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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 05:24:47 -0700
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+The Project Gutenberg EBook of Les Indes Noires, by Jules Verne
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
+other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
+the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
+www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
+to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
+
+Title: Les Indes Noires
+
+Author: Jules Verne
+
+Posting Date: October 5, 2014 [EBook #5081]
+Release Date: February, 2004
+First Posted: January 15, 2003
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES INDES NOIRES ***
+
+
+
+
+Produced by Norman Wolcott
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+ Les Indes noires
+
+ par
+
+ JULES VERNE
+
+ TABLE DES MATIÈRES
+
+
+ I Deux lettres contradictoires
+
+ II Chemin faisant
+
+ III Le sous-sol du Royaume-Uni
+
+ IV La fosse Dochart
+
+ V La Famille Ford
+
+ VI Quelques phénomènes inexplicables
+
+ VII Une expérience de Simon Ford
+
+ VIII Un coup de dynamite
+
+ IX La Nouvelle-Aberfoyle
+
+ X Aller et retour
+
+ XI Les Dames de feu
+
+ XII Les Exploits de Jack Ryan
+
+ XIII Coal-city
+
+ XIV Suspendu à un fil
+
+ XV Nell au cottage
+
+ XVI Sur l'échelle oscillante
+
+ XVII Un lever de soleil
+
+ XVIII Du lac Lomond au lac Katrine
+
+ XIX Une dernière menace
+
+ XX Le pénitent
+
+ XXI Le mariage de Nell
+
+ XXII La légende du vieux Silfax
+
+------------------------------------------------------------------------
+ I
+
+ Deux lettres contradictoires
+
+ _« Mr. J. R. Starr, ingénieur,_
+ _ « 30, Canongate._
+ _ « Édimbourg._
+
+« Si monsieur James Starr veut se rendre demain aux houillères
+d'Aberfoyle, fosse Dochart, puits Yarrow, il lui sera fait une
+communication de nature à l'intéresser.
+
+« Monsieur James Starr sera attendu, toute la journée, à la gare de
+Callander, par Harry Ford, fils de l'ancien overman Simon Ford.
+
+« Il est prié de tenir cette invitation secrète. »
+
+Telle fut la lettre que James Starr reçut par le premier courrier à la
+date du 3 décembre 18.., -- lettre qui portait le timbre du bureau de
+poste d'Aberfoyle, comté de Stirling, Écosse.
+
+La curiosité de l'ingénieur fut piquée au vif. Il ne lui vint même pas
+à la pensée que cette lettre pût renfermer une mystification. Il
+connaissait, de longue date, Simon Ford, l'un des anciens contremaîtres
+des mines d'Aberfoyle, dont lui, James Starr, avait été, pendant vingt
+ans, le directeur, -- ce que, dans les houillères anglaises, on appelle
+le « viewer ».
+
+James Starr était un homme solidement constitué, auquel ses
+cinquante-cinq ans ne pesaient pas plus que s'il n'en eût porté que
+quarante. Il appartenait à une vieille famille d'Édimbourg, dont il
+était l'un des membres les plus distingués. Ses travaux honoraient la
+respectable corporation de ces ingénieurs qui dévorent peu à peu le
+sous-sol carbonifère du Royaume-Uni, aussi bien à Cardiff, à Newcastle
+que dans les bas comtés de l'Écosse. Toutefois, c'était plus
+particulièrement au fond de ces mystérieuses houillères d'Aberfoyle,
+qui confinent aux mines d'Alloa et occupent une partie du comté de
+Stirling, que le nom de Starr avait conquis l'estime générale. Là
+s'était écoulée presque toute son existence. En outre, James Starr
+faisait partie de la Société des antiquaires écossais, dont il avait
+été nommé président. Il comptait aussi parmi les membres les plus
+actifs de « Royal Institution », et la _Revue d'Édimbourg_ publiait
+fréquemment de remarquables articles signés de lui. C'était, on le
+voit, un de ces savants pratiques auxquels est due la prospérité de
+l'Angleterre. Il tenait un haut rang dans cette vieille capitale de
+l'Écosse, qui, non seulement au point de vue physique, mais encore au
+point de vue moral, a pu mériter le nom d'« Athènes du Nord ».
+
+On sait que les Anglais ont donné à l'ensemble de leurs vastes
+houillères un nom très significatif. Ils les appellent très justement
+les « Indes noires », et ces Indes ont peut-être plus contribué que les
+Indes orientales à accroître la surprenante richesse du Royaume-Uni.
+Là, en effet, tout un peuple de mineurs travaille, nuit et jour, à
+extraire du sous-sol britannique le charbon, ce précieux combustible,
+indispensable élément de la vie industrielle.
+
+A cette époque, la limite de temps, assignée par les hommes spéciaux à
+l'épuisement des houillères, était fort reculée, et la disette n'était
+pas à craindre à court délai. Il y avait encore à exploiter largement
+les gisements carbonifères des deux mondes. Les fabriques, appropriées
+à tant d'usages divers, les locomotives, les locomobiles, les steamers,
+les usines à gaz, etc., n'étaient pas près de manquer du combustible
+minéral. Seulement, la consommation s'était tellement accrue pendant
+ces dernières années, que certaines couches avaient été épuisées jusque
+dans leurs plus maigres filons. Abandonnées maintenant, ces mines
+trouaient et sillonnaient inutilement le sol de leurs puits délaissés
+et de leurs galeries désertes.
+
+Tel était, précisément, le cas des houillères d'Aberfoyle.
+
+Dix ans auparavant, la dernière benne avait enlevé la dernière tonne de
+houille de ce gisement. Le matériel du « fond [1*] », machines
+destinées à la traction mécanique sur les rails des galeries, berlines
+formant les trains subterranés, tramways souterrains, cages desservant
+les puits d'extraction, tuyaux dont l'air comprimé actionnait des
+perforatrices, -- en un mot, tout ce qui constituait l'outillage
+d'exploitation avait été retiré des profondeurs des fosses et abandonné
+à la surface du sol. La houillère, épuisée, était comme le cadavre d'un
+mastodonte de grandeur fantastique, auquel on a enlevé les divers
+organes de la vie et laissé seulement l'ossature.
+
+De ce matériel, il n'était resté que de longues échelles de bois,
+desservant les profondeurs de la houillère par le puits Yarow le seul
+qui donnât maintenant accès aux galeries inférieures de la fosse
+Dochart, depuis la cessation des travaux.
+
+A l'extérieur, les bâtiments, abritant autrefois aux travaux du « jour
+», indiquaient encore la place où avaient été foncés les puits de
+ladite fosse, complètement abandonnée, comme l'étaient les autres
+fosses, dont l'ensemble constituait les houillères d'Aberfoyle.
+
+Ce fut un triste jour, lorsque, pour la dernière fois, les mineurs
+quittèrent la mine, dans laquelle ils avaient vécu tant d'années.
+
+L'ingénieur James Starr avait réuni ces quelques milliers de
+travailleurs, qui composaient l'active et courageuse population de la
+houillère. Piqueurs, rouleurs, conducteurs, remblayeurs, boiseurs,
+cantonniers, receveurs, basculeurs, forgerons, charpentiers, tous,
+femmes, enfants, vieillards, ouvriers du fond et du jour, étaient
+rassemblés dans l'immense cour de la fosse Dochart, autrefois encombrée
+du trop-plein de la houillère.
+
+Ces braves gens, que les nécessités de l'existence allaient disperser
+-- eux, qui pendant de longues années, s'étaient succédé de père en
+fils dans la vieille Aberfoyle --, attendaient, avant de la quitter
+pour jamais, les derniers adieux de l'ingénieur. La Compagnie leur
+avait fait distribuer, à titre de gratification, les bénéfices de
+l'année courante. Peu de chose, en vérité, car le rendement des filons
+avait dépassé de bien peu les frais d'exploitation; mais cela devait
+leur permettre d'attendre qu'ils fussent embauchés, soit dans les
+houillères voisines, soit dans les fermes ou les usines du comté.
+
+James Starr se tenait debout, devant la porte du vaste appentis, sous
+lequel avaient si longtemps fonctionné les puissantes machines à vapeur
+du puits d'extraction.
+
+Simon Ford, l'overman de la fosse Dochart, alors âgé de cinquante-cinq
+ans, et quelques autres conducteurs de travaux l'entouraient.
+
+James Starr se découvrit. Les mineurs, chapeau bas, gardaient un
+profond silence.
+
+Cette scène d'adieux avait un caractère touchant, qui ne manquait pas
+de grandeur.
+
+« Mes amis, dit l'ingénieur, le moment de nous séparer est venu. Les
+houillères d'Aberfoyle, qui, depuis tant d'années, nous réunissaient
+dans un travail commun, sont maintenant épuisées. Nos recherches n'ont
+pu amener la découverte d'un nouveau filon, et le dernier morceau de
+houille vient d'être extrait de la fosse Dochart ! »
+
+Et, à l'appui de sa parole, James Starr montrait aux mineurs un bloc de
+charbon qui avait été gardé au fond d'une benne.
+
+« Ce morceau de houille, mes amis, reprit James Starr, c'est comme le
+dernier globule du sang qui circulait à travers les veines de la
+houillère ! Nous le conserverons, comme nous avons conservé le premier
+fragment de charbon extrait, il y a cent cinquante ans, des gisements
+d'Aberfoyle. Entre ces deux morceaux, bien des générations de
+travailleurs se sont succédé dans nos fosses ! Maintenant, c'est fini !
+Les dernières paroles que vous adresse votre ingénieur sont des paroles
+d'adieu. Vous avez vécu de la mine, qui s'est vidée sous votre main. Le
+travail a été dur, mais non sans profit pour vous. Notre grande famille
+va se disperser, et il n'est pas probable que l'avenir en réunisse
+jamais les membres épars. Mais n'oubliez pas que nous avons longtemps
+vécu ensemble, et que, chez les mineurs d'Aberfoyle, c'est un devoir de
+s'entraider. Vos anciens chefs ne l'oublieront pas, non plus. Quand on
+a travaillé ensemble, on ne saurait être des étrangers les uns pour les
+autres. Nous veillerons sur vous, et, partout où vous irez en honnêtes
+gens, nos recommandations vous suivront. Adieu donc, mes amis, et que
+le Ciel vous assiste ! »
+
+Cela dit, James Starr pressa dans ses bras le plus vieil ouvrier de la
+houillère, dont les yeux s'étaient mouillés de larmes. Puis, les
+overmen des différentes fosses vinrent serrer la main de l'ingénieur,
+pendant que les mineurs agitaient leur chapeau et criaient :
+
+« Adieu, James Starr, notre chef et notre ami ! »
+
+Ces adieux devaient laisser un impérissable souvenir dans tous ces
+braves coeurs. Mais, peu à peu, il le fallut, cette population
+quitta tristement la vaste cour. Le vide se fit autour de James Starr.
+Le sol noir des chemins, conduisant à la fosse Dochart, retentit une
+dernière fois sous le pied des mineurs, et le silence succéda à cette
+bruyante animation, qui avait empli jusqu'alors la houillère
+d'Aberfoyle.
+
+Un homme était resté seul près de James Starr.
+
+C'était l'overman Simon Ford. Près de lui se tenait un jeune garçon,
+âgé de quinze ans, son fils Harry, qui, depuis quelques années déjà,
+était employé aux travaux du fond.
+
+James Starr et Simon Ford se connaissaient, et, se connaissant,
+s'estimaient l'un l'autre.
+
+« Adieu, Simon, dit l'ingénieur.
+
+-- Adieu, monsieur James, répondit l'overman, ou plutôt, laissez-moi
+ajouter : Au revoir !
+
+-- Oui, au revoir, Simon ! reprit James Starr. Vous savez que je serai
+toujours heureux de vous retrouver et de pouvoir parler avec vous du
+passé de notre vieille Aberfoyle !
+
+-- Je le sais, monsieur James.
+
+-- Ma maison d'Édimbourg vous est ouverte !
+
+-- C'est loin, Édimbourg ! répondit l'overman en secouant la tête. Oui
+! loin de la fosse Dochart !
+
+-- Loin, Simon ! Où comptez-vous donc demeurer ?
+
+-- Ici même, monsieur James ! Nous n'abandonnerons pas la mine, notre
+vieille nourrice, parce que son lait s'est tari ! Ma femme, mon fils et
+moi, nous nous arrangerons pour lui rester fidèles !
+
+-- Adieu donc, Simon, répondit l'ingénieur, dont la voix, malgré lui,
+trahissait l'émotion.
+
+-- Non, je vous répète : au revoir, monsieur James ! répondit
+l'overman, et non adieu ! Foi de Simon Ford, Aberfoyle vous reverra ! »
+
+L'ingénieur ne voulut pas enlever cette dernière illusion à l'overman.
+Il embrassa le jeune Harry, qui le regardait de ses grands yeux émus.
+Il serra une dernière fois la main de Simon Ford et quitta
+définitivement la houillère.
+
+Voilà ce qui s'était passé dix ans auparavant; mais, malgré le désir
+que venait d'exprimer l'overman de le revoir quelque jour, James Starr
+n'avait plus entendu parler de lui.
+
+Et c'était après dix ans de séparation, que lui arrivait cette lettre
+de Simon Ford, qui le conviait à reprendre sans délai le chemin des
+anciennes houillères d'Aberfoyle.
+
+Une communication de nature à l'intéresser, qu'était-ce donc ? La fosse
+Dochart, le puits Yarow ! Quels souvenirs du passé ces noms rappelaient
+à son esprit ! Oui ! c'était le bon temps, celui du travail, de la
+lutte --, le meilleur temps de sa vie d'ingénieur !
+
+James Starr relisait la lettre. Il la retournait dans tous les sens. Il
+regrettait, en vérité, qu'une ligne de plus n'eût pas été ajoutée par
+Simon Ford. Il lui en voulait d'avoir été si laconique.
+
+Était-il donc possible que le vieil overman eût découvert quelque
+nouveau filon à exploiter ? Non !
+
+James Starr se rappelait avec quel soin minutieux les houillères
+d'Aberfoyle avaient été explorées avant la cessation définitive des
+travaux. Il avait lui-même procédé aux derniers sondages, sans trouver
+aucun nouveau gisement dans ce sol ruiné par une exploitation poussée à
+l'excès. On avait même tenté de reprendre le terrain houiller sous les
+couches qui lui sont ordinairement inférieures, telles que le grés
+rouge dévonien, mais sans résultat. James Starr avait donc abandonné la
+mine avec l'absolue conviction qu'elle ne possédait plus un morceau de
+combustible.
+
+« Non, se répétait-il, non ! Comment admettre que ce qui aurait échappé
+à mes recherches se serait révélé à celles de Simon Ford ? Pourtant, le
+vieil overman doit bien savoir qu'une seule chose au monde peut
+m'intéresser, et cette invitation, que je dois tenir secrète, de me
+rendre à la fosse Dochart !... »
+
+James Starr en revenait toujours là.
+
+D'autre part, l'ingénieur connaissait Simon Ford pour un habile mineur,
+particulièrement doué de l'instinct du métier. Il ne l'avait pas revu
+depuis l'époque où les exploitations d'Aberfoyle avaient été
+abandonnées. Il ignorait même ce qu'était devenu le vieil overman. Il
+n'aurait pu dire à quoi il s'occupait, ni même où il demeurait, avec sa
+femme et son fils. Tout ce qu'il savait, c'est que rendez-vous lui
+était donné au puits Yarow, et qu'Harry, le fils de Simon Ford,
+l'attendrait à la gare de Callander pendant toute la journée du
+lendemain. Il s'agissait donc évidemment de visiter la fosse Dochart.
+
+« J'irai, j'irai ! » dit James Starr, qui sentait sa surexcitation
+s'accroître à mesure que s'avançait l'heure.
+
+C'est qu'il appartenait, ce digne ingénieur, à cette catégorie de gens
+passionnés, dont le cerveau est toujours en ébullition, comme une
+bouilloire placée sur une flamme ardente. Il est de ces bouilloires
+dans lesquelles les idées cuisent à gros bouillons, d'autres où elles
+mijotent paisiblement. Or, ce jour-là, les idées de James Starr
+bouillaient à plein feu.
+
+Mais, alors, un incident très inattendu se produisit. Ce fut la goutte
+d'eau froide, qui allait momentanément condenser toutes les vapeurs de
+ce cerveau.
+
+En effet, vers six heures du soir, par le troisième courrier, le
+domestique de James Starr apporta une seconde lettre.
+
+Cette lettre était renfermée dans une enveloppe grossière, dont la
+suscription indiquait une main peu exercée au maniement de la plume.
+
+James Starr déchira cette enveloppe. Elle ne contenait qu'un morceau de
+papier, jauni par le temps, et qui semblait avoir été arraché à quelque
+vieux cahier hors d'usage.
+
+Sur ce papier il n'y avait qu'une seule phrase, ainsi conçue :
+
+« Inutile à l'ingénieur James Starr de se déranger, -- la lettre de
+Simon Ford étant maintenant sans objet. »
+
+Et pas de signature.
+
+[1] L'exploitation d'une mine se divise en travaux du « fond » et
+travaux du « jour »; les uns s'accomplissant à l'intérieur, les autres
+à l'exrérieur.
+
+ II
+
+ Chemin faisant
+
+Le cours des idées de James Starr fut brusquement arrêté, lorsqu'il eut
+lu cette seconde lettre, contradictoire de la première.
+
+« Qu'est-ce que cela veut dire ? » se demanda-t-il.
+
+James Starr reprit l'enveloppe à demi déchirée. Elle portait, ainsi que
+l'autre, le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle. Elle était donc
+partie de ce même point du comté de Stirling. Ce n'était pas le vieux
+mineur qui l'avait écrite, -- évidemment. Mais, non moins évidemment,
+l'auteur de cette seconde lettre connaissait le secret de l'overman,
+puisqu'il contremandait formellement l'invitation faite à l'ingénieur
+de se rendre au puits Yarow.
+
+Était-il donc vrai que cette première communication fût maintenant sans
+objet ? voulait-on empêcher James Starr de se déranger, soit
+inutilement, soit utilement ? N'y avait-il pas là plutôt une intention
+malveillante de contrecarrer les projets de Simon Ford ?
+
+C'est ce que pensa James Starr, après mûre réflexion. Cette
+contradiction, qui existait entre les deux lettres, ne fit naître en
+lui qu'un plus vif désir de se rendre à la fosse Dochart. D'ailleurs,
+si, dans tout cela, il n'y avait qu'une mystification, mieux valait
+s'en assurer. Mais il semblait bien à James Starr qu'il convenait
+d'accorder plus de créance à la première lettre qu'à la seconde, --
+c'est-à-dire à la demande d'un homme tel que Simon Ford plutôt qu'à cet
+avis de son contradicteur anonyme.
+
+« En vérité, puisqu'on prétend influencer ma résolution, se dit-il,
+c'est que la communication de Simon Ford doit avoir une extrême
+importance ! Demain, je serai au rendez-vous indiqué et à l'heure
+convenue ! »
+
+Le soir venu, James Starr fit ses préparatifs de départ. Comme il
+pouvait arriver que son absence se prolongeât pendant quelques jours,
+il prévint, par lettre, Sir W. Elphiston, le président de « Royal
+Institution », qu'il ne pourrait assister à la prochaine séance de la
+Société. Il se dégagea également de deux ou trois affaires, qui
+devaient l'occuper pendant la semaine. Puis, après avoir donné l'ordre
+à son domestique de préparer un sac de voyage, il se coucha, plus
+impressionné que l'affaire ne le comportait peut-être.
+
+Le lendemain, à cinq heures, James Starr sautait hors de son lit,
+s'habillait chaudement -- car il tombait une pluie froide --, et il
+quittait sa maison de la Canongate, pour aller prendre à Granton-pier
+le steam-boat qui, en trois heures, remonte le Forth jusqu'à Stirling.
+
+Pour la première fois, peut-être, James Starr, en traversant la
+Canongate [1*], ne se retourna pas pour regarder Holyrood, ce palais
+des anciens souverains de l'Écosse. Il n'aperçut pas, devant sa
+poterne, les sentinelles revêtues de l'antique costume écossais, jupon
+d'étoffe verte, plaid quadrillé et sac de peau de chèvre à longs poils
+pendant sur la cuisse. Bien qu'il fût fanatique de Walter Scott, comme
+l'est tout vrai fils de la vieille Calédonie, l'ingénieur, ainsi qu'il
+ne manquait jamais de le faire, ne donna même pas un coup d'oeil à
+l'auberge où Waverley descendit, et dans laquelle le tailleur lui
+apporta ce fameux costume en tartan de guerre qu'admirait si naïvement
+la veuve Flockhart. Il ne salua pas, non plus, la petite place où les
+montagnards déchargèrent leurs fusils, après la victoire du Prétendant,
+au risque de tuer Flora Mac Ivor. L'horloge de la prison tendait au
+milieu de la rue son cadran désolé : il n'y regarda que pour s'assurer
+qu'il ne manquerait point l'heure du départ. On doit avouer aussi qu'il
+n'entrevit pas dans Nelher-Bow la maison du grand réformateur John
+Knox, le seul homme que ne purent séduire les sourires de Marie Stuart.
+Mais, prenant par High-street, la rue populaire, si minutieusement
+décrite dans le roman de _L'Abbé_, il s'élança vers le pont gigantesque
+de Bridgestreet, qui relie les trois collines d'Édimbourg.
+
+Quelques minutes après, James Starr arrivait à la gare du « Général
+railway », et le train le débarquait, une demi-heure après, à Newhaven,
+joli village de pêcheurs, situé à un mille de Leith, qui forme le port
+d'Édimbourg. La marée montante recouvrait alors la plage noirâtre et
+rocailleuse du littoral. Les premiers flots baignaient une estacade,
+sorte de jetée supportée par des chaînes. A gauche, un de ces bateaux
+qui font le service du Forth, entre Édimbourg et Stirling, était amarré
+au « pier » de Granton.
+
+En ce moment, la cheminée du _Prince de Galles_ vomissait des
+tourbillons de fumée noire, et sa chaudière ronflait sourdement. Au son
+de la cloche, qui ne tinta que quelques coups, les voyageurs en retard
+se hâtèrent d'accourir. Il y avait là une foule de marchands, de
+fermiers, de ministres, ces derniers reconnaissables à leurs culottes
+courtes, à leurs longues redingotes, au mince liséré blanc qui cerclait
+leur cou.
+
+James Starr ne fut pas le dernier à s'embarquer. Il sauta lestement sur
+le pont du _Prince de Galles_. Bien que la pluie tombât avec violence,
+pas un de ces passagers ne songeait à chercher un abri dans le salon du
+steam-boat. Tous restaient immobiles, enveloppés de leurs couvertures
+de voyage, quelques-uns se ranimant de temps à autre avec le gin ou le
+whisky de leur bouteille, -- ce qu'ils appellent « se vêtir à
+l'intérieur ». Un dernier coup de cloche se fit entendre, les amarres
+furent larguées, et le _Prince de Galles_ évolua pour sortir du petit
+bassin, qui l'abritait contre les lames de la mer du Nord.
+
+Le Firth of Forth, tel est le nom que l'on donne au golfe creusé entre
+les rives du comté de Fife, au nord, et celles des comtés de
+Linlilhgow, d'Édimbourg et Haddington, au sud. Il forme l'estuaire du
+Forth, fleuve peu important, sorte de Tamise ou de Mersey aux eaux
+profondes, qui, descendu des flancs ouest du Ben Lomond, se jette dans
+la mer à Kincardine.
+
+Ce ne serait qu'une courte traversée que celle de Granton-pier à
+l'extrémité de ce golfe, si la nécessité de faire escale aux diverses
+stations des deux rives n'obligeait à de nombreux détours. Les villes,
+les villages, les cottages s'étalent sur les bords du Forth entre les
+arbres d'une campagne fertile. James Starr, abrité sous la large
+passerelle jetée entre les tambours, ne cherchait pas à rien voir de ce
+paysage, alors rayé par les fines hachures de la pluie. Il s'inquiétait
+plutôt d'observer s'il n'attirait pas spécialement l'attention de
+quelque passager. Peut-être, en effet, l'auteur anonyme de la seconde
+lettre était-il sur le bateau. Cependant, l'ingénieur ne put surprendre
+aucun regard suspect.
+
+Le _Prince de Galles_, en quittant Granton-pier, se dirigea vers
+l'étroit pertuis qui se glisse entre les deux pointes de
+Southoueensferry et North-oueensferry, au-delà duquel le Forth forme
+une sorte de lac, praticable pour les navires de cent tonneaux. Entre
+les brumes du fond apparaissaient, dans de courtes éclaircies, les
+sommets neigeux des monts Grampian.
+
+Bientôt, le steam-boat eut perdu de vue le village d'Aberdour, l'île de
+Colm, couronnée par les ruines d'un monastère du XIIe siècle, les
+restes du château de Barnbougle, puis Donibristle, où fut assassiné le
+gendre du régent Murray, puis l'îlot fortifié de Garvie. Il franchit le
+détroit de oueensferry, laissa à gauche le château de Rosyth, où
+résidait autrefois une branche des Stuarts à laquelle était alliée la
+mère de Cromwell, dépassa Blacknesscastle, toujours fortifié,
+conformément à l'un des articles du traité de l'Union, et longea les
+quais du petit port de Charleston, d'où s'exporte la chaux des
+carrières de Lord Elgin. Enfin, la cloche du _Prince de Galles_ signala
+la station de Crombie-Point.
+
+Le temps était alors très mauvais. La pluie, fouettée par une brise
+violente, se pulvérisait au milieu de ces mugissantes rafales, qui
+passaient comme des trombes.
+
+James Starr n'était pas sans quelque inquiétude. Le fils d'Harry Ford
+se trouverait-il au rendez-vous ? Il le savait par expérience : les
+mineurs, habitués au calme profond des houillères, affrontent moins
+volontiers que les ouvriers ou les laboureurs ces grands troubles de
+l'atmosphère. De Callander à la fosse Dochart et au puits Yarow, il
+fallait compter une distance de quatre milles. C'étaient là des raisons
+qui pouvaient, dans une certaine mesure, retarder le fils du vieil
+overman. Toutefois, l'ingénieur se préoccupait davantage de l'idée que
+le rendez-vous donné dans la première lettre eût été contremandé dans
+la seconde. -- C'était, à vrai dire, son plus gros souci.
+
+En tout cas, si Harry Ford ne se trouvait pas à l'arrivée du train à
+Callander, James Starr était bien décidé à se rendre seul à la fosse
+Dochart, et même, s'il le fallait, jusqu'au village d'Aberfoyle. Là, il
+aurait sans doute des nouvelles de Simon Ford, et il apprendrait en
+quel lieu résidait actuellement le vieil overman.
+
+Cependant, le _Prince de Galles_ continuait à soulever de grosses lames
+sous la poussée de ses aubes. On ne voyait rien des deux rives du
+fleuve, ni du village de Crombie, ni Torryburn, ni Torry-house, ni
+Newmills, ni Carridenhouse, ni Ilirkgrange, ni Salt-Pans, sur la
+droite. Le petit port de Bowness, le port de Grangemouth, creusé à
+l'embouchure du canal de la Clyde, disparaissaient dans l'humide
+brouillard. Culross, le vieux bourg et les ruines de son abbaye de
+Cîteaux, Ilinkardine et ses chantiers de construction, auxquels le
+steam-boat fit escale, Ayrthcastle et sa tour carrée du XIIIe siècle,
+Clackmannan et son château, bâti par Robert Bruce, n'étaient même pas
+visibles à travers les rayures obliques de la pluie.
+
+Le _Prince de Galles_ s'arrêta à l'embarcadère d'Alloa pour déposer
+quelques voyageurs. James Starr eut le coeur serré en passant,
+après dix ans d'absence, près de cette petite ville, siège
+d'exploitation d'importantes houillères qui nourrissaient toujours une
+nombreuse population de travailleurs. Son imagination l'entraînait dans
+ce sous-sol, que le pic des mineurs creusait encore à grand profit. Ces
+mines d'Alloa, presque contiguës à celles d'Aberfoyle, continuaient à
+enrichir le comté, tandis que les gisements voisins, épuisés depuis
+tant d'années, ne comptaient plus un seul ouvrier !
+
+Le steam-boat, en quittant Alloa, s'enfonça dans les nombreux détours
+que fait le Forth sur un parcours de dix-neuf milles. Il circulait
+rapidement entre les grands arbres des deux rives. Un instant, dans une
+éclaircie, apparurent les ruines de l'abbaye de Cambuskenneth, qui date
+du XIIe siècle. Puis, ce furent le château de Stirling et le bourg
+royal de ce nom, où le Forth, traversé par deux ponts, n'est plus
+navigable aux navires de hautes mâtures.
+
+A peine le _Prince de Galles_ avait-il accosté, que l'ingénieur sautait
+lestement sur le quai. Cinq minutes après, il arrivait à la gare de
+Stirling. Une heure plus tard, il descendait du train à Callander, gros
+village situé sur la rive gauche du Teith.
+
+Là, devant la gare, attendait un jeune homme, qui s'avança aussitôt
+vers l'ingénieur.
+
+C'était Harry, le fils de Simon Ford.
+
+[1] Principale et célèbre rue du vieil Édimbourg.
+
+ III
+
+ Le sous-sol du Royaume-Uni
+
+Il est convenable, pour l'intelligence de ce récit, de rappeler en
+quelques mots quelle est l'origine de la houille.
+
+Pendant les époques géologiques, lorsque le sphéroïde terrestre était
+encore en voie de formation, une épaisse atmosphère l'entourait, toute
+saturée de vapeurs d'eau et largement imprégnée d'acide carbonique. Peu
+à peu, ces vapeurs se condensèrent en pluies diluviennes, qui tombèrent
+comme si elles eussent été projetées du goulot de quelques millions de
+milliards de bouteilles d'eau de Seltz. C'était, en effet, un liquide
+chargé d'acide carbonique qui se déversait torrentiellement sur un sol
+pâteux, mal consolidé, sujet aux déformations brusques ou lentes, à la
+fois maintenu dans cet état semi-fluide autant par les feux du soleil
+que par les feux de la masse intérieure. C'est que la chaleur interne
+n'était pas encore emmagasinée au centre du globe. La croûte terrestre,
+peu épaisse et incomplètement durcie, la laissait s'épancher à travers
+ses pores. De là, une phénoménale végétation, -- telle, sans doute,
+qu'elle se produit peut-être à la surface des planètes inférieures,
+Vénus ou Mercure, plus rapprochées que la terre de l'astre radieux.
+
+Le sol des continents, encore mal fixé, se couvrit donc de forêts
+immenses; l'acide carbonique, si propre au développement du règne
+végétal, abondait. Aussi les végétaux se développaient-ils sous la
+forme arborescente. Il n'y avait pas une seule plante herbacée.
+C'étaient partout d'énormes massifs d'arbres, sans fleurs, sans fruits,
+d'un aspect monotone, qui n'auraient pu suffire à la nourriture d'aucun
+être vivant. La terre n'était pas prête encore pour l'apparition du
+règne animal.
+
+Voici quelle était la composition de ces forêts antédiluviennes. La
+classe des cryptogames vasculaires y dominait. Les calamites, variétés
+de prêles arborescentes, les lépidodendrons, sortes de lycopodes
+géants, hauts de vingt-cinq ou trente mètres, larges d'un mètre à leur
+base, des astérophylles, des fougères, des sigillaires de proportions
+gigantesques, dont on a retrouvé des empreintes dans les mines de
+Saint-Étienne -- toutes plantes grandioses alors, auxquelles on ne
+reconnaîtrait d'analogues que parmi les plus humbles spécimens de la
+terre habitable --, tels étaient, peu variés dans leur espèce, mais
+énormes dans leur développement, les végétaux qui composaient
+exclusivement les forêts de cette époque.
+
+Ces arbres noyaient alors leur pied dans une sorte d'immense lagune,
+rendue profondément humide par le mélange des eaux douces et des eaux
+marines. Ils s'assimilaient avidement le carbone qu'ils soutiraient peu
+à peu de l'atmosphère, encore impropre au fonctionnement de la vie, et
+on peut dire qu'ils étaient destinés à l'emmagasiner, sous forme de
+houille, dans les entrailles mêmes du globe.
+
+En effet, c'était l'époque des tremblements de terre, de ces
+secouements du sol, dus aux révolutions intérieures et au travail
+plutonique, qui modifiaient subitement les linéaments encore incertains
+de la surface terrestre. Ici, des intumescences qui devenaient
+montagnes; là, des gouffres que devaient emplir des océans ou des mers.
+Et alors, des forêts entières s'enfonçaient dans la croûte terrestre, à
+travers les couches mouvantes, jusqu'à ce qu'elles eussent trouvé un
+point d'appui, tel que le sol primitif des roches granitoïdes, ou que,
+par le tassement, elles formassent un tout résistant.
+
+En effet, l'édifice géologique se présente suivant cet ordre dans les
+entrailles du globe : le sol primitif, que surmonte le sol de remblai,
+composé des terrains primaires, puis les terrains secondaires dont les
+gisements houillers occupent l'étage inférieur, puis les terrains
+tertiaires, et au-dessus, le terrain des alluvions anciennes et
+modernes.
+
+A cette époque, les eaux, qu'aucun lit ne retenait encore et que la
+condensation engendrait sur tous les points du globe, se précipitaient
+en arrachant aux roches, à peine formées, de quoi composer les
+schistes, les grès, les calcaires. Elles arrivaient au dessus des
+forêts tourbeuses et déposaient les éléments de ces terrains qui
+allaient se superposer au terrain houiller. Avec le temps -- des
+périodes qui se chiffrent par millions d'années --, ces terrains se
+durcirent, s'étagèrent et enfermèrent sous une épaisse carapace de
+poudingues, de schistes, de grès compacts ou friables, de gravier, de
+cailloux, toute la masse des forêts enlisées.
+
+Que se passa-t-il dans ce creuset gigantesque, où s'accumulait la
+matière végétale, enfoncée à des profondeurs variables ? Une véritable
+opération chimique, une sorte de distillation. Tout le carbone que
+contenaient ces végétaux s'agglomérait, et peu à peu la houille se
+formait sous la double influence d'une pression énorme et de la haute
+température que lui fournissaient les feux internes, si voisins d'elle
+à cette époque.
+
+Ainsi donc un règne se substituait à l'autre dans cette lente, mais
+irrésistible réaction. Le végétal se transformait en minéral. Toutes
+ces plantes, qui avaient vécu de la vie végétative sous l'active sève
+des premiers jours, se pétrifiaient. Quelques-unes des substances
+enfermées dans ce vaste herbier, incomplètement déformées, laissaient
+leur empreinte aux autres produits plus rapidement minéralisés, qui les
+pressaient comme eût fait une presse hydraulique d'une puissance
+incalculable. En même temps, des coquilles, des zoophytes tels
+qu'étoiles de mer, polypiers, spirifères, jusqu'à des poissons, jusqu'à
+des lézards, entraînés par les eaux, laissaient sur la houille, tendre
+encore, leur impression nette et comme « admirablement tirée [1*] ».
+
+La pression semble avoir joué un rôle considérable dans la formation
+des gisements carbonifères. En effet, c'est à son degré de puissance
+que sont dues les diverses sortes de houilles dont l'industrie fait
+usage. Ainsi, aux plus basses couches du terrain houiller apparaît
+l'anthracite, qui, presque entièrement dépourvue de matière volatile,
+contient la plus grande quantité de carbone. Aux plus hautes couches se
+montrent, au contraire, le lignite et le bois fossile, substances dans
+lesquelles la quantité de carbone est infiniment moindre. Entre ces
+deux couches, suivant le degré de pression qu'elles ont subie, se
+rencontrent les filons de graphites, les houilles grasses ou maigres.
+On peut même affirmer que c'est faute d'une pression suffisante que la
+couche des marais tourbeux n'a pas été complètement modifiée.
+
+Ainsi donc, l'origine des houillères, en quelque point du globe qu'on
+les ait découvertes, est celle-ci : engloutissement dans la croûte
+terrestre des grandes forêts de l'époque géologique, puis,
+minéralisation des végétaux obtenue avec le temps, sous l'influence de
+la pression et de la chaleur, et sous l'action de l'acide carbonique.
+
+Cependant, la nature, si prodigue d'ordinaire, n'a pas enfoui assez de
+forêts pour une consommation qui comprendrait quelques milliers
+d'années. La houille manquera un jour, -- cela est certain. Un chômage
+forcé s'imposera donc aux machines du monde entier, si quelque nouveau
+combustible ne remplace pas le charbon. A une époque plus ou moins
+reculée, il n'y aura plus de gisements carbonifères, si ce n'est ceux
+qu'une éternelle couche de glace recouvre au Groenland, aux
+environs de la mer de Baffin, et dont l'exploitation est à peu près
+impossible. C'est le sort inévitable. Les bassins houillers de
+l'Amérique, prodigieusement riches encore, ceux du lac Salé, de
+l'orégon, de la Californie, n'auront plus, un jour, qu'un rendement
+insuffisant. Il en sera ainsi des houillères du cap Breton et du
+Saint-Laurent, des gisements des Alleghanis, de la Pennsylvanie, de la
+Virginie, de l'Illinois, de l'Indiana, du Missouri. Bien que les gîtes
+carbonifères du Nord-Amérique soient dix fois plus considérables que
+tous les gisements du monde entier, cent siècles ne s'écouleront pas
+sans que le monstre à millions de gueules de l'industrie n'ait dévoré
+le dernier morceau de houille du globe.
+
+La disette, on le comprend, se fera plus promptement sentir dans
+l'ancien monde. Il existe bien des couches de combustible minéral en
+Abyssinie, à Natal, au Zambèze, à Mozambique, à Madagascar, mais leur
+exploitation régulière offre les plus grandes difficultés. Celles de la
+Birmanie, de la Chine, de la Cochinchine, du Japon, de l'Asie centrale,
+seront assez vite épuisées. Les Anglais auront certainement vidé
+l'Australie des produits houillers, assez abondamment enfouis dans son
+sol, avant le jour où le charbon manquera au Royaume-Uni. A cette
+époque, déjà, les filons carbonifères de l'Europe, atteints jusque dans
+leurs dernières veines, auront été abandonnés.
+
+Que l'on juge par les chiffres suivants des quantités de houille qui
+ont été consommées depuis la découverte des premiers gisements. Les
+bassins houillers de la Russie, de la Saxe et de la Bavière comprennent
+six cent mille hectares; ceux de l'Espagne, cent cinquante mille; ceux
+de la Bohême et de l'Autriche, cent cinquante mille. Les bassins de la
+Belgique, longs de quarante lieues, larges de trois, comptent également
+cent cinquante mille hectares, qui s'étendent sous les territoires de
+Liège, de Namur, de Mons et de Charleroi. En France, le bassin situé
+entre la Loire et le Rhône, Rive-de-Gier, Saint-Étienne, Givors,
+Épinac, Blanzy, le Creuzot -- les exploitations du Gard, Alais, La
+Grand-Combe, -- celles de l'Aveyron à Aubin -- les gisements de
+Carmaux, de Bassac, de Graissessac --, dans le Nord, Anzin,
+Valenciennes, Lens, Béthune, recouvrent environ trois cent cinquante
+mille hectares.
+
+Le pays le plus riche en charbon, c'est incontestablement le
+Royaume-Uni. Celui-ci, en exceptant l'Irlande, à laquelle manque
+presque absolument le combustible minéral, possède d'énormes richesses
+carbonifères, -- mais épuisables comme toutes richesses. Le plus
+important de ces divers bassins, celui de Newcastle, qui occupe le
+sous-sol du comté de Northumberland, produit par an jusqu'à trente
+millions de tonnes, c'est-à-dire près du tiers de la consommation
+anglaise et plus du double de la production française. Le bassin du
+pays de Galles, qui a concentré toute une population de mineurs à
+Cardiff, à Swansea, à Newport, rend annuellement dix millions de tonnes
+de cette houille si recherchée qui porte son nom. Au centre,
+s'exploitent les bassins des comtés d'York, de Lancaster, de Derby, de
+Stafford, moins productifs, mais d'un rendement considérable encore.
+Enfin, dans cette portion de l'Écosse située entre Édimbourg et
+Glasgow, entre ces deux mers qui l'échancrent si profondément, se
+développe l'un des plus vastes gisements houillers du Royaume-Uni.
+L'ensemble de ces divers bassins ne comprend pas moins de seize cent
+mille hectares, et produit annuellement jusqu'à cent millions de tonnes
+du noir combustible.
+
+Mais qu'importe ! La consommation deviendra telle, pour les besoins de
+l'industrie et du commerce, que ces richesses s'épuiseront. Le
+troisième millénaire de l'ère chrétienne ne sera pas achevé, que la
+main du mineur aura vidé, en Europe, ces magasins dans lesquels,
+suivant une juste image, s'est concentrée la chaleur solaire des
+premiers jours [2*].
+
+Or, précisément à l'époque où se passe cette histoire, l'une des plus
+importantes houillères du bassin écossais avait été épuisée par une
+exploitation trop rapide. En effet, c'était dans ce territoire, qui se
+développe entre Édimbourg et Glasgow, sur une largeur moyenne de dix à
+douze milles, que se creusait la houillère d'Aberfoyle, dont
+l'ingénieur James Starr avait si longtemps dirigé les travaux.
+
+Or, depuis dix ans, ces mines avaient dû être abandonnées. On n'avait
+pu découvrir de nouveaux gisements, bien que les sondages eussent été
+portés jusqu'à la profondeur de quinze cents et même de deux mille
+pieds, et lorsque James Starr s'était retiré, c'était avec la certitude
+que le plus mince filon avait été exploité jusqu'à complet épuisement.
+
+Il était donc plus qu'évident que, en de telles conditions, la
+découverte d'un nouveau bassin houiller dans les profondeurs du
+sous-sol anglais aurait été un événement considérable. La communication
+annoncée par Simon Ford se rapportait-elle à un fait de cette nature ?
+C'est ce que se demandait James Starr, c'est ce qu'il voulait espérer.
+
+En un mot, était-ce un autre coin de ces riches Indes noires dont on
+l'appelait à faire de nouveau la conquête ? Il voulait le croire.
+
+La seconde lettre avait un instant dérouté ses idées à ce sujet, mais
+maintenant il n'en tenait plus compte. D'ailleurs, le fils du vieil
+overman était là, l'attendant au rendez-vous indiqué. La lettre anonyme
+n'avait donc plus aucune valeur.
+
+A l'instant où l'ingénieur prenait pied sur le quai, le jeune homme
+s'avança vers lui.
+
+« Tu es Harry Ford ? lui demanda vivement James Starr, sans autre
+entrée en matière.
+
+-- Oui, monsieur Starr.
+
+-- Je ne t'aurais pas reconnu, mon garçon ! Ah ! c'est que, depuis dix
+ans, tu es devenu un homme !
+
+-- Moi, je vous ai reconnu, répondit le jeune mineur, qui tenait son
+chapeau à la main. vous n'avez pas changé, monsieur. vous êtes celui
+qui m'a embrassé le jour des adieux à la fosse Dochart ! Ça ne s'oublie
+pas, ces choses-là !
+
+-- Couvre-toi donc, Harry, dit l'ingénieur. Il pleut à torrents, et la
+politesse ne doit pas aller jusqu'au rhume.
+
+-- Voulez-vous que nous nous mettions à l'abri, monsieur Starr ?
+demanda Harry Ford.
+
+-- Non, Harry. Le temps est pris. Il pleuvra toute la journée, et je
+suis pressé. Partons.
+
+-- A vos ordres, répondit le jeune homme.
+
+-- Dis-moi, Harry, le père se porte bien ?
+
+-- Très bien, monsieur Starr.
+
+-- Et la mère ?...
+
+-- La mère aussi.
+
+-- C'est ton père qui m'a écrit, pour me donner rendez-vous au puits de
+Yarow ?
+
+-- Non, c'est moi.
+
+-- Mais Simon Ford m'a-t-il donc adressé une seconde lettre pour
+contremander ce rendez-vous ? demanda vivement l'ingénieur.
+
+-- Non, monsieur Starr, répondit le jeune mineur.
+
+-- Bien ! » répondit James Starr, sans parler davantage de la lettre
+anonyme.
+
+Puis, reprenant :
+
+« Et peux-tu m'apprendre ce que me veut le vieux Simon ? demanda-t-il
+au jeune homme.
+
+-- Monsieur Starr, mon père s'est réservé le soin de vous le dire
+lui-même.
+
+-- Mais tu le sais ?...
+
+-- Je le sais.
+
+-- Eh bien, Harry, je ne t'en demande pas plus. En route donc, car j'ai
+hâte de causer avec Simon Ford. -- A propos, où demeure-t-il ?
+
+-- Dans la mine.
+
+-- Quoi ! Dans la fosse Dochart ?
+
+-- Oui, monsieur Starr, répondit Harry Ford.
+
+-- Comment ! ta famille n'a pas quitté la vieille mine depuis la
+cessation des travaux ?
+
+-- Pas un jour, monsieur Starr. vous connaissez le père. C'est là qu'il
+est né, c'est là qu'il veut mourir !
+
+-- Je comprends cela, Harry... Je comprends cela ! Sa houillère natale
+! Il n'a pas voulu l'abandonner ! Et vous vous plaisez là ?...
+
+-- Oui, monsieur Starr, répondit le jeune mineur, car nous nous aimons
+cordialement, et nous n'avons que peu de besoins !
+
+-- Bien, Harry, dit l'ingénieur. En route ! »
+
+Et James Starr, suivant le jeune homme, se dirigea à travers les rues
+de Callander.
+
+Dix minutes après, tous deux avaient quitté la ville.
+
+[1] Il faut, d'ailleurs, remarquer que toutes ces plantes, dont les
+enpreintes ont été retrouvées, appartiennent aux espèces aujourd'hui
+réservées aux zones équatoriales du globe. On peut donc conclure que, à
+cette époque, la chaleur était égale sur toute la terre, soit qu'elle y
+fût apportée par des courants d'eaux chaudes, soit que les feux
+interieurs se fissent sentir à sa surface à travers la croûte poreuse.
+Ainsi s'explique la formation de gisements carbonifères sous toutes les
+latitudes terestres.
+
+[2]Voici, en tenant compte de la progression de la consommation de la
+houille, ce que les derniers calculs assignent, en Europe, à
+l'épuisement des combustibles minéraux:
+
+
+ France dans 1140 ans.
+
+ Angleterre -- 800 --
+
+ Belgique -- 750 --
+
+ Allemagne -- 300 --
+
+En Amérique, à raison de 500 millions de tonnes annuellement, les gîtes
+pourraient produire du charbon pendant 6000 ans.
+
+ IV
+
+ La fosse Dochart
+
+Harry Ford était un grand garçon de vingt-cinq ans, vigoureux, bien
+découplé. Sa physionomie un peu sérieuse, son attitude habituellement
+pensive, l'avaient, dès son enfance, fait remarquer entre ses camarades
+de la mine. Ses traits réguliers, ses yeux profonds et doux, ses
+cheveux assez rudes, plutôt châtains que blonds, le charme naturel de
+sa personne, tout concordait à en faire le type accompli du Lowlander,
+c'est-à-dire un superbe spécimen de l'Écossais de la plaine. Endurci
+presque dès son bas âge au travail de la houillère, c'était, en même
+temps qu'un solide compagnon, une brave et bonne nature. Guidé par son
+père, poussé par ses propres instincts, il avait travaillé, il s'était
+instruit de bonne heure, et, à un âge où l'on n'est guère qu'un
+apprenti, il était arrivé à se faire quelqu'un -- l'un des premiers de
+sa condition --, dans un pays qui compte peu d'ignorants, car il fait
+tout pour supprimer l'ignorance. Si, pendant les premières années de
+son adolescence, le pic ne quitta pas la main d'Harry Ford, néanmoins
+le jeune mineur ne tarda pas à acquérir les connaissances suffisantes
+pour s'élever dans la hiérarchie de la houillère, et il aurait
+certainement succédé à son père en qualité d'overman de la fosse
+Dochart, si la mine n'eût pas été abandonnée.
+
+James Starr était un bon marcheur encore, et, cependant, il n'aurait
+pas suivi facilement son guide, si celui-ci n'eût modéré son pas.
+
+La pluie tombait alors avec moins de violence. Les larges gouttes se
+pulvérisaient avant d'atteindre le sol. C'étaient plutôt des rafales
+humides, qui couraient dans l'air, soulevées par une fraîche brise.
+
+Harry Ford et James Starr -- le jeune homme portant le léger bagage de
+l'ingénieur -- suivirent la rive gauche du fleuve pendant un mille
+environ. Après avoir longé sa plage sinueuse, ils prirent une route qui
+s'enfonçait dans les terres sous les grands arbres ruisselants. De
+vastes pâturages se développaient d'un côté et de l'autre, autour de
+fermes isolées. Quelques. troupeaux paissaient tranquillement l'herbe
+toujours verte de ces prairies de la basse Écosse. C'étaient des vaches
+sans cornes, ou de petits moutons à laine soyeuse, qui ressemblaient
+aux moutons des bergeries d'enfants. Aucun berger ne se laissait voir,
+abrité qu'il était sans doute dans quelque creux d'arbre; mais le «
+colley », chien particulier à cette contrée du Royaume-Uni et renommé
+pour sa vigilance, rôdait autour du pâturage.
+
+Le puits Yarow était situé à quatre milles environ de Callander. James
+Starr, tout en marchant, ne laissait pas d'être impressionné. Il
+n'avait pas revu le pays depuis le jour où la dernière tonne des
+houillères d'Aberfoyle avait été versée dans les wagons du railway de
+Glasgow. La vie agricole remplaçait, maintenant, la vie industrielle,
+toujours plus bruyante, plus active. Le contraste était d'autant plus
+frappant que, pendant l'hiver, les travaux des champs subissent une
+sorte de chômage. Mais autrefois, en toute saison, la population des
+mineurs, au-dessus comme au-dessous, animait ce territoire. Les grands
+charrois de charbon passaient nuit et jour. Les rails, maintenant
+enterrés sur leurs traverses pourries, grinçaient sous le poids des
+wagons. A présent, le chemin de pierre et de terre se substituait peu à
+peu aux anciens tramways de l'exploitation. James Starr croyait
+traverser un désert.
+
+L'ingénieur regardait donc autour de lui d'un oeil attristé. Il
+s'arrêtait par instants pour reprendre haleine. Il écoutait. L'air ne
+s'emplissait plus à présent des sifflements lointains et du fracas
+haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noirâtres,
+que l'industriel aime à retrouver, mêlées aux grands nuages. Nulle
+haute cheminée cylindrique ou prismatique vomissant des fumées, après
+s'être alimentée au gisement même, nul tuyau d'échappement s'époumonant
+à souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussière
+de la houille, avait un aspect propre, auquel les yeux de James Starr
+n'étaient plus habitués.
+
+Lorsque l'ingénieur s'arrêtait, Harry Ford s'arrêtait aussi. Le jeune
+mineur attendait en silence. Il sentait bien ce qui se passait dans
+l'esprit de son compagnon, et il partageait vivement cette impression,
+-- lui, un enfant de la houillère, dont toute la vie s'était écoulée
+dans les profondeurs de ce sol.
+
+« Oui, Harry, tout cela est changé, dit James Starr. Mais, à force d'y
+prendre, il fallait bien que les trésors de houille s'épuisassent un
+jour ! Tu regrettes ce temps !
+
+-- Je le regrette, monsieur Starr, répondit Harry. Le travail était
+dur, mais il intéressait, comme toute lutte.
+
+-- Sans doute, mon garçon ! La lutte de tous les instants, le danger
+des éboulements, des incendies, des inondations, des coups de grisou
+qui frappent comme la foudre ! Il fallait parer à ces périls ! Tu dis
+bien ! C'était la lutte, et, par conséquent, la vie émouvante !
+
+-- Les mineurs d'Alloa ont été plus favorisés que les mineurs
+d'Aberfoyle, monsieur Starr !
+
+-- Oui, Harry, répondit l'ingénieur.
+
+-- En vérité, s'écria le jeune homme, il est à regretter que tout le
+globe terrestre n'ait pas été uniquement composé de charbon ! Il y en
+aurait eu pour quelques millions d'années !
+
+-- Sans doute, Harry, mais il faut avouer, cependant, que la nature
+s'est montrée prévoyante en formant notre sphéroïde plus principalement
+de grès, de calcaire, de granit, que le feu ne peut consumer !
+
+-- Voulez-vous dire, monsieur Starr, que les humains auraient fini par
+brûler leur globe ?...
+
+-- Oui ! Tout entier, mon garçon, répondit l'ingénieur. La terre aurait
+passé jusqu'au dernier morceau dans les fourneaux des locomotives, des
+locomobiles, des steamers, des usines à gaz, et, certainement, c'est
+ainsi que notre monde eût fini un beau jour !
+
+-- Cela n'est plus à craindre, monsieur Starr. Mais aussi, les
+houillères s'épuiseront, sans doute, plus rapidement que ne
+l'établissent les statistiques !
+
+-- Cela arrivera, Harry, et, suivant moi, l'Angleterre a peut-être tort
+d'échanger son combustible contre l'or des autres nations !
+
+-- En effet, répondit Harry.
+
+-- Je sais bien, ajouta l'ingénieur, que ni l'hydraulique, ni
+l'électricité n'ont encore dit leur dernier mot, et qu'on utilisera
+plus complètement un jour ces deux forces. Mais n'importe ! La houille
+est d'un emploi très pratique et se prête facilement aux divers besoins
+de l'industrie ! Malheureusement, les hommes ne peuvent la produire à
+volonté ! Si les forêts extérieures repoussent incessamment sous
+l'influence de la chaleur et de l'eau, les forêts intérieures, elles,
+ne se reproduisent pas, et le globe ne se retrouvera jamais dans les
+conditions voulues pour les refaire ! »
+
+James Starr et son guide, tout en causant, avaient repris leur marche
+d'un pas rapide. Une heure après avoir quitté Callander, ils arrivaient
+à la fosse Dochart.
+
+Un indifférent lui-même eût été touché du triste aspect que présentait
+l'établissement abandonné. C'était comme le squelette de ce qui avait
+été si vivant autrefois.
+
+Dans un vaste cadre, bordé de quelques maigres arbres, le sol
+disparaissait encore sous la noire poussière du combustible minéral,
+mais on n'y voyait plus ni escarbilles, ni gailleteries, ni aucun
+fragment de houille. Tout avait été enlevé et consommé depuis longtemps.
+
+Sur une colline peu élevée, se découpait la silhouette d'une énorme
+charpente que le soleil et la pluie rongeaient lentement. Au sommet de
+cette charpente apparaissait une vaste molette ou roue de fonte, et
+plus bas s'arrondissaient ces gros tambours, sur lesquels s'enroulaient
+autrefois les câbles qui ramenaient les cages à la surface du sol.
+
+A l'étage inférieur, on reconnaissait la chambre délabrée des machines,
+autrefois si luisantes dans les parties du mécanisme faites d'acier ou
+de cuivre. Quelques pans de murs gisaient à terre au milieu de solives
+brisées et verdies par l'humidité. Des restes de balanciers auxquels
+s'articulait la tige des pompes d'éjuisement, des coussinets cassés ou
+encrassés, des pignons édentés, des engins de basculage renversés,
+quelques échelons fixés aux chevalets et figurant de grandes arêtes
+d'ichthyosaures, des rails portés sur quelque traverse rompue que
+soutenaient encore deux ou trois pilotis branlants, des tramways qui
+n'auraient pas résisté au poids d'un wagonnet vide, -- tel était
+l'aspect désolé de la fosse Dochart.
+
+La margelle des puits, aux pierres éraillées, disparaissait sous les
+mousses épaisses. Ici, on reconnaissait les vestiges d'une cage, là les
+restes d'un parc où s'emmagasinait le charbon, qui devait être trié
+suivant sa qualité ou sa grosseur. Enfin, débris de tonnes auxquelles
+pendait un bout de chaîne, fragments de chevalets gigantesques, tôles
+d'une chaudière éventrée, pistons tordus, longs balanciers qui se
+penchaient sur l'orifice des puits de pompes, passerelles tremblant au
+vent, ponceaux frémissant au pied, murailles lézardées, toits à demi
+effondrés qui dominaient des cheminées aux briques disjointes,
+ressemblant à ces canons modernes dont la culasse est frettée d'anneaux
+cylindriques, de tout cela il sortait une vive impression d'abandon, de
+misère, de tristesse, que n'offrent pas les ruines du vieux château de
+pierre, ni les restes d'une forteresse démantelée.
+
+« C'est une désolation ! » dit James Starr, en regardant le jeune homme
+qui ne répondit pas.
+
+Tous deux pénétrèrent alors sous l'appentis qui recouvrait l'orifice du
+puits Yarow, dont les échelles donnaient encore accès jusqu'aux
+galeries inférieures de la fosse.
+
+L'ingénieur se pencha sur l'orifice.
+
+De là s'épanchait autrefois le souffle puissant de l'air aspiré par les
+ventilateurs. C'était maintenant un abîme silencieux. Il semblait qu'on
+fût à la bouche de quelque volcan éteint.
+
+James Starr et Harry mirent pied sur le premier palier.
+
+A l'époque de l'exploitation, d'ingénieux engins desservaient certains
+puits des houillères d'Aberfoyle, qui, sous ce rapport, étaient
+parfaitement outillées : cages munies de parachutes automatiques,
+mordant sur des glissières en bois, échelles oscillantes, nommées «
+engine-men », qui, par un simple mouvement d'oscillation, permettaient
+aux mineurs de descendre sans danger ou de remonter sans fatigue.
+
+Mais ces appareils perfectionnés avaient été enlevés, depuis la
+cessation des travaux. Il ne restait au puits Yarow qu'une longue
+succession d'échelles, séparées par des paliers étroits de cinquante en
+cinquante pieds. Trente de ces échelles, ainsi placées bout à bout,
+permettaient de descendre jusqu'à la semelle de la galerie inférieure,
+à une profondeur de quinze cents pieds. C'était la seule voie de
+communication qui existât entre le fond de la fosse Dochart et le sol.
+Quant à l'aération, elle s'opérait par le puits Yarow, que les galeries
+faisaient communiquer avec un autre puits dont l'orifice s'ouvrait à un
+niveau supérieur, -- l'air chaud se dégageant naturellement par cette
+espèce de siphon renversé.
+
+« Je te suis, mon garçon, dit l'ingénieur, en faisant signe au jeune
+homme de le précéder.
+
+-- A vos ordres, monsieur Starr.
+
+-- Tu as ta lampe ?
+
+-- Oui, et plût au Ciel que ce fût encore la lampe de sûreté dont nous
+nous servions autrefois !
+
+-- En effet, répondit James Starr, les coups de grisou ne sont plus à
+craindre maintenant ! »
+
+Harry n'était muni que d'une simple lampe à huile, dont il alluma la
+mèche. Dans la houillère, vide de charbon, les fuites du gaz hydrogène
+protocarboné ne pouvaient plus se produire. Donc, aucune explosion à
+redouter, et nulle nécessité d'interposer entre la flamme et l'air
+ambiant cette toile métallique qui empêche le gaz de prendre feu à
+l'extérieur. La lampe de Davy, si perfectionnée alors, ne trouvait plus
+ici son emploi. Mais si le danger n'existait pas, c'est que la cause en
+avait disparu, et, avec cette cause, le combustible qui faisait
+autrefois la richesse de la fosse Dochart.
+
+Harry descendit les premiers échelons de l'échelle supérieure. James
+Starr le suivit. Tous deux se trouvèrent bientôt dans une obscurité
+profonde que rompait seul l'éclat de la lampe. Le jeune homme l'élevait
+au-dessus de sa tête, afin de mieux éclairer son compagnon.
+
+Une dizaine d'échelles furent descendues par l'ingénieur et son guide
+de ce pas mesuré habituel au mineur. Elles étaient encore en bon état.
+
+James Starr observait curieusement ce que l'insuffisante lueur lui
+laissait apercevoir des parois du sombre puits, qu'un cuvelage en bois,
+à demi pourri, revêtait encore.
+
+Arrivés au quinzième palier, c'est-à-dire à mi-chemin, ils firent halte
+pour quelques instants.
+
+« Décidément, je n'ai pas tes jambes, mon garçon, dit l'ingénieur en
+respirant longuement, mais enfin, cela va encore !
+
+-- Vous êtes solide, monsieur Starr, répondit Harry, et c'est quelque
+chose, voyez-vous, que d'avoir longtemps vécu dans la mine.
+
+-- Tu as raison, Harry. Autrefois, lorsque j'avais vingt ans, j'aurais
+descendu tout d'une haleine. Allons, en route ! »
+
+Mais, au moment où tous deux allaient quitter le palier, une voix,
+encore éloignée, se fit entendre dans les profondeurs du puits. Elle
+arrivait comme une onde sonore qui se gonfle progressivement, et elle
+devenait de plus en plus distincte.
+
+« Eh ! qui vient là ? demanda l'ingénieur en arrêtant Harry.
+
+-- Je ne pourrais le dire, répondit le jeune mineur.
+
+-- Ce n'est pas le vieux père ?...
+
+-- Lui ! monsieur Starr, non.
+
+-- Quelque voisin, alors ?...
+
+-- Nous n'avons pas de voisins au fond de la fosse, répondit Harry.
+Nous sommes seuls, bien seuls.
+
+-- Bon ! laissons passer cet intrus, dit James Starr. C'est à ceux qui
+descendent de céder le pas à ceux qui montent. »
+
+Tous deux attendirent.
+
+La voix résonnait en ce moment avec un magnifique éclat, comme si elle
+eût été portée par un vaste pavillon acoustique, et bientôt quelques
+paroles d'une chanson écossaise arrivèrent assez nettement aux oreilles
+du jeune mineur.
+
+« La chanson des lacs ! s'écria Harry. Ah ! je serais bien surpris si
+elle s'échappait d'une autre bouche que de celle de Jack Ryan.
+
+-- Et qu'est-ce, ce Jack Ryan, qui chante d'une si superbe façon ?
+demanda James Starr.
+
+-- Un ancien camarade de la houillère », répondit Harry.
+
+Puis, se pendant au-dessus du palier :
+
+« Eh ! Jack ! cria-t-il.
+
+-- C'est toi, Harry ? fut-il répondu. Attends-moi, j'arrive. »
+
+Et la chanson reprit de plus belle.
+
+Quelques instants après, un grand garçon de vingt-cinq ans, la figure
+gaie, les yeux souriants, la bouche joyeuse, la chevelure d'un blond
+ardent, apparaissait au fond du cône lumineux que projetait sa
+lanterne, et il prenait pied sur le palier de la quinzième échelle.
+
+Son premier acte fut de serrer vigoureusement la main que venait de lui
+tendre Harry.
+
+« Enchanté de te rencontrer ! s'écria-t-il. Mais, saint Mungo me
+protège ! si j'avais su que tu revenais à terre aujourd'hui, je me
+serais bien épargné cette descente au puits Yarow !
+
+-- Monsieur James Starr, dit alors Harry, en tournant sa lampe vers
+l'ingénieur, qui était resté dans l'ombre.
+
+-- Monsieur Starr ! répondit Jack Ryan. Ah ! monsieur l'ingénieur, je
+ne vous aurais pas reconnu. Depuis que j'ai quitté la fosse, mes yeux
+ne sont plus habitués, comme autrefois, à voir dans l'obscurité.
+
+-- Et moi, je me rappelle maintenant un gamin qui chantait toujours.
+voilà bien dix ans de cela, mon garçon ! C'était toi, sans doute ?
+
+-- Moi-même, monsieur Starr, et, en changeant de métier, je n'ai pas
+changé d'humeur, voyez-vous ? Bah ! rire et chanter, cela vaut mieux,
+j'imagine, que pleurer et geindre !
+
+-- Sans doute, Jack Ryan. -- Et que fais-tu, depuis que tu as quitté la
+mine ?
+
+-- Je travaille à la ferme de Melrose, près d'Irvine, dans le comté de
+Renfrew, à quarante milles d'ici. Ah ! ça ne vaut pas nos houillères
+d'Aberfoyle ! Le pic allait mieux à ma main que la bêche ou l'aiguillon
+! Et puis, dans la vieille fosse, il y avait des coins sonores, des
+échos joyeux qui vous renvoyaient gaillardement vos chansons, tandis
+que là-haut !... Mais vous allez donc rendre visite au vieux Simon,
+monsieur Starr ?
+
+-- Oui, Jack, répondit l'ingénieur.
+
+-- Que je ne vous retarde pas...
+
+-- Dis-moi, Jack, demanda Harry, quel motif t'a amené au cottage
+aujourd'hui ?
+
+-- Je voulais te voir, camarade, répondit Jack Ryan, et t'inviter à la
+fête du clan d'Irvine. Tu sais, je suis le « piper [1*] » de l'endroit
+! On chantera, on dansera !
+
+-- Merci, Jack, mais cela m'est impossible.
+
+-- Impossible ?
+
+-- Oui, la visite de M. Starr peut se prolonger, et je dois le
+reconduire à Callander.
+
+-- Eh ! Harry, la fête du clan d'Irvine n'arrive que dans huit jours.
+D'ici là, la visite de M. Starr sera terminée, je suppose, et rien ne
+te retiendra plus au cottage !
+
+-- En effet, Harry, répondit James Starr. Il faut profiter de
+l'invitation que te fait ton camarade Jack !
+
+-- Eh bien, j'accepte, Jack, dit Harry. Dans huit jours, nous nous
+retrouverons à la fête d'Irvine.
+
+-- Dans huit jours, c'est bien convenu, répondit Jack Ryan. Adieu,
+Harry ! votre serviteur, monsieur Starr ! Je suis très content de vous
+avoir revu ! Je pourrai donner de vos nouvelles aux amis. Personne ne
+vous a oublié, monsieur l'ingénieur.
+
+-- Et je n'ai oublié personne, dit James Starr.
+
+-- Merci pour tous, monsieur, répondit Jack Ryan.
+
+-- Adieu, Jack ! » dit Harry, en serrant une dernière fois la main de
+son camarade.
+
+Et Jack Ryan, reprenant sa chanson, disparut bientôt dans les hauteurs
+du puits, vaguement éclairées par sa lampe.
+
+Un quart d'heure après, James Starr et Harry descendaient la dernière
+échelle, et mettaient le pied sur le sol du dernier étage de la fosse.
+
+Autour du rond-point que formait le fond du puits Yarow rayonnaient
+diverses galeries qui avaient servi à l'exploitation du dernier filon
+carbonifère de la mine. Elles s'enfonçaient dans le massif de schistes
+et de grès, les unes étançonnées par des trapèzes de grosses poutres à
+peine équarries, les autres doublées d'un épais revêtement de pierre.
+Partout des remblais remplaçaient les veines dévorées par
+l'exploitation. Les piliers artificiels étaient faits de pierres
+arrachées aux carrières voisines, et maintenant ils supportaient le
+sol, c'est-à-dire le double étage des terrains tertiaires et
+quaternaires, qui reposaient autrefois sur le gisement même.
+L'obscurité emplissait alors ces galeries, jadis éclairées soit par la
+lampe du mineur soit par la lumière électrique, dont, pendant les
+dernières années, l'emploi avait été introduit dans les fosses. Mais
+les sombres tunnels ne résonnaient plus du grincement des wagonnets
+roulant sur leurs rails, ni du bruit des portes d'air qui se
+refermaient brusquement, ni des éclats de voix des rouleurs, ni du
+hennissement des chevaux et des mules, ni des coups de pic de
+l'ouvrier, ni des fracas du foudroyage qui faisait éclater le massif.
+
+« Voulez-vous vous reposer un instant, monsieur Starr ? demanda le
+jeune homme.
+
+-- Non, mon garçon, répondit l'ingénieur, car j'ai hâte d'arriver au
+cottage du vieux Simon.
+
+-- Suivez-moi donc, monsieur Starr. Je vais vous guider, et, cependant,
+je suis sûr que vous reconnaîtriez parfaitement votre route dans cet
+obscur dédale des galeries.
+
+-- Oui, certes ! J'ai encore dans la tête tout le plan de la vieille
+fosse. »
+
+Harry, suivi de l'ingénieur et levant sa lampe pour le mieux éclairer,
+s'enfonça dans une haute galerie, semblable à une contre-nef de
+cathédrale. Leur pied, à tous deux, heurtait encore les traverses de
+bois qui supportaient les rails à l'époque de l'exploitation.
+
+Mais à peine avaient-ils fait cinquante pas, qu'une énorme pierre vint
+tomber aux pieds de James Starr.
+
+« Prenez garde, monsieur Starr ! s'écria Harry, en saisissant le bras
+de l'ingénieur.
+
+-- Une pierre, Harry ! Ah ! ces vieilles voûtes ne sont plus assez
+solides, sans doute, et...
+
+-- Monsieur Starr, répondit Harry Ford, il me semble que la pierre a
+été jetée... et jetée par une main d'homme !...
+
+-- Jetée ! s'écria James Starr. Que veux-tu dire, mon garçon ?
+
+-- Rien, rien... monsieur Starr, répondit évasivement Harry, dont le
+regard, devenu sérieux, aurait voulu percer ces épaisses murailles.
+Continuons notre route. Prenez mon bras, je vous prie, et n'ayez aucune
+crainte de faire un faux pas.
+
+-- Me voilà, Harry ! »
+
+Et tous deux s'avancèrent, pendant qu'Harry regardait en arrière, en
+projetant l'éclat de sa lampe dans les profondeurs de la galerie.
+
+« Serons-nous bientôt arrivés ? demanda l'ingénieur.
+
+-- Dans dix minutes au plus.
+
+-- Bien.
+
+-- Mais, murmurait Harry, cela n'en est pas moins singulier. C'est la
+première fois que pareille chose m'arrive. Il a fallu que cette pierre
+vînt tomber juste au moment où nous passions !...
+
+-- Harry, il n'y a eu là qu'un hasard !
+
+-- Un hasard... répondit le jeune homme en secouant la tête. Oui... un
+hasard... »
+
+Harry s'était arrêté. Il écoutait.
+
+« Qu'y a-t-il, Harry ? demanda l'ingénieur.
+
+-- J'ai cru entendre marcher derrière nous », répondit le jeune mineur,
+qui prêta plus attentivement l'oreille.
+
+Puis :
+
+« Non ! je me serai trompé, dit-il. Appuyez-vous bien sur mon bras,
+monsieur Starr. Servez-vous de moi comme d'un bâton...
+
+-- Un bâton solide, Harry, répondit James Starr. Il n'en est pas de
+meilleur qu'un brave garçon tel que toi ! »
+
+Tous deux continuèrent à marcher silencieusement à travers la sombre
+nef.
+
+Souvent, Harry, évidemment préoccupé, se retournait, essayant de
+surprendre, soit un bruit éloigné, soit quelque lueur lointaine.
+
+Mais, derrière et devant lui, tout n'était que silence et ténèbres.
+
+[1] Le _piper_ est le joueur de cornemuse en Écosse.
+
+ V
+
+ La Famille Ford
+
+Dix minutes après, James Starr et Harry sortaient enfin de la galerie
+principale.
+
+Le jeune mineur et son compagnon étaient arrivés au fond d'une
+clairière, -- si toutefois ce mot peut servir à désigner une vaste et
+obscure excavation. Cette excavation, cependant, n'était pas absolument
+dépourvue de jour. Quelques rayons lui arrivaient par l'orifice d'un
+puits abandonné, qui avait été foncé dans les étages supérieurs.
+C'était par ce conduit que s'établissait le courant d'aération de la
+fosse Dochart. Grâce à sa moindre densité, l'air chaud de l'intérieur
+était entraîné vers le puits Yarow.
+
+Donc, un peu d'air et de clarté pénétrait à la fois à travers l'épaisse
+voûte de schiste jusqu'à la clairière.
+
+C'était là que Simon Ford habitait depuis dix ans, avec sa famille, une
+souterraine demeure, évidée dans le massif schisteux, à l'endroit même
+où fonctionnaient autrefois les puissantes machines, destinées à opérer
+la traction mécanique de la fosse Dochart.
+
+Telle était l'habitation -- à laquelle il donnait volontiers le nom de
+« cottage » --, où résidait le vieil overman. Grâce à une certaine
+aisance, due à une longue existence de travail, Simon Ford aurait pu
+vivre en plein soleil, au milieu des arbres, dans n'importe quelle
+ville du royaume; mais les siens et lui avaient préféré ne pas quitter
+la houillère, où ils étaient heureux, ayant mêmes idées, mêmes goûts.
+Oui ! il leur plaisait, ce cottage, enfoui à quinze cents pieds
+au-dessous du sol écossais. Entre autres avantages, il n'y avait pas à
+craindre que les agents du fisc, les « stentmaters » chargés d'établir
+la capitation, vinssent jamais y relancer ses hôtes !
+
+A cette époque, Simon Ford, l'ancien overman de la fosse Dochart,
+portait vigoureusement encore ses soixante-cinq ans. Grand, robuste,
+bien taillé, il eût été regardé comme l'un des plus remarquables «
+sawneys [1*] » du canton, qui fournissait tant de beaux hommes aux
+régiments de Highlanders.
+
+Simon Ford descendait d'une ancienne famille de mineurs, et sa
+généalogie remontait aux premiers temps où furent exploités les
+gisements carbonifères en Écosse.
+
+Sans rechercher archéologiquement si les Grecs et les Romains ont fait
+usage de la houille, si les Chinois utilisaient les mines de charbon
+bien avant l'ère chrétienne, sans discuter si réellement le combustible
+minéral doit son nom au maréchal ferrant Houillos, qui vivait en
+Belgique dans le XIIe siècle, on peut affirmer que les bassins de la
+Grande-Bretagne furent les premiers dont l'exploitation fut mise en
+cours régulier. Au XIe siècle, déjà, Guillaume le Conquérant partageait
+entre ses compagnons d'armes les produits du bassin de Newcastle. Au
+XIIIe siècle, une licence d'exploitation du « charbon marin » était
+concédée par Henri III. Enfin, vers la fin du même siècle, il est fait
+mention des gisements de l'Écosse et du pays de Galles.
+
+Ce fut vers ce temps que les ancêtres de Simon Ford pénétrèrent dans
+les entrailles du sol calédonien, pour n'en plus sortir, de père en
+fils. Ce n'étaient que de simples ouvriers. Ils travaillaient comme des
+forçats à l'extraction du précieux combustible. On croit même que les
+charbonniers mineurs, tout comme les sauniers de cette époque, étaient
+alors de véritables esclaves. En effet, au XVIIIe siècle, cette opinion
+était si bien établie en Écosse, que, pendant la guerre du Prétendant,
+on put craindre que vingt mille mineurs de Newcastle ne se soulevassent
+pour reconquérir une liberté -- qu'ils ne croyaient pas avoir.
+
+Quoi qu'il en soit, Simon Ford était fier d'appartenir à cette grande
+famille des houilleurs écossais. Il avait travaillé de ses mains, là
+même où ses ancêtres avaient manié le pic, la pince, la rivelaine et la
+pioche. A trente ans, il était overman de la fosse Dochart, la plus
+importante des houillères d'Aberfoyle. Il aimait passionnément son
+métier. Pendant de longues années, il exerça ses fonctions avec zèle.
+Son seul chagrin était de voir la couche s'appauvrir et de prévoir
+l'heure très prochaine où le gisement serait épuisé.
+
+C'est alors qu'il s'était adonné à la recherche de nouveaux filons dans
+toutes les fosses d'Aberfoyle, qui communiquaient souterrainement entre
+elles. Il avait eu le bonheur d'en découvrir quelques-uns pendant la
+dernière période d'exploitation. Son instinct de mineur le servait
+merveilleusement, et l'ingénieur James Starr l'appréciait fort. On eût
+dit qu'il devinait les gisements dans les entrailles de la houillère,
+comme un hydroscope devine les sources sous la couche du sol.
+
+Mais le moment arriva, on l'a dit, où la matière combustible manqua
+tout à fait à la houillère. Les sondages ne donnèrent plus aucun
+résultat. Il fut évident que le gîte carbonifère était entièrement
+épuisé. L'exploitation cessa. Les mineurs se retirèrent.
+
+Le croira-t-on ? Ce fut un désespoir pour le plus grand nombre. Tous
+ceux qui savent que l'homme, au fond, aime sa peine, ne s'en étonneront
+pas. Simon Ford, sans contredit, fut le plus atteint. Il était, par
+excellence, le type du mineur, dont l'existence est indissolublement
+liée à celle de sa mine. Depuis sa naissance, il n'avait cessé de
+l'habiter, et, lorsque les travaux furent abandonnés, il voulut y
+demeurer encore. Il resta donc. Harry, son fils, fut chargé du
+ravitaillement de l'habitation souterraine; mais quant à lui, depuis
+dix ans, il n'était pas remonté dix fois à la surface du sol.
+
+« Aller là-haut ! A quoi bon ? » répétait-il, et il ne quittait pas son
+noir domaine.
+
+Dans ce milieu parfaitement sain, d'ailleurs, soumis à une température
+toujours moyenne, le vieil overman ne connaissait ni les chaleurs de
+l'été, ni les froids de l'hiver. Les siens se portaient bien. Que
+pouvait-il désirer de plus ?
+
+Au fond, il était sérieusement attristé. Il regrettait l'animation, le
+mouvement, la vie d'autrefois, dans la fosse si laborieusement
+exploitée. Cependant, il était soutenu par une idée fixe.
+
+« Non ! non ! la houillère n'est pas épuisée ! » répétait-il.
+
+Et celui-là se serait fait un mauvais parti, qui aurait mis en doute
+devant Simon Ford qu'un jour l'ancienne Aberfoyle ressusciterait
+d'entre les mortes ! Il n'avait donc jamais abandonné l'espoir de
+découvrir quelque nouvelle couche qui rendrait à la mine sa splendeur
+passée. Oui ! il aurait volontiers, s'il l'avait fallu, repris le pic
+du mineur, et ses vieux bras, solides encore, se seraient
+vigoureusement attaqués à la roche. Il allait donc à travers les
+obscures galeries, tantôt seul, tantôt avec son fils, observant,
+cherchant, pour rentrer chaque jour fatigué, mais non désespéré, au
+cottage.
+
+La digne compagne de Simon Ford, c'était Madge, grande et forte, la «
+goodwife », la « bonne femme », suivant l'expression écossaise. Pas
+plus que son mari, Madge n'eût voulu quitter la fosse Dochart. Elle
+partageait à cet égard toutes ses espérances et ses regrets. Elle
+l'encourageait, elle le poussait en avant, elle lui parlait avec une
+sorte de gravité, qui réchauffait le coeur du vieil overman.
+
+« Aberfoyle n'est qu'endormie, Simon, lui disait-elle. C'est toi qui as
+raison. Ce n'est qu'un repos, ce n'est pas la mort ! »
+
+Madge savait aussi se passer du monde extérieur et concentrer le
+bonheur d'une existence à trois dans le sombre cottage.
+
+Ce fut là qu'arriva James Starr.
+
+L'ingénieur était bien attendu. Simon Ford, debout sur sa porte, du
+plus loin que la lampe d'Harry lui annonça l'arrivée de son ancien «
+viewer », s'avança vers lui.
+
+« Soyez le bienvenu, monsieur James ! lui cria-t-il d'une voix qui
+résonnait sous la voûte du schiste. Soyez le bienvenu au cottage du
+vieil overman ! Pour être enfouie à quinze cents pieds sous terre, la
+maison de la famille Ford n'en est pas moins hospitalière !
+
+-- Comment allez-vous, brave Simon ? demanda James Starr, en serrant la
+main que lui tendait son hôte.
+
+-- Très bien, monsieur Starr. Et comment en serait-il autrement ici, à
+l'abri de toute intempérie de l'air ? vos ladies qui vont respirer à
+Newhaven ou à Porto-Bello [2*] , pendant l'été, feraient mieux de
+passer quelques mois dans la houillère d'Aberfoyle ! Elles ne
+risqueraient point d'y gagner quelque gros rhume, comme dans les rues
+humides de la vieille capitale.
+
+-- Ce n'est pas moi qui vous contredirai, Simon, répondit James Starr,
+heureux de retrouver l'overman tel qu'il était autrefois ! vraiment, je
+me demande pourquoi je ne change pas ma maison de la Canongate pour
+quelque cottage voisin du vôtre !
+
+-- A votre service, monsieur Starr. Je connais un de vos anciens
+mineurs qui serait particulièrement enchanté de n'avoir entre vous et
+lui qu'un mur mitoyen.
+
+-- Et Madge ?... demanda l'ingénieur.
+
+-- La bonne femme se porte encore mieux que moi, si cela est possible !
+répondit Simon Ford, et elle se fait une joie de vous voir à sa table.
+Je pense qu'elle se sera surpassée pour vous recevoir.
+
+-- Nous verrons cela, Simon, nous verrons cela ! dit l'ingénieur, que
+l'annonce d'un bon déjeuner ne pouvait laisser indifférent, après cette
+longue marche.
+
+-- Vous avez faim, monsieur Starr ?
+
+-- Positivement faim. Le voyage m'a ouvert l'appétit. Je suis venu par
+un temps affreux !...
+
+-- Ah ! il pleut, là-haut ! répondit Simon Ford d'un air de pitié très
+marqué.
+
+-- Oui, Simon, et les eaux du Forth sont agitées aujourd'hui comme
+celles d'une mer !
+
+-- Eh bien, monsieur James, ici, il ne pleut jamais. Mais je n'ai pas à
+vous peindre des avantages que vous connaissez aussi bien que moi !
+vous voilà arrivé au cottage. C'est le principal, et, je vous le
+répète, soyez le bienvenu ! »
+
+Simon Ford, suivi d'Harry, fit entrer dans l'habitation James Starr,
+qui se trouva au milieu d'une vaste salle, éclairée par plusieurs
+lampes, dont l'une était suspendue aux solives coloriées du plafond.
+
+La table, recouverte d'une nappe égayée de fraîches couleurs,
+n'attendait plus que les convives, auxquels quatre chaises, rembourrées
+de vieux cuir, étaient réservées.
+
+« Bonjour, Madge, dit l'ingénieur.
+
+-- Bonjour, monsieur James, répondit la brave Écossaise, qui se leva
+pour recevoir son hôte.
+
+-- Je vous revois avec plaisir, Madge.
+
+-- Et vous avez raison, monsieur James, car il est agréable de
+retrouver ceux pour lesquels on s'est toujours montré bon.
+
+-- La soupe attend, femme, dit alors Simon Ford, et il ne faut pas la
+faire attendre, non plus que M. James. Il a une faim de mineur, et il
+verra que notre garçon ne nous laisse manquer de rien au cottage ! -- A
+propos, Harry, ajouta le vieil overman en se retournant vers son fils,
+Jack Ryan est venu te voir.
+
+-- Je le sais, père ! Nous l'avons rencontré dans le puits Yarow.
+
+-- C'est un bon et gai camarade, dit Simon Ford. Mais il semble se
+plaire là-haut ! Ça n'avait pas du vrai sang de mineur dans les veines.
+-- A table, monsieur James, et déjeunons copieusement, car il est
+possible que nous ne puissions souper que fort tard. »
+
+Au moment où l'ingénieur et ses hôtes allaient prendre place :
+
+« Un instant, Simon, dit James Starr, voulez-vous que je mange de bon
+appétit ?
+
+-- Ce sera nous faire tout l'honneur possible, monsieur James, répondit
+Simon Ford.
+
+-- Eh bien, il faut pour cela n'avoir aucune préoccupation. -- Or, j'ai
+deux questions à vous adresser.
+
+-- Allez, monsieur James.
+
+-- Votre lettre me parle d'une communication qui doit être de nature à
+m'intéresser ?
+
+-- Elle est très intéressante, en effet.
+
+-- Pour vous ?...
+
+-- Pour vous et pour moi, monsieur James. Mais je désire ne vous la
+faire qu'après le repas et sur les lieux mêmes. Sans cela, vous ne
+voudriez pas me croire.
+
+-- Simon, reprit l'ingénieur, regardez-moi bien... là... dans les yeux.
+Une communication intéressante ?... Oui... Bon !... Je ne vous en
+demande pas davantage, ajouta-t-il, comme s'il eût lu la réponse qu'il
+espérait dans le regard du vieil overman.
+
+-- Et la deuxième question ? demanda celui-ci.
+
+-- Savez-vous, Simon, quelle est la personne qui a pu m'écrire ceci ? »
+répondit l'ingénieur, en présentant la lettre anonyme qu'il avait reçue.
+
+Simon Ford prit la lettre, et il la lut très attentivement.
+
+Puis, la montrant à son fils :
+
+« Connais-tu cette écriture ? dit-il.
+
+-- Non, père, répondit Harry.
+
+-- Et cette lettre était timbrée du bureau de poste d'Aberfoyle ?
+demanda Simon Ford à l'ingénieur.
+
+-- Oui, comme la vôtre, répondit James Starr.
+
+-- Que penses-tu de cela, Harry ? dit Simon Ford, dont le front
+s'assombrit un instant.
+
+-- Je pense, père, répondit Harry, que quelqu'un a eu un intérêt
+quelconque à empêcher M. James Starr de venir au rendez-vous que vous
+lui donniez.
+
+-- Mais qui ? s'écria le vieux mineur. Qui donc a pu pénétrer assez
+avant dans le secret de ma pensée ?... »
+
+Et Simon Ford, pensif, tomba dans une rêverie dont la voix de Madge le
+tira bientôt.
+
+« Asseyons-nous, monsieur Starr, dit-elle. La soupe va refroidir. Pour
+le moment, ne songeons plus à cette lettre ! »
+
+Et, sur l'invitation de la vieille femme, chacun prit place à la table
+-- James Starr vis-à-vis de Madge, pour lui faire honneur --, le père
+et le fils l'un vis-à-vis de l'autre.
+
+Ce fut un bon repas écossais. Et, d'abord, on mangea d'un « hotchpotch
+», soupe dont la viande nageait au milieu d'un excellent bouillon. Au
+dire du vieux Simon, sa compagne ne connaissait pas de rivale dans
+l'art de préparer le hotchpotch.
+
+Il en était de même, d'ailleurs, du « cockyleeky », sorte de ragoût de
+coq, accommodé aux poireaux, qui ne méritait que des éloges.
+
+Le tout fut arrosé d'une excellente ale, puisée aux meilleurs brassins
+des fabriques d'Édimbourg.
+
+Mais le plat principal consista en un « haggis », pouding national,
+fait de viandes et de farine d'orge. Ce mets remarquable, qui inspira
+au poète Burns l'une de ses meilleures odes, eut le sort réservé aux
+belles choses de ce monde : il passa comme un rêve.
+
+Madge reçut les sincères compliments de son hôte.
+
+Le déjeuner se termina par un dessert composé de fromage et de « cakes
+», gâteaux d'avoine, finement préparés, accompagnés de quelques petits
+verres « d'usquebaugh », excellente eau-de-vie de grains, qui avait
+vingt-cinq ans, -- juste l'âge d'Harry.
+
+Ce repas dura une bonne heure. James Starr et Simon Ford n'avaient pas
+seulement bien mangé, ils avaient aussi bien causé,-- principalement du
+passé de la vieille houillère d'Aberfoyle.
+
+Harry, lui, était plutôt resté silencieux. Deux fois il avait quitté la
+table et même la maison. Il était évident qu'il éprouvait quelque
+inquiétude depuis l'incident de la pierre, et il voulait observer les
+alentours du cottage. La lettre anonyme n'était pas faite, non plus,
+pour le rassurer.
+
+Ce fut pendant une de ces sorties que l'ingénieur dit à Simon Ford et
+Madge :
+
+« Un brave garçon que vous avez là, mes amis !
+
+-- Oui, monsieur James, un être bon et dévoué, répondit vivement le
+vieil overman.
+
+-- Il se plaît avec vous, au cottage ?
+
+-- Il ne voudrait pas nous quitter.
+
+-- Vous songerez à le marier, cependant ?
+
+-- Marier Harry ! s'écria Simon Ford. Et à qui ? A une fille de
+là-haut, qui aimerait les fêtes, la danse, qui préférerait son clan à
+notre houillère ! Harry n'en voudrait pas !
+
+-- Simon, répondit Madge, tu n'exigeras pourtant pas que jamais notre
+Harry ne prenne femme...
+
+-- Je n'exigerai rien, répondit le vieux mineur, mais cela ne presse
+pas ! Qui sait si nous ne lui trouverons point... »
+
+Harry rentrait en ce moment, et Simon Ford se tut.
+
+Lorsque Madge se leva de table, tous l'imitèrent et vinrent s'asseoir
+un instant à la porte du cottage.
+
+« Eh bien, Simon, dit l'ingénieur, je vous écoute !
+
+-- Monsieur James, répondit Simon Ford, je n'ai pas besoin de vos
+oreilles, mais de vos jambes. -- Vous êtes-vous bien reposé ?
+
+-- Bien reposé et bien refait, Simon. Je suis prêt à vous accompagner
+partout où il vous plaira.
+
+-- Harry, dit Simon Ford, en se retournant vers son fils, allume nos
+lampes de sûreté.
+
+-- Vous prenez des lampes de sûreté ! s'écria James Starr, assez
+surpris, puisque les explosions de grisou n'étaient plus à craindre
+dans une fosse absolument vide de charbon.
+
+-- Oui, monsieur James, par prudence !
+
+-- N'allez-vous pas aussi, mon brave Simon, me proposer de revêtir un
+habit de mineur ?
+
+-- Pas encore, monsieur James ! pas encore ! » répondit le vieil
+overman, dont les yeux brillaient singulièrement sous leurs profondes
+orbites.
+
+Harry, qui était rentré dans le cottage, en ressortit presque aussitôt,
+rapportant trois lampes de sûreté.
+
+Harry remit une de ces lampes à l'ingénieur, l'autre à son père, et il
+garda la troisième suspendue à sa main gauche, pendant que sa main
+droite s'armait d'un long bâton.
+
+« En route ! dit Simon Ford, qui prit un pic solide, déposé à la porte
+du cottage.
+
+-- En route ! répondit l'ingénieur. -- Au revoir Madge !
+
+-- Dieu vous assiste ! répondit l'Écossaise.
+
+-- Un bon souper, femme, tu entends, s'écria Simon Ford. Nous aurons
+faim à notre retour, et nous lui ferons honneur ! »
+
+[1] Le sawney, c'est l'Écossais, comme John Bull est l'Anglais, et
+Paddy l'Irlandais.
+
+[2] Stations balnéaires des environs d'Édimbourg.
+
+ VI
+
+ Quelques phénomènes inexplicables
+
+On sait ce que sont les croyances superstitieuses dans les hautes et
+basses terres de l'Écosse. En certains clans, les tenanciers du laird,
+réunis pour la veillée, aiment à redire les contes empruntés au
+répertoire de la mythologie hyperboréenne. L'instruction, quoique
+largement et libéralement répandue dans le pays, n'a pas pu réduire
+encore à l'état de fictions ces légendes, qui semblent inhérentes au
+sol même de la vieille Calédonie. C'est encore le pays des esprits et
+des revenants, des lutins et des fées. Là apparaissent toujours le
+génie malfaisant qui ne s'éloigne que moyennant finances, le « Seer »
+des Highlanders, qui, par un don de seconde vue, prédit les morts
+prochaines, le « May Moullach », qui se montre sous la forme d'une
+jeune fille aux bras velus et prévient les familles des malheurs dont
+elles sont menacées, la fée « Branshie », qui annonce les événements
+funestes, les « Brawnies », auxquels est confiée la garde du mobilier
+domestique, l'« Urisk », qui fréquente plus particulièrement les gorges
+sauvages du lac Katrine, -- et tant d'autres.
+
+Il va de soi que la population des houillères écossaises devait fournir
+son contingent de légendes et de fables à ce répertoire mythologique.
+Si les montagnes des Hautes-Terres sont peuplées d'êtres chimériques,
+bons ou mauvais, à plus forte raison les sombres houillères
+devaient-elles être hantées jusque dans leurs dernières profondeurs.
+Qui fait trembler le gisement pendant les nuits d'orage, qui met sur la
+trace du filon encore inexploité, qui allume le grisou et préside aux
+explosions terribles, sinon quelque génie de la mine ? C'était, du
+moins, l'opinion communément répandue parmi ces superstitieux Écossais.
+En vérité, la plupart des mineurs croyaient volontiers au fantastique,
+quand il ne s'agissait que de phénomènes purement physiques, et on eût
+perdu son temps à vouloir les désabuser. Où la crédulité se fût-elle
+développée plus librement qu'au fond de ces abîmes ?
+
+Or, les houillères d'Aberfoyle, précisément parce qu'elles étaient
+exploitées dans le pays des légendes, devaient se prêter plus
+naturellement à tous les incidents du surnaturel.
+
+Donc les légendes y abondaient. Il faut dire, d'ailleurs, que certains
+phénomènes, inexpliqués jusqu'alors, ne pouvaient que fournir un nouvel
+aliment à la crédulité publique.
+
+Au premier rang des superstitieux de la fosse Dochart, figurait Jack
+Ryan, le camarade d'Harry. C'était le plus grand partisan du surnaturel
+qui fût. Toutes ces fantastiques histoires, il les transformait en
+chansons, qui lui valaient de beaux succès pendant les veillées d'hiver.
+
+Mais Jack Ryan n'était pas le seul à faire montre de sa crédulité. Ses
+camarades affirmaient, non moins hautement, que les fosses d'Aberfoyle
+étaient hantées, que certains êtres insaisissables y apparaissaient
+fréquemment, comme cela arrivait dans les Hautes-Terres. A les
+entendre, ce qui même aurait été extraordinaire, c'eût été qu'il n'en
+fût pas ainsi. Est-il donc, en effet, un milieu mieux disposé qu'une
+sombre et profonde houillère pour les ébats des génies, des lutins, des
+follets et autres acteurs des drames fantastiques ? Le décor était tout
+dressé, pourquoi les personnages surnaturels n'y seraient pas venus
+jouer leur rôle ?
+
+Ainsi raisonnaient Jack Ryan et ses camarades des houillères
+d'Aberfoyle. On a dit que les différentes fosses communiquaient entre
+elles par les longues galeries souterraines, ménagées entre les filons.
+Il existait ainsi sous le comté de Stirling un énorme massif, sillonné
+de tunnels, troué de caves, foré de puits, une sorte d'hypogée, de
+labyrinthe subterrané, qui offrait l'aspect d'une vaste fourmilière.
+
+Les mineurs des divers fonds se rencontraient donc souvent, soit
+lorsqu'ils se rendaient sur les travaux d'exploitation, soit lorsqu'ils
+en revenaient. De là, une facilité constante d'échanger des propos et
+de faire circuler d'une fosse à l'autre les histoires qui tiraient leur
+origine de la houillère. Les récits se transmettaient ainsi avec une
+rapidité merveilleuse, passant de bouche en bouche et s'accroissant
+comme il convient.
+
+Cependant, deux hommes plus instruits et de tempérament plus positif
+que les autres, avaient toujours résisté à cet entraînement. Ils
+n'admettaient à aucun degré l'intervention des lutins, des génies ou
+des fées.
+
+C'étaient Simon Ford et son fils. Et ils le prouvèrent bien en
+continuant d'habiter la sombre crypte, après l'abandon de la fosse
+Dochart. Peut-être la bonne Madge avait-elle quelque penchant au
+surnaturel, comme toute Écossaise des Hautes-Terres. Mais ces histoires
+d'apparitions, elle était réduite à se les raconter à elle-même, -- ce
+qu'elle faisait consciencieusement, d'ailleurs, pour ne point perdre
+les vieilles traditions.
+
+Simon et Harry Ford eussent-ils été aussi crédules que leurs camarades,
+ils n'auraient abandonné la houillère ni aux génies, ni aux fées.
+L'espoir de découvrir un nouveau filon leur eût fait braver toute la
+fantastique cohorte des lutins. Ils n'étaient crédules, ils n'étaient
+croyants que sur un point : ils ne pouvaient admettre que le gisement
+carbonifère d'Aberfoyle fût totalement épuisé. On peut dire, avec
+quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient à ce sujet « la
+foi du charbonnier », cette foi en Dieu que rien ne peut ébranler.
+
+C'est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstinés,
+immuables dans leurs convictions, le père et le fils prenaient leur
+pic, leur bâton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux,
+cherchant, tâtant la roche d'un coup sec, écoutant si elle rendait un
+son favorable.
+
+Tant que les sondages n'auraient pas été poussés jusqu'au granit du
+terrain primaire, Simon et Harry Ford étaient d'accord que la
+recherche, inutile aujourd'hui, pouvait être utile demain, et qu'elle
+devait être reprise. Leur vie entière, ils la passeraient à essayer de
+rendre à la houillère d'Aberfoyle son ancienne prospérité. Si le père
+devait succomber avant l'heure de la réussite, le fils reprendrait la
+tâche à lui seul.
+
+En même temps, ces deux gardiens passionnés de la houillère la
+visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s'assuraient de la
+solidité des remblais et des voûtes. Ils recherchaient si un éboulement
+était à craindre, et s'il devenait urgent de condamner quelque partie
+de la fosse. Ils examinaient les traces d'infiltration des eaux
+supérieures, ils les dérivaient, ils les canalisaient pour les envoyer
+à quelque puisard. Enfin, ils s'étaient volontairement constitués les
+protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel étaient
+sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fumées !
+
+Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu'il arriva à Harry,
+plus particulièrement, d'être frappé de certains phénomènes, dont il
+cherchait en vain l'explication.
+
+Ainsi, plusieurs fois, lorsqu'il suivait quelque étroite contre
+galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues à ceux qu'auraient
+pu produire de violents coups de pic, frappés sur la paroi remblayée.
+
+Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer,
+avait pressé le pas pour surprendre la cause de ce mystérieux travail.
+
+Le tunnel était désert. La lampe du jeune mineur, promenée sur la
+paroi, n'avait laissé voir aucune trace récente de coups de pince ou de
+pic. Harry se demandait donc s'il n'était pas le jouet d'une illusion
+d'acoustique, de quelque bizarre ou fantasque écho.
+
+D'autres fois, en projetant subitement une vive lumière vers une
+anfractuosité suspecte, il avait cru voir passer une ombre. Il s'était
+élancé... Rien, alors même qu'aucune issue n'eût permis à un être
+humain de se dérober à sa poursuite !
+
+A deux reprises depuis un mois, Harry, visitant la partie ouest de la
+fosse, entendit distinctement des détonations lointaines, comme si
+quelque mineur eût fait éclater une cartouche de dynamite.
+
+La dernière fois, après de minutieuses recherches, il avait reconnu
+qu'un pilier venait d'être éventré par un coup de mine.
+
+A la clarté de sa lampe, Harry examina attentivement la paroi attaquée
+par la mine. Elle n'était point faite d'un simple remblayage de
+pierres, mais d'un pan de schiste, qui avait pénétré à cette profondeur
+dans l'étage du gisement houiller. Le coup de mine avait-il eu pour
+objet de provoquer la découverte d'un nouveau filon ? N'avait-on voulu
+que produire un éboulement de cette portion de la houillère ? C'est ce
+que se demanda Harry, et, quand il fit connaître ce fait à son père, ni
+le vieil overman, ni lui ne purent résoudre la question d'une façon
+satisfaisante.
+
+« C'est singulier, répétait souvent Harry. La présence dans la mine
+d'un être inconnu semble impossible, et, cependant, elle ne peut être
+mise en doute ! Un autre que nous voudrait-il donc chercher s'il
+n'existe pas encore quelque veine exploitable ? Ou plutôt, ne
+tenterait-il pas d'anéantir ce qui reste des houillères d'Aberfoyle ?
+Mais dans quel but ? Je le saurai, quand il devrait m'en coûter la vie
+! »
+
+Quinze jours avant cette journée, pendant laquelle Harry Ford guidait
+l'ingénieur à travers le dédale de la fosse Dochart, il s'était vu sur
+le point d'atteindre le but de ses recherches.
+
+Il parcourait l'extrémité du sud-ouest de la houillère, un puissant
+fanal à la main.
+
+Tout à coup, il lui sembla qu'une lumière venait de s'éteindre, à
+quelques centaines de pieds devant lui, au fond d'une étroite cheminée,
+qui coupait obliquement le massif. Il se précipita vers la lueur
+suspecte...
+
+Recherche inutile. Comme Harry n'admettait pas pour les choses
+physiques d'explication surnaturelle, il en conclut que, certainement,
+un être inconnu rôdait dans la fosse. Mais, quoi qu'il fît, cherchant
+avec le plus extrême soin, scrutant les moindres anfractuosités de la
+galerie, il en fut pour sa peine, et ne put arriver à une certitude
+quelconque.
+
+Harry s'en remit donc au hasard pour lui dévoiler ce mystère. De loin
+en loin, il vit encore apparaître des lueurs qui voltigeaient d'un
+point à l'autre comme des feux de Saint-Elme; mais leur apparition
+n'avait que la durée d'un éclair et il fallut renoncer à en découvrir
+la cause.
+
+Si Jack Ryan et les autres superstitieux de la houillère eussent aperçu
+ces flammes fantastiques, ils n'auraient certainement pas manqué de
+crier au surnaturel !.
+
+Mais Harry n'y songeait même pas. Le vieux Simon non plus. Et lorsque
+tous deux causaient de ces phénomènes, dus évidemment à une cause
+purement physique :
+
+« Mon garçon, répondait le vieil overman, attendons ! Tout cela
+s'expliquera quelque jour ! »
+
+Toutefois, il faut observer que jamais, jusqu'alors, ni Harry, ni son
+père n'avaient été en butte à un acte de violence.
+
+Si la pierre, tombée ce jour même aux pieds de James Starr, avait été
+lancée par la main d'un malfaiteur, c'était le premier acte criminel de
+ce genre.
+
+James Starr, interrogé, fut d'avis que cette pierre s'était détachée de
+la voûte de la galerie. Mais Harry n'admit pas une explication si
+simple. La pierre, suivant lui, n'était pas tombée, elle avait été
+lancée. A moins de rebondir, elle n'eût jamais décrit une trajectoire,
+si elle n'eût été mue par une impulsion étrangère.
+
+Harry voyait donc là une tentative directe contre lui et son père, ou
+même contre l'ingénieur. Après ce qu'on sait, peut-être conviendra-t-on
+qu'il était fondé à le croire.
+
+ VII
+
+ Une expérience de Simon Ford
+
+Midi sonnait à la vieille horloge de bois de la salle, lorsque James
+Starr et ses deux compagnons quittèrent le cottage.
+
+La lumière, pénétrant à travers le puits d'aération, éclairait
+vaguement la clairière. La lampe d'Harry eût été inutile alors, mais
+elle ne devait pas tarder à servir, car c'était vers l'extrémité même
+de la fosse Dochart que le vieil overman allait conduire l'ingénieur.
+
+Après avoir suivi sur un espace de deux milles la galerie principale,
+les trois explorateurs -- on verra qu'il s'agissait d'une exploration
+-- arrivèrent à l'orifice d'un étroit tunnel. C'était comme une
+contre-nef dont la voûte reposait sur un boisage, tapissé d'une mousse
+blanchâtre. Elle suivait à peu près la ligne que traçait, à quinze
+cents pieds au-dessus, le haut cours du Forth.
+
+Pour le cas où James Starr eût été moins familiarisé qu'autrefois avec
+le dédale de la fosse Dochart, Simon Ford lui rappelait les
+dispositions du plan général, en les comparant au tracé géographique du
+sol.
+
+James Starr et Simon Ford marchaient donc en causant.
+
+En avant, Harry éclairait la route. Il cherchait, en projetant
+brusquement de vifs éclats lumineux vers les sombres anfractuosités, à
+découvrir quelque ombre suspecte.
+
+« Irons-nous loin ainsi, vieux Simon ? demanda l'ingénieur.
+
+-- Encore un demi-mille, monsieur James ! Autrefois, nous aurions fait
+cette route en berline, sur les tramways à traction mécanique ! Mais
+que ces temps sont loin !
+
+-- Nous nous dirigeons donc vers l'extrémité du dernier filon ? demanda
+James Starr.
+
+-- Oui. ! Je vois que vous connaissez encore bien la mine.
+
+-- Eh ! Simon, répondit l'ingénieur, il serait difficile d'aller plus
+loin, si je ne me trompe ?
+
+-- En effet, monsieur James. C'est là que nos rivelaines ont arraché le
+dernier morceau de houille du gisement ! Je me le rappelle comme si j'y
+étais encore ! C'est moi qui ai donné ce dernier coup, et il a retenti
+dans ma poitrine plus violemment que sur la roche ! Tout n'était plus
+que grès ou schiste autour de nous, et, quand le wagonnet a roulé vers
+le puits d'extraction, je l'ai suivi, le coeur ému, comme on suit
+un convoi de pauvre ! Il me semblait que c'était l'âme de la mine qui
+s'en allait avec lui ! »
+
+La gravité avec laquelle le vieil overman prononça ces paroles
+impressionna l'ingénieur, bien près de partager de tels sentiments. Ce
+sont ceux du marin qui abandonne son navire désemparé, ceux du laird
+qui voit abattre la maison de ses ancêtres !
+
+James Starr avait serré la main de Simon Ford. Mais, à son tour,
+celui-ci venait de prendre la main de l'ingénieur, et la pressant
+fortement :
+
+« Ce jour-là, nous nous étions tous trompés, dit-il. Non ! La vieille
+houillère n'était pas morte ! Ce n'était pas un cadavre que les mineurs
+allaient abandonner, et j'oserais affirmer, monsieur James, que son
+coeur bat encore !
+
+-- Parlez donc, Simon ! vous avez découvert un nouveau filon ? s'écria
+l'ingénieur, qui ne fut pas maître de lui. Je le savais bien ! votre
+lettre ne pouvait signifier autre chose ! Une communication à me faire,
+et cela dans la fosse Dochart ! Et quelle autre découverte que celle
+d'une couche carbonifère aurait pu m'intéresser ?...
+
+-- Monsieur James, répondit Simon Ford, je n'ai pas voulu prévenir un
+autre que vous...
+
+-- Et vous avez bien fait, Simon ! Mais dites-moi comment, par quels
+sondages, vous vous êtes assuré ?...
+
+-- Écoutez-moi, monsieur James, répondit Simon Ford. Ce n'est pas un
+gisement que j'ai retrouvé...
+
+-- Qu'est-ce donc ?
+
+-- C'est seulement la preuve matérielle que ce gisement existe.
+
+-- Et cette preuve ?
+
+-- Pouvez-vous admettre qu'il se dégage du grisou des entrailles du
+sol, si la houille n'est pas là pour le produire ?
+
+-- Non, certes ! répondit l'ingénieur. Pas de charbon, pas de grisou !
+Il n'y a pas d'effets sans cause...
+
+-- Comme il n'y a pas de fumée sans feu !
+
+-- Et vous avez constaté, à nouveau, la présence de l'hydrogène
+protocarboné ?...
+
+-- Un vieux mineur ne s'y laisserait pas prendre, répondit Simon Ford.
+J'ai reconnu là notre vieil ennemi, le grisou !
+
+-- Mais si c'était un autre gaz ! dit James Starr. Le grisou est
+presque sans odeur, il est sans couleur ! Il ne trahit véritablement sa
+présence que par l'explosion !...
+
+-- Monsieur James, répondit Simon Ford, voulez-vous me permettre de
+vous raconter ce que j'ai fait... et comment je l'ai fait... à ma
+façon, en excusant les longueurs ? »
+
+James Starr connaissait le vieil overman, et savait que le mieux était
+de le laisser aller.
+
+-- Monsieur James, reprit Simon Ford, depuis dix ans, il ne s'est pas
+passé un jour sans qu'Harry et moi, nous ayons songé à rendre à la
+houillère son ancienne prospérité, -- non, pas un jour ! S'il existait
+encore quelque gisement, nous étions décidés à le découvrir. Quels
+moyens employer ? Les sondages ? Cela ne nous était pas possible, mais
+nous avions l'instinct du mineur, et souvent on va plus droit au but
+par l'instinct que par la raison. -- Du moins, c'est mon idée...
+
+-- Que je ne contredis pas, répondit l'ingénieur.
+
+-- Or, voici ce qu'Harry avait une ou deux fois observé pendant ses
+excursions dans l'ouest de la houillère. Des feux, qui s'éteignaient
+soudain, apparaissaient quelquefois à travers le schiste ou le remblai
+des galeries extrêmes. Par quelle cause ces feux s'allumaient-ils ? Je
+ne pouvais et je ne puis le dire encore. Mais enfin, ces feux n'étaient
+évidemment dus qu'à la présence du grisou, et, pour moi, le grisou,
+c'était le filon de houille.
+
+-- Ces feux ne produisaient aucune explosion ? demanda vivement
+l'ingénieur.
+
+-- Si, de petites explosions partielles, répondit Simon Ford, et telles
+que j'en provoquai moi-même, lorsque je voulus constater la présence de
+ce grisou, vous vous souvenez de quelle manière on cherchait autrefois
+à prévenir les explosions dans les mines, avant que notre bon génie,
+Humphry Davy, eût inventé sa lampe de sûreté ?
+
+-- Oui, répondit James Starr. vous voulez parler du « pénitent » ? Mais
+je ne l'ai jamais vu dans l'exercice de ses fonctions.
+
+-- En effet, monsieur James, vous êtes trop jeune, malgré vos
+cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus
+que vous, j'ai vu fonctionner le dernier pénitent de la houillère. On
+l'appelait ainsi parce qu'il portait une grande robe de moine. Son nom
+vrai était le « fireman », l'homme du feu. A cette époque, on n'avait
+d'autre moyen de détruire le mauvais gaz qu'en le décomposant par de
+petites explosions, avant que sa légèreté l'eût amassé en trop grandes
+quantités dans les hauteurs des galeries. C'est pourquoi le pénitent,
+la face masquée, la tête encapuchonnée dans son épaisse cagoule, tout
+le corps étroitement serré dans sa robe de bure, allait en rampant sur
+le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l'air était pur, et,
+de sa main droite, il promenait, en l'élevant au-dessus de sa tête, une
+torche enflammée. Lorsque le grisou se trouvait répandu dans l'air de
+manière à former un mélange détonant, l'explosion se produisait sans
+être funeste, et, en renouvelant souvent cette opération, on parvenait
+à prévenir les catastrophes. Quelquefois, le pénitent, frappé d'un coup
+de grisou, mourait à la peine. Un autre le remplaçait. Ce fut ainsi
+jusqu'au moment où la lampe de Davy fut adoptée dans toutes les
+houillères. Mais je connaissais le procédé, et c'est en l'employant que
+j'ai reconnu la présence du grisou, et, par conséquent, celle d'un
+nouveau gisement carbonifère dans la fosse Dochart. »
+
+Tout ce que le vieil overman avait raconté du pénitent était
+rigoureusement exact. C'est ainsi que l'on procédait autrefois dans les
+houillères pour purifier l'air des galeries.
+
+Le grisou, autrement dit l'hydrogène protocarboné ou gaz des marais,
+incolore, presque inodore, ayant un pouvoir peu éclairant, est
+absolument impropre à la respiration. Le mineur ne saurait vivre dans
+un milieu rempli de ce gaz malfaisant, -- pas plus qu'on ne pourrait
+vivre au milieu d'un gazomètre plein de gaz d'éclairage. En outre, de
+même que celui-ci, qui est de l'hydrogène bicarboné, le grisou forme un
+mélange détonant, dès que l'air y entre dans une proportion de huit et
+peut-être même de cinq pour cent. L'inflammation de ce mélange se
+fait-elle par une cause quelconque, il y a explosion, presque toujours
+suivie d'épouvantables catastrophes.
+
+C'est à ce danger que pare l'appareil de Davy, en isolant la flamme des
+lampes dans un tube de toile métallique, qui brûle le gaz à l'intérieur
+du tube, sans jamais laisser l'inflammation se propager au-dehors.
+Cette lampe de sûreté a été perfectionnée de vingt façons. Si elle
+vient à se briser, elle s'éteint. Si, malgré les défenses formelles, le
+mineur veut l'ouvrir, elle s'éteint encore. Pourquoi donc les
+explosions se produisent-elles ? C'est que rien ne peut obvier à
+l'imprudence d'un ouvrier qui veut quand même allumer sa pipe, ni au
+choc de l'outil qui peut produire une étincelle.
+
+Toutes les houillères ne sont pas infectées par le grisou. Dans celles
+où il ne s'en produit pas, on autorise l'emploi de la lampe ordinaire.
+Telle est, entre autres, la fosse Thiers, aux mines d'Anzin. Mais,
+lorsque la houille du gisement exploité est grasse, elle renferme une
+certaine quantité de matières volatiles, et le grisou peut s'échapper
+avec une grande abondance. La lampe de sûreté seule est combinée de
+manière à empêcher des explosions d'autant plus terribles, que les
+mineurs qui n'ont pas été directement atteints par le coup de grisou,
+courent risque d'être instantanément asphyxiés dans les galeries
+remplies du gaz délétère, formé après l'inflammation, c'est-à-dire
+d'acide carbonique.
+
+Tout en marchant, Simon Ford apprit à l'ingénieur ce qu'il avait fait
+pour atteindre son but, comment il s'était assuré que le dégagement du
+grisou se faisait au fond même de l'extrême galerie de la fosse, dans
+sa portion occidentale, de quelle façon il avait provoqué à
+l'affleurement des feuillets de schistes quelques explosions
+partielles, ou plutôt certaines inflammations, qui ne laissaient aucun
+doute sur la nature du gaz, dont la fuite s'opérait à petite dose, mais
+d'une manière permanente.
+
+Une heure après avoir quitté le cottage, James Starr et ses deux
+compagnons avaient franchi une distance de quatre milles. L'ingénieur,
+entraîné par le désir et l'espoir, venait de faire ce trajet sans
+aucunement songer à sa longueur. Il réfléchissait à tout ce que lui
+disait le vieux mineur. Il pesait, mentalement, les arguments que
+celui-ci donnait en faveur de sa thèse. Il croyait, avec lui, que cette
+émission continue d'hydrogène protocarboné indiquait, avec certitude,
+l'existence d'un nouveau gisement carbonifère. Si ce n'eût été qu'une
+sorte de poche, pleine de gaz, comme il s'en rencontre quelquefois
+entre les feuillets, elle se fût promptement vidée, et le phénomène eût
+cessé de se produire. Mais loin de là. Au dire de Simon Ford,
+l'hydrogène se dégageait sans cesse, et l'on en pouvait conclure à
+l'existence de quelque important filon. Conséquemment, les richesses de
+la fosse Dochart pouvaient n'être pas entièrement épuisées. Toutefois,
+s'agissait-il d'une couche dont le rendement serait peu considérable,
+ou d'un gisement occupant un large étage du terrain houiller ? c'était
+là, véritablement, la grosse question.
+
+Harry, qui précédait son père et l'ingénieur, s'était arrêté.
+
+« Nous voici arrivés ! s'écria le vieux mineur. Enfin, grâce à Dieu,
+monsieur James, vous êtes là, et nous allons savoir... »
+
+La voix si ferme du vieil overman tremblait légèrement.
+
+« Mon brave Simon, lui dit l'ingénieur, calmez-vous ! Je suis aussi ému
+que vous l'êtes, mais il ne faut pas perdre de temps ! »
+
+A cet endroit, l'extrême galerie de la fosse formait en s'évasant une
+sorte de caverne obscure. Aucun puits n'avait été foncé dans cette
+portion du massif, et la galerie, profondément ouverte dans les
+entrailles du sol, était sans communication directe avec la surface du
+comté de Stirling.
+
+James Starr, vivement intéressé, examinait d'un oeil grave
+l'endroit où il se trouvait.
+
+On voyait encore sur la paroi terminale de cette caverne la marque des
+derniers coups de pic, et même quelques trous de cartouches, qui
+avaient provoqué l'éclatement de la roche, vers la fin de
+l'exploitation. Cette matière schisteuse était extrêmement dure, et il
+n'avait pas été nécessaire de remblayer les assises de ce cul-de-sac,
+au fond duquel les travaux avaient dû s'arrêter. Là, en effet, venait
+mourir le filon carbonifère, entre les schistes et les grès du terrain
+tertiaire. Là, à cette place même, avait été extrait le dernier morceau
+de combustible de la fosse Dochart.
+
+« C'est ici, monsieur James, dit Simon Ford en soulevant son pic, c'est
+ici que nous attaquerons la faille, car, derrière cette paroi, à une
+profondeur plus ou moins considérable, se trouve assurément le nouveau
+filon dont j'affirme l'existence.
+
+-- Et c'est à la surface de ces roches, demanda James Starr, que vous
+avez constaté la présence du grisou ?
+
+-- Là même, monsieur James, répondit Simon Ford, et j'ai pu l'allumer
+rien qu'en approchant ma lampe, à l'affleurement des feuillets. Harry
+l'a fait comme moi.
+
+-- A quelle hauteur ? demanda James Starr.
+
+-- A dix pieds au-dessus du sol », répondit Harry.
+
+James Starr s'était assis sur une roche. On eût dit que, après avoir
+humé l'air de la caverne, il regardait les deux mineurs, comme s'il se
+fût pris à douter de leurs paroles, si affirmatives cependant.
+
+C'est que, en effet, l'hydrogène protocarboné n'est pas complètement
+inodore, et l'ingénieur était tout d'abord étonné que son odorat, qu'il
+avait très fin, ne lui eût pas révélé la présence du gaz explosif. En
+tout cas, si ce gaz était mêlé à l'air ambiant, ce n'était qu'à bien
+faible dose. Donc, pas d'explosion à craindre, et l'on pouvait sans
+danger ouvrir la lampe de sûreté pour tenter l'expérience, ainsi que le
+vieux mineur l'avait déjà fait.
+
+Ce qui inquiétait James Starr en ce moment, ce n'était donc pas qu'il y
+eût trop de gaz mélangé à l'air, c'était qu'il n'y en eût pas assez, --
+et même pas du tout.
+
+« Se seraient-ils trompés ? murmura-t-il. Non ! Ce sont des hommes qui
+s'y connaissent ! Et pourtant !... » Il attendait donc, non sans une
+certaine anxiété, que le phénomène signalé par Simon Ford s'accomplît
+en sa présence. Mais, à ce moment, il paraît que ce qu'il venait
+d'observer, c'est-à-dire cette absence de l'odeur caractéristique du
+grisou, avait été aussi remarquée par Harry, car celui-ci, d'une voix
+altérée, dit :
+
+« Père, il semble que la fuite du gaz ne se fait plus à travers les
+feuillets de schiste !
+
+-- Ne se fait plus ! :.. » s'écria le vieux mineur.
+
+Et Simon Ford, après avoir hermétiquement serré ses lèvres, aspira
+fortement du nez, à plusieurs reprises.
+
+Puis, tout d'un coup, et d'un mouvement brusque :
+
+« Donne ta lampe, Harry ! » dit-il.
+
+Simon Ford prit la lampe d'une main qui s'agitait fébrilement. Il
+dévissa l'enveloppe de toile métallique qui entourait la mèche, et la
+flamme brûla à l'air libre.
+
+Ainsi qu'on s'y attendait, il ne se produisit aucune explosion; mais,
+ce qui était plus grave, il ne se fit pas même ce léger grésillement,
+qui indique la présence du grisou à faible dose.
+
+Simon Ford prit le bâton que tenait Harry, et, fixant la lampe à son
+extrémité, il l'éleva dans les couches d'air supérieures, là où le gaz,
+en raison de sa légèreté spécifique, aurait dû plutôt s'accumuler, en
+si minime quantité que ce fût.
+
+La flamme de la lampe, droite et blanche, ne décela aucune trace
+d'hydrogène protocarboné.
+
+« A la paroi ! dit l'ingénieur.
+
+-- Oui ! » répondit Simon Ford, en portant la lampe sur cette partie de
+la paroi à travers laquelle son fils et lui avaient, la veille encore,
+constaté la fuite du gaz.
+
+Le bras du vieux mineur tremblait, tandis qu'il essayait de promener la
+lampe à la hauteur des fissures du feuillet de schiste.
+
+« Remplace-moi, Harry », dit-il.
+
+Harry prit le bâton et présenta successivement la lampe aux divers
+points de la paroi où les feuillets semblaient se dédoubler... mais il
+secouait la tête, car ce léger craquement, particulier au grisou qui
+s'échappe, n'arrivait pas à son oreille.
+
+L'inflammation ne se fit pas. Il était donc évident qu'aucune molécule
+de gaz ne fusait à travers la paroi.
+
+« Rien ! » s'écria Simon Ford, dont le poing se tendit sous une
+impression de colère plutôt que de désappointement.
+
+Un cri s'échappa alors de la bouche d'Harry.
+
+« Qu'as-tu ? demanda vivement James Starr.
+
+-- On a bouché les fissures du schiste !
+
+-- Dis-tu vrai ? s'écria le vieux mineur.
+
+-- Regardez, père ! »
+
+Harry ne s'était pas trompé. L'obturation des fissures était nettement
+visible à la lumière de la lampe. Un lutage, récemment pratiqué et fait
+à la chaux, laissait voir sur la paroi une longue trace blanchâtre, mal
+dissimulée sous une couche de poussière de charbon.
+
+« Lui ! s'écria Hardy. Ce ne peut être que lui !
+
+-- Lui ! répéta James Starr.
+
+-- Oui ! répondit le jeune homme, cet être mystérieux qui hante notre
+domaine, celui que j'ai cent fois guetté sans pouvoir l'atteindre,
+l'auteur, dès à présent certain, de cette lettre qui voulait vous
+empêcher de venir au rendez-vous que vous donnait mon père, monsieur
+Starr, celui, enfin, qui nous a lancé cette pierre dans la galerie du
+puits Yarow ! Ah ! aucun doute n'est plus possible ! La main d'un homme
+est dans tout cela ! »
+
+Harry avait parlé avec une telle énergie, que sa conviction passa
+instantanément et tout entière dans l'esprit de l'ingénieur. Quant au
+vieil overman, il n'était plus à convaincre. D'ailleurs, on se trouvait
+en présence d'un fait indéniable : l'obturation des fissures à travers
+lesquelles le gaz s'échappait librement la veille.
+
+« Prends ton pic, Harry, s'écria Simon Ford. Monte sur mes épaules, mon
+garçon ! Je suis assez solide encore pour te porter ! »
+
+Harry avait compris. Son père s'accota à la paroi. Harry s'éleva sur
+ses épaules, de manière que son pic pût atteindre la trace suffisamment
+visible du lutage. Puis, à coups redoublés, il entama la partie de
+roche schisteuse que ce lutage recouvrait.
+
+Aussitôt un léger pétillement se produisit, semblable à celui que fait
+le vin de Champagne lorsqu'il s'échappe d'une bouteille,-- bruit qui,
+dans les houillères anglaises, est connu sous le nom onomatopique de «
+puff ».
+
+Harry saisit alors sa lampe, et il l'approcha de la fissure...
+
+Une légère détonation se fit entendre, et une petite flamme rouge, un
+peu bleuâtre à son contour, voltigea sur la paroi, comme eût fait un
+follet de feu Saint-Elme.
+
+Harry sauta aussitôt à terre, et le vieil overman, ne pouvant contenir
+sa joie, saisit les mains de l'ingénieur, en s'écriant :
+
+« Hurrah ! hurrah ! hurrah ! monsieur James ! Le grisou brûle ! Donc,
+le filon est là ! »
+
+ VIII
+
+ Un coup de dynamite
+
+L'experience annoncée par le vieil overman avait réussi. L'hydrogène
+protocarboné, on le sait, ne se développe que dans les gisements
+houillers. Donc, l'existence d'un filon du précieux combustible ne
+pouvait être mise en doute. Quelles étaient son importance et sa
+qualité ? on les déterminerait plus tard.
+
+Telles furent les conséquences que l'ingénieur déduisit du phénomène
+qu'il venait d'observer. Elles étaient en tout conformes à celles qu'en
+avait déjà tirées Simon Ford.
+
+« Oui, se dit James Starr, derrière cette paroi s'étend une couche
+carbonifère que nos sondages n'ont pas su atteindre ! Cela est fâcheux,
+puisque tout l'outillage de la mine abandonnée depuis dix ans, est
+maintenant à refaire ! N'importe ! Nous avons retrouvé la veine que
+l'on croyait épuisée, et, cette fois, nous l'exploiterons jusqu'au bout
+!
+
+-- Eh bien, monsieur James, demanda Simon Ford, que pensez-vous de
+notre découverte ? Ai-je eu tort de vous déranger ? Regrettez-vous
+cette dernière visite faite à la fosse Dochart ?
+
+-- Non, non, mon vieux compagnon ! répondit James Starr. Nous n'avons
+pas perdu notre temps, mais nous le perdrions maintenant, si nous ne
+retournions immédiatement au cottage. Demain, nous reviendrons ici.
+Nous ferons éclater cette paroi à coups de dynamite. Nous mettrons au
+jour l'affleurement du nouveau filon, et, après une série de sondages,
+si la couche paraît être importante, je reconstituerai une Société de
+la Nouvelle Aberfoyle, à l'extrême satisfaction des anciens
+actionnaires ! Avant trois mois, il faut que les premières bennes de
+houille aient été extraites du nouveau gisement !
+
+-- Bien parlé, monsieur James ! s'écria Simon Ford. La vieille
+houillère va donc rajeunir, comme une veuve qui se remarie !
+L'animation des anciens jours recommencera avec les coups de pioche,
+les coups de pic, les coups de mine, le roulement des wagons, le
+hennissement des chevaux, le grincement des bennes, le grondement des
+machines ! Je reverrai donc tout cela, moi ! J'espère, monsieur James,
+que vous ne me trouverez pas trop vieux pour reprendre mes fonctions
+d'overman ?
+
+-- Non, brave Simon, non, certes ! vous êtes resté plus jeune que moi,
+mon vieux camarade !
+
+-- Et, que saint Mungo nous protège ! vous serez encore notre « viewer
+» ! Puisse la nouvelle exploitation durer de longues années, et fasse
+le Ciel que j'aie la consolation de mourir sans en avoir vu la fin ! »
+
+La joie du vieux mineur débordait. James Starr la partageait tout
+entière, mais il laissait Simon Ford s'enthousiasmer pour deux.
+
+Seul, Harry demeurait pensif. Dans son souvenir reparaissait la
+succession des circonstances singulières, inexplicables, au milieu
+desquelles s'était opérée la découverte du nouveau gisement. Cela ne
+laissait pas de l'inquiéter pour l'avenir.
+
+Une heure après, James Starr et ses deux compagnons étaient de retour
+au cottage.
+
+L'ingénieur soupa avec grand appétit, approuvant du geste tous les
+plans que développait le vieil overman, et, n'eût été son impérieux
+désir d'être au lendemain, jamais il n'aurait mieux dormi que dans ce
+calme absolu du cottage.
+
+Le lendemain, après un déjeuner substantiel, James Starr, Simon Ford,
+Harry et Madge elle-même reprenaient le chemin déjà parcouru la veille.
+Tous allaient là en véritables mineurs. Ils emportaient divers outils
+et des cartouches de dynamite, destinées à faire sauter la paroi
+terminale. Harry, en même temps qu'un puissant fanal, prit une grosse
+lampe de sûreté qui pouvait brûler pendant douze heures. C'était plus
+qu'il ne fallait pour opérer le voyage d'aller et de retour, en y
+comprenant les haltes nécessaires à l'exploration, -- si une
+exploration devenait possible.
+
+« A l'oeuvre ! » s'écria Simon, lorsque ses compagnons et lui
+furent arrivés à l'extrémité de la galerie.
+
+Et sa main saisit une lourde pince qu'elle brandit avec vigueur.
+
+« Un instant, dit alors James Starr. Observons si aucun changement ne
+s'est produit et si le grisou fuse toujours à travers les feuillets de
+la paroi.
+
+-- Vous avez raison, monsieur Starr, répondit Harry. Ce qui était
+bouché hier pourrait bien l'être encore aujourd'hui ! »
+
+Madge, assise sur une roche, observait attentivement l'excavation et la
+muraille qu'il s'agissait d'éventrer.
+
+Il fut constaté que les choses étaient telles qu'on les avait laissées.
+Les fissures des feuillets n'avaient subi aucune altération.
+L'hydrogène protocarboné fusait au travers, mais assez faiblement. Cela
+tenait sans doute à ce que, depuis la veille, il trouvait un libre
+passage pour s'épancher. Toutefois, cette émission était si peu
+importante, qu'elle ne pouvait former avec l'air intérieur un mélange
+détonant. James Starr et ses compagnons allaient donc pouvoir procéder
+en toute sécurité. D'ailleurs, cet air se purifierait peu à peu, en
+gagnant les hautes couches de la fosse Dochart, et le grisou, perdu
+dans toute cette atmosphère, ne pourrait plus produire aucune explosion.
+
+« A l'oeuvre, donc ! » reprit Simon Ford.
+
+Et bientôt, sous sa pince, vigoureusement maniée, la roche ne tarda pas
+à voler en éclats.
+
+Cette faille se composait principalement de poudingues, interposés
+entre le grès et le schiste, tels qu'il s'en rencontre le plus souvent
+à l'affleurement des filons carbonifères.
+
+James Starr ramassait les morceaux que l'outil abattait, et il les
+examinait avec soin, espérant y découvrir quelque indice de charbon.
+
+Ce premier travail dura environ une heure. Il en résulta un évidement
+assez profond dans la paroi terminale.
+
+James Starr choisit alors l'emplacement où devaient être forés les
+trous de mine, travail qui s'accomplit rapidement sous la main d'Harry
+avec le fleuret et la massette. Des cartouches de dynamite furent
+introduites dans ces trous. Dès qu'on y eut placé la longue mèche
+goudronnée d'une fusée de sûreté, qui aboutissait à une capsule de
+fulminate, elle fut allumée au ras du sol. James Starr et ses
+compagnons se mirent à l'écart.
+
+« Ah ! monsieur James, dit Simon Ford, en proie à une véritable émotion
+qu'il ne cherchait pas à dissimuler, jamais, non, jamais mon vieux
+coeur n'a battu si vite ! Je voudrais déjà attaquer le filon !
+
+-- Patience, Simon, répondit l'ingénieur, vous n'avez pas la prétention
+de trouver derrière cette paroi une galerie tout ouverte ?
+
+-- Excusez-moi, monsieur James, répondit le vieil overman. J'ai toutes
+les prétentions possibles ! S'il y a eu bonne chance dans la manière
+dont Harry et moi nous avons découvert ce gîte, pourquoi cette chance
+ne continuerait-elle pas jusqu'au bout ? »
+
+L'explosion de la dynamite se produisit. Un roulement sourd se propagea
+à travers le réseau des galeries souterraines.
+
+James Starr, Madge, Harry et Simon Ford revinrent aussitôt vers la
+paroi de la caverne.
+
+« Monsieur James ! monsieur James ! s'écria le vieil overman. voyez !
+La porte est enfoncée !... »
+
+Cette comparaison de Simon Ford était justifiée par l'apparition d'une
+excavation, dont on ne pouvait estimer la profondeur.
+
+Harry allait s'élancer par l'ouverture...
+
+L'ingénieur, extrêmement surpris, d'ailleurs, de trouver là cette
+cavité, retint le jeune mineur.
+
+« Laisse le temps à l'air intérieur de se purifier, dit-il.
+
+-- Oui ! gare aux mofettes ! » s'écria Simon Ford.
+
+Un quart d'heure se passa dans une anxieuse attente. Le fanal, placé au
+bout d'un bâton, fut alors introduit dans l'excavation et continua de
+brûler avec un inaltérable éclat.
+
+« Va donc, Harry, dit James Starr, nous te suivrons. » L'ouverture
+produite par la dynamite était plus que suffisante pour qu'un homme pût
+y passer.
+
+Harry, le fanal à la main, s'y introduisit sans hésiter et disparut
+dans les ténèbres.
+
+James Starr, Simon Ford et Madge, immobiles, attendaient.
+
+Une minute -- qui leur parut bien longue -- s'écoula. Harry ne
+reparaissait pas, il n'appelait pas. En s'approchant de l'orifice,
+James Starr n'aperçut même plus la lueur de sa lampe, qui aurait dû
+éclairer cette sombre cavité.
+
+Le sol avait-il donc manqué subitement sous les pieds d'Harry ? Le
+jeune mineur était-il tombé dans quelque anfractuosité ? Sa voix ne
+pouvait-elle plus arriver jusqu'à ses compagnons ?
+
+Le vieil overman, ne voulant rien écouter, allait s'introduire à son
+tour par l'orifice, lorsque parut une lueur, vague d'abord, qui se
+renforça peu à peu, et Harry fit entendre ces paroles :
+
+« Venez, monsieur Starr ! venez, mon père ! La route est libre dans la
+Nouvelle-Aberfoyle. »
+
+ IX
+
+ La Nouvelle-Aberfoyle
+
+Si, par quelque puissance surhumaine, des ingénieurs eussent pu enlever
+d'un bloc et sur une épaisseur de mille pieds toute cette portion de la
+croûte terrestre qui supporte cet ensemble de lacs, de fleuves, de
+golfes et les territoires riverains des comtés de Stirling, de
+Dumbarton et de Renfrew, ils auraient trouvé, sous cet énorme
+couvercle, une excavation immense, et telle qu'il n'en existait qu'une
+autre au monde qui pût lui être comparée, -- la célèbre grotte de
+Mammouth, dans le Kentucky.
+
+Cette excavation se composait de plusieurs centaines d'alvéoles, de
+toutes formes et de toutes grandeurs. On eût dit une ruche, avec ses
+nombreux étages de cellules, capricieusement disposées, mais une ruche
+construite sur une vaste échelle, et qui, au lieu d'abeilles, eût suffi
+à loger tous les ichthyosaures, les mégathériums, et les ptérodactyles
+de l'époque géologique !
+
+Un labyrinthe de galeries, les unes plus élevées que les plus hautes
+voûtes des cathédrales, les autres semblables à des contrenefs,
+rétrécies et tortueuses, celles-ci suivant la ligne horizontale,
+celles-là remontant ou descendant obliquement en toutes directions, --
+réunissaient ces cavités et laissaient libre communication entre elles.
+
+Les piliers qui soutenaient ces voûtes, dont la courbe admettait tous
+les styles, les épaisses murailles, solidement assises entre les
+galeries, les nefs elles-mêmes, dans cet étage des terrains
+secondaires, étaient faits de grès et de roches schisteuses. Mais,
+entre ces couches inutilisables, et puissamment pressées par elles,
+couraient d'admirables veines de charbon, comme si le sang noir de
+cette étrange houillère eût circulé à travers leur inextricable réseau.
+Ces gisements se développaient sur une étendue de quarante milles du
+nord au sud, et ils s'enfonçaient même sous le canal du Nord.
+L'importance de ce bassin n'aurait pu être évaluée qu'après sondages,
+mais elle devait dépasser celle des couches carbonifères de Cardiff,
+dans le pays de Galles, et des gisements de Newcastle, dans le comté de
+Northumberland.
+
+Il faut ajouter que l'exploitation de cette houillère allait être
+singulièrement facilitée, puisque, par une disposition bizarre des
+terrains secondaires, par un inexplicable retrait des matières
+minérales à l'époque géologique où ce massif se solidifiait, la nature
+avait déjà multiplié les galeries et les tunnels de la
+Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Oui, la nature seule ! On aurait pu croire, tout d'abord, à la
+découverte de quelque exploitation abandonnée depuis des siècles. Il
+n'en était rien. On ne délaisse pas de telles richesses. Les termites
+humains n'avaient jamais rongé cette portion du sous-sol de l'Écosse,
+et c'était la nature qui avait ainsi fait les choses. Mais, on le
+répète, nul hypogée de l'époque égyptienne, nulle catacombe de l'époque
+romaine, n'auraient pu lui être comparés, -- si ce n'est les célèbres
+grottes de Mammouth, qui, sur une longueur de plus de vingt milles,
+comptent deux cent vingt-six avenues, onze lacs, sept rivières, huit
+cataractes, trente-deux puits insondables et cinquante-sept dômes, dont
+quelques-uns sont suspendus à plus de quatre cent cinquante pieds de
+hauteur.
+
+Ainsi que ces grottes, la Nouvelle-Aberfoyle était, non l'oeuvre
+des hommes, mais l'oeuvre du Créateur.
+
+Tel était ce nouveau domaine, d'une incomparable richesse, dont la
+découverte appartenait en propre au vieil overman. Dix ans de séjour
+dans l'ancienne houillère, une rare persistance de recherches, une foi
+absolue, soutenue par un merveilleux instinct de mineur, il lui avait
+fallu toutes ces conditions réunies pour réussir, là où tant d'autres
+auraient échoué. Pourquoi les sondages, pratiqués sous la direction de
+James Starr, pendant les dernières années d'exploitation, s'étaient-ils
+précisément arrêtés à cette limite, sur la frontière même de la
+nouvelle mine ? cela était dû au hasard, dont la part est grande dans
+les recherches de ce genre.
+
+Quoi qu'il en soit, il y avait là, dans le sous-sol écossais, une sorte
+de comté souterrain, auquel il ne manquait, pour être habitable, que
+les rayons du soleil, ou, à son défaut, la clarté d'un astre spécial.
+
+L'eau y était localisée dans certaines dépressions, formant de vastes
+étangs, ou même des lacs plus grands que le lac Katrine, situé
+précisément au-dessus. Sans doute, ces lacs n'avaient pas le mouvement
+des eaux, les courants, le ressac. Ils ne reflétaient pas la silhouette
+de quelque vieux château gothique. Ni les bouleaux ni les chênes ne se
+penchaient sur leurs rives, les montagnes n'allongeaient pas de grandes
+ombres à leur surface, les steamboats ne les sillonnaient pas, aucune
+lumière ne se réverbérait dans leurs eaux, le soleil ne les imprégnait
+pas de ses rayons éclatants, la lune ne se levait jamais sur leur
+horizon. Et pourtant, ces lacs profonds, dont la brise ne ridait pas le
+miroir, n'auraient pas été sans charme, à la lumière de quelque astre
+électrique, et, réunis par un lacet de canaux, ils complétaient bien la
+géographie de cet étrange domaine.
+
+Quoiqu'il fût impropre à toute production végétale, ce sous-sol eût,
+cependant, pu servir de demeure à toute une population. Et qui sait si,
+dans ces milieux à température constante, au fond de ces houillères
+d'Aberfoyle, aussi bien que dans celles de Newcastle, d'Alloa ou de
+Cardiff, lorsque leurs gisements seront épuisés, -- qui sait si la
+classe pauvre du Royaume-Uni ne trouvera pas refuge quelque jour ?
+
+ X
+
+ Aller et retour
+
+A la voix d'Harry, James Starr, Madge et Simon Ford s'étaient
+introduits par l'étroit orifice qui mettait en communication la fosse
+Dochart avec la nouvelle houillère.
+
+Ils se trouvaient alors à la naissance d'une galerie assez large. On
+aurait pu croire qu'elle avait été percée de main d'homme, que le pic
+et la pioche l'avaient évidée pour l'exploitation d'un nouveau
+gisement. Les explorateurs devaient se demander si, par un singulier
+hasard, ils n'avaient pas été transportés dans quelque ancienne
+houillère, dont les plus vieux mineurs du comté n'auraient jamais connu
+l'existence.
+
+Non ! C'étaient les couches géologiques qui avaient « épargné » cette
+galerie, à l'époque où se faisait le tassement des terrains
+secondaires. Peut-être quelque torrent l'avait-il parcourue autrefois,
+lorsque les eaux supérieures allaient se mélanger aux végétaux enlisés;
+mais, maintenant, elle était aussi sèche que si elle eût été forée,
+quelque mille pieds plus bas, dans l'étage des roches granitoïdes. En
+même temps, l'air y circulait avec aisance, -- ce qui indiquait que
+certains « éventoirs » naturels la mettaient en communication avec
+l'atmosphère extérieure.
+
+Cette observation, qui fut faite par l'ingénieur, était juste, et l'on
+sentait que l'aération s'opérait facilement dans la nouvelle mine.
+Quant à ce grisou qui fusait naguère à travers les schistes de la
+paroi, il semblait qu'il n'eût été contenu que dans une simple « poche
+», vide maintenant, et il était certain que l'atmosphère de la galerie
+n'en conservait pas la moindre trace. Cependant, et par précaution,
+Harry n'avait emporté que la lampe de sûreté, qui lui assurait un
+éclairage de douze heures.
+
+James Starr et ses compagnons éprouvaient alors une joie complète.
+C'était l'entière satisfaction de leurs désirs. Autour d'eux, tout
+n'était que houille. Une certaine émotion les rendait silencieux. Simon
+Ford, lui-même, se contenait. Sa joie débordait, non en longues
+phrases, mais par petites interjections.
+
+C'était peut-être imprudent, à eux, de s'engager si profondément dans
+la crypte. Bah ! ils ne songeaient guère au retour. La galerie était
+praticable, peu sinueuse. Nulle crevasse n'en barrait le passage, nulle
+« pousse » n'y propageait d'exhalaisons malfaisantes. Il n'y avait donc
+aucune raison pour s'arrêter, et, pendant une heure, James Starr,
+Madge, Harry et Simon Ford allèrent ainsi, sans que rien pût leur
+indiquer quelle était l'exacte orientation de ce tunnel inconnu.
+
+Et, sans doute, ils auraient été plus loin encore, s'ils ne fussent
+arrivés à l'extrémité même de cette large voie qu'ils suivaient depuis
+leur entrée dans la houillère.
+
+La galerie aboutissait à une énorme caverne, dont on ne pouvait estimer
+ni la hauteur, ni la profondeur. A quelle altitude s'arrondissait la
+voûte de cette excavation, à quelle distance se reculait sa paroi
+opposée ? les ténèbres qui l'emplissaient ne permettaient pas de le
+reconnaître. Mais, à la lueur de la lampe, les explorateurs purent
+constater que son dôme recouvrait une vaste étendue d'eau dormante --
+étang ou lac --, dont les rives pittoresques, accidentées de hautes
+roches, se perdaient dans l'obscurité.
+
+« Halte ! s'écria Simon Ford, en s'arrêtant brusquement. Un pas de
+plus, et nous roulions peut-être dans quelque abîme !
+
+-- Reposons-nous donc, mes amis, répondit l'ingénieur. Aussi bien, il
+faudra songer à retourner au cottage.
+
+-- Notre lampe peut nous éclairer pendant dix heures encore, monsieur
+Starr, dit Harry.
+
+-- Eh bien, faisons halte, reprit James Starr. J'avoue que mes jambes
+en ont besoin ! -- Et vous, Madge, est-ce que vous ne vous ressentez
+pas des fatigues d'une aussi longue course ?
+
+-- Mais pas trop, monsieur James, répondit la robuste Écossaise. Nous
+avions l'habitude d'explorer pendant des journées entières l'ancienne
+houillère d'Aberfoyle.
+
+-- Bah ! ajouta Simon Ford, Madge ferait dix fois cette route, s'il le
+fallait ! Mais j'insiste, monsieur James, ma communication valait-elle
+la peine de vous être faite ? Osez dire non, monsieur James, osez dire
+non !
+
+-- Eh ! mon vieux compagnon, il y a longtemps que je n'ai ressenti une
+telle joie ! répondit l'ingénieur. Le peu que nous avons exploré de
+cette merveilleuse houillère semble indiquer que son étendue est très
+considérable, au moins en longueur.
+
+-- En largeur et en profondeur aussi, monsieur James ! répliqua Simon
+Ford.
+
+-- C'est ce que nous saurons plus tard.
+
+-- Et moi, j'en réponds ! Rapportez-vous-en à mon instinct de vieux
+mineur. Il ne m'a jamais trompé !
+
+-- Je veux vous croire, Simon, répondit l'ingénieur en souriant. Mais
+enfin, tel que j'en puis juger par cette courte exploration, nous
+possédons les éléments d'une exploitation qui durera des siècles !
+
+-- Des siècles ! s'écria Simon Ford. Je le crois bien, monsieur James !
+Il se passera mille ans et plus, avant que le dernier morceau de
+charbon ait été extrait de notre nouvelle mine !
+
+-- Dieu vous entende ! répondit James Starr. Quant à la qualité de la
+houille qui vient affleurer ces parois...
+
+-- Superbe ! monsieur James, superbe ! répondit Simon Ford. Voyez cela
+vous-même ! » Et, ce disant, il détacha d'un coup de pic un fragment de
+roche noire.
+
+« Voyez ! voyez ! répéta-t-il en l'approchant de sa lampe. Les surfaces
+de ce morceau de charbon sont luisantes ! Nous aurons là de la houille
+grasse, riche en matières bitumeuses ! Et comme elle se détaillera en
+gailleteries, presque sans poussière ! Ah ! monsieur James, il y a
+vingt ans, voici un gisement qui aurait fait une rude concurrence au
+Swansea et au Cardiff ! Eh bien, les chauffeurs se le disputeront
+encore, et, s'il coûte peu à extraire de la mine, il ne s'en vendra pas
+moins cher au-dehors !
+
+-- En effet, dit Madge, qui avait pris le fragment de houille et
+l'examinait en connaisseuse. C'est là du charbon de bonne qualité. --
+Emporte-le, Simon, emporte-le au cottage ! Je veux que ce premier
+morceau de houille brûle sous notre bouilloire !
+
+-- Bien parlé, femme ! répondit le vieil overman, et tu verras que je
+ne me suis pas trompé.
+
+-- Monsieur Starr, demanda alors Harry, avez-vous quelque idée de
+l'orientation probable de cette longue galerie que nous avons suivie
+depuis notre entrée dans la nouvelle houillère ?
+
+-- Non, mon garçon, répondit l'ingénieur. Avec une boussole, j'aurais
+peut-être pu établir sa direction générale. Mais, sans boussole, je
+suis ici comme un marin en pleine mer, au milieu des brumes, lorsque
+l'absence de soleil ne lui permet pas de relever sa position.
+
+-- Sans doute, monsieur James, répliqua Simon Ford, mais, je vous en
+prie, ne comparez pas notre position à celle du marin, qui a toujours
+et partout l'abîme sous ses pieds ! Nous sommes en terre ferme, ici, et
+nous n'avons pas à craindre de jamais sombrer !
+
+-- Je ne vous ferai pas cette peine, vieux Simon, répondit James Starr.
+Loin de moi la pensée de déprécier la nouvelle houillère d'Aberfoyle
+par une comparaison injuste ! Je n'ai voulu dire qu'une chose, c'est
+que nous ne savons pas où nous sommes.
+
+-- Nous sommes dans le sous-sol du comté de Stirling, monsieur James,
+répondit Simon Ford, et cela, je l'affirme comme si...
+
+-- Écoutez ! » dit Harry en interrompant le vieil overman.
+
+Tous prêtèrent l'oreille, ainsi que le faisait le jeune mineur. Le nerf
+auditif, très exercé chez lui, avait surpris un bruit sourd, comme eût
+été un murmure lointain. James Starr, Simon et Madge ne tardèrent pas à
+l'entendre eux-mêmes. Il se produisait, dans les couches supérieures du
+massif, une sorte de roulement, dont on percevait distinctement le
+crescendo et le decrescendo successif, si faible qu'il fût.
+
+Tous quatre restèrent pendant quelques minutes, l'oreille tendue, sans
+proférer une parole.
+
+Puis, tout à coup, Simon Ford de s'écrier :
+
+« Eh ! par saint Mungo ! Est-ce que les wagonnets courent déjà sur les
+rails de la nouvelle Aberfoyle ?
+
+-- Père, répondit Harry, il me semble bien que c'est le bruit que font
+des eaux en roulant sur un littoral.
+
+-- Nous ne sommes pourtant pas sous la mer ! s'écria le vieil overman.
+
+-- Non, répondit l'ingénieur, mais il ne serait pas impossible que nous
+ne fussions sous le lit même du lac Katrine.
+
+-- Il faudrait donc que la voûte fût peu épaisse en cet endroit,
+puisque le bruit des eaux est perceptible ?
+
+-- Peu épaisse, en effet, répondit James Starr, et c'est ce qui fait
+que cette excavation est si vaste.
+
+-- Vous devez avoir raison, monsieur Starr, dit Harry.
+
+-- En outre, il fait si mauvais temps au-dehors, reprit James Starr,
+que les eaux du lac doivent être soulevées comme celles du golfe de
+Forth.
+
+-- Eh ! qu'importe, après tout, répondit Simon Ford. La couche
+carbonifère n'en sera pas plus mauvaise pour se développer au-dessous
+d'un lac ! Ce ne serait pas la première fois que l'on irait chercher la
+houille sous le lit même de l'Océan ! Quand nous devrions exploiter
+tout le fonds et le tréfonds du canal du Nord, où serait le mal ?
+
+-- Bien dit, Simon, s'écria l'ingénieur, qui ne put retenir un sourire
+en regardant l'enthousiaste overman. Poussons nos tranchées sous les
+eaux de la mer ! Trouons comme une écumoire le lit de l'Atlantique !
+Allons rejoindre à coups de pioche nos frères des États-Unis à travers
+le sous-sol de l'Océan ! Fonçons jusqu'au centre du globe, s'il le
+faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille !
+
+-- Croyez-vous rire, monsieur James ? demanda Simon Ford d'un air tant
+soit peu goguenard.
+
+-- Moi, rire ! vieux Simon ! Non ! Mais vous êtes si enthousiaste, que
+vous m'entraînez jusque dans l'impossible ! Tenez, revenons à la
+réalité, qui est déjà belle. Laissons là nos pics, que nous
+retrouverons un autre jour, et reprenons le chemin du cottage ! »
+
+Il n'y avait pas autre chose à faire pour le moment. Plus tard,
+l'ingénieur, accompagné d'une brigade de mineurs et muni des lampes et
+ustensiles nécessaires, reprendrait l'exploration de la
+Nouvelle-Aberfoyle. Mais il était urgent de retourner à la fosse
+Dochart. La route était facile, d'ailleurs. La galerie courait presque
+droit à travers le massif jusqu'à l'orifice ouvert par la dynamite.
+Donc, nulle crainte de s'égarer.
+
+Mais, au moment où James Starr se dirigeait vers la galerie, Simon Ford
+l'arrêta.
+
+« Monsieur James, lui dit-il, vous voyez cette caverne immense, ce lac
+souterrain qu'elle recouvre, cette grève que les eaux viennent baigner
+à nos pieds ? Eh bien, c'est ici que je veux transporter ma demeure,
+c'est ici que je me bâtirai un nouveau cottage, et, si quelques braves
+compagnons veulent suivre mon exemple, avant un an, on comptera un
+bourg de plus dans le massif de notre vieille Angleterre ! »
+
+James Starr, approuvant d'un sourire les projets de Simon Ford, lui
+serra la main, et tous trois, précédant Madge, s'enfoncèrent dans la
+galerie, afin de regagner la fosse Dochart.
+
+Pendant le premier mille, aucun incident ne se produisit. Harry
+marchait en avant, élevant la lampe au-dessus de sa tête. Il suivait
+soigneusement la galerie principale, sans jamais s'écarter dans les
+tunnels étroits qui rayonnaient à droite et à gauche. Il semblait donc
+que le retour dût s'accomplir aussi facilement que l'aller, lorsqu'une
+fâcheuse complication survint, qui rendit fort grave la situation des
+explorateurs.
+
+En effet, à un moment où Harry levait sa lampe, un vif déplacement de
+l'air s'opéra, comme s'il eût été causé par un battement d'ailes
+invisibles. La lampe, frappée de biais, s'échappa des mains d'Harry,
+tomba sur le sol rocheux de la galerie et se brisa.
+
+James Starr et ses compagnons furent subitement plongés dans une
+obscurité absolue. Leur lampe, dont l'huile s'était répandue, ne
+pouvait plus servir.
+
+« Eh bien, Harry, s'écria Simon Ford, veux-tu donc que nous nous
+rompions le cou en retournant au cottage ? »
+
+Harry ne répondit pas. Il réfléchissait. Devait-il voir encore la main
+d'un être mystérieux dans ce dernier accident ? Existait-il donc en ces
+profondeurs un ennemi dont l'inexplicable antagonisme pouvait créer, un
+jour, de sérieuses difficultés ? Quelqu'un avait-il intérêt à défendre
+le nouveau gîte carbonifère contre toute tentative d'exploitation ? En
+vérité, cela était absurde, mais les faits parlaient d'eux-mêmes, et
+ils s'accumulaient de manière à changer de simples présomptions en
+certitudes.
+
+En attendant, la situation des explorateurs était assez mauvaise. Il
+leur fallait, au milieu de profondes ténèbres, suivre pendant environ
+cinq milles la galerie qui conduisait à la fosse Dochart. Puis, ils
+auraient encore une heure de route avant d'avoir atteint le cottage.
+
+« Continuons, dit Simon Ford. Nous n'avons pas un instant à perdre.
+Nous marcherons en tâtonnant, comme des aveugles. Il n'est pas possible
+de s'égarer. Les tunnels qui s'ouvrent sur notre chemin ne sont que de
+véritables boyaux de taupinières, et, en suivant la galerie principale,
+nous arriverons inévitablement à l'orifice qui nous a livré passage.
+Ensuite, c'est la vieille houillère. Nous la connaissons, et ce ne sera
+pas la première fois qu'Harry ou moi nous nous y serons trouvés dans
+l'obscurité. D'ailleurs, nous retrouverons là les lampes que nous avons
+laissées. En route, donc ! -- Harry, prends la tête. Monsieur James,
+suivez-le. Madge, tu viendras après, et moi, je fermerai la marche. Ne
+nous séparons pas surtout, et qu'on se sente les talons, sinon les
+coudes ! »
+
+Il n'y avait qu'à se conformer aux instructions du vieil overman. Comme
+il le disait, en tâtonnant on ne pouvait guère se tromper de route. Il
+fallait seulement remplacer les yeux par les mains, et se fier à cet
+instinct qui, chez Simon Ford et son fils, était devenu une seconde
+nature.
+
+Donc, James Starr et ses compagnons marchèrent dans l'ordre indiqué.
+Ils ne parlaient pas, mais ce n'était pas faute de penser. Il devenait
+évident qu'ils avaient un adversaire. Mais quel était-il, et comment se
+défendre de ces attaques si mystérieusement préparées ? Ces idées assez
+inquiétantes affluaient à leur cerveau. Cependant, ce n'était pas le
+moment de se décourager.
+
+Harry, les bras étendus, s'avançait d'un pas assuré. Il allait
+successivement d'une paroi à l'autre de la galerie. Une anfractuosité,
+un orifice latéral se présentaient-ils, il reconnaissait à la main
+qu'il ne fallait pas s'y engager, soit que l'anfractuosité fût peu
+profonde, soit que l'orifice fût trop étroit, et il se maintenait ainsi
+dans le droit chemin.
+
+Au milieu d'une obscurité à laquelle les yeux ne pouvaient se faire,
+puisqu'elle était absolue, ce difficile retour dura deux heures
+environ. En supputant le temps écoulé, en tenant compte de ce que la
+marche n'avait pu être rapide, James Starr estimait que ses compagnons
+et lui devaient être bien près de l'issue.
+
+En effet, presque aussitôt, Harry s'arrêta.
+
+« Sommes-nous enfin arrivés à l'extrémité de la galerie ? demanda Simon
+Ford.
+
+-- Oui, répondit le jeune mineur.
+
+-- Eh bien, tu dois retrouver l'orifice qui établit la communication
+entre la Nouvelle-Aberfoyle et la fosse Dochart ?
+
+-- Non », répondit Harry, dont les mains crispées ne rencontraient que
+la surface pleine d'une paroi.
+
+Le vieil overman fit quelques pas en avant, et vint palper lui même la
+roche schisteuse.
+
+Un cri lui échappa.
+
+Ou les explorateurs s'étaient égarés pendant le retour, ou l'étroit
+orifice, creusé dans la paroi par la dynamite, avait été bouché
+récemment !
+
+Quoi qu'il en soit, James Starr et ses compagnons étaient emprisonnés
+dans la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XI
+
+ Les Dames de feu
+
+Huit jours après ces événements, les amis de James Starr étaient fort
+inquiets. L'ingénieur avait disparu sans qu'aucun motif pût être
+allégué à cette disparition. On avait appris, en interrogeant son
+domestique, qu'il s'était embarqué à Grantonpier, et on savait par le
+capitaine du steam-boat _Prince de Galles_ qu'il avait débarqué à
+Stirling. Mais, depuis ce moment, plus de traces de James Starr. La
+lettre de Simon Ford lui avait recommandé le secret, et il n'avait rien
+dit de son départ pour les houillères d'Aberfoyle.
+
+Donc, à Édimbourg, il ne fut plus question que de l'absence
+inexplicable de l'ingénieur. Sir W. Elphiston, le président de « Royal
+Institution », communiqua à ses collègues la lettre que lui avait
+adressée James Starr, en s'excusant de ne pouvoir assister à la
+prochaine séance de la Société. Deux ou trois autres personnes
+produisirent aussi des lettres analogues. Mais, si ces documents
+prouvaient que James Starr avait quitté Édimbourg -- ce que l'on savait
+de reste --, rien n'indiquait ce qu'il était devenu. Or, de la part
+d'un tel homme, cette absence, en dehors de ses habitudes, devait
+surprendre d'abord, inquiéter ensuite, puisqu'elle se prolongeait.
+
+Aucun des amis de l'ingénieur n'aurait pu supposer qu'il se fût rendu
+aux houillères d'Aberfoyle. On savait qu'il n'eût point aimé à revoir
+l'ancien théâtre de ses travaux. Il n'y avait jamais remis les pieds,
+depuis le jour où la dernière benne était remontée à la surface du sol.
+Cependant, puisque le steam-boat l'avait déposé au débarcadère de
+Stirling, on fit quelques recherches de ce côté.
+
+Les recherches n'aboutirent pas. Personne ne se rappelait avoir vu
+l'ingénieur dans le pays. Seul, Jack Ryan, qui l'avait rencontré en
+compagnie d'Harry sur un des paliers du puits Yarow, eût pu satisfaire
+la curiosité publique. Mais le joyeux garçon, on le sait, travaillait à
+la ferme de Melrose, à quarante milles dans le sud-ouest du comté de
+Renfrew, et il ne se doutait guère que l'on s'inquiétât à ce point de
+la disparition de James Starr. Donc, huit jours après sa visite au
+cottage, Jack Ryan eût continué à chanter de plus belle pendant les
+veillées du clan d'Irvine, -- s'il n'eût eu, lui aussi, un motif de
+vive inquiétude dont il sera bientôt parlé.
+
+James Starr était un homme trop considérable et trop considéré, non
+seulement dans la ville, mais dans toute l'Écosse, pour qu'un fait le
+concernant pût passer inaperçu. Le lord prévôt, premier magistrat
+d'Édimbourg, les baillis, les conseillers, dont la plupart étaient des
+amis de l'ingénieur, firent commencer les plus actives recherches. Des
+agents furent mis en campagne, mais aucun résultat ne fut obtenu.
+
+Il fallut donc insérer dans les principaux journaux du Royaume-Uni une
+note relative à l'ingénieur James Starr, donnant son signalement,
+indiquant la date à laquelle il avait quitté Édimbourg, et il n'y eut
+plus qu'à attendre. Cela ne se fit pas sans grande anxiété. Le monde
+savant de l'Angleterre n'était pas éloigné de croire à la disparition
+définitive de l'un de ses membres les plus distingués.
+
+En même temps que l'on s'inquiétait ainsi de la personne de James
+Starr, la personne d'Harry était le sujet de préoccupations non moins
+vives. Seulement, au lieu d'occuper l'opinion publique, le fils du
+vieil overman ne troublait que la bonne humeur de son ami Jack Ryan.
+
+On se rappelle que, lors de leur rencontre dans le puits Yarow, Jack
+Ryan avait invité Harry à venir, huit jours après, à la fête du clan
+d'Irvine. Il y avait eu acceptation et promesse formelle d'Harry de se
+rendre à cette cérémonie. Jack Ryan savait, pour l'avoir constaté en
+maintes circonstances, que son camarade était homme de parole. Avec
+lui, chose promise, chose faite.
+
+Or, à la fête d'Irvine, rien n'avait manqué, ni les chants, ni les
+danses, ni les réjouissances de toutes sortes, rien, -- si ce n'est
+Harry Ford.
+
+Jack Ryan avait commencé par lui en vouloir, parce que l'absence de son
+ami influait sur sa bonne humeur. Il en perdit même la mémoire au
+milieu d'une de ses chansons, et, pour la première fois, il resta court
+pendant une gigue, qui lui valait d'ordinaire des applaudissements
+mérités.
+
+Il faut dire ici que la note relative à James Starr, et publiée dans
+les journaux, n'était pas encore tombée sous les yeux de Jack Ryan. Ce
+brave garçon ne se préoccupait donc que de l'absence d'Harry, se disant
+bien qu'une grave circonstance avait seule pu l'empêcher de tenir sa
+promesse. Aussi, le lendemain de la fête d'Irvine, Jack Ryan
+comptait-il prendre le railway de Glasgow pour se rendre à la fosse
+Dochart, et il l'aurait fait, -- s'il n'eût été retenu par un accident
+qui faillit lui coûter la vie.
+
+Voici ce qui était arrivé pendant la nuit du 12 décembre. En vérité, le
+fait était de nature à donner raison à tous les partisans du
+surnaturel, et ils étaient nombreux à la ferme de Melrose.
+
+Irvine, petite ville maritime du comté de Renfrew, qui compte environ
+sept mille habitants, est bâtie dans un brusque retour que fait la côte
+écossaise, presque à l'ouverture du golfe de Clyde. Son port, assez
+bien abrité contre les vents du large, est éclairé par un feu important
+qui indique les atterrissages, de telle façon qu'un marin prudent ne
+peut s'y tromper. Aussi, les naufrages étaient-ils rares sur cette
+portion du littoral, et les caboteurs ou long-courriers, qu'ils
+voulussent, soit embouquer le golfe de Clyde pour se rendre à Glasgow,
+soit donner dans la baie d'Irvine, pouvaient-ils manoeuvrer sans
+danger, même par les nuits obscures.
+
+Lorsqu'une ville est pourvue d'un passé historique, si mince qu'il
+soit, lorsque son château a appartenu autrefois à un Robert Stuart,
+elle n'est pas sans posséder quelques ruines.
+
+Or, en Écosse, toutes les ruines sont hantées par des esprits. -- Du
+moins, c'est l'opinion commune dans les Hautes et Basses Terres.
+
+Les ruines les plus anciennes, et aussi les plus mal famées de cette
+partie du littoral, étaient précisément celles de ce château de Robert
+Stuart, qui porte le nom de Dundonald-Castle.
+
+A cette époque, le château de Dundonald, refuge de tous les lutins
+errants de la contrée, était voué au plus complet abandon. On allait
+peu le visiter sur le haut rocher qu'il occupait au-dessus de la mer, à
+deux milles de la ville. Peut-être quelques étrangers avaient-ils
+encore l'idée d'interroger ces vieux restes historiques, mais alors ils
+s'y rendaient seuls. Les habitants d'Irvine ne les y eussent point
+conduits, à quelque prix que ce fût. En effet, quelques histoires
+couraient sur le compte de certaines « Dames de feu » qui hantaient le
+vieux château.
+
+Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces
+fantastiques créatures. Naturellement, Jack Ryan était de ces derniers.
+
+La vérité est que, de temps à autre, de longues flammes apparaissaient,
+tantôt sur un pan de mur à demi éboulé, tantôt au sommet de la tour qui
+domine l'ensemble des ruines de Dundonald-Castle.
+
+Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l'assurait ?
+Méritaient-elles ce nom de « Dames de feu » que leur avaient donné les
+Écossais du littoral ? Ce n'était évidemment là qu'une illusion de
+cerveaux portés à la crédulité, et la science eût expliqué physiquement
+ce phénomène.
+
+Quoi qu'il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contrée la
+réputation bien établie de fréquenter les ruines du vieux château et
+d'y exécuter parfois d'étranges sarabandes, surtout pendant les nuits
+obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu'il fût, ne se serait
+point hasardé à les accompagner aux sons de sa cornemuse.
