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+The Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Aldo le rimeur
+
+Author: George Sand
+
+Release Date: July 9, 2004 [EBook #12862]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR ***
+
+
+
+
+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
+Team. This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr
+
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+ALDO LE RIMEUR
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+PRÉFACE
+
+Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman et le drame de
+_Chatterton_, personne ne pensera que j'aie eu la prétention d'imiter ce
+modèle, bien qu'une scène d'_Aldo le rimeur _présente quelques rapports
+de situation avec le beau et déchirant monologue que M. de Vigny a mis
+dans la bouche de son poëte. Je ne me défendrais pas d'avoir été inspiré
+par ce sujet, d'abord si le fait était vrai, ensuite si ma pensée eût
+été la même. Mais elle était autre, et je ne songeais à peindre la
+misère du poëte que comme un accident, un des malheurs passagers de
+sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre le poëte
+en général; une âme de poëte quelconque, mobile, généreuse, ardente,
+susceptible, inquiète, fière et jalouse. Le second acte de ce petit
+poème dialogué montre le même homme _non transformé_ qu'on a vu lutter
+contre la faim et l'abandon au premier acte. De même qu'un nouvel amour
+a été le dénoûment de cette première phase, l'amour de la science, ou
+plutôt une soudaine et vague révélation de la science, arrache une
+seconde fois l'âme curieuse et _ondoyante_ du poëte au dégoût de la
+vie, à la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque je fis
+paraître ce fragment dans une Revue, compléter la série d'expériences et
+de déceptions par lesquelles, après avoir plusieurs fois rempli et vidé
+la coupe des illusions, Aldo devait arriver à briser sa vie ou à
+se réconcilier avec elle. De nouvelles préoccupations d'esprit
+m'emportèrent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo oubliait la reine
+Agandecca. Je n'ai jamais pensé que l'interruption de cette esquisse
+fût offensante ou préjudiciable pour aucun lecteur; mais, avant de la
+remettre sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est là
+qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensée, et beaucoup mieux
+sans doute que je ne l'ai commencé.
+
+
+
+
+ALDO LE RIMEUR
+
+ Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son
+ petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet, le soir
+ auprès de son feu, les pieds dans de très-bonnes pantoufles.
+ _(Esprit des journaux.)_
+
+
+
+PERSONNAGES.
+
+ALDO LE RIMEUR
+MEG, sa mère.
+JANE, jeune montagnarde.
+LA REINE AGANDECCA.
+TICKLE, nain de la reine.
+MAITRE ACROCÉRONIUS, astrologue de la reine.
+
+La scène est à Ithona.
+
+
+
+ACTE PREMIER.
+
+Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait à une soupente;
+au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait
+nuit.
+
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE.
+
+ALDO, TICKLE.
+_(Aldo est assis le tête dans ses mains, les coudes sur la table. Un
+frappe à la porte.)_
+
+
+ALDO.
+
+Qui frappe?
+
+
+TICKLE, en dehors.
+
+Votre très-humble serviteur.
+
+
+ALDO.
+
+Lequel?
+
+
+TICKLE.
+
+Votre ami.
+
+
+ALDO.
+
+Que le diable vous emporte! vous êtes un escroc.
+
+
+TICKLE.
+
+Non, je suis votre ami et votre serviteur.
+
+
+ALDO.
+
+Il est évident que vous venez me dépouiller; mais je ne crains rien de
+ce côté-là. Entrez.
+
+
+TICKLE.
+
+Souffrez que je vous embrasse.
+
+
+ALDO.
+
+Permettez-moi de vous mettre sur la table.
+
+
+TICKLE, _sur la table._
+
+Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur, depuis que nous ne
+nous sommes vus?
+
+
+ALDO.
+
+Mais.... tantôt bien, tantôt mal. Il s'est passé beaucoup de choses
+depuis que je n'ai eu l'honneur de vous voir.
+
+
+TICKLE.
+
+En vérité, mon cher monsieur?
+
+
+ALDO.
+
+Sur mon honneur! ce serait trop long à vous raconter. Il y a vingt ans
+environ, car notre connaissance date de l'autre monde.
+
+
+TICKLE.
+
+Vraiment?
+
+
+ALDO.
+
+Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur de vous
+rencontrer dans celui-ci.
+
+
+TICKLE.
+
+Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez jamais vu?
+
+
+ALDO.
+
+Non, sur mon honneur, mon cher ami.
+
+
+TICKLE.
+
+Eh! mais, d'où sortez-vous? où vivez-vous?
+
+
+ALDO.
+
+Je vis dans une taupinière; mais vous, il est certain que, si j'en juge
+par votre taille, vous sortez d'un trou de souris.
+
+
+TICKLE
+
+Et c'est pour cela que vous devriez connaître, ne fût-ce que de vue, le
+célèbre nain John Bucentor Tickle, bouffon de la reine.
+
+ALDO.
+
+Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance; vous passez
+pour un homme d'esprit.
+
+
+TICKLE.
+
+Je n'en manque pas, et vous pouvez déjà vous en apercevoir à ma
+conversation.
+
+
+ALDO.
+
+Comment donc! j'en suis ébloui, stupéfait et renversé!
+
+
+TICKLE.
+
+Je vois que vous êtes un homme de goût pour un poëte.
+
+
+ALDO.
+
+Et vous un homme hardi pour un nain.
+
+
+TICKLE.
+
+Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres: ceux-là ne
+causent qu'avec les poings; et moi, ce n'est pas ma profession. Je porte
+des manchettes de dentelle, c'est mon goût.
+
+
+ALDO.
+
+C'est un goût fort innocent.
+
+
+TICKLE.
+
+Et qui a le suffrage des dames, généralement. Avec les dames, Monsieur,
+comme avec les gens d'esprit, j'ai six pieds de haut, parce que sur ce
+terrain-là on se bat à armes égales.
+
+
+ALDO.
+
+Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je ne dis pas sur
+mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je savoir ce qui me procure
+l'honneur de votre visite?
+
+
+TICKLE.
+
+Me permettez-vous d'être assis?
+
+
+ALDO.
+
+De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de siège; car cet escabeau
+est le seul que je possède, et mon habitude n'est pas d'écouter debout
+ce que l'on vient me prier d'entendre.
+
+
+TICKLE.
+
+Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en faut pas
+davantage pour être absolument à votre hauteur.
+
+
+ALDO.
+
+J'en suis intimement persuadé. (_Il s'assied; le nain se met à
+califourchon sur la table, vis-à-vis de lui.)_
+
+
+TICKLE.
+
+Mon cher monsieur, vous êtes poëte?
+
+
+ALDO.
+
+Pas le moins du monde, Monsieur.
+
+
+TICKLE.
+
+Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais pour un certain
+Aldo... _le rimeur_, comme on dit dans la ville, et _le barde_, comme on
+dit à la cour. Vous avez peut-être entendu parler de lui? C'est un jeune
+homme qui n'est pas sans talent.
+
+
+ALDO.
+
+Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme qui n'a pas plus de
+talent que vous et moi.
+
+
+TICKLE.
+
+Réellement? Eh bien, j'en suis fâché pour lui. Je venais lui offrir mes
+petits services.
+
+
+ALDO.
+
+Il vous offre les siens également; vous savez en quoi ils peuvent
+consister, puisque vous connaissez sa profession. Veuillez lui faire
+connaître la vôtre.
+
+
+TICKLE.
+
+Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain.
+
+
+ALDO.
+
+Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services Votre
+Seigneurie peut daigner offrir à un misérable poëte.
+
+
+TICKLE.
+
+Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de très-larges poches à mon
+pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et, par suite d'une fantaisie
+analogue, les poches dont j'ai l'honneur de vous parler sont toujours
+pleines d'or.
+
+
+ALDO.
+
+C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de neuf.
+
+
+TICKLE.
+
+La vôtre me parait plus usée encore.
+
+
+ALDO.
+
+De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de ma poche.
+
+
+TICKLE.
+
+Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre bourse et de votre
+crédit. Croyez-moi, c'est une habitude de mauvais genre que de n'avoir
+pas le sou. Or donc, voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez
+besoin.
+
+
+ALDO.
+
+Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure.
+
+
+TICKLE.
+
+Vous êtes trop modeste. Je connais votre position, le dénûment de
+mistress Meg, votre mère, et son grand âge. Je connais votre activité,
+votre dévouement, votre grandeur d'âme. Je vous offre un gain
+légitime... Vous comprenez? Je ne viens pas faire ici le grand seigneur;
+je viens vous proposer un échange, un marché qui ne peut qu'augmenter
+votre gloire et vous mettra à même de secourir mistress Meg.
+
+
+ALDO.
+
+Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je fisse monter une
+de vos jambes en flageolet, et me vendre l'autre pour en faire un
+porte-crayon?
+
+
+TICKLE.
+
+Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur que la plus
+chétive de mes jambes, je vous demande un petit drame de votre façon.
+
+
+ALDO.
+
+Pour qui, Monsieur? pour le théâtre de la reine?
+
+
+TICKLE.
+
+Pour moi, Monsieur.
+
+
+ALDO.
+
+Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la force de
+l'emporter!
+
+
+TICKLE.
+
+J'allégerai mes poches d'une partie de l'or qui les charge, et je
+prendrai votre manuscrit à la place.
+
+
+ALDO.
+
+Très-bien; et puis?
+
+
+TICKLE.
+
+Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le ferai jouer sur
+le théâtre de la reine.
+
+
+ALDO.
+
+Sous quel nom, je vous prie?
+
+
+TICKLE.
+
+Sous le nom agréable de sir John Bucentor Tickle; c'est dans votre
+intérêt que j'agirai ainsi et pour donner de la confiance au public. Si
+l'autorité de mon nom ne suffisait pas à nous assurer sa bienveillance,
+en cas de chute, nous réclamerions contre son injuste arrêt.
+
+
+ALDO.
+
+En lui livrant le nom du véritable auteur?
+
+
+TICKLE.
+
+C'est ainsi que cela se fait à la cour.
+
+
+ALDO.
+
+Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant de me laisser
+travailler au drame que vous me faites l'honneur de me demander.
+
+
+TICKLE.
+
+Puis-je compter sur votre parole, Monsieur?
+
+
+ALDO.
+
+Je m'en flatte.
+
+
+TICKLE.
+
+Un mot de traité sera nécessaire.
+
+ALDO.
+
+De tout mon coeur, j'en sais la rédaction. (_Il écrit._) Voulez-vous
+signer maintenant? moi, je signe.
+
+TICKLE.
+
+Permettez-moi d'en prendre connaissance. (_Il lit._) «Je m'engage, moi,
+Aldo de Malmor, dit _le rimeur_ à la ville et _le barde_ à la cour, à
+jeter par les fenêtres le très-illustre seigneur John Bucentor Tickle,
+nain et bouffon de la reine, la première fois qu'il franchira le seuil
+de ma maison. Fait double entre nous, etc.» Bravo! bravo! c'est la
+première scène du drame!
+
+ALDO.
+
+Non, c'est un dénoûment tout prêt et que je vous offre gratis.
+
+TICKLE.
+
+J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter à la reine, qui en sera
+charmée. (_Il saute en bas de la table et s'enfuit._) Tu me le paieras!
+
+ALDO.
+
+Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous ma main.
+
+
+
+
+SCÈNE II.
+
+
+ALDO, _seul._
+
+Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque jour m'amène un
+assassin ou un voleur. Misérables! vous me réduisez à l'aumône, mais
+vous n'aurez pas bon marché de ma fierté. Allons! ce fat m'a fait perdre
+une demi-heure, remettons-nous à l'ouvrage. La nuit s'avance; je ne
+serai plus dérangé. Tout est silencieux dans la ville et autour de moi.
+Dévorons cette nouvelle insulte; quand le brodequin est bon, le pied ne
+craint pas de se souiller en traversant la boue. Écrivons.
+
+[Illustration: Mon cher Monsieur, vous êtes poëte?... (Page 54 )]
+
+Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! lui donner mon
+cerveau pour livre, mon coeur pour clavier, afin qu'il en joue à son
+aise, et qu'il le jette après l'avoir épuisé en disant: Voici un mauvais
+livre, voici un mauvais instrument. Écrire! écrire!... penser pour les
+autres... sentir pour les autres... abominable prostitution de
+l'âme! Oh! métier, métier, gagne-pain, servilité, humiliation!--Que
+faire?--Écrire? sur quoi?--Je n'ai rien dans le cerveau, tout est dans
+mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur à manger pour un
+morceau de pain, public grossier, bête féroce, amateur de tortures,
+buveur d'encre et de larmes!--Je n'ai dans l'âme que ma douleur; il faut
+que je te repaisse de ma douleur. Et tu en riras peut-être! Si mon luth
+mouillé et détendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras que
+toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de vrai, que je ne sens
+pas mon mal... quand je sens la faim dévorer mes entrailles! la faim, la
+souffrance des loups! Et moi, homme d'intelligence et de réflexion, je
+n'ai même pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que
+toutes les voix de l'âme se taisent devant le cri de l'estomac qui
+faiblit et qui brûle!--Si elles s'éveillent dans le délire de mes nuits
+déplorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces
+souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi
+seul, il faut que je les recueille sur un album comme des curiosités qui
+se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un amateur peut acheter pour
+son cabinet. Il y a des boutiques où l'on vend des singes, des tortues,
+des squelettes d'homme et des peaux de serpent. L'âme d'un poète est une
+boutique où le public vient marchander toutes les formes du désespoir:
+celui-ci estime l'ambition déçue sous la forme d'une ode au dieu des
+vers; celui-là s'affectionne pour l'amour trompé, rimé en élégie; cet
+autre rit aux éclats d'une épigramme qui partit d'un sein rongé par la
+colère, d'une bouche amère de fiel. Pauvre poète! chacun prend une pièce
+de ton vêtement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang; et
+quand chacun a essayé ton vêtement à sa taille, éprouvé la force de tes
+nerfs, analysé la qualité de ton sang, il te jette à terre avec quelques
+pièces de monnaie pour dédommagement de ses insultes, et il s'en va,
+se préférant à toi dans la sincérité de ses pensées insolentes et
+stupides.--O gloire du poète, laurier, immortalité promise, sympathie
+flatteuse, haillons de royauté, jouets d'enfants! que vous cachez mal
+la nudité d'un mendiant couvert de plaies! Oh! méprisables! méprisables
+entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que
+celui-là, se font poètes pour le public! Misérables comédiens qui
+pourriez jouer le rôle d'hommes, et qui montez sur un tréteau pour faire
+rire et pleurer les désoeuvrés! n'avez-vous pas la force de vivre en
+vous-mêmes, de souffrir sans qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on
+vous regarde? Il vous faut un auditoire pour admirer vos puériles
+grandeurs, pour compatir à vos douleurs vulgaires! Celui qui est né
+fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcément la vocation
+héréditaire; il accomplit sa triste et honteuse destinée. S'il en
+triomphe, s'il s'élève seulement au niveau des hommes ordinaires, qu'il
+soit loué et encouragé! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits,
+hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la
+science pour vous occuper, des bras pour creuser la terre en cas de
+ruine; et vous vous faites écrivains! et vous nous livrez les facultés
+débauchées de votre intelligence, vous cherchez la puissance morale dans
+l'épanchement ignoble de la publicité! vous appelez la populace autour
+de vous, et vous vous mettez nus devant elle pour qu'elle vous juge,
+pour qu'elle vous examine et vous sache par coeur! Oh! lâche! si vous
+êtes difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous livrez au
+mépris! lâche encore plus si vous êtes beau et si vous cherchez dans la
+foule l'approbation que vous ne devriez demander qu'à Dieu et à votre
+maîtresse.... C'est ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham
+qui me consultait sur ses vers.--Et il a tellement goûté mon avis qu'il
+m'a mis à la porte de chez lui, et m'a fait retirer la faible pension
+que m'accordait la reine en mémoire des services de mon père dans
+l'armée.... Aussi, maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer,
+chanter ... vendre mi pensée, mon amour, ma haine, ma religion, ma
+bravoure et jusqu'à ma faim! Tout cela peut servir de matière au vers
+alexandrin et de sujet au poème et au drame. Venez, venez, corbeaux
+avides de mon sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt
+de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller dans ses
+entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir: je vais vous
+l'apprendre, afin que vous me donniez de quoi dîner demain.... O misère!
+c'est-à-dire infamie!--(_Il s'assied devant une table._) Ah! voici des
+stances à ma maîtresse!.... J'ai vendu trois guinées une romance sur la
+reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en apercevra guère...
+mais je puis le vendre trois guinées!... Le duc d'York m'a promis sa
+chaîne d'or si je lui faisais des vers pour sa maîtresse.... Oui, lady
+Mathilde est brune, mince: ces vers-là pourraient avoir été faits pour
+elle; elle a dix-huit ans, juste l'âge de Jane... Jane! je vais vendre
+ton portrait, ton portrait écrit de ma main; je vais trahir les mystères
+de ta beauté, révélés à moi seul, confiée à ma loyauté, à mon respect;
+je vais raconter les voluptés dont tu m'as enivré et vendre le beau
+vêtement d'amour et de poésie que je t'avais fait, pour qu'il aille
+couvrir le sein d'une autre! Ces éloges donnés à la sainte pureté de
+ton âme monteront comme une vaine fumée sur l'autel d'une divinité
+étrangère; et cette femme à qui j'aurai donné la rougeur de tes joues,
+la blancheur de tes mains, cette vaine idole que j'aurai parée de ta
+brune chevelure et d'un diadème d'or ciselé par mon génie, cette femme
+qui lira sans pudeur à ses amants et à ses confidentes les stances qui
+furent écrites pour toi, c'est une effrontée, c'est la femelle d'un
+courtisan, c'est ce qu'on devrait appeler une courtisane!--Non, je ne
+vendrai pas tes attraits et ta parure, ô ma Jane! simple fille qui
+m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas même ce que c'est qu'on
+poète. Tu me t'es pas enorgueillie de mes louanges, tu n'as pas compris
+mes vers; eh bien, je te les garderai. Un jour peut-être... dans le
+ciel, tu parleras ta langue des dieux!... et tu me répondras... ma
+pauvre Jane!... (_L'horloge sonne minuit._) Déjà minuit!... et je n'ai
+rien fait encore, la fatigue m'accable déjà! Cette nuit sera-t-elle
+perdue comme les autres?.... non, il ne le faut pas... Je ne puis
+différer davantage.... Il ne me reste pas une guinée, et ma mère aura
+faim et froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-même...
+et le froid me gagne... Ah! je sens à peine ma plume entre mes doigts
+glacés... ma tête s'appesantit... Qu'ai-je donc?--Je n'ai rien fait
+et je suis éreinté!... mes yeux sont troublés... Est-ce que j aurais
+pleuré?... ma barbe est humide... Oui, voici des larmes sur les stances,
+à Jane... J'ai pleuré tout à l'heure en songeant à elle... Je ne m'en
+étais pas aperçu. Ah! tu as pleuré, misérable lâche? tu t'es énervé à te
+raconter ta douleur, quand tu pouvais l'écrire et gagner le pain de ta
+mère; et maintenant te voici épuisé comme une lampe vers le matin, te
+voici pâle comme la lune à son coucher... C'est la troisième nuit que tu
+emploies à marcher dans ta chambre, à tailler ta plume et à te frapper
+le front sur ces murs impitoyables! O rage! impuissance, agonie! (_Se
+levant._) Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis m'ont tourné
+le dos, mon génie s'est couché paresseux et insensible à l'aiguillon de
+la volonté, ma vie elle-même a semblé me quitter, mon sang s'est arrêté
+dans mes veines, et la souffrance de mes nerfs contractés m'a arraché
+des cris. Tout cela est arrivé souvent, trop souvent! Mais toi, ô
+courage! ô orgueil! fils de Dieu, père du génie, tu ne m'as jamais
+manqué encore. Tu as levé d'aussi lourds fardeaux, tu as traversé
+d'aussi horribles nuits, tu m'as retiré d'aussi noirs abîmes... Tu sais
+manier un fouet qui trouve encore du sang à faire couler de mes membres
+desséchés; prends ton arme et fustige mes os paresseux, enfonce ton
+éperon dans mon flanc appauvri...
+
+J'ai entendu gémir là-haut! sur ma tête!... c'est ma mère!... Elle
+souffre, elle a froid peut-être. J'ai mis mon manteau sur elle pour
+la réchauffer. Il ne me reste plus rien... Ah! mon pourpoint pour
+envelopper ses pieds. (_Il monte dans la soupente et revient en chemise
+et en grelottant._)
+
+Froid maudit! ciel de glace!
+
+Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer quelque
+chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et les frileux. (_Sa voix
+s'affaiblit._) Une satire sur les nez rouges... (_Une pause._) Une
+épigramme sur le nez de l'archevêque qui est toujours violet après
+souper... (_Une pause._) Unes chanson, cela me réveillera; si je viens à
+bout de rire, je suis sauvé... Ah! le damné manteau de glace que minuit
+me colle sur les épaules!... rimons... charmante bise de décembre qui
+ souffles sur mes tempes, inspire-moi... Monseigneur...Monseigneur de Cantorbery...
+
+ (_Une pause_.)
+ Est toujours vermeil après boire.,.
+
+Vermeil ne me plaît pas...
+
+ Est toujours charmant...
+
+Charmant... hum!
+
+ Est toujours superbe..
+ Est toujours superbe après boire...
+
+(_Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse_.)
+
+ Monseigneur de Cantorbery...
+
+ (_Il s'endort tout à, fait_.)
+
+[Illustration: Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.., (Page 63.)]
+
+(_Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est enveloppée à demi
+dans les couvertures de son lit, et se traîne le long des murs._)
+
+
+MEG.
+
+Je crois qu'il y a enfin de la lumière ici... Je vois une lueur
+faible... (_Elle se heurte contre la table._)
+
+
+ALDO.
+
+Qui va là?... vous ne répondez pas?... bonsoir... Si vous êtes un
+voleur, l'ami, passez votre chemin, vous perdez votre temps ici... (_Il
+se rendort._)
+
+
+MEG.
+
+Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis encore plus sourde
+aujourd'hui qu'à l'ordinaire... et je ne sais pas si le temps était plus
+sombre, mais il m'a semblé que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est
+pas rentré, à ce qu'il paraît!... (_Elle-se heurte encore._)
+
+
+ALDO.
+
+Encore! Ami voleur, mon cher frère en diable, vous ne vous en rapportez
+pas à moi?... Cherchez à votre aise... si vous pouviez trouver ma rime
+dans un coin de la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant.
+Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez...
+
+ Monseigneur de Cantorbery
+ Est, ma foi! superbe....
+
+(Il se rendort.)
+
+
+MEG, _qui s'est égarée, à tâtons dans la chambre._
+
+Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici que dans mon
+lit.... Dieu de bonté, j'espérais trouver le poêle ... mais y a-t-il
+du bois seulement? Si mon pauvre enfant était là, du moins il me
+consolerait.... Mais il est allé me chercher quelque chose sans
+doute.... Je ne vois plus du tout. Je n'entends rien nulle part....
+Froid, nuit, silence, solitude, vieillesse, que vous êtes tristes! Je ne
+me soutiens plus, une étrange défaillance me saisit....
+
+(_Aldo rêvant._)
+
+Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!...
+
+
+MEG.
+
+Mes genoux vont se casser si je marche encore: où m'asseoir dans ces
+ténèbres?... (_Elle se laisse tomber._)
+
+
+ALDO.
+
+Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je t'avais donné à
+Oscar, mais il parait que tu veux jeûner avec ton maître ... où es-tu, ô
+le meilleur des hommes, je veux dire des caniches?...
+
+
+MEG.
+
+Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant, sainte Vierge
+... je meurs catholique ... mon enfant! mon enf.... Aldo! (Elle meurt.)
+
+
+ALDO, _se relevant à demi._
+
+Pour le coup, on a parlé.... Mon nom est parti de ce coin.... Je n'ai
+pas rêvé peut-être.... Voleur ou chien! qui que tu sois.... C'était la
+voix de ma mère.... Ma mère, allons donc! elle dort là-haut.... Je n'ai
+pas la force d'y aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur!
+Misère, tu m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer près de moi dans
+mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait sortir de la tombe.
+Fantômes évoqués par la faim, terreurs imbéciles, laissez-moi!...
+Murailles imprudentes qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car
+s'il est en vous un écho bavard qui répète les paroles de ma peur, je
+vous démolirai pierre à pierre jusqu'à ce que je l'aie arraché de vos
+entrailles, fût-il caché dans le ciment et scellé dans le granit....
+Ma mère, m'avez-vous appelé? (_Il se lève tout à fait et se frotte
+les yeux._) Meg, ma mère! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je
+divague.... J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse semble me
+demander ce que j'ai fait du temps! Tu as dormi, bête stupide!... Tu
+n'as pu lutter une heure ... comme les disciples du Christ, tu as mal
+gardé le jardin des Oliviers.--Jésus! tu bois en vain l'éternel calice
+des douleurs humaines; ton père est sourd, ton frère l'esprit saint a
+perdu ses ailes de feu. Le cerveau du poëte est aride comme la terre, et
+le coeur des riches est insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif
+aura plus de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (_Il se fait
+une incision à la poitrine; étouffe un cri et jette le canif._) Votre
+leçon est incisive, mon bon ami, elle creusera en moi.... Passez-moi le
+calembour, mon esprit ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite
+lame!... Ah! me voici bien éveillé, Dieu merci! cette charmante plaie
+me cuit passablement Je puis travailler maintenant.... Mais qui donc a
+ainsi bouleversé ma table?... Quelqu'un est entré ici.... Est-ce que
+j'aurais encore peur?... Imbécile! tu es poltron, et pour te guérir,
+tu répands deux onces de ton sang comme si tu en avais de reste! et tu
+gâtes ta chemise comme si tu en avais une autre! Faquin! perdras-tu tes
+habitudes de grand seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans
+cette plaie comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir
+travailler. (_Mettant ses deux bras sur se tête._) Mon courage, mon
+Dieu! ma mère!... Il faut que j'aille embrasser ma mère sans la
+réveiller, cela me portera bonheur. (_Il prend sa lumière et sort._)
+(_Il redescend de la soupente d'un air effaré._) Mais où est donc la
+vieille femme? Ma mère! ma mère! Qu'est-ce qui a pu me voler ma mère?
