houchars et de
+sihales magnifiques&nbsp;; mais, dès ce moment, commencèrent des
+montagnes de grès stratifiés, élevées à pic sur un sol uni et
+comptant plus de 180 mètres de hauteur entièrement verticale. Cette
+partie de vallée, formée par dénudation, était le seul endroit que
+j’eusse encore rencontré présentant cette particularité. Elle fait
+là un angle droit avec la vallée de Dif qui court à l’est, tandis
+que l’Hodeïn court au nord.</p>
+
+<p>Vis-à-vis l’ouadée el Magal se trouve encore un tombeau d’un
+Ababdieh&nbsp;; c’est une espèce de petit temple voisin d’un rocher
+sur lequel, comme au puits de l’Béda, il y a des figures
+grossièrement tracées et quelques inscriptions arabes n’ayant rien
+d’intéressant.</p>
+
+<p>La vallée de l’Hodeïn, devenue très-étroite, continue toujours
+entre deux montagnes de grès semblables à deux murailles. Ces grès
+sont de formation moderne, en couches horizontales de l’épaisseur
+de 1 à 2 mètres et séparées par d’autres petites couches
+argileuses. A l’extérieur, ils ont été noircis par l’action
+combinée du soleil et des eaux&nbsp;; intérieurement,
+ils<span class="pagenum" id="Page_164">[164]</span> sont gris, un
+peu rougeâtres, et composés d’un sable très-grossier extrêmement
+friable.</p>
+
+<p>L’eau se trouve dans cet endroit<a id="FNanchor_29"></a><a href=
+"#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a>&nbsp;; elle sort des
+flancs de la montagne à environ 6 mètres au-dessus du sol, fournie
+par des sources qui coulent toutes dans la vallée et se perdent
+dans les sables&nbsp;; mais avant, elles emplissent plusieurs
+bassins ou fosses arrangés de main d’homme. Cette eau est
+délicieuse, claire comme la plus belle eau de roche, fraîche et
+agréable au goût. Quel bonheur pour les gens qui voyagent dans ces
+pays déserts de faire une pareille rencontre&nbsp;! il faut l’avoir
+éprouvé par soi-même pour en sentir tout le prix&nbsp;; aucun mot,
+aucune expression ne peut en donner l’idée à un homme d’Europe.
+Plusieurs vallées de cette contrée ont des sources pareilles&nbsp;;
+celles de Dif, de Souta renferment les plus abondantes.</p>
+
+<p>L’Hodeïn, dont le nom signifie les deux bassins, à cause de deux
+réceptacles plus importants que les autres, a été jadis habitée, au
+moins dans cette partie qui était connue des anciens Égyptiens. Il
+existe encore à la fontaine principale une petite construction du
+milieu<a id="FNanchor_30"></a><a href="#Footnote_30" class=
+"fnanchor">[30]</a> de laquelle sort l’eau, et l’on y voit une
+corniche d’architecture égyptienne, avec le toron et le globe qui
+se trouvent sur toutes les portes des anciens temples. La surface
+même du rocher représente la façade d’un petit temple&nbsp;; mais
+rien n’est achevé. Au-dessus de la corniche sont pratiqués quatre
+trous carrés qui ont dû servir à placer des poutres pour faire une
+couverture, une espèce de portique dont il reste la base d’une
+colonne. Enfin, il y a un très-petit tableau hiéroglyphique, qui ne
+pouvait être qu’une inscription fort courte, sur laquelle on
+distingue, entre autres caractères le nom de Ptolémée Evergète. Ce
+dut être là, en effet, une station<span class="pagenum" id=
+"Page_165">[165]</span> de chasse créée par ce monarque frappé sans
+doute par la grandeur du site, et par la présence de l’eau qui
+devait attirer de son temps, en grand nombre, les ânes sauvages,
+les autruches, les gazelles, les capricornes, etc., comme elle les
+attire encore aujourd’hui.</p>
+
+<p>Tout récemment un Arabe, moins paresseux que les autres et
+surtout plus industrieux, s’était imaginé d’établir dans cet
+endroit une espèce de culture&nbsp;; il y semait du coton, du
+dourah, de l’orge, et se servait avec intelligence de l’eau des
+sources. J’ai vu la haie d’enclos qu’il avait élevée, puis un doum
+et deux dattiers plantés par lui.</p>
+
+<p>Le grand vent et les nuées de sable qu’il soulevait nous
+empêchèrent de continuer notre route. Il passa sur nous une
+véritable bourrasque plus forte que tout ce que nous avions essuyé
+dans ce genre-là, et ce ne fut que le lendemain qu’il nous fut
+possible de repartir quoiqu’il fît encore une bise de N.-O.
+glaciale que nous recevions en pleine figure. La journée fut
+très-pénible, surtout pour les chameaux, qui s’arrêtaient à tout
+moment pour tourner le derrière au vent, sans se soucier des
+arbustes et des plantes dont le chemin était rempli. Toutefois,
+nous arrivâmes sans autre temps d’arrêt au point culminant de la
+vallée qui est aussi, pour la chaîne des montagnes de l’Hodeïn, le
+point du partage des eaux. Ici le terrain devient plat et donne
+naissance à beaucoup de petits vallons. La marche y est plus
+facile. Nous nous arrêtâmes dans une sorte d’enceinte formée par de
+gros rochers de grès.</p>
+
+<p>Après une bonne nuit de repos, il nous fallut traverser un
+désert des plus arides dont l’un des côtés était bordé par des
+roches de grès et l’autre par des roches de granit&nbsp;; nous
+marchions sur du gravier très-épais et très-grossier. Ce point est
+encore élevé, et les eaux des pluies qui y tombent coulent vers le
+Nil. Les formations de grès, placées par couches horizontales,
+reposent sur de petits soulèvements granitiques&nbsp;;<span class=
+"pagenum" id="Page_166">[166]</span> elles sont traversées par une
+étroite vallée que les eaux ont creusée et que l’on nomme
+Roh-t-Carouf&nbsp;; ce fut là notre gîte.</p>
+
+<p>La température n’était point très-basse&nbsp;; elle marquait 4
+degrés Réaumur au-dessus de zéro&nbsp;; cependant il nous fut
+impossible de nous réchauffer. Dans ce pays, le froid est
+extrêmement pénétrant, quoique l’on soit vêtu et couvert autant
+qu’on le serait au milieu des glaces, l’on en souffre beaucoup
+plus. Cela prouve une chose d’ailleurs bien évidente pour moi,
+c’est que le thermomètre n’est pas, en fait d’instrument, la
