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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Aldo le rimeur + +Author: George Sand + +Release Date: July 9, 2004 [EBook #12862] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + + + + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + + + + + +</pre> + + + + +<h1>ALDO LE RIMEUR</h1> +<h4>George Sand</h4> + +<br> + +<h3>PRÉFACE</h3> + +<p>Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman +et le drame de <i>Chatterton</i>, personne ne pensera que +j'aie eu la prétention d'imiter ce modèle, bien qu'une scène +d'<i>Aldo le rimeur </i>présente quelques rapports de situation +avec le beau et déchirant monologue que M. de Vigny a +mis dans la bouche de son poëte. Je ne me défendrais pas +d'avoir été inspiré par ce sujet, d'abord si le fait était +vrai, ensuite si ma pensée eût été la même. Mais elle +était autre, et je ne songeais à peindre la misère du poëte +que comme un accident, un des malheurs passagers de +sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre +le poëte en général; une âme de poëte quelconque, mobile, +généreuse, ardente, susceptible, inquiète, fière et +jalouse. Le second acte de ce petit poème dialogué montre +le même homme <i>non transformé</i> qu'on a vu lutter contre +la faim et l'abandon au premier acte. De même qu'un +nouvel amour a été le dénoûment de cette première +phase, l'amour de la science, ou plutôt une soudaine et +vague révélation de la science, arrache une seconde fois +l'âme curieuse et <i>ondoyante</i> du poëte au dégoût de la +vie, à la lassitude du coeur, au suicide. Je comptais, lorsque +je fis paraître ce fragment dans une Revue, compléter +la série d'expériences et de déceptions par lesquelles, +après avoir plusieurs fois rempli et vidé la coupe des illusions, +Aldo devait arriver à briser sa vie ou à se réconcilier +avec elle. De nouvelles préoccupations d'esprit +m'emportèrent ailleurs, et j'oubliai Aldo, comme Aldo +oubliait la reine Agandecca. Je n'ai jamais pensé que +l'interruption de cette esquisse fût offensante ou préjudiciable +pour aucun lecteur; mais, avant de la remettre +sous les yeux du public, je devais l'avertir que ce n'est +là qu'un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensée, +et beaucoup mieux sans doute que je ne l'ai commencé.</p> + +<br><br> + + +<h2>ALDO LE RIMEUR</h2> + +<blockquote><p> Il n'y a personne qui ne fasse son petit Faust, son +petit Don Juan, son petit Manfred ou son petit Hamlet, +le soir auprès de son feu, les pieds dans de très-bonnes +pantoufles. <i>(Esprit des journaux.)</i> +</p></blockquote> + +<br><br> + +<h3>PERSONNAGES.</h3> + +<p>ALDO LE RIMEUR<br> + +MEG, sa mère.<br> + +JANE, jeune montagnarde.<br> + +LA REINE AGANDECCA.<br> + +TICKLE, nain de la reine.<br> + +MAITRE ACROCÉRONIUS, +astrologue de la reine.</p> + +<p>La scène est à Ithona.</p> + + + +<h2>ACTE PREMIER.</h2> + +<p>Dans le galetas du rimeur; un escalier au fond rendait à une soupente; +au milieu, une mauvaise table, un escabeau, quelques livres. Il fait nuit.</p> + + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE.</h3> + +<p class="c">ALDO, TICKLE.</p> + + +<p><i>(Aldo est assis le tête dans ses mains, les coudes sur +la table. Un frappe à la porte.)</i></p><br> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Qui frappe?</p> + + +<p class="c">TICKLE, en dehors.</p> + +<p>Votre très-humble serviteur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Lequel?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Votre ami.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Que le diable vous emporte! vous êtes un escroc.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Non, je suis votre ami et votre serviteur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Il est évident que vous venez me dépouiller; mais je +ne crains rien de ce côté-là. Entrez.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Souffrez que je vous embrasse.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Permettez-moi de vous mettre sur la table.</p> + + +<p class="c">TICKLE, <i>sur la table.</i></p> + +<p>Et comment vous portez-vous, mon excellent seigneur, +depuis que nous ne nous sommes vus?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Mais.... tantôt bien, tantôt mal. Il s'est passé beaucoup +de choses depuis que je n'ai eu l'honneur de vous +voir.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>En vérité, mon cher monsieur?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Sur mon honneur! ce serait trop long à vous raconter. +Il y a vingt ans environ, car notre connaissance date de +l'autre monde.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Vraiment?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Sans doute, puisque je n'ai encore jamais eu l'honneur +de vous rencontrer dans celui-ci.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Comment! vous ne me connaissez pas? Vous ne m'avez +jamais vu?</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Non, sur mon honneur, mon cher ami.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Eh! mais, d'où sortez-vous? où vivez-vous?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vis dans une taupinière; mais vous, il est certain +que, si j'en juge par votre taille, vous sortez d'un trou +de souris.</p> + + +<p class="c">TICKLE</p> + +<p>Et c'est pour cela que vous devriez connaître, ne fût-ce +que de vue, le célèbre nain John Bucentor Tickle, bouffon +de la reine.</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je suis parfaitement heureux de faire votre connaissance; +vous passez pour un homme d'esprit.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je n'en manque pas, et vous pouvez déjà vous en +apercevoir à ma conversation.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Comment donc! j'en suis ébloui, stupéfait et renversé!</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je vois que vous êtes un homme de goût pour un poëte.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et vous un homme hardi pour un nain.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Monsieur, je me conduis comme un nain avec les rustres: +ceux-là ne causent qu'avec les poings; et moi, ce +n'est pas ma profession. Je porte des manchettes de dentelle, +c'est mon goût.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>C'est un goût fort innocent.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Et qui a le suffrage des dames, généralement. Avec les +dames, Monsieur, comme avec les gens d'esprit, j'ai six +pieds de haut, parce que sur ce terrain-là on se bat à +armes égales.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et les armes sont courtoises. Vous pouvez compter, je +ne dis pas sur mon esprit, mais sur ma courtoisie. Puis-je +savoir ce qui me procure l'honneur de votre visite?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Me permettez-vous d'être assis?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>De tout mon coeur si vous ne me demandez pas de +siège; car cet escabeau est le seul que je possède, et +mon habitude n'est pas d'écouter debout ce que l'on vient +me prier d'entendre.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je resterai de grand coeur sur cette table; il ne m'en +faut pas davantage pour être absolument à votre hauteur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>J'en suis intimement persuadé. (<i>Il s'assied; le nain +se met à califourchon sur la table, vis-à-vis de lui.)</i></p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Mon cher monsieur, vous êtes poëte?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pas le moins du monde, Monsieur.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Ah! vraiment! Je vous demande pardon; je vous prenais +pour un certain Aldo... <i>le rimeur</i>, comme on dit +dans la ville, et <i>le barde</i>, comme on dit à la cour. Vous +avez peut-être entendu parler de lui? C'est un jeune +homme qui n'est pas sans talent.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vous demande pardon, Monsieur; c'est un homme +qui n'a pas plus de talent que vous et moi.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Réellement? Eh bien, j'en suis fâché pour lui. Je venais +lui offrir mes petits services.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Il vous offre les siens également; vous savez en quoi +ils peuvent consister, puisque vous connaissez sa profession. +Veuillez lui faire connaître la vôtre.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Mais moi, vous voyez la mienne... je suis nain.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et bouffon! Mais je ne vois pas jusqu'ici quels services +Votre Seigneurie peut daigner offrir à un misérable poëte.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Monsieur, tout petit que je suis, j'ai de très-larges +poches à mon pourpoint; c'est une fantaisie que j'ai, et, +par suite d'une fantaisie analogue, les poches dont j'ai +l'honneur de vous parler sont toujours pleines d'or.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>C'est une fantaisie comme une autre, et qui n'a rien de +neuf.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>La vôtre me parait plus usée encore.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>De quoi parlez-vous, Monsieur? de ma fantaisie ou de +ma poche.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je parle de votre fantaisie, de votre poche, de votre +bourse et de votre crédit. Croyez-moi, c'est une habitude +de mauvais genre que de n'avoir pas le sou. Or donc, +voulez-vous gagner de l'argent? vous en avez besoin.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pas le moindre besoin, Monsieur, je vous jure.