+Je n'avais qu'elle au monde pour causer mon désespoir et conserver mon
+héroïsme. (_Il trouvera sa mère sous l'escalier._) Ah!... ma mère est
+morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, à la fin!--Comment! vous
+êtes morte, ma mère? (_Il la retire de dessous l'escalier et la
+regarde._) Oui, bien morte! Froide comme la pierre et raide comme
+une épée. Ah! ma mère est morte!... (_Il rit aux éclats et tombe en
+convulsion._) (_Après un silence._)
+
+Mais pourquoi êtes-vous déjà morte? Vous étiez bien pressée d'en finir
+avec la misère! Est-ce que je ne vous soignais pas bien? Étiez-vous
+mécontente de moi? Trouviez-vous que j'épargnais ma peine et que je
+ménageais mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, et les
+critiques de mes envieux vous faisaient-elles rougir d'être la mère
+d'un si méchant rimeur? Vous étiez un _bas-bleu_ autrefois dans votre
+village!... Aujourd'hui vous n'êtes plus qu'un pauvre squelette aux
+jambes nues. Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppés encore
+ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la doublure était usée
+et l'étoffe mince? C'est comme l'étoffe dont vous m'avez fait, ô
+vieille Meg! J'étais votre septième fils; tous étaient beaux et grands,
+musculeux et pleins d'ardeur, excepté moi le dernier venu. C'étaient de
+vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches aux flancs bruns;
+et pourtant, depuis Dougal le Noir jusqu'à Ryno le Roux, tous sont
+partis sans songer à vous conduire au cimetière. Il ne vous est resté
+que le pauvre Aldo, le pâle enfant de votre vieillesse, le fruit débile
+de vos dernières amours. Et que pouvait-il faire pour vous de plus qu'il
+n'a fait? que ne lui donniez-vous comme à vos autres fils une large
+poitrine et de mâles épaules! Cette petite main de femme que voici
+pouvait-elle manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier?
+Pouvait-elle soulever la rame du pêcheur et boxer avec l'esturgeon? Vous
+n'aviez rien espéré de moi, et, me voyant si chétif, vous n'aviez même
+pus daigné me faire apprendre à lire!--Et quand tous vous ont manqué,
+quand vous vous êtes trouvée seule avec votre avorton, n'avez-vous pas
+été surprise de découvrir que je ne sais quel coin de son cerveau avait
+retenu et commenté les chants de nos bardes! Quand cette voix grêle a su
+faire entendre des mélodies sauvages qui ont ému les hommes blasés
+des villes, et qui leur ont rappelé des idées perdues, des sentiments
+oubliés depuis longtemps, vous avez embrassé votre fils sur le front,
+sanctuaire d'un génie que vous aviez enfanté sans le savoir. Eh bien! ne
+pouviez-vous attendre quelques jours encore? La richesse allait venir
+peut-être. Votre vieillesse allait s'asseoir dans un palais, et vous
+êtes partie pour un monde où je ne puis plus rien pour vous. Tâchez, si
+vous allez en purgatoire, que les bras de mes frères vous délivrent et
+vous ouvrent les portes du ciel.... Pour moi, je n'ai plus rien à faire,
+ma tâche est finie. Toutes les herbes de la verte Innisfail peuvent
+pousser dans mon cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est
+temps que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille femme,
+spectre blême, dont le souvenir sacré m'a fait accomplir de si rudes
+travaux, apprendre tant de choses ardues, passer tant de nuits glacées
+sans sommeil et sans manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour
+toi, je n'aurais jamais été rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au moment où
+j'allais être quelque chose? Tu m'ôtes une récompense que je méritais; c
+était de te voir heureuse, et tu meurs dans le plus odieux jour de notre
+misère, dans la plus rude de mes fatigues! O mère ingrate, qu'ai-je fait
+pour que tu m'ôtes déjà mon unique désir de gloire, ma seule espérance
+dans la vie, l'honnête orgueil d'être un bon fils!... Vieux sein
+desséché qui as allaité six hommes et demi, reçois ce baiser de
+reproche, de douleur et d'amour.... ( _Il se jette sur elle en
+sanglotant._)--Hélas! ma mère est morte!
+
+
+
+
+SCÈNE III.
+
+JANE, ALDO.
+
+
+JANE.
+
+Est-ce que votre mère est morte! Hélas! quelle douleur!
+
+ALDO.
+
+Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois la bienvenue! Mon âme
+est brisée, je n'espère plus qu'en toi.
+
+
+JANE.
+
+Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis pas rendre la
+vie à votre mère.
+
+
+ALDO.
+
+Tu peux me rendre sa tendresse, sa mélancolique et silencieuse
+compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait de moi, le devoir qui
+m'attachait à elle et à la vie. Hélas! il y a eu des jours où, dans mon
+découragement, j'ai souhaité que la pauvre Meg arrivât au terme de ses
+maux, afin de retrouver la liberté de me soustraire aux miens! Tout
+à l'heure, dans mon délire, je me suis réjoui amèrement d'être enfin
+délivré de mon pieux fardeau. Je me suis assis en blasphémant au bord du
+chemin. Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.--Mais je suis bien jeune
+encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est peut-être pas fini
+pour moi; l'avenir peut s'éveiller plus beau que le passé. Je veux
+devenir riche et puissant; si je trouve une douce compagne, tendre et
+bonne comme ma mère, et en même temps jeune et forte pour supporter les
+mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer comme un doux breuvage
+d'oubli au milieu de mes détresses, je puis encore voir la verte
+espérance s'épanouir comme un bourgeon du printemps sur une branche
+engourdie par l'hiver.
+
+
+JANE.
+
+J'aime beaucoup les choses que vous dites, ô mon bien-aimé! Quoique vos
+paroles ne soient pas familières à mon oreille, vos compliments me font
+toujours regretter de n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je
+suis belle autant que vous le dites.
+
+
+ALDO.
+
+Et que vous importe de l'être ou de ne l'être pas, pourvu que je vous
+voie ainsi et que je vous aime telle que vous êtes à mes yeux et dans
+mon coeur!
+
+
+JANE.
+
+Vous avez toujours à la bouche des paroles qui plaisent quand on les
+écoute; mais quand on y songe après, on ne les comprend plus et on sent
+de l'inquiétude.
+
+
+ALDO.
+
+En vérité, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. Eh quoi! vous
+gardez un compte exact de mes paroles et vous les commentez en mon
+absence? Il faut prendre garde à ce que l'on vous dit!
+
+
+JANE.
+
+N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir?
+
+
+ALDO.
+
+Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; je suis amer:
+j'ai été si malheureux! Mais tu me consoleras, toi, n'est-ce pas?
+
+
+JANE.
+
+Oui, mon beau rêveur, si vous consentez à être consolé.
+
+
+ALDO.
+
+Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voilà une parole étrange dans
+votre bouche!
+
+
+JANE.
+
+Vous vous étonnez de mon désir de vous consoler? C'est vous, Aldo, qui
+me semblez étrange!
+
+
+ALDO.
+
+En effet, c'est peut-être moi! Passez-moi ces boutades, c'est malgré moi
+qu'elles me viennent. Je ne veux pas m'y livrer. Donnez-moi votre main,
+Jane, et donnez-moi aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma
+pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour moi, pour moi
+seul. J'ai besoin à l'heure qu'il est de trouver un appui ou de mourir.
+Vous êtes mon seul et dernier espoir; m'accueillerez-vous?
+
+
+JANE.
+
+Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous de
+m'épouser?
+
+
+ALDO.
+
+Vous en doutez?
+
+
+JANE.
+
+Non, je n'en doute pas.
+
+
+ALDO.
+
+Mais vous en avez douté..
+
+
+JANE.
+
+Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous éloignez-vous de moi d'un
+air sombre? Est-ce que je vous ai offensé?
+
+
+ALDO.
+
+Non.
+
+
+JANE.
+
+Vous ne vous voulez pas me regarder?
+
+
+ALDO.
+
+Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure qui m'occupe, c'est
+au fond de votre coeur que mon regard plonge.
+
+
+JANE.
+
+Voilà que vous me dites des choses que je n'entends plus; et, comme vous
+froncez le sourcil en me les disant, je dois croire que ce sont
+des choses dures et affligeantes pour moi. Vous avez un malheureux
+caractère, Aldo, un sombre esprit, en vérité!
+
+
+ALDO.
+
+Vous trouvez?
+
+
+JANE.
+
+Oui, et j'en souffre.
+
+
+ALDO.
+
+Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir.
+
+
+JANE.
+
+Je vous pardonne.
+
+
+ALDO, _avec amertume_.
+
+Vous êtes bonne!
+
+
+JANE.
+
+C'est que je vous aime; tâchez de m'aimer autant, et nous serons
+heureux.
+
+
+ALDO.
+
+J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonté d'appeler les
+voisines pour qu'elles viennent ensevelir le corps de ma mère?
+
+
+JANE.
+
+J'y vais. Donnez-moi un baiser. (_Aldo la baise au front avec
+froideur._)
+
+
+ALDO, _seul_.
+
+Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidité! elle me blesse et me
+choque sans s'en douter, elle m'accorde mon pardon quand c'est elle qui
+m'offense, et elle reçoit mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes
+lèvres que c'est le dernier! Mais la femme est donc un être bien lâche
+et bien borné! Je croyais celle-ci plus naïve, plus abandonnée à ce que
+la nature leur inspire parfois de beau et de généreux! Mais il y a dans
+le coeur un fonds d'égoïsme plus dur que le diamant, et aucun grand
+sentiment n'y peut germer. Toi qui te prétends descendue des cieux pour
+nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-même dans le partage que tu veux
+établir entre nos destinées et les tiennes! Tu promets ton dévouement,
+tes caresses et ta fidélité, à la condition d'un échange semblable.
+Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui était sur mes lèvres,
+et que j'aurais voulu offrir et non céder. C'est ainsi que tu nous
+sauveras, ange équitable et prudent. Tu tiens une balance comme la
+justice, mais tu as soulevé le bandeau de l'amour, et tu vois clairement
+nos défauts pour nous les reprocher sans pitié. Rien pour rien, c'est ta
+devise! Où est ta miséricorde, où est ton pardon, où donc tes ineffables
+sacrifices? Femme! mensonge! tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre,
+un rêve. Les poëtes t'ont créée, ton fantôme est peut-être au ciel. Il
+m'a semblé parfois te voir passer dans mes nuées. Insensé que j'étais,
+pourquoi suis-je descendu sur la terre pour te chercher?
+
+Maintenant je sais ce qu'il me reste à faire. Ma mère, je ne te pleure
+plus, nous ne serons pas longtemps séparés. Je laisse à d'autres le soin
+d'ensevelir ta dépouille, je vais rejoindre ton âme... J'ai bien assez
+tardé, mon Dieu! il y a assez longtemps que j'hésite au bord du gouffre
+sans fond de l'éternité! Pourquoi ai-je tremblé?... tremblé! Est-ce
+que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?... Non, c'est le devoir.--Et
+pourtant tout à l'heure que faisais-tu lorsque tu priais, à genoux,
+cette jeune fille de conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne
+devais plus rien à personne, et tu voulais vivre pourtant! lâche enfant!
+tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir, tu demandais l'amour avec
+des larmes! Tu les demandais à une paysanne imbécile, quand c'est dans
+un monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrête? est-ce
+le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le désespoir? Là-haut
+l'incertitude, ici la réalité. Le choix peut-il être douteux? Va donc,
+Aldo! descends dans ces vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces
+insaisissables. Que Dieu te protège, si tu en vaux la peine; qu'il te
+rende au néant, si ton âme n'est qu'un souffle sorti du néant!...
+
+Adieu, grabat où j'ai si mal dormi! adieu, table dure et froide où j'ai
+tracé des vers brûlants! adieu, front livide de ma mère, où j'ai tant
+de fois interrogé avec anxiété les ravages de la souffrance et les
+dernières luttes de la vie prête à s'éteindre! Adieu, espérances de
+gloire; adieu, espérances d'amour, vous m'avez menti, je romps les
+mailles du filet où vous m'avez tenu si longtemps captif et ridicule!
+je vais me relever à mes propres yeux, je vais briser un joug dont je
+rougis... Adieu. (_ Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur
+le fleuve et descend les degrés. Une barque pavoisée passe au même
+moment._)
+
+
+AGANDECCA, _sur la barque_.
+
+Quel est ce jeune homme si pâle et si beau qui descend vers le fleuve et
+semble vouloir s'y précipiter?
+
+
+TICKLE, _sur la barque_.
+
+C'est un homme de rien, un rêveur, un fou, un misérable.
+
+
+AGANDECCA.
+
+Je veux savoir son nom.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est Aldo le rimeur.
+
+
+AGANDECCA.
+
+Aldo le barde! ses chants sont inspirés, sa voix est celle d'un poète
+des anciens jours. La beauté de son génie ne le cède qu'à celle de son
+visage. Je veux lui parler.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui répondra fort mal aux
+bontés de Votre Grâce.
+
+
+AGANDECCA.
+
+N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix. Faites aborder
+la barque au bas de cet escalier. ( _Tickle donne des ordres en
+grommelant. La barque vient aborder aux pieds d'Aldo._)
+
+
+ALDO.
+
+Qui êtes-vous, et que demandez-vous à la porte de cette pauvre maison?
+
+
+AGANDECCA.
+
+Je suis la reine, et je viens te voir.
+
+
+ALDO.
+
+Votre Grâce arrive une heure trop lard, la maison est déserte. Ma mère
+est morte, et je ne repasserais pas le seuil que je viens de franchir,
+fut-ce pour la reine Mab elle-même.
+
+
+AGANDECCA.
+
+Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma barque.
+
+
+ALDO.
+
+Madame, où me menez-vous?
+
+
+AGANDECCA.
+
+A la promenade.
+
+
+ALDO. Votre promenade sera-t-elle longue?
+
+
+LA REINE.
+
+Que sais-je?
+
+
+
+
+ACTE SECOND.
+
+Dans une galerie du palais de la reine.
+
+
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE.
+
+LA REINE, TICKLE.
+
+
+LA REINE.
+
+Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fâche, et je ne veux pas
+entendre de mal de lui.
+
+
+TICKLE.
+
+Comment Votre Grâce peut-elle me supposer une si coupable intention! Le
+seigneur Aldo est un si grand poëte et un si noble cavalier!
+
+
+LA REINE.
+
+Oui, c'est le plus beau génie et le plus grand coeur! Je ne lui reproche
+qu'une chose, son invincible orgueil.
+
+
+TICKLE.
+
+Sous une apparence d'humilité, je sais qu'il cache une épouvantable
+ambition...
+
+
+LA REINE.
+
+Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que l'ambition d'être
+aimé.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est une belle et touchante ambition!
+
+
+LA REINE.
+
+Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante. Un mot
+l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une ombre; il n'y a pas
+de calme possible dans son amour.
+
+
+TICKLE.
+
+Cet amour-là est une tyrannie, une guerre à mort, un combat éternel!
+
+
+LA REINE.
+
+Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur des hommes.
+Je lui reproche, au contraire, de trop renfermer au dedans de lui les
+chagrins que je lui cause. Au lieu de s'en plaindre franchement, il les
+concentre, il les surmonte, et, avec toute cette résignation, tout ce
+courage, toute cette douceur, il dévore sa vie, il use son coeur, il est
+malheureux.
+
+
+TICKLE.
+
+Infortuné jeune homme! Votre Grâce devrait avoir plus de compassion, lui
+épargner...
+
+
+LA REINE.
+
+Mais de quoi se plaint-il, après tout? Son coeur est injuste, son esprit
+est plein de travers, d'inconséquences, de souffrances sans sujet et
+sans remède. Que puis-je faire pour un cerveau malade? Je l'aime de
+toute mon âme et lui épargne la douleur tant que je puis; mais le mal
+est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pâle et sombre, à mes
+côtés, je l'ai pris pour l'ange de la douleur.
+
+
+TICKLE.
+
+Le spectacle d'un homme toujours mécontent doit être un grand supplice
+pour une âme généreuse comme celle de Votre Grâce.
+
+
+LA REINE.
+
+Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me blesse et m'irrite.
+Quoi de plus décourageant que de vouloir consoler un inconsolable? C'est
+se consumer jeune et pleine de santé auprès du lit d'un moribond qui ne
+peut ni vivre ni mourir.
+
+
+TICKLE.
+
+Votre Grâce a fait pourtant bien des sacrifices pour lui. De quoi
+pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracié pour lui le duc de
+Suffolk, l'astre le plus brillant de la cour?
+
+
+LA REINE.
+
+Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus!
+
+
+TICKLE.
+
+Il n'avait jamais d'ailleurs été bien aimable.
+
+
+LA REINE.
+
+Il ne faut pas dire cela; c'était un homme d'esprit et plein de nobles
+qualités.
+
+TICKLE.
+
+Oh! oui, généreux, brave, désintéressé!...
+
+
+LA REINE.
+
+Ceci est faux; il était plus épris de mon rang que de ma personne.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est le malheur des rois.
+
+
+LA REINE.
+
+Et c'est ce qui me fait chérir l'amour de mon poëte: lui du moins m'aime
+pour moi seule. Il sait à peine si je suis reine. Il n'en est point
+ébloui; même il en souffre, et je crois qu'il me le pardonne.
+
+
+TICKLE.
+
+Votre Grâce est-elle bien sûre que dans son orgueil de poëte il ne
+préfère point sa condition à celle d un roi?
+
+
+LA REINE.
+
+S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poëte est la plus belle des
+couronnes, la plume d'un grand écrivain est un sceptre plus puissant que
+les nôtres. Moi, j'aime qu'un esprit supérieur sache ce qu'il est et ce
+qu'il peut être; c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions.
+
+
+TICKLE.
+
+Aussi je crois que le poëte Aldo est réservé à de hautes destinées. Il
+est digne de commander aux hommes, et un mot de Voire Grâce pourrait
+l'élever au véritable rang qu'il est né pour occuper....
+
+
+LA REINE.
+
+Si je ne te savais profondément hypocrite, ô mon cher Tickle, je le
+dirais que tu es parfaitement imbécile. Qui? lui! être mon époux!
+régner! D'abord le sceptre jusqu'ici ne m'a pas semblé trop lourd à
+porter; ensuite Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais
+supposer capable de me seconder. Personne ne connaît moins les
+autres hommes, personne n'a d'idées plus creuses, de sentiments plus
+exceptionnels, de rêves plus inexécutables. Vraiment! mon peuple serait
+un peuple bien gouverné! il pourrait chanter beaucoup et manger fort
+peu, ce qui ne laisserait pas que d'être fort agréable, le jour où
+le poëte-roi aurait découvert le moyen de placer l'estomac dans les
+oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu n'as pas le sens commun aujourd'hui.
+
+
+TICKLE, _sortant_.
+
+Fort bien, j'ai réussi à la fâcher; j'étais bien sur qu'en disant comme
+elle, je l'amènerais à dire comme moi.
+
+
+
+SCÈNE II.
+
+
+LA REINE, seule.
+
+Ce Tickle est un fâcheux personnage; il a une manière d'entrer dans mes
+idées qui m'en dégoûte sur-le-champ. Ces prétendus bouffons, que nous
+ayons autour de nous, sont comme nos mauvais génies, laids et méchants;
+ils tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la vérité qui nous
+blesse,. et de nous taire celle qui nous serait utile. Quand ils ne
+mentent pas, c'est que leur mensonge pourrait nous épargner une douleur
+ou nous sauver d'un péril; c'est alors seulement qu'ils se refusent
+Je plaisir de nous tromper. Il faut que je voie mon poëte, je me sens
+attristée et prête à douter de tout. L'homme aux illusions me consolera
+peut-être. (_Elle siffle dans un sifflet d'argent suspendu à son cou_.)
+(_Tickle rentre_.) Nain, envoyez Aldo près de moi, je l'attends ici.
+
+
+TICKLE.
+
+J'y cours avec joie.
+
+
+LA REINE.
+
+Après tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit que cet amour nuit
+à ma gloire. Le duc de Suffolk m'était moins cher, je l'estimais moins,
+j'étais moins touchée de son amour; mais son esprit, moins élevé, était
+plus positif; c'était un ambitieux, mais un ambitieux qui secondait
+toutes mes vues. J ai aimé autrefois le brave Athol. Celui-là était un
+beau soldat, un bon serviteur, un véritable ami; du reste, un montagnard
+stupide; mais il était l'appui de ma royauté, il la rendait redoutable
+au dehors, paisible au dedans; c'était comme une bonne arme bien trempée
+et bien brillante dans ma main. Ce poëte est dans mon palais comme un
+objet de luxe, comme un vain trophée qu'on admire et qui ne sert à rien.
+Un vêtement d'or vaut-il une cuirasse d'acier? On aime à respirer les
+roses de la vallée, mais on est à l'abri sous les sapins de la montagne.
+
+Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave! Qu'il est doux de
+se reposer des soucis de la vie active sur un coeur sincère et fidèle!
+Qu'ils sont rares, ceux qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes
+toujours embrasés, ils se consument en montant vers le ciel. Nous
+pouvons à toute heure chercher sur leur autel la chaleur qui manque à
+notre âme épuisée, nous la trouvons toujours vive et brillante. Leur
+sein est un mystérieux sanctuaire où le feu sacré ne s'éteint jamais;
+s'il s'éteignait, le temple s'écroulerait comme un monde sans soleil.
+L'amour est en eux le principe de la vie. Ils pâlissent, ils souffrent,
+ils meurent, si on froisse leur tendresse délicate et timide. Dites un
+mot, accordez un regard, ils renaissent, leur sein palpite de joie,
+leur bouche a de douces paroles de reconnaissance pour bénir, et leurs
+caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi qui saches aimer, et
+pourtant il est des jours où tu m'ennuies mortellement.
+
+
+
+SCÈNE III.
+
+LA REINE, ALDO.
+
+
+ALDO.
+
+Que veux-tu de moi, ma bien-aimée?
+
+
+LA REINE.
+
+Je voulais te voir et être avec toi.
+
+
+ALDO.
+
+Êtes-vous triste, êtes-vous fatiguée? Voulez-vous que je chante? Que
+puis-je faire pour vous?
+
+
+LA REINE.
+
+Êtes-vous heureux?
+
+
+ALDO.
+
+Je le suis, parce que vous m'aimez.
+
+
+LA REINE.
+
+Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me répondez pas? Déjà votre
+visage est changé, des larmes roulent dans vos yeux, ma question vous a
+offensé?
+
+
+ALDO.
+
+Offensé?--Non.
+
+
+LA REINE.
+
+Affligé?
+
+
+ALDO.
+
+Oui.
+
+
+LA REINE.
+
+Si vous êtes triste, vous allez me rendre triste.
+
+
+ALDO.
+
+J'essaierai de ne pas l'être; mais, quand vous avez besoin de
+distraction et de gaieté, pourquoi me faites-vous appeler? Ce n'est pas
+ma société qui vous convient dans ces moments-là. Votre nain Tickle a
+plus d'esprit et de bons mots que moi.
+
+
+LA REINE.
+
+Mais il est méchant et laid. J'aime la gaieté, mais c'est un banquet où
+je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives dignes de moi. Pourquoi
+méprisez-vous le rire? Vous croyez-vous trop céleste pour vous amuser
+comme les autres hommes?
+
+
+ALDO.
+
+Je me sens trop faible pour professer le caractère jovial. Quand je
+semble gai, je suis navré ou malade; le bonheur est sérieux, la douleur
+est silencieuse. Je ne suis capable que de joie ou de tristesse. La
+gaieté est un état intermédiaire dont je n'ai pas la faculté, j'y arrive
+par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire, commandez le
+souper, faites danser sir John Tickle sur la table; en voyant ses
+grimaces, en buvant du vin d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en
+convulsion. Mais ici, près de vous, de quoi puis-je me divertir? Je vous
+regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous me regardez avec
+bonté, je suis heureux; vous me raillez, et je suis triste.
+
+LA REINE.
+
+Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on toujours vivre
+replié sur soi-même? L'amour est-il la seule passion digne de vous?
+
+
+ALDO.
+
+C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable.
+
+
+LA REINE, _impatientée_
+
+Alors vous êtes un pauvre sire; moi, je ne peux pas toujours parler
+d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets de joie ou de tristesse que
+le nuage qui passe dans le ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de
+grands intérêts dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais
+des lois, je récompense la valeur, je punis le crime; j'inspire la
+crainte, le respect, l'amour, la haine peut-être; tout cela m'occupe; je
+vais d'une chose à une autre, je parcours tous les tons de cette belle
+musique dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet; mais
+votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son. Vous êtes beau et
+monotone comme la lune à minuit, mon pauvre poëte.
+
+
+ALDO.
+
+La lune est mélancolique. Il vous est bien facile de fermer les fenêtres
+et d'allumer les flambeaux quand sa lueur blafarde vous importune.
+Pourquoi allez-vous rêver dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la
+brume et le froid rayon des étoiles n'iront pas vous attrister dans vos
+salles pleines de bruit et de lumière.
+
+
+LA REINE.
+
+J'entends: je puis m'étourdir dans de frivoles amusements et vous
+laisser avec votre muse. C'est une société plus digne de vous que celle
+d'une femme capricieuse et puérile. Restez donc avec votre génie, mon
+cher poëte. Les étoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre
+doucement parmi les fleurs: rêvez, chantez, soupires. La façade de mon
+palais s'illumine, et le son des instruments m'annonce le repas du soir.
+J'y vais porter votre santé à mes convives dans une coupe d'or,
+et parler de vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici,
+penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous avec les sylphes.
+S'ils ne me trouvent pas indigne d'un souvenir, parlez-leur de moi; et
+si, malgré cette nourriture céleste, il vous arrive de ressentir la
+vulgaire nécessité de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. Au
+revoir.--Mais qu'est-ce donc? Vous avez baisé bien tristement ma main,
+et vous y avez laissé tomber une larme! Quoi! vous êtes triste encore?
+je vous ai encore blessé? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon
+cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous aime tendrement,
+je vous préfère aux plus grands rois de la terre. Faut-il vous le
+répéter à toute heure? ne le savez-vous pas? Venez, que je baise votre
+beau front. Séchez vos larmes et venez me rejoindre bientôt.
