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diff --git a/old/12862-8.txt b/old/12862-8.txt new file mode 100644 index 0000000..737f1ec --- /dev/null +++ b/old/12862-8.txt @@ -0,0 +1,2333 @@ +The Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Aldo le rimeur + +Author: George Sand + +Release Date: July 9, 2004 [EBook #12862] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + + + + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + + + + + + +ALDO LE RIMEUR + + + +PRÉFACE + +Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman et le drame de +_Chatterton_, personne ne pensera que j'aie eu la prétention d'imiter ce +modèle, bien qu'une scène d'_Aldo le rimeur _présente quelques rapports +de situation avec le beau et déchirant monologue que M. de Vigny a mis +dans la bouche de son poëte. Je ne me défendrais pas d'avoir été inspiré +par ce sujet, d'abord si le fait était vrai, ensuite si ma pensée eût +été la même. Mais elle était autre, et je ne songeais à peindre la +misère du poëte que comme un accident, un des malheurs passagers de +sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre le poëte +en général; une âme de poëte quelconque, mobile, généreuse, ardente, +susceptible, inquiète, fière et jalouse. Le second acte de ce petit +poème dialogué montre le même homme _non transformé_ qu'on a vu lutter +contre la faim et l'abandon au premier acte. De même qu'un nouvel amour +a été le dénoûment de cette première phase, l'amour de la science, ou +plutôt une soudaine et vague révélation de la science, arrache une +seconde fois l'âme curieuse et _ondoyante_ du poëte au dégoût de la +vie, à la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque je fis +paraître ce fragment dans une Revue, compléter la série d'expériences et +de déceptions par lesquelles, après avoir plusieurs fois rempli et vidé +la coupe des illusions, Aldo devait arriver à briser sa vie ou à +se réconcilier avec elle. De nouvelles préoccupations d'esprit +m'emportèrent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo oubliait la reine +Agandecca. Je n'ai jamais pensé que l'interruption de cette esquisse +fût offensante ou préjudiciable pour aucun lecteur; mais, avant de la +remettre sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est là +qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensée, et beaucoup mieux +sans doute que je ne l'ai commencé. + + + + +ALDO LE RIMEUR + + Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son + petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet, le soir + auprès de son feu, les pieds dans de très-bonnes pantoufles. + _(Esprit des journaux.)_ + + + +PERSONNAGES. + +ALDO LE RIMEUR +MEG, sa mère. +JANE, jeune montagnarde. +LA REINE AGANDECCA. +TICKLE, nain de la reine. +MAITRE ACROCÉRONIUS, astrologue de la reine. + +La scène est à Ithona. + + + +ACTE PREMIER. + +Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait à une soupente; +au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait +nuit. + + + +SCÈNE PREMIÈRE. + +ALDO, TICKLE. +_(Aldo est assis le tête dans ses mains, les coudes sur la table. Un +frappe à la porte.)_ + + +ALDO. + +Qui frappe? + + +TICKLE, en dehors. + +Votre très-humble serviteur. + + +ALDO. + +Lequel? + + +TICKLE. + +Votre ami. + + +ALDO. + +Que le diable vous emporte! vous êtes un escroc. + + +TICKLE. + +Non, je suis votre ami et votre serviteur. + + +ALDO. + +Il est évident que vous venez me dépouiller; mais je ne crains rien de +ce côté-là. Entrez. + + +TICKLE. + +Souffrez que je vous embrasse. + + +ALDO. + +Permettez-moi de vous mettre sur la table. + + +TICKLE, _sur la table._ + +Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur, depuis que nous ne +nous sommes vus? + + +ALDO. + +Mais.... tantôt bien, tantôt mal. Il s'est passé beaucoup de choses +depuis que je n'ai eu l'honneur de vous voir. + + +TICKLE. + +En vérité, mon cher monsieur? + + +ALDO. + +Sur mon honneur! ce serait trop long à vous raconter. Il y a vingt ans +environ, car notre connaissance date de l'autre monde. + + +TICKLE. + +Vraiment? + + +ALDO. + +Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur de vous +rencontrer dans celui-ci. + + +TICKLE. + +Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez jamais vu? + + +ALDO. + +Non, sur mon honneur, mon cher ami. + + +TICKLE. + +Eh! mais, d'où sortez-vous? où vivez-vous? + + +ALDO. + +Je vis dans une taupinière; mais vous, il est certain que, si j'en juge +par votre taille, vous sortez d'un trou de souris. + + +TICKLE + +Et c'est pour cela que vous devriez connaître, ne fût-ce que de vue, le +célèbre nain John Bucentor Tickle, bouffon de la reine. + +ALDO. + +Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance; vous passez +pour un homme d'esprit. + + +TICKLE. + +Je n'en manque pas, et vous pouvez déjà vous en apercevoir à ma +conversation. + + +ALDO. + +Comment donc! j'en suis ébloui, stupéfait et renversé! + + +TICKLE. + +Je vois que vous êtes un homme de goût pour un poëte. + + +ALDO. + +Et vous un homme hardi pour un nain. + + +TICKLE. + +Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres: ceux-là ne +causent qu'avec les poings; et moi, ce n'est pas ma profession. Je porte +des manchettes de dentelle, c'est mon goût. + + +ALDO. + +C'est un goût fort innocent. + + +TICKLE. + +Et qui a le suffrage des dames, généralement. Avec les dames, Monsieur, +comme avec les gens d'esprit, j'ai six pieds de haut, parce que sur ce +terrain-là on se bat à armes égales. + + +ALDO. + +Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je ne dis pas sur +mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je savoir ce qui me procure +l'honneur de votre visite? + + +TICKLE. + +Me permettez-vous d'être assis? + + +ALDO. + +De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de siège; car cet escabeau +est le seul que je possède, et mon habitude n'est pas d'écouter debout +ce que l'on vient me prier d'entendre. + + +TICKLE. + +Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en faut pas +davantage pour être absolument à votre hauteur. + + +ALDO. + +J'en suis intimement persuadé. (_Il s'assied; le nain se met à +califourchon sur la table, vis-à-vis de lui.)_ + + +TICKLE. + +Mon cher monsieur, vous êtes poëte? + + +ALDO. + +Pas le moins du monde, Monsieur. + + +TICKLE. + +Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais pour un certain +Aldo... _le rimeur_, comme on dit dans la ville, et _le barde_, comme on +dit à la cour. Vous avez peut-être entendu parler de lui? C'est un jeune +homme qui n'est pas sans talent. + + +ALDO. + +Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme qui n'a pas plus de +talent que vous et moi. + + +TICKLE. + +Réellement? Eh bien, j'en suis fâché pour lui. Je venais lui offrir mes +petits services. + + +ALDO. + +Il vous offre les siens également; vous savez en quoi ils peuvent +consister, puisque vous connaissez sa profession. Veuillez lui faire +connaître la vôtre. + + +TICKLE. + +Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain. + + +ALDO. + +Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services Votre +Seigneurie peut daigner offrir à un misérable poëte. + + +TICKLE. + +Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de très-larges poches à mon +pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et, par suite d'une fantaisie +analogue, les poches dont j'ai l'honneur de vous parler sont toujours +pleines d'or. + + +ALDO. + +C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de neuf. + + +TICKLE. + +La vôtre me parait plus usée encore. + + +ALDO. + +De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de ma poche. + + +TICKLE. + +Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre bourse et de votre +crédit. Croyez-moi, c'est une habitude de mauvais genre que de n'avoir +pas le sou. Or donc, voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez +besoin. + + +ALDO. + +Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure. + + +TICKLE. + +Vous êtes trop modeste. Je connais votre position, le dénûment de +mistress Meg, votre mère, et son grand âge. Je connais votre activité, +votre dévouement, votre grandeur d'âme. Je vous offre un gain +légitime... Vous comprenez? Je ne viens pas faire ici le grand seigneur; +je viens vous proposer un échange, un marché qui ne peut qu'augmenter +votre gloire et vous mettra à même de secourir mistress Meg. + + +ALDO. + +Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je fisse monter une +de vos jambes en flageolet, et me vendre l'autre pour en faire un +porte-crayon? + + +TICKLE. + +Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur que la plus +chétive de mes jambes, je vous demande un petit drame de votre façon. + + +ALDO. + +Pour qui, Monsieur? pour le théâtre de la reine? + + +TICKLE. + +Pour moi, Monsieur. + + +ALDO. + +Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la force de +l'emporter! + + +TICKLE. + +J'allégerai mes poches d'une partie de l'or qui les charge, et je +prendrai votre manuscrit à la place. + + +ALDO. + +Très-bien; et puis? + + +TICKLE. + +Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le ferai jouer sur +le théâtre de la reine. + + +ALDO. + +Sous quel nom, je vous prie? + + +TICKLE. + +Sous le nom agréable de sir John Bucentor Tickle; c'est dans votre +intérêt que j'agirai ainsi et pour donner de la confiance au public. Si +l'autorité de mon nom ne suffisait pas à nous assurer sa bienveillance, +en cas de chute, nous réclamerions contre son injuste arrêt. + + +ALDO. + +En lui livrant le nom du véritable auteur? + + +TICKLE. + +C'est ainsi que cela se fait à la cour. + + +ALDO. + +Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant de me laisser +travailler au drame que vous me faites l'honneur de me demander. + + +TICKLE. + +Puis-je compter sur votre parole, Monsieur? + + +ALDO. + +Je m'en flatte. + + +TICKLE. + +Un mot de traité sera nécessaire. + +ALDO. + +De tout mon coeur, j'en sais la rédaction. (_Il écrit._) Voulez-vous +signer maintenant? moi, je signe. + +TICKLE. + +Permettez-moi d'en prendre connaissance. (_Il lit._) «Je m'engage, moi, +Aldo de Malmor, dit _le rimeur_ à la ville et _le barde_ à la cour, à +jeter par les fenêtres le très-illustre seigneur John Bucentor Tickle, +nain et bouffon de la reine, la première fois qu'il franchira le seuil +de ma maison. Fait double entre nous, etc.» Bravo! bravo! c'est la +première scène du drame! + +ALDO. + +Non, c'est un dénoûment tout prêt et que je vous offre gratis. + +TICKLE. + +J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter à la reine, qui en sera +charmée. (_Il saute en bas de la table et s'enfuit._) Tu me le paieras! + +ALDO. + +Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous ma main. + + + + +SCÈNE II. + + +ALDO, _seul._ + +Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque jour m'amène un +assassin ou un voleur. Misérables! vous me réduisez à l'aumône, mais +vous n'aurez pas bon marché de ma fierté. Allons! ce fat m'a fait perdre +une demi-heure, remettons-nous à l'ouvrage. La nuit s'avance; je ne +serai plus dérangé. Tout est silencieux dans la ville et autour de moi. +Dévorons cette nouvelle insulte; quand le brodequin est bon, le pied ne +craint pas de se souiller en traversant la boue. Écrivons. + +[Illustration: Mon cher Monsieur, vous êtes poëte?... (Page 54 )] + +Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! lui donner mon +cerveau pour livre, mon coeur pour clavier, afin qu'il en joue à son +aise, et qu'il le jette après l'avoir épuisé en disant: Voici un mauvais +livre, voici un mauvais instrument. Écrire! écrire!... penser pour les +autres... sentir pour les autres... abominable prostitution de +l'âme! Oh! métier, métier, gagne-pain, servilité, humiliation!--Que +faire?--Écrire? sur quoi?--Je n'ai rien dans le cerveau, tout est dans +mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur à manger pour un +morceau de pain, public grossier, bête féroce, amateur de tortures, +buveur d'encre et de larmes!--Je n'ai dans l'âme que ma douleur; il faut +que je te repaisse de ma douleur. Et tu en riras peut-être! Si mon luth +mouillé et détendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras que +toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de vrai, que je ne sens +pas mon mal... quand je sens la faim dévorer mes entrailles! la faim, la +souffrance des loups! Et moi, homme d'intelligence et de réflexion, je +n'ai même pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que +toutes les voix de l'âme se taisent devant le cri de l'estomac qui +faiblit et qui brûle!--Si elles s'éveillent dans le délire de mes nuits +déplorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces +souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi +seul, il faut que je les recueille sur un album comme des curiosités qui +se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un amateur peut acheter pour +son cabinet. Il y a des boutiques où l'on vend des singes, des tortues, +des squelettes d'homme et des peaux de serpent. L'âme d'un poète est une +boutique où le public vient marchander toutes les formes du désespoir: +celui-ci estime l'ambition déçue sous la forme d'une ode au dieu des +vers; celui-là s'affectionne pour l'amour trompé, rimé en élégie; cet +autre rit aux éclats d'une épigramme qui partit d'un sein rongé par la +colère, d'une bouche amère de fiel. Pauvre poète! chacun prend une pièce +de ton vêtement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang; et +quand chacun a essayé ton vêtement à sa taille, éprouvé la force de tes +nerfs, analysé la qualité de ton sang, il te jette à terre avec quelques +pièces de monnaie pour dédommagement de ses insultes, et il s'en va, +se préférant à toi dans la sincérité de ses pensées insolentes et +stupides.--O gloire du poète, laurier, immortalité promise, sympathie +flatteuse, haillons de royauté, jouets d'enfants! que vous cachez mal +la nudité d'un mendiant couvert de plaies! Oh! méprisables! méprisables +entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que +celui-là, se font poètes pour le public! Misérables comédiens qui +pourriez jouer le rôle d'hommes, et qui montez sur un tréteau pour faire +rire et pleurer les désoeuvrés! n'avez-vous pas la force de vivre en +vous-mêmes, de souffrir sans qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on +vous regarde? Il vous faut un auditoire pour admirer vos puériles +grandeurs, pour compatir à vos douleurs vulgaires! Celui qui est né +fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcément la vocation +héréditaire; il accomplit sa triste et honteuse destinée. S'il en +triomphe, s'il s'élève seulement au niveau des hommes ordinaires, qu'il +soit loué et encouragé! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits, +hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la +science pour vous occuper, des bras pour creuser la terre en cas de +ruine; et vous vous faites écrivains! et vous nous livrez les facultés +débauchées de votre intelligence, vous cherchez la puissance morale dans +l'épanchement ignoble de la publicité! vous appelez la populace autour +de vous, et vous vous mettez nus devant elle pour qu'elle vous juge, +pour qu'elle vous examine et vous sache par coeur! Oh! lâche! si vous +êtes difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous livrez au +mépris! lâche encore plus si vous êtes beau et si vous cherchez dans la +foule l'approbation que vous ne devriez demander qu'à Dieu et à votre +maîtresse.... C'est ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham +qui me consultait sur ses vers.--Et il a tellement goûté mon avis qu'il +m'a mis à la porte de chez lui, et m'a fait retirer la faible pension +que m'accordait la reine en mémoire des services de mon père dans +l'armée.... Aussi, maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer, +chanter ... vendre mi pensée, mon amour, ma haine, ma religion, ma +bravoure et jusqu'à ma faim! Tout cela peut servir de matière au vers +alexandrin et de sujet au poème et au drame. Venez, venez, corbeaux +avides de mon sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt +de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller dans ses +entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir: je vais vous +l'apprendre, afin que vous me donniez de quoi dîner demain.... O misère! +c'est-à-dire infamie!--(_Il s'assied devant une table._) Ah! voici des +stances à ma maîtresse!.... J'ai vendu trois guinées une romance sur la +reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en apercevra guère... +mais je puis le vendre trois guinées!... Le duc d'York m'a promis sa +chaîne d'or si je lui faisais des vers pour sa maîtresse.... Oui, lady +Mathilde est brune, mince: ces vers-là pourraient avoir été faits pour +elle; elle a dix-huit ans, juste l'âge de Jane... Jane! je vais vendre +ton portrait, ton portrait écrit de ma main; je vais trahir les mystères +de ta beauté, révélés à moi seul, confiée à ma loyauté, à mon respect; +je vais raconter les voluptés dont tu m'as enivré et vendre le beau +vêtement d'amour et de poésie que je t'avais fait, pour qu'il aille +couvrir le sein d'une autre! Ces éloges donnés à la sainte pureté de +ton âme monteront comme une vaine fumée sur l'autel d'une divinité +étrangère; et cette femme à qui j'aurai donné la rougeur de tes joues, +la blancheur de tes mains, cette vaine idole que j'aurai parée de ta +brune chevelure et d'un diadème d'or ciselé par mon génie, cette femme +qui lira sans pudeur à ses amants et à ses confidentes les stances qui +furent écrites pour toi, c'est une effrontée, c'est la femelle d'un +courtisan, c'est ce qu'on devrait appeler une courtisane!--Non, je ne +vendrai pas tes attraits et ta parure, ô ma Jane! simple fille qui +m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas même ce que c'est qu'on +poète. Tu me t'es pas enorgueillie de mes louanges, tu n'as pas compris +mes vers; eh bien, je te les garderai. Un jour peut-être... dans le +ciel, tu parleras ta langue des dieux!... et tu me répondras... ma +pauvre Jane!... (_L'horloge sonne minuit._) Déjà minuit!... et je n'ai +rien fait encore, la fatigue m'accable déjà! Cette nuit sera-t-elle +perdue comme les autres?.... non, il ne le faut pas... Je ne puis +différer davantage.... Il ne me reste pas une guinée, et ma mère aura +faim et froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-même... +et le froid me gagne... Ah! je sens à peine ma plume entre mes doigts +glacés... ma tête s'appesantit... Qu'ai-je donc?--Je n'ai rien fait +et je suis éreinté!... mes yeux sont troublés... Est-ce que j aurais +pleuré?... ma barbe est humide... Oui, voici des larmes sur les stances, +à Jane... J'ai pleuré tout à l'heure en songeant à elle... Je ne m'en +étais pas aperçu. Ah! tu as pleuré, misérable lâche? tu t'es énervé à te +raconter ta douleur, quand tu pouvais l'écrire et gagner le pain de ta +mère; et maintenant te voici épuisé comme une lampe vers le matin, te +voici pâle comme la lune à son coucher... C'est la troisième nuit que tu +emploies à marcher dans ta chambre, à tailler ta plume et à te frapper +le front sur ces murs impitoyables! O rage! impuissance, agonie! (_Se +levant._) Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis m'ont tourné +le dos, mon génie s'est couché paresseux et insensible à l'aiguillon de +la volonté, ma vie elle-même a semblé me quitter, mon sang s'est arrêté +dans mes veines, et la souffrance de mes nerfs contractés m'a arraché +des cris. Tout cela est arrivé souvent, trop souvent! Mais toi, ô +courage! ô orgueil! fils de Dieu, père du génie, tu ne m'as jamais +manqué encore. Tu as levé d'aussi lourds fardeaux, tu as traversé +d'aussi horribles nuits, tu m'as retiré d'aussi noirs abîmes... Tu sais +manier un fouet qui trouve encore du sang à faire couler de mes membres +desséchés; prends ton arme et fustige mes os paresseux, enfonce ton +éperon dans mon flanc appauvri... + +J'ai entendu gémir là-haut! sur ma tête!... c'est ma mère!... Elle +souffre, elle a froid peut-être. J'ai mis mon manteau sur elle pour +la réchauffer. Il ne me reste plus rien... Ah! mon pourpoint pour +envelopper ses pieds. (_Il monte dans la soupente et revient en chemise +et en grelottant._) + +Froid maudit! ciel de glace! + +Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer quelque +chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et les frileux. (_Sa voix +s'affaiblit._) Une satire sur les nez rouges... (_Une pause._) Une +épigramme sur le nez de l'archevêque qui est toujours violet après +souper... (_Une pause._) Unes chanson, cela me réveillera; si je viens à +bout de rire, je suis sauvé... Ah! le damné manteau de glace que minuit +me colle sur les épaules!... rimons... charmante bise de décembre qui + souffles sur mes tempes, inspire-moi... Monseigneur...Monseigneur de Cantorbery... + + (_Une pause_.) + Est toujours vermeil après boire.,. + +Vermeil ne me plaît pas... + + Est toujours charmant... + +Charmant... hum! + + Est toujours superbe.. + Est toujours superbe après boire... + +(_Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse_.) + + Monseigneur de Cantorbery... + + (_Il s'endort tout à, fait_.) + +[Illustration: Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.., (Page 63.)] + +(_Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est enveloppée à demi +dans les couvertures de son lit, et se traîne le long des murs._) + + +MEG. + +Je crois qu'il y a enfin de la lumière ici... Je vois une lueur +faible... (_Elle se heurte contre la table._) + + +ALDO. + +Qui va là?... vous ne répondez pas?... bonsoir... Si vous êtes un +voleur, l'ami, passez votre chemin, vous perdez votre temps ici... (_Il +se rendort._) + + +MEG. + +Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis encore plus sourde +aujourd'hui qu'à l'ordinaire... et je ne sais pas si le temps était plus +sombre, mais il m'a semblé que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est +pas rentré, à ce qu'il paraît!... (_Elle-se heurte encore._) + + +ALDO. + +Encore! Ami voleur, mon cher frère en diable, vous ne vous en rapportez +pas à moi?... Cherchez à votre aise... si vous pouviez trouver ma rime +dans un coin de la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant. +Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez... + + Monseigneur de Cantorbery + Est, ma foi! superbe.... + +(Il se rendort.) + + +MEG, _qui s'est égarée, à tâtons dans la chambre._ + +Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici que dans mon +lit.... Dieu de bonté, j'espérais trouver le poêle ... mais y a-t-il +du bois seulement? Si mon pauvre enfant était là, du moins il me +consolerait.... Mais il est allé me chercher quelque chose sans +doute.... Je ne vois plus du tout. Je n'entends rien nulle part.... +Froid, nuit, silence, solitude, vieillesse, que vous êtes tristes! Je ne +me soutiens plus, une étrange défaillance me saisit.... + +(_Aldo rêvant._) + +Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!... + + +MEG. + +Mes genoux vont se casser si je marche encore: où m'asseoir dans ces +ténèbres?... (_Elle se laisse tomber._) + + +ALDO. + +Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je t'avais donné à +Oscar, mais il parait que tu veux jeûner avec ton maître ... où es-tu, ô +le meilleur des hommes, je veux dire des caniches?... + + +MEG. + +Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant, sainte Vierge +... je meurs catholique ... mon enfant! mon enf.... Aldo! (Elle meurt.) + + +ALDO, _se relevant à demi._ + +Pour le coup, on a parlé.... Mon nom est parti de ce coin.... Je n'ai +pas rêvé peut-être.... Voleur ou chien! qui que tu sois.... C'était la +voix de ma mère.... Ma mère, allons donc! elle dort là-haut.... Je n'ai +pas la force d'y aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur! +Misère, tu m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer près de moi dans +mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait sortir de la tombe. +Fantômes évoqués par la faim, terreurs imbéciles, laissez-moi!... +Murailles imprudentes qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car +s'il est en vous un écho bavard qui répète les paroles de ma peur, je +vous démolirai pierre à pierre jusqu'à ce que je l'aie arraché de vos +entrailles, fût-il caché dans le ciment et scellé dans le granit.... +Ma mère, m'avez-vous appelé? (_Il se lève tout à fait et se frotte +les yeux._) Meg, ma mère! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je +divague.... J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse semble me +demander ce que j'ai fait du temps! Tu as dormi, bête stupide!... Tu +n'as pu lutter une heure ... comme les disciples du Christ, tu as mal +gardé le jardin des Oliviers.--Jésus! tu bois en vain l'éternel calice +des douleurs humaines; ton père est sourd, ton frère l'esprit saint a +perdu ses ailes de feu. Le cerveau du poëte est aride comme la terre, et +le coeur des riches est insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif +aura plus de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (_Il se fait +une incision à la poitrine; étouffe un cri et jette le canif._) Votre +leçon est incisive, mon bon ami, elle creusera en moi.... Passez-moi le +calembour, mon esprit ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite +lame!... Ah! me voici bien éveillé, Dieu merci! cette charmante plaie +me cuit passablement Je puis travailler maintenant.... Mais qui donc a +ainsi bouleversé ma table?... Quelqu'un est entré ici.... Est-ce que +j'aurais encore peur?... Imbécile! tu es poltron, et pour te guérir, +tu répands deux onces de ton sang comme si tu en avais de reste! et tu +gâtes ta chemise comme si tu en avais une autre! Faquin! perdras-tu tes +habitudes de grand seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans +cette plaie comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir +travailler. (_Mettant ses deux bras sur se tête._) Mon courage, mon +Dieu! ma mère!... Il faut que j'aille embrasser ma mère sans la +réveiller, cela me portera bonheur. (_Il prend sa lumière et sort._) +(_Il redescend de la soupente d'un air effaré._) Mais où est donc la +vieille femme? Ma mère! ma mère! Qu'est-ce qui a pu me voler ma mère? +Je n'avais qu'elle au monde pour causer mon désespoir et conserver mon +héroïsme. (_Il trouvera sa mère sous l'escalier._) Ah!... ma mère est +morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, à la fin!--Comment! vous +êtes morte, ma mère? (_Il la retire de dessous l'escalier et la +regarde._) Oui, bien morte! Froide comme la pierre et raide comme +une épée. Ah! ma mère est morte!... (_Il rit aux éclats et tombe en +convulsion._) (_Après un silence._) + +Mais pourquoi êtes-vous déjà morte? Vous étiez bien pressée d'en finir +avec la misère! Est-ce que je ne vous soignais pas bien? Étiez-vous +mécontente de moi? Trouviez-vous que j'épargnais ma peine et que je +ménageais mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, et les +critiques de mes envieux vous faisaient-elles rougir d'être la mère +d'un si méchant rimeur? Vous étiez un _bas-bleu_ autrefois dans votre +village!... Aujourd'hui vous n'êtes plus qu'un pauvre squelette aux +jambes nues. Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppés encore +ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la doublure était usée +et l'étoffe mince? C'est comme l'étoffe dont vous m'avez fait, ô +vieille Meg! J'étais votre septième fils; tous étaient beaux et grands, +musculeux et pleins d'ardeur, excepté moi le dernier venu. C'étaient de +vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches aux flancs bruns; +et pourtant, depuis Dougal le Noir jusqu'à Ryno le Roux, tous sont +partis sans songer à vous conduire au cimetière. Il ne vous est resté +que le pauvre Aldo, le pâle enfant de votre vieillesse, le fruit débile +de vos dernières amours. Et que pouvait-il faire pour vous de plus qu'il +n'a fait? que ne lui donniez-vous comme à vos autres fils une large +poitrine et de mâles épaules! Cette petite main de femme que voici +pouvait-elle manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier? +Pouvait-elle soulever la rame du pêcheur et boxer avec l'esturgeon? Vous +n'aviez rien espéré de moi, et, me voyant si chétif, vous n'aviez même +pus daigné me faire apprendre à lire!--Et quand tous vous ont manqué, +quand vous vous êtes trouvée seule avec votre avorton, n'avez-vous pas +été surprise de découvrir que je ne sais quel coin de son cerveau avait +retenu et commenté les chants de nos bardes! Quand cette voix grêle a su +faire entendre des mélodies sauvages qui ont ému les hommes blasés +des villes, et qui leur ont rappelé des idées perdues, des sentiments +oubliés depuis longtemps, vous avez embrassé votre fils sur le front, +sanctuaire d'un génie que vous aviez enfanté sans le savoir. Eh bien! ne +pouviez-vous attendre quelques jours encore? La richesse allait venir +peut-être. Votre vieillesse allait s'asseoir dans un palais, et vous +êtes partie pour un monde où je ne puis plus rien pour vous. Tâchez, si +vous allez en purgatoire, que les bras de mes frères vous délivrent et +vous ouvrent les portes du ciel.... Pour moi, je n'ai plus rien à faire, +ma tâche est finie. Toutes les herbes de la verte Innisfail peuvent +pousser dans mon cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est +temps que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille femme, +spectre blême, dont le souvenir sacré m'a fait accomplir de si rudes +travaux, apprendre tant de choses ardues, passer tant de nuits glacées +sans sommeil et sans manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour +toi, je n'aurais jamais été rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au moment où +j'allais être quelque chose? Tu m'ôtes une récompense que je méritais; c +était de te voir heureuse, et tu meurs dans le plus odieux jour de notre +misère, dans la plus rude de mes fatigues! O mère ingrate, qu'ai-je fait +pour que tu m'ôtes déjà mon unique désir de gloire, ma seule espérance +dans la vie, l'honnête orgueil d'être un bon fils!... Vieux sein +desséché qui as allaité six hommes et demi, reçois ce baiser de +reproche, de douleur et d'amour.... ( _Il se jette sur elle en +sanglotant._)--Hélas! ma mère est morte! + + + + +SCÈNE III. + +JANE, ALDO. + + +JANE. + +Est-ce que votre mère est morte! Hélas! quelle douleur! + +ALDO. + +Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois la bienvenue! Mon âme +est brisée, je n'espère plus qu'en toi. + + +JANE. + +Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis pas rendre la +vie à votre mère. + + +ALDO. + +Tu peux me rendre sa tendresse, sa mélancolique et silencieuse +compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait de moi, le devoir qui +m'attachait à elle et à la vie. Hélas! il y a eu des jours où, dans mon +découragement, j'ai souhaité que la pauvre Meg arrivât au terme de ses +maux, afin de retrouver la liberté de me soustraire aux miens! Tout +à l'heure, dans mon délire, je me suis réjoui amèrement d'être enfin +délivré de mon pieux fardeau. Je me suis assis en blasphémant au bord du +chemin. Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.--Mais je suis bien jeune +encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est peut-être pas fini +pour moi; l'avenir peut s'éveiller plus beau que le passé. Je veux +devenir riche et puissant; si je trouve une douce compagne, tendre et +bonne comme ma mère, et en même temps jeune et forte pour supporter les +mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer comme un doux breuvage +d'oubli au milieu de mes détresses, je puis encore voir la verte +espérance s'épanouir comme un bourgeon du printemps sur une branche +engourdie par l'hiver. + + +JANE. + +J'aime beaucoup les choses que vous dites, ô mon bien-aimé! Quoique vos +paroles ne soient pas familières à mon oreille, vos compliments me font +toujours regretter de n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je +suis belle autant que vous le dites. + + +ALDO. + +Et que vous importe de l'être ou de ne l'être pas, pourvu que je vous +voie ainsi et que je vous aime telle que vous êtes à mes yeux et dans +mon coeur! + + +JANE. + +Vous avez toujours à la bouche des paroles qui plaisent quand on les +écoute; mais quand on y songe après, on ne les comprend plus et on sent +de l'inquiétude. + + +ALDO. + +En vérité, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. Eh quoi! vous +gardez un compte exact de mes paroles et vous les commentez en mon +absence? Il faut prendre garde à ce que l'on vous dit! + + +JANE. + +N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir? + + +ALDO. + +Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; je suis amer: +j'ai été si malheureux! Mais tu me consoleras, toi, n'est-ce pas? + + +JANE. + +Oui, mon beau rêveur, si vous consentez à être consolé. + + +ALDO. + +Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voilà une parole étrange dans +votre bouche! + + +JANE. + +Vous vous étonnez de mon désir de vous consoler? C'est vous, Aldo, qui +me semblez étrange! + + +ALDO. + +En effet, c'est peut-être moi! Passez-moi ces boutades, c'est malgré moi +qu'elles me viennent. Je ne veux pas m'y livrer. Donnez-moi votre main, +Jane, et donnez-moi aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma +pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour moi, pour moi +seul. J'ai besoin à l'heure qu'il est de trouver un appui ou de mourir. +Vous êtes mon seul et dernier espoir; m'accueillerez-vous? + + +JANE. + +Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous de +m'épouser? + + +ALDO. + +Vous en doutez? + + +JANE. + +Non, je n'en doute pas. + + +ALDO. + +Mais vous en avez douté.. + + +JANE. + +Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous éloignez-vous de moi d'un +air sombre? Est-ce que je vous ai offensé? + + +ALDO. + +Non. + + +JANE. + +Vous ne vous voulez pas me regarder? + + +ALDO. + +Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure qui m'occupe, c'est +au fond de votre coeur que mon regard plonge. + + +JANE. + +Voilà que vous me dites des choses que je n'entends plus; et, comme vous +froncez le sourcil en me les disant, je dois croire que ce sont +des choses dures et affligeantes pour moi. Vous avez un malheureux +caractère, Aldo, un sombre esprit, en vérité! + + +ALDO. + +Vous trouvez? + + +JANE. + +Oui, et j'en souffre. + + +ALDO. + +Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir. + + +JANE. + +Je vous pardonne. + + +ALDO, _avec amertume_. + +Vous êtes bonne! + + +JANE. + +C'est que je vous aime; tâchez de m'aimer autant, et nous serons +heureux. + + +ALDO. + +J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonté d'appeler les +voisines pour qu'elles viennent ensevelir le corps de ma mère? + + +JANE. + +J'y vais. Donnez-moi un baiser. (_Aldo la baise au front avec +froideur._) + + +ALDO, _seul_. + +Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidité! elle me blesse et me +choque sans s'en douter, elle m'accorde mon pardon quand c'est elle qui +m'offense, et elle reçoit mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes +lèvres que c'est le dernier! Mais la femme est donc un être bien lâche +et bien borné! Je croyais celle-ci plus naïve, plus abandonnée à ce que +la nature leur inspire parfois de beau et de généreux! Mais il y a dans +le coeur un fonds d'égoïsme plus dur que le diamant, et aucun grand +sentiment n'y peut germer. Toi qui te prétends descendue des cieux pour +nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-même dans le partage que tu veux +établir entre nos destinées et les tiennes! Tu promets ton dévouement, +tes caresses et ta fidélité, à la condition d'un échange semblable. +Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui était sur mes lèvres, +et que j'aurais voulu offrir et non céder. C'est ainsi que tu nous +sauveras, ange équitable et prudent. Tu tiens une balance comme la +justice, mais tu as soulevé le bandeau de l'amour, et tu vois clairement +nos défauts pour nous les reprocher sans pitié. Rien pour rien, c'est ta +devise! Où est ta miséricorde, où est ton pardon, où donc tes ineffables +sacrifices? Femme! mensonge! tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre, +un rêve. Les poëtes t'ont créée, ton fantôme est peut-être au ciel. Il +m'a semblé parfois te voir passer dans mes nuées. Insensé que j'étais, +pourquoi suis-je descendu sur la terre pour te chercher? + +Maintenant je sais ce qu'il me reste à faire. Ma mère, je ne te pleure +plus, nous ne serons pas longtemps séparés. Je laisse à d'autres le soin +d'ensevelir ta dépouille, je vais rejoindre ton âme... J'ai bien assez +tardé, mon Dieu! il y a assez longtemps que j'hésite au bord du gouffre +sans fond de l'éternité! Pourquoi ai-je tremblé?... tremblé! Est-ce +que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?... Non, c'est le devoir.--Et +pourtant tout à l'heure que faisais-tu lorsque tu priais, à genoux, +cette jeune fille de conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne +devais plus rien à personne, et tu voulais vivre pourtant! lâche enfant! +tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir, tu demandais l'amour avec +des larmes! Tu les demandais à une paysanne imbécile, quand c'est dans +un monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrête? est-ce +le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le désespoir? Là-haut +l'incertitude, ici la réalité. Le choix peut-il être douteux? Va donc, +Aldo! descends dans ces vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces +insaisissables. Que Dieu te protège, si tu en vaux la peine; qu'il te +rende au néant, si ton âme n'est qu'un souffle sorti du néant!... + +Adieu, grabat où j'ai si mal dormi! adieu, table dure et froide où j'ai +tracé des vers brûlants! adieu, front livide de ma mère, où j'ai tant +de fois interrogé avec anxiété les ravages de la souffrance et les +dernières luttes de la vie prête à s'éteindre! Adieu, espérances de +gloire; adieu, espérances d'amour, vous m'avez menti, je romps les +mailles du filet où vous m'avez tenu si longtemps captif et ridicule! +je vais me relever à mes propres yeux, je vais briser un joug dont je +rougis... Adieu. (_ Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur +le fleuve et descend les degrés. Une barque pavoisée passe au même +moment._) + + +AGANDECCA, _sur la barque_. + +Quel est ce jeune homme si pâle et si beau qui descend vers le fleuve et +semble vouloir s'y précipiter? + + +TICKLE, _sur la barque_. + +C'est un homme de rien, un rêveur, un fou, un misérable. + + +AGANDECCA. + +Je veux savoir son nom. + + +TICKLE. + +C'est Aldo le rimeur. + + +AGANDECCA. + +Aldo le barde! ses chants sont inspirés, sa voix est celle d'un poète +des anciens jours. La beauté de son génie ne le cède qu'à celle de son +visage. Je veux lui parler. + + +TICKLE. + +C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui répondra fort mal aux +bontés de Votre Grâce. + + +AGANDECCA. + +N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix. Faites aborder +la barque au bas de cet escalier. ( _Tickle donne des ordres en +grommelant. La barque vient aborder aux pieds d'Aldo._) + + +ALDO. + +Qui êtes-vous, et que demandez-vous à la porte de cette pauvre maison? + + +AGANDECCA. + +Je suis la reine, et je viens te voir. + + +ALDO. + +Votre Grâce arrive une heure trop lard, la maison est déserte. Ma mère +est morte, et je ne repasserais pas le seuil que je viens de franchir, +fut-ce pour la reine Mab elle-même. + + +AGANDECCA. + +Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma barque. + + +ALDO. + +Madame, où me menez-vous? + + +AGANDECCA. + +A la promenade. + + +ALDO. Votre promenade sera-t-elle longue? + + +LA REINE. + +Que sais-je? + + + + +ACTE SECOND. + +Dans une galerie du palais de la reine. + + + + +SCÈNE PREMIÈRE. + +LA REINE, TICKLE. + + +LA REINE. + +Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fâche, et je ne veux pas +entendre de mal de lui. + + +TICKLE. + +Comment Votre Grâce peut-elle me supposer une si coupable intention! Le +seigneur Aldo est un si grand poëte et un si noble cavalier! + + +LA REINE. + +Oui, c'est le plus beau génie et le plus grand coeur! Je ne lui reproche +qu'une chose, son invincible orgueil. + + +TICKLE. + +Sous une apparence d'humilité, je sais qu'il cache une épouvantable +ambition... + + +LA REINE. + +Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que l'ambition d'être +aimé. + + +TICKLE. + +C'est une belle et touchante ambition! + + +LA REINE. + +Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante. Un mot +l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une ombre; il n'y a pas +de calme possible dans son amour. + + +TICKLE. + +Cet amour-là est une tyrannie, une guerre à mort, un combat éternel! + + +LA REINE. + +Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur des hommes. +Je lui reproche, au contraire, de trop renfermer au dedans de lui les +chagrins que je lui cause. Au lieu de s'en plaindre franchement, il les +concentre, il les surmonte, et, avec toute cette résignation, tout ce +courage, toute cette douceur, il dévore sa vie, il use son coeur, il est +malheureux. + + +TICKLE. + +Infortuné jeune homme! Votre Grâce devrait avoir plus de compassion, lui +épargner... + + +LA REINE. + +Mais de quoi se plaint-il, après tout? Son coeur est injuste, son esprit +est plein de travers, d'inconséquences, de souffrances sans sujet et +sans remède. Que puis-je faire pour un cerveau malade? Je l'aime de +toute mon âme et lui épargne la douleur tant que je puis; mais le mal +est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pâle et sombre, à mes +côtés, je l'ai pris pour l'ange de la douleur. + + +TICKLE. + +Le spectacle d'un homme toujours mécontent doit être un grand supplice +pour une âme généreuse comme celle de Votre Grâce. + + +LA REINE. + +Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me blesse et m'irrite. +Quoi de plus décourageant que de vouloir consoler un inconsolable? C'est +se consumer jeune et pleine de santé auprès du lit d'un moribond qui ne +peut ni vivre ni mourir. + + +TICKLE. + +Votre Grâce a fait pourtant bien des sacrifices pour lui. De quoi +pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracié pour lui le duc de +Suffolk, l'astre le plus brillant de la cour? + + +LA REINE. + +Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus! + + +TICKLE. + +Il n'avait jamais d'ailleurs été bien aimable. + + +LA REINE. + +Il ne faut pas dire cela; c'était un homme d'esprit et plein de nobles +qualités. + +TICKLE. + +Oh! oui, généreux, brave, désintéressé!... + + +LA REINE. + +Ceci est faux; il était plus épris de mon rang que de ma personne. + + +TICKLE. + +C'est le malheur des rois. + + +LA REINE. + +Et c'est ce qui me fait chérir l'amour de mon poëte: lui du moins m'aime +pour moi seule. Il sait à peine si je suis reine. Il n'en est point +ébloui; même il en souffre, et je crois qu'il me le pardonne. + + +TICKLE. + +Votre Grâce est-elle bien sûre que dans son orgueil de poëte il ne +préfère point sa condition à celle d un roi? + + +LA REINE. + +S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poëte est la plus belle des +couronnes, la plume d'un grand écrivain est un sceptre plus puissant que +les nôtres. Moi, j'aime qu'un esprit supérieur sache ce qu'il est et ce +qu'il peut être; c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions. + + +TICKLE. + +Aussi je crois que le poëte Aldo est réservé à de hautes destinées. Il +est digne de commander aux hommes, et un mot de Voire Grâce pourrait +l'élever au véritable rang qu'il est né pour occuper.... + + +LA REINE. + +Si je ne te savais profondément hypocrite, ô mon cher Tickle, je le +dirais que tu es parfaitement imbécile. Qui? lui! être mon époux! +régner! D'abord le sceptre jusqu'ici ne m'a pas semblé trop lourd à +porter; ensuite Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais +supposer capable de me seconder. Personne ne connaît moins les +autres hommes, personne n'a d'idées plus creuses, de sentiments plus +exceptionnels, de rêves plus inexécutables. Vraiment! mon peuple serait +un peuple bien gouverné! il pourrait chanter beaucoup et manger fort +peu, ce qui ne laisserait pas que d'être fort agréable, le jour où +le poëte-roi aurait découvert le moyen de placer l'estomac dans les +oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu n'as pas le sens commun aujourd'hui. + + +TICKLE, _sortant_. + +Fort bien, j'ai réussi à la fâcher; j'étais bien sur qu'en disant comme +elle, je l'amènerais à dire comme moi. + + + +SCÈNE II. + + +LA REINE, seule. + +Ce Tickle est un fâcheux personnage; il a une manière d'entrer dans mes +idées qui m'en dégoûte sur-le-champ. Ces prétendus bouffons, que nous +ayons autour de nous, sont comme nos mauvais génies, laids et méchants; +ils tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la vérité qui nous +blesse,. et de nous taire celle qui nous serait utile. Quand ils ne +mentent pas, c'est que leur mensonge pourrait nous épargner une douleur +ou nous sauver d'un péril; c'est alors seulement qu'ils se refusent +Je plaisir de nous tromper. Il faut que je voie mon poëte, je me sens +attristée et prête à douter de tout. L'homme aux illusions me consolera +peut-être. (_Elle siffle dans un sifflet d'argent suspendu à son cou_.) +(_Tickle rentre_.) Nain, envoyez Aldo près de moi, je l'attends ici. + + +TICKLE. + +J'y cours avec joie. + + +LA REINE. + +Après tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit que cet amour nuit +à ma gloire. Le duc de Suffolk m'était moins cher, je l'estimais moins, +j'étais moins touchée de son amour; mais son esprit, moins élevé, était +plus positif; c'était un ambitieux, mais un ambitieux qui secondait +toutes mes vues. J ai aimé autrefois le brave Athol. Celui-là était un +beau soldat, un bon serviteur, un véritable ami; du reste, un montagnard +stupide; mais il était l'appui de ma royauté, il la rendait redoutable +au dehors, paisible au dedans; c'était comme une bonne arme bien trempée +et bien brillante dans ma main. Ce poëte est dans mon palais comme un +objet de luxe, comme un vain trophée qu'on admire et qui ne sert à rien. +Un vêtement d'or vaut-il une cuirasse d'acier? On aime à respirer les +roses de la vallée, mais on est à l'abri sous les sapins de la montagne. + +Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave! Qu'il est doux de +se reposer des soucis de la vie active sur un coeur sincère et fidèle! +Qu'ils sont rares, ceux qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes +toujours embrasés, ils se consument en montant vers le ciel. Nous +pouvons à toute heure chercher sur leur autel la chaleur qui manque à +notre âme épuisée, nous la trouvons toujours vive et brillante. Leur +sein est un mystérieux sanctuaire où le feu sacré ne s'éteint jamais; +s'il s'éteignait, le temple s'écroulerait comme un monde sans soleil. +L'amour est en eux le principe de la vie. Ils pâlissent, ils souffrent, +ils meurent, si on froisse leur tendresse délicate et timide. Dites un +mot, accordez un regard, ils renaissent, leur sein palpite de joie, +leur bouche a de douces paroles de reconnaissance pour bénir, et leurs +caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi qui saches aimer, et +pourtant il est des jours où tu m'ennuies mortellement. + + + +SCÈNE III. + +LA REINE, ALDO. + + +ALDO. + +Que veux-tu de moi, ma bien-aimée? + + +LA REINE. + +Je voulais te voir et être avec toi. + + +ALDO. + +Êtes-vous triste, êtes-vous fatiguée? Voulez-vous que je chante? Que +puis-je faire pour vous? + + +LA REINE. + +Êtes-vous heureux? + + +ALDO. + +Je le suis, parce que vous m'aimez. + + +LA REINE. + +Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me répondez pas? Déjà votre +visage est changé, des larmes roulent dans vos yeux, ma question vous a +offensé? + + +ALDO. + +Offensé?--Non. + + +LA REINE. + +Affligé? + + +ALDO. + +Oui. + + +LA REINE. + +Si vous êtes triste, vous allez me rendre triste. + + +ALDO. + +J'essaierai de ne pas l'être; mais, quand vous avez besoin de +distraction et de gaieté, pourquoi me faites-vous appeler? Ce n'est pas +ma société qui vous convient dans ces moments-là. Votre nain Tickle a +plus d'esprit et de bons mots que moi. + + +LA REINE. + +Mais il est méchant et laid. J'aime la gaieté, mais c'est un banquet où +je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives dignes de moi. Pourquoi +méprisez-vous le rire? Vous croyez-vous trop céleste pour vous amuser +comme les autres hommes? + + +ALDO. + +Je me sens trop faible pour professer le caractère jovial. Quand je +semble gai, je suis navré ou malade; le bonheur est sérieux, la douleur +est silencieuse. Je ne suis capable que de joie ou de tristesse. La +gaieté est un état intermédiaire dont je n'ai pas la faculté, j'y arrive +par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire, commandez le +souper, faites danser sir John Tickle sur la table; en voyant ses +grimaces, en buvant du vin d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en +convulsion. Mais ici, près de vous, de quoi puis-je me divertir? Je vous +regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous me regardez avec +bonté, je suis heureux; vous me raillez, et je suis triste. + +LA REINE. + +Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on toujours vivre +replié sur soi-même? L'amour est-il la seule passion digne de vous? + + +ALDO. + +C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable. + + +LA REINE, _impatientée_ + +Alors vous êtes un pauvre sire; moi, je ne peux pas toujours parler +d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets de joie ou de tristesse que +le nuage qui passe dans le ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de +grands intérêts dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais +des lois, je récompense la valeur, je punis le crime; j'inspire la +crainte, le respect, l'amour, la haine peut-être; tout cela m'occupe; je +vais d'une chose à une autre, je parcours tous les tons de cette belle +musique dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet; mais +votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son. Vous êtes beau et +monotone comme la lune à minuit, mon pauvre poëte. + + +ALDO. + +La lune est mélancolique. Il vous est bien facile de fermer les fenêtres +et d'allumer les flambeaux quand sa lueur blafarde vous importune. +Pourquoi allez-vous rêver dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la +brume et le froid rayon des étoiles n'iront pas vous attrister dans vos +salles pleines de bruit et de lumière. + + +LA REINE. + +J'entends: je puis m'étourdir dans de frivoles amusements et vous +laisser avec votre muse. C'est une société plus digne de vous que celle +d'une femme capricieuse et puérile. Restez donc avec votre génie, mon +cher poëte. Les étoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre +doucement parmi les fleurs: rêvez, chantez, soupires. La façade de mon +palais s'illumine, et le son des instruments m'annonce le repas du soir. +J'y vais porter votre santé à mes convives dans une coupe d'or, +et parler de vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici, +penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous avec les sylphes. +S'ils ne me trouvent pas indigne d'un souvenir, parlez-leur de moi; et +si, malgré cette nourriture céleste, il vous arrive de ressentir la +vulgaire nécessité de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. Au +revoir.--Mais qu'est-ce donc? Vous avez baisé bien tristement ma main, +et vous y avez laissé tomber une larme! Quoi! vous êtes triste encore? +je vous ai encore blessé? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon +cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous aime tendrement, +je vous préfère aux plus grands rois de la terre. Faut-il vous le +répéter à toute heure? ne le savez-vous pas? Venez, que je baise votre +beau front. Séchez vos larmes et venez me rejoindre bientôt. + + + +SCÈNE IV. + + +ALDO, _seul_. + +Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu et devant les +hommes! Moi, je n'ai raison que devant ma conscience. Je ne puis avoir +d'autre juge que moi-même, et ne puis me plaindre qu'à moi-même.--Car, +enfin, il ne dépend pas de moi d'être autrement. Tout m'accuse +d'affectation; mais on n'est pas affecté, on n'est pas menteur avec +soi-même. Je sais bien, moi, que je suis ce que je suis. Les autres sont +autres, et ne me comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car +moi je ne nie pas leur sincérité; ils me disent qu'ils sont courageux, +je pourrais leur répondre qu'ils sont insensibles. Mais j'accepte ce +qu'ils me disent, je consens à les reconnaître courageux. Mais s'ils le +sont, pourquoi me reprochent-ils impitoyablement de ne l'être pas? Si +j'étais Hercule, au lieu de mépriser et de railler les faibles enfants +que je trouverais haletants et pleurants sur la route, je les prendrais +sur mes épaules, je les porterais, une partie du chemin, dans ma peau de +lion. Que serait pour moi ce léger fardeau, si j'étais Hercule?--Voua +ne l'êtes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui. Elle ne +vous révolte pas, elle vous effraie. Vous craignez d'être forcés de la +secourir, et, comme vous ne le pouvez pas, vous l'humiliez pour lui +apprendre à se passer de vous. + +Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de corps, faible +d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi; je préfère ce que j'aime +à moi-même.--Quand je veux suivre la chasse, j'en suis vite dégoûté, +parce que je suis vite fatigué.