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Vous êtes trop modeste. Je connais votre position, le +dénûment de mistress Meg, votre mère, et son grand âge. +Je connais votre activité, votre dévouement, votre grandeur +d'âme. Je vous offre un gain légitime... Vous comprenez? +Je ne viens pas faire ici le grand seigneur; je +viens vous proposer un échange, un marché qui ne peut +qu'augmenter votre gloire et vous mettra à même de +secourir mistress Meg.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Voyons ce que c'est, Monsieur; voudriez-vous que je +fisse monter une de vos jambes en flageolet, et me vendre +l'autre pour en faire un porte-crayon?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Je demande de vous quelque chose d'une moindre valeur +que la plus chétive de mes jambes, je vous demande +un petit drame de votre façon.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pour qui, Monsieur? pour le théâtre de la reine?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Pour moi, Monsieur.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pour vous! et qu'en ferez-vous? vous n'aurez jamais la +force de l'emporter!</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>J'allégerai mes poches d'une partie de l'or qui les +charge, et je prendrai votre manuscrit à la place.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Très-bien; et puis?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Et puis l'ouvrage m'appartiendra. Je le publierai, je le +ferai jouer sur le théâtre de la reine.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Sous quel nom, je vous prie?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Sous le nom agréable de sir John Bucentor Tickle; +c'est dans votre intérêt que j'agirai ainsi et pour donner +de la confiance au public. Si l'autorité de mon nom ne +suffisait pas à nous assurer sa bienveillance, en cas de +chute, nous réclamerions contre son injuste arrêt.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En lui livrant le nom du véritable auteur?</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est ainsi que cela se fait à la cour.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et la cour fait bien! Monsieur, je vous prie maintenant +de me laisser travailler au drame que vous me faites +l'honneur de me demander.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Puis-je compter sur votre parole, Monsieur?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je m'en flatte.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Un mot de traité sera nécessaire.</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>De tout mon coeur, j'en sais la rédaction. (<i>Il écrit.</i>) +Voulez-vous signer maintenant? moi, je signe.</p> + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Permettez-moi d'en prendre connaissance. (<i>Il lit.</i>) +«Je m'engage, moi, Aldo de Malmor, dit <i>le rimeur</i> à la +ville et <i>le barde</i> à la cour, à jeter par les fenêtres le +très-illustre seigneur John Bucentor Tickle, nain et +bouffon de la reine, la première fois qu'il franchira le +seuil de ma maison. Fait double entre nous, etc.» Bravo! +bravo! c'est la première scène du drame!</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Non, c'est un dénoûment tout prêt et que je vous offre +gratis.</p> + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>J'en suis trop reconnaissant; je cours le porter à la +reine, qui en sera charmée. (<i>Il saute en bas de la table +et s'enfuit.</i>) Tu me le paieras!</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Tu me le paieras aussi, canaille, si tu retombes sous +ma main.</p> + + + +<h3>SCÈNE II.</h3> + + +<p class="c">ALDO, <i>seul.</i></p> + +<p>Un ennemi de plus! et c'est ainsi que je vis! Chaque +jour m'amène un assassin ou un voleur. Misérables! vous +me réduisez à l'aumône, mais vous n'aurez pas bon marché +de ma fierté. Allons! ce fat m'a fait perdre une demi-heure, +remettons-nous à l'ouvrage. La nuit s'avance; je +ne serai plus dérangé. Tout est silencieux dans la ville et +autour de moi. Dévorons cette nouvelle insulte; quand +le brodequin est bon, le pied ne craint pas de se souiller +en traversant la boue. Écrivons.</p> + + +<p>Travailler!... chanter! faire des vers! amuser le public! +lui donner mon cerveau pour livre, mon coeur pour +clavier, afin qu'il en joue à son aise, et qu'il le jette après +l'avoir épuisé en disant: Voici un mauvais livre, voici +un mauvais instrument. Écrire! écrire!... penser pour +les autres... sentir pour les autres... abominable prostitution +de l'âme! Oh! métier, métier, gagne-pain, servilité, +humiliation!—Que faire?—Écrire? sur quoi?—Je +n'ai rien dans le cerveau, <img class="gauche" src="images/ill_1.png" alt=""> +tout est dans mon coeur!... et il faut que je te donne mon coeur à manger pour un +morceau de pain, public grossier, bête féroce, amateur +de tortures, buveur d'encre et de larmes!—Je n'ai dans +l'âme que ma douleur; il faut que je te repaisse de ma +douleur. Et tu en riras peut-être! Si mon luth mouillé et +détendu par mes pleurs rend quelque son faible, tu diras +que toutes mes cordes sont fausses, que je n'ai rien de +vrai, que je ne sens pas mon mal... quand je sens la faim +dévorer mes entrailles! la faim, la souffrance des loups! +Et moi, homme d'intelligence et de réflexion, je n'ai même +pas la gloire d'une plus noble souffrance!... Il faut que +toutes les voix de l'âme se taisent devant le cri de l'estomac +qui faiblit et qui brûle!—Si elles s'éveillent dans le délire +de mes nuits déplorables, ces souffrances plus poignantes, +mais plus grandes, ces souffrances dont je ne +rougirais pas si je pouvais les garder pour moi seul, il +faut que je les recueille sur un album comme des curiosités +qui se peuvent mettre dans le commerce, et qu'un +amateur peut acheter pour son cabinet. Il y a des boutiques +où l'on vend des singes, des tortues, des squelettes +d'homme et des peaux de serpent. L'âme d'un poète est +une boutique où le public vient marchander toutes les +formes du désespoir: celui-ci estime l'ambition déçue +sous la forme d'une ode au dieu des vers; celui-là s'affectionne +pour l'amour trompé, rimé en élégie; cet autre +rit aux éclats d'une épigramme qui partit d'un sein rongé +par la colère, d'une bouche amère de fiel. Pauvre poète! +chacun prend une pièce de ton vêtement, une fibre de +ton corps, une goutte de ton sang; et quand chacun a +essayé ton vêtement à sa taille, éprouvé la force de tes +nerfs, analysé la qualité de ton sang, il te jette à terre +avec quelques pièces de monnaie pour dédommagement +de ses insultes, et il s'en va, se préférant à toi dans la +sincérité de ses pensées insolentes et stupides.—O gloire +du poète, laurier, immortalité promise, sympathie flatteuse, +haillons de royauté, jouets d'enfants! que vous +cachez mal la nudité d'un mendiant couvert de plaies! +Oh! méprisables! méprisables entre tous les hommes, +ceux qui, pouvant vivre d'un autre travail que celui-là, +se font poètes pour le public! Misérables comédiens qui +pourriez jouer le rôle d'hommes, et qui montez sur un +tréteau pour faire rire et pleurer les désoeuvrés! n'avez-vous +pas la force de vivre en vous-mêmes, de souffrir sans +qu'on vous plaigne, de prier sans qu'on vous regarde? Il +vous faut un auditoire pour admirer vos puériles grandeurs, +pour compatir à vos douleurs vulgaires! Celui qui +est né fils de roi, d'histrion ou de bourreau suit forcément +la vocation héréditaire; il accomplit sa triste et +honteuse destinée. S'il en triomphe, s'il s'élève seulement +au niveau des hommes ordinaires, qu'il soit loué et +encouragé! Mais vous, grands seigneurs, hommes instruits, +hommes robustes, vous avez la fortune pour vous +rendre libres, la science pour vous occuper, des bras +pour creuser la terre en cas de ruine; et vous vous faites +écrivains! et vous nous livrez les facultés débauchées de +votre intelligence, vous cherchez la puissance morale +dans l'épanchement ignoble de la publicité! vous appelez +la populace autour de vous, et vous vous mettez nus devant +elle pour qu'elle vous juge, pour qu'elle vous examine +et vous sache par coeur! Oh! lâche! si vous êtes +difforme, et si, pour obtenir la compassion, vous vous +livrez au mépris! lâche encore plus si vous êtes beau et +si vous cherchez dans la foule l'approbation que vous ne +devriez demander qu'à Dieu et à votre maîtresse.... C'est +ce que je disais l'autre jour au duc de Buckingham qui +me consultait sur ses vers.—Et il a tellement goûté mon +avis qu'il m'a mis à la porte de chez lui, et m'a fait retirer +la faible pension que m'accordait la reine en mémoire +des services de mon père dans l'armée.... Aussi, +maintenant plus que jamais, il faut rimer, pleurer, chanter ... +vendre mi pensée, mon amour, ma haine, ma religion, +ma bravoure et jusqu'à ma faim! Tout cela peut +servir de matière au vers alexandrin et de sujet au poème +et au drame. Venez, venez, corbeaux avides de mon +sang! venez, vautours carnassiers! voici Aldo qui se meurt +de fatigue, d'ennui, de besoin et de honte. Venez fouiller +dans ses entrailles et savoir ce que l'homme peut souffrir: +je vais vous l'apprendre, afin que vous me donniez +de quoi dîner demain.... O misère! c'est-à-dire infamie!—(<i>Il +s'assied devant une table.