+dernière expression d’après laquelle on puisse se régler pour
+mesurer d’une manière absolue les sensations de froid et de chaud
+qu’éprouve l’homme.</p>
+
+<p>Je vis en descendant la vallée de Roh-t-Carouf des rochers de
+granit et de gneiss, avec de grandes parties de feldspath. Tous les
+fonds étaient garnis de plantes et de sihales. Là se trouvaient les
+dernières eaux que nous devions rencontrer avant d’arriver à
+Derrawé, c’est-à-dire au Nil.</p>
+
+<p>De nombreux puits jalonnent cette route, mais tous ne donnent
+pas de la bonne eau&nbsp;; ce sont les moins creusés qui ont cet
+avantage&nbsp;; les autres, dont la profondeur atteint jusqu’à 6
+mètres, n’étant pour ainsi dire bons à aucun usage, demeurent
+abandonnés.</p>
+
+<p>Ces puits, ainsi que beaucoup de petits abreuvoirs à l’usage des
+animaux, ont été faits par les Arabes Ababdieh-Achabab à une époque
+qui n’est pas fort ancienne. Ils étaient campés dans cette partie
+du désert, et une série d’années pluvieuses les avait mis au comble
+du bien-être en créant pour leurs troupeaux des pâturages
+abondants, de telle sorte que les transports sur la route de
+Coseïr, auxquels ils s’adonnent habituellement pour vivre avaient
+été abandonnés, et qu’ils savouraient les délices des seules
+richesses qu’il soit donné à ces populations de goûter. Cet état de
+bonheur momentané les enorgueillit, et l’oisiveté leur inspira
+l’idée de faire la<span class="pagenum" id="Page_167">[167]</span>
+guerre à leurs voisins les Bicharieh. Sous un prétexte futile, ils
+rompirent avec eux&nbsp;; mais, dès la première rencontre, ils
+eurent cinq cents hommes tués, et ils furent contraints
+d’abandonner Roh-t-Carouf qui, aujourd’hui, n’est plus qu’une
+station ordinaire où l’on vient quand il a plu.</p>
+
+<p>Notre étape s’était arrêtée à l’ouadée l’Ararit ou
+Rararit&nbsp;; nous nous en éloignâmes en nous dirigeant sur la
+petite montagne de Hérefhi, celle qui tient son nom du fameux
+dromadaire dont j’ai parlé plus haut. Elle est formée de granit
+rouge et s’élève au milieu d’autres montagnes bien plus basses, de
+composition absolument identique, mais moins colorée. Puis après
+nous dépassâmes un très-grand mamelon, tout à fait isolé et appelé
+<em>Omour-Acarmi</em>&nbsp;; voici l’origine de ce titre qui veut
+dire l’œuvre d’Acarmi&nbsp;:</p>
+
+<p>Après avoir quitté le Hédjah, car ils prétendent être venus de
+là, les Ababdieh adoptèrent cette partie du désert, et un petit
+groupe se fixa sur le mamelon en question sous la conduite d’un
+chef nommé Abdalla, fondateur de la tribu des Foucara. Toute cette
+émigration dut longtemps faire la guerre aux habitants des bords du
+Nil, connus alors sous le nom de Cafer ou idolâtres&nbsp;; mais,
+son intérêt le commandant, elle finit par conclure la paix avec
+eux. Abdalla seul refusa d’y acquiescer&nbsp;; il répondit à ceux
+qui lui conseillaient de prendre les Cafer pour alliés, qu’il
+n’avait d’autres alliés que son sabre et ses lances, et il continua
+les hostilités.</p>
+
+<p>Pendant une de ses expéditions il laissa sa famille à la
+montagne sans grains et sans aucune ressource pour s’en procurer.
+Or ce fut un Arabe appelé Acarmi qui la fit vivre et qui la soutint
+avec le produit de sa chasse. Cet homme continua sa bonne œuvre
+tant que dura l’expédition, au retour de laquelle Abdalla, dont la
+nature n’était pas moins généreuse, pour lui prouver sa
+reconnaissance, partagea d’abord avec lui tout le butin qu’il avait
+fait, l’institua son frère adoptif et voulut<span class="pagenum"
+id="Page_168">[168]</span> enfin que l’on donnât à sa résidence le
+nom d’<em>Omour Acarmi</em>, c’est-à-dire d’<em>œuvre
+d’Acarmi</em>.</p>
+
+<p>C’est ainsi que, dans ces contrées sauvages, toute chose
+rappelle un nom, un fait, une histoire dont le souvenir se
+transmet, par tradition, de père en fils, de famille en
+famille.</p>
+
+<p>L’endroit où nous nous arrêtâmes était encore assez élevé&nbsp;;
+nous y trouvâmes beaucoup d’herbages que des pluies récentes
+avaient fait pousser, et je fus mieux que jamais à même de
+constater avec quelle rapidité la végétation se produit, lorsqu’une
+bonne ondée est venu humecter un sol en apparence si ingrat. Là où
+l’on ne voyait que sable, pierres et graviers, quelques jours après
+la pluie, tout germe, pousse et devient vert.</p>
+
+<p>Comme nous n’avions plus de vivres pour les hommes et fort peu
+d’eau potable, comme nous devions faire encore une très-grande
+route avant d’arriver seulement en vue de Derrawè, je fis lever le
+camp deux heures avant le jour afin que nos montures souffrissent
+moins de la chaleur&nbsp;; car elles étaient, ainsi que les hommes,
+bien fatiguées. Mon dromadaire que j’avais monté constamment et qui
+avait fait plus de chemin que les autres, par la raison que je
+courais sans cesse de droite à gauche, pour voir le pays, et que je
+marchais souvent aussi pendant que la caravane stationnait, mon
+dromadaire était à bout de forces. D’un autre côté je voulais
+autant que possible avancer et franchir, avant que le découragement
+ne s’en mêlât, un grand désert plat et aride, qui était devant
+nous. Nous demeurâmes treize heures sans quitter la selle&nbsp;;
+l’on dressa les tentes dans le lit, à peine accusé, d’un torrent,
+ne pouvant pas aller plus loin.</p>
+
+<p>La fatigue, jointe à la privation absolue de nourriture, avait
+tellement affaibli tout le monde, que je craignis un moment, d’être
+forcé de laisser des hommes en arrière&nbsp;; mais l’espoir
+d’arriver les soutint encore. Ils touchaient au terme du voyage et
+ils oubliaient jusqu’à la faute qu’ils avaient commise
+de<span class="pagenum" id="Page_169">[169]</span> négliger les
+provisions. Au reste, cela ne se passe jamais autrement quand l’on
+a affaire à des Arabes. Dans une course de courte durée ou dans une
+expédition de longue haleine, leur imprévoyance est toujours la