--Quand on me raille, ou me blâme, je +suis effrayé, parce que je crains de perdre les affections dont je ne +puis me passer, parce que je sens que je suis méconnu, et que j'ai +trop de candeur pour me réhabiliter en me vantant. Avec les hommes, +il faudrait être insolent et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes +faiblesses et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses des +autres et n'en suis pas révolté. Je les supporte tels qu'ils sont. Je ne +repousse pas les plus méprisables, je les plains, et, tout faible que +je suis, j'essaie de soutenir et de relever ceux qui sont plus faibles +encore. Pourquoi ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la +pareille? + +--Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne te nie pas; +peut-être te manifesteras-tu à moi dans une autre vie. J'espère en la +mort. + +Mais ici tu ne te révèles pas. Tu nous laisses souffrir et crier en +vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprimé, tu ne punis pas le +méchant. J'accepte tout, mon Dieu! et je dis que c'est bien, puisque +c'est ainsi. Suis-je impie, dis-moi? + +Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie de moi-même. +Conscience, voix du ciel cachée en moi, comme le son mélodieux dans les +entrailles de la harpe, je te prends à témoin, je te somme de me rendre +justice. Ai-je été lâche? ai-je lutté contre le malheur? ai-je supporté +la misère, la faim, le froid? ai-je abandonné ma mère lorsque tout +m'abandonnait, même la force du corps? ai-je résisté à l'épuisement et à +la maladie? ai-je résisté à la tentation de me tuer?--Où est le mendiant +que j'aie repoussé? où est le malheureux que j'aie refusé de secourir? +où est l'humilié que je n'aie pas exhorté à la résignation, rappelé à +l'espérance? J'ai été nu et affamé. J'ai partagé mon dernier vêtement +avec ma mère aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec mon +chien efflanqué. J'ai toujours pris en sus de ma part de souffrances +une part des souffrances d'autrui; et ils disent que je suis lâche, ils +rient de la sensibilité niaise du poëte! et ils ont raison, car ils sont +tous d'accord, ils sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les +autres. + +Je suis seul, moi! et j'ai vécu seul jusqu'ici. Suis-je lâche? J'ai eu +besoin d'amitié, et, ne l'ayant point trouvée, j'ai su me passer d'elle. +J'ai eu besoin d'amour, et, n'en pouvant inspirer beaucoup, voilà que +j'accepte le peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille. Je +pleure tout bas, et l'on me méprise. + +C'est donc une lâcheté que de souffrir? C'est comme si vous m'accusiez +d'être lâche parce qu'il y a du sang dans mes veines et qu'il coule à la +moindre blessure. C'est une lâcheté aussi que de mourir quand on vous +tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris mon parti sur +les railleries de mes compagnons? N'avais-je pas consenti à montrer mon +front pâle au milieu de leurs fêtes et à passer pour le dernier des +buveurs? N'avais-je pas livré mes vers au public, sachant bien que deux +ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux ou trois mille qui me +traiteraient de rêveur et de fou? Après avoir souffert du métier de +poëte en lutte avec la misère et l'obscurité, j'avais souffert plus +encore du métier de poëte aux prises avec la célébrité et les envieux! +Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne trouvant pas le +bonheur dans la richesse et dans ce qu'on appelle la gloire, je +m'étais réfugié dans le coeur d'une femme, et j'espérais. Celle-là, me +disais-je, est venue me prendre par la main au bord du fleuve où je +voulais mourir. Elle m'a enlevé sur sa banque magique, elle m'a conduit +dans un monde de prestiges qui m'a ébloui et trompé, mais où, du moins, +elle m'a révélé quelque chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si +les vains fantômes de mon rêve se sont vite évanouis, c'est qu'elle +était une fée, et que sa baguette savait évoquer des mensonges et des +merveilles, mais elle est une divinité bienfaisante, cette fée qui me +promène sur son char. Elle m'a leurré de cent illusions pour m'éprouver +ou pour m'éclairer. Au bout du voyage, je trouverai derrière son nuage +de feu, la vérité, beauté nue et sublime que j'ai cherchée, que j'ai +adorée à travers tous les mensonges de la vie, et dont le rayon +éclairait ma route au milieu des écueils où les autres brisent le +cristal pur de leur vertu. Fantômes qui nous égarez, ombres célestes que +nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites courir après +vous sans regarder où nous mettons les pieds, pourquoi revêtez-vous des +formes sensibles, pourquoi vous déguisez-vous en femmes? Appelez-vous la +vérité, appelez-vous la beauté, appelez-vous la poésie; ne vous appelez +pas Jane, Agandecca, l'amour. + +Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour être mieux traité que +les autres? Pourquoi cette insolente ambition d'être heureux? Pourquoi +n'es-tu pas fier de ton laurier de poëte et de l'amour d'une reine? Et +si cela ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la réalité +d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk était aimé de la reine; +il voulait plus que partager sa couche, il voulait partager son trône. +Athol fut aimé de la reine; il s'ennuyait souvent près d'elle, il +désirait la gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui +semblait préférable à tout. Suffolk, Athol, vous étiez des ambitieux, +mais vous n'étiez pas des fous; vous désiriez ce que vous pouviez +espérer; la puissance, la victoire, l'argent, l'honneur, tout cela est +dans la vie; l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La reine +a chassé Suffolk; mais il règne sur une province, et il est content. +Athol a été disgracié; mais il commande une armée, et il est fier. + +Moi, que puis-je aimer après elle? rien. Où est le but de mes +insatiables désirs? dans mon coeur, au ciel, nulle part peut-être? +Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable au mien, qui me réponde; ce +coeur n'existe pas. On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me +le vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On s'amuse de ma +passion comme d'une chose singulière, on la regarde comme un spectacle, +et quelquefois l'on s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus +souvent on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On m'admire, +on me recherche et on m'écoute, parce que je suis un poëte; mais quand +j'ai dit mes vers, on me défend d'éprouver ce que j'ai raconté, on me +raille d'espérer ce que j'ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on, et +gardez vos églogues pour les réciter devant le monde; soyez homme avec +les hommes, hissez donc le poëte sur le bord du lac où vous le promenez, +au fond du cabinet où vous travaillez.--Mais le poëte, c'est moi! Le +coeur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis l'arracher de +mes entrailles. Je ne puis étouffer dans mon sein l'ange mélodieux qui +chante et qui souffre. Quand vous l'écoutez chanter, vous pleurez; puis +vous essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon rôle cesse +avec votre émotion: aussitôt que vous cessez d'être attentifs, il faut +que je cesse d'être inspiré. Qu'est-ce donc que la poésie? Croyez-vous +que ce soit seulement l'art d'assembler des mots? + +Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous avez raison! vous +êtes reine, vous êtes belle, vous êtes ambitieuse et forte. Votre âme +est grande, votre esprit est vaste. Vous avez une belle vie; en bien! +vivez. Changez d'amusement, changez de caractère vingt fois par jour; +vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blâme pas; et, si je vous +aime, c'est peut-être parce que je vous sens plus forte et plus sage +que moi. Si je suis heureux d'un de vos sourires, si une de vos larmes +m'enivre de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des +bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez me refuser. +Moi, quel mérite ai-je à vous aimer? je ne puis faire autrement. De quel +prix est mon amour? l'amour est ma seule faculté. A quels plaisirs, à +quels enivrements ai-je la gloire de tout préférer? Rien ne m'enivre, +rien ne me plaît, si ce n'est vous. La moindre de vos caresses est un +sacrifice que vous me faites, puisque c'est un instant que vous dérobez +à d'autres intérêts de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous +êtes mon autel et mon Dieu, et je suis moi-même l'offrande déposée à vos +pieds. + +Si je suis mécontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en prendre de mes +souffrances? Si je pouvais me plaindre, m'indigner, exiger plus qu'on ne +me donne, j'espérerais. Mais je n'espère ni ne réclame; je souffre. + +Eh bien, oui, je souffre et je sais mécontent. Pourquoi ai-je voulu +vivre? Quelle insigne lâcheté m'a poussé à tenter encore l'impossible? +Ne savais-je pas bien que j'étais seul de mon espèce et que je serais +toujours ridicule et importun? Qu'y a-t-il de plus chétif et de plus +misérable que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui souffre est un +fléau! c'est un objet de tristesse et de dégoût pour les autres! c'est +un cadavre qui encombre la voie publique, et dont les passants se +détournent avec effroi. Etre malheureux, c'est être l'ennemi du genre +humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur compte, et celui +qui ne sait pas vivre pour lui-même est un voleur qui dépouille ou un +mendiant qui assiège. + +Meurs donc, lâche! il est bien temps d'en finir! tu t'es bien assez +cabré sous la nécessité! Tes flancs ont saigné, et tu n'as pas fait un +pas en avant! Résigne-toi donc à mourir sans avoir été heureux!... + +Hélas! hélas! mourir, c'est horrible!... Si c'était seulement saigner, +défaillir, tomber!... mais ce n'est pas cela. Si c'était porter sa tête +sous une hache, souffrir la torture, descendre vivant dans le froid +du tombeau! mais c'est bien pis: c'est renoncer à l'espérance, c'est +renoncer à l'amour; c'est prononcer l'arrêt du néant sur tous ces rêves +enivrants qui nous ont leurrés, c'est renoncer à ces rares instants de +volupté qui faisaient pressentir le bonheur, et qui l'étaient peut-être! + +Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas assez, n'est-ce +pas trop! Agandecca, vous m'avez dit des mots qui valaient une année de +gloire, vous m'avez causé des transports qui valaient mieux qu'un siècle +de repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui effacera +toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi un instant le roi de +la terre et du ciel! + +Mais pourquoi retomber toujours dans l'abîme de douleur? pourquoi +chercher ces joies si elles doivent finir et si je ne sais pas y +renoncer? Les autres se lassent et se fatiguent de leurs jouissances: +moi, la jouissance m'échappe et le désir ne meurt pas! O amour! éternel +tourment!... soif inextinguible! + +Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et, si je le +puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra plus malheureux. Je ne +saurai pas vivre sans aimer. L'amour ou l'amitié ne me paieront pas ce +que je dépenserai de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je pu +vivre jusqu'ici? Je ne le conçois pas. Suis-je le plus courageux ou +le plus lâche de tous les hommes?--Je ne sais pas; et comment le +savoir?--Celui qui souffre pour donner du bonheur aux autres... oui, +celui-là est brave... mais celui qui souffre et qui importune, celui qui +veut du bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! décidément je suis +un lâche! comment ne m'en suis-je pas convaincu plus tôt? (_Il tire son +épée_). Lune... brise du soir!... Tais-toi, poëte, tu n'es qu'un sot. +Qu'est-ce qui mérite un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un +regret? (_Il va pour se tuer._) + + + +SCÈNE V. + + +LE DOCTEUR ACROCERONIUS, _entrant_. + +Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude singulière? + + +ALDO. + +Vous le voyez, mon cher ami, je me tue. + + +ACROCERONIUS. + +En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas déranger pour moi. +Puis-je vous rendre quelque service après votre mort? + + +ALDO. + +Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir. + + +ACROCERONIUS + +Je suis fâché que vous preniez cette résolution avant le coucher de la +lune. + + +ALDO. + +Pourquoi? + + +ACROCERONIUS. + +Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez une des plus +belles éclipses de lune que nous ayons eues depuis longtemps. + + +ALDO. + +Il y a une éclipse de lune? + + +ACROCERONIUS. + +Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera tellement +visible, que je m'étonne de rencontrer un homme aussi indifférent que +vous à cet important phénomène. + + +ALDO. + +En quoi cela peut-il m'intéresser? + + +ACROCERONIUS. + +Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous le ferai comprendre. + + +ALDO. + +Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas disposé à marcher, et +j'aime mieux me passer mon épée au travers du corps. + + +ACROCERONIUS. + +Faites ce qui vous convient, et ne vous gênez pas devant moi. Cependant +j'aurais été flatté d'avoir votre compagnie durant ma promenade. + + +ALDO. + +En quoi pourrais-je vous être utile! La solitude convient mieux à vos +savantes élucubrations. Je ne suis qu'un pauvre poëte, peu capable de +raisonner avec vous sur d'aussi graves matières. + + +ACROCERONIUS. + +La société des poëtes m'a toujours été fort agréable. Les poëtes sont de +très-intelligents observateurs de la nature. Ils sont faibles sur les +classifications, mais ils ont beaucoup de netteté dans l'observation. +Ils possèdent l'appréciation juste de la couleur et de la forme, et +quelquefois ils remarquent des rapports qui nous échappent; des nuances +presque insaisissables leur sont révélées par je ne sais quel sens qui +nous manque. Je suis sûr que vous me feriez voir des choses dont je sais +l'existence, et que pourtant je n'ai jamais pu observer à l'oeil nu. + + +ALDO. + +Les savants sont poëtes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont pas besoin, +comme nous, d'observer pour voir. Ils savent tant de choses, qu'ils +peuvent peindre la nature sans la regarder, comme on fait de mémoire le +portrait de sa maîtresse. Ils peuvent nous initier à plus d'un mystère +dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche vêtement qui couvre +les beautés nues sous l'oeil de la science. Je suis fâché, mon cher +maître, d'avoir vécu longtemps sous le même toit que vous, sans avoir +songé à profiter de votre entretien. + + +ACROCERONIUS. + +Si vous n'êtes pas forcé absolument de vous tuer ce soir, vous pourriez +venir avec moi sur la montagne de Lego. Nous observerions l'éclipse de +lune, nous causerions sur toutes les choses connues; vous pourriez être +revenu et mort avant le lever de la reine. + + +ALDO. + +Vous avez raison. Donnez-moi votre télescope et faisons cette promenade +ensemble. Vous m'apprendrez beaucoup de choses que j'ignore. Je vous +interrogerai sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles, +sur l'écume que la lune répand à minuit dans les herbes, sur les bruits +qu'on entend la nuit... Avez-vous remarqué cette grande voix aigre qui +crie incessamment autour de l'horizon, et qui est si égale, si continue, +si monotone, qu'on la prend souvent pour le silence? + + +ACROCERONIUS. + +J'ai écrit précisément un petit traité in-4° sur ce dont vous parlez; +mais, pour bien vous le faire comprendre, il faudrait sortir un peu du +monde visible, et nous aventurer dans des questions d'astrologie pour +lesquelles vous auriez peut-être quelque répugnance. + + +ALDO. + +L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maître. Je serais +très-curieux d'avoir quelque notion sur cette science étonnante. J'y ai +songé quelquefois, et si les préoccupations de mon esprit m'en avaient +laissé le temps, j'aurais pris plaisir à soulever un coin du voile qui +me cache cette mystérieuse Isis. Qui sait si la faiblesse de l'homme ne +peut trouver dans ces profondeurs ignorées le secret du bonheur qu'elle +cherche en vain ici-bas? On est bientôt las et dégoûté d'analyser et +d'interroger les choses qui existent matériellement. Le monde invisible +n'est pas épuisé... et si je pouvais m'y élancer... + + +ACROCERONIUS. + +Venez avec moi, mon cher fils, et nous tâcherons de bien observer la +lune. + + +ALDO, _remettant son épée dans le fourreau_ + +Allons-nous bien loin sur la montagne? + + +ACROCERONIUS. + +Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez de l'écume que +répand la lune, voyez-vous, mon cher fils, le règne végétal d'après +toutes les classific.... (_ils sortent en causant_.) + + +GEORGE SAND + + + + +FIN D'ALDO LE RIMEUR. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + +***** This file should be named 12862-8.txt or 12862-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/8/6/12862/ + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Aldo le rimeur + +Author: George Sand + +Release Date: July 9, 2004 [EBook #12862] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + + + + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + + + + + +</pre> + + + + +<h1>ALDO LE RIMEUR</h1> +<h4>George Sand</h4> + +<br> + +<h3>PRÉFACE</h3> + +<p>Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman +et le drame de <i>Chatterton</i>, personne ne pensera que +j'aie eu la prétention d'imiter ce modèle, bien qu'une scène +d'<i>Aldo le rimeur </i>présente quelques rapports de situation +avec le beau et déchirant monologue que M. de Vigny a +mis dans la bouche de son poëte. Je ne me défendrais pas +d'avoir été inspiré par ce sujet, d'abord si le fait était +vrai, ensuite si ma pensée eût été la même. Mais elle +était autre, et je ne songeais à peindre la misère du poëte +que comme un accident, un des malheurs passagers de +sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre +le poëte en général; une âme de poëte quelconque, mobile, +généreuse, ardente, susceptible, inquiète, fière et +jalouse. Le second acte de ce petit poème dialogué montre +le même homme <i>non transformé</i> qu'on a vu lutter contre +la faim et l'abandon au premier acte. De même qu'un +nouvel amour a été le dénoûment de cette première +phase, l'amour de la science, ou plutôt une soudaine et +vague révélation de la science, arrache une seconde fois +l'âme curieuse et <i>ondoyante</i> du poëte au dégoût de la +vie, à la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque +je fis paraître ce fragment dans une Revue, compléter +la série d'expériences et de déceptions par lesquelles, +après avoir plusieurs fois rempli et vidé la coupe des illusions, +Aldo devait arriver à briser sa vie ou à se réconcilier +avec elle. De nouvelles préoccupations d'esprit +m'emportèrent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo +oubliait la reine Agandecca. Je n'ai jamais pensé que +l'interruption de cette esquisse fût offensante ou préjudiciable +pour aucun lecteur; mais, avant de la remettre +sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est +là qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensée, +et beaucoup mieux sans doute que je ne l'ai commencé.</p> + +<br><br> + + +<h2>ALDO LE RIMEUR</h2> + +<blockquote><p> Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son +petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet, +le soir auprès de son feu, les pieds dans de très-bonnes +pantoufles. <i>(Esprit des journaux.)</i> +</p></blockquote> + +<br><br> + +<h3>PERSONNAGES.</h3> + +<p>ALDO LE RIMEUR<br> + +MEG, sa mère.<br> + +JANE, jeune montagnarde.<br> + +LA REINE AGANDECCA.<br> + +TICKLE, nain de la reine.<br> + +MAITRE ACROCÉRONIUS, +astrologue de la reine.</p> + +<p>La scène est à Ithona.</p> + + + +<h2>ACTE PREMIER.</h2> + +<p>Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait à une soupente; +au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait nuit.</p> + + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE.</h3> + +<p class="c">ALDO, TICKLE.</p> + + +<p><i>(Aldo est assis le tête dans ses mains, les coudes sur +la table. Un frappe à la porte.)</i></p><br> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Qui frappe?</p> + + +<p class="c">TICKLE, en dehors.</p> + +<p>Votre très-humble serviteur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Lequel?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Votre ami.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Que le diable vous emporte! vous êtes un escroc.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Non, je suis votre ami et votre serviteur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Il est évident que vous venez me dépouiller; mais je +ne crains rien de ce côté-là. Entrez.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Souffrez que je vous embrasse.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Permettez-moi de vous mettre sur la table.</p> + + +<p class="c">TICKLE, <i>sur la table.</i></p> + +<p>Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur, +depuis que nous ne nous sommes vus?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Mais.... tantôt bien, tantôt mal. Il s'est passé beaucoup +de choses depuis que je n'ai eu l'honneur de vous +voir.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>En vérité, mon cher monsieur?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Sur mon honneur! ce serait trop long à vous raconter. +Il y a vingt ans environ, car notre connaissance date de +l'autre monde.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Vraiment?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur +de vous rencontrer dans celui-ci.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez +jamais vu?</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Non, sur mon honneur, mon cher ami.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Eh! mais, d'où sortez-vous? où vivez-vous?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vis dans une taupinière; mais vous, il est certain +que, si j'en juge par votre taille, vous sortez d'un trou +de souris.</p> + + +<p class="c">TICKLE</p> + +<p>Et c'est pour cela que vous devriez connaître, ne fût-ce +que de vue, le célèbre nain John Bucentor Tickle, bouffon +de la reine.</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance; +vous passez pour un homme d'esprit.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je n'en manque pas, et vous pouvez déjà vous en +apercevoir à ma conversation.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Comment donc! j'en suis ébloui, stupéfait et renversé!</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je vois que vous êtes un homme de goût pour un poëte.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et vous un homme hardi pour un nain.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres: +ceux-là ne causent qu'avec les poings; et moi, ce +n'est pas ma profession. Je porte des manchettes de dentelle, +c'est mon goût.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>C'est un goût fort innocent.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Et qui a le suffrage des dames, généralement. Avec les +dames, Monsieur, comme avec les gens d'esprit, j'ai six +pieds de haut, parce que sur ce terrain-là on se bat à +armes égales.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je +ne dis pas sur mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je +savoir ce qui me procure l'honneur de votre visite?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Me permettez-vous d'être assis?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de +siège; car cet escabeau est le seul que je possède, et +mon habitude n'est pas d'écouter debout ce que l'on vient +me prier d'entendre.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en +faut pas davantage pour être absolument à votre hauteur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>J'en suis intimement persuadé. (<i>Il s'assied; le nain +se met à califourchon sur la table, vis-à-vis de lui.)</i></p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Mon cher monsieur, vous êtes poëte?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pas le moins du monde, Monsieur.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais +pour un certain Aldo... <i>le rimeur</i>, comme on dit +dans la ville, et <i>le barde</i>, comme on dit à la cour. Vous +avez peut-être entendu parler de lui? C'est un jeune +homme qui n'est pas sans talent.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme +qui n'a pas plus de talent que vous et moi.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Réellement? Eh bien, j'en suis fâché pour lui. Je venais +lui offrir mes petits services.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Il vous offre les siens également; vous savez en quoi +ils peuvent consister, puisque vous connaissez sa profession. +Veuillez lui faire connaître la vôtre.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services +Votre Seigneurie peut daigner offrir à un misérable poëte.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de très-larges +poches à mon pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et, +par suite d'une fantaisie analogue, les poches dont j'ai +l'honneur de vous parler sont toujours pleines d'or.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de +neuf.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>La vôtre me parait plus usée encore.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de +ma poche.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre +bourse et de votre crédit. Croyez-moi, c'est une habitude +de mauvais genre que de n'avoir pas le sou. Or donc, +voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez besoin.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Vous êtes trop modeste. Je connais votre position, le +dénûment de mistress Meg, votre mère, et son grand âge. +Je connais votre activité, votre dévouement, votre grandeur +d'âme. Je vous offre un gain légitime... Vous comprenez? +Je ne viens pas faire ici le grand seigneur; je +viens vous proposer un échange, un marché qui ne peut +qu'augmenter votre gloire et vous mettra à même de +secourir mistress Meg.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je +fisse monter une de vos jambes en flageolet, et me vendre +l'autre pour en faire un porte-crayon?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur +que la plus chétive de mes jambes, je vous demande +un petit drame de votre façon.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pour qui, Monsieur? pour le théâtre de la reine?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Pour moi, Monsieur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la +force de l'emporter!</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>J'allégerai mes poches d'une partie de l'or qui les +charge, et je prendrai votre manuscrit à la place.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Très-bien; et puis?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le +ferai jouer sur le théâtre de la reine.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Sous quel nom, je vous prie?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Sous le nom agréable de sir John Bucentor Tickle; +c'est dans votre intérêt que j'agirai ainsi et pour donner +de la confiance au public. Si l'autorité de mon nom ne +suffisait pas à nous assurer sa bienveillance, en cas de +chute, nous réclamerions contre son injuste arrêt.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En lui livrant le nom du véritable auteur?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est ainsi que cela se fait à la cour.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant +de me laisser travailler au drame que vous me faites +l'honneur de me demander.