</i>) Ah! voici des stances à +ma maîtresse!.... J'ai vendu trois guinées une romance +sur la reine Titania; ceci vaut mieux, le public ne s'en +apercevra guère... mais je puis le vendre trois guinées!... +Le duc d'York m'a promis sa chaîne d'or si je lui faisais +des vers pour sa maîtresse.... Oui, lady Mathilde est +brune, mince: ces vers-là pourraient avoir été faits pour +elle; elle a dix-huit ans, juste l'âge de Jane... Jane! je +vais vendre ton portrait, ton portrait écrit de ma main; je +vais trahir les mystères de ta beauté, révélés à moi seul, +confiée à ma loyauté, à mon respect; je vais raconter les +voluptés dont tu m'as enivré et vendre le beau vêtement +d'amour et de poésie que je t'avais fait, pour qu'il aille +couvrir le sein d'une autre! Ces éloges donnés à la sainte +pureté de ton âme monteront comme une vaine fumée +sur l'autel d'une divinité étrangère; et cette femme à qui +j'aurai donné la rougeur de tes joues, la blancheur de tes +mains, cette vaine idole que j'aurai parée de ta brune +chevelure et d'un diadème d'or ciselé par mon génie, +cette femme qui lira sans pudeur à ses amants et à ses +confidentes les stances qui furent écrites pour toi, c'est +une effrontée, c'est la femelle d'un courtisan, c'est ce +qu'on devrait appeler une courtisane!—Non, je ne vendrai +pas tes attraits et ta parure, ô ma Jane! simple fille +qui m'aimas pour mon amour, et qui ne sais pas même +ce que c'est qu'on poète. Tu me t'es pas enorgueillie de +mes louanges, tu n'as pas compris mes vers; eh bien, +je te les garderai. Un jour peut-être... dans le ciel, tu +parleras ta langue des dieux!... et tu me répondras... ma +pauvre Jane!... (<i>L'horloge sonne minuit.</i>) Déjà minuit!... +et je n'ai rien fait encore, la fatigue m'accable +déjà! Cette nuit sera-t-elle perdue comme les autres?.... +non, il ne le faut pas... Je ne puis différer davantage.... +Il ne me reste pas une guinée, et ma mère aura faim et +froid demain si je dors cette nuit... J'ai faim moi-même... +et le froid me gagne... Ah! je sens à peine ma plume entre +mes doigts glacés... ma tête s'appesantit... Qu'ai-je donc?—Je +n'ai rien fait et je suis éreinté!... mes yeux sont +troublés... Est-ce que j aurais pleuré?... ma barbe est humide... +Oui, voici des larmes sur les stances, à Jane...<img class="droite" src="images/ill_2.png" alt=""> +J'ai pleuré tout à l'heure en songeant à elle... Je ne m'en +étais pas aperçu. Ah! tu as pleuré, misérable lâche? tu +t'es énervé à te raconter ta douleur, quand tu pouvais +l'écrire et gagner le pain de ta mère; et maintenant te +voici épuisé comme une lampe vers le matin, te voici pâle +comme la lune à son coucher... C'est la troisième nuit +que tu emploies à marcher dans ta chambre, à tailler +ta plume et à te frapper le front sur ces murs impitoyables! +O rage! impuissance, agonie! (<i>Se levant.</i>) +Mon courage, m'abandonnes-tu aussi, toi? Mes amis +m'ont tourné le dos, mon génie s'est couché paresseux et +insensible à l'aiguillon de la volonté, ma vie elle-même a +semblé me quitter, mon sang s'est arrêté dans mes veines, +et la souffrance de mes nerfs contractés m'a arraché des +cris. Tout cela est arrivé souvent, trop souvent! Mais toi, +ô courage! ô orgueil! fils de Dieu, père du génie, tu ne +m'as jamais manqué encore. Tu as levé d'aussi lourds +fardeaux, tu as traversé d'aussi horribles nuits, tu m'as +retiré d'aussi noirs abîmes... Tu sais manier un fouet qui +trouve encore du sang à faire couler de mes membres +desséchés; prends ton arme et fustige mes os paresseux, +enfonce ton éperon dans mon flanc appauvri...</p> + +<p>J'ai entendu gémir là-haut! sur ma tête!... c'est ma +mère!... Elle souffre, elle a froid peut-être. J'ai mis mon +manteau sur elle pour la réchauffer. Il ne me reste plus +rien... Ah! mon pourpoint pour envelopper ses pieds. +(<i>Il monte dans la soupente et revient en chemise et +en grelottant.</i>)</p> + +<p>Froid maudit! ciel de glace!</p> + +<p>Cela se passe, je m'engourdis... si je pouvais composer +quelque chose!.... Une bonne moquerie sur l'hiver et +les frileux. (<i>Sa voix s'affaiblit.</i>) Une satire sur les +nez rouges... (<i>Une pause.</i>) Une épigramme sur le nez +de l'archevêque qui est toujours violet après souper... +(<i>Une pause.</i>) Unes chanson, cela me réveillera; si je viens +à bout de rire, je suis sauvé... Ah! le damné manteau +de glace que minuit me colle sur les épaules!... rimons... +charmante bise de décembre qui souffles sur mes tempes, +inspire-moi... Monseigneur... +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Monseigneur de Cantorbery...</p> + </div><div class="stanza"> +<p class="i10"> (<i>Une pause</i>.)</p> +<p>Est toujours vermeil après boire.,.</p> + </div> </div> + +<p>Vermeil ne me plaît pas...</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p class="i4">Est toujours charmant...</p> + </div> </div> + +<p>Charmant... hum!</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p class="i4">Est toujours superbe..</p> +<p>Est toujours superbe après boire...</p> + </div> </div> + +<p>(<i>Il s'endort et parle en dormant d'une voix confuse</i>.)</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Monseigneur de Cantorbery...</p> + </div> </div> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p class="i10"> (<i>Il s'endort tout à, fait</i>.)</p> + </div> </div> + + + +<p>(<i>Meg entre dans la chambre en tremblotant; elle est +enveloppée à demi dans les couvertures de son lit, +et se traîne le long des murs.</i>)</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Je crois qu'il y a enfin de la lumière ici... Je vois une +lueur faible... (<i>Elle se heurte contre la table.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Qui va là?... vous ne répondez pas?... bonsoir... Si +vous êtes un voleur, l'ami, passez votre chemin, vous +perdez votre temps ici... (<i>Il se rendort.</i>)</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Je crois que j'ai entendu quelque chose, mais je suis +encore plus sourde aujourd'hui qu'à l'ordinaire... et je +ne sais pas si le temps était plus sombre, mais il m'a +semblé que je ne voyais pas bien... Mon fils n'est pas +rentré, à ce qu'il paraît!... (<i>Elle-se heurte encore.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Encore! Ami voleur, mon cher frère en diable, vous +ne vous en rapportez pas à moi?... Cherchez à votre +aise... si vous pouviez trouver ma rime dans un coin de +la chambre, vous me feriez plaisir en me la rapportant. +Elle ne vaut pas la peine que vous vous en empariez...</p> + +<div class="poem"> <div class="stanza"> +<p>Monseigneur de Cantorbery</p> +<p class="i4">Est, ma foi! superbe....</p> + </div> </div> + +<p>(Il se rendort.)</p> + + +<p class="c">MEG, <i>qui s'est égarée, à tâtons dans la chambre.</i></p> + +<p>Je ne sais plus ou je suis.... J'ai encore plus froid ici +que dans mon lit.... Dieu de bonté, j'espérais trouver le +poêle ... mais y a-t-il du bois seulement? Si mon pauvre +enfant était là, du moins il me consolerait.... Mais il est +allé me chercher quelque chose sans doute.... Je ne vois +plus du tout. Je n'entends rien nulle part.... Froid, nuit, +silence, solitude, vieillesse, que vous êtes tristes! Je ne +me soutiens plus, une étrange défaillance me saisit....</p> + +<p class="c">(<i>Aldo rêvant.</i>)</p> + +<p>Oui! oui! Monsieur de Cantorbery!...</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Mes genoux vont se casser si je marche encore: où +m'asseoir dans ces ténèbres?... (<i>Elle se laisse tomber.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Trust! mon pauvre chien, est-ce toi qui reviens? Je +t'avais donné à Oscar, mais il parait que tu veux jeûner +avec ton maître ... où es-tu, ô le meilleur des hommes, +je veux dire des caniches?...</p> + + +<p class="c">MEG.</p> + +<p>Ce carreau est froid ... je ... je.... Dieu tout-puissant, +sainte Vierge ... je meurs catholique ... mon enfant! mon +enf.... Aldo! (Elle meurt.)</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>se relevant à demi.</i></p> + +<p>Pour le coup, on a parlé.... Mon nom est parti de ce +coin.... Je n'ai pas rêvé peut-être.... Voleur ou chien! qui +que tu sois.... C'était la voix de ma mère.... Ma mère, +allons donc! elle dort là-haut.... Je n'ai pas la force d'y +aller voir.... J'ai peur!... par le diable, j'ai peur! Misère, tu +m'as vaincu! J'ai cru voir un spectre passer près de moi +dans mon sommeil. J'ai entendu une voix qui semblait +sortir de la tombe. Fantômes évoqués par la faim, terreurs +imbéciles, laissez-moi!... Murailles imprudentes +qui m'entendez, gardez-moi bien le secret, car s'il est en +vous un écho bavard qui répète les paroles de ma peur, +je vous démolirai pierre à pierre jusqu'à ce que je l'aie +arraché de vos entrailles, fût-il caché dans le ciment et +scellé dans le granit.... Ma mère, m'avez-vous appelé? +(<i>Il se lève tout à fait et se frotte les yeux.</i>) Meg, ma +mère! Pardon! pardon! je me suis endormi!... Je divague.... +J'ai dormi une heure!... L'horloge moqueuse +semble me demander ce que j'ai fait du temps! Tu as +dormi, bête stupide!... Tu n'as pu lutter une heure ... +comme les disciples du Christ, tu as mal gardé le jardin +des Oliviers.—Jésus! tu bois en vain l'éternel calice +des douleurs humaines; ton père est sourd, ton frère +l'esprit saint a perdu ses ailes de feu. Le cerveau du +poëte est aride comme la terre, et le coeur des riches est +insensible comme le ciel.... Voyons si ce canif aura plus +de vertu que ta parole pour conjurer le sommeil. (<i>Il se +fait une incision à la poitrine; étouffe un cri et jette +le canif.</i>) Votre leçon est incisive, mon bon ami, elle +creusera en moi.... Passez-moi le calembour, mon esprit +ne coupe pas comme votre acier, ma belle petite lame!... +Ah! me voici bien éveillé, Dieu merci! cette charmante +plaie me cuit passablement Je puis travailler maintenant.... +Mais qui donc a ainsi bouleversé ma table?... +Quelqu'un est entré ici.... Est-ce que j'aurais encore +peur?... Imbécile! tu es poltron, et pour te guérir, tu +répands deux onces de ton sang comme si tu en avais +de reste! et tu gâtes ta chemise comme si tu en avais +une autre! Faquin! perdras-tu tes habitudes de grand +seigneur?... Je souffre ... le froid entre dans cette plaie +comme un fer rouge. N'importe, je crois que je vais pouvoir +travailler. (<i>Mettant ses deux bras sur se tête.