+même, et l’expérience de la veille ne saurait leur profiter le
+lendemain.</p>
+
+<p>Je donnai le signal du départ à minuit&nbsp;; personne n’avait
+mangé ni bu&nbsp;; cependant personne ne témoigna aucune
+plainte.</p>
+
+<p>Lorsque après avoir marché six heures, le soleil se leva, nous
+nous trouvions dans une plaine désolée&nbsp;; mais à l’horizon l’on
+voyait, colorés par ses premiers rayons, les massifs des dattiers
+de Derrawè. Chacun s’arrêta alors, comme frappé par l’explosion
+d’un contentement intérieur, et, les yeux fixés sur le point
+convoité, manifesta sa joie à sa manière. Un poëte ajouterait que
+les dromadaires eux-mêmes frémirent d’aise.</p>
+
+<p>Nous profitâmes de cet instant, Chek Baraca et moi, pour mettre
+un peu d’ordre dans la caravane et pour stimuler l’amour-propre de
+chaque cavalier, puis, avec quelques-uns des mieux montés, nous
+nous empressâmes de prendre les devants.</p>
+
+<p>A dix heures nous arrivâmes à Derrawè. Du plus loin qu’ils nous
+avaient aperçus, les parents des cheks et des Arabes qui étaient
+avec nous vinrent en courant à notre rencontre, sur des dromadaires
+et sur des chevaux, apportant des vivres, de l’eau et des paniers
+de fruits, toutes choses que nous envoyâmes immédiatement à nos
+compagnons attardés.</p>
+
+<p>On nous salua avec des cris d’allégresse, on tira force coups de
+fusil, on exécuta des fantasias à dromadaire. Dans le village,
+toutes les femmes et les esclaves faisaient entendre leurs
+roucoulements. C’était un tapage général difficile à définir, mais
+auquel il était impossible de se méprendre, l’on nous infligeait
+une ovation. Les femmes esclaves se tenaient par groupes au dehors,
+les femmes libres au dedans des cahuttes, les enfants couraient de
+tous côtés.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_170">[170]</span>Dès que j’eus
+mis pied à terre, ce fut bien autre chose&nbsp;; l’on m’installa
+dans la maison du chek et là une foule de personnes se succédèrent,
+pendant plusieurs heures, pour nous visiter&nbsp;; il fallut
+s’embrasser, il fallut fumer et prendre du café avec tout le
+monde&nbsp;; ce dernier signe de contentement ne tarissait
+point.</p>
+
+<p>Pour moi, j’étais bien content aussi, je me sentai touché de la
+part qui me revenait de toutes ces manifestations&nbsp;; mais je
+n’étais pas non plus insensible au plaisir de revoir le Nil, ni à
+la pensée que j’allais retrouver, chez moi, le confortable dont
+j’étais privé depuis si longtemps.</p>
+
+<p>Cependant, pour rester à la hauteur de la circonstance, je dus
+encore dîner avec tous les notables de la tribu&nbsp;; ce fut dans
+un joli petit jardin rempli de jasmins et d’orangers en fleurs, et
+le repas termina la fête. Peu d’instants après, débarrassé des
+notables, des cheks, des fakiks (interprètes de la loi), de tous
+les indigènes et des Turcs qui étaient venus des environs, je pus
+me retirer dans ma barque, où couché dans un bon lit, je m’endormis
+bercé en imagination par le mouvement du dromadaire et faisant
+encore avec la bouche le petit sifflement particulier que l’on a
+coutume de faire pour exciter sa monture.</p>
+
+<p>Le lendemain il me restait à régler l’affaire de la
+reconnaissance envers tous les Ababdieh qui avaient été en relation
+avec moi. Je m’acquittai de cela en leur faisant mes adieux, et le
+même jour je partis de Derrawè.</p>
+
+<p>Le chek Baraca demeura fidèle à son engagement, il me suivit en
+Égypte. De mon côté, je le conduisis en présence du vice-roi dès
+que je fus en mesure de rendre compte de ma mission&nbsp;; or voici
+ce qu’il advint&nbsp;:</p>
+
+<p>En présentant mon rapport sur les différentes mines que j’avais
+examinées, je donnai aussi des échantillons de chacune. L’analyse
+de ces échantillons ne fournit point des résultats
+très-satisfaisants, et cela devait être&nbsp;; car je n’avais pu me
+procurer<span class="pagenum" id="Page_171">[171]</span> du minerai
+en assez grande quantité. Cependant, comme l’existence de mines
+d’or ne pouvait être révoquée en doute, le vice-roi voulut y
+envoyer une expédition sérieuse, dans le but de les exploiter.
+J’avais bien eu la précaution de faire connaître les conventions
+arrêtées avec les cheks Bicharieh, conventions auxquelles il
+fallait adhérer complétement&nbsp;; mais l’on ne parut pas s’en
+préoccuper. Une seule chose étonnait le divan, c’est que les tribus
+auxquelles on allait avoir affaire ne fussent pas encore soumises.
+Je donnai des explications, et j’insistai surtout sur la nécessité
+de ne point envoyer de soldats turcs. Il me fut répondu par une fin
+de non-recevoir, l’orgueil national se révoltant à l’idée d’une
+concession de ce genre.</p>
+
+<p>L’expédition, composée d’un certain nombre d’ouvriers Égyptiens
+avec un ingénieur français que je plaçai à leur tête, fut mise sous
+la direction d’un chef turc assisté de soldats turcs aussi. Elle
+partit ainsi, pour les mines de Wadée Allake, conduite tout
+naturellement par le chek Baraca qui s’en retourna fort mécontent,
+d’abord de ce que l’on avait fraudé les conventions et ensuite de
+ce que je ne l’accompagnais pas.</p>
+
+<p>Quant tout ce monde fut arrivé sur les lieux, les cheks
+Bicharieh qui avaient conclu l’arrangement avec moi, vinrent faire
+une reconnaissance. A la vue des soldats turcs, ils se récriérent
+et déclarèrent qu’ils ne permettraient pas que l’on travaillât aux
+mines tant qu’on ne les aurait pas renvoyés&nbsp;; puis ils se
+placèrent dans la montagne, rompant ainsi toute relation et jurant
+que, si l’on donnait un coup de pioche, ils commenceraient les
+hostilités. Ces gens étaient dans leur droit. Force fut donc au
+commandant de repartir&nbsp;; il chargea deux chameaux des
+premières pierres venues pour que l’on ne put pas dire qu’il
+n’avait rien trouvé et il laissa là l’ingénieur avec ses ouvriers.