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Puis-je compter sur votre parole, Monsieur?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je m'en flatte.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Un mot de traité sera nécessaire.</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>De tout mon coeur, j'en sais la rédaction. (<i>Il écrit.</i>) +Voulez-vous signer maintenant? moi, je signe.</p> + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Permettez-moi d'en prendre connaissance. (<i>Il lit.</i>) +«Je m'engage, moi, Aldo de Malmor, dit <i>le rimeur</i> à la +ville et <i>le barde</i> à la cour, à jeter par les fenêtres le +très-illustre seigneur John Bucentor Tickle, nain et +bouffon de la reine, la première fois qu'il franchira le +seuil de ma maison. Fait double entre nous, etc.» Bravo! +bravo! c'est la première scène du drame!</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Non, c'est un dénoûment tout prêt et que je vous offre +gratis.</p> + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter à la +reine, qui en sera charmée. (<i>Il saute en bas de la table +et s'enfuit.</i>) Tu me le paieras!</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous +ma main.</p> + + + +<h3>SCÈNE II.</h3> + + +<p class="c">ALDO, <i>seul.</i></p> + +<p>Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque +jour m'amène un assassin ou un voleur. Misérables! vous +me réduisez à l'aumône, mais vous n'aurez pas bon marché +de ma fierté. Allons! ce fat m'a fait perdre une demi-heure, +remettons-nous à l'ouvrage. La nuit s'avance; je +ne serai plus dérangé. Tout est silencieux dans la ville et +autour de moi. Dévorons cette nouvelle insulte; quand +le brodequin est bon, le pied ne craint pas de se souiller +en traversant la boue. Écrivons.</p> + + +<p>Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! +lui donner mon cerveau pour livre, mon coeur pour +clavier, afin qu'il en joue à son aise, et qu'il le jette après +l'avoir épuisé en disant: Voici un mauvais livre, voici +un mauvais instrument. Écrire! écrire!... penser pour +les autres... sentir pour les autres... abominable prostitution +de l'âme! Oh! métier, métier, gagne-pain, servilité, +humiliation!—Que faire?—Écrire? sur quoi?—Je +n'ai rien dans le cerveau, <img class="gauche" src="images/ill_1.png" alt=""> +tout est dans mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur à manger pour un +morceau de pain, public grossier, bête féroce, amateur +de tortures, buveur d'encre et de larmes!—Je n'ai dans +l'âme que ma douleur; il faut que je te repaisse de ma +douleur. Et tu en riras peut-être! Si mon luth mouillé et +détendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras +que toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de +vrai, que je ne sens pas mon mal... quand je sens la faim +dévorer mes entrailles! la faim, la souffrance des loups! +Et moi, homme d'intelligence et de réflexion, je n'ai même +pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que +toutes les voix de l'âme se taisent devant le cri de l'estomac +qui faiblit et qui brûle!—Si elles s'éveillent dans le délire +de mes nuits déplorables, ces souffrances plus poignantes, +mais plus grandes, ces souffrances dont je ne +rougirais pas si je pouvais les garder pour moi seul, il +faut que je les recueille sur un album comme des curiosités +qui se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un +amateur peut acheter pour son cabinet. Il y a des boutiques +où l'on vend des singes, des tortues, des squelettes +d'homme et des peaux de serpent. L'âme d'un poète est +une boutique où le public vient marchander toutes les +formes du désespoir: celui-ci estime l'ambition déçue +sous la forme d'une ode au dieu des vers; celui-là s'affectionne +pour l'amour trompé, rimé en élégie; cet autre +rit aux éclats d'une épigramme qui partit d'un sein rongé +par la colère, d'une bouche amère de fiel. Pauvre poète! +chacun prend une pièce de ton vêtement, une fibre de +ton corps, une goutte de ton sang; et quand chacun a +essayé ton vêtement à sa taille, éprouvé la force de tes +nerfs, analysé la qualité de ton sang, il te jette à terre +avec quelques pièces de monnaie pour dédommagement +de ses insultes, et il s'en va, se préférant à toi dans la +sincérité de ses pensées insolentes et stupides.—O gloire +du poète, laurier, immortalité promise, sympathie flatteuse, +haillons de royauté, jouets d'enfants! que vous +cachez mal la nudité d'un mendiant couvert de plaies! +Oh! méprisables! méprisables entre tous les hommes, +ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que celui-là, +se font poètes pour le public! Misérables comédiens qui +pourriez jouer le rôle d'hommes, et qui montez sur un +tréteau pour faire rire et pleurer les désoeuvrés! n'avez-vous +pas la force de vivre en vous-mêmes, de souffrir sans +qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on vous regarde? Il +vous faut un auditoire pour admirer vos puériles grandeurs, +pour compatir à vos douleurs vulgaires! Celui qui +est né fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcément +la vocation héréditaire; il accomplit sa triste et +honteuse destinée. S'il en triomphe, s'il s'élève seulement +au niveau des hommes ordinaires, qu'il soit loué et +encouragé! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits, +hommes robustes, vous avez la fortune pour vous +rendre libres, la science pour vous occuper, des bras +pour creuser la terre en cas de ruine; et vous vous faites +écrivains! et vous nous livrez les facultés débauchées de +votre intelligence, vous cherchez la puissance morale +dans l'épanchement ignoble de la publicité! vous appelez +la populace autour de vous, et vous vous mettez nus devant +elle pour qu'elle vous juge, pour qu'elle vous examine +et vous sache par coeur! Oh! lâche! si vous êtes +difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous +livrez au mépris! lâche encore plus si vous êtes beau et +si vous cherchez dans la foule l'approbation que vous ne +devriez demander qu'à Dieu et à votre maîtresse.... C'est +ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham qui +me consultait sur ses vers.—Et il a tellement goûté mon +avis qu'il m'a mis à la porte de chez lui, et m'a fait retirer +la faible pension que m'accordait la reine en mémoire +des services de mon père dans l'armée.... Aussi, +maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer, chanter ... +vendre mi pensée, mon amour, ma haine, ma religion, +ma bravoure et jusqu'à ma faim! Tout cela peut +servir de matière au vers alexandrin et de sujet au poème +et au drame. Venez, venez, corbeaux avides de mon +sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt +de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller +dans ses entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir: +je vais vous l'apprendre, afin que vous me donniez +de quoi dîner demain.... O misère! c'est-à-dire infamie!—(<i>Il +s'assied devant une table.</i>) Ah! voici des stances à +ma maîtresse!.... J'ai vendu trois guinées une romance +sur la reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en +apercevra guère... mais je puis le vendre trois guinées!... +Le duc d'York m'a promis sa chaîne d'or si je lui faisais +des vers pour sa maîtresse.... Oui, lady Mathilde est +brune, mince: ces vers-là pourraient avoir été faits pour +elle; elle a dix-huit ans, juste l'âge de Jane... Jane! je +vais vendre ton portrait, ton portrait écrit de ma main; je +vais trahir les mystères de ta beauté, révélés à moi seul, +confiée à ma loyauté, à mon respect; je vais raconter les +voluptés dont tu m'as enivré et vendre le beau vêtement +d'amour et de poésie que je t'avais fait, pour qu'il aille +couvrir le sein d'une autre! Ces éloges donnés à la sainte +pureté de ton âme monteront comme une vaine fumée +sur l'autel d'une divinité étrangère; et cette femme à qui +j'aurai donné la rougeur de tes joues, la blancheur de tes +mains, cette vaine idole que j'aurai parée de ta brune +chevelure et d'un diadème d'or ciselé par mon génie, +cette femme qui lira sans pudeur à ses amants et à ses +confidentes les stances qui furent écrites pour toi, c'est +une effrontée, c'est la femelle d'un courtisan, c'est ce +qu'on devrait appeler une courtisane!—Non, je ne vendrai +pas tes attraits et ta parure, ô ma Jane! simple fille +qui m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas même +ce que c'est qu'on poète. Tu me t'es pas enorgueillie de +mes louanges, tu n'as pas compris mes vers; eh bien, +je te les garderai. Un jour peut-être... dans le ciel, tu +parleras ta langue des dieux!... et tu me répondras... ma +pauvre Jane!... (<i>L'horloge sonne minuit.</i>) Déjà minuit!... +et je n'ai rien fait encore, la fatigue m'accable +déjà! Cette nuit sera-t-elle perdue comme les autres?.... +non, il ne le faut pas... Je ne puis différer davantage.... +Il ne me reste pas une guinée, et ma mère aura faim et +froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-même... +et le froid me gagne... Ah! je sens à peine ma plume entre +mes doigts glacés... ma tête s'appesantit... Qu'ai-je donc?—Je +n'ai rien fait et je suis éreinté!... mes yeux sont +troublés... Est-ce que j aurais pleuré?... ma barbe est humide... +Oui, voici des larmes sur les stances, à Jane...<img class="droite" src="images/ill_2.png" alt=""> +J'ai pleuré tout à l'heure en songeant à elle... Je ne m'en +étais pas aperçu. Ah! tu as pleuré, misérable lâche? tu +t'es énervé à te raconter ta douleur, quand tu pouvais +l'écrire et gagner le pain de ta mère; et maintenant te +voici épuisé comme une lampe vers le matin, te voici pâle +comme la lune à son coucher... C'est la troisième nuit +que tu emploies à marcher dans ta chambre, à tailler +ta plume et à te frapper le front sur ces murs impitoyables! +O rage! impuissance, agonie! (<i>Se levant.</i>) +Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis +m'ont tourné le dos, mon génie s'est couché paresseux et +insensible à l'aiguillon de la volonté, ma vie elle-même a +semblé me quitter, mon sang s'est arrêté dans mes veines, +et la souffrance de mes nerfs contractés m'a arraché des +cris. Tout cela est arrivé souvent, trop souvent! Mais toi, +ô courage! ô orgueil! fils de Dieu, père du génie, tu ne +m'as jamais manqué encore. Tu as levé d'aussi lourds +fardeaux, tu as traversé d'aussi horribles nuits, tu m'as +retiré d'aussi noirs abîmes... Tu sais manier un fouet qui +trouve encore du sang à faire couler de mes membres +desséchés; prends ton arme et fustige mes os paresseux, +enfonce ton éperon dans mon flanc appauvri...</p> + +<p>J'ai entendu gémir là-haut! sur ma tête!... c'est ma +mère!... Elle souffre, elle a froid peut-être. J'ai mis mon +manteau sur elle pour la réchauffer. Il ne me reste plus +rien... Ah! mon pourpoint pour envelopper ses pieds. +(<i>Il monte dans la soupente et revient en chemise et +en grelottant.</i>)</p> + +<p>Froid maudit! ciel de glace!</p> + +<p>Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer +quelque chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et +les frileux. (<i>Sa voix s'affaiblit.</i>) Une satire sur les +nez rouges... (<i>Une pause.</i>) Une épigramme sur le nez +de l'archevêque qui est toujours violet après souper... +(<i>Une pause.</i>) Unes chanson, cela me réveillera; si je viens +à bout de rire, je suis sauvé... Ah! le damné manteau +de glace que minuit me colle sur les épaules!... rimons... +charmante bise de décembre qui souffles sur mes tempes, +inspire-moi... Monseigneur... +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Monseigneur de Cantorbery...</p> + </div><div class="stanza"> +<p class="i10"> (<i>Une pause</i>.)</p> +<p>Est toujours vermeil après boire.,.</p> + </div> </div> + +<p>Vermeil ne me plaît pas...</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p class="i4">Est toujours charmant...</p> + </div> </div> + +<p>Charmant... hum!</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p class="i4">Est toujours superbe..</p> +<p>Est toujours superbe après boire...</p> + </div> </div> + +<p>(<i>Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse</i>.)</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Monseigneur de Cantorbery...</p> + </div> </div> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p class="i10"> (<i>Il s'endort tout à, fait</i>.)</p> + </div> </div> + + + +<p>(<i>Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est +enveloppée à demi dans les couvertures de son lit, +et se traîne le long des murs.</i>)</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Je crois qu'il y a enfin de la lumière ici... Je vois une +lueur faible... (<i>Elle se heurte contre la table.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Qui va là?... vous ne répondez pas?... bonsoir... Si +vous êtes un voleur, l'ami, passez votre chemin, vous +perdez votre temps ici... (<i>Il se rendort.</i>)</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis +encore plus sourde aujourd'hui qu'à l'ordinaire... et je +ne sais pas si le temps était plus sombre, mais il m'a +semblé que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est pas +rentré, à ce qu'il paraît!... (<i>Elle-se heurte encore.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Encore! Ami voleur, mon cher frère en diable, vous +ne vous en rapportez pas à moi?... Cherchez à votre +aise... si vous pouviez trouver ma rime dans un coin de +la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant. +Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez...</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Monseigneur de Cantorbery</p> +<p class="i4">Est, ma foi! superbe....</p> + </div> </div> + +<p>(Il se rendort.)</p> + + +<p class="c">MEG, <i>qui s'est égarée, à tâtons dans la chambre.</i></p> + +<p>Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici +que dans mon lit.... Dieu de bonté, j'espérais trouver le +poêle ... mais y a-t-il du bois seulement? Si mon pauvre +enfant était là, du moins il me consolerait.... Mais il est +allé me chercher quelque chose sans doute.... Je ne vois +plus du tout. Je n'entends rien nulle part.... Froid, nuit, +silence, solitude, vieillesse, que vous êtes tristes! Je ne +me soutiens plus, une étrange défaillance me saisit....</p> + +<p class="c">(<i>Aldo rêvant.</i>)</p> + +<p>Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!...</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Mes genoux vont se casser si je marche encore: où +m'asseoir dans ces ténèbres?... (<i>Elle se laisse tomber.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je +t'avais donné à Oscar, mais il parait que tu veux jeûner +avec ton maître ... où es-tu, ô le meilleur des hommes, +je veux dire des caniches?...</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant, +sainte Vierge ... je meurs catholique ... mon enfant! mon +enf.... Aldo! (Elle meurt.)</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>se relevant à demi.</i></p> + +<p>Pour le coup, on a parlé.... Mon nom est parti de ce +coin.... Je n'ai pas rêvé peut-être.... Voleur ou chien! qui +que tu sois.... C'était la voix de ma mère.... Ma mère, +allons donc! elle dort là-haut.... Je n'ai pas la force d'y +aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur! Misère, tu +m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer près de moi +dans mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait +sortir de la tombe. Fantômes évoqués par la faim, terreurs +imbéciles, laissez-moi!... Murailles imprudentes +qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car s'il est en +vous un écho bavard qui répète les paroles de ma peur, +je vous démolirai pierre à pierre jusqu'à ce que je l'aie +arraché de vos entrailles, fût-il caché dans le ciment et +scellé dans le granit.... Ma mère, m'avez-vous appelé? +(<i>Il se lève tout à fait et se frotte les yeux.</i>) Meg, ma +mère! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je divague.... +J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse +semble me demander ce que j'ai fait du temps! Tu as +dormi, bête stupide!... Tu n'as pu lutter une heure ... +comme les disciples du Christ, tu as mal gardé le jardin +des Oliviers.—Jésus! tu bois en vain l'éternel calice +des douleurs humaines; ton père est sourd, ton frère +l'esprit saint a perdu ses ailes de feu. Le cerveau du +poëte est aride comme la terre, et le coeur des riches est +insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif aura plus +de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (<i>Il se +fait une incision à la poitrine; étouffe un cri et jette +le canif.</i>) Votre leçon est incisive, mon bon ami, elle +creusera en moi.... Passez-moi le calembour, mon esprit +ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite lame!... +Ah! me voici bien éveillé, Dieu merci! cette charmante +plaie me cuit passablement Je puis travailler maintenant.... +Mais qui donc a ainsi bouleversé ma table?... +Quelqu'un est entré ici.... Est-ce que j'aurais encore +peur?... Imbécile! tu es poltron, et pour te guérir, tu +répands deux onces de ton sang comme si tu en avais +de reste! et tu gâtes ta chemise comme si tu en avais +une autre! Faquin! perdras-tu tes habitudes de grand +seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans cette plaie +comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir +travailler. (<i>Mettant ses deux bras sur se tête.</i>) +Mon courage, mon Dieu! ma mère!... Il faut que j'aille +embrasser ma mère sans la réveiller, cela me portera +bonheur. (<i>Il prend sa lumière et sort.</i>) (<i>Il redescend +de la soupente d'un air effaré.</i>) Mais où est donc la +vieille femme? Ma mère! ma mère! Qu'est-ce qui a pu +me voler ma mère? Je n'avais qu'elle au monde pour +causer mon désespoir et conserver mon héroïsme. (<i>Il +trouvera sa mère sous l'escalier.</i>) Ah!... ma mère est +morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, à la fin!—Comment! +vous êtes morte, ma mère? (<i>Il la retire de +dessous l'escalier et la regarde.</i>) Oui, bien morte! +Froide comme la pierre et raide comme une épée. Ah! +ma mère est morte!... (<i>Il rit aux éclats et tombe en +convulsion.</i>) (<i>Après un silence.</i>)</p> + +<p>Mais pourquoi êtes-vous déjà morte? Vous étiez bien +pressée d'en finir avec la misère! Est-ce que je ne vous +soignais pas bien? Étiez-vous mécontente de moi? Trouviez-vous +que j'épargnais ma peine et que je ménageais +mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, +et les critiques de mes envieux vous faisaient-elles +rougir d'être la mère d'un si méchant rimeur? Vous étiez +un <i>bas-bleu</i> autrefois dans votre village!... Aujourd'hui +vous n'êtes plus qu'un pauvre squelette aux jambes nues. +Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppés encore +ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la +doublure était usée et l'étoffe mince? C'est comme l'étoffe +dont vous m'avez fait, ô vieille Meg! J'étais votre septième +fils; tous étaient beaux et grands, musculeux et +pleins d'ardeur, excepté moi le dernier venu. C'étaient +de vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches +aux flancs bruns; et pourtant, depuis Dougal le +Noir jusqu'à Ryno le Roux, tous sont partis sans songer +à vous conduire au cimetière. Il ne vous est resté que +le pauvre Aldo, le pâle enfant de votre vieillesse, le fruit +débile de vos dernières amours. Et que pouvait-il faire +pour vous de plus qu'il n'a fait? que ne lui donniez-vous +comme à vos autres fils une large poitrine et de mâles +épaules! Cette petite main de femme que voici pouvait-elle +manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier? +Pouvait-elle soulever la rame du pêcheur et +boxer avec l'esturgeon? Vous n'aviez rien espéré de +moi, et, me voyant si chétif, vous n'aviez même pus daigné +me faire apprendre à lire!—Et quand tous vous +ont manqué, quand vous vous êtes trouvée seule avec +votre avorton, n'avez-vous pas été surprise de découvrir +que je ne sais quel coin de son cerveau avait retenu et +commenté les chants de nos bardes! Quand cette voix +grêle a su faire entendre des mélodies sauvages qui ont +ému les hommes blasés des villes, et qui leur ont rappelé +des idées perdues, des sentiments oubliés depuis +longtemps, vous avez embrassé votre fils sur le front, +sanctuaire d'un génie que vous aviez enfanté sans le savoir. +Eh bien! ne pouviez-vous attendre quelques jours +encore? La richesse allait venir peut-être. Votre vieillesse +allait s'asseoir dans un palais, et vous êtes partie +pour un monde où je ne puis plus rien pour vous. Tâchez, +si vous allez en purgatoire, que les bras de mes frères +vous délivrent et vous ouvrent les portes du ciel.... Pour +moi, je n'ai plus rien à faire, ma tâche est finie. Toutes +les herbes de la verte Innisfail peuvent pousser dans mon +cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est temps +que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille +femme, spectre blême, dont le souvenir sacré m'a fait +accomplir de si rudes travaux, apprendre tant de choses +ardues, passer tant de nuits glacées sans sommeil et sans +manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour toi, je +n'aurais jamais été rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au +moment où j'allais être quelque chose? Tu m'ôtes une +récompense que je méritais; c était de te voir heureuse, +et tu meurs dans le plus odieux jour de notre misère, +dans la plus rude de mes fatigues! O mère ingrate, +qu'ai-je fait pour que tu m'ôtes déjà mon unique désir +de gloire, ma seule espérance dans la vie, l'honnête orgueil +d'être un bon fils!... Vieux sein desséché qui as +allaité six hommes et demi, reçois ce baiser de reproche, +de douleur et d'amour.... ( <i>Il se jette sur elle en sanglotant.</i>)—Hélas! +ma mère est morte!</p> + +<br> + + +<h3>SCÈNE III.</h3> + +<p class="c">JANE, ALDO.</p> +<br> + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Est-ce que votre mère est morte! Hélas! quelle douleur!</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois +la bienvenue! Mon âme est brisée, je n'espère plus qu'en +toi.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis +pas rendre la vie à votre mère.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Tu peux me rendre sa tendresse, sa mélancolique et +silencieuse compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait +de moi, le devoir qui m'attachait à elle et à la vie. Hélas! +il y a eu des jours où, dans mon découragement, j'ai +souhaité que la pauvre Meg arrivât au terme de ses +maux, afin de retrouver la liberté de me soustraire aux +miens! Tout à l'heure, dans mon délire, je me suis réjoui +amèrement d'être enfin délivré de mon pieux fardeau. +Je me suis assis en blasphémant au bord du chemin. +Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.—Mais je suis bien +jeune encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est +peut-être pas fini pour moi; l'avenir peut s'éveiller plus +beau que le passé. Je veux devenir riche et puissant; si +je trouve une douce compagne, tendre et bonne comme +ma mère, et en même temps jeune et forte pour supporter +les mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer +comme un doux breuvage d'oubli au milieu de mes détresses, +je puis encore voir la verte espérance s'épanouir +comme un bourgeon du printemps sur une branche engourdie +par l'hiver.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>J'aime beaucoup les choses que vous dites, ô mon bien-aimé! +Quoique vos paroles ne soient pas familières à mon +oreille, vos compliments me font toujours regretter de +n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je suis +belle autant que vous le dites.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et que vous importe de l'être ou de ne l'être pas, +pourvu que je vous voie ainsi et que je vous aime telle +que vous êtes à mes yeux et dans mon coeur!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Vous avez toujours à la bouche des paroles qui plaisent +quand on les écoute; mais quand on y songe après, +on ne les comprend plus et on sent de l'inquiétude.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En vérité, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. +Eh quoi! vous gardez un compte exact de mes paroles +et vous les commentez en mon absence? Il faut prendre +garde à ce que l'on vous dit!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; +je suis amer: j'ai été si malheureux! Mais tu me consoleras, +toi, n'est-ce pas?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Oui, mon beau rêveur, si vous consentez à être consolé.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voilà une +parole étrange dans votre bouche!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Vous vous étonnez de mon désir de vous consoler? +C'est vous, Aldo, qui me semblez étrange!</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En effet, c'est peut-être moi! Passez-moi ces boutades, +c'est malgré moi qu'elles me viennent. Je ne veux pas +m'y livrer. Donnez-moi votre main, Jane, et donnez-moi +aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma +pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour +moi, pour moi seul. J'ai besoin à l'heure qu'il est de +trouver un appui ou de mourir. Vous êtes mon seul et +dernier espoir; m'accueillerez-vous?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous +de m'épouser?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous en doutez?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Non, je n'en doute pas.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Mais vous en avez douté..</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous éloignez-vous +de moi d'un air sombre? Est-ce que je vous +ai offensé?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Non.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Vous ne vous voulez pas me regarder?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure +qui m'occupe, c'est au fond de votre coeur que mon regard +plonge.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Voilà que vous me dites des choses que je n'entends +plus; et, comme vous froncez le sourcil en me les disant, +je dois croire que ce sont des choses dures et affligeantes +pour moi. Vous avez un malheureux caractère, Aldo, un +sombre esprit, en vérité!</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous trouvez?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Oui, et j'en souffre.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Je vous pardonne.</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>avec amertume</i>.</p> + +<p>Vous êtes bonne!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>C'est que je vous aime; tâchez de m'aimer autant, et +nous serons heureux.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonté +d'appeler les voisines pour qu'elles viennent ensevelir +le corps de ma mère?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>J'y vais. Donnez-moi un baiser. (<i>Aldo la baise au +front avec froideur.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>seul</i>.