</i>) +Mon courage, mon Dieu! ma mère!... Il faut que j'aille +embrasser ma mère sans la réveiller, cela me portera +bonheur. (<i>Il prend sa lumière et sort.</i>) (<i>Il redescend +de la soupente d'un air effaré.</i>) Mais où est donc la +vieille femme? Ma mère! ma mère! Qu'est-ce qui a pu +me voler ma mère? Je n'avais qu'elle au monde pour +causer mon désespoir et conserver mon héroïsme. (<i>Il +trouvera sa mère sous l'escalier.</i>) Ah!... ma mère est +morte! Dieu me permet donc de mourir aussi, à la fin!—Comment! +vous êtes morte, ma mère? (<i>Il la retire de +dessous l'escalier et la regarde.</i>) Oui, bien morte! +Froide comme la pierre et raide comme une épée. Ah! +ma mère est morte!... (<i>Il rit aux éclats et tombe en +convulsion.</i>) (<i>Après un silence.</i>)</p> + +<p>Mais pourquoi êtes-vous déjà morte? Vous étiez bien +pressée d'en finir avec la misère! Est-ce que je ne vous +soignais pas bien? Étiez-vous mécontente de moi? Trouviez-vous +que j'épargnais ma peine et que je ménageais +mon cerveau? Trouviez-vous mes vers mauvais par hasard, +et les critiques de mes envieux vous faisaient-elles +rougir d'être la mère d'un si méchant rimeur? Vous étiez +un <i>bas-bleu</i> autrefois dans votre village!... Aujourd'hui +vous n'êtes plus qu'un pauvre squelette aux jambes nues. +Pauvres jambes, vieux os! Je vous avais enveloppés encore +ce soir avec mon pourpoint!... Est-ce ma faute si la +doublure était usée et l'étoffe mince? C'est comme l'étoffe +dont vous m'avez fait, ô vieille Meg! J'étais votre septième +fils; tous étaient beaux et grands, musculeux et +pleins d'ardeur, excepté moi le dernier venu. C'étaient +de vigoureux montagnards, de hardis chasseurs de biches +aux flancs bruns; et pourtant, depuis Dougal le +Noir jusqu'à Ryno le Roux, tous sont partis sans songer +à vous conduire au cimetière. Il ne vous est resté que +le pauvre Aldo, le pâle enfant de votre vieillesse, le fruit +débile de vos dernières amours. Et que pouvait-il faire +pour vous de plus qu'il n'a fait? que ne lui donniez-vous +comme à vos autres fils une large poitrine et de mâles +épaules! Cette petite main de femme que voici pouvait-elle +manier les armes du bandit ou la carabine du braconnier? +Pouvait-elle soulever la rame du pêcheur et +boxer avec l'esturgeon? Vous n'aviez rien espéré de +moi, et, me voyant si chétif, vous n'aviez même pus daigné +me faire apprendre à lire!—Et quand tous vous +ont manqué, quand vous vous êtes trouvée seule avec +votre avorton, n'avez-vous pas été surprise de découvrir +que je ne sais quel coin de son cerveau avait retenu et +commenté les chants de nos bardes! Quand cette voix +grêle a su faire entendre des mélodies sauvages qui ont +ému les hommes blasés des villes, et qui leur ont rappelé +des idées perdues, des sentiments oubliés depuis +longtemps, vous avez embrassé votre fils sur le front, +sanctuaire d'un génie que vous aviez enfanté sans le savoir. +Eh bien! ne pouviez-vous attendre quelques jours +encore? La richesse allait venir peut-être. Votre vieillesse +allait s'asseoir dans un palais, et vous êtes partie +pour un monde où je ne puis plus rien pour vous. Tâchez, +si vous allez en purgatoire, que les bras de mes frères +vous délivrent et vous ouvrent les portes du ciel.... Pour +moi, je n'ai plus rien à faire, ma tâche est finie. Toutes +les herbes de la verte Innisfail peuvent pousser dans mon +cerveau maintenant, je le mets en friche.... Il est temps +que je me repose; j'ai assez souffert pour toi, vieille +femme, spectre blême, dont le souvenir sacré m'a fait +accomplir de si rudes travaux, apprendre tant de choses +ardues, passer tant de nuits glacées sans sommeil et sans +manteau! Sans toi, sans l'amour que j'avais pour toi, je +n'aurais jamais été rien. Pourquoi m'abandonnes-tu au +moment où j'allais être quelque chose? Tu m'ôtes une +récompense que je méritais; c était de te voir heureuse, +et tu meurs dans le plus odieux jour de notre misère, +dans la plus rude de mes fatigues! O mère ingrate, +qu'ai-je fait pour que tu m'ôtes déjà mon unique désir +de gloire, ma seule espérance dans la vie, l'honnête orgueil +d'être un bon fils!... Vieux sein desséché qui as +allaité six hommes et demi, reçois ce baiser de reproche, +de douleur et d'amour.... ( <i>Il se jette sur elle en sanglotant.</i>)—Hélas! +ma mère est morte!</p> + +<br> + + +<h3>SCÈNE III.</h3> + +<p class="c">JANE, ALDO.</p> +<br> + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Est-ce que votre mère est morte! Hélas! quelle douleur!</p> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Ah! tu viens pleurer avec moi, ma douce Jane; sois +la bienvenue! Mon âme est brisée, je n'espère plus qu'en +toi.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Qu'est-ce que je puis faire pour vous, Aldo? Je ne puis +pas rendre la vie à votre mère.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Tu peux me rendre sa tendresse, sa mélancolique et +silencieuse compagnie, et surtout le besoin qu'elle avait +de moi, le devoir qui m'attachait à elle et à la vie. Hélas! +il y a eu des jours où, dans mon découragement, j'ai +souhaité que la pauvre Meg arrivât au terme de ses +maux, afin de retrouver la liberté de me soustraire aux +miens! Tout à l'heure, dans mon délire, je me suis réjoui +amèrement d'être enfin délivré de mon pieux fardeau. +Je me suis assis en blasphémant au bord du chemin. +Et j'ai dit: Je n'irai pas plus loin.—Mais je suis bien +jeune encore pour mourir, n'est-ce pas, Jane? Tout n'est +peut-être pas fini pour moi; l'avenir peut s'éveiller plus +beau que le passé. Je veux devenir riche et puissant; si +je trouve une douce compagne, tendre et bonne comme +ma mère, et en même temps jeune et forte pour supporter +les mauvais jours, belle et caressante pour m'enivrer +comme un doux breuvage d'oubli au milieu de mes détresses, +je puis encore voir la verte espérance s'épanouir +comme un bourgeon du printemps sur une branche engourdie +par l'hiver.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>J'aime beaucoup les choses que vous dites, ô mon bien-aimé! +Quoique vos paroles ne soient pas familières à mon +oreille, vos compliments me font toujours regretter de +n'avoir pas un miroir devant moi, pour voir si je suis +belle autant que vous le dites.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Et que vous importe de l'être ou de ne l'être pas, +pourvu que je vous voie ainsi et que je vous aime telle +que vous êtes à mes yeux et dans mon coeur!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Vous avez toujours à la bouche des paroles qui plaisent +quand on les écoute; mais quand on y songe après, +on ne les comprend plus et on sent de l'inquiétude.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En vérité, Jane, vous raisonnez plus que je ne croyais. +Eh quoi! vous gardez un compte exact de mes paroles +et vous les commentez en mon absence? Il faut prendre +garde à ce que l'on vous dit!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>N'est-ce pas mon orgueil et ma joie de m'en souvenir?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Aimable et bonne fille! pardonne-moi. Je suis injuste; +je suis amer: j'ai été si malheureux! Mais tu me consoleras, +toi, n'est-ce pas?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Oui, mon beau rêveur, si vous consentez à être consolé.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Comment pourrais-je ne pas y consentir? Voilà une +parole étrange dans votre bouche!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Vous vous étonnez de mon désir de vous consoler? +C'est vous, Aldo, qui me semblez étrange!</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En effet, c'est peut-être moi! Passez-moi ces boutades, +c'est malgré moi qu'elles me viennent. Je ne veux pas +m'y livrer. Donnez-moi votre main, Jane, et donnez-moi +aussi votre foi. Jurez avec moi sur le cadavre de ma +pauvre vieille amie, qui n'est plus, que vous vivrez pour +moi, pour moi seul. J'ai besoin à l'heure qu'il est de +trouver un appui ou de mourir. Vous êtes mon seul et +dernier espoir; m'accueillerez-vous?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Si je vous promets de vous aimer toujours, me promettez-vous +de m'épouser?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous en doutez?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Non, je n'en doute pas.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Mais vous en avez douté..</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Pourquoi quittez-vous ma main? Pourquoi vous éloignez-vous +de moi d'un air sombre? Est-ce que je vous +ai offensé?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Non.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Vous ne vous voulez pas me regarder?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vous regarde; seulement ce n'est pas votre figure +qui m'occupe, c'est au fond de votre coeur que mon regard +plonge.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Voilà que vous me dites des choses que je n'entends +plus; et, comme vous froncez le sourcil en me les disant, +je dois croire que ce sont des choses dures et affligeantes +pour moi. Vous avez un malheureux caractère, Aldo, un +sombre esprit, en vérité!</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous trouvez?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Oui, et j'en souffre.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Oh!... en ce cas je ne veux pas vous faire souffrir.</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>Je vous pardonne.</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>avec amertume</i>.</p> + +<p>Vous êtes bonne!</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>C'est que je vous aime; tâchez de m'aimer autant, et +nous serons heureux.