+
+
+
+SCÈNE IV.
+
+
+ALDO, _seul_.
+
+Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu et devant les
+hommes! Moi, je n'ai raison que devant ma conscience. Je ne puis avoir
+d'autre juge que moi-même, et ne puis me plaindre qu'à moi-même.--Car,
+enfin, il ne dépend pas de moi d'être autrement. Tout m'accuse
+d'affectation; mais on n'est pas affecté, on n'est pas menteur avec
+soi-même. Je sais bien, moi, que je suis ce que je suis. Les autres sont
+autres, et ne me comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car
+moi je ne nie pas leur sincérité; ils me disent qu'ils sont courageux,
+je pourrais leur répondre qu'ils sont insensibles. Mais j'accepte ce
+qu'ils me disent, je consens à les reconnaître courageux. Mais s'ils le
+sont, pourquoi me reprochent-ils impitoyablement de ne l'être pas? Si
+j'étais Hercule, au lieu de mépriser et de railler les faibles enfants
+que je trouverais haletants et pleurants sur la route, je les prendrais
+sur mes épaules, je les porterais, une partie du chemin, dans ma peau de
+lion. Que serait pour moi ce léger fardeau, si j'étais Hercule?--Voua
+ne l'êtes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui. Elle ne
+vous révolte pas, elle vous effraie. Vous craignez d'être forcés de la
+secourir, et, comme vous ne le pouvez pas, vous l'humiliez pour lui
+apprendre à se passer de vous.
+
+Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de corps, faible
+d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi; je préfère ce que j'aime
+à moi-même.--Quand je veux suivre la chasse, j'en suis vite dégoûté,
+parce que je suis vite fatigué.--Quand on me raille, ou me blâme, je
+suis effrayé, parce que je crains de perdre les affections dont je ne
+puis me passer, parce que je sens que je suis méconnu, et que j'ai
+trop de candeur pour me réhabiliter en me vantant. Avec les hommes,
+il faudrait être insolent et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes
+faiblesses et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses des
+autres et n'en suis pas révolté. Je les supporte tels qu'ils sont. Je ne
+repousse pas les plus méprisables, je les plains, et, tout faible que
+je suis, j'essaie de soutenir et de relever ceux qui sont plus faibles
+encore. Pourquoi ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la
+pareille?
+
+--Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne te nie pas;
+peut-être te manifesteras-tu à moi dans une autre vie. J'espère en la
+mort.
+
+Mais ici tu ne te révèles pas. Tu nous laisses souffrir et crier en
+vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprimé, tu ne punis pas le
+méchant. J'accepte tout, mon Dieu! et je dis que c'est bien, puisque
+c'est ainsi. Suis-je impie, dis-moi?
+
+Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie de moi-même.
+Conscience, voix du ciel cachée en moi, comme le son mélodieux dans les
+entrailles de la harpe, je te prends à témoin, je te somme de me rendre
+justice. Ai-je été lâche? ai-je lutté contre le malheur? ai-je supporté
+la misère, la faim, le froid? ai-je abandonné ma mère lorsque tout
+m'abandonnait, même la force du corps? ai-je résisté à l'épuisement et à
+la maladie? ai-je résisté à la tentation de me tuer?--Où est le mendiant
+que j'aie repoussé? où est le malheureux que j'aie refusé de secourir?
+où est l'humilié que je n'aie pas exhorté à la résignation, rappelé à
+l'espérance? J'ai été nu et affamé. J'ai partagé mon dernier vêtement
+avec ma mère aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec mon
+chien efflanqué. J'ai toujours pris en sus de ma part de souffrances
+une part des souffrances d'autrui; et ils disent que je suis lâche, ils
+rient de la sensibilité niaise du poëte! et ils ont raison, car ils sont
+tous d'accord, ils sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les
+autres.
+
+Je suis seul, moi! et j'ai vécu seul jusqu'ici. Suis-je lâche? J'ai eu
+besoin d'amitié, et, ne l'ayant point trouvée, j'ai su me passer d'elle.
+J'ai eu besoin d'amour, et, n'en pouvant inspirer beaucoup, voilà que
+j'accepte le peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille. Je
+pleure tout bas, et l'on me méprise.
+
+C'est donc une lâcheté que de souffrir? C'est comme si vous m'accusiez
+d'être lâche parce qu'il y a du sang dans mes veines et qu'il coule à la
+moindre blessure. C'est une lâcheté aussi que de mourir quand on vous
+tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris mon parti sur
+les railleries de mes compagnons? N'avais-je pas consenti à montrer mon
+front pâle au milieu de leurs fêtes et à passer pour le dernier des
+buveurs? N'avais-je pas livré mes vers au public, sachant bien que deux
+ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux ou trois mille qui me
+traiteraient de rêveur et de fou? Après avoir souffert du métier de
+poëte en lutte avec la misère et l'obscurité, j'avais souffert plus
+encore du métier de poëte aux prises avec la célébrité et les envieux!
+Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne trouvant pas le
+bonheur dans la richesse et dans ce qu'on appelle la gloire, je
+m'étais réfugié dans le coeur d'une femme, et j'espérais. Celle-là, me
+disais-je, est venue me prendre par la main au bord du fleuve où je
+voulais mourir. Elle m'a enlevé sur sa banque magique, elle m'a conduit
+dans un monde de prestiges qui m'a ébloui et trompé, mais où, du moins,
+elle m'a révélé quelque chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si
+les vains fantômes de mon rêve se sont vite évanouis, c'est qu'elle
+était une fée, et que sa baguette savait évoquer des mensonges et des
+merveilles, mais elle est une divinité bienfaisante, cette fée qui me
+promène sur son char. Elle m'a leurré de cent illusions pour m'éprouver
+ou pour m'éclairer. Au bout du voyage, je trouverai derrière son nuage
+de feu, la vérité, beauté nue et sublime que j'ai cherchée, que j'ai
+adorée à travers tous les mensonges de la vie, et dont le rayon
+éclairait ma route au milieu des écueils où les autres brisent le
+cristal pur de leur vertu. Fantômes qui nous égarez, ombres célestes que
+nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites courir après
+vous sans regarder où nous mettons les pieds, pourquoi revêtez-vous des
+formes sensibles, pourquoi vous déguisez-vous en femmes? Appelez-vous la
+vérité, appelez-vous la beauté, appelez-vous la poésie; ne vous appelez
+pas Jane, Agandecca, l'amour.
+
+Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour être mieux traité que
+les autres? Pourquoi cette insolente ambition d'être heureux? Pourquoi
+n'es-tu pas fier de ton laurier de poëte et de l'amour d'une reine? Et
+si cela ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la réalité
+d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk était aimé de la reine;
+il voulait plus que partager sa couche, il voulait partager son trône.
+Athol fut aimé de la reine; il s'ennuyait souvent près d'elle, il
+désirait la gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui
+semblait préférable à tout. Suffolk, Athol, vous étiez des ambitieux,
+mais vous n'étiez pas des fous; vous désiriez ce que vous pouviez
+espérer; la puissance, la victoire, l'argent, l'honneur, tout cela est
+dans la vie; l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La reine
+a chassé Suffolk; mais il règne sur une province, et il est content.
+Athol a été disgracié; mais il commande une armée, et il est fier.
+
+Moi, que puis-je aimer après elle? rien. Où est le but de mes
+insatiables désirs? dans mon coeur, au ciel, nulle part peut-être?
+Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable au mien, qui me réponde; ce
+coeur n'existe pas. On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me
+le vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On s'amuse de ma
+passion comme d'une chose singulière, on la regarde comme un spectacle,
+et quelquefois l'on s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus
+souvent on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On m'admire,
+on me recherche et on m'écoute, parce que je suis un poëte; mais quand
+j'ai dit mes vers, on me défend d'éprouver ce que j'ai raconté, on me
+raille d'espérer ce que j'ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on, et
+gardez vos églogues pour les réciter devant le monde; soyez homme avec
+les hommes, hissez donc le poëte sur le bord du lac où vous le promenez,
+au fond du cabinet où vous travaillez.--Mais le poëte, c'est moi! Le
+coeur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis l'arracher de
+mes entrailles. Je ne puis étouffer dans mon sein l'ange mélodieux qui
+chante et qui souffre. Quand vous l'écoutez chanter, vous pleurez; puis
+vous essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon rôle cesse
+avec votre émotion: aussitôt que vous cessez d'être attentifs, il faut
+que je cesse d'être inspiré. Qu'est-ce donc que la poésie? Croyez-vous
+que ce soit seulement l'art d'assembler des mots?
+
+Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous avez raison! vous
+êtes reine, vous êtes belle, vous êtes ambitieuse et forte. Votre âme
+est grande, votre esprit est vaste. Vous avez une belle vie; en bien!
+vivez. Changez d'amusement, changez de caractère vingt fois par jour;
+vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blâme pas; et, si je vous
+aime, c'est peut-être parce que je vous sens plus forte et plus sage
+que moi. Si je suis heureux d'un de vos sourires, si une de vos larmes
+m'enivre de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des
+bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez me refuser.
+Moi, quel mérite ai-je à vous aimer? je ne puis faire autrement. De quel
+prix est mon amour? l'amour est ma seule faculté. A quels plaisirs, à
+quels enivrements ai-je la gloire de tout préférer? Rien ne m'enivre,
+rien ne me plaît, si ce n'est vous. La moindre de vos caresses est un
+sacrifice que vous me faites, puisque c'est un instant que vous dérobez
+à d'autres intérêts de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous
+êtes mon autel et mon Dieu, et je suis moi-même l'offrande déposée à vos
+pieds.
+
+Si je suis mécontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en prendre de mes
+souffrances? Si je pouvais me plaindre, m'indigner, exiger plus qu'on ne
+me donne, j'espérerais. Mais je n'espère ni ne réclame; je souffre.
+
+Eh bien, oui, je souffre et je sais mécontent. Pourquoi ai-je voulu
+vivre? Quelle insigne lâcheté m'a poussé à tenter encore l'impossible?
+Ne savais-je pas bien que j'étais seul de mon espèce et que je serais
+toujours ridicule et importun? Qu'y a-t-il de plus chétif et de plus
+misérable que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui souffre est un
+fléau! c'est un objet de tristesse et de dégoût pour les autres! c'est
+un cadavre qui encombre la voie publique, et dont les passants se
+détournent avec effroi. Etre malheureux, c'est être l'ennemi du genre
+humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur compte, et celui
+qui ne sait pas vivre pour lui-même est un voleur qui dépouille ou un
+mendiant qui assiège.
+
+Meurs donc, lâche! il est bien temps d'en finir! tu t'es bien assez
+cabré sous la nécessité! Tes flancs ont saigné, et tu n'as pas fait un
+pas en avant! Résigne-toi donc à mourir sans avoir été heureux!...
+
+Hélas! hélas! mourir, c'est horrible!... Si c'était seulement saigner,
+défaillir, tomber!... mais ce n'est pas cela. Si c'était porter sa tête
+sous une hache, souffrir la torture, descendre vivant dans le froid
+du tombeau! mais c'est bien pis: c'est renoncer à l'espérance, c'est
+renoncer à l'amour; c'est prononcer l'arrêt du néant sur tous ces rêves
+enivrants qui nous ont leurrés, c'est renoncer à ces rares instants de
+volupté qui faisaient pressentir le bonheur, et qui l'étaient peut-être!
+
+Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas assez, n'est-ce
+pas trop! Agandecca, vous m'avez dit des mots qui valaient une année de
+gloire, vous m'avez causé des transports qui valaient mieux qu'un siècle
+de repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui effacera
+toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi un instant le roi de
+la terre et du ciel!
+
+Mais pourquoi retomber toujours dans l'abîme de douleur? pourquoi
+chercher ces joies si elles doivent finir et si je ne sais pas y
+renoncer? Les autres se lassent et se fatiguent de leurs jouissances:
+moi, la jouissance m'échappe et le désir ne meurt pas! O amour! éternel
+tourment!... soif inextinguible!
+
+Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et, si je le
+puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra plus malheureux. Je ne
+saurai pas vivre sans aimer. L'amour ou l'amitié ne me paieront pas ce
+que je dépenserai de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je pu
+vivre jusqu'ici? Je ne le conçois pas. Suis-je le plus courageux ou
+le plus lâche de tous les hommes?--Je ne sais pas; et comment le
+savoir?--Celui qui souffre pour donner du bonheur aux autres... oui,
+celui-là est brave... mais celui qui souffre et qui importune, celui qui
+veut du bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! décidément je suis
+un lâche! comment ne m'en suis-je pas convaincu plus tôt? (_Il tire son
+épée_). Lune... brise du soir!... Tais-toi, poëte, tu n'es qu'un sot.
+Qu'est-ce qui mérite un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un
+regret? (_Il va pour se tuer._)
+
+
+
+SCÈNE V.
+
+
+LE DOCTEUR ACROCERONIUS, _entrant_.
+
+Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude singulière?
+
+
+ALDO.
+
+Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas déranger pour moi.
+Puis-je vous rendre quelque service après votre mort?
+
+
+ALDO.
+
+Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir.
+
+
+ACROCERONIUS
+
+Je suis fâché que vous preniez cette résolution avant le coucher de la
+lune.
+
+
+ALDO.
+
+Pourquoi?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez une des plus
+belles éclipses de lune que nous ayons eues depuis longtemps.
+
+
+ALDO.
+
+Il y a une éclipse de lune?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera tellement
+visible, que je m'étonne de rencontrer un homme aussi indifférent que
+vous à cet important phénomène.
+
+
+ALDO.
+
+En quoi cela peut-il m'intéresser?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous le ferai comprendre.
+
+
+ALDO.
+
+Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas disposé à marcher, et
+j'aime mieux me passer mon épée au travers du corps.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Faites ce qui vous convient, et ne vous gênez pas devant moi. Cependant
+j'aurais été flatté d'avoir votre compagnie durant ma promenade.
+
+
+ALDO.
+
+En quoi pourrais-je vous être utile! La solitude convient mieux à vos
+savantes élucubrations. Je ne suis qu'un pauvre poëte, peu capable de
+raisonner avec vous sur d'aussi graves matières.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+La société des poëtes m'a toujours été fort agréable. Les poëtes sont de
+très-intelligents observateurs de la nature. Ils sont faibles sur les
+classifications, mais ils ont beaucoup de netteté dans l'observation.
+Ils possèdent l'appréciation juste de la couleur et de la forme, et
+quelquefois ils remarquent des rapports qui nous échappent; des nuances
+presque insaisissables leur sont révélées par je ne sais quel sens qui
+nous manque. Je suis sûr que vous me feriez voir des choses dont je sais
+l'existence, et que pourtant je n'ai jamais pu observer à l'oeil nu.
+
+
+ALDO.
+
+Les savants sont poëtes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont pas besoin,
+comme nous, d'observer pour voir. Ils savent tant de choses, qu'ils
+peuvent peindre la nature sans la regarder, comme on fait de mémoire le
+portrait de sa maîtresse. Ils peuvent nous initier à plus d'un mystère
+dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche vêtement qui couvre
+les beautés nues sous l'oeil de la science. Je suis fâché, mon cher
+maître, d'avoir vécu longtemps sous le même toit que vous, sans avoir
+songé à profiter de votre entretien.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Si vous n'êtes pas forcé absolument de vous tuer ce soir, vous pourriez
+venir avec moi sur la montagne de Lego. Nous observerions l'éclipse de
+lune, nous causerions sur toutes les choses connues; vous pourriez être
+revenu et mort avant le lever de la reine.
+
+
+ALDO.
+
+Vous avez raison. Donnez-moi votre télescope et faisons cette promenade
+ensemble. Vous m'apprendrez beaucoup de choses que j'ignore. Je vous
+interrogerai sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles,
+sur l'écume que la lune répand à minuit dans les herbes, sur les bruits
+qu'on entend la nuit... Avez-vous remarqué cette grande voix aigre qui
+crie incessamment autour de l'horizon, et qui est si égale, si continue,
+si monotone, qu'on la prend souvent pour le silence?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+J'ai écrit précisément un petit traité in-4° sur ce dont vous parlez;
+mais, pour bien vous le faire comprendre, il faudrait sortir un peu du
+monde visible, et nous aventurer dans des questions d'astrologie pour
+lesquelles vous auriez peut-être quelque répugnance.
+
+
+ALDO.
+
+L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maître. Je serais
+très-curieux d'avoir quelque notion sur cette science étonnante. J'y ai
+songé quelquefois, et si les préoccupations de mon esprit m'en avaient
+laissé le temps, j'aurais pris plaisir à soulever un coin du voile qui
+me cache cette mystérieuse Isis. Qui sait si la faiblesse de l'homme ne
+peut trouver dans ces profondeurs ignorées le secret du bonheur qu'elle
+cherche en vain ici-bas? On est bientôt las et dégoûté d'analyser et
+d'interroger les choses qui existent matériellement. Le monde invisible
+n'est pas épuisé... et si je pouvais m'y élancer...
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Venez avec moi, mon cher fils, et nous tâcherons de bien observer la
+lune.
+
+
+ALDO, _remettant son épée dans le fourreau_
+
+Allons-nous bien loin sur la montagne?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez de l'écume que
+répand la lune, voyez-vous, mon cher fils, le règne végétal d'après
+toutes les classific.... (_ils sortent en causant_.)
+
+
+GEORGE SAND
+
+
+
+
+FIN D'ALDO LE RIMEUR.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR ***
+
+***** This file should be named 12862-8.txt or 12862-8.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
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+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
+Team. This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
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+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
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+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
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+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
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+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+ of receipt of the work.
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+Foundation as set forth in Section 3 below.
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+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+The Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Aldo le rimeur
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+Author: George Sand
+
+Release Date: July 9, 2004 [EBook #12862]
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+Language: French
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+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR ***
+
+
+
+
+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
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+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr
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+
+
+
+
+<h1>ALDO LE RIMEUR</h1>
+<h4>George Sand</h4>
+
+<br>
+
+<h3>PRÉFACE</h3>
+
+<p>Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman
+et le drame de <i>Chatterton</i>, personne ne pensera que
+j'aie eu la prétention d'imiter ce modèle, bien qu'une scène
+d'<i>Aldo le rimeur </i>présente quelques rapports de situation
+avec le beau et déchirant monologue que M. de Vigny a
+mis dans la bouche de son poëte. Je ne me défendrais pas
+d'avoir été inspiré par ce sujet, d'abord si le fait était
+vrai, ensuite si ma pensée eût été la même. Mais elle
+était autre, et je ne songeais à peindre la misère du poëte
+que comme un accident, un des malheurs passagers de
+sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre
+le poëte en général; une âme de poëte quelconque, mobile,
+généreuse, ardente, susceptible, inquiète, fière et
+jalouse. Le second acte de ce petit poème dialogué montre
+le même homme <i>non transformé</i> qu'on a vu lutter contre
+la faim et l'abandon au premier acte. De même qu'un
+nouvel amour a été le dénoûment de cette première
+phase, l'amour de la science, ou plutôt une soudaine et
+vague révélation de la science, arrache une seconde fois
+l'âme curieuse et <i>ondoyante</i> du poëte au dégoût de la
+vie, à la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque
+je fis paraître ce fragment dans une Revue, compléter
+la série d'expériences et de déceptions par lesquelles,
+après avoir plusieurs fois rempli et vidé la coupe des illusions,
+Aldo devait arriver à briser sa vie ou à se réconcilier
+avec elle. De nouvelles préoccupations d'esprit
+m'emportèrent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo
+oubliait la reine Agandecca. Je n'ai jamais pensé que
+l'interruption de cette esquisse fût offensante ou préjudiciable
+pour aucun lecteur; mais, avant de la remettre
+sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est
+là qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensée,
+et beaucoup mieux sans doute que je ne l'ai commencé.</p>
+
+<br><br>
+
+
+<h2>ALDO LE RIMEUR</h2>
+
+<blockquote><p> Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son
+petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet,
+le soir auprès de son feu, les pieds dans de très-bonnes
+pantoufles. <i>(Esprit des journaux.)</i>
+</p></blockquote>
+
+<br><br>
+
+<h3>PERSONNAGES.</h3>
+
+<p>ALDO LE RIMEUR<br>
+
+MEG, sa mère.<br>
+
+JANE, jeune montagnarde.<br>
+
+LA REINE AGANDECCA.<br>
+
+TICKLE, nain de la reine.<br>
+
+MAITRE ACROCÉRONIUS,
+astrologue de la reine.</p>
+
+<p>La scène est à Ithona.</p>
+
+
+
+<h2>ACTE PREMIER.</h2>
+
+<p>Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait à une soupente;
+au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait nuit.</p>
+
+
+
+<h3>SCÈNE PREMIÈRE.</h3>
+
+<p class="c">ALDO, TICKLE.</p>
+
+
+<p><i>(Aldo est assis le tête dans ses mains, les coudes sur
+la table. Un frappe à la porte.)</i></p><br>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Qui frappe?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE, en dehors.</p>
+
+<p>Votre très-humble serviteur.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Lequel?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Votre ami.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Que le diable vous emporte! vous êtes un escroc.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Non, je suis votre ami et votre serviteur.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Il est évident que vous venez me dépouiller; mais je
+ne crains rien de ce côté-là. Entrez.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Souffrez que je vous embrasse.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Permettez-moi de vous mettre sur la table.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE, <i>sur la table.</i></p>
+
+<p>Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur,
+depuis que nous ne nous sommes vus?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Mais.... tantôt bien, tantôt mal. Il s'est passé beaucoup
+de choses depuis que je n'ai eu l'honneur de vous
+voir.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>En vérité, mon cher monsieur?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Sur mon honneur! ce serait trop long à vous raconter.
+Il y a vingt ans environ, car notre connaissance date de
+l'autre monde.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Vraiment?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur
+de vous rencontrer dans celui-ci.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez
+jamais vu?</p>
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Non, sur mon honneur, mon cher ami.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Eh! mais, d'où sortez-vous? où vivez-vous?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je vis dans une taupinière; mais vous, il est certain
+que, si j'en juge par votre taille, vous sortez d'un trou
+de souris.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE</p>
+
+<p>Et c'est pour cela que vous devriez connaître, ne fût-ce
+que de vue, le célèbre nain John Bucentor Tickle, bouffon
+de la reine.</p>
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance;
+vous passez pour un homme d'esprit.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Je n'en manque pas, et vous pouvez déjà vous en
+apercevoir à ma conversation.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Comment donc! j'en suis ébloui, stupéfait et renversé!</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Je vois que vous êtes un homme de goût pour un poëte.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Et vous un homme hardi pour un nain.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres:
+ceux-là ne causent qu'avec les poings; et moi, ce
+n'est pas ma profession. Je porte des manchettes de dentelle,
+c'est mon goût.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>C'est un goût fort innocent.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Et qui a le suffrage des dames, généralement. Avec les
+dames, Monsieur, comme avec les gens d'esprit, j'ai six
+pieds de haut, parce que sur ce terrain-là on se bat à
+armes égales.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je
+ne dis pas sur mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je
+savoir ce qui me procure l'honneur de votre visite?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Me permettez-vous d'être assis?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de
+siège; car cet escabeau est le seul que je possède, et
+mon habitude n'est pas d'écouter debout ce que l'on vient
+me prier d'entendre.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en
+faut pas davantage pour être absolument à votre hauteur.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>J'en suis intimement persuadé. (<i>Il s'assied; le nain
+se met à califourchon sur la table, vis-à-vis de lui.)</i></p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Mon cher monsieur, vous êtes poëte?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Pas le moins du monde, Monsieur.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais
+pour un certain Aldo... <i>le rimeur</i>, comme on dit
+dans la ville, et <i>le barde</i>, comme on dit à la cour. Vous
+avez peut-être entendu parler de lui? C'est un jeune
+homme qui n'est pas sans talent.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme
+qui n'a pas plus de talent que vous et moi.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Réellement? Eh bien, j'en suis fâché pour lui. Je venais
+lui offrir mes petits services.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Il vous offre les siens également; vous savez en quoi
+ils peuvent consister, puisque vous connaissez sa profession.
+Veuillez lui faire connaître la vôtre.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services
+Votre Seigneurie peut daigner offrir à un misérable poëte.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de très-larges
+poches à mon pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et,
+par suite d'une fantaisie analogue, les poches dont j'ai
+l'honneur de vous parler sont toujours pleines d'or.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de
+neuf.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>La vôtre me parait plus usée encore.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de
+ma poche.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre
+bourse et de votre crédit. Croyez-moi, c'est une habitude
+de mauvais genre que de n'avoir pas le sou. Or donc,
+voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez besoin.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Vous êtes trop modeste. Je connais votre position, le
+dénûment de mistress Meg, votre mère, et son grand âge.
+Je connais votre activité, votre dévouement, votre grandeur
+d'âme. Je vous offre un gain légitime... Vous comprenez?
+Je ne viens pas faire ici le grand seigneur; je
+viens vous proposer un échange, un marché qui ne peut
+qu'augmenter votre gloire et vous mettra à même de
+secourir mistress Meg.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je
+fisse monter une de vos jambes en flageolet, et me vendre
+l'autre pour en faire un porte-crayon?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur
+que la plus chétive de mes jambes, je vous demande
+un petit drame de votre façon.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Pour qui, Monsieur? pour le théâtre de la reine?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Pour moi, Monsieur.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la
+force de l'emporter!</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>J'allégerai mes poches d'une partie de l'or qui les
+charge, et je prendrai votre manuscrit à la place.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Très-bien; et puis?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le
+ferai jouer sur le théâtre de la reine.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Sous quel nom, je vous prie?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Sous le nom agréable de sir John Bucentor Tickle;
+c'est dans votre intérêt que j'agirai ainsi et pour donner
+de la confiance au public. Si l'autorité de mon nom ne
+suffisait pas à nous assurer sa bienveillance, en cas de
+chute, nous réclamerions contre son injuste arrêt.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>En lui livrant le nom du véritable auteur?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>C'est ainsi que cela se fait à la cour.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant
+de me laisser travailler au drame que vous me faites
+l'honneur de me demander.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Puis-je compter sur votre parole, Monsieur?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je m'en flatte.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Un mot de traité sera nécessaire.</p>
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>De tout mon coeur, j'en sais la rédaction. (<i>Il écrit.</i>)
+Voulez-vous signer maintenant? moi, je signe.</p>
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Permettez-moi d'en prendre connaissance. (<i>Il lit.</i>)
+«Je m'engage, moi, Aldo de Malmor, dit <i>le rimeur</i> à la
+ville et <i>le barde</i> à la cour, à jeter par les fenêtres le
+très-illustre seigneur John Bucentor Tickle, nain et
+bouffon de la reine, la première fois qu'il franchira le
+seuil de ma maison. Fait double entre nous, etc.» Bravo!