</p> + + +<p>Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidité! elle +me blesse et me choque sans s'en douter, elle m'accorde +mon pardon quand c'est elle qui m'offense, et elle reçoit +mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes lèvres que +c'est le dernier! Mais la femme est donc un être bien +lâche et bien borné! Je croyais celle-ci plus naïve, plus +abandonnée à ce que la nature leur inspire parfois de +beau et de généreux! Mais il y a dans le coeur un fonds +d'égoïsme plus dur que le diamant, et aucun grand sentiment +n'y peut germer. Toi qui te prétends descendue +des cieux pour nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-même +dans le partage que tu veux établir entre nos destinées +et les tiennes! Tu promets ton dévouement, tes +caresses et ta fidélité, à la condition d'un échange semblable. +Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui +était sur mes lèvres, et que j'aurais voulu offrir et non céder. +C'est ainsi que tu nous sauveras, ange équitable et +prudent. Tu tiens une balance comme la justice, mais tu +as soulevé le bandeau de l'amour, et tu vois clairement +nos défauts pour nous les reprocher sans pitié. Rien pour +rien, c'est ta devise! Où est ta miséricorde, où est ton +pardon, où donc tes ineffables sacrifices? Femme! mensonge! +tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre, un +rêve. Les poëtes t'ont créée, ton fantôme est peut-être +au ciel. Il m'a semblé parfois te voir passer dans mes +nuées. Insensé que j'étais, pourquoi suis-je descendu sur +la terre pour te chercher?</p> + +<p>Maintenant je sais ce qu'il me reste à faire. Ma mère, +je ne te pleure plus, nous ne serons pas longtemps séparés. +Je laisse à d'autres le soin d'ensevelir ta dépouille, +je vais rejoindre ton âme... J'ai bien assez tardé, mon +Dieu! il y a assez longtemps que j'hésite au bord du +gouffre sans fond de l'éternité! Pourquoi ai-je tremblé?... +tremblé! Est-ce que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?... +Non, c'est le devoir.—Et pourtant tout à l'heure que +faisais-tu lorsque tu priais, à genoux, cette jeune fille de +conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne devais +plus rien à personne, et tu voulais vivre pourtant! lâche +enfant! tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir, +tu demandais l'amour avec des larmes! Tu les demandais +à une paysanne imbécile, quand c'est dans un +monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrête? +est-ce le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le +désespoir? Là-haut l'incertitude, ici la réalité. Le choix +peut-il être douteux? Va donc, Aldo! descends dans ces +vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces insaisissables. +Que Dieu te protège, si tu en vaux la peine; +qu'il te rende au néant, si ton âme n'est qu'un souffle +sorti du néant!...</p> + +<p>Adieu, grabat où j'ai si mal dormi! adieu, table dure +et froide où j'ai tracé des vers brûlants! adieu, front +livide de ma mère, où j'ai tant de fois interrogé avec +anxiété les ravages de la souffrance et les dernières +luttes de la vie prête à s'éteindre! Adieu, espérances de +gloire; adieu, espérances d'amour, vous m'avez menti, +je romps les mailles du filet où vous m'avez tenu si longtemps +captif et ridicule! je vais me relever à mes propres +yeux, je vais briser un joug dont je rougis... Adieu. +(<i> Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur le +fleuve et descend les degrés. Une barque pavoisée +passe au même moment.</i>)</p> + + +<p class="c">AGANDECCA, <i>sur la barque</i>.</p> + +<p>Quel est ce jeune homme si pâle et si beau qui descend +vers le fleuve et semble vouloir s'y précipiter?</p> + + +<p class="c">TICKLE, <i>sur la barque</i>.</p> + +<p>C'est un homme de rien, un rêveur, un fou, un misérable.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Je veux savoir son nom.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est Aldo le rimeur.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Aldo le barde! ses chants sont inspirés, sa voix est +celle d'un poète des anciens jours. La beauté de son génie +ne le cède qu'à celle de son visage. Je veux lui parler.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui +répondra fort mal aux bontés de Votre Grâce.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix. +Faites aborder la barque au bas de cet escalier. ( <i>Tickle +donne des ordres en grommelant. La barque vient +aborder aux pieds d'Aldo.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Qui êtes-vous, et que demandez-vous à la porte de +cette pauvre maison?</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Je suis la reine, et je viens te voir.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Votre Grâce arrive une heure trop lard, la maison est +déserte. Ma mère est morte, et je ne repasserais pas le +seuil que je viens de franchir, fut-ce pour la reine Mab +elle-même.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma +barque.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Madame, où me menez-vous?</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>A la promenade.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Votre promenade sera-t-elle longue?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Que sais-je?</p> + +<br><br><br> + + +<h2>ACTE SECOND.</h2> + +<p class="c">Dans une galerie du palais de la reine.</p> +<br> + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE.</h3> + +<p class="c">LA REINE, TICKLE.</p> +<br> + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fâche, et +je ne veux pas entendre de mal de lui.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Comment Votre Grâce peut-elle me supposer une si +coupable intention! Le seigneur Aldo est un si grand +poëte et un si noble cavalier!</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oui, c'est le plus beau génie et le plus grand coeur! Je +ne lui reproche qu'une chose, son invincible orgueil.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Sous une apparence d'humilité, je sais qu'il cache +une épouvantable ambition...</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que +l'ambition d'être aimé.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est une belle et touchante ambition!</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante. +Un mot l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une +ombre; il n'y a pas de calme possible dans son amour.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Cet amour-là est une tyrannie, une guerre à mort, +un combat éternel!</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur +des hommes. Je lui reproche, au contraire, de trop +renfermer au dedans de lui les chagrins que je lui cause. +Au lieu de s'en plaindre franchement, il les concentre, +il les surmonte, et, avec toute cette résignation, tout ce +courage, toute cette douceur, il dévore sa vie, il use son +coeur, il est malheureux.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Infortuné jeune homme! Votre Grâce devrait avoir plus +de compassion, lui épargner...</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais de quoi se plaint-il, après tout? Son coeur est +injuste, son esprit est plein de travers, d'inconséquences, +de souffrances sans sujet et sans remède. Que puis-je +faire pour un cerveau malade? Je l'aime de toute mon +âme et lui épargne la douleur tant que je puis; mais le +mal est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pâle et +sombre, à mes côtés, je l'ai pris pour l'ange de la douleur.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Le spectacle d'un homme toujours mécontent doit être +un grand supplice pour une âme généreuse comme celle +de Votre Grâce.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me +blesse et m'irrite. Quoi de plus décourageant que de +vouloir consoler un inconsolable? C'est se consumer +jeune et pleine de santé auprès du lit d'un moribond qui +ne peut ni vivre ni mourir.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Votre Grâce a fait pourtant bien des sacrifices pour +lui. De quoi pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracié +pour lui le duc de Suffolk, l'astre le plus brillant +de la cour?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus!</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Il n'avait jamais d'ailleurs été bien aimable.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Il ne faut pas dire cela; c'était un homme d'esprit et +plein de nobles qualités.</p> + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Oh! oui, généreux, brave, désintéressé!...</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Ceci est faux; il était plus épris de mon rang que de +ma personne.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est le malheur des rois.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Et c'est ce qui me fait chérir l'amour de mon poëte: +lui du moins m'aime pour moi seule. Il sait à peine si je +suis reine. Il n'en est point ébloui; même il en souffre, +et je crois qu'il me le pardonne.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Votre Grâce est-elle bien sûre que dans son orgueil de +poëte il ne préfère point sa condition à celle d un roi?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poëte est la plus +belle des couronnes, la plume d'un grand écrivain est un +sceptre plus puissant que les nôtres. Moi, j'aime qu'un +esprit supérieur sache ce qu'il est et ce qu'il peut être; +c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Aussi je crois que le poëte Aldo est réservé à de hautes +destinées. Il est digne de commander aux hommes, et +un mot de Voire Grâce pourrait l'élever au véritable rang +qu'il est né pour occuper....</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Si je ne te savais profondément hypocrite, ô mon cher +Tickle, je le dirais que tu es parfaitement imbécile. Qui? +lui! être mon époux! régner! D'abord le sceptre jusqu'ici +ne m'a pas semblé trop lourd à porter; ensuite +Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais +supposer capable de me seconder. Personne ne connaît +moins les autres hommes, personne n'a d'idées plus +creuses, de sentiments plus exceptionnels, de rêves plus +inexécutables. Vraiment! mon peuple serait un peuple +bien gouverné! il pourrait chanter beaucoup et manger +fort peu, ce qui ne laisserait pas que d'être fort agréable, +le jour où le poëte-roi aurait découvert le moyen de placer +l'estomac dans les oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu +n'as pas le sens commun aujourd'hui.</p> + + +<p class="c">TICKLE, <i>sortant</i>.</p> + +<p>Fort bien, j'ai réussi à la fâcher; j'étais bien sur qu'en +disant comme elle, je l'amènerais à dire comme moi.</p> + +<br><br> + + +<h3>SCÈNE II.</h3> + + +<p class="c">LA REINE, seule.</p> + +<p>Ce Tickle est un fâcheux personnage; il a une manière +d'entrer dans mes idées qui m'en dégoûte sur-le-champ. +Ces prétendus bouffons, que nous ayons autour de nous, +sont comme nos mauvais génies, laids et méchants; ils +tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la vérité +qui nous blesse,. et de nous taire celle qui nous serait +utile. Quand ils ne mentent pas, c'est que leur mensonge +pourrait nous épargner une douleur ou nous sauver d'un +péril; c'est alors seulement qu'ils se refusent Je plaisir +de nous tromper. Il faut que je voie mon poëte, je me +sens attristée et prête à douter de tout. L'homme aux illusions +me consolera peut-être. (<i>Elle siffle dans un +sifflet d'argent suspendu à son cou</i>.) (<i>Tickle rentre</i>.) +Nain, envoyez Aldo près de moi, je l'attends ici.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>J'y cours avec joie.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Après tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit +que cet amour nuit à ma gloire. Le duc de Suffolk m'était +moins cher, je l'estimais moins, j'étais moins touchée +de son amour; mais son esprit, moins élevé, était +plus positif; c'était un ambitieux, mais un ambitieux +qui secondait toutes mes vues. J ai aimé autrefois le +brave Athol. Celui-là était un beau soldat, un bon serviteur, +un véritable ami; du reste, un montagnard stupide; +mais il était l'appui de ma royauté, il la rendait +redoutable au dehors, paisible au dedans; c'était comme +une bonne arme bien trempée et bien brillante dans ma +main. Ce poëte est dans mon palais comme un objet de +luxe, comme un vain trophée qu'on admire et qui ne +sert à rien. Un vêtement d'or vaut-il une cuirasse d'acier? +On aime à respirer les roses de la vallée, mais on +est à l'abri sous les sapins de la montagne.</p> + +<p>Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave! +Qu'il est doux de se reposer des soucis de la vie active +sur un coeur sincère et fidèle! Qu'ils sont rares, ceux +qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes toujours +embrasés, ils se consument en montant vers le +ciel. Nous pouvons à toute heure chercher sur leur autel +la chaleur qui manque à notre âme épuisée, nous la +trouvons toujours vive et brillante. Leur sein est un mystérieux +sanctuaire où le feu sacré ne s'éteint jamais; s'il +s'éteignait, le temple s'écroulerait comme un monde sans +soleil. L'amour est en eux le principe de la vie. Ils pâlissent, +ils souffrent, ils meurent, si on froisse leur tendresse +délicate et timide. Dites un mot, accordez un regard, +ils renaissent, leur sein palpite de joie, leur bouche +a de douces paroles de reconnaissance pour bénir, +et leurs caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi +qui saches aimer, et pourtant il est des jours où tu m'ennuies +mortellement.</p> + +<br><br> + + +<h3>SCÈNE III.</h3> + +<p class="c">LA REINE, ALDO.</p> +<br> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Que veux-tu de moi, ma bien-aimée?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Je voulais te voir et être avec toi.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Êtes-vous triste, êtes-vous fatiguée? Voulez-vous que +je chante? Que puis-je faire pour vous?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Êtes-vous heureux?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je le suis, parce que vous m'aimez.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me répondez +pas? Déjà votre visage est changé, des larmes +roulent dans vos yeux, ma question vous a offensé?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Offensé?—Non.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Affligé?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Oui.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Si vous êtes triste, vous allez me rendre triste.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>J'essaierai de ne pas l'être; mais, quand vous avez +besoin de distraction et de gaieté, pourquoi me faites-vous +appeler? Ce n'est pas ma société qui vous convient +dans ces moments-là. Votre nain Tickle a plus d'esprit +et de bons mots que moi.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais il est méchant et laid. J'aime la gaieté, mais c'est +un banquet où je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives +dignes de moi. Pourquoi méprisez-vous le rire? +Vous croyez-vous trop céleste pour vous amuser comme +les autres hommes?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je me sens trop faible pour professer le caractère jovial. +Quand je semble gai, je suis navré ou malade; le +bonheur est sérieux, la douleur est silencieuse. Je ne +suis capable que de joie ou de tristesse. La gaieté est un +état intermédiaire dont je n'ai pas la faculté, j'y arrive +par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire, +commandez le souper, faites danser sir John Tickle sur +la table; en voyant ses grimaces, en buvant du vin +d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en convulsion. +Mais ici, près de vous, de quoi puis-je me divertir? Je +vous regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous +me regardez avec bonté, je suis heureux; vous me raillez, +et je suis triste.</p> + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on +toujours vivre replié sur soi-même? L'amour est-il la +seule passion digne de vous?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable.</p> + + +<p class="c">LA REINE, <i>impatientée</i></p> + +<p>Alors vous êtes un pauvre sire; moi, je ne peux pas +toujours parler d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets +de joie ou de tristesse que le nuage qui passe dans le +ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de grands intérêts +dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais +des lois, je récompense la valeur, je punis le crime; +j'inspire la crainte, le respect, l'amour, la haine peut-être; +tout cela m'occupe; je vais d'une chose à une autre, +je parcours tous les tons de cette belle musique +dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet; +mais votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son. +Vous êtes beau et monotone comme la lune à minuit, +mon pauvre poëte.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>La lune est mélancolique. Il vous est bien facile de +fermer les fenêtres et d'allumer les flambeaux quand sa +lueur blafarde vous importune. Pourquoi allez-vous rêver +dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la brume +et le froid rayon des étoiles n'iront pas vous attrister +dans vos salles pleines de bruit et de lumière.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>J'entends: je puis m'étourdir dans de frivoles amusements +et vous laisser avec votre muse. C'est une société +plus digne de vous que celle d'une femme capricieuse +et puérile. Restez donc avec votre génie, mon cher poëte. +Les étoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre +doucement parmi les fleurs: rêvez, chantez, soupires. +La façade de mon palais s'illumine, et le son des instruments +m'annonce le repas du soir. J'y vais porter votre +santé à mes convives dans une coupe d'or, et parler de +vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici, +penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous +avec les sylphes. S'ils ne me trouvent pas indigne d'un +souvenir, parlez-leur de moi; et si, malgré cette nourriture +céleste, il vous arrive de ressentir la vulgaire nécessité +de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. +Au revoir.—Mais qu'est-ce donc? Vous avez baisé bien +tristement ma main, et vous y avez laissé tomber une +larme! Quoi! vous êtes triste encore? je vous ai encore +blessé? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon +cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous +aime tendrement, je vous préfère aux plus grands rois de +la terre. Faut-il vous le répéter à toute heure? ne le savez-vous +pas? Venez, que je baise votre beau front. Séchez +vos larmes et venez me rejoindre bientôt.</p> + +<br><br> + +<h3>SCÈNE IV.</h3> + + +<p class="c">ALDO, <i>seul</i>.</p> + +<p>Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu +et devant les hommes! Moi, je n'ai raison que devant +ma conscience. Je ne puis avoir d'autre juge que moi-même, +et ne puis me plaindre qu'à moi-même.—Car, +enfin, il ne dépend pas de moi d'être autrement. Tout +m'accuse d'affectation; mais on n'est pas affecté, on n'est +pas menteur avec soi-même. Je sais bien, moi, que je +suis ce que je suis. Les autres sont autres, et ne me +comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car moi +je ne nie pas leur sincérité; ils me disent qu'ils sont +courageux, je pourrais leur répondre qu'ils sont insensibles. +Mais j'accepte ce qu'ils me disent, je consens à les +reconnaître courageux. Mais s'ils le sont, pourquoi me +reprochent-ils impitoyablement de ne l'être pas? Si j'étais +Hercule, au lieu de mépriser et de railler les faibles enfants +que je trouverais haletants et pleurants sur la +route, je les prendrais sur mes épaules, je les porterais, +une partie du chemin, dans ma peau de lion. Que serait +pour moi ce léger fardeau, si j'étais Hercule?—Voua +ne l'êtes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui. +Elle ne vous révolte pas, elle vous effraie. Vous craignez +d'être forcés de la secourir, et, comme vous ne le +pouvez pas, vous l'humiliez pour lui apprendre à se passer +de vous.</p> + +<p>Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de +corps, faible d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi; +je préfère ce que j'aime à moi-même.—Quand je veux +suivre la chasse, j'en suis vite dégoûté, parce que je suis +vite fatigué.—Quand on me raille, ou me blâme, je suis +effrayé, parce que je crains de perdre les affections dont +je ne puis me passer, parce que je sens que je suis méconnu, +et que j'ai trop de candeur pour me réhabiliter +en me vantant. Avec les hommes, il faudrait être insolent +et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes faiblesses +et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses +des autres et n'en suis pas révolté. Je les supporte tels +qu'ils sont. Je ne repousse pas les plus méprisables, je +les plains, et, tout faible que je suis, j'essaie de soutenir +et de relever ceux qui sont plus faibles encore. Pourquoi +ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la +pareille?</p> + +<p>—Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne +te nie pas; peut-être te manifesteras-tu à moi dans une +autre vie. J'espère en la mort.</p> + +<p>Mais ici tu ne te révèles pas. Tu nous laisses souffrir +et crier en vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprimé, +tu ne punis pas le méchant. J'accepte tout, mon Dieu! +et je dis que c'est bien, puisque c'est ainsi. Suis-je impie, +dis-moi?</p> + +<p>Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie +de moi-même. Conscience, voix du ciel cachée en moi, +comme le son mélodieux dans les entrailles de la harpe, +je te prends à témoin, je te somme de me rendre justice. +Ai-je été lâche? ai-je lutté contre le malheur? ai-je supporté +la misère, la faim, le froid? ai-je abandonné ma +mère lorsque tout m'abandonnait, même la force du +corps? ai-je résisté à l'épuisement et à la maladie? ai-je +résisté à la tentation de me tuer?—Où est le mendiant +que j'aie repoussé? où est le malheureux que j'aie refusé +de secourir? où est l'humilié que je n'aie pas exhorté à +la résignation, rappelé à l'espérance? J'ai été nu et affamé. +J'ai partagé mon dernier vêtement avec ma mère +aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec +mon chien efflanqué. J'ai toujours pris en sus de ma part +de souffrances une part des souffrances d'autrui; et ils +disent que je suis lâche, ils rient de la sensibilité niaise +du poëte! et ils ont raison, car ils sont tous d'accord, ils +sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les +autres.</p> + +<p>Je suis seul, moi! et j'ai vécu seul jusqu'ici. Suis-je +lâche? J'ai eu besoin d'amitié, et, ne l'ayant point trouvée, +j'ai su me passer d'elle. J'ai eu besoin d'amour, et, +n'en pouvant inspirer beaucoup, voilà que j'accepte le +peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille. +Je pleure tout bas, et l'on me méprise.</p> + +<p>C'est donc une lâcheté que de souffrir? C'est comme +si vous m'accusiez d'être lâche parce qu'il y a du sang +dans mes veines et qu'il coule à la moindre blessure. +C'est une lâcheté aussi que de mourir quand on vous +tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris +mon parti sur les railleries de mes compagnons? N'avais-je +pas consenti à montrer mon front pâle au milieu +de leurs fêtes et à passer pour le dernier des buveurs? +N'avais-je pas livré mes vers au public, sachant bien +que deux ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux +ou trois mille qui me traiteraient de rêveur et de fou? +Après avoir souffert du métier de poëte en lutte avec la +misère et l'obscurité, j'avais souffert plus encore du métier +de poëte aux prises avec la célébrité et les envieux! +Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne +trouvant pas le bonheur dans la richesse et dans ce qu'on +appelle la gloire, je m'étais réfugié dans le coeur d'une +femme, et j'espérais. Celle-là, me disais-je, est venue +me prendre par la main au bord du fleuve où je voulais +mourir. Elle m'a enlevé sur sa banque magique, elle m'a +conduit dans un monde de prestiges qui m'a ébloui et +trompé, mais où, du moins, elle m'a révélé quelque +chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si les vains +fantômes de mon rêve se sont vite évanouis, c'est qu'elle +était une fée, et que sa baguette savait évoquer des mensonges +et des merveilles, mais elle est une divinité bienfaisante, +cette fée qui me promène sur son char. Elle +m'a leurré de cent illusions pour m'éprouver ou pour +m'éclairer. Au bout du voyage, je trouverai derrière son +nuage de feu, la vérité, beauté nue et sublime que j'ai +cherchée, que j'ai adorée à travers tous les mensonges +de la vie, et dont le rayon éclairait ma route au milieu +des écueils où les autres brisent le cristal pur de leur +vertu. Fantômes qui nous égarez, ombres célestes que +nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites +courir après vous sans regarder où nous mettons les +pieds, pourquoi revêtez-vous des formes sensibles, pourquoi +vous déguisez-vous en femmes? Appelez-vous la vérité, +appelez-vous la beauté, appelez-vous la poésie; ne +vous appelez pas Jane, Agandecca, l'amour.</p> + +<p>Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour être +mieux traité que les autres? Pourquoi cette insolente +ambition d'être heureux? Pourquoi n'es-tu pas fier de +ton laurier de poëte et de l'amour d'une reine? Et si cela +ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la +réalité d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk +était aimé de la reine; il voulait plus que partager sa +couche, il voulait partager son trône. Athol fut aimé de +la reine; il s'ennuyait souvent près d'elle, il désirait la +gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui +semblait préférable à tout. Suffolk, Athol, vous étiez +des ambitieux, mais vous n'étiez pas des fous; vous désiriez +ce que vous pouviez espérer; la puissance, la victoire, +l'argent, l'honneur, tout cela est dans la vie; +l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La +reine a chassé Suffolk; mais il règne sur une province, +et il est content. Athol a été disgracié; mais il commande +une armée, et il est fier.</p> + +<p>Moi, que puis-je aimer après elle? rien. Où est le but +de mes insatiables désirs? dans mon coeur, au ciel, nulle +part peut-être? Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable +au mien, qui me réponde; ce coeur n'existe pas. +On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me le +vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On +s'amuse de ma passion comme d'une chose singulière, +on la regarde comme un spectacle, et quelquefois l'on +s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus souvent +on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On +m'admire, on me recherche et on m'écoute, parce que +je suis un poëte; mais quand j'ai dit mes vers, on me +défend d'éprouver ce que j'ai raconté, on me raille d'espérer +ce que j'ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on, +et gardez vos églogues pour les réciter devant le monde; +soyez homme avec les hommes, hissez donc le poëte +sur le bord du lac où vous le promenez, au fond du cabinet +où vous travaillez.