+
+« Le vieux Nick leur suffit ! disait-il, et il n'a pas besoin de moi
+pour compléter son orchestre infernal ! »
+
+On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte obligé
+des récits pendant la veillée. Aussi, Jack Ryan possédait-il tout un
+répertoire de légendes sur les Dames de feu, et ne se trouvait-il
+jamais à court, quand il s'agissait d'en conter à leur sujet !
+
+Donc, pendant cette dernière veillée, bien arrosée d'ale, de brandy et
+de whisky, qui avait terminé la fête du clan d'Irvine, Jack Ryan
+n'avait pas manqué de reprendre son thème favori, au grand plaisir et
+peut-être au grand effroi de ses auditeurs.
+
+La veillée se faisait dans une vaste grange de la ferme de Melrose, sur
+la limite du littoral. Un bon feu de coke brûlait dans un large trépied
+de tôle, au milieu de l'assemblée.
+
+Il y avait gros temps au-dehors. Des brumes épaisses roulaient sur les
+lames, qu'une forte brise de sud-ouest amenait du large. Une nuit très
+noire, pas une seule éclaircie dans les nuages, la terre, le ciel et
+l'eau se confondant dans de profondes ténèbres, c'était là de quoi
+rendre difficiles les atterrages de la baie d'Irvine, si quelque navire
+s'y fût aventuré avec ces vents qui battaient en côte.
+
+Le petit port d'Irvine n'est pas très fréquenté, -- du moins par les
+navires d'un certain tonnage. C'est un peu plus au nord que les
+bâtiments de commerce, à voiles ou vapeur, attaquent la terre,
+lorsqu'ils veulent donner dans le golfe de Clyde. Ce soir-là,
+cependant, quelque pêcheur, attardé sur le rivage, eût aperçu, non sans
+surprise, un navire qui se dirigeait vers la côte. Si le jour se fût
+fait tout à coup, ce n'est plus avec surprise, mais avec effroi, que ce
+bâtiment eût été vu, courant vent arrière, avec toute la toile qu'il
+pouvait porter. L'entrée du golfe manquée, il n'existait aucun refuge
+entre les roches formidables du littoral. Si cet imprudent navire
+s'obstinait à s'en approcher encore, comment parviendrait-il à se
+relever ?
+
+La veillée allait finir sur une dernière histoire de Jack Ryan. Ses
+auditeurs, transportés dans le monde des fantômes, étaient bien dans
+les conditions voulues pour faire acte de crédulité, le cas échéant.
+
+Tout à coup, des cris retentirent au-dehors.
+
+Jack Ryan suspendit aussitôt son récit, et tous quittèrent
+précipitamment la grange.
+
+La nuit était profonde. De longues rafales de pluie et de vent
+couraient à la surface de la grève.
+
+Deux ou trois pêcheurs, arc-boutés près d'un rocher, afin de mieux
+résister aux poussées de l'air, appelaient avec de grands éclats de
+voix.
+
+Jack Ryan et ses compagnons coururent à eux.
+
+Ces cris, ce n'était pas aux habitants de la ferme qu'ils
+s'adressaient, mais à un équipage qui, sans le savoir, courait à sa
+perte.
+
+En effet, une masse sombre apparaissait confusément à quelques
+encablures au large. C'était un navire, bien reconnaissable à ses feux
+de position, car il portait à sa hune de misaine un feu blanc, à
+tribord un feu vert, à bâbord un feu rouge. On le voyait donc par
+l'avant, et il était manifeste qu'il se dirigeait à toute vitesse vers
+la côte.
+
+« Un navire en perdition ? s'écria Jack Ryan.
+
+-- Oui, répondit un des pêcheurs, et maintenant il voudrait virer de
+bord, qu'il ne le pourrait plus !
+
+-- Des signaux, des signaux ! cria l'un des Écossais.
+
+-- Lesquels ? répliqua le pêcheur. Par cette bourrasque, on ne pourrait
+pas tenir une torche allumée ! »
+
+Et, pendant que ces propos s'échangeaient rapidement, de nouveaux cris
+étaient poussés. Mais comment eût-on pu les entendre au milieu de cette
+tempête ? L'équipage du navire n'avait plus aucune chance d'échapper au
+naufrage.
+
+« Pourquoi manoeuvrer ainsi ? s'écriait un marin.
+
+-- Veut-il donc faire côte ? répondit un autre.
+
+-- Le capitaine n'a donc pas eu connaissance du feu d'Irvine ? demanda
+Jack Ryan.
+
+-- Il faut le croire, répondit un des pêcheurs, à moins qu'il n'ait été
+trompé par quelque... »
+
+Le pêcheur n'avait pas achevé sa phrase, que Jack Ryan poussait un
+formidable cri. Fut-il entendu de l'équipage ? En tout cas, il était
+trop tard pour que le bâtiment pût se relever de la ligne des brisants
+qui blanchissait dans les ténèbres.
+
+Mais ce n'était pas, comme on aurait pu le croire, un suprême
+avertissement que Jack Ryan avait tenté de faire parvenir au bâtiment
+en perdition. Jack Ryan tournait alors le dos à la mer. Ses compagnons,
+eux aussi, regardaient un point situé à un demi mille en arrière de la
+grève.
+
+C'était le château de Dundonald. Une longue flamme se tordait sous les
+rafales au sommet de la vieille tour.
+
+« La Dame de feu ! » s'écrièrent avec grande terreur tous ces
+superstitieux Écossais.
+
+Franchement, il fallait une bonne dose d'imagination pour trouver à
+cette flamme une apparence humaine. Agitée comme un pavillon lumineux
+sous la brise, elle semblait parfois s'envoler du sommet de la tour,
+comme si elle eût été sur le point de s'éteindre, et, un instant après,
+elle s'y rattachait de nouveau par sa pointe bleuâtre.
+
+« La Dame de feu ! la Dame de feu ! » criaient les pêcheurs et les
+paysans effarés.
+
+Tout s'expliquait alors. Il était évident que le navire, désorienté
+dans les brumes, avait fait fausse route, et qu'il avait pris cette
+flamme, allumée au sommet du château de Dundonald, pour le feu
+d'Irvine. Il se croyait à l'entrée du golfe, située dix milles plus au
+nord, et il courait vers une franche terre, qui ne lui offrait aucun
+refuge !
+
+Que pouvait-on faire pour le sauver, s'il en était temps encore ?
+Peut-être eût-il fallu monter jusqu'aux ruines et tenter d'éteindre ce
+feu, pour qu'il ne fût pas possible de le confondre plus longtemps avec
+le phare du port d'Irvine !
+
+Sans doute, c'était ainsi qu'il convenait d'agir, sans retard; mais
+lequel de ces Écossais eût eu la pensée, et, après la pensée, l'audace
+de braver la Dame de feu ? Jack Ryan, peut-être, car il était
+courageux, et sa crédulité, si forte qu'elle fût, ne pouvait l'arrêter
+dans un généreux mouvement.
+
+Il était trop tard. Un horrible craquement retentit au milieu du fracas
+des éléments.
+
+Le navire venait de talonner par son arrière. Ses feux de position
+s'éteignirent. La ligne blanchâtre du ressac sembla brisée un instant.
+C'était le bâtiment qui l'abordait, se couchait sur le flanc et se
+disloquait entre les récifs.
+
+Et, à ce même instant, par une coïncidence qui ne pouvait être due
+qu'au hasard, la longue flamme disparut, comme si elle eût été arrachée
+par une violente rafale. La mer, le ciel, la grève furent aussitôt
+replongés dans les plus profondes ténèbres.
+
+« La Dame de feu ! » avait une dernière fois crié Jack Ryan, lorsque
+cette apparition, surnaturelle pour ses compagnons et lui, se fut
+évanouie subitement.
+
+Mais alors, le courage que ces superstitieux Écossais n'auraient pas eu
+contre un danger chimérique, ils le retrouvèrent en face d'un danger
+réel, maintenant qu'il s'agissait de sauver leurs semblables. Les
+éléments déchaînés ne les arrêtèrent pas. Au moyen de cordes lancées
+dans les lames -- héroïques autant qu'ils avaient été crédules --, ils
+se jetèrent au secours du bâtiment naufragé.
+
+Heureusement, ils réussirent, non sans que quelques-uns -- et le hardi
+Jack Ryan était du nombre -- se fussent grièvement meurtris sur les
+roches; mais le capitaine du navire et les huit hommes de l'équipage
+purent être déposés, sains et saufs, sur la grève.
+
+Ce navire était le brick norvégien _Motala_, chargé de bois du nord,
+faisant route pour Glasgow.
+
+Il n'était que trop vrai. Le capitaine, trompé par ce feu, allumé sur
+la tour du château de Dundonald, était venu donner en pleine côte, au
+lieu d'embouquer le golfe de Clyde.
+
+Et maintenant, du _Motala_, il ne restait plus que de rares épaves,
+dont le ressac achevait de briser les débris sur les roches du littoral.
+
+ XII
+
+ Les Exploits de Jack Ryan
+
+Jack Ryan et trois de ses compagnons, blessés comme lui, avaient été
+transportés dans une des chambres de la ferme de Melrose, où des soins
+leur furent immédiatement prodigués.
+
+Jack Ryan avait été le plus maltraité, car, au moment où, la corde aux
+reins, il s'était jeté à la mer, les lames furieuses l'avaient rudement
+roulé sur les récifs. Peu s'en était fallu, même, que ses camarades ne
+l'eussent rapporté sans vie sur le rivage.
+
+Le brave garçon fut donc cloué au lit pour quelques jours, -- ce dont
+il enragea fort. Cependant, lorsqu'on lui eut permis de chanter autant
+qu'il le voudrait, il prit son mal en patience, et la ferme de Melrose
+retentit, à toute heure, des joyeux éclats de sa voix. Mais Jack Ryan,
+dans cette aventure, ne puisa qu'un plus vif sentiment de crainte à
+l'égard de ces brawnies et autres lutins qui s'amusent à tracasser le
+pauvre monde, et ce fut eux qu'il rendit responsables de la catastrophe
+du _Motala_. On fût mal venu à lui soutenir que les Dames de feu
+n'existaient pas, et que cette flamme, si soudainement projetée entre
+les ruines, n'était due qu'à un phénomène physique. Aucun raisonnement
+ne l'eût convaincu. Ses compagnons étaient encore plus obstinés que lui
+dans leur crédulité. A les entendre, une des Dames de feu avait
+méchamment attiré le _Motala_ à la côte. Quant à vouloir l'en punir,
+autant mettre l'ouragan à l'amende ! Les magistrats pouvaient décréter
+toutes poursuites qui leur conviendraient. On n'emprisonne pas une
+flamme, on n'enchaîne pas un être impalpable. Et, s'il faut le dire,
+les recherches qui furent ultérieurement faites, semblèrent donner
+raison -- au moins en apparence -- à cette façon superstitieuse
+d'expliquer les choses.
+
+En effet, le magistrat, chargé de diriger une enquête relativement à la
+perte du _Motala_, vint interroger les divers témoins de la
+catastrophe. Tous furent d'accord sur ce point que le naufrage était dû
+à l'apparition surnaturelle de la Dame de feu dans les ruines du
+château de Dundonald.
+
+On le pense bien, la justice ne pouvait se payer de semblables raisons.
+Qu'un phénomène purement physique se fût produit dans ces ruines, pas
+de doute à cet égard. Mais était-ce accident ou malveillance ? c'est ce
+que le magistrat devait chercher à établir.
+
+Que ce mot « malveillance » ne surprenne pas. Il ne faudrait pas
+remonter haut dans l'histoire armoricaine pour en trouver la
+justification. Bien des pilleurs d'épaves du littoral breton ont fait
+ce métier d'attirer les navires à la côte afin de s'en partager les
+dépouilles. Tantôt un bouquet d'arbres résineux, enflammés pendant la
+nuit, guidait un bâtiment dans des passes dont il ne pouvait plus
+sortir. Tantôt une torche, attachée aux cornes d'un taureau et promenée
+au caprice de l'animal, trompait un équipage sur la route à suivre. Le
+résultat de ces manoeuvres était inévitablement quelque naufrage,
+dont les pillards profitaient. Il avait fallu l'intervention de la
+justice et de sévères exemples pour détruire ces barbares coutumes. Or,
+ne pouvait-il se faire que, dans cette circonstance, une main
+criminelle n'eût repris les anciennes traditions des pilleurs d'épaves ?
+
+C'est ce que pensaient les gens de la police, quoi qu'en eussent Jack
+Ryan et ses compagnons. Lorsque ceux-ci entendirent parler d'enquête,
+ils se divisèrent en deux camps : les uns se contentèrent de hausser
+les épaules; les autres, plus craintifs, annoncèrent que, très
+certainement, à provoquer ainsi les êtres surnaturels, on amènerait de
+nouvelles catastrophes.
+
+Néanmoins, l'enquête fut faite avec beaucoup de soin. Les gens de
+police se transportèrent au château de Dundonald, et ils procédèrent
+aux recherches les plus rigoureuses.
+
+Le magistrat voulut d'abord reconnaître si le sol avait conservé
+quelques empreintes de pas, pouvant être attribuées à d'autres pieds
+que des pieds de lutins. Il fut impossible de relever la plus légère
+trace, ni ancienne ni nouvelle. Cependant, la terre, encore tout humide
+des pluies de la veille, eût conservé le moindre vestige.
+
+« Des pas de brawnies ! s'écria Jack Ryan, lorsqu'il connut l'insuccès
+des premières recherches. Autant vouloir retrouver les traces d'un
+follet sur l'eau d'un marécage ! »
+
+Cette première partie de l'enquête ne produisit donc aucun résultat. Il
+n'était pas probable que la seconde partie en donnât davantage.
+
+Il s'agissait d'établir, en effet, comment le feu avait pu être allumé
+au sommet de la vieille tour, quels éléments avaient été fournis à la
+combustion, et enfin quels résidus cette combustion avait laissés.
+
+Sur le premier point, rien, ni restes d'allumettes, ni chiffons de
+papier, ayant pu servir à allumer un feu quelconque.
+
+Sur le second point, néant non moins absolu. On ne retrouva ni herbes
+desséchées, ni fragments de bois, dont ce foyer, si intense, avait
+pourtant dû être largement alimenté pendant la nuit.
+
+Quant au troisième point, il ne put être éclairci davantage. L'absence
+de toutes cendres, de tout résidu d'un combustible quelconque, ne
+permit pas même de retrouver l'endroit où le foyer avait dû être
+établi. Il n'existait aucune place noircie, ni sur la terre, ni sur la
+roche. Fallait-il donc en conclure que le foyer avait été tenu par la
+main de quelque malfaiteur ? C'était bien invraisemblable, puisque, au
+dire des témoins, la flamme présentait un développement gigantesque,
+tel que l'équipage du _Motala_ avait pu, malgré les brumes,
+l'apercevoir de plusieurs milles au large.
+
+« Bon ! s'écria Jack Ryan, la Dame de feu sait bien se passer
+d'allumettes ! Elle souffle, cela suffit à embraser l'air autour
+d'elle, et son foyer ne laisse jamais de cendres ! »
+
+Il résulta donc de tout ceci que les magistrats en furent pour leur
+peine, qu'une nouvelle légende s'ajouta à tant d'autres, légende qui
+devait perpétuer le souvenir de la catastrophe du _Motala_ et affirmer
+plus indiscutablement encore l'apparition des Dames de feu.
+
+Cependant, un si brave garçon que Jack Ryan, et d'une si vigoureuse
+constitution, ne pouvait demeurer longtemps alité. Quelques foulures et
+luxations n'étaient pas pour le coucher sur le flanc plus qu'il ne
+convenait. Il n'avait pas le temps d'être malade. Or, lorsque ce
+temps-là manque, on ne l'est guère dans ces régions salubres des
+Lowlands.
+
+Jack Ryan se rétablit donc promptement. Dès qu'il fut sur pied, avant
+de reprendre sa besogne à la ferme de Melrose, il voulut mettre certain
+projet à exécution. Il s'agissait d'aller faire visite à son camarade
+Harry, afin de savoir pourquoi celui-ci avait manqué à la fête du clan
+d'Irvine. De la part d'un homme tel qu'Harry, qui ne promettait jamais
+sans tenir, cette absence ne s'expliquait pas. Il était
+invraisemblable, d'ailleurs, que le fils du vieil overman n'eût pas
+entendu parler de la catastrophe du _Motala_ rapportée à grands détails
+par les journaux. Il devait savoir la part que Jack Ryan avait prise au
+sauvetage, ce qui en était advenu pour lui, et c'eût été trop
+d'indifférence de la part d'Harry que de ne pas pousser jusqu'à la
+ferme pour serrer la main de son ami Jack Ryan.
+
+Si donc Harry n'était pas venu, c'est qu'il n'avait pu venir.
+
+Jack Ryan eût plutôt nié l'existence des Dames de feu que de croire à
+l'indifférence d'Harry à son égard.
+
+Donc, deux jours après la catastrophe, Jack Ryan quitta la ferme,
+gaillardement, comme un solide garçon qui ne se ressentait aucunement
+de ses blessures. D'un joyeux refrain lancé à pleine poitrine, il fit
+résonner les échos de la falaise, et se rendit à la gare du railway
+qui, par Glasgow, conduit à Stirling et à Callander.
+
+Là, pendant qu'il attendait dans la gare, ses regards furent tout
+d'abord attirés par une affiche, reproduite à profusion sur les murs,
+et qui contenait l'avis suivant :
+
+« Le 4 décembre dernier, l'ingénieur James Starr, d'Édimbourg, s'est
+embarqué à Granton-pier sur le _Prince de Galles_. Il a débarqué le
+même jour à Stirling. Depuis ce temps, on est sans nouvelles de lui.
+
+« Prière d'adresser toute information le concernant au président de
+Royal Institution, à Édimbourg. »
+
+Jack Ryan, arrêté devant une de ces affiches, la lut par deux fois, non
+sans donner les signes de la plus extrême surprise.
+
+« Monsieur Starr ! s'écria-t-il. Mais, le 4 décembre, je l'ai
+précisément rencontré avec Harry sur les échelles du puits Yarow !
+voilà dix jours de cela ! Et, depuis ce temps, il n'aurait pas reparu !
+Cela expliquerait-il pourquoi mon camarade n'est pas venu à la fête
+d'Irvine ? »
+
+Et, sans prendre le temps d'informer par lettre le président de Royal
+Institution de ce qu'il savait relativement à James Starr, le brave
+garçon sauta dans le train, avec l'intention bien arrêtée de se rendre
+tout d'abord au puits Yarow. Cela fait, il descendrait jusqu'au fond de
+la fosse Dochart, s'il le fallait, pour retrouver Harry, et avec lui
+l'ingénieur James Starr.
+
+Trois heures après, il quittait le train à la gare de Callander, et se
+dirigeait rapidement vers le puits Yarow.
+
+« Ils n'ont pas reparu, se disait-il. Pourquoi ? Est-ce quelque
+obstacle qui les en a empêchés ? Est-ce un travail dont l'importance
+les retient encore au fond de la houillère ? Je le saurai ! »
+
+Et Jack Ryan, allongeant le pas, arriva en moins d'une heure au puits
+Yarow.
+
+Extérieurement, rien de changé. Même silence aux abords de la fosse.
+Pas un être vivant dans ce désert.
+
+Jack Ryan pénétra sous l'appentis en ruine qui recouvrait l'orifice du
+puits. Il plongea son regard dans ce gouffre... Il ne vit rien. Il
+écouta... Il n'entendit rien.
+
+« Et ma lampe ! s'écria-t-il. Ne serait-elle donc plus à sa place ? »
+
+La lampe, dont Jack Ryan se servait pendant ses visites à la fosse,
+était ordinairement déposée dans un coin, près du palier de l'échelle
+supérieure.
+
+Cette lampe avait disparu.
+
+« Voilà une première complication ! » dit Jack Ryan, qui commença à
+devenir très inquiet.
+
+Puis, sans hésiter, tout superstitieux qu'il fût :
+
+« J'irai, dit-il, quand il devrait faire plus noir dans la fosse que
+dans le tréfonds de l'enfer ! »
+
+Et il commença à descendre la longue suite d'échelles, qui
+s'enfonçaient dans le sombre puits.
+
+Il fallait que Jack Ryan n'eût point perdu de ses anciennes habitudes
+de mineur, et qu'il connût bien la fosse Dochart, pour se hasarder
+ainsi. Il descendait prudemment d'ailleurs. Son pied tâtait chaque
+échelon, dont quelques-uns étaient vermoulus. Tout faux pas eût
+entraîné une chute mortelle, dans ce vide de quinze cents pieds. Jack
+Ryan comptait donc chacun des paliers qu'il quittait successivement
+pour atteindre un étage inférieur. Il savait que son pied ne toucherait
+la semelle de la fosse qu'après avoir dépassé le trentième. Une fois
+là, il ne serait pas gêné, pensait-il, de retrouver le cottage, bâti,
+comme on sait, à l'extrémité de la galerie principale.
+
+Jack Ryan arriva ainsi au vingt-sixième palier, et, par conséquent,
+deux cents pieds, au plus, le séparaient alors du fond.
+
+A cet endroit, il baissa la jambe pour chercher le premier échelon de
+la vingt-septième échelle. Mais sa jambe, se balançant dans le vide, ne
+trouva aucun point d'appui.
+
+Jack Ryan s'agenouilla sur le palier. Il voulut saisir avec la main
+l'extrémité de l'échelle... Ce fut en vain.
+
+Il était évident que la vingt-septième échelle ne se trouvait pas à sa
+place, et, par conséquent, qu'elle avait été retirée.
+
+« Il faut que le vieux Nick ait passé par là ! » se dit-il, non sans
+éprouver un certain sentiment d'effroi.
+
+Debout, les bras croisés, voulant toujours percer cette ombre
+impénétrable, Jack Ryan attendit. Puis, il lui vint à la pensée que, si
+lui ne pouvait descendre, les habitants de la houillère, eux, n'avaient
+pu remonter. Il n'existait plus, en effet, aucune communication entre
+le sol du comté et les profondeurs de la fosse. Si cet enlèvement des
+échelles inférieures du puits Yarow avait été pratiqué depuis sa
+dernière visite au cottage, qu'étaient devenus Simon Ford, sa femme,
+son fils et l'ingénieur ? L'absence prolongée de James Starr prouvait
+évidemment qu'il n'avait pas quitté la fosse depuis le jour où Jack
+Ryan s'était croisé avec lui dans le puits Yarow. Comment, depuis lors,
+s'était fait le ravitaillement du cottage ? Les vivres n'avaient-ils
+pas manqué à ces malheureux, emprisonnés à quinze cents pieds sous
+terre ?
+
+Toutes ces pensées traversèrent l'esprit de Jack Ryan. Il vit bien
+qu'il ne pouvait rien par lui-même pour arriver jusqu'au cottage. Y
+avait-il eu malveillance dans ce fait que les communications étaient
+interrompues ? cela ne lui paraissait pas douteux. En tout cas, les
+magistrats aviseraient, mais il fallait les prévenir au plus vite.
+
+Jack Ryan se pencha au-dessus du palier.
+
+« Harry ! Harry ! » cria-t-il de sa voix puissante.
+
+Les échos se renvoyèrent à plusieurs reprises le nom d'Harry, qui
+s'éteignit enfin dans les dernières profondeurs du puits Yarow.
+
+Jack Ryan remonta rapidement les échelles supérieures, et revit la
+lumière du jour. Il ne perdit pas un instant. Tout d'une traite, il
+regagna la gare de Callander. Il ne lui fallut attendre que quelques
+minutes le passage de l'express d'Édimbourg, et, à trois heures de
+l'après-midi, il se présentait chez le lord-prévôt de la capitale.
+
+Là, sa déclaration fut reçue. Les détails précis qu'il donna ne
+permettaient pas de soupçonner sa véracité. Sir W. Elphiston, président
+de Royal Institution, non seulement collègue, mais ami particulier de
+James Starr, fut aussitôt averti, et il demanda à diriger les
+recherches qui allaient être faites sans délai à la fosse Dochart. On
+mit à sa disposition plusieurs agents, qui se munirent de lampes, de
+pics, de longues échelles de corde, sans oublier vivres et cordiaux.
+Puis, conduits par Jack Ryan, tous prirent immédiatement le chemin des
+houillères d'Aberfoyle.
+
+Le soir même, Sir W. Elphiston, Jack Ryan et les agents arrivèrent à
+l'orifice du puits Yarow, et ils descendirent jusqu'au vingt-septième
+palier, sur lequel Jack s'était arrêté, quelques heures auparavant.
+
+Les lampes, attachées au bout de longues cordes, furent envoyées dans
+les profondeurs du puits, et l'on put alors constater que les quatre
+dernières échelles manquaient.
+
+Nul doute que toute communication entre le dedans et le dehors de la
+fosse Dochart n'eût été intentionnellement rompue.
+
+« Qu'attendons-nous, monsieur ? demanda l'impatient Jack Ryan.
+
+-- Nous attendons que ces lampes soient remontées, mon garçon, répondit
+Sir W. Elphiston. Puis, nous descendrons jusqu'au sol de la dernière
+galerie, et tu nous conduiras...
+
+-- Au cottage, s'écria Jack Ryan, et, s'il le faut, jusque dans les
+derniers abîmes de la fosse ! »
+
+Dès que les lampes eurent été retirées, les agents fixèrent au palier
+les échelles de corde, qui se déroulèrent dans le puits. Les paliers
+inférieurs subsistaient encore. On put descendre de l'un à l'autre.
+
+Cela ne se fit pas sans de grandes difficultés. Jack Ryan, le premier,
+s'était suspendu à ces échelles vacillantes, et, le premier, il
+atteignit le fond de la houillère.
+
+Sir W. Elphiston et les agents l'eurent bientôt rejoint.
+
+Le rond-point, formé par le fond du puits Yarow, était absolument
+désert, mais Sir W. Elphiston ne fut pas médiocrement surpris
+d'entendre Jack Ryan s'écrier :
+
+« Voici quelques fragments des échelles, et ce sont des fragments à
+demi brûlés !
+
+-- Brûlés ! répéta Sir W. Elphiston. En effet, voilà des cendres
+refroidies depuis longtemps !
+
+-- Pensez-vous, monsieur, demanda Jack Ryan, que l'ingénieur James
+Starr ait eu intérêt à brûler ces échelles et à interrompre toute
+communication avec le dehors ?
+
+-- Non, répondit Sir W. Elphiston, qui demeura pensif. Allons, mon
+garçon, au cottage ! C'est là que nous saurons la vérité. »
+
+Jack Ryan hocha la tête, en homme peu convaincu. Mais, prenant une
+lampe des mains d'un agent, il s'avança rapidement à travers la galerie
+principale de la fosse Dochart.
+
+Tous le suivaient.
+
+Un quart d'heure plus tard, Sir W. Elphiston et ses compagnons avaient
+atteint l'excavation au fond de laquelle était bâti le cottage de Simon
+Ford. Aucune lumière n'en éclairait les fenêtres.
+
+Jack Ryan se précipita vers la porte, qu'il repoussa vivement.
+
+Le cottage était abandonné.
+
+On visita les chambres de la sombre habitation. Nulle trace de violence
+à l'intérieur. Tout était en ordre, comme si la vieille Madge eût
+encore été là. La réserve de vivres était même abondante, et eût suffi
+pendant plusieurs jours à la famille Ford.
+
+L'absence des hôtes du cottage était donc inexplicable. Mais pouvait-on
+constater d'une manière précise à quelle époque ils l'avaient quitté ?
+-- Oui, car, dans ce milieu où ne se succédaient ni les nuits, ni les
+jours, Madge avait coutume de marquer d'une croix chaque quantième de
+son calendrier.
+
+Ce calendrier était suspendu au mur de la salle. Or, la dernière croix
+avait été faite à la date du 6 décembre, c'est-à-dire un jour après
+l'arrivée de James Starr, -- ce que Jack Ryan fut en mesure d'affirmer.
+Il était donc manifeste que depuis le 6 décembre, c'est-à-dire depuis
+dix jours, Simon Ford, sa femme, son fils et son hôte avaient quitté le
+cottage. Une nouvelle exploration de la fosse, entreprise par
+l'ingénieur, pouvait-elle donner la raison d'une si longue absence ?
+Non, évidemment.
+
+Ainsi, du moins, le pensa Sir W. Elphiston. Après avoir minutieusement
+inspecté le cottage, il fut très embarrassé sur ce qu'il convenait de
+faire.
+
+L'obscurité était profonde. L'éclat des lampes, balancées aux mains des
+agents, étoilait seulement ces impénétrables ténèbres.
+
+Soudain, Jack Ryan poussa un cri.
+
+« Là ! là ! » dit-il.
+
+Et son doigt montrait une assez vive lueur, qui s'agitait dans l'obscur
+lointain de la galerie.
+
+« Mes amis, courons sur ce feu ! répondit Sir W. Elphiston.
+
+-- Un feu de brawnie ! s'écria Jack Ryan. A quoi bon ? Nous ne
+l'atteindrons jamais ! »
+
+Le président de Royal Institution et les agents, peu enclins à la
+crédulité, s'élancèrent dans la direction indiquée par la lueur
+mouvante. Jack Ryan, prenant bravement son parti, ne resta pas le
+dernier en route.
+
+Ce fut une longue et fatigante poursuite. Le falot lumineux semblait
+porté par un être de petite taille, mais singulièrement agile. A chaque
+instant, cet être disparaissait derrière quelque remblai; puis, on le
+revoyait au fond d'une galerie transversale. De rapides crochets le
+mettaient ensuite hors de vue. Il semblait avoir définitivement
+disparu, et, soudain, la lueur de son falot jetait de nouveau un vif
+éclat. En somme, on gagnait peu sur lui, et Jack Ryan persistait à
+croire, non sans raison, qu'on ne l'atteindrait pas.
+
+Pendant une heure de cette inutile poursuite, Sir W. Elphiston et ses
+compagnons s'enfoncèrent dans la portion sud-ouest de la fosse Dochart.
+Ils en arrivaient, eux aussi, à se demander s'ils n'avaient pas affaire
+à quelque follet insaisissable.
+
+A ce moment, cependant, il sembla que la distance commençait à diminuer
+entre le follet et ceux qui cherchaient à l'atteindre. Était-ce fatigue
+de l'être quelconque qui fuyait, ou cet être voulait-il attirer Sir W.
+Elphiston et ses compagnons là où les habitants du cottage avaient
+peut-être été attirés eux-mêmes ? Il eût été malaisé de résoudre la
+question.
+
+Toutefois, les agents, voyant s'amoindrir cette distance redoublèrent
+leurs efforts. La lueur, qui avait toujours brillé à plus de deux cents
+pas en avant d'eux, se tenait maintenant à moins de cinquante. Cet
+intervalle diminua encore. Le porteur du falot devint plus visible.
+Quelquefois, lorsqu'il retournait la tête, on pouvait reconnaître le
+vague profil d'une figure humaine, et, à moins qu'un lutin n'eût pris
+cette forme, Jack Ryan était forcé de convenir qu'il ne s'agissait
+point là d'un être surnaturel.
+
+Et alors, tout en courant plus vite :
+
+« Hardi, camarades ! criait-il. Il se fatigue ! Nous l'atteindrons
+bientôt, et, s'il parle aussi bien qu'il détale, il pourra nous en dire
+long ! »
+
+Cependant, la poursuite devenait plus difficile alors. En effet, au
+milieu des dernières profondeurs de la fosse, d'étroits tunnels
+s'entrecroisaient comme les allées d'un labyrinthe. Dans ce dédale, le
+porteur du falot pouvait aisément échapper aux agents.
+
+Il lui suffisait d'éteindre sa lanterne et de se jeter de côté au fond
+de quelque refuge obscur.
+
+« Et, au fait, pensait Sir W. Elphiston, s'il veut nous échapper,
+pourquoi ne le fait-il pas ? »
+
+Cet être insaisissable ne l'avait pas fait jusqu'alors; mais, au moment
+où cette pensée traversait l'esprit de Sir W. Elphiston, la lueur
+disparut subitement, et les agents, continuant leur poursuite,
+arrivèrent presque aussitôt devant une étroite ouverture que les roches
+schisteuses laissaient entre elles, à l'extrémité d'un étroit boyau.
+
+S'y glisser, après avoir ravivé leurs lampes, s'élancer à travers cet
+orifice qui s'ouvrait devant eux, ce fut pour Sir W. Elphiston, Jack
+Ryan et leurs compagnons l'affaire d'un instant.
+
+Mais ils n'avaient pas fait cent pas dans une nouvelle galerie, plus
+large et plus haute, qu'ils s'arrêtaient soudain.
+
+Là, près de la paroi, quatre corps étaient étendus sur le sol, quatre
+cadavres peut-être !
+
+« James Starr ! dit Sir W. Elphiston.
+
+-- Harry ! Harry ! » s'écria Jack Ryan, en se précipitant sur le corps
+de son camarade.
+
+C'étaient, en effet, l'ingénieur, Madge, Simon et Harry Ford, qui
+étaient étendus là, sans mouvement.
+
+Mais, alors, l'un de ces corps se redressa, et l'on entendit la voix
+épuisée de la vieille Madge murmurer ces mots :
+
+« Eux ! eux, d'abord ! »
+
+Sir W. Elphiston, Jack Ryan, les agents, essayèrent de ranimer
+l'ingénieur et ses compagnons, en leur faisant avaler quelques gouttes
+de cordial. Ils y réussirent presque aussitôt. Ces infortunés,
+séquestrés depuis dix jours dans la Nouvelle-Aberfoyle, mouraient
+d'inanition.
+
+Et, s'ils n'avaient pas succombé pendant ce long emprisonnement --
+James Starr l'apprit à Sir W. Elphiston --, c'est que trois fois ils
+avaient trouvé près d'eux un pain et une cruche d'eau ! Sans doute,
+l'être secourable auquel ils devaient de vivre encore n'avait pas pu
+faire davantage !...
+
+Sir W. Elphiston se demanda si ce n'était pas là l'oeuvre de cet
+insaisissable follet qui venait de les attirer précisément à l'endroit
+où gisaient James Starr et ses compagnons.
+
+Quoi qu'il en soit, l'ingénieur, Madge, Simon et Harry Ford étaient
+sauvés. Ils furent reconduits au cottage, en repassant par l'étroite
+issue que le porteur du falot semblait avoir voulu indiquer à Sir W.
+Elphiston.
+
+Et si James Starr et ses compagnons n'avaient pu retrouver l'orifice de
+la galerie que leur avait ouvert la dynamite, c'est que cet orifice
+avait été solidement bouché au moyen de roches superposées, que, dans
+cette profonde obscurité, ils n'avaient pu ni reconnaître ni disjoindre.
+
+Ainsi donc, pendant qu'ils exploraient la vaste crypte, toute
+communication avait été volontairement fermée par une main ennemie
+entre l'ancienne et la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XIII
+
+ Coal-city
+
+Trois ans après les événements qui viennent d'être racontés, les Guides
+Joanne ou Murray recommandaient, « comme grande attraction », aux
+nombreux touristes qui parcouraient le comté de Stirling, une visite de
+quelques heures aux houillères de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Aucune mine, en n'importe quel pays du nouveau ou de l'ancien monde, ne
+présentait un plus curieux aspect.
+
+Tout d'abord, le visiteur était transporté sans danger ni fatigue
+jusqu'au sol de l'exploitation, à quinze cents pieds au-dessous de la
+surface du comté.
+
+En effet, à sept milles, dans le sud-ouest de Callander, un tunnel
+oblique, décoré d'une entrée monumentale, avec tourelles, créneaux et
+mâchicoulis, affleurait le sol. Ce tunnel, à pente douce, largement
+évidé, venait aboutir directement à cette crypte si singulièrement
+creusée dans le massif du sol écossais.
+
+Un double railway, dont les wagons étaient mus par une force
+hydraulique, desservait, d'heure en heure, le village qui s'était fondé
+dans le sous-sol du comté, sous le nom un peu ambitieux peut-être de «
+Coal-city », c'est-à-dire la Cité du Charbon.
+
+Le visiteur, arrivé à Coal-city, se trouvait dans un milieu où
+l'électricité jouait un rôle de premier ordre, comme agent de chaleur
+et de lumière.
+
+En effet, les puits d'aération, quoiqu'ils fussent nombreux, n'auraient
+pas pu mêler assez de jour à l'obscurité profonde de la
+Nouvelle-Aberfoyle. Cependant, une lumière intense emplissait ce sombre
+milieu, où de nombreux disques électriques remplaçaient le disque
+solaire. Suspendus sous l'intrados des voûtes, accrochés aux piliers
+naturels, tous alimentés par des courants continus que produisaient des
+machines électromagnétiques -- les uns soleils, les autres étoiles -,
+ils éclairaient largement ce domaine. Lorsque l'heure du repos
+arrivait, un interrupteur suffisait à produire artificiellement la nuit
+dans ces profonds abîmes de la houillère.
+
+Tous ces appareils, grands ou petits, fonctionnaient dans le vide,
+c'est-à-dire que leurs arcs lumineux ne communiquaient aucunement avec
+l'air ambiant. Si bien que, pour le cas où l'atmosphère eût été
+mélangée de grisou dans une proportion détonante, aucune explosion
+n'eût été à craindre. Aussi l'agent électrique était-il invariablement
+employé à tous les besoins de la vie industrielle et de la vie
+domestique, aussi bien dans les maisons de Coal-city que dans les
+galeries exploitées de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Il faut dire, avant tout, que les prévisions de l'ingénieur James Starr
+-- en ce qui concernait l'exploitation de la nouvelle houillère --
+n'avaient point été déçues. La richesse des filons carbonifères était
+incalculable. C'était dans l'ouest de la crypte, à un quart de mille de
+Coal-city, que les premières veines avaient été attaquées par le pic
+des mineurs. La cité ouvrière n'occupait donc pas le centre de
+l'exploitation. Les travaux du fond étaient directement reliés aux
+travaux du jour par les puits d'aération et d'extraction, qui mettaient
+les divers étages de la mine en communication avec le sol. Le grand
+tunnel, où fonctionnait le railway à traction hydraulique, ne servait
+qu'au transport des habitants de Coal-city.
+
+On se rappelle quelle était la singulière conformation de cette vaste
+caverne, où le vieil overman et ses compagnons s'étaient arrêtés
+pendant leur première exploration. Là, au-dessus de leur tête,
+s'arrondissait un dôme de courbure ogivale. Les piliers qui le
+soutenaient allaient se perdre dans la voûte de schiste, à une hauteur
+de trois cents pieds, -- hauteur presque égale à celle du «
+Mammouth-Dôme », des grottes du Kentucky.
+
+On sait que cette énorme halle -- la plus grande de tout l'hypogée
+américain -- peut aisément contenir cinq mille personnes. Dans cette
+partie de la Nouvelle-Aberfoyle, c'était même proportion et aussi même
+disposition. Mais, au lieu des admirables stalactites de la célèbre
+grotte, le regard s'accrochait ici à des intumescences de filons
+carbonifères, qui semblaient jaillir de toutes les parois sous la
+pression des failles schisteuses. On eût dit des rondes-bosses de jais
+dont les paillettes s'allumaient sous le rayonnement des disques.
+
+Au-dessous de ce dôme s'étendait un lac comparable pour son étendue à
+la mer Morte des « Mammouth-Caves », -- lac profond dont les eaux
+transparentes fourmillaient de poissons sans yeux, et auquel
+l'ingénieur donna le nom de lac Malcolm.
+
+C'était là, dans cette immense excavation naturelle, que Simon Ford
+avait bâti son nouveau cottage, et il ne l'eût pas échangé pour le plus
+bel hôtel de Princes-street, à Édimbourg. Cette habitation était située
+au bord du lac, et ses cinq fenêtres s'ouvraient sur les eaux sombres,
+qui s'étendaient au-delà de la limite du regard.
+
+Deux mois après, une seconde habitation s'était élevée dans le
+voisinage du cottage de Simon Ford. Ce fut celle de James Starr.
+L'ingénieur s'était donné corps et âme à la Nouvelle-Aberfoyle. Il
+avait, lui aussi, voulu l'habiter, et il fallait que ses affaires l'y
+obligeassent impérieusement pour qu'il consentît à remonter au dehors.
+Là, en effet, il vivait au milieu de son monde de mineurs.
+
+Depuis la découverte des nouveaux gisements, tous les ouvriers de
+l'ancienne houillère s'étaient hâtés d'abandonner la charme et la herse
+pour reprendre le pic ou la pioche. Attirés par la certitude que le
+travail ne leur manquerait jamais, alléchés par les hauts prix que la
+prospérité de l'exploitation allait permettre d'affecter à la
+main-d'oeuvre, ils avaient abandonné le dessus du sol pour le
+dessous, et s'étaient logés dans la houillère, qui, par sa disposition
+naturelle, se prêtait à cette installation.
+
+Ces maisons de mineurs, construites en briques, s'étaient peu à peu
+disposées d'une façon pittoresque, les unes sur les rives du lac
+Malcolm, les autres sous ces arceaux, qui semblaient faits pour
+résister à la poussée des voûtes comme les contreforts d'une
+cathédrale. Piqueurs qui abattent la roche, rouleurs qui transportent
+le charbon, conducteurs de travaux, boiseurs qui étançonnent les
+galeries, cantonniers auxquels est confiée la réparation des voies,
+remblayeurs qui substituent la pierre à la houille dans les parties
+exploitées, tous ces ouvriers enfin, qui sont plus spécialement
+employés aux travaux du fond, fixèrent leur domicile dans la
+Nouvelle-Aberfoyle et fondèrent peu à peu Coal-city, située sous la
+pointe orientale du lac Katrine, dans le nord du comté de Stirling.
+
+C'était donc une sorte de village flamand, qui s'était élevé sur les
+bords du lac Malcolm. Une chapelle, érigée sous l'invocation de
+Saint-Gilles, dominait tout cet ensemble du haut d'un énorme rocher,
+dont le pied se baignait dans les eaux de cette mer subterranéenne.
+
+Lorsque ce bourg souterrain s'éclairait des vifs rayons projetés par
+les disques, suspendus aux piliers du dôme ou aux arceaux des
+contre-nefs, il se présentait sous un aspect quelque peu fantastique,
+d'un effet étrange, qui justifiait la recommandation des Guides Murray
+ou Joanne. C'est pourquoi les visiteurs affluaient.
+
+Si les habitants de Coal-city se montraient fiers de leur installation,
+cela va sans dire. Aussi ne quittaient-ils que rarement la cité
+ouvrière, imitant en cela Simon Ford, qui, lui, n'en voulait jamais
+sortir. Le vieil overman prétendait qu'il pleuvait toujours « là-haut
+», et, étant donné le climat du Royaume-Uni, il faut convenir qu'il
+n'avait pas absolument tort. Les familles de la Nouvelle-Aberfoyle
+prospéraient donc. Depuis trois ans, elles étaient arrivées à une
+certaine aisance, qu'elles n'eussent jamais obtenue à la surface du
+comté. Bien des bébés, qui étaient nés à l'époque où les travaux furent
+repris, n'avaient encore jamais respiré l'air extérieur.
+
+Ce qui faisait dire à Jack Ryan :
+
+« Voilà dix-huit mois qu'ils ont cessé de téter leurs mères, et,
+pourtant, ils n'ont pas encore vu le jour ! » Il faut noter, à ce
+propos, qu'un des premiers accourus à l'appel de l'ingénieur avait été
+Jack Ryan. Ce joyeux compagnon s'était fait un devoir de reprendre son
+ancien métier. La ferme de Melrose avait donc perdu son chanteur et son
+piper ordinaire. Mais ce n'est pas dire que Jack Ryan ne chantait plus.
+Au contraire, et les échos sonores de la Nouvelle-Aberfoyle usaient
+leurs poumons de pierre à lui répondre.
+
+Jack Ryan s'était installé au nouveau cottage de Simon Ford. On lui
+avait offert une chambre qu'il avait acceptée sans façon, en homme
+simple et franc qu'il était. La vieille Madge l'aimait pour son bon
+caractère et sa belle humeur. Elle partageait tant soit peu ses idées
+au sujet des êtres fantastiques qui devaient hanter la houillère, et,
+tous deux, quand ils étaient seuls, se racontaient des histoires à
+faire frémir, histoires bien dignes d'enrichir la mythologie
+hyperboréenne.
+
+Jack Ryan devint ainsi la joie du cottage. C'était, d'ailleurs, un bon
+sujet, un solide ouvrier. Six mois après la reprise des travaux, il
+était chef d'une brigade des travaux du fond.
+
+« Voilà qui est bien travaillé, monsieur Ford, disait-il, quelques
+jours après son installation. vous avez trouvé un nouveau filon, et, si
+vous avez failli payer de votre vie cette découverte, eh bien, ce n'est
+pas trop cher !
+
+-- Non, Jack, c'est même un bon marché que nous avons fait là !
+répondit le vieil overman. Mais ni M. Starr, ni moi, nous n'oublierons
+que c'est à toi que nous devons la vie !
+
+-- Mais non, reprit Jack Ryan. C'est à votre fils Harry, puisqu'il a eu
+la bonne pensée d'accepter mon invitation pour la fête d'Irvine...
+
+-- Et de n'y point aller, n'est-ce pas ? répliqua Harry, en serrant la
+main de son camarade. Non, Jack, c'est à toi, à peine remis de tes
+blessures, à toi, qui n'as perdu ni un jour, ni une heure, que nous
+devons d'avoir été retrouvés vivants dans la houillère !
+
+-- Eh bien, non ! riposta l'entêté garçon. Je ne laisserai pas dire des
+choses qui ne sont point ! J'ai pu faire diligence pour savoir ce que
+tu étais devenu, Harry, et voilà tout. Mais, afin de rendre à chacun ce
+qui lui est dû, j'ajouterai que sans cet insaisissable lutin...
+
+-- Ah ! nous y voilà ! s'écria Simon Ford. Un lutin !
+
+-- Un lutin, un brawnie, un fils de fée, répéta Jack Ryan, un
+petit-fils des Dames de feu, un Urisk, ce que vous voudrez enfin ! Il
+n'en est pas moins certain que, sans lui, nous n'aurions jamais pénétré
+dans la galerie, d'où vous ne pouviez plus sortir !
+
+-- Sans doute, Jack, répondit Harry. Il reste à savoir si cet être est
+aussi surnaturel que tu veux le croire.
+
+-- Surnaturel ! s'écria Jack Ryan. Mais il est aussi surnaturel qu'un
+follet, qu'on verrait courir son falot à la main, qu'on voudrait
+attraper, qui vous échapperait comme un sylphe, qui s'évanouirait comme
+une ombre ! Sois tranquille, Harry, on le reverra un jour ou l'autre !
+
+-- Eh bien, Jack, dit Simon Ford, follet ou non, nous chercherons à le
+retrouver, et il faudra que tu nous aides à cela.
+
+-- Vous vous ferez là une mauvaise affaire, monsieur Ford ! répondit
+Jack Ryan.
+
+-- Bon ! laisse venir, Jack ! »
+
+On se figure aisément combien ce domaine de la Nouvelle Aberfoyle
+devint bientôt familier aux membres de la famille Ford, et plus
+particulièrement à Harry. Celui-ci apprit à en connaître les plus
+secrets détours. Il en arriva même à pouvoir dire à quel point de la
+surface du sol correspondait tel ou tel point de la houillère. Il
+savait qu'au-dessus de cette couche se développait le golfe de Clyde,
+que là s'étendait le lac Lomond ou le lac Katrine. Ces piliers, c'était
+un contrefort des monts Grampians qu'ils supportaient. Cette voûte,
+elle servait de soubassement à Dumbarton. Au-dessus de ce large étang
+passait le railway de Balloch. Là finissait le littoral écossais. Là
+commençait la mer, dont on entendait distinctement les fracas, pendant
+les grandes tourmentes de l'équinoxe. Harry eût été un merveilleux «
+leader » de ces catacombes naturelles, et, ce que font les guides des
+Alpes sur les sommets neigeux, en pleine lumière, il l'eût fait dans la
+houillère, en pleine ombre, avec une incomparable sûreté d'instinct.
+
+Aussi l'aimait-il, cette Nouvelle-Aberfoyle ! Que de fois, sa lampe au
+chapeau, il s'aventurait jusque dans ses plus extrêmes profondeurs ! Il
+explorait ses étangs sur un canot qu'il manoeuvrait adroitement.
+Il chassait même, car de nombreux oiseaux sauvages s'étaient introduits
+dans la crypte, pilets, bécassines, macreuses, qui se nourrissaient des
+poissons dont fourmillaient ces eaux noires. Il semblait que les yeux
+d'Harry fussent faits aux espaces sombres, comme les yeux d'un marin
+aux horizons éloignés.
+
+Mais, courant ainsi, Harry était comme irrésistiblement entraîné par
+l'espoir de retrouver l'être mystérieux, dont l'intervention, pour dire
+le vrai, l'avait sauvé plus que toute autre, et les siens avec lui.
+Réussirait-il ? Oui, à n'en pas douter, s'il en croyait ses
+pressentiments. Non, s'il fallait conclure du peu de succès que ses
+recherches avaient obtenu jusqu'alors.
+
+Quant aux attaques dirigées contre la famille du vieil overman, avant
+la découverte de la Nouvelle-Aberfoyle, elles ne s'étaient pas
+renouvelées.
+
+Ainsi allaient les choses dans cet étrange domaine.
+
+Il ne faudrait pas s'imaginer que, même à l'époque où les linéaments de
+Coal-city se dessinaient à peine, toute distraction fût écartée de la
+souterraine cité, et que l'existence y fût monotone.
+
+Il n'en était rien. Cette population, ayant mêmes intérêts, mêmes
+goûts, à peu près même somme d'aisance, constituait, à vrai dire, une
+grande famille. On se connaissait, on se coudoyait, et le besoin
+d'aller chercher quelques plaisirs au-dehors se faisait peu sentir.
+
+D'ailleurs, chaque dimanche, promenades dans la houillère, excursions
+sur les lacs et les étangs, c'étaient autant d'agréables distractions.
+
+Souvent aussi, on entendait les sons de la cornemuse retentir sur les
+bords du lac Malcolm. Les Écossais accouraient à l'appel de leur
+instrument national. On dansait, et ce jour-là, Jack Ryan, revêtu de
+son costume de Highlander, était le roi de la fête.
+
+Enfin, de tout cela il résultait, au dire de Simon Ford, que Coal-city
+pouvait déjà se poser en rivale de la capitale de l'Écosse, de cette
+cité soumise aux froids de l'hiver, aux chaleurs de l'été, aux
+intempéries d'un climat détestable, et qui, dans une atmosphère
+encrassée de la fumée de ses usines, justifiait trop justement son
+surnom de « Vieille-Enfumée ».
+
+ XIV
+
+ Suspendu à un fil
+
+Dans de telles conditions, ses plus chers désirs satisfaits, la famille
+de Simon Ford était heureuse. Cependant, on eût pu observer qu'Harry,
+déjà d'un caractère un peu sombre, était de plus en plus « en dedans »,
+comme disait Madge. Jack Ryan, malgré sa bonne humeur si communicative,
+ne parvenait pas à le mettre « en dehors ».
+
+Un dimanche -- c'était au mois de juin --, les deux amis se promenaient
+sur les bords du lac Malcolm. Coal-city chômait. A l'extérieur, le
+temps était orageux. De violentes pluies faisaient sortir de la terre
+une buée chaude. On ne respirait pas à la surface du comté.
+
+Au contraire, à Coal-city, calme absolu, température douce, ni pluie ni
+vent. Rien n'y transpirait de la lutte des éléments du dehors. Aussi,
+un certain nombre de promeneurs de Stirling et des environs étaient-ils
+venus chercher un peu de fraîcheur dans les profondeurs de la houillère.
+
+Les disques électriques jetaient un éclat qu'eût certainement envié le
+soleil britannique, plus embrumé qu'il ne convient à un soleil des
+dimanches.
+
+Jack Ryan faisait remarquer ce tumultueux concours de visiteurs à son
+camarade Harry. Mais celui-ci ne semblait prêter à ses paroles qu'une
+médiocre attention.
+
+« Regarde donc, Harry ! s'écriait Jack Ryan. Quel empressement à venir
+nous voir. ! Allons, mon camarade ! Chasse un peu tes idées tristes
+pour mieux faire les honneurs de notre domaine ! Tu donnerais à penser,
+à tous ces gens du dessus, que l'on peut envier leur sort !
+
+-- Jack, répondit Harry, ne t'occupe pas de moi ! Tu es gai pour deux,
+et cela suffit !
+
+-- Que le vieux Nick m'emporte ! riposta Jack Ryan, si ta mélancolie ne
+finit pas par déteindre sur moi ! Mes yeux se rembrunissent, mes lèvres
+se resserrent, le rire me reste au fond du gosier, la mémoire des
+chansons m'abandonne ! voyons, Harry, qu'as-tu ?
+
+-- Tu le sais, Jack.
+
+-- Toujours cette pensée ?...
+
+-- Toujours.
+
+-- Ah ! mon pauvre Harry ! répondit Jack Ryan en haussant les épaules,
+si, comme moi, tu mettais tout cela sur le compte des lutins de la
+mine, tu aurais l'esprit plus tranquille !
+
+-- Tu sais bien, Jack, que les lutins n'existent que dans ton
+imagination, et que, depuis la reprise des travaux, on n'en a pas revu
+un seul dans la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+-- Soit, Harry ! mais, si les brawnies ne se montrent plus, il me
+semble que ceux auxquels tu veux rapporter toutes ces choses
+extraordinaires ne se montrent pas davantage !
+
+-- Je les retrouverai, Jack !
+
+-- Ah ! Harry ! Harry ! Les génies de la Nouvelle-Aberfoyle ne sont pas
+faciles à surprendre !
+
+-- Je les retrouverai, tes prétendus génies ! reprit Harry avec
+l'accent de la plus énergique conviction.
+
+-- Ainsi, tu prétends punir ?...
+
+-- Punir et récompenser, Jack. Si une main nous a emprisonnés dans
+cette galerie, je n'oublie pas qu'une autre main nous a secourus ! Non
+! je ne l'oublie pas !
+
+-- Eh ! Harry ! répondit Jack Ryan, es-tu bien sûr que ces deux
+mains-là n'appartiennent pas au même corps ?
+
+-- Pourquoi, Jack ? D'où peut te venir cette idée ?
+
+-- Dame... tu sais... Harry ! Ces êtres, qui vivent dans les abîmes...
+ne sont pas faits comme nous !
+
+-- Ils sont faits comme nous, Jack !
+
+-- Eh non ! Harry... non... D'ailleurs, ne peut-on supposer que quelque
+fou est parvenu à s'introduire...
+
+-- Un fou ! répondit Harry ! Un fou qui aurait une telle suite dans les
+idées ! Un fou, ce malfaiteur qui, depuis le jour où il a rompu les
+échelles du puits Yarow, n'a cessé de nous faire du mal !
+
+-- Mais il n'en fait plus, Harry. Depuis trois ans, aucun acte
+malveillant n'a été renouvelé ni contre toi, ni contre les tiens !
+
+-- Il n'importe, Jack, répondit Harry. J'ai le pressentiment que cet
+être mauvais, quel qu'il soit, n'a pas renoncé à ses projets. Sur quoi
+je me fonde pour te parler ainsi, je ne pourrais le dire. Aussi, Jack,
+dans l'intérêt de la nouvelle exploitation, je veux savoir qui il est
+et d'où il vient.
+
+-- Dans l'intérêt de la nouvelle exploitation ?... demanda Jack Ryan,
+assez étonné.
+
+-- Oui, Jack, reprit Harry. Je ne sais si je m'abuse, mais je vois dans
+toute cette affaire un intérêt contraire au nôtre. J'y ai souvent
+songé, et je ne crois pas me tromper. Rappelle-toi la série de ces
+faits inexplicables, qui s'enchaînent logiquement l'un à l'autre. Cette
+lettre anonyme, contradictoire de celle de mon père, prouve, tout
+d'abord, qu'un homme a eu connaissance de nos projets et qu'il a voulu
+en empêcher l'accomplissement. M. Starr vient nous rendre visite à la
+fosse Dochart. A peine l'y ai-je introduit, qu'une énorme pierre est
+lancée sur nous, et que toute communication est aussitôt interrompue
+par la rupture des échelles du puits Yarow. Notre exploration commence.
+Une expérience, qui doit révéler l'existence du nouveau gisement, est
+alors rendue impossible par l'obturation des fissures du schiste.
+Néanmoins, la constatation s'opère, le filon est trouvé. Nous revenons
+sur nos pas. Un grand souffle se produit dans l'air. Notre lampe est
+brisée. L'obscurité se fait autour de nous. Nous parvenons, cependant,
+à suivre la sombre galerie... Plus d'issue pour en sortir. L'orifice
+était bouché. Nous étions séquestrés. Eh bien, Jack, ne vois-tu pas
+dans tout cela une pensée criminelle ? Oui ! un être, insaisissable
+jusqu'ici, mais non pas surnaturel, comme tu persistes à le croire,
+était caché dans la houillère. Dans un intérêt que je ne puis
+comprendre, il cherchait à nous en interdire l'accès. Il y était !...
+Un pressentiment me dit qu'il y est encore, et qui sait s'il ne prépare
+pas quelque coup terrible ! -- Eh bien, Jack, dussé-je y risquer ma
+vie, je le découvrirai ! »
+
+Harry avait parlé avec une conviction qui ébranla sérieusement son
+camarade.
+
+Jack Ryan sentait bien qu'Harry avait raison, -- au moins pour le
+passé. Que ces faits extraordinaires eussent une cause naturelle ou
+surnaturelle, ils n'en étaient pas moins patents.
+
+Cependant, le brave garçon ne renonçait pas à sa manière d'expliquer
+ces événements. Mais, comprenant qu'Harry n'admettrait jamais
+l'intervention d'un génie mystérieux, il se rabattit sur l'incident qui
+semblait inconciliable avec le sentiment de malveillance dirigée contre
+la famille Ford.
+
+« Eh bien, Harry, dit-il, si je suis obligé de te donner raison sur un
+certain nombre de points, ne penseras-tu pas avec moi que quelque
+bienfaisant brawnie, en vous apportant le pain et l'eau, a pu vous
+sauver de...
+
+-- Jack, répondit Harry en l'interrompant, l'être secourable dont tu
+veux faire un être surnaturel existe aussi réellement que le malfaiteur
+en question, et, tous deux, je les chercherai jusque dans les plus
+lointaines profondeurs de la houillère.
+
+-- Mais as-tu quelque indice qui puisse guider tes recherches ? demanda
+Jack Ryan.
+
+-- Peut-être, répondit Harry. Écoute-moi bien. A cinq milles dans
+l'ouest de la Nouvelle-Aberfoyle, sous la portion du massif qui
+supporte le Lomond, il existe un puits naturel qui s'enfonce
+perpendiculairement dans les entrailles mêmes du gisement. Il y a huit
+jours, j'ai voulu en sonder la profondeur. Or, pendant que ma sonde
+descendait, alors que j'étais penché sur l'orifice de ce puits, il m'a
+semblé que l'air s'agitait à l'intérieur, comme s'il eût été battu de
+grands coups d'ailes.
+
+-- C'était quelque oiseau égaré dans les galeries inférieures de la
+houillère, répondit Jack.
+
+-- Ce n'est pas tout, Jack, reprit Harry. Ce matin même, je suis
+retourné à ce puits, et là, prêtant l'oreille, j'ai cru surprendre
+comme une sorte de gémissement...
+
+-- Un gémissement ! s'écria Jack. Tu t'es trompé, Harry ! C'est une
+poussée d'air.., à moins qu'un lutin...
+
+-- Demain, Jack, reprit Harry, je saurai à quoi m'en tenir.
+
+-- Demain ? répondit Jack en regardant son camarade.
+
+-- Oui ! Demain, je descendrai dans cet abîme.
+
+-- Harry, c'est tenter Dieu, cela !
+
+-- Non, Jack, car j'implorerai son aide pour y descendre. Demain, nous
+nous rendrons tous deux à ce puits avec quelques-uns de nos camarades.
+Une longue corde, à laquelle je m'attacherai, vous permettra de me
+descendre et de me retirer à un signal convenu. -- Je puis compter sur
+toi, Jack ?
+
+-- Harry, répondit Jack Ryan en hochant la tête, je ferai ce que tu me
+demandes, et cependant, je te le répète, tu as tort.
+
+-- Mieux vaut avoir tort de faire que remords de n'avoir pas fait, dit
+Harry d'un ton décidé. Donc, demain matin, à six heures, et silence !
+Adieu, Jack ! »
+
+Et, pour ne pas continuer une conversation dans laquelle Jack Ryan eût
+encore essayé de combattre ses projets, Harry quitta brusquement son
+camarade et rentra au cottage.
+
+Il faut, cependant, convenir que les appréhensions de Jack n'étaient
+point exagérées. Si quelque ennemi personnel menaçait Harry, s'il se
+trouvait au fond de ce puits où le jeune mineur allait le chercher,
+Harry s'exposait. Cependant, quelle vraisemblance d'admettre qu'il en
+fût ainsi ?
+
+« Et, au surplus, répétait Jack Ryan, pourquoi se donner tant de mal
+pour expliquer une série de faits, qui s'expliquaient si aisément par
+une intervention surnaturelle des génies de la mine ? »
+
+Quoi qu'il en soit, le lendemain, Jack Ryan et trois mineurs de sa
+brigade arrivaient en compagnie d'Harry à l'orifice du puits suspect.
+
+Harry n'avait rien dit de son projet, ni à James Starr, ni au vieil
+overman. De son côté, Jack Ryan avait été assez discret pour ne point
+parler. Les autres mineurs, en les voyant partir, avaient pensé qu'il
+ne s'agissait là que d'une simple exploration du gisement suivant sa
+coupe verticale.
+
+Harry s'était muni d'une longue corde, mesurant deux cents pieds. Cette
+corde n'était pas grosse, mais elle était solide. Harry ne devant ni
+descendre ni remonter à la force des poignets, il suffisait que la
+corde fût assez forte pour supporter son poids. C'était à ses
+compagnons qu'incomberait la tâche de le laisser glisser dans le
+gouffre, à eux de l'en retirer. Une secousse, imprimée à la corde,
+servirait de signal entre eux et lui.
+
+Le puits était assez large, ayant douze pieds de diamètre à son
+orifice. Une poutre fut placée en travers, comme un pont, de manière
+que la corde, en glissant à sa surface, pût se maintenir dans l'axe du
+puits. Précaution indispensable à prendre pour qu'Harry ne fût pas
+heurté, pendant la descente, aux parois latérales.
+
+Harry était prêt.
+
+« Tu persistes dans ton projet d'explorer cet abîme ? lui demanda Jack
+Ryan à voix basse.
+
+-- Oui, Jack », répondit Harry.
+
+La corde fut d'abord attachée autour des reins d'Harry, puis sous ses
+aisselles, afin que son corps ne pût basculer.
+
+Ainsi maintenu, Harry était libre de ses deux mains. A sa ceinture, il
+suspendit une lampe de sûreté, à son côté, un de ces larges couteaux
+écossais qui sont engainés dans un fourreau de cuir.
+
+Harry s'avança jusqu'au milieu de la poutre, autour de laquelle la
+corde fut passée.
+
+Puis, ses compagnons le laissant glisser, il s'enfonça lentement dans
+le puits. Comme la corde subissait un léger mouvement de rotation, la
+lueur de sa lampe se portait successivement sur chaque point des
+parois, et Harry put les examiner avec soin.
+
+Ces parois étaient faites de schiste houiller. Elles étaient assez
+lisses pour qu'il fût impossible de se hisser à leur surface.
+
+Harry calcula qu'il descendait avec une vitesse modérée, environ un
+pied par seconde. Il avait donc possibilité de bien voir, facilité de
+se tenir prêt à tout événement.
+
+Au bout de deux minutes, c'est-à-dire à une profondeur de cent vingt
+pieds à peu près, la descente s'était opérée sans incident. Il
+n'existait aucune galerie latérale dans la paroi du puits, lequel
+s'étranglait peu à peu, en forme d'entonnoir. Mais Harry commençait à
+sentir un air plus frais, qui venait d'en bas, -- d'où il conclut que
+l'extrémité inférieure du puits communiquait avec quelque boyau de
+l'étage inférieur de la crypte.
+
+La corde glissait toujours. L'obscurité était absolue. Le silence,
+absolu aussi. Si un être vivant, quel qu'il fût, avait cherché refuge
+dans ce mystérieux et profond abîme, ou il n'y était pas alors, ou
+aucun mouvement ne trahissait sa présence.
+
+Harry, plus défiant à mesure qu'il descendait, avait tiré le couteau de
+sa gaine, et il le tenait de sa main droite.
+
+A une profondeur de cent quatre-vingts pieds, Harry sentit qu'il avait
+atteint le sol inférieur, car la corde mollit et ne se déroula plus.
+Harry respira un instant. Une des craintes qu'il avait pu concevoir ne
+s'était pas réalisée, c'est-à-dire que, pendant sa descente, la corde
+ne fût coupée au-dessus de lui. Il n'avait, d'ailleurs, remarqué aucune
+anfractuosité dans les parois qui pût receler un être quelconque.
+
+L'extrémité inférieure du puits était fort rétrécie.
+
+Harry, détachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne
+s'était pas trompé dans ses conjectures.
+
+Un étroit boyau s'enfonçait latéralement dans l'étage inférieur du
+gisement. Il eût fallu se courber pour y pénétrer, et se traîner sur
+les mains pour le suivre.
+
+Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si
+elle aboutissait à quelque abîme.
+
+Il se coucha sur le sol et commença à ramper. Mais un obstacle l'arrêta
+presque aussitôt.
+
+Il crut sentir au toucher que cet obstacle était un corps qui obstruait
+le passage.
+
+Harry recula, d'abord, par un vif sentiment de répulsion, puis il
+revint.
+
+Ses sens ne l'avaient pas trompé. Ce qui l'avait arrêté, c'était, en
+effet, un corps. Il le saisit, et se rendit compte que, glacé aux
+extrémités, il n'était pas encore refroidi tout à fait.
+
+L'attirer à soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la
+lumière de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu'il ne faut à le
+dire.
+
+« Un enfant ! » s'écria Harry.
+
+L'enfant, retrouvé au fond de cet abîme, respirait encore, mais son
+souffle était si faible qu'Harry put croire qu'il allait cesser. Il
+fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite
+créature à l'orifice du puits, et la conduire au cottage, où Madge lui
+prodiguerait ses soins.
+
+Harry, oubliant toute autre préoccupation, rajusta la corde à sa
+ceinture, y attacha sa lampe, prit l'enfant qu'il soutint de son bras
+gauche contre sa poitrine, et, gardant son bras droit libre et armé, il
+fit le signal convenu, afin que la corde fût halée doucement.
+
+La corde se tendit, et la remontée commença à s'opérer régulièrement.
+
+Harry regardait autour de lui avec un redoublement d'attention. Il
+n'était plus seul exposé, maintenant.
+
+Tout alla bien pendant les premières minutes de l'ascension, aucun
+incident ne semblait devoir survenir, lorsque Harry crut entendre un
+souffle puissant qui déplaçait les couches d'air dans les profondeurs
+du puits. Il regarda au-dessous de lui et aperçut, dans la pénombre,
+une masse, qui, s'élevant peu à peu, le frôla en passant.
+
+C'était un énorme oiseau, dont il ne put reconnaître l'espèce, et qui
+montait à grands coups d'ailes.
+
+Le monstrueux volatile s'arrêta, plana un instant, puis fondit sur
+Harry avec un acharnement féroce.
+
+Harry n'avait que son bras droit dont il pût faire usage pour parer les
+coups du formidable bec de l'animal.
+
+Harry se défendit donc, tout en protégeant l'enfant du mieux qu'il put.
+Mais ce n'était pas à l'enfant, c'était à lui que l'oiseau s'attaquait.
+Gêné par la rotation de la corde, il ne parvenait pas à le frapper
+mortellement.
+
+La lutte se prolongeait. Harry cria de toute la force de ses poumons,
+espérant que ses cris seraient entendus d'en haut.
+
+C'est ce qui arriva, car la corde fut aussitôt halée plus vite.
+
+Il restait encore une hauteur de quatre-vingts pieds à franchir.
+L'oiseau se jeta plus violemment alors sur Harry. Celui-ci, d'un coup
+de son couteau, le blessa à l'aile; l'oiseau, poussant un cri rauque,
+disparut dans les profondeurs du puits.
+
+Mais, circonstance terrible, Harry, en brandissant son couteau pour
+frapper l'oiseau, avait entamé la corde, dont un toron était maintenant
+coupé.
+
+Les cheveux d'Harry se dressèrent sur sa tête.
+
+La corde cédait peu à peu, à plus de cent pieds au-dessus du fond de
+l'abîme !...
+
+Harry poussa un cri désespéré.
+
+Un second toron manqua sous le double fardeau que supportait la corde à
+demi tranchée.
+
+Harry lâcha son couteau, et, par un effort surhumain, au moment où la
+corde allait se rompre, il parvint à la saisir de la main droite
+au-dessus de la section. Mais, bien que son poignet fût de fer, il
+sentit la corde glisser peu à peu entre ses doigts.
+
+Il aurait pu ressaisir cette corde à deux mains, en sacrifiant l'enfant
+qu'il soutenait d'un bras... Il n'y voulut même pas penser.
+
+Cependant, Jack Ryan et ses compagnons, surexcités par les cris
+d'Harry, halaient plus vivement.
+
+Harry crut qu'il ne pourrait tenir bon jusqu'à ce qu'il fût remonté à
+l'orifice du puits. Sa face s'injecta. Il ferma un instant les yeux,
+s'attendant à tomber dans l'abîme, puis il les rouvrit...
+
+Mais, au moment où il allait lâcher la corde, qu'il ne tenait plus que
+par son extrémité, il fut saisi et déposé sur le sol avec l'enfant.
+
+La réaction se fit alors, et Harry tomba sans connaissance entre les
+bras de ses camarades.
+
+ XV
+
+ Nell au cottage
+
+Deux heures après, Harry, qui n'avait pas aussitôt recouvré ses sens,
+et l'enfant, dont la faiblesse était extrême, arrivaient au cottage
+avec l'aide de Jack Ryan et de ses compagnons.
+
+Là, le récit de ces événements fut fait au vieil overman, et Madge
+prodigua ses soins à la pauvre créature, que son fils venait de sauver.
+
+Harry avait cru retirer un enfant de l'abîme... C'était une jeune fille
+de quinze à seize ans, au plus. Son regard vague et plein d'étonnement,
+sa figure maigre, allongée par la souffrance, son teint de blonde que
+la lumière ne semblait avoir jamais baigné, sa taille frêle et petite,
+tout en faisait un être à la fois bizarre et charmant. Jack Ryan, avec
+quelque raison, la compara à un farfadet d'aspect un peu surnaturel.
+Était-ce dû aux circonstances particulières, au milieu exceptionnel
+dans lequel cette jeune fille avait peut-être vécu jusqu'alors, mais
+elle paraissait n'appartenir qu'à demi à l'humanité. Sa physionomie
+était étrange. Ses yeux, que l'éclat des lampes du cottage semblait
+fatiguer, regardaient confusément, comme si tout eût été nouveau pour
+eux.
+
+A cet être singulier, alors déposé sur le lit de Madge et qui revint à
+la vie comme s'il sortait d'un long sommeil, la vieille Écossaise
+adressa d'abord la parole :
+
+« Comment te nommes-tu ? lui demanda-t-elle.
+
+-- Nell, répondit la jeune fille.
+
+-- Nell, reprit Madge, souffres-tu ?
+
+-- J'ai faim, répondit Nell. Je n'ai pas mangé depuis... depuis... »
+
+A ce peu de mots qu'elle venait de prononcer, on sentait que Nell
+n'était pas habituée à parler. La langue dont elle se servait était ce
+vieux gaélique, dont Simon Ford et les siens faisaient souvent usage.
+
+Sur la réponse de la jeune fille, Madge lui apporta aussitôt quelques
+aliments. Nell se mourait de faim. Depuis quand était elle au fond de
+ce puits ? on ne pouvait le dire.
+
+« Combien de jours as-tu passés là-bas, ma fille ? » demanda Madge.
+
+Nell ne répondit pas. Elle ne semblait pas comprendre la question qui
+lui était faite.
+
+« Depuis combien de jours ?... reprit Madge.
+
+-- Jours ?... » répondit Nell, pour qui ce mot semblait être dépourvu
+de toute signification.
+
+Puis, elle secoua la tête comme une personne qui ne comprend pas ce
+qu'on lui demande.
+
+Madge avait pris la main de Nell et la caressait pour lui donner toute
+confiance :.
+
+« Quel âge as-tu, ma fille ? » demanda-t-elle, en lui faisant de bons
+yeux, bien rassurants.
+
+Même signe négatif de Nell.
+
+« Oui, oui, reprit Madge, combien d'années ?
+
+-- Années ?... » répondit Nell.
+
+Et ce mot, pas plus que le mot « jour », ne parut avoir de
+signification pour la jeune fille.
+
+Simon Ford, Harry, Jack Ryan et ses compagnons la regardaient avec un
+double sentiment de pitié et de sympathie. L'état de ce pauvre être,
+vêtu d'une misérable cotte de grosse étoffe, était bien fait pour les
+impressionner.
+
+Harry, plus que tout autre, se sentait irrésistiblement attiré par
+l'étrangeté même de Nell.
+
+Il s'approcha alors. Il prit dans sa main la main que Madge venait
+d'abandonner. Il regarda bien en face Nell, dont les lèvres ébauchèrent
+une sorte de sourire, et il lui dit :
+
+« Nell... là-bas.., dans la houillère... étais-tu seule ?
+
+-- Seule ! seule ! » s'écria la jeune fille en se redressant.
+
+Sa physionomie décelait alors l'épouvante. Ses yeux, qui s'étaient
+adoucis sous le regard du jeune homme, redevinrent sauvages.
+
+« Seule ! seule ! » répéta-t-elle, et elle retomba sur le lit de Madge,
+comme si les forces lui eussent manqué tout à fait.
+
+« Cette pauvre enfant est encore trop faible pour nous répondre, dit
+Madge, après avoir recouché la jeune fille. Quelques heures de repos,
+un peu de bonne nourriture, lui rendront ses forces. Viens, Simon !
+viens, Harry ! venez tous, mes amis, et laissons faire le sommeil ! »
+
+Sur le conseil de Madge, Nell fut laissée seule, et on put s'assurer,
+un instant après, qu'elle dormait profondément.
+
+Cet événement n'alla pas sans faire grand bruit, non seulement dans la
+houillère, mais aussi dans le comté de Stirling, et, peu après, dans
+tout le Royaume-Uni. Le renom d'étrangeté de Nell s'en accrut. On
+aurait trouvé une jeune fille enfermée dans la roche schisteuse, comme
+un de ces êtres antédiluviens qu'un coup de pic délivre de leur gangue
+de pierre, que l'affaire n'eût pas eu plus d'éclat.
+
+Sans le savoir, Nell devint fort à la mode. Les gens superstitieux
+trouvèrent là un nouveau texte à leurs récits légendaires. Ils
+pensaient volontiers que Nell était le génie de la Nouvelle Aberfoyle,
+et lorsque Jack Ryan le disait à son camarade Harry :
+
+« Soit, répondait le jeune homme, pour conclure, soit, Jack ! Mais, en
+tout cas, c'est le bon génie ! C'est celui qui nous a secourus, qui
+nous a apporté le pain et l'eau, lorsque nous étions emprisonnés dans
+la houillère ! Ce ne peut être que lui ! Quant au mauvais génie, s'il
+est resté dans la mine, il faudra bien que nous le découvrions un jour
+! »
+
+On le pense bien, l'ingénieur James Starr avait été informé tout
+d'abord de ce qui s'était passé.
+
+La jeune fille, ayant recouvré ses forces dès le lendemain de son
+entrée au cottage, fut interrogée par lui avec la plus grande
+sollicitude. Elle lui parut ignorer la plupart des choses de la vie.
+Cependant, elle était intelligente, on le reconnut bientôt, mais
+certaines notions élémentaires lui manquaient : celle du temps, entre
+autres. On voyait qu'elle n'avait été habituée à diviser le temps ni
+par heures, ni par jours, et que ces mots mêmes lui étaient inconnus.
+En outre, ses yeux, accoutumés à la nuit, se faisaient difficilement à
+l'éclat des disques électriques; mais, dans l'obscurité, son regard
+possédait une extraordinaire acuité, et sa pupille, largement dilatée,
+lui permettait de voir au milieu des plus profondes ténèbres. Il fut
+aussi constant que son cerveau n'avait jamais reçu les impressions du
+monde extérieur, que nul autre horizon que celui de la houillère ne
+s'était développé à ses yeux, que l'humanité tout entière avait tenu
+pour elle dans cette sombre crypte. Savait-elle, cette pauvre fille,
+qu'il y eût un soleil et des étoiles, des villes et des campagnes, un
+univers dans lequel fourmillaient les mondes ? On devait en douter
+jusqu'au moment où certains mots qu'elle ignorait encore prendraient
+dans son esprit une signification précise.
+
+Quant à la question de savoir si Nell vivait seule dans les profondeurs
+de la Nouvelle-Aberfoyle, James Starr dut renoncer à la résoudre. En
+effet, toute allusion à ce sujet jetait l'épouvante dans cette étrange
+nature. Ou bien Nell ne pouvait, ou elle ne voulait pas répondre; mais,
+certainement, il existait là quelque secret qu'elle eût pu dévoiler.
+
+« Veux-tu rester avec nous ? veux-tu retourner là où tu étais ? » lui
+avait demandé James Starr.
+
+A la première de ces deux questions : « Oh oui ! » avait dit la jeune
+fille. A la seconde, elle n'avait répondu que par un cri de terreur,
+mais rien de plus.
+
+Devant ce silence obstiné, James Starr, et avec lui Simon et Harry
+Ford, ne laissaient pas d'éprouver une certaine appréhension. Ils ne
+pouvaient oublier les faits inexplicables qui avaient accompagné la
+découverte de la houillère. Or, bien que depuis trois ans aucun nouvel
+incident ne se fût produit, ils s'attendaient toujours à quelque
+nouvelle agression de la part de leur invisible ennemi. Aussi
+voulurent-ils explorer le puits mystérieux. Ils le firent donc, bien
+armés et bien accompagnés. Mais ils n'y trouvèrent aucune trace
+suspecte. Le puits communiquait avec les étages inférieurs de la
+crypte, creusés dans la couche carbonifère.
+
+James Starr, Simon et Harry causaient souvent de ces choses. Si un ou
+plusieurs êtres malfaisants étaient cachés dans la houillère, s'ils
+préparaient quelques embûches, Nell aurait pu le dire peut-être, mais
+elle ne parlait pas. La moindre allusion au passé de la jeune fille
+provoquait des crises, et il parut bon de ne point insister. Avec le
+temps, son secret lui échapperait sans doute.
+
+Quinze jours après son arrivée au cottage, Nell était l'aide la plus
+intelligente et la plus zélée de la vieille Madge. Évidemment, ne plus
+jamais quitter cette maison où elle avait été si charitablement
+accueillie, cela lui semblait tout naturel, et peut-être même ne
+s'imaginait-elle pas que désormais elle pût vivre ailleurs. La famille
+Ford lui suffisait, et il va sans dire que, dans la pensée de ces
+braves gens, du moment que Nell était entrée au cottage, elle était
+devenue leur enfant d'adoption.
+
+Nell était charmante, en vérité. Sa nouvelle existence l'embellissait.
+C'étaient sans doute les premiers jours heureux de sa vie. Elle se
+sentait pleine de reconnaissance pour ceux auxquels elle les devait.
+Madge s'était pris pour Nell d'une sympathie toute maternelle. Le vieil
+overman en raffola bientôt à son tour. Tous l'aimaient, d'ailleurs.
+L'ami Jack Ryan ne regrettait qu'une chose : c'était de ne pas l'avoir
+sauvée lui-même. Il venait souvent au cottage. Il chantait, et Nell,
+qui n'avait jamais entendu chanter, trouvait cela fort beau; mais on
+eût pu voir que la jeune fille préférait aux chansons de Jack Ryan les
+entretiens plus sérieux d'Harry, qui, peu à peu, lui apprit ce qu'elle
+ignorait encore des choses du monde extérieur.
+
+Il faut dire que, depuis que Nell avait apparu sous sa forme naturelle,
+Jack Ryan s'était vu forcé de convenir que sa croyance aux lutins
+faiblissait dans une certaine mesure. En outre, deux mois après, sa
+crédulité reçut un nouveau coup.
+
+En effet, vers cette époque, Harry fit une découverte assez inattendue,
+mais qui expliquait en partie l'apparition des Dames de feu dans les
+ruines du château de Dundonald, à Irvine.
+
+Un jour, après une longue exploration de la partie sud de la houillère
+-- exploration qui avait duré plusieurs jours à travers les dernières
+galeries de cette énorme substruction --, Harry avait péniblement gravi
+une étroite galerie, évidée dans un écartement de la roche schisteuse.
+Tout à coup, il fut très surpris de se trouver en plein air. La
+galerie, après avoir remonté obliquement vers la surface du sol,
+aboutissait précisément aux ruines de Dundonald Castle. Il y existait
+donc une communication secrète entre la Nouvelle-Aberfoyle et la
+colline que couronnait le vieux château. L'orifice supérieur de cette
+galerie eût été impossible à découvrir extérieurement, tant il était
+obstrué de pierres et de broussailles. Aussi, lors de l'enquête, les
+magistrats n'avaient-ils pu y pénétrer.
+
+Quelques jours après, James Starr, conduit par Harry, vint reconnaître
+lui-même cette disposition naturelle du gisement houiller.
+
+« Voilà, dit-il, de quoi convaincre les superstitieux de la mine.
+Adieu, les brawnies, les lutins et les Dames de feu !
+
+-- Je ne crois pas, monsieur Starr, répondit Harry, que nous ayons lieu
+de nous en féliciter ! Leurs remplaçants ne valent pas mieux et peuvent
+être pires, assurément !
+
+-- En effet, Harry, reprit l'ingénieur, mais qu'y faire ? Évidemment,
+les êtres quelconques qui se cachent dans la mine, communiquent par
+cette galerie avec la surface du sol. Ce sont eux, sans doute, qui, la
+torche à la main, pendant cette nuit de tourmente, ont attiré le Motala
+à la côte, et, comme les anciens pilleurs d'épaves, ils en eussent volé
+les débris, si Jack Ryan et ses compagnons ne se fussent pas trouvés là
+! Quoi qu'il en soit, enfin, tout s'explique. Voilà l'orifice du
+repaire ! Quant à ceux qui l'habitaient, l'habitent-ils encore ?
+
+-- Oui, puisque Nell tremble, lorsqu'on lui en parle ! répondit Harry
+avec conviction. Oui, puisque Nell ne veut pas ou n'ose pas en parler !
+» Harry devait avoir raison. Si les mystérieux hôtes de la houillère
+l'eussent abandonnée, ou s'ils étaient morts, quelle raison aurait eue
+la jeune fille de garder le silence ?
+
+Cependant, James Starr tenait absolument à pénétrer ce secret. Il
+pressentait que l'avenir de la nouvelle exploitation pouvait en
+dépendre. On prit donc de nouveau les plus sévères précautions. Les
+magistrats furent prévenus. Des agents occupèrent secrètement les
+ruines de Dundonald-Castle. Harry lui-même se cacha, pendant plusieurs
+nuits, au milieu des broussailles qui hérissaient la colline. Peine
+inutile. On ne découvrit rien. Nul être humain n'apparut à travers
+l'orifice.
+
+On en arriva bientôt à cette conclusion, que les malfaiteurs avaient dû
+définitivement quitter la Nouvelle-Aberfoyle, et que, quant à Nell, ils
+la croyaient morte au fond de ce puits où ils l'avaient abandonnée.
+Avant l'exploitation, la houillère pouvait leur offrir un refuge
+assuré, à l'abri de toute perquisition. Mais, depuis, les circonstances
+n'étaient plus les mêmes. Le gîte devenait difficile à cacher. On
+aurait donc dû raisonnablement espérer qu'il n'y avait plus rien à
+craindre pour l'avenir. Cependant, James Starr n'était pas absolument
+rassuré. Harry, non plus, ne pouvait se rendre, et il répétait souvent :
+
+« Nell a été évidemment mêlée à tout ce mystère. Si elle n'avait plus
+rien à redouter, pourquoi garderait-elle le silence ? On ne peut douter
+qu'elle soit heureuse d'être avec nous ! Elle nous aime tous ! Elle
+adore ma mère ! Si elle se tait sur son passé, sur ce qui pourrait nous
+rassurer pour l'avenir, c'est donc que quelque terrible secret, que sa
+conscience lui interdit de dévoiler, pèse sur elle ! Peut-être aussi,
+dans notre intérêt plus que dans le sien, croit-elle devoir se
+renfermer dans cet inexplicable mutisme ! »
+
+C'est par suite de ces diverses considérations que, d'un accord commun,
+il avait été convenu qu'on écarterait de la conversation tout ce qui
+pouvait rappeler son passé à la jeune fille.
+
+Un jour, cependant, Harry fut amené à faire connaître à Nell ce que
+James Starr, son père, sa mère et lui-même croyaient devoir à son
+intervention.
+
+C'était jour de fête. Les bras chômaient aussi bien à la surface du
+comté de Stirling que dans le domaine souterrain. On s'y promenait un
+peu partout. Des chants retentissaient, en vingt endroits, sous les
+voûtes sonores de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Harry et Nell avaient quitté le cottage et suivaient à pas lents la
+rive gauche du lac Malcolm. Là, les éclats électriques se projetaient
+avec moins de violence, et leurs faisceaux se brisaient capricieusement
+aux angles de quelques pittoresques rochers qui soutenaient le dôme.
+Cette pénombre convenait mieux aux yeux de Nell, qui ne se faisaient
+que très difficilement à la lumière.
+
+Après une heure de marche, Harry et sa compagne s'arrêtèrent en face de
+la chapelle de Saint-Gilles, sur une sorte de terrasse naturelle, qui
+dominait les eaux du lac.
+
+« Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitués au jour, dit Harry, et
+certainement, ils ne pourraient supporter l'éclat du soleil.
+
+-- Non, sans doute, répondit la jeune fille, si le soleil est tel que
+tu me l'as dépeint, Harry.
+
+-- Nell, reprit Harry, en te parlant, je n'ai pu te donner une juste
+idée de sa splendeur ni des beautés de cet univers que tes regards
+n'ont jamais observé. -- Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour
+où tu es née dans les profondeurs de la houillère, se peut-il que tu ne
+sois jamais remontée à la surface du sol ?
+
+-- Jamais, Harry, répondit Nell, et je ne pense pas que, même petite,
+ni un père ni une mère m'y aient jamais portée. J'aurais certainement
+gardé quelque souvenir du dehors !
+
+-- Je le crois, répondit Harry. D'ailleurs, à cette époque, Nell, bien
+d'autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec
+l'extérieur étaient difficiles, et j'ai connu plus d'un jeune garçon ou
+d'une jeune fille, qui, à ton âge, ignoraient encore tout ce que tu
+ignores des choses de là-haut ! Mais maintenant, en quelques minutes,
+le railway du grand tunnel nous transporte à la surface du comté. J'ai
+donc hâte, Nell, de t'entendre me dire : « viens, Harry, mes yeux
+peuvent supporter la lumière du jour, et je veux voir le soleil ! Je
+veux voir l'oeuvre de Dieu ! »
+
+-- Je te le dirai, Harry, répondit la jeune fille, avant peu, je
+l'espère. J'irai admirer avec toi ce monde extérieur, et cependant...
+
+-- Que veux-tu dire, Nell ? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque
+regret d'avoir abandonné le sombre abîme dans lequel tu as vécu pendant
+les premières années de ta vie, et dont nous t'avons retirée presque
+morte ?
+
+-- Non, Harry, répondit Nell. Je pensais seulement que les ténèbres
+sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu'y voient des yeux habitués à
+leur profondeur ! Il y a des ombres qui passent et qu'on aimerait à
+suivre dans leur vol ! Parfois ce sont des cercles qui s'entrecroisent
+devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir ! Il existe, au
+fond de la houillère, des trous noirs, pleins de vagues lumières. Et
+puis, on entend des bruits qui vous parlent ! vois-tu, Harry, il faut
+avoir vécu là pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis
+t'exprimer !
+
+-- Et tu n'avais pas peur, Nell, quand tu étais seule ?
+
+-- Harry, répondit la jeune fille, c'est quand j'étais seule que je
+n'avais pas peur ! » La voix de Nell s'était légèrement altérée en
+prononçant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un
+peu, et il dit :
+
+« Mais on pouvait se perdre dans ces longues galeries, Nell. Ne
+craignais-tu donc pas de t'y égarer ?
+
+-- Non, Harry. Je connaissais, depuis longtemps, tous les détours de la
+nouvelle houillère !
+
+-- N'en sortais-tu pas quelquefois ?...
+
+-- Oui.., quelquefois.., répondit en hésitant la jeune fille,
+quelquefois, je venais jusque dans l'ancienne mine d'Aberfoyle.
+
+-- Tu connaissais donc le vieux cottage ?
+
+-- Le cottage.., oui.., mais, de bien loin seulement, ceux qui
+l'habitaient !
+
+-- C'étaient mon père et ma mère, répondit Harry, c'était moi ! Nous
+n'avions jamais voulu abandonner notre ancienne demeure !
+
+-- Peut-être cela aurait-il mieux valu pour vous !... murmura la jeune
+fille.
+
+-- Et pourquoi, Nell ? N'est-ce pas notre obstination à ne pas la
+quitter, qui nous a fait découvrir le nouveau gisement ? Et cette
+découverte n'a-t-elle pas eu des conséquences heureuses pour toute une
+population qui a reconquis ici l'aisance par le travail, pour toi,
+Nell, qui, rendue à la vie, as trouvé des coeurs tout à toi !
+
+-- Pour moi ! répondit vivement Nell... Oui ! quoi qu'il puisse arriver
+! Pour les autres.., qui sait ?...
+
+-- Que veux-tu dire ?
+
+-- Rien... rien !... Mais, il y avait danger à s'introduire, alors,
+dans la nouvelle houillère ! Oui ! grand danger ! Harry ! Un jour, des
+imprudents ont pénétré dans ces abîmes. Ils ont été loin, bien loin !
+Ils se sont égarés...
+
+-- Égarés ? dit Harry en regardant Nell.
+
+-- Oui... égarés... répondit Nell, dont la voix tremblait. Leur lampe
+s'est éteinte ! Ils n'ont pu retrouver leur chemin...
+
+-- Et là, s'écria Harry, emprisonnés pendant huit longs jours, Nell,
+ils ont été près de mourir ! Et sans un être secourable, que Dieu leur
+a envoyé, un ange peut-être, qui leur a secrètement apporté un peu de
+nourriture, sans un guide mystérieux qui, plus tard, a conduit jusqu'à
+eux leurs libérateurs, ils ne seraient jamais sortis de cette tombe !
+
+-- Et comment le sais-tu ? demanda la jeune fille.
+
+-- Parce que ces hommes c'était James Starr.., c'était mon père...
+c'était moi, Nell ! »
+
+Nell, relevant la tête, saisit la main du jeune homme, et elle le
+regarda avec une telle fixité, que celui-ci se sentit troublé jusqu'au
+plus profond de son coeur.
+
+« Toi ! répéta la jeune fille.
+
+-- Oui ! répondit Harry, après un instant de silence, et celle à qui
+nous devons de vivre, c'était toi,
+
+Nell ! Ce ne pouvait être que toi ! » Nell laissa tomber sa tête entre
+ses deux mains, sans répondre. Jamais Harry ne l'avait vue aussi
+vivement impressionnée.
+
+« Ceux qui t'ont sauvée, Nell, ajouta-t-il d'une voix émue, te devaient
+déjà la vie, et crois-tu qu'ils puissent jamais l'oublier ? »
+
+ XVI
+
+ Sur l'échelle oscillante
+
+Cependant, les travaux d'exploitation de la Nouvelle-Aberfoyle étaient
+conduits avec grand profit. Il va sans dire que l'ingénieur James Starr
+et Simon Ford -- les premiers découvreurs de ce riche bassin
+carbonifère -- participaient largement à ces bénéfices. Harry devenait
+donc un parti. Mais il ne songeait guère à quitter le cottage. Il avait
+remplacé son père dans les fonctions d'overman et surveillait
+assidûment tout ce monde de mineurs.
+
+Jack Ryan était fier et ravi de toute cette fortune qui arrivait à son
+camarade. Lui aussi, il faisait bien ses affaires. Tous deux se
+voyaient souvent, soit au cottage, soit dans les travaux du fond. Jack
+Ryan n'était pas sans avoir observé les sentiments qu'éprouvait Harry
+pour la jeune fille. Harry n'avouait pas, mais Jack riait à belles
+dents, lorsque son camarade secouait la tête en signe de dénégation.
+
+Il faut dire que l'un des plus vifs désirs de Jack Ryan était
+d'accompagner Nell, lorsqu'elle ferait sa première visite à la surface
+du comté. Il voulait voir ses étonnements, son admiration devant cette
+nature encore inconnue d'elle. Il espérait bien qu'Harry l'emmènerait
+pendant cette excursion. Jusqu'ici, cependant, celui-ci ne lui en avait
+pas fait la proposition, -- ce qui ne laissait pas de l'inquiéter un
+peu.
+
+Un jour, Jack Ryan descendait l'un des puits d'aération par lequel les
+étages inférieurs de la houillère communiquaient avec la surface du
+sol. Il avait pris l'une de ces échelles qui, en se relevant et en
+s'abaissant par oscillations successives, permettent de descendre et de
+monter sans fatigue. Vingt oscillations de l'appareil l'avaient abaissé
+de cent cinquante pieds environ, lorsque, sur l'étroit palier où il
+avait pris place, il se rencontra avec Harry, qui remontait aux travaux
+du jour.
+
+« C'est toi ? dit Jack, en regardant son compagnon, éclairé par la
+lumière des lampes électriques du puits.
+
+-- Oui, Jack, répondit Harry, et je suis content de te voir. J'ai une
+proposition à te faire...
+
+-- Je n'écoute rien avant que tu m'aies donné des nouvelles de Nell !
+s'écria Jack Ryan.
+
+-- Nell va bien, Jack, et si bien même que, dans un mois ou six
+semaines, je l'espère...
+
+-- Tu l'épouseras, Harry ?
+
+-- Tu ne sais ce que tu dis, Jack !
+
+-- C'est possible, Harry, mais je sais bien ce que je ferai !
+
+-- Et que feras-tu ?
+
+-- Je l'épouserai, moi, si tu ne l'épouses pas, toi ! répliqua Jack, en
+éclatant de rire. Saint Mungo me protège ! mais elle me plaît, la
+gentille Nell ! Une jeune et bonne créature qui n'a jamais quitté la
+mine, c'est bien la femme qu'il faut à un mineur ! Elle est orpheline
+comme je suis orphelin, et, pour peu que tu ne penses vraiment pas à
+elle, et qu'elle veuille de ton camarade, Harry !... »
+
+Harry regardait gravement Jack. Il le laissait parler, sans même
+essayer de lui répondre.
+
+« Ce que je dis là ne te rend pas jaloux, Harry ? demanda Jack Ryan
+d'un ton un peu plus sérieux.
+
+-- Non, Jack, répondit tranquillement Harry.
+
+-- Cependant, si tu ne fais pas de Nell ta femme, tu n'as pas la
+prétention qu'elle reste vieille fille ?
+
+-- Je n'ai aucune prétention », répondit Harry.
+
+Une oscillation de l'échelle vint alors permettre aux deux amis de se
+séparer, l'un pour descendre, l'autre pour remonter le puits.
+Cependant, ils ne se séparèrent pas.
+
+« Harry, dit Jack, crois-tu que je t'aie parlé sérieusement tout à
+l'heure à propos de Nell ?
+
+-- Non, Jack, répondit Harry.
+
+-- Eh bien, je vais le faire alors !
+
+-- Toi, parler sérieusement !
+
+-- Mon brave Harry, répondit Jack, je suis capable de donner un bon
+conseil à un ami.
+
+-- Donne, Jack.
+
+-- Eh bien, voilà ! Tu aimes Nell de tout l'amour dont elle est digne,
+Harry ! Ton père, le vieux Simon, ta mère, la vieille Madge, l'aiment
+aussi comme si elle était leur enfant. Or, tu aurais bien peu à faire
+pour qu'elle devînt tout à fait leur fille ! -- Pourquoi ne
+l'épouses-tu pas ?
+
+-- Pour t'avancer ainsi, Jack, répondit Harry, connais-tu donc les
+sentiments de Nell ?
+
+-- Personne ne les ignore, pas même toi, Harry, et c'est pour cela que
+tu n'es point jaloux ni de moi, ni des autres. -- Mais voici l'échelle
+qui va descendre, et...
+
+-- Attends, Jack, dit Harry, en retenant son camarade, dont le pied
+avait déjà quitté le palier pour se poser sur l'échelon mobile.
+
+-- Bon, Harry ! s'écria Jack en riant, tu vas me faire écarteler !
+
+-- Écoute sérieusement, Jack, répondit Harry, car, à mon tour, c'est
+sérieusement que je parle.
+
+-- J'écoute... jusqu'à la prochaine oscillation, mais pas plus !
+
+-- Jack, reprit Harry, je n'ai point à cacher que j'aime Nell.
+
+Mon plus vif désir est d'en faire ma femme...
+
+-- Bien, cela.
+
+-- Mais, telle qu'elle est encore, j'ai comme un scrupule de conscience
+à lui demander de prendre une détermination qui doit être irrévocable.
+
+-- Que veux-tu dire, Harry ?
+
+-- Je veux dire, Jack, que Nell n'a jamais quitté ces profondeurs de la
+houillère où elle est née, sans doute. Elle ne sait rien, elle ne
+connaît rien du dehors. Elle a tout à apprendre par les yeux, et
+peut-être aussi par le coeur. Qui sait ce que seront ses pensées,
+lorsque de nouvelles impressions naîtront en elle ! Elle n'a encore
+rien de terrestre, et il me semble que ce serait la tromper, avant
+qu'elle se soit décidée, en pleine connaissance, à préférer à tout
+autre le séjour dans la houillère. -- Me comprends-tu, Jack ?
+
+-- Oui... vaguement... Je comprends surtout que tu vas encore me faire
+manquer la prochaine oscillation !
+
+-- Jack, répondit Harry d'une voix grave, quand ces appareils ne
+devraient plus jamais fonctionner, quand ce palier devrait manquer sous
+nos pieds, tu écouteras ce que j'ai à te dire !
+
+-- A la bonne heure ! Harry. Voilà comment j'aime qu'on me parle ! --
+Nous disons donc qu'avant d'épouser Nell, tu vas l'envoyer dans un
+pensionnat de la vieille-Enfumée ?
+
+-- Non, Jack, répondit Harry, je saurai bien moi-même faire l'éducation
+de celle qui devra être ma femme !
+
+-- Et cela n'en vaudra que mieux, Harry !
+
+-- Mais, auparavant, reprit Harry, je veux, comme je viens de te le
+dire, que Nell ait une vraie connaissance du monde extérieur. Une
+comparaison, Jack. Si tu aimais une jeune fille aveugle, et si l'on
+venait te dire : « Dans un mois elle sera guérie ! » n'attendrais-tu
+pas pour l'épouser que sa guérison fût faite ?
+
+-- Oui, ma foi, oui ! répondit Jack Ryan.
+
+-- Eh bien, Jack, Nell est encore aveugle, et, avant d'en faire ma
+femme, je veux qu'elle sache bien que c'est moi, que ce sont les
+conditions de ma vie qu'elle préfère et accepte. Je veux que ses yeux
+se soient ouverts enfin à la lumière du jour !
+
+-- Bien, Harry, bien, très bien ! s'écria Jack Ryan. Je te comprends à
+cette heure. Et à quelle époque l'opération ?...
+
+-- Dans un mois, Jack, répondit Harry. Les yeux de Nell s'habituent peu
+à peu à la clarté de nos disques. C'est une préparation. Dans un mois,
+je l'espère, elle aura vu la terre et ses merveilles, le ciel et ses
+splendeurs ! Elle saura que la nature a donné au regard humain des
+horizons plus reculés que ceux d'une sombre houillère ! Elle verra que
+les limites de l'univers sont infinies ! »
+
+Mais, tandis qu'Harry se laissait ainsi entraîner par son imagination,
+Jack Ryan, quittant le palier, avait sauté sur l'échelon oscillant de
+l'appareil.
+
+« Eh ! Jack, cria Harry, où es-tu donc ?
+
+-- Au-dessous de toi, répondit en riant le joyeux compère. Pendant que
+tu t'élèves dans l'infini, moi, je descends dans l'abîme !
+
+-- Adieu, Jack ! répondit Harry, en se cramponnant lui-même à l'échelle
+remontante. Je te recommande de ne parler à personne de ce que je viens
+de te dire !
+
+-- A personne ! cria Jack Ryan, mais à une condition pourtant...
+
+-- Laquelle ?
+
+-- C'est que je vous accompagnerai tous les deux pendant la première
+excursion que Nell fera à la surface du globe !
+
+-- Oui, Jack, je te le promets », répondit Harry.
+
+Une nouvelle pulsation de l'appareil mit encore un intervalle plus
+considérable entre les deux amis. Leur voix n'arrivait plus que très
+affaiblie de l'un à l'autre.
+
+Et, cependant, Harry put encore entendre Jack crier :
+
+« Et lorsque Nell aura vu les étoiles, la lune et le soleil, sais-tu
+bien ce qu'elle leur préférera ?
+
+-- Non, Jack !
+
+-- Ce sera toi, mon camarade, toi encore, toi toujours ! »
+
+Et la voix de Jack Ryan s'éteignit enfin dans un dernier hurrah !
+
+Cependant, Harry consacrait toutes ses heures inoccupées à l'éducation
+de Nell. Il lui avait appris à lire, à écrire, -- toutes choses dans
+lesquelles la jeune fille fit de rapides progrès. On eût dit qu'elle «
+savait » d'instinct. Jamais intelligence plus vive ne triompha plus
+vite d'une aussi complète ignorance. C'était un étonnement pour ceux
+qui l'approchaient.
+
+Simon et Madge se sentaient chaque jour plus étroitement liés à leur
+enfant d'adoption, dont le passé ne laissait pas de les préoccuper,
+cependant. Ils avaient bien reconnu la nature des sentiments d'Harry
+pour Nell, et cela ne leur déplaisait point.
+
+On se rappelle que lors de sa première visite à l'ancien cottage, le
+vieil overman avait dit à l'ingénieur :
+
+« Pourquoi mon fils se marierait-il ? Quelle créature de là-haut
+conviendrait à un garçon dont la vie doit s'écouler dans les
+profondeurs d'une mine ! »
+
+Eh bien, ne semblait-il pas que la Providence lui eût envoyé la seule
+compagne qui pût véritablement convenir à son fils ? N'était-ce pas là
+comme une faveur du Ciel ?
+
+Aussi, le vieil overman se promettait-il bien que, si ce mariage se
+faisait, ce jour-là, il y aurait à Coal-city une fête qui ferait époque
+pour les mineurs de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Simon Ford ne savait pas si bien dire !
+
+Il faut ajouter qu'un autre encore désirait non moins ardemment cette
+union de Nell et d'Harry. C'était l'ingénieur James Starr. Certes, le
+bonheur de ces deux jeunes gens, il le voulait par-dessus tout. Mais un
+mobile, d'un intérêt plus général, peut-être, le poussait aussi dans ce
+sens.
+
+On le sait, James Starr avait conservé certaines appréhensions, bien
+que rien dans le présent ne les justifiât plus. Cependant, ce qui avait
+été pouvait être encore. Ce mystère de la nouvelle houillère, Nell
+était évidemment la seule à le connaître. Or, si l'avenir devait
+réserver de nouveaux dangers aux mineurs d'Aberfoyle, comment se mettre
+en garde contre de telles éventualités, sans en savoir au moins la
+cause ?
+
+« Nell n'a pas voulu parler, répétait souvent James Starr, mais ce
+qu'elle a tu jusqu'ici à tout autre, elle ne saurait le taire longtemps
+à son mari ! Le danger menacerait Harry comme il nous menacerait
+nous-mêmes. Donc, un mariage qui doit donner le bonheur aux époux et la
+sécurité à leurs amis, est un bon mariage, ou il ne s'en fera jamais
+ici-bas ! »
+
+Ainsi raisonnait, non sans quelque logique, l'ingénieur James Starr. Ce
+raisonnement, il le communiqua même au vieux Simon, qui ne fut pas sans
+le goûter. Rien ne semblait donc devoir s'opposer à ce qu'Harry devînt
+l'époux de Nell.
+
+Et qui donc l'aurait pu ? Harry et Nell s'aimaient. Les vieux parents
+ne rêvaient pas d'autre compagne pour leur fils. Les camarades d'Harry
+enviaient son bonheur, tout en reconnaissant qu'il lui était bien dû.
+La jeune fille ne relevait que d'elle-même et n'avait d'autre
+consentement à obtenir que celui de son propre coeur.
+
+Mais, si personne ne semblait pouvoir mettre obstacle à ce mariage,
+pourquoi, lorsque les disques électriques s'éteignaient à l'heure du
+repos, quand la nuit se faisait sur la cité ouvrière, lorsque les
+habitants de Coal-city avaient regagné leur cottage, pourquoi, de l'un
+des coins les plus sombres de la Nouvelle Aberfoyle, un être mystérieux
+se glissait-il dans les ténèbres ? Quel instinct guidait ce fantôme à
+travers certaines galeries si étroites qu'on devait les croire
+impraticables ? Pourquoi cet être énigmatique, dont les yeux perçaient
+la plus profonde obscurité, venait-il en rampant sur le rivage du lac
+Malcolm ? Pourquoi se dirigeait-il si obstinément vers l'habitation de
+Simon Ford, et si prudemment aussi, qu'il avait jusqu'alors déjoué
+toute surveillance ? Pourquoi venait-il appuyer son oreille aux
+fenêtres et essayait-il de surprendre des lambeaux de conversation à
+travers les volets du cottage ?
+
+Et, lorsque certaines paroles arrivaient jusqu'à lui, pourquoi son
+poing se dressait-il pour menacer la tranquille demeure ? Pourquoi,
+enfin ces mots s'échappaient-ils de sa bouche, contractée par la colère
+:
+
+« Elle et lui ! Jamais ! »
+
+ XVII
+
+ Un lever de soleil
+
+Un mois après -- c'était le soir du 20 août --, Simon Ford et Madge
+saluaient de leurs meilleurs « wishes » quatre touristes qui
+s'apprêtaient à quitter le cottage.
+
+James Starr, Harry et Jack Ryan allaient conduire Nell sur un sol que
+son pied n'avait jamais foulé, dans cet éclatant milieu, dont ses
+regards ne connaissaient pas encore la lumière.
+
+L'excursion devait se prolonger pendant deux jours. James Starr,
+d'accord avec Harry, voulait qu'après ces quarante-huit heures passées
+au-dehors, la jeune fille eût vu tout ce qu'elle n'avait pu voir dans
+la sombre houillère, c'est-à-dire les divers aspects du globe, comme si
+un panorama mouvant de villes, de plaines, de montagnes, de fleuves, de
+lacs, de golfes, de mers, se fût déroulé devant ses yeux.
+
+Or, dans cette portion de l'Écosse, comprise entre Édimbourg et
+Glasgow, il semblait que la nature eût voulu précisément réunir ces
+merveilles terrestres, et, quant aux cieux, ils seraient là comme
+partout, avec leurs nuées changeantes, leur lune sereine ou voilée,
+leur soleil radieux, leur fourmillement d'étoiles.
+
+L'excursion projetée avait donc été combinée de manière à satisfaire
+aux conditions de ce programme.
+
+Simon Ford et Madge eussent été très heureux d'accompagner Nell; mais,
+on les connaît, ils ne quittaient pas volontiers le cottage, et,
+finalement, ils ne purent se résoudre à abandonner, même pour un jour,
+leur souterraine demeure.
+
+James Starr allait là en observateur, en philosophe, très curieux, au
+point de vue psychologique, d'observer les naïves impressions de Nell,
+-- peut-être même de surprendre quelque peu des mystérieux événements
+auxquels son enfance avait été mêlée.
+
+Harry, lui, se demandait, non sans appréhension, si une autre jeune
+fille que celle qu'il aimait et qu'il avait connue jusqu'alors,
+n'allait pas se révéler pendant cette rapide initiation aux choses du
+monde extérieur.
+
+Quant à Jack Ryan, il était joyeux comme un pinson qui s'envole aux
+premiers rayons de soleil. Il espérait bien que sa contagieuse gaieté
+se communiquerait à ses compagnons de voyage. Ce serait une façon de
+payer sa bienvenue.
+
+Nell était pensive et comme recueillie.
+
+James Starr avait décidé, non sans raison, que le départ se ferait le
+soir. Mieux valait, en effet, que la jeune fille ne passât que par une
+gradation insensible des ténèbres de la nuit aux clartés du jour. Or,
+c'est le résultat qui serait obtenu, puisque, de minuit à midi, elle
+subirait ces phases successives d'ombre et de lumière, auxquelles son
+regard pourrait s'habituer peu à peu.
+
+Au moment de quitter le cottage, Nell prit la main d'Harry, et lui dit :
+
+« Harry, est-il donc nécessaire que j'abandonne notre houillère, ne
+fût-ce que quelques jours ?
+
+-- Oui, Nell, répondit le jeune homme, il le faut ! Il le faut pour toi
+et pour moi !
+
+-- Cependant, Harry, reprit Nell, depuis que tu m'as recueillie, je
+suis heureuse autant qu'on peut l'être. Tu m'as instruite. Cela ne
+suffit-il pas ? Que vais-je faire là-haut ? »
+
+Harry la regarda sans répondre. Les pensées qu'exprimait Nell étaient
+presque les siennes.
+
+« Ma fille, dit alors James Starr, je comprends ton hésitation, mais il
+est bon que tu viennes avec nous. Ceux que tu aimes t'accompagnent, et
+ils te ramèneront. Que tu veuilles, ensuite, continuer de vivre dans la
+houillère, comme le vieux Simon, comme Madge, comme Harry, libre à toi
+! Je ne doute pas qu'il en doive être ainsi, et je t'approuve. Mais, au
+moins, tu pourras comparer ce que tu laisses avec ce que tu prends, et
+agir en toute liberté. viens donc !
+
+-- Viens, ma chère Nell, dit Harry.
+
+-- Harry, je suis prête à te suivre », répondit la jeune fille.
+
+A neuf heures, le dernier train du tunnel entraînait Nell et ses
+compagnons à la surface du comté. vingt minutes après, il les déposait
+à la gare où se reliait le petit embranchement, détaché du railway de
+Dumbarton à Stirling, qui desservait la Nouvelle Aberfoyle.
+
+La nuit était déjà sombre. De l'horizon au zénith, quelques vapeurs peu
+compactes couraient encore dans les hauteurs du ciel, sous la poussée
+d'une brise de nord-ouest qui rafraîchissait l'atmosphère. La journée
+avait été belle. La nuit devait l'être aussi.
+
+Arrivés à Stirling, Nell et ses compagnons, abandonnant le train,
+sortirent aussitôt de la gare.
+
+Devant eux, entre de grands arbres, se développait une route qui
+conduisait aux rives du Forth.
+
+La première impression physique qu'éprouva la jeune fille, fut celle de
+l'air pur que ses poumons aspirèrent avidement.
+
+« Respire bien, Nell, dit James Starr, respire cet air chargé de toutes
+les vivifiantes senteurs de la campagne !
+
+-- Quelles sont ces grandes fumées qui courent au-dessus de notre tête
+? demanda Nell.
+
+-- Ce sont des nuages, répondit Harry, ce sont des vapeurs à demi
+condensées que le vent pousse dans l'ouest.
+
+-- Ah ! fit Nell, que j'aimerais à me sentir emportée dans leur
+silencieux tourbillon ! -- Et quels sont ces points scintillants qui
+brillent à travers les déchirures des nuées ?
+
+-- Ce sont les étoiles dont je t'ai parlé, Nell. Autant de soleils,
+autant de centres de mondes, peut-être semblables au nôtre ! » Les
+constellations se dessinaient plus nettement alors sur le bleu-noir du
+firmament, que le vent purifiait peu à peu.
+
+Nell regardait ces milliers d'étoiles brillantes qui fourmillaient
+au-dessus de sa tête.
+
+« Mais, dit-elle, si ce sont des soleils, comment mes yeux peuvent-ils
+en supporter l'éclat ?
+
+-- Ma fille, répondit James Starr, ce sont des soleils, en effet, mais
+des soleils qui gravitent à une distance énorme. Le plus rapproché de
+ces milliers d'astres, dont les rayons arrivent jusqu'à nous, c'est
+cette étoile de la Lyre, Wega, que tu vois là presque au zénith, et
+elle est encore à cinquante mille milliards de lieues. Son éclat ne
+peut donc affecter ton regard. Mais notre soleil se lèvera demain à
+trente-huit millions de lieues seulement, et aucun oeil humain ne
+peut le regarder fixement, car il est plus ardent qu'un foyer de
+fournaise. Mais viens, Nell, viens ! »
+
+On prit la route. James Starr tenait la jeune fille par la main. Harry
+marchait à son côté. Jack Ryan allait et venait comme eût fait un jeune
+chien, impatient de la lenteur de ses maîtres.
+
+Le chemin était désert. Nell regardait la silhouette des grands arbres
+que le vent agitait dans l'ombre. Elle les eût volontiers pris pour
+quelques géants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les
+hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne
+d'horizon qui s'accusait plus nettement, lorsque la route coupait une
+plaine, tout l'imprégnait de sentiments nouveaux et traçait en elle des
+impressions ineffaçables. Après avoir interrogé d'abord, Nell se
+taisait, et, d'un commun propos, ses compagnons respectaient son
+silence. Ils ne voulaient point influencer par leurs paroles
+l'imagination sensible de la jeune fille. Ils préféraient laisser les
+idées naître d'elles-mêmes en son esprit.
+
+A onze heures et demie environ, la rive septentrionale du golfe de
+Forth était atteinte.
+
+Là, une barque, qui avait été frétée par James Starr, attendait. Elle
+devait, en quelques heures, les porter, ses compagnons et lui, jusqu'au
+port d'Edimbourg.
+
+Nell vit l'eau brillante qui ondulait à ses pieds sous l'action du
+ressac et semblait constellée d'étoiles tremblotantes.
+
+« Est-ce un lac ? demanda-t-elle.
+
+-- Non, répondit Harry, c'est un vaste golfe avec des eaux courantes,
+c'est l'embouchure d'un fleuve, c'est presque un bras de mer. Prends un
+peu de cette eau dans le creux de ta main, Nell, et tu verras qu'elle
+n'est pas douce comme celle du lac Malcolm. »
+
+La jeune fille se baissa, trempa sa main dans les premiers flots et la
+porta à ses lèvres.
+
+« Cette eau est salée, dit-elle.
+
+-Oui, répondit Harry, la mer a reflué jusqu'ici, car la marée est
+pleine. Les trois quarts de notre globe sont recouverts de cette eau
+salée, dont tu viens de boire quelques gouttes !
+
+-- Mais si l'eau des fleuves n'est que celle de la mer que leur versent
+les nuages, pourquoi est-elle douce ? demanda Nell.
+
+-- Parce que l'eau se dessale en s'évaporant, répondit James Starr. Les
+nuages ne sont formés que par l'évaporation et renvoient sous forme de
+pluie cette eau douce à la mer.
+
+-- Harry, Harry ! s'écria alors la jeune fille, quelle est cette lueur
+rougeâtre qui enflamme l'horizon ? Est-ce donc une forêt en feu ? »
+
+Et Nell montrait un point du ciel, au milieu des basses brumes qui se
+coloraient dans l'est.
+
+« Non, Nell, répondit Harry. C'est la lune à son lever.
+
+-- Oui, la lune ! s'écria Jack Ryan, un superbe plateau d'argent que
+les génies célestes font circuler dans le firmament, et qui recueille
+toute une monnaie d'étoiles !
+
+-- Vraiment, Jack ! répondit l'ingénieur en riant, je ne te connaissais
+pas ce penchant aux comparaisons hardies !
+
+-- Eh ! monsieur Starr, ma comparaison est juste ! vous voyez bien que
+les étoiles disparaissent à mesure que la lune s'avance. Je suppose
+donc qu'elles tombent dedans !
+
+-- C'est-à-dire, Jack, répondit l'ingénieur, que c'est la lune qui
+éteint par son éclat les étoiles de sixième grandeur, et voilà pourquoi
+celles-ci s'effacent sur son passage.
+
+-- Que tout cela est beau ! répétait Nell, qui ne vivait plus que par
+le regard. Mais je croyais que la lune était toute ronde ?
+
+-- Elle est ronde quand elle est pleine, répondit James Starr,
+c'est-à-dire lorsqu'elle se trouve en opposition avec le soleil. Mais,
+cette nuit, la lune entre dans son dernier quartier, elle est écornée
+déjà, et le plateau d'argent de notre ami Jack n'est plus qu'un plat à
+barbe !
+
+-- Ah ! monsieur Starr, s'écria Jack Ryan, quelle indigne comparaison !
+J'allais justement entonner ce couplet en l'honneur de la lune :
+
+ Astre des nuits qui dans ton cours
+ Viens caresser...
+Mais non ! C'est maintenant impossible ! votre plat à barbe m'a coupé
+l'inspiration ! »
+
+Cependant, la lune montait peu à peu sur l'horizon. Devant elle
+s'évanouissaient les dernières vapeurs. Au zénith et dans l'ouest, les
+étoiles brillaient encore sur un fond noir que l'éclat lunaire allait
+graduellement pâlir. Nell contemplait en silence cet admirable
+spectacle, ses yeux supportaient sans fatigue cette douce lueur
+argentée, mais sa main frémissait dans celle d'Harry et parlait pour
+elle.
+
+« Embarquons-nous, mes amis, dit James Starr. Il faut que nous ayons
+gravi les pentes de l'Arthur-Seat avant le lever du soleil ! » La
+barque était amarrée à un pieu de la rive. Un marinier la gardait. Nell
+et ses compagnons y prirent place. La voile fut hissée et se gonfla
+sous la brise du nord-ouest.
+
+Quelle nouvelle impression ressentit alors la jeune fille ! Elle avait
+navigué quelquefois sur les lacs de la Nouvelle-Aberfoyle, mais
+l'aviron, si doucement manié qu'il fût par la main d'Harry, trahissait
+toujours l'effort du rameur. Ici, pour la première fois, Nell se
+sentait entraînée avec un glissement presque aussi doux que celui du
+ballon à travers l'atmosphère. Le golfe était uni comme un lac. A demi
+couchée à l'arrière, Nell se laissait aller à ce balancement. Par
+instants, en de certaines embardées, un rayon de lune filtrait jusqu'à
+la surface du Forth, et l'embarcation semblait courir sur une nappe
+d'argent toute scintillante. De petites ondulations chantaient le long
+du bordage. C'était un ravissement.
+
+Mais il arriva alors que les yeux de Nell se fermèrent
+involontairement. Une sorte d'assoupissement passager la prit. Sa tête
+s'inclina sur la poitrine d'Harry, et elle s'endormit d'un tranquille
+sommeil.
+
+Harry voulait la réveiller, afin qu'elle ne perdît rien des
+magnificences de cette belle nuit.
+
+« Laisse-la dormir, mon garçon, lui dit l'ingénieur. Deux heures de
+repos la prépareront mieux à supporter les impressions du jour. »
+
+A deux heures du matin, l'embarcation arrivait au pier de Granton. Nell
+se réveilla, dès qu'elle toucha terre.
+
+« J'ai dormi ? demanda-t-elle.
+
+-- Non, ma fille, répondit James Starr. Tu as simplement rêvé que tu
+dormais, voilà tout. »
+
+La nuit était très claire alors. La lune, à mi-chemin de l'horizon au
+zénith, dispersait ses rayons à tous les points du ciel.
+
+Le petit port de Granton ne contenait que deux ou trois bateaux de
+pêche, que balançait doucement la houle du golfe. La brise calmissait
+aux approches du matin. L'atmosphère, nettoyée de brumes, promettait
+une de ces délicieuses journées d'août que le voisinage de la mer rend
+plus belles encore. Une sorte de buée chaude se dégageait de l'horizon,
+mais si fine, si transparente, que les premiers feux du soleil devaient
+la boire en un instant. La jeune fille put donc observer cet aspect de
+la mer, lorsqu'elle se confond avec l'extrême périmètre du ciel. La
+portée de sa vue s'en trouvait agrandie, mais son regard ne subissait
+pas cette impression particulière que donne l'Océan, lorsque la lumière
+semble en reculer les bornes à l'infini.
+
+Harry prit la main de Nell. Tous deux suivirent James Starr et Jack
+Ryan qui s'avançaient par les rues désertes. Dans la pensée de Nell, ce
+faubourg de la capitale n'était qu'un assemblage de maisons sombres,
+qui lui rappelait Coal-city, avec cette seule différence que sa voûte
+était plus élevée et scintillait de points brillants. Elle allait d'un
+pas léger, et jamais Harry n'était obligé de ralentir le sien, par
+crainte de la fatiguer.
+
+« Tu n'es pas lasse ? lui demanda-t-il, après une demi-heure de marche.
+
+-- Non, répondit-elle. Mes pieds ne semblent même pas toucher à la
+terre ! Ce ciel est si haut au-dessus de nous que j'ai l'envie de
+m'envoler, comme si j'avais des ailes !
+
+-- Retiens-la ! s'écria Jack Ryan. C'est qu'elle est bonne à garder,
+notre petite Nell ! Moi aussi, j'éprouve cet effet, lorsque je suis
+resté quelque temps sans sortir de la houillère !
+
+-- Cela est dû, dit James Starr, à ce que nous ne nous sentons plus
+écrasés par la voûte de schiste qui recouvre Coal-city ! Il semble
+alors que le firmament soit comme un profond abîme dans lequel on est
+tenté de s'élancer. -- N'est-ce pas ce que tu ressens, Nell ?
+
+-- Oui, monsieur Starr, répondit la jeune fille, c'est bien cela.
+J'éprouve comme une sorte de vertige !
+
+-- Tu t'y feras, Nell, répondit Harry. Tu te feras à cette immensité du
+monde extérieur, et peut-être oublieras-tu alors notre sombre houillère
+!
+
+-- Jamais, Harry ! » répondit Nell.
+
+Et elle appuya sa main sur ses yeux, comme si elle eût voulu refaire
+dans son esprit le souvenir de tout ce qu'elle venait de quitter.
+
+Entre les maisons endormies de la ville, James Starr et ses compagnons
+traversèrent Leith-Walk. Ils contournèrent Calton Hill, où se
+dressaient dans la pénombre l'Observatoire et le monument de Nelson.
+Ils suivirent la rue du Régent, franchirent un pont, et arrivèrent par
+un léger détour à l'extrémité de la Canongate.
+
+Aucun mouvement ne se faisait encore dans la ville. Deux heures
+sonnaient au clocher gothique de Canongate-Church.
+
+En cet endroit, Nell s'arrêta.
+
+« Quelle est cette masse confuse ? demanda-t-elle en montrant un
+édifice isolé qui s'élevait au fond d'une petite place.
+
+-- Cette masse, Nell, répondit James Starr, c'est le palais des anciens
+souverains de l'Écosse, Holyrood, où se sont accomplis tant
+d'événements funèbres ! Là, l'historien pourrait évoquer bien des
+ombres royales, depuis l'ombre de l'infortunée Marie Stuart jusqu'à
+celle du vieux roi français Charles X ! Et pourtant, malgré ces
+funèbres souvenirs, lorsque le jour sera venu, Nell, tu ne trouveras
+pas à cette résidence un aspect trop lugubre ! Avec ses quatre grosses
+tours crénelées, Holyrood ne ressemble pas mal à quelque château de
+plaisance, auquel le bon plaisir de son propriétaire a conservé son
+caractère féodal ! -- Mais continuons notre marche. Là, dans l'enceinte
+même de l'ancienne abbaye d'Holyrood, se dressent ces roches superbes
+de Salisbury que domine l'Arthur-Seat. C'est là que nous monterons.
+C'est à sa cime, Nell, que tes yeux verront le soleil apparaître
+au-dessus de l'horizon de mer. »
+
+Ils entrèrent dans le Parc du Roi. Puis, s'élevant graduellement, ils
+traversèrent victoria-Drive, magnifique route circulaire, praticable
+aux voitures, que Walter Scott se félicite d'avoir obtenue avec
+quelques lignes de roman.
+
+L'Arthur-Seat n'est, à vrai dire, qu'une colline haute de sept cent
+cinquante pieds, dont la tête isolée domine les hauteurs environnantes.
+En moins d'une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait
+l'ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le crâne
+de ce lion auquel ressemble l'Arthur Seat, lorsqu'on l'observe du côté
+de l'ouest.
+
+Là, tous quatre s'assirent, et James Starr, toujours riche de citations
+empruntées au grand romancier écossais, se borna à dire :
+
+« Voici ce qu'a écrit Walter Scott, au huit de la _Prison d'Édimbourg_ :
+
+« Si j'avais à choisir un lieu d'où l'on pût voir le mieux possible le
+lever et le coucher du soleil, ce serait cet endroit même. »
+
+« Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder à paraître, et, pour
+la première fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur. »
+
+Les regards de la jeune fille étaient alors tournés vers l'est. Harry,
+placé près d'elle, l'observait avec une anxieuse attention.
+N'allait-elle pas être trop vivement impressionnée par les premiers
+rayons du jour ? Tous demeurèrent silencieux. Jack Ryan lui-même se tut.
+
+Déjà une petite ligne pâle, nuancée de rose, se dessinait au-dessus de
+l'horizon sur un fond de brumes légères. Un reste de vapeurs, égarées
+au Zénith, fut attaqué par le premier trait de lumière. Au pied
+d'Arthur-Seat, dans le calme absolu de la nuit, Édimbourg, assoupie
+encore, apparaissait confusément. Quelques points lumineux piquaient çà
+et là l'obscurité. C'étaient les étoiles matinales qu'allumaient les
+gens de la vieille ville. En arrière, dans l'ouest, l'horizon, coupé de
+silhouettes capricieuses, bornait une région accidentée de pics,
+auxquels chaque rayon solaire allait mettre une aigrette de feu.
+
+Cependant, le périmètre de la mer se traçait plus vivement vers l'est.
+La gamme des couleurs se disposait peu à peu suivant l'ordre que donne
+le spectre solaire. Le rouge des premières brumes allait par
+dégradation jusqu'au violet du zénith. De seconde en seconde, la
+palette prenait plus de vigueur : le rose devenait rouge, le rouge
+devenait feu. Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc
+diurne allait fixer sur la circonférence de la mer.
+
+En ce moment, les regards de Nell couraient du pied de la colline
+jusqu'à la ville, dont les quartiers commençaient à se détacher par
+groupes. De hauts monuments, quelques clochers aigus émergeaient çà et
+là, et leurs linéaments se profilaient alors avec plus de netteté. Il
+se répandait comme une sorte de lumière cendrée dans l'espace. Enfin,
+un premier rayon atteignit l'oeil de la jeune fille. C'était ce
+rayon vert, qui, soir ou matin, se dégage de la mer, lorsque l'horizon
+est pur.
+
+Une demi-minute plus tard, Nell se redressait et tendait la main vers
+un point qui dominait les quartiers de la nouvelle ville.
+
+« Un feu ! dit-elle.
+
+-- Non, Nell, répondit Harry, ce n'est pas un feu. C'est une touche
+d'or que le soleil pose au sommet du monument de Walter Scott ! »
+
+Et, en effet, l'extrême pointe du clocheton, haut de deux cents pieds,
+brillait comme un phare de premier ordre.
+
+Le jour était fait. Le soleil déborda. Son disque semblait encore
+humide, comme s'il fût réellement sorti des eaux de la mer. D'abord
+élargi par la réfraction, il se rétrécit peu à peu, de manière à
+prendre la forme circulaire. Son éclat, bientôt insoutenable, était
+celui d'une bouche de fournaise qui eût troué le ciel.
+
+Nell dut presque aussitôt fermer les yeux. Sur leurs paupières, trop
+minces, il lui fallut même appliquer ses doigts, serrés étroitement.
+
+Harry voulait qu'elle se retournât vers l'horizon opposé.
+
+« Non, Harry, dit-elle. Il faut que mes yeux s'habituent à voir ce que
+savent voir tes yeux ! »
+
+A travers la paume de ses mains, Nell percevait encore une lueur rose,
+qui blanchissait à mesure que le soleil s'élevait au dessus de
+l'horizon. Son regard s'y faisait graduellement. Puis, ses paupières se
+soulevèrent, et ses yeux s'imprégnèrent enfin de la lumière du jour.
+
+La pieuse enfant tomba à genoux, s'écriant :
+
+« Mon Dieu, que votre monde est beau ! »
+
+La jeune fille baissa les yeux alors et regarda. A ses pieds se
+déroulait le panorama d'Édimbourg : les quartiers neufs et bien alignés
+de la nouvelle ville, l'amas confus des maisons et le réseau bizarre
+des rues de l'Auld-Recky. Deux hauteurs dominaient cet ensemble, le
+château accroché à son rocher de basalte et Calton Hill, portant sur sa
+croupe arrondie les ruines modernes d'un monument grec. De magnifiques
+routes plantées rayonnaient de la capitale à la campagne. Au nord, un
+bras de mer, le golfe de Forth, entaillait profondément la côte, sur
+laquelle s'ouvrait le port de Leith. Au-dessus, en troisième plan, se
+développait l'harmonieux littoral du comté de Fife. Une voie, droite
+comme celle du Pirée, reliait à la mer cette Athènes du Nord. Vers
+l'ouest s'allongeaient les belles plages de Newhaven et de Porto-Bello,
+dont le sable teignait en jaune les premières lames du ressac. Au
+large, quelques chaloupes animaient les eaux du golfe, et deux ou trois
+steamers empanachaient le ciel d'un cône de fumée noire. Puis, au-delà,
+verdoyait l'immense campagne. De modestes collines bossuaient çà et là
+la plaine. Au nord, les Lomond-Hills, dans l'ouest, le Ben-Lomond et le
+Ben-Ledi réverbéraient les rayons solaires, comme si des glaces
+éternelles en eussent tapissé les cimes.
+
+Nell ne pouvait parler. Ses lèvres ne murmuraient que des mots vagues.
+Ses bras frémissaient. Sa tête était prise de vertiges. Un instant, ses
+forces l'abandonnèrent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle
+sublime, elle se sentit tout à coup faiblir, et tomba sans connaissance
+dans les bras d'Harry, prêts à la recevoir.
+
+Cette jeune fille, dont la vie s'était écoulée jusqu'alors dans les
+entrailles du massif terrestre, avait enfin contemplé ce qui constitue
+presque tout l'univers, tel que l'ont fait le Créateur et l'homme. Ses
+regards, après avoir plané sur la ville et sur la campagne, venaient de
+s'étendre, pour la première fois, sur l'immensité de la mer et l'infini
+du ciel.
+
+ XVIII
+
+ Du lac Lomond au lac Katrine
+
+Harry portant Nell dans ses bras, suivi de James Starr et de Jack Ryan,
+redescendit les pentes d'Arthur-Seat. Après quelques heures de repos et
+un déjeuner réconfortant qui fut pris à Lambret's-Hotel, on songea à
+compléter l'excursion par une promenade à travers le pays des lacs.
+
+Nell avait recouvré ses forces. Ses yeux pouvaient désormais s'ouvrir
+tout grands à la lumière, et ses poumons aspirer largement cet air
+vivifiant et salubre. Le vert des arbres, la nuance variée des plantes,
+l'azur du ciel, avaient déployé devant ses regards la gamme des
+couleurs.
+
+Le train qu'ils prirent à Général railway station, conduisit Nell et
+ses compagnons à Glasgow. Là, du dernier pont jeté sur la Clyde, ils
+purent admirer le curieux mouvement maritime du fleuve. Puis, ils
+passèrent la nuit à Comrie's Royal-hôtel.
+
+Le lendemain, de la gare d'« Édimbourg and Glasgow railway », le train
+devait les conduire rapidement, par Dumbarton et Balloch, à l'extrémité
+méridionale du lac Lomond.
+
+« C'est là le pays de Rob Roy et de Fergus Mac Gregor ! s'écria James
+Starr, le territoire si poétiquement célébré par Walter Scott ! -- Tu
+ne connais pas ce pays, Jack ?
+
+-- Je le connais par ses chansons, monsieur Starr, répondit Jack Ryan,
+et, lorsqu'un pays a été si bien chanté, il doit être superbe !
+
+-- Il l'est, en effet, s'écria l'ingénieur, et notre chère Nell en
+conservera le meilleur souvenir !
+
+-- Avec un guide tel que vous, monsieur Starr, répondit Harry, ce sera
+double profit, car vous nous raconterez l'histoire du pays pendant que
+nous le regarderons.
+
+-- Oui, Harry, dit l'ingénieur, autant que ma mémoire me le permettra,
+mais à une condition, cependant : c'est que le joyeux Jack me viendra
+en aide ! Lorsque je serai fatigué de raconter, il chantera !
+
+-- Il ne faudra pas me le dire deux fois », répliqua Jack Ryan en
+lançant une note vibrante, comme s'il eût voulu monter son gosier au
+_la_ du diapason.
+
+Par le railway de Glasgow à Balloch, entre la métropole commerciale de
+l'Écosse et l'extrémité méridionale du lac Lomond, on ne compte qu'une
+vingtaine de milles.
+
+Le train passa par Dumbarton, bourg royal et chef-lieu de comté, dont
+le château, toujours fortifié, conformément au traité de l'Union, est
+pittoresquement campé sur les deux pics d'un gros rocher de basalte.
+
+Dumbarton est situé au confluent de la Clyde et de la Leven. A ce
+propos, James Starr raconta quelques particularités de l'aventureuse
+histoire de Marie Stuart. En effet, ce fut de ce bourg qu'elle partit
+pour aller épouser François II et devenir reine de France. Là aussi,
+après 1815, le ministère anglais médita d'interner Napoléon; mais le
+choix de Sainte-Hélène prévalut, et voilà pourquoi le prisonnier de
+l'Angleterre alla mourir sur un roc de l'Atlantique, pour le plus grand
+profit de la légendaire mémoire.
+
+Bientôt, le train s'arrêta à Balloch, près d'une estacade en bois qui
+descendait au niveau du lac.
+
+Un bateau à vapeur, le _Sinclair_, attendait les touristes qui font
+l'excursion des lacs. Nell et ses compagnons s'y embarquèrent, après
+avoir pris leur billet pour Inversnaid, à l'extrémité nord du lac
+Lomond.
+
+La journée commençait par un beau soleil, bien dégagé de ces brumes
+britanniques, dont il se voile le plus ordinairement. Aucun détail de
+ce paysage, qui allait se dérouler sur un parcours de trente milles, ne
+devait échapper aux voyageurs du _Sinclair_. Nell, assise à l'arrière
+entre James Starr et Harry, aspirait par tous ses sens la poésie
+superbe, dont cette belle nature écossaise est si largement empreinte.
+
+Jack Ryan allait et venait sur le pont du _Sinclair_, interrogeant sans
+cesse l'ingénieur, qui, cependant, n'avait pas besoin d'être interrogé.
+A mesure que ce pays de Rob Roy se développait à ses regards, il le
+décrivait en admirateur enthousiaste.
+
+Dans les premières eaux du lac Lomond, apparurent d'abord de nombreuses
+petites îles ou îlots. C'était comme un semis. Le _Sinclair_ côtoyait
+leurs rives escarpées, et, dans l'entre-deux des îles, se dessinaient,
+tantôt une vallée solitaire, tantôt une gorge sauvage, hérissée de rocs
+abrupts.
+
+« Nell, dit James Starr, chacun de ces îlots a sa légende, et peut-être
+sa chanson, aussi bien que les monts qui encadrent le lac. On peut
+dire, sans trop de prétention, que l'histoire de cette contrée est
+écrite avec ces caractères gigantesques d'îles et de montagnes.
+
+-- Savez-vous, monsieur Starr, dit Harry, ce que me rappelle cette
+partie du lac Lomond ?
+
+-- Que te rappelle-t-elle, Harry ?
+
+-- Les mille îles du lac Ontario, si admirablement décrites par Cooper.
+Tu dois être comme moi frappée de cette ressemblance, ma chère Nell,
+car, il y a quelques jours, je t'ai lu ce roman qu'on a pu justement
+nommer le chef-d'oeuvre de l'auteur américain.
+
+-- En effet, Harry, répondit la jeune fille, c'est le même aspect, et
+le _Sinclair_ se glisse entre ces îles, comme faisait au lac Ontario le
+cutter de Jasper Eau-douce !
+
+-- Eh bien, reprit l'ingénieur, cela prouve que les deux sites
+méritaient d'être également chantés par deux poètes ! Je ne connais pas
+ces mille îles de l'Ontario, Harry, mais je doute que l'aspect en soit
+plus varié que celui de cet archipel du Lomond. Regardez ce paysage !
+voici l'île Murray, avec son vieux fort Lennox, où résida la vieille
+duchesse d'Albany, après la mort de son père, de son époux, de ses deux
+fils, décapités par ordre de Jacques Ier. Voici l'île Clar, l'île Cro,
+l'île Torr, les unes rocheuses, sauvages, sans apparence de végétation,
+les autres, montrant leur croupe verte et arrondie. Ici, des mélèzes et
+des bouleaux. Là, des champs de bruyères jaunes et desséchées. En
+vérité ! j'ai quelque peine à croire que les mille îles du lac Ontario
+offrent une telle variété de sites !
+
+-- Quel est ce petit port ? demanda Nell, qui s'était retournée vers la
+rive orientale du lac.
+
+-- C'est Balmaha, qui forme l'entrée des Highlands, répondit James
+Starr. Là commencent nos hautes terres d'Écosse. Les ruines que tu
+aperçois, Nell, sont celles d'un ancien couvent de femmes, et ces
+tombes éparses renferment divers membres de la famille des Mac Gregor,
+dont le nom est encore célèbre dans toute la contrée.
+
+-- Célèbre par le sang que cette famille a répandu et fait répandre !
+fit observer Harry.
+
+-- Tu as raison, répondit James Starr, et il faut bien avouer que la
+célébrité, due aux batailles, est encore la plus retentissante. Ils
+vont loin à travers les âges ces récits de combats...
+
+-- Et ils se perpétuent par les chansons », ajouta Jack Ryan.
+
+Et, à l'appui de son dire, le brave garçon entonna le premier couplet
+d'un vieux chant de guerre, qui relatait les exploits d'Alexandre Mac
+Gregor, du glen Sraë, contre sir Humphry Colquhour, de Luss.
+
+Nell écoutait, mais, de ces récits de combats, elle ne recevait qu'une
+impression triste. Pourquoi tant de sang versé sur ces plaines que la
+jeune fille trouvait immenses, là où la place, cependant, ne devait
+manquer à personne ?
+
+Les rives du lac, qui mesurent de trois à quatre milles, tendaient à se
+rapprocher aux abords du petit port de Luss. Nell put apercevoir un
+instant la vieille tour de l'ancien château. Puis, le _Sinclair_ remit
+le cap au nord, et aux yeux des touristes se montra le Ben Lomond, qui
+s'élève à près de trois mille pieds au-dessus du niveau du lac.
+
+« L'admirable montagne ! s'écria Nell, et, de son sommet, que la vue
+doit être belle !
+
+-- Oui, Nell, répondit James Starr. Regarde comme cette cime se dégage
+fièrement de la corbeille de chênes, de bouleaux, de mélèzes, qui
+tapissent la zone inférieure du mont ! De là, on aperçoit les deux
+tiers de notre vieille Calédonie. C'est ici que le clan de Mac Gregor
+faisait sa résidence habituelle, sur la partie orientale du lac. Non
+loin, les querelles des Jacobites et des Hanovriens ont plus d'une fois
+ensanglanté ces gorges désolées. Là, pendant les belles nuits, se lève
+cette pâle lune, que les vieux récits nomment « la lanterne de Mac
+Farlane ». Là, les échos répètent encore les noms impérissables de Rob
+Roy et de Mac Gregor Campbell ! »
+
+Le Ben Lomond, dernier pic de la chaîne des Grampians, mérite vraiment
+d'avoir été célébré par le grand romancier écossais. Ainsi que le fit
+observer James Starr, il existe de plus hautes montagnes, dont la cime
+revêt des neiges éternelles, mais il n'en est peut-être pas de plus
+poétique en aucun coin du monde.
+
+« Et, ajouta-t-il, quand je pense que ce Ben Lomond appartient tout
+entier au duc de Montrose ! Sa Grâce possède une montagne comme un
+bourgeois de Londres possède un boulingrin dans son jardinet. »
+
+Pendant ce temps, le _Sinclair_ arrivait au village de Tarbet, sur la
+rive opposée du lac, où il déposa les voyageurs qui se rendaient à
+Inverary. De cet endroit, le Ben Lomond apparaissait dans toute sa
+beauté. Ses flancs, zébrés par le lit des torrents, miroitaient comme
+des plaques d'argent en fusion.
+
+A mesure que le _Sinclair_ longeait la base de la montagne, le pays
+devenait de plus en plus abrupt. A peine, çà et là, des arbres isolés,
+entre autres quelques-uns de ces saules, dont les baguettes servaient
+autrefois à pendre les gens de petite condition.
+
+« Pour économiser le chanvre », fit observer James Starr.
+
+Le lac, cependant, se rétrécissait en s'allongeant vers le nord. Les
+montagnes latérales l'enserraient plus étroitement. Le bateau à vapeur
+longea encore quelques îles et îlots, Inveruglas, Eilad Whou, où se
+dressaient les vestiges d'une forteresse qui appartenait aux Mac
+Farlane. Enfin les deux rives se rejoignirent, et le _Sinclair_
+s'arrêta à la station d'Inverslaid.
+
+Là, pendant qu'on préparait leur déjeuner, Nell et ses compagnons
+allèrent visiter, près du lieu de débarquement, un torrent qui se
+précipitait dans le lac d'une assez grande hauteur. Il paraissait avoir
+été planté là comme un décor, pour le plaisir des touristes. Un pont
+tremblant sautait par-dessus les eaux tumultueuses, au milieu d'une
+poussière liquide. De cet endroit, le regard embrassait une grande
+partie du Lomond, et le _Sinclair_ ne paraissait plus être qu'un point
+à sa surface.
+
+Le déjeuner achevé, il s'agissait de se rendre au lac Katrine.
+Plusieurs voitures, aux armes de la famille Breadalbane -- cette
+famille qui assurait autrefois le bois et l'eau à Rob Roy fugitif --
+étaient à la disposition des voyageurs et leur offraient tout ce
+confort qui distingue la carrosserie anglaise.
+
+Harry installa Nell sur l'impériale, conformément à la mode du jour.
+Ses compagnons et lui prirent place auprès d'elle. Un magnifique
+cocher, à livrée rouge, réunit dans sa main gauche les guides de ses
+quatre chevaux, et l'attelage commença à gravir le flanc de la
+montagne, en côtoyant le lit sinueux du torrent.
+
+La route était fort escarpée. A mesure qu'elle s'élevait, la forme des
+cimes environnantes semblait se modifier. On voyait grandir superbement
+toute la chaîne de la rive opposée du lac et les sommets d'Arroquhar,
+dominant la vallée d'Inveruglas. A gauche pointait le Ben Lomond, qui
+découvrait ainsi le brusque escarpement de son flanc septentrional.
+
+Le pays compris entre le lac Lomond et le lac Katrine présentait un
+aspect sauvage. La vallée commençait par des défilés étroits qui
+aboutissaient au glen d'Aberfoyle. Ce nom rappela douloureusement à la
+jeune fille ces abîmes remplis d'épouvante, au fond desquels s'était
+écoulée son enfance. Aussi James Starr s'empressa-t-il de la distraire
+par ses récits.
+
+La contrée y prêtait, d'ailleurs. C'est sur les bords du petit lac
+d'Ard que se sont accomplis les principaux événements de la vie de Rob
+Roy. Là se dressaient des roches calcaires d'un aspect sinistre,
+entremêlées de cailloux, que l'action du temps et de l'atmosphère avait
+durcis comme du ciment. De misérables huttes, semblables à des tanières
+-- de celles qu'on appelle « bourrochs » --, gisaient au milieu des
+bergeries en ruine. On n'eût pu dire si elles étaient habitées par des
+créatures humaines ou des bêtes sauvages. Quelques marmots, aux cheveux
+déjà décolorés par l'intempérie du climat, regardaient passer les
+voitures avec de grands yeux ébahis.
+
+« Voilà bien, dit James Starr, ce que l'on peut plus particulièrement
+appeler le pays de Rob Roy. C'est ici que l'excellent bailli Nichol
+Jarvie, digne fils de son père le diacre, fut saisi par la milice du
+comte de Lennox. C'est à cet endroit même qu'il resta suspendu par le
+fond de sa culotte, heureusement faite d'un bon drap d'Écosse, et non
+de ces camelots légers de France ! Non loin des sources du Forth,
+qu'alimentent les torrents du Ben Lomond, se voit encore le gué que
+franchit le héros pour échapper aux soldats du duc de Montrose. Ah !
+s'il avait connu les sombres retraites de notre houillère, il aurait pu
+y défier toutes les recherches ! vous le voyez, mes amis, on ne peut
+faire un pas dans cette contrée, merveilleuse à tant de titres, sans
+rencontrer ces souvenirs du passé dont s'est inspiré Walter Scott,
+lorsqu'il a paraphrasé en strophes magnifiques l'appel aux armes du
+clan des Mac Gregor !
+
+-- Tout cela est bien dit, monsieur Starr, répliqua Jack Ryan, mais,
+s'il est vrai que Nichol Jarvie resta suspendu par le fond de sa
+culotte, que devient notre proverbe : « Bien malin celui qui pourra
+jamais prendre la culotte d'un Écossais ? »
+
+-- Ma foi, Jack, tu as raison, répondit en riant James Starr, et cela
+prouve tout simplement que, ce jour-là, notre bailli n'était pas vêtu à
+la mode de ses ancêtres !
+
+-- Il eut tort, monsieur Starr !
+
+-- Je n'en disconviens pas, Jack ! »
+
+L'attelage, après avoir gravi les abruptes rives du torrent,
+redescendit dans une vallée sans arbres, sans eaux, uniquement couverte
+d'une maigre bruyère. En certains endroits, quelques tas de pierres
+s'élevaient en pyramides.
+
+« Ce sont des cairns, dit James Starr. Chaque passant, autrefois,
+devait y apporter une pierre, pour honorer le héros couché sous ces
+tombes. De là est venu le dicton gaélique : « Malheur à qui passe
+devant un cairn sans y déposer la pierre du dernier salut ! » Si les
+fils avaient conservé la foi de leurs pères, ces amas de pierres
+seraient maintenant des collines. En vérité, dans cette contrée, tout
+contribue à développer cette poésie naturelle innée au coeur des
+montagnards ! Il en est ainsi de tous les pays de montagne.
+L'imagination y est surexcitée par ces merveilles, et, si les Grecs
+eussent habité un pays de plaines, ils n'auraient jamais inventé la
+mythologie antique ! »
+
+Pendant ces discours et bien d'autres, la voiture s'enfonçait dans les
+défilés d'une vallée étroite, qui eût été très propice aux ébats des
+brawnies familiers de la grande Meg Mérillies. Le petit lac d'Arklet
+fut laissé sur la gauche, et une route à pente raide se présenta, qui
+conduisait à l'auberge de Stronachlacar, sur la rive du lac Katrine.
+
+Là, au musoir d'une légère estacade, se balançait un petit steam-boat,
+qui portait naturellement le nom de _Rob-Roy_. Les voyageurs s'y
+embarquèrent aussitôt : il allait partir.
+
+Le lac Katrine ne mesure que dix milles de longueur, sur une largeur
+qui ne dépasse jamais deux milles. Les premières collines du littoral
+sont encore empreintes d'un grand caractère.
+
+« Voilà donc ce lac, s'écria James Starr, que l'on a justement comparé
+à une longue anguille ! On affirme qu'il ne gèle jamais. Je n'en sais
+rien, mais ce qu'il ne faut point oublier, c'est qu'il a servi de
+théâtre aux exploits de la _Dame du lac_. Je suis certain que, si notre
+ami Jack regardait bien, il verrait glisser encore à sa surface l'ombre
+légère de la belle Hélène Douglas !
+
+-- Certainement, monsieur Starr, répondit Jack Ryan, et pourquoi ne la
+verrais-je point ? Pourquoi cette jolie femme ne serait elle pas aussi
+visible sur les eaux du lac Katrine, que le sont les lutins de la
+houillère sur les eaux du lac Malcolm ? »
+
+En cet instant, les sons clairs d'une cornemuse se firent entendre à
+l'arrière du _Rob-Roy_.
+
+Là, un Highlander en costume national préludait, sur son « bag-pipe » à
+trois bourdons, dont le plus gros sonnait le _sol_, le second le _si_,
+et le plus petit l'octave du gros. Quant au chalumeau, percé de huit
+trous, il donnait une gamme de _sol_ majeur dont le _fa_ était naturel.
+
+Le refrain du Highlander était un chant simple, doux et naïf. On peut
+croire, véritablement, que ces mélodies nationales n'ont été composées
+par personne, qu'elles sont un mélange naturel du souffle de la brise,
+du murmure des eaux, du bruissement des feuilles. La forme du refrain,
+qui revenait à intervalles réguliers, était bizarre. Sa phrase se
+composait de trois mesures à deux temps, et d'une mesure à trois temps,
+finissant sur le temps faible. Contrairement aux chants de la vieille
+époque, il était en majeur, et l'on eût pu l'écrire comme suit, dans ce
+langage chiffré qui donne, non les notes, mais les intervalles des tons
+:
+
+ 5 | 1.2 | 3525 | 1.765 | 22.22
+ ···
+
+ 1.2 | 3525 | 1.765 | 11.11
+ ···
+
+Un homme véritablement heureux alors, ce fut Jack Ryan. Ce chant des
+lacs d'Écosse, il le savait. Aussi, pendant que le Highlander
+l'accompagnait sur sa cornemuse, il chanta de sa voix sonore un hymne,
+consacré aux poétiques légendes de la vieille Calédonie :
+
+ Beaux lacs aux ondes dormantes,
+ Gardez à jamais
+ Vos légendes charmantes,
+ Beaux lacs écossais !
+
+ Sur vos bords on trouve la trace
+ De ces héros tant regrettés,
+ Ces descendants de noble race,
+ Que notre Walter a chantés !
+ Voici la tour où les sorcières
+ Préparaient leur repas frugal;
+ Là, les vastes champs de bruyères,
+ Où revient l'ombre de Fingal.
+
+ Ici passent dans la nuit sombre
+ Les folles danses des lutins.
+ Là, sinistre, apparaît dans l'ombre
+ La face des vieux Puritains !
+ Et parmi les rochers sauvages,
+ Le soir, on peut surprendre encore
+ Waverley, qui, vers vos rivages,
+ Entraîne Flora Mac Ivor !
+
+ La Dame du Lac vient sans doute
+ Errer là sur son palefroi,
+ Et Diana, non loin, écoute
+ Résonner le cor de Rob Roy !
+ N'a-t-on pas entendu naguère
+ Fergus au milieu de ses clans,
+ Entonnant ses pibrochs de guerre,
+ Réveiller l'écho des Highlands
+
+ Si loin de vous, lacs poétiques,
+ Que le destin mène nos pas,
+ Ravins, rochers, grottes antiques,
+ Nos yeux ne vous oublieront pas !
+ Ô vision trop tôt finie,
+ Vers nous ne peux-tu revenir
+ A toi, vieille Calédonie,
+ A toi, tout notre souvenir !
+
+ Beaux lacs aux ondes dormantes,
+ Gardez à jamais
+ Vos légendes charmantes,
+ Beaux lacs écossais !
+
+Il était trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine,
+moins accidentées, se détachaient alors dans le double cadre du Ben An
+et du Ben venue. Déjà, à un demi-mille, se dessinait l'étroit bassin,
+au fond duquel le _Rob-Roy_ allait débarquer les voyageurs, qui se
+rendaient à Stirling par Callander.
+
+Nell était comme épuisée par la tension continue de son esprit. Un seul
+mot sortait de ses lèvres : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » chaque fois qu'un
+nouveau sujet d'admiration s'offrait à sa vue. Il lui fallait quelques
+heures de repos, ne fût-ce que pour fixer plus durablement le souvenir
+de tant de merveilles.
+
+A ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec
+émotion et lui dit :
+
+« Nell, ma chère Nell, bientôt nous serons rentrés dans notre sombre
+domaine ! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces
+quelques heures passées à la pleine lumière du jour ?
+
+-- Non, Harry, répondit la jeune fille. Je me souviendrai, mais c'est
+avec bonheur que je rentrerai avec toi dans notre bien-aimée houillère.
+
+-- Nell, demanda Harry d'une voix dont il voulait en vain contenir
+l'émotion, veux-tu qu'un lien sacré nous unisse à jamais devant Dieu et
+devant les hommes ? veux-tu de moi pour époux ?
+
+-- Je le veux, Harry, répondit Nell, en le regardant de ses yeux si
+purs, je le veux, si tu crois que je puisse suffire à ta vie... » Nell
+n'avait pas achevé cette phrase, dans laquelle se résumait tout
+l'avenir d'Harry, qu'un inexplicable phénomène se produisait.
+
+Le _Rob-Roy_, bien qu'il fût encore à un demi-mille de la rive,
+éprouvait un choc brusque. Sa quille venait de heurter le fond du lac,
+et sa machine, malgré tous ses efforts, ne put l'en arracher.
+
+Et si cet accident était arrivé, c'est que, dans sa portion orientale,
+le lac Katrine venait de se vider presque subitement, comme si une
+immense fissure se fût ouverte sous son lit. En quelques secondes, il
+s'était asséché, ainsi qu'un littoral au plus bas d'une grande marée
+d'équinoxe. Presque tout son contenu avait fui à travers les entrailles
+du sol.
+
+« Mes amis, s'était écrié James Starr, comme si la cause du phénomène
+se fût soudain révélée à son esprit, Dieu sauve la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XIX
+
+ Une dernière menace
+
+Ce jour-là, dans la Nouvelle-Aberfoyle, les travaux s'accomplissaient
+d'une façon régulière. On entendait au loin le fracas des cartouches de
+dynamite, faisant éclater le filon carbonifère. Ici, c'étaient les
+coups de pic et de pince qui provoquaient l'abatage du charbon; là, le
+grincement des perforatrices, dont les fleurets trouaient les failles
+de grès ou de schiste. Il se faisait de longs bruits caverneux. L'air
+aspiré par les machines fusait à travers les galeries d'aération. Les
+portes de bois se refermaient brusquement sous ces violentes poussées.
+Dans les tunnels inférieurs, les trains de wagonnets, mus
+mécaniquement, passaient avec une vitesse de quinze milles à l'heure,
+et les timbres automatiques prévenaient les ouvriers de se blottir dans
+les refuges. Les cages montaient et descendaient sans relâche, halées
+par les énormes tambours des machines installées à la surface du sol.
+Les disques, poussés à plein feu, éclairaient vivement Coal-city.
+
+L'exploitation était donc conduite avec la plus grande activité. Le
+filon s'égrenait dans les wagonnets, qui venaient par centaines se
+vider dans les bennes, au fond des puits d'extraction. Pendant qu'une
+partie des mineurs se reposait après les travaux nocturnes, les équipes
+de jour travaillaient sans perdre une heure.
+
+Simon Ford et Madge, leur dîner terminé, s'étaient installés dans la
+cour du cottage. Le vieil overman faisait sa sieste accoutumée. Il
+fumait sa pipe bourrée d'excellent tabac de France. Lorsque les deux
+époux causaient, c'était pour parler de Nell, de leur garçon, de James
+Starr, de cette excursion à la surface de la terre. Où étaient-ils ?
+Que faisaient-ils en ce moment ? Comment, sans éprouver la nostalgie de
+la houillère, pouvaient-ils rester si longtemps au-dehors ?
+
+En ce moment, un mugissement d'une violence extraordinaire se fit
+soudain entendre. C'était à croire qu'une énorme cataracte se
+précipitait dans la houillère.
+
+Simon Ford et Madge s'étaient levés brusquement.
+
+Presque aussitôt les eaux du lac Malcolm se gonflèrent. Une haute
+vague, déferlant comme une lame de mascaret, envahit la rive et vint se
+briser contre le mur du cottage.
+
+Simon Ford, saisissant Madge, l'avait rapidement entraînée au premier
+étage de l'habitation.
+
+En même temps, des cris s'élevaient de toutes parts dans Coalcity,
+menacée par cette inondation subite. Ses habitants cherchaient refuge
+jusque sur les hautes roches schisteuses, qui formaient le littoral du
+lac.
+
+La terreur était au comble. Déjà quelques familles de mineurs, à demi
+affolées, se précipitaient vers le tunnel, pour gagner les étages
+supérieurs. On pouvait craindre que la mer n'eût fait irruption dans la
+houillère, dont les galeries s'enfonçaient jusque sous le canal du
+Nord. La crypte, si vaste qu'elle fût, aurait été entièrement noyée.
+Pas un des habitants de la Nouvelle-Aberfoyle n'eût échappé à la mort.
+
+Mais, au moment où les premiers fuyards atteignaient l'orifice du
+tunnel, ils se trouvèrent en face de Simon Ford, qui avait aussitôt
+quitté le cottage.
+
+« Arrêtez, arrêtez, mes amis ! leur cria le vieil overman. Si notre
+cité devait être envahie, l'inondation courrait plus vite que vous, et
+personne ne lui échapperait ! Mais les eaux ne croissent plus ! Tout
+danger paraît être écarté.
+
+-- Et nos compagnons qui sont occupés aux travaux du fond ? s'écrièrent
+quelques-uns des mineurs.
+
+-- Il n'y a rien à craindre pour eux, répondit Simon Ford.
+L'exploitation se fait à un étage supérieur au lit du lac ! »
+
+Les faits devaient donner raison au vieil overman. L'envahissement de
+l'eau s'était produit subitement; mais, réparti à l'étage inférieur de
+la vaste houillère, il n'avait eu d'autre effet que de surélever de
+quelques pieds le niveau du lac Malcolm. Coal-city n'était donc pas
+compromise, et l'on pouvait espérer que l'inondation, entraînée dans
+les plus basses profondeurs de la houillère, encore inexploitées,
+n'aurait fait aucune victime.
+
+Quant à cette inondation, si elle était due à l'épanchement d'une nappe
+intérieure à travers les fissures du massif, ou si quelque cours d'eau
+du sol s'était précipité par son lit effondré jusqu'aux derniers étages
+de la mine, Simon Ford et ses compagnons ne pouvaient le dire. Quant à
+penser qu'il s'agissait là d'un simple accident, tel qu'il s'en produit
+quelquefois dans les charbonnages, cela ne faisait doute pour personne.
+
+Mais, le soir même, on savait à quoi s'en tenir. Les journaux du comté
+publiaient le récit de cet étrange phénomène, dont le lac Katrine avait
+été le théâtre. Nell, Harry, James Starr et Jack Ryan, qui étaient
+revenus en toute hâte au cottage, confirmaient ces nouvelles, et
+apprenaient, non sans grande satisfaction, que tout se bornait à des
+dégâts matériels dans la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Ainsi donc, le lit du lac Katrine s'était subitement effondré. Ses eaux
+avaient fait irruption à travers une large fissure jusque dans la
+houillère. Au lac favori du romancier écossais, il ne restait plus de
+quoi mouiller les jolis pieds de la Dame du Lac, -- du moins dans toute
+sa partie méridionale. Un étang de quelques acres, voilà à quoi il
+était réduit, là où son lit se trouvait en contrebas de la portion
+effondrée.
+
+Quel retentissement eut cet événement bizarre ! C'était la première
+fois, sans doute, qu'un lac se vidait en quelques instants dans les
+entrailles du sol. Il n'y avait plus, maintenant, qu'à rayer celui-ci
+des cartes du Royaume-Uni, jusqu'à ce qu'on l'eût rempli de nouveau --
+par souscription publique --, après avoir préalablement bouché la
+fissure. Walter Scott en fût mort de désespoir, -- s'il eût encore été
+de ce monde !
+
+Après tout, l'accident était explicable. En effet, entre la profonde
+cavité et le lit du lac, l'étage des terrains secondaires se réduisait
+à une mince couche, par suite d'une disposition géologique particulière
+du massif.
+
+Mais, si cet éboulement semblait être dû à une cause naturelle, James
+Starr, Simon et Harry Ford se demandèrent, eux, s'il ne fallait pas
+l'attribuer à la malveillance. Les soupçons étaient revenus avec plus
+de force à leur esprit. Le génie malfaisant allait-il donc recommencer
+ses entreprises contre les exploitants de la riche houillère ?
+
+Quelques jours après, James Starr en causait au cottage avec le vieil
+overman et son fils.
+
+« Simon, dit-il, suivant moi, bien que le fait puisse s'expliquer de
+lui-même, j'ai comme un pressentiment qu'il rentre dans la catégorie de
+ceux dont nous recherchons encore la cause !
+
+-- Je pense comme vous, monsieur James, répondit Simon Ford; mais, si
+vous m'en croyez, n'ébruitons rien et faisons notre enquête nous-mêmes.
+
+-- Oh ! s'écria l'ingénieur, j'en connais le résultat d'avance !
+
+-- Eh ! quel sera-t-il ?
+
+-- Nous trouverons les preuves de la malveillance, mais non le
+malfaiteur !
+
+-- Cependant il existe ! répondit Simon Ford. Où se cache-t-il ? Un
+seul être, si pervers qu'il soit, pourrait-il mener à bien une idée
+aussi infernale que celle de provoquer l'effondrement d'un lac ?
+vraiment, je finirai par croire, avec Jack Ryan, que c'est quelque
+génie de la houillère, qui nous en veut d'avoir envahi son domaine ! »
+
+Il va sans dire que Nell, autant que possible, était tenue en dehors de
+ces conciliabules. Elle aidait, d'ailleurs, au désir qu'on avait de ne
+lui en rien laisser soupçonner. Son attitude témoignait, toutefois,
+qu'elle partageait les préoccupations de sa famille adoptive. Sa figure
+attristée portait la marque des combats intérieurs qui l'agitaient.
+
+Quoi qu'il en soit, il fut résolu que James Starr, Simon et Harry Ford
+retourneraient sur le lieu même de l'éboulement, et qu'ils essaieraient
+de se rendre compte de ses causes. Ils ne parlèrent à personne de leur
+projet. A qui n'eût pas connu l'ensemble des faits qui lui servaient de
+base, l'opinion de James Starr et de ses amis devait sembler absolument
+inadmissible.
+
+Quelques jours après, tous trois, montant un léger canot que
+manoeuvrait Harry, vinrent examiner les piliers naturels qui
+soutenaient la partie du massif, dans laquelle se creusait le lit du
+lac Katrine.
+
+Cet examen leur donna raison. Les piliers avaient été attaqués à coups
+de mine. Les traces noircies étaient encore visibles, car les eaux
+avaient baissé par suite d'infiltrations, et l'on pouvait arriver
+jusqu'à la base de la substruction.
+
+Cette chute d'une portion des voûtes du dôme avait été préméditée, puis
+exécutée de main d'homme.
+
+« Aucun doute n'est possible, dit James Starr. Et qui sait ce qui
+serait arrivé, si, au lieu de ce petit lac, l'effondrement eût ouvert
+passage aux eaux d'une mer !
+
+-- Oui ! s'écria le vieil overman avec un sentiment de fierté, il
+n'aurait pas fallu moins d'une mer pour noyer notre Aberfoyle ! Mais,
+encore une fois, quel intérêt peut avoir un être quelconque à la ruine
+de notre exploitation ?.