+Ceux-ci purent immédiatement se mettre à l’œuvre, les Bicharieh
+revinrent pour les aider en signe de réconciliation&nbsp;; mais ce
+n’était encore que le prélude de la chose.</p>
+
+<p><span class="pagenum" id="Page_172">[172]</span>L’essentiel
+consistait maintenant à savoir comment la petite colonie
+subsisterait. Nous allons voir de quelle façon il y avait été
+pourvu&nbsp;:</p>
+
+<p>Dès les premiers travaux, comme des éboulements considérables se
+produisaient, l’ingénieur avait jugé à propos d’ouvrir une nouvelle
+galerie pour rejoindre le filon exploité par les anciens mineurs.
+Son travail marchait bien&nbsp;; mais il avait demandé du temps, et
+le moment était venu d’envoyer à Assouan prévenir le gouverneur
+pour qu’il envoyât des vivres. Celui-ci fit répondre qu’il n’avait
+aucune mission pour cela, de sorte que, au bout de quelques jours,
+les ouvriers affamés furent contraints de quitter leur chantier et
+de reprendre eux-mêmes la route d’Assouan où ils arrivèrent
+exténués de toutes manières.</p>
+
+<p>On s’était imaginé que là où il y avait des mines il n’y avait
+qu’à se baisser pour ramasser l’or&nbsp;; tout au plus devait-on
+avoir la peine d’en charger des chameaux pour l’apporter au Caire.
+Quand, au lieu de cela, on vit arriver les pierres du chef de
+l’expédition, pierres où l’or ne brillait pas&nbsp;; quand on sut
+de lui, qu’il fallait se livrer à des travaux incessants pour
+obtenir le métal désiré, l’affaire fut immédiatement abandonnée.
+Mais les Européens, qui furent témoins de ce revirement,
+reconnurent, dans ce fait, l’esprit des hommes qui n’ont jamais su
+semer pour récolter, ni tenter aucune entreprise sans que le revenu
+en ait été escompté d’avance.</p>
+
+<p>Depuis ce temps personne n’a plus parlé des mines de
+l’Etbaye.</p>
+
+<hr class="chap">
+
+<h2 class="large letter-spaced01"><span class="pagenum" id=
+"Page_173">[173]</span><a id="vocab"></a>VOCABULAIRE BICHARI</h2>
+
+<hr class="decor width4 spaced2">
+
+<p class="less"><span class="sc">Nota</span>. Les mots qui
+ressemblent à des mots arabes, ceux qui ont de l’analogie seulement
+et ceux qui se prononcent de même dans les deux langues, sont en
+italique. Il faut remarquer que les noms empruntés aux Arabes
+désignent des objets que les Bicharieh n’ont pu connaître que quand
+ils ont été en relation avec eux&nbsp;; ces noms expriment
+généralement des choses d’une époque plus moderne.</p>
+
+<p class="less">Quoique le nombre de mots que j’ai pu recueillir
+soit très-restreint, je les donne ici pensant qu’il peut être
+intéressant de les connaître.</p>
+
+<table class="vocab" id="tvocab">
+<tr>
+<th>FRANÇAIS.</th>
+<th>BICHARI.</th>
+</tr>
+
+<tr>
+<th><span class="linethrough word-spaced2em">&nbsp;</span>
+</th>
+<th><span class="linethrough word-spaced2em">&nbsp;</span>
+</th>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dieu.</td>
+<td>Otani.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le ciel.</td>
+<td>To bérah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>La terre.</td>
+<td>To daya.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>La mer.</td>
+<td>Wemi <em>bhar</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>L’air.</td>
+<td>Waram tah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le feu.</td>
+<td>To <em>nah</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>La pluie.</td>
+<td>O berrah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le vent.</td>
+<td>O barâh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le tonnerre.</td>
+<td>Tafferattah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Les éclairs.</td>
+<td>To tatawah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le soleil.</td>
+<td>To hi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Les étoiles.</td>
+<td>Wohayonc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>La lune.</td>
+<td>Thehethérié.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Les nuages.</td>
+<td>O comberis.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>La brume.</td>
+<td>O baramamie.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le diable.</td>
+<td>O <em>chitane</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Les démons.</td>
+<td>O hallé.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le monde.</td>
+<td>O taye.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Montagne.</td>
+<td>O rebah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vallée.</td>
+<td>To daya.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Désert.</td>
+<td>O <em>atmour</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Fleuve.</td>
+<td>O <em>bhar</em> o naffer.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Pierres.</td>
+<td>O hawa.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Arbres.</td>
+<td>O haudhé.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Torrent.</td>
+<td>O couan.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Père.</td>
+<td>O <em>baba</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mère.</td>
+<td>To édah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Frère.</td>
+<td>O senne.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sœur.</td>
+<td>To coua.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Cousin.</td>
+<td>O dourahar.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Cousine.</td>
+<td>To douraytor.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Oncle.</td>
+<td>Babi o cor.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Tante.</td>
+<td>Babi to hor.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nouveau marié.</td>
+<td>To dobah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Gendre.</td>
+<td>O am.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Parents.</td>
+<td>O ahitaco.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>La fête.</td>
+<td>To hardah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Corps.</td>
+<td>To hadah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Tête.</td>
+<td>O gourma.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Poitrine.</td>
+<td>O dabbah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ventre.</td>
+<td>O calaho.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bras.</td>
+<td>O arca.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jambes.</td>
+<td>O raccat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Pieds.</td>
+<td>O andarthé.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mains.</td>
+<td>O agah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ongles.</td>
+<td>O naf.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Oreille.</td>
+<td>O omgonil.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Œil.</td>
+<td>To lili.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nez.</td>
+<td>O <em>génouf</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Joues.</td>
+<td>O bédah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bouche.</td>
+<td>O hef.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Menton.</td>
+<td>O channac.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Moustache.</td>
+<td>O goulam.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Lèvres.</td>
+<td>To ombarohé.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dents.</td>
+<td>To courah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Langue.</td>
+<td>O midab.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Prunelle des yeux.</td>
+<td>To sottah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sourcils.</td>
+<td>O chombanni.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Cheveux.</td>
+<td>To hama.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Col.</td>
+<td>To môe.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nombril.</td>
+<td>To tpha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sang.</td>
+<td>O boye.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sein ou mamelle.</td>
+<td>O nouc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Peau.</td>
+<td>O serre.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="pagenum" id="Page_174">[174]</span>Urine.</td>
+<td>Te hochah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Salive.</td>
+<td>E sil.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Larmes.</td>
+<td>Te mlah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Graisse.</td>
+<td>To omfou.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chair.</td>
+<td>To cha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Os.</td>
+<td>To mytad.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chameau.</td>
+<td>O cam.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chamelle.</td>
+<td>To cah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jeune chameau.</td>
+<td>O rabeh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Cheval.</td>
+<td>O atad.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jument.</td>
+<td>To atal.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Poulain.</td>