+bravo! c'est la première scène du drame!</p>
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Non, c'est un dénoûment tout prêt et que je vous offre
+gratis.</p>
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter à la
+reine, qui en sera charmée. (<i>Il saute en bas de la table
+et s'enfuit.</i>) Tu me le paieras!</p>
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous
+ma main.</p>
+
+
+
+<h3>SCÈNE II.</h3>
+
+
+<p class="c">ALDO, <i>seul.</i></p>
+
+<p>Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque
+jour m'amène un assassin ou un voleur. Misérables! vous
+me réduisez à l'aumône, mais vous n'aurez pas bon marché
+de ma fierté. Allons! ce fat m'a fait perdre une demi-heure,
+remettons-nous à l'ouvrage. La nuit s'avance; je
+ne serai plus dérangé. Tout est silencieux dans la ville et
+autour de moi. Dévorons cette nouvelle insulte; quand
+le brodequin est bon, le pied ne craint pas de se souiller
+en traversant la boue. Écrivons.</p>
+
+
+<p>Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public!
+lui donner mon cerveau pour livre, mon coeur pour
+clavier, afin qu'il en joue à son aise, et qu'il le jette après
+l'avoir épuisé en disant: Voici un mauvais livre, voici
+un mauvais instrument. Écrire! écrire!... penser pour
+les autres... sentir pour les autres... abominable prostitution
+de l'âme! Oh! métier, métier, gagne-pain, servilité,
+humiliation!&mdash;Que faire?&mdash;Écrire? sur quoi?&mdash;Je
+n'ai rien dans le cerveau, <img class="gauche" src="images/ill_1.png" alt="">
+tout est dans mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur à manger pour un
+morceau de pain, public grossier, bête féroce, amateur
+de tortures, buveur d'encre et de larmes!&mdash;Je n'ai dans
+l'âme que ma douleur; il faut que je te repaisse de ma
+douleur. Et tu en riras peut-être! Si mon luth mouillé et
+détendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras
+que toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de
+vrai, que je ne sens pas mon mal... quand je sens la faim
+dévorer mes entrailles! la faim, la souffrance des loups!
+Et moi, homme d'intelligence et de réflexion, je n'ai même
+pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que
+toutes les voix de l'âme se taisent devant le cri de l'estomac
+qui faiblit et qui brûle!&mdash;Si elles s'éveillent dans le délire
+de mes nuits déplorables, ces souffrances plus poignantes,
+mais plus grandes, ces souffrances dont je ne
+rougirais pas si je pouvais les garder pour moi seul, il
+faut que je les recueille sur un album comme des curiosités
+qui se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un
+amateur peut acheter pour son cabinet. Il y a des boutiques
+où l'on vend des singes, des tortues, des squelettes
+d'homme et des peaux de serpent. L'âme d'un poète est
+une boutique où le public vient marchander toutes les
+formes du désespoir: celui-ci estime l'ambition déçue
+sous la forme d'une ode au dieu des vers; celui-là s'affectionne
+pour l'amour trompé, rimé en élégie; cet autre
+rit aux éclats d'une épigramme qui partit d'un sein rongé
+par la colère, d'une bouche amère de fiel. Pauvre poète!
+chacun prend une pièce de ton vêtement, une fibre de
+ton corps, une goutte de ton sang; et quand chacun a
+essayé ton vêtement à sa taille, éprouvé la force de tes
+nerfs, analysé la qualité de ton sang, il te jette à terre
+avec quelques pièces de monnaie pour dédommagement
+de ses insultes, et il s'en va, se préférant à toi dans la
+sincérité de ses pensées insolentes et stupides.&mdash;O gloire
+du poète, laurier, immortalité promise, sympathie flatteuse,
+haillons de royauté, jouets d'enfants! que vous
+cachez mal la nudité d'un mendiant couvert de plaies!
+Oh! méprisables! méprisables entre tous les hommes,
+ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que celui-là,
+se font poètes pour le public! Misérables comédiens qui
+pourriez jouer le rôle d'hommes, et qui montez sur un
+tréteau pour faire rire et pleurer les désoeuvrés! n'avez-vous
+pas la force de vivre en vous-mêmes, de souffrir sans
+qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on vous regarde? Il
+vous faut un auditoire pour admirer vos puériles grandeurs,
+pour compatir à vos douleurs vulgaires! Celui qui
+est né fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcément
+la vocation héréditaire; il accomplit sa triste et
+honteuse destinée. S'il en triomphe, s'il s'élève seulement
+au niveau des hommes ordinaires, qu'il soit loué et
+encouragé! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits,
+hommes robustes, vous avez la fortune pour vous
+rendre libres, la science pour vous occuper, des bras
+pour creuser la terre en cas de ruine; et vous vous faites
+écrivains! et vous nous livrez les facultés débauchées de
+votre intelligence, vous cherchez la puissance morale
+dans l'épanchement ignoble de la publicité! vous appelez
+la populace autour de vous, et vous vous mettez nus devant
+elle pour qu'elle vous juge, pour qu'elle vous examine
+et vous sache par coeur! Oh! lâche! si vous êtes
+difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous
+livrez au mépris! lâche encore plus si vous êtes beau et
+si vous cherchez dans la foule l'approbation que vous ne
+devriez demander qu'à Dieu et à votre maîtresse.... C'est
+ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham qui
+me consultait sur ses vers.&mdash;Et il a tellement goûté mon
+avis qu'il m'a mis à la porte de chez lui, et m'a fait retirer
+la faible pension que m'accordait la reine en mémoire
+des services de mon père dans l'armée.... Aussi,
+maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer, chanter ...
+vendre mi pensée, mon amour, ma haine, ma religion,
+ma bravoure et jusqu'à ma faim! Tout cela peut
+servir de matière au vers alexandrin et de sujet au poème
+et au drame. Venez, venez, corbeaux avides de mon
+sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt
+de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller
+dans ses entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir:
+je vais vous l'apprendre, afin que vous me donniez
+de quoi dîner demain.... O misère! c'est-à-dire infamie!&mdash;(<i>Il
+s'assied devant une table.</i>) Ah! voici des stances à
+ma maîtresse!.... J'ai vendu trois guinées une romance
+sur la reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en
+apercevra guère... mais je puis le vendre trois guinées!...
+Le duc d'York m'a promis sa chaîne d'or si je lui faisais
+des vers pour sa maîtresse.... Oui, lady Mathilde est
+brune, mince: ces vers-là pourraient avoir été faits pour
+elle; elle a dix-huit ans, juste l'âge de Jane... Jane! je
+vais vendre ton portrait, ton portrait écrit de ma main; je
+vais trahir les mystères de ta beauté, révélés à moi seul,
+confiée à ma loyauté, à mon respect; je vais raconter les
+voluptés dont tu m'as enivré et vendre le beau vêtement
+d'amour et de poésie que je t'avais fait, pour qu'il aille
+couvrir le sein d'une autre! Ces éloges donnés à la sainte
+pureté de ton âme monteront comme une vaine fumée
+sur l'autel d'une divinité étrangère; et cette femme à qui
+j'aurai donné la rougeur de tes joues, la blancheur de tes
+mains, cette vaine idole que j'aurai parée de ta brune
+chevelure et d'un diadème d'or ciselé par mon génie,
+cette femme qui lira sans pudeur à ses amants et à ses
+confidentes les stances qui furent écrites pour toi, c'est
+une effrontée, c'est la femelle d'un courtisan, c'est ce
+qu'on devrait appeler une courtisane!&mdash;Non, je ne vendrai
+pas tes attraits et ta parure, ô ma Jane! simple fille
+qui m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas même
+ce que c'est qu'on poète. Tu me t'es pas enorgueillie de
+mes louanges, tu n'as pas compris mes vers; eh bien,
+je te les garderai. Un jour peut-être... dans le ciel, tu
+parleras ta langue des dieux!... et tu me répondras... ma
+pauvre Jane!... (<i>L'horloge sonne minuit.</i>) Déjà minuit!...
+et je n'ai rien fait encore, la fatigue m'accable
+déjà! Cette nuit sera-t-elle perdue comme les autres?....
+non, il ne le faut pas... Je ne puis différer davantage....
+Il ne me reste pas une guinée, et ma mère aura faim et
+froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-même...
+et le froid me gagne... Ah! je sens à peine ma plume entre
+mes doigts glacés... ma tête s'appesantit... Qu'ai-je donc?&mdash;Je
+n'ai rien fait et je suis éreinté!... mes yeux sont
+troublés... Est-ce que j aurais pleuré?... ma barbe est humide...
+Oui, voici des larmes sur les stances, à Jane...<img class="droite" src="images/ill_2.png" alt="">
+J'ai pleuré tout à l'heure en songeant à elle... Je ne m'en
+étais pas aperçu. Ah! tu as pleuré, misérable lâche? tu
+t'es énervé à te raconter ta douleur, quand tu pouvais
+l'écrire et gagner le pain de ta mère; et maintenant te
+voici épuisé comme une lampe vers le matin, te voici pâle
+comme la lune à son coucher... C'est la troisième nuit
+que tu emploies à marcher dans ta chambre, à tailler
+ta plume et à te frapper le front sur ces murs impitoyables!
+O rage! impuissance, agonie! (<i>Se levant.</i>)
+Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis
+m'ont tourné le dos, mon génie s'est couché paresseux et
+insensible à l'aiguillon de la volonté, ma vie elle-même a
+semblé me quitter, mon sang s'est arrêté dans mes veines,
+et la souffrance de mes nerfs contractés m'a arraché des
+cris. Tout cela est arrivé souvent, trop souvent! Mais toi,
+ô courage! ô orgueil! fils de Dieu, père du génie, tu ne
+m'as jamais manqué encore. Tu as levé d'aussi lourds
+fardeaux, tu as traversé d'aussi horribles nuits, tu m'as
+retiré d'aussi noirs abîmes... Tu sais manier un fouet qui
+trouve encore du sang à faire couler de mes membres
+desséchés; prends ton arme et fustige mes os paresseux,
+enfonce ton éperon dans mon flanc appauvri...</p>
+
+<p>J'ai entendu gémir là-haut! sur ma tête!... c'est ma
+mère!... Elle souffre, elle a froid peut-être. J'ai mis mon
+manteau sur elle pour la réchauffer. Il ne me reste plus
+rien... Ah! mon pourpoint pour envelopper ses pieds.
+(<i>Il monte dans la soupente et revient en chemise et
+en grelottant.</i>)</p>
+
+<p>Froid maudit! ciel de glace!</p>
+
+<p>Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer
+quelque chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et
+les frileux. (<i>Sa voix s'affaiblit.</i>) Une satire sur les
+nez rouges... (<i>Une pause.</i>) Une épigramme sur le nez
+de l'archevêque qui est toujours violet après souper...
+(<i>Une pause.</i>) Unes chanson, cela me réveillera; si je viens
+à bout de rire, je suis sauvé... Ah! le damné manteau
+de glace que minuit me colle sur les épaules!... rimons...
+charmante bise de décembre qui souffles sur mes tempes,
+inspire-moi... Monseigneur...
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Monseigneur de Cantorbery...</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p class="i10"> (<i>Une pause</i>.)</p>
+<p>Est toujours vermeil après boire.,.</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Vermeil ne me plaît pas...</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i4">Est toujours charmant...</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Charmant... hum!</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i4">Est toujours superbe..</p>
+<p>Est toujours superbe après boire...</p>
+ </div> </div>
+
+<p>(<i>Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse</i>.)</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Monseigneur de Cantorbery...</p>
+ </div> </div>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p class="i10"> (<i>Il s'endort tout à, fait</i>.)</p>
+ </div> </div>
+
+
+
+<p>(<i>Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est
+enveloppée à demi dans les couvertures de son lit,
+et se traîne le long des murs.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">MEG.</p>
+
+<p>Je crois qu'il y a enfin de la lumière ici... Je vois une
+lueur faible... (<i>Elle se heurte contre la table.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Qui va là?... vous ne répondez pas?... bonsoir... Si
+vous êtes un voleur, l'ami, passez votre chemin, vous
+perdez votre temps ici... (<i>Il se rendort.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">MEG.</p>
+
+<p>Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis
+encore plus sourde aujourd'hui qu'à l'ordinaire... et je
+ne sais pas si le temps était plus sombre, mais il m'a
+semblé que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est pas
+rentré, à ce qu'il paraît!... (<i>Elle-se heurte encore.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Encore! Ami voleur, mon cher frère en diable, vous
+ne vous en rapportez pas à moi?... Cherchez à votre
+aise... si vous pouviez trouver ma rime dans un coin de
+la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant.
+Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez...</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>Monseigneur de Cantorbery</p>
+<p class="i4">Est, ma foi! superbe....</p>
+ </div> </div>
+
+<p>(Il se rendort.)</p>
+
+
+<p class="c">MEG, <i>qui s'est égarée, à tâtons dans la chambre.</i></p>
+
+<p>Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici
+que dans mon lit.... Dieu de bonté, j'espérais trouver le
+poêle ... mais y a-t-il du bois seulement? Si mon pauvre
+enfant était là, du moins il me consolerait.... Mais il est
+allé me chercher quelque chose sans doute.... Je ne vois
+plus du tout. Je n'entends rien nulle part.... Froid, nuit,
+silence, solitude, vieillesse, que vous êtes tristes! Je ne
+me soutiens plus, une étrange défaillance me saisit....</p>
+
+<p class="c">(<i>Aldo rêvant.</i>)</p>
+
+<p>Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!...</p>
+
+
+<p class="c">MEG.</p>
+
+<p>Mes genoux vont se casser si je marche encore: où
+m'asseoir dans ces ténèbres?... (<i>Elle se laisse tomber.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je
+t'avais donné à Oscar, mais il parait que tu veux jeûner
+avec ton maître ... où es-tu, ô le meilleur des hommes,
+je veux dire des caniches?...</p>
+
+
+<p class="c">MEG.</p>
+
+<p>Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant,
+sainte Vierge ... je meurs catholique ... mon enfant! mon
+enf.... Aldo! (Elle meurt.)</p>
+
+
+<p class="c">ALDO, <i>se relevant à demi.</i></p>
+
+<p>Pour le coup, on a parlé.... Mon nom est parti de ce
+coin.... Je n'ai pas rêvé peut-être.... Voleur ou chien! qui
+que tu sois.... C'était la voix de ma mère.... Ma mère,
+allons donc! elle dort là-haut.... Je n'ai pas la force d'y
+aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur! Misère, tu
+m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer près de moi
+dans mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait
+sortir de la tombe. Fantômes évoqués par la faim, terreurs
+imbéciles, laissez-moi!... Murailles imprudentes
+qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car s'il est en
+vous un écho bavard qui répète les paroles de ma peur,
+je vous démolirai pierre à pierre jusqu'à ce que je l'aie
+arraché de vos entrailles, fût-il caché dans le ciment et
+scellé dans le granit.... Ma mère, m'avez-vous appelé?
+(<i>Il se lève tout à fait et se frotte les yeux.</i>) Meg, ma
+mère! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je divague....
+J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse
+semble me demander ce que j'ai fait du temps! Tu as
+dormi, bête stupide!... Tu n'as pu lutter une heure ...
+comme les disciples du Christ, tu as mal gardé le jardin
+des Oliviers.&mdash;Jésus! tu bois en vain l'éternel calice
+des douleurs humaines; ton père est sourd, ton frère
+l'esprit saint a perdu ses ailes de feu. Le cerveau du
+poëte est aride comme la terre, et le coeur des riches est
+insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif aura plus
+de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (<i>Il se
+fait une incision à la poitrine; étouffe un cri et jette
+le canif.</i>) Votre leçon est incisive, mon bon ami, elle
+creusera en moi.... Passez-moi le calembour, mon esprit
+ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite lame!...
+Ah! me voici bien éveillé, Dieu merci! cette charmante
+plaie me cuit passablement Je puis travailler maintenant....
+Mais qui donc a ainsi bouleversé ma table?...
+Quelqu'un est entré ici.... Est-ce que j'aurais encore
+peur?... Imbécile! tu es poltron, et pour te guérir, tu
+répands deux onces de ton sang comme si tu en avais
+de reste! et tu gâtes ta chemise comme si tu en avais
+une autre! Faquin! perdras-tu tes habitudes de grand
+seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans cette plaie
+comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir
+travailler. (<i>Mettant ses deux bras sur se tête.</i>)
+Mon courage, mon Dieu! ma mère!... Il faut que j'aille
+embrasser ma mère sans la réveiller, cela me portera
+bonheur. (<i>Il prend sa lumière et sort.</i>) (<i>Il redescend
+de la soupente d'un air effaré.</i>) Mais où est donc la
+vieille femme? Ma mère! ma mère! Qu'est-ce qui a pu
+me voler ma mère? Je n'avais qu'elle au monde pour
+causer mon désespoir et conserver mon héroïsme. (<i>Il
+trouvera sa mère sous l'escalier.</i>) Ah!... ma mère est
+morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, à la fin!&mdash;Comment!
+vous êtes morte, ma mère? (<i>Il la retire de
+dessous l'escalier et la regarde.</i>) Oui, bien morte!
+Froide comme la pierre et raide comme une épée. Ah!
+ma mère est morte!... (<i>Il rit aux éclats et tombe en
+convulsion.</i>) (<i>Après un silence.</i>)</p>
+
+<p>Mais pourquoi êtes-vous déjà morte? Vous étiez bien
+pressée d'en finir avec la misère! Est-ce que je ne vous
+soignais pas bien? Étiez-vous mécontente de moi? Trouviez-vous
+que j'épargnais ma peine et que je ménageais
+mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard,
+et les critiques de mes envieux vous faisaient-elles
+rougir d'être la mère d'un si méchant rimeur? Vous étiez
+un <i>bas-bleu</i> autrefois dans votre village!... Aujourd'hui
+vous n'êtes plus qu'un pauvre squelette aux jambes nues.
+Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppés encore
+ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la
+doublure était usée et l'étoffe mince? C'est comme l'étoffe
+dont vous m'avez fait, ô vieille Meg! J'étais votre septième
+fils; tous étaient beaux et grands, musculeux et
+pleins d'ardeur, excepté moi le dernier venu. C'étaient
+de vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches
+aux flancs bruns; et pourtant, depuis Dougal le
+Noir jusqu'à Ryno le Roux, tous sont partis sans songer
+à vous conduire au cimetière. Il ne vous est resté que
+le pauvre Aldo, le pâle enfant de votre vieillesse, le fruit
+débile de vos dernières amours. Et que pouvait-il faire
+pour vous de plus qu'il n'a fait? que ne lui donniez-vous
+comme à vos autres fils une large poitrine et de mâles
+épaules! Cette petite main de femme que voici pouvait-elle
+manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier?
+Pouvait-elle soulever la rame du pêcheur et
+boxer avec l'esturgeon? Vous n'aviez rien espéré de
+moi, et, me voyant si chétif, vous n'aviez même pus daigné
+me faire apprendre à lire!&mdash;Et quand tous vous
+ont manqué, quand vous vous êtes trouvée seule avec
+votre avorton, n'avez-vous pas été surprise de découvrir
+que je ne sais quel coin de son cerveau avait retenu et
+commenté les chants de nos bardes! Quand cette voix
+grêle a su faire entendre des mélodies sauvages qui ont
+ému les hommes blasés des villes, et qui leur ont rappelé
+des idées perdues, des sentiments oubliés depuis
+longtemps, vous avez embrassé votre fils sur le front,
+sanctuaire d'un génie que vous aviez enfanté sans le savoir.
+Eh bien! ne pouviez-vous attendre quelques jours
+encore? La richesse allait venir peut-être. Votre vieillesse
+allait s'asseoir dans un palais, et vous êtes partie
+pour un monde où je ne puis plus rien pour vous. Tâchez,
+si vous allez en purgatoire, que les bras de mes frères
+vous délivrent et vous ouvrent les portes du ciel.... Pour
+moi, je n'ai plus rien à faire, ma tâche est finie. Toutes
+les herbes de la verte Innisfail peuvent pousser dans mon
+cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est temps
+que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille
+femme, spectre blême, dont le souvenir sacré m'a fait
+accomplir de si rudes travaux, apprendre tant de choses
+ardues, passer tant de nuits glacées sans sommeil et sans
+manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour toi, je
+n'aurais jamais été rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au
+moment où j'allais être quelque chose? Tu m'ôtes une
+récompense que je méritais; c était de te voir heureuse,
+et tu meurs dans le plus odieux jour de notre misère,
+dans la plus rude de mes fatigues! O mère ingrate,
+qu'ai-je fait pour que tu m'ôtes déjà mon unique désir
+de gloire, ma seule espérance dans la vie, l'honnête orgueil
+d'être un bon fils!... Vieux sein desséché qui as
+allaité six hommes et demi, reçois ce baiser de reproche,
+de douleur et d'amour.... ( <i>Il se jette sur elle en sanglotant.</i>)&mdash;Hélas!
+ma mère est morte!</p>
+
+<br>
+
+
+<h3>SCÈNE III.</h3>
+
+<p class="c">JANE, ALDO.</p>
+<br>
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Est-ce que votre mère est morte! Hélas! quelle douleur!</p>
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois
+la bienvenue! Mon âme est brisée, je n'espère plus qu'en
+toi.</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis
+pas rendre la vie à votre mère.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Tu peux me rendre sa tendresse, sa mélancolique et
+silencieuse compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait
+de moi, le devoir qui m'attachait à elle et à la vie. Hélas!
+il y a eu des jours où, dans mon découragement, j'ai
+souhaité que la pauvre Meg arrivât au terme de ses
+maux, afin de retrouver la liberté de me soustraire aux
+miens! Tout à l'heure, dans mon délire, je me suis réjoui
+amèrement d'être enfin délivré de mon pieux fardeau.
+Je me suis assis en blasphémant au bord du chemin.
+Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.&mdash;Mais je suis bien
+jeune encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est
+peut-être pas fini pour moi; l'avenir peut s'éveiller plus
+beau que le passé. Je veux devenir riche et puissant; si
+je trouve une douce compagne, tendre et bonne comme
+ma mère, et en même temps jeune et forte pour supporter
+les mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer
+comme un doux breuvage d'oubli au milieu de mes détresses,
+je puis encore voir la verte espérance s'épanouir
+comme un bourgeon du printemps sur une branche engourdie
+par l'hiver.</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>J'aime beaucoup les choses que vous dites, ô mon bien-aimé!
+Quoique vos paroles ne soient pas familières à mon
+oreille, vos compliments me font toujours regretter de
+n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je suis
+belle autant que vous le dites.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Et que vous importe de l'être ou de ne l'être pas,
+pourvu que je vous voie ainsi et que je vous aime telle
+que vous êtes à mes yeux et dans mon coeur!</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Vous avez toujours à la bouche des paroles qui plaisent
+quand on les écoute; mais quand on y songe après,
+on ne les comprend plus et on sent de l'inquiétude.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>En vérité, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais.
+Eh quoi! vous gardez un compte exact de mes paroles
+et vous les commentez en mon absence? Il faut prendre
+garde à ce que l'on vous dit!</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste;
+je suis amer: j'ai été si malheureux! Mais tu me consoleras,
+toi, n'est-ce pas?</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Oui, mon beau rêveur, si vous consentez à être consolé.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voilà une
+parole étrange dans votre bouche!</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Vous vous étonnez de mon désir de vous consoler?
+C'est vous, Aldo, qui me semblez étrange!</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>En effet, c'est peut-être moi! Passez-moi ces boutades,
+c'est malgré moi qu'elles me viennent. Je ne veux pas
+m'y livrer. Donnez-moi votre main, Jane, et donnez-moi
+aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma
+pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour
+moi, pour moi seul. J'ai besoin à l'heure qu'il est de
+trouver un appui ou de mourir. Vous êtes mon seul et
+dernier espoir; m'accueillerez-vous?</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous
+de m'épouser?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Vous en doutez?</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Non, je n'en doute pas.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Mais vous en avez douté..</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous éloignez-vous
+de moi d'un air sombre? Est-ce que je vous
+ai offensé?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Non.</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Vous ne vous voulez pas me regarder?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure
+qui m'occupe, c'est au fond de votre coeur que mon regard
+plonge.</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Voilà que vous me dites des choses que je n'entends
+plus; et, comme vous froncez le sourcil en me les disant,
+je dois croire que ce sont des choses dures et affligeantes
+pour moi. Vous avez un malheureux caractère, Aldo, un
+sombre esprit, en vérité!</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Vous trouvez?</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Oui, et j'en souffre.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir.</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>Je vous pardonne.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO, <i>avec amertume</i>.</p>
+
+<p>Vous êtes bonne!</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>C'est que je vous aime; tâchez de m'aimer autant, et
+nous serons heureux.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonté
+d'appeler les voisines pour qu'elles viennent ensevelir
+le corps de ma mère?</p>
+
+
+<p class="c">JANE.</p>
+
+<p>J'y vais. Donnez-moi un baiser. (<i>Aldo la baise au
+front avec froideur.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">ALDO, <i>seul</i>.</p>
+
+
+<p>Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidité! elle
+me blesse et me choque sans s'en douter, elle m'accorde
+mon pardon quand c'est elle qui m'offense, et elle reçoit
+mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes lèvres que
+c'est le dernier! Mais la femme est donc un être bien
+lâche et bien borné! Je croyais celle-ci plus naïve, plus
+abandonnée à ce que la nature leur inspire parfois de
+beau et de généreux! Mais il y a dans le coeur un fonds
+d'égoïsme plus dur que le diamant, et aucun grand sentiment
+n'y peut germer. Toi qui te prétends descendue
+des cieux pour nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-même
+dans le partage que tu veux établir entre nos destinées
+et les tiennes! Tu promets ton dévouement, tes
+caresses et ta fidélité, à la condition d'un échange semblable.
+Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui
+était sur mes lèvres, et que j'aurais voulu offrir et non céder.
+C'est ainsi que tu nous sauveras, ange équitable et
+prudent. Tu tiens une balance comme la justice, mais tu
+as soulevé le bandeau de l'amour, et tu vois clairement
+nos défauts pour nous les reprocher sans pitié. Rien pour
+rien, c'est ta devise! Où est ta miséricorde, où est ton
+pardon, où donc tes ineffables sacrifices? Femme! mensonge!
+tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre, un
+rêve. Les poëtes t'ont créée, ton fantôme est peut-être
+au ciel. Il m'a semblé parfois te voir passer dans mes
+nuées. Insensé que j'étais, pourquoi suis-je descendu sur
+la terre pour te chercher?</p>
+
+<p>Maintenant je sais ce qu'il me reste à faire. Ma mère,
+je ne te pleure plus, nous ne serons pas longtemps séparés.
+Je laisse à d'autres le soin d'ensevelir ta dépouille,
+je vais rejoindre ton âme... J'ai bien assez tardé, mon
+Dieu! il y a assez longtemps que j'hésite au bord du
+gouffre sans fond de l'éternité! Pourquoi ai-je tremblé?...
+tremblé! Est-ce que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?...
+Non, c'est le devoir.&mdash;Et pourtant tout à l'heure que
+faisais-tu lorsque tu priais, à genoux, cette jeune fille de
+conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne devais
+plus rien à personne, et tu voulais vivre pourtant! lâche
+enfant! tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir,
+tu demandais l'amour avec des larmes! Tu les demandais
+à une paysanne imbécile, quand c'est dans un
+monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrête?
+est-ce le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le
+désespoir? Là-haut l'incertitude, ici la réalité. Le choix
+peut-il être douteux? Va donc, Aldo! descends dans ces
+vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces insaisissables.
+Que Dieu te protège, si tu en vaux la peine;
+qu'il te rende au néant, si ton âme n'est qu'un souffle
+sorti du néant!...</p>
+
+<p>Adieu, grabat où j'ai si mal dormi! adieu, table dure
+et froide où j'ai tracé des vers brûlants! adieu, front
+livide de ma mère, où j'ai tant de fois interrogé avec
+anxiété les ravages de la souffrance et les dernières
+luttes de la vie prête à s'éteindre! Adieu, espérances de
+gloire; adieu, espérances d'amour, vous m'avez menti,
+je romps les mailles du filet où vous m'avez tenu si longtemps
+captif et ridicule! je vais me relever à mes propres
+yeux, je vais briser un joug dont je rougis... Adieu.
+(<i> Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur le
+fleuve et descend les degrés. Une barque pavoisée
+passe au même moment.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">AGANDECCA, <i>sur la barque</i>.</p>
+
+<p>Quel est ce jeune homme si pâle et si beau qui descend
+vers le fleuve et semble vouloir s'y précipiter?</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE, <i>sur la barque</i>.</p>
+
+<p>C'est un homme de rien, un rêveur, un fou, un misérable.</p>
+
+
+<p class="c">AGANDECCA.</p>
+
+<p>Je veux savoir son nom.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>C'est Aldo le rimeur.</p>
+
+
+<p class="c">AGANDECCA.</p>
+
+<p>Aldo le barde! ses chants sont inspirés, sa voix est
+celle d'un poète des anciens jours. La beauté de son génie
+ne le cède qu'à celle de son visage. Je veux lui parler.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui
+répondra fort mal aux bontés de Votre Grâce.</p>
+
+
+<p class="c">AGANDECCA.</p>
+
+<p>N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix.
+Faites aborder la barque au bas de cet escalier. ( <i>Tickle
+donne des ordres en grommelant. La barque vient
+aborder aux pieds d'Aldo.</i>)</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Qui êtes-vous, et que demandez-vous à la porte de
+cette pauvre maison?</p>
+
+
+<p class="c">AGANDECCA.</p>
+
+<p>Je suis la reine, et je viens te voir.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Votre Grâce arrive une heure trop lard, la maison est
+déserte. Ma mère est morte, et je ne repasserais pas le
+seuil que je viens de franchir, fut-ce pour la reine Mab
+elle-même.</p>
+
+
+<p class="c">AGANDECCA.</p>
+
+<p>Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma
+barque.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Madame, où me menez-vous?</p>
+
+
+<p class="c">AGANDECCA.</p>
+
+<p>A la promenade.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Votre promenade sera-t-elle longue?</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Que sais-je?</p>
+
+<br><br><br>
+
+
+<h2>ACTE SECOND.</h2>
+
+<p class="c">Dans une galerie du palais de la reine.</p>
+<br>
+
+
+<h3>SCÈNE PREMIÈRE.</h3>
+
+<p class="c">LA REINE, TICKLE.</p>
+<br>
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fâche, et
+je ne veux pas entendre de mal de lui.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Comment Votre Grâce peut-elle me supposer une si
+coupable intention! Le seigneur Aldo est un si grand
+poëte et un si noble cavalier!</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Oui, c'est le plus beau génie et le plus grand coeur! Je
+ne lui reproche qu'une chose, son invincible orgueil.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Sous une apparence d'humilité, je sais qu'il cache
+une épouvantable ambition...</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que
+l'ambition d'être aimé.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>C'est une belle et touchante ambition!</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante.
+Un mot l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une
+ombre; il n'y a pas de calme possible dans son amour.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Cet amour-là est une tyrannie, une guerre à mort,
+un combat éternel!</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur
+des hommes. Je lui reproche, au contraire, de trop
+renfermer au dedans de lui les chagrins que je lui cause.
+Au lieu de s'en plaindre franchement, il les concentre,
+il les surmonte, et, avec toute cette résignation, tout ce
+courage, toute cette douceur, il dévore sa vie, il use son
+coeur, il est malheureux.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Infortuné jeune homme! Votre Grâce devrait avoir plus
+de compassion, lui épargner...</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Mais de quoi se plaint-il, après tout? Son coeur est
+injuste, son esprit est plein de travers, d'inconséquences,
+de souffrances sans sujet et sans remède. Que puis-je
+faire pour un cerveau malade? Je l'aime de toute mon
+âme et lui épargne la douleur tant que je puis; mais le
+mal est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pâle et
+sombre, à mes côtés, je l'ai pris pour l'ange de la douleur.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Le spectacle d'un homme toujours mécontent doit être
+un grand supplice pour une âme généreuse comme celle
+de Votre Grâce.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me
+blesse et m'irrite. Quoi de plus décourageant que de
+vouloir consoler un inconsolable? C'est se consumer
+jeune et pleine de santé auprès du lit d'un moribond qui
+ne peut ni vivre ni mourir.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Votre Grâce a fait pourtant bien des sacrifices pour
+lui. De quoi pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracié
+pour lui le duc de Suffolk, l'astre le plus brillant
+de la cour?</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus!</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Il n'avait jamais d'ailleurs été bien aimable.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Il ne faut pas dire cela; c'était un homme d'esprit et
+plein de nobles qualités.</p>
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Oh! oui, généreux, brave, désintéressé!...</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Ceci est faux; il était plus épris de mon rang que de
+ma personne.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>C'est le malheur des rois.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Et c'est ce qui me fait chérir l'amour de mon poëte:
+lui du moins m'aime pour moi seule. Il sait à peine si je
+suis reine. Il n'en est point ébloui; même il en souffre,
+et je crois qu'il me le pardonne.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Votre Grâce est-elle bien sûre que dans son orgueil de
+poëte il ne préfère point sa condition à celle d un roi?</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poëte est la plus
+belle des couronnes, la plume d'un grand écrivain est un
+sceptre plus puissant que les nôtres. Moi, j'aime qu'un
+esprit supérieur sache ce qu'il est et ce qu'il peut être;
+c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>Aussi je crois que le poëte Aldo est réservé à de hautes
+destinées. Il est digne de commander aux hommes, et
+un mot de Voire Grâce pourrait l'élever au véritable rang
+qu'il est né pour occuper....</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Si je ne te savais profondément hypocrite, ô mon cher
+Tickle, je le dirais que tu es parfaitement imbécile. Qui?
+lui! être mon époux! régner! D'abord le sceptre jusqu'ici
+ne m'a pas semblé trop lourd à porter; ensuite
+Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais
+supposer capable de me seconder. Personne ne connaît
+moins les autres hommes, personne n'a d'idées plus
+creuses, de sentiments plus exceptionnels, de rêves plus
+inexécutables. Vraiment! mon peuple serait un peuple
+bien gouverné! il pourrait chanter beaucoup et manger
+fort peu, ce qui ne laisserait pas que d'être fort agréable,
+le jour où le poëte-roi aurait découvert le moyen de placer
+l'estomac dans les oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu
+n'as pas le sens commun aujourd'hui.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE, <i>sortant</i>.</p>
+
+<p>Fort bien, j'ai réussi à la fâcher; j'étais bien sur qu'en
+disant comme elle, je l'amènerais à dire comme moi.</p>
+
+<br><br>
+
+
+<h3>SCÈNE II.</h3>
+
+
+<p class="c">LA REINE, seule.</p>
+
+<p>Ce Tickle est un fâcheux personnage; il a une manière
+d'entrer dans mes idées qui m'en dégoûte sur-le-champ.
+Ces prétendus bouffons, que nous ayons autour de nous,
+sont comme nos mauvais génies, laids et méchants; ils
+tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la vérité
+qui nous blesse,. et de nous taire celle qui nous serait
+utile. Quand ils ne mentent pas, c'est que leur mensonge
+pourrait nous épargner une douleur ou nous sauver d'un
+péril; c'est alors seulement qu'ils se refusent Je plaisir
+de nous tromper. Il faut que je voie mon poëte, je me
+sens attristée et prête à douter de tout. L'homme aux illusions
+me consolera peut-être. (<i>Elle siffle dans un
+sifflet d'argent suspendu à son cou</i>.) (<i>Tickle rentre</i>.)
+Nain, envoyez Aldo près de moi, je l'attends ici.</p>
+
+
+<p class="c">TICKLE.</p>
+
+<p>J'y cours avec joie.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Après tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit
+que cet amour nuit à ma gloire. Le duc de Suffolk m'était
+moins cher, je l'estimais moins, j'étais moins touchée
+de son amour; mais son esprit, moins élevé, était
+plus positif; c'était un ambitieux, mais un ambitieux
+qui secondait toutes mes vues. J ai aimé autrefois le
+brave Athol. Celui-là était un beau soldat, un bon serviteur,
+un véritable ami; du reste, un montagnard stupide;
+mais il était l'appui de ma royauté, il la rendait
+redoutable au dehors, paisible au dedans; c'était comme
+une bonne arme bien trempée et bien brillante dans ma
+main. Ce poëte est dans mon palais comme un objet de
+luxe, comme un vain trophée qu'on admire et qui ne
+sert à rien. Un vêtement d'or vaut-il une cuirasse d'acier?
+On aime à respirer les roses de la vallée, mais on
+est à l'abri sous les sapins de la montagne.</p>
+
+<p>Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave!
+Qu'il est doux de se reposer des soucis de la vie active
+sur un coeur sincère et fidèle! Qu'ils sont rares, ceux
+qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes toujours
+embrasés, ils se consument en montant vers le
+ciel. Nous pouvons à toute heure chercher sur leur autel
+la chaleur qui manque à notre âme épuisée, nous la
+trouvons toujours vive et brillante. Leur sein est un mystérieux
+sanctuaire où le feu sacré ne s'éteint jamais; s'il
+s'éteignait, le temple s'écroulerait comme un monde sans
+soleil. L'amour est en eux le principe de la vie. Ils pâlissent,
+ils souffrent, ils meurent, si on froisse leur tendresse
+délicate et timide. Dites un mot, accordez un regard,
+ils renaissent, leur sein palpite de joie, leur bouche
+a de douces paroles de reconnaissance pour bénir,
+et leurs caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi
+qui saches aimer, et pourtant il est des jours où tu m'ennuies
+mortellement.</p>
+
+<br><br>
+
+
+<h3>SCÈNE III.</h3>
+
+<p class="c">LA REINE, ALDO.</p>
+<br>
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Que veux-tu de moi, ma bien-aimée?</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Je voulais te voir et être avec toi.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Êtes-vous triste, êtes-vous fatiguée? Voulez-vous que
+je chante? Que puis-je faire pour vous?</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Êtes-vous heureux?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je le suis, parce que vous m'aimez.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me répondez
+pas? Déjà votre visage est changé, des larmes
+roulent dans vos yeux, ma question vous a offensé?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Offensé?&mdash;Non.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Affligé?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Oui.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Si vous êtes triste, vous allez me rendre triste.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>J'essaierai de ne pas l'être; mais, quand vous avez
+besoin de distraction et de gaieté, pourquoi me faites-vous
+appeler? Ce n'est pas ma société qui vous convient
+dans ces moments-là. Votre nain Tickle a plus d'esprit
+et de bons mots que moi.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Mais il est méchant et laid. J'aime la gaieté, mais c'est
+un banquet où je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives
+dignes de moi. Pourquoi méprisez-vous le rire?
+Vous croyez-vous trop céleste pour vous amuser comme
+les autres hommes?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je me sens trop faible pour professer le caractère jovial.
+Quand je semble gai, je suis navré ou malade; le
+bonheur est sérieux, la douleur est silencieuse. Je ne
+suis capable que de joie ou de tristesse. La gaieté est un
+état intermédiaire dont je n'ai pas la faculté, j'y arrive
+par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire,
+commandez le souper, faites danser sir John Tickle sur
+la table; en voyant ses grimaces, en buvant du vin
+d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en convulsion.
+Mais ici, près de vous, de quoi puis-je me divertir? Je
+vous regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous
+me regardez avec bonté, je suis heureux; vous me raillez,
+et je suis triste.</p>
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on
+toujours vivre replié sur soi-même? L'amour est-il la
+seule passion digne de vous?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE, <i>impatientée</i></p>
+
+<p>Alors vous êtes un pauvre sire; moi, je ne peux pas
+toujours parler d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets
+de joie ou de tristesse que le nuage qui passe dans le
+ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de grands intérêts
+dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais
+des lois, je récompense la valeur, je punis le crime;
+j'inspire la crainte, le respect, l'amour, la haine peut-être;
+tout cela m'occupe; je vais d'une chose à une autre,
+je parcours tous les tons de cette belle musique
+dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet;
+mais votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son.
+Vous êtes beau et monotone comme la lune à minuit,
+mon pauvre poëte.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>La lune est mélancolique. Il vous est bien facile de
+fermer les fenêtres et d'allumer les flambeaux quand sa
+lueur blafarde vous importune. Pourquoi allez-vous rêver
+dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la brume
+et le froid rayon des étoiles n'iront pas vous attrister
+dans vos salles pleines de bruit et de lumière.</p>
+
+
+<p class="c">LA REINE.</p>
+
+<p>J'entends: je puis m'étourdir dans de frivoles amusements
+et vous laisser avec votre muse. C'est une société
+plus digne de vous que celle d'une femme capricieuse
+et puérile. Restez donc avec votre génie, mon cher poëte.
+Les étoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre
+doucement parmi les fleurs: rêvez, chantez, soupires.
+La façade de mon palais s'illumine, et le son des instruments
+m'annonce le repas du soir. J'y vais porter votre
+santé à mes convives dans une coupe d'or, et parler de
+vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici,
+penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous
+avec les sylphes. S'ils ne me trouvent pas indigne d'un
+souvenir, parlez-leur de moi; et si, malgré cette nourriture
+céleste, il vous arrive de ressentir la vulgaire nécessité
+de la faim, venez trouver votre reine et vos amis.
+Au revoir.&mdash;Mais qu'est-ce donc? Vous avez baisé bien
+tristement ma main, et vous y avez laissé tomber une
+larme! Quoi! vous êtes triste encore? je vous ai encore
+blessé? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon
+cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous
+aime tendrement, je vous préfère aux plus grands rois de
+la terre. Faut-il vous le répéter à toute heure? ne le savez-vous
+pas? Venez, que je baise votre beau front. Séchez
+vos larmes et venez me rejoindre bientôt.</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>SCÈNE IV.</h3>
+
+
+<p class="c">ALDO, <i>seul</i>.</p>
+
+<p>Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu
+et devant les hommes! Moi, je n'ai raison que devant
+ma conscience. Je ne puis avoir d'autre juge que moi-même,
+et ne puis me plaindre qu'à moi-même.&mdash;Car,
+enfin, il ne dépend pas de moi d'être autrement. Tout
+m'accuse d'affectation; mais on n'est pas affecté, on n'est
+pas menteur avec soi-même. Je sais bien, moi, que je
+suis ce que je suis. Les autres sont autres, et ne me
+comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car moi
+je ne nie pas leur sincérité; ils me disent qu'ils sont
+courageux, je pourrais leur répondre qu'ils sont insensibles.
+Mais j'accepte ce qu'ils me disent, je consens à les
+reconnaître courageux. Mais s'ils le sont, pourquoi me
+reprochent-ils impitoyablement de ne l'être pas? Si j'étais
+Hercule, au lieu de mépriser et de railler les faibles enfants
+que je trouverais haletants et pleurants sur la
+route, je les prendrais sur mes épaules, je les porterais,
+une partie du chemin, dans ma peau de lion. Que serait
+pour moi ce léger fardeau, si j'étais Hercule?&mdash;Voua
+ne l'êtes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui.
+Elle ne vous révolte pas, elle vous effraie. Vous craignez
+d'être forcés de la secourir, et, comme vous ne le
+pouvez pas, vous l'humiliez pour lui apprendre à se passer
+de vous.</p>
+
+<p>Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de
+corps, faible d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi;
+je préfère ce que j'aime à moi-même.&mdash;Quand je veux
+suivre la chasse, j'en suis vite dégoûté, parce que je suis
+vite fatigué.&mdash;Quand on me raille, ou me blâme, je suis
+effrayé, parce que je crains de perdre les affections dont
+je ne puis me passer, parce que je sens que je suis méconnu,
+et que j'ai trop de candeur pour me réhabiliter
+en me vantant. Avec les hommes, il faudrait être insolent
+et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes faiblesses
+et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses
+des autres et n'en suis pas révolté. Je les supporte tels
+qu'ils sont. Je ne repousse pas les plus méprisables, je
+les plains, et, tout faible que je suis, j'essaie de soutenir
+et de relever ceux qui sont plus faibles encore. Pourquoi
+ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la
+pareille?</p>
+
+<p>&mdash;Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne
+te nie pas; peut-être te manifesteras-tu à moi dans une
+autre vie. J'espère en la mort.</p>
+
+<p>Mais ici tu ne te révèles pas. Tu nous laisses souffrir
+et crier en vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprimé,
+tu ne punis pas le méchant. J'accepte tout, mon Dieu!
+et je dis que c'est bien, puisque c'est ainsi. Suis-je impie,
+dis-moi?</p>
+
+<p>Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie
+de moi-même. Conscience, voix du ciel cachée en moi,
+comme le son mélodieux dans les entrailles de la harpe,
+je te prends à témoin, je te somme de me rendre justice.
+Ai-je été lâche? ai-je lutté contre le malheur? ai-je supporté
+la misère, la faim, le froid? ai-je abandonné ma
+mère lorsque tout m'abandonnait, même la force du
+corps? ai-je résisté à l'épuisement et à la maladie? ai-je
+résisté à la tentation de me tuer?&mdash;Où est le mendiant
+que j'aie repoussé? où est le malheureux que j'aie refusé
+de secourir? où est l'humilié que je n'aie pas exhorté à
+la résignation, rappelé à l'espérance? J'ai été nu et affamé.
+J'ai partagé mon dernier vêtement avec ma mère
+aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec
+mon chien efflanqué. J'ai toujours pris en sus de ma part
+de souffrances une part des souffrances d'autrui; et ils
+disent que je suis lâche, ils rient de la sensibilité niaise
+du poëte! et ils ont raison, car ils sont tous d'accord, ils
+sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les
+autres.</p>
+
+<p>Je suis seul, moi! et j'ai vécu seul jusqu'ici. Suis-je
+lâche? J'ai eu besoin d'amitié, et, ne l'ayant point trouvée,
+j'ai su me passer d'elle. J'ai eu besoin d'amour, et,
+n'en pouvant inspirer beaucoup, voilà que j'accepte le
+peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille.
+Je pleure tout bas, et l'on me méprise.</p>
+
+<p>C'est donc une lâcheté que de souffrir? C'est comme
+si vous m'accusiez d'être lâche parce qu'il y a du sang
+dans mes veines et qu'il coule à la moindre blessure.
+C'est une lâcheté aussi que de mourir quand on vous
+tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris
+mon parti sur les railleries de mes compagnons? N'avais-je
+pas consenti à montrer mon front pâle au milieu
+de leurs fêtes et à passer pour le dernier des buveurs?
+N'avais-je pas livré mes vers au public, sachant bien
+que deux ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux
+ou trois mille qui me traiteraient de rêveur et de fou?
+Après avoir souffert du métier de poëte en lutte avec la
+misère et l'obscurité, j'avais souffert plus encore du métier
+de poëte aux prises avec la célébrité et les envieux!
+Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne
+trouvant pas le bonheur dans la richesse et dans ce qu'on
+appelle la gloire, je m'étais réfugié dans le coeur d'une
+femme, et j'espérais. Celle-là, me disais-je, est venue
+me prendre par la main au bord du fleuve où je voulais
+mourir. Elle m'a enlevé sur sa banque magique, elle m'a
+conduit dans un monde de prestiges qui m'a ébloui et
+trompé, mais où, du moins, elle m'a révélé quelque
+chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si les vains
+fantômes de mon rêve se sont vite évanouis, c'est qu'elle
+était une fée, et que sa baguette savait évoquer des mensonges
+et des merveilles, mais elle est une divinité bienfaisante,
+cette fée qui me promène sur son char. Elle
+m'a leurré de cent illusions pour m'éprouver ou pour
+m'éclairer. Au bout du voyage, je trouverai derrière son
+nuage de feu, la vérité, beauté nue et sublime que j'ai
+cherchée, que j'ai adorée à travers tous les mensonges
+de la vie, et dont le rayon éclairait ma route au milieu
+des écueils où les autres brisent le cristal pur de leur
+vertu. Fantômes qui nous égarez, ombres célestes que
+nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites
+courir après vous sans regarder où nous mettons les
+pieds, pourquoi revêtez-vous des formes sensibles, pourquoi
+vous déguisez-vous en femmes? Appelez-vous la vérité,
+appelez-vous la beauté, appelez-vous la poésie; ne
+vous appelez pas Jane, Agandecca, l'amour.</p>
+
+<p>Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour être
+mieux traité que les autres? Pourquoi cette insolente
+ambition d'être heureux? Pourquoi n'es-tu pas fier de
+ton laurier de poëte et de l'amour d'une reine? Et si cela
+ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la
+réalité d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk
+était aimé de la reine; il voulait plus que partager sa
+couche, il voulait partager son trône. Athol fut aimé de
+la reine; il s'ennuyait souvent près d'elle, il désirait la
+gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui
+semblait préférable à tout. Suffolk, Athol, vous étiez
+des ambitieux, mais vous n'étiez pas des fous; vous désiriez
+ce que vous pouviez espérer; la puissance, la victoire,
+l'argent, l'honneur, tout cela est dans la vie;
+l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La
+reine a chassé Suffolk; mais il règne sur une province,
+et il est content. Athol a été disgracié; mais il commande
+une armée, et il est fier.</p>
+
+<p>Moi, que puis-je aimer après elle? rien. Où est le but
+de mes insatiables désirs? dans mon coeur, au ciel, nulle
+part peut-être? Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable
+au mien, qui me réponde; ce coeur n'existe pas.
+On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me le
+vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On
+s'amuse de ma passion comme d'une chose singulière,
+on la regarde comme un spectacle, et quelquefois l'on
+s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus souvent
+on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On
+m'admire, on me recherche et on m'écoute, parce que
+je suis un poëte; mais quand j'ai dit mes vers, on me
+défend d'éprouver ce que j'ai raconté, on me raille d'espérer
+ce que j'ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on,
+et gardez vos églogues pour les réciter devant le monde;
+soyez homme avec les hommes, hissez donc le poëte
+sur le bord du lac où vous le promenez, au fond du cabinet
+où vous travaillez.&mdash;Mais le poëte, c'est moi! Le
+coeur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis
+l'arracher de mes entrailles. Je ne puis étouffer dans
+mon sein l'ange mélodieux qui chante et qui souffre.
+Quand vous l'écoutez chanter, vous pleurez; puis vous
+essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon rôle
+cesse avec votre émotion: aussitôt que vous cessez d'être
+attentifs, il faut que je cesse d'être inspiré. Qu'est-ce
+donc que la poésie? Croyez-vous que ce soit seulement
+l'art d'assembler des mots?</p>
+
+<p>Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous
+avez raison! vous êtes reine, vous êtes belle, vous êtes
+ambitieuse et forte. Votre âme est grande, votre esprit
+est vaste. Vous avez une belle vie; en bien! vivez. Changez
+d'amusement, changez de caractère vingt fois par
+jour; vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blâme
+pas; et, si je vous aime, c'est peut-être parce que je
+vous sens plus forte et plus sage que moi. Si je suis heureux
+d'un de vos sourires, si une de vos larmes m'enivre
+de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des
+bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez
+me refuser. Moi, quel mérite ai-je à vous aimer? je
+ne puis faire autrement. De quel prix est mon amour?
+l'amour est ma seule faculté. A quels plaisirs, à quels
+enivrements ai-je la gloire de tout préférer? Rien ne
+m'enivre, rien ne me plaît, si ce n'est vous. La moindre
+de vos caresses est un sacrifice que vous me faites, puisque
+c'est un instant que vous dérobez à d'autres intérêts
+de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous êtes
+mon autel et mon Dieu, et je suis moi-même l'offrande
+déposée à vos pieds.</p>
+
+<p>Si je suis mécontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en
+prendre de mes souffrances? Si je pouvais me plaindre,
+m'indigner, exiger plus qu'on ne me donne, j'espérerais.