—Mais le poëte, c'est moi! Le +coeur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis +l'arracher de mes entrailles. Je ne puis étouffer dans +mon sein l'ange mélodieux qui chante et qui souffre. +Quand vous l'écoutez chanter, vous pleurez; puis vous +essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon rôle +cesse avec votre émotion: aussitôt que vous cessez d'être +attentifs, il faut que je cesse d'être inspiré. Qu'est-ce +donc que la poésie? Croyez-vous que ce soit seulement +l'art d'assembler des mots?</p> + +<p>Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous +avez raison! vous êtes reine, vous êtes belle, vous êtes +ambitieuse et forte. Votre âme est grande, votre esprit +est vaste. Vous avez une belle vie; en bien! vivez. Changez +d'amusement, changez de caractère vingt fois par +jour; vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blâme +pas; et, si je vous aime, c'est peut-être parce que je +vous sens plus forte et plus sage que moi. Si je suis heureux +d'un de vos sourires, si une de vos larmes m'enivre +de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des +bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez +me refuser. Moi, quel mérite ai-je à vous aimer? je +ne puis faire autrement. De quel prix est mon amour? +l'amour est ma seule faculté. A quels plaisirs, à quels +enivrements ai-je la gloire de tout préférer? Rien ne +m'enivre, rien ne me plaît, si ce n'est vous. La moindre +de vos caresses est un sacrifice que vous me faites, puisque +c'est un instant que vous dérobez à d'autres intérêts +de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous êtes +mon autel et mon Dieu, et je suis moi-même l'offrande +déposée à vos pieds.</p> + +<p>Si je suis mécontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en +prendre de mes souffrances? Si je pouvais me plaindre, +m'indigner, exiger plus qu'on ne me donne, j'espérerais. +Mais je n'espère ni ne réclame; je souffre.</p> + +<p>Eh bien, oui, je souffre et je sais mécontent. Pourquoi +ai-je voulu vivre? Quelle insigne lâcheté m'a poussé +à tenter encore l'impossible? Ne savais-je pas bien que +j'étais seul de mon espèce et que je serais toujours ridicule +et importun? Qu'y a-t-il de plus chétif et de plus misérable +que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui +souffre est un fléau! c'est un objet de tristesse et de dégoût +pour les autres! c'est un cadavre qui encombre la +voie publique, et dont les passants se détournent avec +effroi. Etre malheureux, c'est être l'ennemi du genre +humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur +compte, et celui qui ne sait pas vivre pour lui-même est +un voleur qui dépouille ou un mendiant qui assiège.</p> + +<p>Meurs donc, lâche! il est bien temps d'en finir! tu +t'es bien assez cabré sous la nécessité! Tes flancs ont +saigné, et tu n'as pas fait un pas en avant! Résigne-toi +donc à mourir sans avoir été heureux!...</p> + +<p>Hélas! hélas! mourir, c'est horrible!... Si c'était seulement +saigner, défaillir, tomber!... mais ce n'est pas +cela. Si c'était porter sa tête sous une hache, souffrir la +torture, descendre vivant dans le froid du tombeau! +mais c'est bien pis: c'est renoncer à l'espérance, c'est +renoncer à l'amour; c'est prononcer l'arrêt du néant sur +tous ces rêves enivrants qui nous ont leurrés, c'est renoncer +à ces rares instants de volupté qui faisaient pressentir +le bonheur, et qui l'étaient peut-être!</p> + +<p>Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas +assez, n'est-ce pas trop! Agandecca, vous m'avez dit +des mots qui valaient une année de gloire, vous m'avez +causé des transports qui valaient mieux qu'un siècle de +repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui +effacera toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi +un instant le roi de la terre et du ciel!</p> + +<p>Mais pourquoi retomber toujours dans l'abîme de +douleur? pourquoi chercher ces joies si elles doivent finir +et si je ne sais pas y renoncer? Les autres se lassent +et se fatiguent de leurs jouissances: moi, la jouissance +m'échappe et le désir ne meurt pas! O amour! éternel +tourment!... soif inextinguible!</p> + +<p>Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et, +si je le puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra +plus malheureux. Je ne saurai pas vivre sans aimer. +L'amour ou l'amitié ne me paieront pas ce que je dépenserai +de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je +pu vivre jusqu'ici? Je ne le conçois pas. Suis-je le plus +courageux ou le plus lâche de tous les hommes?—Je ne +sais pas; et comment le savoir?—Celui qui souffre pour +donner du bonheur aux autres... oui, celui-là est brave... +mais celui qui souffre et qui importune, celui qui veut du +bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! décidément +je suis un lâche! comment ne m'en suis-je pas convaincu +plus tôt? (<i>Il tire son épée</i>). Lune... brise du soir!... +Tais-toi, poëte, tu n'es qu'un sot. Qu'est-ce qui mérite +un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un regret? (<i>Il +va pour se tuer.</i>)</p> + +<br><br> + +<h3>SCÈNE V.</h3> + + +<p class="c">LE DOCTEUR ACROCERONIUS, <i>entrant</i>.</p> + +<p>Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude +singulière?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas +déranger pour moi. Puis-je vous rendre quelque +service après votre mort?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS</p> + +<p>Je suis fâché que vous preniez cette résolution avant le +coucher de la lune.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pourquoi?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez +une des plus belles éclipses de lune que nous ayons eues +depuis longtemps.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Il y a une éclipse de lune?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera +tellement visible, que je m'étonne de rencontrer un +homme aussi indifférent que vous à cet important phénomène.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En quoi cela peut-il m'intéresser?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous +le ferai comprendre.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas disposé +à marcher, et j'aime mieux me passer mon épée au +travers du corps.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Faites ce qui vous convient, et ne vous gênez pas devant +moi. Cependant j'aurais été flatté d'avoir votre compagnie +durant ma promenade.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En quoi pourrais-je vous être utile! La solitude convient +mieux à vos savantes élucubrations. Je ne suis +qu'un pauvre poëte, peu capable de raisonner avec vous +sur d'aussi graves matières.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>La société des poëtes m'a toujours été fort agréable. +Les poëtes sont de très-intelligents observateurs de la nature. +Ils sont faibles sur les classifications, mais ils ont +beaucoup de netteté dans l'observation. Ils possèdent +l'appréciation juste de la couleur et de la forme, et quelquefois +ils remarquent des rapports qui nous échappent; +des nuances presque insaisissables leur sont révélées +par je ne sais quel sens qui nous manque. Je suis sûr +que vous me feriez voir des choses dont je sais l'existence, +et que pourtant je n'ai jamais pu observer à +l'oeil nu.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Les savants sont poëtes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont +pas besoin, comme nous, d'observer pour voir. Ils savent +tant de choses, qu'ils peuvent peindre la nature +sans la regarder, comme on fait de mémoire le portrait +de sa maîtresse. Ils peuvent nous initier à plus d'un +mystère dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche +vêtement qui couvre les beautés nues sous l'oeil de la +science. Je suis fâché, mon cher maître, d'avoir vécu +longtemps sous le même toit que vous, sans avoir songé +à profiter de votre entretien.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Si vous n'êtes pas forcé absolument de vous tuer ce +soir, vous pourriez venir avec moi sur la montagne de +Lego. Nous observerions l'éclipse de lune, nous causerions +sur toutes les choses connues; vous pourriez être +revenu et mort avant le lever de la reine.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous avez raison. Donnez-moi votre télescope et faisons +cette promenade ensemble. Vous m'apprendrez +beaucoup de choses que j'ignore. Je vous interrogerai +sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles, +sur l'écume que la lune répand à minuit dans les herbes, +sur les bruits qu'on entend la nuit... Avez-vous remarqué +cette grande voix aigre qui crie incessamment autour +de l'horizon, et qui est si égale, si continue, si monotone, +qu'on la prend souvent pour le silence?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>J'ai écrit précisément un petit traité in-4° sur ce dont +vous parlez; mais, pour bien vous le faire comprendre, +il faudrait sortir un peu du monde visible, et nous aventurer +dans des questions d'astrologie pour lesquelles vous +auriez peut-être quelque répugnance.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maître. +Je serais très-curieux d'avoir quelque notion sur cette +science étonnante. J'y ai songé quelquefois, et si les +préoccupations de mon esprit m'en avaient laissé le +temps, j'aurais pris plaisir à soulever un coin du voile +qui me cache cette mystérieuse Isis. Qui sait si la faiblesse +de l'homme ne peut trouver dans ces profondeurs +ignorées le secret du bonheur qu'elle cherche en vain +ici-bas? On est bientôt las et dégoûté d'analyser et d'interroger +les choses qui existent matériellement. Le +monde invisible n'est pas épuisé... et si je pouvais m'y +élancer...</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Venez avec moi, mon cher fils, et nous tâcherons de +bien observer la lune.</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>remettant son épée dans le fourreau</i></p> + +<p>Allons-nous bien loin sur la montagne?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez +de l'écume que répand la lune, voyez-vous, mon cher +fils, le règne végétal d'après toutes les classific.... (<i>ils +sortent en causant</i>.)</p> + +<br> +<p>GEORGE SAND</p> + +<br><br> + + +FIN D'ALDO LE RIMEUR. + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + +***** This file should be named 12862-h.htm or 12862-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/8/6/12862/ + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. 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Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Aldo le rimeur + +Author: George Sand + +Release Date: July 9, 2004 [EBook #12862] + +Language: French + +Character set encoding: ASCII + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + + + + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + + + + + + +ALDO LE RIMEUR + + + +PREFACE + +Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman et le drame de +_Chatterton_, personne ne pensera que j'aie eu la pretention d'imiter ce +modele, bien qu'une scene d'_Aldo le rimeur _presente quelques rapports +de situation avec le beau et dechirant monologue que M. de Vigny a mis +dans la bouche de son poete. Je ne me defendrais pas d'avoir ete inspire +par ce sujet, d'abord si le fait etait vrai, ensuite si ma pensee eut +ete la meme. Mais elle etait autre, et je ne songeais a peindre la +misere du poete que comme un accident, un des malheurs passagers de +sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre le poete +en general; une ame de poete quelconque, mobile, genereuse, ardente, +susceptible, inquiete, fiere et jalouse. Le second acte de ce petit +poeme dialogue montre le meme homme _non transforme_ qu'on a vu lutter +contre la faim et l'abandon au premier acte. De meme qu'un nouvel amour +a ete le denoument de cette premiere phase, l'amour de la science, ou +plutot une soudaine et vague revelation de la science, arrache une +seconde fois l'ame curieuse et _ondoyante_ du poete au degout de la +vie, a la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque je fis +paraitre ce fragment dans une Revue, completer la serie d'experiences et +de deceptions par lesquelles, apres avoir plusieurs fois rempli et vide +la coupe des illusions, Aldo devait arriver a briser sa vie ou a +se reconcilier avec elle. De nouvelles preoccupations d'esprit +m'emporterent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo oubliait la reine +Agandecca. Je n'ai jamais pense que l'interruption de cette esquisse +fut offensante ou prejudiciable pour aucun lecteur; mais, avant de la +remettre sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est la +qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensee, et beaucoup mieux +sans doute que je ne l'ai commence. + + + + +ALDO LE RIMEUR + + Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son + petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet, le soir + aupres de son feu, les pieds dans de tres-bonnes pantoufles. + _(Esprit des journaux.)_ + + + +PERSONNAGES. + +ALDO LE RIMEUR +MEG, sa mere. +JANE, jeune montagnarde. +LA REINE AGANDECCA. +TICKLE, nain de la reine. +MAITRE ACROCERONIUS, astrologue de la reine. + +La scene est a Ithona. + + + +ACTE PREMIER. + +Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait a une soupente; +au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait +nuit. + + + +SCENE PREMIERE. + +ALDO, TICKLE. +_(Aldo est assis le tete dans ses mains, les coudes sur la table. Un +frappe a la porte.)_ + + +ALDO. + +Qui frappe? + + +TICKLE, en dehors. + +Votre tres-humble serviteur. + + +ALDO. + +Lequel? + + +TICKLE. + +Votre ami. + + +ALDO. + +Que le diable vous emporte! vous etes un escroc. + + +TICKLE. + +Non, je suis votre ami et votre serviteur. + + +ALDO. + +Il est evident que vous venez me depouiller; mais je ne crains rien de +ce cote-la. Entrez. + + +TICKLE. + +Souffrez que je vous embrasse. + + +ALDO. + +Permettez-moi de vous mettre sur la table. + + +TICKLE, _sur la table._ + +Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur, depuis que nous ne +nous sommes vus? + + +ALDO. + +Mais.... tantot bien, tantot mal. Il s'est passe beaucoup de choses +depuis que je n'ai eu l'honneur de vous voir. + + +TICKLE. + +En verite, mon cher monsieur? + + +ALDO. + +Sur mon honneur! ce serait trop long a vous raconter. Il y a vingt ans +environ, car notre connaissance date de l'autre monde. + + +TICKLE. + +Vraiment? + + +ALDO. + +Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur de vous +rencontrer dans celui-ci. + + +TICKLE. + +Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez jamais vu? + + +ALDO. + +Non, sur mon honneur, mon cher ami. + + +TICKLE. + +Eh! mais, d'ou sortez-vous? ou vivez-vous? + + +ALDO. + +Je vis dans une taupiniere; mais vous, il est certain que, si j'en juge +par votre taille, vous sortez d'un trou de souris. + + +TICKLE + +Et c'est pour cela que vous devriez connaitre, ne fut-ce que de vue, le +celebre nain John Bucentor Tickle, bouffon de la reine. + +ALDO. + +Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance; vous passez +pour un homme d'esprit. + + +TICKLE. + +Je n'en manque pas, et vous pouvez deja vous en apercevoir a ma +conversation. + + +ALDO. + +Comment donc! j'en suis ebloui, stupefait et renverse! + + +TICKLE. + +Je vois que vous etes un homme de gout pour un poete. + + +ALDO. + +Et vous un homme hardi pour un nain. + + +TICKLE. + +Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres: ceux-la ne +causent qu'avec les poings; et moi, ce n'est pas ma profession. Je porte +des manchettes de dentelle, c'est mon gout. + + +ALDO. + +C'est un gout fort innocent. + + +TICKLE. + +Et qui a le suffrage des dames, generalement. Avec les dames, Monsieur, +comme avec les gens d'esprit, j'ai six pieds de haut, parce que sur ce +terrain-la on se bat a armes egales. + + +ALDO. + +Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je ne dis pas sur +mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je savoir ce qui me procure +l'honneur de votre visite? + + +TICKLE. + +Me permettez-vous d'etre assis? + + +ALDO. + +De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de siege; car cet escabeau +est le seul que je possede, et mon habitude n'est pas d'ecouter debout +ce que l'on vient me prier d'entendre. + + +TICKLE. + +Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en faut pas +davantage pour etre absolument a votre hauteur. + + +ALDO. + +J'en suis intimement persuade. (_Il s'assied; le nain se met a +califourchon sur la table, vis-a-vis de lui.)_ + + +TICKLE. + +Mon cher monsieur, vous etes poete? + + +ALDO. + +Pas le moins du monde, Monsieur. + + +TICKLE. + +Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais pour un certain +Aldo... _le rimeur_, comme on dit dans la ville, et _le barde_, comme on +dit a la cour. Vous avez peut-etre entendu parler de lui? C'est un jeune +homme qui n'est pas sans talent. + + +ALDO. + +Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme qui n'a pas plus de +talent que vous et moi. + + +TICKLE. + +Reellement? Eh bien, j'en suis fache pour lui. Je venais lui offrir mes +petits services. + + +ALDO. + +Il vous offre les siens egalement; vous savez en quoi ils peuvent +consister, puisque vous connaissez sa profession. Veuillez lui faire +connaitre la votre. + + +TICKLE. + +Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain. + + +ALDO. + +Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services Votre +Seigneurie peut daigner offrir a un miserable poete. + + +TICKLE. + +Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de tres-larges poches a mon +pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et, par suite d'une fantaisie +analogue, les poches dont j'ai l'honneur de vous parler sont toujours +pleines d'or. + + +ALDO. + +C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de neuf. + + +TICKLE. + +La votre me parait plus usee encore. + + +ALDO. + +De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de ma poche. + + +TICKLE. + +Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre bourse et de votre +credit. Croyez-moi, c'est une habitude de mauvais genre que de n'avoir +pas le sou. Or donc, voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez +besoin. + + +ALDO. + +Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure. + + +TICKLE. + +Vous etes trop modeste. Je connais votre position, le denument de +mistress Meg, votre mere, et son grand age. Je connais votre activite, +votre devouement, votre grandeur d'ame. Je vous offre un gain +legitime... Vous comprenez? Je ne viens pas faire ici le grand seigneur; +je viens vous proposer un echange, un marche qui ne peut qu'augmenter +votre gloire et vous mettra a meme de secourir mistress Meg. + + +ALDO. + +Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je fisse monter une +de vos jambes en flageolet, et me vendre l'autre pour en faire un +porte-crayon? + + +TICKLE. + +Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur que la plus +chetive de mes jambes, je vous demande un petit drame de votre facon. + + +ALDO. + +Pour qui, Monsieur? pour le theatre de la reine? + + +TICKLE. + +Pour moi, Monsieur. + + +ALDO. + +Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la force de +l'emporter! + + +TICKLE. + +J'allegerai mes poches d'une partie de l'or qui les charge, et je +prendrai votre manuscrit a la place. + + +ALDO. + +Tres-bien; et puis? + + +TICKLE. + +Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le ferai jouer sur +le theatre de la reine. + + +ALDO. + +Sous quel nom, je vous prie? + + +TICKLE. + +Sous le nom agreable de sir John Bucentor Tickle; c'est dans votre +interet que j'agirai ainsi et pour donner de la confiance au public. Si +l'autorite de mon nom ne suffisait pas a nous assurer sa bienveillance, +en cas de chute, nous reclamerions contre son injuste arret. + + +ALDO. + +En lui livrant le nom du veritable auteur? + + +TICKLE. + +C'est ainsi que cela se fait a la cour. + + +ALDO. + +Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant de me laisser +travailler au drame que vous me faites l'honneur de me demander. + + +TICKLE. + +Puis-je compter sur votre parole, Monsieur? + + +ALDO. + +Je m'en flatte. + + +TICKLE. + +Un mot de traite sera necessaire. + +ALDO. + +De tout mon coeur, j'en sais la redaction. (_Il ecrit._) Voulez-vous +signer maintenant? moi, je signe. + +TICKLE. + +Permettez-moi d'en prendre connaissance. (_Il lit._) "Je m'engage, moi, +Aldo de Malmor, dit _le rimeur_ a la ville et _le barde_ a la cour, a +jeter par les fenetres le tres-illustre seigneur John Bucentor Tickle, +nain et bouffon de la reine, la premiere fois qu'il franchira le seuil +de ma maison. Fait double entre nous, etc." Bravo! bravo! c'est la +premiere scene du drame! + +ALDO. + +Non, c'est un denoument tout pret et que je vous offre gratis. + +TICKLE. + +J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter a la reine, qui en sera +charmee. (_Il saute en bas de la table et s'enfuit._) Tu me le paieras! + +ALDO. + +Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous ma main. + + + + +SCENE II. + + +ALDO, _seul._ + +Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque jour m'amene un +assassin ou un voleur. Miserables! vous me reduisez a l'aumone, mais +vous n'aurez pas bon marche de ma fierte. Allons! ce fat m'a fait perdre +une demi-heure, remettons-nous a l'ouvrage. La nuit s'avance; je ne +serai plus derange. Tout est silencieux dans la ville et autour de moi. +Devorons cette nouvelle insulte; quand le brodequin est bon, le pied ne +craint pas de se souiller en traversant la boue. Ecrivons. + +[Illustration: Mon cher Monsieur, vous etes poete?... (Page 54 )] + +Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! lui donner mon +cerveau pour livre, mon coeur pour clavier, afin qu'il en joue a son +aise, et qu'il le jette apres l'avoir epuise en disant: Voici un mauvais +livre, voici un mauvais instrument. Ecrire! ecrire!... penser pour les +autres... sentir pour les autres... abominable prostitution de +l'ame! Oh! metier, metier, gagne-pain, servilite, humiliation!--Que +faire?--Ecrire? sur quoi?--Je n'ai rien dans le cerveau, tout est dans +mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur a manger pour un +morceau de pain, public grossier, bete feroce, amateur de tortures, +buveur d'encre et de larmes!--Je n'ai dans l'ame que ma douleur; il faut +que je te repaisse de ma douleur. Et tu en riras peut-etre! Si mon luth +mouille et detendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras que +toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de vrai, que je ne sens +pas mon mal... quand je sens la faim devorer mes entrailles! la faim, la +souffrance des loups! Et moi, homme d'intelligence et de reflexion, je +n'ai meme pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que +toutes les voix de l'ame se taisent devant le cri de l'estomac qui +faiblit et qui brule!--Si elles s'eveillent dans le delire de mes nuits +deplorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces +souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi +seul, il faut que je les recueille sur un album comme des curiosites qui +se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un amateur peut acheter pour +son cabinet. Il y a des boutiques ou l'on vend des singes, des tortues, +des squelettes d'homme et des peaux de serpent. L'ame d'un poete est une +boutique ou le public vient marchander toutes les formes du desespoir: +celui-ci estime l'ambition decue sous la forme d'une ode au dieu des +vers; celui-la s'affectionne pour l'amour trompe, rime en elegie; cet +autre rit aux eclats d'une epigramme qui partit d'un sein ronge par la +colere, d'une bouche amere de fiel. Pauvre poete! chacun prend une piece +de ton vetement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang; et +quand chacun a essaye ton vetement a sa taille, eprouve la force de tes +nerfs, analyse la qualite de ton sang, il te jette a terre avec quelques +pieces de monnaie pour dedommagement de ses insultes, et il s'en va, +se preferant a toi dans la sincerite de ses pensees insolentes et +stupides.--O gloire du poete, laurier, immortalite promise, sympathie +flatteuse, haillons de royaute, jouets d'enfants! que vous cachez mal +la nudite d'un mendiant couvert de plaies! Oh! meprisables! meprisables +entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que +celui-la, se font poetes pour le public! Miserables comediens qui +pourriez jouer le role d'hommes, et qui montez sur un treteau pour faire +rire et pleurer les desoeuvres! n'avez-vous pas la force de vivre en +vous-memes, de souffrir sans qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on +vous regarde? Il vous faut un auditoire pour admirer vos pueriles +grandeurs, pour compatir a vos douleurs vulgaires! Celui qui est ne +fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcement la vocation +hereditaire; il accomplit sa triste et honteuse destinee. S'il en +triomphe, s'il s'eleve seulement au niveau des hommes ordinaires, qu'il +soit loue et encourage! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits, +hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la +science pour vous occuper, des bras pour creuser la terre en cas de +ruine; et vous vous faites ecrivains! et vous nous livrez les facultes +debauchees de votre intelligence, vous cherchez la puissance morale dans +l'epanchement ignoble de la publicite! vous appelez la populace autour +de vous, et vous vous mettez nus devant elle pour qu'elle vous juge, +pour qu'elle vous examine et vous sache par coeur! Oh! lache! si vous +etes difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous livrez au +mepris! lache encore plus si vous etes beau et si vous cherchez dans la +foule l'approbation que vous ne devriez demander qu'a Dieu et a votre +maitresse.... C'est ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham +qui me consultait sur ses vers.--Et il a tellement goute mon avis qu'il +m'a mis a la porte de chez lui, et m'a fait retirer la faible pension +que m'accordait la reine en memoire des services de mon pere dans +l'armee.... Aussi, maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer, +chanter ... vendre mi pensee, mon amour, ma haine, ma religion, ma +bravoure et jusqu'a ma faim! Tout cela peut servir de matiere au vers +alexandrin et de sujet au poeme et au drame. Venez, venez, corbeaux +avides de mon sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt +de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller dans ses +entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir: je vais vous +l'apprendre, afin que vous me donniez de quoi diner demain.... O misere! +c'est-a-dire infamie!