+<td>O atay hor.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mouton.</td>
+<td>O nâh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Brebis.</td>
+<td>To anab.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bouc.</td>
+<td>O bouc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chèvre.</td>
+<td>To nay.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chien.</td>
+<td>O hias.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Corbeau.</td>
+<td>O quickay.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vautour.</td>
+<td>To equih.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bœuf.</td>
+<td>O écha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Loup.</td>
+<td>Osselo (le même mot en abyssinie).</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Hyène.</td>
+<td>O carray.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Renard.</td>
+<td>O domiagag.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Gazelle.</td>
+<td>O gannay.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Poisson.</td>
+<td>O <em>houtti</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Peau de mouton.</td>
+<td>To hersi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Froment.</td>
+<td>O <em>gammah</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Orge.</td>
+<td>O <em>cheïr</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dourah.</td>
+<td>O arrah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Viande.</td>
+<td>Lo cha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Lait.</td>
+<td>Te ha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Pain.</td>
+<td>O tam.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Eau.</td>
+<td>E yam.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vin.</td>
+<td>To <em>annabeh</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Farine.</td>
+<td>O bou.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Lance.</td>
+<td>To fénah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sabre.</td>
+<td>O mathad.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Fusil.</td>
+<td>O <em>bandone</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bouclier.</td>
+<td>O goubah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Poudre.</td>
+<td>O <em>barouli</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Couteau.</td>
+<td>O <em>hangiar</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Or.</td>
+<td>O achetah et to adarroh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Argent.</td>
+<td>E mallagah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Cuivre.</td>
+<td>O <em>nas</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Fer.</td>
+<td>To <em>edih</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Plomb.</td>
+<td>To <em>rossassah</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Maison.</td>
+<td>O <em>gaah</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Lit.</td>
+<td>To madam.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Habit.</td>
+<td>E miqueh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Selle de dromadaire.</td>
+<td>E cor.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sac en peau.</td>
+<td>O mosouch.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sac en laine.</td>
+<td>To arrarah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Outre pour l’eau.</td>
+<td>O sécouah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Cordes.</td>
+<td>O loulle.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Tapis.</td>
+<td>O csahi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nord.</td>
+<td>Domec.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sud.</td>
+<td>Mo acouweg.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Est.</td>
+<td>O mahoc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ouest.</td>
+<td>Arroc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Année.</td>
+<td>O awil.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mois.</td>
+<td>O téric.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nuit.</td>
+<td>O hawatte.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jour.</td>
+<td>O hi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Matin.</td>
+<td>O mimah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Soir.</td>
+<td>To awadah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Froid.</td>
+<td>O macourah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chaud.</td>
+<td>Enébeh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Poule.</td>
+<td>O giagiag.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Œuf.</td>
+<td>To bedah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Village.</td>
+<td>O belled.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Tombeaux.</td>
+<td>To omgiannah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Faim.</td>
+<td>To argone.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Soif.</td>
+<td>To yawah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dattes.</td>
+<td>Te melone.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Argent monnaie.</td>
+<td>O tawah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Piastres.</td>
+<td>O <em>gourouche</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Printemps.</td>
+<td>O basse.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Été.</td>
+<td>O magayi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Automne.</td>
+<td>To obeh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Hiver.</td>
+<td>O wiha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vivre.</td>
+<td>Damhihi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="pagenum" id="Page_175">[175]</span>Manger.</td>
+<td>Tamtini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Boire.</td>
+<td>Yoatmi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Marcher.</td>
+<td>Sactini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Danser.</td>
+<td>Tett lig.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Rire.</td>
+<td>Efiet.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chanter.</td>
+<td>Ninoini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Monter à cheval.</td>
+<td>Etime réwini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Battre.</td>
+<td>Enthih.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Couper.</td>
+<td>Owac.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sauter.</td>
+<td>Farini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Crier.</td>
+<td>Toadid.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Prendre.</td>
+<td>Abicah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Rendre.</td>
+<td>Etgnieh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Finir.</td>
+<td>Allasih.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Laver.</td>
+<td>Chouyouda.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Aimer.</td>
+<td>Arcani.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Acheter.</td>
+<td>Delbat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Lire.</td>
+<td>Graya.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Prier.</td>
+<td>Sètelini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Coudre.</td>
+<td>Oaydah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Raser.</td>
+<td>Oman.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Remplir.</td>
+<td>Otab.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vider.</td>
+<td>Essarrar.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jeter.</td>
+<td>Agit.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dormir.</td>
+<td>Douwet.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Fatiguer.</td>
+<td>Garrarih.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Envoyer.</td>
+<td>Touggoumat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Converser.</td>
+<td>Adissammat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Travailler.</td>
+<td>Abbaccah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Enivrer.</td>
+<td>Marrassih.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mourir.</td>
+<td>Iya.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Pleurer.</td>
+<td>Owawini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Entendre.</td>
+<td>Emsiwoh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Voir.</td>
+<td>Chebbat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Goûter.</td>
+<td>Daamsat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Demander.</td>
+<td>Anarriva.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Voyager.</td>
+<td>Ebaqquénamab.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Apprêter.</td>
+<td>Hahatte.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sentir.</td>
+<td>Fihat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Puer.</td>
+<td>Doumiab.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Peigner.</td>
+<td>Adgné.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Écrire.</td>
+<td><em>Quetabat</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Pétrir.</td>