+
+-- C'est incompréhensible, répondit James Starr. Il ne s'agit pas là
+d'une bande de malfaiteurs vulgaires qui, de l'antre où ils s'abritent,
+se répandraient sur le pays pour voler et piller ! De tels méfaits,
+depuis trois ans, auraient révélé leur existence ! Il ne s'agit pas,
+non plus, comme j'y ai pensé quelquefois, de contrebandiers ou de faux
+monnayeurs, cachant dans quelque recoin encore ignoré de ces immenses
+cavernes leur coupable industrie, et intéressés par suite à nous en
+chasser. On ne fait ni de la fausse monnaie ni de la contrebande pour
+la garder ! Il est clair cependant qu'un ennemi implacable a juré la
+perte de la Nouvelle Aberfoyle, et qu'un intérêt le pousse à chercher
+tous les moyens possibles d'assouvir la haine qu'il trous a vouée !
+Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c'est dans l'ombre
+qu'il prépare ses embûches, mais l'intelligence qu'il y déploie fait de
+lui un être redoutable. Mes amis, il possède mieux que nous tous les
+secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il échappe à
+toutes nos recherches ! C'est un homme du métier, un habile parmi les
+habiles, à coup sûr, Simon. Ce que nous avons surpris de sa façon
+d'opérer en est la preuve manifeste. Voyons ! avez-vous jamais eu
+quelque ennemi personnel, sur lequel vos soupçons puissent se porter ?
+Cherchez bien. Il y a des monomanies de haine que le temps n'éteint
+pas. Remontez au plus haut dans votre vie, s'il le faut. Tout ce qui se
+passe est l'oeuvre d'une sorte de folie froide et patiente, qui
+exige que vous évoquiez sur ce point jusqu'à vos plus lointains
+souvenirs ! »
+
+Simon Ford ne répondit pas. On voyait que l'honnête overman, avant de
+s'expliquer, interrogeait avec candeur tout son passé. Enfin, relevant
+la tête :
+
+« Non, dit-il, devant Dieu, ni Madge, ni moi, nous n'avons jamais fait
+de mal à personne. Nous ne croyons pas que nous puissions avoir un
+ennemi, un seul !
+
+-- Ah ! s'écria l'ingénieur, si Nell voulait enfin parler !
+
+-- Monsieur Starr, et vous, mon père, répondit Harry, je vous en
+supplie, gardons encore pour nous seuls le secret de notre enquête !
+N'interrogez pas ma pauvre Nell ! Je la sens déjà anxieuse et
+tourmentée. Il est certain pour moi que son coeur contient à
+grand-peine un secret qui l'étouffe. Si elle se tait, c'est ou qu'elle
+n'a rien à dire, ou qu'elle ne croit pas devoir parler ! Nous ne
+pouvons pas douter de son affection pour nous, pour nous tous ! Plus
+tard, si elle m'apprend ce qu'elle nous a tu jusqu'ici, vous en serez
+instruits aussitôt.
+
+-- Soit, Harry, répondit l'ingénieur, et cependant ce silence, si Nell
+sait quelque chose, est vraiment bien inexplicable ! »
+
+Et comme Harry allait se récrier :
+
+« Sois tranquille, ajouta l'ingénieur. Nous ne dirons rien à celle qui
+doit être ta femme.
+
+-- Et qui le serait sans plus attendre, si vous le vouliez, mon père !
+
+-- Mon garçon, dit Simon Ford, dans un mois, jour pour jour, ton
+mariage se fera. -- vous tiendrez lieu de père à Nell, monsieur James ?
+
+-- Comptez sur moi, Simon », répondit l'ingénieur.
+
+James Starr et ses deux compagnons revinrent au cottage. Ils ne dirent
+rien du résultat de leur exploration, et, pour tout le monde de la
+houillère, l'effondrement des voûtes resta à l'état de simple accident.
+Il n'y avait qu'un lac de moins en Écosse.
+
+Nell avait peu à peu repris ses occupations habituelles. De cette
+visite à la surface du comté, elle avait gardé d'impérissables
+souvenirs qu'Harry utilisait pour son instruction. Mais cette
+initiation à la vie du dehors ne lui avait laissé aucun regret. Elle
+aimait, comme avant cette exploration, le sombre domaine où, femme,
+elle continuerait de demeurer, après y avoir vécu enfant et jeune fille.
+
+Cependant, le mariage prochain de Harry Ford et de Nell avait fait
+grand bruit dans la Nouvelle-Aberfoyle. Les compliments affluèrent au
+cottage. Jack Ryan ne fut pas le dernier à y apporter les siens. On le
+surprenait aussi à étudier au loin ses meilleures chansons pour une
+fête à laquelle toute la population de Coal-city devait prendre part.
+
+Mais il arriva que, pendant le mois qui précéda le mariage, la
+Nouvelle-Aberfoyle fut plus éprouvée qu'elle ne l'avait jamais été. On
+eût dit que l'approche de l'union de Nell et d'Harry provoquait
+catastrophes sur catastrophes. Les accidents se produisaient
+principalement dans les travaux du fond, sans que la véritable cause
+pût en être connue.
+
+Ainsi, un incendie dévora le boisage d'une galerie inférieure, et on
+retrouva la lampe que l'incendiaire avait employée. Harry et ses
+compagnons durent risquer leur vie pour arrêter ce feu, qui menaçait de
+détruire le gisement, et ils n'y parvinrent qu'en employant les
+extincteurs, remplis d'une eau chargée d'acide carbonique, dont la
+houillère était prudemment pourvue.
+
+Une autre fois, ce fut un éboulement dû à la rupture des étançons d'un
+puits, et James Starr constata que ces étançons avaient été
+préalablement attaqués à la scie. Harry, qui surveillait les travaux
+sur ce point, fut enseveli sous les décombres et n'échappa que par
+miracle à la mort.
+
+Quelques jours après, sur le tramway à traction mécanique, le train de
+wagonnets sur lequel Harry était monté, tamponna un obstacle et fut
+culbuté. On reconnut ensuite qu'une poutre avait été placée en travers
+de la voie.
+
+Bref, ces faits se multiplièrent tellement, qu'une sorte de panique se
+déclara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la présence
+de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.
+
+« Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs ! répétait Simon
+Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul ! »
+
+On recommença les recherches. La police du comté se tint sur pied nuit
+et jour, mais elle ne put rien découvrir. James Starr défendit à Harry,
+que cette malveillance semblait viser plus directement, de s'aventurer
+jamais seul hors du centre des travaux.
+
+On en agit de même à l'égard de Nell, à laquelle, sur les instances de
+Harry, on cachait, néanmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui
+pouvaient lui rappeler le souvenir du passé. Simon Ford et Madge la
+gardaient jour et nuit avec une sorte de sévérité, ou plutôt de
+sollicitude farouche. La pauvre enfant s'en rendait compte, mais pas
+une remarque, pas une plainte ne lui échappa. Se disait-elle que si
+l'on en agissait ainsi, c'était dans son intérêt ? Oui, probablement.
+Toutefois, elle aussi, à sa façon, semblait veiller sur les autres, et
+ne se montrait tranquille, que lorsque tous ceux qu'elle aimait étaient
+réunis au cottage. Le soir, quand Harry rentrait, elle ne pouvait
+retenir un mouvement de joie folle, peu compatible avec sa nature,
+d'ordinaire plus réservée qu'expansive. La nuit une fois passée, elle
+était debout, avant tous les autres. Son inquiétude la reprenait dès le
+matin, à l'heure de la sortie pour les travaux du fond.
+
+Harry aurait voulu, pour lui rendre le repos, que leur mariage fût un
+fait accompli, Il lui semblait que, devant cet acte irrévocable, la
+malveillance, devenue inutile, désarmerait, et que Nell ne se sentirait
+en sûreté que lorsqu'elle serait sa femme. Cette impatience était
+d'ailleurs partagée par James Starr aussi bien que par Simon Ford et
+Madge. Chacun comptait les jours.
+
+La vérité est que chacun était sous le coup des plus sinistres
+pressentiments. Cet ennemi caché, qu'on ne savait où prendre et comment
+combattre, on se disait tout bas que rien de ce qui concernait Nell ne
+lui était sans doute indifférent. Cet acte solennel du mariage d'Harry
+et de la jeune fille pouvait donc être l'occasion de quelque
+machination nouvelle de sa haine.
+
+Un matin, huit jours avant l'époque convenue pour la cérémonie, Nell,
+poussée sans doute par quelque sinistre pressentiment, était parvenue à
+sortir la première du cottage, dont elle voulait observer les abords.
+
+Arrivée au seuil, un cri d'indicible angoisse s'échappa de sa bouche.
+
+Ce cri retentit dans toute l'habitation, et attira en un instant Madge,
+Simon et Harry près de la jeune fille.
+
+Nell était pâle comme la mort, le visage bouleversé, les traits
+empreints d'une épouvante inexprimable. Hors d'état de parler, son
+regard était fixé sur la porte du cottage, qu'elle venait d'ouvrir. Sa
+main crispée y désignait ces lignes, qui avaient été tracées pendant la
+nuit et dont la vue la terrifiait :
+
+« Simon Ford, tu m'as volé le dernier filon de nos vieilles houillères
+! Harry, ton fils, m'a volé Nell ! Malheur à vous ! malheur à tous !
+malheur à la Nouvelle-Aberfoyle ! »
+
+ « SILFAX. »
+
+« Silfax ! s'écrièrent à la fois Simon Ford et Madge.
+
+-- Quel est cet homme ? demanda Harry, dont le regard se portait
+alternativement de son père à la jeune fille.
+
+-- Silfax ! répétait Nell avec désespoir, Silfax ! »
+
+Et tout son être frémissait en murmurant ce nom, pendant que Madge,
+s'emparant d'elle, la reconduisait presque de force à sa chambre.
+
+James Starr était accouru. Après avoir lu et relu la phrase menaçante :
+
+« La main qui a tracé ces lignes, dit-il, est celle qui m'avait écrit
+la lettre contradictoire de la vôtre, Simon ! Cet homme se nomme Silfax
+! Je vois à votre trouble que vous le connaissez ! Quel est ce Silfax ?
+
+ XX
+
+ Le pénitent
+
+Ce nom avait été toute une révélation pour le vieil overman.
+
+C'était celui du dernier « pénitent » de la fosse Dochart.
+
+Autrefois, avant l'invention de la lampe de sûreté, Simon Ford avait
+connu cet homme farouche, qui, au risque de sa vie, allait chaque jour
+provoquer les explosions partielles du grisou. Il avait vu cet être
+étrange, rôdant dans la mine, toujours accompagné d'un énorme harfang,
+sorte de chouette monstrueuse, qui l'aidait dans son périlleux métier
+en portant une mèche enflammée là où la main de Silfax ne pouvait
+atteindre. Un jour, ce vieillard avait disparu, et, en même temps que
+lui, une petite orpheline, née dans la mine et qui n'avait plus pour
+parent que lui, son arrière-grand-père. Cette enfant, évidemment,
+c'était Nell. Depuis quinze ans, tous deux auraient donc vécu dans
+quelque secret abîme, jusqu'au jour où Nell fut sauvée par Harry.
+
+Le vieil overman, en proie à la fois à un sentiment de pitié et de
+colère, communiqua à l'ingénieur et à son fils ce que la vue de ce nom
+de Silfax venait de lui révéler.
+
+Cela éclaircissait toute la situation. Silfax était l'être mystérieux
+vainement cherché dans les profondeurs de la Nouvelle Aberfoyle !
+
+« Ainsi, vous l'avez connu, Simon ? demanda l'ingénieur.
+
+-- Oui, en vérité, répondit l'overman. L'homme au harfang ! Il n'était
+déjà plus jeune. Il devait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi.
+Une sorte de sauvage, qui ne frayait avec personne, qui passait pour ne
+craindre ni l'eau ni le feu ! C'était par goût qu'il avait choisi le
+métier de pénitent, dont peu se souciaient. Cette dangereuse profession
+avait dérangé ses idées. On le disait méchant, et il n'était peut-être
+que fou. Sa force était prodigieuse. Il connaissait la houillère comme
+pas un, -- aussi bien que moi tout au moins. On lui accordait une
+certaine aisance. Ma foi, je le croyais mort depuis bien des années.
+
+-- Mais, reprit James Starr, qu'entend-il par ces mots : « Tu m'as volé
+le dernier filon de nos vieilles houillères » ?
+
+-- Ah ! voilà, répondit Simon Ford. Il y a longtemps déjà, Silfax, dont
+la cervelle, je vous l'ai dit, a toujours été dérangée, prétendait
+avoir des droits sur l'ancienne Aberfoyle. Aussi son humeur
+devenait-elle de plus en plus farouche à mesure que la fosse Dochart,
+-- sa fosse ! -- s'épuisait ! Il semblait que ce fussent ses propres
+entrailles que chaque coup de pic lui arrachât du corps ! -- Tu dois
+te. souvenir de cela, Madge ?
+
+-- Oui, Simon, répondit la vieille Écossaise.
+
+-- Cela me revient maintenant, reprit Simon Ford, depuis que j'ai vu le
+nom de Silfax sur cette porte; mais, je le répète, je le croyais mort,
+et je ne pouvais imaginer que cet être malfaisant, que nous avons tant
+cherché, fût l'ancien pénitent de la fosse Dochart !
+
+-- En effet, dit James Starr, tout s'explique. Un hasard a révélé à
+Silfax l'existence du nouveau gisement. Dans son égoïsme de fou, il
+aura voulu s'en constituer le défenseur, vivant dans la houillère, la
+parcourant nuit et jour, il aura surpris votre secret, Simon, et su que
+vous me demandiez en toute hâte au cottage. De là, cette lettre
+contradictoire de la vôtre; de là, après mon arrivée, le bloc de pierre
+lancé contre Harry et les échelles détruites du puits Yarow; de là,
+l'obturation des fissures à la paroi du nouveau gisement; de là, enfin,
+notre séquestration, puis notre délivrance, qui s'est accomplie grâce à
+la secourable Nell, sans doute, à l'insu et malgré ce Silfax !
+
+-- Vous venez de raconter les choses comme elles ont évidemment dû se
+passer, monsieur James, répondit Simon Ford. Le vieux pénitent est
+certainement fou, maintenant !
+
+-- Cela vaut mieux, dit Madge.
+
+-- Je ne sais, reprit James Starr en secouant la tête, car ce doit être
+une folie terrible que la sienne ! Ah ! je comprends que Nell ne puisse
+songer à lui sans épouvante, et je comprends aussi qu'elle n'ait pas
+voulu dénoncer son grand-père ! Quelles tristes années elle a dû passer
+près de ce vieillard !
+
+-- Bien tristes ! répondit Simon Ford, entre ce sauvage et son harfang,
+non moins sauvage que lui ! Car, bien sûr, il n'est pas mort, cet
+oiseau ! Ce ne peut être que lui qui a éteint notre lampe, lui qui a
+failli couper la corde à laquelle étaient suspendus Harry et Nell !...
+
+-- Et je comprends, dit Madge, que la nouvelle du mariage de sa
+petite-fille avec notre fils semble avoir exaspéré la rancune et
+redoublé la rage de Silfax !
+
+-- Le mariage de Nell avec le fils de celui qu'il accuse de lui avoir
+volé le dernier gisement des Aberfoyle ne peut, en effet, qu'avoir
+porté son irritation au comble ! reprit Simon Ford.
+
+-- Il faudra pourtant bien qu'il prenne son parti de cette union !
+s'écria Harry. Si étranger qu'il soit à la vie commune, on finira bien
+par l'amener à reconnaître que la nouvelle existence de Nell vaut mieux
+que celle qu'il lui faisait dans les abîmes de la houillère ! Je suis
+sûr, monsieur Starr, que si nous pouvions mettre la main sur lui, nous
+parviendrions à lui faire entendre raison !...
+
+-- On ne raisonne pas avec la folie, mon pauvre Harry ! répondit
+l'ingénieur. Mieux vaut sans doute connaître son ennemi que l'ignorer,
+mais tout n'est pas fini, parce que nous savons aujourd'hui ce qu'il
+est. Tenons-nous sur nos gardes, mes amis, et pour commencer, Harry, il
+faut interroger Nell ! Il le faut ! Elle comprendra que, à l'heure
+qu'il est, son silence n'aurait plus de raison. Dans l'intérêt même de
+son grand-père, il convient qu'elle parle. Il importe autant pour lui
+que pour nous, que nous puissions mettre à néant ses sinistres projets.
+
+-- Je ne doute pas, monsieur Starr, répondit Harry, que Nell ne vienne
+de son propre mouvement au-devant de vos questions. Vous le savez
+maintenant, c'est par conscience, c'est par devoir qu'elle s'est tue
+jusqu'ici. C'est par devoir, c'est par conscience qu'elle parlera dès
+que vous le voudrez. Ma mère a bien fait de la reconduire dans sa
+chambre. Elle avait grand besoin de se recueillir, mais je vais l'aller
+chercher...
+
+-- C'est inutile, Harry », dit d'une voix ferme et claire la jeune
+fille, qui entrait au moment même dans la grande salle du cottage.
+
+Nell était pâle. Ses yeux disaient combien elle avait pleuré; mais on
+la sentait résolue à la démarche que sa loyauté lui commandait en ce
+moment.
+
+« Nell ! s'était écrié Harry, en s'élançant vers la jeune fille.
+
+-- Harry, répondit Nell, qui d'un geste arrêta son fiancé, ton père, ta
+mère et toi, il faut aujourd'hui que vous sachiez tout. Il faut que
+vous n'ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne
+l'enfant que vous avez accueillie sans la connaître et qu'Harry pour
+son malheur, hélas ! a tirée de l'abîme.
+
+-- Nell ! s'écria Harry.
+
+-- Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence à Harry.
+
+-- Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n'ai jamais
+connu de mère que le jour où je suis entrée ici, ajouta-t-elle en
+regardant Madge.
+
+-- Que ce jour soit béni, ma fille ! répondit la vieille Écossaise.
+
+-- Je n'ai jamais connu de père que le jour où j'ai vu Simon Ford,
+reprit Nell, et d'ami que le jour où la main d'Harry a touché la mienne
+! Seule, j'ai vécu pendant quinze ans, dans les recoins les plus
+reculés de la mine, avec mon grand-père. Avec lui, c'est beaucoup dire.
+Par lui serait plus juste. Je le voyais à peine. Lorsqu'il disparut de
+l'ancienne Aberfoyle, il se réfugia dans ces profondeurs que lui seul
+connaissait. A sa façon, il était alors bon pour moi, quoique
+effrayant. Il me nourrissait de ce qu'il allait chercher au-dehors;
+mais j'ai le vague souvenir que, d'abord, pendant mes plus jeunes
+années, j'ai eu pour nourrice une chèvre, dont la perte m'a bien
+désolée. Grand-père, me voyant si chagrine, la remplaça d'abord par un
+autre animal, -- un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien était
+gai. Il aboyait. Grand-père n'aimait pas la gaieté. Il avait horreur du
+bruit. Il m'avait appris le silence, et n'avait pu l'apprendre au
+chien. Le pauvre animal disparut presque aussitôt. Grand-père avait
+pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d'abord me fit
+horreur; mais cet oiseau, malgré la répulsion qu'il m'inspirait, me
+prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en
+était venu à m'obéir mieux qu'à son maître, et cela même m'inquiétait
+pour lui. Grand-père était jaloux. Le harfang et moi, nous nous
+cachions le plus que nous pouvions d'être trop bien ensemble ! Nous
+comprenions qu'il le fallait !... Mais c'est trop vous parler de moi !
+C'est de vous qu'il s'agit...
+
+-- Non, ma fille, répondit James Starr. Dis les choses comme elles te
+viennent.
+
+-- Mon grand-père, reprit Nell, avait toujours vu d'un très mauvais
+&oelig;il votre voisinage dans la houillère. L'espace ne manquait pas,
+cependant. C'était loin, bien loin de vous qu'il se choisissait des
+refuges. Cela lui déplaisait de vous sentir là. Quand je le
+questionnais sur les gens de là-haut, son visage s'assombrissait, il ne
+répondait pas et devenait comme muet pour longtemps. Mais où sa colère
+éclata, ce fut quand il s'aperçut que, ne vous contentant plus du vieux
+domaine, vous sembliez vouloir empiéter sur le sien. Il jura que si
+vous parveniez à pénétrer dans la nouvelle houillère, connue de lui
+seul jusqu'alors, vous péririez ! Malgré son âge, sa force est encore
+extraordinaire, et ses menaces me firent trembler pour vous et pour lui.
+
+-- Continue, Nell, dit Simon Ford à la jeune fille, qui s'était
+interrompue un instant, comme pour mieux rassembler ses souvenirs.
+
+-- Après votre première tentative, reprit Nell, dès que grand père vous
+vit pénétrer dans la galerie de la Nouvelle-Aberfoyle, il en boucha
+l'ouverture et en fit une prison pour vous. Je ne vous connaissais que
+comme des ombres, vaguement entrevues dans l'obscure houillère; mais je
+ne pus supporter l'idée que des chrétiens allaient mourir de faim dans
+ces profondeurs, et, au risque d'être prise sur le fait, je parvins à
+vous procurer pendant quelques jours un peu d'eau et de pain !...
+J'aurais voulu vous guider au-dehors, mais il était si difficile de
+tromper la surveillance de mon grand-père ! vous alliez mourir ! Jack
+Ryan et ses compagnons arrivèrent... Dieu a permis que je les aie
+rencontrés ce jour-là ! Je les entraînai jusqu'à vous. Au retour, mon
+grand-père me surprit. Sa colère contre moi fut terrible. Je crus que
+j'allais périr de sa main ! Depuis lors, la vie devint insupportable
+pour moi. Les idées de mon grand-père s'égarèrent tout à fait. Il se
+proclamait le roi de l'ombre et du feu ! Quand il entendait vos pics
+frapper ces filons qu'il regardait comme les siens, il devenait furieux
+et me battait avec rage. Je voulus fuir. Ce fut impossible; tant il me
+gardait de près. Enfin, il y a trois mois, dans un accès de démence
+sans nom, il me descendit dans l'abîme où vous m'avez trouvée, et il
+disparut, après avoir vainement appelé l'harfang, qui resta fidèlement
+près de moi. Depuis quand étais-je là ? je l'ignore ! Tout ce que je
+sais, c'est que je me sentais mourir, quand tu es arrivé, mon Harry, et
+quand tu m'as sauvée ! Mais, tu le vois, la petite-fille du vieux
+Silfax ne peut pas être la femme d'Harry Ford, puisqu'il y va de ta
+vie, de votre vie à tous !
+
+-- Nell ! s'écria Harry.
+
+-- Non, reprit la jeune fille. Mon sacrifice est fait. Il n'est qu'un
+moyen de conjurer votre perte : c'est que je retourne près de mon
+grand-père. Il menace toute la Nouvelle-Aberfoyle !... C'est une âme
+incapable de pardon, et nul ne peut savoir ce que le génie de la
+vengeance lui aura inspiré ! Mon devoir est clair. Je serais la plus
+misérable des créatures si j'hésitais à l'accomplir. Adieu ! et merci !
+vous m'avez fait connaître le bonheur dès ce monde ! Quoi qu'il arrive,
+pensez que mon coeur tout entier restera au milieu de vous ! »
+
+A ces mots, Simon Ford, Madge, Harry fou de douleur, s'étaient levés.
+
+« Quoi, Nell ! s'écrièrent-ils avec désespoir, tu voudrais nous quitter
+! »
+
+James Starr les écarta d'un geste plein d'autorité, et, allant droit à
+Nell, il lui prit les deux mains.
+
+« C'est bien, mon enfant, lui dit-il. Tu as dit ce que tu devais dire;
+mais voici ce que nous avons à te répondre. Nous ne te laisserons pas
+partir, et, s'il le faut, nous te retiendrons par la force. Nous
+crois-tu donc capables de cette lâcheté d'accepter ton offre généreuse
+? Les menaces de Silfax sont redoutables, soit ! Mais, après tout, un
+homme n'est qu'un homme, et nous prendrons nos précautions. Cependant,
+peux-tu, dans l'intérêt de Silfax même, nous renseigner sur ses
+habitudes, nous dire où il se cache ? Nous ne voulons qu'une chose : le
+mettre hors d'état de nuire, et peut-être le ramener à la raison.
+
+-- Vous voulez l'impossible, répondit Nell. Mon grand-père est partout
+et nulle part. Je n'ai jamais connu ses retraites ! Je ne l'ai jamais
+vu endormi. Quand il avait trouvé quelque refuge, il me laissait seule
+et disparaissait. Lorsque j'ai pris ma résolution, monsieur Starr, je
+savais tout ce que vous pouviez me répondre. Croyez-moi ! Il n'y a
+qu'un moyen de désarmer mon grand-père : c'est que je parvienne à le
+retrouver. Il est invisible, lui, mais il voit tout. Demandez-vous
+comment il aurait découvert vos plus secrètes pensées, depuis la lettre
+écrite à M. Starr, jusqu'au projet de mon mariage avec Harry, s'il
+n'avait pas l'inexplicable faculté de tout savoir. Mon grand-père,
+autant que je puis en juger, est, dans sa folie même, un homme puissant
+par l'esprit. Autrefois, il lui est arrivé de me dire de grandes
+choses. Il m'a appris Dieu, et ne m'a trompée que sur un point : c'est
+quand il m'a fait croire que tous les hommes étaient perfides,
+lorsqu'il a voulu m'inspirer sa haine contre l'humanité tout entière.
+Lorsque Harry m'a rapportée dans ce cottage, vous avez pensé que
+j'étais ignorante seulement ! J'étais plus que cela. J'étais épouvantée
+! Ah ! pardonnez-moi ! mais, pendant quelques jours, je me suis crue au
+pouvoir des méchants, et je voulais vous fuir ! Ce qui a commencé à
+ramener mon esprit au vrai, c'est vous, Madge, non par vos paroles,
+mais par le spectacle de votre vie, alors que je vous voyais aimée et
+respectée de votre mari et de votre fils ! Puis, quand j'ai vu ces
+travailleurs, heureux et bons, vénérer M. Starr, dont je les ai crus
+d'abord les esclaves, lorsque pour la première fois j'ai vu toute la
+population d'Aberfoyle venir à la chapelle, s'y agenouiller, prier Dieu
+et le remercier de ses bontés infinies, alors je me suis dit : « Mon
+grand-père m'a trompée ! » Mais aujourd'hui, éclairée par ce que vous
+m'avez appris, je pense qu'il s'est trompé lui-même ! Je vais donc
+reprendre les chemins secrets par lesquels je l'accompagnais autrefois.
+Il doit me guetter ! Je l'appellerai... il m'entendra, et qui sait si,
+en retournant vers lui, je ne le ramènerai pas à la vérité ? »
+
+Tous avaient laissé parler la jeune fille. Chacun sentait qu'il devait
+lui être bon d'ouvrir son coeur tout entier à ses amis, au moment
+où, dans sa généreuse illusion, elle croyait qu'elle allait les quitter
+pour toujours. Mais quand, épuisée, les yeux pleins de larmes, elle se
+tut, Harry, se tournant vers Madge, dit :
+
+« Ma mère, que penseriez-vous de l'homme qui abandonnerait la noble
+fille que vous venez d'entendre ?
+
+-- Je penserais, répondit Madge, que cet homme est un lâche, et, s'il
+était mon fils, je le renierais, je le maudirais !
+
+-- Nell, tu as entendu notre mère, reprit Harry. Où que tu ailles, je
+te suivrai. Si tu persistes à partir, nous partirons ensemble...
+
+-- Harry ! Harry ! » s'écria Nell.
+
+Mais l'émotion était trop forte. On vit blêmir les lèvres de la jeune
+fille, et elle tomba dans les bras de Madge, qui pria l'ingénieur,
+Simon et Harry de la laisser seule avec elle.
+
+ XXI
+
+ Le mariage de Nell
+
+On se sépara, mais il fut d'abord convenu que les hôtes du cottage
+seraient plus que jamais sur leurs gardes. La menace du vieux Silfax
+était trop directe pour qu'il n'en fût pas tenu compte. C'était à se
+demander si l'ancien pénitent ne disposait pas de quelque moyen
+terrible qui pouvait anéantir toute l'Aberfoyle.
+
+Des gardiens armés furent donc postés aux diverses issues de la
+houillère, avec ordre de veiller jour et nuit. Tout étranger à la mine
+dut être amené devant James Starr, afin qu'il pût constater son
+identité. On ne craignit pas de mettre les habitants de Coal-city au
+courant des menaces dont la colonie souterraine était l'objet. Silfax
+n'ayant aucune intelligence dans la place, il n'y avait nulle trahison
+à craindre. On fit connaître à Nell toutes les mesures de sûreté qui
+venaient d'être prises, et, sans qu'elle fût rassurée complètement,
+elle retrouva quelque tranquillité. Mais la résolution d'Harry de la
+suivre partout où elle irait, avait plus que tout contribué à lui
+arracher la promesse de ne pas s'enfuir.
+
+Pendant la semaine qui précéda le mariage de Nell et d'Harry, aucun
+incident ne troubla la Nouvelle-Aberfoyle. Aussi les mineurs, sans se
+départir de la surveillance organisée, revinrent-ils de cette panique,
+qui avait failli compromettre l'exploitation.
+
+Cependant James Starr continuait à faire rechercher le vieux Silfax. Le
+vindicatif vieillard ayant déclaré que Nell n'épouserait jamais Harry,
+on devait admettre qu'il ne reculerait devant rien pour empêcher ce
+mariage. Le mieux aurait été de s'emparer de sa personne, tout en
+respectant sa vie. L'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle fut donc
+minutieusement recommencée. On fouilla les galeries jusque dans les
+étages supérieurs qui affleuraient les ruines de Dundonald-Castle, à
+Irvine. On supposait avec raison que c'était par le vieux château que
+Silfax communiquait avec l'extérieur et qu'il s'approvisionnait des
+choses nécessaires à sa misérable existence, soit en achetant, soit en
+maraudant. Quant aux « Dames de feu », James Starr eut la pensée que
+quelque jet de grisou, qui se produisait dans cette partie de la
+houillère, avait pu être allumé par Silfax et produire ce phénomène. Il
+ne se trompait pas. Mais les recherches furent vaines.
+
+James Starr, pendant cette lutte de tous les instants contre un être
+insaisissable, fut, sans en rien faire voir, le plus malheureux des
+hommes. A mesure que s'approchait le jour du mariage, ses craintes
+s'accroissaient, et il avait cru devoir, par exception, en faire part
+au vieil overman, qui devint bientôt plus inquiet que lui.
+
+Enfin le jour arriva.
+
+Silfax n'avait pas donné signe de vie.
+
+Dès le matin, toute la population de Coal-city fut sur pied. Les
+travaux de la Nouvelle-Aberfoyle avaient été suspendus. Chefs et
+ouvriers tenaient à rendre hommage au vieil overman et à son fils. Ce
+n'était que payer une dette de reconnaissance aux deux hommes hardis et
+persévérants, qui avaient rendu à la houillère la prospérité
+d'autrefois.
+
+C'était à onze heures, dans la chapelle de Saint-Gilles, élevée sur la
+rive du lac Malcolm, que la cérémonie allait s'accomplir.
+
+A l'heure dite, on vit sortir du cottage Harry donnant le bras à sa
+mère, Simon Ford donnant le bras à Nell.
+
+Suivaient l'ingénieur James Starr, impassible en apparence, mais au
+fond s'attendant à tout, et Jack Ryan, superbe dans ses habits de piper.
+
+Puis, venaient les autres ingénieurs de la mine, les notables de
+Coal-city, les amis, les compagnons du vieil overman, tous les membres
+de cette grande famille de mineurs, qui formait la population spéciale
+de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Au-dehors, il faisait une de ces journées torrides du mois d'août, qui
+sont particulièrement pénibles dans les pays du Nord. L'air orageux
+pénétrait jusque dans les profondeurs de la houillère, où la
+température s'était élevée d'une façon anormale. L'atmosphère s'y
+saturait d'électricité, à travers les puits d'aération et le vaste
+tunnel de Malcolm.
+
+On aurait pu constater -- phénomène assez rare -- que le baromètre, à
+Coal-city, avait baissé d'une quantité considérable. C'était à se
+demander, vraiment, si quelque orage n'allait pas éclater sous la voûte
+de schiste, qui formait le ciel de l'immense crypte.
+
+Mais la vérité est que personne, au-dedans, ne se préoccupait des
+menaces atmosphériques du dehors.
+
+Chacun, cela va sans dire, avait revêtu ses plus beaux habits pour la
+circonstance.
+
+Madge portait un costume qui rappelait ceux du vieux temps. Elle était
+coiffée d'un « toy », comme les anciennes matrones, et sur ses épaules
+flottait le « rokelay », sorte de mantille quadrillée que les
+Écossaises portent avec une certaine élégance.
+
+Nell s'était promis de ne rien laisser voir des agitations de sa
+pensée. Elle défendit à son coeur de battre, à ses secrètes
+angoisses de se trahir, et la courageuse enfant parvint à montrer à
+tous un visage calme et recueilli.
+
+Elle était simplement mise, et la simplicité de son vêtement, qu'elle
+avait préféré à des ajustements plus riches, ajoutait encore au charme
+de sa personne. Sa seule coiffure était un « snood », ruban de couleurs
+variées, dont se parent ordinairement les jeunes Calédoniennes.
+
+Simon Ford avait un habit que n'aurait pas désavoué le digne bailli
+Nichol Jarvie, de Walter Scott.
+
+Tout ce monde se dirigea vers la chapelle de Saint-Gilles, qui avait
+été luxueusement décorée.
+
+Au ciel de Coal-city, les disques électriques, ravivés par des courants
+plus intenses, resplendissaient comme autant de soleils. Une atmosphère
+lumineuse emplissait toute la Nouvelle Aberfoyle.
+
+Dans la chapelle, les lampes électriques projetaient aussi de vives
+lueurs, et les vitraux coloriés brillaient comme des kaléidoscopes de
+feux.
+
+C'était le révérend William Hobson qui devait officier. A la porte même
+de Saint-Gilles, il attendait l'arrivée des époux.
+
+Le cortège approchait, après avoir majestueusement contourné la rive du
+lac Malcolm.
+
+En ce moment, l'orgue se fit entendre, et les deux couples, précédés du
+révérend Hobson, se dirigèrent vers le chevet de Saint-Gilles.
+
+La bénédiction céleste fut d'abord appelée sur toute l'assistance;
+puis, Harry et Nell restèrent seuls devant le ministre, qui tenait le
+livre sacré à la main.
+
+« Harry, demanda le révérend Hobson, voulez-vous prendre Nell pour
+femme, et jurez-vous de l'aimer toujours ?
+
+-- Je le jure, répondit le jeune homme d'une voix forte.
+
+-- Et vous, Nell, reprit le ministre, voulez-vous prendre pour époux
+Harry Ford, et... »
+
+La jeune fille n'avait pas eu le temps de répondre, qu'une immense
+clameur retentissait au-dehors.
+
+Un de ces énormes rochers, formant terrasse, qui surplombait la rive du
+lac Malcolm, à cent pas de la chapelle, venait de s'ouvrir subitement,
+sans explosion, comme si sa chute eût été préparée à l'avance.
+Au-dessous, les eaux s'engouffraient dans une excavation profonde, que
+personne ne savait exister là.
+
+Puis soudain, entre les roches éboulées, apparut un canot, qu'une
+poussée vigoureuse lança à la surface du lac.
+
+Sur ce canot, un vieillard, vêtu d'une sombre cagoule, les cheveux
+hérissés, une longue barbe blanche tombant sur sa poitrine, se tenait
+debout.
+
+Il avait à la main une lampe Davy, dans laquelle brillait une flamme,
+protégée par la toile métallique de l'appareil.
+
+En même temps, d'une voix forte, le vieillard criait :
+
+« Le grisou ! le grisou ! Malheur à tous ! malheur ! »
+
+En ce moment, la légère odeur qui caractérise l'hydrogène protocarboné
+se répandit dans l'atmosphère.
+
+Et s'il en était ainsi, c'est que la chute du rocher avait livré
+passage à une énorme quantité de gaz explosif, emmagasiné dans
+d'énormes « soufflards » dont les schistes obturaient l'orifice. Les
+jets de grisou fusaient vers les voûtes du dôme, sous une pression de
+cinq à six atmosphères.
+
+Le vieillard connaissait l'existence de ces soufflards, et il les avait
+brusquement ouverts, de manière à rendre détonante l'atmosphère de la
+crypte.
+
+Cependant James Starr et quelques autres, quittant précipitamment la
+chapelle, s'étaient élancés sur la rive.
+
+« Hors de la mine ! hors de la mine ! » cria l'ingénieur, qui, ayant
+compris l'imminence du danger, vint jeter ce cri d'alarme à la porte de
+Saint-Gilles.
+
+« Le grisou ! le grisou ! » répétait le vieillard, en poussant son
+canot plus avant sur les eaux du lac.
+
+Harry, entraînant sa fiancée, son père, sa mère, avait précipitamment
+quitté la chapelle.
+
+« Hors de la mine ! hors de la mine ! » répétait James Starr.
+
+Il était trop tard pour fuir ! Le vieux Silfax était là, prêt à
+accomplir sa dernière menace, prêt à empêcher le mariage de Nell et
+d'Harry, en ensevelissant toute la population de Coal-city sous les
+ruines de la houillère.
+
+Au-dessus de sa tête, volait son énorme harfang, dont le plumage blanc
+était taché de points noirs.
+
+Mais alors, un homme se précipita dans les eaux du lac, qui nagea
+vigoureusement vers le canot.
+
+C'était Jack Ryan. Il s'efforçait d'atteindre le fou, avant que
+celui-ci n'eût accompli son oeuvre de destruction.
+
+Silfax le vit venir. Il brisa le verre de sa lampe, et, après avoir
+arraché la mèche allumée, il la promena dans l'air.
+
+Un silence de mort planait sur toute l'assistance atterrée.
+
+James Starr, résigné, s'étonnait que l'explosion, inévitable, n'eût pas
+déjà anéanti la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Silfax, les traits crispés, se rendit compte que le grisou, trop léger
+pour se maintenir dans les basses couches, s'était accumulé vers les
+hauteurs du dôme.
+
+Mais alors le harfang, sur un geste de Silfax, saisissant dans sa patte
+la mèche incendiaire, comme il faisait autrefois dans les galeries de
+la fosse Dochart, commença à monter vers la haute voûte, que le
+vieillard lui montrait de la main.
+
+Encore quelques secondes, et la Nouvelle-Aberfoyle avait vécu !...
+
+A ce moment, Nell s'échappa des bras d'Harry.
+
+Calme et inspirée tout à la fois, elle courut vers la rive du lac,
+jusqu'à la lisière des eaux.
+
+« Harfang ! Harfang ! cria-t-elle d'une voix claire, à moi ! viens à
+moi ! »
+
+L'oiseau fidèle, étonné, avait hésité un instant. Mais soudain, ayant
+reconnu la voix de Nell, il avait laissé tomber la mèche enflammée dans
+les eaux du lac, et, traçant un large cercle, il était venu s'abattre
+aux pieds de la jeune fille.
+
+Les hautes couches explosives dans lesquelles le grisou s'était mélangé
+à l'air, n'avaient pas été atteintes !
+
+Alors un cri terrible retentit sous le dôme. Ce fut le dernier que jeta
+le vieux Silfax.
+
+A l'instant où Jack Ryan allait mettre la main sur le bordage du canot,
+le vieillard, voyant sa vengeance lui échapper, s'était précipité dans
+les eaux du lac.
+
+« Sauvez-le ! sauvez-le ! » s'écria Nell d'une voix déchirante.
+
+Harry l'entendit. Se jetant à son tour à la nage, il eut bientôt
+rejoint Jack Ryan et plongea à plusieurs reprises.
+
+Mais ses efforts furent inutiles.
+
+Les eaux du lac Malcolm ne rendirent pas leur proie. Elles s'étaient à
+jamais refermées sur le vieux Silfax.
+
+ XXII
+
+ La légende du vieux Silfax
+
+Six mois après ces événements, le mariage, si étrangement interrompu,
+d'Harry Ford et de Nell, se célébrait dans la chapelle de Saint-Gilles.
+Après que le révérend Hobson eut béni leur union, les jeunes époux,
+encore vêtus de noir, rentrèrent au cottage.
+
+James Starr et Simon Ford, désormais exempts de toute inquiétude,
+présidèrent joyeusement à la fête qui suivit la cérémonie et se
+prolongea jusqu'au lendemain.
+
+Ce fut dans ces mémorables circonstances que Jack Ryan, revêtu de son
+costume de piper, après avoir gonflé d'air l'outre de sa cornemuse,
+obtint ce triple résultat de jouer, de chanter et de danser tout à la
+fois, aux applaudissements de toute l'assemblée.
+
+Et, le lendemain, les travaux du jour et du fond recommencèrent, sous
+la direction de l'ingénieur James Starr.
+
+Harry et Nell furent heureux, il est superflu de le dire. Ces deux
+coeurs, tant éprouvés, trouvèrent dans leur union le bonheur
+qu'ils méritaient.
+
+Quant à Simon Ford, l'overman honoraire de la Nouvelle Aberfoyle, il
+comptait bien vivre assez pour célébrer sa cinquantaine avec la bonne
+Madge, qui ne demandait pas mieux, d'ailleurs.
+
+« Et après celle-là, pourquoi pas une autre ? disait Jack Ryan. Deux
+cinquantaines, ce ne serait pas trop pour vous, monsieur Simon !
+
+-- Tu as raison, mon garçon, répondit tranquillement le vieil overman.
+Qu'y aurait-il d'étonnant à ce que sous le climat de la
+Nouvelle-Aberfoyle, dans ce milieu qui ne connaît pas les intempéries
+du dehors, on devînt deux fois centenaire ? »
+
+Les habitants de Coal-city devaient-ils jamais assister à cette seconde
+cérémonie ? L'avenir le dira.
+
+En tout cas, un oiseau, qui semblait devoir atteindre une longévité
+extraordinaire, c'était le harfang du vieux Silfax. Il hantait toujours
+le sombre domaine. Mais après la mort du vieillard, bien que Nell eût
+essayé de le retenir, il s'était enfui au bout de quelques jours. Outre
+que la société des hommes ne lui plaisait décidément pas plus qu'à son
+ancien maître, il semblait qu'il eût gardé une sorte de rancune
+particulière à Harry, et que cet oiseau jaloux eût toujours reconnu et
+détesté en lui le premier ravisseur de Nell, celui à qui il l'avait
+disputée en vain dans l'ascension du gouffre.
+
+Depuis ce temps, Nell ne le revoyait qu'à de longs intervalles, planant
+au-dessus du lac Malcolm.
+
+Voulait-il revoir son amie d'autrefois ? voulait-il plonger ses regards
+pénétrants jusqu'au fond de l'abîme où s'était englouti Silfax ?
+
+Les deux versions furent admises, car le harfang devint légendaire, et
+il inspira à Jack Ryan plus d'une fantastique histoire.
+
+C'est grâce à ce joyeux compagnon qu'on chante encore dans les veillées
+écossaises la légende de l'oiseau du vieux Silfax, l'ancien pénitent
+des houillères d'Aberfoyle.
+
+ The End
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Les Indes Noires, by Jules Verne
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES INDES NOIRES ***
+
+***** This file should be named 5081-8.txt or 5081-8.zip *****
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+Produced by Norman Wolcott
+Updated editions will replace the previous one--the old editions will
+be renamed.
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+Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
+law means that no one owns a United States copyright in these works,
+so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
+States without permission and without paying copyright
+royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
+of this license, apply to copying and distributing Project
+Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
+concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
+and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive
+specific permission. If you do not charge anything for copies of this
+eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook
+for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports,
+performances and research. They may be modified and printed and given
+away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks
+not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the
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+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full
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+by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the
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+used on or associated in any way with an electronic work by people who
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+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
+agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
+electronic works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the
+Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
+of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
+works in the collection are in the public domain in the United
+States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
+United States and you are located in the United States, we do not
+claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
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+with the defective work may elect to provide a replacement copy in
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+the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
+without further opportunities to fix the problem.
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
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+LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of
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+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
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+Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
+date contact information can be found at the Foundation's web site and
+official page at www.gutenberg.org/contact
+
+For additional contact information:
+
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
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+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
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+where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
+DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
+state visit www.gutenberg.org/donate
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations. To
+donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
+Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
+freely shared with anyone. For forty years, he produced and
+distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
+volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
+the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
+necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
+edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search
+facility: www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
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@@ -0,0 +1,3769 @@
+<!DOCTYPE HTML PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.0 Transitional//EN">
+<html>
+<head>
+<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html; charset=iso-8859-1">
+<meta name="generator" content="HTML Tidy, see www.w3.org">
+<title>Les Indes noires</title>
+</head>
+<body>
+
+
+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Les Indes Noires, by Jules Verne
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
+other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
+the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
+www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
+to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
+
+Title: Les Indes Noires
+
+Author: Jules Verne
+
+Release Date: October 5, 2014 [EBook #5081]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES INDES NOIRES ***
+
+
+
+
+Produced by Norman Wolcott
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+<center>
+<h4>Les Indes noires</h4>
+
+<h4>par</h4>
+
+<h4>JULES VERNE</h4>
+
+<h4>TABLE DES MATI&Egrave;RES</h4>
+</center>
+
+<table summary="Verne">
+<tr>
+<td>I &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Deux lettres contradictoires</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>II &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Chemin faisant</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>III &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Le sous-sol du Royaume-Uni</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>IV &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La fosse Dochart</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>V &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La Famille Ford</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>VI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Quelques ph&eacute;nom&egrave;nes inexplicables</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>VII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Une exp&eacute;rience de Simon Ford</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>VIII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Un coup de dynamite</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>IX &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La Nouvelle-Aberfoyle</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>X &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Aller et retour</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Les Dames de feu</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Les Exploits de Jack Ryan</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XIII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Coal-city</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XIV &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Suspendu &agrave; un fil</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XV &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Nell au cottage</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XVI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Sur l'&eacute;chelle oscillante</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XVII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Un lever de soleil</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XVIII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Du lac Lomond au lac Katrine</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XIX &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Une derni&egrave;re menace</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XX &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Le p&eacute;nitent</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XXI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Le mariage de Nell</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XXII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La l&eacute;gende du vieux Silfax</td>
+</tr>
+</table>
+
+<hr>
+<center>
+<h4>I</h4>
+
+<h4>Deux lettres contradictoires</h4>
+</center>
+
+<blockquote>
+<p><i>&laquo;&nbsp;Mr. J. R. Starr, ing&eacute;nieur,</i><br>
+<i>&nbsp;&nbsp;&laquo;&nbsp;30, Canongate.</i><br>
+<i>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&laquo;&nbsp;&Eacute;dimbourg.</i></p>
+</blockquote>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Si monsieur James Starr veut se rendre demain aux houill&egrave;res d'Aberfoyle, fosse Dochart, puits Yarrow, il lui sera fait une communication de nature &agrave; l'int&eacute;resser.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur James Starr sera attendu, toute la journ&eacute;e, &agrave; la gare de Callander, par Harry Ford, fils de l'ancien overman Simon Ford.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Il est pri&eacute; de tenir cette invitation secr&egrave;te.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Telle fut la lettre que James Starr re&ccedil;ut par le premier courrier &agrave; la date du 3 d&eacute;cembre 18.., &mdash; lettre qui portait le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle, comt&eacute; de Stirling, &Eacute;cosse.</p>
+
+<p>La curiosit&eacute; de l'ing&eacute;nieur fut piqu&eacute;e au vif. Il ne lui vint m&ecirc;me pas &agrave; la pens&eacute;e que cette lettre p&ucirc;t renfermer une mystification. Il connaissait, de longue date, Simon Ford, l'un des anciens contrema&icirc;tres des mines d'Aberfoyle, dont lui, James Starr, avait &eacute;t&eacute;, pendant vingt ans, le directeur, &mdash; ce que, dans les houill&egrave;res anglaises, on appelle le &laquo;&nbsp;viewer&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>James Starr &eacute;tait un homme solidement constitu&eacute;, auquel ses cinquante-cinq ans ne pesaient pas plus que s'il n'en e&ucirc;t port&eacute; que quarante. Il appartenait &agrave; une vieille famille d'&Eacute;dimbourg, dont il &eacute;tait l'un des membres les plus distingu&eacute;s. Ses travaux honoraient la respectable corporation de ces ing&eacute;nieurs qui d&eacute;vorent peu &agrave; peu le sous-sol carbonif&egrave;re du Royaume-Uni, aussi bien &agrave; Cardiff, &agrave; Newcastle que dans les bas comt&eacute;s de l'&Eacute;cosse. Toutefois, c'&eacute;tait plus particuli&egrave;rement au fond de ces myst&eacute;rieuses houill&egrave;res d'Aberfoyle, qui confinent aux mines d'Alloa et occupent une partie du comt&eacute; de Stirling, que le nom de Starr avait conquis l'estime g&eacute;n&eacute;rale. L&agrave; s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e presque toute son existence. En outre, James Starr faisait partie de la Soci&eacute;t&eacute; des antiquaires &eacute;cossais, dont il avait &eacute;t&eacute; nomm&eacute; pr&eacute;sident. Il comptait aussi parmi les membres les plus actifs de &laquo;&nbsp;Royal Institution&nbsp;&raquo;, et la <i>Revue d'&Eacute;dimbourg</i> publiait fr&eacute;quemment de remarquables articles sign&eacute;s de lui. C'&eacute;tait, on le voit, un de ces savants pratiques auxquels est due la prosp&eacute;rit&eacute; de l'Angleterre. Il tenait un haut rang dans cette vieille capitale de l'&Eacute;cosse, qui, non seulement au point de vue physique, mais encore au point de vue moral, a pu m&eacute;riter le nom d'&laquo;&nbsp;Ath&egrave;nes du Nord&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>On sait que les Anglais ont donn&eacute; &agrave; l'ensemble de leurs vastes houill&egrave;res un nom tr&egrave;s significatif. Ils les appellent tr&egrave;s justement les &laquo;&nbsp;Indes noires&nbsp;&raquo;, et ces Indes ont peut-&ecirc;tre plus contribu&eacute; que les Indes orientales &agrave; accro&icirc;tre la surprenante richesse du Royaume-Uni. L&agrave;, en effet, tout un peuple de mineurs travaille, nuit et jour, &agrave; extraire du sous-sol britannique le charbon, ce pr&eacute;cieux combustible, indispensable &eacute;l&eacute;ment de la vie industrielle.</p>
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+<p>A cette &eacute;poque, la limite de temps, assign&eacute;e par les hommes sp&eacute;ciaux &agrave; l'&eacute;puisement des houill&egrave;res, &eacute;tait fort recul&eacute;e, et la disette n'&eacute;tait pas &agrave; craindre &agrave; court d&eacute;lai. Il y avait encore &agrave; exploiter largement les gisements carbonif&egrave;res des deux mondes. Les fabriques, appropri&eacute;es &agrave; tant d'usages divers, les locomotives, les locomobiles, les steamers, les usines &agrave; gaz, etc., n'&eacute;taient pas pr&egrave;s de manquer du combustible min&eacute;ral. Seulement, la consommation s'&eacute;tait tellement accrue pendant ces derni&egrave;res ann&eacute;es, que certaines couches avaient &eacute;t&eacute; &eacute;puis&eacute;es jusque dans leurs plus maigres filons. Abandonn&eacute;es maintenant, ces mines trouaient et sillonnaient inutilement le sol de leurs puits d&eacute;laiss&eacute;s et de leurs galeries d&eacute;sertes.</p>
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+<p>Tel &eacute;tait, pr&eacute;cis&eacute;ment, le cas des houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
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+<p>Dix ans auparavant, la derni&egrave;re benne avait enlev&eacute; la derni&egrave;re tonne de houille de ce gisement. Le mat&eacute;riel du &laquo;&nbsp;fond [1*]&nbsp;&raquo;, machines destin&eacute;es &agrave; la traction m&eacute;canique sur les rails des galeries, berlines formant les trains subterran&eacute;s, tramways souterrains, cages desservant les puits d'extraction, tuyaux dont l'air comprim&eacute; actionnait des perforatrices, &mdash; en un mot, tout ce qui constituait l'outillage d'exploitation avait &eacute;t&eacute; retir&eacute; des profondeurs des fosses et abandonn&eacute; &agrave; la surface du sol. La houill&egrave;re, &eacute;puis&eacute;e, &eacute;tait comme le cadavre d'un mastodonte de grandeur fantastique, auquel on a enlev&eacute; les divers organes de la vie et laiss&eacute; seulement l'ossature.</p>
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+<p>De ce mat&eacute;riel, il n'&eacute;tait rest&eacute; que de longues &eacute;chelles de bois, desservant les profondeurs de la houill&egrave;re par le puits Yarow le seul qui donn&acirc;t maintenant acc&egrave;s aux galeries inf&eacute;rieures de la fosse Dochart, depuis la cessation des travaux.</p>
+
+<p>A l'ext&eacute;rieur, les b&acirc;timents, abritant autrefois aux travaux du &laquo;&nbsp;jour&nbsp;&raquo;, indiquaient encore la place o&ugrave; avaient &eacute;t&eacute; fonc&eacute;s les puits de ladite fosse, compl&egrave;tement abandonn&eacute;e, comme l'&eacute;taient les autres fosses, dont l'ensemble constituait les houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Ce fut un triste jour, lorsque, pour la derni&egrave;re fois, les mineurs quitt&egrave;rent la mine, dans laquelle ils avaient v&eacute;cu tant d'ann&eacute;es.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur James Starr avait r&eacute;uni ces quelques milliers de travailleurs, qui composaient l'active et courageuse population de la houill&egrave;re. Piqueurs, rouleurs, conducteurs, remblayeurs, boiseurs, cantonniers, receveurs, basculeurs, forgerons, charpentiers, tous, femmes, enfants, vieillards, ouvriers du fond et du jour, &eacute;taient rassembl&eacute;s dans l'immense cour de la fosse Dochart, autrefois encombr&eacute;e du trop-plein de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Ces braves gens, que les n&eacute;cessit&eacute;s de l'existence allaient disperser &mdash; eux, qui pendant de longues ann&eacute;es, s'&eacute;taient succ&eacute;d&eacute; de p&egrave;re en fils dans la vieille Aberfoyle &mdash;, attendaient, avant de la quitter pour jamais, les derniers adieux de l'ing&eacute;nieur. La Compagnie leur avait fait distribuer, &agrave; titre de gratification, les b&eacute;n&eacute;fices de l'ann&eacute;e courante. Peu de chose, en v&eacute;rit&eacute;, car le rendement des filons avait d&eacute;pass&eacute; de bien peu les frais d'exploitation; mais cela devait leur permettre d'attendre qu'ils fussent embauch&eacute;s, soit dans les houill&egrave;res voisines, soit dans les fermes ou les usines du comt&eacute;.</p>
+
+<p>James Starr se tenait debout, devant la porte du vaste appentis, sous lequel avaient si longtemps fonctionn&eacute; les puissantes machines &agrave; vapeur du puits d'extraction.</p>
+
+<p>Simon Ford, l'overman de la fosse Dochart, alors &acirc;g&eacute; de cinquante-cinq ans, et quelques autres conducteurs de travaux l'entouraient.</p>
+
+<p>James Starr se d&eacute;couvrit. Les mineurs, chapeau bas, gardaient un profond silence.</p>
+
+<p>Cette sc&egrave;ne d'adieux avait un caract&egrave;re touchant, qui ne manquait pas de grandeur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mes amis, dit l'ing&eacute;nieur, le moment de nous s&eacute;parer est venu. Les houill&egrave;res d'Aberfoyle, qui, depuis tant d'ann&eacute;es, nous r&eacute;unissaient dans un travail commun, sont maintenant &eacute;puis&eacute;es. Nos recherches n'ont pu amener la d&eacute;couverte d'un nouveau filon, et le dernier morceau de houille vient d'&ecirc;tre extrait de la fosse Dochart&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, &agrave; l'appui de sa parole, James Starr montrait aux mineurs un bloc de charbon qui avait &eacute;t&eacute; gard&eacute; au fond d'une benne.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce morceau de houille, mes amis, reprit James Starr, c'est comme le dernier globule du sang qui circulait &agrave; travers les veines de la houill&egrave;re&nbsp;! Nous le conserverons, comme nous avons conserv&eacute; le premier fragment de charbon extrait, il y a cent cinquante ans, des gisements d'Aberfoyle. Entre ces deux morceaux, bien des g&eacute;n&eacute;rations de travailleurs se sont succ&eacute;d&eacute; dans nos fosses&nbsp;! Maintenant, c'est fini&nbsp;! Les derni&egrave;res paroles que vous adresse votre ing&eacute;nieur sont des paroles d'adieu. Vous avez v&eacute;cu de la mine, qui s'est vid&eacute;e sous votre main. Le travail a &eacute;t&eacute; dur, mais non sans profit pour vous. Notre grande famille va se disperser, et il n'est pas probable que l'avenir en r&eacute;unisse jamais les membres &eacute;pars. Mais n'oubliez pas que nous avons longtemps v&eacute;cu ensemble, et que, chez les mineurs d'Aberfoyle, c'est un devoir de s'entraider. Vos anciens chefs ne l'oublieront pas, non plus. Quand on a travaill&eacute; ensemble, on ne saurait &ecirc;tre des &eacute;trangers les uns pour les autres. Nous veillerons sur vous, et, partout o&ugrave; vous irez en honn&ecirc;tes gens, nos recommandations vous suivront. Adieu donc, mes amis, et que le Ciel vous assiste&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cela dit, James Starr pressa dans ses bras le plus vieil ouvrier de la houill&egrave;re, dont les yeux s'&eacute;taient mouill&eacute;s de larmes. Puis, les overmen des diff&eacute;rentes fosses vinrent serrer la main de l'ing&eacute;nieur, pendant que les mineurs agitaient leur chapeau et criaient&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Adieu, James Starr, notre chef et notre ami&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Ces adieux devaient laisser un imp&eacute;rissable souvenir dans tous ces braves c&oelig;urs. Mais, peu &agrave; peu, il le fallut, cette population quitta tristement la vaste cour. Le vide se fit autour de James Starr. Le sol noir des chemins, conduisant &agrave; la fosse Dochart, retentit une derni&egrave;re fois sous le pied des mineurs, et le silence succ&eacute;da &agrave; cette bruyante animation, qui avait empli jusqu'alors la houill&egrave;re d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Un homme &eacute;tait rest&eacute; seul pr&egrave;s de James Starr.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait l'overman Simon Ford. Pr&egrave;s de lui se tenait un jeune gar&ccedil;on, &acirc;g&eacute; de quinze ans, son fils Harry, qui, depuis quelques ann&eacute;es d&eacute;j&agrave;, &eacute;tait employ&eacute; aux travaux du fond.</p>
+
+<p>James Starr et Simon Ford se connaissaient, et, se connaissant, s'estimaient l'un l'autre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Adieu, Simon, dit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Adieu, monsieur James, r&eacute;pondit l'overman, ou plut&ocirc;t, laissez-moi ajouter&nbsp;: Au revoir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, au revoir, Simon&nbsp;! reprit James Starr. Vous savez que je serai toujours heureux de vous retrouver et de pouvoir parler avec vous du pass&eacute; de notre vieille Aberfoyle&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je le sais, monsieur James.</p>
+
+<p>&mdash; Ma maison d'&Eacute;dimbourg vous est ouverte&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'est loin, &Eacute;dimbourg&nbsp;! r&eacute;pondit l'overman en secouant la t&ecirc;te. Oui&nbsp;! loin de la fosse Dochart&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Loin, Simon&nbsp;! O&ugrave; comptez-vous donc demeurer&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ici m&ecirc;me, monsieur James&nbsp;! Nous n'abandonnerons pas la mine, notre vieille nourrice, parce que son lait s'est tari&nbsp;! Ma femme, mon fils et moi, nous nous arrangerons pour lui rester fid&egrave;les&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Adieu donc, Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, dont la voix, malgr&eacute; lui, trahissait l'&eacute;motion.</p>
+
+<p>&mdash; Non, je vous r&eacute;p&egrave;te&nbsp;: au revoir, monsieur James&nbsp;! r&eacute;pondit l'overman, et non adieu&nbsp;! Foi de Simon Ford, Aberfoyle vous reverra&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur ne voulut pas enlever cette derni&egrave;re illusion &agrave; l'overman. Il embrassa le jeune Harry, qui le regardait de ses grands yeux &eacute;mus. Il serra une derni&egrave;re fois la main de Simon Ford et quitta d&eacute;finitivement la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Voil&agrave; ce qui s'&eacute;tait pass&eacute; dix ans auparavant; mais, malgr&eacute; le d&eacute;sir que venait d'exprimer l'overman de le revoir quelque jour, James Starr n'avait plus entendu parler de lui.</p>
+
+<p>Et c'&eacute;tait apr&egrave;s dix ans de s&eacute;paration, que lui arrivait cette lettre de Simon Ford, qui le conviait &agrave; reprendre sans d&eacute;lai le chemin des anciennes houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Une communication de nature &agrave; l'int&eacute;resser, qu'&eacute;tait-ce donc&nbsp;? La fosse Dochart, le puits Yarow&nbsp;! Quels souvenirs du pass&eacute; ces noms rappelaient &agrave; son esprit&nbsp;! Oui&nbsp;! c'&eacute;tait le bon temps, celui du travail, de la lutte &mdash;, le meilleur temps de sa vie d'ing&eacute;nieur&nbsp;!</p>
+
+<p>James Starr relisait la lettre. Il la retournait dans tous les sens. Il regrettait, en v&eacute;rit&eacute;, qu'une ligne de plus n'e&ucirc;t pas &eacute;t&eacute; ajout&eacute;e par Simon Ford. Il lui en voulait d'avoir &eacute;t&eacute; si laconique.</p>
+
+<p>&Eacute;tait-il donc possible que le vieil overman e&ucirc;t d&eacute;couvert quelque nouveau filon &agrave; exploiter&nbsp;? Non&nbsp;!</p>
+
+<p>James Starr se rappelait avec quel soin minutieux les houill&egrave;res d'Aberfoyle avaient &eacute;t&eacute; explor&eacute;es avant la cessation d&eacute;finitive des travaux. Il avait lui-m&ecirc;me proc&eacute;d&eacute; aux derniers sondages, sans trouver aucun nouveau gisement dans ce sol ruin&eacute; par une exploitation pouss&eacute;e &agrave; l'exc&egrave;s. On avait m&ecirc;me tent&eacute; de reprendre le terrain houiller sous les couches qui lui sont ordinairement inf&eacute;rieures, telles que le gr&eacute;s rouge d&eacute;vonien, mais sans r&eacute;sultat. James Starr avait donc abandonn&eacute; la mine avec l'absolue conviction qu'elle ne poss&eacute;dait plus un morceau de combustible.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non, se r&eacute;p&eacute;tait-il, non&nbsp;! Comment admettre que ce qui aurait &eacute;chapp&eacute; &agrave; mes recherches se serait r&eacute;v&eacute;l&eacute; &agrave; celles de Simon Ford&nbsp;? Pourtant, le vieil overman doit bien savoir qu'une seule chose au monde peut m'int&eacute;resser, et cette invitation, que je dois tenir secr&egrave;te, de me rendre &agrave; la fosse Dochart&nbsp;!...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr en revenait toujours l&agrave;.</p>
+
+<p>D'autre part, l'ing&eacute;nieur connaissait Simon Ford pour un habile mineur, particuli&egrave;rement dou&eacute; de l'instinct du m&eacute;tier. Il ne l'avait pas revu depuis l'&eacute;poque o&ugrave; les exploitations d'Aberfoyle avaient &eacute;t&eacute; abandonn&eacute;es. Il ignorait m&ecirc;me ce qu'&eacute;tait devenu le vieil overman. Il n'aurait pu dire &agrave; quoi il s'occupait, ni m&ecirc;me o&ugrave; il demeurait, avec sa femme et son fils. Tout ce qu'il savait, c'est que rendez-vous lui &eacute;tait donn&eacute; au puits Yarow, et qu'Harry, le fils de Simon Ford, l'attendrait &agrave; la gare de Callander pendant toute la journ&eacute;e du lendemain. Il s'agissait donc &eacute;videmment de visiter la fosse Dochart.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;J'irai, j'irai&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit James Starr, qui sentait sa surexcitation s'accro&icirc;tre &agrave; mesure que s'avan&ccedil;ait l'heure.</p>
+
+<p>C'est qu'il appartenait, ce digne ing&eacute;nieur, &agrave; cette cat&eacute;gorie de gens passionn&eacute;s, dont le cerveau est toujours en &eacute;bullition, comme une bouilloire plac&eacute;e sur une flamme ardente. Il est de ces bouilloires dans lesquelles les id&eacute;es cuisent &agrave; gros bouillons, d'autres o&ugrave; elles mijotent paisiblement. Or, ce jour-l&agrave;, les id&eacute;es de James Starr bouillaient &agrave; plein feu.</p>
+
+<p>Mais, alors, un incident tr&egrave;s inattendu se produisit. Ce fut la goutte d'eau froide, qui allait momentan&eacute;ment condenser toutes les vapeurs de ce cerveau.</p>
+
+<p>En effet, vers six heures du soir, par le troisi&egrave;me courrier, le domestique de James Starr apporta une seconde lettre.</p>
+
+<p>Cette lettre &eacute;tait renferm&eacute;e dans une enveloppe grossi&egrave;re, dont la suscription indiquait une main peu exerc&eacute;e au maniement de la plume.</p>
+
+<p>James Starr d&eacute;chira cette enveloppe. Elle ne contenait qu'un morceau de papier, jauni par le temps, et qui semblait avoir &eacute;t&eacute; arrach&eacute; &agrave; quelque vieux cahier hors d'usage.</p>
+
+<p>Sur ce papier il n'y avait qu'une seule phrase, ainsi con&ccedil;ue&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Inutile &agrave; l'ing&eacute;nieur James Starr de se d&eacute;ranger, &mdash; la lettre de Simon Ford &eacute;tant maintenant sans objet.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et pas de signature.</p>
+
+<p>[1] L'exploitation d'une mine se divise en travaux du &laquo;&nbsp;fond&nbsp;&raquo; et travaux du &laquo;&nbsp;jour&nbsp;&raquo;; les uns s'accomplissant &agrave; l'int&eacute;rieur, les autres &agrave; l'exr&eacute;rieur.</p>
+
+<center>
+<h4>II</h4>
+
+<h4>Chemin faisant</h4>
+</center>
+
+<p>Le cours des id&eacute;es de James Starr fut brusquement arr&ecirc;t&eacute;, lorsqu'il eut lu cette seconde lettre, contradictoire de la premi&egrave;re.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'est-ce que cela veut dire&nbsp;?&nbsp;&raquo; se demanda-t-il.</p>
+
+<p>James Starr reprit l'enveloppe &agrave; demi d&eacute;chir&eacute;e. Elle portait, ainsi que l'autre, le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle. Elle &eacute;tait donc partie de ce m&ecirc;me point du comt&eacute; de Stirling. Ce n'&eacute;tait pas le vieux mineur qui l'avait &eacute;crite, &mdash; &eacute;videmment. Mais, non moins &eacute;videmment, l'auteur de cette seconde lettre connaissait le secret de l'overman, puisqu'il contremandait formellement l'invitation faite &agrave; l'ing&eacute;nieur de se rendre au puits Yarow.</p>
+
+<p>&Eacute;tait-il donc vrai que cette premi&egrave;re communication f&ucirc;t maintenant sans objet&nbsp;? voulait-on emp&ecirc;cher James Starr de se d&eacute;ranger, soit inutilement, soit utilement&nbsp;? N'y avait-il pas l&agrave; plut&ocirc;t une intention malveillante de contrecarrer les projets de Simon Ford&nbsp;?</p>
+
+<p>C'est ce que pensa James Starr, apr&egrave;s m&ucirc;re r&eacute;flexion. Cette contradiction, qui existait entre les deux lettres, ne fit na&icirc;tre en lui qu'un plus vif d&eacute;sir de se rendre &agrave; la fosse Dochart. D'ailleurs, si, dans tout cela, il n'y avait qu'une mystification, mieux valait s'en assurer. Mais il semblait bien &agrave; James Starr qu'il convenait d'accorder plus de cr&eacute;ance &agrave; la premi&egrave;re lettre qu'&agrave; la seconde, &mdash; c'est-&agrave;-dire &agrave; la demande d'un homme tel que Simon Ford plut&ocirc;t qu'&agrave; cet avis de son contradicteur anonyme.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;En v&eacute;rit&eacute;, puisqu'on pr&eacute;tend influencer ma r&eacute;solution, se dit-il, c'est que la communication de Simon Ford doit avoir une extr&ecirc;me importance&nbsp;! Demain, je serai au rendez-vous indiqu&eacute; et &agrave; l'heure convenue&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le soir venu, James Starr fit ses pr&eacute;paratifs de d&eacute;part. Comme il pouvait arriver que son absence se prolonge&acirc;t pendant quelques jours, il pr&eacute;vint, par lettre, Sir W. Elphiston, le pr&eacute;sident de &laquo;&nbsp;Royal Institution&nbsp;&raquo;, qu'il ne pourrait assister &agrave; la prochaine s&eacute;ance de la Soci&eacute;t&eacute;. Il se d&eacute;gagea &eacute;galement de deux ou trois affaires, qui devaient l'occuper pendant la semaine. Puis, apr&egrave;s avoir donn&eacute; l'ordre &agrave; son domestique de pr&eacute;parer un sac de voyage, il se coucha, plus impressionn&eacute; que l'affaire ne le comportait peut-&ecirc;tre.</p>
+
+<p>Le lendemain, &agrave; cinq heures, James Starr sautait hors de son lit, s'habillait chaudement &mdash; car il tombait une pluie froide &mdash;, et il quittait sa maison de la Canongate, pour aller prendre &agrave; Granton-pier le steam-boat qui, en trois heures, remonte le Forth jusqu'&agrave; Stirling.</p>
+
+<p>Pour la premi&egrave;re fois, peut-&ecirc;tre, James Starr, en traversant la Canongate [1*], ne se retourna pas pour regarder Holyrood, ce palais des anciens souverains de l'&Eacute;cosse. Il n'aper&ccedil;ut pas, devant sa poterne, les sentinelles rev&ecirc;tues de l'antique costume &eacute;cossais, jupon d'&eacute;toffe verte, plaid quadrill&eacute; et sac de peau de ch&egrave;vre &agrave; longs poils pendant sur la cuisse. Bien qu'il f&ucirc;t fanatique de Walter Scott, comme l'est tout vrai fils de la vieille Cal&eacute;donie, l'ing&eacute;nieur, ainsi qu'il ne manquait jamais de le faire, ne donna m&ecirc;me pas un coup d'&oelig;il &agrave; l'auberge o&ugrave; Waverley descendit, et dans laquelle le tailleur lui apporta ce fameux costume en tartan de guerre qu'admirait si na&iuml;vement la veuve Flockhart. Il ne salua pas, non plus, la petite place o&ugrave; les montagnards d&eacute;charg&egrave;rent leurs fusils, apr&egrave;s la victoire du Pr&eacute;tendant, au risque de tuer Flora Mac Ivor. L'horloge de la prison tendait au milieu de la rue son cadran d&eacute;sol&eacute;&nbsp;: il n'y regarda que pour s'assurer qu'il ne manquerait point l'heure du d&eacute;part. On doit avouer aussi qu'il n'entrevit pas dans Nelher-Bow la maison du grand r&eacute;formateur John Knox, le seul homme que ne purent s&eacute;duire les sourires de Marie Stuart. Mais, prenant par High-street, la rue populaire, si minutieusement d&eacute;crite dans le roman de <i>L'Abb&eacute;</i>, il s'&eacute;lan&ccedil;a vers le pont gigantesque de Bridgestreet, qui relie les trois collines d'&Eacute;dimbourg.</p>
+
+<p>Quelques minutes apr&egrave;s, James Starr arrivait &agrave; la gare du &laquo;&nbsp;G&eacute;n&eacute;ral railway&nbsp;&raquo;, et le train le d&eacute;barquait, une demi-heure apr&egrave;s, &agrave; Newhaven, joli village de p&ecirc;cheurs, situ&eacute; &agrave; un mille de Leith, qui forme le port d'&Eacute;dimbourg. La mar&eacute;e montante recouvrait alors la plage noir&acirc;tre et rocailleuse du littoral. Les premiers flots baignaient une estacade, sorte de jet&eacute;e support&eacute;e par des cha&icirc;nes. A gauche, un de ces bateaux qui font le service du Forth, entre &Eacute;dimbourg et Stirling, &eacute;tait amarr&eacute; au &laquo;&nbsp;pier&nbsp;&raquo; de Granton.</p>
+
+<p>En ce moment, la chemin&eacute;e du <i>Prince de Galles</i> vomissait des tourbillons de fum&eacute;e noire, et sa chaudi&egrave;re ronflait sourdement. Au son de la cloche, qui ne tinta que quelques coups, les voyageurs en retard se h&acirc;t&egrave;rent d'accourir. Il y avait l&agrave; une foule de marchands, de fermiers, de ministres, ces derniers reconnaissables &agrave; leurs culottes courtes, &agrave; leurs longues redingotes, au mince lis&eacute;r&eacute; blanc qui cerclait leur cou.</p>
+
+<p>James Starr ne fut pas le dernier &agrave; s'embarquer. Il sauta lestement sur le pont du <i>Prince de Galles</i>. Bien que la pluie tomb&acirc;t avec violence, pas un de ces passagers ne songeait &agrave; chercher un abri dans le salon du steam-boat. Tous restaient immobiles, envelopp&eacute;s de leurs couvertures de voyage, quelques-uns se ranimant de temps &agrave; autre avec le gin ou le whisky de leur bouteille, &mdash; ce qu'ils appellent &laquo;&nbsp;se v&ecirc;tir &agrave; l'int&eacute;rieur&nbsp;&raquo;. Un dernier coup de cloche se fit entendre, les amarres furent largu&eacute;es, et le <i>Prince de Galles</i> &eacute;volua pour sortir du petit bassin, qui l'abritait contre les lames de la mer du Nord.</p>
+
+<p>Le Firth of Forth, tel est le nom que l'on donne au golfe creus&eacute; entre les rives du comt&eacute; de Fife, au nord, et celles des comt&eacute;s de Linlilhgow, d'&Eacute;dimbourg et Haddington, au sud. Il forme l'estuaire du Forth, fleuve peu important, sorte de Tamise ou de Mersey aux eaux profondes, qui, descendu des flancs ouest du Ben Lomond, se jette dans la mer &agrave; Kincardine.</p>
+
+<p>Ce ne serait qu'une courte travers&eacute;e que celle de Granton-pier &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de ce golfe, si la n&eacute;cessit&eacute; de faire escale aux diverses stations des deux rives n'obligeait &agrave; de nombreux d&eacute;tours. Les villes, les villages, les cottages s'&eacute;talent sur les bords du Forth entre les arbres d'une campagne fertile. James Starr, abrit&eacute; sous la large passerelle jet&eacute;e entre les tambours, ne cherchait pas &agrave; rien voir de ce paysage, alors ray&eacute; par les fines hachures de la pluie. Il s'inqui&eacute;tait plut&ocirc;t d'observer s'il n'attirait pas sp&eacute;cialement l'attention de quelque passager. Peut-&ecirc;tre, en effet, l'auteur anonyme de la seconde lettre &eacute;tait-il sur le bateau. Cependant, l'ing&eacute;nieur ne put surprendre aucun regard suspect.</p>
+
+<p>Le <i>Prince de Galles</i>, en quittant Granton-pier, se dirigea vers l'&eacute;troit pertuis qui se glisse entre les deux pointes de Southoueensferry et North-oueensferry, au-del&agrave; duquel le Forth forme une sorte de lac, praticable pour les navires de cent tonneaux. Entre les brumes du fond apparaissaient, dans de courtes &eacute;claircies, les sommets neigeux des monts Grampian.</p>
+
+<p>Bient&ocirc;t, le steam-boat eut perdu de vue le village d'Aberdour, l'&icirc;le de Colm, couronn&eacute;e par les ruines d'un monast&egrave;re du XII<sup>e</sup> si&egrave;cle, les restes du ch&acirc;teau de Barnbougle, puis Donibristle, o&ugrave; fut assassin&eacute; le gendre du r&eacute;gent Murray, puis l'&icirc;lot fortifi&eacute; de Garvie. Il franchit le d&eacute;troit de oueensferry, laissa &agrave; gauche le ch&acirc;teau de Rosyth, o&ugrave; r&eacute;sidait autrefois une branche des Stuarts &agrave; laquelle &eacute;tait alli&eacute;e la m&egrave;re de Cromwell, d&eacute;passa Blacknesscastle, toujours fortifi&eacute;, conform&eacute;ment &agrave; l'un des articles du trait&eacute; de l'Union, et longea les quais du petit port de Charleston, d'o&ugrave; s'exporte la chaux des carri&egrave;res de Lord Elgin. Enfin, la cloche du <i>Prince de Galles</i> signala la station de Crombie-Point.</p>
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+<p>Le temps &eacute;tait alors tr&egrave;s mauvais. La pluie, fouett&eacute;e par une brise violente, se pulv&eacute;risait au milieu de ces mugissantes rafales, qui passaient comme des trombes.</p>
+
+<p>James Starr n'&eacute;tait pas sans quelque inqui&eacute;tude. Le fils d'Harry Ford se trouverait-il au rendez-vous&nbsp;? Il le savait par exp&eacute;rience&nbsp;: les mineurs, habitu&eacute;s au calme profond des houill&egrave;res, affrontent moins volontiers que les ouvriers ou les laboureurs ces grands troubles de l'atmosph&egrave;re. De Callander &agrave; la fosse Dochart et au puits Yarow, il fallait compter une distance de quatre milles. C'&eacute;taient l&agrave; des raisons qui pouvaient, dans une certaine mesure, retarder le fils du vieil overman. Toutefois, l'ing&eacute;nieur se pr&eacute;occupait davantage de l'id&eacute;e que le rendez-vous donn&eacute; dans la premi&egrave;re lettre e&ucirc;t &eacute;t&eacute; contremand&eacute; dans la seconde. &mdash; C'&eacute;tait, &agrave; vrai dire, son plus gros souci.</p>
+
+<p>En tout cas, si Harry Ford ne se trouvait pas &agrave; l'arriv&eacute;e du train &agrave; Callander, James Starr &eacute;tait bien d&eacute;cid&eacute; &agrave; se rendre seul &agrave; la fosse Dochart, et m&ecirc;me, s'il le fallait, jusqu'au village d'Aberfoyle. L&agrave;, il aurait sans doute des nouvelles de Simon Ford, et il apprendrait en quel lieu r&eacute;sidait actuellement le vieil overman.</p>
+
+<p>Cependant, le <i>Prince de Galles</i> continuait &agrave; soulever de grosses lames sous la pouss&eacute;e de ses aubes. On ne voyait rien des deux rives du fleuve, ni du village de Crombie, ni Torryburn, ni Torry-house, ni Newmills, ni Carridenhouse, ni Ilirkgrange, ni Salt-Pans, sur la droite. Le petit port de Bowness, le port de Grangemouth, creus&eacute; &agrave; l'embouchure du canal de la Clyde, disparaissaient dans l'humide brouillard. Culross, le vieux bourg et les ruines de son abbaye de C&icirc;teaux, Ilinkardine et ses chantiers de construction, auxquels le steam-boat fit escale, Ayrthcastle et sa tour carr&eacute;e du XIII<sup><small>e</small></sup> si&egrave;cle, Clackmannan et son ch&acirc;teau, b&acirc;ti par Robert Bruce, n'&eacute;taient m&ecirc;me pas visibles &agrave; travers les rayures obliques de la pluie.</p>
+
+<p>Le <i>Prince de Galles</i> s'arr&ecirc;ta &agrave; l'embarcad&egrave;re d'Alloa pour d&eacute;poser quelques voyageurs. James Starr eut le c&oelig;ur serr&eacute; en passant, apr&egrave;s dix ans d'absence, pr&egrave;s de cette petite ville, si&egrave;ge d'exploitation d'importantes houill&egrave;res qui nourrissaient toujours une nombreuse population de travailleurs. Son imagination l'entra&icirc;nait dans ce sous-sol, que le pic des mineurs creusait encore &agrave; grand profit. Ces mines d'Alloa, presque contigu&euml;s &agrave; celles d'Aberfoyle, continuaient &agrave; enrichir le comt&eacute;, tandis que les gisements voisins, &eacute;puis&eacute;s depuis tant d'ann&eacute;es, ne comptaient plus un seul ouvrier&nbsp;!</p>
+
+<p>Le steam-boat, en quittant Alloa, s'enfon&ccedil;a dans les nombreux d&eacute;tours que fait le Forth sur un parcours de dix-neuf milles. Il circulait rapidement entre les grands arbres des deux rives. Un instant, dans une &eacute;claircie, apparurent les ruines de l'abbaye de Cambuskenneth, qui date du XII<sup><small>e</small></sup> si&egrave;cle. Puis, ce furent le ch&acirc;teau de Stirling et le bourg royal de ce nom, o&ugrave; le Forth, travers&eacute; par deux ponts, n'est plus navigable aux navires de hautes m&acirc;tures.</p>
+
+<p>A peine le <i>Prince de Galles</i> avait-il accost&eacute;, que l'ing&eacute;nieur sautait lestement sur le quai. Cinq minutes apr&egrave;s, il arrivait &agrave; la gare de Stirling. Une heure plus tard, il descendait du train &agrave; Callander, gros village situ&eacute; sur la rive gauche du Teith.</p>
+
+<p>L&agrave;, devant la gare, attendait un jeune homme, qui s'avan&ccedil;a aussit&ocirc;t vers l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait Harry, le fils de Simon Ford.</p>
+
+<p>[1] Principale et c&eacute;l&egrave;bre rue du vieil &Eacute;dimbourg.</p>
+
+<center>
+<h4>III</h4>
+
+<h4>Le sous-sol du Royaume-Uni</h4>
+</center>
+
+<p>Il est convenable, pour l'intelligence de ce r&eacute;cit, de rappeler en quelques mots quelle est l'origine de la houille.</p>
+
+<p>Pendant les &eacute;poques g&eacute;ologiques, lorsque le sph&eacute;ro&iuml;de terrestre &eacute;tait encore en voie de formation, une &eacute;paisse atmosph&egrave;re l'entourait, toute satur&eacute;e de vapeurs d'eau et largement impr&eacute;gn&eacute;e d'acide carbonique. Peu &agrave; peu, ces vapeurs se condens&egrave;rent en pluies diluviennes, qui tomb&egrave;rent comme si elles eussent &eacute;t&eacute; projet&eacute;es du goulot de quelques millions de milliards de bouteilles d'eau de Seltz. C'&eacute;tait, en effet, un liquide charg&eacute; d'acide carbonique qui se d&eacute;versait torrentiellement sur un sol p&acirc;teux, mal consolid&eacute;, sujet aux d&eacute;formations brusques ou lentes, &agrave; la fois maintenu dans cet &eacute;tat semi-fluide autant par les feux du soleil que par les feux de la masse int&eacute;rieure. C'est que la chaleur interne n'&eacute;tait pas encore emmagasin&eacute;e au centre du globe. La cro&ucirc;te terrestre, peu &eacute;paisse et incompl&egrave;tement durcie, la laissait s'&eacute;pancher &agrave; travers ses pores. De l&agrave;, une ph&eacute;nom&eacute;nale v&eacute;g&eacute;tation, &mdash; telle, sans doute, qu'elle se produit peut-&ecirc;tre &agrave; la surface des plan&egrave;tes inf&eacute;rieures, V&eacute;nus ou Mercure, plus rapproch&eacute;es que la terre de l'astre radieux.</p>
+
+<p>Le sol des continents, encore mal fix&eacute;, se couvrit donc de for&ecirc;ts immenses; l'acide carbonique, si propre au d&eacute;veloppement du r&egrave;gne v&eacute;g&eacute;tal, abondait. Aussi les v&eacute;g&eacute;taux se d&eacute;veloppaient-ils sous la forme arborescente. Il n'y avait pas une seule plante herbac&eacute;e. C'&eacute;taient partout d'&eacute;normes massifs d'arbres, sans fleurs, sans fruits, d'un aspect monotone, qui n'auraient pu suffire &agrave; la nourriture d'aucun &ecirc;tre vivant. La terre n'&eacute;tait pas pr&ecirc;te encore pour l'apparition du r&egrave;gne animal.</p>
+
+<p>Voici quelle &eacute;tait la composition de ces for&ecirc;ts ant&eacute;diluviennes. La classe des cryptogames vasculaires y dominait. Les calamites, vari&eacute;t&eacute;s de pr&ecirc;les arborescentes, les l&eacute;pidodendrons, sortes de lycopodes g&eacute;ants, hauts de vingt-cinq ou trente m&egrave;tres, larges d'un m&egrave;tre &agrave; leur base, des ast&eacute;rophylles, des foug&egrave;res, des sigillaires de proportions gigantesques, dont on a retrouv&eacute; des empreintes dans les mines de Saint-&Eacute;tienne &mdash; toutes plantes grandioses alors, auxquelles on ne reconna&icirc;trait d'analogues que parmi les plus humbles sp&eacute;cimens de la terre habitable &mdash;, tels &eacute;taient, peu vari&eacute;s dans leur esp&egrave;ce, mais &eacute;normes dans leur d&eacute;veloppement, les v&eacute;g&eacute;taux qui composaient exclusivement les for&ecirc;ts de cette &eacute;poque.</p>
+
+<p>Ces arbres noyaient alors leur pied dans une sorte d'immense lagune, rendue profond&eacute;ment humide par le m&eacute;lange des eaux douces et des eaux marines. Ils s'assimilaient avidement le carbone qu'ils soutiraient peu &agrave; peu de l'atmosph&egrave;re, encore impropre au fonctionnement de la vie, et on peut dire qu'ils &eacute;taient destin&eacute;s &agrave; l'emmagasiner, sous forme de houille, dans les entrailles m&ecirc;mes du globe.</p>
+
+<p>En effet, c'&eacute;tait l'&eacute;poque des tremblements de terre, de ces secouements du sol, dus aux r&eacute;volutions int&eacute;rieures et au travail plutonique, qui modifiaient subitement les lin&eacute;aments encore incertains de la surface terrestre. Ici, des intumescences qui devenaient montagnes; l&agrave;, des gouffres que devaient emplir des oc&eacute;ans ou des mers. Et alors, des for&ecirc;ts enti&egrave;res s'enfon&ccedil;aient dans la cro&ucirc;te terrestre, &agrave; travers les couches mouvantes, jusqu'&agrave; ce qu'elles eussent trouv&eacute; un point d'appui, tel que le sol primitif des roches granito&iuml;des, ou que, par le tassement, elles formassent un tout r&eacute;sistant.</p>
+
+<p>En effet, l'&eacute;difice g&eacute;ologique se pr&eacute;sente suivant cet ordre dans les entrailles du globe&nbsp;: le sol primitif, que surmonte le sol de remblai, compos&eacute; des terrains primaires, puis les terrains secondaires dont les gisements houillers occupent l'&eacute;tage inf&eacute;rieur, puis les terrains tertiaires, et au-dessus, le terrain des alluvions anciennes et modernes.</p>
+
+<p>A cette &eacute;poque, les eaux, qu'aucun lit ne retenait encore et que la condensation engendrait sur tous les points du globe, se pr&eacute;cipitaient en arrachant aux roches, &agrave; peine form&eacute;es, de quoi composer les schistes, les gr&egrave;s, les calcaires. Elles arrivaient au dessus des for&ecirc;ts tourbeuses et d&eacute;posaient les &eacute;l&eacute;ments de ces terrains qui allaient se superposer au terrain houiller. Avec le temps &mdash; des p&eacute;riodes qui se chiffrent par millions d'ann&eacute;es &mdash;, ces terrains se durcirent, s'&eacute;tag&egrave;rent et enferm&egrave;rent sous une &eacute;paisse carapace de poudingues, de schistes, de gr&egrave;s compacts ou friables, de gravier, de cailloux, toute la masse des for&ecirc;ts enlis&eacute;es.</p>
+
+<p>Que se passa-t-il dans ce creuset gigantesque, o&ugrave; s'accumulait la mati&egrave;re v&eacute;g&eacute;tale, enfonc&eacute;e &agrave; des profondeurs variables&nbsp;? Une v&eacute;ritable op&eacute;ration chimique, une sorte de distillation. Tout le carbone que contenaient ces v&eacute;g&eacute;taux s'agglom&eacute;rait, et peu &agrave; peu la houille se formait sous la double influence d'une pression &eacute;norme et de la haute temp&eacute;rature que lui fournissaient les feux internes, si voisins d'elle &agrave; cette &eacute;poque.</p>
+
+<p>Ainsi donc un r&egrave;gne se substituait &agrave; l'autre dans cette lente, mais irr&eacute;sistible r&eacute;action. Le v&eacute;g&eacute;tal se transformait en min&eacute;ral. Toutes ces plantes, qui avaient v&eacute;cu de la vie v&eacute;g&eacute;tative sous l'active s&egrave;ve des premiers jours, se p&eacute;trifiaient. Quelques-unes des substances enferm&eacute;es dans ce vaste herbier, incompl&egrave;tement d&eacute;form&eacute;es, laissaient leur empreinte aux autres produits plus rapidement min&eacute;ralis&eacute;s, qui les pressaient comme e&ucirc;t fait une presse hydraulique d'une puissance incalculable. En m&ecirc;me temps, des coquilles, des zoophytes tels qu'&eacute;toiles de mer, polypiers, spirif&egrave;res, jusqu'&agrave; des poissons, jusqu'&agrave; des l&eacute;zards, entra&icirc;n&eacute;s par les eaux, laissaient sur la houille, tendre encore, leur impression nette et comme &laquo;&nbsp;admirablement tir&eacute;e [1*]&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>La pression semble avoir jou&eacute; un r&ocirc;le consid&eacute;rable dans la formation des gisements carbonif&egrave;res. En effet, c'est &agrave; son degr&eacute; de puissance que sont dues les diverses sortes de houilles dont l'industrie fait usage. Ainsi, aux plus basses couches du terrain houiller appara&icirc;t l'anthracite, qui, presque enti&egrave;rement d&eacute;pourvue de mati&egrave;re volatile, contient la plus grande quantit&eacute; de carbone. Aux plus hautes couches se montrent, au contraire, le lignite et le bois fossile, substances dans lesquelles la quantit&eacute; de carbone est infiniment moindre. Entre ces deux couches, suivant le degr&eacute; de pression qu'elles ont subie, se rencontrent les filons de graphites, les houilles grasses ou maigres. On peut m&ecirc;me affirmer que c'est faute d'une pression suffisante que la couche des marais tourbeux n'a pas &eacute;t&eacute; compl&egrave;tement modifi&eacute;e.</p>
+
+<p>Ainsi donc, l'origine des houill&egrave;res, en quelque point du globe qu'on les ait d&eacute;couvertes, est celle-ci&nbsp;: engloutissement dans la cro&ucirc;te terrestre des grandes for&ecirc;ts de l'&eacute;poque g&eacute;ologique, puis, min&eacute;ralisation des v&eacute;g&eacute;taux obtenue avec le temps, sous l'influence de la pression et de la chaleur, et sous l'action de l'acide carbonique.</p>
+
+<p>Cependant, la nature, si prodigue d'ordinaire, n'a pas enfoui assez de for&ecirc;ts pour une consommation qui comprendrait quelques milliers d'ann&eacute;es. La houille manquera un jour, &mdash; cela est certain. Un ch&ocirc;mage forc&eacute; s'imposera donc aux machines du monde entier, si quelque nouveau combustible ne remplace pas le charbon. A une &eacute;poque plus ou moins recul&eacute;e, il n'y aura plus de gisements carbonif&egrave;res, si ce n'est ceux qu'une &eacute;ternelle couche de glace recouvre au Gr&oelig;nland, aux environs de la mer de Baffin, et dont l'exploitation est &agrave; peu pr&egrave;s impossible. C'est le sort in&eacute;vitable. Les bassins houillers de l'Am&eacute;rique, prodigieusement riches encore, ceux du lac Sal&eacute;, de l'or&eacute;gon, de la Californie, n'auront plus, un jour, qu'un rendement insuffisant. Il en sera ainsi des houill&egrave;res du cap Breton et du Saint-Laurent, des gisements des Alleghanis, de la Pennsylvanie, de la Virginie, de l'Illinois, de l'Indiana, du Missouri. Bien que les g&icirc;tes carbonif&egrave;res du Nord-Am&eacute;rique soient dix fois plus consid&eacute;rables que tous les gisements du monde entier, cent si&egrave;cles ne s'&eacute;couleront pas sans que le monstre &agrave; millions de gueules de l'industrie n'ait d&eacute;vor&eacute; le dernier morceau de houille du globe.</p>
+
+<p>La disette, on le comprend, se fera plus promptement sentir dans l'ancien monde. Il existe bien des couches de combustible min&eacute;ral en Abyssinie, &agrave; Natal, au Zamb&egrave;ze, &agrave; Mozambique, &agrave; Madagascar, mais leur exploitation r&eacute;guli&egrave;re offre les plus grandes difficult&eacute;s. Celles de la Birmanie, de la Chine, de la Cochinchine, du Japon, de l'Asie centrale, seront assez vite &eacute;puis&eacute;es. Les Anglais auront certainement vid&eacute; l'Australie des produits houillers, assez abondamment enfouis dans son sol, avant le jour o&ugrave; le charbon manquera au Royaume-Uni. A cette &eacute;poque, d&eacute;j&agrave;, les filons carbonif&egrave;res de l'Europe, atteints jusque dans leurs derni&egrave;res veines, auront &eacute;t&eacute; abandonn&eacute;s.</p>
+
+<p>Que l'on juge par les chiffres suivants des quantit&eacute;s de houille qui ont &eacute;t&eacute; consomm&eacute;es depuis la d&eacute;couverte des premiers gisements. Les bassins houillers de la Russie, de la Saxe et de la Bavi&egrave;re comprennent six cent mille hectares; ceux de l'Espagne, cent cinquante mille; ceux de la Boh&ecirc;me et de l'Autriche, cent cinquante mille. Les bassins de la Belgique, longs de quarante lieues, larges de trois, comptent &eacute;galement cent cinquante mille hectares, qui s'&eacute;tendent sous les territoires de Li&egrave;ge, de Namur, de Mons et de Charleroi. En France, le bassin situ&eacute; entre la Loire et le Rh&ocirc;ne, Rive-de-Gier, Saint-&Eacute;tienne, Givors, &Eacute;pinac, Blanzy, le Creuzot &mdash; les exploitations du Gard, Alais, La Grand-Combe, &mdash; celles de l'Aveyron &agrave; Aubin &mdash; les gisements de Carmaux, de Bassac, de Graissessac &mdash;, dans le Nord, Anzin, Valenciennes, Lens, B&eacute;thune, recouvrent environ trois cent cinquante mille hectares.</p>
+
+<p>Le pays le plus riche en charbon, c'est incontestablement le Royaume-Uni. Celui-ci, en exceptant l'Irlande, &agrave; laquelle manque presque absolument le combustible min&eacute;ral, poss&egrave;de d'&eacute;normes richesses carbonif&egrave;res, &mdash; mais &eacute;puisables comme toutes richesses. Le plus important de ces divers bassins, celui de Newcastle, qui occupe le sous-sol du comt&eacute; de Northumberland, produit par an jusqu'&agrave; trente millions de tonnes, c'est-&agrave;-dire pr&egrave;s du tiers de la consommation anglaise et plus du double de la production fran&ccedil;aise. Le bassin du pays de Galles, qui a concentr&eacute; toute une population de mineurs &agrave; Cardiff, &agrave; Swansea, &agrave; Newport, rend annuellement dix millions de tonnes de cette houille si recherch&eacute;e qui porte son nom. Au centre, s'exploitent les bassins des comt&eacute;s d'York, de Lancaster, de Derby, de Stafford, moins productifs, mais d'un rendement consid&eacute;rable encore. Enfin, dans cette portion de l'&Eacute;cosse situ&eacute;e entre &Eacute;dimbourg et Glasgow, entre ces deux mers qui l'&eacute;chancrent si profond&eacute;ment, se d&eacute;veloppe l'un des plus vastes gisements houillers du Royaume-Uni. L'ensemble de ces divers bassins ne comprend pas moins de seize cent mille hectares, et produit annuellement jusqu'&agrave; cent millions de tonnes du noir combustible.</p>
+
+<p>Mais qu'importe&nbsp;! La consommation deviendra telle, pour les besoins de l'industrie et du commerce, que ces richesses s'&eacute;puiseront. Le troisi&egrave;me mill&eacute;naire de l'&egrave;re chr&eacute;tienne ne sera pas achev&eacute;, que la main du mineur aura vid&eacute;, en Europe, ces magasins dans lesquels, suivant une juste image, s'est concentr&eacute;e la chaleur solaire des premiers jours [2*].</p>
+
+<p>Or, pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; se passe cette histoire, l'une des plus importantes houill&egrave;res du bassin &eacute;cossais avait &eacute;t&eacute; &eacute;puis&eacute;e par une exploitation trop rapide. En effet, c'&eacute;tait dans ce territoire, qui se d&eacute;veloppe entre &Eacute;dimbourg et Glasgow, sur une largeur moyenne de dix &agrave; douze milles, que se creusait la houill&egrave;re d'Aberfoyle, dont l'ing&eacute;nieur James Starr avait si longtemps dirig&eacute; les travaux.</p>
+
+<p>Or, depuis dix ans, ces mines avaient d&ucirc; &ecirc;tre abandonn&eacute;es. On n'avait pu d&eacute;couvrir de nouveaux gisements, bien que les sondages eussent &eacute;t&eacute; port&eacute;s jusqu'&agrave; la profondeur de quinze cents et m&ecirc;me de deux mille pieds, et lorsque James Starr s'&eacute;tait retir&eacute;, c'&eacute;tait avec la certitude que le plus mince filon avait &eacute;t&eacute; exploit&eacute; jusqu'&agrave; complet &eacute;puisement.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait donc plus qu'&eacute;vident que, en de telles conditions, la d&eacute;couverte d'un nouveau bassin houiller dans les profondeurs du sous-sol anglais aurait &eacute;t&eacute; un &eacute;v&eacute;nement consid&eacute;rable. La communication annonc&eacute;e par Simon Ford se rapportait-elle &agrave; un fait de cette nature&nbsp;? C'est ce que se demandait James Starr, c'est ce qu'il voulait esp&eacute;rer.</p>
+
+<p>En un mot, &eacute;tait-ce un autre coin de ces riches Indes noires dont on l'appelait &agrave; faire de nouveau la conqu&ecirc;te&nbsp;? Il voulait le croire.</p>
+
+<p>La seconde lettre avait un instant d&eacute;rout&eacute; ses id&eacute;es &agrave; ce sujet, mais maintenant il n'en tenait plus compte. D'ailleurs, le fils du vieil overman &eacute;tait l&agrave;, l'attendant au rendez-vous indiqu&eacute;. La lettre anonyme n'avait donc plus aucune valeur.</p>
+
+<p>A l'instant o&ugrave; l'ing&eacute;nieur prenait pied sur le quai, le jeune homme s'avan&ccedil;a vers lui.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tu es Harry Ford&nbsp;? lui demanda vivement James Starr, sans autre entr&eacute;e en mati&egrave;re.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne t'aurais pas reconnu, mon gar&ccedil;on&nbsp;! Ah&nbsp;! c'est que, depuis dix ans, tu es devenu un homme&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Moi, je vous ai reconnu, r&eacute;pondit le jeune mineur, qui tenait son chapeau &agrave; la main. vous n'avez pas chang&eacute;, monsieur. vous &ecirc;tes celui qui m'a embrass&eacute; le jour des adieux &agrave; la fosse Dochart&nbsp;! &Ccedil;a ne s'oublie pas, ces choses-l&agrave;&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Couvre-toi donc, Harry, dit l'ing&eacute;nieur. Il pleut &agrave; torrents, et la politesse ne doit pas aller jusqu'au rhume.</p>
+
+<p>&mdash; Voulez-vous que nous nous mettions &agrave; l'abri, monsieur Starr&nbsp;? demanda Harry Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry. Le temps est pris. Il pleuvra toute la journ&eacute;e, et je suis press&eacute;. Partons.</p>
+
+<p>&mdash; A vos ordres, r&eacute;pondit le jeune homme.</p>
+
+<p>&mdash; Dis-moi, Harry, le p&egrave;re se porte bien&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Tr&egrave;s bien, monsieur Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Et la m&egrave;re&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; La m&egrave;re aussi.</p>
+
+<p>&mdash; C'est ton p&egrave;re qui m'a &eacute;crit, pour me donner rendez-vous au puits de Yarow&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, c'est moi.</p>
+
+<p>&mdash; Mais Simon Ford m'a-t-il donc adress&eacute; une seconde lettre pour contremander ce rendez-vous&nbsp;? demanda vivement l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Non, monsieur Starr, r&eacute;pondit le jeune mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Bien&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit James Starr, sans parler davantage de la lettre anonyme.</p>
+
+<p>Puis, reprenant&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et peux-tu m'apprendre ce que me veut le vieux Simon&nbsp;? demanda-t-il au jeune homme.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, mon p&egrave;re s'est r&eacute;serv&eacute; le soin de vous le dire lui-m&ecirc;me.</p>
+
+<p>&mdash; Mais tu le sais&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Je le sais.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, Harry, je ne t'en demande pas plus. En route donc, car j'ai h&acirc;te de causer avec Simon Ford. &mdash; A propos, o&ugrave; demeure-t-il&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Dans la mine.</p>
+
+<p>&mdash; Quoi&nbsp;! Dans la fosse Dochart&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Comment&nbsp;! ta famille n'a pas quitt&eacute; la vieille mine depuis la cessation des travaux&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pas un jour, monsieur Starr. vous connaissez le p&egrave;re. C'est l&agrave; qu'il est n&eacute;, c'est l&agrave; qu'il veut mourir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je comprends cela, Harry... Je comprends cela&nbsp;! Sa houill&egrave;re natale&nbsp;! Il n'a pas voulu l'abandonner&nbsp;! Et vous vous plaisez l&agrave;&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr, r&eacute;pondit le jeune mineur, car nous nous aimons cordialement, et nous n'avons que peu de besoins&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien, Harry, dit l'ing&eacute;nieur. En route&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et James Starr, suivant le jeune homme, se dirigea &agrave; travers les rues de Callander.</p>
+
+<p>Dix minutes apr&egrave;s, tous deux avaient quitt&eacute; la ville.</p>
+
+<p>[1] Il faut, d'ailleurs, remarquer que toutes ces plantes, dont les enpreintes ont &eacute;t&eacute; retrouv&eacute;es, appartiennent aux esp&egrave;ces aujourd'hui r&eacute;serv&eacute;es aux zones &eacute;quatoriales du globe. On peut donc conclure que, &agrave; cette &eacute;poque, la chaleur &eacute;tait &eacute;gale sur toute la terre, soit qu'elle y f&ucirc;t apport&eacute;e par des courants d'eaux chaudes, soit que les feux interieurs se fissent sentir &agrave; sa surface &agrave; travers la cro&ucirc;te poreuse. Ainsi s'explique la formation de gisements carbonif&egrave;res sous toutes les latitudes terestres.</p>
+
+<p>[2]Voici, en tenant compte de la progression de la consommation de la houille, ce que les derniers calculs assignent, en Europe, &agrave; l'&eacute;puisement des combustibles min&eacute;raux:</p>
+
+<blockquote>
+<table summary="Verne" style="FONT-SIZE: small; BORDER-TOP-STYLE: none; BORDER-RIGHT-STYLE: none; BORDER-LEFT-STYLE: none; BORDER-BOTTOM-STYLE: none">
+<tbody>
+<tr>
+<td>France</td>
+<td>dans</td>
+<td align="right">1140</td>
+<td>ans.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Angleterre</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+<td align="right">800</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Belgique</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+<td align="right">750</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Allemagne</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+<td align="right">300</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+</tr>
+</tbody>
+</table>
+</blockquote>
+
+<p>En Am&eacute;rique, &agrave; raison de 500 millions de tonnes annuellement, les g&icirc;tes pourraient produire du charbon pendant 6000 ans.</p>
+
+<center>
+<h4>IV</h4>
+
+<h4>La fosse Dochart</h4>
+</center>
+
+<p>Harry Ford &eacute;tait un grand gar&ccedil;on de vingt-cinq ans, vigoureux, bien d&eacute;coupl&eacute;. Sa physionomie un peu s&eacute;rieuse, son attitude habituellement pensive, l'avaient, d&egrave;s son enfance, fait remarquer entre ses camarades de la mine. Ses traits r&eacute;guliers, ses yeux profonds et doux, ses cheveux assez rudes, plut&ocirc;t ch&acirc;tains que blonds, le charme naturel de sa personne, tout concordait &agrave; en faire le type accompli du Lowlander, c'est-&agrave;-dire un superbe sp&eacute;cimen de l'&Eacute;cossais de la plaine. Endurci presque d&egrave;s son bas &acirc;ge au travail de la houill&egrave;re, c'&eacute;tait, en m&ecirc;me temps qu'un solide compagnon, une brave et bonne nature. Guid&eacute; par son p&egrave;re, pouss&eacute; par ses propres instincts, il avait travaill&eacute;, il s'&eacute;tait instruit de bonne heure, et, &agrave; un &acirc;ge o&ugrave; l'on n'est gu&egrave;re qu'un apprenti, il &eacute;tait arriv&eacute; &agrave; se faire quelqu'un &mdash; l'un des premiers de sa condition &mdash;, dans un pays qui compte peu d'ignorants, car il fait tout pour supprimer l'ignorance. Si, pendant les premi&egrave;res ann&eacute;es de son adolescence, le pic ne quitta pas la main d'Harry Ford, n&eacute;anmoins le jeune mineur ne tarda pas &agrave; acqu&eacute;rir les connaissances suffisantes pour s'&eacute;lever dans la hi&eacute;rarchie de la houill&egrave;re, et il aurait certainement succ&eacute;d&eacute; &agrave; son p&egrave;re en qualit&eacute; d'overman de la fosse Dochart, si la mine n'e&ucirc;t pas &eacute;t&eacute; abandonn&eacute;e.</p>
+
+<p>James Starr &eacute;tait un bon marcheur encore, et, cependant, il n'aurait pas suivi facilement son guide, si celui-ci n'e&ucirc;t mod&eacute;r&eacute; son pas.</p>
+
+<p>La pluie tombait alors avec moins de violence. Les larges gouttes se pulv&eacute;risaient avant d'atteindre le sol. C'&eacute;taient plut&ocirc;t des rafales humides, qui couraient dans l'air, soulev&eacute;es par une fra&icirc;che brise.</p>
+
+<p>Harry Ford et James Starr &mdash; le jeune homme portant le l&eacute;ger bagage de l'ing&eacute;nieur &mdash; suivirent la rive gauche du fleuve pendant un mille environ. Apr&egrave;s avoir long&eacute; sa plage sinueuse, ils prirent une route qui s'enfon&ccedil;ait dans les terres sous les grands arbres ruisselants. De vastes p&acirc;turages se d&eacute;veloppaient d'un c&ocirc;t&eacute; et de l'autre, autour de fermes isol&eacute;es. Quelques. troupeaux paissaient tranquillement l'herbe toujours verte de ces prairies de la basse &Eacute;cosse. C'&eacute;taient des vaches sans cornes, ou de petits moutons &agrave; laine soyeuse, qui ressemblaient aux moutons des bergeries d'enfants. Aucun berger ne se laissait voir, abrit&eacute; qu'il &eacute;tait sans doute dans quelque creux d'arbre; mais le &laquo;&nbsp;colley&nbsp;&raquo;, chien particulier &agrave; cette contr&eacute;e du Royaume-Uni et renomm&eacute; pour sa vigilance, r&ocirc;dait autour du p&acirc;turage.</p>
+
+<p>Le puits Yarow &eacute;tait situ&eacute; &agrave; quatre milles environ de Callander. James Starr, tout en marchant, ne laissait pas d'&ecirc;tre impressionn&eacute;. Il n'avait pas revu le pays depuis le jour o&ugrave; la derni&egrave;re tonne des houill&egrave;res d'Aberfoyle avait &eacute;t&eacute; vers&eacute;e dans les wagons du railway de Glasgow. La vie agricole rempla&ccedil;ait, maintenant, la vie industrielle, toujours plus bruyante, plus active. Le contraste &eacute;tait d'autant plus frappant que, pendant l'hiver, les travaux des champs subissent une sorte de ch&ocirc;mage. Mais autrefois, en toute saison, la population des mineurs, au-dessus comme au-dessous, animait ce territoire. Les grands charrois de charbon passaient nuit et jour. Les rails, maintenant enterr&eacute;s sur leurs traverses pourries, grin&ccedil;aient sous le poids des wagons. A pr&eacute;sent, le chemin de pierre et de terre se substituait peu &agrave; peu aux anciens tramways de l'exploitation. James Starr croyait traverser un d&eacute;sert.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur regardait donc autour de lui d'un &oelig;il attrist&eacute;. Il s'arr&ecirc;tait par instants pour reprendre haleine. Il &eacute;coutait. L'air ne s'emplissait plus &agrave; pr&eacute;sent des sifflements lointains et du fracas haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noir&acirc;tres, que l'industriel aime &agrave; retrouver, m&ecirc;l&eacute;es aux grands nuages. Nulle haute chemin&eacute;e cylindrique ou prismatique vomissant des fum&eacute;es, apr&egrave;s s'&ecirc;tre aliment&eacute;e au gisement m&ecirc;me, nul tuyau d'&eacute;chappement s'&eacute;poumonant &agrave; souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussi&egrave;re de la houille, avait un aspect propre, auquel les yeux de James Starr n'&eacute;taient plus habitu&eacute;s.</p>
+
+<p>Lorsque l'ing&eacute;nieur s'arr&ecirc;tait, Harry Ford s'arr&ecirc;tait aussi. Le jeune mineur attendait en silence. Il sentait bien ce qui se passait dans l'esprit de son compagnon, et il partageait vivement cette impression, &mdash; lui, un enfant de la houill&egrave;re, dont toute la vie s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e dans les profondeurs de ce sol.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Oui, Harry, tout cela est chang&eacute;, dit James Starr. Mais, &agrave; force d'y prendre, il fallait bien que les tr&eacute;sors de houille s'&eacute;puisassent un jour&nbsp;! Tu regrettes ce temps&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je le regrette, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry. Le travail &eacute;tait dur, mais il int&eacute;ressait, comme toute lutte.</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, mon gar&ccedil;on&nbsp;! La lutte de tous les instants, le danger des &eacute;boulements, des incendies, des inondations, des coups de grisou qui frappent comme la foudre&nbsp;! Il fallait parer &agrave; ces p&eacute;rils&nbsp;! Tu dis bien&nbsp;! C'&eacute;tait la lutte, et, par cons&eacute;quent, la vie &eacute;mouvante&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Les mineurs d'Alloa ont &eacute;t&eacute; plus favoris&eacute;s que les mineurs d'Aberfoyle, monsieur Starr&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Harry, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; En v&eacute;rit&eacute;, s'&eacute;cria le jeune homme, il est &agrave; regretter que tout le globe terrestre n'ait pas &eacute;t&eacute; uniquement compos&eacute; de charbon&nbsp;! Il y en aurait eu pour quelques millions d'ann&eacute;es&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, Harry, mais il faut avouer, cependant, que la nature s'est montr&eacute;e pr&eacute;voyante en formant notre sph&eacute;ro&iuml;de plus principalement de gr&egrave;s, de calcaire, de granit, que le feu ne peut consumer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Voulez-vous dire, monsieur Starr, que les humains auraient fini par br&ucirc;ler leur globe&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! Tout entier, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. La terre aurait pass&eacute; jusqu'au dernier morceau dans les fourneaux des locomotives, des locomobiles, des steamers, des usines &agrave; gaz, et, certainement, c'est ainsi que notre monde e&ucirc;t fini un beau jour&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela n'est plus &agrave; craindre, monsieur Starr. Mais aussi, les houill&egrave;res s'&eacute;puiseront, sans doute, plus rapidement que ne l'&eacute;tablissent les statistiques&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela arrivera, Harry, et, suivant moi, l'Angleterre a peut-&ecirc;tre tort d'&eacute;changer son combustible contre l'or des autres nations&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Je sais bien, ajouta l'ing&eacute;nieur, que ni l'hydraulique, ni l'&eacute;lectricit&eacute; n'ont encore dit leur dernier mot, et qu'on utilisera plus compl&egrave;tement un jour ces deux forces. Mais n'importe&nbsp;! La houille est d'un emploi tr&egrave;s pratique et se pr&ecirc;te facilement aux divers besoins de l'industrie&nbsp;! Malheureusement, les hommes ne peuvent la produire &agrave; volont&eacute;&nbsp;! Si les for&ecirc;ts ext&eacute;rieures repoussent incessamment sous l'influence de la chaleur et de l'eau, les for&ecirc;ts int&eacute;rieures, elles, ne se reproduisent pas, et le globe ne se retrouvera jamais dans les conditions voulues pour les refaire&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr et son guide, tout en causant, avaient repris leur marche d'un pas rapide. Une heure apr&egrave;s avoir quitt&eacute; Callander, ils arrivaient &agrave; la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Un indiff&eacute;rent lui-m&ecirc;me e&ucirc;t &eacute;t&eacute; touch&eacute; du triste aspect que pr&eacute;sentait l'&eacute;tablissement abandonn&eacute;. C'&eacute;tait comme le squelette de ce qui avait &eacute;t&eacute; si vivant autrefois.</p>
+
+<p>Dans un vaste cadre, bord&eacute; de quelques maigres arbres, le sol disparaissait encore sous la noire poussi&egrave;re du combustible min&eacute;ral, mais on n'y voyait plus ni escarbilles, ni gailleteries, ni aucun fragment de houille. Tout avait &eacute;t&eacute; enlev&eacute; et consomm&eacute; depuis longtemps.</p>
+
+<p>Sur une colline peu &eacute;lev&eacute;e, se d&eacute;coupait la silhouette d'une &eacute;norme charpente que le soleil et la pluie rongeaient lentement. Au sommet de cette charpente apparaissait une vaste molette ou roue de fonte, et plus bas s'arrondissaient ces gros tambours, sur lesquels s'enroulaient autrefois les c&acirc;bles qui ramenaient les cages &agrave; la surface du sol.</p>
+
+<p>A l'&eacute;tage inf&eacute;rieur, on reconnaissait la chambre d&eacute;labr&eacute;e des machines, autrefois si luisantes dans les parties du m&eacute;canisme faites d'acier ou de cuivre. Quelques pans de murs gisaient &agrave; terre au milieu de solives bris&eacute;es et verdies par l'humidit&eacute;. Des restes de balanciers auxquels s'articulait la tige des pompes d'&eacute;juisement, des coussinets cass&eacute;s ou encrass&eacute;s, des pignons &eacute;dent&eacute;s, des engins de basculage renvers&eacute;s, quelques &eacute;chelons fix&eacute;s aux chevalets et figurant de grandes ar&ecirc;tes d'ichthyosaures, des rails port&eacute;s sur quelque traverse rompue que soutenaient encore deux ou trois pilotis branlants, des tramways qui n'auraient pas r&eacute;sist&eacute; au poids d'un wagonnet vide, &mdash; tel &eacute;tait l'aspect d&eacute;sol&eacute; de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>La margelle des puits, aux pierres &eacute;raill&eacute;es, disparaissait sous les mousses &eacute;paisses. Ici, on reconnaissait les vestiges d'une cage, l&agrave; les restes d'un parc o&ugrave; s'emmagasinait le charbon, qui devait &ecirc;tre tri&eacute; suivant sa qualit&eacute; ou sa grosseur. Enfin, d&eacute;bris de tonnes auxquelles pendait un bout de cha&icirc;ne, fragments de chevalets gigantesques, t&ocirc;les d'une chaudi&egrave;re &eacute;ventr&eacute;e, pistons tordus, longs balanciers qui se penchaient sur l'orifice des puits de pompes, passerelles tremblant au vent, ponceaux fr&eacute;missant au pied, murailles l&eacute;zard&eacute;es, toits &agrave; demi effondr&eacute;s qui dominaient des chemin&eacute;es aux briques disjointes, ressemblant &agrave; ces canons modernes dont la culasse est frett&eacute;e d'anneaux cylindriques, de tout cela il sortait une vive impression d'abandon, de mis&egrave;re, de tristesse, que n'offrent pas les ruines du vieux ch&acirc;teau de pierre, ni les restes d'une forteresse d&eacute;mantel&eacute;e.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est une d&eacute;solation&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit James Starr, en regardant le jeune homme qui ne r&eacute;pondit pas.</p>
+
+<p>Tous deux p&eacute;n&eacute;tr&egrave;rent alors sous l'appentis qui recouvrait l'orifice du puits Yarow, dont les &eacute;chelles donnaient encore acc&egrave;s jusqu'aux galeries inf&eacute;rieures de la fosse.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur se pencha sur l'orifice.</p>
+
+<p>De l&agrave; s'&eacute;panchait autrefois le souffle puissant de l'air aspir&eacute; par les ventilateurs. C'&eacute;tait maintenant un ab&icirc;me silencieux. Il semblait qu'on f&ucirc;t &agrave; la bouche de quelque volcan &eacute;teint.</p>
+
+<p>James Starr et Harry mirent pied sur le premier palier.</p>
+
+<p>A l'&eacute;poque de l'exploitation, d'ing&eacute;nieux engins desservaient certains puits des houill&egrave;res d'Aberfoyle, qui, sous ce rapport, &eacute;taient parfaitement outill&eacute;es&nbsp;: cages munies de parachutes automatiques, mordant sur des glissi&egrave;res en bois, &eacute;chelles oscillantes, nomm&eacute;es &laquo;&nbsp;engine-men&nbsp;&raquo;, qui, par un simple mouvement d'oscillation, permettaient aux mineurs de descendre sans danger ou de remonter sans fatigue.</p>
+
+<p>Mais ces appareils perfectionn&eacute;s avaient &eacute;t&eacute; enlev&eacute;s, depuis la cessation des travaux. Il ne restait au puits Yarow qu'une longue succession d'&eacute;chelles, s&eacute;par&eacute;es par des paliers &eacute;troits de cinquante en cinquante pieds. Trente de ces &eacute;chelles, ainsi plac&eacute;es bout &agrave; bout, permettaient de descendre jusqu'&agrave; la semelle de la galerie inf&eacute;rieure, &agrave; une profondeur de quinze cents pieds. C'&eacute;tait la seule voie de communication qui exist&acirc;t entre le fond de la fosse Dochart et le sol. Quant &agrave; l'a&eacute;ration, elle s'op&eacute;rait par le puits Yarow, que les galeries faisaient communiquer avec un autre puits dont l'orifice s'ouvrait &agrave; un niveau sup&eacute;rieur, &mdash; l'air chaud se d&eacute;gageant naturellement par cette esp&egrave;ce de siphon renvers&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Je te suis, mon gar&ccedil;on, dit l'ing&eacute;nieur, en faisant signe au jeune homme de le pr&eacute;c&eacute;der.</p>
+
+<p>&mdash; A vos ordres, monsieur Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Tu as ta lampe&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, et pl&ucirc;t au Ciel que ce f&ucirc;t encore la lampe de s&ucirc;ret&eacute; dont nous nous servions autrefois&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, r&eacute;pondit James Starr, les coups de grisou ne sont plus &agrave; craindre maintenant&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry n'&eacute;tait muni que d'une simple lampe &agrave; huile, dont il alluma la m&egrave;che. Dans la houill&egrave;re, vide de charbon, les fuites du gaz hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; ne pouvaient plus se produire. Donc, aucune explosion &agrave; redouter, et nulle n&eacute;cessit&eacute; d'interposer entre la flamme et l'air ambiant cette toile m&eacute;tallique qui emp&ecirc;che le gaz de prendre feu &agrave; l'ext&eacute;rieur. La lampe de Davy, si perfectionn&eacute;e alors, ne trouvait plus ici son emploi. Mais si le danger n'existait pas, c'est que la cause en avait disparu, et, avec cette cause, le combustible qui faisait autrefois la richesse de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Harry descendit les premiers &eacute;chelons de l'&eacute;chelle sup&eacute;rieure. James Starr le suivit. Tous deux se trouv&egrave;rent bient&ocirc;t dans une obscurit&eacute; profonde que rompait seul l'&eacute;clat de la lampe. Le jeune homme l'&eacute;levait au-dessus de sa t&ecirc;te, afin de mieux &eacute;clairer son compagnon.</p>
+
+<p>Une dizaine d'&eacute;chelles furent descendues par l'ing&eacute;nieur et son guide de ce pas mesur&eacute; habituel au mineur. Elles &eacute;taient encore en bon &eacute;tat.</p>
+
+<p>James Starr observait curieusement ce que l'insuffisante lueur lui laissait apercevoir des parois du sombre puits, qu'un cuvelage en bois, &agrave; demi pourri, rev&ecirc;tait encore.</p>
+
+<p>Arriv&eacute;s au quinzi&egrave;me palier, c'est-&agrave;-dire &agrave; mi-chemin, ils firent halte pour quelques instants.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;D&eacute;cid&eacute;ment, je n'ai pas tes jambes, mon gar&ccedil;on, dit l'ing&eacute;nieur en respirant longuement, mais enfin, cela va encore&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Vous &ecirc;tes solide, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, et c'est quelque chose, voyez-vous, que d'avoir longtemps v&eacute;cu dans la mine.</p>
+
+<p>&mdash; Tu as raison, Harry. Autrefois, lorsque j'avais vingt ans, j'aurais descendu tout d'une haleine. Allons, en route&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; tous deux allaient quitter le palier, une voix, encore &eacute;loign&eacute;e, se fit entendre dans les profondeurs du puits. Elle arrivait comme une onde sonore qui se gonfle progressivement, et elle devenait de plus en plus distincte.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! qui vient l&agrave;&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur en arr&ecirc;tant Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne pourrais le dire, r&eacute;pondit le jeune mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Ce n'est pas le vieux p&egrave;re&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Lui&nbsp;! monsieur Starr, non.</p>
+
+<p>&mdash; Quelque voisin, alors&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Nous n'avons pas de voisins au fond de la fosse, r&eacute;pondit Harry. Nous sommes seuls, bien seuls.</p>
+
+<p>&mdash; Bon&nbsp;! laissons passer cet intrus, dit James Starr. C'est &agrave; ceux qui descendent de c&eacute;der le pas &agrave; ceux qui montent.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tous deux attendirent.</p>
+
+<p>La voix r&eacute;sonnait en ce moment avec un magnifique &eacute;clat, comme si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; port&eacute;e par un vaste pavillon acoustique, et bient&ocirc;t quelques paroles d'une chanson &eacute;cossaise arriv&egrave;rent assez nettement aux oreilles du jeune mineur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La chanson des lacs&nbsp;! s'&eacute;cria Harry. Ah&nbsp;! je serais bien surpris si elle s'&eacute;chappait d'une autre bouche que de celle de Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Et qu'est-ce, ce Jack Ryan, qui chante d'une si superbe fa&ccedil;on&nbsp;? demanda James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Un ancien camarade de la houill&egrave;re&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>Puis, se pendant au-dessus du palier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! Jack&nbsp;! cria-t-il.</p>
+
+<p>&mdash; C'est toi, Harry&nbsp;? fut-il r&eacute;pondu. Attends-moi, j'arrive.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et la chanson reprit de plus belle.</p>
+
+<p>Quelques instants apr&egrave;s, un grand gar&ccedil;on de vingt-cinq ans, la figure gaie, les yeux souriants, la bouche joyeuse, la chevelure d'un blond ardent, apparaissait au fond du c&ocirc;ne lumineux que projetait sa lanterne, et il prenait pied sur le palier de la quinzi&egrave;me &eacute;chelle.</p>
+
+<p>Son premier acte fut de serrer vigoureusement la main que venait de lui tendre Harry.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Enchant&eacute; de te rencontrer&nbsp;! s'&eacute;cria-t-il. Mais, saint Mungo me prot&egrave;ge&nbsp;! si j'avais su que tu revenais &agrave; terre aujourd'hui, je me serais bien &eacute;pargn&eacute; cette descente au puits Yarow&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James Starr, dit alors Harry, en tournant sa lampe vers l'ing&eacute;nieur, qui &eacute;tait rest&eacute; dans l'ombre.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan. Ah&nbsp;! monsieur l'ing&eacute;nieur, je ne vous aurais pas reconnu. Depuis que j'ai quitt&eacute; la fosse, mes yeux ne sont plus habitu&eacute;s, comme autrefois, &agrave; voir dans l'obscurit&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Et moi, je me rappelle maintenant un gamin qui chantait toujours. voil&agrave; bien dix ans de cela, mon gar&ccedil;on&nbsp;! C'&eacute;tait toi, sans doute&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Moi-m&ecirc;me, monsieur Starr, et, en changeant de m&eacute;tier, je n'ai pas chang&eacute; d'humeur, voyez-vous&nbsp;? Bah&nbsp;! rire et chanter, cela vaut mieux, j'imagine, que pleurer et geindre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, Jack Ryan. &mdash; Et que fais-tu, depuis que tu as quitt&eacute; la mine&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je travaille &agrave; la ferme de Melrose, pr&egrave;s d'Irvine, dans le comt&eacute; de Renfrew, &agrave; quarante milles d'ici. Ah&nbsp;! &ccedil;a ne vaut pas nos houill&egrave;res d'Aberfoyle&nbsp;! Le pic allait mieux &agrave; ma main que la b&ecirc;che ou l'aiguillon&nbsp;! Et puis, dans la vieille fosse, il y avait des coins sonores, des &eacute;chos joyeux qui vous renvoyaient gaillardement vos chansons, tandis que l&agrave;-haut&nbsp;!... Mais vous allez donc rendre visite au vieux Simon, monsieur Starr&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Que je ne vous retarde pas...</p>
+
+<p>&mdash; Dis-moi, Jack, demanda Harry, quel motif t'a amen&eacute; au cottage aujourd'hui&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je voulais te voir, camarade, r&eacute;pondit Jack Ryan, et t'inviter &agrave; la f&ecirc;te du clan d'Irvine. Tu sais, je suis le &laquo;&nbsp;piper [1*] &nbsp;&raquo; de l'endroit&nbsp;! On chantera, on dansera&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Merci, Jack, mais cela m'est impossible.</p>
+
+<p>&mdash; Impossible&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, la visite de M. Starr peut se prolonger, et je dois le reconduire &agrave; Callander.</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! Harry, la f&ecirc;te du clan d'Irvine n'arrive que dans huit jours. D'ici l&agrave;, la visite de M. Starr sera termin&eacute;e, je suppose, et rien ne te retiendra plus au cottage&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, Harry, r&eacute;pondit James Starr. Il faut profiter de l'invitation que te fait ton camarade Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, j'accepte, Jack, dit Harry. Dans huit jours, nous nous retrouverons &agrave; la f&ecirc;te d'Irvine.</p>
+
+<p>&mdash; Dans huit jours, c'est bien convenu, r&eacute;pondit Jack Ryan. Adieu, Harry&nbsp;! votre serviteur, monsieur Starr&nbsp;! Je suis tr&egrave;s content de vous avoir revu&nbsp;! Je pourrai donner de vos nouvelles aux amis. Personne ne vous a oubli&eacute;, monsieur l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Et je n'ai oubli&eacute; personne, dit James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Merci pour tous, monsieur, r&eacute;pondit Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Adieu, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit Harry, en serrant une derni&egrave;re fois la main de son camarade.</p>
+
+<p>Et Jack Ryan, reprenant sa chanson, disparut bient&ocirc;t dans les hauteurs du puits, vaguement &eacute;clair&eacute;es par sa lampe.</p>
+
+<p>Un quart d'heure apr&egrave;s, James Starr et Harry descendaient la derni&egrave;re &eacute;chelle, et mettaient le pied sur le sol du dernier &eacute;tage de la fosse.</p>
+
+<p>Autour du rond-point que formait le fond du puits Yarow rayonnaient diverses galeries qui avaient servi &agrave; l'exploitation du dernier filon carbonif&egrave;re de la mine. Elles s'enfon&ccedil;aient dans le massif de schistes et de gr&egrave;s, les unes &eacute;tan&ccedil;onn&eacute;es par des trap&egrave;zes de grosses poutres &agrave; peine &eacute;quarries, les autres doubl&eacute;es d'un &eacute;pais rev&ecirc;tement de pierre. Partout des remblais rempla&ccedil;aient les veines d&eacute;vor&eacute;es par l'exploitation. Les piliers artificiels &eacute;taient faits de pierres arrach&eacute;es aux carri&egrave;res voisines, et maintenant ils supportaient le sol, c'est-&agrave;-dire le double &eacute;tage des terrains tertiaires et quaternaires, qui reposaient autrefois sur le gisement m&ecirc;me. L'obscurit&eacute; emplissait alors ces galeries, jadis &eacute;clair&eacute;es soit par la lampe du mineur soit par la lumi&egrave;re &eacute;lectrique, dont, pendant les derni&egrave;res ann&eacute;es, l'emploi avait &eacute;t&eacute; introduit dans les fosses. Mais les sombres tunnels ne r&eacute;sonnaient plus du grincement des wagonnets roulant sur leurs rails, ni du bruit des portes d'air qui se refermaient brusquement, ni des &eacute;clats de voix des rouleurs, ni du hennissement des chevaux et des mules, ni des coups de pic de l'ouvrier, ni des fracas du foudroyage qui faisait &eacute;clater le massif.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voulez-vous vous reposer un instant, monsieur Starr&nbsp;? demanda le jeune homme.</p>
+
+<p>&mdash; Non, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, car j'ai h&acirc;te d'arriver au cottage du vieux Simon.</p>
+
+<p>&mdash; Suivez-moi donc, monsieur Starr. Je vais vous guider, et, cependant, je suis s&ucirc;r que vous reconna&icirc;triez parfaitement votre route dans cet obscur d&eacute;dale des galeries.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, certes&nbsp;! J'ai encore dans la t&ecirc;te tout le plan de la vieille fosse.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry, suivi de l'ing&eacute;nieur et levant sa lampe pour le mieux &eacute;clairer, s'enfon&ccedil;a dans une haute galerie, semblable &agrave; une contre-nef de cath&eacute;drale. Leur pied, &agrave; tous deux, heurtait encore les traverses de bois qui supportaient les rails &agrave; l'&eacute;poque de l'exploitation.</p>
+
+<p>Mais &agrave; peine avaient-ils fait cinquante pas, qu'une &eacute;norme pierre vint tomber aux pieds de James Starr.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Prenez garde, monsieur Starr&nbsp;! s'&eacute;cria Harry, en saisissant le bras de l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Une pierre, Harry&nbsp;! Ah&nbsp;! ces vieilles vo&ucirc;tes ne sont plus assez solides, sans doute, et...</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry Ford, il me semble que la pierre a &eacute;t&eacute; jet&eacute;e... et jet&eacute;e par une main d'homme&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Jet&eacute;e&nbsp;! s'&eacute;cria James Starr. Que veux-tu dire, mon gar&ccedil;on&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Rien, rien... monsieur Starr, r&eacute;pondit &eacute;vasivement Harry, dont le regard, devenu s&eacute;rieux, aurait voulu percer ces &eacute;paisses murailles. Continuons notre route. Prenez mon bras, je vous prie, et n'ayez aucune crainte de faire un faux pas.</p>
+
+<p>&mdash; Me voil&agrave;, Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et tous deux s'avanc&egrave;rent, pendant qu'Harry regardait en arri&egrave;re, en projetant l'&eacute;clat de sa lampe dans les profondeurs de la galerie.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Serons-nous bient&ocirc;t arriv&eacute;s&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Dans dix minutes au plus.</p>
+
+<p>&mdash; Bien.</p>
+
+<p>&mdash; Mais, murmurait Harry, cela n'en est pas moins singulier. C'est la premi&egrave;re fois que pareille chose m'arrive. Il a fallu que cette pierre v&icirc;nt tomber juste au moment o&ugrave; nous passions&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Harry, il n'y a eu l&agrave; qu'un hasard&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Un hasard... r&eacute;pondit le jeune homme en secouant la t&ecirc;te. Oui... un hasard...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute;. Il &eacute;coutait.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'y a-t-il, Harry&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; J'ai cru entendre marcher derri&egrave;re nous&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit le jeune mineur, qui pr&ecirc;ta plus attentivement l'oreille.</p>
+
+<p>Puis&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non&nbsp;! je me serai tromp&eacute;, dit-il. Appuyez-vous bien sur mon bras, monsieur Starr. Servez-vous de moi comme d'un b&acirc;ton...</p>
+
+<p>&mdash; Un b&acirc;ton solide, Harry, r&eacute;pondit James Starr. Il n'en est pas de meilleur qu'un brave gar&ccedil;on tel que toi&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tous deux continu&egrave;rent &agrave; marcher silencieusement &agrave; travers la sombre nef.</p>
+
+<p>Souvent, Harry, &eacute;videmment pr&eacute;occup&eacute;, se retournait, essayant de surprendre, soit un bruit &eacute;loign&eacute;, soit quelque lueur lointaine.</p>
+
+<p>Mais, derri&egrave;re et devant lui, tout n'&eacute;tait que silence et t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>[1] Le <i>piper</i> est le joueur de cornemuse en &Eacute;cosse.</p>
+
+<center>
+<h4>V</h4>
+
+<h4>La Famille Ford</h4>
+</center>
+
+<p>Dix minutes apr&egrave;s, James Starr et Harry sortaient enfin de la galerie principale.</p>
+
+<p>Le jeune mineur et son compagnon &eacute;taient arriv&eacute;s au fond d'une clairi&egrave;re, &mdash; si toutefois ce mot peut servir &agrave; d&eacute;signer une vaste et obscure excavation. Cette excavation, cependant, n'&eacute;tait pas absolument d&eacute;pourvue de jour. Quelques rayons lui arrivaient par l'orifice d'un puits abandonn&eacute;, qui avait &eacute;t&eacute; fonc&eacute; dans les &eacute;tages sup&eacute;rieurs. C'&eacute;tait par ce conduit que s'&eacute;tablissait le courant d'a&eacute;ration de la fosse Dochart. Gr&acirc;ce &agrave; sa moindre densit&eacute;, l'air chaud de l'int&eacute;rieur &eacute;tait entra&icirc;n&eacute; vers le puits Yarow.</p>
+
+<p>Donc, un peu d'air et de clart&eacute; p&eacute;n&eacute;trait &agrave; la fois &agrave; travers l'&eacute;paisse vo&ucirc;te de schiste jusqu'&agrave; la clairi&egrave;re.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait l&agrave; que Simon Ford habitait depuis dix ans, avec sa famille, une souterraine demeure, &eacute;vid&eacute;e dans le massif schisteux, &agrave; l'endroit m&ecirc;me o&ugrave; fonctionnaient autrefois les puissantes machines, destin&eacute;es &agrave; op&eacute;rer la traction m&eacute;canique de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Telle &eacute;tait l'habitation &mdash; &agrave; laquelle il donnait volontiers le nom de &laquo;&nbsp;cottage&nbsp;&raquo; &mdash;, o&ugrave; r&eacute;sidait le vieil overman. Gr&acirc;ce &agrave; une certaine aisance, due &agrave; une longue existence de travail, Simon Ford aurait pu vivre en plein soleil, au milieu des arbres, dans n'importe quelle ville du royaume; mais les siens et lui avaient pr&eacute;f&eacute;r&eacute; ne pas quitter la houill&egrave;re, o&ugrave; ils &eacute;taient heureux, ayant m&ecirc;mes id&eacute;es, m&ecirc;mes go&ucirc;ts. Oui&nbsp;! il leur plaisait, ce cottage, enfoui &agrave; quinze cents pieds au-dessous du sol &eacute;cossais. Entre autres avantages, il n'y avait pas &agrave; craindre que les agents du fisc, les &laquo;&nbsp;stentmaters&nbsp;&raquo; charg&eacute;s d'&eacute;tablir la capitation, vinssent jamais y relancer ses h&ocirc;tes&nbsp;!</p>
+
+<p>A cette &eacute;poque, Simon Ford, l'ancien overman de la fosse Dochart, portait vigoureusement encore ses soixante-cinq ans. Grand, robuste, bien taill&eacute;, il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; regard&eacute; comme l'un des plus remarquables &laquo;&nbsp;sawneys [1*]&nbsp;&raquo; du canton, qui fournissait tant de beaux hommes aux r&eacute;giments de Highlanders.</p>
+
+<p>Simon Ford descendait d'une ancienne famille de mineurs, et sa g&eacute;n&eacute;alogie remontait aux premiers temps o&ugrave; furent exploit&eacute;s les gisements carbonif&egrave;res en &Eacute;cosse.</p>
+
+<p>Sans rechercher arch&eacute;ologiquement si les Grecs et les Romains ont fait usage de la houille, si les Chinois utilisaient les mines de charbon bien avant l'&egrave;re chr&eacute;tienne, sans discuter si r&eacute;ellement le combustible min&eacute;ral doit son nom au mar&eacute;chal ferrant Houillos, qui vivait en Belgique dans le XII<sup>e</sup> si&egrave;cle, on peut affirmer que les bassins de la Grande-Bretagne furent les premiers dont l'exploitation fut mise en cours r&eacute;gulier. Au XI<sup>e</sup> si&egrave;cle, d&eacute;j&agrave;, Guillaume le Conqu&eacute;rant partageait entre ses compagnons d'armes les produits du bassin de Newcastle. Au XIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, une licence d'exploitation du &laquo;&nbsp;charbon marin&nbsp;&raquo; &eacute;tait conc&eacute;d&eacute;e par Henri III. Enfin, vers la fin du m&ecirc;me si&egrave;cle, il est fait mention des gisements de l'&Eacute;cosse et du pays de Galles.</p>
+
+<p>Ce fut vers ce temps que les anc&ecirc;tres de Simon Ford p&eacute;n&eacute;tr&egrave;rent dans les entrailles du sol cal&eacute;donien, pour n'en plus sortir, de p&egrave;re en fils. Ce n'&eacute;taient que de simples ouvriers. Ils travaillaient comme des for&ccedil;ats &agrave; l'extraction du pr&eacute;cieux combustible. On croit m&ecirc;me que les charbonniers mineurs, tout comme les sauniers de cette &eacute;poque, &eacute;taient alors de v&eacute;ritables esclaves. En effet, au XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, cette opinion &eacute;tait si bien &eacute;tablie en &Eacute;cosse, que, pendant la guerre du Pr&eacute;tendant, on put craindre que vingt mille mineurs de Newcastle ne se soulevassent pour reconqu&eacute;rir une libert&eacute; &mdash; qu'ils ne croyaient pas avoir.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, Simon Ford &eacute;tait fier d'appartenir &agrave; cette grande famille des houilleurs &eacute;cossais. Il avait travaill&eacute; de ses mains, l&agrave; m&ecirc;me o&ugrave; ses anc&ecirc;tres avaient mani&eacute; le pic, la pince, la rivelaine et la pioche. A trente ans, il &eacute;tait overman de la fosse Dochart, la plus importante des houill&egrave;res d'Aberfoyle. Il aimait passionn&eacute;ment son m&eacute;tier. Pendant de longues ann&eacute;es, il exer&ccedil;a ses fonctions avec z&egrave;le. Son seul chagrin &eacute;tait de voir la couche s'appauvrir et de pr&eacute;voir l'heure tr&egrave;s prochaine o&ugrave; le gisement serait &eacute;puis&eacute;.</p>
+
+<p>C'est alors qu'il s'&eacute;tait adonn&eacute; &agrave; la recherche de nouveaux filons dans toutes les fosses d'Aberfoyle, qui communiquaient souterrainement entre elles. Il avait eu le bonheur d'en d&eacute;couvrir quelques-uns pendant la derni&egrave;re p&eacute;riode d'exploitation. Son instinct de mineur le servait merveilleusement, et l'ing&eacute;nieur James Starr l'appr&eacute;ciait fort. On e&ucirc;t dit qu'il devinait les gisements dans les entrailles de la houill&egrave;re, comme un hydroscope devine les sources sous la couche du sol.</p>
+
+<p>Mais le moment arriva, on l'a dit, o&ugrave; la mati&egrave;re combustible manqua tout &agrave; fait &agrave; la houill&egrave;re. Les sondages ne donn&egrave;rent plus aucun r&eacute;sultat. Il fut &eacute;vident que le g&icirc;te carbonif&egrave;re &eacute;tait enti&egrave;rement &eacute;puis&eacute;. L'exploitation cessa. Les mineurs se retir&egrave;rent.</p>
+
+<p>Le croira-t-on&nbsp;? Ce fut un d&eacute;sespoir pour le plus grand nombre. Tous ceux qui savent que l'homme, au fond, aime sa peine, ne s'en &eacute;tonneront pas. Simon Ford, sans contredit, fut le plus atteint. Il &eacute;tait, par excellence, le type du mineur, dont l'existence est indissolublement li&eacute;e &agrave; celle de sa mine. Depuis sa naissance, il n'avait cess&eacute; de l'habiter, et, lorsque les travaux furent abandonn&eacute;s, il voulut y demeurer encore. Il resta donc. Harry, son fils, fut charg&eacute; du ravitaillement de l'habitation souterraine; mais quant &agrave; lui, depuis dix ans, il n'&eacute;tait pas remont&eacute; dix fois &agrave; la surface du sol.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Aller l&agrave;-haut&nbsp;! A quoi bon&nbsp;?&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait-il, et il ne quittait pas son noir domaine.</p>
+
+<p>Dans ce milieu parfaitement sain, d'ailleurs, soumis &agrave; une temp&eacute;rature toujours moyenne, le vieil overman ne connaissait ni les chaleurs de l'&eacute;t&eacute;, ni les froids de l'hiver. Les siens se portaient bien. Que pouvait-il d&eacute;sirer de plus&nbsp;?</p>
+
+<p>Au fond, il &eacute;tait s&eacute;rieusement attrist&eacute;. Il regrettait l'animation, le mouvement, la vie d'autrefois, dans la fosse si laborieusement exploit&eacute;e. Cependant, il &eacute;tait soutenu par une id&eacute;e fixe.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non&nbsp;! non&nbsp;! la houill&egrave;re n'est pas &eacute;puis&eacute;e&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait-il.</p>
+
+<p>Et celui-l&agrave; se serait fait un mauvais parti, qui aurait mis en doute devant Simon Ford qu'un jour l'ancienne Aberfoyle ressusciterait d'entre les mortes&nbsp;! Il n'avait donc jamais abandonn&eacute; l'espoir de d&eacute;couvrir quelque nouvelle couche qui rendrait &agrave; la mine sa splendeur pass&eacute;e. Oui&nbsp;! il aurait volontiers, s'il l'avait fallu, repris le pic du mineur, et ses vieux bras, solides encore, se seraient vigoureusement attaqu&eacute;s &agrave; la roche. Il allait donc &agrave; travers les obscures galeries, tant&ocirc;t seul, tant&ocirc;t avec son fils, observant, cherchant, pour rentrer chaque jour fatigu&eacute;, mais non d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;, au cottage.</p>
+
+<p>La digne compagne de Simon Ford, c'&eacute;tait Madge, grande et forte, la &laquo;&nbsp;goodwife&nbsp;&raquo;, la &laquo;&nbsp;bonne femme&nbsp;&raquo;, suivant l'expression &eacute;cossaise. Pas plus que son mari, Madge n'e&ucirc;t voulu quitter la fosse Dochart. Elle partageait &agrave; cet &eacute;gard toutes ses esp&eacute;rances et ses regrets. Elle l'encourageait, elle le poussait en avant, elle lui parlait avec une sorte de gravit&eacute;, qui r&eacute;chauffait le c&oelig;ur du vieil overman.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Aberfoyle n'est qu'endormie, Simon, lui disait-elle. C'est toi qui as raison. Ce n'est qu'un repos, ce n'est pas la mort&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Madge savait aussi se passer du monde ext&eacute;rieur et concentrer le bonheur d'une existence &agrave; trois dans le sombre cottage.</p>
+
+<p>Ce fut l&agrave; qu'arriva James Starr.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur &eacute;tait bien attendu. Simon Ford, debout sur sa porte, du plus loin que la lampe d'Harry lui annon&ccedil;a l'arriv&eacute;e de son ancien &laquo;&nbsp;viewer&nbsp;&raquo;, s'avan&ccedil;a vers lui.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Soyez le bienvenu, monsieur James&nbsp;! lui cria-t-il d'une voix qui r&eacute;sonnait sous la vo&ucirc;te du schiste. Soyez le bienvenu au cottage du vieil overman&nbsp;! Pour &ecirc;tre enfouie &agrave; quinze cents pieds sous terre, la maison de la famille Ford n'en est pas moins hospitali&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Comment allez-vous, brave Simon&nbsp;? demanda James Starr, en serrant la main que lui tendait son h&ocirc;te.</p>
+
+<p>&mdash; Tr&egrave;s bien, monsieur Starr. Et comment en serait-il autrement ici, &agrave; l'abri de toute intemp&eacute;rie de l'air&nbsp;? vos ladies qui vont respirer &agrave; Newhaven ou &agrave; Porto-Bello [2*] , pendant l'&eacute;t&eacute;, feraient mieux de passer quelques mois dans la houill&egrave;re d'Aberfoyle&nbsp;! Elles ne risqueraient point d'y gagner quelque gros rhume, comme dans les rues humides de la vieille capitale.</p>
+
+<p>&mdash; Ce n'est pas moi qui vous contredirai, Simon, r&eacute;pondit James Starr, heureux de retrouver l'overman tel qu'il &eacute;tait autrefois&nbsp;! vraiment, je me demande pourquoi je ne change pas ma maison de la Canongate pour quelque cottage voisin du v&ocirc;tre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; A votre service, monsieur Starr. Je connais un de vos anciens mineurs qui serait particuli&egrave;rement enchant&eacute; de n'avoir entre vous et lui qu'un mur mitoyen.</p>
+
+<p>&mdash; Et Madge&nbsp;?... demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; La bonne femme se porte encore mieux que moi, si cela est possible&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford, et elle se fait une joie de vous voir &agrave; sa table. Je pense qu'elle se sera surpass&eacute;e pour vous recevoir.</p>
+
+<p>&mdash; Nous verrons cela, Simon, nous verrons cela&nbsp;! dit l'ing&eacute;nieur, que l'annonce d'un bon d&eacute;jeuner ne pouvait laisser indiff&eacute;rent, apr&egrave;s cette longue marche.</p>
+
+<p>&mdash; Vous avez faim, monsieur Starr&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Positivement faim. Le voyage m'a ouvert l'app&eacute;tit. Je suis venu par un temps affreux&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! il pleut, l&agrave;-haut&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford d'un air de piti&eacute; tr&egrave;s marqu&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Simon, et les eaux du Forth sont agit&eacute;es aujourd'hui comme celles d'une mer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, monsieur James, ici, il ne pleut jamais. Mais je n'ai pas &agrave; vous peindre des avantages que vous connaissez aussi bien que moi&nbsp;! vous voil&agrave; arriv&eacute; au cottage. C'est le principal, et, je vous le r&eacute;p&egrave;te, soyez le bienvenu&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Simon Ford, suivi d'Harry, fit entrer dans l'habitation James Starr, qui se trouva au milieu d'une vaste salle, &eacute;clair&eacute;e par plusieurs lampes, dont l'une &eacute;tait suspendue aux solives colori&eacute;es du plafond.</p>
+
+<p>La table, recouverte d'une nappe &eacute;gay&eacute;e de fra&icirc;ches couleurs, n'attendait plus que les convives, auxquels quatre chaises, rembourr&eacute;es de vieux cuir, &eacute;taient r&eacute;serv&eacute;es.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Bonjour, Madge, dit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Bonjour, monsieur James, r&eacute;pondit la brave &Eacute;cossaise, qui se leva pour recevoir son h&ocirc;te.</p>
+
+<p>&mdash; Je vous revois avec plaisir, Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Et vous avez raison, monsieur James, car il est agr&eacute;able de retrouver ceux pour lesquels on s'est toujours montr&eacute; bon.</p>
+
+<p>&mdash; La soupe attend, femme, dit alors Simon Ford, et il ne faut pas la faire attendre, non plus que M. James. Il a une faim de mineur, et il verra que notre gar&ccedil;on ne nous laisse manquer de rien au cottage&nbsp;! &mdash; A propos, Harry, ajouta le vieil overman en se retournant vers son fils, Jack Ryan est venu te voir.</p>
+
+<p>&mdash; Je le sais, p&egrave;re&nbsp;! Nous l'avons rencontr&eacute; dans le puits Yarow.</p>
+
+<p>&mdash; C'est un bon et gai camarade, dit Simon Ford. Mais il semble se plaire l&agrave;-haut&nbsp;! &Ccedil;a n'avait pas du vrai sang de mineur dans les veines. &mdash; A table, monsieur James, et d&eacute;jeunons copieusement, car il est possible que nous ne puissions souper que fort tard.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Au moment o&ugrave; l'ing&eacute;nieur et ses h&ocirc;tes allaient prendre place&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un instant, Simon, dit James Starr, voulez-vous que je mange de bon app&eacute;tit&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ce sera nous faire tout l'honneur possible, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, il faut pour cela n'avoir aucune pr&eacute;occupation. &mdash; Or, j'ai deux questions &agrave; vous adresser.</p>
+
+<p>&mdash; Allez, monsieur James.</p>
+
+<p>&mdash; Votre lettre me parle d'une communication qui doit &ecirc;tre de nature &agrave; m'int&eacute;resser&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Elle est tr&egrave;s int&eacute;ressante, en effet.</p>
+
+<p>&mdash; Pour vous&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Pour vous et pour moi, monsieur James. Mais je d&eacute;sire ne vous la faire qu'apr&egrave;s le repas et sur les lieux m&ecirc;mes. Sans cela, vous ne voudriez pas me croire.</p>
+
+<p>&mdash; Simon, reprit l'ing&eacute;nieur, regardez-moi bien... l&agrave;... dans les yeux. Une communication int&eacute;ressante&nbsp;?... Oui... Bon&nbsp;!... Je ne vous en demande pas davantage, ajouta-t-il, comme s'il e&ucirc;t lu la r&eacute;ponse qu'il esp&eacute;rait dans le regard du vieil overman.</p>
+
+<p>&mdash; Et la deuxi&egrave;me question&nbsp;? demanda celui-ci.</p>
+
+<p>&mdash; Savez-vous, Simon, quelle est la personne qui a pu m'&eacute;crire ceci&nbsp;?&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, en pr&eacute;sentant la lettre anonyme qu'il avait re&ccedil;ue.</p>
+
+<p>Simon Ford prit la lettre, et il la lut tr&egrave;s attentivement.</p>
+
+<p>Puis, la montrant &agrave; son fils&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Connais-tu cette &eacute;criture&nbsp;? dit-il.</p>
+
+<p>&mdash; Non, p&egrave;re, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Et cette lettre &eacute;tait timbr&eacute;e du bureau de poste d'Aberfoyle&nbsp;? demanda Simon Ford &agrave; l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, comme la v&ocirc;tre, r&eacute;pondit James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Que penses-tu de cela, Harry&nbsp;? dit Simon Ford, dont le front s'assombrit un instant.</p>
+
+<p>&mdash; Je pense, p&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, que quelqu'un a eu un int&eacute;r&ecirc;t quelconque &agrave; emp&ecirc;cher M. James Starr de venir au rendez-vous que vous lui donniez.</p>
+
+<p>&mdash; Mais qui&nbsp;? s'&eacute;cria le vieux mineur. Qui donc a pu p&eacute;n&eacute;trer assez avant dans le secret de ma pens&eacute;e&nbsp;?...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et Simon Ford, pensif, tomba dans une r&ecirc;verie dont la voix de Madge le tira bient&ocirc;t.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Asseyons-nous, monsieur Starr, dit-elle. La soupe va refroidir. Pour le moment, ne songeons plus &agrave; cette lettre&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, sur l'invitation de la vieille femme, chacun prit place &agrave; la table &mdash; James Starr vis-&agrave;-vis de Madge, pour lui faire honneur &mdash;, le p&egrave;re et le fils l'un vis-&agrave;-vis de l'autre.</p>
+
+<p>Ce fut un bon repas &eacute;cossais. Et, d'abord, on mangea d'un &laquo;&nbsp;hotchpotch&nbsp;&raquo;, soupe dont la viande nageait au milieu d'un excellent bouillon. Au dire du vieux Simon, sa compagne ne connaissait pas de rivale dans l'art de pr&eacute;parer le hotchpotch.</p>
+
+<p>Il en &eacute;tait de m&ecirc;me, d'ailleurs, du &laquo;&nbsp;cockyleeky&nbsp;&raquo;, sorte de rago&ucirc;t de coq, accommod&eacute; aux poireaux, qui ne m&eacute;ritait que des &eacute;loges.</p>
+
+<p>Le tout fut arros&eacute; d'une excellente ale, puis&eacute;e aux meilleurs brassins des fabriques d'&Eacute;dimbourg.</p>
+
+<p>Mais le plat principal consista en un &laquo;&nbsp;haggis&nbsp;&raquo;, pouding national, fait de viandes et de farine d'orge. Ce mets remarquable, qui inspira au po&egrave;te Burns l'une de ses meilleures odes, eut le sort r&eacute;serv&eacute; aux belles choses de ce monde&nbsp;: il passa comme un r&ecirc;ve.</p>
+
+<p>Madge re&ccedil;ut les sinc&egrave;res compliments de son h&ocirc;te.</p>
+
+<p>Le d&eacute;jeuner se termina par un dessert compos&eacute; de fromage et de &laquo;&nbsp;cakes&nbsp;&raquo;, g&acirc;teaux d'avoine, finement pr&eacute;par&eacute;s, accompagn&eacute;s de quelques petits verres &laquo;&nbsp;d'usquebaugh&nbsp;&raquo;, excellente eau-de-vie de grains, qui avait vingt-cinq ans, &mdash; juste l'&acirc;ge d'Harry.</p>
+
+<p>Ce repas dura une bonne heure. James Starr et Simon Ford n'avaient pas seulement bien mang&eacute;, ils avaient aussi bien caus&eacute;,&mdash; principalement du pass&eacute; de la vieille houill&egrave;re d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Harry, lui, &eacute;tait plut&ocirc;t rest&eacute; silencieux. Deux fois il avait quitt&eacute; la table et m&ecirc;me la maison. Il &eacute;tait &eacute;vident qu'il &eacute;prouvait quelque inqui&eacute;tude depuis l'incident de la pierre, et il voulait observer les alentours du cottage. La lettre anonyme n'&eacute;tait pas faite, non plus, pour le rassurer.</p>
+
+<p>Ce fut pendant une de ces sorties que l'ing&eacute;nieur dit &agrave; Simon Ford et Madge&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un brave gar&ccedil;on que vous avez l&agrave;, mes amis&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur James, un &ecirc;tre bon et d&eacute;vou&eacute;, r&eacute;pondit vivement le vieil overman.</p>
+
+<p>&mdash; Il se pla&icirc;t avec vous, au cottage&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Il ne voudrait pas nous quitter.</p>
+
+<p>&mdash; Vous songerez &agrave; le marier, cependant&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Marier Harry&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. Et &agrave; qui&nbsp;? A une fille de l&agrave;-haut, qui aimerait les f&ecirc;tes, la danse, qui pr&eacute;f&eacute;rerait son clan &agrave; notre houill&egrave;re&nbsp;! Harry n'en voudrait pas&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Simon, r&eacute;pondit Madge, tu n'exigeras pourtant pas que jamais notre Harry ne prenne femme...</p>
+
+<p>&mdash; Je n'exigerai rien, r&eacute;pondit le vieux mineur, mais cela ne presse pas&nbsp;! Qui sait si nous ne lui trouverons point...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry rentrait en ce moment, et Simon Ford se tut.</p>
+
+<p>Lorsque Madge se leva de table, tous l'imit&egrave;rent et vinrent s'asseoir un instant &agrave; la porte du cottage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh bien, Simon, dit l'ing&eacute;nieur, je vous &eacute;coute&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, je n'ai pas besoin de vos oreilles, mais de vos jambes. &mdash; Vous &ecirc;tes-vous bien repos&eacute;&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Bien repos&eacute; et bien refait, Simon. Je suis pr&ecirc;t &agrave; vous accompagner partout o&ugrave; il vous plaira.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, dit Simon Ford, en se retournant vers son fils, allume nos lampes de s&ucirc;ret&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Vous prenez des lampes de s&ucirc;ret&eacute;&nbsp;! s'&eacute;cria James Starr, assez surpris, puisque les explosions de grisou n'&eacute;taient plus &agrave; craindre dans une fosse absolument vide de charbon.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur James, par prudence&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; N'allez-vous pas aussi, mon brave Simon, me proposer de rev&ecirc;tir un habit de mineur&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pas encore, monsieur James&nbsp;! pas encore&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit le vieil overman, dont les yeux brillaient singuli&egrave;rement sous leurs profondes orbites.</p>
+
+<p>Harry, qui &eacute;tait rentr&eacute; dans le cottage, en ressortit presque aussit&ocirc;t, rapportant trois lampes de s&ucirc;ret&eacute;.</p>
+
+<p>Harry remit une de ces lampes &agrave; l'ing&eacute;nieur, l'autre &agrave; son p&egrave;re, et il garda la troisi&egrave;me suspendue &agrave; sa main gauche, pendant que sa main droite s'armait d'un long b&acirc;ton.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;En route&nbsp;! dit Simon Ford, qui prit un pic solide, d&eacute;pos&eacute; &agrave; la porte du cottage.</p>
+
+<p>&mdash; En route&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. &mdash; Au revoir Madge&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Dieu vous assiste&nbsp;! r&eacute;pondit l'&Eacute;cossaise.</p>
+
+<p>&mdash; Un bon souper, femme, tu entends, s'&eacute;cria Simon Ford. Nous aurons faim &agrave; notre retour, et nous lui ferons honneur&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>[1] Le sawney, c'est l'&Eacute;cossais, comme John Bull est l'Anglais, et Paddy l'Irlandais.</p>
+
+<p>[2] Stations baln&eacute;aires des environs d'&Eacute;dimbourg.</p>
+
+<center>
+<h4>VI</h4>
+
+<h4>Quelques ph&eacute;nom&egrave;nes inexplicables</h4>
+</center>
+
+<p>On sait ce que sont les croyances superstitieuses dans les hautes et basses terres de l'&Eacute;cosse. En certains clans, les tenanciers du laird, r&eacute;unis pour la veill&eacute;e, aiment &agrave; redire les contes emprunt&eacute;s au r&eacute;pertoire de la mythologie hyperbor&eacute;enne. L'instruction, quoique largement et lib&eacute;ralement r&eacute;pandue dans le pays, n'a pas pu r&eacute;duire encore &agrave; l'&eacute;tat de fictions ces l&eacute;gendes, qui semblent inh&eacute;rentes au sol m&ecirc;me de la vieille Cal&eacute;donie. C'est encore le pays des esprits et des revenants, des lutins et des f&eacute;es. L&agrave; apparaissent toujours le g&eacute;nie malfaisant qui ne s'&eacute;loigne que moyennant finances, le &laquo;&nbsp;Seer&nbsp;&raquo; des Highlanders, qui, par un don de seconde vue, pr&eacute;dit les morts prochaines, le &laquo;&nbsp;May Moullach&nbsp;&raquo;, qui se montre sous la forme d'une jeune fille aux bras velus et pr&eacute;vient les familles des malheurs dont elles sont menac&eacute;es, la f&eacute;e &laquo;&nbsp;Branshie&nbsp;&raquo;, qui annonce les &eacute;v&eacute;nements funestes, les &laquo;&nbsp;Brawnies&nbsp;&raquo;, auxquels est confi&eacute;e la garde du mobilier domestique, l'&laquo;&nbsp;Urisk&nbsp;&raquo;, qui fr&eacute;quente plus particuli&egrave;rement les gorges sauvages du lac Katrine, &mdash; et tant d'autres.</p>
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+<p>Il va de soi que la population des houill&egrave;res &eacute;cossaises devait fournir son contingent de l&eacute;gendes et de fables &agrave; ce r&eacute;pertoire mythologique. Si les montagnes des Hautes-Terres sont peupl&eacute;es d'&ecirc;tres chim&eacute;riques, bons ou mauvais, &agrave; plus forte raison les sombres houill&egrave;res devaient-elles &ecirc;tre hant&eacute;es jusque dans leurs derni&egrave;res profondeurs. Qui fait trembler le gisement pendant les nuits d'orage, qui met sur la trace du filon encore inexploit&eacute;, qui allume le grisou et pr&eacute;side aux explosions terribles, sinon quelque g&eacute;nie de la mine&nbsp;? C'&eacute;tait, du moins, l'opinion commun&eacute;ment r&eacute;pandue parmi ces superstitieux &Eacute;cossais. En v&eacute;rit&eacute;, la plupart des mineurs croyaient volontiers au fantastique, quand il ne s'agissait que de ph&eacute;nom&egrave;nes purement physiques, et on e&ucirc;t perdu son temps &agrave; vouloir les d&eacute;sabuser. O&ugrave; la cr&eacute;dulit&eacute; se f&ucirc;t-elle d&eacute;velopp&eacute;e plus librement qu'au fond de ces ab&icirc;mes&nbsp;?</p>
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+<p>Or, les houill&egrave;res d'Aberfoyle, pr&eacute;cis&eacute;ment parce qu'elles &eacute;taient exploit&eacute;es dans le pays des l&eacute;gendes, devaient se pr&ecirc;ter plus naturellement &agrave; tous les incidents du surnaturel.</p>
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+<p>Donc les l&eacute;gendes y abondaient. Il faut dire, d'ailleurs, que certains ph&eacute;nom&egrave;nes, inexpliqu&eacute;s jusqu'alors, ne pouvaient que fournir un nouvel aliment &agrave; la cr&eacute;dulit&eacute; publique.</p>
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+<p>Au premier rang des superstitieux de la fosse Dochart, figurait Jack Ryan, le camarade d'Harry. C'&eacute;tait le plus grand partisan du surnaturel qui f&ucirc;t. Toutes ces fantastiques histoires, il les transformait en chansons, qui lui valaient de beaux succ&egrave;s pendant les veill&eacute;es d'hiver.</p>
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+<p>Mais Jack Ryan n'&eacute;tait pas le seul &agrave; faire montre de sa cr&eacute;dulit&eacute;. Ses camarades affirmaient, non moins hautement, que les fosses d'Aberfoyle &eacute;taient hant&eacute;es, que certains &ecirc;tres insaisissables y apparaissaient fr&eacute;quemment, comme cela arrivait dans les Hautes-Terres. A les entendre, ce qui m&ecirc;me aurait &eacute;t&eacute; extraordinaire, c'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; qu'il n'en f&ucirc;t pas ainsi. Est-il donc, en effet, un milieu mieux dispos&eacute; qu'une sombre et profonde houill&egrave;re pour les &eacute;bats des g&eacute;nies, des lutins, des follets et autres acteurs des drames fantastiques&nbsp;? Le d&eacute;cor &eacute;tait tout dress&eacute;, pourquoi les personnages surnaturels n'y seraient pas venus jouer leur r&ocirc;le&nbsp;?</p>
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+<p>Ainsi raisonnaient Jack Ryan et ses camarades des houill&egrave;res d'Aberfoyle. On a dit que les diff&eacute;rentes fosses communiquaient entre elles par les longues galeries souterraines, m&eacute;nag&eacute;es entre les filons. Il existait ainsi sous le comt&eacute; de Stirling un &eacute;norme massif, sillonn&eacute; de tunnels, trou&eacute; de caves, for&eacute; de puits, une sorte d'hypog&eacute;e, de labyrinthe subterran&eacute;, qui offrait l'aspect d'une vaste fourmili&egrave;re.</p>
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+<p>Les mineurs des divers fonds se rencontraient donc souvent, soit lorsqu'ils se rendaient sur les travaux d'exploitation, soit lorsqu'ils en revenaient. De l&agrave;, une facilit&eacute; constante d'&eacute;changer des propos et de faire circuler d'une fosse &agrave; l'autre les histoires qui tiraient leur origine de la houill&egrave;re. Les r&eacute;cits se transmettaient ainsi avec une rapidit&eacute; merveilleuse, passant de bouche en bouche et s'accroissant comme il convient.</p>
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+<p>Cependant, deux hommes plus instruits et de temp&eacute;rament plus positif que les autres, avaient toujours r&eacute;sist&eacute; &agrave; cet entra&icirc;nement. Ils n'admettaient &agrave; aucun degr&eacute; l'intervention des lutins, des g&eacute;nies ou des f&eacute;es.</p>
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+<p>C'&eacute;taient Simon Ford et son fils. Et ils le prouv&egrave;rent bien en continuant d'habiter la sombre crypte, apr&egrave;s l'abandon de la fosse Dochart. Peut-&ecirc;tre la bonne Madge avait-elle quelque penchant au surnaturel, comme toute &Eacute;cossaise des Hautes-Terres. Mais ces histoires d'apparitions, elle &eacute;tait r&eacute;duite &agrave; se les raconter &agrave; elle-m&ecirc;me, &mdash; ce qu'elle faisait consciencieusement, d'ailleurs, pour ne point perdre les vieilles traditions.</p>
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+<p>Simon et Harry Ford eussent-ils &eacute;t&eacute; aussi cr&eacute;dules que leurs camarades, ils n'auraient abandonn&eacute; la houill&egrave;re ni aux g&eacute;nies, ni aux f&eacute;es. L'espoir de d&eacute;couvrir un nouveau filon leur e&ucirc;t fait braver toute la fantastique cohorte des lutins. Ils n'&eacute;taient cr&eacute;dules, ils n'&eacute;taient croyants que sur un point&nbsp;: ils ne pouvaient admettre que le gisement carbonif&egrave;re d'Aberfoyle f&ucirc;t totalement &eacute;puis&eacute;. On peut dire, avec quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient &agrave; ce sujet &laquo;&nbsp;la foi du charbonnier&nbsp;&raquo;, cette foi en Dieu que rien ne peut &eacute;branler.</p>
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+<p>C'est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstin&eacute;s, immuables dans leurs convictions, le p&egrave;re et le fils prenaient leur pic, leur b&acirc;ton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux, cherchant, t&acirc;tant la roche d'un coup sec, &eacute;coutant si elle rendait un son favorable.</p>
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+<p>Tant que les sondages n'auraient pas &eacute;t&eacute; pouss&eacute;s jusqu'au granit du terrain primaire, Simon et Harry Ford &eacute;taient d'accord que la recherche, inutile aujourd'hui, pouvait &ecirc;tre utile demain, et qu'elle devait &ecirc;tre reprise. Leur vie enti&egrave;re, ils la passeraient &agrave; essayer de rendre &agrave; la houill&egrave;re d'Aberfoyle son ancienne prosp&eacute;rit&eacute;. Si le p&egrave;re devait succomber avant l'heure de la r&eacute;ussite, le fils reprendrait la t&acirc;che &agrave; lui seul.</p>
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+<p>En m&ecirc;me temps, ces deux gardiens passionn&eacute;s de la houill&egrave;re la visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s'assuraient de la solidit&eacute; des remblais et des vo&ucirc;tes. Ils recherchaient si un &eacute;boulement &eacute;tait &agrave; craindre, et s'il devenait urgent de condamner quelque partie de la fosse. Ils examinaient les traces d'infiltration des eaux sup&eacute;rieures, ils les d&eacute;rivaient, ils les canalisaient pour les envoyer &agrave; quelque puisard. Enfin, ils s'&eacute;taient volontairement constitu&eacute;s les protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel &eacute;taient sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fum&eacute;es&nbsp;!</p>
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+<p>Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu'il arriva &agrave; Harry, plus particuli&egrave;rement, d'&ecirc;tre frapp&eacute; de certains ph&eacute;nom&egrave;nes, dont il cherchait en vain l'explication.</p>