+Mais je n'espère ni ne réclame; je souffre.</p>
+
+<p>Eh bien, oui, je souffre et je sais mécontent. Pourquoi
+ai-je voulu vivre? Quelle insigne lâcheté m'a poussé
+à tenter encore l'impossible? Ne savais-je pas bien que
+j'étais seul de mon espèce et que je serais toujours ridicule
+et importun? Qu'y a-t-il de plus chétif et de plus misérable
+que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui
+souffre est un fléau! c'est un objet de tristesse et de dégoût
+pour les autres! c'est un cadavre qui encombre la
+voie publique, et dont les passants se détournent avec
+effroi. Etre malheureux, c'est être l'ennemi du genre
+humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur
+compte, et celui qui ne sait pas vivre pour lui-même est
+un voleur qui dépouille ou un mendiant qui assiège.</p>
+
+<p>Meurs donc, lâche! il est bien temps d'en finir! tu
+t'es bien assez cabré sous la nécessité! Tes flancs ont
+saigné, et tu n'as pas fait un pas en avant! Résigne-toi
+donc à mourir sans avoir été heureux!...</p>
+
+<p>Hélas! hélas! mourir, c'est horrible!... Si c'était seulement
+saigner, défaillir, tomber!... mais ce n'est pas
+cela. Si c'était porter sa tête sous une hache, souffrir la
+torture, descendre vivant dans le froid du tombeau!
+mais c'est bien pis: c'est renoncer à l'espérance, c'est
+renoncer à l'amour; c'est prononcer l'arrêt du néant sur
+tous ces rêves enivrants qui nous ont leurrés, c'est renoncer
+à ces rares instants de volupté qui faisaient pressentir
+le bonheur, et qui l'étaient peut-être!</p>
+
+<p>Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas
+assez, n'est-ce pas trop! Agandecca, vous m'avez dit
+des mots qui valaient une année de gloire, vous m'avez
+causé des transports qui valaient mieux qu'un siècle de
+repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui
+effacera toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi
+un instant le roi de la terre et du ciel!</p>
+
+<p>Mais pourquoi retomber toujours dans l'abîme de
+douleur? pourquoi chercher ces joies si elles doivent finir
+et si je ne sais pas y renoncer? Les autres se lassent
+et se fatiguent de leurs jouissances: moi, la jouissance
+m'échappe et le désir ne meurt pas! O amour! éternel
+tourment!... soif inextinguible!</p>
+
+<p>Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et,
+si je le puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra
+plus malheureux. Je ne saurai pas vivre sans aimer.
+L'amour ou l'amitié ne me paieront pas ce que je dépenserai
+de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je
+pu vivre jusqu'ici? Je ne le conçois pas. Suis-je le plus
+courageux ou le plus lâche de tous les hommes?&mdash;Je ne
+sais pas; et comment le savoir?&mdash;Celui qui souffre pour
+donner du bonheur aux autres... oui, celui-là est brave...
+mais celui qui souffre et qui importune, celui qui veut du
+bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! décidément
+je suis un lâche! comment ne m'en suis-je pas convaincu
+plus tôt? (<i>Il tire son épée</i>). Lune... brise du soir!...
+Tais-toi, poëte, tu n'es qu'un sot. Qu'est-ce qui mérite
+un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un regret? (<i>Il
+va pour se tuer.</i>)</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>SCÈNE V.</h3>
+
+
+<p class="c">LE DOCTEUR ACROCERONIUS, <i>entrant</i>.</p>
+
+<p>Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude
+singulière?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas
+déranger pour moi. Puis-je vous rendre quelque
+service après votre mort?</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir.</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS</p>
+
+<p>Je suis fâché que vous preniez cette résolution avant le
+coucher de la lune.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Pourquoi?</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez
+une des plus belles éclipses de lune que nous ayons eues
+depuis longtemps.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Il y a une éclipse de lune?</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera
+tellement visible, que je m'étonne de rencontrer un
+homme aussi indifférent que vous à cet important phénomène.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>En quoi cela peut-il m'intéresser?</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous
+le ferai comprendre.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas disposé
+à marcher, et j'aime mieux me passer mon épée au
+travers du corps.</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>Faites ce qui vous convient, et ne vous gênez pas devant
+moi. Cependant j'aurais été flatté d'avoir votre compagnie
+durant ma promenade.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>En quoi pourrais-je vous être utile! La solitude convient
+mieux à vos savantes élucubrations. Je ne suis
+qu'un pauvre poëte, peu capable de raisonner avec vous
+sur d'aussi graves matières.</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>La société des poëtes m'a toujours été fort agréable.
+Les poëtes sont de très-intelligents observateurs de la nature.
+Ils sont faibles sur les classifications, mais ils ont
+beaucoup de netteté dans l'observation. Ils possèdent
+l'appréciation juste de la couleur et de la forme, et quelquefois
+ils remarquent des rapports qui nous échappent;
+des nuances presque insaisissables leur sont révélées
+par je ne sais quel sens qui nous manque. Je suis sûr
+que vous me feriez voir des choses dont je sais l'existence,
+et que pourtant je n'ai jamais pu observer à
+l'oeil nu.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Les savants sont poëtes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont
+pas besoin, comme nous, d'observer pour voir. Ils savent
+tant de choses, qu'ils peuvent peindre la nature
+sans la regarder, comme on fait de mémoire le portrait
+de sa maîtresse. Ils peuvent nous initier à plus d'un
+mystère dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche
+vêtement qui couvre les beautés nues sous l'oeil de la
+science. Je suis fâché, mon cher maître, d'avoir vécu
+longtemps sous le même toit que vous, sans avoir songé
+à profiter de votre entretien.</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>Si vous n'êtes pas forcé absolument de vous tuer ce
+soir, vous pourriez venir avec moi sur la montagne de
+Lego. Nous observerions l'éclipse de lune, nous causerions
+sur toutes les choses connues; vous pourriez être
+revenu et mort avant le lever de la reine.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>Vous avez raison. Donnez-moi votre télescope et faisons
+cette promenade ensemble. Vous m'apprendrez
+beaucoup de choses que j'ignore. Je vous interrogerai
+sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles,
+sur l'écume que la lune répand à minuit dans les herbes,
+sur les bruits qu'on entend la nuit... Avez-vous remarqué
+cette grande voix aigre qui crie incessamment autour
+de l'horizon, et qui est si égale, si continue, si monotone,
+qu'on la prend souvent pour le silence?</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>J'ai écrit précisément un petit traité in-4° sur ce dont
+vous parlez; mais, pour bien vous le faire comprendre,
+il faudrait sortir un peu du monde visible, et nous aventurer
+dans des questions d'astrologie pour lesquelles vous
+auriez peut-être quelque répugnance.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO.</p>
+
+<p>L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maître.
+Je serais très-curieux d'avoir quelque notion sur cette
+science étonnante. J'y ai songé quelquefois, et si les
+préoccupations de mon esprit m'en avaient laissé le
+temps, j'aurais pris plaisir à soulever un coin du voile
+qui me cache cette mystérieuse Isis. Qui sait si la faiblesse
+de l'homme ne peut trouver dans ces profondeurs
+ignorées le secret du bonheur qu'elle cherche en vain
+ici-bas? On est bientôt las et dégoûté d'analyser et d'interroger
+les choses qui existent matériellement. Le
+monde invisible n'est pas épuisé... et si je pouvais m'y
+élancer...</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>Venez avec moi, mon cher fils, et nous tâcherons de
+bien observer la lune.</p>
+
+
+<p class="c">ALDO, <i>remettant son épée dans le fourreau</i></p>
+
+<p>Allons-nous bien loin sur la montagne?</p>
+
+
+<p class="c">ACROCERONIUS.</p>
+
+<p>Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez
+de l'écume que répand la lune, voyez-vous, mon cher
+fils, le règne végétal d'après toutes les classific.... (<i>ils
+sortent en causant</i>.)</p>
+
+<br>
+<p>GEORGE SAND</p>
+
+<br><br>
+
+
+FIN D'ALDO LE RIMEUR.
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR ***
+
+***** This file should be named 12862-h.htm or 12862-h.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ https://www.gutenberg.org/1/2/8/6/12862/
+
+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
+Team. This file was produced from images generously made available
+by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr
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+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
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+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
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+keeping this work in the same format with its attached full Project
+Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
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+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
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+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
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+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
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+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
+
+</body>
+</html>
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diff --git a/old/12862.txt b/old/12862.txt
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index 0000000..5d1fdcc
--- /dev/null
+++ b/old/12862.txt
@@ -0,0 +1,2333 @@
+The Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Aldo le rimeur
+
+Author: George Sand
+
+Release Date: July 9, 2004 [EBook #12862]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ASCII
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR ***
+
+
+
+
+Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading
+Team. This file was produced from images generously made available
+by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr
+
+
+
+
+
+
+
+ALDO LE RIMEUR
+
+
+
+PREFACE
+
+Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman et le drame de
+_Chatterton_, personne ne pensera que j'aie eu la pretention d'imiter ce
+modele, bien qu'une scene d'_Aldo le rimeur _presente quelques rapports
+de situation avec le beau et dechirant monologue que M. de Vigny a mis
+dans la bouche de son poete. Je ne me defendrais pas d'avoir ete inspire
+par ce sujet, d'abord si le fait etait vrai, ensuite si ma pensee eut
+ete la meme. Mais elle etait autre, et je ne songeais a peindre la
+misere du poete que comme un accident, un des malheurs passagers de
+sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre le poete
+en general; une ame de poete quelconque, mobile, genereuse, ardente,
+susceptible, inquiete, fiere et jalouse. Le second acte de ce petit
+poeme dialogue montre le meme homme _non transforme_ qu'on a vu lutter
+contre la faim et l'abandon au premier acte. De meme qu'un nouvel amour
+a ete le denoument de cette premiere phase, l'amour de la science, ou
+plutot une soudaine et vague revelation de la science, arrache une
+seconde fois l'ame curieuse et _ondoyante_ du poete au degout de la
+vie, a la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque je fis
+paraitre ce fragment dans une Revue, completer la serie d'experiences et
+de deceptions par lesquelles, apres avoir plusieurs fois rempli et vide
+la coupe des illusions, Aldo devait arriver a briser sa vie ou a
+se reconcilier avec elle. De nouvelles preoccupations d'esprit
+m'emporterent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo oubliait la reine
+Agandecca. Je n'ai jamais pense que l'interruption de cette esquisse
+fut offensante ou prejudiciable pour aucun lecteur; mais, avant de la
+remettre sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est la
+qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensee, et beaucoup mieux
+sans doute que je ne l'ai commence.
+
+
+
+
+ALDO LE RIMEUR
+
+ Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son
+ petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet, le soir
+ aupres de son feu, les pieds dans de tres-bonnes pantoufles.
+ _(Esprit des journaux.)_
+
+
+
+PERSONNAGES.
+
+ALDO LE RIMEUR
+MEG, sa mere.
+JANE, jeune montagnarde.
+LA REINE AGANDECCA.
+TICKLE, nain de la reine.
+MAITRE ACROCERONIUS, astrologue de la reine.
+
+La scene est a Ithona.
+
+
+
+ACTE PREMIER.
+
+Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait a une soupente;
+au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait
+nuit.
+
+
+
+SCENE PREMIERE.
+
+ALDO, TICKLE.
+_(Aldo est assis le tete dans ses mains, les coudes sur la table. Un
+frappe a la porte.)_
+
+
+ALDO.
+
+Qui frappe?
+
+
+TICKLE, en dehors.
+
+Votre tres-humble serviteur.
+
+
+ALDO.
+
+Lequel?
+
+
+TICKLE.
+
+Votre ami.
+
+
+ALDO.
+
+Que le diable vous emporte! vous etes un escroc.
+
+
+TICKLE.
+
+Non, je suis votre ami et votre serviteur.
+
+
+ALDO.
+
+Il est evident que vous venez me depouiller; mais je ne crains rien de
+ce cote-la. Entrez.
+
+
+TICKLE.
+
+Souffrez que je vous embrasse.
+
+
+ALDO.
+
+Permettez-moi de vous mettre sur la table.
+
+
+TICKLE, _sur la table._
+
+Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur, depuis que nous ne
+nous sommes vus?
+
+
+ALDO.
+
+Mais.... tantot bien, tantot mal. Il s'est passe beaucoup de choses
+depuis que je n'ai eu l'honneur de vous voir.
+
+
+TICKLE.
+
+En verite, mon cher monsieur?
+
+
+ALDO.
+
+Sur mon honneur! ce serait trop long a vous raconter. Il y a vingt ans
+environ, car notre connaissance date de l'autre monde.
+
+
+TICKLE.
+
+Vraiment?
+
+
+ALDO.
+
+Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur de vous
+rencontrer dans celui-ci.
+
+
+TICKLE.
+
+Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez jamais vu?
+
+
+ALDO.
+
+Non, sur mon honneur, mon cher ami.
+
+
+TICKLE.
+
+Eh! mais, d'ou sortez-vous? ou vivez-vous?
+
+
+ALDO.
+
+Je vis dans une taupiniere; mais vous, il est certain que, si j'en juge
+par votre taille, vous sortez d'un trou de souris.
+
+
+TICKLE
+
+Et c'est pour cela que vous devriez connaitre, ne fut-ce que de vue, le
+celebre nain John Bucentor Tickle, bouffon de la reine.
+
+ALDO.
+
+Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance; vous passez
+pour un homme d'esprit.
+
+
+TICKLE.
+
+Je n'en manque pas, et vous pouvez deja vous en apercevoir a ma
+conversation.
+
+
+ALDO.
+
+Comment donc! j'en suis ebloui, stupefait et renverse!
+
+
+TICKLE.
+
+Je vois que vous etes un homme de gout pour un poete.
+
+
+ALDO.
+
+Et vous un homme hardi pour un nain.
+
+
+TICKLE.
+
+Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres: ceux-la ne
+causent qu'avec les poings; et moi, ce n'est pas ma profession. Je porte
+des manchettes de dentelle, c'est mon gout.
+
+
+ALDO.
+
+C'est un gout fort innocent.
+
+
+TICKLE.
+
+Et qui a le suffrage des dames, generalement. Avec les dames, Monsieur,
+comme avec les gens d'esprit, j'ai six pieds de haut, parce que sur ce
+terrain-la on se bat a armes egales.
+
+
+ALDO.
+
+Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je ne dis pas sur
+mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je savoir ce qui me procure
+l'honneur de votre visite?
+
+
+TICKLE.
+
+Me permettez-vous d'etre assis?
+
+
+ALDO.
+
+De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de siege; car cet escabeau
+est le seul que je possede, et mon habitude n'est pas d'ecouter debout
+ce que l'on vient me prier d'entendre.
+
+
+TICKLE.
+
+Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en faut pas
+davantage pour etre absolument a votre hauteur.
+
+
+ALDO.
+
+J'en suis intimement persuade. (_Il s'assied; le nain se met a
+califourchon sur la table, vis-a-vis de lui.)_
+
+
+TICKLE.
+
+Mon cher monsieur, vous etes poete?
+
+
+ALDO.
+
+Pas le moins du monde, Monsieur.
+
+
+TICKLE.
+
+Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais pour un certain
+Aldo... _le rimeur_, comme on dit dans la ville, et _le barde_, comme on
+dit a la cour. Vous avez peut-etre entendu parler de lui? C'est un jeune
+homme qui n'est pas sans talent.
+
+
+ALDO.
+
+Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme qui n'a pas plus de
+talent que vous et moi.
+
+
+TICKLE.
+
+Reellement? Eh bien, j'en suis fache pour lui. Je venais lui offrir mes
+petits services.
+
+
+ALDO.
+
+Il vous offre les siens egalement; vous savez en quoi ils peuvent
+consister, puisque vous connaissez sa profession. Veuillez lui faire
+connaitre la votre.
+
+
+TICKLE.
+
+Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain.
+
+
+ALDO.
+
+Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services Votre
+Seigneurie peut daigner offrir a un miserable poete.
+
+
+TICKLE.
+
+Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de tres-larges poches a mon
+pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et, par suite d'une fantaisie
+analogue, les poches dont j'ai l'honneur de vous parler sont toujours
+pleines d'or.
+
+
+ALDO.
+
+C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de neuf.
+
+
+TICKLE.
+
+La votre me parait plus usee encore.
+
+
+ALDO.
+
+De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de ma poche.
+
+
+TICKLE.
+
+Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre bourse et de votre
+credit. Croyez-moi, c'est une habitude de mauvais genre que de n'avoir
+pas le sou. Or donc, voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez
+besoin.
+
+
+ALDO.
+
+Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure.
+
+
+TICKLE.
+
+Vous etes trop modeste. Je connais votre position, le denument de
+mistress Meg, votre mere, et son grand age. Je connais votre activite,
+votre devouement, votre grandeur d'ame. Je vous offre un gain
+legitime... Vous comprenez? Je ne viens pas faire ici le grand seigneur;
+je viens vous proposer un echange, un marche qui ne peut qu'augmenter
+votre gloire et vous mettra a meme de secourir mistress Meg.
+
+
+ALDO.
+
+Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je fisse monter une
+de vos jambes en flageolet, et me vendre l'autre pour en faire un
+porte-crayon?
+
+
+TICKLE.
+
+Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur que la plus
+chetive de mes jambes, je vous demande un petit drame de votre facon.
+
+
+ALDO.
+
+Pour qui, Monsieur? pour le theatre de la reine?
+
+
+TICKLE.
+
+Pour moi, Monsieur.
+
+
+ALDO.
+
+Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la force de
+l'emporter!
+
+
+TICKLE.
+
+J'allegerai mes poches d'une partie de l'or qui les charge, et je
+prendrai votre manuscrit a la place.
+
+
+ALDO.
+
+Tres-bien; et puis?
+
+
+TICKLE.
+
+Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le ferai jouer sur
+le theatre de la reine.
+
+
+ALDO.
+
+Sous quel nom, je vous prie?
+
+
+TICKLE.
+
+Sous le nom agreable de sir John Bucentor Tickle; c'est dans votre
+interet que j'agirai ainsi et pour donner de la confiance au public. Si
+l'autorite de mon nom ne suffisait pas a nous assurer sa bienveillance,
+en cas de chute, nous reclamerions contre son injuste arret.
+
+
+ALDO.
+
+En lui livrant le nom du veritable auteur?
+
+
+TICKLE.
+
+C'est ainsi que cela se fait a la cour.
+
+
+ALDO.
+
+Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant de me laisser
+travailler au drame que vous me faites l'honneur de me demander.
+
+
+TICKLE.
+
+Puis-je compter sur votre parole, Monsieur?
+
+
+ALDO.
+
+Je m'en flatte.
+
+
+TICKLE.
+
+Un mot de traite sera necessaire.
+
+ALDO.
+
+De tout mon coeur, j'en sais la redaction. (_Il ecrit._) Voulez-vous
+signer maintenant? moi, je signe.
+
+TICKLE.
+
+Permettez-moi d'en prendre connaissance. (_Il lit._) "Je m'engage, moi,
+Aldo de Malmor, dit _le rimeur_ a la ville et _le barde_ a la cour, a
+jeter par les fenetres le tres-illustre seigneur John Bucentor Tickle,
+nain et bouffon de la reine, la premiere fois qu'il franchira le seuil
+de ma maison. Fait double entre nous, etc." Bravo! bravo! c'est la
+premiere scene du drame!
+
+ALDO.
+
+Non, c'est un denoument tout pret et que je vous offre gratis.
+
+TICKLE.
+
+J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter a la reine, qui en sera
+charmee. (_Il saute en bas de la table et s'enfuit._) Tu me le paieras!
+
+ALDO.
+
+Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous ma main.
+
+
+
+
+SCENE II.
+
+
+ALDO, _seul._
+
+Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque jour m'amene un
+assassin ou un voleur. Miserables! vous me reduisez a l'aumone, mais
+vous n'aurez pas bon marche de ma fierte. Allons! ce fat m'a fait perdre
+une demi-heure, remettons-nous a l'ouvrage. La nuit s'avance; je ne
+serai plus derange. Tout est silencieux dans la ville et autour de moi.
+Devorons cette nouvelle insulte; quand le brodequin est bon, le pied ne
+craint pas de se souiller en traversant la boue. Ecrivons.
+
+[Illustration: Mon cher Monsieur, vous etes poete?... (Page 54 )]
+
+Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! lui donner mon
+cerveau pour livre, mon coeur pour clavier, afin qu'il en joue a son
+aise, et qu'il le jette apres l'avoir epuise en disant: Voici un mauvais
+livre, voici un mauvais instrument. Ecrire! ecrire!... penser pour les
+autres... sentir pour les autres... abominable prostitution de
+l'ame! Oh! metier, metier, gagne-pain, servilite, humiliation!--Que
+faire?--Ecrire? sur quoi?--Je n'ai rien dans le cerveau, tout est dans
+mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur a manger pour un
+morceau de pain, public grossier, bete feroce, amateur de tortures,
+buveur d'encre et de larmes!--Je n'ai dans l'ame que ma douleur; il faut
+que je te repaisse de ma douleur. Et tu en riras peut-etre! Si mon luth
+mouille et detendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras que
+toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de vrai, que je ne sens
+pas mon mal... quand je sens la faim devorer mes entrailles! la faim, la
+souffrance des loups! Et moi, homme d'intelligence et de reflexion, je
+n'ai meme pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que
+toutes les voix de l'ame se taisent devant le cri de l'estomac qui
+faiblit et qui brule!--Si elles s'eveillent dans le delire de mes nuits
+deplorables, ces souffrances plus poignantes, mais plus grandes, ces
+souffrances dont je ne rougirais pas si je pouvais les garder pour moi
+seul, il faut que je les recueille sur un album comme des curiosites qui
+se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un amateur peut acheter pour
+son cabinet. Il y a des boutiques ou l'on vend des singes, des tortues,
+des squelettes d'homme et des peaux de serpent. L'ame d'un poete est une
+boutique ou le public vient marchander toutes les formes du desespoir:
+celui-ci estime l'ambition decue sous la forme d'une ode au dieu des
+vers; celui-la s'affectionne pour l'amour trompe, rime en elegie; cet
+autre rit aux eclats d'une epigramme qui partit d'un sein ronge par la
+colere, d'une bouche amere de fiel. Pauvre poete! chacun prend une piece
+de ton vetement, une fibre de ton corps, une goutte de ton sang; et
+quand chacun a essaye ton vetement a sa taille, eprouve la force de tes
+nerfs, analyse la qualite de ton sang, il te jette a terre avec quelques
+pieces de monnaie pour dedommagement de ses insultes, et il s'en va,
+se preferant a toi dans la sincerite de ses pensees insolentes et
+stupides.--O gloire du poete, laurier, immortalite promise, sympathie
+flatteuse, haillons de royaute, jouets d'enfants! que vous cachez mal
+la nudite d'un mendiant couvert de plaies! Oh! meprisables! meprisables
+entre tous les hommes, ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que
+celui-la, se font poetes pour le public! Miserables comediens qui
+pourriez jouer le role d'hommes, et qui montez sur un treteau pour faire
+rire et pleurer les desoeuvres! n'avez-vous pas la force de vivre en
+vous-memes, de souffrir sans qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on
+vous regarde? Il vous faut un auditoire pour admirer vos pueriles
+grandeurs, pour compatir a vos douleurs vulgaires! Celui qui est ne
+fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcement la vocation
+hereditaire; il accomplit sa triste et honteuse destinee. S'il en
+triomphe, s'il s'eleve seulement au niveau des hommes ordinaires, qu'il
+soit loue et encourage! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits,
+hommes robustes, vous avez la fortune pour vous rendre libres, la
+science pour vous occuper, des bras pour creuser la terre en cas de
+ruine; et vous vous faites ecrivains! et vous nous livrez les facultes
+debauchees de votre intelligence, vous cherchez la puissance morale dans
+l'epanchement ignoble de la publicite! vous appelez la populace autour
+de vous, et vous vous mettez nus devant elle pour qu'elle vous juge,
+pour qu'elle vous examine et vous sache par coeur! Oh! lache! si vous
+etes difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous livrez au
+mepris! lache encore plus si vous etes beau et si vous cherchez dans la
+foule l'approbation que vous ne devriez demander qu'a Dieu et a votre
+maitresse.... C'est ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham
+qui me consultait sur ses vers.--Et il a tellement goute mon avis qu'il
+m'a mis a la porte de chez lui, et m'a fait retirer la faible pension
+que m'accordait la reine en memoire des services de mon pere dans
+l'armee.... Aussi, maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer,
+chanter ... vendre mi pensee, mon amour, ma haine, ma religion, ma
+bravoure et jusqu'a ma faim! Tout cela peut servir de matiere au vers
+alexandrin et de sujet au poeme et au drame. Venez, venez, corbeaux
+avides de mon sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt
+de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller dans ses
+entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir: je vais vous
+l'apprendre, afin que vous me donniez de quoi diner demain.... O misere!
+c'est-a-dire infamie!--(_Il s'assied devant une table._) Ah! voici des
+stances a ma maitresse!.... J'ai vendu trois guinees une romance sur la
+reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en apercevra guere...
+mais je puis le vendre trois guinees!... Le duc d'York m'a promis sa
+chaine d'or si je lui faisais des vers pour sa maitresse.... Oui, lady
+Mathilde est brune, mince: ces vers-la pourraient avoir ete faits pour
+elle; elle a dix-huit ans, juste l'age de Jane... Jane! je vais vendre
+ton portrait, ton portrait ecrit de ma main; je vais trahir les mysteres
+de ta beaute, reveles a moi seul, confiee a ma loyaute, a mon respect;
+je vais raconter les voluptes dont tu m'as enivre et vendre le beau
+vetement d'amour et de poesie que je t'avais fait, pour qu'il aille
+couvrir le sein d'une autre! Ces eloges donnes a la sainte purete de
+ton ame monteront comme une vaine fumee sur l'autel d'une divinite
+etrangere; et cette femme a qui j'aurai donne la rougeur de tes joues,
+la blancheur de tes mains, cette vaine idole que j'aurai paree de ta
+brune chevelure et d'un diademe d'or cisele par mon genie, cette femme
+qui lira sans pudeur a ses amants et a ses confidentes les stances qui
+furent ecrites pour toi, c'est une effrontee, c'est la femelle d'un
+courtisan, c'est ce qu'on devrait appeler une courtisane!--Non, je ne
+vendrai pas tes attraits et ta parure, o ma Jane! simple fille qui
+m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas meme ce que c'est qu'on
+poete. Tu me t'es pas enorgueillie de mes louanges, tu n'as pas compris
+mes vers; eh bien, je te les garderai. Un jour peut-etre... dans le
+ciel, tu parleras ta langue des dieux!... et tu me repondras... ma
+pauvre Jane!... (_L'horloge sonne minuit._) Deja minuit!... et je n'ai
+rien fait encore, la fatigue m'accable deja! Cette nuit sera-t-elle
+perdue comme les autres?.... non, il ne le faut pas... Je ne puis
+differer davantage.... Il ne me reste pas une guinee, et ma mere aura
+faim et froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-meme...