+<td>O had.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Graisser.</td>
+<td>To caamat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Coucher.</td>
+<td>Embat.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Accoucher.</td>
+<td>Teemconé.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Marier.</td>
+<td>Idob.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Tuer.</td>
+<td>Deratte.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Boucle d’oreille.</td>
+<td>To lemné.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bague.</td>
+<td>To nattem.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bracelets.</td>
+<td>O coulel.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mon.</td>
+<td>Ma.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ton.</td>
+<td>Moc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Son.</td>
+<td>Mo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ma.</td>
+<td>Ta.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ta.</td>
+<td>Toc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sa.</td>
+<td>To.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Notre.</td>
+<td>Mom.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Votre.</td>
+<td>Mocoue.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Leur.</td>
+<td>Mocqnino.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Moi.</td>
+<td>Aneb.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Toi.</td>
+<td>Baroc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Lui.</td>
+<td>Baroha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nous.</td>
+<td>Enena.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vous.</td>
+<td>Barcha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le mien.</td>
+<td>Anito.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le tien.</td>
+<td>Barihoc.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le nôtre.</td>
+<td>Enetto.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le sien.</td>
+<td>Baretonoto.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le vôtre.</td>
+<td>Barioco.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le leur.</td>
+<td>Barétahota.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Qui</td>
+<td>Hàbou.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Lequel.</td>
+<td>Ha ba riwa.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Quand.</td>
+<td>Noma.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>A présent.</td>
+<td><em>Aderi</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Toujours.</td>
+<td>Bouh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jamais.</td>
+<td><em>Abadah</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Loin.</td>
+<td>Sagitté.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Près.</td>
+<td>Dalloute.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ici.</td>
+<td>Intonou.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Là.</td>
+<td>Beintonou.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Où.</td>
+<td>Quêctah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dedans.</td>
+<td>Tohiléh.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dehors.</td>
+<td>Arraha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Devant.</td>
+<td>Sourone.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Derrière.</td>
+<td>Arroune.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td><span class="pagenum" id="Page_176">[176]</span>Hier.</td>
+<td>Ourrah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Demain.</td>
+<td>Thihit.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Avant-hier.</td>
+<td>Orob elgaye.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Après-demain.</td>
+<td>Thibaca.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Peu.</td>
+<td>Chalicto.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Beaucoup.</td>
+<td>Goudatte.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Rien.</td>
+<td>Quetha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Moyen.</td>
+<td>Tomalhoy.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Grand.</td>
+<td>To hewint.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Petit.</td>
+<td>To dheed.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bon.</td>
+<td><em>Dahibo</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mauvais.</td>
+<td>Affereyo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Meilleur.</td>
+<td>Hayhisse.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Le meilleur.</td>
+<td>Ohagissa.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Joli.</td>
+<td>Noadribo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jolie.</td>
+<td>Noadrito.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jeune (masc.)</td>
+<td>Adamibo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jeune (fémin.)</td>
+<td>Adamito.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Gras.</td>
+<td>Dahabo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Rond.</td>
+<td>Qualalho.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bête.</td>
+<td>Arrafho.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Brave.</td>
+<td>Inguimabo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Blanc.</td>
+<td>Erabo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Noir.</td>
+<td>Sotago.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Léger.</td>
+<td>Inchofho.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Brûlant.</td>
+<td>Nabaho.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Maigre.</td>
+<td>Onyayo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Malade.</td>
+<td>Dawasisabo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Aveugle.</td>
+<td>Amauchayo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Chauve.</td>
+<td>Layou.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Pourquoi.</td>
+<td>Nanah.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mais.</td>
+<td>Taha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Oui.</td>
+<td>Aho.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Non.</td>
+<td>Lano.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Rouge.</td>
+<td>Adarabo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Jaune.</td>
+<td>Osotay.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Herbes.</td>
+<td>Osiham.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Peur.</td>
+<td>O mourquay.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Brun.</td>
+<td>Ohadal.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Serpent.</td>
+<td>Tocmatiha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Scorpion.</td>
+<td>Otallana.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Je mange.</td>
+<td><em>Tamani</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Tu manges.</td>
+<td>Tamtiniam.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Il mange.</td>
+<td>Tamini.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nous mangeons.</td>
+<td>Tamanhi.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vous mangez.</td>
+<td>Tamtené.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ils mangent.</td>
+<td>Tamed.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>J’ai mangé.</td>
+<td>Tamhar.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Tu as mangé.</td>
+<td>Tamtha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Il a mangé.</td>
+<td>Tamiha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Nous avons mangé.</td>
+<td>Tamenha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Vous avez mangé.</td>
+<td>Tamtanha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Ils ont mangé.</td>
+<td>Tamihar.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Salut.</td>
+<td><em>Salam a lec</em>.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Comment te portes tu&nbsp;?</td>
+<td>Dabayana.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>D’où viens-tu&nbsp;?</td>
+<td>No leyto heta.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Où vas-tu&nbsp;?</td>
+<td>Nohote by ia.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Que veux-tu&nbsp;?</td>
+<td>Nanharréwo.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Bois, boire.</td>
+<td>Goha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Mange.</td>
+<td>Tàmâ.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Dors.</td>
+<td>Douha.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>De quel pays es-tu&nbsp;?</td>
+<td>Daylouquèlay.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>De quelle tribu&nbsp;?</td>
+<td>Nahai bona.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Sais-tu la route?</td>
+<td>Osala tictèna.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="space-above2">
+</p>
+
+<hr class="decor width12">
+
+<p class="center vsmall">Paris. — Imprimerie de <span class=
+"sc">Cusset</span> et C<sup>e</sup>, rue Racine, 26.</p>
+
+<div class="footnotes">
+<h2>NOTES&nbsp;:</h2>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_1"></a><a href="#FNanchor_1"><span class=