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+<p>Ainsi, plusieurs fois, lorsqu'il suivait quelque &eacute;troite contre galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues &agrave; ceux qu'auraient pu produire de violents coups de pic, frapp&eacute;s sur la paroi remblay&eacute;e.</p>
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+<p>Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer, avait press&eacute; le pas pour surprendre la cause de ce myst&eacute;rieux travail.</p>
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+<p>Le tunnel &eacute;tait d&eacute;sert. La lampe du jeune mineur, promen&eacute;e sur la paroi, n'avait laiss&eacute; voir aucune trace r&eacute;cente de coups de pince ou de pic. Harry se demandait donc s'il n'&eacute;tait pas le jouet d'une illusion d'acoustique, de quelque bizarre ou fantasque &eacute;cho.</p>
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+<p>D'autres fois, en projetant subitement une vive lumi&egrave;re vers une anfractuosit&eacute; suspecte, il avait cru voir passer une ombre. Il s'&eacute;tait &eacute;lanc&eacute;... Rien, alors m&ecirc;me qu'aucune issue n'e&ucirc;t permis &agrave; un &ecirc;tre humain de se d&eacute;rober &agrave; sa poursuite&nbsp;!</p>
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+<p>A deux reprises depuis un mois, Harry, visitant la partie ouest de la fosse, entendit distinctement des d&eacute;tonations lointaines, comme si quelque mineur e&ucirc;t fait &eacute;clater une cartouche de dynamite.</p>
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+<p>La derni&egrave;re fois, apr&egrave;s de minutieuses recherches, il avait reconnu qu'un pilier venait d'&ecirc;tre &eacute;ventr&eacute; par un coup de mine.</p>
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+<p>A la clart&eacute; de sa lampe, Harry examina attentivement la paroi attaqu&eacute;e par la mine. Elle n'&eacute;tait point faite d'un simple remblayage de pierres, mais d'un pan de schiste, qui avait p&eacute;n&eacute;tr&eacute; &agrave; cette profondeur dans l'&eacute;tage du gisement houiller. Le coup de mine avait-il eu pour objet de provoquer la d&eacute;couverte d'un nouveau filon&nbsp;? N'avait-on voulu que produire un &eacute;boulement de cette portion de la houill&egrave;re&nbsp;? C'est ce que se demanda Harry, et, quand il fit conna&icirc;tre ce fait &agrave; son p&egrave;re, ni le vieil overman, ni lui ne purent r&eacute;soudre la question d'une fa&ccedil;on satisfaisante.</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;C'est singulier, r&eacute;p&eacute;tait souvent Harry. La pr&eacute;sence dans la mine d'un &ecirc;tre inconnu semble impossible, et, cependant, elle ne peut &ecirc;tre mise en doute&nbsp;! Un autre que nous voudrait-il donc chercher s'il n'existe pas encore quelque veine exploitable&nbsp;? Ou plut&ocirc;t, ne tenterait-il pas d'an&eacute;antir ce qui reste des houill&egrave;res d'Aberfoyle&nbsp;? Mais dans quel but&nbsp;? Je le saurai, quand il devrait m'en co&ucirc;ter la vie&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>Quinze jours avant cette journ&eacute;e, pendant laquelle Harry Ford guidait l'ing&eacute;nieur &agrave; travers le d&eacute;dale de la fosse Dochart, il s'&eacute;tait vu sur le point d'atteindre le but de ses recherches.</p>
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+<p>Il parcourait l'extr&eacute;mit&eacute; du sud-ouest de la houill&egrave;re, un puissant fanal &agrave; la main.</p>
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+<p>Tout &agrave; coup, il lui sembla qu'une lumi&egrave;re venait de s'&eacute;teindre, &agrave; quelques centaines de pieds devant lui, au fond d'une &eacute;troite chemin&eacute;e, qui coupait obliquement le massif. Il se pr&eacute;cipita vers la lueur suspecte...</p>
+
+<p>Recherche inutile. Comme Harry n'admettait pas pour les choses physiques d'explication surnaturelle, il en conclut que, certainement, un &ecirc;tre inconnu r&ocirc;dait dans la fosse. Mais, quoi qu'il f&icirc;t, cherchant avec le plus extr&ecirc;me soin, scrutant les moindres anfractuosit&eacute;s de la galerie, il en fut pour sa peine, et ne put arriver &agrave; une certitude quelconque.</p>
+
+<p>Harry s'en remit donc au hasard pour lui d&eacute;voiler ce myst&egrave;re. De loin en loin, il vit encore appara&icirc;tre des lueurs qui voltigeaient d'un point &agrave; l'autre comme des feux de Saint-Elme; mais leur apparition n'avait que la dur&eacute;e d'un &eacute;clair et il fallut renoncer &agrave; en d&eacute;couvrir la cause.</p>
+
+<p>Si Jack Ryan et les autres superstitieux de la houill&egrave;re eussent aper&ccedil;u ces flammes fantastiques, ils n'auraient certainement pas manqu&eacute; de crier au surnaturel&nbsp;!.</p>
+
+<p>Mais Harry n'y songeait m&ecirc;me pas. Le vieux Simon non plus. Et lorsque tous deux causaient de ces ph&eacute;nom&egrave;nes, dus &eacute;videmment &agrave; une cause purement physique&nbsp;:</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondait le vieil overman, attendons&nbsp;! Tout cela s'expliquera quelque jour&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>Toutefois, il faut observer que jamais, jusqu'alors, ni Harry, ni son p&egrave;re n'avaient &eacute;t&eacute; en butte &agrave; un acte de violence.</p>
+
+<p>Si la pierre, tomb&eacute;e ce jour m&ecirc;me aux pieds de James Starr, avait &eacute;t&eacute; lanc&eacute;e par la main d'un malfaiteur, c'&eacute;tait le premier acte criminel de ce genre.</p>
+
+<p>James Starr, interrog&eacute;, fut d'avis que cette pierre s'&eacute;tait d&eacute;tach&eacute;e de la vo&ucirc;te de la galerie. Mais Harry n'admit pas une explication si simple. La pierre, suivant lui, n'&eacute;tait pas tomb&eacute;e, elle avait &eacute;t&eacute; lanc&eacute;e. A moins de rebondir, elle n'e&ucirc;t jamais d&eacute;crit une trajectoire, si elle n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; mue par une impulsion &eacute;trang&egrave;re.</p>
+
+<p>Harry voyait donc l&agrave; une tentative directe contre lui et son p&egrave;re, ou m&ecirc;me contre l'ing&eacute;nieur. Apr&egrave;s ce qu'on sait, peut-&ecirc;tre conviendra-t-on qu'il &eacute;tait fond&eacute; &agrave; le croire.</p>
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+<p><br>
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+<h4>VII</h4>
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+<h4>Une exp&eacute;rience de Simon Ford</h4>
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+<p>Midi sonnait &agrave; la vieille horloge de bois de la salle, lorsque James Starr et ses deux compagnons quitt&egrave;rent le cottage.</p>
+
+<p>La lumi&egrave;re, p&eacute;n&eacute;trant &agrave; travers le puits d'a&eacute;ration, &eacute;clairait vaguement la clairi&egrave;re. La lampe d'Harry e&ucirc;t &eacute;t&eacute; inutile alors, mais elle ne devait pas tarder &agrave; servir, car c'&eacute;tait vers l'extr&eacute;mit&eacute; m&ecirc;me de la fosse Dochart que le vieil overman allait conduire l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s avoir suivi sur un espace de deux milles la galerie principale, les trois explorateurs &mdash; on verra qu'il s'agissait d'une exploration &mdash; arriv&egrave;rent &agrave; l'orifice d'un &eacute;troit tunnel. C'&eacute;tait comme une contre-nef dont la vo&ucirc;te reposait sur un boisage, tapiss&eacute; d'une mousse blanch&acirc;tre. Elle suivait &agrave; peu pr&egrave;s la ligne que tra&ccedil;ait, &agrave; quinze cents pieds au-dessus, le haut cours du Forth.</p>
+
+<p>Pour le cas o&ugrave; James Starr e&ucirc;t &eacute;t&eacute; moins familiaris&eacute; qu'autrefois avec le d&eacute;dale de la fosse Dochart, Simon Ford lui rappelait les dispositions du plan g&eacute;n&eacute;ral, en les comparant au trac&eacute; g&eacute;ographique du sol.</p>
+
+<p>James Starr et Simon Ford marchaient donc en causant.</p>
+
+<p>En avant, Harry &eacute;clairait la route. Il cherchait, en projetant brusquement de vifs &eacute;clats lumineux vers les sombres anfractuosit&eacute;s, &agrave; d&eacute;couvrir quelque ombre suspecte.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Irons-nous loin ainsi, vieux Simon&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Encore un demi-mille, monsieur James&nbsp;! Autrefois, nous aurions fait cette route en berline, sur les tramways &agrave; traction m&eacute;canique&nbsp;! Mais que ces temps sont loin&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Nous nous dirigeons donc vers l'extr&eacute;mit&eacute; du dernier filon&nbsp;? demanda James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Oui.&nbsp;! Je vois que vous connaissez encore bien la mine.</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, il serait difficile d'aller plus loin, si je ne me trompe&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; En effet, monsieur James. C'est l&agrave; que nos rivelaines ont arrach&eacute; le dernier morceau de houille du gisement&nbsp;! Je me le rappelle comme si j'y &eacute;tais encore&nbsp;! C'est moi qui ai donn&eacute; ce dernier coup, et il a retenti dans ma poitrine plus violemment que sur la roche&nbsp;! Tout n'&eacute;tait plus que gr&egrave;s ou schiste autour de nous, et, quand le wagonnet a roul&eacute; vers le puits d'extraction, je l'ai suivi, le c&oelig;ur &eacute;mu, comme on suit un convoi de pauvre&nbsp;! Il me semblait que c'&eacute;tait l'&acirc;me de la mine qui s'en allait avec lui&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La gravit&eacute; avec laquelle le vieil overman pronon&ccedil;a ces paroles impressionna l'ing&eacute;nieur, bien pr&egrave;s de partager de tels sentiments. Ce sont ceux du marin qui abandonne son navire d&eacute;sempar&eacute;, ceux du laird qui voit abattre la maison de ses anc&ecirc;tres&nbsp;!</p>
+
+<p>James Starr avait serr&eacute; la main de Simon Ford. Mais, &agrave; son tour, celui-ci venait de prendre la main de l'ing&eacute;nieur, et la pressant fortement&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce jour-l&agrave;, nous nous &eacute;tions tous tromp&eacute;s, dit-il. Non&nbsp;! La vieille houill&egrave;re n'&eacute;tait pas morte&nbsp;! Ce n'&eacute;tait pas un cadavre que les mineurs allaient abandonner, et j'oserais affirmer, monsieur James, que son c&oelig;ur bat encore&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Parlez donc, Simon&nbsp;! vous avez d&eacute;couvert un nouveau filon&nbsp;? s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, qui ne fut pas ma&icirc;tre de lui. Je le savais bien&nbsp;! votre lettre ne pouvait signifier autre chose&nbsp;! Une communication &agrave; me faire, et cela dans la fosse Dochart&nbsp;! Et quelle autre d&eacute;couverte que celle d'une couche carbonif&egrave;re aurait pu m'int&eacute;resser&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, je n'ai pas voulu pr&eacute;venir un autre que vous...</p>
+
+<p>&mdash; Et vous avez bien fait, Simon&nbsp;! Mais dites-moi comment, par quels sondages, vous vous &ecirc;tes assur&eacute;&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;coutez-moi, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford. Ce n'est pas un gisement que j'ai retrouv&eacute;...</p>
+
+<p>&mdash; Qu'est-ce donc&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; C'est seulement la preuve mat&eacute;rielle que ce gisement existe.</p>
+
+<p>&mdash; Et cette preuve&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pouvez-vous admettre qu'il se d&eacute;gage du grisou des entrailles du sol, si la houille n'est pas l&agrave; pour le produire&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, certes&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Pas de charbon, pas de grisou&nbsp;! Il n'y a pas d'effets sans cause...</p>
+
+<p>&mdash; Comme il n'y a pas de fum&eacute;e sans feu&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et vous avez constat&eacute;, &agrave; nouveau, la pr&eacute;sence de l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute;&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Un vieux mineur ne s'y laisserait pas prendre, r&eacute;pondit Simon Ford. J'ai reconnu l&agrave; notre vieil ennemi, le grisou&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais si c'&eacute;tait un autre gaz&nbsp;! dit James Starr. Le grisou est presque sans odeur, il est sans couleur&nbsp;! Il ne trahit v&eacute;ritablement sa pr&eacute;sence que par l'explosion&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, voulez-vous me permettre de vous raconter ce que j'ai fait... et comment je l'ai fait... &agrave; ma fa&ccedil;on, en excusant les longueurs&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr connaissait le vieil overman, et savait que le mieux &eacute;tait de le laisser aller.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, reprit Simon Ford, depuis dix ans, il ne s'est pas pass&eacute; un jour sans qu'Harry et moi, nous ayons song&eacute; &agrave; rendre &agrave; la houill&egrave;re son ancienne prosp&eacute;rit&eacute;, &mdash; non, pas un jour&nbsp;! S'il existait encore quelque gisement, nous &eacute;tions d&eacute;cid&eacute;s &agrave; le d&eacute;couvrir. Quels moyens employer&nbsp;? Les sondages&nbsp;? Cela ne nous &eacute;tait pas possible, mais nous avions l'instinct du mineur, et souvent on va plus droit au but par l'instinct que par la raison. &mdash; Du moins, c'est mon id&eacute;e...</p>
+
+<p>&mdash; Que je ne contredis pas, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Or, voici ce qu'Harry avait une ou deux fois observ&eacute; pendant ses excursions dans l'ouest de la houill&egrave;re. Des feux, qui s'&eacute;teignaient soudain, apparaissaient quelquefois &agrave; travers le schiste ou le remblai des galeries extr&ecirc;mes. Par quelle cause ces feux s'allumaient-ils&nbsp;? Je ne pouvais et je ne puis le dire encore. Mais enfin, ces feux n'&eacute;taient &eacute;videmment dus qu'&agrave; la pr&eacute;sence du grisou, et, pour moi, le grisou, c'&eacute;tait le filon de houille.</p>
+
+<p>&mdash; Ces feux ne produisaient aucune explosion&nbsp;? demanda vivement l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Si, de petites explosions partielles, r&eacute;pondit Simon Ford, et telles que j'en provoquai moi-m&ecirc;me, lorsque je voulus constater la pr&eacute;sence de ce grisou, vous vous souvenez de quelle mani&egrave;re on cherchait autrefois &agrave; pr&eacute;venir les explosions dans les mines, avant que notre bon g&eacute;nie, Humphry Davy, e&ucirc;t invent&eacute; sa lampe de s&ucirc;ret&eacute;&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, r&eacute;pondit James Starr. vous voulez parler du &laquo;&nbsp;p&eacute;nitent&nbsp;&raquo;&nbsp;? Mais je ne l'ai jamais vu dans l'exercice de ses fonctions.</p>
+
+<p>&mdash; En effet, monsieur James, vous &ecirc;tes trop jeune, malgr&eacute; vos cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus que vous, j'ai vu fonctionner le dernier p&eacute;nitent de la houill&egrave;re. On l'appelait ainsi parce qu'il portait une grande robe de moine. Son nom vrai &eacute;tait le &laquo;&nbsp;fireman&nbsp;&raquo;, l'homme du feu. A cette &eacute;poque, on n'avait d'autre moyen de d&eacute;truire le mauvais gaz qu'en le d&eacute;composant par de petites explosions, avant que sa l&eacute;g&egrave;ret&eacute; l'e&ucirc;t amass&eacute; en trop grandes quantit&eacute;s dans les hauteurs des galeries. C'est pourquoi le p&eacute;nitent, la face masqu&eacute;e, la t&ecirc;te encapuchonn&eacute;e dans son &eacute;paisse cagoule, tout le corps &eacute;troitement serr&eacute; dans sa robe de bure, allait en rampant sur le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l'air &eacute;tait pur, et, de sa main droite, il promenait, en l'&eacute;levant au-dessus de sa t&ecirc;te, une torche enflamm&eacute;e. Lorsque le grisou se trouvait r&eacute;pandu dans l'air de mani&egrave;re &agrave; former un m&eacute;lange d&eacute;tonant, l'explosion se produisait sans &ecirc;tre funeste, et, en renouvelant souvent cette op&eacute;ration, on parvenait &agrave; pr&eacute;venir les catastrophes. Quelquefois, le p&eacute;nitent, frapp&eacute; d'un coup de grisou, mourait &agrave; la peine. Un autre le rempla&ccedil;ait. Ce fut ainsi jusqu'au moment o&ugrave; la lampe de Davy fut adopt&eacute;e dans toutes les houill&egrave;res. Mais je connaissais le proc&eacute;d&eacute;, et c'est en l'employant que j'ai reconnu la pr&eacute;sence du grisou, et, par cons&eacute;quent, celle d'un nouveau gisement carbonif&egrave;re dans la fosse Dochart.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tout ce que le vieil overman avait racont&eacute; du p&eacute;nitent &eacute;tait rigoureusement exact. C'est ainsi que l'on proc&eacute;dait autrefois dans les houill&egrave;res pour purifier l'air des galeries.</p>
+
+<p>Le grisou, autrement dit l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; ou gaz des marais, incolore, presque inodore, ayant un pouvoir peu &eacute;clairant, est absolument impropre &agrave; la respiration. Le mineur ne saurait vivre dans un milieu rempli de ce gaz malfaisant, &mdash; pas plus qu'on ne pourrait vivre au milieu d'un gazom&egrave;tre plein de gaz d'&eacute;clairage. En outre, de m&ecirc;me que celui-ci, qui est de l'hydrog&egrave;ne bicarbon&eacute;, le grisou forme un m&eacute;lange d&eacute;tonant, d&egrave;s que l'air y entre dans une proportion de huit et peut-&ecirc;tre m&ecirc;me de cinq pour cent. L'inflammation de ce m&eacute;lange se fait-elle par une cause quelconque, il y a explosion, presque toujours suivie d'&eacute;pouvantables catastrophes.</p>
+
+<p>C'est &agrave; ce danger que pare l'appareil de Davy, en isolant la flamme des lampes dans un tube de toile m&eacute;tallique, qui br&ucirc;le le gaz &agrave; l'int&eacute;rieur du tube, sans jamais laisser l'inflammation se propager au-dehors. Cette lampe de s&ucirc;ret&eacute; a &eacute;t&eacute; perfectionn&eacute;e de vingt fa&ccedil;ons. Si elle vient &agrave; se briser, elle s'&eacute;teint. Si, malgr&eacute; les d&eacute;fenses formelles, le mineur veut l'ouvrir, elle s'&eacute;teint encore. Pourquoi donc les explosions se produisent-elles&nbsp;? C'est que rien ne peut obvier &agrave; l'imprudence d'un ouvrier qui veut quand m&ecirc;me allumer sa pipe, ni au choc de l'outil qui peut produire une &eacute;tincelle.</p>
+
+<p>Toutes les houill&egrave;res ne sont pas infect&eacute;es par le grisou. Dans celles o&ugrave; il ne s'en produit pas, on autorise l'emploi de la lampe ordinaire. Telle est, entre autres, la fosse Thiers, aux mines d'Anzin. Mais, lorsque la houille du gisement exploit&eacute; est grasse, elle renferme une certaine quantit&eacute; de mati&egrave;res volatiles, et le grisou peut s'&eacute;chapper avec une grande abondance. La lampe de s&ucirc;ret&eacute; seule est combin&eacute;e de mani&egrave;re &agrave; emp&ecirc;cher des explosions d'autant plus terribles, que les mineurs qui n'ont pas &eacute;t&eacute; directement atteints par le coup de grisou, courent risque d'&ecirc;tre instantan&eacute;ment asphyxi&eacute;s dans les galeries remplies du gaz d&eacute;l&eacute;t&egrave;re, form&eacute; apr&egrave;s l'inflammation, c'est-&agrave;-dire d'acide carbonique.</p>
+
+<p>Tout en marchant, Simon Ford apprit &agrave; l'ing&eacute;nieur ce qu'il avait fait pour atteindre son but, comment il s'&eacute;tait assur&eacute; que le d&eacute;gagement du grisou se faisait au fond m&ecirc;me de l'extr&ecirc;me galerie de la fosse, dans sa portion occidentale, de quelle fa&ccedil;on il avait provoqu&eacute; &agrave; l'affleurement des feuillets de schistes quelques explosions partielles, ou plut&ocirc;t certaines inflammations, qui ne laissaient aucun doute sur la nature du gaz, dont la fuite s'op&eacute;rait &agrave; petite dose, mais d'une mani&egrave;re permanente.</p>
+
+<p>Une heure apr&egrave;s avoir quitt&eacute; le cottage, James Starr et ses deux compagnons avaient franchi une distance de quatre milles. L'ing&eacute;nieur, entra&icirc;n&eacute; par le d&eacute;sir et l'espoir, venait de faire ce trajet sans aucunement songer &agrave; sa longueur. Il r&eacute;fl&eacute;chissait &agrave; tout ce que lui disait le vieux mineur. Il pesait, mentalement, les arguments que celui-ci donnait en faveur de sa th&egrave;se. Il croyait, avec lui, que cette &eacute;mission continue d'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; indiquait, avec certitude, l'existence d'un nouveau gisement carbonif&egrave;re. Si ce n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; qu'une sorte de poche, pleine de gaz, comme il s'en rencontre quelquefois entre les feuillets, elle se f&ucirc;t promptement vid&eacute;e, et le ph&eacute;nom&egrave;ne e&ucirc;t cess&eacute; de se produire. Mais loin de l&agrave;. Au dire de Simon Ford, l'hydrog&egrave;ne se d&eacute;gageait sans cesse, et l'on en pouvait conclure &agrave; l'existence de quelque important filon. Cons&eacute;quemment, les richesses de la fosse Dochart pouvaient n'&ecirc;tre pas enti&egrave;rement &eacute;puis&eacute;es. Toutefois, s'agissait-il d'une couche dont le rendement serait peu consid&eacute;rable, ou d'un gisement occupant un large &eacute;tage du terrain houiller&nbsp;? c'&eacute;tait l&agrave;, v&eacute;ritablement, la grosse question.</p>
+
+<p>Harry, qui pr&eacute;c&eacute;dait son p&egrave;re et l'ing&eacute;nieur, s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nous voici arriv&eacute;s&nbsp;! s'&eacute;cria le vieux mineur. Enfin, gr&acirc;ce &agrave; Dieu, monsieur James, vous &ecirc;tes l&agrave;, et nous allons savoir...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La voix si ferme du vieil overman tremblait l&eacute;g&egrave;rement.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mon brave Simon, lui dit l'ing&eacute;nieur, calmez-vous&nbsp;! Je suis aussi &eacute;mu que vous l'&ecirc;tes, mais il ne faut pas perdre de temps&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A cet endroit, l'extr&ecirc;me galerie de la fosse formait en s'&eacute;vasant une sorte de caverne obscure. Aucun puits n'avait &eacute;t&eacute; fonc&eacute; dans cette portion du massif, et la galerie, profond&eacute;ment ouverte dans les entrailles du sol, &eacute;tait sans communication directe avec la surface du comt&eacute; de Stirling.</p>
+
+<p>James Starr, vivement int&eacute;ress&eacute;, examinait d'un &oelig;il grave l'endroit o&ugrave; il se trouvait.</p>
+
+<p>On voyait encore sur la paroi terminale de cette caverne la marque des derniers coups de pic, et m&ecirc;me quelques trous de cartouches, qui avaient provoqu&eacute; l'&eacute;clatement de la roche, vers la fin de l'exploitation. Cette mati&egrave;re schisteuse &eacute;tait extr&ecirc;mement dure, et il n'avait pas &eacute;t&eacute; n&eacute;cessaire de remblayer les assises de ce cul-de-sac, au fond duquel les travaux avaient d&ucirc; s'arr&ecirc;ter. L&agrave;, en effet, venait mourir le filon carbonif&egrave;re, entre les schistes et les gr&egrave;s du terrain tertiaire. L&agrave;, &agrave; cette place m&ecirc;me, avait &eacute;t&eacute; extrait le dernier morceau de combustible de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est ici, monsieur James, dit Simon Ford en soulevant son pic, c'est ici que nous attaquerons la faille, car, derri&egrave;re cette paroi, &agrave; une profondeur plus ou moins consid&eacute;rable, se trouve assur&eacute;ment le nouveau filon dont j'affirme l'existence.</p>
+
+<p>&mdash; Et c'est &agrave; la surface de ces roches, demanda James Starr, que vous avez constat&eacute; la pr&eacute;sence du grisou&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; L&agrave; m&ecirc;me, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, et j'ai pu l'allumer rien qu'en approchant ma lampe, &agrave; l'affleurement des feuillets. Harry l'a fait comme moi.</p>
+
+<p>&mdash; A quelle hauteur&nbsp;? demanda James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; A dix pieds au-dessus du sol&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>James Starr s'&eacute;tait assis sur une roche. On e&ucirc;t dit que, apr&egrave;s avoir hum&eacute; l'air de la caverne, il regardait les deux mineurs, comme s'il se f&ucirc;t pris &agrave; douter de leurs paroles, si affirmatives cependant.</p>
+
+<p>C'est que, en effet, l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; n'est pas compl&egrave;tement inodore, et l'ing&eacute;nieur &eacute;tait tout d'abord &eacute;tonn&eacute; que son odorat, qu'il avait tr&egrave;s fin, ne lui e&ucirc;t pas r&eacute;v&eacute;l&eacute; la pr&eacute;sence du gaz explosif. En tout cas, si ce gaz &eacute;tait m&ecirc;l&eacute; &agrave; l'air ambiant, ce n'&eacute;tait qu'&agrave; bien faible dose. Donc, pas d'explosion &agrave; craindre, et l'on pouvait sans danger ouvrir la lampe de s&ucirc;ret&eacute; pour tenter l'exp&eacute;rience, ainsi que le vieux mineur l'avait d&eacute;j&agrave; fait.</p>
+
+<p>Ce qui inqui&eacute;tait James Starr en ce moment, ce n'&eacute;tait donc pas qu'il y e&ucirc;t trop de gaz m&eacute;lang&eacute; &agrave; l'air, c'&eacute;tait qu'il n'y en e&ucirc;t pas assez, &mdash; et m&ecirc;me pas du tout.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Se seraient-ils tromp&eacute;s&nbsp;? murmura-t-il. Non&nbsp;! Ce sont des hommes qui s'y connaissent&nbsp;! Et pourtant&nbsp;!...&nbsp;&raquo; Il attendait donc, non sans une certaine anxi&eacute;t&eacute;, que le ph&eacute;nom&egrave;ne signal&eacute; par Simon Ford s'accompl&icirc;t en sa pr&eacute;sence. Mais, &agrave; ce moment, il para&icirc;t que ce qu'il venait d'observer, c'est-&agrave;-dire cette absence de l'odeur caract&eacute;ristique du grisou, avait &eacute;t&eacute; aussi remarqu&eacute;e par Harry, car celui-ci, d'une voix alt&eacute;r&eacute;e, dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;P&egrave;re, il semble que la fuite du gaz ne se fait plus &agrave; travers les feuillets de schiste&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ne se fait plus&nbsp;!&nbsp;:..&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria le vieux mineur.</p>
+
+<p>Et Simon Ford, apr&egrave;s avoir herm&eacute;tiquement serr&eacute; ses l&egrave;vres, aspira fortement du nez, &agrave; plusieurs reprises.</p>
+
+<p>Puis, tout d'un coup, et d'un mouvement brusque&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Donne ta lampe, Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit-il.</p>
+
+<p>Simon Ford prit la lampe d'une main qui s'agitait f&eacute;brilement. Il d&eacute;vissa l'enveloppe de toile m&eacute;tallique qui entourait la m&egrave;che, et la flamme br&ucirc;la &agrave; l'air libre.</p>
+
+<p>Ainsi qu'on s'y attendait, il ne se produisit aucune explosion; mais, ce qui &eacute;tait plus grave, il ne se fit pas m&ecirc;me ce l&eacute;ger gr&eacute;sillement, qui indique la pr&eacute;sence du grisou &agrave; faible dose.</p>
+
+<p>Simon Ford prit le b&acirc;ton que tenait Harry, et, fixant la lampe &agrave; son extr&eacute;mit&eacute;, il l'&eacute;leva dans les couches d'air sup&eacute;rieures, l&agrave; o&ugrave; le gaz, en raison de sa l&eacute;g&egrave;ret&eacute; sp&eacute;cifique, aurait d&ucirc; plut&ocirc;t s'accumuler, en si minime quantit&eacute; que ce f&ucirc;t.</p>
+
+<p>La flamme de la lampe, droite et blanche, ne d&eacute;cela aucune trace d'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;A la paroi&nbsp;! dit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Simon Ford, en portant la lampe sur cette partie de la paroi &agrave; travers laquelle son fils et lui avaient, la veille encore, constat&eacute; la fuite du gaz.</p>
+
+<p>Le bras du vieux mineur tremblait, tandis qu'il essayait de promener la lampe &agrave; la hauteur des fissures du feuillet de schiste.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Remplace-moi, Harry&nbsp;&raquo;, dit-il.</p>
+
+<p>Harry prit le b&acirc;ton et pr&eacute;senta successivement la lampe aux divers points de la paroi o&ugrave; les feuillets semblaient se d&eacute;doubler... mais il secouait la t&ecirc;te, car ce l&eacute;ger craquement, particulier au grisou qui s'&eacute;chappe, n'arrivait pas &agrave; son oreille.</p>
+
+<p>L'inflammation ne se fit pas. Il &eacute;tait donc &eacute;vident qu'aucune mol&eacute;cule de gaz ne fusait &agrave; travers la paroi.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Rien&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Simon Ford, dont le poing se tendit sous une impression de col&egrave;re plut&ocirc;t que de d&eacute;sappointement.</p>
+
+<p>Un cri s'&eacute;chappa alors de la bouche d'Harry.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'as-tu&nbsp;? demanda vivement James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; On a bouch&eacute; les fissures du schiste&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Dis-tu vrai&nbsp;? s'&eacute;cria le vieux mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Regardez, p&egrave;re&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry ne s'&eacute;tait pas tromp&eacute;. L'obturation des fissures &eacute;tait nettement visible &agrave; la lumi&egrave;re de la lampe. Un lutage, r&eacute;cemment pratiqu&eacute; et fait &agrave; la chaux, laissait voir sur la paroi une longue trace blanch&acirc;tre, mal dissimul&eacute;e sous une couche de poussi&egrave;re de charbon.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Lui&nbsp;! s'&eacute;cria Hardy. Ce ne peut &ecirc;tre que lui&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Lui&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! r&eacute;pondit le jeune homme, cet &ecirc;tre myst&eacute;rieux qui hante notre domaine, celui que j'ai cent fois guett&eacute; sans pouvoir l'atteindre, l'auteur, d&egrave;s &agrave; pr&eacute;sent certain, de cette lettre qui voulait vous emp&ecirc;cher de venir au rendez-vous que vous donnait mon p&egrave;re, monsieur Starr, celui, enfin, qui nous a lanc&eacute; cette pierre dans la galerie du puits Yarow&nbsp;! Ah&nbsp;! aucun doute n'est plus possible&nbsp;! La main d'un homme est dans tout cela&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry avait parl&eacute; avec une telle &eacute;nergie, que sa conviction passa instantan&eacute;ment et tout enti&egrave;re dans l'esprit de l'ing&eacute;nieur. Quant au vieil overman, il n'&eacute;tait plus &agrave; convaincre. D'ailleurs, on se trouvait en pr&eacute;sence d'un fait ind&eacute;niable&nbsp;: l'obturation des fissures &agrave; travers lesquelles le gaz s'&eacute;chappait librement la veille.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Prends ton pic, Harry, s'&eacute;cria Simon Ford. Monte sur mes &eacute;paules, mon gar&ccedil;on&nbsp;! Je suis assez solide encore pour te porter&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry avait compris. Son p&egrave;re s'accota &agrave; la paroi. Harry s'&eacute;leva sur ses &eacute;paules, de mani&egrave;re que son pic p&ucirc;t atteindre la trace suffisamment visible du lutage. Puis, &agrave; coups redoubl&eacute;s, il entama la partie de roche schisteuse que ce lutage recouvrait.</p>
+
+<p>Aussit&ocirc;t un l&eacute;ger p&eacute;tillement se produisit, semblable &agrave; celui que fait le vin de Champagne lorsqu'il s'&eacute;chappe d'une bouteille,&mdash; bruit qui, dans les houill&egrave;res anglaises, est connu sous le nom onomatopique de &laquo;&nbsp;puff&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>Harry saisit alors sa lampe, et il l'approcha de la fissure...</p>
+
+<p>Une l&eacute;g&egrave;re d&eacute;tonation se fit entendre, et une petite flamme rouge, un peu bleu&acirc;tre &agrave; son contour, voltigea sur la paroi, comme e&ucirc;t fait un follet de feu Saint-Elme.</p>
+
+<p>Harry sauta aussit&ocirc;t &agrave; terre, et le vieil overman, ne pouvant contenir sa joie, saisit les mains de l'ing&eacute;nieur, en s'&eacute;criant&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hurrah&nbsp;! hurrah&nbsp;! hurrah&nbsp;! monsieur James&nbsp;! Le grisou br&ucirc;le&nbsp;! Donc, le filon est l&agrave;&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>VIII</h4>
+
+<h4>Un coup de dynamite</h4>
+</center>
+
+<p>L'experience annonc&eacute;e par le vieil overman avait r&eacute;ussi. L'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute;, on le sait, ne se d&eacute;veloppe que dans les gisements houillers. Donc, l'existence d'un filon du pr&eacute;cieux combustible ne pouvait &ecirc;tre mise en doute. Quelles &eacute;taient son importance et sa qualit&eacute;&nbsp;? on les d&eacute;terminerait plus tard.</p>
+
+<p>Telles furent les cons&eacute;quences que l'ing&eacute;nieur d&eacute;duisit du ph&eacute;nom&egrave;ne qu'il venait d'observer. Elles &eacute;taient en tout conformes &agrave; celles qu'en avait d&eacute;j&agrave; tir&eacute;es Simon Ford.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Oui, se dit James Starr, derri&egrave;re cette paroi s'&eacute;tend une couche carbonif&egrave;re que nos sondages n'ont pas su atteindre&nbsp;! Cela est f&acirc;cheux, puisque tout l'outillage de la mine abandonn&eacute;e depuis dix ans, est maintenant &agrave; refaire&nbsp;! N'importe&nbsp;! Nous avons retrouv&eacute; la veine que l'on croyait &eacute;puis&eacute;e, et, cette fois, nous l'exploiterons jusqu'au bout&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, monsieur James, demanda Simon Ford, que pensez-vous de notre d&eacute;couverte&nbsp;? Ai-je eu tort de vous d&eacute;ranger&nbsp;? Regrettez-vous cette derni&egrave;re visite faite &agrave; la fosse Dochart&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, non, mon vieux compagnon&nbsp;! r&eacute;pondit James Starr. Nous n'avons pas perdu notre temps, mais nous le perdrions maintenant, si nous ne retournions imm&eacute;diatement au cottage. Demain, nous reviendrons ici. Nous ferons &eacute;clater cette paroi &agrave; coups de dynamite. Nous mettrons au jour l'affleurement du nouveau filon, et, apr&egrave;s une s&eacute;rie de sondages, si la couche para&icirc;t &ecirc;tre importante, je reconstituerai une Soci&eacute;t&eacute; de la Nouvelle Aberfoyle, &agrave; l'extr&ecirc;me satisfaction des anciens actionnaires&nbsp;! Avant trois mois, il faut que les premi&egrave;res bennes de houille aient &eacute;t&eacute; extraites du nouveau gisement&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien parl&eacute;, monsieur James&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. La vieille houill&egrave;re va donc rajeunir, comme une veuve qui se remarie&nbsp;! L'animation des anciens jours recommencera avec les coups de pioche, les coups de pic, les coups de mine, le roulement des wagons, le hennissement des chevaux, le grincement des bennes, le grondement des machines&nbsp;! Je reverrai donc tout cela, moi&nbsp;! J'esp&egrave;re, monsieur James, que vous ne me trouverez pas trop vieux pour reprendre mes fonctions d'overman&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, brave Simon, non, certes&nbsp;! vous &ecirc;tes rest&eacute; plus jeune que moi, mon vieux camarade&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et, que saint Mungo nous prot&egrave;ge&nbsp;! vous serez encore notre &laquo;&nbsp;viewer&nbsp;&raquo;&nbsp;! Puisse la nouvelle exploitation durer de longues ann&eacute;es, et fasse le Ciel que j'aie la consolation de mourir sans en avoir vu la fin&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La joie du vieux mineur d&eacute;bordait. James Starr la partageait tout enti&egrave;re, mais il laissait Simon Ford s'enthousiasmer pour deux.</p>
+
+<p>Seul, Harry demeurait pensif. Dans son souvenir reparaissait la succession des circonstances singuli&egrave;res, inexplicables, au milieu desquelles s'&eacute;tait op&eacute;r&eacute;e la d&eacute;couverte du nouveau gisement. Cela ne laissait pas de l'inqui&eacute;ter pour l'avenir.</p>
+
+<p>Une heure apr&egrave;s, James Starr et ses deux compagnons &eacute;taient de retour au cottage.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur soupa avec grand app&eacute;tit, approuvant du geste tous les plans que d&eacute;veloppait le vieil overman, et, n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; son imp&eacute;rieux d&eacute;sir d'&ecirc;tre au lendemain, jamais il n'aurait mieux dormi que dans ce calme absolu du cottage.</p>
+
+<p>Le lendemain, apr&egrave;s un d&eacute;jeuner substantiel, James Starr, Simon Ford, Harry et Madge elle-m&ecirc;me reprenaient le chemin d&eacute;j&agrave; parcouru la veille. Tous allaient l&agrave; en v&eacute;ritables mineurs. Ils emportaient divers outils et des cartouches de dynamite, destin&eacute;es &agrave; faire sauter la paroi terminale. Harry, en m&ecirc;me temps qu'un puissant fanal, prit une grosse lampe de s&ucirc;ret&eacute; qui pouvait br&ucirc;ler pendant douze heures. C'&eacute;tait plus qu'il ne fallait pour op&eacute;rer le voyage d'aller et de retour, en y comprenant les haltes n&eacute;cessaires &agrave; l'exploration, &mdash; si une exploration devenait possible.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;A l'&oelig;uvre&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Simon, lorsque ses compagnons et lui furent arriv&eacute;s &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la galerie.</p>
+
+<p>Et sa main saisit une lourde pince qu'elle brandit avec vigueur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un instant, dit alors James Starr. Observons si aucun changement ne s'est produit et si le grisou fuse toujours &agrave; travers les feuillets de la paroi.</p>
+
+<p>&mdash; Vous avez raison, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry. Ce qui &eacute;tait bouch&eacute; hier pourrait bien l'&ecirc;tre encore aujourd'hui&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Madge, assise sur une roche, observait attentivement l'excavation et la muraille qu'il s'agissait d'&eacute;ventrer.</p>
+
+<p>Il fut constat&eacute; que les choses &eacute;taient telles qu'on les avait laiss&eacute;es. Les fissures des feuillets n'avaient subi aucune alt&eacute;ration. L'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; fusait au travers, mais assez faiblement. Cela tenait sans doute &agrave; ce que, depuis la veille, il trouvait un libre passage pour s'&eacute;pancher. Toutefois, cette &eacute;mission &eacute;tait si peu importante, qu'elle ne pouvait former avec l'air int&eacute;rieur un m&eacute;lange d&eacute;tonant. James Starr et ses compagnons allaient donc pouvoir proc&eacute;der en toute s&eacute;curit&eacute;. D'ailleurs, cet air se purifierait peu &agrave; peu, en gagnant les hautes couches de la fosse Dochart, et le grisou, perdu dans toute cette atmosph&egrave;re, ne pourrait plus produire aucune explosion.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;A l'&oelig;uvre, donc&nbsp;!&nbsp;&raquo; reprit Simon Ford.</p>
+
+<p>Et bient&ocirc;t, sous sa pince, vigoureusement mani&eacute;e, la roche ne tarda pas &agrave; voler en &eacute;clats.</p>
+
+<p>Cette faille se composait principalement de poudingues, interpos&eacute;s entre le gr&egrave;s et le schiste, tels qu'il s'en rencontre le plus souvent &agrave; l'affleurement des filons carbonif&egrave;res.</p>
+
+<p>James Starr ramassait les morceaux que l'outil abattait, et il les examinait avec soin, esp&eacute;rant y d&eacute;couvrir quelque indice de charbon.</p>
+
+<p>Ce premier travail dura environ une heure. Il en r&eacute;sulta un &eacute;videment assez profond dans la paroi terminale.</p>
+
+<p>James Starr choisit alors l'emplacement o&ugrave; devaient &ecirc;tre for&eacute;s les trous de mine, travail qui s'accomplit rapidement sous la main d'Harry avec le fleuret et la massette. Des cartouches de dynamite furent introduites dans ces trous. D&egrave;s qu'on y eut plac&eacute; la longue m&egrave;che goudronn&eacute;e d'une fus&eacute;e de s&ucirc;ret&eacute;, qui aboutissait &agrave; une capsule de fulminate, elle fut allum&eacute;e au ras du sol. James Starr et ses compagnons se mirent &agrave; l'&eacute;cart.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ah&nbsp;! monsieur James, dit Simon Ford, en proie &agrave; une v&eacute;ritable &eacute;motion qu'il ne cherchait pas &agrave; dissimuler, jamais, non, jamais mon vieux c&oelig;ur n'a battu si vite&nbsp;! Je voudrais d&eacute;j&agrave; attaquer le filon&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Patience, Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, vous n'avez pas la pr&eacute;tention de trouver derri&egrave;re cette paroi une galerie tout ouverte&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Excusez-moi, monsieur James, r&eacute;pondit le vieil overman. J'ai toutes les pr&eacute;tentions possibles&nbsp;! S'il y a eu bonne chance dans la mani&egrave;re dont Harry et moi nous avons d&eacute;couvert ce g&icirc;te, pourquoi cette chance ne continuerait-elle pas jusqu'au bout&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'explosion de la dynamite se produisit. Un roulement sourd se propagea &agrave; travers le r&eacute;seau des galeries souterraines.</p>
+
+<p>James Starr, Madge, Harry et Simon Ford revinrent aussit&ocirc;t vers la paroi de la caverne.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur James&nbsp;! monsieur James&nbsp;! s'&eacute;cria le vieil overman. voyez&nbsp;! La porte est enfonc&eacute;e&nbsp;!...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cette comparaison de Simon Ford &eacute;tait justifi&eacute;e par l'apparition d'une excavation, dont on ne pouvait estimer la profondeur.</p>
+
+<p>Harry allait s'&eacute;lancer par l'ouverture...</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur, extr&ecirc;mement surpris, d'ailleurs, de trouver l&agrave; cette cavit&eacute;, retint le jeune mineur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Laisse le temps &agrave; l'air int&eacute;rieur de se purifier, dit-il.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! gare aux mofettes&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Simon Ford.</p>
+
+<p>Un quart d'heure se passa dans une anxieuse attente. Le fanal, plac&eacute; au bout d'un b&acirc;ton, fut alors introduit dans l'excavation et continua de br&ucirc;ler avec un inalt&eacute;rable &eacute;clat.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Va donc, Harry, dit James Starr, nous te suivrons.&nbsp;&raquo; L'ouverture produite par la dynamite &eacute;tait plus que suffisante pour qu'un homme p&ucirc;t y passer.</p>
+
+<p>Harry, le fanal &agrave; la main, s'y introduisit sans h&eacute;siter et disparut dans les t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>James Starr, Simon Ford et Madge, immobiles, attendaient.</p>
+
+<p>Une minute &mdash; qui leur parut bien longue &mdash; s'&eacute;coula. Harry ne reparaissait pas, il n'appelait pas. En s'approchant de l'orifice, James Starr n'aper&ccedil;ut m&ecirc;me plus la lueur de sa lampe, qui aurait d&ucirc; &eacute;clairer cette sombre cavit&eacute;.</p>
+
+<p>Le sol avait-il donc manqu&eacute; subitement sous les pieds d'Harry&nbsp;? Le jeune mineur &eacute;tait-il tomb&eacute; dans quelque anfractuosit&eacute;&nbsp;? Sa voix ne pouvait-elle plus arriver jusqu'&agrave; ses compagnons&nbsp;?</p>
+
+<p>Le vieil overman, ne voulant rien &eacute;couter, allait s'introduire &agrave; son tour par l'orifice, lorsque parut une lueur, vague d'abord, qui se renfor&ccedil;a peu &agrave; peu, et Harry fit entendre ces paroles&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Venez, monsieur Starr&nbsp;! venez, mon p&egrave;re&nbsp;! La route est libre dans la Nouvelle-Aberfoyle.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>IX</h4>
+
+<h4>La Nouvelle-Aberfoyle</h4>
+</center>
+
+<p>Si, par quelque puissance surhumaine, des ing&eacute;nieurs eussent pu enlever d'un bloc et sur une &eacute;paisseur de mille pieds toute cette portion de la cro&ucirc;te terrestre qui supporte cet ensemble de lacs, de fleuves, de golfes et les territoires riverains des comt&eacute;s de Stirling, de Dumbarton et de Renfrew, ils auraient trouv&eacute;, sous cet &eacute;norme couvercle, une excavation immense, et telle qu'il n'en existait qu'une autre au monde qui p&ucirc;t lui &ecirc;tre compar&eacute;e, &mdash; la c&eacute;l&egrave;bre grotte de Mammouth, dans le Kentucky.</p>
+
+<p>Cette excavation se composait de plusieurs centaines d'alv&eacute;oles, de toutes formes et de toutes grandeurs. On e&ucirc;t dit une ruche, avec ses nombreux &eacute;tages de cellules, capricieusement dispos&eacute;es, mais une ruche construite sur une vaste &eacute;chelle, et qui, au lieu d'abeilles, e&ucirc;t suffi &agrave; loger tous les ichthyosaures, les m&eacute;gath&eacute;riums, et les pt&eacute;rodactyles de l'&eacute;poque g&eacute;ologique&nbsp;!</p>
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+<p>Un labyrinthe de galeries, les unes plus &eacute;lev&eacute;es que les plus hautes vo&ucirc;tes des cath&eacute;drales, les autres semblables &agrave; des contrenefs, r&eacute;tr&eacute;cies et tortueuses, celles-ci suivant la ligne horizontale, celles-l&agrave; remontant ou descendant obliquement en toutes directions, &mdash; r&eacute;unissaient ces cavit&eacute;s et laissaient libre communication entre elles.</p>
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+<p>Les piliers qui soutenaient ces vo&ucirc;tes, dont la courbe admettait tous les styles, les &eacute;paisses murailles, solidement assises entre les galeries, les nefs elles-m&ecirc;mes, dans cet &eacute;tage des terrains secondaires, &eacute;taient faits de gr&egrave;s et de roches schisteuses. Mais, entre ces couches inutilisables, et puissamment press&eacute;es par elles, couraient d'admirables veines de charbon, comme si le sang noir de cette &eacute;trange houill&egrave;re e&ucirc;t circul&eacute; &agrave; travers leur inextricable r&eacute;seau. Ces gisements se d&eacute;veloppaient sur une &eacute;tendue de quarante milles du nord au sud, et ils s'enfon&ccedil;aient m&ecirc;me sous le canal du Nord. L'importance de ce bassin n'aurait pu &ecirc;tre &eacute;valu&eacute;e qu'apr&egrave;s sondages, mais elle devait d&eacute;passer celle des couches carbonif&egrave;res de Cardiff, dans le pays de Galles, et des gisements de Newcastle, dans le comt&eacute; de Northumberland.</p>
+
+<p>Il faut ajouter que l'exploitation de cette houill&egrave;re allait &ecirc;tre singuli&egrave;rement facilit&eacute;e, puisque, par une disposition bizarre des terrains secondaires, par un inexplicable retrait des mati&egrave;res min&eacute;rales &agrave; l'&eacute;poque g&eacute;ologique o&ugrave; ce massif se solidifiait, la nature avait d&eacute;j&agrave; multipli&eacute; les galeries et les tunnels de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
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+<p>Oui, la nature seule&nbsp;! On aurait pu croire, tout d'abord, &agrave; la d&eacute;couverte de quelque exploitation abandonn&eacute;e depuis des si&egrave;cles. Il n'en &eacute;tait rien. On ne d&eacute;laisse pas de telles richesses. Les termites humains n'avaient jamais rong&eacute; cette portion du sous-sol de l'&Eacute;cosse, et c'&eacute;tait la nature qui avait ainsi fait les choses. Mais, on le r&eacute;p&egrave;te, nul hypog&eacute;e de l'&eacute;poque &eacute;gyptienne, nulle catacombe de l'&eacute;poque romaine, n'auraient pu lui &ecirc;tre compar&eacute;s, &mdash; si ce n'est les c&eacute;l&egrave;bres grottes de Mammouth, qui, sur une longueur de plus de vingt milles, comptent deux cent vingt-six avenues, onze lacs, sept rivi&egrave;res, huit cataractes, trente-deux puits insondables et cinquante-sept d&ocirc;mes, dont quelques-uns sont suspendus &agrave; plus de quatre cent cinquante pieds de hauteur.</p>
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+<p>Ainsi que ces grottes, la Nouvelle-Aberfoyle &eacute;tait, non l'&oelig;uvre des hommes, mais l'&oelig;uvre du Cr&eacute;ateur.</p>
+
+<p>Tel &eacute;tait ce nouveau domaine, d'une incomparable richesse, dont la d&eacute;couverte appartenait en propre au vieil overman. Dix ans de s&eacute;jour dans l'ancienne houill&egrave;re, une rare persistance de recherches, une foi absolue, soutenue par un merveilleux instinct de mineur, il lui avait fallu toutes ces conditions r&eacute;unies pour r&eacute;ussir, l&agrave; o&ugrave; tant d'autres auraient &eacute;chou&eacute;. Pourquoi les sondages, pratiqu&eacute;s sous la direction de James Starr, pendant les derni&egrave;res ann&eacute;es d'exploitation, s'&eacute;taient-ils pr&eacute;cis&eacute;ment arr&ecirc;t&eacute;s &agrave; cette limite, sur la fronti&egrave;re m&ecirc;me de la nouvelle mine&nbsp;? cela &eacute;tait d&ucirc; au hasard, dont la part est grande dans les recherches de ce genre.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, il y avait l&agrave;, dans le sous-sol &eacute;cossais, une sorte de comt&eacute; souterrain, auquel il ne manquait, pour &ecirc;tre habitable, que les rayons du soleil, ou, &agrave; son d&eacute;faut, la clart&eacute; d'un astre sp&eacute;cial.</p>
+
+<p>L'eau y &eacute;tait localis&eacute;e dans certaines d&eacute;pressions, formant de vastes &eacute;tangs, ou m&ecirc;me des lacs plus grands que le lac Katrine, situ&eacute; pr&eacute;cis&eacute;ment au-dessus. Sans doute, ces lacs n'avaient pas le mouvement des eaux, les courants, le ressac. Ils ne refl&eacute;taient pas la silhouette de quelque vieux ch&acirc;teau gothique. Ni les bouleaux ni les ch&ecirc;nes ne se penchaient sur leurs rives, les montagnes n'allongeaient pas de grandes ombres &agrave; leur surface, les steamboats ne les sillonnaient pas, aucune lumi&egrave;re ne se r&eacute;verb&eacute;rait dans leurs eaux, le soleil ne les impr&eacute;gnait pas de ses rayons &eacute;clatants, la lune ne se levait jamais sur leur horizon. Et pourtant, ces lacs profonds, dont la brise ne ridait pas le miroir, n'auraient pas &eacute;t&eacute; sans charme, &agrave; la lumi&egrave;re de quelque astre &eacute;lectrique, et, r&eacute;unis par un lacet de canaux, ils compl&eacute;taient bien la g&eacute;ographie de cet &eacute;trange domaine.</p>
+
+<p>Quoiqu'il f&ucirc;t impropre &agrave; toute production v&eacute;g&eacute;tale, ce sous-sol e&ucirc;t, cependant, pu servir de demeure &agrave; toute une population. Et qui sait si, dans ces milieux &agrave; temp&eacute;rature constante, au fond de ces houill&egrave;res d'Aberfoyle, aussi bien que dans celles de Newcastle, d'Alloa ou de Cardiff, lorsque leurs gisements seront &eacute;puis&eacute;s, &mdash; qui sait si la classe pauvre du Royaume-Uni ne trouvera pas refuge quelque jour&nbsp;?</p>
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+<h4>X</h4>
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+<h4>Aller et retour</h4>
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+<p>A la voix d'Harry, James Starr, Madge et Simon Ford s'&eacute;taient introduits par l'&eacute;troit orifice qui mettait en communication la fosse Dochart avec la nouvelle houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Ils se trouvaient alors &agrave; la naissance d'une galerie assez large. On aurait pu croire qu'elle avait &eacute;t&eacute; perc&eacute;e de main d'homme, que le pic et la pioche l'avaient &eacute;vid&eacute;e pour l'exploitation d'un nouveau gisement. Les explorateurs devaient se demander si, par un singulier hasard, ils n'avaient pas &eacute;t&eacute; transport&eacute;s dans quelque ancienne houill&egrave;re, dont les plus vieux mineurs du comt&eacute; n'auraient jamais connu l'existence.</p>
+
+<p>Non&nbsp;! C'&eacute;taient les couches g&eacute;ologiques qui avaient &laquo;&nbsp;&eacute;pargn&eacute;&nbsp;&raquo; cette galerie, &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; se faisait le tassement des terrains secondaires. Peut-&ecirc;tre quelque torrent l'avait-il parcourue autrefois, lorsque les eaux sup&eacute;rieures allaient se m&eacute;langer aux v&eacute;g&eacute;taux enlis&eacute;s; mais, maintenant, elle &eacute;tait aussi s&egrave;che que si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; for&eacute;e, quelque mille pieds plus bas, dans l'&eacute;tage des roches granito&iuml;des. En m&ecirc;me temps, l'air y circulait avec aisance, &mdash; ce qui indiquait que certains &laquo;&nbsp;&eacute;ventoirs&nbsp;&raquo; naturels la mettaient en communication avec l'atmosph&egrave;re ext&eacute;rieure.</p>
+
+<p>Cette observation, qui fut faite par l'ing&eacute;nieur, &eacute;tait juste, et l'on sentait que l'a&eacute;ration s'op&eacute;rait facilement dans la nouvelle mine. Quant &agrave; ce grisou qui fusait nagu&egrave;re &agrave; travers les schistes de la paroi, il semblait qu'il n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; contenu que dans une simple &laquo;&nbsp;poche&nbsp;&raquo;, vide maintenant, et il &eacute;tait certain que l'atmosph&egrave;re de la galerie n'en conservait pas la moindre trace. Cependant, et par pr&eacute;caution, Harry n'avait emport&eacute; que la lampe de s&ucirc;ret&eacute;, qui lui assurait un &eacute;clairage de douze heures.</p>
+
+<p>James Starr et ses compagnons &eacute;prouvaient alors une joie compl&egrave;te. C'&eacute;tait l'enti&egrave;re satisfaction de leurs d&eacute;sirs. Autour d'eux, tout n'&eacute;tait que houille. Une certaine &eacute;motion les rendait silencieux. Simon Ford, lui-m&ecirc;me, se contenait. Sa joie d&eacute;bordait, non en longues phrases, mais par petites interjections.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait peut-&ecirc;tre imprudent, &agrave; eux, de s'engager si profond&eacute;ment dans la crypte. Bah&nbsp;! ils ne songeaient gu&egrave;re au retour. La galerie &eacute;tait praticable, peu sinueuse. Nulle crevasse n'en barrait le passage, nulle &laquo;&nbsp;pousse&nbsp;&raquo; n'y propageait d'exhalaisons malfaisantes. Il n'y avait donc aucune raison pour s'arr&ecirc;ter, et, pendant une heure, James Starr, Madge, Harry et Simon Ford all&egrave;rent ainsi, sans que rien p&ucirc;t leur indiquer quelle &eacute;tait l'exacte orientation de ce tunnel inconnu.</p>
+
+<p>Et, sans doute, ils auraient &eacute;t&eacute; plus loin encore, s'ils ne fussent arriv&eacute;s &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; m&ecirc;me de cette large voie qu'ils suivaient depuis leur entr&eacute;e dans la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>La galerie aboutissait &agrave; une &eacute;norme caverne, dont on ne pouvait estimer ni la hauteur, ni la profondeur. A quelle altitude s'arrondissait la vo&ucirc;te de cette excavation, &agrave; quelle distance se reculait sa paroi oppos&eacute;e&nbsp;? les t&eacute;n&egrave;bres qui l'emplissaient ne permettaient pas de le reconna&icirc;tre. Mais, &agrave; la lueur de la lampe, les explorateurs purent constater que son d&ocirc;me recouvrait une vaste &eacute;tendue d'eau dormante &mdash; &eacute;tang ou lac &mdash;, dont les rives pittoresques, accident&eacute;es de hautes roches, se perdaient dans l'obscurit&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Halte&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford, en s'arr&ecirc;tant brusquement. Un pas de plus, et nous roulions peut-&ecirc;tre dans quelque ab&icirc;me&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Reposons-nous donc, mes amis, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Aussi bien, il faudra songer &agrave; retourner au cottage.</p>
+
+<p>&mdash; Notre lampe peut nous &eacute;clairer pendant dix heures encore, monsieur Starr, dit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, faisons halte, reprit James Starr. J'avoue que mes jambes en ont besoin&nbsp;! &mdash; Et vous, Madge, est-ce que vous ne vous ressentez pas des fatigues d'une aussi longue course&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Mais pas trop, monsieur James, r&eacute;pondit la robuste &Eacute;cossaise. Nous avions l'habitude d'explorer pendant des journ&eacute;es enti&egrave;res l'ancienne houill&egrave;re d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>&mdash; Bah&nbsp;! ajouta Simon Ford, Madge ferait dix fois cette route, s'il le fallait&nbsp;! Mais j'insiste, monsieur James, ma communication valait-elle la peine de vous &ecirc;tre faite&nbsp;? Osez dire non, monsieur James, osez dire non&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! mon vieux compagnon, il y a longtemps que je n'ai ressenti une telle joie&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Le peu que nous avons explor&eacute; de cette merveilleuse houill&egrave;re semble indiquer que son &eacute;tendue est tr&egrave;s consid&eacute;rable, au moins en longueur.</p>
+
+<p>&mdash; En largeur et en profondeur aussi, monsieur James&nbsp;! r&eacute;pliqua Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; C'est ce que nous saurons plus tard.</p>
+
+<p>&mdash; Et moi, j'en r&eacute;ponds&nbsp;! Rapportez-vous-en &agrave; mon instinct de vieux mineur. Il ne m'a jamais tromp&eacute;&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je veux vous croire, Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur en souriant. Mais enfin, tel que j'en puis juger par cette courte exploration, nous poss&eacute;dons les &eacute;l&eacute;ments d'une exploitation qui durera des si&egrave;cles&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Des si&egrave;cles&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. Je le crois bien, monsieur James&nbsp;! Il se passera mille ans et plus, avant que le dernier morceau de charbon ait &eacute;t&eacute; extrait de notre nouvelle mine&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Dieu vous entende&nbsp;! r&eacute;pondit James Starr. Quant &agrave; la qualit&eacute; de la houille qui vient affleurer ces parois...</p>
+
+<p>&mdash; Superbe&nbsp;! monsieur James, superbe&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford. Voyez cela vous-m&ecirc;me&nbsp;!&nbsp;&raquo; Et, ce disant, il d&eacute;tacha d'un coup de pic un fragment de roche noire.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voyez&nbsp;! voyez&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta-t-il en l'approchant de sa lampe. Les surfaces de ce morceau de charbon sont luisantes&nbsp;! Nous aurons l&agrave; de la houille grasse, riche en mati&egrave;res bitumeuses&nbsp;! Et comme elle se d&eacute;taillera en gailleteries, presque sans poussi&egrave;re&nbsp;! Ah&nbsp;! monsieur James, il y a vingt ans, voici un gisement qui aurait fait une rude concurrence au Swansea et au Cardiff&nbsp;! Eh bien, les chauffeurs se le disputeront encore, et, s'il co&ucirc;te peu &agrave; extraire de la mine, il ne s'en vendra pas moins cher au-dehors&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, dit Madge, qui avait pris le fragment de houille et l'examinait en connaisseuse. C'est l&agrave; du charbon de bonne qualit&eacute;. &mdash; Emporte-le, Simon, emporte-le au cottage&nbsp;! Je veux que ce premier morceau de houille br&ucirc;le sous notre bouilloire&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien parl&eacute;, femme&nbsp;! r&eacute;pondit le vieil overman, et tu verras que je ne me suis pas tromp&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, demanda alors Harry, avez-vous quelque id&eacute;e de l'orientation probable de cette longue galerie que nous avons suivie depuis notre entr&eacute;e dans la nouvelle houill&egrave;re&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Avec une boussole, j'aurais peut-&ecirc;tre pu &eacute;tablir sa direction g&eacute;n&eacute;rale. Mais, sans boussole, je suis ici comme un marin en pleine mer, au milieu des brumes, lorsque l'absence de soleil ne lui permet pas de relever sa position.</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, monsieur James, r&eacute;pliqua Simon Ford, mais, je vous en prie, ne comparez pas notre position &agrave; celle du marin, qui a toujours et partout l'ab&icirc;me sous ses pieds&nbsp;! Nous sommes en terre ferme, ici, et nous n'avons pas &agrave; craindre de jamais sombrer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je ne vous ferai pas cette peine, vieux Simon, r&eacute;pondit James Starr. Loin de moi la pens&eacute;e de d&eacute;pr&eacute;cier la nouvelle houill&egrave;re d'Aberfoyle par une comparaison injuste&nbsp;! Je n'ai voulu dire qu'une chose, c'est que nous ne savons pas o&ugrave; nous sommes.</p>
+
+<p>&mdash; Nous sommes dans le sous-sol du comt&eacute; de Stirling, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, et cela, je l'affirme comme si...</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;coutez&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit Harry en interrompant le vieil overman.</p>
+
+<p>Tous pr&ecirc;t&egrave;rent l'oreille, ainsi que le faisait le jeune mineur. Le nerf auditif, tr&egrave;s exerc&eacute; chez lui, avait surpris un bruit sourd, comme e&ucirc;t &eacute;t&eacute; un murmure lointain. James Starr, Simon et Madge ne tard&egrave;rent pas &agrave; l'entendre eux-m&ecirc;mes. Il se produisait, dans les couches sup&eacute;rieures du massif, une sorte de roulement, dont on percevait distinctement le crescendo et le decrescendo successif, si faible qu'il f&ucirc;t.</p>
+
+<p>Tous quatre rest&egrave;rent pendant quelques minutes, l'oreille tendue, sans prof&eacute;rer une parole.</p>
+
+<p>Puis, tout &agrave; coup, Simon Ford de s'&eacute;crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! par saint Mungo&nbsp;! Est-ce que les wagonnets courent d&eacute;j&agrave; sur les rails de la nouvelle Aberfoyle&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; P&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, il me semble bien que c'est le bruit que font des eaux en roulant sur un littoral.</p>
+
+<p>&mdash; Nous ne sommes pourtant pas sous la mer&nbsp;! s'&eacute;cria le vieil overman.</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, mais il ne serait pas impossible que nous ne fussions sous le lit m&ecirc;me du lac Katrine.</p>
+
+<p>&mdash; Il faudrait donc que la vo&ucirc;te f&ucirc;t peu &eacute;paisse en cet endroit, puisque le bruit des eaux est perceptible&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Peu &eacute;paisse, en effet, r&eacute;pondit James Starr, et c'est ce qui fait que cette excavation est si vaste.</p>
+
+<p>&mdash; Vous devez avoir raison, monsieur Starr, dit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; En outre, il fait si mauvais temps au-dehors, reprit James Starr, que les eaux du lac doivent &ecirc;tre soulev&eacute;es comme celles du golfe de Forth.</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! qu'importe, apr&egrave;s tout, r&eacute;pondit Simon Ford. La couche carbonif&egrave;re n'en sera pas plus mauvaise pour se d&eacute;velopper au-dessous d'un lac&nbsp;! Ce ne serait pas la premi&egrave;re fois que l'on irait chercher la houille sous le lit m&ecirc;me de l'Oc&eacute;an&nbsp;! Quand nous devrions exploiter tout le fonds et le tr&eacute;fonds du canal du Nord, o&ugrave; serait le mal&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Bien dit, Simon, s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, qui ne put retenir un sourire en regardant l'enthousiaste overman. Poussons nos tranch&eacute;es sous les eaux de la mer&nbsp;! Trouons comme une &eacute;cumoire le lit de l'Atlantique&nbsp;! Allons rejoindre &agrave; coups de pioche nos fr&egrave;res des &Eacute;tats-Unis &agrave; travers le sous-sol de l'Oc&eacute;an&nbsp;! Fon&ccedil;ons jusqu'au centre du globe, s'il le faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Croyez-vous rire, monsieur James&nbsp;? demanda Simon Ford d'un air tant soit peu goguenard.</p>
+
+<p>&mdash; Moi, rire&nbsp;! vieux Simon&nbsp;! Non&nbsp;! Mais vous &ecirc;tes si enthousiaste, que vous m'entra&icirc;nez jusque dans l'impossible&nbsp;! Tenez, revenons &agrave; la r&eacute;alit&eacute;, qui est d&eacute;j&agrave; belle. Laissons l&agrave; nos pics, que nous retrouverons un autre jour, et reprenons le chemin du cottage&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il n'y avait pas autre chose &agrave; faire pour le moment. Plus tard, l'ing&eacute;nieur, accompagn&eacute; d'une brigade de mineurs et muni des lampes et ustensiles n&eacute;cessaires, reprendrait l'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle. Mais il &eacute;tait urgent de retourner &agrave; la fosse Dochart. La route &eacute;tait facile, d'ailleurs. La galerie courait presque droit &agrave; travers le massif jusqu'&agrave; l'orifice ouvert par la dynamite. Donc, nulle crainte de s'&eacute;garer.</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; James Starr se dirigeait vers la galerie, Simon Ford l'arr&ecirc;ta.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur James, lui dit-il, vous voyez cette caverne immense, ce lac souterrain qu'elle recouvre, cette gr&egrave;ve que les eaux viennent baigner &agrave; nos pieds&nbsp;? Eh bien, c'est ici que je veux transporter ma demeure, c'est ici que je me b&acirc;tirai un nouveau cottage, et, si quelques braves compagnons veulent suivre mon exemple, avant un an, on comptera un bourg de plus dans le massif de notre vieille Angleterre&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr, approuvant d'un sourire les projets de Simon Ford, lui serra la main, et tous trois, pr&eacute;c&eacute;dant Madge, s'enfonc&egrave;rent dans la galerie, afin de regagner la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Pendant le premier mille, aucun incident ne se produisit. Harry marchait en avant, &eacute;levant la lampe au-dessus de sa t&ecirc;te. Il suivait soigneusement la galerie principale, sans jamais s'&eacute;carter dans les tunnels &eacute;troits qui rayonnaient &agrave; droite et &agrave; gauche. Il semblait donc que le retour d&ucirc;t s'accomplir aussi facilement que l'aller, lorsqu'une f&acirc;cheuse complication survint, qui rendit fort grave la situation des explorateurs.</p>
+
+<p>En effet, &agrave; un moment o&ugrave; Harry levait sa lampe, un vif d&eacute;placement de l'air s'op&eacute;ra, comme s'il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; caus&eacute; par un battement d'ailes invisibles. La lampe, frapp&eacute;e de biais, s'&eacute;chappa des mains d'Harry, tomba sur le sol rocheux de la galerie et se brisa.</p>
+
+<p>James Starr et ses compagnons furent subitement plong&eacute;s dans une obscurit&eacute; absolue. Leur lampe, dont l'huile s'&eacute;tait r&eacute;pandue, ne pouvait plus servir.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh bien, Harry, s'&eacute;cria Simon Ford, veux-tu donc que nous nous rompions le cou en retournant au cottage&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry ne r&eacute;pondit pas. Il r&eacute;fl&eacute;chissait. Devait-il voir encore la main d'un &ecirc;tre myst&eacute;rieux dans ce dernier accident&nbsp;? Existait-il donc en ces profondeurs un ennemi dont l'inexplicable antagonisme pouvait cr&eacute;er, un jour, de s&eacute;rieuses difficult&eacute;s&nbsp;? Quelqu'un avait-il int&eacute;r&ecirc;t &agrave; d&eacute;fendre le nouveau g&icirc;te carbonif&egrave;re contre toute tentative d'exploitation&nbsp;? En v&eacute;rit&eacute;, cela &eacute;tait absurde, mais les faits parlaient d'eux-m&ecirc;mes, et ils s'accumulaient de mani&egrave;re &agrave; changer de simples pr&eacute;somptions en certitudes.</p>
+
+<p>En attendant, la situation des explorateurs &eacute;tait assez mauvaise. Il leur fallait, au milieu de profondes t&eacute;n&egrave;bres, suivre pendant environ cinq milles la galerie qui conduisait &agrave; la fosse Dochart. Puis, ils auraient encore une heure de route avant d'avoir atteint le cottage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Continuons, dit Simon Ford. Nous n'avons pas un instant &agrave; perdre. Nous marcherons en t&acirc;tonnant, comme des aveugles. Il n'est pas possible de s'&eacute;garer. Les tunnels qui s'ouvrent sur notre chemin ne sont que de v&eacute;ritables boyaux de taupini&egrave;res, et, en suivant la galerie principale, nous arriverons in&eacute;vitablement &agrave; l'orifice qui nous a livr&eacute; passage. Ensuite, c'est la vieille houill&egrave;re. Nous la connaissons, et ce ne sera pas la premi&egrave;re fois qu'Harry ou moi nous nous y serons trouv&eacute;s dans l'obscurit&eacute;. D'ailleurs, nous retrouverons l&agrave; les lampes que nous avons laiss&eacute;es. En route, donc&nbsp;! &mdash; Harry, prends la t&ecirc;te. Monsieur James, suivez-le. Madge, tu viendras apr&egrave;s, et moi, je fermerai la marche. Ne nous s&eacute;parons pas surtout, et qu'on se sente les talons, sinon les coudes&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il n'y avait qu'&agrave; se conformer aux instructions du vieil overman. Comme il le disait, en t&acirc;tonnant on ne pouvait gu&egrave;re se tromper de route. Il fallait seulement remplacer les yeux par les mains, et se fier &agrave; cet instinct qui, chez Simon Ford et son fils, &eacute;tait devenu une seconde nature.</p>
+
+<p>Donc, James Starr et ses compagnons march&egrave;rent dans l'ordre indiqu&eacute;. Ils ne parlaient pas, mais ce n'&eacute;tait pas faute de penser. Il devenait &eacute;vident qu'ils avaient un adversaire. Mais quel &eacute;tait-il, et comment se d&eacute;fendre de ces attaques si myst&eacute;rieusement pr&eacute;par&eacute;es&nbsp;? Ces id&eacute;es assez inqui&eacute;tantes affluaient &agrave; leur cerveau. Cependant, ce n'&eacute;tait pas le moment de se d&eacute;courager.</p>
+
+<p>Harry, les bras &eacute;tendus, s'avan&ccedil;ait d'un pas assur&eacute;. Il allait successivement d'une paroi &agrave; l'autre de la galerie. Une anfractuosit&eacute;, un orifice lat&eacute;ral se pr&eacute;sentaient-ils, il reconnaissait &agrave; la main qu'il ne fallait pas s'y engager, soit que l'anfractuosit&eacute; f&ucirc;t peu profonde, soit que l'orifice f&ucirc;t trop &eacute;troit, et il se maintenait ainsi dans le droit chemin.</p>
+
+<p>Au milieu d'une obscurit&eacute; &agrave; laquelle les yeux ne pouvaient se faire, puisqu'elle &eacute;tait absolue, ce difficile retour dura deux heures environ. En supputant le temps &eacute;coul&eacute;, en tenant compte de ce que la marche n'avait pu &ecirc;tre rapide, James Starr estimait que ses compagnons et lui devaient &ecirc;tre bien pr&egrave;s de l'issue.</p>
+
+<p>En effet, presque aussit&ocirc;t, Harry s'arr&ecirc;ta.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Sommes-nous enfin arriv&eacute;s &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la galerie&nbsp;? demanda Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, r&eacute;pondit le jeune mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, tu dois retrouver l'orifice qui &eacute;tablit la communication entre la Nouvelle-Aberfoyle et la fosse Dochart&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry, dont les mains crisp&eacute;es ne rencontraient que la surface pleine d'une paroi.</p>
+
+<p>Le vieil overman fit quelques pas en avant, et vint palper lui m&ecirc;me la roche schisteuse.</p>
+
+<p>Un cri lui &eacute;chappa.</p>
+
+<p>Ou les explorateurs s'&eacute;taient &eacute;gar&eacute;s pendant le retour, ou l'&eacute;troit orifice, creus&eacute; dans la paroi par la dynamite, avait &eacute;t&eacute; bouch&eacute; r&eacute;cemment&nbsp;!</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, James Starr et ses compagnons &eacute;taient emprisonn&eacute;s dans la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!</p>
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+<p><br>
+</p>
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+<center>
+<h4>XI</h4>
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+<h4>Les Dames de feu</h4>
+</center>
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+<p>Huit jours apr&egrave;s ces &eacute;v&eacute;nements, les amis de James Starr &eacute;taient fort inquiets. L'ing&eacute;nieur avait disparu sans qu'aucun motif p&ucirc;t &ecirc;tre all&eacute;gu&eacute; &agrave; cette disparition. On avait appris, en interrogeant son domestique, qu'il s'&eacute;tait embarqu&eacute; &agrave; Grantonpier, et on savait par le capitaine du steam-boat <i>Prince de Galles</i> qu'il avait d&eacute;barqu&eacute; &agrave; Stirling. Mais, depuis ce moment, plus de traces de James Starr. La lettre de Simon Ford lui avait recommand&eacute; le secret, et il n'avait rien dit de son d&eacute;part pour les houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Donc, &agrave; &Eacute;dimbourg, il ne fut plus question que de l'absence inexplicable de l'ing&eacute;nieur. Sir W. Elphiston, le pr&eacute;sident de &laquo;&nbsp;Royal Institution&nbsp;&raquo;, communiqua &agrave; ses coll&egrave;gues la lettre que lui avait adress&eacute;e James Starr, en s'excusant de ne pouvoir assister &agrave; la prochaine s&eacute;ance de la Soci&eacute;t&eacute;. Deux ou trois autres personnes produisirent aussi des lettres analogues. Mais, si ces documents prouvaient que James Starr avait quitt&eacute; &Eacute;dimbourg &mdash; ce que l'on savait de reste &mdash;, rien n'indiquait ce qu'il &eacute;tait devenu. Or, de la part d'un tel homme, cette absence, en dehors de ses habitudes, devait surprendre d'abord, inqui&eacute;ter ensuite, puisqu'elle se prolongeait.</p>
+
+<p>Aucun des amis de l'ing&eacute;nieur n'aurait pu supposer qu'il se f&ucirc;t rendu aux houill&egrave;res d'Aberfoyle. On savait qu'il n'e&ucirc;t point aim&eacute; &agrave; revoir l'ancien th&eacute;&acirc;tre de ses travaux. Il n'y avait jamais remis les pieds, depuis le jour o&ugrave; la derni&egrave;re benne &eacute;tait remont&eacute;e &agrave; la surface du sol. Cependant, puisque le steam-boat l'avait d&eacute;pos&eacute; au d&eacute;barcad&egrave;re de Stirling, on fit quelques recherches de ce c&ocirc;t&eacute;.</p>
+
+<p>Les recherches n'aboutirent pas. Personne ne se rappelait avoir vu l'ing&eacute;nieur dans le pays. Seul, Jack Ryan, qui l'avait rencontr&eacute; en compagnie d'Harry sur un des paliers du puits Yarow, e&ucirc;t pu satisfaire la curiosit&eacute; publique. Mais le joyeux gar&ccedil;on, on le sait, travaillait &agrave; la ferme de Melrose, &agrave; quarante milles dans le sud-ouest du comt&eacute; de Renfrew, et il ne se doutait gu&egrave;re que l'on s'inqui&eacute;t&acirc;t &agrave; ce point de la disparition de James Starr. Donc, huit jours apr&egrave;s sa visite au cottage, Jack Ryan e&ucirc;t continu&eacute; &agrave; chanter de plus belle pendant les veill&eacute;es du clan d'Irvine, &mdash; s'il n'e&ucirc;t eu, lui aussi, un motif de vive inqui&eacute;tude dont il sera bient&ocirc;t parl&eacute;.</p>
+
+<p>James Starr &eacute;tait un homme trop consid&eacute;rable et trop consid&eacute;r&eacute;, non seulement dans la ville, mais dans toute l'&Eacute;cosse, pour qu'un fait le concernant p&ucirc;t passer inaper&ccedil;u. Le lord pr&eacute;v&ocirc;t, premier magistrat d'&Eacute;dimbourg, les baillis, les conseillers, dont la plupart &eacute;taient des amis de l'ing&eacute;nieur, firent commencer les plus actives recherches. Des agents furent mis en campagne, mais aucun r&eacute;sultat ne fut obtenu.</p>
+
+<p>Il fallut donc ins&eacute;rer dans les principaux journaux du Royaume-Uni une note relative &agrave; l'ing&eacute;nieur James Starr, donnant son signalement, indiquant la date &agrave; laquelle il avait quitt&eacute; &Eacute;dimbourg, et il n'y eut plus qu'&agrave; attendre. Cela ne se fit pas sans grande anxi&eacute;t&eacute;. Le monde savant de l'Angleterre n'&eacute;tait pas &eacute;loign&eacute; de croire &agrave; la disparition d&eacute;finitive de l'un de ses membres les plus distingu&eacute;s.</p>
+
+<p>En m&ecirc;me temps que l'on s'inqui&eacute;tait ainsi de la personne de James Starr, la personne d'Harry &eacute;tait le sujet de pr&eacute;occupations non moins vives. Seulement, au lieu d'occuper l'opinion publique, le fils du vieil overman ne troublait que la bonne humeur de son ami Jack Ryan.</p>
+
+<p>On se rappelle que, lors de leur rencontre dans le puits Yarow, Jack Ryan avait invit&eacute; Harry &agrave; venir, huit jours apr&egrave;s, &agrave; la f&ecirc;te du clan d'Irvine. Il y avait eu acceptation et promesse formelle d'Harry de se rendre &agrave; cette c&eacute;r&eacute;monie. Jack Ryan savait, pour l'avoir constat&eacute; en maintes circonstances, que son camarade &eacute;tait homme de parole. Avec lui, chose promise, chose faite.</p>
+
+<p>Or, &agrave; la f&ecirc;te d'Irvine, rien n'avait manqu&eacute;, ni les chants, ni les danses, ni les r&eacute;jouissances de toutes sortes, rien, &mdash; si ce n'est Harry Ford.</p>
+
+<p>Jack Ryan avait commenc&eacute; par lui en vouloir, parce que l'absence de son ami influait sur sa bonne humeur. Il en perdit m&ecirc;me la m&eacute;moire au milieu d'une de ses chansons, et, pour la premi&egrave;re fois, il resta court pendant une gigue, qui lui valait d'ordinaire des applaudissements m&eacute;rit&eacute;s.</p>
+
+<p>Il faut dire ici que la note relative &agrave; James Starr, et publi&eacute;e dans les journaux, n'&eacute;tait pas encore tomb&eacute;e sous les yeux de Jack Ryan. Ce brave gar&ccedil;on ne se pr&eacute;occupait donc que de l'absence d'Harry, se disant bien qu'une grave circonstance avait seule pu l'emp&ecirc;cher de tenir sa promesse. Aussi, le lendemain de la f&ecirc;te d'Irvine, Jack Ryan comptait-il prendre le railway de Glasgow pour se rendre &agrave; la fosse Dochart, et il l'aurait fait, &mdash; s'il n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; retenu par un accident qui faillit lui co&ucirc;ter la vie.</p>
+
+<p>Voici ce qui &eacute;tait arriv&eacute; pendant la nuit du 12 d&eacute;cembre. En v&eacute;rit&eacute;, le fait &eacute;tait de nature &agrave; donner raison &agrave; tous les partisans du surnaturel, et ils &eacute;taient nombreux &agrave; la ferme de Melrose.</p>
+
+<p>Irvine, petite ville maritime du comt&eacute; de Renfrew, qui compte environ sept mille habitants, est b&acirc;tie dans un brusque retour que fait la c&ocirc;te &eacute;cossaise, presque &agrave; l'ouverture du golfe de Clyde. Son port, assez bien abrit&eacute; contre les vents du large, est &eacute;clair&eacute; par un feu important qui indique les atterrissages, de telle fa&ccedil;on qu'un marin prudent ne peut s'y tromper. Aussi, les naufrages &eacute;taient-ils rares sur cette portion du littoral, et les caboteurs ou long-courriers, qu'ils voulussent, soit embouquer le golfe de Clyde pour se rendre &agrave; Glasgow, soit donner dans la baie d'Irvine, pouvaient-ils man&oelig;uvrer sans danger, m&ecirc;me par les nuits obscures.</p>
+
+<p>Lorsqu'une ville est pourvue d'un pass&eacute; historique, si mince qu'il soit, lorsque son ch&acirc;teau a appartenu autrefois &agrave; un Robert Stuart, elle n'est pas sans poss&eacute;der quelques ruines.</p>
+
+<p>Or, en &Eacute;cosse, toutes les ruines sont hant&eacute;es par des esprits. &mdash; Du moins, c'est l'opinion commune dans les Hautes et Basses Terres.</p>
+
+<p>Les ruines les plus anciennes, et aussi les plus mal fam&eacute;es de cette partie du littoral, &eacute;taient pr&eacute;cis&eacute;ment celles de ce ch&acirc;teau de Robert Stuart, qui porte le nom de Dundonald-Castle.</p>
+
+<p>A cette &eacute;poque, le ch&acirc;teau de Dundonald, refuge de tous les lutins errants de la contr&eacute;e, &eacute;tait vou&eacute; au plus complet abandon. On allait peu le visiter sur le haut rocher qu'il occupait au-dessus de la mer, &agrave; deux milles de la ville. Peut-&ecirc;tre quelques &eacute;trangers avaient-ils encore l'id&eacute;e d'interroger ces vieux restes historiques, mais alors ils s'y rendaient seuls. Les habitants d'Irvine ne les y eussent point conduits, &agrave; quelque prix que ce f&ucirc;t. En effet, quelques histoires couraient sur le compte de certaines &laquo;&nbsp;Dames de feu&nbsp;&raquo; qui hantaient le vieux ch&acirc;teau.</p>
+
+<p>Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces fantastiques cr&eacute;atures. Naturellement, Jack Ryan &eacute;tait de ces derniers.</p>
+
+<p>La v&eacute;rit&eacute; est que, de temps &agrave; autre, de longues flammes apparaissaient, tant&ocirc;t sur un pan de mur &agrave; demi &eacute;boul&eacute;, tant&ocirc;t au sommet de la tour qui domine l'ensemble des ruines de Dundonald-Castle.</p>
+
+<p>Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l'assurait&nbsp;? M&eacute;ritaient-elles ce nom de &laquo;&nbsp;Dames de feu&nbsp;&raquo; que leur avaient donn&eacute; les &Eacute;cossais du littoral&nbsp;? Ce n'&eacute;tait &eacute;videmment l&agrave; qu'une illusion de cerveaux port&eacute;s &agrave; la cr&eacute;dulit&eacute;, et la science e&ucirc;t expliqu&eacute; physiquement ce ph&eacute;nom&egrave;ne.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contr&eacute;e la r&eacute;putation bien &eacute;tablie de fr&eacute;quenter les ruines du vieux ch&acirc;teau et d'y ex&eacute;cuter parfois d'&eacute;tranges sarabandes, surtout pendant les nuits obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu'il f&ucirc;t, ne se serait point hasard&eacute; &agrave; les accompagner aux sons de sa cornemuse.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le vieux Nick leur suffit&nbsp;! disait-il, et il n'a pas besoin de moi pour compl&eacute;ter son orchestre infernal&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte oblig&eacute; des r&eacute;cits pendant la veill&eacute;e. Aussi, Jack Ryan poss&eacute;dait-il tout un r&eacute;pertoire de l&eacute;gendes sur les Dames de feu, et ne se trouvait-il jamais &agrave; court, quand il s'agissait d'en conter &agrave; leur sujet&nbsp;!</p>
+
+<p>Donc, pendant cette derni&egrave;re veill&eacute;e, bien arros&eacute;e d'ale, de brandy et de whisky, qui avait termin&eacute; la f&ecirc;te du clan d'Irvine, Jack Ryan n'avait pas manqu&eacute; de reprendre son th&egrave;me favori, au grand plaisir et peut-&ecirc;tre au grand effroi de ses auditeurs.</p>
+
+<p>La veill&eacute;e se faisait dans une vaste grange de la ferme de Melrose, sur la limite du littoral. Un bon feu de coke br&ucirc;lait dans un large tr&eacute;pied de t&ocirc;le, au milieu de l'assembl&eacute;e.</p>
+
+<p>Il y avait gros temps au-dehors. Des brumes &eacute;paisses roulaient sur les lames, qu'une forte brise de sud-ouest amenait du large. Une nuit tr&egrave;s noire, pas une seule &eacute;claircie dans les nuages, la terre, le ciel et l'eau se confondant dans de profondes t&eacute;n&egrave;bres, c'&eacute;tait l&agrave; de quoi rendre difficiles les atterrages de la baie d'Irvine, si quelque navire s'y f&ucirc;t aventur&eacute; avec ces vents qui battaient en c&ocirc;te.</p>
+
+<p>Le petit port d'Irvine n'est pas tr&egrave;s fr&eacute;quent&eacute;, &mdash; du moins par les navires d'un certain tonnage. C'est un peu plus au nord que les b&acirc;timents de commerce, &agrave; voiles ou vapeur, attaquent la terre, lorsqu'ils veulent donner dans le golfe de Clyde. Ce soir-l&agrave;, cependant, quelque p&ecirc;cheur, attard&eacute; sur le rivage, e&ucirc;t aper&ccedil;u, non sans surprise, un navire qui se dirigeait vers la c&ocirc;te. Si le jour se f&ucirc;t fait tout &agrave; coup, ce n'est plus avec surprise, mais avec effroi, que ce b&acirc;timent e&ucirc;t &eacute;t&eacute; vu, courant vent arri&egrave;re, avec toute la toile qu'il pouvait porter. L'entr&eacute;e du golfe manqu&eacute;e, il n'existait aucun refuge entre les roches formidables du littoral. Si cet imprudent navire s'obstinait &agrave; s'en approcher encore, comment parviendrait-il &agrave; se relever&nbsp;?</p>
+
+<p>La veill&eacute;e allait finir sur une derni&egrave;re histoire de Jack Ryan. Ses auditeurs, transport&eacute;s dans le monde des fant&ocirc;mes, &eacute;taient bien dans les conditions voulues pour faire acte de cr&eacute;dulit&eacute;, le cas &eacute;ch&eacute;ant.</p>
+
+<p>Tout &agrave; coup, des cris retentirent au-dehors.</p>
+
+<p>Jack Ryan suspendit aussit&ocirc;t son r&eacute;cit, et tous quitt&egrave;rent pr&eacute;cipitamment la grange.</p>
+
+<p>La nuit &eacute;tait profonde. De longues rafales de pluie et de vent couraient &agrave; la surface de la gr&egrave;ve.</p>
+
+<p>Deux ou trois p&ecirc;cheurs, arc-bout&eacute;s pr&egrave;s d'un rocher, afin de mieux r&eacute;sister aux pouss&eacute;es de l'air, appelaient avec de grands &eacute;clats de voix.</p>
+
+<p>Jack Ryan et ses compagnons coururent &agrave; eux.</p>
+
+<p>Ces cris, ce n'&eacute;tait pas aux habitants de la ferme qu'ils s'adressaient, mais &agrave; un &eacute;quipage qui, sans le savoir, courait &agrave; sa perte.</p>
+
+<p>En effet, une masse sombre apparaissait confus&eacute;ment &agrave; quelques encablures au large. C'&eacute;tait un navire, bien reconnaissable &agrave; ses feux de position, car il portait &agrave; sa hune de misaine un feu blanc, &agrave; tribord un feu vert, &agrave; b&acirc;bord un feu rouge. On le voyait donc par l'avant, et il &eacute;tait manifeste qu'il se dirigeait &agrave; toute vitesse vers la c&ocirc;te.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un navire en perdition&nbsp;? s'&eacute;cria Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, r&eacute;pondit un des p&ecirc;cheurs, et maintenant il voudrait virer de bord, qu'il ne le pourrait plus&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Des signaux, des signaux&nbsp;! cria l'un des &Eacute;cossais.</p>
+
+<p>&mdash; Lesquels&nbsp;? r&eacute;pliqua le p&ecirc;cheur. Par cette bourrasque, on ne pourrait pas tenir une torche allum&eacute;e&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, pendant que ces propos s'&eacute;changeaient rapidement, de nouveaux cris &eacute;taient pouss&eacute;s. Mais comment e&ucirc;t-on pu les entendre au milieu de cette temp&ecirc;te&nbsp;? L'&eacute;quipage du navire n'avait plus aucune chance d'&eacute;chapper au naufrage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pourquoi man&oelig;uvrer ainsi&nbsp;? s'&eacute;criait un marin.</p>
+
+<p>&mdash; Veut-il donc faire c&ocirc;te&nbsp;? r&eacute;pondit un autre.</p>
+
+<p>&mdash; Le capitaine n'a donc pas eu connaissance du feu d'Irvine&nbsp;? demanda Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Il faut le croire, r&eacute;pondit un des p&ecirc;cheurs, &agrave; moins qu'il n'ait &eacute;t&eacute; tromp&eacute; par quelque...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le p&ecirc;cheur n'avait pas achev&eacute; sa phrase, que Jack Ryan poussait un formidable cri. Fut-il entendu de l'&eacute;quipage&nbsp;? En tout cas, il &eacute;tait trop tard pour que le b&acirc;timent p&ucirc;t se relever de la ligne des brisants qui blanchissait dans les t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>Mais ce n'&eacute;tait pas, comme on aurait pu le croire, un supr&ecirc;me avertissement que Jack Ryan avait tent&eacute; de faire parvenir au b&acirc;timent en perdition. Jack Ryan tournait alors le dos &agrave; la mer. Ses compagnons, eux aussi, regardaient un point situ&eacute; &agrave; un demi mille en arri&egrave;re de la gr&egrave;ve.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait le ch&acirc;teau de Dundonald. Une longue flamme se tordait sous les rafales au sommet de la vieille tour.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La Dame de feu&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cri&egrave;rent avec grande terreur tous ces superstitieux &Eacute;cossais.</p>
+
+<p>Franchement, il fallait une bonne dose d'imagination pour trouver &agrave; cette flamme une apparence humaine. Agit&eacute;e comme un pavillon lumineux sous la brise, elle semblait parfois s'envoler du sommet de la tour, comme si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; sur le point de s'&eacute;teindre, et, un instant apr&egrave;s, elle s'y rattachait de nouveau par sa pointe bleu&acirc;tre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La Dame de feu&nbsp;! la Dame de feu&nbsp;!&nbsp;&raquo; criaient les p&ecirc;cheurs et les paysans effar&eacute;s.</p>
+
+<p>Tout s'expliquait alors. Il &eacute;tait &eacute;vident que le navire, d&eacute;sorient&eacute; dans les brumes, avait fait fausse route, et qu'il avait pris cette flamme, allum&eacute;e au sommet du ch&acirc;teau de Dundonald, pour le feu d'Irvine. Il se croyait &agrave; l'entr&eacute;e du golfe, situ&eacute;e dix milles plus au nord, et il courait vers une franche terre, qui ne lui offrait aucun refuge&nbsp;!</p>
+
+<p>Que pouvait-on faire pour le sauver, s'il en &eacute;tait temps encore&nbsp;? Peut-&ecirc;tre e&ucirc;t-il fallu monter jusqu'aux ruines et tenter d'&eacute;teindre ce feu, pour qu'il ne f&ucirc;t pas possible de le confondre plus longtemps avec le phare du port d'Irvine&nbsp;!</p>
+
+<p>Sans doute, c'&eacute;tait ainsi qu'il convenait d'agir, sans retard; mais lequel de ces &Eacute;cossais e&ucirc;t eu la pens&eacute;e, et, apr&egrave;s la pens&eacute;e, l'audace de braver la Dame de feu&nbsp;? Jack Ryan, peut-&ecirc;tre, car il &eacute;tait courageux, et sa cr&eacute;dulit&eacute;, si forte qu'elle f&ucirc;t, ne pouvait l'arr&ecirc;ter dans un g&eacute;n&eacute;reux mouvement.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait trop tard. Un horrible craquement retentit au milieu du fracas des &eacute;l&eacute;ments.</p>
+
+<p>Le navire venait de talonner par son arri&egrave;re. Ses feux de position s'&eacute;teignirent. La ligne blanch&acirc;tre du ressac sembla bris&eacute;e un instant. C'&eacute;tait le b&acirc;timent qui l'abordait, se couchait sur le flanc et se disloquait entre les r&eacute;cifs.</p>
+
+<p>Et, &agrave; ce m&ecirc;me instant, par une co&iuml;ncidence qui ne pouvait &ecirc;tre due qu'au hasard, la longue flamme disparut, comme si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; arrach&eacute;e par une violente rafale. La mer, le ciel, la gr&egrave;ve furent aussit&ocirc;t replong&eacute;s dans les plus profondes t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La Dame de feu&nbsp;!&nbsp;&raquo; avait une derni&egrave;re fois cri&eacute; Jack Ryan, lorsque cette apparition, surnaturelle pour ses compagnons et lui, se fut &eacute;vanouie subitement.</p>
+
+<p>Mais alors, le courage que ces superstitieux &Eacute;cossais n'auraient pas eu contre un danger chim&eacute;rique, ils le retrouv&egrave;rent en face d'un danger r&eacute;el, maintenant qu'il s'agissait de sauver leurs semblables. Les &eacute;l&eacute;ments d&eacute;cha&icirc;n&eacute;s ne les arr&ecirc;t&egrave;rent pas. Au moyen de cordes lanc&eacute;es dans les lames &mdash; h&eacute;ro&iuml;ques autant qu'ils avaient &eacute;t&eacute; cr&eacute;dules &mdash;, ils se jet&egrave;rent au secours du b&acirc;timent naufrag&eacute;.</p>
+
+<p>Heureusement, ils r&eacute;ussirent, non sans que quelques-uns &mdash; et le hardi Jack Ryan &eacute;tait du nombre &mdash; se fussent gri&egrave;vement meurtris sur les roches; mais le capitaine du navire et les huit hommes de l'&eacute;quipage purent &ecirc;tre d&eacute;pos&eacute;s, sains et saufs, sur la gr&egrave;ve.</p>
+
+<p>Ce navire &eacute;tait le brick norv&eacute;gien <i>Motala</i>, charg&eacute; de bois du nord, faisant route pour Glasgow.</p>
+
+<p>Il n'&eacute;tait que trop vrai. Le capitaine, tromp&eacute; par ce feu, allum&eacute; sur la tour du ch&acirc;teau de Dundonald, &eacute;tait venu donner en pleine c&ocirc;te, au lieu d'embouquer le golfe de Clyde.</p>
+
+<p>Et maintenant, du <i>Motala</i>, il ne restait plus que de rares &eacute;paves, dont le ressac achevait de briser les d&eacute;bris sur les roches du littoral.</p>
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+<p><br>
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+<center>
+<h4>XII</h4>
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+<h4>Les Exploits de Jack Ryan</h4>
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+<p>Jack Ryan et trois de ses compagnons, bless&eacute;s comme lui, avaient &eacute;t&eacute; transport&eacute;s dans une des chambres de la ferme de Melrose, o&ugrave; des soins leur furent imm&eacute;diatement prodigu&eacute;s.</p>
+
+<p>Jack Ryan avait &eacute;t&eacute; le plus maltrait&eacute;, car, au moment o&ugrave;, la corde aux reins, il s'&eacute;tait jet&eacute; &agrave; la mer, les lames furieuses l'avaient rudement roul&eacute; sur les r&eacute;cifs. Peu s'en &eacute;tait fallu, m&ecirc;me, que ses camarades ne l'eussent rapport&eacute; sans vie sur le rivage.</p>
+
+<p>Le brave gar&ccedil;on fut donc clou&eacute; au lit pour quelques jours, &mdash; ce dont il enragea fort. Cependant, lorsqu'on lui eut permis de chanter autant qu'il le voudrait, il prit son mal en patience, et la ferme de Melrose retentit, &agrave; toute heure, des joyeux &eacute;clats de sa voix. Mais Jack Ryan, dans cette aventure, ne puisa qu'un plus vif sentiment de crainte &agrave; l'&eacute;gard de ces brawnies et autres lutins qui s'amusent &agrave; tracasser le pauvre monde, et ce fut eux qu'il rendit responsables de la catastrophe du <i>Motala</i>. On f&ucirc;t mal venu &agrave; lui soutenir que les Dames de feu n'existaient pas, et que cette flamme, si soudainement projet&eacute;e entre les ruines, n'&eacute;tait due qu'&agrave; un ph&eacute;nom&egrave;ne physique. Aucun raisonnement ne l'e&ucirc;t convaincu. Ses compagnons &eacute;taient encore plus obstin&eacute;s que lui dans leur cr&eacute;dulit&eacute;. A les entendre, une des Dames de feu avait m&eacute;chamment attir&eacute; le <i>Motala</i> &agrave; la c&ocirc;te. Quant &agrave; vouloir l'en punir, autant mettre l'ouragan &agrave; l'amende&nbsp;! Les magistrats pouvaient d&eacute;cr&eacute;ter toutes poursuites qui leur conviendraient. On n'emprisonne pas une flamme, on n'encha&icirc;ne pas un &ecirc;tre impalpable. Et, s'il faut le dire, les recherches qui furent ult&eacute;rieurement faites, sembl&egrave;rent donner raison &mdash; au moins en apparence &mdash; &agrave; cette fa&ccedil;on superstitieuse d'expliquer les choses.</p>
+
+<p>En effet, le magistrat, charg&eacute; de diriger une enqu&ecirc;te relativement &agrave; la perte du <i>Motala</i>, vint interroger les divers t&eacute;moins de la catastrophe. Tous furent d'accord sur ce point que le naufrage &eacute;tait d&ucirc; &agrave; l'apparition surnaturelle de la Dame de feu dans les ruines du ch&acirc;teau de Dundonald.</p>
+
+<p>On le pense bien, la justice ne pouvait se payer de semblables raisons. Qu'un ph&eacute;nom&egrave;ne purement physique se f&ucirc;t produit dans ces ruines, pas de doute &agrave; cet &eacute;gard. Mais &eacute;tait-ce accident ou malveillance&nbsp;? c'est ce que le magistrat devait chercher &agrave; &eacute;tablir.</p>
+
+<p>Que ce mot &laquo;&nbsp;malveillance&nbsp;&raquo; ne surprenne pas. Il ne faudrait pas remonter haut dans l'histoire armoricaine pour en trouver la justification. Bien des pilleurs d'&eacute;paves du littoral breton ont fait ce m&eacute;tier d'attirer les navires &agrave; la c&ocirc;te afin de s'en partager les d&eacute;pouilles. Tant&ocirc;t un bouquet d'arbres r&eacute;sineux, enflamm&eacute;s pendant la nuit, guidait un b&acirc;timent dans des passes dont il ne pouvait plus sortir. Tant&ocirc;t une torche, attach&eacute;e aux cornes d'un taureau et promen&eacute;e au caprice de l'animal, trompait un &eacute;quipage sur la route &agrave; suivre. Le r&eacute;sultat de ces man&oelig;uvres &eacute;tait in&eacute;vitablement quelque naufrage, dont les pillards profitaient. Il avait fallu l'intervention de la justice et de s&eacute;v&egrave;res exemples pour d&eacute;truire ces barbares coutumes. Or, ne pouvait-il se faire que, dans cette circonstance, une main criminelle n'e&ucirc;t repris les anciennes traditions des pilleurs d'&eacute;paves&nbsp;?</p>
+
+<p>C'est ce que pensaient les gens de la police, quoi qu'en eussent Jack Ryan et ses compagnons. Lorsque ceux-ci entendirent parler d'enqu&ecirc;te, ils se divis&egrave;rent en deux camps&nbsp;: les uns se content&egrave;rent de hausser les &eacute;paules; les autres, plus craintifs, annonc&egrave;rent que, tr&egrave;s certainement, &agrave; provoquer ainsi les &ecirc;tres surnaturels, on am&egrave;nerait de nouvelles catastrophes.</p>
+
+<p>N&eacute;anmoins, l'enqu&ecirc;te fut faite avec beaucoup de soin. Les gens de police se transport&egrave;rent au ch&acirc;teau de Dundonald, et ils proc&eacute;d&egrave;rent aux recherches les plus rigoureuses.</p>
+
+<p>Le magistrat voulut d'abord reconna&icirc;tre si le sol avait conserv&eacute; quelques empreintes de pas, pouvant &ecirc;tre attribu&eacute;es &agrave; d'autres pieds que des pieds de lutins. Il fut impossible de relever la plus l&eacute;g&egrave;re trace, ni ancienne ni nouvelle. Cependant, la terre, encore tout humide des pluies de la veille, e&ucirc;t conserv&eacute; le moindre vestige.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Des pas de brawnies&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan, lorsqu'il connut l'insucc&egrave;s des premi&egrave;res recherches. Autant vouloir retrouver les traces d'un follet sur l'eau d'un mar&eacute;cage&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cette premi&egrave;re partie de l'enqu&ecirc;te ne produisit donc aucun r&eacute;sultat. Il n'&eacute;tait pas probable que la seconde partie en donn&acirc;t davantage.</p>
+
+<p>Il s'agissait d'&eacute;tablir, en effet, comment le feu avait pu &ecirc;tre allum&eacute; au sommet de la vieille tour, quels &eacute;l&eacute;ments avaient &eacute;t&eacute; fournis &agrave; la combustion, et enfin quels r&eacute;sidus cette combustion avait laiss&eacute;s.</p>
+
+<p>Sur le premier point, rien, ni restes d'allumettes, ni chiffons de papier, ayant pu servir &agrave; allumer un feu quelconque.</p>
+
+<p>Sur le second point, n&eacute;ant non moins absolu. On ne retrouva ni herbes dess&eacute;ch&eacute;es, ni fragments de bois, dont ce foyer, si intense, avait pourtant d&ucirc; &ecirc;tre largement aliment&eacute; pendant la nuit.</p>
+
+<p>Quant au troisi&egrave;me point, il ne put &ecirc;tre &eacute;clairci davantage. L'absence de toutes cendres, de tout r&eacute;sidu d'un combustible quelconque, ne permit pas m&ecirc;me de retrouver l'endroit o&ugrave; le foyer avait d&ucirc; &ecirc;tre &eacute;tabli. Il n'existait aucune place noircie, ni sur la terre, ni sur la roche. Fallait-il donc en conclure que le foyer avait &eacute;t&eacute; tenu par la main de quelque malfaiteur&nbsp;? C'&eacute;tait bien invraisemblable, puisque, au dire des t&eacute;moins, la flamme pr&eacute;sentait un d&eacute;veloppement gigantesque, tel que l'&eacute;quipage du <i>Motala</i> avait pu, malgr&eacute; les brumes, l'apercevoir de plusieurs milles au large.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Bon&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan, la Dame de feu sait bien se passer d'allumettes&nbsp;! Elle souffle, cela suffit &agrave; embraser l'air autour d'elle, et son foyer ne laisse jamais de cendres&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il r&eacute;sulta donc de tout ceci que les magistrats en furent pour leur peine, qu'une nouvelle l&eacute;gende s'ajouta &agrave; tant d'autres, l&eacute;gende qui devait perp&eacute;tuer le souvenir de la catastrophe du <i>Motala</i> et affirmer plus indiscutablement encore l'apparition des Dames de feu.</p>
+
+<p>Cependant, un si brave gar&ccedil;on que Jack Ryan, et d'une si vigoureuse constitution, ne pouvait demeurer longtemps alit&eacute;. Quelques foulures et luxations n'&eacute;taient pas pour le coucher sur le flanc plus qu'il ne convenait. Il n'avait pas le temps d'&ecirc;tre malade. Or, lorsque ce temps-l&agrave; manque, on ne l'est gu&egrave;re dans ces r&eacute;gions salubres des Lowlands.</p>
+
+<p>Jack Ryan se r&eacute;tablit donc promptement. D&egrave;s qu'il fut sur pied, avant de reprendre sa besogne &agrave; la ferme de Melrose, il voulut mettre certain projet &agrave; ex&eacute;cution. Il s'agissait d'aller faire visite &agrave; son camarade Harry, afin de savoir pourquoi celui-ci avait manqu&eacute; &agrave; la f&ecirc;te du clan d'Irvine. De la part d'un homme tel qu'Harry, qui ne promettait jamais sans tenir, cette absence ne s'expliquait pas. Il &eacute;tait invraisemblable, d'ailleurs, que le fils du vieil overman n'e&ucirc;t pas entendu parler de la catastrophe du <i>Motala</i> rapport&eacute;e &agrave; grands d&eacute;tails par les journaux. Il devait savoir la part que Jack Ryan avait prise au sauvetage, ce qui en &eacute;tait advenu pour lui, et c'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; trop d'indiff&eacute;rence de la part d'Harry que de ne pas pousser jusqu'&agrave; la ferme pour serrer la main de son ami Jack Ryan.</p>
+
+<p>Si donc Harry n'&eacute;tait pas venu, c'est qu'il n'avait pu venir.</p>
+
+<p>Jack Ryan e&ucirc;t plut&ocirc;t ni&eacute; l'existence des Dames de feu que de croire &agrave; l'indiff&eacute;rence d'Harry &agrave; son &eacute;gard.</p>
+
+<p>Donc, deux jours apr&egrave;s la catastrophe, Jack Ryan quitta la ferme, gaillardement, comme un solide gar&ccedil;on qui ne se ressentait aucunement de ses blessures. D'un joyeux refrain lanc&eacute; &agrave; pleine poitrine, il fit r&eacute;sonner les &eacute;chos de la falaise, et se rendit &agrave; la gare du railway qui, par Glasgow, conduit &agrave; Stirling et &agrave; Callander.</p>
+
+<p>L&agrave;, pendant qu'il attendait dans la gare, ses regards furent tout d'abord attir&eacute;s par une affiche, reproduite &agrave; profusion sur les murs, et qui contenait l'avis suivant&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le 4 d&eacute;cembre dernier, l'ing&eacute;nieur James Starr, d'&Eacute;dimbourg, s'est embarqu&eacute; &agrave; Granton-pier sur le <i>Prince de Galles</i>. Il a d&eacute;barqu&eacute; le m&ecirc;me jour &agrave; Stirling. Depuis ce temps, on est sans nouvelles de lui.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pri&egrave;re d'adresser toute information le concernant au pr&eacute;sident de Royal Institution, &agrave; &Eacute;dimbourg.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Jack Ryan, arr&ecirc;t&eacute; devant une de ces affiches, la lut par deux fois, non sans donner les signes de la plus extr&ecirc;me surprise.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur Starr&nbsp;! s'&eacute;cria-t-il. Mais, le 4 d&eacute;cembre, je l'ai pr&eacute;cis&eacute;ment rencontr&eacute; avec Harry sur les &eacute;chelles du puits Yarow&nbsp;! voil&agrave; dix jours de cela&nbsp;! Et, depuis ce temps, il n'aurait pas reparu&nbsp;! Cela expliquerait-il pourquoi mon camarade n'est pas venu &agrave; la f&ecirc;te d'Irvine&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, sans prendre le temps d'informer par lettre le pr&eacute;sident de Royal Institution de ce qu'il savait relativement &agrave; James Starr, le brave gar&ccedil;on sauta dans le train, avec l'intention bien arr&ecirc;t&eacute;e de se rendre tout d'abord au puits Yarow. Cela fait, il descendrait jusqu'au fond de la fosse Dochart, s'il le fallait, pour retrouver Harry, et avec lui l'ing&eacute;nieur James Starr.</p>
+
+<p>Trois heures apr&egrave;s, il quittait le train &agrave; la gare de Callander, et se dirigeait rapidement vers le puits Yarow.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ils n'ont pas reparu, se disait-il. Pourquoi&nbsp;? Est-ce quelque obstacle qui les en a emp&ecirc;ch&eacute;s&nbsp;? Est-ce un travail dont l'importance les retient encore au fond de la houill&egrave;re&nbsp;? Je le saurai&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et Jack Ryan, allongeant le pas, arriva en moins d'une heure au puits Yarow.</p>
+
+<p>Ext&eacute;rieurement, rien de chang&eacute;. M&ecirc;me silence aux abords de la fosse. Pas un &ecirc;tre vivant dans ce d&eacute;sert.</p>
+
+<p>Jack Ryan p&eacute;n&eacute;tra sous l'appentis en ruine qui recouvrait l'orifice du puits. Il plongea son regard dans ce gouffre... Il ne vit rien. Il &eacute;couta... Il n'entendit rien.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et ma lampe&nbsp;! s'&eacute;cria-t-il. Ne serait-elle donc plus &agrave; sa place&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La lampe, dont Jack Ryan se servait pendant ses visites &agrave; la fosse, &eacute;tait ordinairement d&eacute;pos&eacute;e dans un coin, pr&egrave;s du palier de l'&eacute;chelle sup&eacute;rieure.</p>
+
+<p>Cette lampe avait disparu.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; une premi&egrave;re complication&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit Jack Ryan, qui commen&ccedil;a &agrave; devenir tr&egrave;s inquiet.</p>
+
+<p>Puis, sans h&eacute;siter, tout superstitieux qu'il f&ucirc;t&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;J'irai, dit-il, quand il devrait faire plus noir dans la fosse que dans le tr&eacute;fonds de l'enfer&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et il commen&ccedil;a &agrave; descendre la longue suite d'&eacute;chelles, qui s'enfon&ccedil;aient dans le sombre puits.</p>
+
+<p>Il fallait que Jack Ryan n'e&ucirc;t point perdu de ses anciennes habitudes de mineur, et qu'il conn&ucirc;t bien la fosse Dochart, pour se hasarder ainsi. Il descendait prudemment d'ailleurs. Son pied t&acirc;tait chaque &eacute;chelon, dont quelques-uns &eacute;taient vermoulus. Tout faux pas e&ucirc;t entra&icirc;n&eacute; une chute mortelle, dans ce vide de quinze cents pieds. Jack Ryan comptait donc chacun des paliers qu'il quittait successivement pour atteindre un &eacute;tage inf&eacute;rieur. Il savait que son pied ne toucherait la semelle de la fosse qu'apr&egrave;s avoir d&eacute;pass&eacute; le trenti&egrave;me. Une fois l&agrave;, il ne serait pas g&ecirc;n&eacute;, pensait-il, de retrouver le cottage, b&acirc;ti, comme on sait, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la galerie principale.</p>
+
+<p>Jack Ryan arriva ainsi au vingt-sixi&egrave;me palier, et, par cons&eacute;quent, deux cents pieds, au plus, le s&eacute;paraient alors du fond.</p>
+
+<p>A cet endroit, il baissa la jambe pour chercher le premier &eacute;chelon de la vingt-septi&egrave;me &eacute;chelle. Mais sa jambe, se balan&ccedil;ant dans le vide, ne trouva aucun point d'appui.</p>
+
+<p>Jack Ryan s'agenouilla sur le palier. Il voulut saisir avec la main l'extr&eacute;mit&eacute; de l'&eacute;chelle... Ce fut en vain.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait &eacute;vident que la vingt-septi&egrave;me &eacute;chelle ne se trouvait pas &agrave; sa place, et, par cons&eacute;quent, qu'elle avait &eacute;t&eacute; retir&eacute;e.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Il faut que le vieux Nick ait pass&eacute; par l&agrave;&nbsp;!&nbsp;&raquo; se dit-il, non sans &eacute;prouver un certain sentiment d'effroi.</p>
+
+<p>Debout, les bras crois&eacute;s, voulant toujours percer cette ombre imp&eacute;n&eacute;trable, Jack Ryan attendit. Puis, il lui vint &agrave; la pens&eacute;e que, si lui ne pouvait descendre, les habitants de la houill&egrave;re, eux, n'avaient pu remonter. Il n'existait plus, en effet, aucune communication entre le sol du comt&eacute; et les profondeurs de la fosse. Si cet enl&egrave;vement des &eacute;chelles inf&eacute;rieures du puits Yarow avait &eacute;t&eacute; pratiqu&eacute; depuis sa derni&egrave;re visite au cottage, qu'&eacute;taient devenus Simon Ford, sa femme, son fils et l'ing&eacute;nieur&nbsp;? L'absence prolong&eacute;e de James Starr prouvait &eacute;videmment qu'il n'avait pas quitt&eacute; la fosse depuis le jour o&ugrave; Jack Ryan s'&eacute;tait crois&eacute; avec lui dans le puits Yarow. Comment, depuis lors, s'&eacute;tait fait le ravitaillement du cottage&nbsp;? Les vivres n'avaient-ils pas manqu&eacute; &agrave; ces malheureux, emprisonn&eacute;s &agrave; quinze cents pieds sous terre&nbsp;?</p>
+
+<p>Toutes ces pens&eacute;es travers&egrave;rent l'esprit de Jack Ryan. Il vit bien qu'il ne pouvait rien par lui-m&ecirc;me pour arriver jusqu'au cottage. Y avait-il eu malveillance dans ce fait que les communications &eacute;taient interrompues&nbsp;? cela ne lui paraissait pas douteux. En tout cas, les magistrats aviseraient, mais il fallait les pr&eacute;venir au plus vite.</p>
+
+<p>Jack Ryan se pencha au-dessus du palier.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry&nbsp;! Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; cria-t-il de sa voix puissante.</p>
+
+<p>Les &eacute;chos se renvoy&egrave;rent &agrave; plusieurs reprises le nom d'Harry, qui s'&eacute;teignit enfin dans les derni&egrave;res profondeurs du puits Yarow.</p>
+
+<p>Jack Ryan remonta rapidement les &eacute;chelles sup&eacute;rieures, et revit la lumi&egrave;re du jour. Il ne perdit pas un instant. Tout d'une traite, il regagna la gare de Callander. Il ne lui fallut attendre que quelques minutes le passage de l'express d'&Eacute;dimbourg, et, &agrave; trois heures de l'apr&egrave;s-midi, il se pr&eacute;sentait chez le lord-pr&eacute;v&ocirc;t de la capitale.</p>
+
+<p>L&agrave;, sa d&eacute;claration fut re&ccedil;ue. Les d&eacute;tails pr&eacute;cis qu'il donna ne permettaient pas de soup&ccedil;onner sa v&eacute;racit&eacute;. Sir W. Elphiston, pr&eacute;sident de Royal Institution, non seulement coll&egrave;gue, mais ami particulier de James Starr, fut aussit&ocirc;t averti, et il demanda &agrave; diriger les recherches qui allaient &ecirc;tre faites sans d&eacute;lai &agrave; la fosse Dochart. On mit &agrave; sa disposition plusieurs agents, qui se munirent de lampes, de pics, de longues &eacute;chelles de corde, sans oublier vivres et cordiaux. Puis, conduits par Jack Ryan, tous prirent imm&eacute;diatement le chemin des houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Le soir m&ecirc;me, Sir W. Elphiston, Jack Ryan et les agents arriv&egrave;rent &agrave; l'orifice du puits Yarow, et ils descendirent jusqu'au vingt-septi&egrave;me palier, sur lequel Jack s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute;, quelques heures auparavant.</p>
+
+<p>Les lampes, attach&eacute;es au bout de longues cordes, furent envoy&eacute;es dans les profondeurs du puits, et l'on put alors constater que les quatre derni&egrave;res &eacute;chelles manquaient.</p>
+
+<p>Nul doute que toute communication entre le dedans et le dehors de la fosse Dochart n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; intentionnellement rompue.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'attendons-nous, monsieur&nbsp;? demanda l'impatient Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Nous attendons que ces lampes soient remont&eacute;es, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit Sir W. Elphiston. Puis, nous descendrons jusqu'au sol de la derni&egrave;re galerie, et tu nous conduiras...</p>
+
+<p>&mdash; Au cottage, s'&eacute;cria Jack Ryan, et, s'il le faut, jusque dans les derniers ab&icirc;mes de la fosse&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>D&egrave;s que les lampes eurent &eacute;t&eacute; retir&eacute;es, les agents fix&egrave;rent au palier les &eacute;chelles de corde, qui se d&eacute;roul&egrave;rent dans le puits. Les paliers inf&eacute;rieurs subsistaient encore. On put descendre de l'un &agrave; l'autre.</p>
+
+<p>Cela ne se fit pas sans de grandes difficult&eacute;s. Jack Ryan, le premier, s'&eacute;tait suspendu &agrave; ces &eacute;chelles vacillantes, et, le premier, il atteignit le fond de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Sir W. Elphiston et les agents l'eurent bient&ocirc;t rejoint.</p>
+
+<p>Le rond-point, form&eacute; par le fond du puits Yarow, &eacute;tait absolument d&eacute;sert, mais Sir W. Elphiston ne fut pas m&eacute;diocrement surpris d'entendre Jack Ryan s'&eacute;crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voici quelques fragments des &eacute;chelles, et ce sont des fragments &agrave; demi br&ucirc;l&eacute;s&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Br&ucirc;l&eacute;s&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta Sir W. Elphiston. En effet, voil&agrave; des cendres refroidies depuis longtemps&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Pensez-vous, monsieur, demanda Jack Ryan, que l'ing&eacute;nieur James Starr ait eu int&eacute;r&ecirc;t &agrave; br&ucirc;ler ces &eacute;chelles et &agrave; interrompre toute communication avec le dehors&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit Sir W. Elphiston, qui demeura pensif. Allons, mon gar&ccedil;on, au cottage&nbsp;! C'est l&agrave; que nous saurons la v&eacute;rit&eacute;.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Jack Ryan hocha la t&ecirc;te, en homme peu convaincu. Mais, prenant une lampe des mains d'un agent, il s'avan&ccedil;a rapidement &agrave; travers la galerie principale de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Tous le suivaient.</p>
+
+<p>Un quart d'heure plus tard, Sir W. Elphiston et ses compagnons avaient atteint l'excavation au fond de laquelle &eacute;tait b&acirc;ti le cottage de Simon Ford. Aucune lumi&egrave;re n'en &eacute;clairait les fen&ecirc;tres.</p>
+
+<p>Jack Ryan se pr&eacute;cipita vers la porte, qu'il repoussa vivement.</p>
+
+<p>Le cottage &eacute;tait abandonn&eacute;.</p>
+
+<p>On visita les chambres de la sombre habitation. Nulle trace de violence &agrave; l'int&eacute;rieur. Tout &eacute;tait en ordre, comme si la vieille Madge e&ucirc;t encore &eacute;t&eacute; l&agrave;. La r&eacute;serve de vivres &eacute;tait m&ecirc;me abondante, et e&ucirc;t suffi pendant plusieurs jours &agrave; la famille Ford.</p>
+
+<p>L'absence des h&ocirc;tes du cottage &eacute;tait donc inexplicable. Mais pouvait-on constater d'une mani&egrave;re pr&eacute;cise &agrave; quelle &eacute;poque ils l'avaient quitt&eacute;&nbsp;? &mdash; Oui, car, dans ce milieu o&ugrave; ne se succ&eacute;daient ni les nuits, ni les jours, Madge avait coutume de marquer d'une croix chaque quanti&egrave;me de son calendrier.</p>
+
+<p>Ce calendrier &eacute;tait suspendu au mur de la salle. Or, la derni&egrave;re croix avait &eacute;t&eacute; faite &agrave; la date du 6 d&eacute;cembre, c'est-&agrave;-dire un jour apr&egrave;s l'arriv&eacute;e de James Starr, &mdash; ce que Jack Ryan fut en mesure d'affirmer. Il &eacute;tait donc manifeste que depuis le 6 d&eacute;cembre, c'est-&agrave;-dire depuis dix jours, Simon Ford, sa femme, son fils et son h&ocirc;te avaient quitt&eacute; le cottage. Une nouvelle exploration de la fosse, entreprise par l'ing&eacute;nieur, pouvait-elle donner la raison d'une si longue absence&nbsp;? Non, &eacute;videmment.</p>
+
+<p>Ainsi, du moins, le pensa Sir W. Elphiston. Apr&egrave;s avoir minutieusement inspect&eacute; le cottage, il fut tr&egrave;s embarrass&eacute; sur ce qu'il convenait de faire.</p>
+
+<p>L'obscurit&eacute; &eacute;tait profonde. L'&eacute;clat des lampes, balanc&eacute;es aux mains des agents, &eacute;toilait seulement ces imp&eacute;n&eacute;trables t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>Soudain, Jack Ryan poussa un cri.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;L&agrave;&nbsp;! l&agrave;&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit-il.</p>
+
+<p>Et son doigt montrait une assez vive lueur, qui s'agitait dans l'obscur lointain de la galerie.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mes amis, courons sur ce feu&nbsp;! r&eacute;pondit Sir W. Elphiston.</p>
+
+<p>&mdash; Un feu de brawnie&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. A quoi bon&nbsp;? Nous ne l'atteindrons jamais&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le pr&eacute;sident de Royal Institution et les agents, peu enclins &agrave; la cr&eacute;dulit&eacute;, s'&eacute;lanc&egrave;rent dans la direction indiqu&eacute;e par la lueur mouvante. Jack Ryan, prenant bravement son parti, ne resta pas le dernier en route.</p>
+
+<p>Ce fut une longue et fatigante poursuite. Le falot lumineux semblait port&eacute; par un &ecirc;tre de petite taille, mais singuli&egrave;rement agile. A chaque instant, cet &ecirc;tre disparaissait derri&egrave;re quelque remblai; puis, on le revoyait au fond d'une galerie transversale. De rapides crochets le mettaient ensuite hors de vue. Il semblait avoir d&eacute;finitivement disparu, et, soudain, la lueur de son falot jetait de nouveau un vif &eacute;clat. En somme, on gagnait peu sur lui, et Jack Ryan persistait &agrave; croire, non sans raison, qu'on ne l'atteindrait pas.</p>
+
+<p>Pendant une heure de cette inutile poursuite, Sir W. Elphiston et ses compagnons s'enfonc&egrave;rent dans la portion sud-ouest de la fosse Dochart. Ils en arrivaient, eux aussi, &agrave; se demander s'ils n'avaient pas affaire &agrave; quelque follet insaisissable.</p>
+
+<p>A ce moment, cependant, il sembla que la distance commen&ccedil;ait &agrave; diminuer entre le follet et ceux qui cherchaient &agrave; l'atteindre. &Eacute;tait-ce fatigue de l'&ecirc;tre quelconque qui fuyait, ou cet &ecirc;tre voulait-il attirer Sir W. Elphiston et ses compagnons l&agrave; o&ugrave; les habitants du cottage avaient peut-&ecirc;tre &eacute;t&eacute; attir&eacute;s eux-m&ecirc;mes&nbsp;? Il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; malais&eacute; de r&eacute;soudre la question.</p>
+
+<p>Toutefois, les agents, voyant s'amoindrir cette distance redoubl&egrave;rent leurs efforts. La lueur, qui avait toujours brill&eacute; &agrave; plus de deux cents pas en avant d'eux, se tenait maintenant &agrave; moins de cinquante. Cet intervalle diminua encore. Le porteur du falot devint plus visible. Quelquefois, lorsqu'il retournait la t&ecirc;te, on pouvait reconna&icirc;tre le vague profil d'une figure humaine, et, &agrave; moins qu'un lutin n'e&ucirc;t pris cette forme, Jack Ryan &eacute;tait forc&eacute; de convenir qu'il ne s'agissait point l&agrave; d'un &ecirc;tre surnaturel.</p>
+
+<p>Et alors, tout en courant plus vite&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hardi, camarades&nbsp;! criait-il. Il se fatigue&nbsp;! Nous l'atteindrons bient&ocirc;t, et, s'il parle aussi bien qu'il d&eacute;tale, il pourra nous en dire long&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cependant, la poursuite devenait plus difficile alors. En effet, au milieu des derni&egrave;res profondeurs de la fosse, d'&eacute;troits tunnels s'entrecroisaient comme les all&eacute;es d'un labyrinthe. Dans ce d&eacute;dale, le porteur du falot pouvait ais&eacute;ment &eacute;chapper aux agents.</p>
+
+<p>Il lui suffisait d'&eacute;teindre sa lanterne et de se jeter de c&ocirc;t&eacute; au fond de quelque refuge obscur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et, au fait, pensait Sir W. Elphiston, s'il veut nous &eacute;chapper, pourquoi ne le fait-il pas&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cet &ecirc;tre insaisissable ne l'avait pas fait jusqu'alors; mais, au moment o&ugrave; cette pens&eacute;e traversait l'esprit de Sir W. Elphiston, la lueur disparut subitement, et les agents, continuant leur poursuite, arriv&egrave;rent presque aussit&ocirc;t devant une &eacute;troite ouverture que les roches schisteuses laissaient entre elles, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; d'un &eacute;troit boyau.</p>
+
+<p>S'y glisser, apr&egrave;s avoir raviv&eacute; leurs lampes, s'&eacute;lancer &agrave; travers cet orifice qui s'ouvrait devant eux, ce fut pour Sir W. Elphiston, Jack Ryan et leurs compagnons l'affaire d'un instant.</p>
+
+<p>Mais ils n'avaient pas fait cent pas dans une nouvelle galerie, plus large et plus haute, qu'ils s'arr&ecirc;taient soudain.</p>
+
+<p>L&agrave;, pr&egrave;s de la paroi, quatre corps &eacute;taient &eacute;tendus sur le sol, quatre cadavres peut-&ecirc;tre&nbsp;!</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;James Starr&nbsp;! dit Sir W. Elphiston.</p>
+
+<p>&mdash; Harry&nbsp;! Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Jack Ryan, en se pr&eacute;cipitant sur le corps de son camarade.</p>
+
+<p>C'&eacute;taient, en effet, l'ing&eacute;nieur, Madge, Simon et Harry Ford, qui &eacute;taient &eacute;tendus l&agrave;, sans mouvement.</p>
+
+<p>Mais, alors, l'un de ces corps se redressa, et l'on entendit la voix &eacute;puis&eacute;e de la vieille Madge murmurer ces mots&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eux&nbsp;! eux, d'abord&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Sir W. Elphiston, Jack Ryan, les agents, essay&egrave;rent de ranimer l'ing&eacute;nieur et ses compagnons, en leur faisant avaler quelques gouttes de cordial. Ils y r&eacute;ussirent presque aussit&ocirc;t. Ces infortun&eacute;s, s&eacute;questr&eacute;s depuis dix jours dans la Nouvelle-Aberfoyle, mouraient d'inanition.</p>
+
+<p>Et, s'ils n'avaient pas succomb&eacute; pendant ce long emprisonnement &mdash; James Starr l'apprit &agrave; Sir W. Elphiston &mdash;, c'est que trois fois ils avaient trouv&eacute; pr&egrave;s d'eux un pain et une cruche d'eau&nbsp;! Sans doute, l'&ecirc;tre secourable auquel ils devaient de vivre encore n'avait pas pu faire davantage&nbsp;!...</p>
+
+<p>Sir W. Elphiston se demanda si ce n'&eacute;tait pas l&agrave; l'&oelig;uvre de cet insaisissable follet qui venait de les attirer pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; l'endroit o&ugrave; gisaient James Starr et ses compagnons.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, l'ing&eacute;nieur, Madge, Simon et Harry Ford &eacute;taient sauv&eacute;s. Ils furent reconduits au cottage, en repassant par l'&eacute;troite issue que le porteur du falot semblait avoir voulu indiquer &agrave; Sir W. Elphiston.</p>
+
+<p>Et si James Starr et ses compagnons n'avaient pu retrouver l'orifice de la galerie que leur avait ouvert la dynamite, c'est que cet orifice avait &eacute;t&eacute; solidement bouch&eacute; au moyen de roches superpos&eacute;es, que, dans cette profonde obscurit&eacute;, ils n'avaient pu ni reconna&icirc;tre ni disjoindre.</p>
+
+<p>Ainsi donc, pendant qu'ils exploraient la vaste crypte, toute communication avait &eacute;t&eacute; volontairement ferm&eacute;e par une main ennemie entre l'ancienne et la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XIII</h4>
+
+<h4>Coal-city</h4>
+</center>
+
+<p>Trois ans apr&egrave;s les &eacute;v&eacute;nements qui viennent d'&ecirc;tre racont&eacute;s, les Guides Joanne ou Murray recommandaient, &laquo;&nbsp;comme grande attraction&nbsp;&raquo;, aux nombreux touristes qui parcouraient le comt&eacute; de Stirling, une visite de quelques heures aux houill&egrave;res de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Aucune mine, en n'importe quel pays du nouveau ou de l'ancien monde, ne pr&eacute;sentait un plus curieux aspect.</p>
+
+<p>Tout d'abord, le visiteur &eacute;tait transport&eacute; sans danger ni fatigue jusqu'au sol de l'exploitation, &agrave; quinze cents pieds au-dessous de la surface du comt&eacute;.</p>
+
+<p>En effet, &agrave; sept milles, dans le sud-ouest de Callander, un tunnel oblique, d&eacute;cor&eacute; d'une entr&eacute;e monumentale, avec tourelles, cr&eacute;neaux et m&acirc;chicoulis, affleurait le sol. Ce tunnel, &agrave; pente douce, largement &eacute;vid&eacute;, venait aboutir directement &agrave; cette crypte si singuli&egrave;rement creus&eacute;e dans le massif du sol &eacute;cossais.</p>
+
+<p>Un double railway, dont les wagons &eacute;taient mus par une force hydraulique, desservait, d'heure en heure, le village qui s'&eacute;tait fond&eacute; dans le sous-sol du comt&eacute;, sous le nom un peu ambitieux peut-&ecirc;tre de &laquo;&nbsp;Coal-city&nbsp;&raquo;, c'est-&agrave;-dire la Cit&eacute; du Charbon.</p>
+
+<p>Le visiteur, arriv&eacute; &agrave; Coal-city, se trouvait dans un milieu o&ugrave; l'&eacute;lectricit&eacute; jouait un r&ocirc;le de premier ordre, comme agent de chaleur et de lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>En effet, les puits d'a&eacute;ration, quoiqu'ils fussent nombreux, n'auraient pas pu m&ecirc;ler assez de jour &agrave; l'obscurit&eacute; profonde de la Nouvelle-Aberfoyle. Cependant, une lumi&egrave;re intense emplissait ce sombre milieu, o&ugrave; de nombreux disques &eacute;lectriques rempla&ccedil;aient le disque solaire. Suspendus sous l'intrados des vo&ucirc;tes, accroch&eacute;s aux piliers naturels, tous aliment&eacute;s par des courants continus que produisaient des machines &eacute;lectromagn&eacute;tiques &mdash; les uns soleils, les autres &eacute;toiles -, ils &eacute;clairaient largement ce domaine. Lorsque l'heure du repos arrivait, un interrupteur suffisait &agrave; produire artificiellement la nuit dans ces profonds ab&icirc;mes de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Tous ces appareils, grands ou petits, fonctionnaient dans le vide, c'est-&agrave;-dire que leurs arcs lumineux ne communiquaient aucunement avec l'air ambiant. Si bien que, pour le cas o&ugrave; l'atmosph&egrave;re e&ucirc;t &eacute;t&eacute; m&eacute;lang&eacute;e de grisou dans une proportion d&eacute;tonante, aucune explosion n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; &agrave; craindre. Aussi l'agent &eacute;lectrique &eacute;tait-il invariablement employ&eacute; &agrave; tous les besoins de la vie industrielle et de la vie domestique, aussi bien dans les maisons de Coal-city que dans les galeries exploit&eacute;es de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
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+<p>Il faut dire, avant tout, que les pr&eacute;visions de l'ing&eacute;nieur James Starr &mdash; en ce qui concernait l'exploitation de la nouvelle houill&egrave;re &mdash; n'avaient point &eacute;t&eacute; d&eacute;&ccedil;ues. La richesse des filons carbonif&egrave;res &eacute;tait incalculable. C'&eacute;tait dans l'ouest de la crypte, &agrave; un quart de mille de Coal-city, que les premi&egrave;res veines avaient &eacute;t&eacute; attaqu&eacute;es par le pic des mineurs. La cit&eacute; ouvri&egrave;re n'occupait donc pas le centre de l'exploitation. Les travaux du fond &eacute;taient directement reli&eacute;s aux travaux du jour par les puits d'a&eacute;ration et d'extraction, qui mettaient les divers &eacute;tages de la mine en communication avec le sol. Le grand tunnel, o&ugrave; fonctionnait le railway &agrave; traction hydraulique, ne servait qu'au transport des habitants de Coal-city.</p>
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+<p>On se rappelle quelle &eacute;tait la singuli&egrave;re conformation de cette vaste caverne, o&ugrave; le vieil overman et ses compagnons s'&eacute;taient arr&ecirc;t&eacute;s pendant leur premi&egrave;re exploration. L&agrave;, au-dessus de leur t&ecirc;te, s'arrondissait un d&ocirc;me de courbure ogivale. Les piliers qui le soutenaient allaient se perdre dans la vo&ucirc;te de schiste, &agrave; une hauteur de trois cents pieds, &mdash; hauteur presque &eacute;gale &agrave; celle du &laquo;&nbsp;Mammouth-D&ocirc;me&nbsp;&raquo;, des grottes du Kentucky.</p>
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+<p>On sait que cette &eacute;norme halle &mdash; la plus grande de tout l'hypog&eacute;e am&eacute;ricain &mdash; peut ais&eacute;ment contenir cinq mille personnes. Dans cette partie de la Nouvelle-Aberfoyle, c'&eacute;tait m&ecirc;me proportion et aussi m&ecirc;me disposition. Mais, au lieu des admirables stalactites de la c&eacute;l&egrave;bre grotte, le regard s'accrochait ici &agrave; des intumescences de filons carbonif&egrave;res, qui semblaient jaillir de toutes les parois sous la pression des failles schisteuses. On e&ucirc;t dit des rondes-bosses de jais dont les paillettes s'allumaient sous le rayonnement des disques.</p>
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+<p>Au-dessous de ce d&ocirc;me s'&eacute;tendait un lac comparable pour son &eacute;tendue &agrave; la mer Morte des &laquo;&nbsp;Mammouth-Caves&nbsp;&raquo;, &mdash; lac profond dont les eaux transparentes fourmillaient de poissons sans yeux, et auquel l'ing&eacute;nieur donna le nom de lac Malcolm.</p>
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+<p>C'&eacute;tait l&agrave;, dans cette immense excavation naturelle, que Simon Ford avait b&acirc;ti son nouveau cottage, et il ne l'e&ucirc;t pas &eacute;chang&eacute; pour le plus bel h&ocirc;tel de Princes-street, &agrave; &Eacute;dimbourg. Cette habitation &eacute;tait situ&eacute;e au bord du lac, et ses cinq fen&ecirc;tres s'ouvraient sur les eaux sombres, qui s'&eacute;tendaient au-del&agrave; de la limite du regard.</p>
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+<p>Deux mois apr&egrave;s, une seconde habitation s'&eacute;tait &eacute;lev&eacute;e dans le voisinage du cottage de Simon Ford. Ce fut celle de James Starr. L'ing&eacute;nieur s'&eacute;tait donn&eacute; corps et &acirc;me &agrave; la Nouvelle-Aberfoyle. Il avait, lui aussi, voulu l'habiter, et il fallait que ses affaires l'y obligeassent imp&eacute;rieusement pour qu'il consent&icirc;t &agrave; remonter au dehors. L&agrave;, en effet, il vivait au milieu de son monde de mineurs.</p>
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+<p>Depuis la d&eacute;couverte des nouveaux gisements, tous les ouvriers de l'ancienne houill&egrave;re s'&eacute;taient h&acirc;t&eacute;s d'abandonner la charme et la herse pour reprendre le pic ou la pioche. Attir&eacute;s par la certitude que le travail ne leur manquerait jamais, all&eacute;ch&eacute;s par les hauts prix que la prosp&eacute;rit&eacute; de l'exploitation allait permettre d'affecter &agrave; la main-d'&oelig;uvre, ils avaient abandonn&eacute; le dessus du sol pour le dessous, et s'&eacute;taient log&eacute;s dans la houill&egrave;re, qui, par sa disposition naturelle, se pr&ecirc;tait &agrave; cette installation.</p>
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+<p>Ces maisons de mineurs, construites en briques, s'&eacute;taient peu &agrave; peu dispos&eacute;es d'une fa&ccedil;on pittoresque, les unes sur les rives du lac Malcolm, les autres sous ces arceaux, qui semblaient faits pour r&eacute;sister &agrave; la pouss&eacute;e des vo&ucirc;tes comme les contreforts d'une cath&eacute;drale. Piqueurs qui abattent la roche, rouleurs qui transportent le charbon, conducteurs de travaux, boiseurs qui &eacute;tan&ccedil;onnent les galeries, cantonniers auxquels est confi&eacute;e la r&eacute;paration des voies, remblayeurs qui substituent la pierre &agrave; la houille dans les parties exploit&eacute;es, tous ces ouvriers enfin, qui sont plus sp&eacute;cialement employ&eacute;s aux travaux du fond, fix&egrave;rent leur domicile dans la Nouvelle-Aberfoyle et fond&egrave;rent peu &agrave; peu Coal-city, situ&eacute;e sous la pointe orientale du lac Katrine, dans le nord du comt&eacute; de Stirling.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait donc une sorte de village flamand, qui s'&eacute;tait &eacute;lev&eacute; sur les bords du lac Malcolm. Une chapelle, &eacute;rig&eacute;e sous l'invocation de Saint-Gilles, dominait tout cet ensemble du haut d'un &eacute;norme rocher, dont le pied se baignait dans les eaux de cette mer subterran&eacute;enne.</p>
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+<p>Lorsque ce bourg souterrain s'&eacute;clairait des vifs rayons projet&eacute;s par les disques, suspendus aux piliers du d&ocirc;me ou aux arceaux des contre-nefs, il se pr&eacute;sentait sous un aspect quelque peu fantastique, d'un effet &eacute;trange, qui justifiait la recommandation des Guides Murray ou Joanne. C'est pourquoi les visiteurs affluaient.</p>
+
+<p>Si les habitants de Coal-city se montraient fiers de leur installation, cela va sans dire. Aussi ne quittaient-ils que rarement la cit&eacute; ouvri&egrave;re, imitant en cela Simon Ford, qui, lui, n'en voulait jamais sortir. Le vieil overman pr&eacute;tendait qu'il pleuvait toujours &laquo;&nbsp;l&agrave;-haut&nbsp;&raquo;, et, &eacute;tant donn&eacute; le climat du Royaume-Uni, il faut convenir qu'il n'avait pas absolument tort. Les familles de la Nouvelle-Aberfoyle prosp&eacute;raient donc. Depuis trois ans, elles &eacute;taient arriv&eacute;es &agrave; une certaine aisance, qu'elles n'eussent jamais obtenue &agrave; la surface du comt&eacute;. Bien des b&eacute;b&eacute;s, qui &eacute;taient n&eacute;s &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; les travaux furent repris, n'avaient encore jamais respir&eacute; l'air ext&eacute;rieur.</p>
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+<p>Ce qui faisait dire &agrave; Jack Ryan&nbsp;:</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; dix-huit mois qu'ils ont cess&eacute; de t&eacute;ter leurs m&egrave;res, et, pourtant, ils n'ont pas encore vu le jour&nbsp;!&nbsp;&raquo; Il faut noter, &agrave; ce propos, qu'un des premiers accourus &agrave; l'appel de l'ing&eacute;nieur avait &eacute;t&eacute; Jack Ryan. Ce joyeux compagnon s'&eacute;tait fait un devoir de reprendre son ancien m&eacute;tier. La ferme de Melrose avait donc perdu son chanteur et son piper ordinaire. Mais ce n'est pas dire que Jack Ryan ne chantait plus. Au contraire, et les &eacute;chos sonores de la Nouvelle-Aberfoyle usaient leurs poumons de pierre &agrave; lui r&eacute;pondre.</p>
+
+<p>Jack Ryan s'&eacute;tait install&eacute; au nouveau cottage de Simon Ford. On lui avait offert une chambre qu'il avait accept&eacute;e sans fa&ccedil;on, en homme simple et franc qu'il &eacute;tait. La vieille Madge l'aimait pour son bon caract&egrave;re et sa belle humeur. Elle partageait tant soit peu ses id&eacute;es au sujet des &ecirc;tres fantastiques qui devaient hanter la houill&egrave;re, et, tous deux, quand ils &eacute;taient seuls, se racontaient des histoires &agrave; faire fr&eacute;mir, histoires bien dignes d'enrichir la mythologie hyperbor&eacute;enne.</p>
+
+<p>Jack Ryan devint ainsi la joie du cottage. C'&eacute;tait, d'ailleurs, un bon sujet, un solide ouvrier. Six mois apr&egrave;s la reprise des travaux, il &eacute;tait chef d'une brigade des travaux du fond.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; qui est bien travaill&eacute;, monsieur Ford, disait-il, quelques jours apr&egrave;s son installation. vous avez trouv&eacute; un nouveau filon, et, si vous avez failli payer de votre vie cette d&eacute;couverte, eh bien, ce n'est pas trop cher&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, c'est m&ecirc;me un bon march&eacute; que nous avons fait l&agrave;&nbsp;! r&eacute;pondit le vieil overman. Mais ni M. Starr, ni moi, nous n'oublierons que c'est &agrave; toi que nous devons la vie&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais non, reprit Jack Ryan. C'est &agrave; votre fils Harry, puisqu'il a eu la bonne pens&eacute;e d'accepter mon invitation pour la f&ecirc;te d'Irvine...</p>
+
+<p>&mdash; Et de n'y point aller, n'est-ce pas&nbsp;? r&eacute;pliqua Harry, en serrant la main de son camarade. Non, Jack, c'est &agrave; toi, &agrave; peine remis de tes blessures, &agrave; toi, qui n'as perdu ni un jour, ni une heure, que nous devons d'avoir &eacute;t&eacute; retrouv&eacute;s vivants dans la houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, non&nbsp;! riposta l'ent&ecirc;t&eacute; gar&ccedil;on. Je ne laisserai pas dire des choses qui ne sont point&nbsp;! J'ai pu faire diligence pour savoir ce que tu &eacute;tais devenu, Harry, et voil&agrave; tout. Mais, afin de rendre &agrave; chacun ce qui lui est d&ucirc;, j'ajouterai que sans cet insaisissable lutin...</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! nous y voil&agrave;&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. Un lutin&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Un lutin, un brawnie, un fils de f&eacute;e, r&eacute;p&eacute;ta Jack Ryan, un petit-fils des Dames de feu, un Urisk, ce que vous voudrez enfin&nbsp;! Il n'en est pas moins certain que, sans lui, nous n'aurions jamais p&eacute;n&eacute;tr&eacute; dans la galerie, d'o&ugrave; vous ne pouviez plus sortir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, Jack, r&eacute;pondit Harry. Il reste &agrave; savoir si cet &ecirc;tre est aussi surnaturel que tu veux le croire.</p>
+
+<p>&mdash; Surnaturel&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. Mais il est aussi surnaturel qu'un follet, qu'on verrait courir son falot &agrave; la main, qu'on voudrait attraper, qui vous &eacute;chapperait comme un sylphe, qui s'&eacute;vanouirait comme une ombre&nbsp;! Sois tranquille, Harry, on le reverra un jour ou l'autre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, Jack, dit Simon Ford, follet ou non, nous chercherons &agrave; le retrouver, et il faudra que tu nous aides &agrave; cela.</p>
+
+<p>&mdash; Vous vous ferez l&agrave; une mauvaise affaire, monsieur Ford&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Bon&nbsp;! laisse venir, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On se figure ais&eacute;ment combien ce domaine de la Nouvelle Aberfoyle devint bient&ocirc;t familier aux membres de la famille Ford, et plus particuli&egrave;rement &agrave; Harry. Celui-ci apprit &agrave; en conna&icirc;tre les plus secrets d&eacute;tours. Il en arriva m&ecirc;me &agrave; pouvoir dire &agrave; quel point de la surface du sol correspondait tel ou tel point de la houill&egrave;re. Il savait qu'au-dessus de cette couche se d&eacute;veloppait le golfe de Clyde, que l&agrave; s'&eacute;tendait le lac Lomond ou le lac Katrine. Ces piliers, c'&eacute;tait un contrefort des monts Grampians qu'ils supportaient. Cette vo&ucirc;te, elle servait de soubassement &agrave; Dumbarton. Au-dessus de ce large &eacute;tang passait le railway de Balloch. L&agrave; finissait le littoral &eacute;cossais. L&agrave; commen&ccedil;ait la mer, dont on entendait distinctement les fracas, pendant les grandes tourmentes de l'&eacute;quinoxe. Harry e&ucirc;t &eacute;t&eacute; un merveilleux &laquo;&nbsp;leader&nbsp;&raquo; de ces catacombes naturelles, et, ce que font les guides des Alpes sur les sommets neigeux, en pleine lumi&egrave;re, il l'e&ucirc;t fait dans la houill&egrave;re, en pleine ombre, avec une incomparable s&ucirc;ret&eacute; d'instinct.</p>
+
+<p>Aussi l'aimait-il, cette Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;! Que de fois, sa lampe au chapeau, il s'aventurait jusque dans ses plus extr&ecirc;mes profondeurs&nbsp;! Il explorait ses &eacute;tangs sur un canot qu'il man&oelig;uvrait adroitement. Il chassait m&ecirc;me, car de nombreux oiseaux sauvages s'&eacute;taient introduits dans la crypte, pilets, b&eacute;cassines, macreuses, qui se nourrissaient des poissons dont fourmillaient ces eaux noires. Il semblait que les yeux d'Harry fussent faits aux espaces sombres, comme les yeux d'un marin aux horizons &eacute;loign&eacute;s.</p>
+
+<p>Mais, courant ainsi, Harry &eacute;tait comme irr&eacute;sistiblement entra&icirc;n&eacute; par l'espoir de retrouver l'&ecirc;tre myst&eacute;rieux, dont l'intervention, pour dire le vrai, l'avait sauv&eacute; plus que toute autre, et les siens avec lui. R&eacute;ussirait-il&nbsp;? Oui, &agrave; n'en pas douter, s'il en croyait ses pressentiments. Non, s'il fallait conclure du peu de succ&egrave;s que ses recherches avaient obtenu jusqu'alors.</p>
+
+<p>Quant aux attaques dirig&eacute;es contre la famille du vieil overman, avant la d&eacute;couverte de la Nouvelle-Aberfoyle, elles ne s'&eacute;taient pas renouvel&eacute;es.</p>
+
+<p>Ainsi allaient les choses dans cet &eacute;trange domaine.</p>
+
+<p>Il ne faudrait pas s'imaginer que, m&ecirc;me &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; les lin&eacute;aments de Coal-city se dessinaient &agrave; peine, toute distraction f&ucirc;t &eacute;cart&eacute;e de la souterraine cit&eacute;, et que l'existence y f&ucirc;t monotone.</p>
+
+<p>Il n'en &eacute;tait rien. Cette population, ayant m&ecirc;mes int&eacute;r&ecirc;ts, m&ecirc;mes go&ucirc;ts, &agrave; peu pr&egrave;s m&ecirc;me somme d'aisance, constituait, &agrave; vrai dire, une grande famille. On se connaissait, on se coudoyait, et le besoin d'aller chercher quelques plaisirs au-dehors se faisait peu sentir.</p>
+
+<p>D'ailleurs, chaque dimanche, promenades dans la houill&egrave;re, excursions sur les lacs et les &eacute;tangs, c'&eacute;taient autant d'agr&eacute;ables distractions.</p>
+
+<p>Souvent aussi, on entendait les sons de la cornemuse retentir sur les bords du lac Malcolm. Les &Eacute;cossais accouraient &agrave; l'appel de leur instrument national. On dansait, et ce jour-l&agrave;, Jack Ryan, rev&ecirc;tu de son costume de Highlander, &eacute;tait le roi de la f&ecirc;te.</p>
+
+<p>Enfin, de tout cela il r&eacute;sultait, au dire de Simon Ford, que Coal-city pouvait d&eacute;j&agrave; se poser en rivale de la capitale de l'&Eacute;cosse, de cette cit&eacute; soumise aux froids de l'hiver, aux chaleurs de l'&eacute;t&eacute;, aux intemp&eacute;ries d'un climat d&eacute;testable, et qui, dans une atmosph&egrave;re encrass&eacute;e de la fum&eacute;e de ses usines, justifiait trop justement son surnom de &laquo;&nbsp;Vieille-Enfum&eacute;e &nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XIV</h4>
+
+<h4>Suspendu &agrave; un fil</h4>
+</center>
+
+<p>Dans de telles conditions, ses plus chers d&eacute;sirs satisfaits, la famille de Simon Ford &eacute;tait heureuse. Cependant, on e&ucirc;t pu observer qu'Harry, d&eacute;j&agrave; d'un caract&egrave;re un peu sombre, &eacute;tait de plus en plus &laquo;&nbsp;en dedans&nbsp;&raquo;, comme disait Madge. Jack Ryan, malgr&eacute; sa bonne humeur si communicative, ne parvenait pas &agrave; le mettre &laquo;&nbsp;en dehors&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>Un dimanche &mdash; c'&eacute;tait au mois de juin &mdash;, les deux amis se promenaient sur les bords du lac Malcolm. Coal-city ch&ocirc;mait. A l'ext&eacute;rieur, le temps &eacute;tait orageux. De violentes pluies faisaient sortir de la terre une bu&eacute;e chaude. On ne respirait pas &agrave; la surface du comt&eacute;.</p>
+
+<p>Au contraire, &agrave; Coal-city, calme absolu, temp&eacute;rature douce, ni pluie ni vent. Rien n'y transpirait de la lutte des &eacute;l&eacute;ments du dehors. Aussi, un certain nombre de promeneurs de Stirling et des environs &eacute;taient-ils venus chercher un peu de fra&icirc;cheur dans les profondeurs de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Les disques &eacute;lectriques jetaient un &eacute;clat qu'e&ucirc;t certainement envi&eacute; le soleil britannique, plus embrum&eacute; qu'il ne convient &agrave; un soleil des dimanches.</p>
+
+<p>Jack Ryan faisait remarquer ce tumultueux concours de visiteurs &agrave; son camarade Harry. Mais celui-ci ne semblait pr&ecirc;ter &agrave; ses paroles qu'une m&eacute;diocre attention.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Regarde donc, Harry&nbsp;! s'&eacute;criait Jack Ryan. Quel empressement &agrave; venir nous voir.&nbsp;! Allons, mon camarade&nbsp;! Chasse un peu tes id&eacute;es tristes pour mieux faire les honneurs de notre domaine&nbsp;! Tu donnerais &agrave; penser, &agrave; tous ces gens du dessus, que l'on peut envier leur sort&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jack, r&eacute;pondit Harry, ne t'occupe pas de moi&nbsp;! Tu es gai pour deux, et cela suffit&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Que le vieux Nick m'emporte&nbsp;! riposta Jack Ryan, si ta m&eacute;lancolie ne finit pas par d&eacute;teindre sur moi&nbsp;! Mes yeux se rembrunissent, mes l&egrave;vres se resserrent, le rire me reste au fond du gosier, la m&eacute;moire des chansons m'abandonne&nbsp;! voyons, Harry, qu'as-tu&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Tu le sais, Jack.</p>
+
+<p>&mdash; Toujours cette pens&eacute;e&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Toujours.</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! mon pauvre Harry&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan en haussant les &eacute;paules, si, comme moi, tu mettais tout cela sur le compte des lutins de la mine, tu aurais l'esprit plus tranquille&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tu sais bien, Jack, que les lutins n'existent que dans ton imagination, et que, depuis la reprise des travaux, on n'en a pas revu un seul dans la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>&mdash; Soit, Harry&nbsp;! mais, si les brawnies ne se montrent plus, il me semble que ceux auxquels tu veux rapporter toutes ces choses extraordinaires ne se montrent pas davantage&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je les retrouverai, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! Harry&nbsp;! Harry&nbsp;! Les g&eacute;nies de la Nouvelle-Aberfoyle ne sont pas faciles &agrave; surprendre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je les retrouverai, tes pr&eacute;tendus g&eacute;nies&nbsp;! reprit Harry avec l'accent de la plus &eacute;nergique conviction.</p>
+
+<p>&mdash; Ainsi, tu pr&eacute;tends punir&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Punir et r&eacute;compenser, Jack. Si une main nous a emprisonn&eacute;s dans cette galerie, je n'oublie pas qu'une autre main nous a secourus&nbsp;! Non&nbsp;! je ne l'oublie pas&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! Harry&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan, es-tu bien s&ucirc;r que ces deux mains-l&agrave; n'appartiennent pas au m&ecirc;me corps&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pourquoi, Jack&nbsp;? D'o&ugrave; peut te venir cette id&eacute;e&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Dame... tu sais... Harry&nbsp;! Ces &ecirc;tres, qui vivent dans les ab&icirc;mes... ne sont pas faits comme nous&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ils sont faits comme nous, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh non&nbsp;! Harry... non... D'ailleurs, ne peut-on supposer que quelque fou est parvenu &agrave; s'introduire...</p>
+
+<p>&mdash; Un fou&nbsp;! r&eacute;pondit Harry&nbsp;! Un fou qui aurait une telle suite dans les id&eacute;es&nbsp;! Un fou, ce malfaiteur qui, depuis le jour o&ugrave; il a rompu les &eacute;chelles du puits Yarow, n'a cess&eacute; de nous faire du mal&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais il n'en fait plus, Harry. Depuis trois ans, aucun acte malveillant n'a &eacute;t&eacute; renouvel&eacute; ni contre toi, ni contre les tiens&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il n'importe, Jack, r&eacute;pondit Harry. J'ai le pressentiment que cet &ecirc;tre mauvais, quel qu'il soit, n'a pas renonc&eacute; &agrave; ses projets. Sur quoi je me fonde pour te parler ainsi, je ne pourrais le dire. Aussi, Jack, dans l'int&eacute;r&ecirc;t de la nouvelle exploitation, je veux savoir qui il est et d'o&ugrave; il vient.</p>
+
+<p>&mdash; Dans l'int&eacute;r&ecirc;t de la nouvelle exploitation&nbsp;?... demanda Jack Ryan, assez &eacute;tonn&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, reprit Harry. Je ne sais si je m'abuse, mais je vois dans toute cette affaire un int&eacute;r&ecirc;t contraire au n&ocirc;tre. J'y ai souvent song&eacute;, et je ne crois pas me tromper. Rappelle-toi la s&eacute;rie de ces faits inexplicables, qui s'encha&icirc;nent logiquement l'un &agrave; l'autre. Cette lettre anonyme, contradictoire de celle de mon p&egrave;re, prouve, tout d'abord, qu'un homme a eu connaissance de nos projets et qu'il a voulu en emp&ecirc;cher l'accomplissement. M. Starr vient nous rendre visite &agrave; la fosse Dochart. A peine l'y ai-je introduit, qu'une &eacute;norme pierre est lanc&eacute;e sur nous, et que toute communication est aussit&ocirc;t interrompue par la rupture des &eacute;chelles du puits Yarow. Notre exploration commence. Une exp&eacute;rience, qui doit r&eacute;v&eacute;ler l'existence du nouveau gisement, est alors rendue impossible par l'obturation des fissures du schiste. N&eacute;anmoins, la constatation s'op&egrave;re, le filon est trouv&eacute;. Nous revenons sur nos pas. Un grand souffle se produit dans l'air. Notre lampe est bris&eacute;e. L'obscurit&eacute; se fait autour de nous. Nous parvenons, cependant, &agrave; suivre la sombre galerie... Plus d'issue pour en sortir. L'orifice &eacute;tait bouch&eacute;. Nous &eacute;tions s&eacute;questr&eacute;s. Eh bien, Jack, ne vois-tu pas dans tout cela une pens&eacute;e criminelle&nbsp;? Oui&nbsp;! un &ecirc;tre, insaisissable jusqu'ici, mais non pas surnaturel, comme tu persistes &agrave; le croire, &eacute;tait cach&eacute; dans la houill&egrave;re. Dans un int&eacute;r&ecirc;t que je ne puis comprendre, il cherchait &agrave; nous en interdire l'acc&egrave;s. Il y &eacute;tait&nbsp;!... Un pressentiment me dit qu'il y est encore, et qui sait s'il ne pr&eacute;pare pas quelque coup terrible&nbsp;! &mdash; Eh bien, Jack, duss&eacute;-je y risquer ma vie, je le d&eacute;couvrirai&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry avait parl&eacute; avec une conviction qui &eacute;branla s&eacute;rieusement son camarade.</p>
+
+<p>Jack Ryan sentait bien qu'Harry avait raison, &mdash; au moins pour le pass&eacute;. Que ces faits extraordinaires eussent une cause naturelle ou surnaturelle, ils n'en &eacute;taient pas moins patents.</p>
+
+<p>Cependant, le brave gar&ccedil;on ne renon&ccedil;ait pas &agrave; sa mani&egrave;re d'expliquer ces &eacute;v&eacute;nements. Mais, comprenant qu'Harry n'admettrait jamais l'intervention d'un g&eacute;nie myst&eacute;rieux, il se rabattit sur l'incident qui semblait inconciliable avec le sentiment de malveillance dirig&eacute;e contre la famille Ford.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh bien, Harry, dit-il, si je suis oblig&eacute; de te donner raison sur un certain nombre de points, ne penseras-tu pas avec moi que quelque bienfaisant brawnie, en vous apportant le pain et l'eau, a pu vous sauver de...</p>
+
+<p>&mdash; Jack, r&eacute;pondit Harry en l'interrompant, l'&ecirc;tre secourable dont tu veux faire un &ecirc;tre surnaturel existe aussi r&eacute;ellement que le malfaiteur en question, et, tous deux, je les chercherai jusque dans les plus lointaines profondeurs de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>&mdash; Mais as-tu quelque indice qui puisse guider tes recherches&nbsp;? demanda Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Peut-&ecirc;tre, r&eacute;pondit Harry. &Eacute;coute-moi bien. A cinq milles dans l'ouest de la Nouvelle-Aberfoyle, sous la portion du massif qui supporte le Lomond, il existe un puits naturel qui s'enfonce perpendiculairement dans les entrailles m&ecirc;mes du gisement. Il y a huit jours, j'ai voulu en sonder la profondeur. Or, pendant que ma sonde descendait, alors que j'&eacute;tais pench&eacute; sur l'orifice de ce puits, il m'a sembl&eacute; que l'air s'agitait &agrave; l'int&eacute;rieur, comme s'il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; battu de grands coups d'ailes.</p>
+
+<p>&mdash; C'&eacute;tait quelque oiseau &eacute;gar&eacute; dans les galeries inf&eacute;rieures de la houill&egrave;re, r&eacute;pondit Jack.</p>
+
+<p>&mdash; Ce n'est pas tout, Jack, reprit Harry. Ce matin m&ecirc;me, je suis retourn&eacute; &agrave; ce puits, et l&agrave;, pr&ecirc;tant l'oreille, j'ai cru surprendre comme une sorte de g&eacute;missement...</p>
+
+<p>&mdash; Un g&eacute;missement&nbsp;! s'&eacute;cria Jack. Tu t'es tromp&eacute;, Harry&nbsp;! C'est une pouss&eacute;e d'air.., &agrave; moins qu'un lutin...</p>
+
+<p>&mdash; Demain, Jack, reprit Harry, je saurai &agrave; quoi m'en tenir.</p>
+
+<p>&mdash; Demain&nbsp;? r&eacute;pondit Jack en regardant son camarade.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! Demain, je descendrai dans cet ab&icirc;me.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, c'est tenter Dieu, cela&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, car j'implorerai son aide pour y descendre. Demain, nous nous rendrons tous deux &agrave; ce puits avec quelques-uns de nos camarades. Une longue corde, &agrave; laquelle je m'attacherai, vous permettra de me descendre et de me retirer &agrave; un signal convenu. &mdash; Je puis compter sur toi, Jack&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Harry, r&eacute;pondit Jack Ryan en hochant la t&ecirc;te, je ferai ce que tu me demandes, et cependant, je te le r&eacute;p&egrave;te, tu as tort.</p>
+
+<p>&mdash; Mieux vaut avoir tort de faire que remords de n'avoir pas fait, dit Harry d'un ton d&eacute;cid&eacute;. Donc, demain matin, &agrave; six heures, et silence&nbsp;! Adieu, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, pour ne pas continuer une conversation dans laquelle Jack Ryan e&ucirc;t encore essay&eacute; de combattre ses projets, Harry quitta brusquement son camarade et rentra au cottage.</p>
+
+<p>Il faut, cependant, convenir que les appr&eacute;hensions de Jack n'&eacute;taient point exag&eacute;r&eacute;es. Si quelque ennemi personnel mena&ccedil;ait Harry, s'il se trouvait au fond de ce puits o&ugrave; le jeune mineur allait le chercher, Harry s'exposait. Cependant, quelle vraisemblance d'admettre qu'il en f&ucirc;t ainsi&nbsp;?</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et, au surplus, r&eacute;p&eacute;tait Jack Ryan, pourquoi se donner tant de mal pour expliquer une s&eacute;rie de faits, qui s'expliquaient si ais&eacute;ment par une intervention surnaturelle des g&eacute;nies de la mine&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, le lendemain, Jack Ryan et trois mineurs de sa brigade arrivaient en compagnie d'Harry &agrave; l'orifice du puits suspect.</p>
+
+<p>Harry n'avait rien dit de son projet, ni &agrave; James Starr, ni au vieil overman. De son c&ocirc;t&eacute;, Jack Ryan avait &eacute;t&eacute; assez discret pour ne point parler. Les autres mineurs, en les voyant partir, avaient pens&eacute; qu'il ne s'agissait l&agrave; que d'une simple exploration du gisement suivant sa coupe verticale.</p>
+
+<p>Harry s'&eacute;tait muni d'une longue corde, mesurant deux cents pieds. Cette corde n'&eacute;tait pas grosse, mais elle &eacute;tait solide. Harry ne devant ni descendre ni remonter &agrave; la force des poignets, il suffisait que la corde f&ucirc;t assez forte pour supporter son poids. C'&eacute;tait &agrave; ses compagnons qu'incomberait la t&acirc;che de le laisser glisser dans le gouffre, &agrave; eux de l'en retirer. Une secousse, imprim&eacute;e &agrave; la corde, servirait de signal entre eux et lui.</p>
+
+<p>Le puits &eacute;tait assez large, ayant douze pieds de diam&egrave;tre &agrave; son orifice. Une poutre fut plac&eacute;e en travers, comme un pont, de mani&egrave;re que la corde, en glissant &agrave; sa surface, p&ucirc;t se maintenir dans l'axe du puits. Pr&eacute;caution indispensable &agrave; prendre pour qu'Harry ne f&ucirc;t pas heurt&eacute;, pendant la descente, aux parois lat&eacute;rales.</p>
+
+<p>Harry &eacute;tait pr&ecirc;t.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tu persistes dans ton projet d'explorer cet ab&icirc;me&nbsp;? lui demanda Jack Ryan &agrave; voix basse.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>La corde fut d'abord attach&eacute;e autour des reins d'Harry, puis sous ses aisselles, afin que son corps ne p&ucirc;t basculer.</p>
+
+<p>Ainsi maintenu, Harry &eacute;tait libre de ses deux mains. A sa ceinture, il suspendit une lampe de s&ucirc;ret&eacute;, &agrave; son c&ocirc;t&eacute;, un de ces larges couteaux &eacute;cossais qui sont engain&eacute;s dans un fourreau de cuir.</p>
+
+<p>Harry s'avan&ccedil;a jusqu'au milieu de la poutre, autour de laquelle la corde fut pass&eacute;e.</p>
+
+<p>Puis, ses compagnons le laissant glisser, il s'enfon&ccedil;a lentement dans le puits. Comme la corde subissait un l&eacute;ger mouvement de rotation, la lueur de sa lampe se portait successivement sur chaque point des parois, et Harry put les examiner avec soin.</p>
+
+<p>Ces parois &eacute;taient faites de schiste houiller. Elles &eacute;taient assez lisses pour qu'il f&ucirc;t impossible de se hisser &agrave; leur surface.</p>
+
+<p>Harry calcula qu'il descendait avec une vitesse mod&eacute;r&eacute;e, environ un pied par seconde. Il avait donc possibilit&eacute; de bien voir, facilit&eacute; de se tenir pr&ecirc;t &agrave; tout &eacute;v&eacute;nement.</p>
+
+<p>Au bout de deux minutes, c'est-&agrave;-dire &agrave; une profondeur de cent vingt pieds &agrave; peu pr&egrave;s, la descente s'&eacute;tait op&eacute;r&eacute;e sans incident. Il n'existait aucune galerie lat&eacute;rale dans la paroi du puits, lequel s'&eacute;tranglait peu &agrave; peu, en forme d'entonnoir. Mais Harry commen&ccedil;ait &agrave; sentir un air plus frais, qui venait d'en bas, &mdash; d'o&ugrave; il conclut que l'extr&eacute;mit&eacute; inf&eacute;rieure du puits communiquait avec quelque boyau de l'&eacute;tage inf&eacute;rieur de la crypte.</p>
+
+<p>La corde glissait toujours. L'obscurit&eacute; &eacute;tait absolue. Le silence, absolu aussi. Si un &ecirc;tre vivant, quel qu'il f&ucirc;t, avait cherch&eacute; refuge dans ce myst&eacute;rieux et profond ab&icirc;me, ou il n'y &eacute;tait pas alors, ou aucun mouvement ne trahissait sa pr&eacute;sence.</p>
+
+<p>Harry, plus d&eacute;fiant &agrave; mesure qu'il descendait, avait tir&eacute; le couteau de sa gaine, et il le tenait de sa main droite.</p>
+
+<p>A une profondeur de cent quatre-vingts pieds, Harry sentit qu'il avait atteint le sol inf&eacute;rieur, car la corde mollit et ne se d&eacute;roula plus. Harry respira un instant. Une des craintes qu'il avait pu concevoir ne s'&eacute;tait pas r&eacute;alis&eacute;e, c'est-&agrave;-dire que, pendant sa descente, la corde ne f&ucirc;t coup&eacute;e au-dessus de lui. Il n'avait, d'ailleurs, remarqu&eacute; aucune anfractuosit&eacute; dans les parois qui p&ucirc;t receler un &ecirc;tre quelconque.</p>
+
+<p>L'extr&eacute;mit&eacute; inf&eacute;rieure du puits &eacute;tait fort r&eacute;tr&eacute;cie.</p>
+
+<p>Harry, d&eacute;tachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne s'&eacute;tait pas tromp&eacute; dans ses conjectures.</p>
+
+<p>Un &eacute;troit boyau s'enfon&ccedil;ait lat&eacute;ralement dans l'&eacute;tage inf&eacute;rieur du gisement. Il e&ucirc;t fallu se courber pour y p&eacute;n&eacute;trer, et se tra&icirc;ner sur les mains pour le suivre.</p>
+
+<p>Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si elle aboutissait &agrave; quelque ab&icirc;me.</p>
+
+<p>Il se coucha sur le sol et commen&ccedil;a &agrave; ramper. Mais un obstacle l'arr&ecirc;ta presque aussit&ocirc;t.</p>
+
+<p>Il crut sentir au toucher que cet obstacle &eacute;tait un corps qui obstruait le passage.</p>
+
+<p>Harry recula, d'abord, par un vif sentiment de r&eacute;pulsion, puis il revint.</p>
+
+<p>Ses sens ne l'avaient pas tromp&eacute;. Ce qui l'avait arr&ecirc;t&eacute;, c'&eacute;tait, en effet, un corps. Il le saisit, et se rendit compte que, glac&eacute; aux extr&eacute;mit&eacute;s, il n'&eacute;tait pas encore refroidi tout &agrave; fait.</p>
+
+<p>L'attirer &agrave; soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la lumi&egrave;re de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu'il ne faut &agrave; le dire.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un enfant&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Harry.</p>
+
+<p>L'enfant, retrouv&eacute; au fond de cet ab&icirc;me, respirait encore, mais son souffle &eacute;tait si faible qu'Harry put croire qu'il allait cesser. Il fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite cr&eacute;ature &agrave; l'orifice du puits, et la conduire au cottage, o&ugrave; Madge lui prodiguerait ses soins.</p>
+
+<p>Harry, oubliant toute autre pr&eacute;occupation, rajusta la corde &agrave; sa ceinture, y attacha sa lampe, prit l'enfant qu'il soutint de son bras gauche contre sa poitrine, et, gardant son bras droit libre et arm&eacute;, il fit le signal convenu, afin que la corde f&ucirc;t hal&eacute;e doucement.</p>
+
+<p>La corde se tendit, et la remont&eacute;e commen&ccedil;a &agrave; s'op&eacute;rer r&eacute;guli&egrave;rement.</p>
+
+<p>Harry regardait autour de lui avec un redoublement d'attention. Il n'&eacute;tait plus seul expos&eacute;, maintenant.</p>
+
+<p>Tout alla bien pendant les premi&egrave;res minutes de l'ascension, aucun incident ne semblait devoir survenir, lorsque Harry crut entendre un souffle puissant qui d&eacute;pla&ccedil;ait les couches d'air dans les profondeurs du puits. Il regarda au-dessous de lui et aper&ccedil;ut, dans la p&eacute;nombre, une masse, qui, s'&eacute;levant peu &agrave; peu, le fr&ocirc;la en passant.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait un &eacute;norme oiseau, dont il ne put reconna&icirc;tre l'esp&egrave;ce, et qui montait &agrave; grands coups d'ailes.</p>
+
+<p>Le monstrueux volatile s'arr&ecirc;ta, plana un instant, puis fondit sur Harry avec un acharnement f&eacute;roce.</p>
+
+<p>Harry n'avait que son bras droit dont il p&ucirc;t faire usage pour parer les coups du formidable bec de l'animal.</p>
+
+<p>Harry se d&eacute;fendit donc, tout en prot&eacute;geant l'enfant du mieux qu'il put. Mais ce n'&eacute;tait pas &agrave; l'enfant, c'&eacute;tait &agrave; lui que l'oiseau s'attaquait. G&ecirc;n&eacute; par la rotation de la corde, il ne parvenait pas &agrave; le frapper mortellement.</p>
+
+<p>La lutte se prolongeait. Harry cria de toute la force de ses poumons, esp&eacute;rant que ses cris seraient entendus d'en haut.</p>
+
+<p>C'est ce qui arriva, car la corde fut aussit&ocirc;t hal&eacute;e plus vite.</p>
+
+<p>Il restait encore une hauteur de quatre-vingts pieds &agrave; franchir. L'oiseau se jeta plus violemment alors sur Harry. Celui-ci, d'un coup de son couteau, le blessa &agrave; l'aile; l'oiseau, poussant un cri rauque, disparut dans les profondeurs du puits.</p>
+
+<p>Mais, circonstance terrible, Harry, en brandissant son couteau pour frapper l'oiseau, avait entam&eacute; la corde, dont un toron &eacute;tait maintenant coup&eacute;.</p>
+
+<p>Les cheveux d'Harry se dress&egrave;rent sur sa t&ecirc;te.</p>
+
+<p>La corde c&eacute;dait peu &agrave; peu, &agrave; plus de cent pieds au-dessus du fond de l'ab&icirc;me&nbsp;!...</p>
+
+<p>Harry poussa un cri d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;.</p>
+
+<p>Un second toron manqua sous le double fardeau que supportait la corde &agrave; demi tranch&eacute;e.</p>
+
+<p>Harry l&acirc;cha son couteau, et, par un effort surhumain, au moment o&ugrave; la corde allait se rompre, il parvint &agrave; la saisir de la main droite au-dessus de la section. Mais, bien que son poignet f&ucirc;t de fer, il sentit la corde glisser peu &agrave; peu entre ses doigts.</p>
+
+<p>Il aurait pu ressaisir cette corde &agrave; deux mains, en sacrifiant l'enfant qu'il soutenait d'un bras... Il n'y voulut m&ecirc;me pas penser.</p>
+
+<p>Cependant, Jack Ryan et ses compagnons, surexcit&eacute;s par les cris d'Harry, halaient plus vivement.</p>
+
+<p>Harry crut qu'il ne pourrait tenir bon jusqu'&agrave; ce qu'il f&ucirc;t remont&eacute; &agrave; l'orifice du puits. Sa face s'injecta. Il ferma un instant les yeux, s'attendant &agrave; tomber dans l'ab&icirc;me, puis il les rouvrit...</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; il allait l&acirc;cher la corde, qu'il ne tenait plus que par son extr&eacute;mit&eacute;, il fut saisi et d&eacute;pos&eacute; sur le sol avec l'enfant.</p>
+
+<p>La r&eacute;action se fit alors, et Harry tomba sans connaissance entre les bras de ses camarades.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XV</h4>