--(_Il s'assied devant une table._) Ah! voici des +stances a ma maitresse!.... J'ai vendu trois guinees une romance sur la +reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en apercevra guere... +mais je puis le vendre trois guinees!... Le duc d'York m'a promis sa +chaine d'or si je lui faisais des vers pour sa maitresse.... Oui, lady +Mathilde est brune, mince: ces vers-la pourraient avoir ete faits pour +elle; elle a dix-huit ans, juste l'age de Jane... Jane! je vais vendre +ton portrait, ton portrait ecrit de ma main; je vais trahir les mysteres +de ta beaute, reveles a moi seul, confiee a ma loyaute, a mon respect; +je vais raconter les voluptes dont tu m'as enivre et vendre le beau +vetement d'amour et de poesie que je t'avais fait, pour qu'il aille +couvrir le sein d'une autre! Ces eloges donnes a la sainte purete de +ton ame monteront comme une vaine fumee sur l'autel d'une divinite +etrangere; et cette femme a qui j'aurai donne la rougeur de tes joues, +la blancheur de tes mains, cette vaine idole que j'aurai paree de ta +brune chevelure et d'un diademe d'or cisele par mon genie, cette femme +qui lira sans pudeur a ses amants et a ses confidentes les stances qui +furent ecrites pour toi, c'est une effrontee, c'est la femelle d'un +courtisan, c'est ce qu'on devrait appeler une courtisane!--Non, je ne +vendrai pas tes attraits et ta parure, o ma Jane! simple fille qui +m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas meme ce que c'est qu'on +poete. Tu me t'es pas enorgueillie de mes louanges, tu n'as pas compris +mes vers; eh bien, je te les garderai. Un jour peut-etre... dans le +ciel, tu parleras ta langue des dieux!... et tu me repondras... ma +pauvre Jane!... (_L'horloge sonne minuit._) Deja minuit!... et je n'ai +rien fait encore, la fatigue m'accable deja! Cette nuit sera-t-elle +perdue comme les autres?.... non, il ne le faut pas... Je ne puis +differer davantage.... Il ne me reste pas une guinee, et ma mere aura +faim et froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-meme... +et le froid me gagne... Ah! je sens a peine ma plume entre mes doigts +glaces... ma tete s'appesantit... Qu'ai-je donc?--Je n'ai rien fait +et je suis ereinte!... mes yeux sont troubles... Est-ce que j aurais +pleure?... ma barbe est humide... Oui, voici des larmes sur les stances, +a Jane... J'ai pleure tout a l'heure en songeant a elle... Je ne m'en +etais pas apercu. Ah! tu as pleure, miserable lache? tu t'es enerve a te +raconter ta douleur, quand tu pouvais l'ecrire et gagner le pain de ta +mere; et maintenant te voici epuise comme une lampe vers le matin, te +voici pale comme la lune a son coucher... C'est la troisieme nuit que tu +emploies a marcher dans ta chambre, a tailler ta plume et a te frapper +le front sur ces murs impitoyables! O rage! impuissance, agonie! (_Se +levant._) Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis m'ont tourne +le dos, mon genie s'est couche paresseux et insensible a l'aiguillon de +la volonte, ma vie elle-meme a semble me quitter, mon sang s'est arrete +dans mes veines, et la souffrance de mes nerfs contractes m'a arrache +des cris. Tout cela est arrive souvent, trop souvent! Mais toi, o +courage! o orgueil! fils de Dieu, pere du genie, tu ne m'as jamais +manque encore. Tu as leve d'aussi lourds fardeaux, tu as traverse +d'aussi horribles nuits, tu m'as retire d'aussi noirs abimes... Tu sais +manier un fouet qui trouve encore du sang a faire couler de mes membres +desseches; prends ton arme et fustige mes os paresseux, enfonce ton +eperon dans mon flanc appauvri... + +J'ai entendu gemir la-haut! sur ma tete!... c'est ma mere!... Elle +souffre, elle a froid peut-etre. J'ai mis mon manteau sur elle pour +la rechauffer. Il ne me reste plus rien... Ah! mon pourpoint pour +envelopper ses pieds. (_Il monte dans la soupente et revient en chemise +et en grelottant._) + +Froid maudit! ciel de glace! + +Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer quelque +chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et les frileux. (_Sa voix +s'affaiblit._) Une satire sur les nez rouges... (_Une pause._) Une +epigramme sur le nez de l'archeveque qui est toujours violet apres +souper... (_Une pause._) Unes chanson, cela me reveillera; si je viens a +bout de rire, je suis sauve... Ah! le damne manteau de glace que minuit +me colle sur les epaules!... rimons... charmante bise de decembre qui + souffles sur mes tempes, inspire-moi... Monseigneur...Monseigneur de Cantorbery... + + (_Une pause_.) + Est toujours vermeil apres boire.,. + +Vermeil ne me plait pas... + + Est toujours charmant... + +Charmant... hum! + + Est toujours superbe.. + Est toujours superbe apres boire... + +(_Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse_.) + + Monseigneur de Cantorbery... + + (_Il s'endort tout a, fait_.) + +[Illustration: Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.., (Page 63.)] + +(_Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est enveloppee a demi +dans les couvertures de son lit, et se traine le long des murs._) + + +MEG. + +Je crois qu'il y a enfin de la lumiere ici... Je vois une lueur +faible... (_Elle se heurte contre la table._) + + +ALDO. + +Qui va la?... vous ne repondez pas?... bonsoir... Si vous etes un +voleur, l'ami, passez votre chemin, vous perdez votre temps ici... (_Il +se rendort._) + + +MEG. + +Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis encore plus sourde +aujourd'hui qu'a l'ordinaire... et je ne sais pas si le temps etait plus +sombre, mais il m'a semble que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est +pas rentre, a ce qu'il parait!... (_Elle-se heurte encore._) + + +ALDO. + +Encore! Ami voleur, mon cher frere en diable, vous ne vous en rapportez +pas a moi?... Cherchez a votre aise... si vous pouviez trouver ma rime +dans un coin de la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant. +Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez... + + Monseigneur de Cantorbery + Est, ma foi! superbe.... + +(Il se rendort.) + + +MEG, _qui s'est egaree, a tatons dans la chambre._ + +Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici que dans mon +lit.... Dieu de bonte, j'esperais trouver le poele ... mais y a-t-il +du bois seulement? Si mon pauvre enfant etait la, du moins il me +consolerait.... Mais il est alle me chercher quelque chose sans +doute.... Je ne vois plus du tout. Je n'entends rien nulle part.... +Froid, nuit, silence, solitude, vieillesse, que vous etes tristes! Je ne +me soutiens plus, une etrange defaillance me saisit.... + +(_Aldo revant._) + +Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!... + + +MEG. + +Mes genoux vont se casser si je marche encore: ou m'asseoir dans ces +tenebres?... (_Elle se laisse tomber._) + + +ALDO. + +Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je t'avais donne a +Oscar, mais il parait que tu veux jeuner avec ton maitre ... ou es-tu, o +le meilleur des hommes, je veux dire des caniches?... + + +MEG. + +Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant, sainte Vierge +... je meurs catholique ... mon enfant! mon enf.... Aldo! (Elle meurt.) + + +ALDO, _se relevant a demi._ + +Pour le coup, on a parle.... Mon nom est parti de ce coin.... Je n'ai +pas reve peut-etre.... Voleur ou chien! qui que tu sois.... C'etait la +voix de ma mere.... Ma mere, allons donc! elle dort la-haut.... Je n'ai +pas la force d'y aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur! +Misere, tu m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer pres de moi dans +mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait sortir de la tombe. +Fantomes evoques par la faim, terreurs imbeciles, laissez-moi!... +Murailles imprudentes qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car +s'il est en vous un echo bavard qui repete les paroles de ma peur, je +vous demolirai pierre a pierre jusqu'a ce que je l'aie arrache de vos +entrailles, fut-il cache dans le ciment et scelle dans le granit.... +Ma mere, m'avez-vous appele? (_Il se leve tout a fait et se frotte +les yeux._) Meg, ma mere! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je +divague.... J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse semble me +demander ce que j'ai fait du temps! Tu as dormi, bete stupide!... Tu +n'as pu lutter une heure ... comme les disciples du Christ, tu as mal +garde le jardin des Oliviers.--Jesus! tu bois en vain l'eternel calice +des douleurs humaines; ton pere est sourd, ton frere l'esprit saint a +perdu ses ailes de feu. Le cerveau du poete est aride comme la terre, et +le coeur des riches est insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif +aura plus de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (_Il se fait +une incision a la poitrine; etouffe un cri et jette le canif._) Votre +lecon est incisive, mon bon ami, elle creusera en moi.... Passez-moi le +calembour, mon esprit ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite +lame!... Ah! me voici bien eveille, Dieu merci! cette charmante plaie +me cuit passablement Je puis travailler maintenant.... Mais qui donc a +ainsi bouleverse ma table?... Quelqu'un est entre ici.... Est-ce que +j'aurais encore peur?... Imbecile! tu es poltron, et pour te guerir, +tu repands deux onces de ton sang comme si tu en avais de reste! et tu +gates ta chemise comme si tu en avais une autre! Faquin! perdras-tu tes +habitudes de grand seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans +cette plaie comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir +travailler. (_Mettant ses deux bras sur se tete._) Mon courage, mon +Dieu! ma mere!... Il faut que j'aille embrasser ma mere sans la +reveiller, cela me portera bonheur. (_Il prend sa lumiere et sort._) +(_Il redescend de la soupente d'un air effare._) Mais ou est donc la +vieille femme? Ma mere! ma mere! Qu'est-ce qui a pu me voler ma mere? +Je n'avais qu'elle au monde pour causer mon desespoir et conserver mon +heroisme. (_Il trouvera sa mere sous l'escalier._) Ah!... ma mere est +morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, a la fin!--Comment! vous +etes morte, ma mere? (_Il la retire de dessous l'escalier et la +regarde._) Oui, bien morte! Froide comme la pierre et raide comme +une epee. Ah! ma mere est morte!... (_Il rit aux eclats et tombe en +convulsion._) (_Apres un silence._) + +Mais pourquoi etes-vous deja morte? Vous etiez bien pressee d'en finir +avec la misere! Est-ce que je ne vous soignais pas bien? Etiez-vous +mecontente de moi? Trouviez-vous que j'epargnais ma peine et que je +menageais mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, et les +critiques de mes envieux vous faisaient-elles rougir d'etre la mere +d'un si mechant rimeur? Vous etiez un _bas-bleu_ autrefois dans votre +village!... Aujourd'hui vous n'etes plus qu'un pauvre squelette aux +jambes nues. Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppes encore +ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la doublure etait usee +et l'etoffe mince? C'est comme l'etoffe dont vous m'avez fait, o +vieille Meg! J'etais votre septieme fils; tous etaient beaux et grands, +musculeux et pleins d'ardeur, excepte moi le dernier venu. C'etaient de +vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches aux flancs bruns; +et pourtant, depuis Dougal le Noir jusqu'a Ryno le Roux, tous sont +partis sans songer a vous conduire au cimetiere. Il ne vous est reste +que le pauvre Aldo, le pale enfant de votre vieillesse, le fruit debile +de vos dernieres amours. Et que pouvait-il faire pour vous de plus qu'il +n'a fait? que ne lui donniez-vous comme a vos autres fils une large +poitrine et de males epaules! Cette petite main de femme que voici +pouvait-elle manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier? +Pouvait-elle soulever la rame du pecheur et boxer avec l'esturgeon? Vous +n'aviez rien espere de moi, et, me voyant si chetif, vous n'aviez meme +pus daigne me faire apprendre a lire!--Et quand tous vous ont manque, +quand vous vous etes trouvee seule avec votre avorton, n'avez-vous pas +ete surprise de decouvrir que je ne sais quel coin de son cerveau avait +retenu et commente les chants de nos bardes! Quand cette voix grele a su +faire entendre des melodies sauvages qui ont emu les hommes blases +des villes, et qui leur ont rappele des idees perdues, des sentiments +oublies depuis longtemps, vous avez embrasse votre fils sur le front, +sanctuaire d'un genie que vous aviez enfante sans le savoir. Eh bien! ne +pouviez-vous attendre quelques jours encore? La richesse allait venir +peut-etre. Votre vieillesse allait s'asseoir dans un palais, et vous +etes partie pour un monde ou je ne puis plus rien pour vous. Tachez, si +vous allez en purgatoire, que les bras de mes freres vous delivrent et +vous ouvrent les portes du ciel.... Pour moi, je n'ai plus rien a faire, +ma tache est finie. Toutes les herbes de la verte Innisfail peuvent +pousser dans mon cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est +temps que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille femme, +spectre bleme, dont le souvenir sacre m'a fait accomplir de si rudes +travaux, apprendre tant de choses ardues, passer tant de nuits glacees +sans sommeil et sans manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour +toi, je n'aurais jamais ete rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au moment ou +j'allais etre quelque chose? Tu m'otes une recompense que je meritais; c +etait de te voir heureuse, et tu meurs dans le plus odieux jour de notre +misere, dans la plus rude de mes fatigues! O mere ingrate, qu'ai-je fait +pour que tu m'otes deja mon unique desir de gloire, ma seule esperance +dans la vie, l'honnete orgueil d'etre un bon fils!... Vieux sein +desseche qui as allaite six hommes et demi, recois ce baiser de +reproche, de douleur et d'amour.... ( _Il se jette sur elle en +sanglotant._)--Helas! ma mere est morte! + + + + +SCENE III. + +JANE, ALDO. + + +JANE. + +Est-ce que votre mere est morte! Helas! quelle douleur! + +ALDO. + +Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois la bienvenue! Mon ame +est brisee, je n'espere plus qu'en toi. + + +JANE. + +Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis pas rendre la +vie a votre mere. + + +ALDO. + +Tu peux me rendre sa tendresse, sa melancolique et silencieuse +compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait de moi, le devoir qui +m'attachait a elle et a la vie. Helas! il y a eu des jours ou, dans mon +decouragement, j'ai souhaite que la pauvre Meg arrivat au terme de ses +maux, afin de retrouver la liberte de me soustraire aux miens! Tout +a l'heure, dans mon delire, je me suis rejoui amerement d'etre enfin +delivre de mon pieux fardeau. Je me suis assis en blasphemant au bord du +chemin. Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.--Mais je suis bien jeune +encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est peut-etre pas fini +pour moi; l'avenir peut s'eveiller plus beau que le passe. Je veux +devenir riche et puissant; si je trouve une douce compagne, tendre et +bonne comme ma mere, et en meme temps jeune et forte pour supporter les +mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer comme un doux breuvage +d'oubli au milieu de mes detresses, je puis encore voir la verte +esperance s'epanouir comme un bourgeon du printemps sur une branche +engourdie par l'hiver. + + +JANE. + +J'aime beaucoup les choses que vous dites, o mon bien-aime! Quoique vos +paroles ne soient pas familieres a mon oreille, vos compliments me font +toujours regretter de n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je +suis belle autant que vous le dites. + + +ALDO. + +Et que vous importe de l'etre ou de ne l'etre pas, pourvu que je vous +voie ainsi et que je vous aime telle que vous etes a mes yeux et dans +mon coeur! + + +JANE. + +Vous avez toujours a la bouche des paroles qui plaisent quand on les +ecoute; mais quand on y songe apres, on ne les comprend plus et on sent +de l'inquietude. + + +ALDO. + +En verite, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. Eh quoi! vous +gardez un compte exact de mes paroles et vous les commentez en mon +absence? Il faut prendre garde a ce que l'on vous dit! + + +JANE. + +N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir? + + +ALDO. + +Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; je suis amer: +j'ai ete si malheureux! Mais tu me consoleras, toi, n'est-ce pas? + + +JANE. + +Oui, mon beau reveur, si vous consentez a etre console. + + +ALDO. + +Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voila une parole etrange dans +votre bouche! + + +JANE. + +Vous vous etonnez de mon desir de vous consoler? C'est vous, Aldo, qui +me semblez etrange! + + +ALDO. + +En effet, c'est peut-etre moi! Passez-moi ces boutades, c'est malgre moi +qu'elles me viennent. Je ne veux pas m'y livrer. Donnez-moi votre main, +Jane, et donnez-moi aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma +pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour moi, pour moi +seul. J'ai besoin a l'heure qu'il est de trouver un appui ou de mourir. +Vous etes mon seul et dernier espoir; m'accueillerez-vous? + + +JANE. + +Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous de +m'epouser? + + +ALDO. + +Vous en doutez? + + +JANE. + +Non, je n'en doute pas. + + +ALDO. + +Mais vous en avez doute.. + + +JANE. + +Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous eloignez-vous de moi d'un +air sombre? Est-ce que je vous ai offense? + + +ALDO. + +Non. + + +JANE. + +Vous ne vous voulez pas me regarder? + + +ALDO. + +Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure qui m'occupe, c'est +au fond de votre coeur que mon regard plonge. + + +JANE. + +Voila que vous me dites des choses que je n'entends plus; et, comme vous +froncez le sourcil en me les disant, je dois croire que ce sont +des choses dures et affligeantes pour moi. Vous avez un malheureux +caractere, Aldo, un sombre esprit, en verite! + + +ALDO. + +Vous trouvez? + + +JANE. + +Oui, et j'en souffre. + + +ALDO. + +Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir. + + +JANE. + +Je vous pardonne. + + +ALDO, _avec amertume_. + +Vous etes bonne! + + +JANE. + +C'est que je vous aime; tachez de m'aimer autant, et nous serons +heureux. + + +ALDO. + +J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonte d'appeler les +voisines pour qu'elles viennent ensevelir le corps de ma mere? + + +JANE. + +J'y vais. Donnez-moi un baiser. (_Aldo la baise au front avec +froideur._) + + +ALDO, _seul_. + +Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidite! elle me blesse et me +choque sans s'en douter, elle m'accorde mon pardon quand c'est elle qui +m'offense, et elle recoit mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes +levres que c'est le dernier! Mais la femme est donc un etre bien lache +et bien borne! Je croyais celle-ci plus naive, plus abandonnee a ce que +la nature leur inspire parfois de beau et de genereux! Mais il y a dans +le coeur un fonds d'egoisme plus dur que le diamant, et aucun grand +sentiment n'y peut germer. Toi qui te pretends descendue des cieux pour +nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-meme dans le partage que tu veux +etablir entre nos destinees et les tiennes! Tu promets ton devouement, +tes caresses et ta fidelite, a la condition d'un echange semblable. +Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui etait sur mes levres, +et que j'aurais voulu offrir et non ceder. C'est ainsi que tu nous +sauveras, ange equitable et prudent. Tu tiens une balance comme la +justice, mais tu as souleve le bandeau de l'amour, et tu vois clairement +nos defauts pour nous les reprocher sans pitie. Rien pour rien, c'est ta +devise! Ou est ta misericorde, ou est ton pardon, ou donc tes ineffables +sacrifices? Femme! mensonge! tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre, +un reve. Les poetes t'ont creee, ton fantome est peut-etre au ciel. Il +m'a semble parfois te voir passer dans mes nuees. Insense que j'etais, +pourquoi suis-je descendu sur la terre pour te chercher? + +Maintenant je sais ce qu'il me reste a faire. Ma mere, je ne te pleure +plus, nous ne serons pas longtemps separes. Je laisse a d'autres le soin +d'ensevelir ta depouille, je vais rejoindre ton ame... J'ai bien assez +tarde, mon Dieu! il y a assez longtemps que j'hesite au bord du gouffre +sans fond de l'eternite! Pourquoi ai-je tremble?... tremble! Est-ce +que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?... Non, c'est le devoir.--Et +pourtant tout a l'heure que faisais-tu lorsque tu priais, a genoux, +cette jeune fille de conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne +devais plus rien a personne, et tu voulais vivre pourtant! lache enfant! +tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir, tu demandais l'amour avec +des larmes! Tu les demandais a une paysanne imbecile, quand c'est dans +un monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrete? est-ce +le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le desespoir? La-haut +l'incertitude, ici la realite. Le choix peut-il etre douteux? Va donc, +Aldo! descends dans ces vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces +insaisissables. Que Dieu te protege, si tu en vaux la peine; qu'il te +rende au neant, si ton ame n'est qu'un souffle sorti du neant!... + +Adieu, grabat ou j'ai si mal dormi! adieu, table dure et froide ou j'ai +trace des vers brulants! adieu, front livide de ma mere, ou j'ai tant +de fois interroge avec anxiete les ravages de la souffrance et les +dernieres luttes de la vie prete a s'eteindre! Adieu, esperances de +gloire; adieu, esperances d'amour, vous m'avez menti, je romps les +mailles du filet ou vous m'avez tenu si longtemps captif et ridicule! +je vais me relever a mes propres yeux, je vais briser un joug dont je +rougis... Adieu. (_ Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur +le fleuve et descend les degres. Une barque pavoisee passe au meme +moment._) + + +AGANDECCA, _sur la barque_. + +Quel est ce jeune homme si pale et si beau qui descend vers le fleuve et +semble vouloir s'y precipiter? + + +TICKLE, _sur la barque_. + +C'est un homme de rien, un reveur, un fou, un miserable. + + +AGANDECCA. + +Je veux savoir son nom. + + +TICKLE. + +C'est Aldo le rimeur. + + +AGANDECCA. + +Aldo le barde! ses chants sont inspires, sa voix est celle d'un poete +des anciens jours. La beaute de son genie ne le cede qu'a celle de son +visage. Je veux lui parler. + + +TICKLE. + +C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui repondra fort mal aux +bontes de Votre Grace. + + +AGANDECCA. + +N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix. Faites aborder +la barque au bas de cet escalier. ( _Tickle donne des ordres en +grommelant. La barque vient aborder aux pieds d'Aldo._) + + +ALDO. + +Qui etes-vous, et que demandez-vous a la porte de cette pauvre maison? + + +AGANDECCA. + +Je suis la reine, et je viens te voir. + + +ALDO. + +Votre Grace arrive une heure trop lard, la maison est deserte. Ma mere +est morte, et je ne repasserais pas le seuil que je viens de franchir, +fut-ce pour la reine Mab elle-meme. + + +AGANDECCA. + +Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma barque. + + +ALDO. + +Madame, ou me menez-vous? + + +AGANDECCA. + +A la promenade. + + +ALDO. Votre promenade sera-t-elle longue? + + +LA REINE. + +Que sais-je? + + + + +ACTE SECOND. + +Dans une galerie du palais de la reine. + + + + +SCENE PREMIERE. + +LA REINE, TICKLE. + + +LA REINE. + +Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fache, et je ne veux pas +entendre de mal de lui. + + +TICKLE. + +Comment Votre Grace peut-elle me supposer une si coupable intention! Le +seigneur Aldo est un si grand poete et un si noble cavalier! + + +LA REINE. + +Oui, c'est le plus beau genie et le plus grand coeur! Je ne lui reproche +qu'une chose, son invincible orgueil. + + +TICKLE. + +Sous une apparence d'humilite, je sais qu'il cache une epouvantable +ambition... + + +LA REINE. + +Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que l'ambition d'etre +aime. + + +TICKLE. + +C'est une belle et touchante ambition! + + +LA REINE. + +Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante. Un mot +l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une ombre; il n'y a pas +de calme possible dans son amour. + + +TICKLE. + +Cet amour-la est une tyrannie, une guerre a mort, un combat eternel! + + +LA REINE. + +Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur des hommes. +Je lui reproche, au contraire, de trop renfermer au dedans de lui les +chagrins que je lui cause. Au lieu de s'en plaindre franchement, il les +concentre, il les surmonte, et, avec toute cette resignation, tout ce +courage, toute cette douceur, il devore sa vie, il use son coeur, il est +malheureux. + + +TICKLE. + +Infortune jeune homme! Votre Grace devrait avoir plus de compassion, lui +epargner... + + +LA REINE. + +Mais de quoi se plaint-il, apres tout? Son coeur est injuste, son esprit +est plein de travers, d'inconsequences, de souffrances sans sujet et +sans remede. Que puis-je faire pour un cerveau malade? Je l'aime de +toute mon ame et lui epargne la douleur tant que je puis; mais le mal +est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pale et sombre, a mes +cotes, je l'ai pris pour l'ange de la douleur. + + +TICKLE. + +Le spectacle d'un homme toujours mecontent doit etre un grand supplice +pour une ame genereuse comme celle de Votre Grace. + + +LA REINE. + +Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me blesse et m'irrite. +Quoi de plus decourageant que de vouloir consoler un inconsolable? C'est +se consumer jeune et pleine de sante aupres du lit d'un moribond qui ne +peut ni vivre ni mourir. + + +TICKLE. + +Votre Grace a fait pourtant bien des sacrifices pour lui. De quoi +pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracie pour lui le duc de +Suffolk, l'astre le plus brillant de la cour? + + +LA REINE. + +Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus! + + +TICKLE. + +Il n'avait jamais d'ailleurs ete bien aimable. + + +LA REINE. + +Il ne faut pas dire cela; c'etait un homme d'esprit et plein de nobles +qualites. + +TICKLE. + +Oh! oui, genereux, brave, desinteresse!... + + +LA REINE. + +Ceci est faux; il etait plus epris de mon rang que de ma personne. + + +TICKLE. + +C'est le malheur des rois. + + +LA REINE. + +Et c'est ce qui me fait cherir l'amour de mon poete: lui du moins m'aime +pour moi seule. Il sait a peine si je suis reine. Il n'en est point +ebloui; meme il en souffre, et je crois qu'il me le pardonne. + + +TICKLE. + +Votre Grace est-elle bien sure que dans son orgueil de poete il ne +prefere point sa condition a celle d un roi? + + +LA REINE. + +S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poete est la plus belle des +couronnes, la plume d'un grand ecrivain est un sceptre plus puissant que +les notres. Moi, j'aime qu'un esprit superieur sache ce qu'il est et ce +qu'il peut etre; c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions. + + +TICKLE. + +Aussi je crois que le poete Aldo est reserve a de hautes destinees. Il +est digne de commander aux hommes, et un mot de