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>J'y compte. En attendant, voulez-vous avoir la bonté +d'appeler les voisines pour qu'elles viennent ensevelir +le corps de ma mère?</p> + + +<p class="c">JANE.</p> + +<p>J'y vais. Donnez-moi un baiser. (<i>Aldo la baise au +front avec froideur.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>seul</i>.</p> + + +<p>Cette jeune fille est d'une merveilleuse stupidité! elle +me blesse et me choque sans s'en douter, elle m'accorde +mon pardon quand c'est elle qui m'offense, et elle reçoit +mon baiser sans s'apercevoir au froid de mes lèvres que +c'est le dernier! Mais la femme est donc un être bien +lâche et bien borné! Je croyais celle-ci plus naïve, plus +abandonnée à ce que la nature leur inspire parfois de +beau et de généreux! Mais il y a dans le coeur un fonds +d'égoïsme plus dur que le diamant, et aucun grand sentiment +n'y peut germer. Toi qui te prétends descendue +des cieux pour nous consoler, tu ne t'oublies pas toi-même +dans le partage que tu veux établir entre nos destinées +et les tiennes! Tu promets ton dévouement, tes +caresses et ta fidélité, à la condition d'un échange semblable. +Celle-ci me demande sans pudeur un serment qui +était sur mes lèvres, et que j'aurais voulu offrir et non céder. +C'est ainsi que tu nous sauveras, ange équitable et +prudent. Tu tiens une balance comme la justice, mais tu +as soulevé le bandeau de l'amour, et tu vois clairement +nos défauts pour nous les reprocher sans pitié. Rien pour +rien, c'est ta devise! Où est ta miséricorde, où est ton +pardon, où donc tes ineffables sacrifices? Femme! mensonge! +tu n'es pas! tu n'es qu'un mot, une ombre, un +rêve. Les poëtes t'ont créée, ton fantôme est peut-être +au ciel. Il m'a semblé parfois te voir passer dans mes +nuées. Insensé que j'étais, pourquoi suis-je descendu sur +la terre pour te chercher?</p> + +<p>Maintenant je sais ce qu'il me reste à faire. Ma mère, +je ne te pleure plus, nous ne serons pas longtemps séparés. +Je laisse à d'autres le soin d'ensevelir ta dépouille, +je vais rejoindre ton âme... J'ai bien assez tardé, mon +Dieu! il y a assez longtemps que j'hésite au bord du +gouffre sans fond de l'éternité! Pourquoi ai-je tremblé?... +tremblé! Est-ce que c'est la peur qui t'a retenu, Aldo?... +Non, c'est le devoir.—Et pourtant tout à l'heure que +faisais-tu lorsque tu priais, à genoux, cette jeune fille de +conserver ta vie en te confiant la sienne? Tu ne devais +plus rien à personne, et tu voulais vivre pourtant! lâche +enfant! tu demandais l'espoir, tu demandais l'avenir, +tu demandais l'amour avec des larmes! Tu les demandais +à une paysanne imbécile, quand c'est dans un +monde inconnu que tu dois les chercher! Qui t'arrête? +est-ce le doute? le doute ne vaut-il pas mieux que le +désespoir? Là-haut l'incertitude, ici la réalité. Le choix +peut-il être douteux? Va donc, Aldo! descends dans ces +vagues profondeurs, ou monte dans ces espaces insaisissables. +Que Dieu te protège, si tu en vaux la peine; +qu'il te rende au néant, si ton âme n'est qu'un souffle +sorti du néant!...</p> + +<p>Adieu, grabat où j'ai si mal dormi! adieu, table dure +et froide où j'ai tracé des vers brûlants! adieu, front +livide de ma mère, où j'ai tant de fois interrogé avec +anxiété les ravages de la souffrance et les dernières +luttes de la vie prête à s'éteindre! Adieu, espérances de +gloire; adieu, espérances d'amour, vous m'avez menti, +je romps les mailles du filet où vous m'avez tenu si longtemps +captif et ridicule! je vais me relever à mes propres +yeux, je vais briser un joug dont je rougis... Adieu. +(<i> Il ouvre la porte de sa maison qui donne sur le +fleuve et descend les degrés. Une barque pavoisée +passe au même moment.</i>)</p> + + +<p class="c">AGANDECCA, <i>sur la barque</i>.</p> + +<p>Quel est ce jeune homme si pâle et si beau qui descend +vers le fleuve et semble vouloir s'y précipiter?</p> + + +<p class="c">TICKLE, <i>sur la barque</i>.</p> + +<p>C'est un homme de rien, un rêveur, un fou, un misérable.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Je veux savoir son nom.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est Aldo le rimeur.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Aldo le barde! ses chants sont inspirés, sa voix est +celle d'un poète des anciens jours. La beauté de son génie +ne le cède qu'à celle de son visage. Je veux lui parler.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est un homme sans usage et sans courtoisie, qui +répondra fort mal aux bontés de Votre Grâce.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>N'importe, je veux voir ses traits et entendre sa voix. +Faites aborder la barque au bas de cet escalier. ( <i>Tickle +donne des ordres en grommelant. La barque vient +aborder aux pieds d'Aldo.</i>)</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Qui êtes-vous, et que demandez-vous à la porte de +cette pauvre maison?</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Je suis la reine, et je viens te voir.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Votre Grâce arrive une heure trop lard, la maison est +déserte. Ma mère est morte, et je ne repasserais pas le +seuil que je viens de franchir, fut-ce pour la reine Mab +elle-même.</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>Comme tu voudras. J'aime ton audace. Viens sur ma +barque.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Madame, où me menez-vous?</p> + + +<p class="c">AGANDECCA.</p> + +<p>A la promenade.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Votre promenade sera-t-elle longue?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Que sais-je?</p> + +<br><br><br> + + +<h2>ACTE SECOND.</h2> + +<p class="c">Dans une galerie du palais de la reine.</p> +<br> + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE.</h3> + +<p class="c">LA REINE, TICKLE.</p> +<br> + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Nain, c'est assez, ce que vous me dites me fâche, et +je ne veux pas entendre de mal de lui.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Comment Votre Grâce peut-elle me supposer une si +coupable intention! Le seigneur Aldo est un si grand +poëte et un si noble cavalier!</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oui, c'est le plus beau génie et le plus grand coeur! Je +ne lui reproche qu'une chose, son invincible orgueil.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Sous une apparence d'humilité, je sais qu'il cache +une épouvantable ambition...</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oh! mon Dieu, non! tu te trompes. Lui? il n'a que +l'ambition d'être aimé.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est une belle et touchante ambition!</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais aussi la sienne est insatiable et parfois fatigante. +Un mot l'irrite, un regard l'effraie; il est jaloux d'une +ombre; il n'y a pas de calme possible dans son amour.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Cet amour-là est une tyrannie, une guerre à mort, +un combat éternel!</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Tu ne sais ce que tu dis; c'est le plus doux et le meilleur +des hommes. Je lui reproche, au contraire, de trop +renfermer au dedans de lui les chagrins que je lui cause. +Au lieu de s'en plaindre franchement, il les concentre, +il les surmonte, et, avec toute cette résignation, tout ce +courage, toute cette douceur, il dévore sa vie, il use son +coeur, il est malheureux.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Infortuné jeune homme! Votre Grâce devrait avoir plus +de compassion, lui épargner...</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais de quoi se plaint-il, après tout? Son coeur est +injuste, son esprit est plein de travers, d'inconséquences, +de souffrances sans sujet et sans remède. Que puis-je +faire pour un cerveau malade? Je l'aime de toute mon +âme et lui épargne la douleur tant que je puis; mais le +mal est en lui, et parfois, en le voyant marcher, pâle et +sombre, à mes côtés, je l'ai pris pour l'ange de la douleur.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Le spectacle d'un homme toujours mécontent doit être +un grand supplice pour une âme généreuse comme celle +de Votre Grâce.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oui, cela non-seulement m'afflige, mais encore me +blesse et m'irrite. Quoi de plus décourageant que de +vouloir consoler un inconsolable? C'est se consumer +jeune et pleine de santé auprès du lit d'un moribond qui +ne peut ni vivre ni mourir.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Votre Grâce a fait pourtant bien des sacrifices pour +lui. De quoi pourrait-il se plaindre? n'a-t-elle pas disgracié +pour lui le duc de Suffolk, l'astre le plus brillant +de la cour?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Oh! le grand sacrifice! je ne l'aimais plus!</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Il n'avait jamais d'ailleurs été bien aimable.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Il ne faut pas dire cela; c'était un homme d'esprit et +plein de nobles qualités.</p> + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Oh! oui, généreux, brave, désintéressé!...</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Ceci est faux; il était plus épris de mon rang que de +ma personne.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>C'est le malheur des rois.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Et c'est ce qui me fait chérir l'amour de mon poëte: +lui du moins m'aime pour moi seule. Il sait à peine si je +suis reine. Il n'en est point ébloui; même il en souffre, +et je crois qu'il me le pardonne.