+
+<h4>Nell au cottage</h4>
+</center>
+
+<p>Deux heures apr&egrave;s, Harry, qui n'avait pas aussit&ocirc;t recouvr&eacute; ses sens, et l'enfant, dont la faiblesse &eacute;tait extr&ecirc;me, arrivaient au cottage avec l'aide de Jack Ryan et de ses compagnons.</p>
+
+<p>L&agrave;, le r&eacute;cit de ces &eacute;v&eacute;nements fut fait au vieil overman, et Madge prodigua ses soins &agrave; la pauvre cr&eacute;ature, que son fils venait de sauver.</p>
+
+<p>Harry avait cru retirer un enfant de l'ab&icirc;me... C'&eacute;tait une jeune fille de quinze &agrave; seize ans, au plus. Son regard vague et plein d'&eacute;tonnement, sa figure maigre, allong&eacute;e par la souffrance, son teint de blonde que la lumi&egrave;re ne semblait avoir jamais baign&eacute;, sa taille fr&ecirc;le et petite, tout en faisait un &ecirc;tre &agrave; la fois bizarre et charmant. Jack Ryan, avec quelque raison, la compara &agrave; un farfadet d'aspect un peu surnaturel. &Eacute;tait-ce d&ucirc; aux circonstances particuli&egrave;res, au milieu exceptionnel dans lequel cette jeune fille avait peut-&ecirc;tre v&eacute;cu jusqu'alors, mais elle paraissait n'appartenir qu'&agrave; demi &agrave; l'humanit&eacute;. Sa physionomie &eacute;tait &eacute;trange. Ses yeux, que l'&eacute;clat des lampes du cottage semblait fatiguer, regardaient confus&eacute;ment, comme si tout e&ucirc;t &eacute;t&eacute; nouveau pour eux.</p>
+
+<p>A cet &ecirc;tre singulier, alors d&eacute;pos&eacute; sur le lit de Madge et qui revint &agrave; la vie comme s'il sortait d'un long sommeil, la vieille &Eacute;cossaise adressa d'abord la parole&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Comment te nommes-tu&nbsp;? lui demanda-t-elle.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, r&eacute;pondit la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, reprit Madge, souffres-tu&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; J'ai faim, r&eacute;pondit Nell. Je n'ai pas mang&eacute; depuis... depuis...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A ce peu de mots qu'elle venait de prononcer, on sentait que Nell n'&eacute;tait pas habitu&eacute;e &agrave; parler. La langue dont elle se servait &eacute;tait ce vieux ga&eacute;lique, dont Simon Ford et les siens faisaient souvent usage.</p>
+
+<p>Sur la r&eacute;ponse de la jeune fille, Madge lui apporta aussit&ocirc;t quelques aliments. Nell se mourait de faim. Depuis quand &eacute;tait elle au fond de ce puits&nbsp;? on ne pouvait le dire.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Combien de jours as-tu pass&eacute;s l&agrave;-bas, ma fille&nbsp;?&nbsp;&raquo; demanda Madge.</p>
+
+<p>Nell ne r&eacute;pondit pas. Elle ne semblait pas comprendre la question qui lui &eacute;tait faite.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Depuis combien de jours&nbsp;?... reprit Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Jours&nbsp;?...&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Nell, pour qui ce mot semblait &ecirc;tre d&eacute;pourvu de toute signification.</p>
+
+<p>Puis, elle secoua la t&ecirc;te comme une personne qui ne comprend pas ce qu'on lui demande.</p>
+
+<p>Madge avait pris la main de Nell et la caressait pour lui donner toute confiance&nbsp;:.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Quel &acirc;ge as-tu, ma fille&nbsp;?&nbsp;&raquo; demanda-t-elle, en lui faisant de bons yeux, bien rassurants.</p>
+
+<p>M&ecirc;me signe n&eacute;gatif de Nell.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Oui, oui, reprit Madge, combien d'ann&eacute;es&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ann&eacute;es&nbsp;?...&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Nell.</p>
+
+<p>Et ce mot, pas plus que le mot &laquo;&nbsp;jour&nbsp;&raquo;, ne parut avoir de signification pour la jeune fille.</p>
+
+<p>Simon Ford, Harry, Jack Ryan et ses compagnons la regardaient avec un double sentiment de piti&eacute; et de sympathie. L'&eacute;tat de ce pauvre &ecirc;tre, v&ecirc;tu d'une mis&eacute;rable cotte de grosse &eacute;toffe, &eacute;tait bien fait pour les impressionner.</p>
+
+<p>Harry, plus que tout autre, se sentait irr&eacute;sistiblement attir&eacute; par l'&eacute;tranget&eacute; m&ecirc;me de Nell.</p>
+
+<p>Il s'approcha alors. Il prit dans sa main la main que Madge venait d'abandonner. Il regarda bien en face Nell, dont les l&egrave;vres &eacute;bauch&egrave;rent une sorte de sourire, et il lui dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell... l&agrave;-bas.., dans la houill&egrave;re... &eacute;tais-tu seule&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Seule&nbsp;! seule&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria la jeune fille en se redressant.</p>
+
+<p>Sa physionomie d&eacute;celait alors l'&eacute;pouvante. Ses yeux, qui s'&eacute;taient adoucis sous le regard du jeune homme, redevinrent sauvages.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Seule&nbsp;! seule&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;ta-t-elle, et elle retomba sur le lit de Madge, comme si les forces lui eussent manqu&eacute; tout &agrave; fait.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Cette pauvre enfant est encore trop faible pour nous r&eacute;pondre, dit Madge, apr&egrave;s avoir recouch&eacute; la jeune fille. Quelques heures de repos, un peu de bonne nourriture, lui rendront ses forces. Viens, Simon&nbsp;! viens, Harry&nbsp;! venez tous, mes amis, et laissons faire le sommeil&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Sur le conseil de Madge, Nell fut laiss&eacute;e seule, et on put s'assurer, un instant apr&egrave;s, qu'elle dormait profond&eacute;ment.</p>
+
+<p>Cet &eacute;v&eacute;nement n'alla pas sans faire grand bruit, non seulement dans la houill&egrave;re, mais aussi dans le comt&eacute; de Stirling, et, peu apr&egrave;s, dans tout le Royaume-Uni. Le renom d'&eacute;tranget&eacute; de Nell s'en accrut. On aurait trouv&eacute; une jeune fille enferm&eacute;e dans la roche schisteuse, comme un de ces &ecirc;tres ant&eacute;diluviens qu'un coup de pic d&eacute;livre de leur gangue de pierre, que l'affaire n'e&ucirc;t pas eu plus d'&eacute;clat.</p>
+
+<p>Sans le savoir, Nell devint fort &agrave; la mode. Les gens superstitieux trouv&egrave;rent l&agrave; un nouveau texte &agrave; leurs r&eacute;cits l&eacute;gendaires. Ils pensaient volontiers que Nell &eacute;tait le g&eacute;nie de la Nouvelle Aberfoyle, et lorsque Jack Ryan le disait &agrave; son camarade Harry&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Soit, r&eacute;pondait le jeune homme, pour conclure, soit, Jack&nbsp;! Mais, en tout cas, c'est le bon g&eacute;nie&nbsp;! C'est celui qui nous a secourus, qui nous a apport&eacute; le pain et l'eau, lorsque nous &eacute;tions emprisonn&eacute;s dans la houill&egrave;re&nbsp;! Ce ne peut &ecirc;tre que lui&nbsp;! Quant au mauvais g&eacute;nie, s'il est rest&eacute; dans la mine, il faudra bien que nous le d&eacute;couvrions un jour&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On le pense bien, l'ing&eacute;nieur James Starr avait &eacute;t&eacute; inform&eacute; tout d'abord de ce qui s'&eacute;tait pass&eacute;.</p>
+
+<p>La jeune fille, ayant recouvr&eacute; ses forces d&egrave;s le lendemain de son entr&eacute;e au cottage, fut interrog&eacute;e par lui avec la plus grande sollicitude. Elle lui parut ignorer la plupart des choses de la vie. Cependant, elle &eacute;tait intelligente, on le reconnut bient&ocirc;t, mais certaines notions &eacute;l&eacute;mentaires lui manquaient&nbsp;: celle du temps, entre autres. On voyait qu'elle n'avait &eacute;t&eacute; habitu&eacute;e &agrave; diviser le temps ni par heures, ni par jours, et que ces mots m&ecirc;mes lui &eacute;taient inconnus. En outre, ses yeux, accoutum&eacute;s &agrave; la nuit, se faisaient difficilement &agrave; l'&eacute;clat des disques &eacute;lectriques; mais, dans l'obscurit&eacute;, son regard poss&eacute;dait une extraordinaire acuit&eacute;, et sa pupille, largement dilat&eacute;e, lui permettait de voir au milieu des plus profondes t&eacute;n&egrave;bres. Il fut aussi constant que son cerveau n'avait jamais re&ccedil;u les impressions du monde ext&eacute;rieur, que nul autre horizon que celui de la houill&egrave;re ne s'&eacute;tait d&eacute;velopp&eacute; &agrave; ses yeux, que l'humanit&eacute; tout enti&egrave;re avait tenu pour elle dans cette sombre crypte. Savait-elle, cette pauvre fille, qu'il y e&ucirc;t un soleil et des &eacute;toiles, des villes et des campagnes, un univers dans lequel fourmillaient les mondes&nbsp;? On devait en douter jusqu'au moment o&ugrave; certains mots qu'elle ignorait encore prendraient dans son esprit une signification pr&eacute;cise.</p>
+
+<p>Quant &agrave; la question de savoir si Nell vivait seule dans les profondeurs de la Nouvelle-Aberfoyle, James Starr dut renoncer &agrave; la r&eacute;soudre. En effet, toute allusion &agrave; ce sujet jetait l'&eacute;pouvante dans cette &eacute;trange nature. Ou bien Nell ne pouvait, ou elle ne voulait pas r&eacute;pondre; mais, certainement, il existait l&agrave; quelque secret qu'elle e&ucirc;t pu d&eacute;voiler.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Veux-tu rester avec nous&nbsp;? veux-tu retourner l&agrave; o&ugrave; tu &eacute;tais&nbsp;?&nbsp;&raquo; lui avait demand&eacute; James Starr.</p>
+
+<p>A la premi&egrave;re de ces deux questions&nbsp;: &laquo;&nbsp;Oh oui&nbsp;!&nbsp;&raquo; avait dit la jeune fille. A la seconde, elle n'avait r&eacute;pondu que par un cri de terreur, mais rien de plus.</p>
+
+<p>Devant ce silence obstin&eacute;, James Starr, et avec lui Simon et Harry Ford, ne laissaient pas d'&eacute;prouver une certaine appr&eacute;hension. Ils ne pouvaient oublier les faits inexplicables qui avaient accompagn&eacute; la d&eacute;couverte de la houill&egrave;re. Or, bien que depuis trois ans aucun nouvel incident ne se f&ucirc;t produit, ils s'attendaient toujours &agrave; quelque nouvelle agression de la part de leur invisible ennemi. Aussi voulurent-ils explorer le puits myst&eacute;rieux. Ils le firent donc, bien arm&eacute;s et bien accompagn&eacute;s. Mais ils n'y trouv&egrave;rent aucune trace suspecte. Le puits communiquait avec les &eacute;tages inf&eacute;rieurs de la crypte, creus&eacute;s dans la couche carbonif&egrave;re.</p>
+
+<p>James Starr, Simon et Harry causaient souvent de ces choses. Si un ou plusieurs &ecirc;tres malfaisants &eacute;taient cach&eacute;s dans la houill&egrave;re, s'ils pr&eacute;paraient quelques emb&ucirc;ches, Nell aurait pu le dire peut-&ecirc;tre, mais elle ne parlait pas. La moindre allusion au pass&eacute; de la jeune fille provoquait des crises, et il parut bon de ne point insister. Avec le temps, son secret lui &eacute;chapperait sans doute.</p>
+
+<p>Quinze jours apr&egrave;s son arriv&eacute;e au cottage, Nell &eacute;tait l'aide la plus intelligente et la plus z&eacute;l&eacute;e de la vieille Madge. &Eacute;videmment, ne plus jamais quitter cette maison o&ugrave; elle avait &eacute;t&eacute; si charitablement accueillie, cela lui semblait tout naturel, et peut-&ecirc;tre m&ecirc;me ne s'imaginait-elle pas que d&eacute;sormais elle p&ucirc;t vivre ailleurs. La famille Ford lui suffisait, et il va sans dire que, dans la pens&eacute;e de ces braves gens, du moment que Nell &eacute;tait entr&eacute;e au cottage, elle &eacute;tait devenue leur enfant d'adoption.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait charmante, en v&eacute;rit&eacute;. Sa nouvelle existence l'embellissait. C'&eacute;taient sans doute les premiers jours heureux de sa vie. Elle se sentait pleine de reconnaissance pour ceux auxquels elle les devait. Madge s'&eacute;tait pris pour Nell d'une sympathie toute maternelle. Le vieil overman en raffola bient&ocirc;t &agrave; son tour. Tous l'aimaient, d'ailleurs. L'ami Jack Ryan ne regrettait qu'une chose&nbsp;: c'&eacute;tait de ne pas l'avoir sauv&eacute;e lui-m&ecirc;me. Il venait souvent au cottage. Il chantait, et Nell, qui n'avait jamais entendu chanter, trouvait cela fort beau; mais on e&ucirc;t pu voir que la jeune fille pr&eacute;f&eacute;rait aux chansons de Jack Ryan les entretiens plus s&eacute;rieux d'Harry, qui, peu &agrave; peu, lui apprit ce qu'elle ignorait encore des choses du monde ext&eacute;rieur.</p>
+
+<p>Il faut dire que, depuis que Nell avait apparu sous sa forme naturelle, Jack Ryan s'&eacute;tait vu forc&eacute; de convenir que sa croyance aux lutins faiblissait dans une certaine mesure. En outre, deux mois apr&egrave;s, sa cr&eacute;dulit&eacute; re&ccedil;ut un nouveau coup.</p>
+
+<p>En effet, vers cette &eacute;poque, Harry fit une d&eacute;couverte assez inattendue, mais qui expliquait en partie l'apparition des Dames de feu dans les ruines du ch&acirc;teau de Dundonald, &agrave; Irvine.</p>
+
+<p>Un jour, apr&egrave;s une longue exploration de la partie sud de la houill&egrave;re &mdash; exploration qui avait dur&eacute; plusieurs jours &agrave; travers les derni&egrave;res galeries de cette &eacute;norme substruction &mdash;, Harry avait p&eacute;niblement gravi une &eacute;troite galerie, &eacute;vid&eacute;e dans un &eacute;cartement de la roche schisteuse. Tout &agrave; coup, il fut tr&egrave;s surpris de se trouver en plein air. La galerie, apr&egrave;s avoir remont&eacute; obliquement vers la surface du sol, aboutissait pr&eacute;cis&eacute;ment aux ruines de Dundonald Castle. Il y existait donc une communication secr&egrave;te entre la Nouvelle-Aberfoyle et la colline que couronnait le vieux ch&acirc;teau. L'orifice sup&eacute;rieur de cette galerie e&ucirc;t &eacute;t&eacute; impossible &agrave; d&eacute;couvrir ext&eacute;rieurement, tant il &eacute;tait obstru&eacute; de pierres et de broussailles. Aussi, lors de l'enqu&ecirc;te, les magistrats n'avaient-ils pu y p&eacute;n&eacute;trer.</p>
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+<p>Quelques jours apr&egrave;s, James Starr, conduit par Harry, vint reconna&icirc;tre lui-m&ecirc;me cette disposition naturelle du gisement houiller.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave;, dit-il, de quoi convaincre les superstitieux de la mine. Adieu, les brawnies, les lutins et les Dames de feu&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je ne crois pas, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, que nous ayons lieu de nous en f&eacute;liciter&nbsp;! Leurs rempla&ccedil;ants ne valent pas mieux et peuvent &ecirc;tre pires, assur&eacute;ment&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, Harry, reprit l'ing&eacute;nieur, mais qu'y faire&nbsp;? &Eacute;videmment, les &ecirc;tres quelconques qui se cachent dans la mine, communiquent par cette galerie avec la surface du sol. Ce sont eux, sans doute, qui, la torche &agrave; la main, pendant cette nuit de tourmente, ont attir&eacute; le Motala &agrave; la c&ocirc;te, et, comme les anciens pilleurs d'&eacute;paves, ils en eussent vol&eacute; les d&eacute;bris, si Jack Ryan et ses compagnons ne se fussent pas trouv&eacute;s l&agrave;&nbsp;! Quoi qu'il en soit, enfin, tout s'explique. Voil&agrave; l'orifice du repaire&nbsp;! Quant &agrave; ceux qui l'habitaient, l'habitent-ils encore&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, puisque Nell tremble, lorsqu'on lui en parle&nbsp;! r&eacute;pondit Harry avec conviction. Oui, puisque Nell ne veut pas ou n'ose pas en parler&nbsp;!&nbsp;&raquo; Harry devait avoir raison. Si les myst&eacute;rieux h&ocirc;tes de la houill&egrave;re l'eussent abandonn&eacute;e, ou s'ils &eacute;taient morts, quelle raison aurait eue la jeune fille de garder le silence&nbsp;?</p>
+
+<p>Cependant, James Starr tenait absolument &agrave; p&eacute;n&eacute;trer ce secret. Il pressentait que l'avenir de la nouvelle exploitation pouvait en d&eacute;pendre. On prit donc de nouveau les plus s&eacute;v&egrave;res pr&eacute;cautions. Les magistrats furent pr&eacute;venus. Des agents occup&egrave;rent secr&egrave;tement les ruines de Dundonald-Castle. Harry lui-m&ecirc;me se cacha, pendant plusieurs nuits, au milieu des broussailles qui h&eacute;rissaient la colline. Peine inutile. On ne d&eacute;couvrit rien. Nul &ecirc;tre humain n'apparut &agrave; travers l'orifice.</p>
+
+<p>On en arriva bient&ocirc;t &agrave; cette conclusion, que les malfaiteurs avaient d&ucirc; d&eacute;finitivement quitter la Nouvelle-Aberfoyle, et que, quant &agrave; Nell, ils la croyaient morte au fond de ce puits o&ugrave; ils l'avaient abandonn&eacute;e. Avant l'exploitation, la houill&egrave;re pouvait leur offrir un refuge assur&eacute;, &agrave; l'abri de toute perquisition. Mais, depuis, les circonstances n'&eacute;taient plus les m&ecirc;mes. Le g&icirc;te devenait difficile &agrave; cacher. On aurait donc d&ucirc; raisonnablement esp&eacute;rer qu'il n'y avait plus rien &agrave; craindre pour l'avenir. Cependant, James Starr n'&eacute;tait pas absolument rassur&eacute;. Harry, non plus, ne pouvait se rendre, et il r&eacute;p&eacute;tait souvent&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell a &eacute;t&eacute; &eacute;videmment m&ecirc;l&eacute;e &agrave; tout ce myst&egrave;re. Si elle n'avait plus rien &agrave; redouter, pourquoi garderait-elle le silence&nbsp;? On ne peut douter qu'elle soit heureuse d'&ecirc;tre avec nous&nbsp;! Elle nous aime tous&nbsp;! Elle adore ma m&egrave;re&nbsp;! Si elle se tait sur son pass&eacute;, sur ce qui pourrait nous rassurer pour l'avenir, c'est donc que quelque terrible secret, que sa conscience lui interdit de d&eacute;voiler, p&egrave;se sur elle&nbsp;! Peut-&ecirc;tre aussi, dans notre int&eacute;r&ecirc;t plus que dans le sien, croit-elle devoir se renfermer dans cet inexplicable mutisme&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>C'est par suite de ces diverses consid&eacute;rations que, d'un accord commun, il avait &eacute;t&eacute; convenu qu'on &eacute;carterait de la conversation tout ce qui pouvait rappeler son pass&eacute; &agrave; la jeune fille.</p>
+
+<p>Un jour, cependant, Harry fut amen&eacute; &agrave; faire conna&icirc;tre &agrave; Nell ce que James Starr, son p&egrave;re, sa m&egrave;re et lui-m&ecirc;me croyaient devoir &agrave; son intervention.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait jour de f&ecirc;te. Les bras ch&ocirc;maient aussi bien &agrave; la surface du comt&eacute; de Stirling que dans le domaine souterrain. On s'y promenait un peu partout. Des chants retentissaient, en vingt endroits, sous les vo&ucirc;tes sonores de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Harry et Nell avaient quitt&eacute; le cottage et suivaient &agrave; pas lents la rive gauche du lac Malcolm. L&agrave;, les &eacute;clats &eacute;lectriques se projetaient avec moins de violence, et leurs faisceaux se brisaient capricieusement aux angles de quelques pittoresques rochers qui soutenaient le d&ocirc;me. Cette p&eacute;nombre convenait mieux aux yeux de Nell, qui ne se faisaient que tr&egrave;s difficilement &agrave; la lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s une heure de marche, Harry et sa compagne s'arr&ecirc;t&egrave;rent en face de la chapelle de Saint-Gilles, sur une sorte de terrasse naturelle, qui dominait les eaux du lac.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitu&eacute;s au jour, dit Harry, et certainement, ils ne pourraient supporter l'&eacute;clat du soleil.</p>
+
+<p>&mdash; Non, sans doute, r&eacute;pondit la jeune fille, si le soleil est tel que tu me l'as d&eacute;peint, Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, reprit Harry, en te parlant, je n'ai pu te donner une juste id&eacute;e de sa splendeur ni des beaut&eacute;s de cet univers que tes regards n'ont jamais observ&eacute;. &mdash; Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour o&ugrave; tu es n&eacute;e dans les profondeurs de la houill&egrave;re, se peut-il que tu ne sois jamais remont&eacute;e &agrave; la surface du sol&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Jamais, Harry, r&eacute;pondit Nell, et je ne pense pas que, m&ecirc;me petite, ni un p&egrave;re ni une m&egrave;re m'y aient jamais port&eacute;e. J'aurais certainement gard&eacute; quelque souvenir du dehors&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je le crois, r&eacute;pondit Harry. D'ailleurs, &agrave; cette &eacute;poque, Nell, bien d'autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec l'ext&eacute;rieur &eacute;taient difficiles, et j'ai connu plus d'un jeune gar&ccedil;on ou d'une jeune fille, qui, &agrave; ton &acirc;ge, ignoraient encore tout ce que tu ignores des choses de l&agrave;-haut&nbsp;! Mais maintenant, en quelques minutes, le railway du grand tunnel nous transporte &agrave; la surface du comt&eacute;. J'ai donc h&acirc;te, Nell, de t'entendre me dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;viens, Harry, mes yeux peuvent supporter la lumi&egrave;re du jour, et je veux voir le soleil&nbsp;! Je veux voir l'&oelig;uvre de Dieu&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&mdash; Je te le dirai, Harry, r&eacute;pondit la jeune fille, avant peu, je l'esp&egrave;re. J'irai admirer avec toi ce monde ext&eacute;rieur, et cependant...</p>
+
+<p>&mdash; Que veux-tu dire, Nell&nbsp;? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque regret d'avoir abandonn&eacute; le sombre ab&icirc;me dans lequel tu as v&eacute;cu pendant les premi&egrave;res ann&eacute;es de ta vie, et dont nous t'avons retir&eacute;e presque morte&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry, r&eacute;pondit Nell. Je pensais seulement que les t&eacute;n&egrave;bres sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu'y voient des yeux habitu&eacute;s &agrave; leur profondeur&nbsp;! Il y a des ombres qui passent et qu'on aimerait &agrave; suivre dans leur vol&nbsp;! Parfois ce sont des cercles qui s'entrecroisent devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir&nbsp;! Il existe, au fond de la houill&egrave;re, des trous noirs, pleins de vagues lumi&egrave;res. Et puis, on entend des bruits qui vous parlent&nbsp;! vois-tu, Harry, il faut avoir v&eacute;cu l&agrave; pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis t'exprimer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et tu n'avais pas peur, Nell, quand tu &eacute;tais seule&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Harry, r&eacute;pondit la jeune fille, c'est quand j'&eacute;tais seule que je n'avais pas peur&nbsp;!&nbsp;&raquo; La voix de Nell s'&eacute;tait l&eacute;g&egrave;rement alt&eacute;r&eacute;e en pronon&ccedil;ant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un peu, et il dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mais on pouvait se perdre dans ces longues galeries, Nell. Ne craignais-tu donc pas de t'y &eacute;garer&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry. Je connaissais, depuis longtemps, tous les d&eacute;tours de la nouvelle houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; N'en sortais-tu pas quelquefois&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Oui.., quelquefois.., r&eacute;pondit en h&eacute;sitant la jeune fille, quelquefois, je venais jusque dans l'ancienne mine d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>&mdash; Tu connaissais donc le vieux cottage&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Le cottage.., oui.., mais, de bien loin seulement, ceux qui l'habitaient&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'&eacute;taient mon p&egrave;re et ma m&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, c'&eacute;tait moi&nbsp;! Nous n'avions jamais voulu abandonner notre ancienne demeure&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Peut-&ecirc;tre cela aurait-il mieux valu pour vous&nbsp;!... murmura la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Et pourquoi, Nell&nbsp;? N'est-ce pas notre obstination &agrave; ne pas la quitter, qui nous a fait d&eacute;couvrir le nouveau gisement&nbsp;? Et cette d&eacute;couverte n'a-t-elle pas eu des cons&eacute;quences heureuses pour toute une population qui a reconquis ici l'aisance par le travail, pour toi, Nell, qui, rendue &agrave; la vie, as trouv&eacute; des c&oelig;urs tout &agrave; toi&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Pour moi&nbsp;! r&eacute;pondit vivement Nell... Oui&nbsp;! quoi qu'il puisse arriver&nbsp;! Pour les autres.., qui sait&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Que veux-tu dire&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Rien... rien&nbsp;!... Mais, il y avait danger &agrave; s'introduire, alors, dans la nouvelle houill&egrave;re&nbsp;! Oui&nbsp;! grand danger&nbsp;! Harry&nbsp;! Un jour, des imprudents ont p&eacute;n&eacute;tr&eacute; dans ces ab&icirc;mes. Ils ont &eacute;t&eacute; loin, bien loin&nbsp;! Ils se sont &eacute;gar&eacute;s...</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;gar&eacute;s&nbsp;? dit Harry en regardant Nell.</p>
+
+<p>&mdash; Oui... &eacute;gar&eacute;s... r&eacute;pondit Nell, dont la voix tremblait. Leur lampe s'est &eacute;teinte&nbsp;! Ils n'ont pu retrouver leur chemin...</p>
+
+<p>&mdash; Et l&agrave;, s'&eacute;cria Harry, emprisonn&eacute;s pendant huit longs jours, Nell, ils ont &eacute;t&eacute; pr&egrave;s de mourir&nbsp;! Et sans un &ecirc;tre secourable, que Dieu leur a envoy&eacute;, un ange peut-&ecirc;tre, qui leur a secr&egrave;tement apport&eacute; un peu de nourriture, sans un guide myst&eacute;rieux qui, plus tard, a conduit jusqu'&agrave; eux leurs lib&eacute;rateurs, ils ne seraient jamais sortis de cette tombe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et comment le sais-tu&nbsp;? demanda la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Parce que ces hommes c'&eacute;tait James Starr.., c'&eacute;tait mon p&egrave;re... c'&eacute;tait moi, Nell&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Nell, relevant la t&ecirc;te, saisit la main du jeune homme, et elle le regarda avec une telle fixit&eacute;, que celui-ci se sentit troubl&eacute; jusqu'au plus profond de son c&oelig;ur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Toi&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! r&eacute;pondit Harry, apr&egrave;s un instant de silence, et celle &agrave; qui nous devons de vivre, c'&eacute;tait toi,</p>
+
+<p>Nell&nbsp;! Ce ne pouvait &ecirc;tre que toi&nbsp;!&nbsp;&raquo; Nell laissa tomber sa t&ecirc;te entre ses deux mains, sans r&eacute;pondre. Jamais Harry ne l'avait vue aussi vivement impressionn&eacute;e.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ceux qui t'ont sauv&eacute;e, Nell, ajouta-t-il d'une voix &eacute;mue, te devaient d&eacute;j&agrave; la vie, et crois-tu qu'ils puissent jamais l'oublier&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XVI</h4>
+
+<h4>Sur l'&eacute;chelle oscillante</h4>
+</center>
+
+<p>Cependant, les travaux d'exploitation de la Nouvelle-Aberfoyle &eacute;taient conduits avec grand profit. Il va sans dire que l'ing&eacute;nieur James Starr et Simon Ford &mdash; les premiers d&eacute;couvreurs de ce riche bassin carbonif&egrave;re &mdash; participaient largement &agrave; ces b&eacute;n&eacute;fices. Harry devenait donc un parti. Mais il ne songeait gu&egrave;re &agrave; quitter le cottage. Il avait remplac&eacute; son p&egrave;re dans les fonctions d'overman et surveillait assid&ucirc;ment tout ce monde de mineurs.</p>
+
+<p>Jack Ryan &eacute;tait fier et ravi de toute cette fortune qui arrivait &agrave; son camarade. Lui aussi, il faisait bien ses affaires. Tous deux se voyaient souvent, soit au cottage, soit dans les travaux du fond. Jack Ryan n'&eacute;tait pas sans avoir observ&eacute; les sentiments qu'&eacute;prouvait Harry pour la jeune fille. Harry n'avouait pas, mais Jack riait &agrave; belles dents, lorsque son camarade secouait la t&ecirc;te en signe de d&eacute;n&eacute;gation.</p>
+
+<p>Il faut dire que l'un des plus vifs d&eacute;sirs de Jack Ryan &eacute;tait d'accompagner Nell, lorsqu'elle ferait sa premi&egrave;re visite &agrave; la surface du comt&eacute;. Il voulait voir ses &eacute;tonnements, son admiration devant cette nature encore inconnue d'elle. Il esp&eacute;rait bien qu'Harry l'emm&egrave;nerait pendant cette excursion. Jusqu'ici, cependant, celui-ci ne lui en avait pas fait la proposition, &mdash; ce qui ne laissait pas de l'inqui&eacute;ter un peu.</p>
+
+<p>Un jour, Jack Ryan descendait l'un des puits d'a&eacute;ration par lequel les &eacute;tages inf&eacute;rieurs de la houill&egrave;re communiquaient avec la surface du sol. Il avait pris l'une de ces &eacute;chelles qui, en se relevant et en s'abaissant par oscillations successives, permettent de descendre et de monter sans fatigue. Vingt oscillations de l'appareil l'avaient abaiss&eacute; de cent cinquante pieds environ, lorsque, sur l'&eacute;troit palier o&ugrave; il avait pris place, il se rencontra avec Harry, qui remontait aux travaux du jour.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est toi&nbsp;? dit Jack, en regardant son compagnon, &eacute;clair&eacute; par la lumi&egrave;re des lampes &eacute;lectriques du puits.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, r&eacute;pondit Harry, et je suis content de te voir. J'ai une proposition &agrave; te faire...</p>
+
+<p>&mdash; Je n'&eacute;coute rien avant que tu m'aies donn&eacute; des nouvelles de Nell&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Nell va bien, Jack, et si bien m&ecirc;me que, dans un mois ou six semaines, je l'esp&egrave;re...</p>
+
+<p>&mdash; Tu l'&eacute;pouseras, Harry&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Tu ne sais ce que tu dis, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'est possible, Harry, mais je sais bien ce que je ferai&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et que feras-tu&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je l'&eacute;pouserai, moi, si tu ne l'&eacute;pouses pas, toi&nbsp;! r&eacute;pliqua Jack, en &eacute;clatant de rire. Saint Mungo me prot&egrave;ge&nbsp;! mais elle me pla&icirc;t, la gentille Nell&nbsp;! Une jeune et bonne cr&eacute;ature qui n'a jamais quitt&eacute; la mine, c'est bien la femme qu'il faut &agrave; un mineur&nbsp;! Elle est orpheline comme je suis orphelin, et, pour peu que tu ne penses vraiment pas &agrave; elle, et qu'elle veuille de ton camarade, Harry&nbsp;!...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry regardait gravement Jack. Il le laissait parler, sans m&ecirc;me essayer de lui r&eacute;pondre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce que je dis l&agrave; ne te rend pas jaloux, Harry&nbsp;? demanda Jack Ryan d'un ton un peu plus s&eacute;rieux.</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, r&eacute;pondit tranquillement Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Cependant, si tu ne fais pas de Nell ta femme, tu n'as pas la pr&eacute;tention qu'elle reste vieille fille&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je n'ai aucune pr&eacute;tention&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>Une oscillation de l'&eacute;chelle vint alors permettre aux deux amis de se s&eacute;parer, l'un pour descendre, l'autre pour remonter le puits. Cependant, ils ne se s&eacute;par&egrave;rent pas.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry, dit Jack, crois-tu que je t'aie parl&eacute; s&eacute;rieusement tout &agrave; l'heure &agrave; propos de Nell&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, je vais le faire alors&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Toi, parler s&eacute;rieusement&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mon brave Harry, r&eacute;pondit Jack, je suis capable de donner un bon conseil &agrave; un ami.</p>
+
+<p>&mdash; Donne, Jack.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, voil&agrave;&nbsp;! Tu aimes Nell de tout l'amour dont elle est digne, Harry&nbsp;! Ton p&egrave;re, le vieux Simon, ta m&egrave;re, la vieille Madge, l'aiment aussi comme si elle &eacute;tait leur enfant. Or, tu aurais bien peu &agrave; faire pour qu'elle dev&icirc;nt tout &agrave; fait leur fille&nbsp;! &mdash; Pourquoi ne l'&eacute;pouses-tu pas&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pour t'avancer ainsi, Jack, r&eacute;pondit Harry, connais-tu donc les sentiments de Nell&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Personne ne les ignore, pas m&ecirc;me toi, Harry, et c'est pour cela que tu n'es point jaloux ni de moi, ni des autres. &mdash; Mais voici l'&eacute;chelle qui va descendre, et...</p>
+
+<p>&mdash; Attends, Jack, dit Harry, en retenant son camarade, dont le pied avait d&eacute;j&agrave; quitt&eacute; le palier pour se poser sur l'&eacute;chelon mobile.</p>
+
+<p>&mdash; Bon, Harry&nbsp;! s'&eacute;cria Jack en riant, tu vas me faire &eacute;carteler&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;coute s&eacute;rieusement, Jack, r&eacute;pondit Harry, car, &agrave; mon tour, c'est s&eacute;rieusement que je parle.</p>
+
+<p>&mdash; J'&eacute;coute... jusqu'&agrave; la prochaine oscillation, mais pas plus&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jack, reprit Harry, je n'ai point &agrave; cacher que j'aime Nell.</p>
+
+<p>Mon plus vif d&eacute;sir est d'en faire ma femme...</p>
+
+<p>&mdash; Bien, cela.</p>
+
+<p>&mdash; Mais, telle qu'elle est encore, j'ai comme un scrupule de conscience &agrave; lui demander de prendre une d&eacute;termination qui doit &ecirc;tre irr&eacute;vocable.</p>
+
+<p>&mdash; Que veux-tu dire, Harry&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je veux dire, Jack, que Nell n'a jamais quitt&eacute; ces profondeurs de la houill&egrave;re o&ugrave; elle est n&eacute;e, sans doute. Elle ne sait rien, elle ne conna&icirc;t rien du dehors. Elle a tout &agrave; apprendre par les yeux, et peut-&ecirc;tre aussi par le c&oelig;ur. Qui sait ce que seront ses pens&eacute;es, lorsque de nouvelles impressions na&icirc;tront en elle&nbsp;! Elle n'a encore rien de terrestre, et il me semble que ce serait la tromper, avant qu'elle se soit d&eacute;cid&eacute;e, en pleine connaissance, &agrave; pr&eacute;f&eacute;rer &agrave; tout autre le s&eacute;jour dans la houill&egrave;re. &mdash; Me comprends-tu, Jack&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui... vaguement... Je comprends surtout que tu vas encore me faire manquer la prochaine oscillation&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jack, r&eacute;pondit Harry d'une voix grave, quand ces appareils ne devraient plus jamais fonctionner, quand ce palier devrait manquer sous nos pieds, tu &eacute;couteras ce que j'ai &agrave; te dire&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; A la bonne heure&nbsp;! Harry. Voil&agrave; comment j'aime qu'on me parle&nbsp;! &mdash; Nous disons donc qu'avant d'&eacute;pouser Nell, tu vas l'envoyer dans un pensionnat de la vieille-Enfum&eacute;e&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, r&eacute;pondit Harry, je saurai bien moi-m&ecirc;me faire l'&eacute;ducation de celle qui devra &ecirc;tre ma femme&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et cela n'en vaudra que mieux, Harry&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais, auparavant, reprit Harry, je veux, comme je viens de te le dire, que Nell ait une vraie connaissance du monde ext&eacute;rieur. Une comparaison, Jack. Si tu aimais une jeune fille aveugle, et si l'on venait te dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans un mois elle sera gu&eacute;rie&nbsp;!&nbsp;&raquo; n'attendrais-tu pas pour l'&eacute;pouser que sa gu&eacute;rison f&ucirc;t faite&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, ma foi, oui&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, Jack, Nell est encore aveugle, et, avant d'en faire ma femme, je veux qu'elle sache bien que c'est moi, que ce sont les conditions de ma vie qu'elle pr&eacute;f&egrave;re et accepte. Je veux que ses yeux se soient ouverts enfin &agrave; la lumi&egrave;re du jour&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien, Harry, bien, tr&egrave;s bien&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. Je te comprends &agrave; cette heure. Et &agrave; quelle &eacute;poque l'op&eacute;ration&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Dans un mois, Jack, r&eacute;pondit Harry. Les yeux de Nell s'habituent peu &agrave; peu &agrave; la clart&eacute; de nos disques. C'est une pr&eacute;paration. Dans un mois, je l'esp&egrave;re, elle aura vu la terre et ses merveilles, le ciel et ses splendeurs&nbsp;! Elle saura que la nature a donn&eacute; au regard humain des horizons plus recul&eacute;s que ceux d'une sombre houill&egrave;re&nbsp;! Elle verra que les limites de l'univers sont infinies&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Mais, tandis qu'Harry se laissait ainsi entra&icirc;ner par son imagination, Jack Ryan, quittant le palier, avait saut&eacute; sur l'&eacute;chelon oscillant de l'appareil.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! Jack, cria Harry, o&ugrave; es-tu donc&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Au-dessous de toi, r&eacute;pondit en riant le joyeux comp&egrave;re. Pendant que tu t'&eacute;l&egrave;ves dans l'infini, moi, je descends dans l'ab&icirc;me&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Adieu, Jack&nbsp;! r&eacute;pondit Harry, en se cramponnant lui-m&ecirc;me &agrave; l'&eacute;chelle remontante. Je te recommande de ne parler &agrave; personne de ce que je viens de te dire&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; A personne&nbsp;! cria Jack Ryan, mais &agrave; une condition pourtant...</p>
+
+<p>&mdash; Laquelle&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; C'est que je vous accompagnerai tous les deux pendant la premi&egrave;re excursion que Nell fera &agrave; la surface du globe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, je te le promets&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>Une nouvelle pulsation de l'appareil mit encore un intervalle plus consid&eacute;rable entre les deux amis. Leur voix n'arrivait plus que tr&egrave;s affaiblie de l'un &agrave; l'autre.</p>
+
+<p>Et, cependant, Harry put encore entendre Jack crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et lorsque Nell aura vu les &eacute;toiles, la lune et le soleil, sais-tu bien ce qu'elle leur pr&eacute;f&eacute;rera&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ce sera toi, mon camarade, toi encore, toi toujours&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et la voix de Jack Ryan s'&eacute;teignit enfin dans un dernier hurrah&nbsp;!</p>
+
+<p>Cependant, Harry consacrait toutes ses heures inoccup&eacute;es &agrave; l'&eacute;ducation de Nell. Il lui avait appris &agrave; lire, &agrave; &eacute;crire, &mdash; toutes choses dans lesquelles la jeune fille fit de rapides progr&egrave;s. On e&ucirc;t dit qu'elle &laquo;&nbsp;savait&nbsp;&raquo; d'instinct. Jamais intelligence plus vive ne triompha plus vite d'une aussi compl&egrave;te ignorance. C'&eacute;tait un &eacute;tonnement pour ceux qui l'approchaient.</p>
+
+<p>Simon et Madge se sentaient chaque jour plus &eacute;troitement li&eacute;s &agrave; leur enfant d'adoption, dont le pass&eacute; ne laissait pas de les pr&eacute;occuper, cependant. Ils avaient bien reconnu la nature des sentiments d'Harry pour Nell, et cela ne leur d&eacute;plaisait point.</p>
+
+<p>On se rappelle que lors de sa premi&egrave;re visite &agrave; l'ancien cottage, le vieil overman avait dit &agrave; l'ing&eacute;nieur&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pourquoi mon fils se marierait-il&nbsp;? Quelle cr&eacute;ature de l&agrave;-haut conviendrait &agrave; un gar&ccedil;on dont la vie doit s'&eacute;couler dans les profondeurs d'une mine&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Eh bien, ne semblait-il pas que la Providence lui e&ucirc;t envoy&eacute; la seule compagne qui p&ucirc;t v&eacute;ritablement convenir &agrave; son fils&nbsp;? N'&eacute;tait-ce pas l&agrave; comme une faveur du Ciel&nbsp;?</p>
+
+<p>Aussi, le vieil overman se promettait-il bien que, si ce mariage se faisait, ce jour-l&agrave;, il y aurait &agrave; Coal-city une f&ecirc;te qui ferait &eacute;poque pour les mineurs de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Simon Ford ne savait pas si bien dire&nbsp;!</p>
+
+<p>Il faut ajouter qu'un autre encore d&eacute;sirait non moins ardemment cette union de Nell et d'Harry. C'&eacute;tait l'ing&eacute;nieur James Starr. Certes, le bonheur de ces deux jeunes gens, il le voulait par-dessus tout. Mais un mobile, d'un int&eacute;r&ecirc;t plus g&eacute;n&eacute;ral, peut-&ecirc;tre, le poussait aussi dans ce sens.</p>
+
+<p>On le sait, James Starr avait conserv&eacute; certaines appr&eacute;hensions, bien que rien dans le pr&eacute;sent ne les justifi&acirc;t plus. Cependant, ce qui avait &eacute;t&eacute; pouvait &ecirc;tre encore. Ce myst&egrave;re de la nouvelle houill&egrave;re, Nell &eacute;tait &eacute;videmment la seule &agrave; le conna&icirc;tre. Or, si l'avenir devait r&eacute;server de nouveaux dangers aux mineurs d'Aberfoyle, comment se mettre en garde contre de telles &eacute;ventualit&eacute;s, sans en savoir au moins la cause&nbsp;?</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell n'a pas voulu parler, r&eacute;p&eacute;tait souvent James Starr, mais ce qu'elle a tu jusqu'ici &agrave; tout autre, elle ne saurait le taire longtemps &agrave; son mari&nbsp;! Le danger menacerait Harry comme il nous menacerait nous-m&ecirc;mes. Donc, un mariage qui doit donner le bonheur aux &eacute;poux et la s&eacute;curit&eacute; &agrave; leurs amis, est un bon mariage, ou il ne s'en fera jamais ici-bas&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi raisonnait, non sans quelque logique, l'ing&eacute;nieur James Starr. Ce raisonnement, il le communiqua m&ecirc;me au vieux Simon, qui ne fut pas sans le go&ucirc;ter. Rien ne semblait donc devoir s'opposer &agrave; ce qu'Harry dev&icirc;nt l'&eacute;poux de Nell.</p>
+
+<p>Et qui donc l'aurait pu&nbsp;? Harry et Nell s'aimaient. Les vieux parents ne r&ecirc;vaient pas d'autre compagne pour leur fils. Les camarades d'Harry enviaient son bonheur, tout en reconnaissant qu'il lui &eacute;tait bien d&ucirc;. La jeune fille ne relevait que d'elle-m&ecirc;me et n'avait d'autre consentement &agrave; obtenir que celui de son propre c&oelig;ur.</p>
+
+<p>Mais, si personne ne semblait pouvoir mettre obstacle &agrave; ce mariage, pourquoi, lorsque les disques &eacute;lectriques s'&eacute;teignaient &agrave; l'heure du repos, quand la nuit se faisait sur la cit&eacute; ouvri&egrave;re, lorsque les habitants de Coal-city avaient regagn&eacute; leur cottage, pourquoi, de l'un des coins les plus sombres de la Nouvelle Aberfoyle, un &ecirc;tre myst&eacute;rieux se glissait-il dans les t&eacute;n&egrave;bres&nbsp;? Quel instinct guidait ce fant&ocirc;me &agrave; travers certaines galeries si &eacute;troites qu'on devait les croire impraticables&nbsp;? Pourquoi cet &ecirc;tre &eacute;nigmatique, dont les yeux per&ccedil;aient la plus profonde obscurit&eacute;, venait-il en rampant sur le rivage du lac Malcolm&nbsp;? Pourquoi se dirigeait-il si obstin&eacute;ment vers l'habitation de Simon Ford, et si prudemment aussi, qu'il avait jusqu'alors d&eacute;jou&eacute; toute surveillance&nbsp;? Pourquoi venait-il appuyer son oreille aux fen&ecirc;tres et essayait-il de surprendre des lambeaux de conversation &agrave; travers les volets du cottage&nbsp;?</p>
+
+<p>Et, lorsque certaines paroles arrivaient jusqu'&agrave; lui, pourquoi son poing se dressait-il pour menacer la tranquille demeure&nbsp;? Pourquoi, enfin ces mots s'&eacute;chappaient-ils de sa bouche, contract&eacute;e par la col&egrave;re&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Elle et lui&nbsp;! Jamais&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XVII</h4>
+
+<h4>Un lever de soleil</h4>
+</center>
+
+<p>Un mois apr&egrave;s &mdash; c'&eacute;tait le soir du 20 ao&ucirc;t &mdash;, Simon Ford et Madge saluaient de leurs meilleurs &laquo;&nbsp;wishes&nbsp;&raquo; quatre touristes qui s'appr&ecirc;taient &agrave; quitter le cottage.</p>
+
+<p>James Starr, Harry et Jack Ryan allaient conduire Nell sur un sol que son pied n'avait jamais foul&eacute;, dans cet &eacute;clatant milieu, dont ses regards ne connaissaient pas encore la lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>L'excursion devait se prolonger pendant deux jours. James Starr, d'accord avec Harry, voulait qu'apr&egrave;s ces quarante-huit heures pass&eacute;es au-dehors, la jeune fille e&ucirc;t vu tout ce qu'elle n'avait pu voir dans la sombre houill&egrave;re, c'est-&agrave;-dire les divers aspects du globe, comme si un panorama mouvant de villes, de plaines, de montagnes, de fleuves, de lacs, de golfes, de mers, se f&ucirc;t d&eacute;roul&eacute; devant ses yeux.</p>
+
+<p>Or, dans cette portion de l'&Eacute;cosse, comprise entre &Eacute;dimbourg et Glasgow, il semblait que la nature e&ucirc;t voulu pr&eacute;cis&eacute;ment r&eacute;unir ces merveilles terrestres, et, quant aux cieux, ils seraient l&agrave; comme partout, avec leurs nu&eacute;es changeantes, leur lune sereine ou voil&eacute;e, leur soleil radieux, leur fourmillement d'&eacute;toiles.</p>
+
+<p>L'excursion projet&eacute;e avait donc &eacute;t&eacute; combin&eacute;e de mani&egrave;re &agrave; satisfaire aux conditions de ce programme.</p>
+
+<p>Simon Ford et Madge eussent &eacute;t&eacute; tr&egrave;s heureux d'accompagner Nell; mais, on les conna&icirc;t, ils ne quittaient pas volontiers le cottage, et, finalement, ils ne purent se r&eacute;soudre &agrave; abandonner, m&ecirc;me pour un jour, leur souterraine demeure.</p>
+
+<p>James Starr allait l&agrave; en observateur, en philosophe, tr&egrave;s curieux, au point de vue psychologique, d'observer les na&iuml;ves impressions de Nell, &mdash; peut-&ecirc;tre m&ecirc;me de surprendre quelque peu des myst&eacute;rieux &eacute;v&eacute;nements auxquels son enfance avait &eacute;t&eacute; m&ecirc;l&eacute;e.</p>
+
+<p>Harry, lui, se demandait, non sans appr&eacute;hension, si une autre jeune fille que celle qu'il aimait et qu'il avait connue jusqu'alors, n'allait pas se r&eacute;v&eacute;ler pendant cette rapide initiation aux choses du monde ext&eacute;rieur.</p>
+
+<p>Quant &agrave; Jack Ryan, il &eacute;tait joyeux comme un pinson qui s'envole aux premiers rayons de soleil. Il esp&eacute;rait bien que sa contagieuse gaiet&eacute; se communiquerait &agrave; ses compagnons de voyage. Ce serait une fa&ccedil;on de payer sa bienvenue.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait pensive et comme recueillie.</p>
+
+<p>James Starr avait d&eacute;cid&eacute;, non sans raison, que le d&eacute;part se ferait le soir. Mieux valait, en effet, que la jeune fille ne pass&acirc;t que par une gradation insensible des t&eacute;n&egrave;bres de la nuit aux clart&eacute;s du jour. Or, c'est le r&eacute;sultat qui serait obtenu, puisque, de minuit &agrave; midi, elle subirait ces phases successives d'ombre et de lumi&egrave;re, auxquelles son regard pourrait s'habituer peu &agrave; peu.</p>
+
+<p>Au moment de quitter le cottage, Nell prit la main d'Harry, et lui dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry, est-il donc n&eacute;cessaire que j'abandonne notre houill&egrave;re, ne f&ucirc;t-ce que quelques jours&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Nell, r&eacute;pondit le jeune homme, il le faut&nbsp;! Il le faut pour toi et pour moi&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cependant, Harry, reprit Nell, depuis que tu m'as recueillie, je suis heureuse autant qu'on peut l'&ecirc;tre. Tu m'as instruite. Cela ne suffit-il pas&nbsp;? Que vais-je faire l&agrave;-haut&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry la regarda sans r&eacute;pondre. Les pens&eacute;es qu'exprimait Nell &eacute;taient presque les siennes.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ma fille, dit alors James Starr, je comprends ton h&eacute;sitation, mais il est bon que tu viennes avec nous. Ceux que tu aimes t'accompagnent, et ils te ram&egrave;neront. Que tu veuilles, ensuite, continuer de vivre dans la houill&egrave;re, comme le vieux Simon, comme Madge, comme Harry, libre &agrave; toi&nbsp;! Je ne doute pas qu'il en doive &ecirc;tre ainsi, et je t'approuve. Mais, au moins, tu pourras comparer ce que tu laisses avec ce que tu prends, et agir en toute libert&eacute;. viens donc&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Viens, ma ch&egrave;re Nell, dit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, je suis pr&ecirc;te &agrave; te suivre&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit la jeune fille.</p>
+
+<p>A neuf heures, le dernier train du tunnel entra&icirc;nait Nell et ses compagnons &agrave; la surface du comt&eacute;. vingt minutes apr&egrave;s, il les d&eacute;posait &agrave; la gare o&ugrave; se reliait le petit embranchement, d&eacute;tach&eacute; du railway de Dumbarton &agrave; Stirling, qui desservait la Nouvelle Aberfoyle.</p>
+
+<p>La nuit &eacute;tait d&eacute;j&agrave; sombre. De l'horizon au z&eacute;nith, quelques vapeurs peu compactes couraient encore dans les hauteurs du ciel, sous la pouss&eacute;e d'une brise de nord-ouest qui rafra&icirc;chissait l'atmosph&egrave;re. La journ&eacute;e avait &eacute;t&eacute; belle. La nuit devait l'&ecirc;tre aussi.</p>
+
+<p>Arriv&eacute;s &agrave; Stirling, Nell et ses compagnons, abandonnant le train, sortirent aussit&ocirc;t de la gare.</p>
+
+<p>Devant eux, entre de grands arbres, se d&eacute;veloppait une route qui conduisait aux rives du Forth.</p>
+
+<p>La premi&egrave;re impression physique qu'&eacute;prouva la jeune fille, fut celle de l'air pur que ses poumons aspir&egrave;rent avidement.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Respire bien, Nell, dit James Starr, respire cet air charg&eacute; de toutes les vivifiantes senteurs de la campagne&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Quelles sont ces grandes fum&eacute;es qui courent au-dessus de notre t&ecirc;te&nbsp;? demanda Nell.</p>
+
+<p>&mdash; Ce sont des nuages, r&eacute;pondit Harry, ce sont des vapeurs &agrave; demi condens&eacute;es que le vent pousse dans l'ouest.</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! fit Nell, que j'aimerais &agrave; me sentir emport&eacute;e dans leur silencieux tourbillon&nbsp;! &mdash; Et quels sont ces points scintillants qui brillent &agrave; travers les d&eacute;chirures des nu&eacute;es&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ce sont les &eacute;toiles dont je t'ai parl&eacute;, Nell. Autant de soleils, autant de centres de mondes, peut-&ecirc;tre semblables au n&ocirc;tre&nbsp;!&nbsp;&raquo; Les constellations se dessinaient plus nettement alors sur le bleu-noir du firmament, que le vent purifiait peu &agrave; peu.</p>
+
+<p>Nell regardait ces milliers d'&eacute;toiles brillantes qui fourmillaient au-dessus de sa t&ecirc;te.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mais, dit-elle, si ce sont des soleils, comment mes yeux peuvent-ils en supporter l'&eacute;clat&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ma fille, r&eacute;pondit James Starr, ce sont des soleils, en effet, mais des soleils qui gravitent &agrave; une distance &eacute;norme. Le plus rapproch&eacute; de ces milliers d'astres, dont les rayons arrivent jusqu'&agrave; nous, c'est cette &eacute;toile de la Lyre, Wega, que tu vois l&agrave; presque au z&eacute;nith, et elle est encore &agrave; cinquante mille milliards de lieues. Son &eacute;clat ne peut donc affecter ton regard. Mais notre soleil se l&egrave;vera demain &agrave; trente-huit millions de lieues seulement, et aucun &oelig;il humain ne peut le regarder fixement, car il est plus ardent qu'un foyer de fournaise. Mais viens, Nell, viens&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On prit la route. James Starr tenait la jeune fille par la main. Harry marchait &agrave; son c&ocirc;t&eacute;. Jack Ryan allait et venait comme e&ucirc;t fait un jeune chien, impatient de la lenteur de ses ma&icirc;tres.</p>
+
+<p>Le chemin &eacute;tait d&eacute;sert. Nell regardait la silhouette des grands arbres que le vent agitait dans l'ombre. Elle les e&ucirc;t volontiers pris pour quelques g&eacute;ants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne d'horizon qui s'accusait plus nettement, lorsque la route coupait une plaine, tout l'impr&eacute;gnait de sentiments nouveaux et tra&ccedil;ait en elle des impressions ineffa&ccedil;ables. Apr&egrave;s avoir interrog&eacute; d'abord, Nell se taisait, et, d'un commun propos, ses compagnons respectaient son silence. Ils ne voulaient point influencer par leurs paroles l'imagination sensible de la jeune fille. Ils pr&eacute;f&eacute;raient laisser les id&eacute;es na&icirc;tre d'elles-m&ecirc;mes en son esprit.</p>
+
+<p>A onze heures et demie environ, la rive septentrionale du golfe de Forth &eacute;tait atteinte.</p>
+
+<p>L&agrave;, une barque, qui avait &eacute;t&eacute; fr&eacute;t&eacute;e par James Starr, attendait. Elle devait, en quelques heures, les porter, ses compagnons et lui, jusqu'au port d'Edimbourg.</p>
+
+<p>Nell vit l'eau brillante qui ondulait &agrave; ses pieds sous l'action du ressac et semblait constell&eacute;e d'&eacute;toiles tremblotantes.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Est-ce un lac&nbsp;? demanda-t-elle.</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit Harry, c'est un vaste golfe avec des eaux courantes, c'est l'embouchure d'un fleuve, c'est presque un bras de mer. Prends un peu de cette eau dans le creux de ta main, Nell, et tu verras qu'elle n'est pas douce comme celle du lac Malcolm.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La jeune fille se baissa, trempa sa main dans les premiers flots et la porta &agrave; ses l&egrave;vres.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Cette eau est sal&eacute;e, dit-elle.</p>
+
+<p>-Oui, r&eacute;pondit Harry, la mer a reflu&eacute; jusqu'ici, car la mar&eacute;e est pleine. Les trois quarts de notre globe sont recouverts de cette eau sal&eacute;e, dont tu viens de boire quelques gouttes&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais si l'eau des fleuves n'est que celle de la mer que leur versent les nuages, pourquoi est-elle douce&nbsp;? demanda Nell.</p>
+
+<p>&mdash; Parce que l'eau se dessale en s'&eacute;vaporant, r&eacute;pondit James Starr. Les nuages ne sont form&eacute;s que par l'&eacute;vaporation et renvoient sous forme de pluie cette eau douce &agrave; la mer.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, Harry&nbsp;! s'&eacute;cria alors la jeune fille, quelle est cette lueur rouge&acirc;tre qui enflamme l'horizon&nbsp;? Est-ce donc une for&ecirc;t en feu&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et Nell montrait un point du ciel, au milieu des basses brumes qui se coloraient dans l'est.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non, Nell, r&eacute;pondit Harry. C'est la lune &agrave; son lever.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, la lune&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan, un superbe plateau d'argent que les g&eacute;nies c&eacute;lestes font circuler dans le firmament, et qui recueille toute une monnaie d'&eacute;toiles&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Vraiment, Jack&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur en riant, je ne te connaissais pas ce penchant aux comparaisons hardies&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! monsieur Starr, ma comparaison est juste&nbsp;! vous voyez bien que les &eacute;toiles disparaissent &agrave; mesure que la lune s'avance. Je suppose donc qu'elles tombent dedans&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'est-&agrave;-dire, Jack, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, que c'est la lune qui &eacute;teint par son &eacute;clat les &eacute;toiles de sixi&egrave;me grandeur, et voil&agrave; pourquoi celles-ci s'effacent sur son passage.</p>
+
+<p>&mdash; Que tout cela est beau&nbsp;! r&eacute;p&eacute;tait Nell, qui ne vivait plus que par le regard. Mais je croyais que la lune &eacute;tait toute ronde&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Elle est ronde quand elle est pleine, r&eacute;pondit James Starr, c'est-&agrave;-dire lorsqu'elle se trouve en opposition avec le soleil. Mais, cette nuit, la lune entre dans son dernier quartier, elle est &eacute;corn&eacute;e d&eacute;j&agrave;, et le plateau d'argent de notre ami Jack n'est plus qu'un plat &agrave; barbe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! monsieur Starr, s'&eacute;cria Jack Ryan, quelle indigne comparaison&nbsp;! J'allais justement entonner ce couplet en l'honneur de la lune&nbsp;:</p>
+
+<blockquote>Astre des nuits qui dans ton cours<br>
+Viens caresser...</blockquote>
+
+Mais non&nbsp;! C'est maintenant impossible&nbsp;! votre plat &agrave; barbe m'a coup&eacute; l'inspiration&nbsp;!&nbsp;&raquo;
+
+<p>Cependant, la lune montait peu &agrave; peu sur l'horizon. Devant elle s'&eacute;vanouissaient les derni&egrave;res vapeurs. Au z&eacute;nith et dans l'ouest, les &eacute;toiles brillaient encore sur un fond noir que l'&eacute;clat lunaire allait graduellement p&acirc;lir. Nell contemplait en silence cet admirable spectacle, ses yeux supportaient sans fatigue cette douce lueur argent&eacute;e, mais sa main fr&eacute;missait dans celle d'Harry et parlait pour elle.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Embarquons-nous, mes amis, dit James Starr. Il faut que nous ayons gravi les pentes de l'Arthur-Seat avant le lever du soleil&nbsp;!&nbsp;&raquo; La barque &eacute;tait amarr&eacute;e &agrave; un pieu de la rive. Un marinier la gardait. Nell et ses compagnons y prirent place. La voile fut hiss&eacute;e et se gonfla sous la brise du nord-ouest.</p>
+
+<p>Quelle nouvelle impression ressentit alors la jeune fille&nbsp;! Elle avait navigu&eacute; quelquefois sur les lacs de la Nouvelle-Aberfoyle, mais l'aviron, si doucement mani&eacute; qu'il f&ucirc;t par la main d'Harry, trahissait toujours l'effort du rameur. Ici, pour la premi&egrave;re fois, Nell se sentait entra&icirc;n&eacute;e avec un glissement presque aussi doux que celui du ballon &agrave; travers l'atmosph&egrave;re. Le golfe &eacute;tait uni comme un lac. A demi couch&eacute;e &agrave; l'arri&egrave;re, Nell se laissait aller &agrave; ce balancement. Par instants, en de certaines embard&eacute;es, un rayon de lune filtrait jusqu'&agrave; la surface du Forth, et l'embarcation semblait courir sur une nappe d'argent toute scintillante. De petites ondulations chantaient le long du bordage. C'&eacute;tait un ravissement.</p>
+
+<p>Mais il arriva alors que les yeux de Nell se ferm&egrave;rent involontairement. Une sorte d'assoupissement passager la prit. Sa t&ecirc;te s'inclina sur la poitrine d'Harry, et elle s'endormit d'un tranquille sommeil.</p>
+
+<p>Harry voulait la r&eacute;veiller, afin qu'elle ne perd&icirc;t rien des magnificences de cette belle nuit.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Laisse-la dormir, mon gar&ccedil;on, lui dit l'ing&eacute;nieur. Deux heures de repos la pr&eacute;pareront mieux &agrave; supporter les impressions du jour.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A deux heures du matin, l'embarcation arrivait au pier de Granton. Nell se r&eacute;veilla, d&egrave;s qu'elle toucha terre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;J'ai dormi&nbsp;? demanda-t-elle.</p>
+
+<p>&mdash; Non, ma fille, r&eacute;pondit James Starr. Tu as simplement r&ecirc;v&eacute; que tu dormais, voil&agrave; tout.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La nuit &eacute;tait tr&egrave;s claire alors. La lune, &agrave; mi-chemin de l'horizon au z&eacute;nith, dispersait ses rayons &agrave; tous les points du ciel.</p>
+
+<p>Le petit port de Granton ne contenait que deux ou trois bateaux de p&ecirc;che, que balan&ccedil;ait doucement la houle du golfe. La brise calmissait aux approches du matin. L'atmosph&egrave;re, nettoy&eacute;e de brumes, promettait une de ces d&eacute;licieuses journ&eacute;es d'ao&ucirc;t que le voisinage de la mer rend plus belles encore. Une sorte de bu&eacute;e chaude se d&eacute;gageait de l'horizon, mais si fine, si transparente, que les premiers feux du soleil devaient la boire en un instant. La jeune fille put donc observer cet aspect de la mer, lorsqu'elle se confond avec l'extr&ecirc;me p&eacute;rim&egrave;tre du ciel. La port&eacute;e de sa vue s'en trouvait agrandie, mais son regard ne subissait pas cette impression particuli&egrave;re que donne l'Oc&eacute;an, lorsque la lumi&egrave;re semble en reculer les bornes &agrave; l'infini.</p>
+
+<p>Harry prit la main de Nell. Tous deux suivirent James Starr et Jack Ryan qui s'avan&ccedil;aient par les rues d&eacute;sertes. Dans la pens&eacute;e de Nell, ce faubourg de la capitale n'&eacute;tait qu'un assemblage de maisons sombres, qui lui rappelait Coal-city, avec cette seule diff&eacute;rence que sa vo&ucirc;te &eacute;tait plus &eacute;lev&eacute;e et scintillait de points brillants. Elle allait d'un pas l&eacute;ger, et jamais Harry n'&eacute;tait oblig&eacute; de ralentir le sien, par crainte de la fatiguer.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tu n'es pas lasse&nbsp;? lui demanda-t-il, apr&egrave;s une demi-heure de marche.</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit-elle. Mes pieds ne semblent m&ecirc;me pas toucher &agrave; la terre&nbsp;! Ce ciel est si haut au-dessus de nous que j'ai l'envie de m'envoler, comme si j'avais des ailes&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Retiens-la&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. C'est qu'elle est bonne &agrave; garder, notre petite Nell&nbsp;! Moi aussi, j'&eacute;prouve cet effet, lorsque je suis rest&eacute; quelque temps sans sortir de la houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela est d&ucirc;, dit James Starr, &agrave; ce que nous ne nous sentons plus &eacute;cras&eacute;s par la vo&ucirc;te de schiste qui recouvre Coal-city&nbsp;! Il semble alors que le firmament soit comme un profond ab&icirc;me dans lequel on est tent&eacute; de s'&eacute;lancer. &mdash; N'est-ce pas ce que tu ressens, Nell&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr, r&eacute;pondit la jeune fille, c'est bien cela. J'&eacute;prouve comme une sorte de vertige&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tu t'y feras, Nell, r&eacute;pondit Harry. Tu te feras &agrave; cette immensit&eacute; du monde ext&eacute;rieur, et peut-&ecirc;tre oublieras-tu alors notre sombre houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jamais, Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Nell.</p>
+
+<p>Et elle appuya sa main sur ses yeux, comme si elle e&ucirc;t voulu refaire dans son esprit le souvenir de tout ce qu'elle venait de quitter.</p>
+
+<p>Entre les maisons endormies de la ville, James Starr et ses compagnons travers&egrave;rent Leith-Walk. Ils contourn&egrave;rent Calton Hill, o&ugrave; se dressaient dans la p&eacute;nombre l'Observatoire et le monument de Nelson. Ils suivirent la rue du R&eacute;gent, franchirent un pont, et arriv&egrave;rent par un l&eacute;ger d&eacute;tour &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la Canongate.</p>
+
+<p>Aucun mouvement ne se faisait encore dans la ville. Deux heures sonnaient au clocher gothique de Canongate-Church.</p>
+
+<p>En cet endroit, Nell s'arr&ecirc;ta.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Quelle est cette masse confuse&nbsp;? demanda-t-elle en montrant un &eacute;difice isol&eacute; qui s'&eacute;levait au fond d'une petite place.</p>
+
+<p>&mdash; Cette masse, Nell, r&eacute;pondit James Starr, c'est le palais des anciens souverains de l'&Eacute;cosse, Holyrood, o&ugrave; se sont accomplis tant d'&eacute;v&eacute;nements fun&egrave;bres&nbsp;! L&agrave;, l'historien pourrait &eacute;voquer bien des ombres royales, depuis l'ombre de l'infortun&eacute;e Marie Stuart jusqu'&agrave; celle du vieux roi fran&ccedil;ais Charles X&nbsp;! Et pourtant, malgr&eacute; ces fun&egrave;bres souvenirs, lorsque le jour sera venu, Nell, tu ne trouveras pas &agrave; cette r&eacute;sidence un aspect trop lugubre&nbsp;! Avec ses quatre grosses tours cr&eacute;nel&eacute;es, Holyrood ne ressemble pas mal &agrave; quelque ch&acirc;teau de plaisance, auquel le bon plaisir de son propri&eacute;taire a conserv&eacute; son caract&egrave;re f&eacute;odal&nbsp;! &mdash; Mais continuons notre marche. L&agrave;, dans l'enceinte m&ecirc;me de l'ancienne abbaye d'Holyrood, se dressent ces roches superbes de Salisbury que domine l'Arthur-Seat. C'est l&agrave; que nous monterons. C'est &agrave; sa cime, Nell, que tes yeux verront le soleil appara&icirc;tre au-dessus de l'horizon de mer.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Ils entr&egrave;rent dans le Parc du Roi. Puis, s'&eacute;levant graduellement, ils travers&egrave;rent victoria-Drive, magnifique route circulaire, praticable aux voitures, que Walter Scott se f&eacute;licite d'avoir obtenue avec quelques lignes de roman.</p>
+
+<p>L'Arthur-Seat n'est, &agrave; vrai dire, qu'une colline haute de sept cent cinquante pieds, dont la t&ecirc;te isol&eacute;e domine les hauteurs environnantes. En moins d'une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait l'ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le cr&acirc;ne de ce lion auquel ressemble l'Arthur Seat, lorsqu'on l'observe du c&ocirc;t&eacute; de l'ouest.</p>
+
+<p>L&agrave;, tous quatre s'assirent, et James Starr, toujours riche de citations emprunt&eacute;es au grand romancier &eacute;cossais, se borna &agrave; dire&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voici ce qu'a &eacute;crit Walter Scott, au huit de la <i>Prison d'&Eacute;dimbourg</i>&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Si j'avais &agrave; choisir un lieu d'o&ugrave; l'on p&ucirc;t voir le mieux possible le lever et le coucher du soleil, ce serait cet endroit m&ecirc;me.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder &agrave; para&icirc;tre, et, pour la premi&egrave;re fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Les regards de la jeune fille &eacute;taient alors tourn&eacute;s vers l'est. Harry, plac&eacute; pr&egrave;s d'elle, l'observait avec une anxieuse attention. N'allait-elle pas &ecirc;tre trop vivement impressionn&eacute;e par les premiers rayons du jour&nbsp;? Tous demeur&egrave;rent silencieux. Jack Ryan lui-m&ecirc;me se tut.</p>
+
+<p>D&eacute;j&agrave; une petite ligne p&acirc;le, nuanc&eacute;e de rose, se dessinait au-dessus de l'horizon sur un fond de brumes l&eacute;g&egrave;res. Un reste de vapeurs, &eacute;gar&eacute;es au Z&eacute;nith, fut attaqu&eacute; par le premier trait de lumi&egrave;re. Au pied d'Arthur-Seat, dans le calme absolu de la nuit, &Eacute;dimbourg, assoupie encore, apparaissait confus&eacute;ment. Quelques points lumineux piquaient &ccedil;&agrave; et l&agrave; l'obscurit&eacute;. C'&eacute;taient les &eacute;toiles matinales qu'allumaient les gens de la vieille ville. En arri&egrave;re, dans l'ouest, l'horizon, coup&eacute; de silhouettes capricieuses, bornait une r&eacute;gion accident&eacute;e de pics, auxquels chaque rayon solaire allait mettre une aigrette de feu.</p>
+
+<p>Cependant, le p&eacute;rim&egrave;tre de la mer se tra&ccedil;ait plus vivement vers l'est. La gamme des couleurs se disposait peu &agrave; peu suivant l'ordre que donne le spectre solaire. Le rouge des premi&egrave;res brumes allait par d&eacute;gradation jusqu'au violet du z&eacute;nith. De seconde en seconde, la palette prenait plus de vigueur&nbsp;: le rose devenait rouge, le rouge devenait feu. Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc diurne allait fixer sur la circonf&eacute;rence de la mer.</p>
+
+<p>En ce moment, les regards de Nell couraient du pied de la colline jusqu'&agrave; la ville, dont les quartiers commen&ccedil;aient &agrave; se d&eacute;tacher par groupes. De hauts monuments, quelques clochers aigus &eacute;mergeaient &ccedil;&agrave; et l&agrave;, et leurs lin&eacute;aments se profilaient alors avec plus de nettet&eacute;. Il se r&eacute;pandait comme une sorte de lumi&egrave;re cendr&eacute;e dans l'espace. Enfin, un premier rayon atteignit l'&oelig;il de la jeune fille. C'&eacute;tait ce rayon vert, qui, soir ou matin, se d&eacute;gage de la mer, lorsque l'horizon est pur.</p>
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+<p>Une demi-minute plus tard, Nell se redressait et tendait la main vers un point qui dominait les quartiers de la nouvelle ville.</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Un feu&nbsp;! dit-elle.</p>
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+<p>&mdash; Non, Nell, r&eacute;pondit Harry, ce n'est pas un feu. C'est une touche d'or que le soleil pose au sommet du monument de Walter Scott&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>Et, en effet, l'extr&ecirc;me pointe du clocheton, haut de deux cents pieds, brillait comme un phare de premier ordre.</p>
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+<p>Le jour &eacute;tait fait. Le soleil d&eacute;borda. Son disque semblait encore humide, comme s'il f&ucirc;t r&eacute;ellement sorti des eaux de la mer. D'abord &eacute;largi par la r&eacute;fraction, il se r&eacute;tr&eacute;cit peu &agrave; peu, de mani&egrave;re &agrave; prendre la forme circulaire. Son &eacute;clat, bient&ocirc;t insoutenable, &eacute;tait celui d'une bouche de fournaise qui e&ucirc;t trou&eacute; le ciel.</p>
+
+<p>Nell dut presque aussit&ocirc;t fermer les yeux. Sur leurs paupi&egrave;res, trop minces, il lui fallut m&ecirc;me appliquer ses doigts, serr&eacute;s &eacute;troitement.</p>
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+<p>Harry voulait qu'elle se retourn&acirc;t vers l'horizon oppos&eacute;.</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Non, Harry, dit-elle. Il faut que mes yeux s'habituent &agrave; voir ce que savent voir tes yeux&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>A travers la paume de ses mains, Nell percevait encore une lueur rose, qui blanchissait &agrave; mesure que le soleil s'&eacute;levait au dessus de l'horizon. Son regard s'y faisait graduellement. Puis, ses paupi&egrave;res se soulev&egrave;rent, et ses yeux s'impr&eacute;gn&egrave;rent enfin de la lumi&egrave;re du jour.</p>
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+<p>La pieuse enfant tomba &agrave; genoux, s'&eacute;criant&nbsp;:</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Mon Dieu, que votre monde est beau&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>La jeune fille baissa les yeux alors et regarda. A ses pieds se d&eacute;roulait le panorama d'&Eacute;dimbourg&nbsp;: les quartiers neufs et bien align&eacute;s de la nouvelle ville, l'amas confus des maisons et le r&eacute;seau bizarre des rues de l'Auld-Recky. Deux hauteurs dominaient cet ensemble, le ch&acirc;teau accroch&eacute; &agrave; son rocher de basalte et Calton Hill, portant sur sa croupe arrondie les ruines modernes d'un monument grec. De magnifiques routes plant&eacute;es rayonnaient de la capitale &agrave; la campagne. Au nord, un bras de mer, le golfe de Forth, entaillait profond&eacute;ment la c&ocirc;te, sur laquelle s'ouvrait le port de Leith. Au-dessus, en troisi&egrave;me plan, se d&eacute;veloppait l'harmonieux littoral du comt&eacute; de Fife. Une voie, droite comme celle du Pir&eacute;e, reliait &agrave; la mer cette Ath&egrave;nes du Nord. Vers l'ouest s'allongeaient les belles plages de Newhaven et de Porto-Bello, dont le sable teignait en jaune les premi&egrave;res lames du ressac. Au large, quelques chaloupes animaient les eaux du golfe, et deux ou trois steamers empanachaient le ciel d'un c&ocirc;ne de fum&eacute;e noire. Puis, au-del&agrave;, verdoyait l'immense campagne. De modestes collines bossuaient &ccedil;&agrave; et l&agrave; la plaine. Au nord, les Lomond-Hills, dans l'ouest, le Ben-Lomond et le Ben-Ledi r&eacute;verb&eacute;raient les rayons solaires, comme si des glaces &eacute;ternelles en eussent tapiss&eacute; les cimes.</p>
+
+<p>Nell ne pouvait parler. Ses l&egrave;vres ne murmuraient que des mots vagues. Ses bras fr&eacute;missaient. Sa t&ecirc;te &eacute;tait prise de vertiges. Un instant, ses forces l'abandonn&egrave;rent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle sublime, elle se sentit tout &agrave; coup faiblir, et tomba sans connaissance dans les bras d'Harry, pr&ecirc;ts &agrave; la recevoir.</p>
+
+<p>Cette jeune fille, dont la vie s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e jusqu'alors dans les entrailles du massif terrestre, avait enfin contempl&eacute; ce qui constitue presque tout l'univers, tel que l'ont fait le Cr&eacute;ateur et l'homme. Ses regards, apr&egrave;s avoir plan&eacute; sur la ville et sur la campagne, venaient de s'&eacute;tendre, pour la premi&egrave;re fois, sur l'immensit&eacute; de la mer et l'infini du ciel.</p>
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+<h4>XVIII</h4>
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+<h4>Du lac Lomond au lac Katrine</h4>
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+<p>Harry portant Nell dans ses bras, suivi de James Starr et de Jack Ryan, redescendit les pentes d'Arthur-Seat. Apr&egrave;s quelques heures de repos et un d&eacute;jeuner r&eacute;confortant qui fut pris &agrave; Lambret's-Hotel, on songea &agrave; compl&eacute;ter l'excursion par une promenade &agrave; travers le pays des lacs.</p>
+
+<p>Nell avait recouvr&eacute; ses forces. Ses yeux pouvaient d&eacute;sormais s'ouvrir tout grands &agrave; la lumi&egrave;re, et ses poumons aspirer largement cet air vivifiant et salubre. Le vert des arbres, la nuance vari&eacute;e des plantes, l'azur du ciel, avaient d&eacute;ploy&eacute; devant ses regards la gamme des couleurs.</p>
+
+<p>Le train qu'ils prirent &agrave; G&eacute;n&eacute;ral railway station, conduisit Nell et ses compagnons &agrave; Glasgow. L&agrave;, du dernier pont jet&eacute; sur la Clyde, ils purent admirer le curieux mouvement maritime du fleuve. Puis, ils pass&egrave;rent la nuit &agrave; Comrie's Royal-h&ocirc;tel.</p>
+
+<p>Le lendemain, de la gare d'&laquo;&nbsp;&Eacute;dimbourg and Glasgow railway&nbsp;&raquo;, le train devait les conduire rapidement, par Dumbarton et Balloch, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; m&eacute;ridionale du lac Lomond.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est l&agrave; le pays de Rob Roy et de Fergus Mac Gregor&nbsp;! s'&eacute;cria James Starr, le territoire si po&eacute;tiquement c&eacute;l&eacute;br&eacute; par Walter Scott&nbsp;! &mdash; Tu ne connais pas ce pays, Jack&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je le connais par ses chansons, monsieur Starr, r&eacute;pondit Jack Ryan, et, lorsqu'un pays a &eacute;t&eacute; si bien chant&eacute;, il doit &ecirc;tre superbe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il l'est, en effet, s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, et notre ch&egrave;re Nell en conservera le meilleur souvenir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Avec un guide tel que vous, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, ce sera double profit, car vous nous raconterez l'histoire du pays pendant que nous le regarderons.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Harry, dit l'ing&eacute;nieur, autant que ma m&eacute;moire me le permettra, mais &agrave; une condition, cependant&nbsp;: c'est que le joyeux Jack me viendra en aide&nbsp;! Lorsque je serai fatigu&eacute; de raconter, il chantera&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il ne faudra pas me le dire deux fois&nbsp;&raquo;, r&eacute;pliqua Jack Ryan en lan&ccedil;ant une note vibrante, comme s'il e&ucirc;t voulu monter son gosier au <i>la</i> du diapason.</p>
+
+<p>Par le railway de Glasgow &agrave; Balloch, entre la m&eacute;tropole commerciale de l'&Eacute;cosse et l'extr&eacute;mit&eacute; m&eacute;ridionale du lac Lomond, on ne compte qu'une vingtaine de milles.</p>
+
+<p>Le train passa par Dumbarton, bourg royal et chef-lieu de comt&eacute;, dont le ch&acirc;teau, toujours fortifi&eacute;, conform&eacute;ment au trait&eacute; de l'Union, est pittoresquement camp&eacute; sur les deux pics d'un gros rocher de basalte.</p>
+
+<p>Dumbarton est situ&eacute; au confluent de la Clyde et de la Leven. A ce propos, James Starr raconta quelques particularit&eacute;s de l'aventureuse histoire de Marie Stuart. En effet, ce fut de ce bourg qu'elle partit pour aller &eacute;pouser Fran&ccedil;ois II et devenir reine de France. L&agrave; aussi, apr&egrave;s 1815, le minist&egrave;re anglais m&eacute;dita d'interner Napol&eacute;on; mais le choix de Sainte-H&eacute;l&egrave;ne pr&eacute;valut, et voil&agrave; pourquoi le prisonnier de l'Angleterre alla mourir sur un roc de l'Atlantique, pour le plus grand profit de la l&eacute;gendaire m&eacute;moire.</p>
+
+<p>Bient&ocirc;t, le train s'arr&ecirc;ta &agrave; Balloch, pr&egrave;s d'une estacade en bois qui descendait au niveau du lac.</p>
+
+<p>Un bateau &agrave; vapeur, le <i>Sinclair</i>, attendait les touristes qui font l'excursion des lacs. Nell et ses compagnons s'y embarqu&egrave;rent, apr&egrave;s avoir pris leur billet pour Inversnaid, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; nord du lac Lomond.</p>
+
+<p>La journ&eacute;e commen&ccedil;ait par un beau soleil, bien d&eacute;gag&eacute; de ces brumes britanniques, dont il se voile le plus ordinairement. Aucun d&eacute;tail de ce paysage, qui allait se d&eacute;rouler sur un parcours de trente milles, ne devait &eacute;chapper aux voyageurs du <i>Sinclair</i>. Nell, assise &agrave; l'arri&egrave;re entre James Starr et Harry, aspirait par tous ses sens la po&eacute;sie superbe, dont cette belle nature &eacute;cossaise est si largement empreinte.</p>
+
+<p>Jack Ryan allait et venait sur le pont du <i>Sinclair</i>, interrogeant sans cesse l'ing&eacute;nieur, qui, cependant, n'avait pas besoin d'&ecirc;tre interrog&eacute;. A mesure que ce pays de Rob Roy se d&eacute;veloppait &agrave; ses regards, il le d&eacute;crivait en admirateur enthousiaste.</p>
+
+<p>Dans les premi&egrave;res eaux du lac Lomond, apparurent d'abord de nombreuses petites &icirc;les ou &icirc;lots. C'&eacute;tait comme un semis. Le <i>Sinclair</i> c&ocirc;toyait leurs rives escarp&eacute;es, et, dans l'entre-deux des &icirc;les, se dessinaient, tant&ocirc;t une vall&eacute;e solitaire, tant&ocirc;t une gorge sauvage, h&eacute;riss&eacute;e de rocs abrupts.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell, dit James Starr, chacun de ces &icirc;lots a sa l&eacute;gende, et peut-&ecirc;tre sa chanson, aussi bien que les monts qui encadrent le lac. On peut dire, sans trop de pr&eacute;tention, que l'histoire de cette contr&eacute;e est &eacute;crite avec ces caract&egrave;res gigantesques d'&icirc;les et de montagnes.</p>
+
+<p>&mdash; Savez-vous, monsieur Starr, dit Harry, ce que me rappelle cette partie du lac Lomond&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Que te rappelle-t-elle, Harry&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Les mille &icirc;les du lac Ontario, si admirablement d&eacute;crites par Cooper. Tu dois &ecirc;tre comme moi frapp&eacute;e de cette ressemblance, ma ch&egrave;re Nell, car, il y a quelques jours, je t'ai lu ce roman qu'on a pu justement nommer le chef-d'&oelig;uvre de l'auteur am&eacute;ricain.</p>
+
+<p>&mdash; En effet, Harry, r&eacute;pondit la jeune fille, c'est le m&ecirc;me aspect, et le <i>Sinclair</i> se glisse entre ces &icirc;les, comme faisait au lac Ontario le cutter de Jasper Eau-douce&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, reprit l'ing&eacute;nieur, cela prouve que les deux sites m&eacute;ritaient d'&ecirc;tre &eacute;galement chant&eacute;s par deux po&egrave;tes&nbsp;! Je ne connais pas ces mille &icirc;les de l'Ontario, Harry, mais je doute que l'aspect en soit plus vari&eacute; que celui de cet archipel du Lomond. Regardez ce paysage&nbsp;! voici l'&icirc;le Murray, avec son vieux fort Lennox, o&ugrave; r&eacute;sida la vieille duchesse d'Albany, apr&egrave;s la mort de son p&egrave;re, de son &eacute;poux, de ses deux fils, d&eacute;capit&eacute;s par ordre de Jacques Ier. Voici l'&icirc;le Clar, l'&icirc;le Cro, l'&icirc;le Torr, les unes rocheuses, sauvages, sans apparence de v&eacute;g&eacute;tation, les autres, montrant leur croupe verte et arrondie. Ici, des m&eacute;l&egrave;zes et des bouleaux. L&agrave;, des champs de bruy&egrave;res jaunes et dess&eacute;ch&eacute;es. En v&eacute;rit&eacute;&nbsp;! j'ai quelque peine &agrave; croire que les mille &icirc;les du lac Ontario offrent une telle vari&eacute;t&eacute; de sites&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Quel est ce petit port&nbsp;? demanda Nell, qui s'&eacute;tait retourn&eacute;e vers la rive orientale du lac.</p>
+
+<p>&mdash; C'est Balmaha, qui forme l'entr&eacute;e des Highlands, r&eacute;pondit James Starr. L&agrave; commencent nos hautes terres d'&Eacute;cosse. Les ruines que tu aper&ccedil;ois, Nell, sont celles d'un ancien couvent de femmes, et ces tombes &eacute;parses renferment divers membres de la famille des Mac Gregor, dont le nom est encore c&eacute;l&egrave;bre dans toute la contr&eacute;e.</p>
+
+<p>&mdash; C&eacute;l&egrave;bre par le sang que cette famille a r&eacute;pandu et fait r&eacute;pandre&nbsp;! fit observer Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Tu as raison, r&eacute;pondit James Starr, et il faut bien avouer que la c&eacute;l&eacute;brit&eacute;, due aux batailles, est encore la plus retentissante. Ils vont loin &agrave; travers les &acirc;ges ces r&eacute;cits de combats...</p>
+
+<p>&mdash; Et ils se perp&eacute;tuent par les chansons&nbsp;&raquo;, ajouta Jack Ryan.</p>
+
+<p>Et, &agrave; l'appui de son dire, le brave gar&ccedil;on entonna le premier couplet d'un vieux chant de guerre, qui relatait les exploits d'Alexandre Mac Gregor, du glen Sra&euml;, contre sir Humphry Colquhour, de Luss.</p>
+
+<p>Nell &eacute;coutait, mais, de ces r&eacute;cits de combats, elle ne recevait qu'une impression triste. Pourquoi tant de sang vers&eacute; sur ces plaines que la jeune fille trouvait immenses, l&agrave; o&ugrave; la place, cependant, ne devait manquer &agrave; personne&nbsp;?</p>
+
+<p>Les rives du lac, qui mesurent de trois &agrave; quatre milles, tendaient &agrave; se rapprocher aux abords du petit port de Luss. Nell put apercevoir un instant la vieille tour de l'ancien ch&acirc;teau. Puis, le <i>Sinclair</i> remit le cap au nord, et aux yeux des touristes se montra le Ben Lomond, qui s'&eacute;l&egrave;ve &agrave; pr&egrave;s de trois mille pieds au-dessus du niveau du lac.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;L'admirable montagne&nbsp;! s'&eacute;cria Nell, et, de son sommet, que la vue doit &ecirc;tre belle&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Nell, r&eacute;pondit James Starr. Regarde comme cette cime se d&eacute;gage fi&egrave;rement de la corbeille de ch&ecirc;nes, de bouleaux, de m&eacute;l&egrave;zes, qui tapissent la zone inf&eacute;rieure du mont&nbsp;! De l&agrave;, on aper&ccedil;oit les deux tiers de notre vieille Cal&eacute;donie. C'est ici que le clan de Mac Gregor faisait sa r&eacute;sidence habituelle, sur la partie orientale du lac. Non loin, les querelles des Jacobites et des Hanovriens ont plus d'une fois ensanglant&eacute; ces gorges d&eacute;sol&eacute;es. L&agrave;, pendant les belles nuits, se l&egrave;ve cette p&acirc;le lune, que les vieux r&eacute;cits nomment &laquo;&nbsp;la lanterne de Mac Farlane&nbsp;&raquo;. L&agrave;, les &eacute;chos r&eacute;p&egrave;tent encore les noms imp&eacute;rissables de Rob Roy et de Mac Gregor Campbell&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le Ben Lomond, dernier pic de la cha&icirc;ne des Grampians, m&eacute;rite vraiment d'avoir &eacute;t&eacute; c&eacute;l&eacute;br&eacute; par le grand romancier &eacute;cossais. Ainsi que le fit observer James Starr, il existe de plus hautes montagnes, dont la cime rev&ecirc;t des neiges &eacute;ternelles, mais il n'en est peut-&ecirc;tre pas de plus po&eacute;tique en aucun coin du monde.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et, ajouta-t-il, quand je pense que ce Ben Lomond appartient tout entier au duc de Montrose&nbsp;! Sa Gr&acirc;ce poss&egrave;de une montagne comme un bourgeois de Londres poss&egrave;de un boulingrin dans son jardinet.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Pendant ce temps, le <i>Sinclair</i> arrivait au village de Tarbet, sur la rive oppos&eacute;e du lac, o&ugrave; il d&eacute;posa les voyageurs qui se rendaient &agrave; Inverary. De cet endroit, le Ben Lomond apparaissait dans toute sa beaut&eacute;. Ses flancs, z&eacute;br&eacute;s par le lit des torrents, miroitaient comme des plaques d'argent en fusion.</p>
+
+<p>A mesure que le <i>Sinclair</i> longeait la base de la montagne, le pays devenait de plus en plus abrupt. A peine, &ccedil;&agrave; et l&agrave;, des arbres isol&eacute;s, entre autres quelques-uns de ces saules, dont les baguettes servaient autrefois &agrave; pendre les gens de petite condition.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pour &eacute;conomiser le chanvre&nbsp;&raquo;, fit observer James Starr.</p>
+
+<p>Le lac, cependant, se r&eacute;tr&eacute;cissait en s'allongeant vers le nord. Les montagnes lat&eacute;rales l'enserraient plus &eacute;troitement. Le bateau &agrave; vapeur longea encore quelques &icirc;les et &icirc;lots, Inveruglas, Eilad Whou, o&ugrave; se dressaient les vestiges d'une forteresse qui appartenait aux Mac Farlane. Enfin les deux rives se rejoignirent, et le <i>Sinclair</i> s'arr&ecirc;ta &agrave; la station d'Inverslaid.</p>
+
+<p>L&agrave;, pendant qu'on pr&eacute;parait leur d&eacute;jeuner, Nell et ses compagnons all&egrave;rent visiter, pr&egrave;s du lieu de d&eacute;barquement, un torrent qui se pr&eacute;cipitait dans le lac d'une assez grande hauteur. Il paraissait avoir &eacute;t&eacute; plant&eacute; l&agrave; comme un d&eacute;cor, pour le plaisir des touristes. Un pont tremblant sautait par-dessus les eaux tumultueuses, au milieu d'une poussi&egrave;re liquide. De cet endroit, le regard embrassait une grande partie du Lomond, et le <i>Sinclair</i> ne paraissait plus &ecirc;tre qu'un point &agrave; sa surface.</p>
+
+<p>Le d&eacute;jeuner achev&eacute;, il s'agissait de se rendre au lac Katrine. Plusieurs voitures, aux armes de la famille Breadalbane &mdash; cette famille qui assurait autrefois le bois et l'eau &agrave; Rob Roy fugitif &mdash; &eacute;taient &agrave; la disposition des voyageurs et leur offraient tout ce confort qui distingue la carrosserie anglaise.</p>
+
+<p>Harry installa Nell sur l'imp&eacute;riale, conform&eacute;ment &agrave; la mode du jour. Ses compagnons et lui prirent place aupr&egrave;s d'elle. Un magnifique cocher, &agrave; livr&eacute;e rouge, r&eacute;unit dans sa main gauche les guides de ses quatre chevaux, et l'attelage commen&ccedil;a &agrave; gravir le flanc de la montagne, en c&ocirc;toyant le lit sinueux du torrent.</p>
+
+<p>La route &eacute;tait fort escarp&eacute;e. A mesure qu'elle s'&eacute;levait, la forme des cimes environnantes semblait se modifier. On voyait grandir superbement toute la cha&icirc;ne de la rive oppos&eacute;e du lac et les sommets d'Arroquhar, dominant la vall&eacute;e d'Inveruglas. A gauche pointait le Ben Lomond, qui d&eacute;couvrait ainsi le brusque escarpement de son flanc septentrional.</p>
+
+<p>Le pays compris entre le lac Lomond et le lac Katrine pr&eacute;sentait un aspect sauvage. La vall&eacute;e commen&ccedil;ait par des d&eacute;fil&eacute;s &eacute;troits qui aboutissaient au glen d'Aberfoyle. Ce nom rappela douloureusement &agrave; la jeune fille ces ab&icirc;mes remplis d'&eacute;pouvante, au fond desquels s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e son enfance. Aussi James Starr s'empressa-t-il de la distraire par ses r&eacute;cits.</p>
+
+<p>La contr&eacute;e y pr&ecirc;tait, d'ailleurs. C'est sur les bords du petit lac d'Ard que se sont accomplis les principaux &eacute;v&eacute;nements de la vie de Rob Roy. L&agrave; se dressaient des roches calcaires d'un aspect sinistre, entrem&ecirc;l&eacute;es de cailloux, que l'action du temps et de l'atmosph&egrave;re avait durcis comme du ciment. De mis&eacute;rables huttes, semblables &agrave; des tani&egrave;res &mdash; de celles qu'on appelle &laquo;&nbsp;bourrochs&nbsp;&raquo; &mdash;, gisaient au milieu des bergeries en ruine. On n'e&ucirc;t pu dire si elles &eacute;taient habit&eacute;es par des cr&eacute;atures humaines ou des b&ecirc;tes sauvages. Quelques marmots, aux cheveux d&eacute;j&agrave; d&eacute;color&eacute;s par l'intemp&eacute;rie du climat, regardaient passer les voitures avec de grands yeux &eacute;bahis.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; bien, dit James Starr, ce que l'on peut plus particuli&egrave;rement appeler le pays de Rob Roy. C'est ici que l'excellent bailli Nichol Jarvie, digne fils de son p&egrave;re le diacre, fut saisi par la milice du comte de Lennox. C'est &agrave; cet endroit m&ecirc;me qu'il resta suspendu par le fond de sa culotte, heureusement faite d'un bon drap d'&Eacute;cosse, et non de ces camelots l&eacute;gers de France&nbsp;! Non loin des sources du Forth, qu'alimentent les torrents du Ben Lomond, se voit encore le gu&eacute; que franchit le h&eacute;ros pour &eacute;chapper aux soldats du duc de Montrose. Ah&nbsp;! s'il avait connu les sombres retraites de notre houill&egrave;re, il aurait pu y d&eacute;fier toutes les recherches&nbsp;! vous le voyez, mes amis, on ne peut faire un pas dans cette contr&eacute;e, merveilleuse &agrave; tant de titres, sans rencontrer ces souvenirs du pass&eacute; dont s'est inspir&eacute; Walter Scott, lorsqu'il a paraphras&eacute; en strophes magnifiques l'appel aux armes du clan des Mac Gregor&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tout cela est bien dit, monsieur Starr, r&eacute;pliqua Jack Ryan, mais, s'il est vrai que Nichol Jarvie resta suspendu par le fond de sa culotte, que devient notre proverbe&nbsp;: &laquo;&nbsp;Bien malin celui qui pourra jamais prendre la culotte d'un &Eacute;cossais&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&mdash; Ma foi, Jack, tu as raison, r&eacute;pondit en riant James Starr, et cela prouve tout simplement que, ce jour-l&agrave;, notre bailli n'&eacute;tait pas v&ecirc;tu &agrave; la mode de ses anc&ecirc;tres&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il eut tort, monsieur Starr&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je n'en disconviens pas, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'attelage, apr&egrave;s avoir gravi les abruptes rives du torrent, redescendit dans une vall&eacute;e sans arbres, sans eaux, uniquement couverte d'une maigre bruy&egrave;re. En certains endroits, quelques tas de pierres s'&eacute;levaient en pyramides.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce sont des cairns, dit James Starr. Chaque passant, autrefois, devait y apporter une pierre, pour honorer le h&eacute;ros couch&eacute; sous ces tombes. De l&agrave; est venu le dicton ga&eacute;lique&nbsp;: &laquo;&nbsp;Malheur &agrave; qui passe devant un cairn sans y d&eacute;poser la pierre du dernier salut&nbsp;!&nbsp;&raquo; Si les fils avaient conserv&eacute; la foi de leurs p&egrave;res, ces amas de pierres seraient maintenant des collines. En v&eacute;rit&eacute;, dans cette contr&eacute;e, tout contribue &agrave; d&eacute;velopper cette po&eacute;sie naturelle inn&eacute;e au c&oelig;ur des montagnards&nbsp;! Il en est ainsi de tous les pays de montagne. L'imagination y est surexcit&eacute;e par ces merveilles, et, si les Grecs eussent habit&eacute; un pays de plaines, ils n'auraient jamais invent&eacute; la mythologie antique&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Pendant ces discours et bien d'autres, la voiture s'enfon&ccedil;ait dans les d&eacute;fil&eacute;s d'une vall&eacute;e &eacute;troite, qui e&ucirc;t &eacute;t&eacute; tr&egrave;s propice aux &eacute;bats des brawnies familiers de la grande Meg M&eacute;rillies. Le petit lac d'Arklet fut laiss&eacute; sur la gauche, et une route &agrave; pente raide se pr&eacute;senta, qui conduisait &agrave; l'auberge de Stronachlacar, sur la rive du lac Katrine.</p>
+
+<p>L&agrave;, au musoir d'une l&eacute;g&egrave;re estacade, se balan&ccedil;ait un petit steam-boat, qui portait naturellement le nom de <i>Rob-Roy</i>. Les voyageurs s'y embarqu&egrave;rent aussit&ocirc;t&nbsp;: il allait partir.</p>
+
+<p>Le lac Katrine ne mesure que dix milles de longueur, sur une largeur qui ne d&eacute;passe jamais deux milles. Les premi&egrave;res collines du littoral sont encore empreintes d'un grand caract&egrave;re.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; donc ce lac, s'&eacute;cria James Starr, que l'on a justement compar&eacute; &agrave; une longue anguille&nbsp;! On affirme qu'il ne g&egrave;le jamais. Je n'en sais rien, mais ce qu'il ne faut point oublier, c'est qu'il a servi de th&eacute;&acirc;tre aux exploits de la <i>Dame du lac</i>. Je suis certain que, si notre ami Jack regardait bien, il verrait glisser encore &agrave; sa surface l'ombre l&eacute;g&egrave;re de la belle H&eacute;l&egrave;ne Douglas&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Certainement, monsieur Starr, r&eacute;pondit Jack Ryan, et pourquoi ne la verrais-je point&nbsp;? Pourquoi cette jolie femme ne serait elle pas aussi visible sur les eaux du lac Katrine, que le sont les lutins de la houill&egrave;re sur les eaux du lac Malcolm&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>En cet instant, les sons clairs d'une cornemuse se firent entendre &agrave; l'arri&egrave;re du <i>Rob-Roy</i>.</p>
+
+<p>L&agrave;, un Highlander en costume national pr&eacute;ludait, sur son &laquo;&nbsp;bag-pipe&nbsp;&raquo; &agrave; trois bourdons, dont le plus gros sonnait le <i>sol</i>, le second le <i>si</i>, et le plus petit l'octave du gros. Quant au chalumeau, perc&eacute; de huit trous, il donnait une gamme de <i>sol</i> majeur dont le <i>fa</i> &eacute;tait naturel.</p>
+
+<p>Le refrain du Highlander &eacute;tait un chant simple, doux et na&iuml;f. On peut croire, v&eacute;ritablement, que ces m&eacute;lodies nationales n'ont &eacute;t&eacute; compos&eacute;es par personne, qu'elles sont un m&eacute;lange naturel du souffle de la brise, du murmure des eaux, du bruissement des feuilles. La forme du refrain, qui revenait &agrave; intervalles r&eacute;guliers, &eacute;tait bizarre. Sa phrase se composait de trois mesures &agrave; deux temps, et d'une mesure &agrave; trois temps, finissant sur le temps faible. Contrairement aux chants de la vieille &eacute;poque, il &eacute;tait en majeur, et l'on e&ucirc;t pu l'&eacute;crire comme suit, dans ce langage chiffr&eacute; qui donne, non les notes, mais les intervalles des tons&nbsp;:</p>
+
+<pre>
+ 5 | 1.2 | 3525 | 1.765 | 22.22
+ &middot;&middot;&middot;
+
+ 1.2 | 3525 | 1.765 | 11.11
+ &middot;&middot;&middot;
+</pre>
+
+<p>Un homme v&eacute;ritablement heureux alors, ce fut Jack Ryan. Ce chant des lacs d'&Eacute;cosse, il le savait. Aussi, pendant que le Highlander l'accompagnait sur sa cornemuse, il chanta de sa voix sonore un hymne, consacr&eacute; aux po&eacute;tiques l&eacute;gendes de la vieille Cal&eacute;donie&nbsp;:</p>
+
+<blockquote>Beaux lacs aux ondes dormantes,<br>
+&nbsp; &nbsp; Gardez &agrave; jamais<br>
+Vos l&eacute;gendes charmantes,<br>
+&nbsp; &nbsp; Beaux lacs &eacute;cossais&nbsp;!<br>
+<br>
+Sur vos bords on trouve la trace<br>
+De ces h&eacute;ros tant regrett&eacute;s,<br>
+Ces descendants de noble race,<br>
+Que notre Walter a chant&eacute;s&nbsp;!<br>
+Voici la tour o&ugrave; les sorci&egrave;res<br>
+Pr&eacute;paraient leur repas frugal;<br>
+L&agrave;, les vastes champs de bruy&egrave;res,<br>
+O&ugrave; revient l'ombre de Fingal.<br>
+<br>
+Ici passent dans la nuit sombre<br>
+Les folles danses des lutins.<br>
+L&agrave;, sinistre, appara&icirc;t dans l'ombre<br>
+La face des vieux Puritains&nbsp;!<br>
+Et parmi les rochers sauvages,<br>
+Le soir, on peut surprendre encore<br>
+Waverley, qui, vers vos rivages,<br>
+Entra&icirc;ne Flora Mac Ivor&nbsp;!<br>
+<br>
+La Dame du Lac vient sans doute<br>
+Errer l&agrave; sur son palefroi,<br>
+Et Diana, non loin, &eacute;coute<br>
+R&eacute;sonner le cor de Rob Roy&nbsp;!<br>
+N'a-t-on pas entendu nagu&egrave;re<br>
+Fergus au milieu de ses clans,<br>
+Entonnant ses pibrochs de guerre,<br>
+R&eacute;veiller l'&eacute;cho des Highlands<br>
+<br>
+Si loin de vous, lacs po&eacute;tiques,<br>
+Que le destin m&egrave;ne nos pas,<br>
+Ravins, rochers, grottes antiques,<br>
+Nos yeux ne vous oublieront pas&nbsp;!<br>
+&Ocirc; vision trop t&ocirc;t finie,<br>
+Vers nous ne peux-tu revenir<br>
+A toi, vieille Cal&eacute;donie,<br>
+A toi, tout notre souvenir&nbsp;!<br>
+<br>
+Beaux lacs aux ondes dormantes,<br>
+ &nbsp; &nbsp; Gardez &agrave; jamais<br>
+Vos l&eacute;gendes charmantes,<br>
+&nbsp; &nbsp; Beaux lacs &eacute;cossais&nbsp;!<br>
+</blockquote>
+
+<p>Il &eacute;tait trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine, moins accident&eacute;es, se d&eacute;tachaient alors dans le double cadre du Ben An et du Ben venue. D&eacute;j&agrave;, &agrave; un demi-mille, se dessinait l'&eacute;troit bassin, au fond duquel le <i>Rob-Roy</i> allait d&eacute;barquer les voyageurs, qui se rendaient &agrave; Stirling par Callander.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait comme &eacute;puis&eacute;e par la tension continue de son esprit. Un seul mot sortait de ses l&egrave;vres&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon Dieu&nbsp;! mon Dieu&nbsp;!&nbsp;&raquo; chaque fois qu'un nouveau sujet d'admiration s'offrait &agrave; sa vue. Il lui fallait quelques heures de repos, ne f&ucirc;t-ce que pour fixer plus durablement le souvenir de tant de merveilles.</p>
+
+<p>A ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec &eacute;motion et lui dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell, ma ch&egrave;re Nell, bient&ocirc;t nous serons rentr&eacute;s dans notre sombre domaine&nbsp;! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces quelques heures pass&eacute;es &agrave; la pleine lumi&egrave;re du jour&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry, r&eacute;pondit la jeune fille. Je me souviendrai, mais c'est avec bonheur que je rentrerai avec toi dans notre bien-aim&eacute;e houill&egrave;re.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, demanda Harry d'une voix dont il voulait en vain contenir l'&eacute;motion, veux-tu qu'un lien sacr&eacute; nous unisse &agrave; jamais devant Dieu et devant les hommes&nbsp;? veux-tu de moi pour &eacute;poux&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je le veux, Harry, r&eacute;pondit Nell, en le regardant de ses yeux si purs, je le veux, si tu crois que je puisse suffire &agrave; ta vie...&nbsp;&raquo; Nell n'avait pas achev&eacute; cette phrase, dans laquelle se r&eacute;sumait tout l'avenir d'Harry, qu'un inexplicable ph&eacute;nom&egrave;ne se produisait.</p>
+
+<p>Le <i>Rob-Roy</i>, bien qu'il f&ucirc;t encore &agrave; un demi-mille de la rive, &eacute;prouvait un choc brusque. Sa quille venait de heurter le fond du lac, et sa machine, malgr&eacute; tous ses efforts, ne put l'en arracher.</p>
+
+<p>Et si cet accident &eacute;tait arriv&eacute;, c'est que, dans sa portion orientale, le lac Katrine venait de se vider presque subitement, comme si une immense fissure se f&ucirc;t ouverte sous son lit. En quelques secondes, il s'&eacute;tait ass&eacute;ch&eacute;, ainsi qu'un littoral au plus bas d'une grande mar&eacute;e d'&eacute;quinoxe. Presque tout son contenu avait fui &agrave; travers les entrailles du sol.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mes amis, s'&eacute;tait &eacute;cri&eacute; James Starr, comme si la cause du ph&eacute;nom&egrave;ne se f&ucirc;t soudain r&eacute;v&eacute;l&eacute;e &agrave; son esprit, Dieu sauve la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&nbsp;<br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XIX</h4>
+
+<h4>Une derni&egrave;re menace</h4>
+</center>
+
+<p>Ce jour-l&agrave;, dans la Nouvelle-Aberfoyle, les travaux s'accomplissaient d'une fa&ccedil;on r&eacute;guli&egrave;re. On entendait au loin le fracas des cartouches de dynamite, faisant &eacute;clater le filon carbonif&egrave;re. Ici, c'&eacute;taient les coups de pic et de pince qui provoquaient l'abatage du charbon; l&agrave;, le grincement des perforatrices, dont les fleurets trouaient les failles de gr&egrave;s ou de schiste. Il se faisait de longs bruits caverneux. L'air aspir&eacute; par les machines fusait &agrave; travers les galeries d'a&eacute;ration. Les portes de bois se refermaient brusquement sous ces violentes pouss&eacute;es. Dans les tunnels inf&eacute;rieurs, les trains de wagonnets, mus m&eacute;caniquement, passaient avec une vitesse de quinze milles &agrave; l'heure, et les timbres automatiques pr&eacute;venaient les ouvriers de se blottir dans les refuges. Les cages montaient et descendaient sans rel&acirc;che, hal&eacute;es par les &eacute;normes tambours des machines install&eacute;es &agrave; la surface du sol. Les disques, pouss&eacute;s &agrave; plein feu, &eacute;clairaient vivement Coal-city.</p>
+
+<p>L'exploitation &eacute;tait donc conduite avec la plus grande activit&eacute;. Le filon s'&eacute;grenait dans les wagonnets, qui venaient par centaines se vider dans les bennes, au fond des puits d'extraction. Pendant qu'une partie des mineurs se reposait apr&egrave;s les travaux nocturnes, les &eacute;quipes de jour travaillaient sans perdre une heure.</p>
+
+<p>Simon Ford et Madge, leur d&icirc;ner termin&eacute;, s'&eacute;taient install&eacute;s dans la cour du cottage. Le vieil overman faisait sa sieste accoutum&eacute;e. Il fumait sa pipe bourr&eacute;e d'excellent tabac de France. Lorsque les deux &eacute;poux causaient, c'&eacute;tait pour parler de Nell, de leur gar&ccedil;on, de James Starr, de cette excursion &agrave; la surface de la terre. O&ugrave; &eacute;taient-ils&nbsp;? Que faisaient-ils en ce moment&nbsp;? Comment, sans &eacute;prouver la nostalgie de la houill&egrave;re, pouvaient-ils rester si longtemps au-dehors&nbsp;?</p>
+
+<p>En ce moment, un mugissement d'une violence extraordinaire se fit soudain entendre. C'&eacute;tait &agrave; croire qu'une &eacute;norme cataracte se pr&eacute;cipitait dans la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Simon Ford et Madge s'&eacute;taient lev&eacute;s brusquement.</p>
+
+<p>Presque aussit&ocirc;t les eaux du lac Malcolm se gonfl&egrave;rent. Une haute vague, d&eacute;ferlant comme une lame de mascaret, envahit la rive et vint se briser contre le mur du cottage.</p>
+
+<p>Simon Ford, saisissant Madge, l'avait rapidement entra&icirc;n&eacute;e au premier &eacute;tage de l'habitation.</p>
+
+<p>En m&ecirc;me temps, des cris s'&eacute;levaient de toutes parts dans Coalcity, menac&eacute;e par cette inondation subite. Ses habitants cherchaient refuge jusque sur les hautes roches schisteuses, qui formaient le littoral du lac.</p>
+
+<p>La terreur &eacute;tait au comble. D&eacute;j&agrave; quelques familles de mineurs, &agrave; demi affol&eacute;es, se pr&eacute;cipitaient vers le tunnel, pour gagner les &eacute;tages sup&eacute;rieurs. On pouvait craindre que la mer n'e&ucirc;t fait irruption dans la houill&egrave;re, dont les galeries s'enfon&ccedil;aient jusque sous le canal du Nord. La crypte, si vaste qu'elle f&ucirc;t, aurait &eacute;t&eacute; enti&egrave;rement noy&eacute;e. Pas un des habitants de la Nouvelle-Aberfoyle n'e&ucirc;t &eacute;chapp&eacute; &agrave; la mort.</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; les premiers fuyards atteignaient l'orifice du tunnel, ils se trouv&egrave;rent en face de Simon Ford, qui avait aussit&ocirc;t quitt&eacute; le cottage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Arr&ecirc;tez, arr&ecirc;tez, mes amis&nbsp;! leur cria le vieil overman. Si notre cit&eacute; devait &ecirc;tre envahie, l'inondation courrait plus vite que vous, et personne ne lui &eacute;chapperait&nbsp;! Mais les eaux ne croissent plus&nbsp;! Tout danger para&icirc;t &ecirc;tre &eacute;cart&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Et nos compagnons qui sont occup&eacute;s aux travaux du fond&nbsp;? s'&eacute;cri&egrave;rent quelques-uns des mineurs.</p>
+
+<p>&mdash; Il n'y a rien &agrave; craindre pour eux, r&eacute;pondit Simon Ford. L'exploitation se fait &agrave; un &eacute;tage sup&eacute;rieur au lit du lac&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Les faits devaient donner raison au vieil overman. L'envahissement de l'eau s'&eacute;tait produit subitement; mais, r&eacute;parti &agrave; l'&eacute;tage inf&eacute;rieur de la vaste houill&egrave;re, il n'avait eu d'autre effet que de sur&eacute;lever de quelques pieds le niveau du lac Malcolm. Coal-city n'&eacute;tait donc pas compromise, et l'on pouvait esp&eacute;rer que l'inondation, entra&icirc;n&eacute;e dans les plus basses profondeurs de la houill&egrave;re, encore inexploit&eacute;es, n'aurait fait aucune victime.</p>
+
+<p>Quant &agrave; cette inondation, si elle &eacute;tait due &agrave; l'&eacute;panchement d'une nappe int&eacute;rieure &agrave; travers les fissures du massif, ou si quelque cours d'eau du sol s'&eacute;tait pr&eacute;cipit&eacute; par son lit effondr&eacute; jusqu'aux derniers &eacute;tages de la mine, Simon Ford et ses compagnons ne pouvaient le dire. Quant &agrave; penser qu'il s'agissait l&agrave; d'un simple accident, tel qu'il s'en produit quelquefois dans les charbonnages, cela ne faisait doute pour personne.</p>
+
+<p>Mais, le soir m&ecirc;me, on savait &agrave; quoi s'en tenir. Les journaux du comt&eacute; publiaient le r&eacute;cit de cet &eacute;trange ph&eacute;nom&egrave;ne, dont le lac Katrine avait &eacute;t&eacute; le th&eacute;&acirc;tre. Nell, Harry, James Starr et Jack Ryan, qui &eacute;taient revenus en toute h&acirc;te au cottage, confirmaient ces nouvelles, et apprenaient, non sans grande satisfaction, que tout se bornait &agrave; des d&eacute;g&acirc;ts mat&eacute;riels dans la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Ainsi donc, le lit du lac Katrine s'&eacute;tait subitement effondr&eacute;. Ses eaux avaient fait irruption &agrave; travers une large fissure jusque dans la houill&egrave;re. Au lac favori du romancier &eacute;cossais, il ne restait plus de quoi mouiller les jolis pieds de la Dame du Lac, &mdash; du moins dans toute sa partie m&eacute;ridionale. Un &eacute;tang de quelques acres, voil&agrave; &agrave; quoi il &eacute;tait r&eacute;duit, l&agrave; o&ugrave; son lit se trouvait en contrebas de la portion effondr&eacute;e.</p>
+
+<p>Quel retentissement eut cet &eacute;v&eacute;nement bizarre&nbsp;! C'&eacute;tait la premi&egrave;re fois, sans doute, qu'un lac se vidait en quelques instants dans les entrailles du sol. Il n'y avait plus, maintenant, qu'&agrave; rayer celui-ci des cartes du Royaume-Uni, jusqu'&agrave; ce qu'on l'e&ucirc;t rempli de nouveau &mdash; par souscription publique &mdash;, apr&egrave;s avoir pr&eacute;alablement bouch&eacute; la fissure. Walter Scott en f&ucirc;t mort de d&eacute;sespoir, &mdash; s'il e&ucirc;t encore &eacute;t&eacute; de ce monde&nbsp;!</p>
+
+<p>Apr&egrave;s tout, l'accident &eacute;tait explicable. En effet, entre la profonde cavit&eacute; et le lit du lac, l'&eacute;tage des terrains secondaires se r&eacute;duisait &agrave; une mince couche, par suite d'une disposition g&eacute;ologique particuli&egrave;re du massif.</p>
+
+<p>Mais, si cet &eacute;boulement semblait &ecirc;tre d&ucirc; &agrave; une cause naturelle, James Starr, Simon et Harry Ford se demand&egrave;rent, eux, s'il ne fallait pas l'attribuer &agrave; la malveillance. Les soup&ccedil;ons &eacute;taient revenus avec plus de force &agrave; leur esprit. Le g&eacute;nie malfaisant allait-il donc recommencer ses entreprises contre les exploitants de la riche houill&egrave;re&nbsp;?</p>
+
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, James Starr en causait au cottage avec le vieil overman et son fils.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Simon, dit-il, suivant moi, bien que le fait puisse s'expliquer de lui-m&ecirc;me, j'ai comme un pressentiment qu'il rentre dans la cat&eacute;gorie de ceux dont nous recherchons encore la cause&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je pense comme vous, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford; mais, si vous m'en croyez, n'&eacute;bruitons rien et faisons notre enqu&ecirc;te nous-m&ecirc;mes.</p>
+
+<p>&mdash; Oh&nbsp;! s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, j'en connais le r&eacute;sultat d'avance&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! quel sera-t-il&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Nous trouverons les preuves de la malveillance, mais non le malfaiteur&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cependant il existe&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford. O&ugrave; se cache-t-il&nbsp;? Un seul &ecirc;tre, si pervers qu'il soit, pourrait-il mener &agrave; bien une id&eacute;e aussi infernale que celle de provoquer l'effondrement d'un lac&nbsp;? vraiment, je finirai par croire, avec Jack Ryan, que c'est quelque g&eacute;nie de la houill&egrave;re, qui nous en veut d'avoir envahi son domaine&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il va sans dire que Nell, autant que possible, &eacute;tait tenue en dehors de ces conciliabules. Elle aidait, d'ailleurs, au d&eacute;sir qu'on avait de ne lui en rien laisser soup&ccedil;onner. Son attitude t&eacute;moignait, toutefois, qu'elle partageait les pr&eacute;occupations de sa famille adoptive. Sa figure attrist&eacute;e portait la marque des combats int&eacute;rieurs qui l'agitaient.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, il fut r&eacute;solu que James Starr, Simon et Harry Ford retourneraient sur le lieu m&ecirc;me de l'&eacute;boulement, et qu'ils essaieraient de se rendre compte de ses causes. Ils ne parl&egrave;rent &agrave; personne de leur projet. A qui n'e&ucirc;t pas connu l'ensemble des faits qui lui servaient de base, l'opinion de James Starr et de ses amis devait sembler absolument inadmissible.</p>
+
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, tous trois, montant un l&eacute;ger canot que man&oelig;uvrait Harry, vinrent examiner les piliers naturels qui soutenaient la partie du massif, dans laquelle se creusait le lit du lac Katrine.</p>
+
+<p>Cet examen leur donna raison. Les piliers avaient &eacute;t&eacute; attaqu&eacute;s &agrave; coups de mine. Les traces noircies &eacute;taient encore visibles, car les eaux avaient baiss&eacute; par suite d'infiltrations, et l'on pouvait arriver jusqu'&agrave; la base de la substruction.</p>
+
+<p>Cette chute d'une portion des vo&ucirc;tes du d&ocirc;me avait &eacute;t&eacute; pr&eacute;m&eacute;dit&eacute;e, puis ex&eacute;cut&eacute;e de main d'homme.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Aucun doute n'est possible, dit James Starr. Et qui sait ce qui serait arriv&eacute;, si, au lieu de ce petit lac, l'effondrement e&ucirc;t ouvert passage aux eaux d'une mer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! s'&eacute;cria le vieil overman avec un sentiment de fiert&eacute;, il n'aurait pas fallu moins d'une mer pour noyer notre Aberfoyle&nbsp;! Mais, encore une fois, quel int&eacute;r&ecirc;t peut avoir un &ecirc;tre quelconque &agrave; la ruine de notre exploitation&nbsp;?.</p>
+
+<p>&mdash; C'est incompr&eacute;hensible, r&eacute;pondit James Starr. Il ne s'agit pas l&agrave; d'une bande de malfaiteurs vulgaires qui, de l'antre o&ugrave; ils s'abritent, se r&eacute;pandraient sur le pays pour voler et piller&nbsp;! De tels m&eacute;faits, depuis trois ans, auraient r&eacute;v&eacute;l&eacute; leur existence&nbsp;! Il ne s'agit pas, non plus, comme j'y ai pens&eacute; quelquefois, de contrebandiers ou de faux monnayeurs, cachant dans quelque recoin encore ignor&eacute; de ces immenses cavernes leur coupable industrie, et int&eacute;ress&eacute;s par suite &agrave; nous en chasser. On ne fait ni de la fausse monnaie ni de la contrebande pour la garder&nbsp;! Il est clair cependant qu'un ennemi implacable a jur&eacute; la perte de la Nouvelle Aberfoyle, et qu'un int&eacute;r&ecirc;t le pousse &agrave; chercher tous les moyens possibles d'assouvir la haine qu'il trous a vou&eacute;e&nbsp;! Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c'est dans l'ombre qu'il pr&eacute;pare ses emb&ucirc;ches, mais l'intelligence qu'il y d&eacute;ploie fait de lui un &ecirc;tre redoutable. Mes amis, il poss&egrave;de mieux que nous tous les secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il &eacute;chappe &agrave; toutes nos recherches&nbsp;! C'est un homme du m&eacute;tier, un habile parmi les habiles, &agrave; coup s&ucirc;r, Simon. Ce que nous avons surpris de sa fa&ccedil;on d'op&eacute;rer en est la preuve manifeste. Voyons&nbsp;! avez-vous jamais eu quelque ennemi personnel, sur lequel vos soup&ccedil;ons puissent se porter&nbsp;? Cherchez bien. Il y a des monomanies de haine que le temps n'&eacute;teint pas. Remontez au plus haut dans votre vie, s'il le faut. Tout ce qui se passe est l'&oelig;uvre d'une sorte de folie froide et patiente, qui exige que vous &eacute;voquiez sur ce point jusqu'&agrave; vos plus lointains souvenirs&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Simon Ford ne r&eacute;pondit pas. On voyait que l'honn&ecirc;te overman, avant de s'expliquer, interrogeait avec candeur tout son pass&eacute;. Enfin, relevant la t&ecirc;te&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non, dit-il, devant Dieu, ni Madge, ni moi, nous n'avons jamais fait de mal &agrave; personne. Nous ne croyons pas que nous puissions avoir un ennemi, un seul&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, si Nell voulait enfin parler&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, et vous, mon p&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, je vous en supplie, gardons encore pour nous seuls le secret de notre enqu&ecirc;te&nbsp;! N'interrogez pas ma pauvre Nell&nbsp;! Je la sens d&eacute;j&agrave; anxieuse et tourment&eacute;e. Il est certain pour moi que son c&oelig;ur contient &agrave; grand-peine un secret qui l'&eacute;touffe. Si elle se tait, c'est ou qu'elle n'a rien &agrave; dire, ou qu'elle ne croit pas devoir parler&nbsp;! Nous ne pouvons pas douter de son affection pour nous, pour nous tous&nbsp;! Plus tard, si elle m'apprend ce qu'elle nous a tu jusqu'ici, vous en serez instruits aussit&ocirc;t.</p>
+
+<p>&mdash; Soit, Harry, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, et cependant ce silence, si Nell sait quelque chose, est vraiment bien inexplicable&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et comme Harry allait se r&eacute;crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Sois tranquille, ajouta l'ing&eacute;nieur. Nous ne dirons rien &agrave; celle qui doit &ecirc;tre ta femme.</p>
+
+<p>&mdash; Et qui le serait sans plus attendre, si vous le vouliez, mon p&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mon gar&ccedil;on, dit Simon Ford, dans un mois, jour pour jour, ton mariage se fera. &mdash; vous tiendrez lieu de p&egrave;re &agrave; Nell, monsieur James&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Comptez sur moi, Simon&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>James Starr et ses deux compagnons revinrent au cottage. Ils ne dirent rien du r&eacute;sultat de leur exploration, et, pour tout le monde de la houill&egrave;re, l'effondrement des vo&ucirc;tes resta &agrave; l'&eacute;tat de simple accident. Il n'y avait qu'un lac de moins en &Eacute;cosse.</p>
+
+<p>Nell avait peu &agrave; peu repris ses occupations habituelles. De cette visite &agrave; la surface du comt&eacute;, elle avait gard&eacute; d'imp&eacute;rissables souvenirs qu'Harry utilisait pour son instruction. Mais cette initiation &agrave; la vie du dehors ne lui avait laiss&eacute; aucun regret. Elle aimait, comme avant cette exploration, le sombre domaine o&ugrave;, femme, elle continuerait de demeurer, apr&egrave;s y avoir v&eacute;cu enfant et jeune fille.</p>
+
+<p>Cependant, le mariage prochain de Harry Ford et de Nell avait fait grand bruit dans la Nouvelle-Aberfoyle. Les compliments afflu&egrave;rent au cottage. Jack Ryan ne fut pas le dernier &agrave; y apporter les siens. On le surprenait aussi &agrave; &eacute;tudier au loin ses meilleures chansons pour une f&ecirc;te &agrave; laquelle toute la population de Coal-city devait prendre part.</p>
+
+<p>Mais il arriva que, pendant le mois qui pr&eacute;c&eacute;da le mariage, la Nouvelle-Aberfoyle fut plus &eacute;prouv&eacute;e qu'elle ne l'avait jamais &eacute;t&eacute;. On e&ucirc;t dit que l'approche de l'union de Nell et d'Harry provoquait catastrophes sur catastrophes. Les accidents se produisaient principalement dans les travaux du fond, sans que la v&eacute;ritable cause p&ucirc;t en &ecirc;tre connue.</p>
+
+<p>Ainsi, un incendie d&eacute;vora le boisage d'une galerie inf&eacute;rieure, et on retrouva la lampe que l'incendiaire avait employ&eacute;e. Harry et ses compagnons durent risquer leur vie pour arr&ecirc;ter ce feu, qui mena&ccedil;ait de d&eacute;truire le gisement, et ils n'y parvinrent qu'en employant les extincteurs, remplis d'une eau charg&eacute;e d'acide carbonique, dont la houill&egrave;re &eacute;tait prudemment pourvue.</p>
+
+<p>Une autre fois, ce fut un &eacute;boulement d&ucirc; &agrave; la rupture des &eacute;tan&ccedil;ons d'un puits, et James Starr constata que ces &eacute;tan&ccedil;ons avaient &eacute;t&eacute; pr&eacute;alablement attaqu&eacute;s &agrave; la scie. Harry, qui surveillait les travaux sur ce point, fut enseveli sous les d&eacute;combres et n'&eacute;chappa que par miracle &agrave; la mort.</p>
+
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, sur le tramway &agrave; traction m&eacute;canique, le train de wagonnets sur lequel Harry &eacute;tait mont&eacute;, tamponna un obstacle et fut culbut&eacute;. On reconnut ensuite qu'une poutre avait &eacute;t&eacute; plac&eacute;e en travers de la voie.</p>
+
+<p>Bref, ces faits se multipli&egrave;rent tellement, qu'une sorte de panique se d&eacute;clara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la pr&eacute;sence de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs&nbsp;! r&eacute;p&eacute;tait Simon Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On recommen&ccedil;a les recherches. La police du comt&eacute; se tint sur pied nuit et jour, mais elle ne put rien d&eacute;couvrir. James Starr d&eacute;fendit &agrave; Harry, que cette malveillance semblait viser plus directement, de s'aventurer jamais seul hors du centre des travaux.</p>
+
+<p>On en agit de m&ecirc;me &agrave; l'&eacute;gard de Nell, &agrave; laquelle, sur les instances de Harry, on cachait, n&eacute;anmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui pouvaient lui rappeler le souvenir du pass&eacute;. Simon Ford et Madge la gardaient jour et nuit avec une sorte de s&eacute;v&eacute;rit&eacute;, ou plut&ocirc;t de sollicitude farouche. La pauvre enfant s'en rendait compte, mais pas une remarque, pas une plainte ne lui &eacute;chappa. Se disait-elle que si l'on en agissait ainsi, c'&eacute;tait dans son int&eacute;r&ecirc;t&nbsp;? Oui, probablement. Toutefois, elle aussi, &agrave; sa fa&ccedil;on, semblait veiller sur les autres, et ne se montrait tranquille, que lorsque tous ceux qu'elle aimait &eacute;taient r&eacute;unis au cottage. Le soir, quand Harry rentrait, elle ne pouvait retenir un mouvement de joie folle, peu compatible avec sa nature, d'ordinaire plus r&eacute;serv&eacute;e qu'expansive. La nuit une fois pass&eacute;e, elle &eacute;tait debout, avant tous les autres. Son inqui&eacute;tude la reprenait d&egrave;s le matin, &agrave; l'heure de la sortie pour les travaux du fond.</p>
+
+<p>Harry aurait voulu, pour lui rendre le repos, que leur mariage f&ucirc;t un fait accompli, Il lui semblait que, devant cet acte irr&eacute;vocable, la malveillance, devenue inutile, d&eacute;sarmerait, et que Nell ne se sentirait en s&ucirc;ret&eacute; que lorsqu'elle serait sa femme. Cette impatience &eacute;tait d'ailleurs partag&eacute;e par James Starr aussi bien que par Simon Ford et Madge. Chacun comptait les jours.</p>
+
+<p>La v&eacute;rit&eacute; est que chacun &eacute;tait sous le coup des plus sinistres pressentiments. Cet ennemi cach&eacute;, qu'on ne savait o&ugrave; prendre et comment combattre, on se disait tout bas que rien de ce qui concernait Nell ne lui &eacute;tait sans doute indiff&eacute;rent. Cet acte solennel du mariage d'Harry et de la jeune fille pouvait donc &ecirc;tre l'occasion de quelque machination nouvelle de sa haine.</p>
+
+<p>Un matin, huit jours avant l'&eacute;poque convenue pour la c&eacute;r&eacute;monie, Nell, pouss&eacute;e sans doute par quelque sinistre pressentiment, &eacute;tait parvenue &agrave; sortir la premi&egrave;re du cottage, dont elle voulait observer les abords.</p>
+
+<p>Arriv&eacute;e au seuil, un cri d'indicible angoisse s'&eacute;chappa de sa bouche.</p>
+
+<p>Ce cri retentit dans toute l'habitation, et attira en un instant Madge, Simon et Harry pr&egrave;s de la jeune fille.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait p&acirc;le comme la mort, le visage boulevers&eacute;, les traits empreints d'une &eacute;pouvante inexprimable. Hors d'&eacute;tat de parler, son regard &eacute;tait fix&eacute; sur la porte du cottage, qu'elle venait d'ouvrir. Sa main crisp&eacute;e y d&eacute;signait ces lignes, qui avaient &eacute;t&eacute; trac&eacute;es pendant la nuit et dont la vue la terrifiait&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Simon Ford, tu m'as vol&eacute; le dernier filon de nos vieilles houill&egrave;res&nbsp;! Harry, ton fils, m'a vol&eacute; Nell&nbsp;! Malheur &agrave; vous&nbsp;! malheur &agrave; tous&nbsp;! malheur &agrave; la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p align="right">&nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&laquo;&nbsp; SILFAX.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Silfax&nbsp;! s'&eacute;cri&egrave;rent &agrave; la fois Simon Ford et Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Quel est cet homme&nbsp;? demanda Harry, dont le regard se portait alternativement de son p&egrave;re &agrave; la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Silfax&nbsp;! r&eacute;p&eacute;tait Nell avec d&eacute;sespoir, Silfax&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et tout son &ecirc;tre fr&eacute;missait en murmurant ce nom, pendant que Madge, s'emparant d'elle, la reconduisait presque de force &agrave; sa chambre.</p>
+
+<p>James Starr &eacute;tait accouru. Apr&egrave;s avoir lu et relu la phrase mena&ccedil;ante&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La main qui a trac&eacute; ces lignes, dit-il, est celle qui m'avait &eacute;crit la lettre contradictoire de la v&ocirc;tre, Simon&nbsp;! Cet homme se nomme Silfax&nbsp;! Je vois &agrave; votre trouble que vous le connaissez&nbsp;! Quel est ce Silfax&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XX</h4>
+
+<h4>Le p&eacute;nitent</h4>
+</center>
+
+<p>Ce nom avait &eacute;t&eacute; toute une r&eacute;v&eacute;lation pour le vieil overman.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait celui du dernier &laquo;&nbsp;p&eacute;nitent&nbsp;&raquo; de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Autrefois, avant l'invention de la lampe de s&ucirc;ret&eacute;, Simon Ford avait connu cet homme farouche, qui, au risque de sa vie, allait chaque jour provoquer les explosions partielles du grisou. Il avait vu cet &ecirc;tre &eacute;trange, r&ocirc;dant dans la mine, toujours accompagn&eacute; d'un &eacute;norme harfang, sorte de chouette monstrueuse, qui l'aidait dans son p&eacute;rilleux m&eacute;tier en portant une m&egrave;che enflamm&eacute;e l&agrave; o&ugrave; la main de Silfax ne pouvait atteindre. Un jour, ce vieillard avait disparu, et, en m&ecirc;me temps que lui, une petite orpheline, n&eacute;e dans la mine et qui n'avait plus pour parent que lui, son arri&egrave;re-grand-p&egrave;re. Cette enfant, &eacute;videmment, c'&eacute;tait Nell. Depuis quinze ans, tous deux auraient donc v&eacute;cu dans quelque secret ab&icirc;me, jusqu'au jour o&ugrave; Nell fut sauv&eacute;e par Harry.</p>
+
+<p>Le vieil overman, en proie &agrave; la fois &agrave; un sentiment de piti&eacute; et de col&egrave;re, communiqua &agrave; l'ing&eacute;nieur et &agrave; son fils ce que la vue de ce nom de Silfax venait de lui r&eacute;v&eacute;ler.</p>
+
+<p>Cela &eacute;claircissait toute la situation. Silfax &eacute;tait l'&ecirc;tre myst&eacute;rieux vainement cherch&eacute; dans les profondeurs de la Nouvelle Aberfoyle&nbsp;!</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ainsi, vous l'avez connu, Simon&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, en v&eacute;rit&eacute;, r&eacute;pondit l'overman. L'homme au harfang&nbsp;! Il n'&eacute;tait d&eacute;j&agrave; plus jeune. Il devait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Une sorte de sauvage, qui ne frayait avec personne, qui passait pour ne craindre ni l'eau ni le feu&nbsp;! C'&eacute;tait par go&ucirc;t qu'il avait choisi le m&eacute;tier de p&eacute;nitent, dont peu se souciaient. Cette dangereuse profession avait d&eacute;rang&eacute; ses id&eacute;es. On le disait m&eacute;chant, et il n'&eacute;tait peut-&ecirc;tre que fou. Sa force &eacute;tait prodigieuse. Il connaissait la houill&egrave;re comme pas un, &mdash; aussi bien que moi tout au moins. On lui accordait une certaine aisance. Ma foi, je le croyais mort depuis bien des ann&eacute;es.</p>
+
+<p>&mdash; Mais, reprit James Starr, qu'entend-il par ces mots&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tu m'as vol&eacute; le dernier filon de nos vieilles houill&egrave;res&nbsp;&raquo;&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! voil&agrave;, r&eacute;pondit Simon Ford. Il y a longtemps d&eacute;j&agrave;, Silfax, dont la cervelle, je vous l'ai dit, a toujours &eacute;t&eacute; d&eacute;rang&eacute;e, pr&eacute;tendait avoir des droits sur l'ancienne Aberfoyle. Aussi son humeur devenait-elle de plus en plus farouche &agrave; mesure que la fosse Dochart, &mdash; sa fosse&nbsp;! &mdash; s'&eacute;puisait&nbsp;! Il semblait que ce fussent ses propres entrailles que chaque coup de pic lui arrach&acirc;t du corps&nbsp;! &mdash; Tu dois te. souvenir de cela, Madge&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Simon, r&eacute;pondit la vieille &Eacute;cossaise.</p>
+
+<p>&mdash; Cela me revient maintenant, reprit Simon Ford, depuis que j'ai vu le nom de Silfax sur cette porte; mais, je le r&eacute;p&egrave;te, je le croyais mort, et je ne pouvais imaginer que cet &ecirc;tre malfaisant, que nous avons tant cherch&eacute;, f&ucirc;t l'ancien p&eacute;nitent de la fosse Dochart&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, dit James Starr, tout s'explique. Un hasard a r&eacute;v&eacute;l&eacute; &agrave; Silfax l'existence du nouveau gisement. Dans son &eacute;go&iuml;sme de fou, il aura voulu s'en constituer le d&eacute;fenseur, vivant dans la houill&egrave;re, la parcourant nuit et jour, il aura surpris votre secret, Simon, et su que vous me demandiez en toute h&acirc;te au cottage. De l&agrave;, cette lettre contradictoire de la v&ocirc;tre; de l&agrave;, apr&egrave;s mon arriv&eacute;e, le bloc de pierre lanc&eacute; contre Harry et les &eacute;chelles d&eacute;truites du puits Yarow; de l&agrave;, l'obturation des fissures &agrave; la paroi du nouveau gisement; de l&agrave;, enfin, notre s&eacute;questration, puis notre d&eacute;livrance, qui s'est accomplie gr&acirc;ce &agrave; la secourable Nell, sans doute, &agrave; l'insu et malgr&eacute; ce Silfax&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Vous venez de raconter les choses comme elles ont &eacute;videmment d&ucirc; se passer, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford. Le vieux p&eacute;nitent est certainement fou, maintenant&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela vaut mieux, dit Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne sais, reprit James Starr en secouant la t&ecirc;te, car ce doit &ecirc;tre une folie terrible que la sienne&nbsp;! Ah&nbsp;! je comprends que Nell ne puisse songer &agrave; lui sans &eacute;pouvante, et je comprends aussi qu'elle n'ait pas voulu d&eacute;noncer son grand-p&egrave;re&nbsp;! Quelles tristes ann&eacute;es elle a d&ucirc; passer pr&egrave;s de ce vieillard&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien tristes&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford, entre ce sauvage et son harfang, non moins sauvage que lui&nbsp;! Car, bien s&ucirc;r, il n'est pas mort, cet oiseau&nbsp;! Ce ne peut &ecirc;tre que lui qui a &eacute;teint notre lampe, lui qui a failli couper la corde &agrave; laquelle &eacute;taient suspendus Harry et Nell&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Et je comprends, dit Madge, que la nouvelle du mariage de sa petite-fille avec notre fils semble avoir exasp&eacute;r&eacute; la rancune et redoubl&eacute; la rage de Silfax&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Le mariage de Nell avec le fils de celui qu'il accuse de lui avoir vol&eacute; le dernier gisement des Aberfoyle ne peut, en effet, qu'avoir port&eacute; son irritation au comble&nbsp;! reprit Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Il faudra pourtant bien qu'il prenne son parti de cette union&nbsp;! s'&eacute;cria Harry. Si &eacute;tranger qu'il soit &agrave; la vie commune, on finira bien par l'amener &agrave; reconna&icirc;tre que la nouvelle existence de Nell vaut mieux que celle qu'il lui faisait dans les ab&icirc;mes de la houill&egrave;re&nbsp;! Je suis s&ucirc;r, monsieur Starr, que si nous pouvions mettre la main sur lui, nous parviendrions &agrave; lui faire entendre raison&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; On ne raisonne pas avec la folie, mon pauvre Harry&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Mieux vaut sans doute conna&icirc;tre son ennemi que l'ignorer, mais tout n'est pas fini, parce que nous savons aujourd'hui ce qu'il est. Tenons-nous sur nos gardes, mes amis, et pour commencer, Harry, il faut interroger Nell&nbsp;! Il le faut&nbsp;! Elle comprendra que, &agrave; l'heure qu'il est, son silence n'aurait plus de raison. Dans l'int&eacute;r&ecirc;t m&ecirc;me de son grand-p&egrave;re, il convient qu'elle parle. Il importe autant pour lui que pour nous, que nous puissions mettre &agrave; n&eacute;ant ses sinistres projets.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne doute pas, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, que Nell ne vienne de son propre mouvement au-devant de vos questions. Vous le savez maintenant, c'est par conscience, c'est par devoir qu'elle s'est tue jusqu'ici. C'est par devoir, c'est par conscience qu'elle parlera d&egrave;s que vous le voudrez. Ma m&egrave;re a bien fait de la reconduire dans sa chambre. Elle avait grand besoin de se recueillir, mais je vais l'aller chercher...</p>
+
+<p>&mdash; C'est inutile, Harry&nbsp;&raquo;, dit d'une voix ferme et claire la jeune fille, qui entrait au moment m&ecirc;me dans la grande salle du cottage.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait p&acirc;le. Ses yeux disaient combien elle avait pleur&eacute;; mais on la sentait r&eacute;solue &agrave; la d&eacute;marche que sa loyaut&eacute; lui commandait en ce moment.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell&nbsp;! s'&eacute;tait &eacute;cri&eacute; Harry, en s'&eacute;lan&ccedil;ant vers la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, r&eacute;pondit Nell, qui d'un geste arr&ecirc;ta son fianc&eacute;, ton p&egrave;re, ta m&egrave;re et toi, il faut aujourd'hui que vous sachiez tout. Il faut que vous n'ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne l'enfant que vous avez accueillie sans la conna&icirc;tre et qu'Harry pour son malheur, h&eacute;las&nbsp;! a tir&eacute;e de l'ab&icirc;me.</p>
+
+<p>&mdash; Nell&nbsp;! s'&eacute;cria Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence &agrave; Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n'ai jamais connu de m&egrave;re que le jour o&ugrave; je suis entr&eacute;e ici, ajouta-t-elle en regardant Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Que ce jour soit b&eacute;ni, ma fille&nbsp;! r&eacute;pondit la vieille &Eacute;cossaise.</p>
+
+<p>&mdash; Je n'ai jamais connu de p&egrave;re que le jour o&ugrave; j'ai vu Simon Ford, reprit Nell, et d'ami que le jour o&ugrave; la main d'Harry a touch&eacute; la mienne&nbsp;! Seule, j'ai v&eacute;cu pendant quinze ans, dans les recoins les plus recul&eacute;s de la mine, avec mon grand-p&egrave;re. Avec lui, c'est beaucoup dire. Par lui serait plus juste. Je le voyais &agrave; peine. Lorsqu'il disparut de l'ancienne Aberfoyle, il se r&eacute;fugia dans ces profondeurs que lui seul connaissait. A sa fa&ccedil;on, il &eacute;tait alors bon pour moi, quoique effrayant. Il me nourrissait de ce qu'il allait chercher au-dehors; mais j'ai le vague souvenir que, d'abord, pendant mes plus jeunes ann&eacute;es, j'ai eu pour nourrice une ch&egrave;vre, dont la perte m'a bien d&eacute;sol&eacute;e. Grand-p&egrave;re, me voyant si chagrine, la rempla&ccedil;a d'abord par un autre animal, &mdash; un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien &eacute;tait gai. Il aboyait. Grand-p&egrave;re n'aimait pas la gaiet&eacute;. Il avait horreur du bruit. Il m'avait appris le silence, et n'avait pu l'apprendre au chien. Le pauvre animal disparut presque aussit&ocirc;t. Grand-p&egrave;re avait pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d'abord me fit horreur; mais cet oiseau, malgr&eacute; la r&eacute;pulsion qu'il m'inspirait, me prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en &eacute;tait venu &agrave; m'ob&eacute;ir mieux qu'&agrave; son ma&icirc;tre, et cela m&ecirc;me m'inqui&eacute;tait pour lui. Grand-p&egrave;re &eacute;tait jaloux. Le harfang et moi, nous nous cachions le plus que nous pouvions d'&ecirc;tre trop bien ensemble&nbsp;! Nous comprenions qu'il le fallait&nbsp;!... Mais c'est trop vous parler de moi&nbsp;! C'est de vous qu'il s'agit...</p>
+
+<p>&mdash; Non, ma fille, r&eacute;pondit James Starr. Dis les choses comme elles te viennent.</p>
+
+<p>&mdash; Mon grand-p&egrave;re, reprit Nell, avait toujours vu d'un tr&egrave;s mauvais &oelig;il votre voisinage dans la houill&egrave;re. L'espace ne manquait pas, cependant. C'&eacute;tait loin, bien loin de vous qu'il se choisissait des refuges. Cela lui d&eacute;plaisait de vous sentir l&agrave;. Quand je le questionnais sur les gens de l&agrave;-haut, son visage s'assombrissait, il ne r&eacute;pondait pas et devenait comme muet pour longtemps. Mais o&ugrave; sa col&egrave;re &eacute;clata, ce fut quand il s'aper&ccedil;ut que, ne vous contentant plus du vieux domaine, vous sembliez vouloir empi&eacute;ter sur le sien. Il jura que si vous parveniez &agrave; p&eacute;n&eacute;trer dans la nouvelle houill&egrave;re, connue de lui seul jusqu'alors, vous p&eacute;ririez&nbsp;! Malgr&eacute; son &acirc;ge, sa force est encore extraordinaire, et ses menaces me firent trembler pour vous et pour lui.</p>
+
+<p>&mdash; Continue, Nell, dit Simon Ford &agrave; la jeune fille, qui s'&eacute;tait interrompue un instant, comme pour mieux rassembler ses souvenirs.</p>
+
+<p>&mdash; Apr&egrave;s votre premi&egrave;re tentative, reprit Nell, d&egrave;s que grand p&egrave;re vous vit p&eacute;n&eacute;trer dans la galerie de la Nouvelle-Aberfoyle, il en boucha l'ouverture et en fit une prison pour vous. Je ne vous connaissais que comme des ombres, vaguement entrevues dans l'obscure houill&egrave;re; mais je ne pus supporter l'id&eacute;e que des chr&eacute;tiens allaient mourir de faim dans ces profondeurs, et, au risque d'&ecirc;tre prise sur le fait, je parvins &agrave; vous procurer pendant quelques jours un peu d'eau et de pain&nbsp;!... J'aurais voulu vous guider au-dehors, mais il &eacute;tait si difficile de tromper la surveillance de mon grand-p&egrave;re&nbsp;! vous alliez mourir&nbsp;! Jack Ryan et ses compagnons arriv&egrave;rent... Dieu a permis que je les aie rencontr&eacute;s ce jour-l&agrave;&nbsp;! Je les entra&icirc;nai jusqu'&agrave; vous. Au retour, mon grand-p&egrave;re me surprit. Sa col&egrave;re contre moi fut terrible. Je crus que j'allais p&eacute;rir de sa main&nbsp;! Depuis lors, la vie devint insupportable pour moi. Les id&eacute;es de mon grand-p&egrave;re s'&eacute;gar&egrave;rent tout &agrave; fait. Il se proclamait le roi de l'ombre et du feu&nbsp;! Quand il entendait vos pics frapper ces filons qu'il regardait comme les siens, il devenait furieux et me battait avec rage. Je voulus fuir. Ce fut impossible; tant il me gardait de pr&egrave;s. Enfin, il y a trois mois, dans un acc&egrave;s de d&eacute;mence sans nom, il me descendit dans l'ab&icirc;me o&ugrave; vous m'avez trouv&eacute;e, et il disparut, apr&egrave;s avoir vainement appel&eacute; l'harfang, qui resta fid&egrave;lement pr&egrave;s de moi. Depuis quand &eacute;tais-je l&agrave;&nbsp;? je l'ignore&nbsp;! Tout ce que je sais, c'est que je me sentais mourir, quand tu es arriv&eacute;, mon Harry, et quand tu m'as sauv&eacute;e&nbsp;! Mais, tu le vois, la petite-fille du vieux Silfax ne peut pas &ecirc;tre la femme d'Harry Ford, puisqu'il y va de ta vie, de votre vie &agrave; tous&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Nell&nbsp;! s'&eacute;cria Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Non, reprit la jeune fille. Mon sacrifice est fait. Il n'est qu'un moyen de conjurer votre perte&nbsp;: c'est que je retourne pr&egrave;s de mon grand-p&egrave;re. Il menace toute la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!... C'est une &acirc;me incapable de pardon, et nul ne peut savoir ce que le g&eacute;nie de la vengeance lui aura inspir&eacute;&nbsp;! Mon devoir est clair. Je serais la plus mis&eacute;rable des cr&eacute;atures si j'h&eacute;sitais &agrave; l'accomplir. Adieu&nbsp;! et merci&nbsp;! vous m'avez fait conna&icirc;tre le bonheur d&egrave;s ce monde&nbsp;! Quoi qu'il arrive, pensez que mon c&oelig;ur tout entier restera au milieu de vous&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A ces mots, Simon Ford, Madge, Harry fou de douleur, s'&eacute;taient lev&eacute;s.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Quoi, Nell&nbsp;! s'&eacute;cri&egrave;rent-ils avec d&eacute;sespoir, tu voudrais nous quitter&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr les &eacute;carta d'un geste plein d'autorit&eacute;, et, allant droit &agrave; Nell, il lui prit les deux mains.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est bien, mon enfant, lui dit-il. Tu as dit ce que tu devais dire; mais voici ce que nous avons &agrave; te r&eacute;pondre. Nous ne te laisserons pas partir, et, s'il le faut, nous te retiendrons par la force. Nous crois-tu donc capables de cette l&acirc;chet&eacute; d'accepter ton offre g&eacute;n&eacute;reuse&nbsp;? Les menaces de Silfax sont redoutables, soit&nbsp;! Mais, apr&egrave;s tout, un homme n'est qu'un homme, et nous prendrons nos pr&eacute;cautions. Cependant, peux-tu, dans l'int&eacute;r&ecirc;t de Silfax m&ecirc;me, nous renseigner sur ses habitudes, nous dire o&ugrave; il se cache&nbsp;? Nous ne voulons qu'une chose&nbsp;: le mettre hors d'&eacute;tat de nuire, et peut-&ecirc;tre le ramener &agrave; la raison.</p>
+
+<p>&mdash; Vous voulez l'impossible, r&eacute;pondit Nell. Mon grand-p&egrave;re est partout et nulle part. Je n'ai jamais connu ses retraites&nbsp;! Je ne l'ai jamais vu endormi. Quand il avait trouv&eacute; quelque refuge, il me laissait seule et disparaissait. Lorsque j'ai pris ma r&eacute;solution, monsieur Starr, je savais tout ce que vous pouviez me r&eacute;pondre. Croyez-moi&nbsp;! Il n'y a qu'un moyen de d&eacute;sarmer mon grand-p&egrave;re&nbsp;: c'est que je parvienne &agrave; le retrouver. Il est invisible, lui, mais il voit tout. Demandez-vous comment il aurait d&eacute;couvert vos plus secr&egrave;tes pens&eacute;es, depuis la lettre &eacute;crite &agrave; M. Starr, jusqu'au projet de mon mariage avec Harry, s'il n'avait pas l'inexplicable facult&eacute; de tout savoir. Mon grand-p&egrave;re, autant que je puis en juger, est, dans sa folie m&ecirc;me, un homme puissant par l'esprit. Autrefois, il lui est arriv&eacute; de me dire de grandes choses. Il m'a appris Dieu, et ne m'a tromp&eacute;e que sur un point&nbsp;: c'est quand il m'a fait croire que tous les hommes &eacute;taient perfides, lorsqu'il a voulu m'inspirer sa haine contre l'humanit&eacute; tout enti&egrave;re. Lorsque Harry m'a rapport&eacute;e dans ce cottage, vous avez pens&eacute; que j'&eacute;tais ignorante seulement&nbsp;! J'&eacute;tais plus que cela. J'&eacute;tais &eacute;pouvant&eacute;e&nbsp;! Ah&nbsp;! pardonnez-moi&nbsp;! mais, pendant quelques jours, je me suis crue au pouvoir des m&eacute;chants, et je voulais vous fuir&nbsp;! Ce qui a commenc&eacute; &agrave; ramener mon esprit au vrai, c'est vous, Madge, non par vos paroles, mais par le spectacle de votre vie, alors que je vous voyais aim&eacute;e et respect&eacute;e de votre mari et de votre fils&nbsp;! Puis, quand j'ai vu ces travailleurs, heureux et bons, v&eacute;n&eacute;rer M. Starr, dont je les ai crus d'abord les esclaves, lorsque pour la premi&egrave;re fois j'ai vu toute la population d'Aberfoyle venir &agrave; la chapelle, s'y agenouiller, prier Dieu et le remercier de ses bont&eacute;s infinies, alors je me suis dit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon grand-p&egrave;re m'a tromp&eacute;e&nbsp;!&nbsp;&raquo; Mais aujourd'hui, &eacute;clair&eacute;e par ce que vous m'avez appris, je pense qu'il s'est tromp&eacute; lui-m&ecirc;me&nbsp;! Je vais donc reprendre les chemins secrets par lesquels je l'accompagnais autrefois. Il doit me guetter&nbsp;! Je l'appellerai... il m'entendra, et qui sait si, en retournant vers lui, je ne le ram&egrave;nerai pas &agrave; la v&eacute;rit&eacute;&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tous avaient laiss&eacute; parler la jeune fille. Chacun sentait qu'il devait lui &ecirc;tre bon d'ouvrir son c&oelig;ur tout entier &agrave; ses amis, au moment o&ugrave;, dans sa g&eacute;n&eacute;reuse illusion, elle croyait qu'elle allait les quitter pour toujours. Mais quand, &eacute;puis&eacute;e, les yeux pleins de larmes, elle se tut, Harry, se tournant vers Madge, dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ma m&egrave;re, que penseriez-vous de l'homme qui abandonnerait la noble fille que vous venez d'entendre&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je penserais, r&eacute;pondit Madge, que cet homme est un l&acirc;che, et, s'il &eacute;tait mon fils, je le renierais, je le maudirais&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Nell, tu as entendu notre m&egrave;re, reprit Harry. O&ugrave; que tu ailles, je te suivrai. Si tu persistes &agrave; partir, nous partirons ensemble...</p>
+
+<p>&mdash; Harry&nbsp;! Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Nell.</p>
+
+<p>Mais l'&eacute;motion &eacute;tait trop forte. On vit bl&ecirc;mir les l&egrave;vres de la jeune fille, et elle tomba dans les bras de Madge, qui pria l'ing&eacute;nieur, Simon et Harry de la laisser seule avec elle.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XXI</h4>
+
+<h4>Le mariage de Nell</h4>
+</center>
+
+<p>On se s&eacute;para, mais il fut d'abord convenu que les h&ocirc;tes du cottage seraient plus que jamais sur leurs gardes. La menace du vieux Silfax &eacute;tait trop directe pour qu'il n'en f&ucirc;t pas tenu compte. C'&eacute;tait &agrave; se demander si l'ancien p&eacute;nitent ne disposait pas de quelque moyen terrible qui pouvait an&eacute;antir toute l'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Des gardiens arm&eacute;s furent donc post&eacute;s aux diverses issues de la houill&egrave;re, avec ordre de veiller jour et nuit. Tout &eacute;tranger &agrave; la mine dut &ecirc;tre amen&eacute; devant James Starr, afin qu'il p&ucirc;t constater son identit&eacute;. On ne craignit pas de mettre les habitants de Coal-city au courant des menaces dont la colonie souterraine &eacute;tait l'objet. Silfax n'ayant aucune intelligence dans la place, il n'y avait nulle trahison &agrave; craindre. On fit conna&icirc;tre &agrave; Nell toutes les mesures de s&ucirc;ret&eacute; qui venaient d'&ecirc;tre prises, et, sans qu'elle f&ucirc;t rassur&eacute;e compl&egrave;tement, elle retrouva quelque tranquillit&eacute;. Mais la r&eacute;solution d'Harry de la suivre partout o&ugrave; elle irait, avait plus que tout contribu&eacute; &agrave; lui arracher la promesse de ne pas s'enfuir.</p>
+
+<p>Pendant la semaine qui pr&eacute;c&eacute;da le mariage de Nell et d'Harry, aucun incident ne troubla la Nouvelle-Aberfoyle. Aussi les mineurs, sans se d&eacute;partir de la surveillance organis&eacute;e, revinrent-ils de cette panique, qui avait failli compromettre l'exploitation.</p>
+
+<p>Cependant James Starr continuait &agrave; faire rechercher le vieux Silfax. Le vindicatif vieillard ayant d&eacute;clar&eacute; que Nell n'&eacute;pouserait jamais Harry, on devait admettre qu'il ne reculerait devant rien pour emp&ecirc;cher ce mariage. Le mieux aurait &eacute;t&eacute; de s'emparer de sa personne, tout en respectant sa vie. L'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle fut donc minutieusement recommenc&eacute;e. On fouilla les galeries jusque dans les &eacute;tages sup&eacute;rieurs qui affleuraient les ruines de Dundonald-Castle, &agrave; Irvine. On supposait avec raison que c'&eacute;tait par le vieux ch&acirc;teau que Silfax communiquait avec l'ext&eacute;rieur et qu'il s'approvisionnait des choses n&eacute;cessaires &agrave; sa mis&eacute;rable existence, soit en achetant, soit en maraudant. Quant aux &laquo;&nbsp;Dames de feu&nbsp;&raquo;, James Starr eut la pens&eacute;e que quelque jet de grisou, qui se produisait dans cette partie de la houill&egrave;re, avait pu &ecirc;tre allum&eacute; par Silfax et produire ce ph&eacute;nom&egrave;ne. Il ne se trompait pas. Mais les recherches furent vaines.</p>
+
+<p>James Starr, pendant cette lutte de tous les instants contre un &ecirc;tre insaisissable, fut, sans en rien faire voir, le plus malheureux des hommes. A mesure que s'approchait le jour du mariage, ses craintes s'accroissaient, et il avait cru devoir, par exception, en faire part au vieil overman, qui devint bient&ocirc;t plus inquiet que lui.</p>
+
+<p>Enfin le jour arriva.</p>
+
+<p>Silfax n'avait pas donn&eacute; signe de vie.</p>
+
+<p>D&egrave;s le matin, toute la population de Coal-city fut sur pied. Les travaux de la Nouvelle-Aberfoyle avaient &eacute;t&eacute; suspendus. Chefs et ouvriers tenaient &agrave; rendre hommage au vieil overman et &agrave; son fils. Ce n'&eacute;tait que payer une dette de reconnaissance aux deux hommes hardis et pers&eacute;v&eacute;rants, qui avaient rendu &agrave; la houill&egrave;re la prosp&eacute;rit&eacute; d'autrefois.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait &agrave; onze heures, dans la chapelle de Saint-Gilles, &eacute;lev&eacute;e sur la rive du lac Malcolm, que la c&eacute;r&eacute;monie allait s'accomplir.</p>
+
+<p>A l'heure dite, on vit sortir du cottage Harry donnant le bras &agrave; sa m&egrave;re, Simon Ford donnant le bras &agrave; Nell.</p>
+
+<p>Suivaient l'ing&eacute;nieur James Starr, impassible en apparence, mais au fond s'attendant &agrave; tout, et Jack Ryan, superbe dans ses habits de piper.</p>
+
+<p>Puis, venaient les autres ing&eacute;nieurs de la mine, les notables de Coal-city, les amis, les compagnons du vieil overman, tous les membres de cette grande famille de mineurs, qui formait la population sp&eacute;ciale de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Au-dehors, il faisait une de ces journ&eacute;es torrides du mois d'ao&ucirc;t, qui sont particuli&egrave;rement p&eacute;nibles dans les pays du Nord. L'air orageux p&eacute;n&eacute;trait jusque dans les profondeurs de la houill&egrave;re, o&ugrave; la temp&eacute;rature s'&eacute;tait &eacute;lev&eacute;e d'une fa&ccedil;on anormale. L'atmosph&egrave;re s'y saturait d'&eacute;lectricit&eacute;, &agrave; travers les puits d'a&eacute;ration et le vaste tunnel de Malcolm.</p>
+
+<p>On aurait pu constater &mdash; ph&eacute;nom&egrave;ne assez rare &mdash; que le barom&egrave;tre, &agrave; Coal-city, avait baiss&eacute; d'une quantit&eacute; consid&eacute;rable. C'&eacute;tait &agrave; se demander, vraiment, si quelque orage n'allait pas &eacute;clater sous la vo&ucirc;te de schiste, qui formait le ciel de l'immense crypte.</p>
+
+<p>Mais la v&eacute;rit&eacute; est que personne, au-dedans, ne se pr&eacute;occupait des menaces atmosph&eacute;riques du dehors.</p>
+
+<p>Chacun, cela va sans dire, avait rev&ecirc;tu ses plus beaux habits pour la circonstance.</p>
+
+<p>Madge portait un costume qui rappelait ceux du vieux temps. Elle &eacute;tait coiff&eacute;e d'un &laquo;&nbsp;toy&nbsp;&raquo;, comme les anciennes matrones, et sur ses &eacute;paules flottait le &laquo;&nbsp;rokelay&nbsp;&raquo;, sorte de mantille quadrill&eacute;e que les &Eacute;cossaises portent avec une certaine &eacute;l&eacute;gance.</p>
+
+<p>Nell s'&eacute;tait promis de ne rien laisser voir des agitations de sa pens&eacute;e. Elle d&eacute;fendit &agrave; son c&oelig;ur de battre, &agrave; ses secr&egrave;tes angoisses de se trahir, et la courageuse enfant parvint &agrave; montrer &agrave; tous un visage calme et recueilli.</p>
+
+<p>Elle &eacute;tait simplement mise, et la simplicit&eacute; de son v&ecirc;tement, qu'elle avait pr&eacute;f&eacute;r&eacute; &agrave; des ajustements plus riches, ajoutait encore au charme de sa personne. Sa seule coiffure &eacute;tait un &laquo;&nbsp;snood&nbsp;&raquo;, ruban de couleurs vari&eacute;es, dont se parent ordinairement les jeunes Cal&eacute;doniennes.</p>
+
+<p>Simon Ford avait un habit que n'aurait pas d&eacute;savou&eacute; le digne bailli Nichol Jarvie, de Walter Scott.</p>
+
+<p>Tout ce monde se dirigea vers la chapelle de Saint-Gilles, qui avait &eacute;t&eacute; luxueusement d&eacute;cor&eacute;e.</p>
+
+<p>Au ciel de Coal-city, les disques &eacute;lectriques, raviv&eacute;s par des courants plus intenses, resplendissaient comme autant de soleils. Une atmosph&egrave;re lumineuse emplissait toute la Nouvelle Aberfoyle.</p>
+
+<p>Dans la chapelle, les lampes &eacute;lectriques projetaient aussi de vives lueurs, et les vitraux colori&eacute;s brillaient comme des kal&eacute;idoscopes de feux.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait le r&eacute;v&eacute;rend William Hobson qui devait officier. A la porte m&ecirc;me de Saint-Gilles, il attendait l'arriv&eacute;e des &eacute;poux.</p>
+
+<p>Le cort&egrave;ge approchait, apr&egrave;s avoir majestueusement contourn&eacute; la rive du lac Malcolm.</p>
+
+<p>En ce moment, l'orgue se fit entendre, et les deux couples, pr&eacute;c&eacute;d&eacute;s du r&eacute;v&eacute;rend Hobson, se dirig&egrave;rent vers le chevet de Saint-Gilles.</p>
+
+<p>La b&eacute;n&eacute;diction c&eacute;leste fut d'abord appel&eacute;e sur toute l'assistance; puis, Harry et Nell rest&egrave;rent seuls devant le ministre, qui tenait le livre sacr&eacute; &agrave; la main.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry, demanda le r&eacute;v&eacute;rend Hobson, voulez-vous prendre Nell pour femme, et jurez-vous de l'aimer toujours&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je le jure, r&eacute;pondit le jeune homme d'une voix forte.</p>
+
+<p>&mdash; Et vous, Nell, reprit le ministre, voulez-vous prendre pour &eacute;poux Harry Ford, et...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La jeune fille n'avait pas eu le temps de r&eacute;pondre, qu'une immense clameur retentissait au-dehors.</p>
+
+<p>Un de ces &eacute;normes rochers, formant terrasse, qui surplombait la rive du lac Malcolm, &agrave; cent pas de la chapelle, venait de s'ouvrir subitement, sans explosion, comme si sa chute e&ucirc;t &eacute;t&eacute; pr&eacute;par&eacute;e &agrave; l'avance. Au-dessous, les eaux s'engouffraient dans une excavation profonde, que personne ne savait exister l&agrave;.</p>
+
+<p>Puis soudain, entre les roches &eacute;boul&eacute;es, apparut un canot, qu'une pouss&eacute;e vigoureuse lan&ccedil;a &agrave; la surface du lac.</p>
+
+<p>Sur ce canot, un vieillard, v&ecirc;tu d'une sombre cagoule, les cheveux h&eacute;riss&eacute;s, une longue barbe blanche tombant sur sa poitrine, se tenait debout.</p>
+
+<p>Il avait &agrave; la main une lampe Davy, dans laquelle brillait une flamme, prot&eacute;g&eacute;e par la toile m&eacute;tallique de l'appareil.</p>
+
+<p>En m&ecirc;me temps, d'une voix forte, le vieillard criait&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le grisou&nbsp;! le grisou&nbsp;! Malheur &agrave; tous&nbsp;! malheur&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>En ce moment, la l&eacute;g&egrave;re odeur qui caract&eacute;rise l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; se r&eacute;pandit dans l'atmosph&egrave;re.</p>
+
+<p>Et s'il en &eacute;tait ainsi, c'est que la chute du rocher avait livr&eacute; passage &agrave; une &eacute;norme quantit&eacute; de gaz explosif, emmagasin&eacute; dans d'&eacute;normes &laquo;&nbsp;soufflards&nbsp;&raquo; dont les schistes obturaient l'orifice. Les jets de grisou fusaient vers les vo&ucirc;tes du d&ocirc;me, sous une pression de cinq &agrave; six atmosph&egrave;res.</p>
+
+<p>Le vieillard connaissait l'existence de ces soufflards, et il les avait brusquement ouverts, de mani&egrave;re &agrave; rendre d&eacute;tonante l'atmosph&egrave;re de la crypte.</p>
+
+<p>Cependant James Starr et quelques autres, quittant pr&eacute;cipitamment la chapelle, s'&eacute;taient &eacute;lanc&eacute;s sur la rive.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hors de la mine&nbsp;! hors de la mine&nbsp;!&nbsp;&raquo; cria l'ing&eacute;nieur, qui, ayant compris l'imminence du danger, vint jeter ce cri d'alarme &agrave; la porte de Saint-Gilles.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le grisou&nbsp;! le grisou&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait le vieillard, en poussant son canot plus avant sur les eaux du lac.</p>
+
+<p>Harry, entra&icirc;nant sa fianc&eacute;e, son p&egrave;re, sa m&egrave;re, avait pr&eacute;cipitamment quitt&eacute; la chapelle.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hors de la mine&nbsp;! hors de la mine&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait James Starr.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait trop tard pour fuir&nbsp;! Le vieux Silfax &eacute;tait l&agrave;, pr&ecirc;t &agrave; accomplir sa derni&egrave;re menace, pr&ecirc;t &agrave; emp&ecirc;cher le mariage de Nell et d'Harry, en ensevelissant toute la population de Coal-city sous les ruines de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Au-dessus de sa t&ecirc;te, volait son &eacute;norme harfang, dont le plumage blanc &eacute;tait tach&eacute; de points noirs.</p>
+
+<p>Mais alors, un homme se pr&eacute;cipita dans les eaux du lac, qui nagea vigoureusement vers le canot.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait Jack Ryan. Il s'effor&ccedil;ait d'atteindre le fou, avant que celui-ci n'e&ucirc;t accompli son &oelig;uvre de destruction.</p>
+
+<p>Silfax le vit venir. Il brisa le verre de sa lampe, et, apr&egrave;s avoir arrach&eacute; la m&egrave;che allum&eacute;e, il la promena dans l'air.</p>
+
+<p>Un silence de mort planait sur toute l'assistance atterr&eacute;e.</p>
+
+<p>James Starr, r&eacute;sign&eacute;, s'&eacute;tonnait que l'explosion, in&eacute;vitable, n'e&ucirc;t pas d&eacute;j&agrave; an&eacute;anti la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Silfax, les traits crisp&eacute;s, se rendit compte que le grisou, trop l&eacute;ger pour se maintenir dans les basses couches, s'&eacute;tait accumul&eacute; vers les hauteurs du d&ocirc;me.</p>
+
+<p>Mais alors le harfang, sur un geste de Silfax, saisissant dans sa patte la m&egrave;che incendiaire, comme il faisait autrefois dans les galeries de la fosse Dochart, commen&ccedil;a &agrave; monter vers la haute vo&ucirc;te, que le vieillard lui montrait de la main.</p>
+
+<p>Encore quelques secondes, et la Nouvelle-Aberfoyle avait v&eacute;cu&nbsp;!...</p>
+
+<p>A ce moment, Nell s'&eacute;chappa des bras d'Harry.</p>
+
+<p>Calme et inspir&eacute;e tout &agrave; la fois, elle courut vers la rive du lac, jusqu'&agrave; la lisi&egrave;re des eaux.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harfang&nbsp;! Harfang&nbsp;! cria-t-elle d'une voix claire, &agrave; moi&nbsp;! viens &agrave; moi&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'oiseau fid&egrave;le, &eacute;tonn&eacute;, avait h&eacute;sit&eacute; un instant. Mais soudain, ayant reconnu la voix de Nell, il avait laiss&eacute; tomber la m&egrave;che enflamm&eacute;e dans les eaux du lac, et, tra&ccedil;ant un large cercle, il &eacute;tait venu s'abattre aux pieds de la jeune fille.</p>
+
+<p>Les hautes couches explosives dans lesquelles le grisou s'&eacute;tait m&eacute;lang&eacute; &agrave; l'air, n'avaient pas &eacute;t&eacute; atteintes&nbsp;!</p>
+
+<p>Alors un cri terrible retentit sous le d&ocirc;me. Ce fut le dernier que jeta le vieux Silfax.</p>
+
+<p>A l'instant o&ugrave; Jack Ryan allait mettre la main sur le bordage du canot, le vieillard, voyant sa vengeance lui &eacute;chapper, s'&eacute;tait pr&eacute;cipit&eacute; dans les eaux du lac.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Sauvez-le&nbsp;! sauvez-le&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Nell d'une voix d&eacute;chirante.</p>
+
+<p>Harry l'entendit. Se jetant &agrave; son tour &agrave; la nage, il eut bient&ocirc;t rejoint Jack Ryan et plongea &agrave; plusieurs reprises.</p>
+
+<p>Mais ses efforts furent inutiles.</p>
+
+<p>Les eaux du lac Malcolm ne rendirent pas leur proie. Elles s'&eacute;taient &agrave; jamais referm&eacute;es sur le vieux Silfax.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XXII</h4>
+
+<h4>La l&eacute;gende du vieux Silfax</h4>
+</center>
+
+<p>Six mois apr&egrave;s ces &eacute;v&eacute;nements, le mariage, si &eacute;trangement interrompu, d'Harry Ford et de Nell, se c&eacute;l&eacute;brait dans la chapelle de Saint-Gilles. Apr&egrave;s que le r&eacute;v&eacute;rend Hobson eut b&eacute;ni leur union, les jeunes &eacute;poux, encore v&ecirc;tus de noir, rentr&egrave;rent au cottage.</p>
+
+<p>James Starr et Simon Ford, d&eacute;sormais exempts de toute inqui&eacute;tude, pr&eacute;sid&egrave;rent joyeusement &agrave; la f&ecirc;te qui suivit la c&eacute;r&eacute;monie et se prolongea jusqu'au lendemain.</p>
+
+<p>Ce fut dans ces m&eacute;morables circonstances que Jack Ryan, rev&ecirc;tu de son costume de piper, apr&egrave;s avoir gonfl&eacute; d'air l'outre de sa cornemuse, obtint ce triple r&eacute;sultat de jouer, de chanter et de danser tout &agrave; la fois, aux applaudissements de toute l'assembl&eacute;e.</p>
+
+<p>Et, le lendemain, les travaux du jour et du fond recommenc&egrave;rent, sous la direction de l'ing&eacute;nieur James Starr.</p>
+
+<p>Harry et Nell furent heureux, il est superflu de le dire. Ces deux c&oelig;urs, tant &eacute;prouv&eacute;s, trouv&egrave;rent dans leur union le bonheur qu'ils m&eacute;ritaient.</p>
+
+<p>Quant &agrave; Simon Ford, l'overman honoraire de la Nouvelle Aberfoyle, il comptait bien vivre assez pour c&eacute;l&eacute;brer sa cinquantaine avec la bonne Madge, qui ne demandait pas mieux, d'ailleurs.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et apr&egrave;s celle-l&agrave;, pourquoi pas une autre&nbsp;? disait Jack Ryan. Deux cinquantaines, ce ne serait pas trop pour vous, monsieur Simon&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tu as raison, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit tranquillement le vieil overman. Qu'y aurait-il d'&eacute;tonnant &agrave; ce que sous le climat de la Nouvelle-Aberfoyle, dans ce milieu qui ne conna&icirc;t pas les intemp&eacute;ries du dehors, on dev&icirc;nt deux fois centenaire&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Les habitants de Coal-city devaient-ils jamais assister &agrave; cette seconde c&eacute;r&eacute;monie&nbsp;? L'avenir le dira.</p>
+
+<p>En tout cas, un oiseau, qui semblait devoir atteindre une long&eacute;vit&eacute; extraordinaire, c'&eacute;tait le harfang du vieux Silfax. Il hantait toujours le sombre domaine. Mais apr&egrave;s la mort du vieillard, bien que Nell e&ucirc;t essay&eacute; de le retenir, il s'&eacute;tait enfui au bout de quelques jours. Outre que la soci&eacute;t&eacute; des hommes ne lui plaisait d&eacute;cid&eacute;ment pas plus qu'&agrave; son ancien ma&icirc;tre, il semblait qu'il e&ucirc;t gard&eacute; une sorte de rancune particuli&egrave;re &agrave; Harry, et que cet oiseau jaloux e&ucirc;t toujours reconnu et d&eacute;test&eacute; en lui le premier ravisseur de Nell, celui &agrave; qui il l'avait disput&eacute;e en vain dans l'ascension du gouffre.</p>
+
+<p>Depuis ce temps, Nell ne le revoyait qu'&agrave; de longs intervalles, planant au-dessus du lac Malcolm.</p>
+
+<p>Voulait-il revoir son amie d'autrefois&nbsp;? voulait-il plonger ses regards p&eacute;n&eacute;trants jusqu'au fond de l'ab&icirc;me o&ugrave; s'&eacute;tait englouti Silfax&nbsp;?</p>
+
+<p>Les deux versions furent admises, car le harfang devint l&eacute;gendaire, et il inspira &agrave; Jack Ryan plus d'une fantastique histoire.</p>
+
+<p>C'est gr&acirc;ce &agrave; ce joyeux compagnon qu'on chante encore dans les veill&eacute;es &eacute;cossaises la l&eacute;gende de l'oiseau du vieux Silfax, l'ancien p&eacute;nitent des houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<center>
+<h4>The End</h4>
+</center>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Les Indes Noires, by Jules Verne
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES INDES NOIRES ***
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
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+The Project Gutenberg EBook of Les Indes Noires, by Jules Verne
+(#24 in our series by Jules Verne)
+
+Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the
+copyright laws for your country before downloading or redistributing
+this or any other Project Gutenberg eBook.