+"label">[1]</span></a>En arabe, <em>wadée</em> ou <em>ouadée</em>
+signifie vallée.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_2"></a><a href="#FNanchor_2"><span class=
+"label">[2]</span></a>Tigre.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_3"></a><a href="#FNanchor_3"><span class=
+"label">[3]</span></a>Celui-ci assassina plus tard le meurtrier de
+son frère, après m’avoir conduit chez les Bicharieh, et lui-même
+fut tué quelques années plus tard par les parents du gouverneur
+turc.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_4"></a><a href="#FNanchor_4"><span class=
+"label">[4]</span></a><i>Asclepia gigantea</i>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_5"></a><a href="#FNanchor_5"><span class=
+"label">[5]</span></a>Montée du militaire ou montée du
+guerrier.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_6"></a><a href="#FNanchor_6"><span class=
+"label">[6]</span></a>Jaune.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_7"></a><a href="#FNanchor_7"><span class=
+"label">[7]</span></a>Ce guide, plus tard, fut aussi le mien.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_8"></a><a href="#FNanchor_8"><span class=
+"label">[8]</span></a>Pierre du crocodile.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_9"></a><a href="#FNanchor_9"><span class=
+"label">[9]</span></a>Il a été remis en état plus tard.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_10"></a><a href="#FNanchor_10"><span class=
+"label">[10]</span></a>Espèce de cri guttural qui dénote toujours,
+chez la femme arabe, une profonde émotion.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_11"></a><a href="#FNanchor_11"><span class=
+"label">[11]</span></a>Ce lit particulier se nomme
+<em>angareb</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_12"></a><a href="#FNanchor_12"><span class=
+"label">[12]</span></a>C’est le plus grand terme de mépris que l’on
+puisse donner à un Arabe.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_13"></a><a href="#FNanchor_13"><span class=
+"label">[13]</span></a>En expédition militaire.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_14"></a><a href="#FNanchor_14"><span class=
+"label">[14]</span></a><a href="#i02">Planche 2.</a>
+</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_15"></a><a href="#FNanchor_15"><span class=
+"label">[15]</span></a>Planches <a href="#i03">3</a> et <a href=
+"#i04">4.</a></p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_16"></a><a href="#FNanchor_16"><span class=
+"label">[16]</span></a>Planches <a href="#i05">5</a> et <a href=
+"#i06">6.</a></p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_17"></a><a href="#FNanchor_17"><span class=
+"label">[17]</span></a>Toutes les grandes carrières de Lorah, qui
+ont fourni les pierres pour la construction des pyramides, sont
+d’immenses excavations faites dans le sein de la montagne, tandis
+que toutes les exploitations de ces mêmes carrières, faites depuis,
+sont entièrement à ciel ouvert.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_18"></a><a href="#FNanchor_18"><span class=
+"label">[18]</span></a>Livre III, chap. <span class=
+"sc2">VI</span>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_19"></a><a href="#FNanchor_19"><span class=
+"label">[19]</span></a>Abd el Haman passait aussi pour être
+originaire de Syrie.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_20"></a><a href="#FNanchor_20"><span class=
+"label">[20]</span></a>Ceci ne peut être qu’une erreur.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_21"></a><a href="#FNanchor_21"><span class=
+"label">[21]</span></a><a href="#i07">Planche 7.</a>
+</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_22"></a><a href="#FNanchor_22"><span class=
+"label">[22]</span></a><a href="#i08">Planche VIII,</a> campement
+en vue de l’Elba.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_23"></a><a href="#FNanchor_23"><span class=
+"label">[23]</span></a>Cette ceinture se nomme <em>râhab</em>.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_24"></a><a href="#FNanchor_24"><span class=
+"label">[24]</span></a><a href="#i09">Planche 9,</a> Dromadaire
+nomani. <a href="#i10">Planche 10,</a> Dromadaires bicharieh et
+ababdieh.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_25"></a><a href="#FNanchor_25"><span class=
+"label">[25]</span></a><a href="#i11">Planche 11.</a> Dromadaires
+bicharieh, marche de la caravane.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_26"></a><a href="#FNanchor_26"><span class=
+"label">[26]</span></a>Cataracte.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_27"></a><a href="#FNanchor_27"><span class=
+"label">[27]</span></a><a href="#i12">Planche 12.</a>
+</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_28"></a><a href="#FNanchor_28"><span class=
+"label">[28]</span></a>Vallée du bois.</p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_29"></a><a href="#FNanchor_29"><span class=
+"label">[29]</span></a><em>Voir</em> la <a href=
+"#map">carte.</a></p>
+</div>
+
+<div class="footnote">
+<p><a id="Footnote_30"></a><a href="#FNanchor_30"><span class=
+"label">[30]</span></a><a href="#i13">Planche 13.</a>
+</p>
+</div>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<div class="title-page">
+<p class="pb space-above center spaced25"><span class=
+"bold xxlarge letter-spaced02"><a id=
+"atlas"></a>L’ETBAYE</span><br>
+PAYS HABITÉ PAR LES ARABES BICHARIEH<br>
+GÉOGRAPHIE, ETHNOLOGIE<br>
+<span class="xlarge bold letter-spaced03">MINES D’OR</span></p>
+
+<p class="center"><span class="small">PAR</span><br class=
+"spaced2">
+<span class="less bold">LINANT DE BELLEFONDS BEY</span><br class=
+"spaced2">
+<span class="vsmall">ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DES TRAVAUX PUBLICS
+DE L’ÉGYPTE,<br>
+ANCIEN INGÉNIEUR EN CHEF DU CANAL DE SUEZ, ETC., ETC.</span>
+</p>
+
+<hr class="decor width3">
+
+<h2 class="nopb large letter-spaced02 spaced2">ATLAS</h2>
+
+<div class="container figcenter iwdecor1"><img src=
+"images/decor3.png" alt="[Décoration]">
+</div>
+
+<p class="publisher">PARIS<br>
+<span class="sserif">ARTHUS BERTRAND, ÉDITEUR</span><br>
+<span class="less">LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE</span><br>
+<span class="small bold">RUE HAUTEFEUILLE, 21</span></p>
+</div>
+
+<hr class="chap">
+
+<div class="figcenterplate iw4">
+<p class="platelabel">PL. 1.</p>
+
+<figure id="i01"><a href="images/i01_large.jpg"><img src=
+'images/i01.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">VUE DE L’OUADÉE ET DE LA MONTAGNE HÉGATTE.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw5">
+<p class="platelabel">PL. 2.</p>
+
+<figure id="i02"><a href="images/i02_large.jpg"><img src=
+'images/i02.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Gravé par J. Geisendörfer, 142 rue du Bac,
+Paris.</td>
+<td class="tdr ipub1">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">PLAN DE LA VILLE RUINÉE DE DÉRÉHIB DANS L’OUADÉE
+OLLAKI<br>
+où sont les anciennes mines d’or.</p>
+
+<p class="ipub3">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</p>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw2">
+<p class="platelabel">PL. 3.</p>
+
+<figure id="i03"><a href="images/i03_large.jpg"><img src=
+'images/i03.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">VUE D’UN CHÂTEAU ARABE À DÉRÉHIB, AUX MINES D’OR,
+DANS L’OUADÉE OLLAKI.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw2">
+<p class="platelabel">PL. 4.</p>
+
+<figure id="i04"><a href="images/i04_large.jpg"><img src=
+'images/i04.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">VUE DES DEUX CHÂTEAUX ARABES ET DES RESTES
+D’HABITATION À DÉRÉHIB, AUX MINES D’OR, DANS L’OUADÉE OLLAKI.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw4">
+<p class="platelabel">PL. 5.</p>
+
+<figure id="i05"><a href="images/i05_large.jpg"><img src=
+'images/i05.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">PRINCIPALE ENTRÉE DES MINES À DÉRÉHIB, DANS L’OUADÉE
+OLLAKI.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw6">
+<p class="platelabel">PL. 6.</p>
+
+<figure id="i06"><a href="images/i06_large.jpg"><img src=
+'images/i06.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">INTÉRIEUR DE LA MINE À LA PRINCIPALE ENTRÉE.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw4">
+<p class="platelabel">PL. 7.</p>
+
+<figure id="i07"><a href="images/i07_large.jpg"><img src=
+'images/i07.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">ANCIEN TOMBEAU MUSULMAN DU FRÈRE DE CHEK EL OMARY,
+DANS L’OUADÉE MEÏÇA.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw1">
+<p class="platelabel">PL. 8.</p>
+
+<figure id="i08"><a href="images/i08_large.jpg"><img src=
+'images/i08.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">Laurens lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">CARAVANE DE BICHARIEH ET D’ABABDIEH, ACCOMPAGNANT M.