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Votre Grâce est-elle bien sûre que dans son orgueil de +poëte il ne préfère point sa condition à celle d un roi?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>S'il le fait, il fait bien. Le laurier du poëte est la plus +belle des couronnes, la plume d'un grand écrivain est un +sceptre plus puissant que les nôtres. Moi, j'aime qu'un +esprit supérieur sache ce qu'il est et ce qu'il peut être; +c'est ainsi qu'on arrive aux grandes actions.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>Aussi je crois que le poëte Aldo est réservé à de hautes +destinées. Il est digne de commander aux hommes, et +un mot de Voire Grâce pourrait l'élever au véritable rang +qu'il est né pour occuper....</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Si je ne te savais profondément hypocrite, ô mon cher +Tickle, je le dirais que tu es parfaitement imbécile. Qui? +lui! être mon époux! régner! D'abord le sceptre jusqu'ici +ne m'a pas semblé trop lourd à porter; ensuite +Aldo est le dernier homme du monde que je pourrais +supposer capable de me seconder. Personne ne connaît +moins les autres hommes, personne n'a d'idées plus +creuses, de sentiments plus exceptionnels, de rêves plus +inexécutables. Vraiment! mon peuple serait un peuple +bien gouverné! il pourrait chanter beaucoup et manger +fort peu, ce qui ne laisserait pas que d'être fort agréable, +le jour où le poëte-roi aurait découvert le moyen de placer +l'estomac dans les oreilles. Laisse-moi, Tickle; tu +n'as pas le sens commun aujourd'hui.</p> + + +<p class="c">TICKLE, <i>sortant</i>.</p> + +<p>Fort bien, j'ai réussi à la fâcher; j'étais bien sur qu'en +disant comme elle, je l'amènerais à dire comme moi.</p> + +<br><br> + + +<h3>SCÈNE II.</h3> + + +<p class="c">LA REINE, seule.</p> + +<p>Ce Tickle est un fâcheux personnage; il a une manière +d'entrer dans mes idées qui m'en dégoûte sur-le-champ. +Ces prétendus bouffons, que nous ayons autour de nous, +sont comme nos mauvais génies, laids et méchants; ils +tiennent du diable. Ils ont l'art de nous dire la vérité +qui nous blesse,. et de nous taire celle qui nous serait +utile. Quand ils ne mentent pas, c'est que leur mensonge +pourrait nous épargner une douleur ou nous sauver d'un +péril; c'est alors seulement qu'ils se refusent Je plaisir +de nous tromper. Il faut que je voie mon poëte, je me +sens attristée et prête à douter de tout. L'homme aux illusions +me consolera peut-être. (<i>Elle siffle dans un +sifflet d'argent suspendu à son cou</i>.) (<i>Tickle rentre</i>.) +Nain, envoyez Aldo près de moi, je l'attends ici.</p> + + +<p class="c">TICKLE.</p> + +<p>J'y cours avec joie.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Après tout, Tickle a souvent raison, quand il me dit +que cet amour nuit à ma gloire. Le duc de Suffolk m'était +moins cher, je l'estimais moins, j'étais moins touchée +de son amour; mais son esprit, moins élevé, était +plus positif; c'était un ambitieux, mais un ambitieux +qui secondait toutes mes vues. J ai aimé autrefois le +brave Athol. Celui-là était un beau soldat, un bon serviteur, +un véritable ami; du reste, un montagnard stupide; +mais il était l'appui de ma royauté, il la rendait +redoutable au dehors, paisible au dedans; c'était comme +une bonne arme bien trempée et bien brillante dans ma +main. Ce poëte est dans mon palais comme un objet de +luxe, comme un vain trophée qu'on admire et qui ne +sert à rien. Un vêtement d'or vaut-il une cuirasse d'acier? +On aime à respirer les roses de la vallée, mais on +est à l'abri sous les sapins de la montagne.</p> + +<p>Et pourtant que le parfum d'un pur amour est suave! +Qu'il est doux de se reposer des soucis de la vie active +sur un coeur sincère et fidèle! Qu'ils sont rares, ceux +qui savent, ceux qui peuvent aimer! holocaustes toujours +embrasés, ils se consument en montant vers le +ciel. Nous pouvons à toute heure chercher sur leur autel +la chaleur qui manque à notre âme épuisée, nous la +trouvons toujours vive et brillante. Leur sein est un mystérieux +sanctuaire où le feu sacré ne s'éteint jamais; s'il +s'éteignait, le temple s'écroulerait comme un monde sans +soleil. L'amour est en eux le principe de la vie. Ils pâlissent, +ils souffrent, ils meurent, si on froisse leur tendresse +délicate et timide. Dites un mot, accordez un regard, +ils renaissent, leur sein palpite de joie, leur bouche +a de douces paroles de reconnaissance pour bénir, +et leurs caresses sont ineffables. Aldo, il n'y a que toi +qui saches aimer, et pourtant il est des jours où tu m'ennuies +mortellement.</p> + +<br><br> + + +<h3>SCÈNE III.</h3> + +<p class="c">LA REINE, ALDO.</p> +<br> + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Que veux-tu de moi, ma bien-aimée?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Je voulais te voir et être avec toi.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Êtes-vous triste, êtes-vous fatiguée? Voulez-vous que +je chante? Que puis-je faire pour vous?</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Êtes-vous heureux?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je le suis, parce que vous m'aimez.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Cela ne vous ennuie jamais? Eh bien! vous ne me répondez +pas? Déjà votre visage est changé, des larmes +roulent dans vos yeux, ma question vous a offensé?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Offensé?—Non.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Affligé?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Oui.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Si vous êtes triste, vous allez me rendre triste.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>J'essaierai de ne pas l'être; mais, quand vous avez +besoin de distraction et de gaieté, pourquoi me faites-vous +appeler? Ce n'est pas ma société qui vous convient +dans ces moments-là. Votre nain Tickle a plus d'esprit +et de bons mots que moi.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais il est méchant et laid. J'aime la gaieté, mais c'est +un banquet où je ne voudrais m'asseoir qu'avec des convives +dignes de moi. Pourquoi méprisez-vous le rire? +Vous croyez-vous trop céleste pour vous amuser comme +les autres hommes?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je me sens trop faible pour professer le caractère jovial. +Quand je semble gai, je suis navré ou malade; le +bonheur est sérieux, la douleur est silencieuse. Je ne +suis capable que de joie ou de tristesse. La gaieté est un +état intermédiaire dont je n'ai pas la faculté, j'y arrive +par une excitation factice. Si vous m'ordonnez de rire, +commandez le souper, faites danser sir John Tickle sur +la table; en voyant ses grimaces, en buvant du vin +d'Espagne, il pourra m'arriver de tomber en convulsion. +Mais ici, près de vous, de quoi puis-je me divertir? Je +vous regarde et vous trouve belle; je suis recueilli. Vous +me regardez avec bonté, je suis heureux; vous me raillez, +et je suis triste.</p> + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>Mais quoi? n'y a-t-il au monde que vous et moi? peut-on +toujours vivre replié sur soi-même? L'amour est-il la +seule passion digne de vous?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>C'est, du moins, la seule passion dont je sois capable.</p> + + +<p class="c">LA REINE, <i>impatientée</i></p> + +<p>Alors vous êtes un pauvre sire; moi, je ne peux pas +toujours parler d'Apollo et de Cupido. J'ai d'autres sujets +de joie ou de tristesse que le nuage qui passe dans le +ciel ou sur le front de mon amant; j'ai de grands intérêts +dans la vie: je suis reine, je fais la guerre; je fais +des lois, je récompense la valeur, je punis le crime; +j'inspire la crainte, le respect, l'amour, la haine peut-être; +tout cela m'occupe; je vais d'une chose à une autre, +je parcours tous les tons de cette belle musique +dont aucune note ne reste silencieuse sous mon archet; +mais votre lyre n'a qu'une corde et ne rend qu'un son. +Vous êtes beau et monotone comme la lune à minuit, +mon pauvre poëte.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>La lune est mélancolique. Il vous est bien facile de +fermer les fenêtres et d'allumer les flambeaux quand sa +lueur blafarde vous importune. Pourquoi allez-vous rêver +dans les bosquets la nuit! Restez au bal; la brume +et le froid rayon des étoiles n'iront pas vous attrister +dans vos salles pleines de bruit et de lumière.</p> + + +<p class="c">LA REINE.</p> + +<p>J'entends: je puis m'étourdir dans de frivoles amusements +et vous laisser avec votre muse. C'est une société +plus digne de vous que celle d'une femme capricieuse +et puérile. Restez donc avec votre génie, mon cher poëte. +Les étoiles s'allument au ciel, et la brise du soir erre +doucement parmi les fleurs: rêvez, chantez, soupires. +La façade de mon palais s'illumine, et le son des instruments +m'annonce le repas du soir. J'y vais porter votre +santé à mes convives dans une coupe d'or, et parler de +vous avec des hommes qui vous admirent. Restez ici, +penchez-vous sur cette balustrade, et entretenez-vous +avec les sylphes. S'ils ne me trouvent pas indigne d'un +souvenir, parlez-leur de moi; et si, malgré cette nourriture +céleste, il vous arrive de ressentir la vulgaire nécessité +de la faim, venez trouver votre reine et vos amis. +Au revoir.—Mais qu'est-ce donc? Vous avez baisé bien +tristement ma main, et vous y avez laissé tomber une +larme! Quoi! vous êtes triste encore? je vous ai encore +blessé? Oh! mais cela est insupportable. Allons, mon +cher amant, remettez-vous et soyez plus sage; je vous +aime tendrement, je vous préfère aux plus grands rois de +la terre. Faut-il vous le répéter à toute heure? ne le savez-vous +pas? Venez, que je baise votre beau front. Séchez +vos larmes et venez me rejoindre bientôt.