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+This header should be the first thing seen when viewing this Project
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+how the file may be used. You can also find out about how to make a
+donation to Project Gutenberg, and how to get involved.
+
+
+**Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts**
+
+**eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971**
+
+*****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!*****
+
+
+Title: Les Indes Noires
+
+Author: Jules Verne
+
+Release Date: February, 2004 [EBook #5081]
+[Yes, we are more than one year ahead of schedule]
+[This file was first posted on April 18, 2002]
+[Date last updated: January 16, 2005]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ASCII
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES INDES NOIRES ***
+
+
+
+
+This eBook was produced by Norman Wolcott.
+
+
+
+ Les Indes noires
+
+ par
+
+ JULES VERNE
+
+ TABLE DES MATIERES
+
+
+ I Deux lettres contradictoires
+
+ II Chemin faisant
+
+ III Le sous-sol du Royaume-Uni
+
+ IV La fosse Dochart
+
+ V La Famille Ford
+
+ VI Quelques phenomenes inexplicables
+
+ VII Une experience de Simon Ford
+
+ VIII Un coup de dynamite
+
+ IX La Nouvelle-Aberfoyle
+
+ X Aller et retour
+
+ XI Les Dames de feu
+
+ XII Les Exploits de Jack Ryan
+
+ XIII Coal-city
+
+ XIV Suspendu a un fil
+
+ XV Nell au cottage
+
+ XVI Sur l'echelle oscillante
+
+ XVII Un lever de soleil
+
+ XVIII Du lac Lomond au lac Katrine
+
+ XIX Une derniere menace
+
+ XX Le penitent
+
+ XXI Le mariage de Nell
+
+ XXII La legende du vieux Silfax
+
+------------------------------------------------------------------------
+ I
+
+ Deux lettres contradictoires
+
+ _<< Mr. J. R. Starr, ingenieur,_
+ _ << 30, Canongate._
+ _ << Edimbourg._
+
+<< Si monsieur James Starr veut se rendre demain aux houilleres
+d'Aberfoyle, fosse Dochart, puits Yarrow, il lui sera fait une
+communication de nature a l'interesser.
+
+<< Monsieur James Starr sera attendu, toute la journee, a la gare de
+Callander, par Harry Ford, fils de l'ancien overman Simon Ford.
+
+<< Il est prie de tenir cette invitation secrete. >>
+
+Telle fut la lettre que James Starr recut par le premier courrier a la
+date du 3 decembre 18.., -- lettre qui portait le timbre du bureau de
+poste d'Aberfoyle, comte de Stirling, Ecosse.
+
+La curiosite de l'ingenieur fut piquee au vif. Il ne lui vint meme pas
+a la pensee que cette lettre put renfermer une mystification. Il
+connaissait, de longue date, Simon Ford, l'un des anciens contremaitres
+des mines d'Aberfoyle, dont lui, James Starr, avait ete, pendant vingt
+ans, le directeur, -- ce que, dans les houilleres anglaises, on appelle
+le << viewer >>.
+
+James Starr etait un homme solidement constitue, auquel ses
+cinquante-cinq ans ne pesaient pas plus que s'il n'en eut porte que
+quarante. Il appartenait a une vieille famille d'Edimbourg, dont il
+etait l'un des membres les plus distingues. Ses travaux honoraient la
+respectable corporation de ces ingenieurs qui devorent peu a peu le
+sous-sol carbonifere du Royaume-Uni, aussi bien a Cardiff, a Newcastle
+que dans les bas comtes de l'Ecosse. Toutefois, c'etait plus
+particulierement au fond de ces mysterieuses houilleres d'Aberfoyle,
+qui confinent aux mines d'Alloa et occupent une partie du comte de
+Stirling, que le nom de Starr avait conquis l'estime generale. La
+s'etait ecoulee presque toute son existence. En outre, James Starr
+faisait partie de la Societe des antiquaires ecossais, dont il avait
+ete nomme president. Il comptait aussi parmi les membres les plus
+actifs de << Royal Institution >>, et la _Revue d'Edimbourg_ publiait
+frequemment de remarquables articles signes de lui. C'etait, on le
+voit, un de ces savants pratiques auxquels est due la prosperite de
+l'Angleterre. Il tenait un haut rang dans cette vieille capitale de
+l'Ecosse, qui, non seulement au point de vue physique, mais encore au
+point de vue moral, a pu meriter le nom d'<< Athenes du Nord >>.
+
+On sait que les Anglais ont donne a l'ensemble de leurs vastes
+houilleres un nom tres significatif. Ils les appellent tres justement
+les << Indes noires >>, et ces Indes ont peut-etre plus contribue que les
+Indes orientales a accroitre la surprenante richesse du Royaume-Uni.
+La, en effet, tout un peuple de mineurs travaille, nuit et jour, a
+extraire du sous-sol britannique le charbon, ce precieux combustible,
+indispensable element de la vie industrielle.
+
+A cette epoque, la limite de temps, assignee par les hommes speciaux a
+l'epuisement des houilleres, etait fort reculee, et la disette n'etait
+pas a craindre a court delai. Il y avait encore a exploiter largement
+les gisements carboniferes des deux mondes. Les fabriques, appropriees
+a tant d'usages divers, les locomotives, les locomobiles, les steamers,
+les usines a gaz, etc., n'etaient pas pres de manquer du combustible
+mineral. Seulement, la consommation s'etait tellement accrue pendant
+ces dernieres annees, que certaines couches avaient ete epuisees jusque
+dans leurs plus maigres filons. Abandonnees maintenant, ces mines
+trouaient et sillonnaient inutilement le sol de leurs puits delaisses
+et de leurs galeries desertes.
+
+Tel etait, precisement, le cas des houilleres d'Aberfoyle.
+
+Dix ans auparavant, la derniere benne avait enleve la derniere tonne de
+houille de ce gisement. Le materiel du << fond [1*] >>, machines
+destinees a la traction mecanique sur les rails des galeries, berlines
+formant les trains subterranes, tramways souterrains, cages desservant
+les puits d'extraction, tuyaux dont l'air comprime actionnait des
+perforatrices, -- en un mot, tout ce qui constituait l'outillage
+d'exploitation avait ete retire des profondeurs des fosses et abandonne
+a la surface du sol. La houillere, epuisee, etait comme le cadavre d'un
+mastodonte de grandeur fantastique, auquel on a enleve les divers
+organes de la vie et laisse seulement l'ossature.
+
+De ce materiel, il n'etait reste que de longues echelles de bois,
+desservant les profondeurs de la houillere par le puits Yarow le seul
+qui donnat maintenant acces aux galeries inferieures de la fosse
+Dochart, depuis la cessation des travaux.
+
+A l'exterieur, les batiments, abritant autrefois aux travaux du << jour
+>>, indiquaient encore la place ou avaient ete fonces les puits de
+ladite fosse, completement abandonnee, comme l'etaient les autres
+fosses, dont l'ensemble constituait les houilleres d'Aberfoyle.
+
+Ce fut un triste jour, lorsque, pour la derniere fois, les mineurs
+quitterent la mine, dans laquelle ils avaient vecu tant d'annees.
+
+L'ingenieur James Starr avait reuni ces quelques milliers de
+travailleurs, qui composaient l'active et courageuse population de la
+houillere. Piqueurs, rouleurs, conducteurs, remblayeurs, boiseurs,
+cantonniers, receveurs, basculeurs, forgerons, charpentiers, tous,
+femmes, enfants, vieillards, ouvriers du fond et du jour, etaient
+rassembles dans l'immense cour de la fosse Dochart, autrefois encombree
+du trop-plein de la houillere.
+
+Ces braves gens, que les necessites de l'existence allaient disperser
+-- eux, qui pendant de longues annees, s'etaient succede de pere en
+fils dans la vieille Aberfoyle --, attendaient, avant de la quitter
+pour jamais, les derniers adieux de l'ingenieur. La Compagnie leur
+avait fait distribuer, a titre de gratification, les benefices de
+l'annee courante. Peu de chose, en verite, car le rendement des filons
+avait depasse de bien peu les frais d'exploitation; mais cela devait
+leur permettre d'attendre qu'ils fussent embauches, soit dans les
+houilleres voisines, soit dans les fermes ou les usines du comte.
+
+James Starr se tenait debout, devant la porte du vaste appentis, sous
+lequel avaient si longtemps fonctionne les puissantes machines a vapeur
+du puits d'extraction.
+
+Simon Ford, l'overman de la fosse Dochart, alors age de cinquante-cinq
+ans, et quelques autres conducteurs de travaux l'entouraient.
+
+James Starr se decouvrit. Les mineurs, chapeau bas, gardaient un
+profond silence.
+
+Cette scene d'adieux avait un caractere touchant, qui ne manquait pas
+de grandeur.
+
+<< Mes amis, dit l'ingenieur, le moment de nous separer est venu. Les
+houilleres d'Aberfoyle, qui, depuis tant d'annees, nous reunissaient
+dans un travail commun, sont maintenant epuisees. Nos recherches n'ont
+pu amener la decouverte d'un nouveau filon, et le dernier morceau de
+houille vient d'etre extrait de la fosse Dochart ! >>
+
+Et, a l'appui de sa parole, James Starr montrait aux mineurs un bloc de
+charbon qui avait ete garde au fond d'une benne.
+
+<< Ce morceau de houille, mes amis, reprit James Starr, c'est comme le
+dernier globule du sang qui circulait a travers les veines de la
+houillere ! Nous le conserverons, comme nous avons conserve le premier
+fragment de charbon extrait, il y a cent cinquante ans, des gisements
+d'Aberfoyle. Entre ces deux morceaux, bien des generations de
+travailleurs se sont succede dans nos fosses ! Maintenant, c'est fini !
+Les dernieres paroles que vous adresse votre ingenieur sont des paroles
+d'adieu. Vous avez vecu de la mine, qui s'est videe sous votre main. Le
+travail a ete dur, mais non sans profit pour vous. Notre grande famille
+va se disperser, et il n'est pas probable que l'avenir en reunisse
+jamais les membres epars. Mais n'oubliez pas que nous avons longtemps
+vecu ensemble, et que, chez les mineurs d'Aberfoyle, c'est un devoir de
+s'entraider. Vos anciens chefs ne l'oublieront pas, non plus. Quand on
+a travaille ensemble, on ne saurait etre des etrangers les uns pour les
+autres. Nous veillerons sur vous, et, partout ou vous irez en honnetes
+gens, nos recommandations vous suivront. Adieu donc, mes amis, et que
+le Ciel vous assiste ! >>
+
+Cela dit, James Starr pressa dans ses bras le plus vieil ouvrier de la
+houillere, dont les yeux s'etaient mouilles de larmes. Puis, les
+overmen des differentes fosses vinrent serrer la main de l'ingenieur,
+pendant que les mineurs agitaient leur chapeau et criaient :
+
+<< Adieu, James Starr, notre chef et notre ami ! >>
+
+Ces adieux devaient laisser un imperissable souvenir dans tous ces
+braves c&oelig;urs. Mais, peu a peu, il le fallut, cette population
+quitta tristement la vaste cour. Le vide se fit autour de James Starr.
+Le sol noir des chemins, conduisant a la fosse Dochart, retentit une
+derniere fois sous le pied des mineurs, et le silence succeda a cette
+bruyante animation, qui avait empli jusqu'alors la houillere
+d'Aberfoyle.
+
+Un homme etait reste seul pres de James Starr.
+
+C'etait l'overman Simon Ford. Pres de lui se tenait un jeune garcon,
+age de quinze ans, son fils Harry, qui, depuis quelques annees deja,
+etait employe aux travaux du fond.
+
+James Starr et Simon Ford se connaissaient, et, se connaissant,
+s'estimaient l'un l'autre.
+
+<< Adieu, Simon, dit l'ingenieur.
+
+-- Adieu, monsieur James, repondit l'overman, ou plutot, laissez-moi
+ajouter : Au revoir !
+
+-- Oui, au revoir, Simon ! reprit James Starr. Vous savez que je serai
+toujours heureux de vous retrouver et de pouvoir parler avec vous du
+passe de notre vieille Aberfoyle !
+
+-- Je le sais, monsieur James.
+
+-- Ma maison d'Edimbourg vous est ouverte !
+
+-- C'est loin, Edimbourg ! repondit l'overman en secouant la tete. Oui
+! loin de la fosse Dochart !
+
+-- Loin, Simon ! Ou comptez-vous donc demeurer ?
+
+-- Ici meme, monsieur James ! Nous n'abandonnerons pas la mine, notre
+vieille nourrice, parce que son lait s'est tari ! Ma femme, mon fils et
+moi, nous nous arrangerons pour lui rester fideles !
+
+-- Adieu donc, Simon, repondit l'ingenieur, dont la voix, malgre lui,
+trahissait l'emotion.
+
+-- Non, je vous repete : au revoir, monsieur James ! repondit
+l'overman, et non adieu ! Foi de Simon Ford, Aberfoyle vous reverra ! >>
+
+L'ingenieur ne voulut pas enlever cette derniere illusion a l'overman.
+Il embrassa le jeune Harry, qui le regardait de ses grands yeux emus.
+Il serra une derniere fois la main de Simon Ford et quitta
+definitivement la houillere.
+
+Voila ce qui s'etait passe dix ans auparavant; mais, malgre le desir
+que venait d'exprimer l'overman de le revoir quelque jour, James Starr
+n'avait plus entendu parler de lui.
+
+Et c'etait apres dix ans de separation, que lui arrivait cette lettre
+de Simon Ford, qui le conviait a reprendre sans delai le chemin des
+anciennes houilleres d'Aberfoyle.
+
+Une communication de nature a l'interesser, qu'etait-ce donc ? La fosse
+Dochart, le puits Yarow ! Quels souvenirs du passe ces noms rappelaient
+a son esprit ! Oui ! c'etait le bon temps, celui du travail, de la
+lutte --, le meilleur temps de sa vie d'ingenieur !
+
+James Starr relisait la lettre. Il la retournait dans tous les sens. Il
+regrettait, en verite, qu'une ligne de plus n'eut pas ete ajoutee par
+Simon Ford. Il lui en voulait d'avoir ete si laconique.
+
+Etait-il donc possible que le vieil overman eut decouvert quelque
+nouveau filon a exploiter ? Non !
+
+James Starr se rappelait avec quel soin minutieux les houilleres
+d'Aberfoyle avaient ete explorees avant la cessation definitive des
+travaux. Il avait lui-meme procede aux derniers sondages, sans trouver
+aucun nouveau gisement dans ce sol ruine par une exploitation poussee a
+l'exces. On avait meme tente de reprendre le terrain houiller sous les
+couches qui lui sont ordinairement inferieures, telles que le gres
+rouge devonien, mais sans resultat. James Starr avait donc abandonne la
+mine avec l'absolue conviction qu'elle ne possedait plus un morceau de
+combustible.
+
+<< Non, se repetait-il, non ! Comment admettre que ce qui aurait echappe
+a mes recherches se serait revele a celles de Simon Ford ? Pourtant, le
+vieil overman doit bien savoir qu'une seule chose au monde peut
+m'interesser, et cette invitation, que je dois tenir secrete, de me
+rendre a la fosse Dochart !... >>
+
+James Starr en revenait toujours la.
+
+D'autre part, l'ingenieur connaissait Simon Ford pour un habile mineur,
+particulierement doue de l'instinct du metier. Il ne l'avait pas revu
+depuis l'epoque ou les exploitations d'Aberfoyle avaient ete
+abandonnees. Il ignorait meme ce qu'etait devenu le vieil overman. Il
+n'aurait pu dire a quoi il s'occupait, ni meme ou il demeurait, avec sa
+femme et son fils. Tout ce qu'il savait, c'est que rendez-vous lui
+etait donne au puits Yarow, et qu'Harry, le fils de Simon Ford,
+l'attendrait a la gare de Callander pendant toute la journee du
+lendemain. Il s'agissait donc evidemment de visiter la fosse Dochart.
+
+<< J'irai, j'irai ! >> dit James Starr, qui sentait sa surexcitation
+s'accroitre a mesure que s'avancait l'heure.
+
+C'est qu'il appartenait, ce digne ingenieur, a cette categorie de gens
+passionnes, dont le cerveau est toujours en ebullition, comme une
+bouilloire placee sur une flamme ardente. Il est de ces bouilloires
+dans lesquelles les idees cuisent a gros bouillons, d'autres ou elles
+mijotent paisiblement. Or, ce jour-la, les idees de James Starr
+bouillaient a plein feu.
+
+Mais, alors, un incident tres inattendu se produisit. Ce fut la goutte
+d'eau froide, qui allait momentanement condenser toutes les vapeurs de
+ce cerveau.
+
+En effet, vers six heures du soir, par le troisieme courrier, le
+domestique de James Starr apporta une seconde lettre.
+
+Cette lettre etait renfermee dans une enveloppe grossiere, dont la
+suscription indiquait une main peu exercee au maniement de la plume.
+
+James Starr dechira cette enveloppe. Elle ne contenait qu'un morceau de
+papier, jauni par le temps, et qui semblait avoir ete arrache a quelque
+vieux cahier hors d'usage.
+
+Sur ce papier il n'y avait qu'une seule phrase, ainsi concue :
+
+<< Inutile a l'ingenieur James Starr de se deranger, -- la lettre de
+Simon Ford etant maintenant sans objet. >>
+
+Et pas de signature.
+
+[1] L'exploitation d'une mine se divise en travaux du << fond >> et
+travaux du << jour >>; les uns s'accomplissant a l'interieur, les autres
+a l'exrerieur.
+
+ II
+
+ Chemin faisant
+
+Le cours des idees de James Starr fut brusquement arrete, lorsqu'il eut
+lu cette seconde lettre, contradictoire de la premiere.
+
+<< Qu'est-ce que cela veut dire ? >> se demanda-t-il.
+
+James Starr reprit l'enveloppe a demi dechiree. Elle portait, ainsi que
+l'autre, le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle. Elle etait donc
+partie de ce meme point du comte de Stirling. Ce n'etait pas le vieux
+mineur qui l'avait ecrite, -- evidemment. Mais, non moins evidemment,
+l'auteur de cette seconde lettre connaissait le secret de l'overman,
+puisqu'il contremandait formellement l'invitation faite a l'ingenieur
+de se rendre au puits Yarow.
+
+Etait-il donc vrai que cette premiere communication fut maintenant sans
+objet ? voulait-on empecher James Starr de se deranger, soit
+inutilement, soit utilement ? N'y avait-il pas la plutot une intention
+malveillante de contrecarrer les projets de Simon Ford ?
+
+C'est ce que pensa James Starr, apres mure reflexion. Cette
+contradiction, qui existait entre les deux lettres, ne fit naitre en
+lui qu'un plus vif desir de se rendre a la fosse Dochart. D'ailleurs,
+si, dans tout cela, il n'y avait qu'une mystification, mieux valait
+s'en assurer. Mais il semblait bien a James Starr qu'il convenait
+d'accorder plus de creance a la premiere lettre qu'a la seconde, --
+c'est-a-dire a la demande d'un homme tel que Simon Ford plutot qu'a cet
+avis de son contradicteur anonyme.
+
+<< En verite, puisqu'on pretend influencer ma resolution, se dit-il,
+c'est que la communication de Simon Ford doit avoir une extreme
+importance ! Demain, je serai au rendez-vous indique et a l'heure
+convenue ! >>
+
+Le soir venu, James Starr fit ses preparatifs de depart. Comme il
+pouvait arriver que son absence se prolongeat pendant quelques jours,
+il prevint, par lettre, Sir W. Elphiston, le president de << Royal
+Institution >>, qu'il ne pourrait assister a la prochaine seance de la
+Societe. Il se degagea egalement de deux ou trois affaires, qui
+devaient l'occuper pendant la semaine. Puis, apres avoir donne l'ordre
+a son domestique de preparer un sac de voyage, il se coucha, plus
+impressionne que l'affaire ne le comportait peut-etre.
+
+Le lendemain, a cinq heures, James Starr sautait hors de son lit,
+s'habillait chaudement -- car il tombait une pluie froide --, et il
+quittait sa maison de la Canongate, pour aller prendre a Granton-pier
+le steam-boat qui, en trois heures, remonte le Forth jusqu'a Stirling.
+
+Pour la premiere fois, peut-etre, James Starr, en traversant la
+Canongate [1*], ne se retourna pas pour regarder Holyrood, ce palais
+des anciens souverains de l'Ecosse. Il n'apercut pas, devant sa
+poterne, les sentinelles revetues de l'antique costume ecossais, jupon
+d'etoffe verte, plaid quadrille et sac de peau de chevre a longs poils
+pendant sur la cuisse. Bien qu'il fut fanatique de Walter Scott, comme
+l'est tout vrai fils de la vieille Caledonie, l'ingenieur, ainsi qu'il
+ne manquait jamais de le faire, ne donna meme pas un coup d'&oelig;il a
+l'auberge ou Waverley descendit, et dans laquelle le tailleur lui
+apporta ce fameux costume en tartan de guerre qu'admirait si naivement
+la veuve Flockhart. Il ne salua pas, non plus, la petite place ou les
+montagnards dechargerent leurs fusils, apres la victoire du Pretendant,
+au risque de tuer Flora Mac Ivor. L'horloge de la prison tendait au
+milieu de la rue son cadran desole : il n'y regarda que pour s'assurer
+qu'il ne manquerait point l'heure du depart. On doit avouer aussi qu'il
+n'entrevit pas dans Nelher-Bow la maison du grand reformateur John
+Knox, le seul homme que ne purent seduire les sourires de Marie Stuart.
+Mais, prenant par High-street, la rue populaire, si minutieusement
+decrite dans le roman de _L'Abbe_, il s'elanca vers le pont gigantesque
+de Bridgestreet, qui relie les trois collines d'Edimbourg.
+
+Quelques minutes apres, James Starr arrivait a la gare du << General
+railway >>, et le train le debarquait, une demi-heure apres, a Newhaven,
+joli village de pecheurs, situe a un mille de Leith, qui forme le port
+d'Edimbourg. La maree montante recouvrait alors la plage noiratre et
+rocailleuse du littoral. Les premiers flots baignaient une estacade,
+sorte de jetee supportee par des chaines. A gauche, un de ces bateaux
+qui font le service du Forth, entre Edimbourg et Stirling, etait amarre
+au << pier >> de Granton.
+
+En ce moment, la cheminee du _Prince de Galles_ vomissait des
+tourbillons de fumee noire, et sa chaudiere ronflait sourdement. Au son
+de la cloche, qui ne tinta que quelques coups, les voyageurs en retard
+se haterent d'accourir. Il y avait la une foule de marchands, de
+fermiers, de ministres, ces derniers reconnaissables a leurs culottes
+courtes, a leurs longues redingotes, au mince lisere blanc qui cerclait
+leur cou.
+
+James Starr ne fut pas le dernier a s'embarquer. Il sauta lestement sur
+le pont du _Prince de Galles_. Bien que la pluie tombat avec violence,
+pas un de ces passagers ne songeait a chercher un abri dans le salon du
+steam-boat. Tous restaient immobiles, enveloppes de leurs couvertures
+de voyage, quelques-uns se ranimant de temps a autre avec le gin ou le
+whisky de leur bouteille, -- ce qu'ils appellent << se vetir a
+l'interieur >>. Un dernier coup de cloche se fit entendre, les amarres
+furent larguees, et le _Prince de Galles_ evolua pour sortir du petit
+bassin, qui l'abritait contre les lames de la mer du Nord.
+
+Le Firth of Forth, tel est le nom que l'on donne au golfe creuse entre
+les rives du comte de Fife, au nord, et celles des comtes de
+Linlilhgow, d'Edimbourg et Haddington, au sud. Il forme l'estuaire du
+Forth, fleuve peu important, sorte de Tamise ou de Mersey aux eaux
+profondes, qui, descendu des flancs ouest du Ben Lomond, se jette dans
+la mer a Kincardine.
+
+Ce ne serait qu'une courte traversee que celle de Granton-pier a
+l'extremite de ce golfe, si la necessite de faire escale aux diverses
+stations des deux rives n'obligeait a de nombreux detours. Les villes,
+les villages, les cottages s'etalent sur les bords du Forth entre les
+arbres d'une campagne fertile. James Starr, abrite sous la large
+passerelle jetee entre les tambours, ne cherchait pas a rien voir de ce
+paysage, alors raye par les fines hachures de la pluie. Il s'inquietait
+plutot d'observer s'il n'attirait pas specialement l'attention de
+quelque passager. Peut-etre, en effet, l'auteur anonyme de la seconde
+lettre etait-il sur le bateau. Cependant, l'ingenieur ne put surprendre
+aucun regard suspect.
+
+Le _Prince de Galles_, en quittant Granton-pier, se dirigea vers
+l'etroit pertuis qui se glisse entre les deux pointes de
+Southoueensferry et North-oueensferry, au-dela duquel le Forth forme
+une sorte de lac, praticable pour les navires de cent tonneaux. Entre
+les brumes du fond apparaissaient, dans de courtes eclaircies, les
+sommets neigeux des monts Grampian.
+
+Bientot, le steam-boat eut perdu de vue le village d'Aberdour, l'ile de
+Colm, couronnee par les ruines d'un monastere du XIIe siecle, les
+restes du chateau de Barnbougle, puis Donibristle, ou fut assassine le
+gendre du regent Murray, puis l'ilot fortifie de Garvie. Il franchit le
+detroit de oueensferry, laissa a gauche le chateau de Rosyth, ou
+residait autrefois une branche des Stuarts a laquelle etait alliee la
+mere de Cromwell, depassa Blacknesscastle, toujours fortifie,
+conformement a l'un des articles du traite de l'Union, et longea les
+quais du petit port de Charleston, d'ou s'exporte la chaux des
+carrieres de Lord Elgin. Enfin, la cloche du _Prince de Galles_ signala
+la station de Crombie-Point.
+
+Le temps etait alors tres mauvais. La pluie, fouettee par une brise
+violente, se pulverisait au milieu de ces mugissantes rafales, qui
+passaient comme des trombes.
+
+James Starr n'etait pas sans quelque inquietude. Le fils d'Harry Ford
+se trouverait-il au rendez-vous ? Il le savait par experience : les
+mineurs, habitues au calme profond des houilleres, affrontent moins
+volontiers que les ouvriers ou les laboureurs ces grands troubles de
+l'atmosphere. De Callander a la fosse Dochart et au puits Yarow, il
+fallait compter une distance de quatre milles. C'etaient la des raisons
+qui pouvaient, dans une certaine mesure, retarder le fils du vieil
+overman. Toutefois, l'ingenieur se preoccupait davantage de l'idee que
+le rendez-vous donne dans la premiere lettre eut ete contremande dans
+la seconde. -- C'etait, a vrai dire, son plus gros souci.
+
+En tout cas, si Harry Ford ne se trouvait pas a l'arrivee du train a
+Callander, James Starr etait bien decide a se rendre seul a la fosse
+Dochart, et meme, s'il le fallait, jusqu'au village d'Aberfoyle. La, il
+aurait sans doute des nouvelles de Simon Ford, et il apprendrait en
+quel lieu residait actuellement le vieil overman.
+
+Cependant, le _Prince de Galles_ continuait a soulever de grosses lames
+sous la poussee de ses aubes. On ne voyait rien des deux rives du
+fleuve, ni du village de Crombie, ni Torryburn, ni Torry-house, ni
+Newmills, ni Carridenhouse, ni Ilirkgrange, ni Salt-Pans, sur la
+droite. Le petit port de Bowness, le port de Grangemouth, creuse a
+l'embouchure du canal de la Clyde, disparaissaient dans l'humide
+brouillard. Culross, le vieux bourg et les ruines de son abbaye de
+Citeaux, Ilinkardine et ses chantiers de construction, auxquels le
+steam-boat fit escale, Ayrthcastle et sa tour carree du XIIIe siecle,
+Clackmannan et son chateau, bati par Robert Bruce, n'etaient meme pas
+visibles a travers les rayures obliques de la pluie.
+
+Le _Prince de Galles_ s'arreta a l'embarcadere d'Alloa pour deposer
+quelques voyageurs. James Starr eut le c&oelig;ur serre en passant,
+apres dix ans d'absence, pres de cette petite ville, siege
+d'exploitation d'importantes houilleres qui nourrissaient toujours une
+nombreuse population de travailleurs. Son imagination l'entrainait dans
+ce sous-sol, que le pic des mineurs creusait encore a grand profit. Ces
+mines d'Alloa, presque contigues a celles d'Aberfoyle, continuaient a
+enrichir le comte, tandis que les gisements voisins, epuises depuis
+tant d'annees, ne comptaient plus un seul ouvrier !
+
+Le steam-boat, en quittant Alloa, s'enfonca dans les nombreux detours
+que fait le Forth sur un parcours de dix-neuf milles. Il circulait
+rapidement entre les grands arbres des deux rives. Un instant, dans une
+eclaircie, apparurent les ruines de l'abbaye de Cambuskenneth, qui date
+du XIIe siecle. Puis, ce furent le chateau de Stirling et le bourg
+royal de ce nom, ou le Forth, traverse par deux ponts, n'est plus
+navigable aux navires de hautes matures.
+
+A peine le _Prince de Galles_ avait-il accoste, que l'ingenieur sautait
+lestement sur le quai. Cinq minutes apres, il arrivait a la gare de
+Stirling. Une heure plus tard, il descendait du train a Callander, gros
+village situe sur la rive gauche du Teith.
+
+La, devant la gare, attendait un jeune homme, qui s'avanca aussitot
+vers l'ingenieur.
+
+C'etait Harry, le fils de Simon Ford.
+
+[1] Principale et celebre rue du vieil Edimbourg.
+
+ III
+
+ Le sous-sol du Royaume-Uni
+
+Il est convenable, pour l'intelligence de ce recit, de rappeler en
+quelques mots quelle est l'origine de la houille.
+
+Pendant les epoques geologiques, lorsque le spheroide terrestre etait
+encore en voie de formation, une epaisse atmosphere l'entourait, toute
+saturee de vapeurs d'eau et largement impregnee d'acide carbonique. Peu
+a peu, ces vapeurs se condenserent en pluies diluviennes, qui tomberent
+comme si elles eussent ete projetees du goulot de quelques millions de
+milliards de bouteilles d'eau de Seltz. C'etait, en effet, un liquide
+charge d'acide carbonique qui se deversait torrentiellement sur un sol
+pateux, mal consolide, sujet aux deformations brusques ou lentes, a la
+fois maintenu dans cet etat semi-fluide autant par les feux du soleil
+que par les feux de la masse interieure. C'est que la chaleur interne
+n'etait pas encore emmagasinee au centre du globe. La croute terrestre,
+peu epaisse et incompletement durcie, la laissait s'epancher a travers
+ses pores. De la, une phenomenale vegetation, -- telle, sans doute,
+qu'elle se produit peut-etre a la surface des planetes inferieures,
+Venus ou Mercure, plus rapprochees que la terre de l'astre radieux.
+
+Le sol des continents, encore mal fixe, se couvrit donc de forets
+immenses; l'acide carbonique, si propre au developpement du regne
+vegetal, abondait. Aussi les vegetaux se developpaient-ils sous la
+forme arborescente. Il n'y avait pas une seule plante herbacee.
+C'etaient partout d'enormes massifs d'arbres, sans fleurs, sans fruits,
+d'un aspect monotone, qui n'auraient pu suffire a la nourriture d'aucun
+etre vivant. La terre n'etait pas prete encore pour l'apparition du
+regne animal.
+
+Voici quelle etait la composition de ces forets antediluviennes. La
+classe des cryptogames vasculaires y dominait. Les calamites, varietes
+de preles arborescentes, les lepidodendrons, sortes de lycopodes
+geants, hauts de vingt-cinq ou trente metres, larges d'un metre a leur
+base, des asterophylles, des fougeres, des sigillaires de proportions
+gigantesques, dont on a retrouve des empreintes dans les mines de
+Saint-Etienne -- toutes plantes grandioses alors, auxquelles on ne
+reconnaitrait d'analogues que parmi les plus humbles specimens de la
+terre habitable --, tels etaient, peu varies dans leur espece, mais
+enormes dans leur developpement, les vegetaux qui composaient
+exclusivement les forets de cette epoque.
+
+Ces arbres noyaient alors leur pied dans une sorte d'immense lagune,
+rendue profondement humide par le melange des eaux douces et des eaux
+marines. Ils s'assimilaient avidement le carbone qu'ils soutiraient peu
+a peu de l'atmosphere, encore impropre au fonctionnement de la vie, et
+on peut dire qu'ils etaient destines a l'emmagasiner, sous forme de
+houille, dans les entrailles memes du globe.
+
+En effet, c'etait l'epoque des tremblements de terre, de ces
+secouements du sol, dus aux revolutions interieures et au travail
+plutonique, qui modifiaient subitement les lineaments encore incertains
+de la surface terrestre. Ici, des intumescences qui devenaient
+montagnes; la, des gouffres que devaient emplir des oceans ou des mers.
+Et alors, des forets entieres s'enfoncaient dans la croute terrestre, a
+travers les couches mouvantes, jusqu'a ce qu'elles eussent trouve un
+point d'appui, tel que le sol primitif des roches granitoides, ou que,
+par le tassement, elles formassent un tout resistant.
+
+En effet, l'edifice geologique se presente suivant cet ordre dans les
+entrailles du globe : le sol primitif, que surmonte le sol de remblai,
+compose des terrains primaires, puis les terrains secondaires dont les
+gisements houillers occupent l'etage inferieur, puis les terrains
+tertiaires, et au-dessus, le terrain des alluvions anciennes et
+modernes.
+
+A cette epoque, les eaux, qu'aucun lit ne retenait encore et que la
+condensation engendrait sur tous les points du globe, se precipitaient
+en arrachant aux roches, a peine formees, de quoi composer les
+schistes, les gres, les calcaires. Elles arrivaient au dessus des
+forets tourbeuses et deposaient les elements de ces terrains qui
+allaient se superposer au terrain houiller. Avec le temps -- des
+periodes qui se chiffrent par millions d'annees --, ces terrains se
+durcirent, s'etagerent et enfermerent sous une epaisse carapace de
+poudingues, de schistes, de gres compacts ou friables, de gravier, de
+cailloux, toute la masse des forets enlisees.
+
+Que se passa-t-il dans ce creuset gigantesque, ou s'accumulait la
+matiere vegetale, enfoncee a des profondeurs variables ? Une veritable
+operation chimique, une sorte de distillation. Tout le carbone que
+contenaient ces vegetaux s'agglomerait, et peu a peu la houille se
+formait sous la double influence d'une pression enorme et de la haute
+temperature que lui fournissaient les feux internes, si voisins d'elle
+a cette epoque.
+
+Ainsi donc un regne se substituait a l'autre dans cette lente, mais
+irresistible reaction. Le vegetal se transformait en mineral. Toutes
+ces plantes, qui avaient vecu de la vie vegetative sous l'active seve
+des premiers jours, se petrifiaient. Quelques-unes des substances
+enfermees dans ce vaste herbier, incompletement deformees, laissaient
+leur empreinte aux autres produits plus rapidement mineralises, qui les
+pressaient comme eut fait une presse hydraulique d'une puissance
+incalculable. En meme temps, des coquilles, des zoophytes tels
+qu'etoiles de mer, polypiers, spiriferes, jusqu'a des poissons, jusqu'a
+des lezards, entraines par les eaux, laissaient sur la houille, tendre
+encore, leur impression nette et comme << admirablement tiree [1*] >>.
+
+La pression semble avoir joue un role considerable dans la formation
+des gisements carboniferes. En effet, c'est a son degre de puissance
+que sont dues les diverses sortes de houilles dont l'industrie fait
+usage. Ainsi, aux plus basses couches du terrain houiller apparait
+l'anthracite, qui, presque entierement depourvue de matiere volatile,
+contient la plus grande quantite de carbone. Aux plus hautes couches se
+montrent, au contraire, le lignite et le bois fossile, substances dans
+lesquelles la quantite de carbone est infiniment moindre. Entre ces
+deux couches, suivant le degre de pression qu'elles ont subie, se
+rencontrent les filons de graphites, les houilles grasses ou maigres.
+On peut meme affirmer que c'est faute d'une pression suffisante que la
+couche des marais tourbeux n'a pas ete completement modifiee.
+
+Ainsi donc, l'origine des houilleres, en quelque point du globe qu'on
+les ait decouvertes, est celle-ci : engloutissement dans la croute
+terrestre des grandes forets de l'epoque geologique, puis,
+mineralisation des vegetaux obtenue avec le temps, sous l'influence de
+la pression et de la chaleur, et sous l'action de l'acide carbonique.
+
+Cependant, la nature, si prodigue d'ordinaire, n'a pas enfoui assez de
+forets pour une consommation qui comprendrait quelques milliers
+d'annees. La houille manquera un jour, -- cela est certain. Un chomage
+force s'imposera donc aux machines du monde entier, si quelque nouveau
+combustible ne remplace pas le charbon. A une epoque plus ou moins
+reculee, il n'y aura plus de gisements carboniferes, si ce n'est ceux
+qu'une eternelle couche de glace recouvre au Gr&oelig;nland, aux
+environs de la mer de Baffin, et dont l'exploitation est a peu pres
+impossible. C'est le sort inevitable. Les bassins houillers de
+l'Amerique, prodigieusement riches encore, ceux du lac Sale, de
+l'oregon, de la Californie, n'auront plus, un jour, qu'un rendement
+insuffisant. Il en sera ainsi des houilleres du cap Breton et du
+Saint-Laurent, des gisements des Alleghanis, de la Pennsylvanie, de la
+Virginie, de l'Illinois, de l'Indiana, du Missouri. Bien que les gites
+carboniferes du Nord-Amerique soient dix fois plus considerables que
+tous les gisements du monde entier, cent siecles ne s'ecouleront pas
+sans que le monstre a millions de gueules de l'industrie n'ait devore
+le dernier morceau de houille du globe.
+
+La disette, on le comprend, se fera plus promptement sentir dans
+l'ancien monde. Il existe bien des couches de combustible mineral en
+Abyssinie, a Natal, au Zambeze, a Mozambique, a Madagascar, mais leur
+exploitation reguliere offre les plus grandes difficultes. Celles de la
+Birmanie, de la Chine, de la Cochinchine, du Japon, de l'Asie centrale,
+seront assez vite epuisees. Les Anglais auront certainement vide
+l'Australie des produits houillers, assez abondamment enfouis dans son
+sol, avant le jour ou le charbon manquera au Royaume-Uni. A cette
+epoque, deja, les filons carboniferes de l'Europe, atteints jusque dans
+leurs dernieres veines, auront ete abandonnes.
+
+Que l'on juge par les chiffres suivants des quantites de houille qui
+ont ete consommees depuis la decouverte des premiers gisements. Les
+bassins houillers de la Russie, de la Saxe et de la Baviere comprennent
+six cent mille hectares; ceux de l'Espagne, cent cinquante mille; ceux
+de la Boheme et de l'Autriche, cent cinquante mille. Les bassins de la
+Belgique, longs de quarante lieues, larges de trois, comptent egalement
+cent cinquante mille hectares, qui s'etendent sous les territoires de
+Liege, de Namur, de Mons et de Charleroi. En France, le bassin situe
+entre la Loire et le Rhone, Rive-de-Gier, Saint-Etienne, Givors,
+Epinac, Blanzy, le Creuzot -- les exploitations du Gard, Alais, La
+Grand-Combe, -- celles de l'Aveyron a Aubin -- les gisements de
+Carmaux, de Bassac, de Graissessac --, dans le Nord, Anzin,
+Valenciennes, Lens, Bethune, recouvrent environ trois cent cinquante
+mille hectares.
+
+Le pays le plus riche en charbon, c'est incontestablement le
+Royaume-Uni. Celui-ci, en exceptant l'Irlande, a laquelle manque
+presque absolument le combustible mineral, possede d'enormes richesses
+carboniferes, -- mais epuisables comme toutes richesses. Le plus
+important de ces divers bassins, celui de Newcastle, qui occupe le
+sous-sol du comte de Northumberland, produit par an jusqu'a trente
+millions de tonnes, c'est-a-dire pres du tiers de la consommation
+anglaise et plus du double de la production francaise. Le bassin du
+pays de Galles, qui a concentre toute une population de mineurs a
+Cardiff, a Swansea, a Newport, rend annuellement dix millions de tonnes
+de cette houille si recherchee qui porte son nom. Au centre,
+s'exploitent les bassins des comtes d'York, de Lancaster, de Derby, de
+Stafford, moins productifs, mais d'un rendement considerable encore.
+Enfin, dans cette portion de l'Ecosse situee entre Edimbourg et
+Glasgow, entre ces deux mers qui l'echancrent si profondement, se
+developpe l'un des plus vastes gisements houillers du Royaume-Uni.
+L'ensemble de ces divers bassins ne comprend pas moins de seize cent
+mille hectares, et produit annuellement jusqu'a cent millions de tonnes
+du noir combustible.
+
+Mais qu'importe ! La consommation deviendra telle, pour les besoins de
+l'industrie et du commerce, que ces richesses s'epuiseront. Le
+troisieme millenaire de l'ere chretienne ne sera pas acheve, que la
+main du mineur aura vide, en Europe, ces magasins dans lesquels,
+suivant une juste image, s'est concentree la chaleur solaire des
+premiers jours [2*].
+
+Or, precisement a l'epoque ou se passe cette histoire, l'une des plus
+importantes houilleres du bassin ecossais avait ete epuisee par une
+exploitation trop rapide. En effet, c'etait dans ce territoire, qui se
+developpe entre Edimbourg et Glasgow, sur une largeur moyenne de dix a
+douze milles, que se creusait la houillere d'Aberfoyle, dont
+l'ingenieur James Starr avait si longtemps dirige les travaux.
+
+Or, depuis dix ans, ces mines avaient du etre abandonnees. On n'avait
+pu decouvrir de nouveaux gisements, bien que les sondages eussent ete
+portes jusqu'a la profondeur de quinze cents et meme de deux mille
+pieds, et lorsque James Starr s'etait retire, c'etait avec la certitude
+que le plus mince filon avait ete exploite jusqu'a complet epuisement.
+
+Il etait donc plus qu'evident que, en de telles conditions, la
+decouverte d'un nouveau bassin houiller dans les profondeurs du
+sous-sol anglais aurait ete un evenement considerable. La communication
+annoncee par Simon Ford se rapportait-elle a un fait de cette nature ?
+C'est ce que se demandait James Starr, c'est ce qu'il voulait esperer.
+
+En un mot, etait-ce un autre coin de ces riches Indes noires dont on
+l'appelait a faire de nouveau la conquete ? Il voulait le croire.
+
+La seconde lettre avait un instant deroute ses idees a ce sujet, mais
+maintenant il n'en tenait plus compte. D'ailleurs, le fils du vieil
+overman etait la, l'attendant au rendez-vous indique. La lettre anonyme
+n'avait donc plus aucune valeur.
+
+A l'instant ou l'ingenieur prenait pied sur le quai, le jeune homme
+s'avanca vers lui.
+
+<< Tu es Harry Ford ? lui demanda vivement James Starr, sans autre
+entree en matiere.
+
+-- Oui, monsieur Starr.
+
+-- Je ne t'aurais pas reconnu, mon garcon ! Ah ! c'est que, depuis dix
+ans, tu es devenu un homme !
+
+-- Moi, je vous ai reconnu, repondit le jeune mineur, qui tenait son
+chapeau a la main. vous n'avez pas change, monsieur. vous etes celui
+qui m'a embrasse le jour des adieux a la fosse Dochart ! Ca ne s'oublie
+pas, ces choses-la !
+
+-- Couvre-toi donc, Harry, dit l'ingenieur. Il pleut a torrents, et la
+politesse ne doit pas aller jusqu'au rhume.
+
+-- Voulez-vous que nous nous mettions a l'abri, monsieur Starr ?
+demanda Harry Ford.
+
+-- Non, Harry. Le temps est pris. Il pleuvra toute la journee, et je
+suis presse. Partons.
+
+-- A vos ordres, repondit le jeune homme.
+
+-- Dis-moi, Harry, le pere se porte bien ?
+
+-- Tres bien, monsieur Starr.
+
+-- Et la mere ?...
+
+-- La mere aussi.
+
+-- C'est ton pere qui m'a ecrit, pour me donner rendez-vous au puits de
+Yarow ?
+
+-- Non, c'est moi.
+
+-- Mais Simon Ford m'a-t-il donc adresse une seconde lettre pour
+contremander ce rendez-vous ? demanda vivement l'ingenieur.
+
+-- Non, monsieur Starr, repondit le jeune mineur.
+
+-- Bien ! >> repondit James Starr, sans parler davantage de la lettre
+anonyme.
+
+Puis, reprenant :
+
+<< Et peux-tu m'apprendre ce que me veut le vieux Simon ? demanda-t-il
+au jeune homme.
+
+-- Monsieur Starr, mon pere s'est reserve le soin de vous le dire
+lui-meme.
+
+-- Mais tu le sais ?...
+
+-- Je le sais.
+
+-- Eh bien, Harry, je ne t'en demande pas plus. En route donc, car j'ai
+hate de causer avec Simon Ford. -- A propos, ou demeure-t-il ?
+
+-- Dans la mine.
+
+-- Quoi ! Dans la fosse Dochart ?
+
+-- Oui, monsieur Starr, repondit Harry Ford.
+
+-- Comment ! ta famille n'a pas quitte la vieille mine depuis la
+cessation des travaux ?
+
+-- Pas un jour, monsieur Starr. vous connaissez le pere. C'est la qu'il
+est ne, c'est la qu'il veut mourir !
+
+-- Je comprends cela, Harry... Je comprends cela ! Sa houillere natale
+! Il n'a pas voulu l'abandonner ! Et vous vous plaisez la ?...
+
+-- Oui, monsieur Starr, repondit le jeune mineur, car nous nous aimons
+cordialement, et nous n'avons que peu de besoins !
+
+-- Bien, Harry, dit l'ingenieur. En route ! >>
+
+Et James Starr, suivant le jeune homme, se dirigea a travers les rues
+de Callander.
+
+Dix minutes apres, tous deux avaient quitte la ville.
+
+[1] Il faut, d'ailleurs, remarquer que toutes ces plantes, dont les
+enpreintes ont ete retrouvees, appartiennent aux especes aujourd'hui
+reservees aux zones equatoriales du globe. On peut donc conclure que, a
+cette epoque, la chaleur etait egale sur toute la terre, soit qu'elle y
+fut apportee par des courants d'eaux chaudes, soit que les feux
+interieurs se fissent sentir a sa surface a travers la croute poreuse.
+Ainsi s'explique la formation de gisements carboniferes sous toutes les
+latitudes terestres.
+
+[2]Voici, en tenant compte de la progression de la consommation de la
+houille, ce que les derniers calculs assignent, en Europe, a
+l'epuisement des combustibles mineraux:
+
+
+ France dans 1140 ans.
+
+ Angleterre -- 800 --
+
+ Belgique -- 750 --
+
+ Allemagne -- 300 --
+
+En Amerique, a raison de 500 millions de tonnes annuellement, les gites
+pourraient produire du charbon pendant 6000 ans.
+
+ IV
+
+ La fosse Dochart
+
+Harry Ford etait un grand garcon de vingt-cinq ans, vigoureux, bien
+decouple. Sa physionomie un peu serieuse, son attitude habituellement
+pensive, l'avaient, des son enfance, fait remarquer entre ses camarades
+de la mine. Ses traits reguliers, ses yeux profonds et doux, ses
+cheveux assez rudes, plutot chatains que blonds, le charme naturel de
+sa personne, tout concordait a en faire le type accompli du Lowlander,
+c'est-a-dire un superbe specimen de l'Ecossais de la plaine. Endurci
+presque des son bas age au travail de la houillere, c'etait, en meme
+temps qu'un solide compagnon, une brave et bonne nature. Guide par son
+pere, pousse par ses propres instincts, il avait travaille, il s'etait
+instruit de bonne heure, et, a un age ou l'on n'est guere qu'un
+apprenti, il etait arrive a se faire quelqu'un -- l'un des premiers de
+sa condition --, dans un pays qui compte peu d'ignorants, car il fait
+tout pour supprimer l'ignorance. Si, pendant les premieres annees de
+son adolescence, le pic ne quitta pas la main d'Harry Ford, neanmoins
+le jeune mineur ne tarda pas a acquerir les connaissances suffisantes
+pour s'elever dans la hierarchie de la houillere, et il aurait
+certainement succede a son pere en qualite d'overman de la fosse
+Dochart, si la mine n'eut pas ete abandonnee.
+
+James Starr etait un bon marcheur encore, et, cependant, il n'aurait
+pas suivi facilement son guide, si celui-ci n'eut modere son pas.
+
+La pluie tombait alors avec moins de violence. Les larges gouttes se
+pulverisaient avant d'atteindre le sol. C'etaient plutot des rafales
+humides, qui couraient dans l'air, soulevees par une fraiche brise.
+
+Harry Ford et James Starr -- le jeune homme portant le leger bagage de
+l'ingenieur -- suivirent la rive gauche du fleuve pendant un mille
+environ. Apres avoir longe sa plage sinueuse, ils prirent une route qui
+s'enfoncait dans les terres sous les grands arbres ruisselants. De
+vastes paturages se developpaient d'un cote et de l'autre, autour de
+fermes isolees. Quelques. troupeaux paissaient tranquillement l'herbe
+toujours verte de ces prairies de la basse Ecosse. C'etaient des vaches
+sans cornes, ou de petits moutons a laine soyeuse, qui ressemblaient
+aux moutons des bergeries d'enfants. Aucun berger ne se laissait voir,
+abrite qu'il etait sans doute dans quelque creux d'arbre; mais le <<
+colley >>, chien particulier a cette contree du Royaume-Uni et renomme
+pour sa vigilance, rodait autour du paturage.
+
+Le puits Yarow etait situe a quatre milles environ de Callander. James
+Starr, tout en marchant, ne laissait pas d'etre impressionne. Il
+n'avait pas revu le pays depuis le jour ou la derniere tonne des
+houilleres d'Aberfoyle avait ete versee dans les wagons du railway de
+Glasgow. La vie agricole remplacait, maintenant, la vie industrielle,
+toujours plus bruyante, plus active. Le contraste etait d'autant plus
+frappant que, pendant l'hiver, les travaux des champs subissent une
+sorte de chomage. Mais autrefois, en toute saison, la population des
+mineurs, au-dessus comme au-dessous, animait ce territoire. Les grands
+charrois de charbon passaient nuit et jour. Les rails, maintenant
+enterres sur leurs traverses pourries, grincaient sous le poids des
+wagons. A present, le chemin de pierre et de terre se substituait peu a
+peu aux anciens tramways de l'exploitation. James Starr croyait
+traverser un desert.
+
+L'ingenieur regardait donc autour de lui d'un &oelig;il attriste. Il
+s'arretait par instants pour reprendre haleine. Il ecoutait. L'air ne
+s'emplissait plus a present des sifflements lointains et du fracas
+haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noiratres,
+que l'industriel aime a retrouver, melees aux grands nuages. Nulle
+haute cheminee cylindrique ou prismatique vomissant des fumees, apres
+s'etre alimentee au gisement meme, nul tuyau d'echappement s'epoumonant
+a souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussiere
+de la houille, avait un aspect propre, auquel les yeux de James Starr
+n'etaient plus habitues.
+
+Lorsque l'ingenieur s'arretait, Harry Ford s'arretait aussi. Le jeune
+mineur attendait en silence. Il sentait bien ce qui se passait dans
+l'esprit de son compagnon, et il partageait vivement cette impression,
+-- lui, un enfant de la houillere, dont toute la vie s'etait ecoulee
+dans les profondeurs de ce sol.
+
+<< Oui, Harry, tout cela est change, dit James Starr. Mais, a force d'y
+prendre, il fallait bien que les tresors de houille s'epuisassent un
+jour ! Tu regrettes ce temps !
+
+-- Je le regrette, monsieur Starr, repondit Harry. Le travail etait
+dur, mais il interessait, comme toute lutte.
+
+-- Sans doute, mon garcon ! La lutte de tous les instants, le danger
+des eboulements, des incendies, des inondations, des coups de grisou
+qui frappent comme la foudre ! Il fallait parer a ces perils ! Tu dis
+bien ! C'etait la lutte, et, par consequent, la vie emouvante !
+
+-- Les mineurs d'Alloa ont ete plus favorises que les mineurs
+d'Aberfoyle, monsieur Starr !
+
+-- Oui, Harry, repondit l'ingenieur.
+
+-- En verite, s'ecria le jeune homme, il est a regretter que tout le
+globe terrestre n'ait pas ete uniquement compose de charbon ! Il y en
+aurait eu pour quelques millions d'annees !
+
+-- Sans doute, Harry, mais il faut avouer, cependant, que la nature
+s'est montree prevoyante en formant notre spheroide plus principalement
+de gres, de calcaire, de granit, que le feu ne peut consumer !
+
+-- Voulez-vous dire, monsieur Starr, que les humains auraient fini par
+bruler leur globe ?...
+
+-- Oui ! Tout entier, mon garcon, repondit l'ingenieur. La terre aurait
+passe jusqu'au dernier morceau dans les fourneaux des locomotives, des
+locomobiles, des steamers, des usines a gaz, et, certainement, c'est
+ainsi que notre monde eut fini un beau jour !
+
+-- Cela n'est plus a craindre, monsieur Starr. Mais aussi, les
+houilleres s'epuiseront, sans doute, plus rapidement que ne
+l'etablissent les statistiques !
+
+-- Cela arrivera, Harry, et, suivant moi, l'Angleterre a peut-etre tort
+d'echanger son combustible contre l'or des autres nations !
+
+-- En effet, repondit Harry.
+
+-- Je sais bien, ajouta l'ingenieur, que ni l'hydraulique, ni
+l'electricite n'ont encore dit leur dernier mot, et qu'on utilisera
+plus completement un jour ces deux forces. Mais n'importe ! La houille
+est d'un emploi tres pratique et se prete facilement aux divers besoins
+de l'industrie ! Malheureusement, les hommes ne peuvent la produire a
+volonte ! Si les forets exterieures repoussent incessamment sous
+l'influence de la chaleur et de l'eau, les forets interieures, elles,
+ne se reproduisent pas, et le globe ne se retrouvera jamais dans les
+conditions voulues pour les refaire ! >>
+
+James Starr et son guide, tout en causant, avaient repris leur marche
+d'un pas rapide. Une heure apres avoir quitte Callander, ils arrivaient
+a la fosse Dochart.
+
+Un indifferent lui-meme eut ete touche du triste aspect que presentait
+l'etablissement abandonne. C'etait comme le squelette de ce qui avait
+ete si vivant autrefois.
+
+Dans un vaste cadre, borde de quelques maigres arbres, le sol
+disparaissait encore sous la noire poussiere du combustible mineral,
+mais on n'y voyait plus ni escarbilles, ni gailleteries, ni aucun
+fragment de houille. Tout avait ete enleve et consomme depuis longtemps.
+
+Sur une colline peu elevee, se decoupait la silhouette d'une enorme
+charpente que le soleil et la pluie rongeaient lentement. Au sommet de
+cette charpente apparaissait une vaste molette ou roue de fonte, et
+plus bas s'arrondissaient ces gros tambours, sur lesquels s'enroulaient
+autrefois les cables qui ramenaient les cages a la surface du sol.
+
+A l'etage inferieur, on reconnaissait la chambre delabree des machines,
+autrefois si luisantes dans les parties du mecanisme faites d'acier ou
+de cuivre. Quelques pans de murs gisaient a terre au milieu de solives
+brisees et verdies par l'humidite. Des restes de balanciers auxquels
+s'articulait la tige des pompes d'ejuisement, des coussinets casses ou
+encrasses, des pignons edentes, des engins de basculage renverses,
+quelques echelons fixes aux chevalets et figurant de grandes aretes
+d'ichthyosaures, des rails portes sur quelque traverse rompue que
+soutenaient encore deux ou trois pilotis branlants, des tramways qui
+n'auraient pas resiste au poids d'un wagonnet vide, -- tel etait
+l'aspect desole de la fosse Dochart.
+
+La margelle des puits, aux pierres eraillees, disparaissait sous les
+mousses epaisses. Ici, on reconnaissait les vestiges d'une cage, la les
+restes d'un parc ou s'emmagasinait le charbon, qui devait etre trie
+suivant sa qualite ou sa grosseur. Enfin, debris de tonnes auxquelles
+pendait un bout de chaine, fragments de chevalets gigantesques, toles
+d'une chaudiere eventree, pistons tordus, longs balanciers qui se
+penchaient sur l'orifice des puits de pompes, passerelles tremblant au
+vent, ponceaux fremissant au pied, murailles lezardees, toits a demi
+effondres qui dominaient des cheminees aux briques disjointes,
+ressemblant a ces canons modernes dont la culasse est frettee d'anneaux
+cylindriques, de tout cela il sortait une vive impression d'abandon, de
+misere, de tristesse, que n'offrent pas les ruines du vieux chateau de
+pierre, ni les restes d'une forteresse demantelee.
+
+<< C'est une desolation ! >> dit James Starr, en regardant le jeune homme
+qui ne repondit pas.
+
+Tous deux penetrerent alors sous l'appentis qui recouvrait l'orifice du
+puits Yarow, dont les echelles donnaient encore acces jusqu'aux
+galeries inferieures de la fosse.
+
+L'ingenieur se pencha sur l'orifice.
+
+De la s'epanchait autrefois le souffle puissant de l'air aspire par les
+ventilateurs. C'etait maintenant un abime silencieux. Il semblait qu'on
+fut a la bouche de quelque volcan eteint.
+
+James Starr et Harry mirent pied sur le premier palier.
+
+A l'epoque de l'exploitation, d'ingenieux engins desservaient certains
+puits des houilleres d'Aberfoyle, qui, sous ce rapport, etaient
+parfaitement outillees : cages munies de parachutes automatiques,
+mordant sur des glissieres en bois, echelles oscillantes, nommees <<
+engine-men >>, qui, par un simple mouvement d'oscillation, permettaient
+aux mineurs de descendre sans danger ou de remonter sans fatigue.
+
+Mais ces appareils perfectionnes avaient ete enleves, depuis la
+cessation des travaux. Il ne restait au puits Yarow qu'une longue
+succession d'echelles, separees par des paliers etroits de cinquante en
+cinquante pieds. Trente de ces echelles, ainsi placees bout a bout,
+permettaient de descendre jusqu'a la semelle de la galerie inferieure,
+a une profondeur de quinze cents pieds. C'etait la seule voie de
+communication qui existat entre le fond de la fosse Dochart et le sol.
+Quant a l'aeration, elle s'operait par le puits Yarow, que les galeries
+faisaient communiquer avec un autre puits dont l'orifice s'ouvrait a un
+niveau superieur, -- l'air chaud se degageant naturellement par cette
+espece de siphon renverse.
+
+<< Je te suis, mon garcon, dit l'ingenieur, en faisant signe au jeune
+homme de le preceder.
+
+-- A vos ordres, monsieur Starr.
+
+-- Tu as ta lampe ?
+
+-- Oui, et plut au Ciel que ce fut encore la lampe de surete dont nous
+nous servions autrefois !
+
+-- En effet, repondit James Starr, les coups de grisou ne sont plus a
+craindre maintenant ! >>
+
+Harry n'etait muni que d'une simple lampe a huile, dont il alluma la
+meche. Dans la houillere, vide de charbon, les fuites du gaz hydrogene
+protocarbone ne pouvaient plus se produire. Donc, aucune explosion a
+redouter, et nulle necessite d'interposer entre la flamme et l'air
+ambiant cette toile metallique qui empeche le gaz de prendre feu a
+l'exterieur. La lampe de Davy, si perfectionnee alors, ne trouvait plus
+ici son emploi. Mais si le danger n'existait pas, c'est que la cause en
+avait disparu, et, avec cette cause, le combustible qui faisait
+autrefois la richesse de la fosse Dochart.
+
+Harry descendit les premiers echelons de l'echelle superieure. James
+Starr le suivit. Tous deux se trouverent bientot dans une obscurite
+profonde que rompait seul l'eclat de la lampe. Le jeune homme l'elevait
+au-dessus de sa tete, afin de mieux eclairer son compagnon.
+
+Une dizaine d'echelles furent descendues par l'ingenieur et son guide
+de ce pas mesure habituel au mineur. Elles etaient encore en bon etat.
+
+James Starr observait curieusement ce que l'insuffisante lueur lui
+laissait apercevoir des parois du sombre puits, qu'un cuvelage en bois,
+a demi pourri, revetait encore.
+
+Arrives au quinzieme palier, c'est-a-dire a mi-chemin, ils firent halte
+pour quelques instants.
+
+<< Decidement, je n'ai pas tes jambes, mon garcon, dit l'ingenieur en
+respirant longuement, mais enfin, cela va encore !
+
+-- Vous etes solide, monsieur Starr, repondit Harry, et c'est quelque
+chose, voyez-vous, que d'avoir longtemps vecu dans la mine.
+
+-- Tu as raison, Harry. Autrefois, lorsque j'avais vingt ans, j'aurais
+descendu tout d'une haleine. Allons, en route ! >>
+
+Mais, au moment ou tous deux allaient quitter le palier, une voix,
+encore eloignee, se fit entendre dans les profondeurs du puits. Elle
+arrivait comme une onde sonore qui se gonfle progressivement, et elle
+devenait de plus en plus distincte.
+
+<< Eh ! qui vient la ? demanda l'ingenieur en arretant Harry.
+
+-- Je ne pourrais le dire, repondit le jeune mineur.
+
+-- Ce n'est pas le vieux pere ?...
+
+-- Lui ! monsieur Starr, non.
+
+-- Quelque voisin, alors ?...
+
+-- Nous n'avons pas de voisins au fond de la fosse, repondit Harry.
+Nous sommes seuls, bien seuls.
+
+-- Bon ! laissons passer cet intrus, dit James Starr. C'est a ceux qui
+descendent de ceder le pas a ceux qui montent. >>
+
+Tous deux attendirent.
+
+La voix resonnait en ce moment avec un magnifique eclat, comme si elle
+eut ete portee par un vaste pavillon acoustique, et bientot quelques
+paroles d'une chanson ecossaise arriverent assez nettement aux oreilles
+du jeune mineur.
+
+<< La chanson des lacs ! s'ecria Harry. Ah ! je serais bien surpris si
+elle s'echappait d'une autre bouche que de celle de Jack Ryan.
+
+-- Et qu'est-ce, ce Jack Ryan, qui chante d'une si superbe facon ?
+demanda James Starr.
+
+-- Un ancien camarade de la houillere >>, repondit Harry.
+
+Puis, se pendant au-dessus du palier :
+
+<< Eh ! Jack ! cria-t-il.
+
+-- C'est toi, Harry ? fut-il repondu. Attends-moi, j'arrive. >>
+
+Et la chanson reprit de plus belle.
+
+Quelques instants apres, un grand garcon de vingt-cinq ans, la figure
+gaie, les yeux souriants, la bouche joyeuse, la chevelure d'un blond
+ardent, apparaissait au fond du cone lumineux que projetait sa
+lanterne, et il prenait pied sur le palier de la quinzieme echelle.
+
+Son premier acte fut de serrer vigoureusement la main que venait de lui
+tendre Harry.
+
+<< Enchante de te rencontrer ! s'ecria-t-il. Mais, saint Mungo me
+protege ! si j'avais su que tu revenais a terre aujourd'hui, je me
+serais bien epargne cette descente au puits Yarow !
+
+-- Monsieur James Starr, dit alors Harry, en tournant sa lampe vers
+l'ingenieur, qui etait reste dans l'ombre.
+
+-- Monsieur Starr ! repondit Jack Ryan. Ah ! monsieur l'ingenieur, je
+ne vous aurais pas reconnu. Depuis que j'ai quitte la fosse, mes yeux
+ne sont plus habitues, comme autrefois, a voir dans l'obscurite.
+
+-- Et moi, je me rappelle maintenant un gamin qui chantait toujours.
+voila bien dix ans de cela, mon garcon ! C'etait toi, sans doute ?
+
+-- Moi-meme, monsieur Starr, et, en changeant de metier, je n'ai pas
+change d'humeur, voyez-vous ? Bah ! rire et chanter, cela vaut mieux,
+j'imagine, que pleurer et geindre !
+
+-- Sans doute, Jack Ryan. -- Et que fais-tu, depuis que tu as quitte la
+mine ?
+
+-- Je travaille a la ferme de Melrose, pres d'Irvine, dans le comte de
+Renfrew, a quarante milles d'ici. Ah ! ca ne vaut pas nos houilleres
+d'Aberfoyle ! Le pic allait mieux a ma main que la beche ou l'aiguillon
+! Et puis, dans la vieille fosse, il y avait des coins sonores, des
+echos joyeux qui vous renvoyaient gaillardement vos chansons, tandis
+que la-haut !... Mais vous allez donc rendre visite au vieux Simon,
+monsieur Starr ?
+
+-- Oui, Jack, repondit l'ingenieur.
+
+-- Que je ne vous retarde pas...
+
+-- Dis-moi, Jack, demanda Harry, quel motif t'a amene au cottage
+aujourd'hui ?
+
+-- Je voulais te voir, camarade, repondit Jack Ryan, et t'inviter a la
+fete du clan d'Irvine. Tu sais, je suis le << piper [1*] >> de l'endroit
+! On chantera, on dansera !
+
+-- Merci, Jack, mais cela m'est impossible.
+
+-- Impossible ?
+
+-- Oui, la visite de M. Starr peut se prolonger, et je dois le
+reconduire a Callander.
+
+-- Eh ! Harry, la fete du clan d'Irvine n'arrive que dans huit jours.
+D'ici la, la visite de M. Starr sera terminee, je suppose, et rien ne
+te retiendra plus au cottage !
+
+-- En effet, Harry, repondit James Starr. Il faut profiter de
+l'invitation que te fait ton camarade Jack !
+
+-- Eh bien, j'accepte, Jack, dit Harry. Dans huit jours, nous nous
+retrouverons a la fete d'Irvine.
+
+-- Dans huit jours, c'est bien convenu, repondit Jack Ryan. Adieu,
+Harry ! votre serviteur, monsieur Starr ! Je suis tres content de vous
+avoir revu ! Je pourrai donner de vos nouvelles aux amis. Personne ne
+vous a oublie, monsieur l'ingenieur.
+
+-- Et je n'ai oublie personne, dit James Starr.
+
+-- Merci pour tous, monsieur, repondit Jack Ryan.
+
+-- Adieu, Jack ! >> dit Harry, en serrant une derniere fois la main de
+son camarade.
+
+Et Jack Ryan, reprenant sa chanson, disparut bientot dans les hauteurs
+du puits, vaguement eclairees par sa lampe.
+
+Un quart d'heure apres, James Starr et Harry descendaient la derniere
+echelle, et mettaient le pied sur le sol du dernier etage de la fosse.
+
+Autour du rond-point que formait le fond du puits Yarow rayonnaient
+diverses galeries qui avaient servi a l'exploitation du dernier filon
+carbonifere de la mine. Elles s'enfoncaient dans le massif de schistes
+et de gres, les unes etanconnees par des trapezes de grosses poutres a
+peine equarries, les autres doublees d'un epais revetement de pierre.
+Partout des remblais remplacaient les veines devorees par
+l'exploitation. Les piliers artificiels etaient faits de pierres
+arrachees aux carrieres voisines, et maintenant ils supportaient le
+sol, c'est-a-dire le double etage des terrains tertiaires et
+quaternaires, qui reposaient autrefois sur le gisement meme.
+L'obscurite emplissait alors ces galeries, jadis eclairees soit par la
+lampe du mineur soit par la lumiere electrique, dont, pendant les
+dernieres annees, l'emploi avait ete introduit dans les fosses. Mais
+les sombres tunnels ne resonnaient plus du grincement des wagonnets
+roulant sur leurs rails, ni du bruit des portes d'air qui se
+refermaient brusquement, ni des eclats de voix des rouleurs, ni du
+hennissement des chevaux et des mules, ni des coups de pic de
+l'ouvrier, ni des fracas du foudroyage qui faisait eclater le massif.
+
+<< Voulez-vous vous reposer un instant, monsieur Starr ? demanda le
+jeune homme.
+
+-- Non, mon garcon, repondit l'ingenieur, car j'ai hate d'arriver au
+cottage du vieux Simon.
+
+-- Suivez-moi donc, monsieur Starr. Je vais vous guider, et, cependant,
+je suis sur que vous reconnaitriez parfaitement votre route dans cet
+obscur dedale des galeries.
+
+-- Oui, certes ! J'ai encore dans la tete tout le plan de la vieille
+fosse. >>
+
+Harry, suivi de l'ingenieur et levant sa lampe pour le mieux eclairer,
+s'enfonca dans une haute galerie, semblable a une contre-nef de
+cathedrale. Leur pied, a tous deux, heurtait encore les traverses de
+bois qui supportaient les rails a l'epoque de l'exploitation.
+
+Mais a peine avaient-ils fait cinquante pas, qu'une enorme pierre vint
+tomber aux pieds de James Starr.
+
+<< Prenez garde, monsieur Starr ! s'ecria Harry, en saisissant le bras
+de l'ingenieur.
+
+-- Une pierre, Harry ! Ah ! ces vieilles voutes ne sont plus assez
+solides, sans doute, et...
+
+-- Monsieur Starr, repondit Harry Ford, il me semble que la pierre a
+ete jetee... et jetee par une main d'homme !...
+
+-- Jetee ! s'ecria James Starr. Que veux-tu dire, mon garcon ?
+
+-- Rien, rien... monsieur Starr, repondit evasivement Harry, dont le
+regard, devenu serieux, aurait voulu percer ces epaisses murailles.
+Continuons notre route. Prenez mon bras, je vous prie, et n'ayez aucune
+crainte de faire un faux pas.
+
+-- Me voila, Harry ! >>
+
+Et tous deux s'avancerent, pendant qu'Harry regardait en arriere, en
+projetant l'eclat de sa lampe dans les profondeurs de la galerie.
+
+<< Serons-nous bientot arrives ? demanda l'ingenieur.
+
+-- Dans dix minutes au plus.
+
+-- Bien.
+
+-- Mais, murmurait Harry, cela n'en est pas moins singulier. C'est la
+premiere fois que pareille chose m'arrive. Il a fallu que cette pierre
+vint tomber juste au moment ou nous passions !...
+
+-- Harry, il n'y a eu la qu'un hasard !
+
+-- Un hasard... repondit le jeune homme en secouant la tete. Oui... un
+hasard... >>
+
+Harry s'etait arrete. Il ecoutait.
+
+<< Qu'y a-t-il, Harry ? demanda l'ingenieur.
+
+-- J'ai cru entendre marcher derriere nous >>, repondit le jeune mineur,
+qui preta plus attentivement l'oreille.
+
+Puis :
+
+<< Non ! je me serai trompe, dit-il. Appuyez-vous bien sur mon bras,
+monsieur Starr. Servez-vous de moi comme d'un baton...
+
+-- Un baton solide, Harry, repondit James Starr. Il n'en est pas de
+meilleur qu'un brave garcon tel que toi ! >>
+
+Tous deux continuerent a marcher silencieusement a travers la sombre
+nef.
+
+Souvent, Harry, evidemment preoccupe, se retournait, essayant de
+surprendre, soit un bruit eloigne, soit quelque lueur lointaine.
+
+Mais, derriere et devant lui, tout n'etait que silence et tenebres.
+
+[1] Le _piper_ est le joueur de cornemuse en Ecosse.
+
+ V
+
+ La Famille Ford
+
+Dix minutes apres, James Starr et Harry sortaient enfin de la galerie
+principale.
+
+Le jeune mineur et son compagnon etaient arrives au fond d'une
+clairiere, -- si toutefois ce mot peut servir a designer une vaste et
+obscure excavation. Cette excavation, cependant, n'etait pas absolument
+depourvue de jour. Quelques rayons lui arrivaient par l'orifice d'un
+puits abandonne, qui avait ete fonce dans les etages superieurs.
+C'etait par ce conduit que s'etablissait le courant d'aeration de la
+fosse Dochart. Grace a sa moindre densite, l'air chaud de l'interieur
+etait entraine vers le puits Yarow.
+
+Donc, un peu d'air et de clarte penetrait a la fois a travers l'epaisse
+voute de schiste jusqu'a la clairiere.
+
+C'etait la que Simon Ford habitait depuis dix ans, avec sa famille, une
+souterraine demeure, evidee dans le massif schisteux, a l'endroit meme
+ou fonctionnaient autrefois les puissantes machines, destinees a operer
+la traction mecanique de la fosse Dochart.
+
+Telle etait l'habitation -- a laquelle il donnait volontiers le nom de
+<< cottage >> --, ou residait le vieil overman. Grace a une certaine
+aisance, due a une longue existence de travail, Simon Ford aurait pu
+vivre en plein soleil, au milieu des arbres, dans n'importe quelle
+ville du royaume; mais les siens et lui avaient prefere ne pas quitter
+la houillere, ou ils etaient heureux, ayant memes idees, memes gouts.
+Oui ! il leur plaisait, ce cottage, enfoui a quinze cents pieds
+au-dessous du sol ecossais. Entre autres avantages, il n'y avait pas a
+craindre que les agents du fisc, les << stentmaters >> charges d'etablir
+la capitation, vinssent jamais y relancer ses hotes !
+
+A cette epoque, Simon Ford, l'ancien overman de la fosse Dochart,
+portait vigoureusement encore ses soixante-cinq ans. Grand, robuste,
+bien taille, il eut ete regarde comme l'un des plus remarquables <<
+sawneys [1*] >> du canton, qui fournissait tant de beaux hommes aux
+regiments de Highlanders.
+
+Simon Ford descendait d'une ancienne famille de mineurs, et sa
+genealogie remontait aux premiers temps ou furent exploites les
+gisements carboniferes en Ecosse.
+
+Sans rechercher archeologiquement si les Grecs et les Romains ont fait
+usage de la houille, si les Chinois utilisaient les mines de charbon
+bien avant l'ere chretienne, sans discuter si reellement le combustible
+mineral doit son nom au marechal ferrant Houillos, qui vivait en
+Belgique dans le XIIe siecle, on peut affirmer que les bassins de la
+Grande-Bretagne furent les premiers dont l'exploitation fut mise en
+cours regulier. Au XIe siecle, deja, Guillaume le Conquerant partageait
+entre ses compagnons d'armes les produits du bassin de Newcastle. Au
+XIIIe siecle, une licence d'exploitation du << charbon marin >> etait
+concedee par Henri III. Enfin, vers la fin du meme siecle, il est fait
+mention des gisements de l'Ecosse et du pays de Galles.
+
+Ce fut vers ce temps que les ancetres de Simon Ford penetrerent dans
+les entrailles du sol caledonien, pour n'en plus sortir, de pere en
+fils. Ce n'etaient que de simples ouvriers. Ils travaillaient comme des
+forcats a l'extraction du precieux combustible. On croit meme que les
+charbonniers mineurs, tout comme les sauniers de cette epoque, etaient
+alors de veritables esclaves. En effet, au XVIIIe siecle, cette opinion
+etait si bien etablie en Ecosse, que, pendant la guerre du Pretendant,
+on put craindre que vingt mille mineurs de Newcastle ne se soulevassent
+pour reconquerir une liberte -- qu'ils ne croyaient pas avoir.
+
+Quoi qu'il en soit, Simon Ford etait fier d'appartenir a cette grande
+famille des houilleurs ecossais. Il avait travaille de ses mains, la
+meme ou ses ancetres avaient manie le pic, la pince, la rivelaine et la
+pioche. A trente ans, il etait overman de la fosse Dochart, la plus
+importante des houilleres d'Aberfoyle. Il aimait passionnement son
+metier. Pendant de longues annees, il exerca ses fonctions avec zele.
+Son seul chagrin etait de voir la couche s'appauvrir et de prevoir
+l'heure tres prochaine ou le gisement serait epuise.
+
+C'est alors qu'il s'etait adonne a la recherche de nouveaux filons dans
+toutes les fosses d'Aberfoyle, qui communiquaient souterrainement entre
+elles. Il avait eu le bonheur d'en decouvrir quelques-uns pendant la
+derniere periode d'exploitation. Son instinct de mineur le servait
+merveilleusement, et l'ingenieur James Starr l'appreciait fort. On eut
+dit qu'il devinait les gisements dans les entrailles de la houillere,
+comme un hydroscope devine les sources sous la couche du sol.
+
+Mais le moment arriva, on l'a dit, ou la matiere combustible manqua
+tout a fait a la houillere. Les sondages ne donnerent plus aucun
+resultat. Il fut evident que le gite carbonifere etait entierement
+epuise. L'exploitation cessa. Les mineurs se retirerent.
+
+Le croira-t-on ? Ce fut un desespoir pour le plus grand nombre. Tous
+ceux qui savent que l'homme, au fond, aime sa peine, ne s'en etonneront
+pas. Simon Ford, sans contredit, fut le plus atteint. Il etait, par
+excellence, le type du mineur, dont l'existence est indissolublement
+liee a celle de sa mine. Depuis sa naissance, il n'avait cesse de
+l'habiter, et, lorsque les travaux furent abandonnes, il voulut y
+demeurer encore. Il resta donc. Harry, son fils, fut charge du
+ravitaillement de l'habitation souterraine; mais quant a lui, depuis
+dix ans, il n'etait pas remonte dix fois a la surface du sol.
+
+<< Aller la-haut ! A quoi bon ? >> repetait-il, et il ne quittait pas son
+noir domaine.
+
+Dans ce milieu parfaitement sain, d'ailleurs, soumis a une temperature
+toujours moyenne, le vieil overman ne connaissait ni les chaleurs de
+l'ete, ni les froids de l'hiver. Les siens se portaient bien. Que
+pouvait-il desirer de plus ?
+
+Au fond, il etait serieusement attriste. Il regrettait l'animation, le
+mouvement, la vie d'autrefois, dans la fosse si laborieusement
+exploitee. Cependant, il etait soutenu par une idee fixe.
+
+<< Non ! non ! la houillere n'est pas epuisee ! >> repetait-il.
+
+Et celui-la se serait fait un mauvais parti, qui aurait mis en doute
+devant Simon Ford qu'un jour l'ancienne Aberfoyle ressusciterait
+d'entre les mortes ! Il n'avait donc jamais abandonne l'espoir de
+decouvrir quelque nouvelle couche qui rendrait a la mine sa splendeur
+passee. Oui ! il aurait volontiers, s'il l'avait fallu, repris le pic
+du mineur, et ses vieux bras, solides encore, se seraient
+vigoureusement attaques a la roche. Il allait donc a travers les
+obscures galeries, tantot seul, tantot avec son fils, observant,
+cherchant, pour rentrer chaque jour fatigue, mais non desespere, au
+cottage.
+
+La digne compagne de Simon Ford, c'etait Madge, grande et forte, la <<
+goodwife >>, la << bonne femme >>, suivant l'expression ecossaise. Pas
+plus que son mari, Madge n'eut voulu quitter la fosse Dochart. Elle
+partageait a cet egard toutes ses esperances et ses regrets. Elle
+l'encourageait, elle le poussait en avant, elle lui parlait avec une
+sorte de gravite, qui rechauffait le c&oelig;ur du vieil overman.
+
+<< Aberfoyle n'est qu'endormie, Simon, lui disait-elle. C'est toi qui as
+raison. Ce n'est qu'un repos, ce n'est pas la mort ! >>
+
+Madge savait aussi se passer du monde exterieur et concentrer le
+bonheur d'une existence a trois dans le sombre cottage.
+
+Ce fut la qu'arriva James Starr.
+
+L'ingenieur etait bien attendu. Simon Ford, debout sur sa porte, du
+plus loin que la lampe d'Harry lui annonca l'arrivee de son ancien <<
+viewer >>, s'avanca vers lui.
+
+<< Soyez le bienvenu, monsieur James ! lui cria-t-il d'une voix qui
+resonnait sous la voute du schiste. Soyez le bienvenu au cottage du
+vieil overman ! Pour etre enfouie a quinze cents pieds sous terre, la
+maison de la famille Ford n'en est pas moins hospitaliere !
+
+-- Comment allez-vous, brave Simon ? demanda James Starr, en serrant la
+main que lui tendait son hote.
+
+-- Tres bien, monsieur Starr. Et comment en serait-il autrement ici, a
+l'abri de toute intemperie de l'air ? vos ladies qui vont respirer a
+Newhaven ou a Porto-Bello [2*] , pendant l'ete, feraient mieux de
+passer quelques mois dans la houillere d'Aberfoyle ! Elles ne
+risqueraient point d'y gagner quelque gros rhume, comme dans les rues
+humides de la vieille capitale.
+
+-- Ce n'est pas moi qui vous contredirai, Simon, repondit James Starr,
+heureux de retrouver l'overman tel qu'il etait autrefois ! vraiment, je
+me demande pourquoi je ne change pas ma maison de la Canongate pour
+quelque cottage voisin du votre !
+
+-- A votre service, monsieur Starr. Je connais un de vos anciens
+mineurs qui serait particulierement enchante de n'avoir entre vous et
+lui qu'un mur mitoyen.
+
+-- Et Madge ?... demanda l'ingenieur.
+
+-- La bonne femme se porte encore mieux que moi, si cela est possible !
+repondit Simon Ford, et elle se fait une joie de vous voir a sa table.
+Je pense qu'elle se sera surpassee pour vous recevoir.
+
+-- Nous verrons cela, Simon, nous verrons cela ! dit l'ingenieur, que
+l'annonce d'un bon dejeuner ne pouvait laisser indifferent, apres cette
+longue marche.
+
+-- Vous avez faim, monsieur Starr ?
+
+-- Positivement faim. Le voyage m'a ouvert l'appetit. Je suis venu par
+un temps affreux !...
+
+-- Ah ! il pleut, la-haut ! repondit Simon Ford d'un air de pitie tres
+marque.
+
+-- Oui, Simon, et les eaux du Forth sont agitees aujourd'hui comme
+celles d'une mer !
+
+-- Eh bien, monsieur James, ici, il ne pleut jamais. Mais je n'ai pas a
+vous peindre des avantages que vous connaissez aussi bien que moi !
+vous voila arrive au cottage. C'est le principal, et, je vous le
+repete, soyez le bienvenu ! >>
+
+Simon Ford, suivi d'Harry, fit entrer dans l'habitation James Starr,
+qui se trouva au milieu d'une vaste salle, eclairee par plusieurs
+lampes, dont l'une etait suspendue aux solives coloriees du plafond.
+
+La table, recouverte d'une nappe egayee de fraiches couleurs,
+n'attendait plus que les convives, auxquels quatre chaises, rembourrees
+de vieux cuir, etaient reservees.
+
+<< Bonjour, Madge, dit l'ingenieur.
+
+-- Bonjour, monsieur James, repondit la brave Ecossaise, qui se leva
+pour recevoir son hote.
+
+-- Je vous revois avec plaisir, Madge.
+
+-- Et vous avez raison, monsieur James, car il est agreable de
+retrouver ceux pour lesquels on s'est toujours montre bon.
+
+-- La soupe attend, femme, dit alors Simon Ford, et il ne faut pas la
+faire attendre, non plus que M. James. Il a une faim de mineur, et il
+verra que notre garcon ne nous laisse manquer de rien au cottage ! -- A
+propos, Harry, ajouta le vieil overman en se retournant vers son fils,
+Jack Ryan est venu te voir.
+
+-- Je le sais, pere ! Nous l'avons rencontre dans le puits Yarow.
+
+-- C'est un bon et gai camarade, dit Simon Ford. Mais il semble se
+plaire la-haut ! Ca n'avait pas du vrai sang de mineur dans les veines.
+-- A table, monsieur James, et dejeunons copieusement, car il est
+possible que nous ne puissions souper que fort tard. >>
+
+Au moment ou l'ingenieur et ses hotes allaient prendre place :
+
+<< Un instant, Simon, dit James Starr, voulez-vous que je mange de bon
+appetit ?
+
+-- Ce sera nous faire tout l'honneur possible, monsieur James, repondit
+Simon Ford.
+
+-- Eh bien, il faut pour cela n'avoir aucune preoccupation. -- Or, j'ai
+deux questions a vous adresser.
+
+-- Allez, monsieur James.
+
+-- Votre lettre me parle d'une communication qui doit etre de nature a
+m'interesser ?
+
+-- Elle est tres interessante, en effet.
+
+-- Pour vous ?...
+
+-- Pour vous et pour moi, monsieur James. Mais je desire ne vous la
+faire qu'apres le repas et sur les lieux memes. Sans cela, vous ne
+voudriez pas me croire.
+
+-- Simon, reprit l'ingenieur, regardez-moi bien... la... dans les yeux.
+Une communication interessante ?... Oui... Bon !... Je ne vous en
+demande pas davantage, ajouta-t-il, comme s'il eut lu la reponse qu'il
+esperait dans le regard du vieil overman.
+
+-- Et la deuxieme question ? demanda celui-ci.
+
+-- Savez-vous, Simon, quelle est la personne qui a pu m'ecrire ceci ? >>
+repondit l'ingenieur, en presentant la lettre anonyme qu'il avait recue.
+
+Simon Ford prit la lettre, et il la lut tres attentivement.
+
+Puis, la montrant a son fils :
+
+<< Connais-tu cette ecriture ? dit-il.
+
+-- Non, pere, repondit Harry.
+
+-- Et cette lettre etait timbree du bureau de poste d'Aberfoyle ?
+demanda Simon Ford a l'ingenieur.
+
+-- Oui, comme la votre, repondit James Starr.
+
+-- Que penses-tu de cela, Harry ? dit Simon Ford, dont le front
+s'assombrit un instant.
+
+-- Je pense, pere, repondit Harry, que quelqu'un a eu un interet
+quelconque a empecher M. James Starr de venir au rendez-vous que vous
+lui donniez.
+
+-- Mais qui ? s'ecria le vieux mineur. Qui donc a pu penetrer assez
+avant dans le secret de ma pensee ?... >>
+
+Et Simon Ford, pensif, tomba dans une reverie dont la voix de Madge le
+tira bientot.
+
+<< Asseyons-nous, monsieur Starr, dit-elle. La soupe va refroidir. Pour
+le moment, ne songeons plus a cette lettre ! >>
+
+Et, sur l'invitation de la vieille femme, chacun prit place a la table
+-- James Starr vis-a-vis de Madge, pour lui faire honneur --, le pere
+et le fils l'un vis-a-vis de l'autre.
+
+Ce fut un bon repas ecossais. Et, d'abord, on mangea d'un << hotchpotch
+>>, soupe dont la viande nageait au milieu d'un excellent bouillon. Au
+dire du vieux Simon, sa compagne ne connaissait pas de rivale dans
+l'art de preparer le hotchpotch.
+
+Il en etait de meme, d'ailleurs, du << cockyleeky >>, sorte de ragout de
+coq, accommode aux poireaux, qui ne meritait que des eloges.
+
+Le tout fut arrose d'une excellente ale, puisee aux meilleurs brassins
+des fabriques d'Edimbourg.
+
+Mais le plat principal consista en un << haggis >>, pouding national,
+fait de viandes et de farine d'orge. Ce mets remarquable, qui inspira
+au poete Burns l'une de ses meilleures odes, eut le sort reserve aux
+belles choses de ce monde : il passa comme un reve.
+
+Madge recut les sinceres compliments de son hote.
+
+Le dejeuner se termina par un dessert compose de fromage et de << cakes
+>>, gateaux d'avoine, finement prepares, accompagnes de quelques petits
+verres << d'usquebaugh >>, excellente eau-de-vie de grains, qui avait
+vingt-cinq ans, -- juste l'age d'Harry.
+
+Ce repas dura une bonne heure. James Starr et Simon Ford n'avaient pas
+seulement bien mange, ils avaient aussi bien cause,-- principalement du
+passe de la vieille houillere d'Aberfoyle.
+
+Harry, lui, etait plutot reste silencieux. Deux fois il avait quitte la
+table et meme la maison. Il etait evident qu'il eprouvait quelque
+inquietude depuis l'incident de la pierre, et il voulait observer les
+alentours du cottage. La lettre anonyme n'etait pas faite, non plus,
+pour le rassurer.
+
+Ce fut pendant une de ces sorties que l'ingenieur dit a Simon Ford et
+Madge :
+
+<< Un brave garcon que vous avez la, mes amis !
+
+-- Oui, monsieur James, un etre bon et devoue, repondit vivement le
+vieil overman.
+
+-- Il se plait avec vous, au cottage ?
+
+-- Il ne voudrait pas nous quitter.
+
+-- Vous songerez a le marier, cependant ?
+
+-- Marier Harry ! s'ecria Simon Ford. Et a qui ? A une fille de
+la-haut, qui aimerait les fetes, la danse, qui prefererait son clan a
+notre houillere ! Harry n'en voudrait pas !
+
+-- Simon, repondit Madge, tu n'exigeras pourtant pas que jamais notre
+Harry ne prenne femme...
+
+-- Je n'exigerai rien, repondit le vieux mineur, mais cela ne presse
+pas ! Qui sait si nous ne lui trouverons point... >>
+
+Harry rentrait en ce moment, et Simon Ford se tut.
+
+Lorsque Madge se leva de table, tous l'imiterent et vinrent s'asseoir
+un instant a la porte du cottage.
+
+<< Eh bien, Simon, dit l'ingenieur, je vous ecoute !
+
+-- Monsieur James, repondit Simon Ford, je n'ai pas besoin de vos
+oreilles, mais de vos jambes. -- Vous etes-vous bien repose ?
+
+-- Bien repose et bien refait, Simon. Je suis pret a vous accompagner
+partout ou il vous plaira.
+
+-- Harry, dit Simon Ford, en se retournant vers son fils, allume nos
+lampes de surete.
+
+-- Vous prenez des lampes de surete ! s'ecria James Starr, assez
+surpris, puisque les explosions de grisou n'etaient plus a craindre
+dans une fosse absolument vide de charbon.
+
+-- Oui, monsieur James, par prudence !
+
+-- N'allez-vous pas aussi, mon brave Simon, me proposer de revetir un
+habit de mineur ?
+
+-- Pas encore, monsieur James ! pas encore ! >> repondit le vieil
+overman, dont les yeux brillaient singulierement sous leurs profondes
+orbites.
+
+Harry, qui etait rentre dans le cottage, en ressortit presque aussitot,
+rapportant trois lampes de surete.
+
+Harry remit une de ces lampes a l'ingenieur, l'autre a son pere, et il
+garda la troisieme suspendue a sa main gauche, pendant que sa main
+droite s'armait d'un long baton.
+
+<< En route ! dit Simon Ford, qui prit un pic solide, depose a la porte
+du cottage.
+
+-- En route ! repondit l'ingenieur. -- Au revoir Madge !
+
+-- Dieu vous assiste ! repondit l'Ecossaise.
+
+-- Un bon souper, femme, tu entends, s'ecria Simon Ford. Nous aurons
+faim a notre retour, et nous lui ferons honneur ! >>
+
+[1] Le sawney, c'est l'Ecossais, comme John Bull est l'Anglais, et
+Paddy l'Irlandais.
+
+[2] Stations balneaires des environs d'Edimbourg.
+
+ VI
+
+ Quelques phenomenes inexplicables
+
+On sait ce que sont les croyances superstitieuses dans les hautes et
+basses terres de l'Ecosse. En certains clans, les tenanciers du laird,
+reunis pour la veillee, aiment a redire les contes empruntes au
+repertoire de la mythologie hyperboreenne. L'instruction, quoique
+largement et liberalement repandue dans le pays, n'a pas pu reduire
+encore a l'etat de fictions ces legendes, qui semblent inherentes au
+sol meme de la vieille Caledonie. C'est encore le pays des esprits et
+des revenants, des lutins et des fees. La apparaissent toujours le
+genie malfaisant qui ne s'eloigne que moyennant finances, le << Seer >>
+des Highlanders, qui, par un don de seconde vue, predit les morts
+prochaines, le << May Moullach >>, qui se montre sous la forme d'une
+jeune fille aux bras velus et previent les familles des malheurs dont
+elles sont menacees, la fee << Branshie >>, qui annonce les evenements
+funestes, les << Brawnies >>, auxquels est confiee la garde du mobilier
+domestique, l'<< Urisk >>, qui frequente plus particulierement les gorges
+sauvages du lac Katrine, -- et tant d'autres.
+
+Il va de soi que la population des houilleres ecossaises devait fournir
+son contingent de legendes et de fables a ce repertoire mythologique.
+Si les montagnes des Hautes-Terres sont peuplees d'etres chimeriques,
+bons ou mauvais, a plus forte raison les sombres houilleres
+devaient-elles etre hantees jusque dans leurs dernieres profondeurs.
+Qui fait trembler le gisement pendant les nuits d'orage, qui met sur la
+trace du filon encore inexploite, qui allume le grisou et preside aux
+explosions terribles, sinon quelque genie de la mine ? C'etait, du
+moins, l'opinion communement repandue parmi ces superstitieux Ecossais.
+En verite, la plupart des mineurs croyaient volontiers au fantastique,
+quand il ne s'agissait que de phenomenes purement physiques, et on eut
+perdu son temps a vouloir les desabuser. Ou la credulite se fut-elle
+developpee plus librement qu'au fond de ces abimes ?
+
+Or, les houilleres d'Aberfoyle, precisement parce qu'elles etaient
+exploitees dans le pays des legendes, devaient se preter plus
+naturellement a tous les incidents du surnaturel.
+
+Donc les legendes y abondaient. Il faut dire, d'ailleurs, que certains
+phenomenes, inexpliques jusqu'alors, ne pouvaient que fournir un nouvel
+aliment a la credulite publique.
+
+Au premier rang des superstitieux de la fosse Dochart, figurait Jack
+Ryan, le camarade d'Harry. C'etait le plus grand partisan du surnaturel
+qui fut. Toutes ces fantastiques histoires, il les transformait en
+chansons, qui lui valaient de beaux succes pendant les veillees d'hiver.
+
+Mais Jack Ryan n'etait pas le seul a faire montre de sa credulite. Ses
+camarades affirmaient, non moins hautement, que les fosses d'Aberfoyle
+etaient hantees, que certains etres insaisissables y apparaissaient
+frequemment, comme cela arrivait dans les Hautes-Terres. A les
+entendre, ce qui meme aurait ete extraordinaire, c'eut ete qu'il n'en
+fut pas ainsi. Est-il donc, en effet, un milieu mieux dispose qu'une
+sombre et profonde houillere pour les ebats des genies, des lutins, des
+follets et autres acteurs des drames fantastiques ? Le decor etait tout
+dresse, pourquoi les personnages surnaturels n'y seraient pas venus
+jouer leur role ?
+
+Ainsi raisonnaient Jack Ryan et ses camarades des houilleres
+d'Aberfoyle. On a dit que les differentes fosses communiquaient entre
+elles par les longues galeries souterraines, menagees entre les filons.
+Il existait ainsi sous le comte de Stirling un enorme massif, sillonne
+de tunnels, troue de caves, fore de puits, une sorte d'hypogee, de
+labyrinthe subterrane, qui offrait l'aspect d'une vaste fourmiliere.
+
+Les mineurs des divers fonds se rencontraient donc souvent, soit
+lorsqu'ils se rendaient sur les travaux d'exploitation, soit lorsqu'ils
+en revenaient. De la, une facilite constante d'echanger des propos et
+de faire circuler d'une fosse a l'autre les histoires qui tiraient leur
+origine de la houillere. Les recits se transmettaient ainsi avec une
+rapidite merveilleuse, passant de bouche en bouche et s'accroissant
+comme il convient.
+
+Cependant, deux hommes plus instruits et de temperament plus positif
+que les autres, avaient toujours resiste a cet entrainement. Ils
+n'admettaient a aucun degre l'intervention des lutins, des genies ou
+des fees.
+
+C'etaient Simon Ford et son fils. Et ils le prouverent bien en
+continuant d'habiter la sombre crypte, apres l'abandon de la fosse
+Dochart. Peut-etre la bonne Madge avait-elle quelque penchant au
+surnaturel, comme toute Ecossaise des Hautes-Terres. Mais ces histoires
+d'apparitions, elle etait reduite a se les raconter a elle-meme, -- ce
+qu'elle faisait consciencieusement, d'ailleurs, pour ne point perdre
+les vieilles traditions.
+
+Simon et Harry Ford eussent-ils ete aussi credules que leurs camarades,
+ils n'auraient abandonne la houillere ni aux genies, ni aux fees.
+L'espoir de decouvrir un nouveau filon leur eut fait braver toute la
+fantastique cohorte des lutins. Ils n'etaient credules, ils n'etaient
+croyants que sur un point : ils ne pouvaient admettre que le gisement
+carbonifere d'Aberfoyle fut totalement epuise. On peut dire, avec
+quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient a ce sujet << la
+foi du charbonnier >>, cette foi en Dieu que rien ne peut ebranler.
+
+C'est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstines,
+immuables dans leurs convictions, le pere et le fils prenaient leur
+pic, leur baton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux,
+cherchant, tatant la roche d'un coup sec, ecoutant si elle rendait un
+son favorable.
+
+Tant que les sondages n'auraient pas ete pousses jusqu'au granit du
+terrain primaire, Simon et Harry Ford etaient d'accord que la
+recherche, inutile aujourd'hui, pouvait etre utile demain, et qu'elle
+devait etre reprise. Leur vie entiere, ils la passeraient a essayer de
+rendre a la houillere d'Aberfoyle son ancienne prosperite. Si le pere
+devait succomber avant l'heure de la reussite, le fils reprendrait la
+tache a lui seul.
+
+En meme temps, ces deux gardiens passionnes de la houillere la
+visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s'assuraient de la
+solidite des remblais et des voutes. Ils recherchaient si un eboulement
+etait a craindre, et s'il devenait urgent de condamner quelque partie
+de la fosse. Ils examinaient les traces d'infiltration des eaux
+superieures, ils les derivaient, ils les canalisaient pour les envoyer
+a quelque puisard. Enfin, ils s'etaient volontairement constitues les
+protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel etaient
+sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fumees !
+
+Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu'il arriva a Harry,
+plus particulierement, d'etre frappe de certains phenomenes, dont il
+cherchait en vain l'explication.
+
+Ainsi, plusieurs fois, lorsqu'il suivait quelque etroite contre
+galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues a ceux qu'auraient
+pu produire de violents coups de pic, frappes sur la paroi remblayee.
+
+Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer,
+avait presse le pas pour surprendre la cause de ce mysterieux travail.
+
+Le tunnel etait desert. La lampe du jeune mineur, promenee sur la
+paroi, n'avait laisse voir aucune trace recente de coups de pince ou de
+pic. Harry se demandait donc s'il n'etait pas le jouet d'une illusion
+d'acoustique, de quelque bizarre ou fantasque echo.
+
+D'autres fois, en projetant subitement une vive lumiere vers une
+anfractuosite suspecte, il avait cru voir passer une ombre. Il s'etait
+elance... Rien, alors meme qu'aucune issue n'eut permis a un etre
+humain de se derober a sa poursuite !
+
+A deux reprises depuis un mois, Harry, visitant la partie ouest de la
+fosse, entendit distinctement des detonations lointaines, comme si
+quelque mineur eut fait eclater une cartouche de dynamite.
+
+La derniere fois, apres de minutieuses recherches, il avait reconnu
+qu'un pilier venait d'etre eventre par un coup de mine.
+
+A la clarte de sa lampe, Harry examina attentivement la paroi attaquee
+par la mine. Elle n'etait point faite d'un simple remblayage de
+pierres, mais d'un pan de schiste, qui avait penetre a cette profondeur
+dans l'etage du gisement houiller. Le coup de mine avait-il eu pour
+objet de provoquer la decouverte d'un nouveau filon ? N'avait-on voulu
+que produire un eboulement de cette portion de la houillere ? C'est ce
+que se demanda Harry, et, quand il fit connaitre ce fait a son pere, ni
+le vieil overman, ni lui ne purent resoudre la question d'une facon
+satisfaisante.
+
+<< C'est singulier, repetait souvent Harry. La presence dans la mine
+d'un etre inconnu semble impossible, et, cependant, elle ne peut etre
+mise en doute ! Un autre que nous voudrait-il donc chercher s'il
+n'existe pas encore quelque veine exploitable ? Ou plutot, ne
+tenterait-il pas d'aneantir ce qui reste des houilleres d'Aberfoyle ?
+Mais dans quel but ? Je le saurai, quand il devrait m'en couter la vie
+! >>
+
+Quinze jours avant cette journee, pendant laquelle Harry Ford guidait
+l'ingenieur a travers le dedale de la fosse Dochart, il s'etait vu sur
+le point d'atteindre le but de ses recherches.
+
+Il parcourait l'extremite du sud-ouest de la houillere, un puissant
+fanal a la main.
+
+Tout a coup, il lui sembla qu'une lumiere venait de s'eteindre, a
+quelques centaines de pieds devant lui, au fond d'une etroite cheminee,
+qui coupait obliquement le massif. Il se precipita vers la lueur
+suspecte...
+
+Recherche inutile. Comme Harry n'admettait pas pour les choses
+physiques d'explication surnaturelle, il en conclut que, certainement,
+un etre inconnu rodait dans la fosse. Mais, quoi qu'il fit, cherchant
+avec le plus extreme soin, scrutant les moindres anfractuosites de la
+galerie, il en fut pour sa peine, et ne put arriver a une certitude
+quelconque.
+
+Harry s'en remit donc au hasard pour lui devoiler ce mystere. De loin
+en loin, il vit encore apparaitre des lueurs qui voltigeaient d'un
+point a l'autre comme des feux de Saint-Elme; mais leur apparition
+n'avait que la duree d'un eclair et il fallut renoncer a en decouvrir
+la cause.
+
+Si Jack Ryan et les autres superstitieux de la houillere eussent apercu
+ces flammes fantastiques, ils n'auraient certainement pas manque de
+crier au surnaturel !.
+
+Mais Harry n'y songeait meme pas. Le vieux Simon non plus. Et lorsque
+tous deux causaient de ces phenomenes, dus evidemment a une cause
+purement physique :
+
+<< Mon garcon, repondait le vieil overman, attendons ! Tout cela
+s'expliquera quelque jour ! >>
+
+Toutefois, il faut observer que jamais, jusqu'alors, ni Harry, ni son
+pere n'avaient ete en butte a un acte de violence.
+
+Si la pierre, tombee ce jour meme aux pieds de James Starr, avait ete
+lancee par la main d'un malfaiteur, c'etait le premier acte criminel de
+ce genre.
+
+James Starr, interroge, fut d'avis que cette pierre s'etait detachee de
+la voute de la galerie. Mais Harry n'admit pas une explication si
+simple. La pierre, suivant lui, n'etait pas tombee, elle avait ete
+lancee. A moins de rebondir, elle n'eut jamais decrit une trajectoire,
+si elle n'eut ete mue par une impulsion etrangere.
+
+Harry voyait donc la une tentative directe contre lui et son pere, ou
+meme contre l'ingenieur. Apres ce qu'on sait, peut-etre conviendra-t-on
+qu'il etait fonde a le croire.
+
+ VII
+
+ Une experience de Simon Ford
+
+Midi sonnait a la vieille horloge de bois de la salle, lorsque James
+Starr et ses deux compagnons quitterent le cottage.
+
+La lumiere, penetrant a travers le puits d'aeration, eclairait
+vaguement la clairiere. La lampe d'Harry eut ete inutile alors, mais
+elle ne devait pas tarder a servir, car c'etait vers l'extremite meme
+de la fosse Dochart que le vieil overman allait conduire l'ingenieur.
+
+Apres avoir suivi sur un espace de deux milles la galerie principale,
+les trois explorateurs -- on verra qu'il s'agissait d'une exploration
+-- arriverent a l'orifice d'un etroit tunnel. C'etait comme une
+contre-nef dont la voute reposait sur un boisage, tapisse d'une mousse
+blanchatre. Elle suivait a peu pres la ligne que tracait, a quinze
+cents pieds au-dessus, le haut cours du Forth.
+
+Pour le cas ou James Starr eut ete moins familiarise qu'autrefois avec
+le dedale de la fosse Dochart, Simon Ford lui rappelait les
+dispositions du plan general, en les comparant au trace geographique du
+sol.
+
+James Starr et Simon Ford marchaient donc en causant.
+
+En avant, Harry eclairait la route. Il cherchait, en projetant
+brusquement de vifs eclats lumineux vers les sombres anfractuosites, a
+decouvrir quelque ombre suspecte.
+
+<< Irons-nous loin ainsi, vieux Simon ? demanda l'ingenieur.
+
+-- Encore un demi-mille, monsieur James ! Autrefois, nous aurions fait
+cette route en berline, sur les tramways a traction mecanique ! Mais
+que ces temps sont loin !
+
+-- Nous nous dirigeons donc vers l'extremite du dernier filon ? demanda
+James Starr.
+
+-- Oui. ! Je vois que vous connaissez encore bien la mine.
+
+-- Eh ! Simon, repondit l'ingenieur, il serait difficile d'aller plus
+loin, si je ne me trompe ?
+
+-- En effet, monsieur James. C'est la que nos rivelaines ont arrache le
+dernier morceau de houille du gisement ! Je me le rappelle comme si j'y
+etais encore ! C'est moi qui ai donne ce dernier coup, et il a retenti
+dans ma poitrine plus violemment que sur la roche ! Tout n'etait plus
+que gres ou schiste autour de nous, et, quand le wagonnet a roule vers
+le puits d'extraction, je l'ai suivi, le c&oelig;ur emu, comme on suit
+un convoi de pauvre ! Il me semblait que c'etait l'ame de la mine qui
+s'en allait avec lui ! >>
+
+La gravite avec laquelle le vieil overman prononca ces paroles
+impressionna l'ingenieur, bien pres de partager de tels sentiments. Ce
+sont ceux du marin qui abandonne son navire desempare, ceux du laird
+qui voit abattre la maison de ses ancetres !
+
+James Starr avait serre la main de Simon Ford. Mais, a son tour,
+celui-ci venait de prendre la main de l'ingenieur, et la pressant
+fortement :
+
+<< Ce jour-la, nous nous etions tous trompes, dit-il. Non ! La vieille
+houillere n'etait pas morte ! Ce n'etait pas un cadavre que les mineurs
+allaient abandonner, et j'oserais affirmer, monsieur James, que son
+c&oelig;ur bat encore !
+
+-- Parlez donc, Simon ! vous avez decouvert un nouveau filon ? s'ecria
+l'ingenieur, qui ne fut pas maitre de lui. Je le savais bien ! votre
+lettre ne pouvait signifier autre chose ! Une communication a me faire,
+et cela dans la fosse Dochart ! Et quelle autre decouverte que celle
+d'une couche carbonifere aurait pu m'interesser ?...
+
+-- Monsieur James, repondit Simon Ford, je n'ai pas voulu prevenir un
+autre que vous...
+
+-- Et vous avez bien fait, Simon ! Mais dites-moi comment, par quels
+sondages, vous vous etes assure ?...
+
+-- Ecoutez-moi, monsieur James, repondit Simon Ford. Ce n'est pas un
+gisement que j'ai retrouve...
+
+-- Qu'est-ce donc ?
+
+-- C'est seulement la preuve materielle que ce gisement existe.
+
+-- Et cette preuve ?
+
+-- Pouvez-vous admettre qu'il se degage du grisou des entrailles du
+sol, si la houille n'est pas la pour le produire ?
+
+-- Non, certes ! repondit l'ingenieur. Pas de charbon, pas de grisou !
+Il n'y a pas d'effets sans cause...
+
+-- Comme il n'y a pas de fumee sans feu !
+
+-- Et vous avez constate, a nouveau, la presence de l'hydrogene
+protocarbone ?...
+
+-- Un vieux mineur ne s'y laisserait pas prendre, repondit Simon Ford.
+J'ai reconnu la notre vieil ennemi, le grisou !
+
+-- Mais si c'etait un autre gaz ! dit James Starr. Le grisou est
+presque sans odeur, il est sans couleur ! Il ne trahit veritablement sa
+presence que par l'explosion !...
+
+-- Monsieur James, repondit Simon Ford, voulez-vous me permettre de
+vous raconter ce que j'ai fait... et comment je l'ai fait... a ma
+facon, en excusant les longueurs ? >>
+
+James Starr connaissait le vieil overman, et savait que le mieux etait
+de le laisser aller.
+
+-- Monsieur James, reprit Simon Ford, depuis dix ans, il ne s'est pas
+passe un jour sans qu'Harry et moi, nous ayons songe a rendre a la
+houillere son ancienne prosperite, -- non, pas un jour ! S'il existait
+encore quelque gisement, nous etions decides a le decouvrir. Quels
+moyens employer ? Les sondages ? Cela ne nous etait pas possible, mais
+nous avions l'instinct du mineur, et souvent on va plus droit au but
+par l'instinct que par la raison. -- Du moins, c'est mon idee...
+
+-- Que je ne contredis pas, repondit l'ingenieur.
+
+-- Or, voici ce qu'Harry avait une ou deux fois observe pendant ses
+excursions dans l'ouest de la houillere. Des feux, qui s'eteignaient
+soudain, apparaissaient quelquefois a travers le schiste ou le remblai
+des galeries extremes. Par quelle cause ces feux s'allumaient-ils ? Je
+ne pouvais et je ne puis le dire encore. Mais enfin, ces feux n'etaient
+evidemment dus qu'a la presence du grisou, et, pour moi, le grisou,
+c'etait le filon de houille.
+
+-- Ces feux ne produisaient aucune explosion ? demanda vivement
+l'ingenieur.
+
+-- Si, de petites explosions partielles, repondit Simon Ford, et telles
+que j'en provoquai moi-meme, lorsque je voulus constater la presence de
+ce grisou, vous vous souvenez de quelle maniere on cherchait autrefois
+a prevenir les explosions dans les mines, avant que notre bon genie,
+Humphry Davy, eut invente sa lampe de surete ?
+
+-- Oui, repondit James Starr. vous voulez parler du << penitent >> ? Mais
+je ne l'ai jamais vu dans l'exercice de ses fonctions.
+
+-- En effet, monsieur James, vous etes trop jeune, malgre vos
+cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus
+que vous, j'ai vu fonctionner le dernier penitent de la houillere. On
+l'appelait ainsi parce qu'il portait une grande robe de moine. Son nom
+vrai etait le << fireman >>, l'homme du feu. A cette epoque, on n'avait
+d'autre moyen de detruire le mauvais gaz qu'en le decomposant par de
+petites explosions, avant que sa legerete l'eut amasse en trop grandes
+quantites dans les hauteurs des galeries. C'est pourquoi le penitent,
+la face masquee, la tete encapuchonnee dans son epaisse cagoule, tout
+le corps etroitement serre dans sa robe de bure, allait en rampant sur
+le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l'air etait pur, et,
+de sa main droite, il promenait, en l'elevant au-dessus de sa tete, une
+torche enflammee. Lorsque le grisou se trouvait repandu dans l'air de
+maniere a former un melange detonant, l'explosion se produisait sans
+etre funeste, et, en renouvelant souvent cette operation, on parvenait
+a prevenir les catastrophes. Quelquefois, le penitent, frappe d'un coup
+de grisou, mourait a la peine. Un autre le remplacait. Ce fut ainsi
+jusqu'au moment ou la lampe de Davy fut adoptee dans toutes les
+houilleres. Mais je connaissais le procede, et c'est en l'employant que
+j'ai reconnu la presence du grisou, et, par consequent, celle d'un
+nouveau gisement carbonifere dans la fosse Dochart. >>
+
+Tout ce que le vieil overman avait raconte du penitent etait
+rigoureusement exact. C'est ainsi que l'on procedait autrefois dans les
+houilleres pour purifier l'air des galeries.
+
+Le grisou, autrement dit l'hydrogene protocarbone ou gaz des marais,
+incolore, presque inodore, ayant un pouvoir peu eclairant, est
+absolument impropre a la respiration. Le mineur ne saurait vivre dans
+un milieu rempli de ce gaz malfaisant, -- pas plus qu'on ne pourrait
+vivre au milieu d'un gazometre plein de gaz d'eclairage. En outre, de
+meme que celui-ci, qui est de l'hydrogene bicarbone, le grisou forme un
+melange detonant, des que l'air y entre dans une proportion de huit et
+peut-etre meme de cinq pour cent. L'inflammation de ce melange se
+fait-elle par une cause quelconque, il y a explosion, presque toujours
+suivie d'epouvantables catastrophes.
+
+C'est a ce danger que pare l'appareil de Davy, en isolant la flamme des
+lampes dans un tube de toile metallique, qui brule le gaz a l'interieur
+du tube, sans jamais laisser l'inflammation se propager au-dehors.
+Cette lampe de surete a ete perfectionnee de vingt facons. Si elle
+vient a se briser, elle s'eteint. Si, malgre les defenses formelles, le
+mineur veut l'ouvrir, elle s'eteint encore. Pourquoi donc les
+explosions se produisent-elles ? C'est que rien ne peut obvier a
+l'imprudence d'un ouvrier qui veut quand meme allumer sa pipe, ni au
+choc de l'outil qui peut produire une etincelle.
+
+Toutes les houilleres ne sont pas infectees par le grisou. Dans celles
+ou il ne s'en produit pas, on autorise l'emploi de la lampe ordinaire.
+Telle est, entre autres, la fosse Thiers, aux mines d'Anzin. Mais,
+lorsque la houille du gisement exploite est grasse, elle renferme une
+certaine quantite de matieres volatiles, et le grisou peut s'echapper
+avec une grande abondance. La lampe de surete seule est combinee de
+maniere a empecher des explosions d'autant plus terribles, que les
+mineurs qui n'ont pas ete directement atteints par le coup de grisou,
+courent risque d'etre instantanement asphyxies dans les galeries
+remplies du gaz deletere, forme apres l'inflammation, c'est-a-dire
+d'acide carbonique.
+
+Tout en marchant, Simon Ford apprit a l'ingenieur ce qu'il avait fait
+pour atteindre son but, comment il s'etait assure que le degagement du
+grisou se faisait au fond meme de l'extreme galerie de la fosse, dans
+sa portion occidentale, de quelle facon il avait provoque a
+l'affleurement des feuillets de schistes quelques explosions
+partielles, ou plutot certaines inflammations, qui ne laissaient aucun
+doute sur la nature du gaz, dont la fuite s'operait a petite dose, mais
+d'une maniere permanente.
+
+Une heure apres avoir quitte le cottage, James Starr et ses deux
+compagnons avaient franchi une distance de quatre milles. L'ingenieur,
+entraine par le desir et l'espoir, venait de faire ce trajet sans
+aucunement songer a sa longueur. Il reflechissait a tout ce que lui
+disait le vieux mineur. Il pesait, mentalement, les arguments que
+celui-ci donnait en faveur de sa these. Il croyait, avec lui, que cette
+emission continue d'hydrogene protocarbone indiquait, avec certitude,
+l'existence d'un nouveau gisement carbonifere. Si ce n'eut ete qu'une
+sorte de poche, pleine de gaz, comme il s'en rencontre quelquefois
+entre les feuillets, elle se fut promptement videe, et le phenomene eut
+cesse de se produire. Mais loin de la. Au dire de Simon Ford,
+l'hydrogene se degageait sans cesse, et l'on en pouvait conclure a
+l'existence de quelque important filon. Consequemment, les richesses de
+la fosse Dochart pouvaient n'etre pas entierement epuisees. Toutefois,
+s'agissait-il d'une couche dont le rendement serait peu considerable,
+ou d'un gisement occupant un large etage du terrain houiller ? c'etait
+la, veritablement, la grosse question.
+
+Harry, qui precedait son pere et l'ingenieur, s'etait arrete.
+
+<< Nous voici arrives ! s'ecria le vieux mineur. Enfin, grace a Dieu,
+monsieur James, vous etes la, et nous allons savoir... >>
+
+La voix si ferme du vieil overman tremblait legerement.
+
+<< Mon brave Simon, lui dit l'ingenieur, calmez-vous ! Je suis aussi emu
+que vous l'etes, mais il ne faut pas perdre de temps ! >>
+
+A cet endroit, l'extreme galerie de la fosse formait en s'evasant une
+sorte de caverne obscure. Aucun puits n'avait ete fonce dans cette
+portion du massif, et la galerie, profondement ouverte dans les
+entrailles du sol, etait sans communication directe avec la surface du
+comte de Stirling.
+
+James Starr, vivement interesse, examinait d'un &oelig;il grave
+l'endroit ou il se trouvait.
+
+On voyait encore sur la paroi terminale de cette caverne la marque des
+derniers coups de pic, et meme quelques trous de cartouches, qui
+avaient provoque l'eclatement de la roche, vers la fin de
+l'exploitation. Cette matiere schisteuse etait extremement dure, et il
+n'avait pas ete necessaire de remblayer les assises de ce cul-de-sac,
+au fond duquel les travaux avaient du s'arreter. La, en effet, venait
+mourir le filon carbonifere, entre les schistes et les gres du terrain
+tertiaire. La, a cette place meme, avait ete extrait le dernier morceau
+de combustible de la fosse Dochart.
+
+<< C'est ici, monsieur James, dit Simon Ford en soulevant son pic, c'est
+ici que nous attaquerons la faille, car, derriere cette paroi, a une
+profondeur plus ou moins considerable, se trouve assurement le nouveau
+filon dont j'affirme l'existence.
+
+-- Et c'est a la surface de ces roches, demanda James Starr, que vous
+avez constate la presence du grisou ?
+
+-- La meme, monsieur James, repondit Simon Ford, et j'ai pu l'allumer
+rien qu'en approchant ma lampe, a l'affleurement des feuillets. Harry
+l'a fait comme moi.
+
+-- A quelle hauteur ? demanda James Starr.
+
+-- A dix pieds au-dessus du sol >>, repondit Harry.
+
+James Starr s'etait assis sur une roche. On eut dit que, apres avoir
+hume l'air de la caverne, il regardait les deux mineurs, comme s'il se
+fut pris a douter de leurs paroles, si affirmatives cependant.
+
+C'est que, en effet, l'hydrogene protocarbone n'est pas completement
+inodore, et l'ingenieur etait tout d'abord etonne que son odorat, qu'il
+avait tres fin, ne lui eut pas revele la presence du gaz explosif. En
+tout cas, si ce gaz etait mele a l'air ambiant, ce n'etait qu'a bien
+faible dose. Donc, pas d'explosion a craindre, et l'on pouvait sans
+danger ouvrir la lampe de surete pour tenter l'experience, ainsi que le
+vieux mineur l'avait deja fait.
+
+Ce qui inquietait James Starr en ce moment, ce n'etait donc pas qu'il y
+eut trop de gaz melange a l'air, c'etait qu'il n'y en eut pas assez, --
+et meme pas du tout.
+
+<< Se seraient-ils trompes ? murmura-t-il. Non ! Ce sont des hommes qui
+s'y connaissent ! Et pourtant !... >> Il attendait donc, non sans une
+certaine anxiete, que le phenomene signale par Simon Ford s'accomplit
+en sa presence. Mais, a ce moment, il parait que ce qu'il venait
+d'observer, c'est-a-dire cette absence de l'odeur caracteristique du
+grisou, avait ete aussi remarquee par Harry, car celui-ci, d'une voix
+alteree, dit :
+
+<< Pere, il semble que la fuite du gaz ne se fait plus a travers les
+feuillets de schiste !
+
+-- Ne se fait plus ! :.. >> s'ecria le vieux mineur.
+
+Et Simon Ford, apres avoir hermetiquement serre ses levres, aspira
+fortement du nez, a plusieurs reprises.
+
+Puis, tout d'un coup, et d'un mouvement brusque :
+
+<< Donne ta lampe, Harry ! >> dit-il.
+
+Simon Ford prit la lampe d'une main qui s'agitait febrilement. Il
+devissa l'enveloppe de toile metallique qui entourait la meche, et la
+flamme brula a l'air libre.
+
+Ainsi qu'on s'y attendait, il ne se produisit aucune explosion; mais,
+ce qui etait plus grave, il ne se fit pas meme ce leger gresillement,
+qui indique la presence du grisou a faible dose.
+
+Simon Ford prit le baton que tenait Harry, et, fixant la lampe a son
+extremite, il l'eleva dans les couches d'air superieures, la ou le gaz,
+en raison de sa legerete specifique, aurait du plutot s'accumuler, en
+si minime quantite que ce fut.
+
+La flamme de la lampe, droite et blanche, ne decela aucune trace
+d'hydrogene protocarbone.
+
+<< A la paroi ! dit l'ingenieur.
+
+-- Oui ! >> repondit Simon Ford, en portant la lampe sur cette partie de
+la paroi a travers laquelle son fils et lui avaient, la veille encore,
+constate la fuite du gaz.
+
+Le bras du vieux mineur tremblait, tandis qu'il essayait de promener la
+lampe a la hauteur des fissures du feuillet de schiste.
+
+<< Remplace-moi, Harry >>, dit-il.
+
+Harry prit le baton et presenta successivement la lampe aux divers
+points de la paroi ou les feuillets semblaient se dedoubler... mais il
+secouait la tete, car ce leger craquement, particulier au grisou qui
+s'echappe, n'arrivait pas a son oreille.
+
+L'inflammation ne se fit pas. Il etait donc evident qu'aucune molecule
+de gaz ne fusait a travers la paroi.
+
+<< Rien ! >> s'ecria Simon Ford, dont le poing se tendit sous une
+impression de colere plutot que de desappointement.
+
+Un cri s'echappa alors de la bouche d'Harry.
+
+<< Qu'as-tu ? demanda vivement James Starr.
+
+-- On a bouche les fissures du schiste !
+
+-- Dis-tu vrai ? s'ecria le vieux mineur.
+
+-- Regardez, pere ! >>
+
+Harry ne s'etait pas trompe. L'obturation des fissures etait nettement
+visible a la lumiere de la lampe. Un lutage, recemment pratique et fait
+a la chaux, laissait voir sur la paroi une longue trace blanchatre, mal
+dissimulee sous une couche de poussiere de charbon.
+
+<< Lui ! s'ecria Hardy. Ce ne peut etre que lui !
+
+-- Lui ! repeta James Starr.
+
+-- Oui ! repondit le jeune homme, cet etre mysterieux qui hante notre
+domaine, celui que j'ai cent fois guette sans pouvoir l'atteindre,
+l'auteur, des a present certain, de cette lettre qui voulait vous
+empecher de venir au rendez-vous que vous donnait mon pere, monsieur
+Starr, celui, enfin, qui nous a lance cette pierre dans la galerie du
+puits Yarow ! Ah ! aucun doute n'est plus possible ! La main d'un homme
+est dans tout cela ! >>
+
+Harry avait parle avec une telle energie, que sa conviction passa
+instantanement et tout entiere dans l'esprit de l'ingenieur. Quant au
+vieil overman, il n'etait plus a convaincre. D'ailleurs, on se trouvait
+en presence d'un fait indeniable : l'obturation des fissures a travers
+lesquelles le gaz s'echappait librement la veille.
+
+<< Prends ton pic, Harry, s'ecria Simon Ford. Monte sur mes epaules, mon
+garcon ! Je suis assez solide encore pour te porter ! >>
+
+Harry avait compris. Son pere s'accota a la paroi. Harry s'eleva sur
+ses epaules, de maniere que son pic put atteindre la trace suffisamment
+visible du lutage. Puis, a coups redoubles, il entama la partie de
+roche schisteuse que ce lutage recouvrait.
+
+Aussitot un leger petillement se produisit, semblable a celui que fait
+le vin de Champagne lorsqu'il s'echappe d'une bouteille,-- bruit qui,
+dans les houilleres anglaises, est connu sous le nom onomatopique de <<
+puff >>.
+
+Harry saisit alors sa lampe, et il l'approcha de la fissure...
+
+Une legere detonation se fit entendre, et une petite flamme rouge, un
+peu bleuatre a son contour, voltigea sur la paroi, comme eut fait un
+follet de feu Saint-Elme.
+
+Harry sauta aussitot a terre, et le vieil overman, ne pouvant contenir
+sa joie, saisit les mains de l'ingenieur, en s'ecriant :
+
+<< Hurrah ! hurrah ! hurrah ! monsieur James ! Le grisou brule ! Donc,
+le filon est la ! >>
+
+ VIII
+
+ Un coup de dynamite
+
+L'experience annoncee par le vieil overman avait reussi. L'hydrogene
+protocarbone, on le sait, ne se developpe que dans les gisements
+houillers. Donc, l'existence d'un filon du precieux combustible ne
+pouvait etre mise en doute. Quelles etaient son importance et sa
+qualite ? on les determinerait plus tard.
+
+Telles furent les consequences que l'ingenieur deduisit du phenomene
+qu'il venait d'observer. Elles etaient en tout conformes a celles qu'en
+avait deja tirees Simon Ford.
+
+<< Oui, se dit James Starr, derriere cette paroi s'etend une couche
+carbonifere que nos sondages n'ont pas su atteindre ! Cela est facheux,
+puisque tout l'outillage de la mine abandonnee depuis dix ans, est
+maintenant a refaire ! N'importe ! Nous avons retrouve la veine que
+l'on croyait epuisee, et, cette fois, nous l'exploiterons jusqu'au bout
+!
+
+-- Eh bien, monsieur James, demanda Simon Ford, que pensez-vous de
+notre decouverte ? Ai-je eu tort de vous deranger ? Regrettez-vous
+cette derniere visite faite a la fosse Dochart ?
+
+-- Non, non, mon vieux compagnon ! repondit James Starr. Nous n'avons
+pas perdu notre temps, mais nous le perdrions maintenant, si nous ne
+retournions immediatement au cottage. Demain, nous reviendrons ici.
+Nous ferons eclater cette paroi a coups de dynamite. Nous mettrons au
+jour l'affleurement du nouveau filon, et, apres une serie de sondages,
+si la couche parait etre importante, je reconstituerai une Societe de
+la Nouvelle Aberfoyle, a l'extreme satisfaction des anciens
+actionnaires ! Avant trois mois, il faut que les premieres bennes de
+houille aient ete extraites du nouveau gisement !
+
+-- Bien parle, monsieur James ! s'ecria Simon Ford. La vieille
+houillere va donc rajeunir, comme une veuve qui se remarie !
+L'animation des anciens jours recommencera avec les coups de pioche,
+les coups de pic, les coups de mine, le roulement des wagons, le
+hennissement des chevaux, le grincement des bennes, le grondement des
+machines ! Je reverrai donc tout cela, moi ! J'espere, monsieur James,
+que vous ne me trouverez pas trop vieux pour reprendre mes fonctions
+d'overman ?
+
+-- Non, brave Simon, non, certes ! vous etes reste plus jeune que moi,
+mon vieux camarade !
+
+-- Et, que saint Mungo nous protege ! vous serez encore notre << viewer
+>> ! Puisse la nouvelle exploitation durer de longues annees, et fasse
+le Ciel que j'aie la consolation de mourir sans en avoir vu la fin ! >>
+
+La joie du vieux mineur debordait. James Starr la partageait tout
+entiere, mais il laissait Simon Ford s'enthousiasmer pour deux.
+
+Seul, Harry demeurait pensif. Dans son souvenir reparaissait la
+succession des circonstances singulieres, inexplicables, au milieu
+desquelles s'etait operee la decouverte du nouveau gisement. Cela ne
+laissait pas de l'inquieter pour l'avenir.
+
+Une heure apres, James Starr et ses deux compagnons etaient de retour
+au cottage.
+
+L'ingenieur soupa avec grand appetit, approuvant du geste tous les
+plans que developpait le vieil overman, et, n'eut ete son imperieux
+desir d'etre au lendemain, jamais il n'aurait mieux dormi que dans ce
+calme absolu du cottage.
+
+Le lendemain, apres un dejeuner substantiel, James Starr, Simon Ford,
+Harry et Madge elle-meme reprenaient le chemin deja parcouru la veille.
+Tous allaient la en veritables mineurs. Ils emportaient divers outils
+et des cartouches de dynamite, destinees a faire sauter la paroi
+terminale. Harry, en meme temps qu'un puissant fanal, prit une grosse
+lampe de surete qui pouvait bruler pendant douze heures. C'etait plus
+qu'il ne fallait pour operer le voyage d'aller et de retour, en y
+comprenant les haltes necessaires a l'exploration, -- si une
+exploration devenait possible.
+
+<< A l'&oelig;uvre ! >> s'ecria Simon, lorsque ses compagnons et lui
+furent arrives a l'extremite de la galerie.
+
+Et sa main saisit une lourde pince qu'elle brandit avec vigueur.
+
+<< Un instant, dit alors James Starr. Observons si aucun changement ne
+s'est produit et si le grisou fuse toujours a travers les feuillets de
+la paroi.
+
+-- Vous avez raison, monsieur Starr, repondit Harry. Ce qui etait
+bouche hier pourrait bien l'etre encore aujourd'hui ! >>
+
+Madge, assise sur une roche, observait attentivement l'excavation et la
+muraille qu'il s'agissait d'eventrer.
+
+Il fut constate que les choses etaient telles qu'on les avait laissees.
+Les fissures des feuillets n'avaient subi aucune alteration.
+L'hydrogene protocarbone fusait au travers, mais assez faiblement. Cela
+tenait sans doute a ce que, depuis la veille, il trouvait un libre
+passage pour s'epancher. Toutefois, cette emission etait si peu
+importante, qu'elle ne pouvait former avec l'air interieur un melange
+detonant. James Starr et ses compagnons allaient donc pouvoir proceder
+en toute securite. D'ailleurs, cet air se purifierait peu a peu, en
+gagnant les hautes couches de la fosse Dochart, et le grisou, perdu
+dans toute cette atmosphere, ne pourrait plus produire aucune explosion.
+
+<< A l'&oelig;uvre, donc ! >> reprit Simon Ford.
+
+Et bientot, sous sa pince, vigoureusement maniee, la roche ne tarda pas
+a voler en eclats.
+
+Cette faille se composait principalement de poudingues, interposes
+entre le gres et le schiste, tels qu'il s'en rencontre le plus souvent
+a l'affleurement des filons carboniferes.
+
+James Starr ramassait les morceaux que l'outil abattait, et il les
+examinait avec soin, esperant y decouvrir quelque indice de charbon.
+
+Ce premier travail dura environ une heure. Il en resulta un evidement
+assez profond dans la paroi terminale.
+
+James Starr choisit alors l'emplacement ou devaient etre fores les
+trous de mine, travail qui s'accomplit rapidement sous la main d'Harry
+avec le fleuret et la massette. Des cartouches de dynamite furent
+introduites dans ces trous. Des qu'on y eut place la longue meche
+goudronnee d'une fusee de surete, qui aboutissait a une capsule de
+fulminate, elle fut allumee au ras du sol. James Starr et ses
+compagnons se mirent a l'ecart.
+
+<< Ah ! monsieur James, dit Simon Ford, en proie a une veritable emotion
+qu'il ne cherchait pas a dissimuler, jamais, non, jamais mon vieux
+c&oelig;ur n'a battu si vite ! Je voudrais deja attaquer le filon !
+
+-- Patience, Simon, repondit l'ingenieur, vous n'avez pas la pretention
+de trouver derriere cette paroi une galerie tout ouverte ?
+
+-- Excusez-moi, monsieur James, repondit le vieil overman. J'ai toutes
+les pretentions possibles ! S'il y a eu bonne chance dans la maniere
+dont Harry et moi nous avons decouvert ce gite, pourquoi cette chance
+ne continuerait-elle pas jusqu'au bout ? >>
+
+L'explosion de la dynamite se produisit. Un roulement sourd se propagea
+a travers le reseau des galeries souterraines.
+
+James Starr, Madge, Harry et Simon Ford revinrent aussitot vers la
+paroi de la caverne.
+
+<< Monsieur James ! monsieur James ! s'ecria le vieil overman. voyez !
+La porte est enfoncee !... >>
+
+Cette comparaison de Simon Ford etait justifiee par l'apparition d'une
+excavation, dont on ne pouvait estimer la profondeur.
+
+Harry allait s'elancer par l'ouverture...
+
+L'ingenieur, extremement surpris, d'ailleurs, de trouver la cette
+cavite, retint le jeune mineur.
+
+<< Laisse le temps a l'air interieur de se purifier, dit-il.
+
+-- Oui ! gare aux mofettes ! >> s'ecria Simon Ford.
+
+Un quart d'heure se passa dans une anxieuse attente. Le fanal, place au
+bout d'un baton, fut alors introduit dans l'excavation et continua de
+bruler avec un inalterable eclat.
+
+<< Va donc, Harry, dit James Starr, nous te suivrons. >> L'ouverture
+produite par la dynamite etait plus que suffisante pour qu'un homme put
+y passer.
+
+Harry, le fanal a la main, s'y introduisit sans hesiter et disparut
+dans les tenebres.
+
+James Starr, Simon Ford et Madge, immobiles, attendaient.
+
+Une minute -- qui leur parut bien longue -- s'ecoula. Harry ne
+reparaissait pas, il n'appelait pas. En s'approchant de l'orifice,
+James Starr n'apercut meme plus la lueur de sa lampe, qui aurait du
+eclairer cette sombre cavite.
+
+Le sol avait-il donc manque subitement sous les pieds d'Harry ? Le
+jeune mineur etait-il tombe dans quelque anfractuosite ? Sa voix ne
+pouvait-elle plus arriver jusqu'a ses compagnons ?
+
+Le vieil overman, ne voulant rien ecouter, allait s'introduire a son
+tour par l'orifice, lorsque parut une lueur, vague d'abord, qui se
+renforca peu a peu, et Harry fit entendre ces paroles :
+
+<< Venez, monsieur Starr ! venez, mon pere ! La route est libre dans la
+Nouvelle-Aberfoyle. >>
+
+ IX
+
+ La Nouvelle-Aberfoyle
+
+Si, par quelque puissance surhumaine, des ingenieurs eussent pu enlever
+d'un bloc et sur une epaisseur de mille pieds toute cette portion de la
+croute terrestre qui supporte cet ensemble de lacs, de fleuves, de
+golfes et les territoires riverains des comtes de Stirling, de
+Dumbarton et de Renfrew, ils auraient trouve, sous cet enorme
+couvercle, une excavation immense, et telle qu'il n'en existait qu'une
+autre au monde qui put lui etre comparee, -- la celebre grotte de
+Mammouth, dans le Kentucky.
+
+Cette excavation se composait de plusieurs centaines d'alveoles, de
+toutes formes et de toutes grandeurs. On eut dit une ruche, avec ses
+nombreux etages de cellules, capricieusement disposees, mais une ruche
+construite sur une vaste echelle, et qui, au lieu d'abeilles, eut suffi
+a loger tous les ichthyosaures, les megatheriums, et les pterodactyles
+de l'epoque geologique !
+
+Un labyrinthe de galeries, les unes plus elevees que les plus hautes
+voutes des cathedrales, les autres semblables a des contrenefs,
+retrecies et tortueuses, celles-ci suivant la ligne horizontale,
+celles-la remontant ou descendant obliquement en toutes directions, --
+reunissaient ces cavites et laissaient libre communication entre elles.
+
+Les piliers qui soutenaient ces voutes, dont la courbe admettait tous
+les styles, les epaisses murailles, solidement assises entre les
+galeries, les nefs elles-memes, dans cet etage des terrains
+secondaires, etaient faits de gres et de roches schisteuses. Mais,
+entre ces couches inutilisables, et puissamment pressees par elles,
+couraient d'admirables veines de charbon, comme si le sang noir de
+cette etrange houillere eut circule a travers leur inextricable reseau.
+Ces gisements se developpaient sur une etendue de quarante milles du
+nord au sud, et ils s'enfoncaient meme sous le canal du Nord.
+L'importance de ce bassin n'aurait pu etre evaluee qu'apres sondages,
+mais elle devait depasser celle des couches carboniferes de Cardiff,
+dans le pays de Galles, et des gisements de Newcastle, dans le comte de
+Northumberland.
+
+Il faut ajouter que l'exploitation de cette houillere allait etre
+singulierement facilitee, puisque, par une disposition bizarre des
+terrains secondaires, par un inexplicable retrait des matieres
+minerales a l'epoque geologique ou ce massif se solidifiait, la nature
+avait deja multiplie les galeries et les tunnels de la
+Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Oui, la nature seule ! On aurait pu croire, tout d'abord, a la
+decouverte de quelque exploitation abandonnee depuis des siecles. Il
+n'en etait rien. On ne delaisse pas de telles richesses. Les termites
+humains n'avaient jamais ronge cette portion du sous-sol de l'Ecosse,
+et c'etait la nature qui avait ainsi fait les choses. Mais, on le
+repete, nul hypogee de l'epoque egyptienne, nulle catacombe de l'epoque
+romaine, n'auraient pu lui etre compares, -- si ce n'est les celebres
+grottes de Mammouth, qui, sur une longueur de plus de vingt milles,
+comptent deux cent vingt-six avenues, onze lacs, sept rivieres, huit
+cataractes, trente-deux puits insondables et cinquante-sept domes, dont
+quelques-uns sont suspendus a plus de quatre cent cinquante pieds de
+hauteur.
+
+Ainsi que ces grottes, la Nouvelle-Aberfoyle etait, non l'&oelig;uvre
+des hommes, mais l'&oelig;uvre du Createur.
+
+Tel etait ce nouveau domaine, d'une incomparable richesse, dont la
+decouverte appartenait en propre au vieil overman. Dix ans de sejour
+dans l'ancienne houillere, une rare persistance de recherches, une foi
+absolue, soutenue par un merveilleux instinct de mineur, il lui avait
+fallu toutes ces conditions reunies pour reussir, la ou tant d'autres
+auraient echoue. Pourquoi les sondages, pratiques sous la direction de
+James Starr, pendant les dernieres annees d'exploitation, s'etaient-ils
+precisement arretes a cette limite, sur la frontiere meme de la
+nouvelle mine ? cela etait du au hasard, dont la part est grande dans
+les recherches de ce genre.
+
+Quoi qu'il en soit, il y avait la, dans le sous-sol ecossais, une sorte
+de comte souterrain, auquel il ne manquait, pour etre habitable, que
+les rayons du soleil, ou, a son defaut, la clarte d'un astre special.
+
+L'eau y etait localisee dans certaines depressions, formant de vastes
+etangs, ou meme des lacs plus grands que le lac Katrine, situe
+precisement au-dessus. Sans doute, ces lacs n'avaient pas le mouvement
+des eaux, les courants, le ressac. Ils ne refletaient pas la silhouette
+de quelque vieux chateau gothique. Ni les bouleaux ni les chenes ne se
+penchaient sur leurs rives, les montagnes n'allongeaient pas de grandes
+ombres a leur surface, les steamboats ne les sillonnaient pas, aucune
+lumiere ne se reverberait dans leurs eaux, le soleil ne les impregnait
+pas de ses rayons eclatants, la lune ne se levait jamais sur leur
+horizon. Et pourtant, ces lacs profonds, dont la brise ne ridait pas le
+miroir, n'auraient pas ete sans charme, a la lumiere de quelque astre
+electrique, et, reunis par un lacet de canaux, ils completaient bien la
+geographie de cet etrange domaine.
+
+Quoiqu'il fut impropre a toute production vegetale, ce sous-sol eut,
+cependant, pu servir de demeure a toute une population. Et qui sait si,
+dans ces milieux a temperature constante, au fond de ces houilleres
+d'Aberfoyle, aussi bien que dans celles de Newcastle, d'Alloa ou de
+Cardiff, lorsque leurs gisements seront epuises, -- qui sait si la
+classe pauvre du Royaume-Uni ne trouvera pas refuge quelque jour ?
+
+ X
+
+ Aller et retour
+
+A la voix d'Harry, James Starr, Madge et Simon Ford s'etaient
+introduits par l'etroit orifice qui mettait en communication la fosse
+Dochart avec la nouvelle houillere.
+
+Ils se trouvaient alors a la naissance d'une galerie assez large. On
+aurait pu croire qu'elle avait ete percee de main d'homme, que le pic
+et la pioche l'avaient evidee pour l'exploitation d'un nouveau
+gisement. Les explorateurs devaient se demander si, par un singulier
+hasard, ils n'avaient pas ete transportes dans quelque ancienne
+houillere, dont les plus vieux mineurs du comte n'auraient jamais connu
+l'existence.