Voire Grace pourrait +l'elever au veritable rang qu'il est ne pour occuper.... + + +LA REINE. + +Si je ne te savais profondement hypocrite, o mon cher Tickle, je le +dirais que tu es parfaitement imbecile. Qui? lui! etre mon epoux! +regner! D'abord le sceptre jusqu'ici ne m'a pas semble trop lourd a +porter; ensuite Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais +supposer capable de me seconder. Personne ne connait moins les +autres hommes, personne n'a d'idees plus creuses, de sentiments plus +exceptionnels, de reves plus inexecutables. Vraiment! mon peuple serait +un peuple bien gouverne! il pourrait chanter beaucoup et manger fort +peu, ce qui ne laisserait pas que d'etre fort agreable, le jour ou +le poete-roi aurait decouvert le moyen de placer l'estomac dans les +oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu n'as pas le sens commun aujourd'hui. + + +TICKLE, _sortant_. + +Fort bien, j'ai reussi a la facher; j'etais bien sur qu'en disant comme +elle, je l'amenerais a dire comme moi. + + + +SCENE II. + + +LA REINE, seule. + +Ce Tickle est un facheux personnage; il a une maniere d'entrer dans mes +idees qui m'en degoute sur-le-champ. Ces pretendus bouffons, que nous +ayons autour de nous, sont comme nos mauvais genies, laids et mechants; +ils tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la verite qui nous +blesse,. et de nous taire celle qui nous serait utile. Quand ils ne +mentent pas, c'est que leur mensonge pourrait nous epargner une douleur +ou nous sauver d'un peril; c'est alors seulement qu'ils se refusent +Je plaisir de nous tromper. Il faut que je voie mon poete, je me sens +attristee et prete a douter de tout. L'homme aux illusions me consolera +peut-etre. (_Elle siffle dans un sifflet d'argent suspendu a son cou_.) +(_Tickle rentre_.) Nain, envoyez Aldo pres de moi, je l'attends ici. + + +TICKLE. + +J'y cours avec joie. + + +LA REINE. + +Apres tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit que cet amour nuit +a ma gloire. Le duc de Suffolk m'etait moins cher, je l'estimais moins, +j'etais moins touchee de son amour; mais son esprit, moins eleve, etait +plus positif; c'etait un ambitieux, mais un ambitieux qui secondait +toutes mes vues. J ai aime autrefois le brave Athol. Celui-la etait un +beau soldat, un bon serviteur, un veritable ami; du reste, un montagnard +stupide; mais il etait l'appui de ma royaute, il la rendait redoutable +au dehors, paisible au dedans; c'etait comme une bonne arme bien trempee +et bien brillante dans ma main. Ce poete est dans mon palais comme un +objet de luxe, comme un vain trophee qu'on admire et qui ne sert a rien. +Un vetement d'or vaut-il une cuirasse d'acier? On aime a respirer les +roses de la vallee, mais on est a l'abri sous les sapins de la montagne. + +Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave! Qu'il est doux de +se reposer des soucis de la vie active sur un coeur sincere et fidele! +Qu'ils sont rares, ceux qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes +toujours embrases, ils se consument en montant vers le ciel. Nous +pouvons a toute heure chercher sur leur autel la chaleur qui manque a +notre ame epuisee, nous la trouvons toujours vive et brillante. Leur +sein est un mysterieux sanctuaire ou le feu sacre ne s'eteint jamais; +s'il s'eteignait, le temple s'ecroulerait comme un monde sans soleil. +L'amour est en eux le principe de la vie. Ils palissent, ils souffrent, +ils meurent, si on froisse leur tendresse delicate et timide. Dites un +mot, accordez un regard, ils renaissent, leur sein palpite de joie, +leur bouche a de douces paroles de reconnaissance pour benir, et leurs +caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi qui saches aimer, et +pourtant il est des jours ou tu m'ennuies mortellement. + + + +SCENE III. + +LA REINE, ALDO. + + +ALDO. + +Que veux-tu de moi, ma bien-aimee? + + +LA REINE. + +Je voulais te voir et etre avec toi. + + +ALDO. + +Etes-vous triste, etes-vous fatiguee? Voulez-vous que je chante? Que +puis-je faire pour vous? + + +LA REINE. + +Etes-vous heureux? + + +ALDO. + +Je le suis, parce que vous m'aimez. + + +LA REINE. + +Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me repondez pas? Deja votre +visage est change, des larmes roulent dans vos yeux, ma question vous a +offense? + + +ALDO. + +Offense?--Non. + + +LA REINE. + +Afflige? + + +ALDO. + +Oui. + + +LA REINE. + +Si vous etes triste, vous allez me rendre triste. + + +ALDO. + +J'essaierai de ne pas l'etre; mais, quand vous avez besoin de +distraction et de gaiete, pourquoi me faites-vous appeler? Ce n'est pas +ma societe qui vous convient dans ces moments-la. Votre nain Tickle a +plus d'esprit et de bons mots que moi. + + +LA REINE. + +Mais il est mechant et laid. J'aime la gaiete, mais c'est un banquet ou +je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives dignes de moi. Pourquoi +meprisez-vous le rire? Vous croyez-vous trop celeste pour vous amuser +comme les autres hommes? + + +ALDO. + +Je me sens trop faible pour professer le caractere jovial. Quand je +semble gai, je suis navre ou malade; le bonheur est serieux, la douleur +est silencieuse. Je ne suis capable que de joie ou de tristesse. La +gaiete est un etat intermediaire dont je n'ai pas la faculte, j'y arrive +par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire, commandez le +souper, faites danser sir John Tickle sur la table; en voyant ses +grimaces, en buvant du vin d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en +convulsion. Mais ici, pres de vous, de quoi puis-je me divertir? Je vous +regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous me regardez avec +bonte, je suis heureux; vous me raillez, et je suis triste. + +LA REINE. + +Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on toujours vivre +replie sur soi-meme? L'amour est-il la seule passion digne de vous? + + +ALDO. + +C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable. + + +LA REINE, _impatientee_ + +Alors vous etes un pauvre sire; moi, je ne peux pas toujours parler +d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets de joie ou de tristesse que +le nuage qui passe dans le ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de +grands interets dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais +des lois, je recompense la valeur, je punis le crime; j'inspire la +crainte, le respect, l'amour, la haine peut-etre; tout cela m'occupe; je +vais d'une chose a une autre, je parcours tous les tons de cette belle +musique dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet; mais +votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son. Vous etes beau et +monotone comme la lune a minuit, mon pauvre poete. + + +ALDO. + +La lune est melancolique. Il vous est bien facile de fermer les fenetres +et d'allumer les flambeaux quand sa lueur blafarde vous importune. +Pourquoi allez-vous rever dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la +brume et le froid rayon des etoiles n'iront pas vous attrister dans vos +salles pleines de bruit et de lumiere. + + +LA REINE. + +J'entends: je puis m'etourdir dans de frivoles amusements et vous +laisser avec votre muse. C'est une societe plus digne de vous que celle +d'une femme capricieuse et puerile. Restez donc avec votre genie, mon +cher poete. Les etoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre +doucement parmi les fleurs: revez, chantez, soupires. La facade de mon +palais s'illumine, et le son des instruments m'annonce le repas du soir. +J'y vais porter votre sante a mes convives dans une coupe d'or, +et parler de vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici, +penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous avec les sylphes. +S'ils ne me trouvent pas indigne d'un souvenir, parlez-leur de moi; et +si, malgre cette nourriture celeste, il vous arrive de ressentir la +vulgaire necessite de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. Au +revoir.--Mais qu'est-ce donc? Vous avez baise bien tristement ma main, +et vous y avez laisse tomber une larme! Quoi! vous etes triste encore? +je vous ai encore blesse? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon +cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous aime tendrement, +je vous prefere aux plus grands rois de la terre. Faut-il vous le +repeter a toute heure? ne le savez-vous pas? Venez, que je baise votre +beau front. Sechez vos larmes et venez me rejoindre bientot. + + + +SCENE IV. + + +ALDO, _seul_. + +Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu et devant les +hommes! Moi, je n'ai raison que devant ma conscience. Je ne puis avoir +d'autre juge que moi-meme, et ne puis me plaindre qu'a moi-meme.--Car, +enfin, il ne depend pas de moi d'etre autrement. Tout m'accuse +d'affectation; mais on n'est pas affecte, on n'est pas menteur avec +soi-meme. Je sais bien, moi, que je suis ce que je suis. Les autres sont +autres, et ne me comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car +moi je ne nie pas leur sincerite; ils me disent qu'ils sont courageux, +je pourrais leur repondre qu'ils sont insensibles. Mais j'accepte ce +qu'ils me disent, je consens a les reconnaitre courageux. Mais s'ils le +sont, pourquoi me reprochent-ils impitoyablement de ne l'etre pas? Si +j'etais Hercule, au lieu de mepriser et de railler les faibles enfants +que je trouverais haletants et pleurants sur la route, je les prendrais +sur mes epaules, je les porterais, une partie du chemin, dans ma peau de +lion. Que serait pour moi ce leger fardeau, si j'etais Hercule?--Voua +ne l'etes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui. Elle ne +vous revolte pas, elle vous effraie. Vous craignez d'etre forces de la +secourir, et, comme vous ne le pouvez pas, vous l'humiliez pour lui +apprendre a se passer de vous. + +Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de corps, faible +d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi; je prefere ce que j'aime +a moi-meme.--Quand je veux suivre la chasse, j'en suis vite degoute, +parce que je suis vite fatigue.--Quand on me raille, ou me blame, je +suis effraye, parce que je crains de perdre les affections dont je ne +puis me passer, parce que je sens que je suis meconnu, et que j'ai +trop de candeur pour me rehabiliter en me vantant. Avec les hommes, +il faudrait etre insolent et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes +faiblesses et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses des +autres et n'en suis pas revolte. Je les supporte tels qu'ils sont. Je ne +repousse pas les plus meprisables, je les plains, et, tout faible que +je suis, j'essaie de soutenir et de relever ceux qui sont plus faibles +encore. Pourquoi ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la +pareille? + +--Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne te nie pas; +peut-etre te manifesteras-tu a moi dans une autre vie. J'espere en la +mort. + +Mais ici tu ne te reveles pas. Tu nous laisses souffrir et crier en +vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprime, tu ne punis pas le +mechant. J'accepte tout, mon Dieu! et je dis que c'est bien, puisque +c'est ainsi. Suis-je impie, dis-moi? + +Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie de moi-meme. +Conscience, voix du ciel cachee en moi, comme le son melodieux dans les +entrailles de la harpe, je te prends a temoin, je te somme de me rendre +justice. Ai-je ete lache? ai-je lutte contre le malheur? ai-je supporte +la misere, la faim, le froid? ai-je abandonne ma mere lorsque tout +m'abandonnait, meme la force du corps? ai-je resiste a l'epuisement et a +la maladie? ai-je resiste a la tentation de me tuer?--Ou est le mendiant +que j'aie repousse? ou est le malheureux que j'aie refuse de secourir? +ou est l'humilie que je n'aie pas exhorte a la resignation, rappele a +l'esperance? J'ai ete nu et affame. J'ai partage mon dernier vetement +avec ma mere aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec mon +chien efflanque. J'ai toujours pris en sus de ma part de souffrances +une part des souffrances d'autrui; et ils disent que je suis lache, ils +rient de la sensibilite niaise du poete! et ils ont raison, car ils sont +tous d'accord, ils sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les +autres. + +Je suis seul, moi! et j'ai vecu seul jusqu'ici. Suis-je lache? J'ai eu +besoin d'amitie, et, ne l'ayant point trouvee, j'ai su me passer d'elle. +J'ai eu besoin d'amour, et, n'en pouvant inspirer beaucoup, voila que +j'accepte le peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille. Je +pleure tout bas, et l'on me meprise. + +C'est donc une lachete que de souffrir? C'est comme si vous m'accusiez +d'etre lache parce qu'il y a du sang dans mes veines et qu'il coule a la +moindre blessure. C'est une lachete aussi que de mourir quand on vous +tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris mon parti sur +les railleries de mes compagnons? N'avais-je pas consenti a montrer mon +front pale au milieu de leurs fetes et a passer pour le dernier des +buveurs? N'avais-je pas livre mes vers au public, sachant bien que deux +ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux ou trois mille qui me +traiteraient de reveur et de fou? Apres avoir souffert du metier de +poete en lutte avec la misere et l'obscurite, j'avais souffert plus +encore du metier de poete aux prises avec la celebrite et les envieux! +Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne trouvant pas le +bonheur dans la richesse et dans ce qu'on appelle la gloire, je +m'etais refugie dans le coeur d'une femme, et j'esperais. Celle-la, me +disais-je, est venue me prendre par la main au bord du fleuve ou je +voulais mourir. Elle m'a enleve sur sa banque magique, elle m'a conduit +dans un monde de prestiges qui m'a ebloui et trompe, mais ou, du moins, +elle m'a revele quelque chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si +les vains fantomes de mon reve se sont vite evanouis, c'est qu'elle +etait une fee, et que sa baguette savait evoquer des mensonges et des +merveilles, mais elle est une divinite bienfaisante, cette fee qui me +promene sur son char. Elle m'a leurre de cent illusions pour m'eprouver +ou pour m'eclairer. Au bout du voyage, je trouverai derriere son nuage +de feu, la verite, beaute nue et sublime que j'ai cherchee, que j'ai +adoree a travers tous les mensonges de la vie, et dont le rayon +eclairait ma route au milieu des ecueils ou les autres brisent le +cristal pur de leur vertu. Fantomes qui nous egarez, ombres celestes que +nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites courir apres +vous sans regarder ou nous mettons les pieds, pourquoi revetez-vous des +formes sensibles, pourquoi vous deguisez-vous en femmes? Appelez-vous la +verite, appelez-vous la beaute, appelez-vous la poesie; ne vous appelez +pas Jane, Agandecca, l'amour. + +Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour etre mieux traite que +les autres? Pourquoi cette insolente ambition d'etre heureux? Pourquoi +n'es-tu pas fier de ton laurier de poete et de l'amour d'une reine? Et +si cela ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la realite +d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk etait aime de la reine; +il voulait plus que partager sa couche, il voulait partager son trone. +Athol fut aime de la reine; il s'ennuyait souvent pres d'elle, il +desirait la gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui +semblait preferable a tout. Suffolk, Athol, vous etiez des ambitieux, +mais vous n'etiez pas des fous; vous desiriez ce que vous pouviez +esperer; la puissance, la victoire, l'argent, l'honneur, tout cela est +dans la vie; l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La reine +a chasse Suffolk; mais il regne sur une province, et il est content. +Athol a ete disgracie; mais il commande une armee, et il est fier. + +Moi, que puis-je aimer apres elle? rien. Ou est le but de mes +insatiables desirs? dans mon coeur, au ciel, nulle part peut-etre? +Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable au mien, qui me reponde; ce +coeur n'existe pas. On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me +le vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On s'amuse de ma +passion comme d'une chose singuliere, on la regarde comme un spectacle, +et quelquefois l'on s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus +souvent on la trouve fausse, monotone et de mauvais gout. On m'admire, +on me recherche et on m'ecoute, parce que je suis un poete; mais quand +j'ai dit mes vers, on me defend d'eprouver ce que j'ai raconte, on me +raille d'esperer ce que j'ai concu et reve. Taisez-vous, me dit-on, et +gardez vos eglogues pour les reciter devant le monde; soyez homme avec +les hommes, hissez donc le poete sur le bord du lac ou vous le promenez, +au fond du cabinet ou vous travaillez.--Mais le poete, c'est moi! Le +coeur brulant qui se repand en vers brulants, je ne puis l'arracher de +mes entrailles. Je ne puis etouffer dans mon sein l'ange melodieux qui +chante et qui souffre. Quand vous l'ecoutez chanter, vous pleurez; puis +vous essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon role cesse +avec votre emotion: aussitot que vous cessez d'etre attentifs, il faut +que je cesse d'etre inspire. Qu'est-ce donc que la poesie? Croyez-vous +que ce soit seulement l'art d'assembler des mots? + +Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous avez raison! vous +etes reine, vous etes belle, vous etes ambitieuse et forte. Votre ame +est grande, votre esprit est vaste. Vous avez une belle vie; en bien! +vivez. Changez d'amusement, changez de caractere vingt fois par jour; +vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blame pas; et, si je vous +aime, c'est peut-etre parce que je vous sens plus forte et plus sage +que moi. Si je suis heureux d'un de vos sourires, si une de vos larmes +m'enivre de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des +bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez me refuser. +Moi, quel merite ai-je a vous aimer? je ne puis faire autrement. De quel +prix est mon amour? l'amour est ma seule faculte. A quels plaisirs, a +quels enivrements ai-je la gloire de tout preferer? Rien ne m'enivre, +rien ne me plait, si ce n'est vous. La moindre de vos caresses est un +sacrifice que vous me faites, puisque c'est un instant que vous derobez +a d'autres interets de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous +etes mon autel et mon Dieu, et je suis moi-meme l'offrande deposee a vos +pieds. + +Si je suis mecontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en prendre de mes +souffrances? Si je pouvais me plaindre, m'indigner, exiger plus qu'on ne +me donne, j'espererais. Mais je n'espere ni ne reclame; je souffre. + +Eh bien, oui, je souffre et je sais mecontent. Pourquoi ai-je voulu +vivre? Quelle insigne lachete m'a pousse a tenter encore l'impossible? +Ne savais-je pas bien que j'etais seul de mon espece et que je serais +toujours ridicule et importun? Qu'y a-t-il de plus chetif et de plus +miserable que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui souffre est un +fleau! c'est un objet de tristesse et de degout pour les autres! c'est +un cadavre qui encombre la voie publique, et dont les passants se +detournent avec effroi. Etre malheureux, c'est etre l'ennemi du genre +humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur compte, et celui +qui ne sait pas vivre pour lui-meme est un voleur qui depouille ou un +mendiant qui assiege. + +Meurs donc, lache! il est bien temps d'en finir! tu t'es bien assez +cabre sous la necessite! Tes flancs ont saigne, et tu n'as pas fait un +pas en avant! Resigne-toi donc a mourir sans avoir ete heureux!... + +Helas! helas! mourir, c'est horrible!... Si c'etait seulement saigner, +defaillir, tomber!... mais ce n'est pas cela. Si c'etait porter sa tete +sous une hache, souffrir la torture, descendre vivant dans le froid +du tombeau! mais c'est bien pis: c'est renoncer a l'esperance, c'est +renoncer a l'amour; c'est prononcer l'arret du neant sur tous ces reves +enivrants qui nous ont leurres, c'est renoncer a ces rares instants de +volupte qui faisaient pressentir le bonheur, et qui l'etaient peut-etre! + +Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas assez, n'est-ce +pas trop! Agandecca, vous m'avez dit des mots qui valaient une annee de +gloire, vous m'avez cause des transports qui valaient mieux qu'un siecle +de repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui effacera +toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi un instant le roi de +la terre et du ciel! + +Mais pourquoi retomber toujours dans l'abime de douleur? pourquoi +chercher ces joies si elles doivent finir et si je ne sais pas y +renoncer? Les autres se lassent et se fatiguent de leurs jouissances: +moi, la jouissance m'echappe et le desir ne meurt pas! O amour! eternel +tourment!... soif inextinguible! + +Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et, si je le +puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra plus malheureux. Je ne +saurai pas vivre sans aimer. L'amour ou l'amitie ne me paieront pas ce +que je depenserai de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je pu +vivre jusqu'ici? Je ne le concois pas. Suis-je le plus courageux ou +le plus lache de tous les hommes?--Je ne sais pas; et comment le +savoir?--Celui qui souffre pour donner du bonheur aux autres... oui, +celui-la est brave... mais celui qui souffre et qui importune, celui qui +veut du bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! decidement je suis +un lache! comment ne m'en suis-je pas convaincu plus tot? (_Il tire son +epee_). Lune... brise du soir!... Tais-toi, poete, tu n'es qu'un sot. +Qu'est-ce qui merite un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un +regret? (_Il va pour se tuer._) + + + +SCENE V. + + +LE DOCTEUR ACROCERONIUS, _entrant_. + +Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude singuliere? + + +ALDO. + +Vous le voyez, mon cher ami, je me tue. + + +ACROCERONIUS. + +En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas deranger pour moi. +Puis-je vous rendre quelque service apres votre mort? + + +ALDO. + +Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir. + + +ACROCERONIUS + +Je suis fache que vous preniez cette resolution avant le coucher de la +lune. + + +ALDO. + +Pourquoi? + + +ACROCERONIUS. + +Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez une des plus +belles eclipses de lune que nous ayons eues depuis longtemps. + + +ALDO. + +Il y a une eclipse de lune? + + +ACROCERONIUS. + +Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera tellement +visible, que je m'etonne de rencontrer un homme aussi indifferent que +vous a cet important phenomene. + + +ALDO. + +En quoi cela peut-il m'interesser? + + +ACROCERONIUS. + +Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous le ferai comprendre. + + +ALDO. + +Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas dispose a marcher, et +j'aime mieux me passer mon epee au travers du corps. + + +ACROCERONIUS. + +Faites ce qui vous convient, et ne vous genez pas devant moi. Cependant +j'aurais ete flatte d'avoir votre compagnie durant ma promenade. + + +ALDO. + +En quoi pourrais-je vous etre utile! La solitude convient mieux a vos +savantes elucubrations. Je ne suis qu'un pauvre poete, peu capable de +raisonner avec vous sur d'aussi graves matieres. + + +ACROCERONIUS. + +La societe des poetes m'a toujours ete fort agreable. Les poetes sont de +tres-intelligents observateurs de la nature. Ils sont faibles sur les +classifications, mais ils ont beaucoup de nettete dans l'observation. +Ils possedent l'appreciation juste de la couleur et de la forme, et +quelquefois ils remarquent des rapports qui nous echappent; des nuances +presque insaisissables leur sont revelees par je ne sais quel sens qui +nous manque. Je suis sur que vous me feriez voir des choses dont je sais +l'existence, et que pourtant je n'ai jamais pu observer a l'oeil nu. + + +ALDO. + +Les savants sont poetes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont pas besoin, +comme nous, d'observer pour voir. Ils savent tant de choses, qu'ils +peuvent peindre la nature sans la regarder, comme on fait de memoire le +portrait de sa maitresse. Ils peuvent nous initier a plus d'un mystere +dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche vetement qui couvre +les beautes nues sous l'oeil de la science. Je suis fache, mon cher +maitre, d'avoir vecu longtemps sous le meme toit que vous, sans avoir +songe a profiter de votre entretien. + + +ACROCERONIUS. + +Si vous n'etes pas force absolument de vous tuer ce soir, vous pourriez +venir avec moi sur la montagne de Lego. Nous observerions l'eclipse de +lune, nous causerions sur toutes les choses connues; vous pourriez etre +revenu et mort avant le lever de la reine. + + +ALDO. + +Vous avez raison. Donnez-moi votre telescope et faisons cette promenade +ensemble. Vous m'apprendrez beaucoup de choses que j'ignore. Je vous +interrogerai sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles, +sur l'ecume que la lune repand a minuit dans les herbes, sur les bruits +qu'on entend la nuit... Avez-vous remarque cette grande voix aigre qui +crie incessamment autour de l'horizon, et qui est si egale, si continue, +si monotone, qu'on la prend souvent pour le silence? + + +ACROCERONIUS. + +J'ai ecrit precisement un petit traite in-4 deg. sur ce dont vous parlez; +mais, pour bien vous le faire comprendre, il faudrait sortir un peu du +monde visible, et nous aventurer dans des questions d'astrologie pour +lesquelles vous auriez peut-etre quelque repugnance. + + +ALDO. + +L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maitre. Je serais +tres-curieux d'avoir quelque notion sur cette science etonnante. J'y ai +songe quelquefois, et si les preoccupations de mon esprit m'en avaient +laisse le temps, j'aurais pris plaisir a soulever un coin du voile qui +me cache cette mysterieuse Isis. Qui sait si la faiblesse de l'homme ne +peut trouver dans ces profondeurs ignorees le secret du bonheur qu'elle +cherche en vain ici-bas? On est bientot las et degoute d'analyser et +d'interroger les choses qui existent materiellement. Le monde invisible +n'est pas epuise... et si je pouvais m'y elancer... + + +ACROCERONIUS. + +Venez avec moi, mon cher fils, et nous tacherons de bien observer la +lune. + + +ALDO, _remettant son epee dans le fourreau_ + +Allons-nous bien loin sur la montagne? + + +ACROCERONIUS. + +Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez de l'ecume que +repand la lune, voyez-vous, mon cher fils, le regne vegetal d'apres +toutes les classific.... (_ils sortent en causant_.) + + +GEORGE SAND + + + + +FIN D'ALDO LE RIMEUR. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + +***** This file should be named 12862.txt or 12862.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/8/6/12862/ + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/12862.zip b/old/12862.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5d79710 --- /dev/null +++ b/old/12862.zip |