</p> + +<br><br> + +<h3>SCÈNE IV.</h3> + + +<p class="c">ALDO, <i>seul</i>.</p> + +<p>Elle a raison, cette femme! elle a raison devant Dieu +et devant les hommes! Moi, je n'ai raison que devant +ma conscience. Je ne puis avoir d'autre juge que moi-même, +et ne puis me plaindre qu'à moi-même.—Car, +enfin, il ne dépend pas de moi d'être autrement. Tout +m'accuse d'affectation; mais on n'est pas affecté, on n'est +pas menteur avec soi-même. Je sais bien, moi, que je +suis ce que je suis. Les autres sont autres, et ne me +comprenant pas, ils me nient; ils sont injustes, car moi +je ne nie pas leur sincérité; ils me disent qu'ils sont +courageux, je pourrais leur répondre qu'ils sont insensibles. +Mais j'accepte ce qu'ils me disent, je consens à les +reconnaître courageux. Mais s'ils le sont, pourquoi me +reprochent-ils impitoyablement de ne l'être pas? Si j'étais +Hercule, au lieu de mépriser et de railler les faibles enfants +que je trouverais haletants et pleurants sur la +route, je les prendrais sur mes épaules, je les porterais, +une partie du chemin, dans ma peau de lion. Que serait +pour moi ce léger fardeau, si j'étais Hercule?—Voua +ne l'êtes pas, vous qui vous indignez de la faiblesse d'autrui. +Elle ne vous révolte pas, elle vous effraie. Vous craignez +d'être forcés de la secourir, et, comme vous ne le +pouvez pas, vous l'humiliez pour lui apprendre à se passer +de vous.</p> + +<p>Eh bien, oui, je suis faible: faible de coeur, faible de +corps, faible d'esprit. Quand j'aime, je ne vis plus en moi; +je préfère ce que j'aime à moi-même.—Quand je veux +suivre la chasse, j'en suis vite dégoûté, parce que je suis +vite fatigué.—Quand on me raille, ou me blâme, je suis +effrayé, parce que je crains de perdre les affections dont +je ne puis me passer, parce que je sens que je suis méconnu, +et que j'ai trop de candeur pour me réhabiliter +en me vantant. Avec les hommes, il faudrait être insolent +et menteur. Je ne puis pas. Je connais mes faiblesses +et n'en rougis pas, car je connais aussi les faiblesses +des autres et n'en suis pas révolté. Je les supporte tels +qu'ils sont. Je ne repousse pas les plus méprisables, je +les plains, et, tout faible que je suis, j'essaie de soutenir +et de relever ceux qui sont plus faibles encore. Pourquoi +ceux qui se disent forts ne me rendent-ils pas la +pareille?</p> + +<p>—Dieu! je ne t'invoque pas! car tu es sourd. Je ne +te nie pas; peut-être te manifesteras-tu à moi dans une +autre vie. J'espère en la mort.</p> + +<p>Mais ici tu ne te révèles pas. Tu nous laisses souffrir +et crier en vain. Tu ne prends pas le parti de l'opprimé, +tu ne punis pas le méchant. J'accepte tout, mon Dieu! +et je dis que c'est bien, puisque c'est ainsi. Suis-je impie, +dis-moi?</p> + +<p>Mais je t'interroge, toi, mon coeur; toi, divine partie +de moi-même. Conscience, voix du ciel cachée en moi, +comme le son mélodieux dans les entrailles de la harpe, +je te prends à témoin, je te somme de me rendre justice. +Ai-je été lâche? ai-je lutté contre le malheur? ai-je supporté +la misère, la faim, le froid? ai-je abandonné ma +mère lorsque tout m'abandonnait, même la force du +corps? ai-je résisté à l'épuisement et à la maladie? ai-je +résisté à la tentation de me tuer?—Où est le mendiant +que j'aie repoussé? où est le malheureux que j'aie refusé +de secourir? où est l'humilié que je n'aie pas exhorté à +la résignation, rappelé à l'espérance? J'ai été nu et affamé. +J'ai partagé mon dernier vêtement avec ma mère +aveugle et sourde, mon dernier morceau de pain avec +mon chien efflanqué. J'ai toujours pris en sus de ma part +de souffrances une part des souffrances d'autrui; et ils +disent que je suis lâche, ils rient de la sensibilité niaise +du poëte! et ils ont raison, car ils sont tous d'accord, ils +sont tous semblables. Ils sont forts les uns par les +autres.</p> + +<p>Je suis seul, moi! et j'ai vécu seul jusqu'ici. Suis-je +lâche? J'ai eu besoin d'amitié, et, ne l'ayant point trouvée, +j'ai su me passer d'elle. J'ai eu besoin d'amour, et, +n'en pouvant inspirer beaucoup, voilà que j'accepte le +peu qu'on m'accorde. Je me soumets, et l'on me raille. +Je pleure tout bas, et l'on me méprise.</p> + +<p>C'est donc une lâcheté que de souffrir? C'est comme +si vous m'accusiez d'être lâche parce qu'il y a du sang +dans mes veines et qu'il coule à la moindre blessure. +C'est une lâcheté aussi que de mourir quand on vous +tue! Mais que m'importait cela? N'avais-je pas bien pris +mon parti sur les railleries de mes compagnons? N'avais-je +pas consenti à montrer mon front pâle au milieu +de leurs fêtes et à passer pour le dernier des buveurs? +N'avais-je pas livré mes vers au public, sachant bien +que deux ou trois sympathiseraient avec moi, sur deux +ou trois mille qui me traiteraient de rêveur et de fou? +Après avoir souffert du métier de poëte en lutte avec la +misère et l'obscurité, j'avais souffert plus encore du métier +de poëte aux prises avec la célébrité et les envieux! +Et pourtant j'avais pris mon parti encore une fois. Ne +trouvant pas le bonheur dans la richesse et dans ce qu'on +appelle la gloire, je m'étais réfugié dans le coeur d'une +femme, et j'espérais. Celle-là, me disais-je, est venue +me prendre par la main au bord du fleuve où je voulais +mourir. Elle m'a enlevé sur sa banque magique, elle m'a +conduit dans un monde de prestiges qui m'a ébloui et +trompé, mais où, du moins, elle m'a révélé quelque +chose de vrai et de beau, son propre coeur. Si les vains +fantômes de mon rêve se sont vite évanouis, c'est qu'elle +était une fée, et que sa baguette savait évoquer des mensonges +et des merveilles, mais elle est une divinité bienfaisante, +cette fée qui me promène sur son char. Elle +m'a leurré de cent illusions pour m'éprouver ou pour +m'éclairer. Au bout du voyage, je trouverai derrière son +nuage de feu, la vérité, beauté nue et sublime que j'ai +cherchée, que j'ai adorée à travers tous les mensonges +de la vie, et dont le rayon éclairait ma route au milieu +des écueils où les autres brisent le cristal pur de leur +vertu. Fantômes qui nous égarez, ombres célestes que +nous poursuivons toujours dans la nue, et qui nous faites +courir après vous sans regarder où nous mettons les +pieds, pourquoi revêtez-vous des formes sensibles, pourquoi +vous déguisez-vous en femmes? Appelez-vous la vérité, +appelez-vous la beauté, appelez-vous la poésie; ne +vous appelez pas Jane, Agandecca, l'amour.</p> + +<p>Tu te plains, malheureux! Et qu'as-tu fait pour être +mieux traité que les autres? Pourquoi cette insolente +ambition d'être heureux? Pourquoi n'es-tu pas fier de +ton laurier de poëte et de l'amour d'une reine? Et si cela +ne te suffit pas, pourquoi ne cherches-tu pas dans la +réalité d'autres biens que tu puisses atteindre? Suffolk +était aimé de la reine; il voulait plus que partager sa +couche, il voulait partager son trône. Athol fut aimé de +la reine; il s'ennuyait souvent près d'elle, il désirait la +gloire des combats, et le laurier teint de sang, qui lui +semblait préférable à tout. Suffolk, Athol, vous étiez +des ambitieux, mais vous n'étiez pas des fous; vous désiriez +ce que vous pouviez espérer; la puissance, la victoire, +l'argent, l'honneur, tout cela est dans la vie; +l'homme tenace, l'homme brave doivent y atteindre, La +reine a chassé Suffolk; mais il règne sur une province, +et il est content. Athol a été disgracié; mais il commande +une armée, et il est fier.</p> + +<p>Moi, que puis-je aimer après elle? rien. Où est le but +de mes insatiables désirs? dans mon coeur, au ciel, nulle +part peut-être? Qu'est-ce que je veux? un coeur semblable +au mien, qui me réponde; ce coeur n'existe pas. +On me le promet, on m'en fait voir l'ombre, on me le +vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On +s'amuse de ma passion comme d'une chose singulière, +on la regarde comme un spectacle, et quelquefois l'on +s'attendrit et l'on bat des mains; mais le plus souvent +on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On +m'admire, on me recherche et on m'écoute, parce que +je suis un poëte; mais quand j'ai dit mes vers, on me +défend d'éprouver ce que j'ai raconté, on me raille d'espérer +ce que j'ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on, +et gardez vos églogues pour les réciter devant le monde; +soyez homme avec les hommes, hissez donc le poëte +sur le bord du lac où vous le promenez, au fond du cabinet +où vous travaillez.—Mais le poëte, c'est moi! Le +coeur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis +l'arracher de mes entrailles. Je ne puis étouffer dans +mon sein l'ange mélodieux qui chante et qui souffre. +Quand vous l'écoutez chanter, vous pleurez; puis vous +essuyez vos larmes, et tout est dit. Il faut que mon rôle +cesse avec votre émotion: aussitôt que vous cessez d'être +attentifs, il faut que je cesse d'être inspiré. Qu'est-ce +donc que la poésie? Croyez-vous que ce soit seulement +l'art d'assembler des mots?</p> + +<p>Vous avez tous raison. Et vous surtout, femme, vous +avez raison! vous êtes reine, vous êtes belle, vous êtes +ambitieuse et forte. Votre âme est grande, votre esprit +est vaste. Vous avez une belle vie; en bien! vivez. Changez +d'amusement, changez de caractère vingt fois par +jour; vous le devez, si vous le pouvez! je ne vous blâme +pas; et, si je vous aime, c'est peut-être parce que je +vous sens plus forte et plus sage que moi. Si je suis heureux +d'un de vos sourires, si une de vos larmes m'enivre +de joie, c'est que vos larmes et vos sourires sont des +bienfaits, c'est que vous m'accordez ce que vous pourriez +me refuser. Moi, quel mérite ai-je à vous aimer? je +ne puis faire autrement. De quel prix est mon amour? +l'amour est ma seule faculté. A quels plaisirs, à quels +enivrements ai-je la gloire de tout préférer? Rien ne +m'enivre, rien ne me plaît, si ce n'est vous. La moindre +de vos caresses est un sacrifice que vous me faites, puisque +c'est un instant que vous dérobez à d'autres intérêts +de votre vie. Moi, je ne vous sacrifie rien. Vous êtes +mon autel et mon Dieu, et je suis moi-même l'offrande +déposée à vos pieds.