+LINANT À LA MONTAGNE DE L’ELBA.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw2">
+<p class="platelabel">PL. 9.</p>
+
+<figure id="i09"><a href="images/i09_large.jpg"><img src=
+'images/i09.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">Laurens lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">CAMPEMENT DE LA CARAVANE EN VUE DE LA MONTAGNE DE
+L’ELBA.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw3">
+<p class="platelabel">PL. 10.</p>
+
+<figure id="i10"><a href="images/i10_large.jpg"><img src=
+'images/i10.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">Laurens lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">DROMADAIRE NOMANI.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw2">
+<p class="platelabel">PL. 11.</p>
+
+<figure id="i11"><a href="images/i11_large.jpg"><img src=
+'images/i11.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">Laurens lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">DROMADAIRES BICHARIEH ET ABABDIEH.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw4">
+<p class="platelabel">PL. 12.</p>
+
+<figure id="i12"><a href="images/i12_large.jpg"><img src=
+'images/i12.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">PUITS DE L’OUADÉE L’BÉDA.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw4">
+<p class="platelabel">PL. 13.</p>
+
+<figure id="i13"><a href="images/i13_large.jpg"><img src=
+'images/i13.jpg' alt=''></a>
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub1">Linant de Bellefonds del<sup>t</sup>.</td>
+<td class="tdr ipub1">E. Ciceri lith.</td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="cp">L’OUADÉE L’HODEÏN<br>
+Station de chasse de Ptolémé Evergète.</p>
+
+<table class="width-full">
+<tr>
+<td class="tdl ipub2">Publié par Arthus-Bertrand à Paris.</td>
+<td class="tdr ipub2">Imp. Becquet à Paris.</td>
+</tr>
+</table>
+</figure>
+</div>
+
+<div class="figcenterplate iw6">
+<figure id="map">
+<p class="cp">CARTE DE L’ETBAYE<a class="tnoteref" href="#tnote1"
+id="tnote1anchor"></a></p>
+<a href="images/map_large_top.jpg"><img src='images/map.jpg' alt=
+''></a>
+<p class="cp">Profil de Courouscos à Abou Ahmed.</p>
+
+<p class="small"><a href="images/map_large_bot.jpg"><em>(Agrandir
+profil)</em></a>
+</p>
+</figure>
+</div>
+
+<p class="space-above2 x-ebookmaker-drop">
+</p>
+
+<div class="transnote">
+<h2>Note du transcripteur&nbsp;:</h2>
+
+<ul>
+<li>Page <a href="#Page_15">15</a>, "&nbsp;beaucoup d’Arabes à
+drodromadaires&nbsp;" a été remplacé par
+"&nbsp;dromadaires&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_16">16</a>, "&nbsp;tous les mêmes
+habi-bitudes&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;habitudes&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_17">17</a>, "&nbsp;s’en empara avant la la
+nuit&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;s’en empara avant la
+nuit&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_30">30</a>, "&nbsp;qui est a onze
+heures&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;qui est à onze
+heures&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_32">32</a>, "&nbsp;en repartîmes e 14 au
+soir&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;le 14&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_32">32</a>, "&nbsp;un endroit où
+heurensement&nbsp;" a été remplacé par
+"&nbsp;heureusement&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_33">33</a>, "&nbsp;après uue heure de
+halte&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;une&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_34">34</a>, "&nbsp;ces animanx à
+sauter&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;animaux&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_44">44</a>, "&nbsp;sous aucun
+prétexe&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;prétexte&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_46">46</a>, note <a href=
+"#Footnote_11">11</a>, "&nbsp;<em>augareb</em>&nbsp;" a été
+remplacé par "&nbsp;<em>angareb</em>&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_59">59</a>, "&nbsp;Entre a plupart
+étaient&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;Entre la plupart
+étaient&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_85">85</a>, "&nbsp;on les placa en
+présence&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;plaça&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_87">87</a>, "&nbsp;un aspect fort
+bizarrre&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;bizarre&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_93">93</a>, <a href="#Page_101">101</a>,
+<a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_104">104</a>, <a href=
+"#Page_105">105</a>, <a href="#Page_157">157</a>, <a href=
+"#Page_158">158</a>, <a href="#Page_160">160</a>,
+"&nbsp;Meïca&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;Meïça&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_98">98</a>, "&nbsp;va se onfondre
+avec&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;confondre&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_98">98</a>, <a href="#Page_160">160</a>
+"&nbsp;Chétal&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;Chélal&nbsp;"<br>
+<span class="less">(Notez cependant que la <a href="#map">Carte</a>
+l'écrit Chétal)</span></li>
+
+<li>Page <a href="#Page_116">116</a>, "&nbsp;étaient avec avec
+moi&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;étaient avec moi&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_120">120</a>, "&nbsp;mon retour vers
+Assonan&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;Assouan&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_134">134</a>, "&nbsp;longueur sur 1 de
+arge&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;large&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_157">157</a>, "&nbsp;de l’eau. malgré cette
+résolution&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;de l’eau. Malgré cette
+résolution&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_161">161</a>, note <a href=
+"#Footnote_27">27</a>, "&nbsp;Planche 13&nbsp;" a été remplacé par
+"&nbsp;Planche 12&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_162">162</a>, "&nbsp;l’ouadée
+Rkachab&nbsp;" a été remplacé par "&nbsp;Rhachab&nbsp;"</li>
+
+<li>Page <a href="#Page_164">164</a>, note <a href=
+"#Footnote_30">30</a>, "&nbsp;Planche 14&nbsp;" a été remplacé par
+"&nbsp;Planche 13&nbsp;"</li>
+
+<li>De plus, quelques changements mineurs de ponctuation et
+d’orthographe ont été apportés.</li>
+
+<li><a class="tnoteref" href="#tnote1anchor" id="tnote1"></a>La
+carte présentée ici est antérieure à l'ouvrage. Celle qui
+accompagnait l'ouvrage est intitulée&nbsp;: "&nbsp;<span class=
+"serif">CARTE DE L’ETBAYE OU PAYS HABITÉ PAR LES ARABES BICHARIEH,
+Comprenant les contrées des mines d’or connues des anciens sous le
+nom d’Ollaki. Par Mr. Linant de Bellefonds&nbsp;; Ancien Directeur
+Général des travaux publics d’Egypte. 1868.</span>&nbsp;". La
+cartographie et la toponymie sont les mêmes.</li>
+
+<li>La page de couverture, créée expressément pour cette version
+électronique, a été placée dans le domaine public.</li>
+</ul>
+</div>
+<div style='text-align:center'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 75717 ***</div>
+</body>
+</html>
+
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--- /dev/null
+++ b/75717-h/images/cover.jpg
Binary files differ
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--- /dev/null
+++ b/75717-h/images/decor1.png
Binary files differ
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+++ b/75717-h/images/decor2.png
Binary files differ
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--- /dev/null
+++ b/75717-h/images/decor3.png
Binary files differ
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Binary files differ
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+This book, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
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+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+book #75717 (https://www.gutenberg.org/ebooks/75717)