+et le froid me gagne... Ah! je sens a peine ma plume entre mes doigts
+glaces... ma tete s'appesantit... Qu'ai-je donc?--Je n'ai rien fait
+et je suis ereinte!... mes yeux sont troubles... Est-ce que j aurais
+pleure?... ma barbe est humide... Oui, voici des larmes sur les stances,
+a Jane... J'ai pleure tout a l'heure en songeant a elle... Je ne m'en
+etais pas apercu. Ah! tu as pleure, miserable lache? tu t'es enerve a te
+raconter ta douleur, quand tu pouvais l'ecrire et gagner le pain de ta
+mere; et maintenant te voici epuise comme une lampe vers le matin, te
+voici pale comme la lune a son coucher... C'est la troisieme nuit que tu
+emploies a marcher dans ta chambre, a tailler ta plume et a te frapper
+le front sur ces murs impitoyables! O rage! impuissance, agonie! (_Se
+levant._) Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis m'ont tourne
+le dos, mon genie s'est couche paresseux et insensible a l'aiguillon de
+la volonte, ma vie elle-meme a semble me quitter, mon sang s'est arrete
+dans mes veines, et la souffrance de mes nerfs contractes m'a arrache
+des cris. Tout cela est arrive souvent, trop souvent! Mais toi, o
+courage! o orgueil! fils de Dieu, pere du genie, tu ne m'as jamais
+manque encore. Tu as leve d'aussi lourds fardeaux, tu as traverse
+d'aussi horribles nuits, tu m'as retire d'aussi noirs abimes... Tu sais
+manier un fouet qui trouve encore du sang a faire couler de mes membres
+desseches; prends ton arme et fustige mes os paresseux, enfonce ton
+eperon dans mon flanc appauvri...
+
+J'ai entendu gemir la-haut! sur ma tete!... c'est ma mere!... Elle
+souffre, elle a froid peut-etre. J'ai mis mon manteau sur elle pour
+la rechauffer. Il ne me reste plus rien... Ah! mon pourpoint pour
+envelopper ses pieds. (_Il monte dans la soupente et revient en chemise
+et en grelottant._)
+
+Froid maudit! ciel de glace!
+
+Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer quelque
+chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et les frileux. (_Sa voix
+s'affaiblit._) Une satire sur les nez rouges... (_Une pause._) Une
+epigramme sur le nez de l'archeveque qui est toujours violet apres
+souper... (_Une pause._) Unes chanson, cela me reveillera; si je viens a
+bout de rire, je suis sauve... Ah! le damne manteau de glace que minuit
+me colle sur les epaules!... rimons... charmante bise de decembre qui
+ souffles sur mes tempes, inspire-moi... Monseigneur...Monseigneur de Cantorbery...
+
+ (_Une pause_.)
+ Est toujours vermeil apres boire.,.
+
+Vermeil ne me plait pas...
+
+ Est toujours charmant...
+
+Charmant... hum!
+
+ Est toujours superbe..
+ Est toujours superbe apres boire...
+
+(_Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse_.)
+
+ Monseigneur de Cantorbery...
+
+ (_Il s'endort tout a, fait_.)
+
+[Illustration: Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.., (Page 63.)]
+
+(_Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est enveloppee a demi
+dans les couvertures de son lit, et se traine le long des murs._)
+
+
+MEG.
+
+Je crois qu'il y a enfin de la lumiere ici... Je vois une lueur
+faible... (_Elle se heurte contre la table._)
+
+
+ALDO.
+
+Qui va la?... vous ne repondez pas?... bonsoir... Si vous etes un
+voleur, l'ami, passez votre chemin, vous perdez votre temps ici... (_Il
+se rendort._)
+
+
+MEG.
+
+Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis encore plus sourde
+aujourd'hui qu'a l'ordinaire... et je ne sais pas si le temps etait plus
+sombre, mais il m'a semble que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est
+pas rentre, a ce qu'il parait!... (_Elle-se heurte encore._)
+
+
+ALDO.
+
+Encore! Ami voleur, mon cher frere en diable, vous ne vous en rapportez
+pas a moi?... Cherchez a votre aise... si vous pouviez trouver ma rime
+dans un coin de la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant.
+Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez...
+
+ Monseigneur de Cantorbery
+ Est, ma foi! superbe....
+
+(Il se rendort.)
+
+
+MEG, _qui s'est egaree, a tatons dans la chambre._
+
+Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici que dans mon
+lit.... Dieu de bonte, j'esperais trouver le poele ... mais y a-t-il
+du bois seulement? Si mon pauvre enfant etait la, du moins il me
+consolerait.... Mais il est alle me chercher quelque chose sans
+doute.... Je ne vois plus du tout. Je n'entends rien nulle part....
+Froid, nuit, silence, solitude, vieillesse, que vous etes tristes! Je ne
+me soutiens plus, une etrange defaillance me saisit....
+
+(_Aldo revant._)
+
+Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!...
+
+
+MEG.
+
+Mes genoux vont se casser si je marche encore: ou m'asseoir dans ces
+tenebres?... (_Elle se laisse tomber._)
+
+
+ALDO.
+
+Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je t'avais donne a
+Oscar, mais il parait que tu veux jeuner avec ton maitre ... ou es-tu, o
+le meilleur des hommes, je veux dire des caniches?...
+
+
+MEG.
+
+Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant, sainte Vierge
+... je meurs catholique ... mon enfant! mon enf.... Aldo! (Elle meurt.)
+
+
+ALDO, _se relevant a demi._
+
+Pour le coup, on a parle.... Mon nom est parti de ce coin.... Je n'ai
+pas reve peut-etre.... Voleur ou chien! qui que tu sois.... C'etait la
+voix de ma mere.... Ma mere, allons donc! elle dort la-haut.... Je n'ai
+pas la force d'y aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur!
+Misere, tu m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer pres de moi dans
+mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait sortir de la tombe.
+Fantomes evoques par la faim, terreurs imbeciles, laissez-moi!...
+Murailles imprudentes qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car
+s'il est en vous un echo bavard qui repete les paroles de ma peur, je
+vous demolirai pierre a pierre jusqu'a ce que je l'aie arrache de vos
+entrailles, fut-il cache dans le ciment et scelle dans le granit....
+Ma mere, m'avez-vous appele? (_Il se leve tout a fait et se frotte
+les yeux._) Meg, ma mere! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je
+divague.... J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse semble me
+demander ce que j'ai fait du temps! Tu as dormi, bete stupide!... Tu
+n'as pu lutter une heure ... comme les disciples du Christ, tu as mal
+garde le jardin des Oliviers.--Jesus! tu bois en vain l'eternel calice
+des douleurs humaines; ton pere est sourd, ton frere l'esprit saint a
+perdu ses ailes de feu. Le cerveau du poete est aride comme la terre, et
+le coeur des riches est insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif
+aura plus de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (_Il se fait
+une incision a la poitrine; etouffe un cri et jette le canif._) Votre
+lecon est incisive, mon bon ami, elle creusera en moi.... Passez-moi le
+calembour, mon esprit ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite
+lame!... Ah! me voici bien eveille, Dieu merci! cette charmante plaie
+me cuit passablement Je puis travailler maintenant.... Mais qui donc a
+ainsi bouleverse ma table?... Quelqu'un est entre ici.... Est-ce que
+j'aurais encore peur?... Imbecile! tu es poltron, et pour te guerir,
+tu repands deux onces de ton sang comme si tu en avais de reste! et tu
+gates ta chemise comme si tu en avais une autre! Faquin! perdras-tu tes
+habitudes de grand seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans
+cette plaie comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir
+travailler. (_Mettant ses deux bras sur se tete._) Mon courage, mon
+Dieu! ma mere!... Il faut que j'aille embrasser ma mere sans la
+reveiller, cela me portera bonheur. (_Il prend sa lumiere et sort._)
+(_Il redescend de la soupente d'un air effare._) Mais ou est donc la
+vieille femme? Ma mere! ma mere! Qu'est-ce qui a pu me voler ma mere?
+Je n'avais qu'elle au monde pour causer mon desespoir et conserver mon
+heroisme. (_Il trouvera sa mere sous l'escalier._) Ah!... ma mere est
+morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, a la fin!--Comment! vous
+etes morte, ma mere? (_Il la retire de dessous l'escalier et la
+regarde._) Oui, bien morte! Froide comme la pierre et raide comme
+une epee. Ah! ma mere est morte!... (_Il rit aux eclats et tombe en
+convulsion._) (_Apres un silence._)
+
+Mais pourquoi etes-vous deja morte? Vous etiez bien pressee d'en finir
+avec la misere! Est-ce que je ne vous soignais pas bien? Etiez-vous
+mecontente de moi? Trouviez-vous que j'epargnais ma peine et que je
+menageais mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, et les
+critiques de mes envieux vous faisaient-elles rougir d'etre la mere
+d'un si mechant rimeur? Vous etiez un _bas-bleu_ autrefois dans votre
+village!... Aujourd'hui vous n'etes plus qu'un pauvre squelette aux
+jambes nues. Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppes encore
+ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la doublure etait usee
+et l'etoffe mince? C'est comme l'etoffe dont vous m'avez fait, o
+vieille Meg! J'etais votre septieme fils; tous etaient beaux et grands,
+musculeux et pleins d'ardeur, excepte moi le dernier venu. C'etaient de
+vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches aux flancs bruns;
+et pourtant, depuis Dougal le Noir jusqu'a Ryno le Roux, tous sont
+partis sans songer a vous conduire au cimetiere. Il ne vous est reste
+que le pauvre Aldo, le pale enfant de votre vieillesse, le fruit debile
+de vos dernieres amours. Et que pouvait-il faire pour vous de plus qu'il
+n'a fait? que ne lui donniez-vous comme a vos autres fils une large
+poitrine et de males epaules! Cette petite main de femme que voici
+pouvait-elle manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier?
+Pouvait-elle soulever la rame du pecheur et boxer avec l'esturgeon? Vous
+n'aviez rien espere de moi, et, me voyant si chetif, vous n'aviez meme
+pus daigne me faire apprendre a lire!--Et quand tous vous ont manque,
+quand vous vous etes trouvee seule avec votre avorton, n'avez-vous pas
+ete surprise de decouvrir que je ne sais quel coin de son cerveau avait
+retenu et commente les chants de nos bardes! Quand cette voix grele a su
+faire entendre des melodies sauvages qui ont emu les hommes blases
+des villes, et qui leur ont rappele des idees perdues, des sentiments
+oublies depuis longtemps, vous avez embrasse votre fils sur le front,
+sanctuaire d'un genie que vous aviez enfante sans le savoir. Eh bien! ne
+pouviez-vous attendre quelques jours encore? La richesse allait venir
+peut-etre. Votre vieillesse allait s'asseoir dans un palais, et vous
+etes partie pour un monde ou je ne puis plus rien pour vous. Tachez, si
+vous allez en purgatoire, que les bras de mes freres vous delivrent et
+vous ouvrent les portes du ciel.... Pour moi, je n'ai plus rien a faire,
+ma tache est finie. Toutes les herbes de la verte Innisfail peuvent
+pousser dans mon cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est
+temps que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille femme,
+spectre bleme, dont le souvenir sacre m'a fait accomplir de si rudes
+travaux, apprendre tant de choses ardues, passer tant de nuits glacees
+sans sommeil et sans manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour
+toi, je n'aurais jamais ete rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au moment ou
+j'allais etre quelque chose? Tu m'otes une recompense que je meritais; c
+etait de te voir heureuse, et tu meurs dans le plus odieux jour de notre
+misere, dans la plus rude de mes fatigues! O mere ingrate, qu'ai-je fait
+pour que tu m'otes deja mon unique desir de gloire, ma seule esperance
+dans la vie, l'honnete orgueil d'etre un bon fils!... Vieux sein
+desseche qui as allaite six hommes et demi, recois ce baiser de
+reproche, de douleur et d'amour.... ( _Il se jette sur elle en
+sanglotant._)--Helas! ma mere est morte!
+
+
+
+
+SCENE III.
+
+JANE, ALDO.
+
+
+JANE.
+
+Est-ce que votre mere est morte! Helas! quelle douleur!
+
+ALDO.
+
+Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois la bienvenue! Mon ame
+est brisee, je n'espere plus qu'en toi.
+
+
+JANE.
+
+Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis pas rendre la
+vie a votre mere.
+
+
+ALDO.
+
+Tu peux me rendre sa tendresse, sa melancolique et silencieuse
+compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait de moi, le devoir qui
+m'attachait a elle et a la vie. Helas! il y a eu des jours ou, dans mon
+decouragement, j'ai souhaite que la pauvre Meg arrivat au terme de ses
+maux, afin de retrouver la liberte de me soustraire aux miens! Tout
+a l'heure, dans mon delire, je me suis rejoui amerement d'etre enfin
+delivre de mon pieux fardeau. Je me suis assis en blasphemant au bord du
+chemin. Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.--Mais je suis bien jeune
+encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est peut-etre pas fini
+pour moi; l'avenir peut s'eveiller plus beau que le passe. Je veux
+devenir riche et puissant; si je trouve une douce compagne, tendre et
+bonne comme ma mere, et en meme temps jeune et forte pour supporter les
+mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer comme un doux breuvage
+d'oubli au milieu de mes detresses, je puis encore voir la verte
+esperance s'epanouir comme un bourgeon du printemps sur une branche
+engourdie par l'hiver.
+
+
+JANE.
+
+J'aime beaucoup les choses que vous dites, o mon bien-aime! Quoique vos
+paroles ne soient pas familieres a mon oreille, vos compliments me font
+toujours regretter de n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je
+suis belle autant que vous le dites.
+
+
+ALDO.
+
+Et que vous importe de l'etre ou de ne l'etre pas, pourvu que je vous
+voie ainsi et que je vous aime telle que vous etes a mes yeux et dans
+mon coeur!
+
+
+JANE.
+
+Vous avez toujours a la bouche des paroles qui plaisent quand on les
+ecoute; mais quand on y songe apres, on ne les comprend plus et on sent
+de l'inquietude.
+
+
+ALDO.
+
+En verite, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. Eh quoi! vous
+gardez un compte exact de mes paroles et vous les commentez en mon
+absence? Il faut prendre garde a ce que l'on vous dit!
+
+
+JANE.
+
+N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir?
+
+
+ALDO.
+
+Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; je suis amer:
+j'ai ete si malheureux! Mais tu me consoleras, toi, n'est-ce pas?
+
+
+JANE.
+
+Oui, mon beau reveur, si vous consentez a etre console.
+
+
+ALDO.
+
+Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voila une parole etrange dans
+votre bouche!
+
+
+JANE.
+
+Vous vous etonnez de mon desir de vous consoler? C'est vous, Aldo, qui
+me semblez etrange!
+
+
+ALDO.
+
+En effet, c'est peut-etre moi! Passez-moi ces boutades, c'est malgre moi
+qu'elles me viennent. Je ne veux pas m'y livrer. Donnez-moi votre main,
+Jane, et donnez-moi aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma
+pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour moi, pour moi
+seul. J'ai besoin a l'heure qu'il est de trouver un appui ou de mourir.
+Vous etes mon seul et dernier espoir; m'accueillerez-vous?
+
+
+JANE.
+
+Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous de
+m'epouser?
+
+
+ALDO.
+
+Vous en doutez?
+
+
+JANE.
+
+Non, je n'en doute pas.
+
+
+ALDO.
+
+Mais vous en avez doute..
+
+
+JANE.
+
+Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous eloignez-vous de moi d'un
+air sombre? Est-ce que je vous ai offense?
+
+
+ALDO.
+
+Non.
+
+
+JANE.
+
+Vous ne vous voulez pas me regarder?
+
+
+ALDO.
+
+Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure qui m'occupe, c'est
+au fond de votre coeur que mon regard plonge.
+
+
+JANE.
+
+Voila que vous me dites des choses que je n'entends plus; et, comme vous
+froncez le sourcil en me les disant, je dois croire que ce sont
+des choses dures et affligeantes pour moi. Vous avez un malheureux
+caractere, Aldo, un sombre esprit, en verite!
+
+
+ALDO.
+
+Vous trouvez?
+
+
+JANE.
+
+Oui, et j'en souffre.
+
+
+ALDO.
+
+Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir.
+
+
+JANE.
+
+Je vous pardonne.
+
+
+ALDO, _avec amertume_.
+
+Vous etes bonne!
+
+
+JANE.
+
+C'est que je vous aime; tachez de m'aimer autant, et nous serons
+heureux.
+
+
+ALDO.
+
+J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonte d'appeler les
+voisines pour qu'elles viennent ensevelir le corps de ma mere?
+
+
+JANE.
+
+J'y vais. Donnez-moi un baiser. (_Aldo la baise au front avec
+froideur._)
+
+
+ALDO, _seul_.
+
+Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidite! elle me blesse et me
+choque sans s'en douter, elle m'accorde mon pardon quand c'est elle qui
+m'offense, et elle recoit mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes
+levres que c'est le dernier! Mais la femme est donc un etre bien lache
+et bien borne! Je croyais celle-ci plus naive, plus abandonnee a ce que
+la nature leur inspire parfois de beau et de genereux! Mais il y a dans
+le coeur un fonds d'egoisme plus dur que le diamant, et aucun grand
+sentiment n'y peut germer. Toi qui te pretends descendue des cieux pour
+nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-meme dans le partage que tu veux
+etablir entre nos destinees et les tiennes! Tu promets ton devouement,
+tes caresses et ta fidelite, a la condition d'un echange semblable.
+Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui etait sur mes levres,
+et que j'aurais voulu offrir et non ceder. C'est ainsi que tu nous
+sauveras, ange equitable et prudent. Tu tiens une balance comme la
+justice, mais tu as souleve le bandeau de l'amour, et tu vois clairement
+nos defauts pour nous les reprocher sans pitie. Rien pour rien, c'est ta
+devise! Ou est ta misericorde, ou est ton pardon, ou donc tes ineffables
+sacrifices? Femme! mensonge! tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre,
+un reve. Les poetes t'ont creee, ton fantome est peut-etre au ciel. Il
+m'a semble parfois te voir passer dans mes nuees. Insense que j'etais,
+pourquoi suis-je descendu sur la terre pour te chercher?
+
+Maintenant je sais ce qu'il me reste a faire. Ma mere, je ne te pleure
+plus, nous ne serons pas longtemps separes. Je laisse a d'autres le soin
+d'ensevelir ta depouille, je vais rejoindre ton ame... J'ai bien assez
+tarde, mon Dieu! il y a assez longtemps que j'hesite au bord du gouffre
+sans fond de l'eternite! Pourquoi ai-je tremble?... tremble! Est-ce
+que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?... Non, c'est le devoir.--Et
+pourtant tout a l'heure que faisais-tu lorsque tu priais, a genoux,
+cette jeune fille de conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne
+devais plus rien a personne, et tu voulais vivre pourtant! lache enfant!
+tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir, tu demandais l'amour avec
+des larmes! Tu les demandais a une paysanne imbecile, quand c'est dans
+un monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrete? est-ce
+le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le desespoir? La-haut
+l'incertitude, ici la realite. Le choix peut-il etre douteux? Va donc,
+Aldo! descends dans ces vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces
+insaisissables. Que Dieu te protege, si tu en vaux la peine; qu'il te
+rende au neant, si ton ame n'est qu'un souffle sorti du neant!...
+
+Adieu, grabat ou j'ai si mal dormi! adieu, table dure et froide ou j'ai
+trace des vers brulants! adieu, front livide de ma mere, ou j'ai tant
+de fois interroge avec anxiete les ravages de la souffrance et les
+dernieres luttes de la vie prete a s'eteindre! Adieu, esperances de
+gloire; adieu, esperances d'amour, vous m'avez menti, je romps les
+mailles du filet ou vous m'avez tenu si longtemps captif et ridicule!
+je vais me relever a mes propres yeux, je vais briser un joug dont je
+rougis... Adieu. (_ Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur
+le fleuve et descend les degres. Une barque pavoisee passe au meme
+moment._)
+
+
+AGANDECCA, _sur la barque_.
+
+Quel est ce jeune homme si pale et si beau qui descend vers le fleuve et
+semble vouloir s'y precipiter?
+
+
+TICKLE, _sur la barque_.
+
+C'est un homme de rien, un reveur, un fou, un miserable.
+
+
+AGANDECCA.
+
+Je veux savoir son nom.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est Aldo le rimeur.
+
+
+AGANDECCA.
+
+Aldo le barde! ses chants sont inspires, sa voix est celle d'un poete
+des anciens jours. La beaute de son genie ne le cede qu'a celle de son
+visage. Je veux lui parler.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui repondra fort mal aux
+bontes de Votre Grace.
+
+
+AGANDECCA.
+
+N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix. Faites aborder
+la barque au bas de cet escalier. ( _Tickle donne des ordres en
+grommelant. La barque vient aborder aux pieds d'Aldo._)
+
+
+ALDO.
+
+Qui etes-vous, et que demandez-vous a la porte de cette pauvre maison?
+
+
+AGANDECCA.
+
+Je suis la reine, et je viens te voir.
+
+
+ALDO.
+
+Votre Grace arrive une heure trop lard, la maison est deserte. Ma mere
+est morte, et je ne repasserais pas le seuil que je viens de franchir,
+fut-ce pour la reine Mab elle-meme.
+
+
+AGANDECCA.
+
+Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma barque.
+
+
+ALDO.
+
+Madame, ou me menez-vous?
+
+
+AGANDECCA.
+
+A la promenade.
+
+
+ALDO. Votre promenade sera-t-elle longue?
+
+
+LA REINE.
+
+Que sais-je?
+
+
+
+
+ACTE SECOND.
+
+Dans une galerie du palais de la reine.
+
+
+
+
+SCENE PREMIERE.
+
+LA REINE, TICKLE.
+
+
+LA REINE.
+
+Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fache, et je ne veux pas
+entendre de mal de lui.
+
+
+TICKLE.
+
+Comment Votre Grace peut-elle me supposer une si coupable intention! Le
+seigneur Aldo est un si grand poete et un si noble cavalier!
+
+
+LA REINE.
+
+Oui, c'est le plus beau genie et le plus grand coeur! Je ne lui reproche
+qu'une chose, son invincible orgueil.
+
+
+TICKLE.
+
+Sous une apparence d'humilite, je sais qu'il cache une epouvantable
+ambition...
+
+
+LA REINE.
+
+Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que l'ambition d'etre
+aime.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est une belle et touchante ambition!
+
+
+LA REINE.
+
+Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante. Un mot
+l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une ombre; il n'y a pas
+de calme possible dans son amour.
+
+
+TICKLE.
+
+Cet amour-la est une tyrannie, une guerre a mort, un combat eternel!
+
+
+LA REINE.
+
+Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur des hommes.
+Je lui reproche, au contraire, de trop renfermer au dedans de lui les
+chagrins que je lui cause. Au lieu de s'en plaindre franchement, il les
+concentre, il les surmonte, et, avec toute cette resignation, tout ce
+courage, toute cette douceur, il devore sa vie, il use son coeur, il est
+malheureux.
+
+
+TICKLE.
+
+Infortune jeune homme! Votre Grace devrait avoir plus de compassion, lui
+epargner...
+
+
+LA REINE.
+
+Mais de quoi se plaint-il, apres tout? Son coeur est injuste, son esprit
+est plein de travers, d'inconsequences, de souffrances sans sujet et
+sans remede. Que puis-je faire pour un cerveau malade? Je l'aime de
+toute mon ame et lui epargne la douleur tant que je puis; mais le mal
+est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pale et sombre, a mes
+cotes, je l'ai pris pour l'ange de la douleur.
+
+
+TICKLE.
+
+Le spectacle d'un homme toujours mecontent doit etre un grand supplice
+pour une ame genereuse comme celle de Votre Grace.
+
+
+LA REINE.
+
+Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me blesse et m'irrite.
+Quoi de plus decourageant que de vouloir consoler un inconsolable? C'est
+se consumer jeune et pleine de sante aupres du lit d'un moribond qui ne
+peut ni vivre ni mourir.
+
+
+TICKLE.
+
+Votre Grace a fait pourtant bien des sacrifices pour lui. De quoi
+pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracie pour lui le duc de
+Suffolk, l'astre le plus brillant de la cour?
+
+
+LA REINE.
+
+Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus!
+
+
+TICKLE.
+
+Il n'avait jamais d'ailleurs ete bien aimable.
+
+
+LA REINE.
+
+Il ne faut pas dire cela; c'etait un homme d'esprit et plein de nobles
+qualites.
+
+TICKLE.
+
+Oh! oui, genereux, brave, desinteresse!...
+
+
+LA REINE.
+
+Ceci est faux; il etait plus epris de mon rang que de ma personne.
+
+
+TICKLE.
+
+C'est le malheur des rois.
+
+
+LA REINE.
+
+Et c'est ce qui me fait cherir l'amour de mon poete: lui du moins m'aime
+pour moi seule. Il sait a peine si je suis reine. Il n'en est point
+ebloui; meme il en souffre, et je crois qu'il me le pardonne.
+
+
+TICKLE.
+
+Votre Grace est-elle bien sure que dans son orgueil de poete il ne
+prefere point sa condition a celle d un roi?
+
+
+LA REINE.
+
+S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poete est la plus belle des
+couronnes, la plume d'un grand ecrivain est un sceptre plus puissant que
+les notres. Moi, j'aime qu'un esprit superieur sache ce qu'il est et ce
+qu'il peut etre; c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions.
+
+
+TICKLE.