+
+Non ! C'etaient les couches geologiques qui avaient << epargne >> cette
+galerie, a l'epoque ou se faisait le tassement des terrains
+secondaires. Peut-etre quelque torrent l'avait-il parcourue autrefois,
+lorsque les eaux superieures allaient se melanger aux vegetaux enlises;
+mais, maintenant, elle etait aussi seche que si elle eut ete foree,
+quelque mille pieds plus bas, dans l'etage des roches granitoides. En
+meme temps, l'air y circulait avec aisance, -- ce qui indiquait que
+certains << eventoirs >> naturels la mettaient en communication avec
+l'atmosphere exterieure.
+
+Cette observation, qui fut faite par l'ingenieur, etait juste, et l'on
+sentait que l'aeration s'operait facilement dans la nouvelle mine.
+Quant a ce grisou qui fusait naguere a travers les schistes de la
+paroi, il semblait qu'il n'eut ete contenu que dans une simple << poche
+>>, vide maintenant, et il etait certain que l'atmosphere de la galerie
+n'en conservait pas la moindre trace. Cependant, et par precaution,
+Harry n'avait emporte que la lampe de surete, qui lui assurait un
+eclairage de douze heures.
+
+James Starr et ses compagnons eprouvaient alors une joie complete.
+C'etait l'entiere satisfaction de leurs desirs. Autour d'eux, tout
+n'etait que houille. Une certaine emotion les rendait silencieux. Simon
+Ford, lui-meme, se contenait. Sa joie debordait, non en longues
+phrases, mais par petites interjections.
+
+C'etait peut-etre imprudent, a eux, de s'engager si profondement dans
+la crypte. Bah ! ils ne songeaient guere au retour. La galerie etait
+praticable, peu sinueuse. Nulle crevasse n'en barrait le passage, nulle
+<< pousse >> n'y propageait d'exhalaisons malfaisantes. Il n'y avait donc
+aucune raison pour s'arreter, et, pendant une heure, James Starr,
+Madge, Harry et Simon Ford allerent ainsi, sans que rien put leur
+indiquer quelle etait l'exacte orientation de ce tunnel inconnu.
+
+Et, sans doute, ils auraient ete plus loin encore, s'ils ne fussent
+arrives a l'extremite meme de cette large voie qu'ils suivaient depuis
+leur entree dans la houillere.
+
+La galerie aboutissait a une enorme caverne, dont on ne pouvait estimer
+ni la hauteur, ni la profondeur. A quelle altitude s'arrondissait la
+voute de cette excavation, a quelle distance se reculait sa paroi
+opposee ? les tenebres qui l'emplissaient ne permettaient pas de le
+reconnaitre. Mais, a la lueur de la lampe, les explorateurs purent
+constater que son dome recouvrait une vaste etendue d'eau dormante --
+etang ou lac --, dont les rives pittoresques, accidentees de hautes
+roches, se perdaient dans l'obscurite.
+
+<< Halte ! s'ecria Simon Ford, en s'arretant brusquement. Un pas de
+plus, et nous roulions peut-etre dans quelque abime !
+
+-- Reposons-nous donc, mes amis, repondit l'ingenieur. Aussi bien, il
+faudra songer a retourner au cottage.
+
+-- Notre lampe peut nous eclairer pendant dix heures encore, monsieur
+Starr, dit Harry.
+
+-- Eh bien, faisons halte, reprit James Starr. J'avoue que mes jambes
+en ont besoin ! -- Et vous, Madge, est-ce que vous ne vous ressentez
+pas des fatigues d'une aussi longue course ?
+
+-- Mais pas trop, monsieur James, repondit la robuste Ecossaise. Nous
+avions l'habitude d'explorer pendant des journees entieres l'ancienne
+houillere d'Aberfoyle.
+
+-- Bah ! ajouta Simon Ford, Madge ferait dix fois cette route, s'il le
+fallait ! Mais j'insiste, monsieur James, ma communication valait-elle
+la peine de vous etre faite ? Osez dire non, monsieur James, osez dire
+non !
+
+-- Eh ! mon vieux compagnon, il y a longtemps que je n'ai ressenti une
+telle joie ! repondit l'ingenieur. Le peu que nous avons explore de
+cette merveilleuse houillere semble indiquer que son etendue est tres
+considerable, au moins en longueur.
+
+-- En largeur et en profondeur aussi, monsieur James ! repliqua Simon
+Ford.
+
+-- C'est ce que nous saurons plus tard.
+
+-- Et moi, j'en reponds ! Rapportez-vous-en a mon instinct de vieux
+mineur. Il ne m'a jamais trompe !
+
+-- Je veux vous croire, Simon, repondit l'ingenieur en souriant. Mais
+enfin, tel que j'en puis juger par cette courte exploration, nous
+possedons les elements d'une exploitation qui durera des siecles !
+
+-- Des siecles ! s'ecria Simon Ford. Je le crois bien, monsieur James !
+Il se passera mille ans et plus, avant que le dernier morceau de
+charbon ait ete extrait de notre nouvelle mine !
+
+-- Dieu vous entende ! repondit James Starr. Quant a la qualite de la
+houille qui vient affleurer ces parois...
+
+-- Superbe ! monsieur James, superbe ! repondit Simon Ford. Voyez cela
+vous-meme ! >> Et, ce disant, il detacha d'un coup de pic un fragment de
+roche noire.
+
+<< Voyez ! voyez ! repeta-t-il en l'approchant de sa lampe. Les surfaces
+de ce morceau de charbon sont luisantes ! Nous aurons la de la houille
+grasse, riche en matieres bitumeuses ! Et comme elle se detaillera en
+gailleteries, presque sans poussiere ! Ah ! monsieur James, il y a
+vingt ans, voici un gisement qui aurait fait une rude concurrence au
+Swansea et au Cardiff ! Eh bien, les chauffeurs se le disputeront
+encore, et, s'il coute peu a extraire de la mine, il ne s'en vendra pas
+moins cher au-dehors !
+
+-- En effet, dit Madge, qui avait pris le fragment de houille et
+l'examinait en connaisseuse. C'est la du charbon de bonne qualite. --
+Emporte-le, Simon, emporte-le au cottage ! Je veux que ce premier
+morceau de houille brule sous notre bouilloire !
+
+-- Bien parle, femme ! repondit le vieil overman, et tu verras que je
+ne me suis pas trompe.
+
+-- Monsieur Starr, demanda alors Harry, avez-vous quelque idee de
+l'orientation probable de cette longue galerie que nous avons suivie
+depuis notre entree dans la nouvelle houillere ?
+
+-- Non, mon garcon, repondit l'ingenieur. Avec une boussole, j'aurais
+peut-etre pu etablir sa direction generale. Mais, sans boussole, je
+suis ici comme un marin en pleine mer, au milieu des brumes, lorsque
+l'absence de soleil ne lui permet pas de relever sa position.
+
+-- Sans doute, monsieur James, repliqua Simon Ford, mais, je vous en
+prie, ne comparez pas notre position a celle du marin, qui a toujours
+et partout l'abime sous ses pieds ! Nous sommes en terre ferme, ici, et
+nous n'avons pas a craindre de jamais sombrer !
+
+-- Je ne vous ferai pas cette peine, vieux Simon, repondit James Starr.
+Loin de moi la pensee de deprecier la nouvelle houillere d'Aberfoyle
+par une comparaison injuste ! Je n'ai voulu dire qu'une chose, c'est
+que nous ne savons pas ou nous sommes.
+
+-- Nous sommes dans le sous-sol du comte de Stirling, monsieur James,
+repondit Simon Ford, et cela, je l'affirme comme si...
+
+-- Ecoutez ! >> dit Harry en interrompant le vieil overman.
+
+Tous preterent l'oreille, ainsi que le faisait le jeune mineur. Le nerf
+auditif, tres exerce chez lui, avait surpris un bruit sourd, comme eut
+ete un murmure lointain. James Starr, Simon et Madge ne tarderent pas a
+l'entendre eux-memes. Il se produisait, dans les couches superieures du
+massif, une sorte de roulement, dont on percevait distinctement le
+crescendo et le decrescendo successif, si faible qu'il fut.
+
+Tous quatre resterent pendant quelques minutes, l'oreille tendue, sans
+proferer une parole.
+
+Puis, tout a coup, Simon Ford de s'ecrier :
+
+<< Eh ! par saint Mungo ! Est-ce que les wagonnets courent deja sur les
+rails de la nouvelle Aberfoyle ?
+
+-- Pere, repondit Harry, il me semble bien que c'est le bruit que font
+des eaux en roulant sur un littoral.
+
+-- Nous ne sommes pourtant pas sous la mer ! s'ecria le vieil overman.
+
+-- Non, repondit l'ingenieur, mais il ne serait pas impossible que nous
+ne fussions sous le lit meme du lac Katrine.
+
+-- Il faudrait donc que la voute fut peu epaisse en cet endroit,
+puisque le bruit des eaux est perceptible ?
+
+-- Peu epaisse, en effet, repondit James Starr, et c'est ce qui fait
+que cette excavation est si vaste.
+
+-- Vous devez avoir raison, monsieur Starr, dit Harry.
+
+-- En outre, il fait si mauvais temps au-dehors, reprit James Starr,
+que les eaux du lac doivent etre soulevees comme celles du golfe de
+Forth.
+
+-- Eh ! qu'importe, apres tout, repondit Simon Ford. La couche
+carbonifere n'en sera pas plus mauvaise pour se developper au-dessous
+d'un lac ! Ce ne serait pas la premiere fois que l'on irait chercher la
+houille sous le lit meme de l'Ocean ! Quand nous devrions exploiter
+tout le fonds et le trefonds du canal du Nord, ou serait le mal ?
+
+-- Bien dit, Simon, s'ecria l'ingenieur, qui ne put retenir un sourire
+en regardant l'enthousiaste overman. Poussons nos tranchees sous les
+eaux de la mer ! Trouons comme une ecumoire le lit de l'Atlantique !
+Allons rejoindre a coups de pioche nos freres des Etats-Unis a travers
+le sous-sol de l'Ocean ! Foncons jusqu'au centre du globe, s'il le
+faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille !
+
+-- Croyez-vous rire, monsieur James ? demanda Simon Ford d'un air tant
+soit peu goguenard.
+
+-- Moi, rire ! vieux Simon ! Non ! Mais vous etes si enthousiaste, que
+vous m'entrainez jusque dans l'impossible ! Tenez, revenons a la
+realite, qui est deja belle. Laissons la nos pics, que nous
+retrouverons un autre jour, et reprenons le chemin du cottage ! >>
+
+Il n'y avait pas autre chose a faire pour le moment. Plus tard,
+l'ingenieur, accompagne d'une brigade de mineurs et muni des lampes et
+ustensiles necessaires, reprendrait l'exploration de la
+Nouvelle-Aberfoyle. Mais il etait urgent de retourner a la fosse
+Dochart. La route etait facile, d'ailleurs. La galerie courait presque
+droit a travers le massif jusqu'a l'orifice ouvert par la dynamite.
+Donc, nulle crainte de s'egarer.
+
+Mais, au moment ou James Starr se dirigeait vers la galerie, Simon Ford
+l'arreta.
+
+<< Monsieur James, lui dit-il, vous voyez cette caverne immense, ce lac
+souterrain qu'elle recouvre, cette greve que les eaux viennent baigner
+a nos pieds ? Eh bien, c'est ici que je veux transporter ma demeure,
+c'est ici que je me batirai un nouveau cottage, et, si quelques braves
+compagnons veulent suivre mon exemple, avant un an, on comptera un
+bourg de plus dans le massif de notre vieille Angleterre ! >>
+
+James Starr, approuvant d'un sourire les projets de Simon Ford, lui
+serra la main, et tous trois, precedant Madge, s'enfoncerent dans la
+galerie, afin de regagner la fosse Dochart.
+
+Pendant le premier mille, aucun incident ne se produisit. Harry
+marchait en avant, elevant la lampe au-dessus de sa tete. Il suivait
+soigneusement la galerie principale, sans jamais s'ecarter dans les
+tunnels etroits qui rayonnaient a droite et a gauche. Il semblait donc
+que le retour dut s'accomplir aussi facilement que l'aller, lorsqu'une
+facheuse complication survint, qui rendit fort grave la situation des
+explorateurs.
+
+En effet, a un moment ou Harry levait sa lampe, un vif deplacement de
+l'air s'opera, comme s'il eut ete cause par un battement d'ailes
+invisibles. La lampe, frappee de biais, s'echappa des mains d'Harry,
+tomba sur le sol rocheux de la galerie et se brisa.
+
+James Starr et ses compagnons furent subitement plonges dans une
+obscurite absolue. Leur lampe, dont l'huile s'etait repandue, ne
+pouvait plus servir.
+
+<< Eh bien, Harry, s'ecria Simon Ford, veux-tu donc que nous nous
+rompions le cou en retournant au cottage ? >>
+
+Harry ne repondit pas. Il reflechissait. Devait-il voir encore la main
+d'un etre mysterieux dans ce dernier accident ? Existait-il donc en ces
+profondeurs un ennemi dont l'inexplicable antagonisme pouvait creer, un
+jour, de serieuses difficultes ? Quelqu'un avait-il interet a defendre
+le nouveau gite carbonifere contre toute tentative d'exploitation ? En
+verite, cela etait absurde, mais les faits parlaient d'eux-memes, et
+ils s'accumulaient de maniere a changer de simples presomptions en
+certitudes.
+
+En attendant, la situation des explorateurs etait assez mauvaise. Il
+leur fallait, au milieu de profondes tenebres, suivre pendant environ
+cinq milles la galerie qui conduisait a la fosse Dochart. Puis, ils
+auraient encore une heure de route avant d'avoir atteint le cottage.
+
+<< Continuons, dit Simon Ford. Nous n'avons pas un instant a perdre.
+Nous marcherons en tatonnant, comme des aveugles. Il n'est pas possible
+de s'egarer. Les tunnels qui s'ouvrent sur notre chemin ne sont que de
+veritables boyaux de taupinieres, et, en suivant la galerie principale,
+nous arriverons inevitablement a l'orifice qui nous a livre passage.
+Ensuite, c'est la vieille houillere. Nous la connaissons, et ce ne sera
+pas la premiere fois qu'Harry ou moi nous nous y serons trouves dans
+l'obscurite. D'ailleurs, nous retrouverons la les lampes que nous avons
+laissees. En route, donc ! -- Harry, prends la tete. Monsieur James,
+suivez-le. Madge, tu viendras apres, et moi, je fermerai la marche. Ne
+nous separons pas surtout, et qu'on se sente les talons, sinon les
+coudes ! >>
+
+Il n'y avait qu'a se conformer aux instructions du vieil overman. Comme
+il le disait, en tatonnant on ne pouvait guere se tromper de route. Il
+fallait seulement remplacer les yeux par les mains, et se fier a cet
+instinct qui, chez Simon Ford et son fils, etait devenu une seconde
+nature.
+
+Donc, James Starr et ses compagnons marcherent dans l'ordre indique.
+Ils ne parlaient pas, mais ce n'etait pas faute de penser. Il devenait
+evident qu'ils avaient un adversaire. Mais quel etait-il, et comment se
+defendre de ces attaques si mysterieusement preparees ? Ces idees assez
+inquietantes affluaient a leur cerveau. Cependant, ce n'etait pas le
+moment de se decourager.
+
+Harry, les bras etendus, s'avancait d'un pas assure. Il allait
+successivement d'une paroi a l'autre de la galerie. Une anfractuosite,
+un orifice lateral se presentaient-ils, il reconnaissait a la main
+qu'il ne fallait pas s'y engager, soit que l'anfractuosite fut peu
+profonde, soit que l'orifice fut trop etroit, et il se maintenait ainsi
+dans le droit chemin.
+
+Au milieu d'une obscurite a laquelle les yeux ne pouvaient se faire,
+puisqu'elle etait absolue, ce difficile retour dura deux heures
+environ. En supputant le temps ecoule, en tenant compte de ce que la
+marche n'avait pu etre rapide, James Starr estimait que ses compagnons
+et lui devaient etre bien pres de l'issue.
+
+En effet, presque aussitot, Harry s'arreta.
+
+<< Sommes-nous enfin arrives a l'extremite de la galerie ? demanda Simon
+Ford.
+
+-- Oui, repondit le jeune mineur.
+
+-- Eh bien, tu dois retrouver l'orifice qui etablit la communication
+entre la Nouvelle-Aberfoyle et la fosse Dochart ?
+
+-- Non >>, repondit Harry, dont les mains crispees ne rencontraient que
+la surface pleine d'une paroi.
+
+Le vieil overman fit quelques pas en avant, et vint palper lui meme la
+roche schisteuse.
+
+Un cri lui echappa.
+
+Ou les explorateurs s'etaient egares pendant le retour, ou l'etroit
+orifice, creuse dans la paroi par la dynamite, avait ete bouche
+recemment !
+
+Quoi qu'il en soit, James Starr et ses compagnons etaient emprisonnes
+dans la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XI
+
+ Les Dames de feu
+
+Huit jours apres ces evenements, les amis de James Starr etaient fort
+inquiets. L'ingenieur avait disparu sans qu'aucun motif put etre
+allegue a cette disparition. On avait appris, en interrogeant son
+domestique, qu'il s'etait embarque a Grantonpier, et on savait par le
+capitaine du steam-boat _Prince de Galles_ qu'il avait debarque a
+Stirling. Mais, depuis ce moment, plus de traces de James Starr. La
+lettre de Simon Ford lui avait recommande le secret, et il n'avait rien
+dit de son depart pour les houilleres d'Aberfoyle.
+
+Donc, a Edimbourg, il ne fut plus question que de l'absence
+inexplicable de l'ingenieur. Sir W. Elphiston, le president de << Royal
+Institution >>, communiqua a ses collegues la lettre que lui avait
+adressee James Starr, en s'excusant de ne pouvoir assister a la
+prochaine seance de la Societe. Deux ou trois autres personnes
+produisirent aussi des lettres analogues. Mais, si ces documents
+prouvaient que James Starr avait quitte Edimbourg -- ce que l'on savait
+de reste --, rien n'indiquait ce qu'il etait devenu. Or, de la part
+d'un tel homme, cette absence, en dehors de ses habitudes, devait
+surprendre d'abord, inquieter ensuite, puisqu'elle se prolongeait.
+
+Aucun des amis de l'ingenieur n'aurait pu supposer qu'il se fut rendu
+aux houilleres d'Aberfoyle. On savait qu'il n'eut point aime a revoir
+l'ancien theatre de ses travaux. Il n'y avait jamais remis les pieds,
+depuis le jour ou la derniere benne etait remontee a la surface du sol.
+Cependant, puisque le steam-boat l'avait depose au debarcadere de
+Stirling, on fit quelques recherches de ce cote.
+
+Les recherches n'aboutirent pas. Personne ne se rappelait avoir vu
+l'ingenieur dans le pays. Seul, Jack Ryan, qui l'avait rencontre en
+compagnie d'Harry sur un des paliers du puits Yarow, eut pu satisfaire
+la curiosite publique. Mais le joyeux garcon, on le sait, travaillait a
+la ferme de Melrose, a quarante milles dans le sud-ouest du comte de
+Renfrew, et il ne se doutait guere que l'on s'inquietat a ce point de
+la disparition de James Starr. Donc, huit jours apres sa visite au
+cottage, Jack Ryan eut continue a chanter de plus belle pendant les
+veillees du clan d'Irvine, -- s'il n'eut eu, lui aussi, un motif de
+vive inquietude dont il sera bientot parle.
+
+James Starr etait un homme trop considerable et trop considere, non
+seulement dans la ville, mais dans toute l'Ecosse, pour qu'un fait le
+concernant put passer inapercu. Le lord prevot, premier magistrat
+d'Edimbourg, les baillis, les conseillers, dont la plupart etaient des
+amis de l'ingenieur, firent commencer les plus actives recherches. Des
+agents furent mis en campagne, mais aucun resultat ne fut obtenu.
+
+Il fallut donc inserer dans les principaux journaux du Royaume-Uni une
+note relative a l'ingenieur James Starr, donnant son signalement,
+indiquant la date a laquelle il avait quitte Edimbourg, et il n'y eut
+plus qu'a attendre. Cela ne se fit pas sans grande anxiete. Le monde
+savant de l'Angleterre n'etait pas eloigne de croire a la disparition
+definitive de l'un de ses membres les plus distingues.
+
+En meme temps que l'on s'inquietait ainsi de la personne de James
+Starr, la personne d'Harry etait le sujet de preoccupations non moins
+vives. Seulement, au lieu d'occuper l'opinion publique, le fils du
+vieil overman ne troublait que la bonne humeur de son ami Jack Ryan.
+
+On se rappelle que, lors de leur rencontre dans le puits Yarow, Jack
+Ryan avait invite Harry a venir, huit jours apres, a la fete du clan
+d'Irvine. Il y avait eu acceptation et promesse formelle d'Harry de se
+rendre a cette ceremonie. Jack Ryan savait, pour l'avoir constate en
+maintes circonstances, que son camarade etait homme de parole. Avec
+lui, chose promise, chose faite.
+
+Or, a la fete d'Irvine, rien n'avait manque, ni les chants, ni les
+danses, ni les rejouissances de toutes sortes, rien, -- si ce n'est
+Harry Ford.
+
+Jack Ryan avait commence par lui en vouloir, parce que l'absence de son
+ami influait sur sa bonne humeur. Il en perdit meme la memoire au
+milieu d'une de ses chansons, et, pour la premiere fois, il resta court
+pendant une gigue, qui lui valait d'ordinaire des applaudissements
+merites.
+
+Il faut dire ici que la note relative a James Starr, et publiee dans
+les journaux, n'etait pas encore tombee sous les yeux de Jack Ryan. Ce
+brave garcon ne se preoccupait donc que de l'absence d'Harry, se disant
+bien qu'une grave circonstance avait seule pu l'empecher de tenir sa
+promesse. Aussi, le lendemain de la fete d'Irvine, Jack Ryan
+comptait-il prendre le railway de Glasgow pour se rendre a la fosse
+Dochart, et il l'aurait fait, -- s'il n'eut ete retenu par un accident
+qui faillit lui couter la vie.
+
+Voici ce qui etait arrive pendant la nuit du 12 decembre. En verite, le
+fait etait de nature a donner raison a tous les partisans du
+surnaturel, et ils etaient nombreux a la ferme de Melrose.
+
+Irvine, petite ville maritime du comte de Renfrew, qui compte environ
+sept mille habitants, est batie dans un brusque retour que fait la cote
+ecossaise, presque a l'ouverture du golfe de Clyde. Son port, assez
+bien abrite contre les vents du large, est eclaire par un feu important
+qui indique les atterrissages, de telle facon qu'un marin prudent ne
+peut s'y tromper. Aussi, les naufrages etaient-ils rares sur cette
+portion du littoral, et les caboteurs ou long-courriers, qu'ils
+voulussent, soit embouquer le golfe de Clyde pour se rendre a Glasgow,
+soit donner dans la baie d'Irvine, pouvaient-ils man&oelig;uvrer sans
+danger, meme par les nuits obscures.
+
+Lorsqu'une ville est pourvue d'un passe historique, si mince qu'il
+soit, lorsque son chateau a appartenu autrefois a un Robert Stuart,
+elle n'est pas sans posseder quelques ruines.
+
+Or, en Ecosse, toutes les ruines sont hantees par des esprits. -- Du
+moins, c'est l'opinion commune dans les Hautes et Basses Terres.
+
+Les ruines les plus anciennes, et aussi les plus mal famees de cette
+partie du littoral, etaient precisement celles de ce chateau de Robert
+Stuart, qui porte le nom de Dundonald-Castle.
+
+A cette epoque, le chateau de Dundonald, refuge de tous les lutins
+errants de la contree, etait voue au plus complet abandon. On allait
+peu le visiter sur le haut rocher qu'il occupait au-dessus de la mer, a
+deux milles de la ville. Peut-etre quelques etrangers avaient-ils
+encore l'idee d'interroger ces vieux restes historiques, mais alors ils
+s'y rendaient seuls. Les habitants d'Irvine ne les y eussent point
+conduits, a quelque prix que ce fut. En effet, quelques histoires
+couraient sur le compte de certaines << Dames de feu >> qui hantaient le
+vieux chateau.
+
+Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces
+fantastiques creatures. Naturellement, Jack Ryan etait de ces derniers.
+
+La verite est que, de temps a autre, de longues flammes apparaissaient,
+tantot sur un pan de mur a demi eboule, tantot au sommet de la tour qui
+domine l'ensemble des ruines de Dundonald-Castle.
+
+Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l'assurait ?
+Meritaient-elles ce nom de << Dames de feu >> que leur avaient donne les
+Ecossais du littoral ? Ce n'etait evidemment la qu'une illusion de
+cerveaux portes a la credulite, et la science eut explique physiquement
+ce phenomene.
+
+Quoi qu'il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contree la
+reputation bien etablie de frequenter les ruines du vieux chateau et
+d'y executer parfois d'etranges sarabandes, surtout pendant les nuits
+obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu'il fut, ne se serait
+point hasarde a les accompagner aux sons de sa cornemuse.
+
+<< Le vieux Nick leur suffit ! disait-il, et il n'a pas besoin de moi
+pour completer son orchestre infernal ! >>
+
+On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte oblige
+des recits pendant la veillee. Aussi, Jack Ryan possedait-il tout un
+repertoire de legendes sur les Dames de feu, et ne se trouvait-il
+jamais a court, quand il s'agissait d'en conter a leur sujet !
+
+Donc, pendant cette derniere veillee, bien arrosee d'ale, de brandy et
+de whisky, qui avait termine la fete du clan d'Irvine, Jack Ryan
+n'avait pas manque de reprendre son theme favori, au grand plaisir et
+peut-etre au grand effroi de ses auditeurs.
+
+La veillee se faisait dans une vaste grange de la ferme de Melrose, sur
+la limite du littoral. Un bon feu de coke brulait dans un large trepied
+de tole, au milieu de l'assemblee.
+
+Il y avait gros temps au-dehors. Des brumes epaisses roulaient sur les
+lames, qu'une forte brise de sud-ouest amenait du large. Une nuit tres
+noire, pas une seule eclaircie dans les nuages, la terre, le ciel et
+l'eau se confondant dans de profondes tenebres, c'etait la de quoi
+rendre difficiles les atterrages de la baie d'Irvine, si quelque navire
+s'y fut aventure avec ces vents qui battaient en cote.
+
+Le petit port d'Irvine n'est pas tres frequente, -- du moins par les
+navires d'un certain tonnage. C'est un peu plus au nord que les
+batiments de commerce, a voiles ou vapeur, attaquent la terre,
+lorsqu'ils veulent donner dans le golfe de Clyde. Ce soir-la,
+cependant, quelque pecheur, attarde sur le rivage, eut apercu, non sans
+surprise, un navire qui se dirigeait vers la cote. Si le jour se fut
+fait tout a coup, ce n'est plus avec surprise, mais avec effroi, que ce
+batiment eut ete vu, courant vent arriere, avec toute la toile qu'il
+pouvait porter. L'entree du golfe manquee, il n'existait aucun refuge
+entre les roches formidables du littoral. Si cet imprudent navire
+s'obstinait a s'en approcher encore, comment parviendrait-il a se
+relever ?
+
+La veillee allait finir sur une derniere histoire de Jack Ryan. Ses
+auditeurs, transportes dans le monde des fantomes, etaient bien dans
+les conditions voulues pour faire acte de credulite, le cas echeant.
+
+Tout a coup, des cris retentirent au-dehors.
+
+Jack Ryan suspendit aussitot son recit, et tous quitterent
+precipitamment la grange.
+
+La nuit etait profonde. De longues rafales de pluie et de vent
+couraient a la surface de la greve.
+
+Deux ou trois pecheurs, arc-boutes pres d'un rocher, afin de mieux
+resister aux poussees de l'air, appelaient avec de grands eclats de
+voix.
+
+Jack Ryan et ses compagnons coururent a eux.
+
+Ces cris, ce n'etait pas aux habitants de la ferme qu'ils
+s'adressaient, mais a un equipage qui, sans le savoir, courait a sa
+perte.
+
+En effet, une masse sombre apparaissait confusement a quelques
+encablures au large. C'etait un navire, bien reconnaissable a ses feux
+de position, car il portait a sa hune de misaine un feu blanc, a
+tribord un feu vert, a babord un feu rouge. On le voyait donc par
+l'avant, et il etait manifeste qu'il se dirigeait a toute vitesse vers
+la cote.
+
+<< Un navire en perdition ? s'ecria Jack Ryan.
+
+-- Oui, repondit un des pecheurs, et maintenant il voudrait virer de
+bord, qu'il ne le pourrait plus !
+
+-- Des signaux, des signaux ! cria l'un des Ecossais.
+
+-- Lesquels ? repliqua le pecheur. Par cette bourrasque, on ne pourrait
+pas tenir une torche allumee ! >>
+
+Et, pendant que ces propos s'echangeaient rapidement, de nouveaux cris
+etaient pousses. Mais comment eut-on pu les entendre au milieu de cette
+tempete ? L'equipage du navire n'avait plus aucune chance d'echapper au
+naufrage.
+
+<< Pourquoi man&oelig;uvrer ainsi ? s'ecriait un marin.
+
+-- Veut-il donc faire cote ? repondit un autre.
+
+-- Le capitaine n'a donc pas eu connaissance du feu d'Irvine ? demanda
+Jack Ryan.
+
+-- Il faut le croire, repondit un des pecheurs, a moins qu'il n'ait ete
+trompe par quelque... >>
+
+Le pecheur n'avait pas acheve sa phrase, que Jack Ryan poussait un
+formidable cri. Fut-il entendu de l'equipage ? En tout cas, il etait
+trop tard pour que le batiment put se relever de la ligne des brisants
+qui blanchissait dans les tenebres.
+
+Mais ce n'etait pas, comme on aurait pu le croire, un supreme
+avertissement que Jack Ryan avait tente de faire parvenir au batiment
+en perdition. Jack Ryan tournait alors le dos a la mer. Ses compagnons,
+eux aussi, regardaient un point situe a un demi mille en arriere de la
+greve.
+
+C'etait le chateau de Dundonald. Une longue flamme se tordait sous les
+rafales au sommet de la vieille tour.
+
+<< La Dame de feu ! >> s'ecrierent avec grande terreur tous ces
+superstitieux Ecossais.
+
+Franchement, il fallait une bonne dose d'imagination pour trouver a
+cette flamme une apparence humaine. Agitee comme un pavillon lumineux
+sous la brise, elle semblait parfois s'envoler du sommet de la tour,
+comme si elle eut ete sur le point de s'eteindre, et, un instant apres,
+elle s'y rattachait de nouveau par sa pointe bleuatre.
+
+<< La Dame de feu ! la Dame de feu ! >> criaient les pecheurs et les
+paysans effares.
+
+Tout s'expliquait alors. Il etait evident que le navire, desoriente
+dans les brumes, avait fait fausse route, et qu'il avait pris cette
+flamme, allumee au sommet du chateau de Dundonald, pour le feu
+d'Irvine. Il se croyait a l'entree du golfe, situee dix milles plus au
+nord, et il courait vers une franche terre, qui ne lui offrait aucun
+refuge !
+
+Que pouvait-on faire pour le sauver, s'il en etait temps encore ?
+Peut-etre eut-il fallu monter jusqu'aux ruines et tenter d'eteindre ce
+feu, pour qu'il ne fut pas possible de le confondre plus longtemps avec
+le phare du port d'Irvine !
+
+Sans doute, c'etait ainsi qu'il convenait d'agir, sans retard; mais
+lequel de ces Ecossais eut eu la pensee, et, apres la pensee, l'audace
+de braver la Dame de feu ? Jack Ryan, peut-etre, car il etait
+courageux, et sa credulite, si forte qu'elle fut, ne pouvait l'arreter
+dans un genereux mouvement.
+
+Il etait trop tard. Un horrible craquement retentit au milieu du fracas
+des elements.
+
+Le navire venait de talonner par son arriere. Ses feux de position
+s'eteignirent. La ligne blanchatre du ressac sembla brisee un instant.
+C'etait le batiment qui l'abordait, se couchait sur le flanc et se
+disloquait entre les recifs.
+
+Et, a ce meme instant, par une coincidence qui ne pouvait etre due
+qu'au hasard, la longue flamme disparut, comme si elle eut ete arrachee
+par une violente rafale. La mer, le ciel, la greve furent aussitot
+replonges dans les plus profondes tenebres.
+
+<< La Dame de feu ! >> avait une derniere fois crie Jack Ryan, lorsque
+cette apparition, surnaturelle pour ses compagnons et lui, se fut
+evanouie subitement.
+
+Mais alors, le courage que ces superstitieux Ecossais n'auraient pas eu
+contre un danger chimerique, ils le retrouverent en face d'un danger
+reel, maintenant qu'il s'agissait de sauver leurs semblables. Les
+elements dechaines ne les arreterent pas. Au moyen de cordes lancees
+dans les lames -- heroiques autant qu'ils avaient ete credules --, ils
+se jeterent au secours du batiment naufrage.
+
+Heureusement, ils reussirent, non sans que quelques-uns -- et le hardi
+Jack Ryan etait du nombre -- se fussent grievement meurtris sur les
+roches; mais le capitaine du navire et les huit hommes de l'equipage
+purent etre deposes, sains et saufs, sur la greve.
+
+Ce navire etait le brick norvegien _Motala_, charge de bois du nord,
+faisant route pour Glasgow.
+
+Il n'etait que trop vrai. Le capitaine, trompe par ce feu, allume sur
+la tour du chateau de Dundonald, etait venu donner en pleine cote, au
+lieu d'embouquer le golfe de Clyde.
+
+Et maintenant, du _Motala_, il ne restait plus que de rares epaves,
+dont le ressac achevait de briser les debris sur les roches du littoral.
+
+ XII
+
+ Les Exploits de Jack Ryan
+
+Jack Ryan et trois de ses compagnons, blesses comme lui, avaient ete
+transportes dans une des chambres de la ferme de Melrose, ou des soins
+leur furent immediatement prodigues.
+
+Jack Ryan avait ete le plus maltraite, car, au moment ou, la corde aux
+reins, il s'etait jete a la mer, les lames furieuses l'avaient rudement
+roule sur les recifs. Peu s'en etait fallu, meme, que ses camarades ne
+l'eussent rapporte sans vie sur le rivage.
+
+Le brave garcon fut donc cloue au lit pour quelques jours, -- ce dont
+il enragea fort. Cependant, lorsqu'on lui eut permis de chanter autant
+qu'il le voudrait, il prit son mal en patience, et la ferme de Melrose
+retentit, a toute heure, des joyeux eclats de sa voix. Mais Jack Ryan,
+dans cette aventure, ne puisa qu'un plus vif sentiment de crainte a
+l'egard de ces brawnies et autres lutins qui s'amusent a tracasser le
+pauvre monde, et ce fut eux qu'il rendit responsables de la catastrophe
+du _Motala_. On fut mal venu a lui soutenir que les Dames de feu
+n'existaient pas, et que cette flamme, si soudainement projetee entre
+les ruines, n'etait due qu'a un phenomene physique. Aucun raisonnement
+ne l'eut convaincu. Ses compagnons etaient encore plus obstines que lui
+dans leur credulite. A les entendre, une des Dames de feu avait
+mechamment attire le _Motala_ a la cote. Quant a vouloir l'en punir,
+autant mettre l'ouragan a l'amende ! Les magistrats pouvaient decreter
+toutes poursuites qui leur conviendraient. On n'emprisonne pas une
+flamme, on n'enchaine pas un etre impalpable. Et, s'il faut le dire,
+les recherches qui furent ulterieurement faites, semblerent donner
+raison -- au moins en apparence -- a cette facon superstitieuse
+d'expliquer les choses.
+
+En effet, le magistrat, charge de diriger une enquete relativement a la
+perte du _Motala_, vint interroger les divers temoins de la
+catastrophe. Tous furent d'accord sur ce point que le naufrage etait du
+a l'apparition surnaturelle de la Dame de feu dans les ruines du
+chateau de Dundonald.
+
+On le pense bien, la justice ne pouvait se payer de semblables raisons.
+Qu'un phenomene purement physique se fut produit dans ces ruines, pas
+de doute a cet egard. Mais etait-ce accident ou malveillance ? c'est ce
+que le magistrat devait chercher a etablir.
+
+Que ce mot << malveillance >> ne surprenne pas. Il ne faudrait pas
+remonter haut dans l'histoire armoricaine pour en trouver la
+justification. Bien des pilleurs d'epaves du littoral breton ont fait
+ce metier d'attirer les navires a la cote afin de s'en partager les
+depouilles. Tantot un bouquet d'arbres resineux, enflammes pendant la
+nuit, guidait un batiment dans des passes dont il ne pouvait plus
+sortir. Tantot une torche, attachee aux cornes d'un taureau et promenee
+au caprice de l'animal, trompait un equipage sur la route a suivre. Le
+resultat de ces man&oelig;uvres etait inevitablement quelque naufrage,
+dont les pillards profitaient. Il avait fallu l'intervention de la
+justice et de severes exemples pour detruire ces barbares coutumes. Or,
+ne pouvait-il se faire que, dans cette circonstance, une main
+criminelle n'eut repris les anciennes traditions des pilleurs d'epaves ?
+
+C'est ce que pensaient les gens de la police, quoi qu'en eussent Jack
+Ryan et ses compagnons. Lorsque ceux-ci entendirent parler d'enquete,
+ils se diviserent en deux camps : les uns se contenterent de hausser
+les epaules; les autres, plus craintifs, annoncerent que, tres
+certainement, a provoquer ainsi les etres surnaturels, on amenerait de
+nouvelles catastrophes.
+
+Neanmoins, l'enquete fut faite avec beaucoup de soin. Les gens de
+police se transporterent au chateau de Dundonald, et ils procederent
+aux recherches les plus rigoureuses.
+
+Le magistrat voulut d'abord reconnaitre si le sol avait conserve
+quelques empreintes de pas, pouvant etre attribuees a d'autres pieds
+que des pieds de lutins. Il fut impossible de relever la plus legere
+trace, ni ancienne ni nouvelle. Cependant, la terre, encore tout humide
+des pluies de la veille, eut conserve le moindre vestige.
+
+<< Des pas de brawnies ! s'ecria Jack Ryan, lorsqu'il connut l'insucces
+des premieres recherches. Autant vouloir retrouver les traces d'un
+follet sur l'eau d'un marecage ! >>
+
+Cette premiere partie de l'enquete ne produisit donc aucun resultat. Il
+n'etait pas probable que la seconde partie en donnat davantage.
+
+Il s'agissait d'etablir, en effet, comment le feu avait pu etre allume
+au sommet de la vieille tour, quels elements avaient ete fournis a la
+combustion, et enfin quels residus cette combustion avait laisses.
+
+Sur le premier point, rien, ni restes d'allumettes, ni chiffons de
+papier, ayant pu servir a allumer un feu quelconque.
+
+Sur le second point, neant non moins absolu. On ne retrouva ni herbes
+dessechees, ni fragments de bois, dont ce foyer, si intense, avait
+pourtant du etre largement alimente pendant la nuit.
+
+Quant au troisieme point, il ne put etre eclairci davantage. L'absence
+de toutes cendres, de tout residu d'un combustible quelconque, ne
+permit pas meme de retrouver l'endroit ou le foyer avait du etre
+etabli. Il n'existait aucune place noircie, ni sur la terre, ni sur la
+roche. Fallait-il donc en conclure que le foyer avait ete tenu par la
+main de quelque malfaiteur ? C'etait bien invraisemblable, puisque, au
+dire des temoins, la flamme presentait un developpement gigantesque,
+tel que l'equipage du _Motala_ avait pu, malgre les brumes,
+l'apercevoir de plusieurs milles au large.
+
+<< Bon ! s'ecria Jack Ryan, la Dame de feu sait bien se passer
+d'allumettes ! Elle souffle, cela suffit a embraser l'air autour
+d'elle, et son foyer ne laisse jamais de cendres ! >>
+
+Il resulta donc de tout ceci que les magistrats en furent pour leur
+peine, qu'une nouvelle legende s'ajouta a tant d'autres, legende qui
+devait perpetuer le souvenir de la catastrophe du _Motala_ et affirmer
+plus indiscutablement encore l'apparition des Dames de feu.
+
+Cependant, un si brave garcon que Jack Ryan, et d'une si vigoureuse
+constitution, ne pouvait demeurer longtemps alite. Quelques foulures et
+luxations n'etaient pas pour le coucher sur le flanc plus qu'il ne
+convenait. Il n'avait pas le temps d'etre malade. Or, lorsque ce
+temps-la manque, on ne l'est guere dans ces regions salubres des
+Lowlands.
+
+Jack Ryan se retablit donc promptement. Des qu'il fut sur pied, avant
+de reprendre sa besogne a la ferme de Melrose, il voulut mettre certain
+projet a execution. Il s'agissait d'aller faire visite a son camarade
+Harry, afin de savoir pourquoi celui-ci avait manque a la fete du clan
+d'Irvine. De la part d'un homme tel qu'Harry, qui ne promettait jamais
+sans tenir, cette absence ne s'expliquait pas. Il etait
+invraisemblable, d'ailleurs, que le fils du vieil overman n'eut pas
+entendu parler de la catastrophe du _Motala_ rapportee a grands details
+par les journaux. Il devait savoir la part que Jack Ryan avait prise au
+sauvetage, ce qui en etait advenu pour lui, et c'eut ete trop
+d'indifference de la part d'Harry que de ne pas pousser jusqu'a la
+ferme pour serrer la main de son ami Jack Ryan.
+
+Si donc Harry n'etait pas venu, c'est qu'il n'avait pu venir.
+
+Jack Ryan eut plutot nie l'existence des Dames de feu que de croire a
+l'indifference d'Harry a son egard.
+
+Donc, deux jours apres la catastrophe, Jack Ryan quitta la ferme,
+gaillardement, comme un solide garcon qui ne se ressentait aucunement
+de ses blessures. D'un joyeux refrain lance a pleine poitrine, il fit
+resonner les echos de la falaise, et se rendit a la gare du railway
+qui, par Glasgow, conduit a Stirling et a Callander.
+
+La, pendant qu'il attendait dans la gare, ses regards furent tout
+d'abord attires par une affiche, reproduite a profusion sur les murs,
+et qui contenait l'avis suivant :
+
+<< Le 4 decembre dernier, l'ingenieur James Starr, d'Edimbourg, s'est
+embarque a Granton-pier sur le _Prince de Galles_. Il a debarque le
+meme jour a Stirling. Depuis ce temps, on est sans nouvelles de lui.
+
+<< Priere d'adresser toute information le concernant au president de
+Royal Institution, a Edimbourg. >>
+
+Jack Ryan, arrete devant une de ces affiches, la lut par deux fois, non
+sans donner les signes de la plus extreme surprise.
+
+<< Monsieur Starr ! s'ecria-t-il. Mais, le 4 decembre, je l'ai
+precisement rencontre avec Harry sur les echelles du puits Yarow !
+voila dix jours de cela ! Et, depuis ce temps, il n'aurait pas reparu !
+Cela expliquerait-il pourquoi mon camarade n'est pas venu a la fete
+d'Irvine ? >>
+
+Et, sans prendre le temps d'informer par lettre le president de Royal
+Institution de ce qu'il savait relativement a James Starr, le brave
+garcon sauta dans le train, avec l'intention bien arretee de se rendre
+tout d'abord au puits Yarow. Cela fait, il descendrait jusqu'au fond de
+la fosse Dochart, s'il le fallait, pour retrouver Harry, et avec lui
+l'ingenieur James Starr.
+
+Trois heures apres, il quittait le train a la gare de Callander, et se
+dirigeait rapidement vers le puits Yarow.
+
+<< Ils n'ont pas reparu, se disait-il. Pourquoi ? Est-ce quelque
+obstacle qui les en a empeches ? Est-ce un travail dont l'importance
+les retient encore au fond de la houillere ? Je le saurai ! >>
+
+Et Jack Ryan, allongeant le pas, arriva en moins d'une heure au puits
+Yarow.
+
+Exterieurement, rien de change. Meme silence aux abords de la fosse.
+Pas un etre vivant dans ce desert.
+
+Jack Ryan penetra sous l'appentis en ruine qui recouvrait l'orifice du
+puits. Il plongea son regard dans ce gouffre... Il ne vit rien. Il
+ecouta... Il n'entendit rien.
+
+<< Et ma lampe ! s'ecria-t-il. Ne serait-elle donc plus a sa place ? >>
+
+La lampe, dont Jack Ryan se servait pendant ses visites a la fosse,
+etait ordinairement deposee dans un coin, pres du palier de l'echelle
+superieure.
+
+Cette lampe avait disparu.
+
+<< Voila une premiere complication ! >> dit Jack Ryan, qui commenca a
+devenir tres inquiet.
+
+Puis, sans hesiter, tout superstitieux qu'il fut :
+
+<< J'irai, dit-il, quand il devrait faire plus noir dans la fosse que
+dans le trefonds de l'enfer ! >>
+
+Et il commenca a descendre la longue suite d'echelles, qui
+s'enfoncaient dans le sombre puits.
+
+Il fallait que Jack Ryan n'eut point perdu de ses anciennes habitudes
+de mineur, et qu'il connut bien la fosse Dochart, pour se hasarder
+ainsi. Il descendait prudemment d'ailleurs. Son pied tatait chaque
+echelon, dont quelques-uns etaient vermoulus. Tout faux pas eut
+entraine une chute mortelle, dans ce vide de quinze cents pieds. Jack
+Ryan comptait donc chacun des paliers qu'il quittait successivement
+pour atteindre un etage inferieur. Il savait que son pied ne toucherait
+la semelle de la fosse qu'apres avoir depasse le trentieme. Une fois
+la, il ne serait pas gene, pensait-il, de retrouver le cottage, bati,
+comme on sait, a l'extremite de la galerie principale.
+
+Jack Ryan arriva ainsi au vingt-sixieme palier, et, par consequent,
+deux cents pieds, au plus, le separaient alors du fond.
+
+A cet endroit, il baissa la jambe pour chercher le premier echelon de
+la vingt-septieme echelle. Mais sa jambe, se balancant dans le vide, ne
+trouva aucun point d'appui.
+
+Jack Ryan s'agenouilla sur le palier. Il voulut saisir avec la main
+l'extremite de l'echelle... Ce fut en vain.
+
+Il etait evident que la vingt-septieme echelle ne se trouvait pas a sa
+place, et, par consequent, qu'elle avait ete retiree.
+
+<< Il faut que le vieux Nick ait passe par la ! >> se dit-il, non sans
+eprouver un certain sentiment d'effroi.
+
+Debout, les bras croises, voulant toujours percer cette ombre
+impenetrable, Jack Ryan attendit. Puis, il lui vint a la pensee que, si
+lui ne pouvait descendre, les habitants de la houillere, eux, n'avaient
+pu remonter. Il n'existait plus, en effet, aucune communication entre
+le sol du comte et les profondeurs de la fosse. Si cet enlevement des
+echelles inferieures du puits Yarow avait ete pratique depuis sa
+derniere visite au cottage, qu'etaient devenus Simon Ford, sa femme,
+son fils et l'ingenieur ? L'absence prolongee de James Starr prouvait
+evidemment qu'il n'avait pas quitte la fosse depuis le jour ou Jack
+Ryan s'etait croise avec lui dans le puits Yarow. Comment, depuis lors,
+s'etait fait le ravitaillement du cottage ? Les vivres n'avaient-ils
+pas manque a ces malheureux, emprisonnes a quinze cents pieds sous
+terre ?
+
+Toutes ces pensees traverserent l'esprit de Jack Ryan. Il vit bien
+qu'il ne pouvait rien par lui-meme pour arriver jusqu'au cottage. Y
+avait-il eu malveillance dans ce fait que les communications etaient
+interrompues ? cela ne lui paraissait pas douteux. En tout cas, les
+magistrats aviseraient, mais il fallait les prevenir au plus vite.
+
+Jack Ryan se pencha au-dessus du palier.
+
+<< Harry ! Harry ! >> cria-t-il de sa voix puissante.
+
+Les echos se renvoyerent a plusieurs reprises le nom d'Harry, qui
+s'eteignit enfin dans les dernieres profondeurs du puits Yarow.
+
+Jack Ryan remonta rapidement les echelles superieures, et revit la
+lumiere du jour. Il ne perdit pas un instant. Tout d'une traite, il
+regagna la gare de Callander. Il ne lui fallut attendre que quelques
+minutes le passage de l'express d'Edimbourg, et, a trois heures de
+l'apres-midi, il se presentait chez le lord-prevot de la capitale.
+
+La, sa declaration fut recue. Les details precis qu'il donna ne
+permettaient pas de soupconner sa veracite. Sir W. Elphiston, president
+de Royal Institution, non seulement collegue, mais ami particulier de
+James Starr, fut aussitot averti, et il demanda a diriger les
+recherches qui allaient etre faites sans delai a la fosse Dochart. On
+mit a sa disposition plusieurs agents, qui se munirent de lampes, de
+pics, de longues echelles de corde, sans oublier vivres et cordiaux.
+Puis, conduits par Jack Ryan, tous prirent immediatement le chemin des
+houilleres d'Aberfoyle.
+
+Le soir meme, Sir W. Elphiston, Jack Ryan et les agents arriverent a
+l'orifice du puits Yarow, et ils descendirent jusqu'au vingt-septieme
+palier, sur lequel Jack s'etait arrete, quelques heures auparavant.
+
+Les lampes, attachees au bout de longues cordes, furent envoyees dans
+les profondeurs du puits, et l'on put alors constater que les quatre
+dernieres echelles manquaient.
+
+Nul doute que toute communication entre le dedans et le dehors de la
+fosse Dochart n'eut ete intentionnellement rompue.
+
+<< Qu'attendons-nous, monsieur ? demanda l'impatient Jack Ryan.
+
+-- Nous attendons que ces lampes soient remontees, mon garcon, repondit
+Sir W. Elphiston. Puis, nous descendrons jusqu'au sol de la derniere
+galerie, et tu nous conduiras...
+
+-- Au cottage, s'ecria Jack Ryan, et, s'il le faut, jusque dans les
+derniers abimes de la fosse ! >>
+
+Des que les lampes eurent ete retirees, les agents fixerent au palier
+les echelles de corde, qui se deroulerent dans le puits. Les paliers
+inferieurs subsistaient encore. On put descendre de l'un a l'autre.
+
+Cela ne se fit pas sans de grandes difficultes. Jack Ryan, le premier,
+s'etait suspendu a ces echelles vacillantes, et, le premier, il
+atteignit le fond de la houillere.
+
+Sir W. Elphiston et les agents l'eurent bientot rejoint.
+
+Le rond-point, forme par le fond du puits Yarow, etait absolument
+desert, mais Sir W. Elphiston ne fut pas mediocrement surpris
+d'entendre Jack Ryan s'ecrier :
+
+<< Voici quelques fragments des echelles, et ce sont des fragments a
+demi brules !
+
+-- Brules ! repeta Sir W. Elphiston. En effet, voila des cendres
+refroidies depuis longtemps !
+
+-- Pensez-vous, monsieur, demanda Jack Ryan, que l'ingenieur James
+Starr ait eu interet a bruler ces echelles et a interrompre toute
+communication avec le dehors ?
+
+-- Non, repondit Sir W. Elphiston, qui demeura pensif. Allons, mon
+garcon, au cottage ! C'est la que nous saurons la verite. >>
+
+Jack Ryan hocha la tete, en homme peu convaincu. Mais, prenant une
+lampe des mains d'un agent, il s'avanca rapidement a travers la galerie
+principale de la fosse Dochart.
+
+Tous le suivaient.
+
+Un quart d'heure plus tard, Sir W. Elphiston et ses compagnons avaient
+atteint l'excavation au fond de laquelle etait bati le cottage de Simon
+Ford. Aucune lumiere n'en eclairait les fenetres.
+
+Jack Ryan se precipita vers la porte, qu'il repoussa vivement.
+
+Le cottage etait abandonne.
+
+On visita les chambres de la sombre habitation. Nulle trace de violence
+a l'interieur. Tout etait en ordre, comme si la vieille Madge eut
+encore ete la. La reserve de vivres etait meme abondante, et eut suffi
+pendant plusieurs jours a la famille Ford.
+
+L'absence des hotes du cottage etait donc inexplicable. Mais pouvait-on
+constater d'une maniere precise a quelle epoque ils l'avaient quitte ?
+-- Oui, car, dans ce milieu ou ne se succedaient ni les nuits, ni les
+jours, Madge avait coutume de marquer d'une croix chaque quantieme de
+son calendrier.
+
+Ce calendrier etait suspendu au mur de la salle. Or, la derniere croix
+avait ete faite a la date du 6 decembre, c'est-a-dire un jour apres
+l'arrivee de James Starr, -- ce que Jack Ryan fut en mesure d'affirmer.
+Il etait donc manifeste que depuis le 6 decembre, c'est-a-dire depuis
+dix jours, Simon Ford, sa femme, son fils et son hote avaient quitte le
+cottage. Une nouvelle exploration de la fosse, entreprise par
+l'ingenieur, pouvait-elle donner la raison d'une si longue absence ?
+Non, evidemment.
+
+Ainsi, du moins, le pensa Sir W. Elphiston. Apres avoir minutieusement
+inspecte le cottage, il fut tres embarrasse sur ce qu'il convenait de
+faire.
+
+L'obscurite etait profonde. L'eclat des lampes, balancees aux mains des
+agents, etoilait seulement ces impenetrables tenebres.
+
+Soudain, Jack Ryan poussa un cri.
+
+<< La ! la ! >> dit-il.
+
+Et son doigt montrait une assez vive lueur, qui s'agitait dans l'obscur
+lointain de la galerie.
+
+<< Mes amis, courons sur ce feu ! repondit Sir W. Elphiston.
+
+-- Un feu de brawnie ! s'ecria Jack Ryan. A quoi bon ? Nous ne
+l'atteindrons jamais ! >>
+
+Le president de Royal Institution et les agents, peu enclins a la
+credulite, s'elancerent dans la direction indiquee par la lueur
+mouvante. Jack Ryan, prenant bravement son parti, ne resta pas le
+dernier en route.
+
+Ce fut une longue et fatigante poursuite. Le falot lumineux semblait
+porte par un etre de petite taille, mais singulierement agile. A chaque
+instant, cet etre disparaissait derriere quelque remblai; puis, on le
+revoyait au fond d'une galerie transversale. De rapides crochets le
+mettaient ensuite hors de vue. Il semblait avoir definitivement
+disparu, et, soudain, la lueur de son falot jetait de nouveau un vif
+eclat. En somme, on gagnait peu sur lui, et Jack Ryan persistait a
+croire, non sans raison, qu'on ne l'atteindrait pas.
+
+Pendant une heure de cette inutile poursuite, Sir W. Elphiston et ses
+compagnons s'enfoncerent dans la portion sud-ouest de la fosse Dochart.
+Ils en arrivaient, eux aussi, a se demander s'ils n'avaient pas affaire
+a quelque follet insaisissable.
+
+A ce moment, cependant, il sembla que la distance commencait a diminuer
+entre le follet et ceux qui cherchaient a l'atteindre. Etait-ce fatigue
+de l'etre quelconque qui fuyait, ou cet etre voulait-il attirer Sir W.
+Elphiston et ses compagnons la ou les habitants du cottage avaient
+peut-etre ete attires eux-memes ? Il eut ete malaise de resoudre la
+question.
+
+Toutefois, les agents, voyant s'amoindrir cette distance redoublerent
+leurs efforts. La lueur, qui avait toujours brille a plus de deux cents
+pas en avant d'eux, se tenait maintenant a moins de cinquante. Cet
+intervalle diminua encore. Le porteur du falot devint plus visible.
+Quelquefois, lorsqu'il retournait la tete, on pouvait reconnaitre le
+vague profil d'une figure humaine, et, a moins qu'un lutin n'eut pris
+cette forme, Jack Ryan etait force de convenir qu'il ne s'agissait
+point la d'un etre surnaturel.
+
+Et alors, tout en courant plus vite :
+
+<< Hardi, camarades ! criait-il. Il se fatigue ! Nous l'atteindrons
+bientot, et, s'il parle aussi bien qu'il detale, il pourra nous en dire
+long ! >>
+
+Cependant, la poursuite devenait plus difficile alors. En effet, au
+milieu des dernieres profondeurs de la fosse, d'etroits tunnels
+s'entrecroisaient comme les allees d'un labyrinthe. Dans ce dedale, le
+porteur du falot pouvait aisement echapper aux agents.
+
+Il lui suffisait d'eteindre sa lanterne et de se jeter de cote au fond
+de quelque refuge obscur.
+
+<< Et, au fait, pensait Sir W. Elphiston, s'il veut nous echapper,
+pourquoi ne le fait-il pas ? >>
+
+Cet etre insaisissable ne l'avait pas fait jusqu'alors; mais, au moment
+ou cette pensee traversait l'esprit de Sir W. Elphiston, la lueur
+disparut subitement, et les agents, continuant leur poursuite,
+arriverent presque aussitot devant une etroite ouverture que les roches
+schisteuses laissaient entre elles, a l'extremite d'un etroit boyau.
+
+S'y glisser, apres avoir ravive leurs lampes, s'elancer a travers cet
+orifice qui s'ouvrait devant eux, ce fut pour Sir W. Elphiston, Jack
+Ryan et leurs compagnons l'affaire d'un instant.
+
+Mais ils n'avaient pas fait cent pas dans une nouvelle galerie, plus
+large et plus haute, qu'ils s'arretaient soudain.
+
+La, pres de la paroi, quatre corps etaient etendus sur le sol, quatre
+cadavres peut-etre !
+
+<< James Starr ! dit Sir W. Elphiston.
+
+-- Harry ! Harry ! >> s'ecria Jack Ryan, en se precipitant sur le corps
+de son camarade.
+
+C'etaient, en effet, l'ingenieur, Madge, Simon et Harry Ford, qui
+etaient etendus la, sans mouvement.
+
+Mais, alors, l'un de ces corps se redressa, et l'on entendit la voix
+epuisee de la vieille Madge murmurer ces mots :
+
+<< Eux ! eux, d'abord ! >>
+
+Sir W. Elphiston, Jack Ryan, les agents, essayerent de ranimer
+l'ingenieur et ses compagnons, en leur faisant avaler quelques gouttes
+de cordial. Ils y reussirent presque aussitot. Ces infortunes,
+sequestres depuis dix jours dans la Nouvelle-Aberfoyle, mouraient
+d'inanition.
+
+Et, s'ils n'avaient pas succombe pendant ce long emprisonnement --
+James Starr l'apprit a Sir W. Elphiston --, c'est que trois fois ils
+avaient trouve pres d'eux un pain et une cruche d'eau ! Sans doute,
+l'etre secourable auquel ils devaient de vivre encore n'avait pas pu
+faire davantage !...
+
+Sir W. Elphiston se demanda si ce n'etait pas la l'&oelig;uvre de cet
+insaisissable follet qui venait de les attirer precisement a l'endroit
+ou gisaient James Starr et ses compagnons.
+
+Quoi qu'il en soit, l'ingenieur, Madge, Simon et Harry Ford etaient
+sauves. Ils furent reconduits au cottage, en repassant par l'etroite
+issue que le porteur du falot semblait avoir voulu indiquer a Sir W.
+Elphiston.
+
+Et si James Starr et ses compagnons n'avaient pu retrouver l'orifice de
+la galerie que leur avait ouvert la dynamite, c'est que cet orifice
+avait ete solidement bouche au moyen de roches superposees, que, dans
+cette profonde obscurite, ils n'avaient pu ni reconnaitre ni disjoindre.
+
+Ainsi donc, pendant qu'ils exploraient la vaste crypte, toute
+communication avait ete volontairement fermee par une main ennemie
+entre l'ancienne et la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XIII
+
+ Coal-city
+
+Trois ans apres les evenements qui viennent d'etre racontes, les Guides
+Joanne ou Murray recommandaient, << comme grande attraction >>, aux
+nombreux touristes qui parcouraient le comte de Stirling, une visite de
+quelques heures aux houilleres de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Aucune mine, en n'importe quel pays du nouveau ou de l'ancien monde, ne
+presentait un plus curieux aspect.
+
+Tout d'abord, le visiteur etait transporte sans danger ni fatigue
+jusqu'au sol de l'exploitation, a quinze cents pieds au-dessous de la
+surface du comte.
+
+En effet, a sept milles, dans le sud-ouest de Callander, un tunnel
+oblique, decore d'une entree monumentale, avec tourelles, creneaux et
+machicoulis, affleurait le sol. Ce tunnel, a pente douce, largement
+evide, venait aboutir directement a cette crypte si singulierement
+creusee dans le massif du sol ecossais.
+
+Un double railway, dont les wagons etaient mus par une force
+hydraulique, desservait, d'heure en heure, le village qui s'etait fonde
+dans le sous-sol du comte, sous le nom un peu ambitieux peut-etre de <<
+Coal-city >>, c'est-a-dire la Cite du Charbon.
+
+Le visiteur, arrive a Coal-city, se trouvait dans un milieu ou
+l'electricite jouait un role de premier ordre, comme agent de chaleur
+et de lumiere.
+
+En effet, les puits d'aeration, quoiqu'ils fussent nombreux, n'auraient
+pas pu meler assez de jour a l'obscurite profonde de la
+Nouvelle-Aberfoyle. Cependant, une lumiere intense emplissait ce sombre
+milieu, ou de nombreux disques electriques remplacaient le disque
+solaire. Suspendus sous l'intrados des voutes, accroches aux piliers
+naturels, tous alimentes par des courants continus que produisaient des
+machines electromagnetiques -- les uns soleils, les autres etoiles -,
+ils eclairaient largement ce domaine. Lorsque l'heure du repos
+arrivait, un interrupteur suffisait a produire artificiellement la nuit
+dans ces profonds abimes de la houillere.
+
+Tous ces appareils, grands ou petits, fonctionnaient dans le vide,
+c'est-a-dire que leurs arcs lumineux ne communiquaient aucunement avec
+l'air ambiant. Si bien que, pour le cas ou l'atmosphere eut ete
+melangee de grisou dans une proportion detonante, aucune explosion
+n'eut ete a craindre. Aussi l'agent electrique etait-il invariablement
+employe a tous les besoins de la vie industrielle et de la vie
+domestique, aussi bien dans les maisons de Coal-city que dans les
+galeries exploitees de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Il faut dire, avant tout, que les previsions de l'ingenieur James Starr
+-- en ce qui concernait l'exploitation de la nouvelle houillere --
+n'avaient point ete decues. La richesse des filons carboniferes etait
+incalculable. C'etait dans l'ouest de la crypte, a un quart de mille de
+Coal-city, que les premieres veines avaient ete attaquees par le pic
+des mineurs. La cite ouvriere n'occupait donc pas le centre de
+l'exploitation. Les travaux du fond etaient directement relies aux
+travaux du jour par les puits d'aeration et d'extraction, qui mettaient
+les divers etages de la mine en communication avec le sol. Le grand
+tunnel, ou fonctionnait le railway a traction hydraulique, ne servait
+qu'au transport des habitants de Coal-city.
+
+On se rappelle quelle etait la singuliere conformation de cette vaste
+caverne, ou le vieil overman et ses compagnons s'etaient arretes
+pendant leur premiere exploration. La, au-dessus de leur tete,
+s'arrondissait un dome de courbure ogivale. Les piliers qui le
+soutenaient allaient se perdre dans la voute de schiste, a une hauteur
+de trois cents pieds, -- hauteur presque egale a celle du <<
+Mammouth-Dome >>, des grottes du Kentucky.
+
+On sait que cette enorme halle -- la plus grande de tout l'hypogee
+americain -- peut aisement contenir cinq mille personnes. Dans cette
+partie de la Nouvelle-Aberfoyle, c'etait meme proportion et aussi meme
+disposition. Mais, au lieu des admirables stalactites de la celebre
+grotte, le regard s'accrochait ici a des intumescences de filons
+carboniferes, qui semblaient jaillir de toutes les parois sous la
+pression des failles schisteuses. On eut dit des rondes-bosses de jais
+dont les paillettes s'allumaient sous le rayonnement des disques.
+
+Au-dessous de ce dome s'etendait un lac comparable pour son etendue a
+la mer Morte des << Mammouth-Caves >>, -- lac profond dont les eaux
+transparentes fourmillaient de poissons sans yeux, et auquel
+l'ingenieur donna le nom de lac Malcolm.
+
+C'etait la, dans cette immense excavation naturelle, que Simon Ford
+avait bati son nouveau cottage, et il ne l'eut pas echange pour le plus
+bel hotel de Princes-street, a Edimbourg. Cette habitation etait situee
+au bord du lac, et ses cinq fenetres s'ouvraient sur les eaux sombres,
+qui s'etendaient au-dela de la limite du regard.
+
+Deux mois apres, une seconde habitation s'etait elevee dans le
+voisinage du cottage de Simon Ford. Ce fut celle de James Starr.
+L'ingenieur s'etait donne corps et ame a la Nouvelle-Aberfoyle. Il
+avait, lui aussi, voulu l'habiter, et il fallait que ses affaires l'y
+obligeassent imperieusement pour qu'il consentit a remonter au dehors.
+La, en effet, il vivait au milieu de son monde de mineurs.
+
+Depuis la decouverte des nouveaux gisements, tous les ouvriers de
+l'ancienne houillere s'etaient hates d'abandonner la charme et la herse
+pour reprendre le pic ou la pioche. Attires par la certitude que le
+travail ne leur manquerait jamais, alleches par les hauts prix que la
+prosperite de l'exploitation allait permettre d'affecter a la
+main-d'&oelig;uvre, ils avaient abandonne le dessus du sol pour le
+dessous, et s'etaient loges dans la houillere, qui, par sa disposition
+naturelle, se pretait a cette installation.
+
+Ces maisons de mineurs, construites en briques, s'etaient peu a peu
+disposees d'une facon pittoresque, les unes sur les rives du lac
+Malcolm, les autres sous ces arceaux, qui semblaient faits pour
+resister a la poussee des voutes comme les contreforts d'une
+cathedrale. Piqueurs qui abattent la roche, rouleurs qui transportent
+le charbon, conducteurs de travaux, boiseurs qui etanconnent les
+galeries, cantonniers auxquels est confiee la reparation des voies,
+remblayeurs qui substituent la pierre a la houille dans les parties
+exploitees, tous ces ouvriers enfin, qui sont plus specialement
+employes aux travaux du fond, fixerent leur domicile dans la
+Nouvelle-Aberfoyle et fonderent peu a peu Coal-city, situee sous la
+pointe orientale du lac Katrine, dans le nord du comte de Stirling.
+
+C'etait donc une sorte de village flamand, qui s'etait eleve sur les
+bords du lac Malcolm. Une chapelle, erigee sous l'invocation de
+Saint-Gilles, dominait tout cet ensemble du haut d'un enorme rocher,
+dont le pied se baignait dans les eaux de cette mer subterraneenne.
+
+Lorsque ce bourg souterrain s'eclairait des vifs rayons projetes par
+les disques, suspendus aux piliers du dome ou aux arceaux des
+contre-nefs, il se presentait sous un aspect quelque peu fantastique,
+d'un effet etrange, qui justifiait la recommandation des Guides Murray
+ou Joanne. C'est pourquoi les visiteurs affluaient.
+
+Si les habitants de Coal-city se montraient fiers de leur installation,
+cela va sans dire. Aussi ne quittaient-ils que rarement la cite
+ouvriere, imitant en cela Simon Ford, qui, lui, n'en voulait jamais
+sortir. Le vieil overman pretendait qu'il pleuvait toujours << la-haut
+>>, et, etant donne le climat du Royaume-Uni, il faut convenir qu'il
+n'avait pas absolument tort. Les familles de la Nouvelle-Aberfoyle
+prosperaient donc. Depuis trois ans, elles etaient arrivees a une
+certaine aisance, qu'elles n'eussent jamais obtenue a la surface du
+comte. Bien des bebes, qui etaient nes a l'epoque ou les travaux furent
+repris, n'avaient encore jamais respire l'air exterieur.
+
+Ce qui faisait dire a Jack Ryan :
+
+<< Voila dix-huit mois qu'ils ont cesse de teter leurs meres, et,
+pourtant, ils n'ont pas encore vu le jour ! >> Il faut noter, a ce
+propos, qu'un des premiers accourus a l'appel de l'ingenieur avait ete
+Jack Ryan. Ce joyeux compagnon s'etait fait un devoir de reprendre son
+ancien metier. La ferme de Melrose avait donc perdu son chanteur et son
+piper ordinaire. Mais ce n'est pas dire que Jack Ryan ne chantait plus.
+Au contraire, et les echos sonores de la Nouvelle-Aberfoyle usaient
+leurs poumons de pierre a lui repondre.
+
+Jack Ryan s'etait installe au nouveau cottage de Simon Ford. On lui
+avait offert une chambre qu'il avait acceptee sans facon, en homme
+simple et franc qu'il etait. La vieille Madge l'aimait pour son bon
+caractere et sa belle humeur. Elle partageait tant soit peu ses idees
+au sujet des etres fantastiques qui devaient hanter la houillere, et,
+tous deux, quand ils etaient seuls, se racontaient des histoires a
+faire fremir, histoires bien dignes d'enrichir la mythologie
+hyperboreenne.
+
+Jack Ryan devint ainsi la joie du cottage. C'etait, d'ailleurs, un bon
+sujet, un solide ouvrier. Six mois apres la reprise des travaux, il
+etait chef d'une brigade des travaux du fond.
+
+<< Voila qui est bien travaille, monsieur Ford, disait-il, quelques
+jours apres son installation. vous avez trouve un nouveau filon, et, si
+vous avez failli payer de votre vie cette decouverte, eh bien, ce n'est
+pas trop cher !
+
+-- Non, Jack, c'est meme un bon marche que nous avons fait la !
+repondit le vieil overman. Mais ni M. Starr, ni moi, nous n'oublierons
+que c'est a toi que nous devons la vie !
+
+-- Mais non, reprit Jack Ryan. C'est a votre fils Harry, puisqu'il a eu
+la bonne pensee d'accepter mon invitation pour la fete d'Irvine...
+
+-- Et de n'y point aller, n'est-ce pas ? repliqua Harry, en serrant la
+main de son camarade. Non, Jack, c'est a toi, a peine remis de tes
+blessures, a toi, qui n'as perdu ni un jour, ni une heure, que nous
+devons d'avoir ete retrouves vivants dans la houillere !
+
+-- Eh bien, non ! riposta l'entete garcon. Je ne laisserai pas dire des
+choses qui ne sont point ! J'ai pu faire diligence pour savoir ce que
+tu etais devenu, Harry, et voila tout. Mais, afin de rendre a chacun ce
+qui lui est du, j'ajouterai que sans cet insaisissable lutin...
+
+-- Ah ! nous y voila ! s'ecria Simon Ford. Un lutin !
+
+-- Un lutin, un brawnie, un fils de fee, repeta Jack Ryan, un
+petit-fils des Dames de feu, un Urisk, ce que vous voudrez enfin ! Il
+n'en est pas moins certain que, sans lui, nous n'aurions jamais penetre
+dans la galerie, d'ou vous ne pouviez plus sortir !
+
+-- Sans doute, Jack, repondit Harry. Il reste a savoir si cet etre est
+aussi surnaturel que tu veux le croire.
+
+-- Surnaturel ! s'ecria Jack Ryan. Mais il est aussi surnaturel qu'un
+follet, qu'on verrait courir son falot a la main, qu'on voudrait
+attraper, qui vous echapperait comme un sylphe, qui s'evanouirait comme
+une ombre ! Sois tranquille, Harry, on le reverra un jour ou l'autre !
+
+-- Eh bien, Jack, dit Simon Ford, follet ou non, nous chercherons a le
+retrouver, et il faudra que tu nous aides a cela.
+
+-- Vous vous ferez la une mauvaise affaire, monsieur Ford ! repondit
+Jack Ryan.
+
+-- Bon ! laisse venir, Jack ! >>
+
+On se figure aisement combien ce domaine de la Nouvelle Aberfoyle
+devint bientot familier aux membres de la famille Ford, et plus
+particulierement a Harry. Celui-ci apprit a en connaitre les plus
+secrets detours. Il en arriva meme a pouvoir dire a quel point de la
+surface du sol correspondait tel ou tel point de la houillere. Il
+savait qu'au-dessus de cette couche se developpait le golfe de Clyde,
+que la s'etendait le lac Lomond ou le lac Katrine. Ces piliers, c'etait
+un contrefort des monts Grampians qu'ils supportaient. Cette voute,
+elle servait de soubassement a Dumbarton. Au-dessus de ce large etang
+passait le railway de Balloch. La finissait le littoral ecossais. La
+commencait la mer, dont on entendait distinctement les fracas, pendant
+les grandes tourmentes de l'equinoxe. Harry eut ete un merveilleux <<
+leader >> de ces catacombes naturelles, et, ce que font les guides des
+Alpes sur les sommets neigeux, en pleine lumiere, il l'eut fait dans la
+houillere, en pleine ombre, avec une incomparable surete d'instinct.
+
+Aussi l'aimait-il, cette Nouvelle-Aberfoyle ! Que de fois, sa lampe au
+chapeau, il s'aventurait jusque dans ses plus extremes profondeurs ! Il
+explorait ses etangs sur un canot qu'il man&oelig;uvrait adroitement.
+Il chassait meme, car de nombreux oiseaux sauvages s'etaient introduits
+dans la crypte, pilets, becassines, macreuses, qui se nourrissaient des
+poissons dont fourmillaient ces eaux noires. Il semblait que les yeux
+d'Harry fussent faits aux espaces sombres, comme les yeux d'un marin
+aux horizons eloignes.
+
+Mais, courant ainsi, Harry etait comme irresistiblement entraine par
+l'espoir de retrouver l'etre mysterieux, dont l'intervention, pour dire
+le vrai, l'avait sauve plus que toute autre, et les siens avec lui.
+Reussirait-il ? Oui, a n'en pas douter, s'il en croyait ses
+pressentiments. Non, s'il fallait conclure du peu de succes que ses
+recherches avaient obtenu jusqu'alors.
+
+Quant aux attaques dirigees contre la famille du vieil overman, avant
+la decouverte de la Nouvelle-Aberfoyle, elles ne s'etaient pas
+renouvelees.
+
+Ainsi allaient les choses dans cet etrange domaine.
+
+Il ne faudrait pas s'imaginer que, meme a l'epoque ou les lineaments de
+Coal-city se dessinaient a peine, toute distraction fut ecartee de la
+souterraine cite, et que l'existence y fut monotone.
+
+Il n'en etait rien. Cette population, ayant memes interets, memes
+gouts, a peu pres meme somme d'aisance, constituait, a vrai dire, une
+grande famille. On se connaissait, on se coudoyait, et le besoin
+d'aller chercher quelques plaisirs au-dehors se faisait peu sentir.
+
+D'ailleurs, chaque dimanche, promenades dans la houillere, excursions
+sur les lacs et les etangs, c'etaient autant d'agreables distractions.
+
+Souvent aussi, on entendait les sons de la cornemuse retentir sur les
+bords du lac Malcolm. Les Ecossais accouraient a l'appel de leur
+instrument national. On dansait, et ce jour-la, Jack Ryan, revetu de
+son costume de Highlander, etait le roi de la fete.
+
+Enfin, de tout cela il resultait, au dire de Simon Ford, que Coal-city
+pouvait deja se poser en rivale de la capitale de l'Ecosse, de cette
+cite soumise aux froids de l'hiver, aux chaleurs de l'ete, aux
+intemperies d'un climat detestable, et qui, dans une atmosphere
+encrassee de la fumee de ses usines, justifiait trop justement son
+surnom de << Vieille-Enfumee >>.
+
+ XIV
+
+ Suspendu a un fil
+
+Dans de telles conditions, ses plus chers desirs satisfaits, la famille
+de Simon Ford etait heureuse. Cependant, on eut pu observer qu'Harry,
+deja d'un caractere un peu sombre, etait de plus en plus << en dedans >>,
+comme disait Madge. Jack Ryan, malgre sa bonne humeur si communicative,
+ne parvenait pas a le mettre << en dehors >>.
+
+Un dimanche -- c'etait au mois de juin --, les deux amis se promenaient
+sur les bords du lac Malcolm. Coal-city chomait. A l'exterieur, le
+temps etait orageux. De violentes pluies faisaient sortir de la terre
+une buee chaude. On ne respirait pas a la surface du comte.
+
+Au contraire, a Coal-city, calme absolu, temperature douce, ni pluie ni
+vent. Rien n'y transpirait de la lutte des elements du dehors. Aussi,
+un certain nombre de promeneurs de Stirling et des environs etaient-ils
+venus chercher un peu de fraicheur dans les profondeurs de la houillere.
+
+Les disques electriques jetaient un eclat qu'eut certainement envie le
+soleil britannique, plus embrume qu'il ne convient a un soleil des
+dimanches.
+
+Jack Ryan faisait remarquer ce tumultueux concours de visiteurs a son
+camarade Harry. Mais celui-ci ne semblait preter a ses paroles qu'une
+mediocre attention.
+
+<< Regarde donc, Harry ! s'ecriait Jack Ryan. Quel empressement a venir
+nous voir. ! Allons, mon camarade ! Chasse un peu tes idees tristes
+pour mieux faire les honneurs de notre domaine ! Tu donnerais a penser,
+a tous ces gens du dessus, que l'on peut envier leur sort !
+
+-- Jack, repondit Harry, ne t'occupe pas de moi ! Tu es gai pour deux,
+et cela suffit !
+
+-- Que le vieux Nick m'emporte ! riposta Jack Ryan, si ta melancolie ne
+finit pas par deteindre sur moi ! Mes yeux se rembrunissent, mes levres
+se resserrent, le rire me reste au fond du gosier, la memoire des
+chansons m'abandonne ! voyons, Harry, qu'as-tu ?
+
+-- Tu le sais, Jack.
+
+-- Toujours cette pensee ?...
+
+-- Toujours.
+
+-- Ah ! mon pauvre Harry ! repondit Jack Ryan en haussant les epaules,
+si, comme moi, tu mettais tout cela sur le compte des lutins de la
+mine, tu aurais l'esprit plus tranquille !
+
+-- Tu sais bien, Jack, que les lutins n'existent que dans ton
+imagination, et que, depuis la reprise des travaux, on n'en a pas revu
+un seul dans la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+-- Soit, Harry ! mais, si les brawnies ne se montrent plus, il me
+semble que ceux auxquels tu veux rapporter toutes ces choses
+extraordinaires ne se montrent pas davantage !
+
+-- Je les retrouverai, Jack !
+
+-- Ah ! Harry ! Harry ! Les genies de la Nouvelle-Aberfoyle ne sont pas
+faciles a surprendre !
+
+-- Je les retrouverai, tes pretendus genies ! reprit Harry avec
+l'accent de la plus energique conviction.
+
+-- Ainsi, tu pretends punir ?...
+
+-- Punir et recompenser, Jack. Si une main nous a emprisonnes dans
+cette galerie, je n'oublie pas qu'une autre main nous a secourus ! Non
+! je ne l'oublie pas !
+
+-- Eh ! Harry ! repondit Jack Ryan, es-tu bien sur que ces deux
+mains-la n'appartiennent pas au meme corps ?
+
+-- Pourquoi, Jack ? D'ou peut te venir cette idee ?
+
+-- Dame... tu sais... Harry ! Ces etres, qui vivent dans les abimes...
+ne sont pas faits comme nous !
+
+-- Ils sont faits comme nous, Jack !
+
+-- Eh non ! Harry... non... D'ailleurs, ne peut-on supposer que quelque
+fou est parvenu a s'introduire...
+
+-- Un fou ! repondit Harry ! Un fou qui aurait une telle suite dans les
+idees ! Un fou, ce malfaiteur qui, depuis le jour ou il a rompu les
+echelles du puits Yarow, n'a cesse de nous faire du mal !
+
+-- Mais il n'en fait plus, Harry. Depuis trois ans, aucun acte
+malveillant n'a ete renouvele ni contre toi, ni contre les tiens !
+
+-- Il n'importe, Jack, repondit Harry. J'ai le pressentiment que cet
+etre mauvais, quel qu'il soit, n'a pas renonce a ses projets. Sur quoi
+je me fonde pour te parler ainsi, je ne pourrais le dire. Aussi, Jack,
+dans l'interet de la nouvelle exploitation, je veux savoir qui il est
+et d'ou il vient.
+
+-- Dans l'interet de la nouvelle exploitation ?... demanda Jack Ryan,
+assez etonne.
+
+-- Oui, Jack, reprit Harry. Je ne sais si je m'abuse, mais je vois dans
+toute cette affaire un interet contraire au notre. J'y ai souvent
+songe, et je ne crois pas me tromper. Rappelle-toi la serie de ces
+faits inexplicables, qui s'enchainent logiquement l'un a l'autre. Cette
+lettre anonyme, contradictoire de celle de mon pere, prouve, tout
+d'abord, qu'un homme a eu connaissance de nos projets et qu'il a voulu
+en empecher l'accomplissement. M. Starr vient nous rendre visite a la
+fosse Dochart. A peine l'y ai-je introduit, qu'une enorme pierre est
+lancee sur nous, et que toute communication est aussitot interrompue
+par la rupture des echelles du puits Yarow. Notre exploration commence.
+Une experience, qui doit reveler l'existence du nouveau gisement, est
+alors rendue impossible par l'obturation des fissures du schiste.
+Neanmoins, la constatation s'opere, le filon est trouve. Nous revenons
+sur nos pas. Un grand souffle se produit dans l'air. Notre lampe est
+brisee. L'obscurite se fait autour de nous. Nous parvenons, cependant,
+a suivre la sombre galerie... Plus d'issue pour en sortir. L'orifice
+etait bouche. Nous etions sequestres. Eh bien, Jack, ne vois-tu pas
+dans tout cela une pensee criminelle ? Oui ! un etre, insaisissable
+jusqu'ici, mais non pas surnaturel, comme tu persistes a le croire,
+etait cache dans la houillere. Dans un interet que je ne puis
+comprendre, il cherchait a nous en interdire l'acces. Il y etait !...
+Un pressentiment me dit qu'il y est encore, et qui sait s'il ne prepare
+pas quelque coup terrible ! -- Eh bien, Jack, dusse-je y risquer ma
+vie, je le decouvrirai ! >>
+
+Harry avait parle avec une conviction qui ebranla serieusement son
+camarade.
+
+Jack Ryan sentait bien qu'Harry avait raison, -- au moins pour le
+passe. Que ces faits extraordinaires eussent une cause naturelle ou
+surnaturelle, ils n'en etaient pas moins patents.
+
+Cependant, le brave garcon ne renoncait pas a sa maniere d'expliquer
+ces evenements. Mais, comprenant qu'Harry n'admettrait jamais
+l'intervention d'un genie mysterieux, il se rabattit sur l'incident qui
+semblait inconciliable avec le sentiment de malveillance dirigee contre
+la famille Ford.
+
+<< Eh bien, Harry, dit-il, si je suis oblige de te donner raison sur un
+certain nombre de points, ne penseras-tu pas avec moi que quelque
+bienfaisant brawnie, en vous apportant le pain et l'eau, a pu vous
+sauver de...
+
+-- Jack, repondit Harry en l'interrompant, l'etre secourable dont tu
+veux faire un etre surnaturel existe aussi reellement que le malfaiteur
+en question, et, tous deux, je les chercherai jusque dans les plus
+lointaines profondeurs de la houillere.
+
+-- Mais as-tu quelque indice qui puisse guider tes recherches ? demanda
+Jack Ryan.
+
+-- Peut-etre, repondit Harry. Ecoute-moi bien. A cinq milles dans
+l'ouest de la Nouvelle-Aberfoyle, sous la portion du massif qui
+supporte le Lomond, il existe un puits naturel qui s'enfonce
+perpendiculairement dans les entrailles memes du gisement. Il y a huit
+jours, j'ai voulu en sonder la profondeur. Or, pendant que ma sonde
+descendait, alors que j'etais penche sur l'orifice de ce puits, il m'a
+semble que l'air s'agitait a l'interieur, comme s'il eut ete battu de
+grands coups d'ailes.
+
+-- C'etait quelque oiseau egare dans les galeries inferieures de la
+houillere, repondit Jack.
+
+-- Ce n'est pas tout, Jack, reprit Harry. Ce matin meme, je suis
+retourne a ce puits, et la, pretant l'oreille, j'ai cru surprendre
+comme une sorte de gemissement...
+
+-- Un gemissement ! s'ecria Jack. Tu t'es trompe, Harry ! C'est une
+poussee d'air.., a moins qu'un lutin...
+
+-- Demain, Jack, reprit Harry, je saurai a quoi m'en tenir.
+
+-- Demain ? repondit Jack en regardant son camarade.
+
+-- Oui ! Demain, je descendrai dans cet abime.
+
+-- Harry, c'est tenter Dieu, cela !
+
+-- Non, Jack, car j'implorerai son aide pour y descendre. Demain, nous
+nous rendrons tous deux a ce puits avec quelques-uns de nos camarades.
+Une longue corde, a laquelle je m'attacherai, vous permettra de me
+descendre et de me retirer a un signal convenu. -- Je puis compter sur
+toi, Jack ?
+
+-- Harry, repondit Jack Ryan en hochant la tete, je ferai ce que tu me
+demandes, et cependant, je te le repete, tu as tort.
+
+-- Mieux vaut avoir tort de faire que remords de n'avoir pas fait, dit
+Harry d'un ton decide. Donc, demain matin, a six heures, et silence !
+Adieu, Jack ! >>
+
+Et, pour ne pas continuer une conversation dans laquelle Jack Ryan eut
+encore essaye de combattre ses projets, Harry quitta brusquement son
+camarade et rentra au cottage.
+
+Il faut, cependant, convenir que les apprehensions de Jack n'etaient
+point exagerees. Si quelque ennemi personnel menacait Harry, s'il se
+trouvait au fond de ce puits ou le jeune mineur allait le chercher,
+Harry s'exposait. Cependant, quelle vraisemblance d'admettre qu'il en
+fut ainsi ?
+
+<< Et, au surplus, repetait Jack Ryan, pourquoi se donner tant de mal
+pour expliquer une serie de faits, qui s'expliquaient si aisement par
+une intervention surnaturelle des genies de la mine ? >>
+
+Quoi qu'il en soit, le lendemain, Jack Ryan et trois mineurs de sa
+brigade arrivaient en compagnie d'Harry a l'orifice du puits suspect.
+
+Harry n'avait rien dit de son projet, ni a James Starr, ni au vieil
+overman. De son cote, Jack Ryan avait ete assez discret pour ne point
+parler. Les autres mineurs, en les voyant partir, avaient pense qu'il
+ne s'agissait la que d'une simple exploration du gisement suivant sa
+coupe verticale.
+
+Harry s'etait muni d'une longue corde, mesurant deux cents pieds. Cette
+corde n'etait pas grosse, mais elle etait solide. Harry ne devant ni
+descendre ni remonter a la force des poignets, il suffisait que la
+corde fut assez forte pour supporter son poids. C'etait a ses
+compagnons qu'incomberait la tache de le laisser glisser dans le
+gouffre, a eux de l'en retirer. Une secousse, imprimee a la corde,
+servirait de signal entre eux et lui.
+
+Le puits etait assez large, ayant douze pieds de diametre a son
+orifice. Une poutre fut placee en travers, comme un pont, de maniere
+que la corde, en glissant a sa surface, put se maintenir dans l'axe du
+puits. Precaution indispensable a prendre pour qu'Harry ne fut pas
+heurte, pendant la descente, aux parois laterales.
+
+Harry etait pret.
+
+<< Tu persistes dans ton projet d'explorer cet abime ? lui demanda Jack
+Ryan a voix basse.
+
+-- Oui, Jack >>, repondit Harry.
+
+La corde fut d'abord attachee autour des reins d'Harry, puis sous ses
+aisselles, afin que son corps ne put basculer.
+
+Ainsi maintenu, Harry etait libre de ses deux mains. A sa ceinture, il
+suspendit une lampe de surete, a son cote, un de ces larges couteaux
+ecossais qui sont engaines dans un fourreau de cuir.
+
+Harry s'avanca jusqu'au milieu de la poutre, autour de laquelle la
+corde fut passee.
+
+Puis, ses compagnons le laissant glisser, il s'enfonca lentement dans
+le puits. Comme la corde subissait un leger mouvement de rotation, la
+lueur de sa lampe se portait successivement sur chaque point des
+parois, et Harry put les examiner avec soin.
+
+Ces parois etaient faites de schiste houiller. Elles etaient assez
+lisses pour qu'il fut impossible de se hisser a leur surface.
+
+Harry calcula qu'il descendait avec une vitesse moderee, environ un
+pied par seconde. Il avait donc possibilite de bien voir, facilite de
+se tenir pret a tout evenement.
+
+Au bout de deux minutes, c'est-a-dire a une profondeur de cent vingt
+pieds a peu pres, la descente s'etait operee sans incident. Il
+n'existait aucune galerie laterale dans la paroi du puits, lequel
+s'etranglait peu a peu, en forme d'entonnoir. Mais Harry commencait a
+sentir un air plus frais, qui venait d'en bas, -- d'ou il conclut que
+l'extremite inferieure du puits communiquait avec quelque boyau de
+l'etage inferieur de la crypte.
+
+La corde glissait toujours. L'obscurite etait absolue. Le silence,
+absolu aussi. Si un etre vivant, quel qu'il fut, avait cherche refuge
+dans ce mysterieux et profond abime, ou il n'y etait pas alors, ou
+aucun mouvement ne trahissait sa presence.
+
+Harry, plus defiant a mesure qu'il descendait, avait tire le couteau de
+sa gaine, et il le tenait de sa main droite.
+
+A une profondeur de cent quatre-vingts pieds, Harry sentit qu'il avait
+atteint le sol inferieur, car la corde mollit et ne se deroula plus.
+Harry respira un instant. Une des craintes qu'il avait pu concevoir ne
+s'etait pas realisee, c'est-a-dire que, pendant sa descente, la corde
+ne fut coupee au-dessus de lui. Il n'avait, d'ailleurs, remarque aucune
+anfractuosite dans les parois qui put receler un etre quelconque.
+
+L'extremite inferieure du puits etait fort retrecie.
+
+Harry, detachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne
+s'etait pas trompe dans ses conjectures.
+
+Un etroit boyau s'enfoncait lateralement dans l'etage inferieur du
+gisement. Il eut fallu se courber pour y penetrer, et se trainer sur
+les mains pour le suivre.
+
+Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si
+elle aboutissait a quelque abime.
+
+Il se coucha sur le sol et commenca a ramper. Mais un obstacle l'arreta
+presque aussitot.
+
+Il crut sentir au toucher que cet obstacle etait un corps qui obstruait
+le passage.
+
+Harry recula, d'abord, par un vif sentiment de repulsion, puis il
+revint.
+
+Ses sens ne l'avaient pas trompe. Ce qui l'avait arrete, c'etait, en
+effet, un corps. Il le saisit, et se rendit compte que, glace aux
+extremites, il n'etait pas encore refroidi tout a fait.
+
+L'attirer a soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la
+lumiere de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu'il ne faut a le
+dire.
+
+<< Un enfant ! >> s'ecria Harry.
+
+L'enfant, retrouve au fond de cet abime, respirait encore, mais son
+souffle etait si faible qu'Harry put croire qu'il allait cesser. Il
+fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite
+creature a l'orifice du puits, et la conduire au cottage, ou Madge lui
+prodiguerait ses soins.
+
+Harry, oubliant toute autre preoccupation, rajusta la corde a sa
+ceinture, y attacha sa lampe, prit l'enfant qu'il soutint de son bras
+gauche contre sa poitrine, et, gardant son bras droit libre et arme, il
+fit le signal convenu, afin que la corde fut halee doucement.
+
+La corde se tendit, et la remontee commenca a s'operer regulierement.
+
+Harry regardait autour de lui avec un redoublement d'attention. Il
+n'etait plus seul expose, maintenant.
+
+Tout alla bien pendant les premieres minutes de l'ascension, aucun
+incident ne semblait devoir survenir, lorsque Harry crut entendre un
+souffle puissant qui deplacait les couches d'air dans les profondeurs
+du puits. Il regarda au-dessous de lui et apercut, dans la penombre,
+une masse, qui, s'elevant peu a peu, le frola en passant.
+
+C'etait un enorme oiseau, dont il ne put reconnaitre l'espece, et qui
+montait a grands coups d'ailes.
+
+Le monstrueux volatile s'arreta, plana un instant, puis fondit sur
+Harry avec un acharnement feroce.
+
+Harry n'avait que son bras droit dont il put faire usage pour parer les
+coups du formidable bec de l'animal.
+
+Harry se defendit donc, tout en protegeant l'enfant du mieux qu'il put.
+Mais ce n'etait pas a l'enfant, c'etait a lui que l'oiseau s'attaquait.
+Gene par la rotation de la corde, il ne parvenait pas a le frapper
+mortellement.
+
+La lutte se prolongeait. Harry cria de toute la force de ses poumons,
+esperant que ses cris seraient entendus d'en haut.
+
+C'est ce qui arriva, car la corde fut aussitot halee plus vite.
+
+Il restait encore une hauteur de quatre-vingts pieds a franchir.
+L'oiseau se jeta plus violemment alors sur Harry. Celui-ci, d'un coup
+de son couteau, le blessa a l'aile; l'oiseau, poussant un cri rauque,
+disparut dans les profondeurs du puits.
+
+Mais, circonstance terrible, Harry, en brandissant son couteau pour
+frapper l'oiseau, avait entame la corde, dont un toron etait maintenant
+coupe.
+
+Les cheveux d'Harry se dresserent sur sa tete.
+
+La corde cedait peu a peu, a plus de cent pieds au-dessus du fond de
+l'abime !...
+
+Harry poussa un cri desespere.
+
+Un second toron manqua sous le double fardeau que supportait la corde a
+demi tranchee.
+
+Harry lacha son couteau, et, par un effort surhumain, au moment ou la
+corde allait se rompre, il parvint a la saisir de la main droite
+au-dessus de la section. Mais, bien que son poignet fut de fer, il
+sentit la corde glisser peu a peu entre ses doigts.
+
+Il aurait pu ressaisir cette corde a deux mains, en sacrifiant l'enfant
+qu'il soutenait d'un bras... Il n'y voulut meme pas penser.
+
+Cependant, Jack Ryan et ses compagnons, surexcites par les cris
+d'Harry, halaient plus vivement.
+
+Harry crut qu'il ne pourrait tenir bon jusqu'a ce qu'il fut remonte a
+l'orifice du puits. Sa face s'injecta. Il ferma un instant les yeux,
+s'attendant a tomber dans l'abime, puis il les rouvrit...
+
+Mais, au moment ou il allait lacher la corde, qu'il ne tenait plus que
+par son extremite, il fut saisi et depose sur le sol avec l'enfant.
+
+La reaction se fit alors, et Harry tomba sans connaissance entre les
+bras de ses camarades.
+
+ XV
+
+ Nell au cottage
+
+Deux heures apres, Harry, qui n'avait pas aussitot recouvre ses sens,
+et l'enfant, dont la faiblesse etait extreme, arrivaient au cottage
+avec l'aide de Jack Ryan et de ses compagnons.
+
+La, le recit de ces evenements fut fait au vieil overman, et Madge
+prodigua ses soins a la pauvre creature, que son fils venait de sauver.
+
+Harry avait cru retirer un enfant de l'abime... C'etait une jeune fille
+de quinze a seize ans, au plus. Son regard vague et plein d'etonnement,
+sa figure maigre, allongee par la souffrance, son teint de blonde que
+la lumiere ne semblait avoir jamais baigne, sa taille frele et petite,
+tout en faisait un etre a la fois bizarre et charmant. Jack Ryan, avec
+quelque raison, la compara a un farfadet d'aspect un peu surnaturel.
+Etait-ce du aux circonstances particulieres, au milieu exceptionnel
+dans lequel cette jeune fille avait peut-etre vecu jusqu'alors, mais
+elle paraissait n'appartenir qu'a demi a l'humanite. Sa physionomie
+etait etrange. Ses yeux, que l'eclat des lampes du cottage semblait
+fatiguer, regardaient confusement, comme si tout eut ete nouveau pour
+eux.
+
+A cet etre singulier, alors depose sur le lit de Madge et qui revint a
+la vie comme s'il sortait d'un long sommeil, la vieille Ecossaise
+adressa d'abord la parole :
+
+<< Comment te nommes-tu ? lui demanda-t-elle.
+
+-- Nell, repondit la jeune fille.
+
+-- Nell, reprit Madge, souffres-tu ?
+
+-- J'ai faim, repondit Nell. Je n'ai pas mange depuis... depuis... >>
+
+A ce peu de mots qu'elle venait de prononcer, on sentait que Nell
+n'etait pas habituee a parler. La langue dont elle se servait etait ce
+vieux gaelique, dont Simon Ford et les siens faisaient souvent usage.
+
+Sur la reponse de la jeune fille, Madge lui apporta aussitot quelques
+aliments. Nell se mourait de faim. Depuis quand etait elle au fond de
+ce puits ? on ne pouvait le dire.
+
+<< Combien de jours as-tu passes la-bas, ma fille ? >> demanda Madge.
+
+Nell ne repondit pas. Elle ne semblait pas comprendre la question qui
+lui etait faite.
+
+<< Depuis combien de jours ?... reprit Madge.
+
+-- Jours ?... >> repondit Nell, pour qui ce mot semblait etre depourvu
+de toute signification.
+
+Puis, elle secoua la tete comme une personne qui ne comprend pas ce
+qu'on lui demande.
+
+Madge avait pris la main de Nell et la caressait pour lui donner toute
+confiance :.
+
+<< Quel age as-tu, ma fille ? >> demanda-t-elle, en lui faisant de bons
+yeux, bien rassurants.
+
+Meme signe negatif de Nell.
+
+<< Oui, oui, reprit Madge, combien d'annees ?
+
+-- Annees ?... >> repondit Nell.
+
+Et ce mot, pas plus que le mot << jour >>, ne parut avoir de
+signification pour la jeune fille.
+
+Simon Ford, Harry, Jack Ryan et ses compagnons la regardaient avec un
+double sentiment de pitie et de sympathie. L'etat de ce pauvre etre,
+vetu d'une miserable cotte de grosse etoffe, etait bien fait pour les
+impressionner.
+
+Harry, plus que tout autre, se sentait irresistiblement attire par
+l'etrangete meme de Nell.
+
+Il s'approcha alors. Il prit dans sa main la main que Madge venait
+d'abandonner. Il regarda bien en face Nell, dont les levres ebaucherent
+une sorte de sourire, et il lui dit :
+
+<< Nell... la-bas.., dans la houillere... etais-tu seule ?
+
+-- Seule ! seule ! >> s'ecria la jeune fille en se redressant.
+
+Sa physionomie decelait alors l'epouvante. Ses yeux, qui s'etaient
+adoucis sous le regard du jeune homme, redevinrent sauvages.
+
+<< Seule ! seule ! >> repeta-t-elle, et elle retomba sur le lit de Madge,
+comme si les forces lui eussent manque tout a fait.
+
+<< Cette pauvre enfant est encore trop faible pour nous repondre, dit
+Madge, apres avoir recouche la jeune fille. Quelques heures de repos,
+un peu de bonne nourriture, lui rendront ses forces. Viens, Simon !
+viens, Harry ! venez tous, mes amis, et laissons faire le sommeil ! >>
+
+Sur le conseil de Madge, Nell fut laissee seule, et on put s'assurer,
+un instant apres, qu'elle dormait profondement.
+
+Cet evenement n'alla pas sans faire grand bruit, non seulement dans la
+houillere, mais aussi dans le comte de Stirling, et, peu apres, dans
+tout le Royaume-Uni. Le renom d'etrangete de Nell s'en accrut. On
+aurait trouve une jeune fille enfermee dans la roche schisteuse, comme
+un de ces etres antediluviens qu'un coup de pic delivre de leur gangue
+de pierre, que l'affaire n'eut pas eu plus d'eclat.
+
+Sans le savoir, Nell devint fort a la mode. Les gens superstitieux
+trouverent la un nouveau texte a leurs recits legendaires. Ils
+pensaient volontiers que Nell etait le genie de la Nouvelle Aberfoyle,
+et lorsque Jack Ryan le disait a son camarade Harry :
+
+<< Soit, repondait le jeune homme, pour conclure, soit, Jack ! Mais, en
+tout cas, c'est le bon genie ! C'est celui qui nous a secourus, qui
+nous a apporte le pain et l'eau, lorsque nous etions emprisonnes dans
+la houillere ! Ce ne peut etre que lui ! Quant au mauvais genie, s'il
+est reste dans la mine, il faudra bien que nous le decouvrions un jour
+! >>
+
+On le pense bien, l'ingenieur James Starr avait ete informe tout
+d'abord de ce qui s'etait passe.
+
+La jeune fille, ayant recouvre ses forces des le lendemain de son
+entree au cottage, fut interrogee par lui avec la plus grande
+sollicitude. Elle lui parut ignorer la plupart des choses de la vie.
+Cependant, elle etait intelligente, on le reconnut bientot, mais
+certaines notions elementaires lui manquaient : celle du temps, entre
+autres. On voyait qu'elle n'avait ete habituee a diviser le temps ni
+par heures, ni par jours, et que ces mots memes lui etaient inconnus.
+En outre, ses yeux, accoutumes a la nuit, se faisaient difficilement a
+l'eclat des disques electriques; mais, dans l'obscurite, son regard
+possedait une extraordinaire acuite, et sa pupille, largement dilatee,
+lui permettait de voir au milieu des plus profondes tenebres. Il fut
+aussi constant que son cerveau n'avait jamais recu les impressions du
+monde exterieur, que nul autre horizon que celui de la houillere ne
+s'etait developpe a ses yeux, que l'humanite tout entiere avait tenu
+pour elle dans cette sombre crypte. Savait-elle, cette pauvre fille,
+qu'il y eut un soleil et des etoiles, des villes et des campagnes, un
+univers dans lequel fourmillaient les mondes ? On devait en douter
+jusqu'au moment ou certains mots qu'elle ignorait encore prendraient
+dans son esprit une signification precise.
+
+Quant a la question de savoir si Nell vivait seule dans les profondeurs
+de la Nouvelle-Aberfoyle, James Starr dut renoncer a la resoudre. En
+effet, toute allusion a ce sujet jetait l'epouvante dans cette etrange
+nature. Ou bien Nell ne pouvait, ou elle ne voulait pas repondre; mais,
+certainement, il existait la quelque secret qu'elle eut pu devoiler.
+
+<< Veux-tu rester avec nous ? veux-tu retourner la ou tu etais ? >> lui
+avait demande James Starr.
+
+A la premiere de ces deux questions : << Oh oui ! >> avait dit la jeune
+fille. A la seconde, elle n'avait repondu que par un cri de terreur,
+mais rien de plus.
+
+Devant ce silence obstine, James Starr, et avec lui Simon et Harry
+Ford, ne laissaient pas d'eprouver une certaine apprehension. Ils ne
+pouvaient oublier les faits inexplicables qui avaient accompagne la
+decouverte de la houillere. Or, bien que depuis trois ans aucun nouvel
+incident ne se fut produit, ils s'attendaient toujours a quelque
+nouvelle agression de la part de leur invisible ennemi. Aussi
+voulurent-ils explorer le puits mysterieux. Ils le firent donc, bien
+armes et bien accompagnes. Mais ils n'y trouverent aucune trace
+suspecte. Le puits communiquait avec les etages inferieurs de la
+crypte, creuses dans la couche carbonifere.
+
+James Starr, Simon et Harry causaient souvent de ces choses. Si un ou
+plusieurs etres malfaisants etaient caches dans la houillere, s'ils
+preparaient quelques embuches, Nell aurait pu le dire peut-etre, mais
+elle ne parlait pas. La moindre allusion au passe de la jeune fille
+provoquait des crises, et il parut bon de ne point insister. Avec le
+temps, son secret lui echapperait sans doute.
+
+Quinze jours apres son arrivee au cottage, Nell etait l'aide la plus
+intelligente et la plus zelee de la vieille Madge. Evidemment, ne plus
+jamais quitter cette maison ou elle avait ete si charitablement
+accueillie, cela lui semblait tout naturel, et peut-etre meme ne
+s'imaginait-elle pas que desormais elle put vivre ailleurs. La famille
+Ford lui suffisait, et il va sans dire que, dans la pensee de ces
+braves gens, du moment que Nell etait entree au cottage, elle etait
+devenue leur enfant d'adoption.
+
+Nell etait charmante, en verite. Sa nouvelle existence l'embellissait.
+C'etaient sans doute les premiers jours heureux de sa vie. Elle se
+sentait pleine de reconnaissance pour ceux auxquels elle les devait.
+Madge s'etait pris pour Nell d'une sympathie toute maternelle. Le vieil
+overman en raffola bientot a son tour. Tous l'aimaient, d'ailleurs.
+L'ami Jack Ryan ne regrettait qu'une chose : c'etait de ne pas l'avoir
+sauvee lui-meme. Il venait souvent au cottage. Il chantait, et Nell,
+qui n'avait jamais entendu chanter, trouvait cela fort beau; mais on
+eut pu voir que la jeune fille preferait aux chansons de Jack Ryan les
+entretiens plus serieux d'Harry, qui, peu a peu, lui apprit ce qu'elle
+ignorait encore des choses du monde exterieur.
+
+Il faut dire que, depuis que Nell avait apparu sous sa forme naturelle,
+Jack Ryan s'etait vu force de convenir que sa croyance aux lutins
+faiblissait dans une certaine mesure. En outre, deux mois apres, sa
+credulite recut un nouveau coup.
+
+En effet, vers cette epoque, Harry fit une decouverte assez inattendue,
+mais qui expliquait en partie l'apparition des Dames de feu dans les
+ruines du chateau de Dundonald, a Irvine.
+
+Un jour, apres une longue exploration de la partie sud de la houillere
+-- exploration qui avait dure plusieurs jours a travers les dernieres
+galeries de cette enorme substruction --, Harry avait peniblement gravi
+une etroite galerie, evidee dans un ecartement de la roche schisteuse.
+Tout a coup, il fut tres surpris de se trouver en plein air. La
+galerie, apres avoir remonte obliquement vers la surface du sol,
+aboutissait precisement aux ruines de Dundonald Castle. Il y existait
+donc une communication secrete entre la Nouvelle-Aberfoyle et la
+colline que couronnait le vieux chateau. L'orifice superieur de cette
+galerie eut ete impossible a decouvrir exterieurement, tant il etait
+obstrue de pierres et de broussailles. Aussi, lors de l'enquete, les
+magistrats n'avaient-ils pu y penetrer.
+
+Quelques jours apres, James Starr, conduit par Harry, vint reconnaitre
+lui-meme cette disposition naturelle du gisement houiller.
+
+<< Voila, dit-il, de quoi convaincre les superstitieux de la mine.
+Adieu, les brawnies, les lutins et les Dames de feu !
+
+-- Je ne crois pas, monsieur Starr, repondit Harry, que nous ayons lieu
+de nous en feliciter ! Leurs remplacants ne valent pas mieux et peuvent
+etre pires, assurement !
+
+-- En effet, Harry, reprit l'ingenieur, mais qu'y faire ? Evidemment,
+les etres quelconques qui se cachent dans la mine, communiquent par
+cette galerie avec la surface du sol. Ce sont eux, sans doute, qui, la
+torche a la main, pendant cette nuit de tourmente, ont attire le Motala
+a la cote, et, comme les anciens pilleurs d'epaves, ils en eussent vole
+les debris, si Jack Ryan et ses compagnons ne se fussent pas trouves la
+! Quoi qu'il en soit, enfin, tout s'explique. Voila l'orifice du
+repaire ! Quant a ceux qui l'habitaient, l'habitent-ils encore ?
+
+-- Oui, puisque Nell tremble, lorsqu'on lui en parle ! repondit Harry
+avec conviction. Oui, puisque Nell ne veut pas ou n'ose pas en parler !
+>> Harry devait avoir raison. Si les mysterieux hotes de la houillere
+l'eussent abandonnee, ou s'ils etaient morts, quelle raison aurait eue
+la jeune fille de garder le silence ?
+
+Cependant, James Starr tenait absolument a penetrer ce secret. Il
+pressentait que l'avenir de la nouvelle exploitation pouvait en
+dependre. On prit donc de nouveau les plus severes precautions. Les
+magistrats furent prevenus. Des agents occuperent secretement les
+ruines de Dundonald-Castle. Harry lui-meme se cacha, pendant plusieurs
+nuits, au milieu des broussailles qui herissaient la colline. Peine
+inutile. On ne decouvrit rien. Nul etre humain n'apparut a travers
+l'orifice.
+
+On en arriva bientot a cette conclusion, que les malfaiteurs avaient du
+definitivement quitter la Nouvelle-Aberfoyle, et que, quant a Nell, ils
+la croyaient morte au fond de ce puits ou ils l'avaient abandonnee.
+Avant l'exploitation, la houillere pouvait leur offrir un refuge
+assure, a l'abri de toute perquisition. Mais, depuis, les circonstances
+n'etaient plus les memes. Le gite devenait difficile a cacher. On
+aurait donc du raisonnablement esperer qu'il n'y avait plus rien a
+craindre pour l'avenir. Cependant, James Starr n'etait pas absolument
+rassure. Harry, non plus, ne pouvait se rendre, et il repetait souvent :
+
+<< Nell a ete evidemment melee a tout ce mystere. Si elle n'avait plus
+rien a redouter, pourquoi garderait-elle le silence ? On ne peut douter
+qu'elle soit heureuse d'etre avec nous ! Elle nous aime tous ! Elle
+adore ma mere ! Si elle se tait sur son passe, sur ce qui pourrait nous
+rassurer pour l'avenir, c'est donc que quelque terrible secret, que sa
+conscience lui interdit de devoiler, pese sur elle ! Peut-etre aussi,
+dans notre interet plus que dans le sien, croit-elle devoir se
+renfermer dans cet inexplicable mutisme ! >>
+
+C'est par suite de ces diverses considerations que, d'un accord commun,
+il avait ete convenu qu'on ecarterait de la conversation tout ce qui
+pouvait rappeler son passe a la jeune fille.
+
+Un jour, cependant, Harry fut amene a faire connaitre a Nell ce que
+James Starr, son pere, sa mere et lui-meme croyaient devoir a son
+intervention.
+
+C'etait jour de fete. Les bras chomaient aussi bien a la surface du
+comte de Stirling que dans le domaine souterrain. On s'y promenait un
+peu partout. Des chants retentissaient, en vingt endroits, sous les
+voutes sonores de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Harry et Nell avaient quitte le cottage et suivaient a pas lents la
+rive gauche du lac Malcolm. La, les eclats electriques se projetaient
+avec moins de violence, et leurs faisceaux se brisaient capricieusement
+aux angles de quelques pittoresques rochers qui soutenaient le dome.
+Cette penombre convenait mieux aux yeux de Nell, qui ne se faisaient
+que tres difficilement a la lumiere.
+
+Apres une heure de marche, Harry et sa compagne s'arreterent en face de
+la chapelle de Saint-Gilles, sur une sorte de terrasse naturelle, qui
+dominait les eaux du lac.
+
+<< Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitues au jour, dit Harry, et
+certainement, ils ne pourraient supporter l'eclat du soleil.
+
+-- Non, sans doute, repondit la jeune fille, si le soleil est tel que
+tu me l'as depeint, Harry.
+
+-- Nell, reprit Harry, en te parlant, je n'ai pu te donner une juste
+idee de sa splendeur ni des beautes de cet univers que tes regards
+n'ont jamais observe. -- Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour
+ou tu es nee dans les profondeurs de la houillere, se peut-il que tu ne
+sois jamais remontee a la surface du sol ?
+
+-- Jamais, Harry, repondit Nell, et je ne pense pas que, meme petite,
+ni un pere ni une mere m'y aient jamais portee. J'aurais certainement
+garde quelque souvenir du dehors !
+
+-- Je le crois, repondit Harry. D'ailleurs, a cette epoque, Nell, bien
+d'autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec
+l'exterieur etaient difficiles, et j'ai connu plus d'un jeune garcon ou
+d'une jeune fille, qui, a ton age, ignoraient encore tout ce que tu
+ignores des choses de la-haut ! Mais maintenant, en quelques minutes,
+le railway du grand tunnel nous transporte a la surface du comte. J'ai
+donc hate, Nell, de t'entendre me dire : << viens, Harry, mes yeux
+peuvent supporter la lumiere du jour, et je veux voir le soleil ! Je
+veux voir l'&oelig;uvre de Dieu ! >>
+
+-- Je te le dirai, Harry, repondit la jeune fille, avant peu, je
+l'espere. J'irai admirer avec toi ce monde exterieur, et cependant...
+
+-- Que veux-tu dire, Nell ? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque
+regret d'avoir abandonne le sombre abime dans lequel tu as vecu pendant
+les premieres annees de ta vie, et dont nous t'avons retiree presque
+morte ?
+
+-- Non, Harry, repondit Nell. Je pensais seulement que les tenebres
+sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu'y voient des yeux habitues a
+leur profondeur ! Il y a des ombres qui passent et qu'on aimerait a
+suivre dans leur vol ! Parfois ce sont des cercles qui s'entrecroisent
+devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir ! Il existe, au
+fond de la houillere, des trous noirs, pleins de vagues lumieres. Et
+puis, on entend des bruits qui vous parlent ! vois-tu, Harry, il faut
+avoir vecu la pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis
+t'exprimer !
+
+-- Et tu n'avais pas peur, Nell, quand tu etais seule ?
+
+-- Harry, repondit la jeune fille, c'est quand j'etais seule que je
+n'avais pas peur ! >> La voix de Nell s'etait legerement alteree en
+prononcant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un
+peu, et il dit :
+
+<< Mais on pouvait se perdre dans ces longues galeries, Nell. Ne
+craignais-tu donc pas de t'y egarer ?
+
+-- Non, Harry. Je connaissais, depuis longtemps, tous les detours de la
+nouvelle houillere !
+
+-- N'en sortais-tu pas quelquefois ?...
+
+-- Oui.., quelquefois.., repondit en hesitant la jeune fille,
+quelquefois, je venais jusque dans l'ancienne mine d'Aberfoyle.
+
+-- Tu connaissais donc le vieux cottage ?
+
+-- Le cottage.., oui.., mais, de bien loin seulement, ceux qui
+l'habitaient !
+
+-- C'etaient mon pere et ma mere, repondit Harry, c'etait moi ! Nous
+n'avions jamais voulu abandonner notre ancienne demeure !
+
+-- Peut-etre cela aurait-il mieux valu pour vous !... murmura la jeune
+fille.
+
+-- Et pourquoi, Nell ? N'est-ce pas notre obstination a ne pas la
+quitter, qui nous a fait decouvrir le nouveau gisement ? Et cette
+decouverte n'a-t-elle pas eu des consequences heureuses pour toute une
+population qui a reconquis ici l'aisance par le travail, pour toi,
+Nell, qui, rendue a la vie, as trouve des c&oelig;urs tout a toi !
+
+-- Pour moi ! repondit vivement Nell... Oui ! quoi qu'il puisse arriver
+! Pour les autres.., qui sait ?...
+
+-- Que veux-tu dire ?
+
+-- Rien... rien !... Mais, il y avait danger a s'introduire, alors,
+dans la nouvelle houillere ! Oui ! grand danger ! Harry ! Un jour, des
+imprudents ont penetre dans ces abimes. Ils ont ete loin, bien loin !
+Ils se sont egares...
+
+-- Egares ? dit Harry en regardant Nell.
+
+-- Oui... egares... repondit Nell, dont la voix tremblait. Leur lampe
+s'est eteinte ! Ils n'ont pu retrouver leur chemin...
+
+-- Et la, s'ecria Harry, emprisonnes pendant huit longs jours, Nell,
+ils ont ete pres de mourir ! Et sans un etre secourable, que Dieu leur
+a envoye, un ange peut-etre, qui leur a secretement apporte un peu de
+nourriture, sans un guide mysterieux qui, plus tard, a conduit jusqu'a
+eux leurs liberateurs, ils ne seraient jamais sortis de cette tombe !
+
+-- Et comment le sais-tu ? demanda la jeune fille.
+
+-- Parce que ces hommes c'etait James Starr.., c'etait mon pere...
+c'etait moi, Nell ! >>
+
+Nell, relevant la tete, saisit la main du jeune homme, et elle le
+regarda avec une telle fixite, que celui-ci se sentit trouble jusqu'au
+plus profond de son c&oelig;ur.
+
+<< Toi ! repeta la jeune fille.
+
+-- Oui ! repondit Harry, apres un instant de silence, et celle a qui
+nous devons de vivre, c'etait toi,
+
+Nell ! Ce ne pouvait etre que toi ! >> Nell laissa tomber sa tete entre
+ses deux mains, sans repondre. Jamais Harry ne l'avait vue aussi
+vivement impressionnee.
+
+<< Ceux qui t'ont sauvee, Nell, ajouta-t-il d'une voix emue, te devaient
+deja la vie, et crois-tu qu'ils puissent jamais l'oublier ? >>
+
+ XVI
+
+ Sur l'echelle oscillante
+
+Cependant, les travaux d'exploitation de la Nouvelle-Aberfoyle etaient
+conduits avec grand profit. Il va sans dire que l'ingenieur James Starr
+et Simon Ford -- les premiers decouvreurs de ce riche bassin
+carbonifere -- participaient largement a ces benefices. Harry devenait
+donc un parti. Mais il ne songeait guere a quitter le cottage. Il avait
+remplace son pere dans les fonctions d'overman et surveillait
+assidument tout ce monde de mineurs.
+
+Jack Ryan etait fier et ravi de toute cette fortune qui arrivait a son
+camarade. Lui aussi, il faisait bien ses affaires. Tous deux se
+voyaient souvent, soit au cottage, soit dans les travaux du fond. Jack
+Ryan n'etait pas sans avoir observe les sentiments qu'eprouvait Harry
+pour la jeune fille. Harry n'avouait pas, mais Jack riait a belles
+dents, lorsque son camarade secouait la tete en signe de denegation.
+
+Il faut dire que l'un des plus vifs desirs de Jack Ryan etait
+d'accompagner Nell, lorsqu'elle ferait sa premiere visite a la surface
+du comte. Il voulait voir ses etonnements, son admiration devant cette
+nature encore inconnue d'elle. Il esperait bien qu'Harry l'emmenerait
+pendant cette excursion. Jusqu'ici, cependant, celui-ci ne lui en avait
+pas fait la proposition, -- ce qui ne laissait pas de l'inquieter un
+peu.
+
+Un jour, Jack Ryan descendait l'un des puits d'aeration par lequel les
+etages inferieurs de la houillere communiquaient avec la surface du
+sol. Il avait pris l'une de ces echelles qui, en se relevant et en
+s'abaissant par oscillations successives, permettent de descendre et de
+monter sans fatigue. Vingt oscillations de l'appareil l'avaient abaisse
+de cent cinquante pieds environ, lorsque, sur l'etroit palier ou il
+avait pris place, il se rencontra avec Harry, qui remontait aux travaux
+du jour.
+
+<< C'est toi ? dit Jack, en regardant son compagnon, eclaire par la
+lumiere des lampes electriques du puits.
+
+-- Oui, Jack, repondit Harry, et je suis content de te voir. J'ai une
+proposition a te faire...
+
+-- Je n'ecoute rien avant que tu m'aies donne des nouvelles de Nell !
+s'ecria Jack Ryan.
+
+-- Nell va bien, Jack, et si bien meme que, dans un mois ou six
+semaines, je l'espere...
+
+-- Tu l'epouseras, Harry ?
+
+-- Tu ne sais ce que tu dis, Jack !
+
+-- C'est possible, Harry, mais je sais bien ce que je ferai !
+
+-- Et que feras-tu ?
+
+-- Je l'epouserai, moi, si tu ne l'epouses pas, toi ! repliqua Jack, en
+eclatant de rire. Saint Mungo me protege ! mais elle me plait, la
+gentille Nell ! Une jeune et bonne creature qui n'a jamais quitte la
+mine, c'est bien la femme qu'il faut a un mineur ! Elle est orpheline
+comme je suis orphelin, et, pour peu que tu ne penses vraiment pas a
+elle, et qu'elle veuille de ton camarade, Harry !... >>
+
+Harry regardait gravement Jack. Il le laissait parler, sans meme
+essayer de lui repondre.
+
+<< Ce que je dis la ne te rend pas jaloux, Harry ? demanda Jack Ryan
+d'un ton un peu plus serieux.
+
+-- Non, Jack, repondit tranquillement Harry.
+
+-- Cependant, si tu ne fais pas de Nell ta femme, tu n'as pas la
+pretention qu'elle reste vieille fille ?
+
+-- Je n'ai aucune pretention >>, repondit Harry.
+
+Une oscillation de l'echelle vint alors permettre aux deux amis de se
+separer, l'un pour descendre, l'autre pour remonter le puits.
+Cependant, ils ne se separerent pas.
+
+<< Harry, dit Jack, crois-tu que je t'aie parle serieusement tout a
+l'heure a propos de Nell ?
+
+-- Non, Jack, repondit Harry.
+
+-- Eh bien, je vais le faire alors !
+
+-- Toi, parler serieusement !
+
+-- Mon brave Harry, repondit Jack, je suis capable de donner un bon
+conseil a un ami.
+
+-- Donne, Jack.
+
+-- Eh bien, voila ! Tu aimes Nell de tout l'amour dont elle est digne,
+Harry ! Ton pere, le vieux Simon, ta mere, la vieille Madge, l'aiment
+aussi comme si elle etait leur enfant. Or, tu aurais bien peu a faire
+pour qu'elle devint tout a fait leur fille ! -- Pourquoi ne
+l'epouses-tu pas ?
+
+-- Pour t'avancer ainsi, Jack, repondit Harry, connais-tu donc les
+sentiments de Nell ?
+
+-- Personne ne les ignore, pas meme toi, Harry, et c'est pour cela que
+tu n'es point jaloux ni de moi, ni des autres. -- Mais voici l'echelle
+qui va descendre, et...
+
+-- Attends, Jack, dit Harry, en retenant son camarade, dont le pied
+avait deja quitte le palier pour se poser sur l'echelon mobile.
+
+-- Bon, Harry ! s'ecria Jack en riant, tu vas me faire ecarteler !
+
+-- Ecoute serieusement, Jack, repondit Harry, car, a mon tour, c'est
+serieusement que je parle.
+
+-- J'ecoute... jusqu'a la prochaine oscillation, mais pas plus !
+
+-- Jack, reprit Harry, je n'ai point a cacher que j'aime Nell.
+
+Mon plus vif desir est d'en faire ma femme...
+
+-- Bien, cela.
+
+-- Mais, telle qu'elle est encore, j'ai comme un scrupule de conscience
+a lui demander de prendre une determination qui doit etre irrevocable.
+
+-- Que veux-tu dire, Harry ?
+
+-- Je veux dire, Jack, que Nell n'a jamais quitte ces profondeurs de la
+houillere ou elle est nee, sans doute. Elle ne sait rien, elle ne
+connait rien du dehors. Elle a tout a apprendre par les yeux, et
+peut-etre aussi par le c&oelig;ur. Qui sait ce que seront ses pensees,
+lorsque de nouvelles impressions naitront en elle ! Elle n'a encore
+rien de terrestre, et il me semble que ce serait la tromper, avant
+qu'elle se soit decidee, en pleine connaissance, a preferer a tout
+autre le sejour dans la houillere. -- Me comprends-tu, Jack ?
+
+-- Oui... vaguement... Je comprends surtout que tu vas encore me faire
+manquer la prochaine oscillation !
+
+-- Jack, repondit Harry d'une voix grave, quand ces appareils ne
+devraient plus jamais fonctionner, quand ce palier devrait manquer sous
+nos pieds, tu ecouteras ce que j'ai a te dire !
+
+-- A la bonne heure ! Harry. Voila comment j'aime qu'on me parle ! --
+Nous disons donc qu'avant d'epouser Nell, tu vas l'envoyer dans un
+pensionnat de la vieille-Enfumee ?
+
+-- Non, Jack, repondit Harry, je saurai bien moi-meme faire l'education
+de celle qui devra etre ma femme !
+
+-- Et cela n'en vaudra que mieux, Harry !
+
+-- Mais, auparavant, reprit Harry, je veux, comme je viens de te le
+dire, que Nell ait une vraie connaissance du monde exterieur. Une
+comparaison, Jack. Si tu aimais une jeune fille aveugle, et si l'on
+venait te dire : << Dans un mois elle sera guerie ! >> n'attendrais-tu
+pas pour l'epouser que sa guerison fut faite ?
+
+-- Oui, ma foi, oui ! repondit Jack Ryan.
+
+-- Eh bien, Jack, Nell est encore aveugle, et, avant d'en faire ma
+femme, je veux qu'elle sache bien que c'est moi, que ce sont les
+conditions de ma vie qu'elle prefere et accepte. Je veux que ses yeux
+se soient ouverts enfin a la lumiere du jour !
+
+-- Bien, Harry, bien, tres bien ! s'ecria Jack Ryan. Je te comprends a
+cette heure. Et a quelle epoque l'operation ?...
+
+-- Dans un mois, Jack, repondit Harry. Les yeux de Nell s'habituent peu
+a peu a la clarte de nos disques. C'est une preparation. Dans un mois,
+je l'espere, elle aura vu la terre et ses merveilles, le ciel et ses
+splendeurs ! Elle saura que la nature a donne au regard humain des
+horizons plus recules que ceux d'une sombre houillere ! Elle verra que
+les limites de l'univers sont infinies ! >>
+
+Mais, tandis qu'Harry se laissait ainsi entrainer par son imagination,
+Jack Ryan, quittant le palier, avait saute sur l'echelon oscillant de
+l'appareil.
+
+<< Eh ! Jack, cria Harry, ou es-tu donc ?
+
+-- Au-dessous de toi, repondit en riant le joyeux compere. Pendant que
+tu t'eleves dans l'infini, moi, je descends dans l'abime !
+
+-- Adieu, Jack ! repondit Harry, en se cramponnant lui-meme a l'echelle
+remontante. Je te recommande de ne parler a personne de ce que je viens
+de te dire !
+
+-- A personne ! cria Jack Ryan, mais a une condition pourtant...
+
+-- Laquelle ?
+
+-- C'est que je vous accompagnerai tous les deux pendant la premiere
+excursion que Nell fera a la surface du globe !
+
+-- Oui, Jack, je te le promets >>, repondit Harry.
+
+Une nouvelle pulsation de l'appareil mit encore un intervalle plus
+considerable entre les deux amis. Leur voix n'arrivait plus que tres
+affaiblie de l'un a l'autre.
+
+Et, cependant, Harry put encore entendre Jack crier :
+
+<< Et lorsque Nell aura vu les etoiles, la lune et le soleil, sais-tu
+bien ce qu'elle leur preferera ?
+
+-- Non, Jack !
+
+-- Ce sera toi, mon camarade, toi encore, toi toujours ! >>
+
+Et la voix de Jack Ryan s'eteignit enfin dans un dernier hurrah !
+
+Cependant, Harry consacrait toutes ses heures inoccupees a l'education
+de Nell. Il lui avait appris a lire, a ecrire, -- toutes choses dans
+lesquelles la jeune fille fit de rapides progres. On eut dit qu'elle <<
+savait >> d'instinct. Jamais intelligence plus vive ne triompha plus
+vite d'une aussi complete ignorance. C'etait un etonnement pour ceux
+qui l'approchaient.
+
+Simon et Madge se sentaient chaque jour plus etroitement lies a leur
+enfant d'adoption, dont le passe ne laissait pas de les preoccuper,
+cependant. Ils avaient bien reconnu la nature des sentiments d'Harry
+pour Nell, et cela ne leur deplaisait point.
+
+On se rappelle que lors de sa premiere visite a l'ancien cottage, le
+vieil overman avait dit a l'ingenieur :
+
+<< Pourquoi mon fils se marierait-il ? Quelle creature de la-haut
+conviendrait a un garcon dont la vie doit s'ecouler dans les
+profondeurs d'une mine ! >>
+
+Eh bien, ne semblait-il pas que la Providence lui eut envoye la seule
+compagne qui put veritablement convenir a son fils ? N'etait-ce pas la
+comme une faveur du Ciel ?
+
+Aussi, le vieil overman se promettait-il bien que, si ce mariage se
+faisait, ce jour-la, il y aurait a Coal-city une fete qui ferait epoque
+pour les mineurs de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Simon Ford ne savait pas si bien dire !
+
+Il faut ajouter qu'un autre encore desirait non moins ardemment cette
+union de Nell et d'Harry. C'etait l'ingenieur James Starr. Certes, le
+bonheur de ces deux jeunes gens, il le voulait par-dessus tout. Mais un
+mobile, d'un interet plus general, peut-etre, le poussait aussi dans ce
+sens.
+
+On le sait, James Starr avait conserve certaines apprehensions, bien
+que rien dans le present ne les justifiat plus. Cependant, ce qui avait
+ete pouvait etre encore. Ce mystere de la nouvelle houillere, Nell
+etait evidemment la seule a le connaitre. Or, si l'avenir devait
+reserver de nouveaux dangers aux mineurs d'Aberfoyle, comment se mettre
+en garde contre de telles eventualites, sans en savoir au moins la
+cause ?
+
+<< Nell n'a pas voulu parler, repetait souvent James Starr, mais ce
+qu'elle a tu jusqu'ici a tout autre, elle ne saurait le taire longtemps
+a son mari ! Le danger menacerait Harry comme il nous menacerait
+nous-memes. Donc, un mariage qui doit donner le bonheur aux epoux et la
+securite a leurs amis, est un bon mariage, ou il ne s'en fera jamais
+ici-bas ! >>
+
+Ainsi raisonnait, non sans quelque logique, l'ingenieur James Starr. Ce
+raisonnement, il le communiqua meme au vieux Simon, qui ne fut pas sans
+le gouter. Rien ne semblait donc devoir s'opposer a ce qu'Harry devint
+l'epoux de Nell.
+
+Et qui donc l'aurait pu ? Harry et Nell s'aimaient. Les vieux parents
+ne revaient pas d'autre compagne pour leur fils. Les camarades d'Harry
+enviaient son bonheur, tout en reconnaissant qu'il lui etait bien du.
+La jeune fille ne relevait que d'elle-meme et n'avait d'autre
+consentement a obtenir que celui de son propre c&oelig;ur.
+
+Mais, si personne ne semblait pouvoir mettre obstacle a ce mariage,
+pourquoi, lorsque les disques electriques s'eteignaient a l'heure du
+repos, quand la nuit se faisait sur la cite ouvriere, lorsque les
+habitants de Coal-city avaient regagne leur cottage, pourquoi, de l'un
+des coins les plus sombres de la Nouvelle Aberfoyle, un etre mysterieux
+se glissait-il dans les tenebres ? Quel instinct guidait ce fantome a
+travers certaines galeries si etroites qu'on devait les croire
+impraticables ? Pourquoi cet etre enigmatique, dont les yeux percaient
+la plus profonde obscurite, venait-il en rampant sur le rivage du lac
+Malcolm ? Pourquoi se dirigeait-il si obstinement vers l'habitation de
+Simon Ford, et si prudemment aussi, qu'il avait jusqu'alors dejoue
+toute surveillance ? Pourquoi venait-il appuyer son oreille aux
+fenetres et essayait-il de surprendre des lambeaux de conversation a
+travers les volets du cottage ?
+
+Et, lorsque certaines paroles arrivaient jusqu'a lui, pourquoi son
+poing se dressait-il pour menacer la tranquille demeure ? Pourquoi,
+enfin ces mots s'echappaient-ils de sa bouche, contractee par la colere
+:
+
+<< Elle et lui ! Jamais ! >>
+
+ XVII
+
+ Un lever de soleil
+
+Un mois apres -- c'etait le soir du 20 aout --, Simon Ford et Madge
+saluaient de leurs meilleurs << wishes >> quatre touristes qui
+s'appretaient a quitter le cottage.
+
+James Starr, Harry et Jack Ryan allaient conduire Nell sur un sol que
+son pied n'avait jamais foule, dans cet eclatant milieu, dont ses
+regards ne connaissaient pas encore la lumiere.
+
+L'excursion devait se prolonger pendant deux jours. James Starr,
+d'accord avec Harry, voulait qu'apres ces quarante-huit heures passees
+au-dehors, la jeune fille eut vu tout ce qu'elle n'avait pu voir dans
+la sombre houillere, c'est-a-dire les divers aspects du globe, comme si
+un panorama mouvant de villes, de plaines, de montagnes, de fleuves, de
+lacs, de golfes, de mers, se fut deroule devant ses yeux.
+
+Or, dans cette portion de l'Ecosse, comprise entre Edimbourg et
+Glasgow, il semblait que la nature eut voulu precisement reunir ces
+merveilles terrestres, et, quant aux cieux, ils seraient la comme
+partout, avec leurs nuees changeantes, leur lune sereine ou voilee,
+leur soleil radieux, leur fourmillement d'etoiles.
+
+L'excursion projetee avait donc ete combinee de maniere a satisfaire
+aux conditions de ce programme.
+
+Simon Ford et Madge eussent ete tres heureux d'accompagner Nell; mais,
+on les connait, ils ne quittaient pas volontiers le cottage, et,
+finalement, ils ne purent se resoudre a abandonner, meme pour un jour,
+leur souterraine demeure.
+
+James Starr allait la en observateur, en philosophe, tres curieux, au
+point de vue psychologique, d'observer les naives impressions de Nell,
+-- peut-etre meme de surprendre quelque peu des mysterieux evenements
+auxquels son enfance avait ete melee.
+
+Harry, lui, se demandait, non sans apprehension, si une autre jeune
+fille que celle qu'il aimait et qu'il avait connue jusqu'alors,
+n'allait pas se reveler pendant cette rapide initiation aux choses du
+monde exterieur.
+
+Quant a Jack Ryan, il etait joyeux comme un pinson qui s'envole aux
+premiers rayons de soleil. Il esperait bien que sa contagieuse gaiete
+se communiquerait a ses compagnons de voyage. Ce serait une facon de
+payer sa bienvenue.
+
+Nell etait pensive et comme recueillie.
+
+James Starr avait decide, non sans raison, que le depart se ferait le
+soir. Mieux valait, en effet, que la jeune fille ne passat que par une
+gradation insensible des tenebres de la nuit aux clartes du jour. Or,
+c'est le resultat qui serait obtenu, puisque, de minuit a midi, elle
+subirait ces phases successives d'ombre et de lumiere, auxquelles son
+regard pourrait s'habituer peu a peu.
+
+Au moment de quitter le cottage, Nell prit la main d'Harry, et lui dit :
+
+<< Harry, est-il donc necessaire que j'abandonne notre houillere, ne
+fut-ce que quelques jours ?
+
+-- Oui, Nell, repondit le jeune homme, il le faut ! Il le faut pour toi
+et pour moi !
+
+-- Cependant, Harry, reprit Nell, depuis que tu m'as recueillie, je
+suis heureuse autant qu'on peut l'etre. Tu m'as instruite. Cela ne
+suffit-il pas ? Que vais-je faire la-haut ? >>
+
+Harry la regarda sans repondre. Les pensees qu'exprimait Nell etaient
+presque les siennes.
+
+<< Ma fille, dit alors James Starr, je comprends ton hesitation, mais il
+est bon que tu viennes avec nous. Ceux que tu aimes t'accompagnent, et
+ils te rameneront. Que tu veuilles, ensuite, continuer de vivre dans la
+houillere, comme le vieux Simon, comme Madge, comme Harry, libre a toi
+! Je ne doute pas qu'il en doive etre ainsi, et je t'approuve. Mais, au
+moins, tu pourras comparer ce que tu laisses avec ce que tu prends, et
+agir en toute liberte. viens donc !
+
+-- Viens, ma chere Nell, dit Harry.
+
+-- Harry, je suis prete a te suivre >>, repondit la jeune fille.
+
+A neuf heures, le dernier train du tunnel entrainait Nell et ses
+compagnons a la surface du comte. vingt minutes apres, il les deposait
+a la gare ou se reliait le petit embranchement, detache du railway de
+Dumbarton a Stirling, qui desservait la Nouvelle Aberfoyle.
+
+La nuit etait deja sombre. De l'horizon au zenith, quelques vapeurs peu
+compactes couraient encore dans les hauteurs du ciel, sous la poussee
+d'une brise de nord-ouest qui rafraichissait l'atmosphere. La journee
+avait ete belle. La nuit devait l'etre aussi.
+
+Arrives a Stirling, Nell et ses compagnons, abandonnant le train,
+sortirent aussitot de la gare.
+
+Devant eux, entre de grands arbres, se developpait une route qui
+conduisait aux rives du Forth.
+
+La premiere impression physique qu'eprouva la jeune fille, fut celle de
+l'air pur que ses poumons aspirerent avidement.
+
+<< Respire bien, Nell, dit James Starr, respire cet air charge de toutes
+les vivifiantes senteurs de la campagne !
+
+-- Quelles sont ces grandes fumees qui courent au-dessus de notre tete
+? demanda Nell.
+
+-- Ce sont des nuages, repondit Harry, ce sont des vapeurs a demi
+condensees que le vent pousse dans l'ouest.
+
+-- Ah ! fit Nell, que j'aimerais a me sentir emportee dans leur
+silencieux tourbillon ! -- Et quels sont ces points scintillants qui
+brillent a travers les dechirures des nuees ?
+
+-- Ce sont les etoiles dont je t'ai parle, Nell. Autant de soleils,
+autant de centres de mondes, peut-etre semblables au notre ! >> Les
+constellations se dessinaient plus nettement alors sur le bleu-noir du
+firmament, que le vent purifiait peu a peu.
+
+Nell regardait ces milliers d'etoiles brillantes qui fourmillaient
+au-dessus de sa tete.
+
+<< Mais, dit-elle, si ce sont des soleils, comment mes yeux peuvent-ils
+en supporter l'eclat ?
+
+-- Ma fille, repondit James Starr, ce sont des soleils, en effet, mais
+des soleils qui gravitent a une distance enorme. Le plus rapproche de
+ces milliers d'astres, dont les rayons arrivent jusqu'a nous, c'est
+cette etoile de la Lyre, Wega, que tu vois la presque au zenith, et
+elle est encore a cinquante mille milliards de lieues. Son eclat ne
+peut donc affecter ton regard. Mais notre soleil se levera demain a
+trente-huit millions de lieues seulement, et aucun &oelig;il humain ne
+peut le regarder fixement, car il est plus ardent qu'un foyer de
+fournaise. Mais viens, Nell, viens ! >>
+
+On prit la route. James Starr tenait la jeune fille par la main. Harry
+marchait a son cote. Jack Ryan allait et venait comme eut fait un jeune
+chien, impatient de la lenteur de ses maitres.
+
+Le chemin etait desert. Nell regardait la silhouette des grands arbres
+que le vent agitait dans l'ombre. Elle les eut volontiers pris pour
+quelques geants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les
+hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne
+d'horizon qui s'accusait plus nettement, lorsque la route coupait une
+plaine, tout l'impregnait de sentiments nouveaux et tracait en elle des
+impressions ineffacables. Apres avoir interroge d'abord, Nell se
+taisait, et, d'un commun propos, ses compagnons respectaient son
+silence. Ils ne voulaient point influencer par leurs paroles
+l'imagination sensible de la jeune fille. Ils preferaient laisser les
+idees naitre d'elles-memes en son esprit.
+
+A onze heures et demie environ, la rive septentrionale du golfe de
+Forth etait atteinte.
+
+La, une barque, qui avait ete fretee par James Starr, attendait. Elle
+devait, en quelques heures, les porter, ses compagnons et lui, jusqu'au
+port d'Edimbourg.
+
+Nell vit l'eau brillante qui ondulait a ses pieds sous l'action du
+ressac et semblait constellee d'etoiles tremblotantes.
+
+<< Est-ce un lac ? demanda-t-elle.
+
+-- Non, repondit Harry, c'est un vaste golfe avec des eaux courantes,
+c'est l'embouchure d'un fleuve, c'est presque un bras de mer. Prends un
+peu de cette eau dans le creux de ta main, Nell, et tu verras qu'elle
+n'est pas douce comme celle du lac Malcolm. >>
+
+La jeune fille se baissa, trempa sa main dans les premiers flots et la
+porta a ses levres.
+
+<< Cette eau est salee, dit-elle.
+
+-Oui, repondit Harry, la mer a reflue jusqu'ici, car la maree est
+pleine. Les trois quarts de notre globe sont recouverts de cette eau
+salee, dont tu viens de boire quelques gouttes !
+
+-- Mais si l'eau des fleuves n'est que celle de la mer que leur versent
+les nuages, pourquoi est-elle douce ? demanda Nell.
+
+-- Parce que l'eau se dessale en s'evaporant, repondit James Starr. Les
+nuages ne sont formes que par l'evaporation et renvoient sous forme de
+pluie cette eau douce a la mer.
+
+-- Harry, Harry ! s'ecria alors la jeune fille, quelle est cette lueur
+rougeatre qui enflamme l'horizon ? Est-ce donc une foret en feu ? >>
+
+Et Nell montrait un point du ciel, au milieu des basses brumes qui se
+coloraient dans l'est.
+
+<< Non, Nell, repondit Harry. C'est la lune a son lever.
+
+-- Oui, la lune ! s'ecria Jack Ryan, un superbe plateau d'argent que
+les genies celestes font circuler dans le firmament, et qui recueille
+toute une monnaie d'etoiles !
+
+-- Vraiment, Jack ! repondit l'ingenieur en riant, je ne te connaissais
+pas ce penchant aux comparaisons hardies !
+
+-- Eh ! monsieur Starr, ma comparaison est juste ! vous voyez bien que
+les etoiles disparaissent a mesure que la lune s'avance. Je suppose
+donc qu'elles tombent dedans !
+
+-- C'est-a-dire, Jack, repondit l'ingenieur, que c'est la lune qui
+eteint par son eclat les etoiles de sixieme grandeur, et voila pourquoi
+celles-ci s'effacent sur son passage.
+
+-- Que tout cela est beau ! repetait Nell, qui ne vivait plus que par
+le regard. Mais je croyais que la lune etait toute ronde ?
+
+-- Elle est ronde quand elle est pleine, repondit James Starr,
+c'est-a-dire lorsqu'elle se trouve en opposition avec le soleil. Mais,
+cette nuit, la lune entre dans son dernier quartier, elle est ecornee
+deja, et le plateau d'argent de notre ami Jack n'est plus qu'un plat a
+barbe !
+
+-- Ah ! monsieur Starr, s'ecria Jack Ryan, quelle indigne comparaison !
+J'allais justement entonner ce couplet en l'honneur de la lune :
+
+ Astre des nuits qui dans ton cours
+ Viens caresser...
+Mais non ! C'est maintenant impossible ! votre plat a barbe m'a coupe
+l'inspiration ! >>
+
+Cependant, la lune montait peu a peu sur l'horizon. Devant elle
+s'evanouissaient les dernieres vapeurs. Au zenith et dans l'ouest, les
+etoiles brillaient encore sur un fond noir que l'eclat lunaire allait
+graduellement palir. Nell contemplait en silence cet admirable
+spectacle, ses yeux supportaient sans fatigue cette douce lueur
+argentee, mais sa main fremissait dans celle d'Harry et parlait pour
+elle.
+
+<< Embarquons-nous, mes amis, dit James Starr. Il faut que nous ayons
+gravi les pentes de l'Arthur-Seat avant le lever du soleil ! >> La
+barque etait amarree a un pieu de la rive. Un marinier la gardait. Nell
+et ses compagnons y prirent place. La voile fut hissee et se gonfla
+sous la brise du nord-ouest.
+
+Quelle nouvelle impression ressentit alors la jeune fille ! Elle avait
+navigue quelquefois sur les lacs de la Nouvelle-Aberfoyle, mais
+l'aviron, si doucement manie qu'il fut par la main d'Harry, trahissait
+toujours l'effort du rameur. Ici, pour la premiere fois, Nell se
+sentait entrainee avec un glissement presque aussi doux que celui du
+ballon a travers l'atmosphere. Le golfe etait uni comme un lac. A demi
+couchee a l'arriere, Nell se laissait aller a ce balancement. Par
+instants, en de certaines embardees, un rayon de lune filtrait jusqu'a
+la surface du Forth, et l'embarcation semblait courir sur une nappe
+d'argent toute scintillante. De petites ondulations chantaient le long
+du bordage. C'etait un ravissement.
+
+Mais il arriva alors que les yeux de Nell se fermerent
+involontairement. Une sorte d'assoupissement passager la prit. Sa tete
+s'inclina sur la poitrine d'Harry, et elle s'endormit d'un tranquille
+sommeil.
+
+Harry voulait la reveiller, afin qu'elle ne perdit rien des
+magnificences de cette belle nuit.
+
+<< Laisse-la dormir, mon garcon, lui dit l'ingenieur. Deux heures de
+repos la prepareront mieux a supporter les impressions du jour. >>
+
+A deux heures du matin, l'embarcation arrivait au pier de Granton. Nell
+se reveilla, des qu'elle toucha terre.
+
+<< J'ai dormi ? demanda-t-elle.
+
+-- Non, ma fille, repondit James Starr. Tu as simplement reve que tu
+dormais, voila tout. >>
+
+La nuit etait tres claire alors. La lune, a mi-chemin de l'horizon au
+zenith, dispersait ses rayons a tous les points du ciel.
+
+Le petit port de Granton ne contenait que deux ou trois bateaux de
+peche, que balancait doucement la houle du golfe. La brise calmissait
+aux approches du matin. L'atmosphere, nettoyee de brumes, promettait
+une de ces delicieuses journees d'aout que le voisinage de la mer rend
+plus belles encore. Une sorte de buee chaude se degageait de l'horizon,
+mais si fine, si transparente, que les premiers feux du soleil devaient
+la boire en un instant. La jeune fille put donc observer cet aspect de
+la mer, lorsqu'elle se confond avec l'extreme perimetre du ciel. La
+portee de sa vue s'en trouvait agrandie, mais son regard ne subissait
+pas cette impression particuliere que donne l'Ocean, lorsque la lumiere
+semble en reculer les bornes a l'infini.
+
+Harry prit la main de Nell. Tous deux suivirent James Starr et Jack
+Ryan qui s'avancaient par les rues desertes. Dans la pensee de Nell, ce
+faubourg de la capitale n'etait qu'un assemblage de maisons sombres,
+qui lui rappelait Coal-city, avec cette seule difference que sa voute
+etait plus elevee et scintillait de points brillants. Elle allait d'un
+pas leger, et jamais Harry n'etait oblige de ralentir le sien, par
+crainte de la fatiguer.
+
+<< Tu n'es pas lasse ? lui demanda-t-il, apres une demi-heure de marche.
+
+-- Non, repondit-elle. Mes pieds ne semblent meme pas toucher a la
+terre ! Ce ciel est si haut au-dessus de nous que j'ai l'envie de
+m'envoler, comme si j'avais des ailes !
+
+-- Retiens-la ! s'ecria Jack Ryan. C'est qu'elle est bonne a garder,
+notre petite Nell ! Moi aussi, j'eprouve cet effet, lorsque je suis
+reste quelque temps sans sortir de la houillere !
+
+-- Cela est du, dit James Starr, a ce que nous ne nous sentons plus
+ecrases par la voute de schiste qui recouvre Coal-city ! Il semble
+alors que le firmament soit comme un profond abime dans lequel on est
+tente de s'elancer. -- N'est-ce pas ce que tu ressens, Nell ?
+
+-- Oui, monsieur Starr, repondit la jeune fille, c'est bien cela.
+J'eprouve comme une sorte de vertige !
+
+-- Tu t'y feras, Nell, repondit Harry. Tu te feras a cette immensite du
+monde exterieur, et peut-etre oublieras-tu alors notre sombre houillere
+!
+
+-- Jamais, Harry ! >> repondit Nell.
+
+Et elle appuya sa main sur ses yeux, comme si elle eut voulu refaire
+dans son esprit le souvenir de tout ce qu'elle venait de quitter.
+
+Entre les maisons endormies de la ville, James Starr et ses compagnons
+traverserent Leith-Walk. Ils contournerent Calton Hill, ou se
+dressaient dans la penombre l'Observatoire et le monument de Nelson.
+Ils suivirent la rue du Regent, franchirent un pont, et arriverent par
+un leger detour a l'extremite de la Canongate.
+
+Aucun mouvement ne se faisait encore dans la ville. Deux heures
+sonnaient au clocher gothique de Canongate-Church.
+
+En cet endroit, Nell s'arreta.
+
+<< Quelle est cette masse confuse ? demanda-t-elle en montrant un
+edifice isole qui s'elevait au fond d'une petite place.
+
+-- Cette masse, Nell, repondit James Starr, c'est le palais des anciens
+souverains de l'Ecosse, Holyrood, ou se sont accomplis tant
+d'evenements funebres ! La, l'historien pourrait evoquer bien des
+ombres royales, depuis l'ombre de l'infortunee Marie Stuart jusqu'a
+celle du vieux roi francais Charles X ! Et pourtant, malgre ces
+funebres souvenirs, lorsque le jour sera venu, Nell, tu ne trouveras
+pas a cette residence un aspect trop lugubre ! Avec ses quatre grosses
+tours crenelees, Holyrood ne ressemble pas mal a quelque chateau de
+plaisance, auquel le bon plaisir de son proprietaire a conserve son
+caractere feodal ! -- Mais continuons notre marche. La, dans l'enceinte
+meme de l'ancienne abbaye d'Holyrood, se dressent ces roches superbes
+de Salisbury que domine l'Arthur-Seat. C'est la que nous monterons.
+C'est a sa cime, Nell, que tes yeux verront le soleil apparaitre
+au-dessus de l'horizon de mer. >>
+
+Ils entrerent dans le Parc du Roi. Puis, s'elevant graduellement, ils
+traverserent victoria-Drive, magnifique route circulaire, praticable
+aux voitures, que Walter Scott se felicite d'avoir obtenue avec
+quelques lignes de roman.
+
+L'Arthur-Seat n'est, a vrai dire, qu'une colline haute de sept cent
+cinquante pieds, dont la tete isolee domine les hauteurs environnantes.
+En moins d'une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait
+l'ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le crane
+de ce lion auquel ressemble l'Arthur Seat, lorsqu'on l'observe du cote
+de l'ouest.
+
+La, tous quatre s'assirent, et James Starr, toujours riche de citations
+empruntees au grand romancier ecossais, se borna a dire :
+
+<< Voici ce qu'a ecrit Walter Scott, au huit de la _Prison d'Edimbourg_ :
+
+<< Si j'avais a choisir un lieu d'ou l'on put voir le mieux possible le
+lever et le coucher du soleil, ce serait cet endroit meme. >>
+
+<< Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder a paraitre, et, pour
+la premiere fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur. >>
+
+Les regards de la jeune fille etaient alors tournes vers l'est. Harry,
+place pres d'elle, l'observait avec une anxieuse attention.
+N'allait-elle pas etre trop vivement impressionnee par les premiers
+rayons du jour ? Tous demeurerent silencieux. Jack Ryan lui-meme se tut.
+
+Deja une petite ligne pale, nuancee de rose, se dessinait au-dessus de
+l'horizon sur un fond de brumes legeres. Un reste de vapeurs, egarees
+au Zenith, fut attaque par le premier trait de lumiere. Au pied
+d'Arthur-Seat, dans le calme absolu de la nuit, Edimbourg, assoupie
+encore, apparaissait confusement. Quelques points lumineux piquaient ca
+et la l'obscurite. C'etaient les etoiles matinales qu'allumaient les
+gens de la vieille ville. En arriere, dans l'ouest, l'horizon, coupe de
+silhouettes capricieuses, bornait une region accidentee de pics,
+auxquels chaque rayon solaire allait mettre une aigrette de feu.
+
+Cependant, le perimetre de la mer se tracait plus vivement vers l'est.
+La gamme des couleurs se disposait peu a peu suivant l'ordre que donne
+le spectre solaire. Le rouge des premieres brumes allait par
+degradation jusqu'au violet du zenith. De seconde en seconde, la
+palette prenait plus de vigueur : le rose devenait rouge, le rouge
+devenait feu. Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc
+diurne allait fixer sur la circonference de la mer.
+
+En ce moment, les regards de Nell couraient du pied de la colline
+jusqu'a la ville, dont les quartiers commencaient a se detacher par
+groupes. De hauts monuments, quelques clochers aigus emergeaient ca et
+la, et leurs lineaments se profilaient alors avec plus de nettete. Il
+se repandait comme une sorte de lumiere cendree dans l'espace. Enfin,
+un premier rayon atteignit l'&oelig;il de la jeune fille. C'etait ce
+rayon vert, qui, soir ou matin, se degage de la mer, lorsque l'horizon
+est pur.
+
+Une demi-minute plus tard, Nell se redressait et tendait la main vers
+un point qui dominait les quartiers de la nouvelle ville.
+
+<< Un feu ! dit-elle.
+
+-- Non, Nell, repondit Harry, ce n'est pas un feu. C'est une touche
+d'or que le soleil pose au sommet du monument de Walter Scott ! >>
+
+Et, en effet, l'extreme pointe du clocheton, haut de deux cents pieds,
+brillait comme un phare de premier ordre.
+
+Le jour etait fait. Le soleil deborda. Son disque semblait encore
+humide, comme s'il fut reellement sorti des eaux de la mer. D'abord
+elargi par la refraction, il se retrecit peu a peu, de maniere a
+prendre la forme circulaire. Son eclat, bientot insoutenable, etait
+celui d'une bouche de fournaise qui eut troue le ciel.
+
+Nell dut presque aussitot fermer les yeux. Sur leurs paupieres, trop
+minces, il lui fallut meme appliquer ses doigts, serres etroitement.
+
+Harry voulait qu'elle se retournat vers l'horizon oppose.
+
+<< Non, Harry, dit-elle. Il faut que mes yeux s'habituent a voir ce que
+savent voir tes yeux ! >>
+
+A travers la paume de ses mains, Nell percevait encore une lueur rose,
+qui blanchissait a mesure que le soleil s'elevait au dessus de
+l'horizon. Son regard s'y faisait graduellement. Puis, ses paupieres se
+souleverent, et ses yeux s'impregnerent enfin de la lumiere du jour.
+
+La pieuse enfant tomba a genoux, s'ecriant :
+
+<< Mon Dieu, que votre monde est beau ! >>
+
+La jeune fille baissa les yeux alors et regarda. A ses pieds se
+deroulait le panorama d'Edimbourg : les quartiers neufs et bien alignes
+de la nouvelle ville, l'amas confus des maisons et le reseau bizarre
+des rues de l'Auld-Recky. Deux hauteurs dominaient cet ensemble, le
+chateau accroche a son rocher de basalte et Calton Hill, portant sur sa
+croupe arrondie les ruines modernes d'un monument grec. De magnifiques
+routes plantees rayonnaient de la capitale a la campagne. Au nord, un
+bras de mer, le golfe de Forth, entaillait profondement la cote, sur
+laquelle s'ouvrait le port de Leith. Au-dessus, en troisieme plan, se
+developpait l'harmonieux littoral du comte de Fife. Une voie, droite
+comme celle du Piree, reliait a la mer cette Athenes du Nord. Vers
+l'ouest s'allongeaient les belles plages de Newhaven et de Porto-Bello,
+dont le sable teignait en jaune les premieres lames du ressac. Au
+large, quelques chaloupes animaient les eaux du golfe, et deux ou trois
+steamers empanachaient le ciel d'un cone de fumee noire. Puis, au-dela,
+verdoyait l'immense campagne. De modestes collines bossuaient ca et la
+la plaine. Au nord, les Lomond-Hills, dans l'ouest, le Ben-Lomond et le
+Ben-Ledi reverberaient les rayons solaires, comme si des glaces
+eternelles en eussent tapisse les cimes.
+
+Nell ne pouvait parler. Ses levres ne murmuraient que des mots vagues.
+Ses bras fremissaient. Sa tete etait prise de vertiges. Un instant, ses
+forces l'abandonnerent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle
+sublime, elle se sentit tout a coup faiblir, et tomba sans connaissance
+dans les bras d'Harry, prets a la recevoir.
+
+Cette jeune fille, dont la vie s'etait ecoulee jusqu'alors dans les
+entrailles du massif terrestre, avait enfin contemple ce qui constitue
+presque tout l'univers, tel que l'ont fait le Createur et l'homme. Ses
+regards, apres avoir plane sur la ville et sur la campagne, venaient de
+s'etendre, pour la premiere fois, sur l'immensite de la mer et l'infini
+du ciel.
+
+ XVIII
+
+ Du lac Lomond au lac Katrine
+
+Harry portant Nell dans ses bras, suivi de James Starr et de Jack Ryan,
+redescendit les pentes d'Arthur-Seat. Apres quelques heures de repos et
+un dejeuner reconfortant qui fut pris a Lambret's-Hotel, on songea a
+completer l'excursion par une promenade a travers le pays des lacs.
+
+Nell avait recouvre ses forces. Ses yeux pouvaient desormais s'ouvrir
+tout grands a la lumiere, et ses poumons aspirer largement cet air
+vivifiant et salubre. Le vert des arbres, la nuance variee des plantes,
+l'azur du ciel, avaient deploye devant ses regards la gamme des
+couleurs.
+
+Le train qu'ils prirent a General railway station, conduisit Nell et
+ses compagnons a Glasgow. La, du dernier pont jete sur la Clyde, ils
+purent admirer le curieux mouvement maritime du fleuve. Puis, ils
+passerent la nuit a Comrie's Royal-hotel.
+
+Le lendemain, de la gare d'<< Edimbourg and Glasgow railway >>, le train
+devait les conduire rapidement, par Dumbarton et Balloch, a l'extremite
+meridionale du lac Lomond.
+
+<< C'est la le pays de Rob Roy et de Fergus Mac Gregor ! s'ecria James
+Starr, le territoire si poetiquement celebre par Walter Scott ! -- Tu
+ne connais pas ce pays, Jack ?
+
+-- Je le connais par ses chansons, monsieur Starr, repondit Jack Ryan,
+et, lorsqu'un pays a ete si bien chante, il doit etre superbe !
+
+-- Il l'est, en effet, s'ecria l'ingenieur, et notre chere Nell en
+conservera le meilleur souvenir !
+
+-- Avec un guide tel que vous, monsieur Starr, repondit Harry, ce sera
+double profit, car vous nous raconterez l'histoire du pays pendant que
+nous le regarderons.
+
+-- Oui, Harry, dit l'ingenieur, autant que ma memoire me le permettra,
+mais a une condition, cependant : c'est que le joyeux Jack me viendra
+en aide ! Lorsque je serai fatigue de raconter, il chantera !
+
+-- Il ne faudra pas me le dire deux fois >>, repliqua Jack Ryan en
+lancant une note vibrante, comme s'il eut voulu monter son gosier au
+_la_ du diapason.
+
+Par le railway de Glasgow a Balloch, entre la metropole commerciale de
+l'Ecosse et l'extremite meridionale du lac Lomond, on ne compte qu'une
+vingtaine de milles.
+
+Le train passa par Dumbarton, bourg royal et chef-lieu de comte, dont
+le chateau, toujours fortifie, conformement au traite de l'Union, est
+pittoresquement campe sur les deux pics d'un gros rocher de basalte.
+
+Dumbarton est situe au confluent de la Clyde et de la Leven. A ce
+propos, James Starr raconta quelques particularites de l'aventureuse
+histoire de Marie Stuart. En effet, ce fut de ce bourg qu'elle partit
+pour aller epouser Francois II et devenir reine de France. La aussi,
+apres 1815, le ministere anglais medita d'interner Napoleon; mais le
+choix de Sainte-Helene prevalut, et voila pourquoi le prisonnier de
+l'Angleterre alla mourir sur un roc de l'Atlantique, pour le plus grand
+profit de la legendaire memoire.
+
+Bientot, le train s'arreta a Balloch, pres d'une estacade en bois qui
+descendait au niveau du lac.
+
+Un bateau a vapeur, le _Sinclair_, attendait les touristes qui font
+l'excursion des lacs. Nell et ses compagnons s'y embarquerent, apres
+avoir pris leur billet pour Inversnaid, a l'extremite nord du lac
+Lomond.
+
+La journee commencait par un beau soleil, bien degage de ces brumes
+britanniques, dont il se voile le plus ordinairement. Aucun detail de
+ce paysage, qui allait se derouler sur un parcours de trente milles, ne
+devait echapper aux voyageurs du _Sinclair_. Nell, assise a l'arriere
+entre James Starr et Harry, aspirait par tous ses sens la poesie
+superbe, dont cette belle nature ecossaise est si largement empreinte.
+
+Jack Ryan allait et venait sur le pont du _Sinclair_, interrogeant sans
+cesse l'ingenieur, qui, cependant, n'avait pas besoin d'etre interroge.
+A mesure que ce pays de Rob Roy se developpait a ses regards, il le
+decrivait en admirateur enthousiaste.
+
+Dans les premieres eaux du lac Lomond, apparurent d'abord de nombreuses
+petites iles ou ilots. C'etait comme un semis. Le _Sinclair_ cotoyait
+leurs rives escarpees, et, dans l'entre-deux des iles, se dessinaient,
+tantot une vallee solitaire, tantot une gorge sauvage, herissee de rocs
+abrupts.
+
+<< Nell, dit James Starr, chacun de ces ilots a sa legende, et peut-etre
+sa chanson, aussi bien que les monts qui encadrent le lac. On peut
+dire, sans trop de pretention, que l'histoire de cette contree est
+ecrite avec ces caracteres gigantesques d'iles et de montagnes.
+
+-- Savez-vous, monsieur Starr, dit Harry, ce que me rappelle cette
+partie du lac Lomond ?
+
+-- Que te rappelle-t-elle, Harry ?
+
+-- Les mille iles du lac Ontario, si admirablement decrites par Cooper.
+Tu dois etre comme moi frappee de cette ressemblance, ma chere Nell,
+car, il y a quelques jours, je t'ai lu ce roman qu'on a pu justement
+nommer le chef-d'&oelig;uvre de l'auteur americain.
+
+-- En effet, Harry, repondit la jeune fille, c'est le meme aspect, et
+le _Sinclair_ se glisse entre ces iles, comme faisait au lac Ontario le
+cutter de Jasper Eau-douce !
+
+-- Eh bien, reprit l'ingenieur, cela prouve que les deux sites
+meritaient d'etre egalement chantes par deux poetes ! Je ne connais pas
+ces mille iles de l'Ontario, Harry, mais je doute que l'aspect en soit
+plus varie que celui de cet archipel du Lomond. Regardez ce paysage !
+voici l'ile Murray, avec son vieux fort Lennox, ou resida la vieille
+duchesse d'Albany, apres la mort de son pere, de son epoux, de ses deux
+fils, decapites par ordre de Jacques Ier. Voici l'ile Clar, l'ile Cro,
+l'ile Torr, les unes rocheuses, sauvages, sans apparence de vegetation,
+les autres, montrant leur croupe verte et arrondie. Ici, des melezes et
+des bouleaux. La, des champs de bruyeres jaunes et dessechees. En
+verite ! j'ai quelque peine a croire que les mille iles du lac Ontario
+offrent une telle variete de sites !
+
+-- Quel est ce petit port ? demanda Nell, qui s'etait retournee vers la
+rive orientale du lac.
+
+-- C'est Balmaha, qui forme l'entree des Highlands, repondit James
+Starr. La commencent nos hautes terres d'Ecosse. Les ruines que tu
+apercois, Nell, sont celles d'un ancien couvent de femmes, et ces
+tombes eparses renferment divers membres de la famille des Mac Gregor,
+dont le nom est encore celebre dans toute la contree.
+
+-- Celebre par le sang que cette famille a repandu et fait repandre !