</p> + +<p>Si je suis mécontent, j'ai donc tort! A qui puis-je m'en +prendre de mes souffrances? Si je pouvais me plaindre, +m'indigner, exiger plus qu'on ne me donne, j'espérerais. +Mais je n'espère ni ne réclame; je souffre.</p> + +<p>Eh bien, oui, je souffre et je sais mécontent. Pourquoi +ai-je voulu vivre? Quelle insigne lâcheté m'a poussé +à tenter encore l'impossible? Ne savais-je pas bien que +j'étais seul de mon espèce et que je serais toujours ridicule +et importun? Qu'y a-t-il de plus chétif et de plus misérable +que l'homme qui se plaint? Oui, l'homme qui +souffre est un fléau! c'est un objet de tristesse et de dégoût +pour les autres! c'est un cadavre qui encombre la +voie publique, et dont les passants se détournent avec +effroi. Etre malheureux, c'est être l'ennemi du genre +humain, car tous les hommes veulent vivre pour leur +compte, et celui qui ne sait pas vivre pour lui-même est +un voleur qui dépouille ou un mendiant qui assiège.</p> + +<p>Meurs donc, lâche! il est bien temps d'en finir! tu +t'es bien assez cabré sous la nécessité! Tes flancs ont +saigné, et tu n'as pas fait un pas en avant! Résigne-toi +donc à mourir sans avoir été heureux!...</p> + +<p>Hélas! hélas! mourir, c'est horrible!... Si c'était seulement +saigner, défaillir, tomber!... mais ce n'est pas +cela. Si c'était porter sa tête sous une hache, souffrir la +torture, descendre vivant dans le froid du tombeau! +mais c'est bien pis: c'est renoncer à l'espérance, c'est +renoncer à l'amour; c'est prononcer l'arrêt du néant sur +tous ces rêves enivrants qui nous ont leurrés, c'est renoncer +à ces rares instants de volupté qui faisaient pressentir +le bonheur, et qui l'étaient peut-être!</p> + +<p>Au fait, un jour, une heure dans la vie, n'est-ce pas +assez, n'est-ce pas trop! Agandecca, vous m'avez dit +des mots qui valaient une année de gloire, vous m'avez +causé des transports qui valaient mieux qu'un siècle de +repos. Ce soir, demain, vous me donnerez un baiser qui +effacera toutes les tortures de ma vie, et qui fera de moi +un instant le roi de la terre et du ciel!</p> + +<p>Mais pourquoi retomber toujours dans l'abîme de +douleur? pourquoi chercher ces joies si elles doivent finir +et si je ne sais pas y renoncer? Les autres se lassent +et se fatiguent de leurs jouissances: moi, la jouissance +m'échappe et le désir ne meurt pas! O amour! éternel +tourment!... soif inextinguible!</p> + +<p>Si je quittais la reine?... Mais je ne le pourrai pas; et, +si je le puis, j'aimerai une autre femme qui me rendra +plus malheureux. Je ne saurai pas vivre sans aimer. +L'amour ou l'amitié ne me paieront pas ce que je dépenserai +de mon coeur pour les alimenter!... Comment ai-je +pu vivre jusqu'ici? Je ne le conçois pas. Suis-je le plus +courageux ou le plus lâche de tous les hommes?—Je ne +sais pas; et comment le savoir?—Celui qui souffre pour +donner du bonheur aux autres... oui, celui-là est brave... +mais celui qui souffre et qui importune, celui qui veut du +bonheur et qui n'en sait pas donner!... Oh! décidément +je suis un lâche! comment ne m'en suis-je pas convaincu +plus tôt? (<i>Il tire son épée</i>). Lune... brise du soir!... +Tais-toi, poëte, tu n'es qu'un sot. Qu'est-ce qui mérite +un adieu de toi? qu'est-ce qui t'accordera un regret? (<i>Il +va pour se tuer.</i>)</p> + +<br><br> + +<h3>SCÈNE V.</h3> + + +<p class="c">LE DOCTEUR ACROCERONIUS, <i>entrant</i>.</p> + +<p>Que faites-vous, seigneur Aldo, dans cette attitude +singulière?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous le voyez, mon cher ami, je me tue.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>En ce cas, je vous salue, et je vous prie de ne pas +déranger pour moi. Puis-je vous rendre quelque +service après votre mort?</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je ne laisserai personne pour s'en apercevoir.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS</p> + +<p>Je suis fâché que vous preniez cette résolution avant le +coucher de la lune.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Pourquoi?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Parce que la nuit est fort belle, et que vous perdrez +une des plus belles éclipses de lune que nous ayons eues +depuis longtemps.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Il y a une éclipse de lune?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Totale. Il n'y a pas un nuage dans le ciel, et elle sera +tellement visible, que je m'étonne de rencontrer un +homme aussi indifférent que vous à cet important phénomène.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En quoi cela peut-il m'intéresser?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Venez avec moi sur la montagne de Lego, et je vous +le ferai comprendre.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Je vous remercie beaucoup. Je ne me sens pas disposé +à marcher, et j'aime mieux me passer mon épée au +travers du corps.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Faites ce qui vous convient, et ne vous gênez pas devant +moi. Cependant j'aurais été flatté d'avoir votre compagnie +durant ma promenade.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>En quoi pourrais-je vous être utile! La solitude convient +mieux à vos savantes élucubrations. Je ne suis +qu'un pauvre poëte, peu capable de raisonner avec vous +sur d'aussi graves matières.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>La société des poëtes m'a toujours été fort agréable. +Les poëtes sont de très-intelligents observateurs de la nature. +Ils sont faibles sur les classifications, mais ils ont +beaucoup de netteté dans l'observation. Ils possèdent +l'appréciation juste de la couleur et de la forme, et quelquefois +ils remarquent des rapports qui nous échappent; +des nuances presque insaisissables leur sont révélées +par je ne sais quel sens qui nous manque. Je suis sûr +que vous me feriez voir des choses dont je sais l'existence, +et que pourtant je n'ai jamais pu observer à +l'oeil nu.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Les savants sont poëtes aussi, n'en doutez pas; ils n'ont +pas besoin, comme nous, d'observer pour voir. Ils savent +tant de choses, qu'ils peuvent peindre la nature +sans la regarder, comme on fait de mémoire le portrait +de sa maîtresse. Ils peuvent nous initier à plus d'un +mystère dont l'art fait son profit. L'art n'est qu'un riche +vêtement qui couvre les beautés nues sous l'oeil de la +science. Je suis fâché, mon cher maître, d'avoir vécu +longtemps sous le même toit que vous, sans avoir songé +à profiter de votre entretien.</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Si vous n'êtes pas forcé absolument de vous tuer ce +soir, vous pourriez venir avec moi sur la montagne de +Lego. Nous observerions l'éclipse de lune, nous causerions +sur toutes les choses connues; vous pourriez être +revenu et mort avant le lever de la reine.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>Vous avez raison. Donnez-moi votre télescope et faisons +cette promenade ensemble. Vous m'apprendrez +beaucoup de choses que j'ignore. Je vous interrogerai +sur les amours des plantes, sur le sommeil des feuilles, +sur l'écume que la lune répand à minuit dans les herbes, +sur les bruits qu'on entend la nuit... Avez-vous remarqué +cette grande voix aigre qui crie incessamment autour +de l'horizon, et qui est si égale, si continue, si monotone, +qu'on la prend souvent pour le silence?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>J'ai écrit précisément un petit traité in-4° sur ce dont +vous parlez; mais, pour bien vous le faire comprendre, +il faudrait sortir un peu du monde visible, et nous aventurer +dans des questions d'astrologie pour lesquelles vous +auriez peut-être quelque répugnance.</p> + + +<p class="c">ALDO.</p> + +<p>L'astrologie! oh! tout au contraire, mon cher maître. +Je serais très-curieux d'avoir quelque notion sur cette +science étonnante. J'y ai songé quelquefois, et si les +préoccupations de mon esprit m'en avaient laissé le +temps, j'aurais pris plaisir à soulever un coin du voile +qui me cache cette mystérieuse Isis. Qui sait si la faiblesse +de l'homme ne peut trouver dans ces profondeurs +ignorées le secret du bonheur qu'elle cherche en vain +ici-bas? On est bientôt las et dégoûté d'analyser et d'interroger +les choses qui existent matériellement. Le +monde invisible n'est pas épuisé... et si je pouvais m'y +élancer...</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Venez avec moi, mon cher fils, et nous tâcherons de +bien observer la lune.</p> + + +<p class="c">ALDO, <i>remettant son épée dans le fourreau</i></p> + +<p>Allons-nous bien loin sur la montagne?</p> + + +<p class="c">ACROCERONIUS.</p> + +<p>Aussi loin que nous pourrons aller. Vous me parliez +de l'écume que répand la lune, voyez-vous, mon cher +fils, le règne végétal d'après toutes les classific.... (<i>ils +sortent en causant</i>.)</p> + +<br> +<p>GEORGE SAND</p> + +<br><br> + + +FIN D'ALDO LE RIMEUR. + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Aldo le rimeur, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALDO LE RIMEUR *** + +***** This file should be named 12862-h.htm or 12862-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/8/6/12862/ + +Produced by Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading +Team. This file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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