+
+Aussi je crois que le poete Aldo est reserve a de hautes destinees. Il
+est digne de commander aux hommes, et un mot de Voire Grace pourrait
+l'elever au veritable rang qu'il est ne pour occuper....
+
+
+LA REINE.
+
+Si je ne te savais profondement hypocrite, o mon cher Tickle, je le
+dirais que tu es parfaitement imbecile. Qui? lui! etre mon epoux!
+regner! D'abord le sceptre jusqu'ici ne m'a pas semble trop lourd a
+porter; ensuite Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais
+supposer capable de me seconder. Personne ne connait moins les
+autres hommes, personne n'a d'idees plus creuses, de sentiments plus
+exceptionnels, de reves plus inexecutables. Vraiment! mon peuple serait
+un peuple bien gouverne! il pourrait chanter beaucoup et manger fort
+peu, ce qui ne laisserait pas que d'etre fort agreable, le jour ou
+le poete-roi aurait decouvert le moyen de placer l'estomac dans les
+oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu n'as pas le sens commun aujourd'hui.
+
+
+TICKLE, _sortant_.
+
+Fort bien, j'ai reussi a la facher; j'etais bien sur qu'en disant comme
+elle, je l'amenerais a dire comme moi.
+
+
+
+SCENE II.
+
+
+LA REINE, seule.
+
+Ce Tickle est un facheux personnage; il a une maniere d'entrer dans mes
+idees qui m'en degoute sur-le-champ. Ces pretendus bouffons, que nous
+ayons autour de nous, sont comme nos mauvais genies, laids et mechants;
+ils tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la verite qui nous
+blesse,. et de nous taire celle qui nous serait utile. Quand ils ne
+mentent pas, c'est que leur mensonge pourrait nous epargner une douleur
+ou nous sauver d'un peril; c'est alors seulement qu'ils se refusent
+Je plaisir de nous tromper. Il faut que je voie mon poete, je me sens
+attristee et prete a douter de tout. L'homme aux illusions me consolera
+peut-etre. (_Elle siffle dans un sifflet d'argent suspendu a son cou_.)
+(_Tickle rentre_.) Nain, envoyez Aldo pres de moi, je l'attends ici.
+
+
+TICKLE.
+
+J'y cours avec joie.
+
+
+LA REINE.
+
+Apres tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit que cet amour nuit
+a ma gloire. Le duc de Suffolk m'etait moins cher, je l'estimais moins,
+j'etais moins touchee de son amour; mais son esprit, moins eleve, etait
+plus positif; c'etait un ambitieux, mais un ambitieux qui secondait
+toutes mes vues. J ai aime autrefois le brave Athol. Celui-la etait un
+beau soldat, un bon serviteur, un veritable ami; du reste, un montagnard
+stupide; mais il etait l'appui de ma royaute, il la rendait redoutable
+au dehors, paisible au dedans; c'etait comme une bonne arme bien trempee
+et bien brillante dans ma main. Ce poete est dans mon palais comme un
+objet de luxe, comme un vain trophee qu'on admire et qui ne sert a rien.
+Un vetement d'or vaut-il une cuirasse d'acier? On aime a respirer les
+roses de la vallee, mais on est a l'abri sous les sapins de la montagne.
+
+Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave! Qu'il est doux de
+se reposer des soucis de la vie active sur un coeur sincere et fidele!
+Qu'ils sont rares, ceux qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes
+toujours embrases, ils se consument en montant vers le ciel. Nous
+pouvons a toute heure chercher sur leur autel la chaleur qui manque a
+notre ame epuisee, nous la trouvons toujours vive et brillante. Leur
+sein est un mysterieux sanctuaire ou le feu sacre ne s'eteint jamais;
+s'il s'eteignait, le temple s'ecroulerait comme un monde sans soleil.
+L'amour est en eux le principe de la vie. Ils palissent, ils souffrent,
+ils meurent, si on froisse leur tendresse delicate et timide. Dites un
+mot, accordez un regard, ils renaissent, leur sein palpite de joie,
+leur bouche a de douces paroles de reconnaissance pour benir, et leurs
+caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi qui saches aimer, et
+pourtant il est des jours ou tu m'ennuies mortellement.
+
+
+
+SCENE III.
+
+LA REINE, ALDO.
+
+
+ALDO.
+
+Que veux-tu de moi, ma bien-aimee?
+
+
+LA REINE.
+
+Je voulais te voir et etre avec toi.
+
+
+ALDO.
+
+Etes-vous triste, etes-vous fatiguee? Voulez-vous que je chante? Que
+puis-je faire pour vous?
+
+
+LA REINE.
+
+Etes-vous heureux?
+
+
+ALDO.
+
+Je le suis, parce que vous m'aimez.
+
+
+LA REINE.
+
+Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me repondez pas? Deja votre
+visage est change, des larmes roulent dans vos yeux, ma question vous a
+offense?
+
+
+ALDO.
+
+Offense?--Non.
+
+
+LA REINE.
+
+Afflige?
+
+
+ALDO.
+
+Oui.
+
+
+LA REINE.
+
+Si vous etes triste, vous allez me rendre triste.
+
+
+ALDO.
+
+J'essaierai de ne pas l'etre; mais, quand vous avez besoin de
+distraction et de gaiete, pourquoi me faites-vous appeler? Ce n'est pas
+ma societe qui vous convient dans ces moments-la. Votre nain Tickle a
+plus d'esprit et de bons mots que moi.
+
+
+LA REINE.
+
+Mais il est mechant et laid. J'aime la gaiete, mais c'est un banquet ou
+je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives dignes de moi. Pourquoi
+meprisez-vous le rire? Vous croyez-vous trop celeste pour vous amuser
+comme les autres hommes?
+
+
+ALDO.
+
+Je me sens trop faible pour professer le caractere jovial. Quand je
+semble gai, je suis navre ou malade; le bonheur est serieux, la douleur
+est silencieuse. Je ne suis capable que de joie ou de tristesse. La
+gaiete est un etat intermediaire dont je n'ai pas la faculte, j'y arrive
+par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire, commandez le
+souper, faites danser sir John Tickle sur la table; en voyant ses
+grimaces, en buvant du vin d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en
+convulsion. Mais ici, pres de vous, de quoi puis-je me divertir? Je vous
+regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous me regardez avec
+bonte, je suis heureux; vous me raillez, et je suis triste.
+
+LA REINE.
+
+Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on toujours vivre
+replie sur soi-meme? L'amour est-il la seule passion digne de vous?
+
+
+ALDO.
+
+C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable.
+
+
+LA REINE, _impatientee_
+
+Alors vous etes un pauvre sire; moi, je ne peux pas toujours parler
+d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets de joie ou de tristesse que
+le nuage qui passe dans le ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de
+grands interets dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais
+des lois, je recompense la valeur, je punis le crime; j'inspire la
+crainte, le respect, l'amour, la haine peut-etre; tout cela m'occupe; je
+vais d'une chose a une autre, je parcours tous les tons de cette belle
+musique dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet; mais
+votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son. Vous etes beau et
+monotone comme la lune a minuit, mon pauvre poete.
+
+
+ALDO.
+
+La lune est melancolique. Il vous est bien facile de fermer les fenetres
+et d'allumer les flambeaux quand sa lueur blafarde vous importune.
+Pourquoi allez-vous rever dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la
+brume et le froid rayon des etoiles n'iront pas vous attrister dans vos
+salles pleines de bruit et de lumiere.
+
+
+LA REINE.
+
+J'entends: je puis m'etourdir dans de frivoles amusements et vous
+laisser avec votre muse. C'est une societe plus digne de vous que celle
+d'une femme capricieuse et puerile. Restez donc avec votre genie, mon
+cher poete. Les etoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre
+doucement parmi les fleurs: revez, chantez, soupires. La facade de mon
+palais s'illumine, et le son des instruments m'annonce le repas du soir.
+J'y vais porter votre sante a mes convives dans une coupe d'or,
+et parler de vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici,
+penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous avec les sylphes.
+S'ils ne me trouvent pas indigne d'un souvenir, parlez-leur de moi; et
+si, malgre cette nourriture celeste, il vous arrive de ressentir la
+vulgaire necessite de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. Au
+revoir.--Mais qu'est-ce donc? Vous avez baise bien tristement ma main,
+et vous y avez laisse tomber une larme! Quoi! vous etes triste encore?
+je vous ai encore blesse? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon
+cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous aime tendrement,
+je vous prefere aux plus grands rois de la terre. Faut-il vous le
+repeter a toute heure? ne le savez-vous pas? Venez, que je baise votre
+beau front. Sechez vos larmes et venez me rejoindre bientot.
+
+
+
+SCENE IV.
+
+
+ALDO, _seul_.
+
+Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu et devant les
+hommes! Moi, je n'ai raison que devant ma conscience. Je ne puis avoir
+d'autre juge que moi-meme, et ne puis me plaindre qu'a moi-meme.--Car,
+enfin, il ne depend pas de moi d'etre autrement. Tout m'accuse
+d'affectation; mais on n'est pas affecte, on n'est pas menteur avec
+soi-meme. Je sais bien, moi, que je suis ce que je suis. Les autres sont
+autres, et ne me comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car
+moi je ne nie pas leur sincerite; ils me disent qu'ils sont courageux,
+je pourrais leur repondre qu'ils sont insensibles. Mais j'accepte ce
+qu'ils me disent, je consens a les reconnaitre courageux. Mais s'ils le
+sont, pourquoi me reprochent-ils impitoyablement de ne l'etre pas? Si
+j'etais Hercule, au lieu de mepriser et de railler les faibles enfants
+que je trouverais haletants et pleurants sur la route, je les prendrais
+sur mes epaules, je les porterais, une partie du chemin, dans ma peau de
+lion. Que serait pour moi ce leger fardeau, si j'etais Hercule?--Voua
+ne l'etes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui. Elle ne
+vous revolte pas, elle vous effraie. Vous craignez d'etre forces de la
+secourir, et, comme vous ne le pouvez pas, vous l'humiliez pour lui
+apprendre a se passer de vous.
+
+Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de corps, faible
+d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi; je prefere ce que j'aime
+a moi-meme.--Quand je veux suivre la chasse, j'en suis vite degoute,
+parce que je suis vite fatigue.--Quand on me raille, ou me blame, je
+suis effraye, parce que je crains de perdre les affections dont je ne
+puis me passer, parce que je sens que je suis meconnu, et que j'ai
+trop de candeur pour me rehabiliter en me vantant. Avec les hommes,
+il faudrait etre insolent et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes
+faiblesses et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses des
+autres et n'en suis pas revolte. Je les supporte tels qu'ils sont. Je ne
+repousse pas les plus meprisables, je les plains, et, tout faible que
+je suis, j'essaie de soutenir et de relever ceux qui sont plus faibles
+encore. Pourquoi ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la
+pareille?
+
+--Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne te nie pas;
+peut-etre te manifesteras-tu a moi dans une autre vie. J'espere en la
+mort.
+
+Mais ici tu ne te reveles pas. Tu nous laisses souffrir et crier en
+vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprime, tu ne punis pas le
+mechant. J'accepte tout, mon Dieu! et je dis que c'est bien, puisque
+c'est ainsi. Suis-je impie, dis-moi?
+
+Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie de moi-meme.
+Conscience, voix du ciel cachee en moi, comme le son melodieux dans les
+entrailles de la harpe, je te prends a temoin, je te somme de me rendre
+justice. Ai-je ete lache? ai-je lutte contre le malheur? ai-je supporte
+la misere, la faim, le froid? ai-je abandonne ma mere lorsque tout
+m'abandonnait, meme la force du corps? ai-je resiste a l'epuisement et a
+la maladie? ai-je resiste a la tentation de me tuer?--Ou est le mendiant
+que j'aie repousse? ou est le malheureux que j'aie refuse de secourir?
+ou est l'humilie que je n'aie pas exhorte a la resignation, rappele a
+l'esperance? J'ai ete nu et affame. J'ai partage mon dernier vetement
+avec ma mere aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec mon
+chien efflanque. J'ai toujours pris en sus de ma part de souffrances
+une part des souffrances d'autrui; et ils disent que je suis lache, ils
+rient de la sensibilite niaise du poete! et ils ont raison, car ils sont
+tous d'accord, ils sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les
+autres.
+
+Je suis seul, moi! et j'ai vecu seul jusqu'ici. Suis-je lache? J'ai eu
+besoin d'amitie, et, ne l'ayant point trouvee, j'ai su me passer d'elle.
+J'ai eu besoin d'amour, et, n'en pouvant inspirer beaucoup, voila que
+j'accepte le peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille. Je
+pleure tout bas, et l'on me meprise.
+
+C'est donc une lachete que de souffrir? C'est comme si vous m'accusiez
+d'etre lache parce qu'il y a du sang dans mes veines et qu'il coule a la
+moindre blessure. C'est une lachete aussi que de mourir quand on vous
+tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris mon parti sur
+les railleries de mes compagnons? N'avais-je pas consenti a montrer mon
+front pale au milieu de leurs fetes et a passer pour le dernier des
+buveurs? N'avais-je pas livre mes vers au public, sachant bien que deux
+ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux ou trois mille qui me
+traiteraient de reveur et de fou? Apres avoir souffert du metier de
+poete en lutte avec la misere et l'obscurite, j'avais souffert plus
+encore du metier de poete aux prises avec la celebrite et les envieux!
+Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne trouvant pas le
+bonheur dans la richesse et dans ce qu'on appelle la gloire, je
+m'etais refugie dans le coeur d'une femme, et j'esperais. Celle-la, me
+disais-je, est venue me prendre par la main au bord du fleuve ou je
+voulais mourir. Elle m'a enleve sur sa banque magique, elle m'a conduit
+dans un monde de prestiges qui m'a ebloui et trompe, mais ou, du moins,
+elle m'a revele quelque chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si
+les vains fantomes de mon reve se sont vite evanouis, c'est qu'elle
+etait une fee, et que sa baguette savait evoquer des mensonges et des
+merveilles, mais elle est une divinite bienfaisante, cette fee qui me
+promene sur son char. Elle m'a leurre de cent illusions pour m'eprouver
+ou pour m'eclairer. Au bout du voyage, je trouverai derriere son nuage
+de feu, la verite, beaute nue et sublime que j'ai cherchee, que j'ai
+adoree a travers tous les mensonges de la vie, et dont le rayon
+eclairait ma route au milieu des ecueils ou les autres brisent le
+cristal pur de leur vertu. Fantomes qui nous egarez, ombres celestes que
+nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites courir apres
+vous sans regarder ou nous mettons les pieds, pourquoi revetez-vous des
+formes sensibles, pourquoi vous deguisez-vous en femmes? Appelez-vous la
+verite, appelez-vous la beaute, appelez-vous la poesie; ne vous appelez
+pas Jane, Agandecca, l'amour.
+
+Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour etre mieux traite que
+les autres? Pourquoi cette insolente ambition d'etre heureux? Pourquoi
+n'es-tu pas fier de ton laurier de poete et de l'amour d'une reine? Et
+si cela ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la realite
+d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk etait aime de la reine;
+il voulait plus que partager sa couche, il voulait partager son trone.
+Athol fut aime de la reine; il s'ennuyait souvent pres d'elle, il
+desirait la gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui
+semblait preferable a tout. Suffolk, Athol, vous etiez des ambitieux,
+mais vous n'etiez pas des fous; vous desiriez ce que vous pouviez
+esperer; la puissance, la victoire, l'argent, l'honneur, tout cela est
+dans la vie; l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La reine
+a chasse Suffolk; mais il regne sur une province, et il est content.
+Athol a ete disgracie; mais il commande une armee, et il est fier.
+
+Moi, que puis-je aimer apres elle? rien. Ou est le but de mes
+insatiables desirs? dans mon coeur, au ciel, nulle part peut-etre?
+Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable au mien, qui me reponde; ce
+coeur n'existe pas. On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me
+le vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On s'amuse de ma
+passion comme d'une chose singuliere, on la regarde comme un spectacle,
+et quelquefois l'on s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus
+souvent on la trouve fausse, monotone et de mauvais gout. On m'admire,
+on me recherche et on m'ecoute, parce que je suis un poete; mais quand
+j'ai dit mes vers, on me defend d'eprouver ce que j'ai raconte, on me
+raille d'esperer ce que j'ai concu et reve. Taisez-vous, me dit-on, et
+gardez vos eglogues pour les reciter devant le monde; soyez homme avec
+les hommes, hissez donc le poete sur le bord du lac ou vous le promenez,
+au fond du cabinet ou vous travaillez.--Mais le poete, c'est moi! Le
+coeur brulant qui se repand en vers brulants, je ne puis l'arracher de
+mes entrailles. Je ne puis etouffer dans mon sein l'ange melodieux qui
+chante et qui souffre. Quand vous l'ecoutez chanter, vous pleurez; puis
+vous essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon role cesse
+avec votre emotion: aussitot que vous cessez d'etre attentifs, il faut
+que je cesse d'etre inspire. Qu'est-ce donc que la poesie? Croyez-vous
+que ce soit seulement l'art d'assembler des mots?
+
+Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous avez raison! vous
+etes reine, vous etes belle, vous etes ambitieuse et forte. Votre ame
+est grande, votre esprit est vaste. Vous avez une belle vie; en bien!
+vivez. Changez d'amusement, changez de caractere vingt fois par jour;
+vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blame pas; et, si je vous
+aime, c'est peut-etre parce que je vous sens plus forte et plus sage
+que moi. Si je suis heureux d'un de vos sourires, si une de vos larmes
+m'enivre de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des
+bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez me refuser.
+Moi, quel merite ai-je a vous aimer? je ne puis faire autrement. De quel
+prix est mon amour? l'amour est ma seule faculte. A quels plaisirs, a
+quels enivrements ai-je la gloire de tout preferer? Rien ne m'enivre,
+rien ne me plait, si ce n'est vous. La moindre de vos caresses est un
+sacrifice que vous me faites, puisque c'est un instant que vous derobez
+a d'autres interets de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous
+etes mon autel et mon Dieu, et je suis moi-meme l'offrande deposee a vos
+pieds.
+
+Si je suis mecontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en prendre de mes
+souffrances? Si je pouvais me plaindre, m'indigner, exiger plus qu'on ne
+me donne, j'espererais. Mais je n'espere ni ne reclame; je souffre.
+
+Eh bien, oui, je souffre et je sais mecontent. Pourquoi ai-je voulu
+vivre? Quelle insigne lachete m'a pousse a tenter encore l'impossible?
+Ne savais-je pas bien que j'etais seul de mon espece et que je serais
+toujours ridicule et importun? Qu'y a-t-il de plus chetif et de plus
+miserable que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui souffre est un
+fleau! c'est un objet de tristesse et de degout pour les autres! c'est
+un cadavre qui encombre la voie publique, et dont les passants se
+detournent avec effroi. Etre malheureux, c'est etre l'ennemi du genre
+humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur compte, et celui
+qui ne sait pas vivre pour lui-meme est un voleur qui depouille ou un
+mendiant qui assiege.
+
+Meurs donc, lache! il est bien temps d'en finir! tu t'es bien assez
+cabre sous la necessite! Tes flancs ont saigne, et tu n'as pas fait un
+pas en avant! Resigne-toi donc a mourir sans avoir ete heureux!...
+
+Helas! helas! mourir, c'est horrible!... Si c'etait seulement saigner,
+defaillir, tomber!... mais ce n'est pas cela. Si c'etait porter sa tete
+sous une hache, souffrir la torture, descendre vivant dans le froid
+du tombeau! mais c'est bien pis: c'est renoncer a l'esperance, c'est
+renoncer a l'amour; c'est prononcer l'arret du neant sur tous ces reves
+enivrants qui nous ont leurres, c'est renoncer a ces rares instants de
+volupte qui faisaient pressentir le bonheur, et qui l'etaient peut-etre!
+
+Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas assez, n'est-ce
+pas trop! Agandecca, vous m'avez dit des mots qui valaient une annee de
+gloire, vous m'avez cause des transports qui valaient mieux qu'un siecle
+de repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui effacera
+toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi un instant le roi de
+la terre et du ciel!
+
+Mais pourquoi retomber toujours dans l'abime de douleur? pourquoi
+chercher ces joies si elles doivent finir et si je ne sais pas y
+renoncer? Les autres se lassent et se fatiguent de leurs jouissances:
+moi, la jouissance m'echappe et le desir ne meurt pas! O amour! eternel
+tourment!... soif inextinguible!
+
+Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et, si je le
+puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra plus malheureux. Je ne
+saurai pas vivre sans aimer. L'amour ou l'amitie ne me paieront pas ce
+que je depenserai de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je pu
+vivre jusqu'ici? Je ne le concois pas. Suis-je le plus courageux ou
+le plus lache de tous les hommes?--Je ne sais pas; et comment le
+savoir?--Celui qui souffre pour donner du bonheur aux autres... oui,
+celui-la est brave... mais celui qui souffre et qui importune, celui qui
+veut du bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! decidement je suis
+un lache! comment ne m'en suis-je pas convaincu plus tot? (_Il tire son
+epee_). Lune... brise du soir!... Tais-toi, poete, tu n'es qu'un sot.
+Qu'est-ce qui merite un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un
+regret? (_Il va pour se tuer._)
+
+
+
+SCENE V.
+
+
+LE DOCTEUR ACROCERONIUS, _entrant_.
+
+Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude singuliere?
+
+
+ALDO.
+
+Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas deranger pour moi.
+Puis-je vous rendre quelque service apres votre mort?
+
+
+ALDO.
+
+Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir.
+
+
+ACROCERONIUS
+
+Je suis fache que vous preniez cette resolution avant le coucher de la
+lune.
+
+
+ALDO.
+
+Pourquoi?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez une des plus
+belles eclipses de lune que nous ayons eues depuis longtemps.
+
+
+ALDO.
+
+Il y a une eclipse de lune?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera tellement
+visible, que je m'etonne de rencontrer un homme aussi indifferent que
+vous a cet important phenomene.
+
+
+ALDO.
+
+En quoi cela peut-il m'interesser?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous le ferai comprendre.
+
+
+ALDO.
+
+Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas dispose a marcher, et
+j'aime mieux me passer mon epee au travers du corps.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Faites ce qui vous convient, et ne vous genez pas devant moi. Cependant
+j'aurais ete flatte d'avoir votre compagnie durant ma promenade.
+
+
+ALDO.
+
+En quoi pourrais-je vous etre utile! La solitude convient mieux a vos
+savantes elucubrations. Je ne suis qu'un pauvre poete, peu capable de
+raisonner avec vous sur d'aussi graves matieres.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+La societe des poetes m'a toujours ete fort agreable. Les poetes sont de
+tres-intelligents observateurs de la nature. Ils sont faibles sur les
+classifications, mais ils ont beaucoup de nettete dans l'observation.
+Ils possedent l'appreciation juste de la couleur et de la forme, et
+quelquefois ils remarquent des rapports qui nous echappent; des nuances
+presque insaisissables leur sont revelees par je ne sais quel sens qui
+nous manque. Je suis sur que vous me feriez voir des choses dont je sais
+l'existence, et que pourtant je n'ai jamais pu observer a l'oeil nu.
+
+
+ALDO.
+
+Les savants sont poetes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont pas besoin,
+comme nous, d'observer pour voir. Ils savent tant de choses, qu'ils
+peuvent peindre la nature sans la regarder, comme on fait de memoire le
+portrait de sa maitresse. Ils peuvent nous initier a plus d'un mystere
+dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche vetement qui couvre
+les beautes nues sous l'oeil de la science. Je suis fache, mon cher
+maitre, d'avoir vecu longtemps sous le meme toit que vous, sans avoir
+songe a profiter de votre entretien.
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Si vous n'etes pas force absolument de vous tuer ce soir, vous pourriez
+venir avec moi sur la montagne de Lego. Nous observerions l'eclipse de
+lune, nous causerions sur toutes les choses connues; vous pourriez etre
+revenu et mort avant le lever de la reine.
+
+
+ALDO.
+
+Vous avez raison. Donnez-moi votre telescope et faisons cette promenade
+ensemble. Vous m'apprendrez beaucoup de choses que j'ignore. Je vous
+interrogerai sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles,
+sur l'ecume que la lune repand a minuit dans les herbes, sur les bruits
+qu'on entend la nuit... Avez-vous remarque cette grande voix aigre qui
+crie incessamment autour de l'horizon, et qui est si egale, si continue,
+si monotone, qu'on la prend souvent pour le silence?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+J'ai ecrit precisement un petit traite in-4 deg. sur ce dont vous parlez;
+mais, pour bien vous le faire comprendre, il faudrait sortir un peu du
+monde visible, et nous aventurer dans des questions d'astrologie pour
+lesquelles vous auriez peut-etre quelque repugnance.
+
+
+ALDO.
+
+L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maitre. Je serais
+tres-curieux d'avoir quelque notion sur cette science etonnante. J'y ai
+songe quelquefois, et si les preoccupations de mon esprit m'en avaient
+laisse le temps, j'aurais pris plaisir a soulever un coin du voile qui
+me cache cette mysterieuse Isis. Qui sait si la faiblesse de l'homme ne
+peut trouver dans ces profondeurs ignorees le secret du bonheur qu'elle
+cherche en vain ici-bas? On est bientot las et degoute d'analyser et
+d'interroger les choses qui existent materiellement. Le monde invisible
+n'est pas epuise... et si je pouvais m'y elancer...
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Venez avec moi, mon cher fils, et nous tacherons de bien observer la
+lune.
+
+
+ALDO, _remettant son epee dans le fourreau_
+
+Allons-nous bien loin sur la montagne?
+
+
+ACROCERONIUS.
+
+Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez de l'ecume que
+repand la lune, voyez-vous, mon cher fils, le regne vegetal d'apres
+toutes les classific.... (_ils sortent en causant_.)
+
+
+GEORGE SAND
+
+
+
+
+FIN D'ALDO LE RIMEUR.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR ***
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+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
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+form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
+License as specified in paragraph 1.E.1.
+
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+ the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
+ owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
+ you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
+
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
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+forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
+both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
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+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
+public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
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+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
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+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
+DAMAGE.
+
+1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
+defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
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+the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
+refund. If you received the work electronically, the person or entity
+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
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+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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