+fit observer Harry.
+
+-- Tu as raison, repondit James Starr, et il faut bien avouer que la
+celebrite, due aux batailles, est encore la plus retentissante. Ils
+vont loin a travers les ages ces recits de combats...
+
+-- Et ils se perpetuent par les chansons >>, ajouta Jack Ryan.
+
+Et, a l'appui de son dire, le brave garcon entonna le premier couplet
+d'un vieux chant de guerre, qui relatait les exploits d'Alexandre Mac
+Gregor, du glen Srae, contre sir Humphry Colquhour, de Luss.
+
+Nell ecoutait, mais, de ces recits de combats, elle ne recevait qu'une
+impression triste. Pourquoi tant de sang verse sur ces plaines que la
+jeune fille trouvait immenses, la ou la place, cependant, ne devait
+manquer a personne ?
+
+Les rives du lac, qui mesurent de trois a quatre milles, tendaient a se
+rapprocher aux abords du petit port de Luss. Nell put apercevoir un
+instant la vieille tour de l'ancien chateau. Puis, le _Sinclair_ remit
+le cap au nord, et aux yeux des touristes se montra le Ben Lomond, qui
+s'eleve a pres de trois mille pieds au-dessus du niveau du lac.
+
+<< L'admirable montagne ! s'ecria Nell, et, de son sommet, que la vue
+doit etre belle !
+
+-- Oui, Nell, repondit James Starr. Regarde comme cette cime se degage
+fierement de la corbeille de chenes, de bouleaux, de melezes, qui
+tapissent la zone inferieure du mont ! De la, on apercoit les deux
+tiers de notre vieille Caledonie. C'est ici que le clan de Mac Gregor
+faisait sa residence habituelle, sur la partie orientale du lac. Non
+loin, les querelles des Jacobites et des Hanovriens ont plus d'une fois
+ensanglante ces gorges desolees. La, pendant les belles nuits, se leve
+cette pale lune, que les vieux recits nomment << la lanterne de Mac
+Farlane >>. La, les echos repetent encore les noms imperissables de Rob
+Roy et de Mac Gregor Campbell ! >>
+
+Le Ben Lomond, dernier pic de la chaine des Grampians, merite vraiment
+d'avoir ete celebre par le grand romancier ecossais. Ainsi que le fit
+observer James Starr, il existe de plus hautes montagnes, dont la cime
+revet des neiges eternelles, mais il n'en est peut-etre pas de plus
+poetique en aucun coin du monde.
+
+<< Et, ajouta-t-il, quand je pense que ce Ben Lomond appartient tout
+entier au duc de Montrose ! Sa Grace possede une montagne comme un
+bourgeois de Londres possede un boulingrin dans son jardinet. >>
+
+Pendant ce temps, le _Sinclair_ arrivait au village de Tarbet, sur la
+rive opposee du lac, ou il deposa les voyageurs qui se rendaient a
+Inverary. De cet endroit, le Ben Lomond apparaissait dans toute sa
+beaute. Ses flancs, zebres par le lit des torrents, miroitaient comme
+des plaques d'argent en fusion.
+
+A mesure que le _Sinclair_ longeait la base de la montagne, le pays
+devenait de plus en plus abrupt. A peine, ca et la, des arbres isoles,
+entre autres quelques-uns de ces saules, dont les baguettes servaient
+autrefois a pendre les gens de petite condition.
+
+<< Pour economiser le chanvre >>, fit observer James Starr.
+
+Le lac, cependant, se retrecissait en s'allongeant vers le nord. Les
+montagnes laterales l'enserraient plus etroitement. Le bateau a vapeur
+longea encore quelques iles et ilots, Inveruglas, Eilad Whou, ou se
+dressaient les vestiges d'une forteresse qui appartenait aux Mac
+Farlane. Enfin les deux rives se rejoignirent, et le _Sinclair_
+s'arreta a la station d'Inverslaid.
+
+La, pendant qu'on preparait leur dejeuner, Nell et ses compagnons
+allerent visiter, pres du lieu de debarquement, un torrent qui se
+precipitait dans le lac d'une assez grande hauteur. Il paraissait avoir
+ete plante la comme un decor, pour le plaisir des touristes. Un pont
+tremblant sautait par-dessus les eaux tumultueuses, au milieu d'une
+poussiere liquide. De cet endroit, le regard embrassait une grande
+partie du Lomond, et le _Sinclair_ ne paraissait plus etre qu'un point
+a sa surface.
+
+Le dejeuner acheve, il s'agissait de se rendre au lac Katrine.
+Plusieurs voitures, aux armes de la famille Breadalbane -- cette
+famille qui assurait autrefois le bois et l'eau a Rob Roy fugitif --
+etaient a la disposition des voyageurs et leur offraient tout ce
+confort qui distingue la carrosserie anglaise.
+
+Harry installa Nell sur l'imperiale, conformement a la mode du jour.
+Ses compagnons et lui prirent place aupres d'elle. Un magnifique
+cocher, a livree rouge, reunit dans sa main gauche les guides de ses
+quatre chevaux, et l'attelage commenca a gravir le flanc de la
+montagne, en cotoyant le lit sinueux du torrent.
+
+La route etait fort escarpee. A mesure qu'elle s'elevait, la forme des
+cimes environnantes semblait se modifier. On voyait grandir superbement
+toute la chaine de la rive opposee du lac et les sommets d'Arroquhar,
+dominant la vallee d'Inveruglas. A gauche pointait le Ben Lomond, qui
+decouvrait ainsi le brusque escarpement de son flanc septentrional.
+
+Le pays compris entre le lac Lomond et le lac Katrine presentait un
+aspect sauvage. La vallee commencait par des defiles etroits qui
+aboutissaient au glen d'Aberfoyle. Ce nom rappela douloureusement a la
+jeune fille ces abimes remplis d'epouvante, au fond desquels s'etait
+ecoulee son enfance. Aussi James Starr s'empressa-t-il de la distraire
+par ses recits.
+
+La contree y pretait, d'ailleurs. C'est sur les bords du petit lac
+d'Ard que se sont accomplis les principaux evenements de la vie de Rob
+Roy. La se dressaient des roches calcaires d'un aspect sinistre,
+entremelees de cailloux, que l'action du temps et de l'atmosphere avait
+durcis comme du ciment. De miserables huttes, semblables a des tanieres
+-- de celles qu'on appelle << bourrochs >> --, gisaient au milieu des
+bergeries en ruine. On n'eut pu dire si elles etaient habitees par des
+creatures humaines ou des betes sauvages. Quelques marmots, aux cheveux
+deja decolores par l'intemperie du climat, regardaient passer les
+voitures avec de grands yeux ebahis.
+
+<< Voila bien, dit James Starr, ce que l'on peut plus particulierement
+appeler le pays de Rob Roy. C'est ici que l'excellent bailli Nichol
+Jarvie, digne fils de son pere le diacre, fut saisi par la milice du
+comte de Lennox. C'est a cet endroit meme qu'il resta suspendu par le
+fond de sa culotte, heureusement faite d'un bon drap d'Ecosse, et non
+de ces camelots legers de France ! Non loin des sources du Forth,
+qu'alimentent les torrents du Ben Lomond, se voit encore le gue que
+franchit le heros pour echapper aux soldats du duc de Montrose. Ah !
+s'il avait connu les sombres retraites de notre houillere, il aurait pu
+y defier toutes les recherches ! vous le voyez, mes amis, on ne peut
+faire un pas dans cette contree, merveilleuse a tant de titres, sans
+rencontrer ces souvenirs du passe dont s'est inspire Walter Scott,
+lorsqu'il a paraphrase en strophes magnifiques l'appel aux armes du
+clan des Mac Gregor !
+
+-- Tout cela est bien dit, monsieur Starr, repliqua Jack Ryan, mais,
+s'il est vrai que Nichol Jarvie resta suspendu par le fond de sa
+culotte, que devient notre proverbe : << Bien malin celui qui pourra
+jamais prendre la culotte d'un Ecossais ? >>
+
+-- Ma foi, Jack, tu as raison, repondit en riant James Starr, et cela
+prouve tout simplement que, ce jour-la, notre bailli n'etait pas vetu a
+la mode de ses ancetres !
+
+-- Il eut tort, monsieur Starr !
+
+-- Je n'en disconviens pas, Jack ! >>
+
+L'attelage, apres avoir gravi les abruptes rives du torrent,
+redescendit dans une vallee sans arbres, sans eaux, uniquement couverte
+d'une maigre bruyere. En certains endroits, quelques tas de pierres
+s'elevaient en pyramides.
+
+<< Ce sont des cairns, dit James Starr. Chaque passant, autrefois,
+devait y apporter une pierre, pour honorer le heros couche sous ces
+tombes. De la est venu le dicton gaelique : << Malheur a qui passe
+devant un cairn sans y deposer la pierre du dernier salut ! >> Si les
+fils avaient conserve la foi de leurs peres, ces amas de pierres
+seraient maintenant des collines. En verite, dans cette contree, tout
+contribue a developper cette poesie naturelle innee au c&oelig;ur des
+montagnards ! Il en est ainsi de tous les pays de montagne.
+L'imagination y est surexcitee par ces merveilles, et, si les Grecs
+eussent habite un pays de plaines, ils n'auraient jamais invente la
+mythologie antique ! >>
+
+Pendant ces discours et bien d'autres, la voiture s'enfoncait dans les
+defiles d'une vallee etroite, qui eut ete tres propice aux ebats des
+brawnies familiers de la grande Meg Merillies. Le petit lac d'Arklet
+fut laisse sur la gauche, et une route a pente raide se presenta, qui
+conduisait a l'auberge de Stronachlacar, sur la rive du lac Katrine.
+
+La, au musoir d'une legere estacade, se balancait un petit steam-boat,
+qui portait naturellement le nom de _Rob-Roy_. Les voyageurs s'y
+embarquerent aussitot : il allait partir.
+
+Le lac Katrine ne mesure que dix milles de longueur, sur une largeur
+qui ne depasse jamais deux milles. Les premieres collines du littoral
+sont encore empreintes d'un grand caractere.
+
+<< Voila donc ce lac, s'ecria James Starr, que l'on a justement compare
+a une longue anguille ! On affirme qu'il ne gele jamais. Je n'en sais
+rien, mais ce qu'il ne faut point oublier, c'est qu'il a servi de
+theatre aux exploits de la _Dame du lac_. Je suis certain que, si notre
+ami Jack regardait bien, il verrait glisser encore a sa surface l'ombre
+legere de la belle Helene Douglas !
+
+-- Certainement, monsieur Starr, repondit Jack Ryan, et pourquoi ne la
+verrais-je point ? Pourquoi cette jolie femme ne serait elle pas aussi
+visible sur les eaux du lac Katrine, que le sont les lutins de la
+houillere sur les eaux du lac Malcolm ? >>
+
+En cet instant, les sons clairs d'une cornemuse se firent entendre a
+l'arriere du _Rob-Roy_.
+
+La, un Highlander en costume national preludait, sur son << bag-pipe >> a
+trois bourdons, dont le plus gros sonnait le _sol_, le second le _si_,
+et le plus petit l'octave du gros. Quant au chalumeau, perce de huit
+trous, il donnait une gamme de _sol_ majeur dont le _fa_ etait naturel.
+
+Le refrain du Highlander etait un chant simple, doux et naif. On peut
+croire, veritablement, que ces melodies nationales n'ont ete composees
+par personne, qu'elles sont un melange naturel du souffle de la brise,
+du murmure des eaux, du bruissement des feuilles. La forme du refrain,
+qui revenait a intervalles reguliers, etait bizarre. Sa phrase se
+composait de trois mesures a deux temps, et d'une mesure a trois temps,
+finissant sur le temps faible. Contrairement aux chants de la vieille
+epoque, il etait en majeur, et l'on eut pu l'ecrire comme suit, dans ce
+langage chiffre qui donne, non les notes, mais les intervalles des tons
+:
+
+ 5 | 1.2 | 3525 | 1.765 | 22.22
+ ...
+
+ 1.2 | 3525 | 1.765 | 11.11
+ ...
+
+Un homme veritablement heureux alors, ce fut Jack Ryan. Ce chant des
+lacs d'Ecosse, il le savait. Aussi, pendant que le Highlander
+l'accompagnait sur sa cornemuse, il chanta de sa voix sonore un hymne,
+consacre aux poetiques legendes de la vieille Caledonie :
+
+ Beaux lacs aux ondes dormantes,
+ Gardez a jamais
+ Vos legendes charmantes,
+ Beaux lacs ecossais !
+
+ Sur vos bords on trouve la trace
+ De ces heros tant regrettes,
+ Ces descendants de noble race,
+ Que notre Walter a chantes !
+ Voici la tour ou les sorcieres
+ Preparaient leur repas frugal;
+ La, les vastes champs de bruyeres,
+ Ou revient l'ombre de Fingal.
+
+ Ici passent dans la nuit sombre
+ Les folles danses des lutins.
+ La, sinistre, apparait dans l'ombre
+ La face des vieux Puritains !
+ Et parmi les rochers sauvages,
+ Le soir, on peut surprendre encore
+ Waverley, qui, vers vos rivages,
+ Entraine Flora Mac Ivor !
+
+ La Dame du Lac vient sans doute
+ Errer la sur son palefroi,
+ Et Diana, non loin, ecoute
+ Resonner le cor de Rob Roy !
+ N'a-t-on pas entendu naguere
+ Fergus au milieu de ses clans,
+ Entonnant ses pibrochs de guerre,
+ Reveiller l'echo des Highlands
+
+ Si loin de vous, lacs poetiques,
+ Que le destin mene nos pas,
+ Ravins, rochers, grottes antiques,
+ Nos yeux ne vous oublieront pas !
+ O vision trop tot finie,
+ Vers nous ne peux-tu revenir
+ A toi, vieille Caledonie,
+ A toi, tout notre souvenir !
+
+ Beaux lacs aux ondes dormantes,
+ Gardez a jamais
+ Vos legendes charmantes,
+ Beaux lacs ecossais !
+
+Il etait trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine,
+moins accidentees, se detachaient alors dans le double cadre du Ben An
+et du Ben venue. Deja, a un demi-mille, se dessinait l'etroit bassin,
+au fond duquel le _Rob-Roy_ allait debarquer les voyageurs, qui se
+rendaient a Stirling par Callander.
+
+Nell etait comme epuisee par la tension continue de son esprit. Un seul
+mot sortait de ses levres : << Mon Dieu ! mon Dieu ! >> chaque fois qu'un
+nouveau sujet d'admiration s'offrait a sa vue. Il lui fallait quelques
+heures de repos, ne fut-ce que pour fixer plus durablement le souvenir
+de tant de merveilles.
+
+A ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec
+emotion et lui dit :
+
+<< Nell, ma chere Nell, bientot nous serons rentres dans notre sombre
+domaine ! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces
+quelques heures passees a la pleine lumiere du jour ?
+
+-- Non, Harry, repondit la jeune fille. Je me souviendrai, mais c'est
+avec bonheur que je rentrerai avec toi dans notre bien-aimee houillere.
+
+-- Nell, demanda Harry d'une voix dont il voulait en vain contenir
+l'emotion, veux-tu qu'un lien sacre nous unisse a jamais devant Dieu et
+devant les hommes ? veux-tu de moi pour epoux ?
+
+-- Je le veux, Harry, repondit Nell, en le regardant de ses yeux si
+purs, je le veux, si tu crois que je puisse suffire a ta vie... >> Nell
+n'avait pas acheve cette phrase, dans laquelle se resumait tout
+l'avenir d'Harry, qu'un inexplicable phenomene se produisait.
+
+Le _Rob-Roy_, bien qu'il fut encore a un demi-mille de la rive,
+eprouvait un choc brusque. Sa quille venait de heurter le fond du lac,
+et sa machine, malgre tous ses efforts, ne put l'en arracher.
+
+Et si cet accident etait arrive, c'est que, dans sa portion orientale,
+le lac Katrine venait de se vider presque subitement, comme si une
+immense fissure se fut ouverte sous son lit. En quelques secondes, il
+s'etait asseche, ainsi qu'un littoral au plus bas d'une grande maree
+d'equinoxe. Presque tout son contenu avait fui a travers les entrailles
+du sol.
+
+<< Mes amis, s'etait ecrie James Starr, comme si la cause du phenomene
+se fut soudain revelee a son esprit, Dieu sauve la Nouvelle-Aberfoyle !
+>>
+
+ XIX
+
+ Une derniere menace
+
+Ce jour-la, dans la Nouvelle-Aberfoyle, les travaux s'accomplissaient
+d'une facon reguliere. On entendait au loin le fracas des cartouches de
+dynamite, faisant eclater le filon carbonifere. Ici, c'etaient les
+coups de pic et de pince qui provoquaient l'abatage du charbon; la, le
+grincement des perforatrices, dont les fleurets trouaient les failles
+de gres ou de schiste. Il se faisait de longs bruits caverneux. L'air
+aspire par les machines fusait a travers les galeries d'aeration. Les
+portes de bois se refermaient brusquement sous ces violentes poussees.
+Dans les tunnels inferieurs, les trains de wagonnets, mus
+mecaniquement, passaient avec une vitesse de quinze milles a l'heure,
+et les timbres automatiques prevenaient les ouvriers de se blottir dans
+les refuges. Les cages montaient et descendaient sans relache, halees
+par les enormes tambours des machines installees a la surface du sol.
+Les disques, pousses a plein feu, eclairaient vivement Coal-city.
+
+L'exploitation etait donc conduite avec la plus grande activite. Le
+filon s'egrenait dans les wagonnets, qui venaient par centaines se
+vider dans les bennes, au fond des puits d'extraction. Pendant qu'une
+partie des mineurs se reposait apres les travaux nocturnes, les equipes
+de jour travaillaient sans perdre une heure.
+
+Simon Ford et Madge, leur diner termine, s'etaient installes dans la
+cour du cottage. Le vieil overman faisait sa sieste accoutumee. Il
+fumait sa pipe bourree d'excellent tabac de France. Lorsque les deux
+epoux causaient, c'etait pour parler de Nell, de leur garcon, de James
+Starr, de cette excursion a la surface de la terre. Ou etaient-ils ?
+Que faisaient-ils en ce moment ? Comment, sans eprouver la nostalgie de
+la houillere, pouvaient-ils rester si longtemps au-dehors ?
+
+En ce moment, un mugissement d'une violence extraordinaire se fit
+soudain entendre. C'etait a croire qu'une enorme cataracte se
+precipitait dans la houillere.
+
+Simon Ford et Madge s'etaient leves brusquement.
+
+Presque aussitot les eaux du lac Malcolm se gonflerent. Une haute
+vague, deferlant comme une lame de mascaret, envahit la rive et vint se
+briser contre le mur du cottage.
+
+Simon Ford, saisissant Madge, l'avait rapidement entrainee au premier
+etage de l'habitation.
+
+En meme temps, des cris s'elevaient de toutes parts dans Coalcity,
+menacee par cette inondation subite. Ses habitants cherchaient refuge
+jusque sur les hautes roches schisteuses, qui formaient le littoral du
+lac.
+
+La terreur etait au comble. Deja quelques familles de mineurs, a demi
+affolees, se precipitaient vers le tunnel, pour gagner les etages
+superieurs. On pouvait craindre que la mer n'eut fait irruption dans la
+houillere, dont les galeries s'enfoncaient jusque sous le canal du
+Nord. La crypte, si vaste qu'elle fut, aurait ete entierement noyee.
+Pas un des habitants de la Nouvelle-Aberfoyle n'eut echappe a la mort.
+
+Mais, au moment ou les premiers fuyards atteignaient l'orifice du
+tunnel, ils se trouverent en face de Simon Ford, qui avait aussitot
+quitte le cottage.
+
+<< Arretez, arretez, mes amis ! leur cria le vieil overman. Si notre
+cite devait etre envahie, l'inondation courrait plus vite que vous, et
+personne ne lui echapperait ! Mais les eaux ne croissent plus ! Tout
+danger parait etre ecarte.
+
+-- Et nos compagnons qui sont occupes aux travaux du fond ? s'ecrierent
+quelques-uns des mineurs.
+
+-- Il n'y a rien a craindre pour eux, repondit Simon Ford.
+L'exploitation se fait a un etage superieur au lit du lac ! >>
+
+Les faits devaient donner raison au vieil overman. L'envahissement de
+l'eau s'etait produit subitement; mais, reparti a l'etage inferieur de
+la vaste houillere, il n'avait eu d'autre effet que de surelever de
+quelques pieds le niveau du lac Malcolm. Coal-city n'etait donc pas
+compromise, et l'on pouvait esperer que l'inondation, entrainee dans
+les plus basses profondeurs de la houillere, encore inexploitees,
+n'aurait fait aucune victime.
+
+Quant a cette inondation, si elle etait due a l'epanchement d'une nappe
+interieure a travers les fissures du massif, ou si quelque cours d'eau
+du sol s'etait precipite par son lit effondre jusqu'aux derniers etages
+de la mine, Simon Ford et ses compagnons ne pouvaient le dire. Quant a
+penser qu'il s'agissait la d'un simple accident, tel qu'il s'en produit
+quelquefois dans les charbonnages, cela ne faisait doute pour personne.
+
+Mais, le soir meme, on savait a quoi s'en tenir. Les journaux du comte
+publiaient le recit de cet etrange phenomene, dont le lac Katrine avait
+ete le theatre. Nell, Harry, James Starr et Jack Ryan, qui etaient
+revenus en toute hate au cottage, confirmaient ces nouvelles, et
+apprenaient, non sans grande satisfaction, que tout se bornait a des
+degats materiels dans la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Ainsi donc, le lit du lac Katrine s'etait subitement effondre. Ses eaux
+avaient fait irruption a travers une large fissure jusque dans la
+houillere. Au lac favori du romancier ecossais, il ne restait plus de
+quoi mouiller les jolis pieds de la Dame du Lac, -- du moins dans toute
+sa partie meridionale. Un etang de quelques acres, voila a quoi il
+etait reduit, la ou son lit se trouvait en contrebas de la portion
+effondree.
+
+Quel retentissement eut cet evenement bizarre ! C'etait la premiere
+fois, sans doute, qu'un lac se vidait en quelques instants dans les
+entrailles du sol. Il n'y avait plus, maintenant, qu'a rayer celui-ci
+des cartes du Royaume-Uni, jusqu'a ce qu'on l'eut rempli de nouveau --
+par souscription publique --, apres avoir prealablement bouche la
+fissure. Walter Scott en fut mort de desespoir, -- s'il eut encore ete
+de ce monde !
+
+Apres tout, l'accident etait explicable. En effet, entre la profonde
+cavite et le lit du lac, l'etage des terrains secondaires se reduisait
+a une mince couche, par suite d'une disposition geologique particuliere
+du massif.
+
+Mais, si cet eboulement semblait etre du a une cause naturelle, James
+Starr, Simon et Harry Ford se demanderent, eux, s'il ne fallait pas
+l'attribuer a la malveillance. Les soupcons etaient revenus avec plus
+de force a leur esprit. Le genie malfaisant allait-il donc recommencer
+ses entreprises contre les exploitants de la riche houillere ?
+
+Quelques jours apres, James Starr en causait au cottage avec le vieil
+overman et son fils.
+
+<< Simon, dit-il, suivant moi, bien que le fait puisse s'expliquer de
+lui-meme, j'ai comme un pressentiment qu'il rentre dans la categorie de
+ceux dont nous recherchons encore la cause !
+
+-- Je pense comme vous, monsieur James, repondit Simon Ford; mais, si
+vous m'en croyez, n'ebruitons rien et faisons notre enquete nous-memes.
+
+-- Oh ! s'ecria l'ingenieur, j'en connais le resultat d'avance !
+
+-- Eh ! quel sera-t-il ?
+
+-- Nous trouverons les preuves de la malveillance, mais non le
+malfaiteur !
+
+-- Cependant il existe ! repondit Simon Ford. Ou se cache-t-il ? Un
+seul etre, si pervers qu'il soit, pourrait-il mener a bien une idee
+aussi infernale que celle de provoquer l'effondrement d'un lac ?
+vraiment, je finirai par croire, avec Jack Ryan, que c'est quelque
+genie de la houillere, qui nous en veut d'avoir envahi son domaine ! >>
+
+Il va sans dire que Nell, autant que possible, etait tenue en dehors de
+ces conciliabules. Elle aidait, d'ailleurs, au desir qu'on avait de ne
+lui en rien laisser soupconner. Son attitude temoignait, toutefois,
+qu'elle partageait les preoccupations de sa famille adoptive. Sa figure
+attristee portait la marque des combats interieurs qui l'agitaient.
+
+Quoi qu'il en soit, il fut resolu que James Starr, Simon et Harry Ford
+retourneraient sur le lieu meme de l'eboulement, et qu'ils essaieraient
+de se rendre compte de ses causes. Ils ne parlerent a personne de leur
+projet. A qui n'eut pas connu l'ensemble des faits qui lui servaient de
+base, l'opinion de James Starr et de ses amis devait sembler absolument
+inadmissible.
+
+Quelques jours apres, tous trois, montant un leger canot que
+man&oelig;uvrait Harry, vinrent examiner les piliers naturels qui
+soutenaient la partie du massif, dans laquelle se creusait le lit du
+lac Katrine.
+
+Cet examen leur donna raison. Les piliers avaient ete attaques a coups
+de mine. Les traces noircies etaient encore visibles, car les eaux
+avaient baisse par suite d'infiltrations, et l'on pouvait arriver
+jusqu'a la base de la substruction.
+
+Cette chute d'une portion des voutes du dome avait ete premeditee, puis
+executee de main d'homme.
+
+<< Aucun doute n'est possible, dit James Starr. Et qui sait ce qui
+serait arrive, si, au lieu de ce petit lac, l'effondrement eut ouvert
+passage aux eaux d'une mer !
+
+-- Oui ! s'ecria le vieil overman avec un sentiment de fierte, il
+n'aurait pas fallu moins d'une mer pour noyer notre Aberfoyle ! Mais,
+encore une fois, quel interet peut avoir un etre quelconque a la ruine
+de notre exploitation ?.
+
+-- C'est incomprehensible, repondit James Starr. Il ne s'agit pas la
+d'une bande de malfaiteurs vulgaires qui, de l'antre ou ils s'abritent,
+se repandraient sur le pays pour voler et piller ! De tels mefaits,
+depuis trois ans, auraient revele leur existence ! Il ne s'agit pas,
+non plus, comme j'y ai pense quelquefois, de contrebandiers ou de faux
+monnayeurs, cachant dans quelque recoin encore ignore de ces immenses
+cavernes leur coupable industrie, et interesses par suite a nous en
+chasser. On ne fait ni de la fausse monnaie ni de la contrebande pour
+la garder ! Il est clair cependant qu'un ennemi implacable a jure la
+perte de la Nouvelle Aberfoyle, et qu'un interet le pousse a chercher
+tous les moyens possibles d'assouvir la haine qu'il trous a vouee !
+Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c'est dans l'ombre
+qu'il prepare ses embuches, mais l'intelligence qu'il y deploie fait de
+lui un etre redoutable. Mes amis, il possede mieux que nous tous les
+secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il echappe a
+toutes nos recherches ! C'est un homme du metier, un habile parmi les
+habiles, a coup sur, Simon. Ce que nous avons surpris de sa facon
+d'operer en est la preuve manifeste. Voyons ! avez-vous jamais eu
+quelque ennemi personnel, sur lequel vos soupcons puissent se porter ?
+Cherchez bien. Il y a des monomanies de haine que le temps n'eteint
+pas. Remontez au plus haut dans votre vie, s'il le faut. Tout ce qui se
+passe est l'&oelig;uvre d'une sorte de folie froide et patiente, qui
+exige que vous evoquiez sur ce point jusqu'a vos plus lointains
+souvenirs ! >>
+
+Simon Ford ne repondit pas. On voyait que l'honnete overman, avant de
+s'expliquer, interrogeait avec candeur tout son passe. Enfin, relevant
+la tete :
+
+<< Non, dit-il, devant Dieu, ni Madge, ni moi, nous n'avons jamais fait
+de mal a personne. Nous ne croyons pas que nous puissions avoir un
+ennemi, un seul !
+
+-- Ah ! s'ecria l'ingenieur, si Nell voulait enfin parler !
+
+-- Monsieur Starr, et vous, mon pere, repondit Harry, je vous en
+supplie, gardons encore pour nous seuls le secret de notre enquete !
+N'interrogez pas ma pauvre Nell ! Je la sens deja anxieuse et
+tourmentee. Il est certain pour moi que son c&oelig;ur contient a
+grand-peine un secret qui l'etouffe. Si elle se tait, c'est ou qu'elle
+n'a rien a dire, ou qu'elle ne croit pas devoir parler ! Nous ne
+pouvons pas douter de son affection pour nous, pour nous tous ! Plus
+tard, si elle m'apprend ce qu'elle nous a tu jusqu'ici, vous en serez
+instruits aussitot.
+
+-- Soit, Harry, repondit l'ingenieur, et cependant ce silence, si Nell
+sait quelque chose, est vraiment bien inexplicable ! >>
+
+Et comme Harry allait se recrier :
+
+<< Sois tranquille, ajouta l'ingenieur. Nous ne dirons rien a celle qui
+doit etre ta femme.
+
+-- Et qui le serait sans plus attendre, si vous le vouliez, mon pere !
+
+-- Mon garcon, dit Simon Ford, dans un mois, jour pour jour, ton
+mariage se fera. -- vous tiendrez lieu de pere a Nell, monsieur James ?
+
+-- Comptez sur moi, Simon >>, repondit l'ingenieur.
+
+James Starr et ses deux compagnons revinrent au cottage. Ils ne dirent
+rien du resultat de leur exploration, et, pour tout le monde de la
+houillere, l'effondrement des voutes resta a l'etat de simple accident.
+Il n'y avait qu'un lac de moins en Ecosse.
+
+Nell avait peu a peu repris ses occupations habituelles. De cette
+visite a la surface du comte, elle avait garde d'imperissables
+souvenirs qu'Harry utilisait pour son instruction. Mais cette
+initiation a la vie du dehors ne lui avait laisse aucun regret. Elle
+aimait, comme avant cette exploration, le sombre domaine ou, femme,
+elle continuerait de demeurer, apres y avoir vecu enfant et jeune fille.
+
+Cependant, le mariage prochain de Harry Ford et de Nell avait fait
+grand bruit dans la Nouvelle-Aberfoyle. Les compliments affluerent au
+cottage. Jack Ryan ne fut pas le dernier a y apporter les siens. On le
+surprenait aussi a etudier au loin ses meilleures chansons pour une
+fete a laquelle toute la population de Coal-city devait prendre part.
+
+Mais il arriva que, pendant le mois qui preceda le mariage, la
+Nouvelle-Aberfoyle fut plus eprouvee qu'elle ne l'avait jamais ete. On
+eut dit que l'approche de l'union de Nell et d'Harry provoquait
+catastrophes sur catastrophes. Les accidents se produisaient
+principalement dans les travaux du fond, sans que la veritable cause
+put en etre connue.
+
+Ainsi, un incendie devora le boisage d'une galerie inferieure, et on
+retrouva la lampe que l'incendiaire avait employee. Harry et ses
+compagnons durent risquer leur vie pour arreter ce feu, qui menacait de
+detruire le gisement, et ils n'y parvinrent qu'en employant les
+extincteurs, remplis d'une eau chargee d'acide carbonique, dont la
+houillere etait prudemment pourvue.
+
+Une autre fois, ce fut un eboulement du a la rupture des etancons d'un
+puits, et James Starr constata que ces etancons avaient ete
+prealablement attaques a la scie. Harry, qui surveillait les travaux
+sur ce point, fut enseveli sous les decombres et n'echappa que par
+miracle a la mort.
+
+Quelques jours apres, sur le tramway a traction mecanique, le train de
+wagonnets sur lequel Harry etait monte, tamponna un obstacle et fut
+culbute. On reconnut ensuite qu'une poutre avait ete placee en travers
+de la voie.
+
+Bref, ces faits se multiplierent tellement, qu'une sorte de panique se
+declara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la presence
+de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.
+
+<< Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs ! repetait Simon
+Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul ! >>
+
+On recommenca les recherches. La police du comte se tint sur pied nuit
+et jour, mais elle ne put rien decouvrir. James Starr defendit a Harry,
+que cette malveillance semblait viser plus directement, de s'aventurer
+jamais seul hors du centre des travaux.
+
+On en agit de meme a l'egard de Nell, a laquelle, sur les instances de
+Harry, on cachait, neanmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui
+pouvaient lui rappeler le souvenir du passe. Simon Ford et Madge la
+gardaient jour et nuit avec une sorte de severite, ou plutot de
+sollicitude farouche. La pauvre enfant s'en rendait compte, mais pas
+une remarque, pas une plainte ne lui echappa. Se disait-elle que si
+l'on en agissait ainsi, c'etait dans son interet ? Oui, probablement.
+Toutefois, elle aussi, a sa facon, semblait veiller sur les autres, et
+ne se montrait tranquille, que lorsque tous ceux qu'elle aimait etaient
+reunis au cottage. Le soir, quand Harry rentrait, elle ne pouvait
+retenir un mouvement de joie folle, peu compatible avec sa nature,
+d'ordinaire plus reservee qu'expansive. La nuit une fois passee, elle
+etait debout, avant tous les autres. Son inquietude la reprenait des le
+matin, a l'heure de la sortie pour les travaux du fond.
+
+Harry aurait voulu, pour lui rendre le repos, que leur mariage fut un
+fait accompli, Il lui semblait que, devant cet acte irrevocable, la
+malveillance, devenue inutile, desarmerait, et que Nell ne se sentirait
+en surete que lorsqu'elle serait sa femme. Cette impatience etait
+d'ailleurs partagee par James Starr aussi bien que par Simon Ford et
+Madge. Chacun comptait les jours.
+
+La verite est que chacun etait sous le coup des plus sinistres
+pressentiments. Cet ennemi cache, qu'on ne savait ou prendre et comment
+combattre, on se disait tout bas que rien de ce qui concernait Nell ne
+lui etait sans doute indifferent. Cet acte solennel du mariage d'Harry
+et de la jeune fille pouvait donc etre l'occasion de quelque
+machination nouvelle de sa haine.
+
+Un matin, huit jours avant l'epoque convenue pour la ceremonie, Nell,
+poussee sans doute par quelque sinistre pressentiment, etait parvenue a
+sortir la premiere du cottage, dont elle voulait observer les abords.
+
+Arrivee au seuil, un cri d'indicible angoisse s'echappa de sa bouche.
+
+Ce cri retentit dans toute l'habitation, et attira en un instant Madge,
+Simon et Harry pres de la jeune fille.
+
+Nell etait pale comme la mort, le visage bouleverse, les traits
+empreints d'une epouvante inexprimable. Hors d'etat de parler, son
+regard etait fixe sur la porte du cottage, qu'elle venait d'ouvrir. Sa
+main crispee y designait ces lignes, qui avaient ete tracees pendant la
+nuit et dont la vue la terrifiait :
+
+<< Simon Ford, tu m'as vole le dernier filon de nos vieilles houilleres
+! Harry, ton fils, m'a vole Nell ! Malheur a vous ! malheur a tous !
+malheur a la Nouvelle-Aberfoyle ! >>
+
+ << SILFAX. >>
+
+<< Silfax ! s'ecrierent a la fois Simon Ford et Madge.
+
+-- Quel est cet homme ? demanda Harry, dont le regard se portait
+alternativement de son pere a la jeune fille.
+
+-- Silfax ! repetait Nell avec desespoir, Silfax ! >>
+
+Et tout son etre fremissait en murmurant ce nom, pendant que Madge,
+s'emparant d'elle, la reconduisait presque de force a sa chambre.
+
+James Starr etait accouru. Apres avoir lu et relu la phrase menacante :
+
+<< La main qui a trace ces lignes, dit-il, est celle qui m'avait ecrit
+la lettre contradictoire de la votre, Simon ! Cet homme se nomme Silfax
+! Je vois a votre trouble que vous le connaissez ! Quel est ce Silfax ?
+>>
+
+ XX
+
+ Le penitent
+
+Ce nom avait ete toute une revelation pour le vieil overman.
+
+C'etait celui du dernier << penitent >> de la fosse Dochart.
+
+Autrefois, avant l'invention de la lampe de surete, Simon Ford avait
+connu cet homme farouche, qui, au risque de sa vie, allait chaque jour
+provoquer les explosions partielles du grisou. Il avait vu cet etre
+etrange, rodant dans la mine, toujours accompagne d'un enorme harfang,
+sorte de chouette monstrueuse, qui l'aidait dans son perilleux metier
+en portant une meche enflammee la ou la main de Silfax ne pouvait
+atteindre. Un jour, ce vieillard avait disparu, et, en meme temps que
+lui, une petite orpheline, nee dans la mine et qui n'avait plus pour
+parent que lui, son arriere-grand-pere. Cette enfant, evidemment,
+c'etait Nell. Depuis quinze ans, tous deux auraient donc vecu dans
+quelque secret abime, jusqu'au jour ou Nell fut sauvee par Harry.
+
+Le vieil overman, en proie a la fois a un sentiment de pitie et de
+colere, communiqua a l'ingenieur et a son fils ce que la vue de ce nom
+de Silfax venait de lui reveler.
+
+Cela eclaircissait toute la situation. Silfax etait l'etre mysterieux
+vainement cherche dans les profondeurs de la Nouvelle Aberfoyle !
+
+<< Ainsi, vous l'avez connu, Simon ? demanda l'ingenieur.
+
+-- Oui, en verite, repondit l'overman. L'homme au harfang ! Il n'etait
+deja plus jeune. Il devait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi.
+Une sorte de sauvage, qui ne frayait avec personne, qui passait pour ne
+craindre ni l'eau ni le feu ! C'etait par gout qu'il avait choisi le
+metier de penitent, dont peu se souciaient. Cette dangereuse profession
+avait derange ses idees. On le disait mechant, et il n'etait peut-etre
+que fou. Sa force etait prodigieuse. Il connaissait la houillere comme
+pas un, -- aussi bien que moi tout au moins. On lui accordait une
+certaine aisance. Ma foi, je le croyais mort depuis bien des annees.
+
+-- Mais, reprit James Starr, qu'entend-il par ces mots : << Tu m'as vole
+le dernier filon de nos vieilles houilleres >> ?
+
+-- Ah ! voila, repondit Simon Ford. Il y a longtemps deja, Silfax, dont
+la cervelle, je vous l'ai dit, a toujours ete derangee, pretendait
+avoir des droits sur l'ancienne Aberfoyle. Aussi son humeur
+devenait-elle de plus en plus farouche a mesure que la fosse Dochart,
+-- sa fosse ! -- s'epuisait ! Il semblait que ce fussent ses propres
+entrailles que chaque coup de pic lui arrachat du corps ! -- Tu dois
+te. souvenir de cela, Madge ?
+
+-- Oui, Simon, repondit la vieille Ecossaise.
+
+-- Cela me revient maintenant, reprit Simon Ford, depuis que j'ai vu le
+nom de Silfax sur cette porte; mais, je le repete, je le croyais mort,
+et je ne pouvais imaginer que cet etre malfaisant, que nous avons tant
+cherche, fut l'ancien penitent de la fosse Dochart !
+
+-- En effet, dit James Starr, tout s'explique. Un hasard a revele a
+Silfax l'existence du nouveau gisement. Dans son egoisme de fou, il
+aura voulu s'en constituer le defenseur, vivant dans la houillere, la
+parcourant nuit et jour, il aura surpris votre secret, Simon, et su que
+vous me demandiez en toute hate au cottage. De la, cette lettre
+contradictoire de la votre; de la, apres mon arrivee, le bloc de pierre
+lance contre Harry et les echelles detruites du puits Yarow; de la,
+l'obturation des fissures a la paroi du nouveau gisement; de la, enfin,
+notre sequestration, puis notre delivrance, qui s'est accomplie grace a
+la secourable Nell, sans doute, a l'insu et malgre ce Silfax !
+
+-- Vous venez de raconter les choses comme elles ont evidemment du se
+passer, monsieur James, repondit Simon Ford. Le vieux penitent est
+certainement fou, maintenant !
+
+-- Cela vaut mieux, dit Madge.
+
+-- Je ne sais, reprit James Starr en secouant la tete, car ce doit etre
+une folie terrible que la sienne ! Ah ! je comprends que Nell ne puisse
+songer a lui sans epouvante, et je comprends aussi qu'elle n'ait pas
+voulu denoncer son grand-pere ! Quelles tristes annees elle a du passer
+pres de ce vieillard !
+
+-- Bien tristes ! repondit Simon Ford, entre ce sauvage et son harfang,
+non moins sauvage que lui ! Car, bien sur, il n'est pas mort, cet
+oiseau ! Ce ne peut etre que lui qui a eteint notre lampe, lui qui a
+failli couper la corde a laquelle etaient suspendus Harry et Nell !...
+
+-- Et je comprends, dit Madge, que la nouvelle du mariage de sa
+petite-fille avec notre fils semble avoir exaspere la rancune et
+redouble la rage de Silfax !
+
+-- Le mariage de Nell avec le fils de celui qu'il accuse de lui avoir
+vole le dernier gisement des Aberfoyle ne peut, en effet, qu'avoir
+porte son irritation au comble ! reprit Simon Ford.
+
+-- Il faudra pourtant bien qu'il prenne son parti de cette union !
+s'ecria Harry. Si etranger qu'il soit a la vie commune, on finira bien
+par l'amener a reconnaitre que la nouvelle existence de Nell vaut mieux
+que celle qu'il lui faisait dans les abimes de la houillere ! Je suis
+sur, monsieur Starr, que si nous pouvions mettre la main sur lui, nous
+parviendrions a lui faire entendre raison !...
+
+-- On ne raisonne pas avec la folie, mon pauvre Harry ! repondit
+l'ingenieur. Mieux vaut sans doute connaitre son ennemi que l'ignorer,
+mais tout n'est pas fini, parce que nous savons aujourd'hui ce qu'il
+est. Tenons-nous sur nos gardes, mes amis, et pour commencer, Harry, il
+faut interroger Nell ! Il le faut ! Elle comprendra que, a l'heure
+qu'il est, son silence n'aurait plus de raison. Dans l'interet meme de
+son grand-pere, il convient qu'elle parle. Il importe autant pour lui
+que pour nous, que nous puissions mettre a neant ses sinistres projets.
+
+-- Je ne doute pas, monsieur Starr, repondit Harry, que Nell ne vienne
+de son propre mouvement au-devant de vos questions. Vous le savez
+maintenant, c'est par conscience, c'est par devoir qu'elle s'est tue
+jusqu'ici. C'est par devoir, c'est par conscience qu'elle parlera des
+que vous le voudrez. Ma mere a bien fait de la reconduire dans sa
+chambre. Elle avait grand besoin de se recueillir, mais je vais l'aller
+chercher...
+
+-- C'est inutile, Harry >>, dit d'une voix ferme et claire la jeune
+fille, qui entrait au moment meme dans la grande salle du cottage.
+
+Nell etait pale. Ses yeux disaient combien elle avait pleure; mais on
+la sentait resolue a la demarche que sa loyaute lui commandait en ce
+moment.
+
+<< Nell ! s'etait ecrie Harry, en s'elancant vers la jeune fille.
+
+-- Harry, repondit Nell, qui d'un geste arreta son fiance, ton pere, ta
+mere et toi, il faut aujourd'hui que vous sachiez tout. Il faut que
+vous n'ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne
+l'enfant que vous avez accueillie sans la connaitre et qu'Harry pour
+son malheur, helas ! a tiree de l'abime.
+
+-- Nell ! s'ecria Harry.
+
+-- Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence a Harry.
+
+-- Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n'ai jamais
+connu de mere que le jour ou je suis entree ici, ajouta-t-elle en
+regardant Madge.
+
+-- Que ce jour soit beni, ma fille ! repondit la vieille Ecossaise.
+
+-- Je n'ai jamais connu de pere que le jour ou j'ai vu Simon Ford,
+reprit Nell, et d'ami que le jour ou la main d'Harry a touche la mienne
+! Seule, j'ai vecu pendant quinze ans, dans les recoins les plus
+recules de la mine, avec mon grand-pere. Avec lui, c'est beaucoup dire.
+Par lui serait plus juste. Je le voyais a peine. Lorsqu'il disparut de
+l'ancienne Aberfoyle, il se refugia dans ces profondeurs que lui seul
+connaissait. A sa facon, il etait alors bon pour moi, quoique
+effrayant. Il me nourrissait de ce qu'il allait chercher au-dehors;
+mais j'ai le vague souvenir que, d'abord, pendant mes plus jeunes
+annees, j'ai eu pour nourrice une chevre, dont la perte m'a bien
+desolee. Grand-pere, me voyant si chagrine, la remplaca d'abord par un
+autre animal, -- un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien etait
+gai. Il aboyait. Grand-pere n'aimait pas la gaiete. Il avait horreur du
+bruit. Il m'avait appris le silence, et n'avait pu l'apprendre au
+chien. Le pauvre animal disparut presque aussitot. Grand-pere avait
+pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d'abord me fit
+horreur; mais cet oiseau, malgre la repulsion qu'il m'inspirait, me
+prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en
+etait venu a m'obeir mieux qu'a son maitre, et cela meme m'inquietait
+pour lui. Grand-pere etait jaloux. Le harfang et moi, nous nous
+cachions le plus que nous pouvions d'etre trop bien ensemble ! Nous
+comprenions qu'il le fallait !... Mais c'est trop vous parler de moi !
+C'est de vous qu'il s'agit...
+
+-- Non, ma fille, repondit James Starr. Dis les choses comme elles te
+viennent.
+
+-- Mon grand-pere, reprit Nell, avait toujours vu d'un tres mauvais
+&oelig;il votre voisinage dans la houillere. L'espace ne manquait pas,
+cependant. C'etait loin, bien loin de vous qu'il se choisissait des
+refuges. Cela lui deplaisait de vous sentir la. Quand je le
+questionnais sur les gens de la-haut, son visage s'assombrissait, il ne
+repondait pas et devenait comme muet pour longtemps. Mais ou sa colere
+eclata, ce fut quand il s'apercut que, ne vous contentant plus du vieux
+domaine, vous sembliez vouloir empieter sur le sien. Il jura que si
+vous parveniez a penetrer dans la nouvelle houillere, connue de lui
+seul jusqu'alors, vous peririez ! Malgre son age, sa force est encore
+extraordinaire, et ses menaces me firent trembler pour vous et pour lui.
+
+-- Continue, Nell, dit Simon Ford a la jeune fille, qui s'etait
+interrompue un instant, comme pour mieux rassembler ses souvenirs.
+
+-- Apres votre premiere tentative, reprit Nell, des que grand pere vous
+vit penetrer dans la galerie de la Nouvelle-Aberfoyle, il en boucha
+l'ouverture et en fit une prison pour vous. Je ne vous connaissais que
+comme des ombres, vaguement entrevues dans l'obscure houillere; mais je
+ne pus supporter l'idee que des chretiens allaient mourir de faim dans
+ces profondeurs, et, au risque d'etre prise sur le fait, je parvins a
+vous procurer pendant quelques jours un peu d'eau et de pain !...
+J'aurais voulu vous guider au-dehors, mais il etait si difficile de
+tromper la surveillance de mon grand-pere ! vous alliez mourir ! Jack
+Ryan et ses compagnons arriverent... Dieu a permis que je les aie
+rencontres ce jour-la ! Je les entrainai jusqu'a vous. Au retour, mon
+grand-pere me surprit. Sa colere contre moi fut terrible. Je crus que
+j'allais perir de sa main ! Depuis lors, la vie devint insupportable
+pour moi. Les idees de mon grand-pere s'egarerent tout a fait. Il se
+proclamait le roi de l'ombre et du feu ! Quand il entendait vos pics
+frapper ces filons qu'il regardait comme les siens, il devenait furieux
+et me battait avec rage. Je voulus fuir. Ce fut impossible; tant il me
+gardait de pres. Enfin, il y a trois mois, dans un acces de demence
+sans nom, il me descendit dans l'abime ou vous m'avez trouvee, et il
+disparut, apres avoir vainement appele l'harfang, qui resta fidelement
+pres de moi. Depuis quand etais-je la ? je l'ignore ! Tout ce que je
+sais, c'est que je me sentais mourir, quand tu es arrive, mon Harry, et
+quand tu m'as sauvee ! Mais, tu le vois, la petite-fille du vieux
+Silfax ne peut pas etre la femme d'Harry Ford, puisqu'il y va de ta
+vie, de votre vie a tous !
+
+-- Nell ! s'ecria Harry.
+
+-- Non, reprit la jeune fille. Mon sacrifice est fait. Il n'est qu'un
+moyen de conjurer votre perte : c'est que je retourne pres de mon
+grand-pere. Il menace toute la Nouvelle-Aberfoyle !... C'est une ame
+incapable de pardon, et nul ne peut savoir ce que le genie de la
+vengeance lui aura inspire ! Mon devoir est clair. Je serais la plus
+miserable des creatures si j'hesitais a l'accomplir. Adieu ! et merci !
+vous m'avez fait connaitre le bonheur des ce monde ! Quoi qu'il arrive,
+pensez que mon c&oelig;ur tout entier restera au milieu de vous ! >>
+
+A ces mots, Simon Ford, Madge, Harry fou de douleur, s'etaient leves.
+
+<< Quoi, Nell ! s'ecrierent-ils avec desespoir, tu voudrais nous quitter
+! >>
+
+James Starr les ecarta d'un geste plein d'autorite, et, allant droit a
+Nell, il lui prit les deux mains.
+
+<< C'est bien, mon enfant, lui dit-il. Tu as dit ce que tu devais dire;
+mais voici ce que nous avons a te repondre. Nous ne te laisserons pas
+partir, et, s'il le faut, nous te retiendrons par la force. Nous
+crois-tu donc capables de cette lachete d'accepter ton offre genereuse
+? Les menaces de Silfax sont redoutables, soit ! Mais, apres tout, un
+homme n'est qu'un homme, et nous prendrons nos precautions. Cependant,
+peux-tu, dans l'interet de Silfax meme, nous renseigner sur ses
+habitudes, nous dire ou il se cache ? Nous ne voulons qu'une chose : le
+mettre hors d'etat de nuire, et peut-etre le ramener a la raison.
+
+-- Vous voulez l'impossible, repondit Nell. Mon grand-pere est partout
+et nulle part. Je n'ai jamais connu ses retraites ! Je ne l'ai jamais
+vu endormi. Quand il avait trouve quelque refuge, il me laissait seule
+et disparaissait. Lorsque j'ai pris ma resolution, monsieur Starr, je
+savais tout ce que vous pouviez me repondre. Croyez-moi ! Il n'y a
+qu'un moyen de desarmer mon grand-pere : c'est que je parvienne a le
+retrouver. Il est invisible, lui, mais il voit tout. Demandez-vous
+comment il aurait decouvert vos plus secretes pensees, depuis la lettre
+ecrite a M. Starr, jusqu'au projet de mon mariage avec Harry, s'il
+n'avait pas l'inexplicable faculte de tout savoir. Mon grand-pere,
+autant que je puis en juger, est, dans sa folie meme, un homme puissant
+par l'esprit. Autrefois, il lui est arrive de me dire de grandes
+choses. Il m'a appris Dieu, et ne m'a trompee que sur un point : c'est
+quand il m'a fait croire que tous les hommes etaient perfides,
+lorsqu'il a voulu m'inspirer sa haine contre l'humanite tout entiere.
+Lorsque Harry m'a rapportee dans ce cottage, vous avez pense que
+j'etais ignorante seulement ! J'etais plus que cela. J'etais epouvantee
+! Ah ! pardonnez-moi ! mais, pendant quelques jours, je me suis crue au
+pouvoir des mechants, et je voulais vous fuir ! Ce qui a commence a
+ramener mon esprit au vrai, c'est vous, Madge, non par vos paroles,
+mais par le spectacle de votre vie, alors que je vous voyais aimee et
+respectee de votre mari et de votre fils ! Puis, quand j'ai vu ces
+travailleurs, heureux et bons, venerer M. Starr, dont je les ai crus
+d'abord les esclaves, lorsque pour la premiere fois j'ai vu toute la
+population d'Aberfoyle venir a la chapelle, s'y agenouiller, prier Dieu
+et le remercier de ses bontes infinies, alors je me suis dit : << Mon
+grand-pere m'a trompee ! >> Mais aujourd'hui, eclairee par ce que vous
+m'avez appris, je pense qu'il s'est trompe lui-meme ! Je vais donc
+reprendre les chemins secrets par lesquels je l'accompagnais autrefois.
+Il doit me guetter ! Je l'appellerai... il m'entendra, et qui sait si,
+en retournant vers lui, je ne le ramenerai pas a la verite ? >>
+
+Tous avaient laisse parler la jeune fille. Chacun sentait qu'il devait
+lui etre bon d'ouvrir son c&oelig;ur tout entier a ses amis, au moment
+ou, dans sa genereuse illusion, elle croyait qu'elle allait les quitter
+pour toujours. Mais quand, epuisee, les yeux pleins de larmes, elle se
+tut, Harry, se tournant vers Madge, dit :
+
+<< Ma mere, que penseriez-vous de l'homme qui abandonnerait la noble
+fille que vous venez d'entendre ?
+
+-- Je penserais, repondit Madge, que cet homme est un lache, et, s'il
+etait mon fils, je le renierais, je le maudirais !
+
+-- Nell, tu as entendu notre mere, reprit Harry. Ou que tu ailles, je
+te suivrai. Si tu persistes a partir, nous partirons ensemble...
+
+-- Harry ! Harry ! >> s'ecria Nell.
+
+Mais l'emotion etait trop forte. On vit blemir les levres de la jeune
+fille, et elle tomba dans les bras de Madge, qui pria l'ingenieur,
+Simon et Harry de la laisser seule avec elle.
+
+ XXI
+
+ Le mariage de Nell
+
+On se separa, mais il fut d'abord convenu que les hotes du cottage
+seraient plus que jamais sur leurs gardes. La menace du vieux Silfax
+etait trop directe pour qu'il n'en fut pas tenu compte. C'etait a se
+demander si l'ancien penitent ne disposait pas de quelque moyen
+terrible qui pouvait aneantir toute l'Aberfoyle.
+
+Des gardiens armes furent donc postes aux diverses issues de la
+houillere, avec ordre de veiller jour et nuit. Tout etranger a la mine
+dut etre amene devant James Starr, afin qu'il put constater son
+identite. On ne craignit pas de mettre les habitants de Coal-city au
+courant des menaces dont la colonie souterraine etait l'objet. Silfax
+n'ayant aucune intelligence dans la place, il n'y avait nulle trahison
+a craindre. On fit connaitre a Nell toutes les mesures de surete qui
+venaient d'etre prises, et, sans qu'elle fut rassuree completement,
+elle retrouva quelque tranquillite. Mais la resolution d'Harry de la
+suivre partout ou elle irait, avait plus que tout contribue a lui
+arracher la promesse de ne pas s'enfuir.
+
+Pendant la semaine qui preceda le mariage de Nell et d'Harry, aucun
+incident ne troubla la Nouvelle-Aberfoyle. Aussi les mineurs, sans se
+departir de la surveillance organisee, revinrent-ils de cette panique,
+qui avait failli compromettre l'exploitation.
+
+Cependant James Starr continuait a faire rechercher le vieux Silfax. Le
+vindicatif vieillard ayant declare que Nell n'epouserait jamais Harry,
+on devait admettre qu'il ne reculerait devant rien pour empecher ce
+mariage. Le mieux aurait ete de s'emparer de sa personne, tout en
+respectant sa vie. L'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle fut donc
+minutieusement recommencee. On fouilla les galeries jusque dans les
+etages superieurs qui affleuraient les ruines de Dundonald-Castle, a
+Irvine. On supposait avec raison que c'etait par le vieux chateau que
+Silfax communiquait avec l'exterieur et qu'il s'approvisionnait des
+choses necessaires a sa miserable existence, soit en achetant, soit en
+maraudant. Quant aux << Dames de feu >>, James Starr eut la pensee que
+quelque jet de grisou, qui se produisait dans cette partie de la
+houillere, avait pu etre allume par Silfax et produire ce phenomene. Il
+ne se trompait pas. Mais les recherches furent vaines.
+
+James Starr, pendant cette lutte de tous les instants contre un etre
+insaisissable, fut, sans en rien faire voir, le plus malheureux des
+hommes. A mesure que s'approchait le jour du mariage, ses craintes
+s'accroissaient, et il avait cru devoir, par exception, en faire part
+au vieil overman, qui devint bientot plus inquiet que lui.
+
+Enfin le jour arriva.
+
+Silfax n'avait pas donne signe de vie.
+
+Des le matin, toute la population de Coal-city fut sur pied. Les
+travaux de la Nouvelle-Aberfoyle avaient ete suspendus. Chefs et
+ouvriers tenaient a rendre hommage au vieil overman et a son fils. Ce
+n'etait que payer une dette de reconnaissance aux deux hommes hardis et
+perseverants, qui avaient rendu a la houillere la prosperite
+d'autrefois.
+
+C'etait a onze heures, dans la chapelle de Saint-Gilles, elevee sur la
+rive du lac Malcolm, que la ceremonie allait s'accomplir.
+
+A l'heure dite, on vit sortir du cottage Harry donnant le bras a sa
+mere, Simon Ford donnant le bras a Nell.
+
+Suivaient l'ingenieur James Starr, impassible en apparence, mais au
+fond s'attendant a tout, et Jack Ryan, superbe dans ses habits de piper.
+
+Puis, venaient les autres ingenieurs de la mine, les notables de
+Coal-city, les amis, les compagnons du vieil overman, tous les membres
+de cette grande famille de mineurs, qui formait la population speciale
+de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Au-dehors, il faisait une de ces journees torrides du mois d'aout, qui
+sont particulierement penibles dans les pays du Nord. L'air orageux
+penetrait jusque dans les profondeurs de la houillere, ou la
+temperature s'etait elevee d'une facon anormale. L'atmosphere s'y
+saturait d'electricite, a travers les puits d'aeration et le vaste
+tunnel de Malcolm.
+
+On aurait pu constater -- phenomene assez rare -- que le barometre, a
+Coal-city, avait baisse d'une quantite considerable. C'etait a se
+demander, vraiment, si quelque orage n'allait pas eclater sous la voute
+de schiste, qui formait le ciel de l'immense crypte.
+
+Mais la verite est que personne, au-dedans, ne se preoccupait des
+menaces atmospheriques du dehors.
+
+Chacun, cela va sans dire, avait revetu ses plus beaux habits pour la
+circonstance.
+
+Madge portait un costume qui rappelait ceux du vieux temps. Elle etait
+coiffee d'un << toy >>, comme les anciennes matrones, et sur ses epaules
+flottait le << rokelay >>, sorte de mantille quadrillee que les
+Ecossaises portent avec une certaine elegance.
+
+Nell s'etait promis de ne rien laisser voir des agitations de sa
+pensee. Elle defendit a son c&oelig;ur de battre, a ses secretes
+angoisses de se trahir, et la courageuse enfant parvint a montrer a
+tous un visage calme et recueilli.
+
+Elle etait simplement mise, et la simplicite de son vetement, qu'elle
+avait prefere a des ajustements plus riches, ajoutait encore au charme
+de sa personne. Sa seule coiffure etait un << snood >>, ruban de couleurs
+variees, dont se parent ordinairement les jeunes Caledoniennes.
+
+Simon Ford avait un habit que n'aurait pas desavoue le digne bailli
+Nichol Jarvie, de Walter Scott.
+
+Tout ce monde se dirigea vers la chapelle de Saint-Gilles, qui avait
+ete luxueusement decoree.
+
+Au ciel de Coal-city, les disques electriques, ravives par des courants
+plus intenses, resplendissaient comme autant de soleils. Une atmosphere
+lumineuse emplissait toute la Nouvelle Aberfoyle.
+
+Dans la chapelle, les lampes electriques projetaient aussi de vives
+lueurs, et les vitraux colories brillaient comme des kaleidoscopes de
+feux.
+
+C'etait le reverend William Hobson qui devait officier. A la porte meme
+de Saint-Gilles, il attendait l'arrivee des epoux.
+
+Le cortege approchait, apres avoir majestueusement contourne la rive du
+lac Malcolm.
+
+En ce moment, l'orgue se fit entendre, et les deux couples, precedes du
+reverend Hobson, se dirigerent vers le chevet de Saint-Gilles.
+
+La benediction celeste fut d'abord appelee sur toute l'assistance;
+puis, Harry et Nell resterent seuls devant le ministre, qui tenait le
+livre sacre a la main.
+
+<< Harry, demanda le reverend Hobson, voulez-vous prendre Nell pour
+femme, et jurez-vous de l'aimer toujours ?
+
+-- Je le jure, repondit le jeune homme d'une voix forte.
+
+-- Et vous, Nell, reprit le ministre, voulez-vous prendre pour epoux
+Harry Ford, et... >>
+
+La jeune fille n'avait pas eu le temps de repondre, qu'une immense
+clameur retentissait au-dehors.
+
+Un de ces enormes rochers, formant terrasse, qui surplombait la rive du
+lac Malcolm, a cent pas de la chapelle, venait de s'ouvrir subitement,
+sans explosion, comme si sa chute eut ete preparee a l'avance.
+Au-dessous, les eaux s'engouffraient dans une excavation profonde, que
+personne ne savait exister la.
+
+Puis soudain, entre les roches eboulees, apparut un canot, qu'une
+poussee vigoureuse lanca a la surface du lac.
+
+Sur ce canot, un vieillard, vetu d'une sombre cagoule, les cheveux
+herisses, une longue barbe blanche tombant sur sa poitrine, se tenait
+debout.
+
+Il avait a la main une lampe Davy, dans laquelle brillait une flamme,
+protegee par la toile metallique de l'appareil.
+
+En meme temps, d'une voix forte, le vieillard criait :
+
+<< Le grisou ! le grisou ! Malheur a tous ! malheur ! >>
+
+En ce moment, la legere odeur qui caracterise l'hydrogene protocarbone
+se repandit dans l'atmosphere.
+
+Et s'il en etait ainsi, c'est que la chute du rocher avait livre
+passage a une enorme quantite de gaz explosif, emmagasine dans
+d'enormes << soufflards >> dont les schistes obturaient l'orifice. Les
+jets de grisou fusaient vers les voutes du dome, sous une pression de
+cinq a six atmospheres.
+
+Le vieillard connaissait l'existence de ces soufflards, et il les avait
+brusquement ouverts, de maniere a rendre detonante l'atmosphere de la
+crypte.
+
+Cependant James Starr et quelques autres, quittant precipitamment la
+chapelle, s'etaient elances sur la rive.
+
+<< Hors de la mine ! hors de la mine ! >> cria l'ingenieur, qui, ayant
+compris l'imminence du danger, vint jeter ce cri d'alarme a la porte de
+Saint-Gilles.
+
+<< Le grisou ! le grisou ! >> repetait le vieillard, en poussant son
+canot plus avant sur les eaux du lac.
+
+Harry, entrainant sa fiancee, son pere, sa mere, avait precipitamment
+quitte la chapelle.
+
+<< Hors de la mine ! hors de la mine ! >> repetait James Starr.
+
+Il etait trop tard pour fuir ! Le vieux Silfax etait la, pret a
+accomplir sa derniere menace, pret a empecher le mariage de Nell et
+d'Harry, en ensevelissant toute la population de Coal-city sous les
+ruines de la houillere.
+
+Au-dessus de sa tete, volait son enorme harfang, dont le plumage blanc
+etait tache de points noirs.
+
+Mais alors, un homme se precipita dans les eaux du lac, qui nagea
+vigoureusement vers le canot.
+
+C'etait Jack Ryan. Il s'efforcait d'atteindre le fou, avant que
+celui-ci n'eut accompli son &oelig;uvre de destruction.
+
+Silfax le vit venir. Il brisa le verre de sa lampe, et, apres avoir
+arrache la meche allumee, il la promena dans l'air.
+
+Un silence de mort planait sur toute l'assistance atterree.
+
+James Starr, resigne, s'etonnait que l'explosion, inevitable, n'eut pas
+deja aneanti la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Silfax, les traits crispes, se rendit compte que le grisou, trop leger
+pour se maintenir dans les basses couches, s'etait accumule vers les
+hauteurs du dome.
+
+Mais alors le harfang, sur un geste de Silfax, saisissant dans sa patte
+la meche incendiaire, comme il faisait autrefois dans les galeries de
+la fosse Dochart, commenca a monter vers la haute voute, que le
+vieillard lui montrait de la main.
+
+Encore quelques secondes, et la Nouvelle-Aberfoyle avait vecu !...
+
+A ce moment, Nell s'echappa des bras d'Harry.
+
+Calme et inspiree tout a la fois, elle courut vers la rive du lac,
+jusqu'a la lisiere des eaux.
+
+<< Harfang ! Harfang ! cria-t-elle d'une voix claire, a moi ! viens a
+moi ! >>
+
+L'oiseau fidele, etonne, avait hesite un instant. Mais soudain, ayant
+reconnu la voix de Nell, il avait laisse tomber la meche enflammee dans
+les eaux du lac, et, tracant un large cercle, il etait venu s'abattre
+aux pieds de la jeune fille.
+
+Les hautes couches explosives dans lesquelles le grisou s'etait melange
+a l'air, n'avaient pas ete atteintes !
+
+Alors un cri terrible retentit sous le dome. Ce fut le dernier que jeta
+le vieux Silfax.
+
+A l'instant ou Jack Ryan allait mettre la main sur le bordage du canot,
+le vieillard, voyant sa vengeance lui echapper, s'etait precipite dans
+les eaux du lac.
+
+<< Sauvez-le ! sauvez-le ! >> s'ecria Nell d'une voix dechirante.
+
+Harry l'entendit. Se jetant a son tour a la nage, il eut bientot
+rejoint Jack Ryan et plongea a plusieurs reprises.
+
+Mais ses efforts furent inutiles.
+
+Les eaux du lac Malcolm ne rendirent pas leur proie. Elles s'etaient a
+jamais refermees sur le vieux Silfax.
+
+ XXII
+
+ La legende du vieux Silfax
+
+Six mois apres ces evenements, le mariage, si etrangement interrompu,
+d'Harry Ford et de Nell, se celebrait dans la chapelle de Saint-Gilles.
+Apres que le reverend Hobson eut beni leur union, les jeunes epoux,
+encore vetus de noir, rentrerent au cottage.
+
+James Starr et Simon Ford, desormais exempts de toute inquietude,
+presiderent joyeusement a la fete qui suivit la ceremonie et se
+prolongea jusqu'au lendemain.
+
+Ce fut dans ces memorables circonstances que Jack Ryan, revetu de son
+costume de piper, apres avoir gonfle d'air l'outre de sa cornemuse,
+obtint ce triple resultat de jouer, de chanter et de danser tout a la
+fois, aux applaudissements de toute l'assemblee.
+
+Et, le lendemain, les travaux du jour et du fond recommencerent, sous
+la direction de l'ingenieur James Starr.
+
+Harry et Nell furent heureux, il est superflu de le dire. Ces deux
+c&oelig;urs, tant eprouves, trouverent dans leur union le bonheur
+qu'ils meritaient.
+
+Quant a Simon Ford, l'overman honoraire de la Nouvelle Aberfoyle, il
+comptait bien vivre assez pour celebrer sa cinquantaine avec la bonne
+Madge, qui ne demandait pas mieux, d'ailleurs.
+
+<< Et apres celle-la, pourquoi pas une autre ? disait Jack Ryan. Deux
+cinquantaines, ce ne serait pas trop pour vous, monsieur Simon !
+
+-- Tu as raison, mon garcon, repondit tranquillement le vieil overman.
+Qu'y aurait-il d'etonnant a ce que sous le climat de la
+Nouvelle-Aberfoyle, dans ce milieu qui ne connait pas les intemperies
+du dehors, on devint deux fois centenaire ? >>
+
+Les habitants de Coal-city devaient-ils jamais assister a cette seconde
+ceremonie ? L'avenir le dira.
+
+En tout cas, un oiseau, qui semblait devoir atteindre une longevite
+extraordinaire, c'etait le harfang du vieux Silfax. Il hantait toujours
+le sombre domaine. Mais apres la mort du vieillard, bien que Nell eut
+essaye de le retenir, il s'etait enfui au bout de quelques jours. Outre
+que la societe des hommes ne lui plaisait decidement pas plus qu'a son
+ancien maitre, il semblait qu'il eut garde une sorte de rancune
+particuliere a Harry, et que cet oiseau jaloux eut toujours reconnu et
+deteste en lui le premier ravisseur de Nell, celui a qui il l'avait
+disputee en vain dans l'ascension du gouffre.
+
+Depuis ce temps, Nell ne le revoyait qu'a de longs intervalles, planant
+au-dessus du lac Malcolm.
+
+Voulait-il revoir son amie d'autrefois ? voulait-il plonger ses regards
+penetrants jusqu'au fond de l'abime ou s'etait englouti Silfax ?
+
+Les deux versions furent admises, car le harfang devint legendaire, et
+il inspira a Jack Ryan plus d'une fantastique histoire.
+
+C'est grace a ce joyeux compagnon qu'on chante encore dans les veillees
+ecossaises la legende de l'oiseau du vieux Silfax, l'ancien penitent
+des houilleres d'Aberfoyle.
+
+ The End
+
+
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES INDES NOIRES ***
+
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+Please be encouraged to tell us about any error or corrections,
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+We produce about two million dollars for each hour we work. The
+time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours
+to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright
+searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our
+projected audience is one hundred million readers. If the value
+per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2
+million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text
+files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+
+We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002
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@@ -0,0 +1,7433 @@
+The Project Gutenberg EBook of Les Indes Noires, by Jules Verne
+(#24 in our series by Jules Verne)
+
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+*****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!*****
+
+
+Title: Les Indes Noires
+
+Author: Jules Verne
+
+Release Date: February, 2004 [EBook #5081]
+[Most recently updated August 19, 2003]
+[Date last updated: January 16, 2005]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES INDES NOIRES ***
+
+
+
+
+This eBook was produced by Norman Wolcott.
+
+
+
+ Les Indes noires
+
+ par
+
+ JULES VERNE
+
+ TABLE DES MATIÈRES
+
+
+ I Deux lettres contradictoires
+
+ II Chemin faisant
+
+ III Le sous-sol du Royaume-Uni
+
+ IV La fosse Dochart
+
+ V La Famille Ford
+
+ VI Quelques phénomènes inexplicables
+
+ VII Une expérience de Simon Ford
+
+ VIII Un coup de dynamite
+
+ IX La Nouvelle-Aberfoyle
+
+ X Aller et retour
+
+ XI Les Dames de feu
+
+ XII Les Exploits de Jack Ryan
+
+ XIII Coal-city
+
+ XIV Suspendu à un fil
+
+ XV Nell au cottage
+
+ XVI Sur l'échelle oscillante
+
+ XVII Un lever de soleil
+
+ XVIII Du lac Lomond au lac Katrine
+
+ XIX Une dernière menace
+
+ XX Le pénitent
+
+ XXI Le mariage de Nell
+
+ XXII La légende du vieux Silfax
+
+------------------------------------------------------------------------
+ I
+
+ Deux lettres contradictoires
+
+ _« Mr. J. R. Starr, ingénieur,_
+ _ « 30, Canongate._
+ _ « Édimbourg._
+
+« Si monsieur James Starr veut se rendre demain aux houillères
+d'Aberfoyle, fosse Dochart, puits Yarrow, il lui sera fait une
+communication de nature à l'intéresser.
+
+« Monsieur James Starr sera attendu, toute la journée, à la gare de
+Callander, par Harry Ford, fils de l'ancien overman Simon Ford.
+
+« Il est prié de tenir cette invitation secrète. »
+
+Telle fut la lettre que James Starr reçut par le premier courrier à la
+date du 3 décembre 18.., -- lettre qui portait le timbre du bureau de
+poste d'Aberfoyle, comté de Stirling, Écosse.
+
+La curiosité de l'ingénieur fut piquée au vif. Il ne lui vint même pas
+à la pensée que cette lettre pût renfermer une mystification. Il
+connaissait, de longue date, Simon Ford, l'un des anciens contremaîtres
+des mines d'Aberfoyle, dont lui, James Starr, avait été, pendant vingt
+ans, le directeur, -- ce que, dans les houillères anglaises, on appelle
+le « viewer ».
+
+James Starr était un homme solidement constitué, auquel ses
+cinquante-cinq ans ne pesaient pas plus que s'il n'en eût porté que
+quarante. Il appartenait à une vieille famille d'Édimbourg, dont il
+était l'un des membres les plus distingués. Ses travaux honoraient la
+respectable corporation de ces ingénieurs qui dévorent peu à peu le
+sous-sol carbonifère du Royaume-Uni, aussi bien à Cardiff, à Newcastle
+que dans les bas comtés de l'Écosse. Toutefois, c'était plus
+particulièrement au fond de ces mystérieuses houillères d'Aberfoyle,
+qui confinent aux mines d'Alloa et occupent une partie du comté de
+Stirling, que le nom de Starr avait conquis l'estime générale. Là
+s'était écoulée presque toute son existence. En outre, James Starr
+faisait partie de la Société des antiquaires écossais, dont il avait
+été nommé président. Il comptait aussi parmi les membres les plus
+actifs de « Royal Institution », et la _Revue d'Édimbourg_ publiait
+fréquemment de remarquables articles signés de lui. C'était, on le
+voit, un de ces savants pratiques auxquels est due la prospérité de
+l'Angleterre. Il tenait un haut rang dans cette vieille capitale de
+l'Écosse, qui, non seulement au point de vue physique, mais encore au
+point de vue moral, a pu mériter le nom d'« Athènes du Nord ».
+
+On sait que les Anglais ont donné à l'ensemble de leurs vastes
+houillères un nom très significatif. Ils les appellent très justement
+les « Indes noires », et ces Indes ont peut-être plus contribué que les
+Indes orientales à accroître la surprenante richesse du Royaume-Uni.
+Là, en effet, tout un peuple de mineurs travaille, nuit et jour, à
+extraire du sous-sol britannique le charbon, ce précieux combustible,
+indispensable élément de la vie industrielle.
+
+A cette époque, la limite de temps, assignée par les hommes spéciaux à
+l'épuisement des houillères, était fort reculée, et la disette n'était
+pas à craindre à court délai. Il y avait encore à exploiter largement
+les gisements carbonifères des deux mondes. Les fabriques, appropriées
+à tant d'usages divers, les locomotives, les locomobiles, les steamers,
+les usines à gaz, etc., n'étaient pas près de manquer du combustible
+minéral. Seulement, la consommation s'était tellement accrue pendant
+ces dernières années, que certaines couches avaient été épuisées jusque
+dans leurs plus maigres filons. Abandonnées maintenant, ces mines
+trouaient et sillonnaient inutilement le sol de leurs puits délaissés
+et de leurs galeries désertes.
+
+Tel était, précisément, le cas des houillères d'Aberfoyle.
+
+Dix ans auparavant, la dernière benne avait enlevé la dernière tonne de
+houille de ce gisement. Le matériel du « fond [1*] », machines
+destinées à la traction mécanique sur les rails des galeries, berlines
+formant les trains subterranés, tramways souterrains, cages desservant
+les puits d'extraction, tuyaux dont l'air comprimé actionnait des
+perforatrices, -- en un mot, tout ce qui constituait l'outillage
+d'exploitation avait été retiré des profondeurs des fosses et abandonné
+à la surface du sol. La houillère, épuisée, était comme le cadavre d'un
+mastodonte de grandeur fantastique, auquel on a enlevé les divers
+organes de la vie et laissé seulement l'ossature.
+
+De ce matériel, il n'était resté que de longues échelles de bois,
+desservant les profondeurs de la houillère par le puits Yarow le seul
+qui donnât maintenant accès aux galeries inférieures de la fosse
+Dochart, depuis la cessation des travaux.
+
+A l'extérieur, les bâtiments, abritant autrefois aux travaux du « jour
+», indiquaient encore la place où avaient été foncés les puits de
+ladite fosse, complètement abandonnée, comme l'étaient les autres
+fosses, dont l'ensemble constituait les houillères d'Aberfoyle.
+
+Ce fut un triste jour, lorsque, pour la dernière fois, les mineurs
+quittèrent la mine, dans laquelle ils avaient vécu tant d'années.
+
+L'ingénieur James Starr avait réuni ces quelques milliers de
+travailleurs, qui composaient l'active et courageuse population de la
+houillère. Piqueurs, rouleurs, conducteurs, remblayeurs, boiseurs,
+cantonniers, receveurs, basculeurs, forgerons, charpentiers, tous,
+femmes, enfants, vieillards, ouvriers du fond et du jour, étaient
+rassemblés dans l'immense cour de la fosse Dochart, autrefois encombrée
+du trop-plein de la houillère.
+
+Ces braves gens, que les nécessités de l'existence allaient disperser
+-- eux, qui pendant de longues années, s'étaient succédé de père en
+fils dans la vieille Aberfoyle --, attendaient, avant de la quitter
+pour jamais, les derniers adieux de l'ingénieur. La Compagnie leur
+avait fait distribuer, à titre de gratification, les bénéfices de
+l'année courante. Peu de chose, en vérité, car le rendement des filons
+avait dépassé de bien peu les frais d'exploitation; mais cela devait
+leur permettre d'attendre qu'ils fussent embauchés, soit dans les
+houillères voisines, soit dans les fermes ou les usines du comté.
+
+James Starr se tenait debout, devant la porte du vaste appentis, sous
+lequel avaient si longtemps fonctionné les puissantes machines à vapeur
+du puits d'extraction.
+
+Simon Ford, l'overman de la fosse Dochart, alors âgé de cinquante-cinq
+ans, et quelques autres conducteurs de travaux l'entouraient.
+
+James Starr se découvrit. Les mineurs, chapeau bas, gardaient un
+profond silence.
+
+Cette scène d'adieux avait un caractère touchant, qui ne manquait pas
+de grandeur.
+
+« Mes amis, dit l'ingénieur, le moment de nous séparer est venu. Les
+houillères d'Aberfoyle, qui, depuis tant d'années, nous réunissaient
+dans un travail commun, sont maintenant épuisées. Nos recherches n'ont
+pu amener la découverte d'un nouveau filon, et le dernier morceau de
+houille vient d'être extrait de la fosse Dochart ! »
+
+Et, à l'appui de sa parole, James Starr montrait aux mineurs un bloc de
+charbon qui avait été gardé au fond d'une benne.
+
+« Ce morceau de houille, mes amis, reprit James Starr, c'est comme le
+dernier globule du sang qui circulait à travers les veines de la
+houillère ! Nous le conserverons, comme nous avons conservé le premier
+fragment de charbon extrait, il y a cent cinquante ans, des gisements
+d'Aberfoyle. Entre ces deux morceaux, bien des générations de
+travailleurs se sont succédé dans nos fosses ! Maintenant, c'est fini !
+Les dernières paroles que vous adresse votre ingénieur sont des paroles
+d'adieu. Vous avez vécu de la mine, qui s'est vidée sous votre main. Le
+travail a été dur, mais non sans profit pour vous. Notre grande famille
+va se disperser, et il n'est pas probable que l'avenir en réunisse
+jamais les membres épars. Mais n'oubliez pas que nous avons longtemps
+vécu ensemble, et que, chez les mineurs d'Aberfoyle, c'est un devoir de
+s'entraider. Vos anciens chefs ne l'oublieront pas, non plus. Quand on
+a travaillé ensemble, on ne saurait être des étrangers les uns pour les
+autres. Nous veillerons sur vous, et, partout où vous irez en honnêtes
+gens, nos recommandations vous suivront. Adieu donc, mes amis, et que
+le Ciel vous assiste ! »
+
+Cela dit, James Starr pressa dans ses bras le plus vieil ouvrier de la
+houillère, dont les yeux s'étaient mouillés de larmes. Puis, les
+overmen des différentes fosses vinrent serrer la main de l'ingénieur,
+pendant que les mineurs agitaient leur chapeau et criaient :
+
+« Adieu, James Starr, notre chef et notre ami ! »
+
+Ces adieux devaient laisser un impérissable souvenir dans tous ces
+braves coeurs. Mais, peu à peu, il le fallut, cette population
+quitta tristement la vaste cour. Le vide se fit autour de James Starr.
+Le sol noir des chemins, conduisant à la fosse Dochart, retentit une
+dernière fois sous le pied des mineurs, et le silence succéda à cette
+bruyante animation, qui avait empli jusqu'alors la houillère
+d'Aberfoyle.
+
+Un homme était resté seul près de James Starr.
+
+C'était l'overman Simon Ford. Près de lui se tenait un jeune garçon,
+âgé de quinze ans, son fils Harry, qui, depuis quelques années déjà,
+était employé aux travaux du fond.
+
+James Starr et Simon Ford se connaissaient, et, se connaissant,
+s'estimaient l'un l'autre.
+
+« Adieu, Simon, dit l'ingénieur.
+
+-- Adieu, monsieur James, répondit l'overman, ou plutôt, laissez-moi
+ajouter : Au revoir !
+
+-- Oui, au revoir, Simon ! reprit James Starr. Vous savez que je serai
+toujours heureux de vous retrouver et de pouvoir parler avec vous du
+passé de notre vieille Aberfoyle !
+
+-- Je le sais, monsieur James.
+
+-- Ma maison d'Édimbourg vous est ouverte !
+
+-- C'est loin, Édimbourg ! répondit l'overman en secouant la tête. Oui
+! loin de la fosse Dochart !
+
+-- Loin, Simon ! Où comptez-vous donc demeurer ?
+
+-- Ici même, monsieur James ! Nous n'abandonnerons pas la mine, notre
+vieille nourrice, parce que son lait s'est tari ! Ma femme, mon fils et
+moi, nous nous arrangerons pour lui rester fidèles !
+
+-- Adieu donc, Simon, répondit l'ingénieur, dont la voix, malgré lui,
+trahissait l'émotion.
+
+-- Non, je vous répète : au revoir, monsieur James ! répondit
+l'overman, et non adieu ! Foi de Simon Ford, Aberfoyle vous reverra ! »
+
+L'ingénieur ne voulut pas enlever cette dernière illusion à l'overman.
+Il embrassa le jeune Harry, qui le regardait de ses grands yeux émus.
+Il serra une dernière fois la main de Simon Ford et quitta
+définitivement la houillère.
+
+Voilà ce qui s'était passé dix ans auparavant; mais, malgré le désir
+que venait d'exprimer l'overman de le revoir quelque jour, James Starr
+n'avait plus entendu parler de lui.
+
+Et c'était après dix ans de séparation, que lui arrivait cette lettre
+de Simon Ford, qui le conviait à reprendre sans délai le chemin des
+anciennes houillères d'Aberfoyle.
+
+Une communication de nature à l'intéresser, qu'était-ce donc ? La fosse
+Dochart, le puits Yarow ! Quels souvenirs du passé ces noms rappelaient
+à son esprit ! Oui ! c'était le bon temps, celui du travail, de la
+lutte --, le meilleur temps de sa vie d'ingénieur !
+
+James Starr relisait la lettre. Il la retournait dans tous les sens. Il
+regrettait, en vérité, qu'une ligne de plus n'eût pas été ajoutée par
+Simon Ford. Il lui en voulait d'avoir été si laconique.
+
+Était-il donc possible que le vieil overman eût découvert quelque
+nouveau filon à exploiter ? Non !
+
+James Starr se rappelait avec quel soin minutieux les houillères
+d'Aberfoyle avaient été explorées avant la cessation définitive des
+travaux. Il avait lui-même procédé aux derniers sondages, sans trouver
+aucun nouveau gisement dans ce sol ruiné par une exploitation poussée à
+l'excès. On avait même tenté de reprendre le terrain houiller sous les
+couches qui lui sont ordinairement inférieures, telles que le grés
+rouge dévonien, mais sans résultat. James Starr avait donc abandonné la
+mine avec l'absolue conviction qu'elle ne possédait plus un morceau de
+combustible.
+
+« Non, se répétait-il, non ! Comment admettre que ce qui aurait échappé
+à mes recherches se serait révélé à celles de Simon Ford ? Pourtant, le
+vieil overman doit bien savoir qu'une seule chose au monde peut
+m'intéresser, et cette invitation, que je dois tenir secrète, de me
+rendre à la fosse Dochart !... »
+
+James Starr en revenait toujours là.
+
+D'autre part, l'ingénieur connaissait Simon Ford pour un habile mineur,
+particulièrement doué de l'instinct du métier. Il ne l'avait pas revu
+depuis l'époque où les exploitations d'Aberfoyle avaient été
+abandonnées. Il ignorait même ce qu'était devenu le vieil overman. Il
+n'aurait pu dire à quoi il s'occupait, ni même où il demeurait, avec sa
+femme et son fils. Tout ce qu'il savait, c'est que rendez-vous lui
+était donné au puits Yarow, et qu'Harry, le fils de Simon Ford,
+l'attendrait à la gare de Callander pendant toute la journée du
+lendemain. Il s'agissait donc évidemment de visiter la fosse Dochart.
+
+« J'irai, j'irai ! » dit James Starr, qui sentait sa surexcitation
+s'accroître à mesure que s'avançait l'heure.
+
+C'est qu'il appartenait, ce digne ingénieur, à cette catégorie de gens
+passionnés, dont le cerveau est toujours en ébullition, comme une
+bouilloire placée sur une flamme ardente. Il est de ces bouilloires
+dans lesquelles les idées cuisent à gros bouillons, d'autres où elles
+mijotent paisiblement. Or, ce jour-là, les idées de James Starr
+bouillaient à plein feu.
+
+Mais, alors, un incident très inattendu se produisit. Ce fut la goutte
+d'eau froide, qui allait momentanément condenser toutes les vapeurs de
+ce cerveau.
+
+En effet, vers six heures du soir, par le troisième courrier, le
+domestique de James Starr apporta une seconde lettre.
+
+Cette lettre était renfermée dans une enveloppe grossière, dont la
+suscription indiquait une main peu exercée au maniement de la plume.
+
+James Starr déchira cette enveloppe. Elle ne contenait qu'un morceau de
+papier, jauni par le temps, et qui semblait avoir été arraché à quelque
+vieux cahier hors d'usage.
+
+Sur ce papier il n'y avait qu'une seule phrase, ainsi conçue :
+
+« Inutile à l'ingénieur James Starr de se déranger, -- la lettre de
+Simon Ford étant maintenant sans objet. »
+
+Et pas de signature.
+
+[1] L'exploitation d'une mine se divise en travaux du « fond » et
+travaux du « jour »; les uns s'accomplissant à l'intérieur, les autres
+à l'exrérieur.
+
+ II
+
+ Chemin faisant
+
+Le cours des idées de James Starr fut brusquement arrêté, lorsqu'il eut
+lu cette seconde lettre, contradictoire de la première.
+
+« Qu'est-ce que cela veut dire ? » se demanda-t-il.
+
+James Starr reprit l'enveloppe à demi déchirée. Elle portait, ainsi que
+l'autre, le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle. Elle était donc
+partie de ce même point du comté de Stirling. Ce n'était pas le vieux
+mineur qui l'avait écrite, -- évidemment. Mais, non moins évidemment,
+l'auteur de cette seconde lettre connaissait le secret de l'overman,
+puisqu'il contremandait formellement l'invitation faite à l'ingénieur
+de se rendre au puits Yarow.
+
+Était-il donc vrai que cette première communication fût maintenant sans
+objet ? voulait-on empêcher James Starr de se déranger, soit
+inutilement, soit utilement ? N'y avait-il pas là plutôt une intention
+malveillante de contrecarrer les projets de Simon Ford ?
+
+C'est ce que pensa James Starr, après mûre réflexion. Cette
+contradiction, qui existait entre les deux lettres, ne fit naître en
+lui qu'un plus vif désir de se rendre à la fosse Dochart. D'ailleurs,
+si, dans tout cela, il n'y avait qu'une mystification, mieux valait
+s'en assurer. Mais il semblait bien à James Starr qu'il convenait
+d'accorder plus de créance à la première lettre qu'à la seconde, --
+c'est-à-dire à la demande d'un homme tel que Simon Ford plutôt qu'à cet
+avis de son contradicteur anonyme.
+
+« En vérité, puisqu'on prétend influencer ma résolution, se dit-il,
+c'est que la communication de Simon Ford doit avoir une extrême
+importance ! Demain, je serai au rendez-vous indiqué et à l'heure
+convenue ! »
+
+Le soir venu, James Starr fit ses préparatifs de départ. Comme il
+pouvait arriver que son absence se prolongeât pendant quelques jours,
+il prévint, par lettre, Sir W. Elphiston, le président de « Royal
+Institution », qu'il ne pourrait assister à la prochaine séance de la
+Société. Il se dégagea également de deux ou trois affaires, qui
+devaient l'occuper pendant la semaine. Puis, après avoir donné l'ordre
+à son domestique de préparer un sac de voyage, il se coucha, plus
+impressionné que l'affaire ne le comportait peut-être.
+
+Le lendemain, à cinq heures, James Starr sautait hors de son lit,
+s'habillait chaudement -- car il tombait une pluie froide --, et il
+quittait sa maison de la Canongate, pour aller prendre à Granton-pier
+le steam-boat qui, en trois heures, remonte le Forth jusqu'à Stirling.
+
+Pour la première fois, peut-être, James Starr, en traversant la
+Canongate [1*], ne se retourna pas pour regarder Holyrood, ce palais
+des anciens souverains de l'Écosse. Il n'aperçut pas, devant sa
+poterne, les sentinelles revêtues de l'antique costume écossais, jupon
+d'étoffe verte, plaid quadrillé et sac de peau de chèvre à longs poils
+pendant sur la cuisse. Bien qu'il fût fanatique de Walter Scott, comme
+l'est tout vrai fils de la vieille Calédonie, l'ingénieur, ainsi qu'il
+ne manquait jamais de le faire, ne donna même pas un coup d'oeil à
+l'auberge où Waverley descendit, et dans laquelle le tailleur lui
+apporta ce fameux costume en tartan de guerre qu'admirait si naïvement
+la veuve Flockhart. Il ne salua pas, non plus, la petite place où les
+montagnards déchargèrent leurs fusils, après la victoire du Prétendant,
+au risque de tuer Flora Mac Ivor. L'horloge de la prison tendait au
+milieu de la rue son cadran désolé : il n'y regarda que pour s'assurer
+qu'il ne manquerait point l'heure du départ. On doit avouer aussi qu'il
+n'entrevit pas dans Nelher-Bow la maison du grand réformateur John
+Knox, le seul homme que ne purent séduire les sourires de Marie Stuart.
+Mais, prenant par High-street, la rue populaire, si minutieusement
+décrite dans le roman de _L'Abbé_, il s'élança vers le pont gigantesque
+de Bridgestreet, qui relie les trois collines d'Édimbourg.
+
+Quelques minutes après, James Starr arrivait à la gare du « Général
+railway », et le train le débarquait, une demi-heure après, à Newhaven,
+joli village de pêcheurs, situé à un mille de Leith, qui forme le port
+d'Édimbourg. La marée montante recouvrait alors la plage noirâtre et
+rocailleuse du littoral. Les premiers flots baignaient une estacade,
+sorte de jetée supportée par des chaînes. A gauche, un de ces bateaux
+qui font le service du Forth, entre Édimbourg et Stirling, était amarré
+au « pier » de Granton.
+
+En ce moment, la cheminée du _Prince de Galles_ vomissait des
+tourbillons de fumée noire, et sa chaudière ronflait sourdement. Au son
+de la cloche, qui ne tinta que quelques coups, les voyageurs en retard
+se hâtèrent d'accourir. Il y avait là une foule de marchands, de
+fermiers, de ministres, ces derniers reconnaissables à leurs culottes
+courtes, à leurs longues redingotes, au mince liséré blanc qui cerclait
+leur cou.
+
+James Starr ne fut pas le dernier à s'embarquer. Il sauta lestement sur
+le pont du _Prince de Galles_. Bien que la pluie tombât avec violence,
+pas un de ces passagers ne songeait à chercher un abri dans le salon du
+steam-boat. Tous restaient immobiles, enveloppés de leurs couvertures
+de voyage, quelques-uns se ranimant de temps à autre avec le gin ou le
+whisky de leur bouteille, -- ce qu'ils appellent « se vêtir à
+l'intérieur ». Un dernier coup de cloche se fit entendre, les amarres
+furent larguées, et le _Prince de Galles_ évolua pour sortir du petit
+bassin, qui l'abritait contre les lames de la mer du Nord.
+
+Le Firth of Forth, tel est le nom que l'on donne au golfe creusé entre
+les rives du comté de Fife, au nord, et celles des comtés de
+Linlilhgow, d'Édimbourg et Haddington, au sud. Il forme l'estuaire du
+Forth, fleuve peu important, sorte de Tamise ou de Mersey aux eaux
+profondes, qui, descendu des flancs ouest du Ben Lomond, se jette dans
+la mer à Kincardine.
+
+Ce ne serait qu'une courte traversée que celle de Granton-pier à
+l'extrémité de ce golfe, si la nécessité de faire escale aux diverses
+stations des deux rives n'obligeait à de nombreux détours. Les villes,
+les villages, les cottages s'étalent sur les bords du Forth entre les
+arbres d'une campagne fertile. James Starr, abrité sous la large
+passerelle jetée entre les tambours, ne cherchait pas à rien voir de ce
+paysage, alors rayé par les fines hachures de la pluie. Il s'inquiétait
+plutôt d'observer s'il n'attirait pas spécialement l'attention de
+quelque passager. Peut-être, en effet, l'auteur anonyme de la seconde
+lettre était-il sur le bateau. Cependant, l'ingénieur ne put surprendre
+aucun regard suspect.
+
+Le _Prince de Galles_, en quittant Granton-pier, se dirigea vers
+l'étroit pertuis qui se glisse entre les deux pointes de
+Southoueensferry et North-oueensferry, au-delà duquel le Forth forme
+une sorte de lac, praticable pour les navires de cent tonneaux. Entre
+les brumes du fond apparaissaient, dans de courtes éclaircies, les
+sommets neigeux des monts Grampian.
+
+Bientôt, le steam-boat eut perdu de vue le village d'Aberdour, l'île de
+Colm, couronnée par les ruines d'un monastère du XIIe siècle, les
+restes du château de Barnbougle, puis Donibristle, où fut assassiné le
+gendre du régent Murray, puis l'îlot fortifié de Garvie. Il franchit le
+détroit de oueensferry, laissa à gauche le château de Rosyth, où
+résidait autrefois une branche des Stuarts à laquelle était alliée la
+mère de Cromwell, dépassa Blacknesscastle, toujours fortifié,
+conformément à l'un des articles du traité de l'Union, et longea les
+quais du petit port de Charleston, d'où s'exporte la chaux des
+carrières de Lord Elgin. Enfin, la cloche du _Prince de Galles_ signala
+la station de Crombie-Point.
+
+Le temps était alors très mauvais. La pluie, fouettée par une brise
+violente, se pulvérisait au milieu de ces mugissantes rafales, qui
+passaient comme des trombes.
+
+James Starr n'était pas sans quelque inquiétude. Le fils d'Harry Ford
+se trouverait-il au rendez-vous ? Il le savait par expérience : les
+mineurs, habitués au calme profond des houillères, affrontent moins
+volontiers que les ouvriers ou les laboureurs ces grands troubles de
+l'atmosphère. De Callander à la fosse Dochart et au puits Yarow, il
+fallait compter une distance de quatre milles. C'étaient là des raisons
+qui pouvaient, dans une certaine mesure, retarder le fils du vieil
+overman. Toutefois, l'ingénieur se préoccupait davantage de l'idée que
+le rendez-vous donné dans la première lettre eût été contremandé dans
+la seconde. -- C'était, à vrai dire, son plus gros souci.
+
+En tout cas, si Harry Ford ne se trouvait pas à l'arrivée du train à
+Callander, James Starr était bien décidé à se rendre seul à la fosse
+Dochart, et même, s'il le fallait, jusqu'au village d'Aberfoyle. Là, il
+aurait sans doute des nouvelles de Simon Ford, et il apprendrait en
+quel lieu résidait actuellement le vieil overman.
+
+Cependant, le _Prince de Galles_ continuait à soulever de grosses lames
+sous la poussée de ses aubes. On ne voyait rien des deux rives du
+fleuve, ni du village de Crombie, ni Torryburn, ni Torry-house, ni
+Newmills, ni Carridenhouse, ni Ilirkgrange, ni Salt-Pans, sur la
+droite. Le petit port de Bowness, le port de Grangemouth, creusé à
+l'embouchure du canal de la Clyde, disparaissaient dans l'humide
+brouillard. Culross, le vieux bourg et les ruines de son abbaye de
+Cîteaux, Ilinkardine et ses chantiers de construction, auxquels le
+steam-boat fit escale, Ayrthcastle et sa tour carrée du XIIIe siècle,
+Clackmannan et son château, bâti par Robert Bruce, n'étaient même pas
+visibles à travers les rayures obliques de la pluie.
+
+Le _Prince de Galles_ s'arrêta à l'embarcadère d'Alloa pour déposer
+quelques voyageurs. James Starr eut le coeur serré en passant,
+après dix ans d'absence, près de cette petite ville, siège
+d'exploitation d'importantes houillères qui nourrissaient toujours une
+nombreuse population de travailleurs. Son imagination l'entraînait dans
+ce sous-sol, que le pic des mineurs creusait encore à grand profit. Ces
+mines d'Alloa, presque contiguës à celles d'Aberfoyle, continuaient à
+enrichir le comté, tandis que les gisements voisins, épuisés depuis
+tant d'années, ne comptaient plus un seul ouvrier !
+
+Le steam-boat, en quittant Alloa, s'enfonça dans les nombreux détours
+que fait le Forth sur un parcours de dix-neuf milles. Il circulait
+rapidement entre les grands arbres des deux rives. Un instant, dans une
+éclaircie, apparurent les ruines de l'abbaye de Cambuskenneth, qui date
+du XIIe siècle. Puis, ce furent le château de Stirling et le bourg
+royal de ce nom, où le Forth, traversé par deux ponts, n'est plus
+navigable aux navires de hautes mâtures.
+
+A peine le _Prince de Galles_ avait-il accosté, que l'ingénieur sautait
+lestement sur le quai. Cinq minutes après, il arrivait à la gare de
+Stirling. Une heure plus tard, il descendait du train à Callander, gros
+village situé sur la rive gauche du Teith.
+
+Là, devant la gare, attendait un jeune homme, qui s'avança aussitôt
+vers l'ingénieur.
+
+C'était Harry, le fils de Simon Ford.
+
+[1] Principale et célèbre rue du vieil Édimbourg.
+
+ III
+
+ Le sous-sol du Royaume-Uni
+
+Il est convenable, pour l'intelligence de ce récit, de rappeler en
+quelques mots quelle est l'origine de la houille.
+
+Pendant les époques géologiques, lorsque le sphéroïde terrestre était
+encore en voie de formation, une épaisse atmosphère l'entourait, toute
+saturée de vapeurs d'eau et largement imprégnée d'acide carbonique. Peu
+à peu, ces vapeurs se condensèrent en pluies diluviennes, qui tombèrent
+comme si elles eussent été projetées du goulot de quelques millions de
+milliards de bouteilles d'eau de Seltz. C'était, en effet, un liquide
+chargé d'acide carbonique qui se déversait torrentiellement sur un sol
+pâteux, mal consolidé, sujet aux déformations brusques ou lentes, à la
+fois maintenu dans cet état semi-fluide autant par les feux du soleil
+que par les feux de la masse intérieure. C'est que la chaleur interne
+n'était pas encore emmagasinée au centre du globe. La croûte terrestre,
+peu épaisse et incomplètement durcie, la laissait s'épancher à travers
+ses pores. De là, une phénoménale végétation, -- telle, sans doute,
+qu'elle se produit peut-être à la surface des planètes inférieures,
+Vénus ou Mercure, plus rapprochées que la terre de l'astre radieux.
+
+Le sol des continents, encore mal fixé, se couvrit donc de forêts
+immenses; l'acide carbonique, si propre au développement du règne
+végétal, abondait. Aussi les végétaux se développaient-ils sous la
+forme arborescente. Il n'y avait pas une seule plante herbacée.
+C'étaient partout d'énormes massifs d'arbres, sans fleurs, sans fruits,
+d'un aspect monotone, qui n'auraient pu suffire à la nourriture d'aucun
+être vivant. La terre n'était pas prête encore pour l'apparition du
+règne animal.
+
+Voici quelle était la composition de ces forêts antédiluviennes. La
+classe des cryptogames vasculaires y dominait. Les calamites, variétés
+de prêles arborescentes, les lépidodendrons, sortes de lycopodes
+géants, hauts de vingt-cinq ou trente mètres, larges d'un mètre à leur
+base, des astérophylles, des fougères, des sigillaires de proportions
+gigantesques, dont on a retrouvé des empreintes dans les mines de
+Saint-Étienne -- toutes plantes grandioses alors, auxquelles on ne
+reconnaîtrait d'analogues que parmi les plus humbles spécimens de la
+terre habitable --, tels étaient, peu variés dans leur espèce, mais
+énormes dans leur développement, les végétaux qui composaient
+exclusivement les forêts de cette époque.
+
+Ces arbres noyaient alors leur pied dans une sorte d'immense lagune,
+rendue profondément humide par le mélange des eaux douces et des eaux
+marines. Ils s'assimilaient avidement le carbone qu'ils soutiraient peu
+à peu de l'atmosphère, encore impropre au fonctionnement de la vie, et
+on peut dire qu'ils étaient destinés à l'emmagasiner, sous forme de
+houille, dans les entrailles mêmes du globe.
+
+En effet, c'était l'époque des tremblements de terre, de ces
+secouements du sol, dus aux révolutions intérieures et au travail
+plutonique, qui modifiaient subitement les linéaments encore incertains
+de la surface terrestre. Ici, des intumescences qui devenaient
+montagnes; là, des gouffres que devaient emplir des océans ou des mers.
+Et alors, des forêts entières s'enfonçaient dans la croûte terrestre, à
+travers les couches mouvantes, jusqu'à ce qu'elles eussent trouvé un
+point d'appui, tel que le sol primitif des roches granitoïdes, ou que,
+par le tassement, elles formassent un tout résistant.
+
+En effet, l'édifice géologique se présente suivant cet ordre dans les
+entrailles du globe : le sol primitif, que surmonte le sol de remblai,
+composé des terrains primaires, puis les terrains secondaires dont les
+gisements houillers occupent l'étage inférieur, puis les terrains
+tertiaires, et au-dessus, le terrain des alluvions anciennes et
+modernes.
+
+A cette époque, les eaux, qu'aucun lit ne retenait encore et que la
+condensation engendrait sur tous les points du globe, se précipitaient
+en arrachant aux roches, à peine formées, de quoi composer les
+schistes, les grès, les calcaires. Elles arrivaient au dessus des
+forêts tourbeuses et déposaient les éléments de ces terrains qui
+allaient se superposer au terrain houiller. Avec le temps -- des
+périodes qui se chiffrent par millions d'années --, ces terrains se
+durcirent, s'étagèrent et enfermèrent sous une épaisse carapace de
+poudingues, de schistes, de grès compacts ou friables, de gravier, de
+cailloux, toute la masse des forêts enlisées.
+
+Que se passa-t-il dans ce creuset gigantesque, où s'accumulait la
+matière végétale, enfoncée à des profondeurs variables ? Une véritable
+opération chimique, une sorte de distillation. Tout le carbone que
+contenaient ces végétaux s'agglomérait, et peu à peu la houille se
+formait sous la double influence d'une pression énorme et de la haute
+température que lui fournissaient les feux internes, si voisins d'elle
+à cette époque.
+
+Ainsi donc un règne se substituait à l'autre dans cette lente, mais
+irrésistible réaction. Le végétal se transformait en minéral. Toutes
+ces plantes, qui avaient vécu de la vie végétative sous l'active sève
+des premiers jours, se pétrifiaient. Quelques-unes des substances
+enfermées dans ce vaste herbier, incomplètement déformées, laissaient
+leur empreinte aux autres produits plus rapidement minéralisés, qui les
+pressaient comme eût fait une presse hydraulique d'une puissance
+incalculable. En même temps, des coquilles, des zoophytes tels
+qu'étoiles de mer, polypiers, spirifères, jusqu'à des poissons, jusqu'à
+des lézards, entraînés par les eaux, laissaient sur la houille, tendre
+encore, leur impression nette et comme « admirablement tirée [1*] ».
+
+La pression semble avoir joué un rôle considérable dans la formation
+des gisements carbonifères. En effet, c'est à son degré de puissance
+que sont dues les diverses sortes de houilles dont l'industrie fait
+usage. Ainsi, aux plus basses couches du terrain houiller apparaît
+l'anthracite, qui, presque entièrement dépourvue de matière volatile,
+contient la plus grande quantité de carbone. Aux plus hautes couches se
+montrent, au contraire, le lignite et le bois fossile, substances dans
+lesquelles la quantité de carbone est infiniment moindre. Entre ces
+deux couches, suivant le degré de pression qu'elles ont subie, se
+rencontrent les filons de graphites, les houilles grasses ou maigres.
+On peut même affirmer que c'est faute d'une pression suffisante que la
+couche des marais tourbeux n'a pas été complètement modifiée.
+
+Ainsi donc, l'origine des houillères, en quelque point du globe qu'on
+les ait découvertes, est celle-ci : engloutissement dans la croûte
+terrestre des grandes forêts de l'époque géologique, puis,
+minéralisation des végétaux obtenue avec le temps, sous l'influence de
+la pression et de la chaleur, et sous l'action de l'acide carbonique.
+
+Cependant, la nature, si prodigue d'ordinaire, n'a pas enfoui assez de
+forêts pour une consommation qui comprendrait quelques milliers
+d'années. La houille manquera un jour, -- cela est certain. Un chômage
+forcé s'imposera donc aux machines du monde entier, si quelque nouveau
+combustible ne remplace pas le charbon. A une époque plus ou moins
+reculée, il n'y aura plus de gisements carbonifères, si ce n'est ceux
+qu'une éternelle couche de glace recouvre au Groenland, aux
+environs de la mer de Baffin, et dont l'exploitation est à peu près
+impossible. C'est le sort inévitable. Les bassins houillers de
+l'Amérique, prodigieusement riches encore, ceux du lac Salé, de
+l'orégon, de la Californie, n'auront plus, un jour, qu'un rendement
+insuffisant. Il en sera ainsi des houillères du cap Breton et du
+Saint-Laurent, des gisements des Alleghanis, de la Pennsylvanie, de la
+Virginie, de l'Illinois, de l'Indiana, du Missouri. Bien que les gîtes
+carbonifères du Nord-Amérique soient dix fois plus considérables que
+tous les gisements du monde entier, cent siècles ne s'écouleront pas
+sans que le monstre à millions de gueules de l'industrie n'ait dévoré
+le dernier morceau de houille du globe.
+
+La disette, on le comprend, se fera plus promptement sentir dans
+l'ancien monde. Il existe bien des couches de combustible minéral en
+Abyssinie, à Natal, au Zambèze, à Mozambique, à Madagascar, mais leur
+exploitation régulière offre les plus grandes difficultés. Celles de la
+Birmanie, de la Chine, de la Cochinchine, du Japon, de l'Asie centrale,
+seront assez vite épuisées. Les Anglais auront certainement vidé
+l'Australie des produits houillers, assez abondamment enfouis dans son
+sol, avant le jour où le charbon manquera au Royaume-Uni. A cette
+époque, déjà, les filons carbonifères de l'Europe, atteints jusque dans
+leurs dernières veines, auront été abandonnés.
+
+Que l'on juge par les chiffres suivants des quantités de houille qui
+ont été consommées depuis la découverte des premiers gisements. Les
+bassins houillers de la Russie, de la Saxe et de la Bavière comprennent
+six cent mille hectares; ceux de l'Espagne, cent cinquante mille; ceux
+de la Bohême et de l'Autriche, cent cinquante mille. Les bassins de la
+Belgique, longs de quarante lieues, larges de trois, comptent également
+cent cinquante mille hectares, qui s'étendent sous les territoires de
+Liège, de Namur, de Mons et de Charleroi. En France, le bassin situé
+entre la Loire et le Rhône, Rive-de-Gier, Saint-Étienne, Givors,
+Épinac, Blanzy, le Creuzot -- les exploitations du Gard, Alais, La
+Grand-Combe, -- celles de l'Aveyron à Aubin -- les gisements de
+Carmaux, de Bassac, de Graissessac --, dans le Nord, Anzin,
+Valenciennes, Lens, Béthune, recouvrent environ trois cent cinquante
+mille hectares.
+
+Le pays le plus riche en charbon, c'est incontestablement le
+Royaume-Uni. Celui-ci, en exceptant l'Irlande, à laquelle manque
+presque absolument le combustible minéral, possède d'énormes richesses
+carbonifères, -- mais épuisables comme toutes richesses. Le plus
+important de ces divers bassins, celui de Newcastle, qui occupe le
+sous-sol du comté de Northumberland, produit par an jusqu'à trente
+millions de tonnes, c'est-à-dire près du tiers de la consommation
+anglaise et plus du double de la production française. Le bassin du
+pays de Galles, qui a concentré toute une population de mineurs à
+Cardiff, à Swansea, à Newport, rend annuellement dix millions de tonnes
+de cette houille si recherchée qui porte son nom. Au centre,
+s'exploitent les bassins des comtés d'York, de Lancaster, de Derby, de
+Stafford, moins productifs, mais d'un rendement considérable encore.
+Enfin, dans cette portion de l'Écosse située entre Édimbourg et
+Glasgow, entre ces deux mers qui l'échancrent si profondément, se
+développe l'un des plus vastes gisements houillers du Royaume-Uni.
+L'ensemble de ces divers bassins ne comprend pas moins de seize cent
+mille hectares, et produit annuellement jusqu'à cent millions de tonnes
+du noir combustible.
+
+Mais qu'importe ! La consommation deviendra telle, pour les besoins de
+l'industrie et du commerce, que ces richesses s'épuiseront. Le
+troisième millénaire de l'ère chrétienne ne sera pas achevé, que la
+main du mineur aura vidé, en Europe, ces magasins dans lesquels,
+suivant une juste image, s'est concentrée la chaleur solaire des
+premiers jours [2*].
+
+Or, précisément à l'époque où se passe cette histoire, l'une des plus
+importantes houillères du bassin écossais avait été épuisée par une
+exploitation trop rapide. En effet, c'était dans ce territoire, qui se
+développe entre Édimbourg et Glasgow, sur une largeur moyenne de dix à
+douze milles, que se creusait la houillère d'Aberfoyle, dont
+l'ingénieur James Starr avait si longtemps dirigé les travaux.
+
+Or, depuis dix ans, ces mines avaient dû être abandonnées. On n'avait
+pu découvrir de nouveaux gisements, bien que les sondages eussent été
+portés jusqu'à la profondeur de quinze cents et même de deux mille
+pieds, et lorsque James Starr s'était retiré, c'était avec la certitude
+que le plus mince filon avait été exploité jusqu'à complet épuisement.
+
+Il était donc plus qu'évident que, en de telles conditions, la
+découverte d'un nouveau bassin houiller dans les profondeurs du
+sous-sol anglais aurait été un événement considérable. La communication
+annoncée par Simon Ford se rapportait-elle à un fait de cette nature ?
+C'est ce que se demandait James Starr, c'est ce qu'il voulait espérer.
+
+En un mot, était-ce un autre coin de ces riches Indes noires dont on
+l'appelait à faire de nouveau la conquête ? Il voulait le croire.
+
+La seconde lettre avait un instant dérouté ses idées à ce sujet, mais
+maintenant il n'en tenait plus compte. D'ailleurs, le fils du vieil
+overman était là, l'attendant au rendez-vous indiqué. La lettre anonyme
+n'avait donc plus aucune valeur.
+
+A l'instant où l'ingénieur prenait pied sur le quai, le jeune homme
+s'avança vers lui.
+
+« Tu es Harry Ford ? lui demanda vivement James Starr, sans autre
+entrée en matière.
+
+-- Oui, monsieur Starr.
+
+-- Je ne t'aurais pas reconnu, mon garçon ! Ah ! c'est que, depuis dix
+ans, tu es devenu un homme !
+
+-- Moi, je vous ai reconnu, répondit le jeune mineur, qui tenait son
+chapeau à la main. vous n'avez pas changé, monsieur. vous êtes celui
+qui m'a embrassé le jour des adieux à la fosse Dochart ! Ça ne s'oublie
+pas, ces choses-là !
+
+-- Couvre-toi donc, Harry, dit l'ingénieur. Il pleut à torrents, et la
+politesse ne doit pas aller jusqu'au rhume.
+
+-- Voulez-vous que nous nous mettions à l'abri, monsieur Starr ?
+demanda Harry Ford.
+
+-- Non, Harry. Le temps est pris. Il pleuvra toute la journée, et je
+suis pressé. Partons.
+
+-- A vos ordres, répondit le jeune homme.
+
+-- Dis-moi, Harry, le père se porte bien ?
+
+-- Très bien, monsieur Starr.
+
+-- Et la mère ?...
+
+-- La mère aussi.
+
+-- C'est ton père qui m'a écrit, pour me donner rendez-vous au puits de
+Yarow ?
+
+-- Non, c'est moi.
+
+-- Mais Simon Ford m'a-t-il donc adressé une seconde lettre pour
+contremander ce rendez-vous ? demanda vivement l'ingénieur.
+
+-- Non, monsieur Starr, répondit le jeune mineur.
+
+-- Bien ! » répondit James Starr, sans parler davantage de la lettre
+anonyme.
+
+Puis, reprenant :
+
+« Et peux-tu m'apprendre ce que me veut le vieux Simon ? demanda-t-il
+au jeune homme.
+
+-- Monsieur Starr, mon père s'est réservé le soin de vous le dire
+lui-même.
+
+-- Mais tu le sais ?...
+
+-- Je le sais.
+
+-- Eh bien, Harry, je ne t'en demande pas plus. En route donc, car j'ai
+hâte de causer avec Simon Ford. -- A propos, où demeure-t-il ?
+
+-- Dans la mine.
+
+-- Quoi ! Dans la fosse Dochart ?
+
+-- Oui, monsieur Starr, répondit Harry Ford.
+
+-- Comment ! ta famille n'a pas quitté la vieille mine depuis la
+cessation des travaux ?
+
+-- Pas un jour, monsieur Starr. vous connaissez le père. C'est là qu'il
+est né, c'est là qu'il veut mourir !
+
+-- Je comprends cela, Harry... Je comprends cela ! Sa houillère natale
+! Il n'a pas voulu l'abandonner ! Et vous vous plaisez là ?...
+
+-- Oui, monsieur Starr, répondit le jeune mineur, car nous nous aimons
+cordialement, et nous n'avons que peu de besoins !
+
+-- Bien, Harry, dit l'ingénieur. En route ! »
+
+Et James Starr, suivant le jeune homme, se dirigea à travers les rues
+de Callander.
+
+Dix minutes après, tous deux avaient quitté la ville.
+
+[1] Il faut, d'ailleurs, remarquer que toutes ces plantes, dont les
+enpreintes ont été retrouvées, appartiennent aux espèces aujourd'hui
+réservées aux zones équatoriales du globe. On peut donc conclure que, à
+cette époque, la chaleur était égale sur toute la terre, soit qu'elle y
+fût apportée par des courants d'eaux chaudes, soit que les feux
+interieurs se fissent sentir à sa surface à travers la croûte poreuse.
+Ainsi s'explique la formation de gisements carbonifères sous toutes les
+latitudes terestres.
+
+[2]Voici, en tenant compte de la progression de la consommation de la
+houille, ce que les derniers calculs assignent, en Europe, à
+l'épuisement des combustibles minéraux:
+
+
+ France dans 1140 ans.
+
+ Angleterre -- 800 --
+
+ Belgique -- 750 --
+
+ Allemagne -- 300 --
+
+En Amérique, à raison de 500 millions de tonnes annuellement, les gîtes
+pourraient produire du charbon pendant 6000 ans.
+
+ IV
+
+ La fosse Dochart
+
+Harry Ford était un grand garçon de vingt-cinq ans, vigoureux, bien
+découplé. Sa physionomie un peu sérieuse, son attitude habituellement
+pensive, l'avaient, dès son enfance, fait remarquer entre ses camarades
+de la mine. Ses traits réguliers, ses yeux profonds et doux, ses
+cheveux assez rudes, plutôt châtains que blonds, le charme naturel de
+sa personne, tout concordait à en faire le type accompli du Lowlander,
+c'est-à-dire un superbe spécimen de l'Écossais de la plaine. Endurci
+presque dès son bas âge au travail de la houillère, c'était, en même
+temps qu'un solide compagnon, une brave et bonne nature. Guidé par son
+père, poussé par ses propres instincts, il avait travaillé, il s'était
+instruit de bonne heure, et, à un âge où l'on n'est guère qu'un
+apprenti, il était arrivé à se faire quelqu'un -- l'un des premiers de
+sa condition --, dans un pays qui compte peu d'ignorants, car il fait
+tout pour supprimer l'ignorance. Si, pendant les premières années de
+son adolescence, le pic ne quitta pas la main d'Harry Ford, néanmoins
+le jeune mineur ne tarda pas à acquérir les connaissances suffisantes
+pour s'élever dans la hiérarchie de la houillère, et il aurait
+certainement succédé à son père en qualité d'overman de la fosse
+Dochart, si la mine n'eût pas été abandonnée.
+
+James Starr était un bon marcheur encore, et, cependant, il n'aurait
+pas suivi facilement son guide, si celui-ci n'eût modéré son pas.
+
+La pluie tombait alors avec moins de violence. Les larges gouttes se
+pulvérisaient avant d'atteindre le sol. C'étaient plutôt des rafales
+humides, qui couraient dans l'air, soulevées par une fraîche brise.
+
+Harry Ford et James Starr -- le jeune homme portant le léger bagage de
+l'ingénieur -- suivirent la rive gauche du fleuve pendant un mille
+environ. Après avoir longé sa plage sinueuse, ils prirent une route qui
+s'enfonçait dans les terres sous les grands arbres ruisselants. De
+vastes pâturages se développaient d'un côté et de l'autre, autour de
+fermes isolées. Quelques. troupeaux paissaient tranquillement l'herbe
+toujours verte de ces prairies de la basse Écosse. C'étaient des vaches
+sans cornes, ou de petits moutons à laine soyeuse, qui ressemblaient
+aux moutons des bergeries d'enfants. Aucun berger ne se laissait voir,
+abrité qu'il était sans doute dans quelque creux d'arbre; mais le «
+colley », chien particulier à cette contrée du Royaume-Uni et renommé
+pour sa vigilance, rôdait autour du pâturage.
+
+Le puits Yarow était situé à quatre milles environ de Callander. James
+Starr, tout en marchant, ne laissait pas d'être impressionné. Il
+n'avait pas revu le pays depuis le jour où la dernière tonne des
+houillères d'Aberfoyle avait été versée dans les wagons du railway de
+Glasgow. La vie agricole remplaçait, maintenant, la vie industrielle,
+toujours plus bruyante, plus active. Le contraste était d'autant plus
+frappant que, pendant l'hiver, les travaux des champs subissent une
+sorte de chômage. Mais autrefois, en toute saison, la population des
+mineurs, au-dessus comme au-dessous, animait ce territoire. Les grands
+charrois de charbon passaient nuit et jour. Les rails, maintenant
+enterrés sur leurs traverses pourries, grinçaient sous le poids des
+wagons. A présent, le chemin de pierre et de terre se substituait peu à
+peu aux anciens tramways de l'exploitation. James Starr croyait
+traverser un désert.
+
+L'ingénieur regardait donc autour de lui d'un oeil attristé. Il
+s'arrêtait par instants pour reprendre haleine. Il écoutait. L'air ne
+s'emplissait plus à présent des sifflements lointains et du fracas
+haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noirâtres,
+que l'industriel aime à retrouver, mêlées aux grands nuages. Nulle
+haute cheminée cylindrique ou prismatique vomissant des fumées, après
+s'être alimentée au gisement même, nul tuyau d'échappement s'époumonant
+à souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussière
+de la houille, avait un aspect propre, auquel les yeux de James Starr
+n'étaient plus habitués.
+
+Lorsque l'ingénieur s'arrêtait, Harry Ford s'arrêtait aussi. Le jeune
+mineur attendait en silence. Il sentait bien ce qui se passait dans
+l'esprit de son compagnon, et il partageait vivement cette impression,
+-- lui, un enfant de la houillère, dont toute la vie s'était écoulée
+dans les profondeurs de ce sol.
+
+« Oui, Harry, tout cela est changé, dit James Starr. Mais, à force d'y
+prendre, il fallait bien que les trésors de houille s'épuisassent un
+jour ! Tu regrettes ce temps !
+
+-- Je le regrette, monsieur Starr, répondit Harry. Le travail était
+dur, mais il intéressait, comme toute lutte.
+
+-- Sans doute, mon garçon ! La lutte de tous les instants, le danger
+des éboulements, des incendies, des inondations, des coups de grisou
+qui frappent comme la foudre ! Il fallait parer à ces périls ! Tu dis
+bien ! C'était la lutte, et, par conséquent, la vie émouvante !
+
+-- Les mineurs d'Alloa ont été plus favorisés que les mineurs
+d'Aberfoyle, monsieur Starr !
+
+-- Oui, Harry, répondit l'ingénieur.
+
+-- En vérité, s'écria le jeune homme, il est à regretter que tout le
+globe terrestre n'ait pas été uniquement composé de charbon ! Il y en
+aurait eu pour quelques millions d'années !
+
+-- Sans doute, Harry, mais il faut avouer, cependant, que la nature
+s'est montrée prévoyante en formant notre sphéroïde plus principalement
+de grès, de calcaire, de granit, que le feu ne peut consumer !
+
+-- Voulez-vous dire, monsieur Starr, que les humains auraient fini par
+brûler leur globe ?...
+
+-- Oui ! Tout entier, mon garçon, répondit l'ingénieur. La terre aurait
+passé jusqu'au dernier morceau dans les fourneaux des locomotives, des
+locomobiles, des steamers, des usines à gaz, et, certainement, c'est
+ainsi que notre monde eût fini un beau jour !
+
+-- Cela n'est plus à craindre, monsieur Starr. Mais aussi, les
+houillères s'épuiseront, sans doute, plus rapidement que ne
+l'établissent les statistiques !
+
+-- Cela arrivera, Harry, et, suivant moi, l'Angleterre a peut-être tort
+d'échanger son combustible contre l'or des autres nations !
+
+-- En effet, répondit Harry.
+
+-- Je sais bien, ajouta l'ingénieur, que ni l'hydraulique, ni
+l'électricité n'ont encore dit leur dernier mot, et qu'on utilisera
+plus complètement un jour ces deux forces. Mais n'importe ! La houille
+est d'un emploi très pratique et se prête facilement aux divers besoins
+de l'industrie ! Malheureusement, les hommes ne peuvent la produire à
+volonté ! Si les forêts extérieures repoussent incessamment sous
+l'influence de la chaleur et de l'eau, les forêts intérieures, elles,
+ne se reproduisent pas, et le globe ne se retrouvera jamais dans les
+conditions voulues pour les refaire ! »
+
+James Starr et son guide, tout en causant, avaient repris leur marche
+d'un pas rapide. Une heure après avoir quitté Callander, ils arrivaient
+à la fosse Dochart.
+
+Un indifférent lui-même eût été touché du triste aspect que présentait
+l'établissement abandonné. C'était comme le squelette de ce qui avait
+été si vivant autrefois.
+
+Dans un vaste cadre, bordé de quelques maigres arbres, le sol
+disparaissait encore sous la noire poussière du combustible minéral,
+mais on n'y voyait plus ni escarbilles, ni gailleteries, ni aucun
+fragment de houille. Tout avait été enlevé et consommé depuis longtemps.
+
+Sur une colline peu élevée, se découpait la silhouette d'une énorme
+charpente que le soleil et la pluie rongeaient lentement. Au sommet de
+cette charpente apparaissait une vaste molette ou roue de fonte, et
+plus bas s'arrondissaient ces gros tambours, sur lesquels s'enroulaient
+autrefois les câbles qui ramenaient les cages à la surface du sol.
+
+A l'étage inférieur, on reconnaissait la chambre délabrée des machines,
+autrefois si luisantes dans les parties du mécanisme faites d'acier ou
+de cuivre. Quelques pans de murs gisaient à terre au milieu de solives
+brisées et verdies par l'humidité. Des restes de balanciers auxquels
+s'articulait la tige des pompes d'éjuisement, des coussinets cassés ou
+encrassés, des pignons édentés, des engins de basculage renversés,
+quelques échelons fixés aux chevalets et figurant de grandes arêtes
+d'ichthyosaures, des rails portés sur quelque traverse rompue que
+soutenaient encore deux ou trois pilotis branlants, des tramways qui
+n'auraient pas résisté au poids d'un wagonnet vide, -- tel était
+l'aspect désolé de la fosse Dochart.
+
+La margelle des puits, aux pierres éraillées, disparaissait sous les
+mousses épaisses. Ici, on reconnaissait les vestiges d'une cage, là les
+restes d'un parc où s'emmagasinait le charbon, qui devait être trié
+suivant sa qualité ou sa grosseur. Enfin, débris de tonnes auxquelles
+pendait un bout de chaîne, fragments de chevalets gigantesques, tôles
+d'une chaudière éventrée, pistons tordus, longs balanciers qui se
+penchaient sur l'orifice des puits de pompes, passerelles tremblant au
+vent, ponceaux frémissant au pied, murailles lézardées, toits à demi
+effondrés qui dominaient des cheminées aux briques disjointes,
+ressemblant à ces canons modernes dont la culasse est frettée d'anneaux
+cylindriques, de tout cela il sortait une vive impression d'abandon, de
+misère, de tristesse, que n'offrent pas les ruines du vieux château de
+pierre, ni les restes d'une forteresse démantelée.
+
+« C'est une désolation ! » dit James Starr, en regardant le jeune homme
+qui ne répondit pas.
+
+Tous deux pénétrèrent alors sous l'appentis qui recouvrait l'orifice du
+puits Yarow, dont les échelles donnaient encore accès jusqu'aux
+galeries inférieures de la fosse.
+
+L'ingénieur se pencha sur l'orifice.
+
+De là s'épanchait autrefois le souffle puissant de l'air aspiré par les
+ventilateurs. C'était maintenant un abîme silencieux. Il semblait qu'on
+fût à la bouche de quelque volcan éteint.
+
+James Starr et Harry mirent pied sur le premier palier.
+
+A l'époque de l'exploitation, d'ingénieux engins desservaient certains
+puits des houillères d'Aberfoyle, qui, sous ce rapport, étaient
+parfaitement outillées : cages munies de parachutes automatiques,
+mordant sur des glissières en bois, échelles oscillantes, nommées «
+engine-men », qui, par un simple mouvement d'oscillation, permettaient
+aux mineurs de descendre sans danger ou de remonter sans fatigue.
+
+Mais ces appareils perfectionnés avaient été enlevés, depuis la
+cessation des travaux. Il ne restait au puits Yarow qu'une longue
+succession d'échelles, séparées par des paliers étroits de cinquante en
+cinquante pieds. Trente de ces échelles, ainsi placées bout à bout,
+permettaient de descendre jusqu'à la semelle de la galerie inférieure,
+à une profondeur de quinze cents pieds. C'était la seule voie de
+communication qui existât entre le fond de la fosse Dochart et le sol.
+Quant à l'aération, elle s'opérait par le puits Yarow, que les galeries
+faisaient communiquer avec un autre puits dont l'orifice s'ouvrait à un
+niveau supérieur, -- l'air chaud se dégageant naturellement par cette
+espèce de siphon renversé.
+
+« Je te suis, mon garçon, dit l'ingénieur, en faisant signe au jeune
+homme de le précéder.
+
+-- A vos ordres, monsieur Starr.
+
+-- Tu as ta lampe ?
+
+-- Oui, et plût au Ciel que ce fût encore la lampe de sûreté dont nous
+nous servions autrefois !
+
+-- En effet, répondit James Starr, les coups de grisou ne sont plus à
+craindre maintenant ! »
+
+Harry n'était muni que d'une simple lampe à huile, dont il alluma la
+mèche. Dans la houillère, vide de charbon, les fuites du gaz hydrogène
+protocarboné ne pouvaient plus se produire. Donc, aucune explosion à
+redouter, et nulle nécessité d'interposer entre la flamme et l'air
+ambiant cette toile métallique qui empêche le gaz de prendre feu à
+l'extérieur. La lampe de Davy, si perfectionnée alors, ne trouvait plus
+ici son emploi. Mais si le danger n'existait pas, c'est que la cause en
+avait disparu, et, avec cette cause, le combustible qui faisait
+autrefois la richesse de la fosse Dochart.
+
+Harry descendit les premiers échelons de l'échelle supérieure. James
+Starr le suivit. Tous deux se trouvèrent bientôt dans une obscurité
+profonde que rompait seul l'éclat de la lampe. Le jeune homme l'élevait
+au-dessus de sa tête, afin de mieux éclairer son compagnon.
+
+Une dizaine d'échelles furent descendues par l'ingénieur et son guide
+de ce pas mesuré habituel au mineur. Elles étaient encore en bon état.
+
+James Starr observait curieusement ce que l'insuffisante lueur lui
+laissait apercevoir des parois du sombre puits, qu'un cuvelage en bois,
+à demi pourri, revêtait encore.
+
+Arrivés au quinzième palier, c'est-à-dire à mi-chemin, ils firent halte
+pour quelques instants.
+
+« Décidément, je n'ai pas tes jambes, mon garçon, dit l'ingénieur en
+respirant longuement, mais enfin, cela va encore !
+
+-- Vous êtes solide, monsieur Starr, répondit Harry, et c'est quelque
+chose, voyez-vous, que d'avoir longtemps vécu dans la mine.
+
+-- Tu as raison, Harry. Autrefois, lorsque j'avais vingt ans, j'aurais
+descendu tout d'une haleine. Allons, en route ! »
+
+Mais, au moment où tous deux allaient quitter le palier, une voix,
+encore éloignée, se fit entendre dans les profondeurs du puits. Elle
+arrivait comme une onde sonore qui se gonfle progressivement, et elle
+devenait de plus en plus distincte.
+
+« Eh ! qui vient là ? demanda l'ingénieur en arrêtant Harry.
+
+-- Je ne pourrais le dire, répondit le jeune mineur.
+
+-- Ce n'est pas le vieux père ?...
+
+-- Lui ! monsieur Starr, non.
+
+-- Quelque voisin, alors ?...
+
+-- Nous n'avons pas de voisins au fond de la fosse, répondit Harry.
+Nous sommes seuls, bien seuls.
+
+-- Bon ! laissons passer cet intrus, dit James Starr. C'est à ceux qui
+descendent de céder le pas à ceux qui montent. »
+
+Tous deux attendirent.
+
+La voix résonnait en ce moment avec un magnifique éclat, comme si elle
+eût été portée par un vaste pavillon acoustique, et bientôt quelques
+paroles d'une chanson écossaise arrivèrent assez nettement aux oreilles
+du jeune mineur.
+
+« La chanson des lacs ! s'écria Harry. Ah ! je serais bien surpris si
+elle s'échappait d'une autre bouche que de celle de Jack Ryan.
+
+-- Et qu'est-ce, ce Jack Ryan, qui chante d'une si superbe façon ?
+demanda James Starr.
+
+-- Un ancien camarade de la houillère », répondit Harry.
+
+Puis, se pendant au-dessus du palier :
+
+« Eh ! Jack ! cria-t-il.
+
+-- C'est toi, Harry ? fut-il répondu. Attends-moi, j'arrive. »
+
+Et la chanson reprit de plus belle.
+
+Quelques instants après, un grand garçon de vingt-cinq ans, la figure
+gaie, les yeux souriants, la bouche joyeuse, la chevelure d'un blond
+ardent, apparaissait au fond du cône lumineux que projetait sa
+lanterne, et il prenait pied sur le palier de la quinzième échelle.
+
+Son premier acte fut de serrer vigoureusement la main que venait de lui
+tendre Harry.
+
+« Enchanté de te rencontrer ! s'écria-t-il. Mais, saint Mungo me
+protège ! si j'avais su que tu revenais à terre aujourd'hui, je me
+serais bien épargné cette descente au puits Yarow !
+
+-- Monsieur James Starr, dit alors Harry, en tournant sa lampe vers
+l'ingénieur, qui était resté dans l'ombre.
+
+-- Monsieur Starr ! répondit Jack Ryan. Ah ! monsieur l'ingénieur, je
+ne vous aurais pas reconnu. Depuis que j'ai quitté la fosse, mes yeux
+ne sont plus habitués, comme autrefois, à voir dans l'obscurité.
+
+-- Et moi, je me rappelle maintenant un gamin qui chantait toujours.
+voilà bien dix ans de cela, mon garçon ! C'était toi, sans doute ?
+
+-- Moi-même, monsieur Starr, et, en changeant de métier, je n'ai pas
+changé d'humeur, voyez-vous ? Bah ! rire et chanter, cela vaut mieux,
+j'imagine, que pleurer et geindre !
+
+-- Sans doute, Jack Ryan. -- Et que fais-tu, depuis que tu as quitté la
+mine ?
+
+-- Je travaille à la ferme de Melrose, près d'Irvine, dans le comté de
+Renfrew, à quarante milles d'ici. Ah ! ça ne vaut pas nos houillères
+d'Aberfoyle ! Le pic allait mieux à ma main que la bêche ou l'aiguillon
+! Et puis, dans la vieille fosse, il y avait des coins sonores, des
+échos joyeux qui vous renvoyaient gaillardement vos chansons, tandis
+que là-haut !... Mais vous allez donc rendre visite au vieux Simon,
+monsieur Starr ?
+
+-- Oui, Jack, répondit l'ingénieur.
+
+-- Que je ne vous retarde pas...
+
+-- Dis-moi, Jack, demanda Harry, quel motif t'a amené au cottage
+aujourd'hui ?
+
+-- Je voulais te voir, camarade, répondit Jack Ryan, et t'inviter à la
+fête du clan d'Irvine. Tu sais, je suis le « piper [1*] » de l'endroit
+! On chantera, on dansera !
+
+-- Merci, Jack, mais cela m'est impossible.
+
+-- Impossible ?
+
+-- Oui, la visite de M. Starr peut se prolonger, et je dois le
+reconduire à Callander.
+
+-- Eh ! Harry, la fête du clan d'Irvine n'arrive que dans huit jours.
+D'ici là, la visite de M. Starr sera terminée, je suppose, et rien ne
+te retiendra plus au cottage !
+
+-- En effet, Harry, répondit James Starr. Il faut profiter de
+l'invitation que te fait ton camarade Jack !
+
+-- Eh bien, j'accepte, Jack, dit Harry. Dans huit jours, nous nous
+retrouverons à la fête d'Irvine.
+
+-- Dans huit jours, c'est bien convenu, répondit Jack Ryan. Adieu,
+Harry ! votre serviteur, monsieur Starr ! Je suis très content de vous
+avoir revu ! Je pourrai donner de vos nouvelles aux amis. Personne ne
+vous a oublié, monsieur l'ingénieur.
+
+-- Et je n'ai oublié personne, dit James Starr.
+
+-- Merci pour tous, monsieur, répondit Jack Ryan.
+
+-- Adieu, Jack ! » dit Harry, en serrant une dernière fois la main de
+son camarade.
+
+Et Jack Ryan, reprenant sa chanson, disparut bientôt dans les hauteurs
+du puits, vaguement éclairées par sa lampe.
+
+Un quart d'heure après, James Starr et Harry descendaient la dernière
+échelle, et mettaient le pied sur le sol du dernier étage de la fosse.
+
+Autour du rond-point que formait le fond du puits Yarow rayonnaient
+diverses galeries qui avaient servi à l'exploitation du dernier filon
+carbonifère de la mine. Elles s'enfonçaient dans le massif de schistes
+et de grès, les unes étançonnées par des trapèzes de grosses poutres à
+peine équarries, les autres doublées d'un épais revêtement de pierre.
+Partout des remblais remplaçaient les veines dévorées par
+l'exploitation. Les piliers artificiels étaient faits de pierres
+arrachées aux carrières voisines, et maintenant ils supportaient le
+sol, c'est-à-dire le double étage des terrains tertiaires et
+quaternaires, qui reposaient autrefois sur le gisement même.
+L'obscurité emplissait alors ces galeries, jadis éclairées soit par la
+lampe du mineur soit par la lumière électrique, dont, pendant les
+dernières années, l'emploi avait été introduit dans les fosses. Mais
+les sombres tunnels ne résonnaient plus du grincement des wagonnets
+roulant sur leurs rails, ni du bruit des portes d'air qui se
+refermaient brusquement, ni des éclats de voix des rouleurs, ni du
+hennissement des chevaux et des mules, ni des coups de pic de
+l'ouvrier, ni des fracas du foudroyage qui faisait éclater le massif.
+
+« Voulez-vous vous reposer un instant, monsieur Starr ? demanda le
+jeune homme.
+
+-- Non, mon garçon, répondit l'ingénieur, car j'ai hâte d'arriver au
+cottage du vieux Simon.
+
+-- Suivez-moi donc, monsieur Starr. Je vais vous guider, et, cependant,
+je suis sûr que vous reconnaîtriez parfaitement votre route dans cet
+obscur dédale des galeries.
+
+-- Oui, certes ! J'ai encore dans la tête tout le plan de la vieille
+fosse. »
+
+Harry, suivi de l'ingénieur et levant sa lampe pour le mieux éclairer,
+s'enfonça dans une haute galerie, semblable à une contre-nef de
+cathédrale. Leur pied, à tous deux, heurtait encore les traverses de
+bois qui supportaient les rails à l'époque de l'exploitation.
+
+Mais à peine avaient-ils fait cinquante pas, qu'une énorme pierre vint
+tomber aux pieds de James Starr.
+
+« Prenez garde, monsieur Starr ! s'écria Harry, en saisissant le bras
+de l'ingénieur.
+
+-- Une pierre, Harry ! Ah ! ces vieilles voûtes ne sont plus assez
+solides, sans doute, et...
+
+-- Monsieur Starr, répondit Harry Ford, il me semble que la pierre a
+été jetée... et jetée par une main d'homme !...
+
+-- Jetée ! s'écria James Starr. Que veux-tu dire, mon garçon ?
+
+-- Rien, rien... monsieur Starr, répondit évasivement Harry, dont le
+regard, devenu sérieux, aurait voulu percer ces épaisses murailles.
+Continuons notre route. Prenez mon bras, je vous prie, et n'ayez aucune
+crainte de faire un faux pas.
+
+-- Me voilà, Harry ! »
+
+Et tous deux s'avancèrent, pendant qu'Harry regardait en arrière, en
+projetant l'éclat de sa lampe dans les profondeurs de la galerie.
+
+« Serons-nous bientôt arrivés ? demanda l'ingénieur.
+
+-- Dans dix minutes au plus.
+
+-- Bien.
+
+-- Mais, murmurait Harry, cela n'en est pas moins singulier. C'est la
+première fois que pareille chose m'arrive. Il a fallu que cette pierre
+vînt tomber juste au moment où nous passions !...
+
+-- Harry, il n'y a eu là qu'un hasard !
+
+-- Un hasard... répondit le jeune homme en secouant la tête. Oui... un
+hasard... »
+
+Harry s'était arrêté. Il écoutait.
+
+« Qu'y a-t-il, Harry ? demanda l'ingénieur.
+
+-- J'ai cru entendre marcher derrière nous », répondit le jeune mineur,
+qui prêta plus attentivement l'oreille.
+
+Puis :
+
+« Non ! je me serai trompé, dit-il. Appuyez-vous bien sur mon bras,
+monsieur Starr. Servez-vous de moi comme d'un bâton...
+
+-- Un bâton solide, Harry, répondit James Starr. Il n'en est pas de
+meilleur qu'un brave garçon tel que toi ! »
+
+Tous deux continuèrent à marcher silencieusement à travers la sombre
+nef.
+
+Souvent, Harry, évidemment préoccupé, se retournait, essayant de
+surprendre, soit un bruit éloigné, soit quelque lueur lointaine.
+
+Mais, derrière et devant lui, tout n'était que silence et ténèbres.
+
+[1] Le _piper_ est le joueur de cornemuse en Écosse.
+
+ V
+
+ La Famille Ford
+
+Dix minutes après, James Starr et Harry sortaient enfin de la galerie
+principale.
+
+Le jeune mineur et son compagnon étaient arrivés au fond d'une
+clairière, -- si toutefois ce mot peut servir à désigner une vaste et
+obscure excavation. Cette excavation, cependant, n'était pas absolument
+dépourvue de jour. Quelques rayons lui arrivaient par l'orifice d'un
+puits abandonné, qui avait été foncé dans les étages supérieurs.
+C'était par ce conduit que s'établissait le courant d'aération de la
+fosse Dochart. Grâce à sa moindre densité, l'air chaud de l'intérieur
+était entraîné vers le puits Yarow.
+
+Donc, un peu d'air et de clarté pénétrait à la fois à travers l'épaisse
+voûte de schiste jusqu'à la clairière.
+
+C'était là que Simon Ford habitait depuis dix ans, avec sa famille, une
+souterraine demeure, évidée dans le massif schisteux, à l'endroit même
+où fonctionnaient autrefois les puissantes machines, destinées à opérer
+la traction mécanique de la fosse Dochart.
+
+Telle était l'habitation -- à laquelle il donnait volontiers le nom de
+« cottage » --, où résidait le vieil overman. Grâce à une certaine
+aisance, due à une longue existence de travail, Simon Ford aurait pu
+vivre en plein soleil, au milieu des arbres, dans n'importe quelle
+ville du royaume; mais les siens et lui avaient préféré ne pas quitter
+la houillère, où ils étaient heureux, ayant mêmes idées, mêmes goûts.
+Oui ! il leur plaisait, ce cottage, enfoui à quinze cents pieds
+au-dessous du sol écossais. Entre autres avantages, il n'y avait pas à
+craindre que les agents du fisc, les « stentmaters » chargés d'établir
+la capitation, vinssent jamais y relancer ses hôtes !
+
+A cette époque, Simon Ford, l'ancien overman de la fosse Dochart,
+portait vigoureusement encore ses soixante-cinq ans. Grand, robuste,
+bien taillé, il eût été regardé comme l'un des plus remarquables «
+sawneys [1*] » du canton, qui fournissait tant de beaux hommes aux
+régiments de Highlanders.
+
+Simon Ford descendait d'une ancienne famille de mineurs, et sa
+généalogie remontait aux premiers temps où furent exploités les
+gisements carbonifères en Écosse.
+
+Sans rechercher archéologiquement si les Grecs et les Romains ont fait
+usage de la houille, si les Chinois utilisaient les mines de charbon
+bien avant l'ère chrétienne, sans discuter si réellement le combustible
+minéral doit son nom au maréchal ferrant Houillos, qui vivait en
+Belgique dans le XIIe siècle, on peut affirmer que les bassins de la
+Grande-Bretagne furent les premiers dont l'exploitation fut mise en
+cours régulier. Au XIe siècle, déjà, Guillaume le Conquérant partageait
+entre ses compagnons d'armes les produits du bassin de Newcastle. Au
+XIIIe siècle, une licence d'exploitation du « charbon marin » était
+concédée par Henri III. Enfin, vers la fin du même siècle, il est fait
+mention des gisements de l'Écosse et du pays de Galles.
+
+Ce fut vers ce temps que les ancêtres de Simon Ford pénétrèrent dans
+les entrailles du sol calédonien, pour n'en plus sortir, de père en
+fils. Ce n'étaient que de simples ouvriers. Ils travaillaient comme des
+forçats à l'extraction du précieux combustible. On croit même que les
+charbonniers mineurs, tout comme les sauniers de cette époque, étaient
+alors de véritables esclaves. En effet, au XVIIIe siècle, cette opinion
+était si bien établie en Écosse, que, pendant la guerre du Prétendant,
+on put craindre que vingt mille mineurs de Newcastle ne se soulevassent
+pour reconquérir une liberté -- qu'ils ne croyaient pas avoir.
+
+Quoi qu'il en soit, Simon Ford était fier d'appartenir à cette grande
+famille des houilleurs écossais. Il avait travaillé de ses mains, là
+même où ses ancêtres avaient manié le pic, la pince, la rivelaine et la
+pioche. A trente ans, il était overman de la fosse Dochart, la plus
+importante des houillères d'Aberfoyle. Il aimait passionnément son
+métier. Pendant de longues années, il exerça ses fonctions avec zèle.
+Son seul chagrin était de voir la couche s'appauvrir et de prévoir
+l'heure très prochaine où le gisement serait épuisé.
+
+C'est alors qu'il s'était adonné à la recherche de nouveaux filons dans
+toutes les fosses d'Aberfoyle, qui communiquaient souterrainement entre
+elles. Il avait eu le bonheur d'en découvrir quelques-uns pendant la
+dernière période d'exploitation. Son instinct de mineur le servait
+merveilleusement, et l'ingénieur James Starr l'appréciait fort. On eût
+dit qu'il devinait les gisements dans les entrailles de la houillère,
+comme un hydroscope devine les sources sous la couche du sol.
+
+Mais le moment arriva, on l'a dit, où la matière combustible manqua
+tout à fait à la houillère. Les sondages ne donnèrent plus aucun
+résultat. Il fut évident que le gîte carbonifère était entièrement
+épuisé. L'exploitation cessa. Les mineurs se retirèrent.
+
+Le croira-t-on ? Ce fut un désespoir pour le plus grand nombre. Tous
+ceux qui savent que l'homme, au fond, aime sa peine, ne s'en étonneront
+pas. Simon Ford, sans contredit, fut le plus atteint. Il était, par
+excellence, le type du mineur, dont l'existence est indissolublement
+liée à celle de sa mine. Depuis sa naissance, il n'avait cessé de
+l'habiter, et, lorsque les travaux furent abandonnés, il voulut y
+demeurer encore. Il resta donc. Harry, son fils, fut chargé du
+ravitaillement de l'habitation souterraine; mais quant à lui, depuis
+dix ans, il n'était pas remonté dix fois à la surface du sol.
+
+« Aller là-haut ! A quoi bon ? » répétait-il, et il ne quittait pas son
+noir domaine.
+
+Dans ce milieu parfaitement sain, d'ailleurs, soumis à une température
+toujours moyenne, le vieil overman ne connaissait ni les chaleurs de
+l'été, ni les froids de l'hiver. Les siens se portaient bien. Que
+pouvait-il désirer de plus ?
+
+Au fond, il était sérieusement attristé. Il regrettait l'animation, le
+mouvement, la vie d'autrefois, dans la fosse si laborieusement
+exploitée. Cependant, il était soutenu par une idée fixe.
+
+« Non ! non ! la houillère n'est pas épuisée ! » répétait-il.
+
+Et celui-là se serait fait un mauvais parti, qui aurait mis en doute
+devant Simon Ford qu'un jour l'ancienne Aberfoyle ressusciterait
+d'entre les mortes ! Il n'avait donc jamais abandonné l'espoir de
+découvrir quelque nouvelle couche qui rendrait à la mine sa splendeur
+passée. Oui ! il aurait volontiers, s'il l'avait fallu, repris le pic
+du mineur, et ses vieux bras, solides encore, se seraient
+vigoureusement attaqués à la roche. Il allait donc à travers les
+obscures galeries, tantôt seul, tantôt avec son fils, observant,
+cherchant, pour rentrer chaque jour fatigué, mais non désespéré, au
+cottage.
+
+La digne compagne de Simon Ford, c'était Madge, grande et forte, la «
+goodwife », la « bonne femme », suivant l'expression écossaise. Pas
+plus que son mari, Madge n'eût voulu quitter la fosse Dochart. Elle
+partageait à cet égard toutes ses espérances et ses regrets. Elle
+l'encourageait, elle le poussait en avant, elle lui parlait avec une
+sorte de gravité, qui réchauffait le coeur du vieil overman.
+
+« Aberfoyle n'est qu'endormie, Simon, lui disait-elle. C'est toi qui as
+raison. Ce n'est qu'un repos, ce n'est pas la mort ! »
+
+Madge savait aussi se passer du monde extérieur et concentrer le
+bonheur d'une existence à trois dans le sombre cottage.
+
+Ce fut là qu'arriva James Starr.
+
+L'ingénieur était bien attendu. Simon Ford, debout sur sa porte, du
+plus loin que la lampe d'Harry lui annonça l'arrivée de son ancien «
+viewer », s'avança vers lui.
+
+« Soyez le bienvenu, monsieur James ! lui cria-t-il d'une voix qui
+résonnait sous la voûte du schiste. Soyez le bienvenu au cottage du
+vieil overman ! Pour être enfouie à quinze cents pieds sous terre, la
+maison de la famille Ford n'en est pas moins hospitalière !
+
+-- Comment allez-vous, brave Simon ? demanda James Starr, en serrant la
+main que lui tendait son hôte.
+
+-- Très bien, monsieur Starr. Et comment en serait-il autrement ici, à
+l'abri de toute intempérie de l'air ? vos ladies qui vont respirer à
+Newhaven ou à Porto-Bello [2*] , pendant l'été, feraient mieux de
+passer quelques mois dans la houillère d'Aberfoyle ! Elles ne
+risqueraient point d'y gagner quelque gros rhume, comme dans les rues
+humides de la vieille capitale.
+
+-- Ce n'est pas moi qui vous contredirai, Simon, répondit James Starr,
+heureux de retrouver l'overman tel qu'il était autrefois ! vraiment, je
+me demande pourquoi je ne change pas ma maison de la Canongate pour
+quelque cottage voisin du vôtre !
+
+-- A votre service, monsieur Starr. Je connais un de vos anciens
+mineurs qui serait particulièrement enchanté de n'avoir entre vous et
+lui qu'un mur mitoyen.
+
+-- Et Madge ?... demanda l'ingénieur.
+
+-- La bonne femme se porte encore mieux que moi, si cela est possible !
+répondit Simon Ford, et elle se fait une joie de vous voir à sa table.
+Je pense qu'elle se sera surpassée pour vous recevoir.
+
+-- Nous verrons cela, Simon, nous verrons cela ! dit l'ingénieur, que
+l'annonce d'un bon déjeuner ne pouvait laisser indifférent, après cette
+longue marche.
+
+-- Vous avez faim, monsieur Starr ?
+
+-- Positivement faim. Le voyage m'a ouvert l'appétit. Je suis venu par
+un temps affreux !...
+
+-- Ah ! il pleut, là-haut ! répondit Simon Ford d'un air de pitié très
+marqué.
+
+-- Oui, Simon, et les eaux du Forth sont agitées aujourd'hui comme
+celles d'une mer !
+
+-- Eh bien, monsieur James, ici, il ne pleut jamais. Mais je n'ai pas à
+vous peindre des avantages que vous connaissez aussi bien que moi !
+vous voilà arrivé au cottage. C'est le principal, et, je vous le
+répète, soyez le bienvenu ! »
+
+Simon Ford, suivi d'Harry, fit entrer dans l'habitation James Starr,
+qui se trouva au milieu d'une vaste salle, éclairée par plusieurs
+lampes, dont l'une était suspendue aux solives coloriées du plafond.
+
+La table, recouverte d'une nappe égayée de fraîches couleurs,
+n'attendait plus que les convives, auxquels quatre chaises, rembourrées
+de vieux cuir, étaient réservées.
+
+« Bonjour, Madge, dit l'ingénieur.
+
+-- Bonjour, monsieur James, répondit la brave Écossaise, qui se leva
+pour recevoir son hôte.
+
+-- Je vous revois avec plaisir, Madge.
+
+-- Et vous avez raison, monsieur James, car il est agréable de
+retrouver ceux pour lesquels on s'est toujours montré bon.
+
+-- La soupe attend, femme, dit alors Simon Ford, et il ne faut pas la
+faire attendre, non plus que M. James. Il a une faim de mineur, et il
+verra que notre garçon ne nous laisse manquer de rien au cottage ! -- A
+propos, Harry, ajouta le vieil overman en se retournant vers son fils,
+Jack Ryan est venu te voir.
+
+-- Je le sais, père ! Nous l'avons rencontré dans le puits Yarow.
+
+-- C'est un bon et gai camarade, dit Simon Ford. Mais il semble se
+plaire là-haut ! Ça n'avait pas du vrai sang de mineur dans les veines.
+-- A table, monsieur James, et déjeunons copieusement, car il est
+possible que nous ne puissions souper que fort tard. »
+
+Au moment où l'ingénieur et ses hôtes allaient prendre place :
+
+« Un instant, Simon, dit James Starr, voulez-vous que je mange de bon
+appétit ?
+
+-- Ce sera nous faire tout l'honneur possible, monsieur James, répondit
+Simon Ford.
+
+-- Eh bien, il faut pour cela n'avoir aucune préoccupation. -- Or, j'ai
+deux questions à vous adresser.
+
+-- Allez, monsieur James.
+
+-- Votre lettre me parle d'une communication qui doit être de nature à
+m'intéresser ?
+
+-- Elle est très intéressante, en effet.
+
+-- Pour vous ?...
+
+-- Pour vous et pour moi, monsieur James. Mais je désire ne vous la
+faire qu'après le repas et sur les lieux mêmes. Sans cela, vous ne
+voudriez pas me croire.
+
+-- Simon, reprit l'ingénieur, regardez-moi bien... là... dans les yeux.
+Une communication intéressante ?... Oui... Bon !... Je ne vous en
+demande pas davantage, ajouta-t-il, comme s'il eût lu la réponse qu'il
+espérait dans le regard du vieil overman.
+
+-- Et la deuxième question ? demanda celui-ci.
+
+-- Savez-vous, Simon, quelle est la personne qui a pu m'écrire ceci ? »
+répondit l'ingénieur, en présentant la lettre anonyme qu'il avait reçue.
+
+Simon Ford prit la lettre, et il la lut très attentivement.
+
+Puis, la montrant à son fils :
+
+« Connais-tu cette écriture ? dit-il.
+
+-- Non, père, répondit Harry.
+
+-- Et cette lettre était timbrée du bureau de poste d'Aberfoyle ?
+demanda Simon Ford à l'ingénieur.
+
+-- Oui, comme la vôtre, répondit James Starr.
+
+-- Que penses-tu de cela, Harry ? dit Simon Ford, dont le front
+s'assombrit un instant.
+
+-- Je pense, père, répondit Harry, que quelqu'un a eu un intérêt
+quelconque à empêcher M. James Starr de venir au rendez-vous que vous
+lui donniez.
+
+-- Mais qui ? s'écria le vieux mineur. Qui donc a pu pénétrer assez
+avant dans le secret de ma pensée ?... »
+
+Et Simon Ford, pensif, tomba dans une rêverie dont la voix de Madge le
+tira bientôt.
+
+« Asseyons-nous, monsieur Starr, dit-elle. La soupe va refroidir. Pour
+le moment, ne songeons plus à cette lettre ! »
+
+Et, sur l'invitation de la vieille femme, chacun prit place à la table
+-- James Starr vis-à-vis de Madge, pour lui faire honneur --, le père
+et le fils l'un vis-à-vis de l'autre.
+
+Ce fut un bon repas écossais. Et, d'abord, on mangea d'un « hotchpotch
+», soupe dont la viande nageait au milieu d'un excellent bouillon. Au
+dire du vieux Simon, sa compagne ne connaissait pas de rivale dans
+l'art de préparer le hotchpotch.
+
+Il en était de même, d'ailleurs, du « cockyleeky », sorte de ragoût de
+coq, accommodé aux poireaux, qui ne méritait que des éloges.
+
+Le tout fut arrosé d'une excellente ale, puisée aux meilleurs brassins
+des fabriques d'Édimbourg.
+
+Mais le plat principal consista en un « haggis », pouding national,
+fait de viandes et de farine d'orge. Ce mets remarquable, qui inspira
+au poète Burns l'une de ses meilleures odes, eut le sort réservé aux
+belles choses de ce monde : il passa comme un rêve.
+
+Madge reçut les sincères compliments de son hôte.
+
+Le déjeuner se termina par un dessert composé de fromage et de « cakes
+», gâteaux d'avoine, finement préparés, accompagnés de quelques petits
+verres « d'usquebaugh », excellente eau-de-vie de grains, qui avait
+vingt-cinq ans, -- juste l'âge d'Harry.
+
+Ce repas dura une bonne heure. James Starr et Simon Ford n'avaient pas
+seulement bien mangé, ils avaient aussi bien causé,-- principalement du
+passé de la vieille houillère d'Aberfoyle.
+
+Harry, lui, était plutôt resté silencieux. Deux fois il avait quitté la
+table et même la maison. Il était évident qu'il éprouvait quelque
+inquiétude depuis l'incident de la pierre, et il voulait observer les
+alentours du cottage. La lettre anonyme n'était pas faite, non plus,
+pour le rassurer.
+
+Ce fut pendant une de ces sorties que l'ingénieur dit à Simon Ford et
+Madge :
+
+« Un brave garçon que vous avez là, mes amis !
+
+-- Oui, monsieur James, un être bon et dévoué, répondit vivement le
+vieil overman.
+
+-- Il se plaît avec vous, au cottage ?
+
+-- Il ne voudrait pas nous quitter.
+
+-- Vous songerez à le marier, cependant ?
+
+-- Marier Harry ! s'écria Simon Ford. Et à qui ? A une fille de
+là-haut, qui aimerait les fêtes, la danse, qui préférerait son clan à
+notre houillère ! Harry n'en voudrait pas !
+
+-- Simon, répondit Madge, tu n'exigeras pourtant pas que jamais notre
+Harry ne prenne femme...
+
+-- Je n'exigerai rien, répondit le vieux mineur, mais cela ne presse
+pas ! Qui sait si nous ne lui trouverons point... »
+
+Harry rentrait en ce moment, et Simon Ford se tut.
+
+Lorsque Madge se leva de table, tous l'imitèrent et vinrent s'asseoir
+un instant à la porte du cottage.
+
+« Eh bien, Simon, dit l'ingénieur, je vous écoute !
+
+-- Monsieur James, répondit Simon Ford, je n'ai pas besoin de vos
+oreilles, mais de vos jambes. -- Vous êtes-vous bien reposé ?
+
+-- Bien reposé et bien refait, Simon. Je suis prêt à vous accompagner
+partout où il vous plaira.
+
+-- Harry, dit Simon Ford, en se retournant vers son fils, allume nos
+lampes de sûreté.
+
+-- Vous prenez des lampes de sûreté ! s'écria James Starr, assez
+surpris, puisque les explosions de grisou n'étaient plus à craindre
+dans une fosse absolument vide de charbon.
+
+-- Oui, monsieur James, par prudence !
+
+-- N'allez-vous pas aussi, mon brave Simon, me proposer de revêtir un
+habit de mineur ?
+
+-- Pas encore, monsieur James ! pas encore ! » répondit le vieil
+overman, dont les yeux brillaient singulièrement sous leurs profondes
+orbites.
+
+Harry, qui était rentré dans le cottage, en ressortit presque aussitôt,
+rapportant trois lampes de sûreté.
+
+Harry remit une de ces lampes à l'ingénieur, l'autre à son père, et il
+garda la troisième suspendue à sa main gauche, pendant que sa main
+droite s'armait d'un long bâton.
+
+« En route ! dit Simon Ford, qui prit un pic solide, déposé à la porte
+du cottage.
+
+-- En route ! répondit l'ingénieur. -- Au revoir Madge !
+
+-- Dieu vous assiste ! répondit l'Écossaise.
+
+-- Un bon souper, femme, tu entends, s'écria Simon Ford. Nous aurons
+faim à notre retour, et nous lui ferons honneur ! »
+
+[1] Le sawney, c'est l'Écossais, comme John Bull est l'Anglais, et
+Paddy l'Irlandais.
+
+[2] Stations balnéaires des environs d'Édimbourg.
+
+ VI
+
+ Quelques phénomènes inexplicables
+
+On sait ce que sont les croyances superstitieuses dans les hautes et
+basses terres de l'Écosse. En certains clans, les tenanciers du laird,
+réunis pour la veillée, aiment à redire les contes empruntés au
+répertoire de la mythologie hyperboréenne. L'instruction, quoique
+largement et libéralement répandue dans le pays, n'a pas pu réduire
+encore à l'état de fictions ces légendes, qui semblent inhérentes au
+sol même de la vieille Calédonie. C'est encore le pays des esprits et
+des revenants, des lutins et des fées. Là apparaissent toujours le
+génie malfaisant qui ne s'éloigne que moyennant finances, le « Seer »
+des Highlanders, qui, par un don de seconde vue, prédit les morts
+prochaines, le « May Moullach », qui se montre sous la forme d'une
+jeune fille aux bras velus et prévient les familles des malheurs dont
+elles sont menacées, la fée « Branshie », qui annonce les événements
+funestes, les « Brawnies », auxquels est confiée la garde du mobilier
+domestique, l'« Urisk », qui fréquente plus particulièrement les gorges
+sauvages du lac Katrine, -- et tant d'autres.
+
+Il va de soi que la population des houillères écossaises devait fournir
+son contingent de légendes et de fables à ce répertoire mythologique.
+Si les montagnes des Hautes-Terres sont peuplées d'êtres chimériques,
+bons ou mauvais, à plus forte raison les sombres houillères
+devaient-elles être hantées jusque dans leurs dernières profondeurs.
+Qui fait trembler le gisement pendant les nuits d'orage, qui met sur la
+trace du filon encore inexploité, qui allume le grisou et préside aux
+explosions terribles, sinon quelque génie de la mine ? C'était, du
+moins, l'opinion communément répandue parmi ces superstitieux Écossais.
+En vérité, la plupart des mineurs croyaient volontiers au fantastique,
+quand il ne s'agissait que de phénomènes purement physiques, et on eût
+perdu son temps à vouloir les désabuser. Où la crédulité se fût-elle
+développée plus librement qu'au fond de ces abîmes ?
+
+Or, les houillères d'Aberfoyle, précisément parce qu'elles étaient
+exploitées dans le pays des légendes, devaient se prêter plus
+naturellement à tous les incidents du surnaturel.
+
+Donc les légendes y abondaient. Il faut dire, d'ailleurs, que certains
+phénomènes, inexpliqués jusqu'alors, ne pouvaient que fournir un nouvel
+aliment à la crédulité publique.
+
+Au premier rang des superstitieux de la fosse Dochart, figurait Jack
+Ryan, le camarade d'Harry. C'était le plus grand partisan du surnaturel
+qui fût. Toutes ces fantastiques histoires, il les transformait en
+chansons, qui lui valaient de beaux succès pendant les veillées d'hiver.
+
+Mais Jack Ryan n'était pas le seul à faire montre de sa crédulité. Ses
+camarades affirmaient, non moins hautement, que les fosses d'Aberfoyle
+étaient hantées, que certains êtres insaisissables y apparaissaient
+fréquemment, comme cela arrivait dans les Hautes-Terres. A les
+entendre, ce qui même aurait été extraordinaire, c'eût été qu'il n'en
+fût pas ainsi. Est-il donc, en effet, un milieu mieux disposé qu'une
+sombre et profonde houillère pour les ébats des génies, des lutins, des
+follets et autres acteurs des drames fantastiques ? Le décor était tout
+dressé, pourquoi les personnages surnaturels n'y seraient pas venus
+jouer leur rôle ?
+
+Ainsi raisonnaient Jack Ryan et ses camarades des houillères
+d'Aberfoyle. On a dit que les différentes fosses communiquaient entre
+elles par les longues galeries souterraines, ménagées entre les filons.
+Il existait ainsi sous le comté de Stirling un énorme massif, sillonné
+de tunnels, troué de caves, foré de puits, une sorte d'hypogée, de
+labyrinthe subterrané, qui offrait l'aspect d'une vaste fourmilière.
+
+Les mineurs des divers fonds se rencontraient donc souvent, soit
+lorsqu'ils se rendaient sur les travaux d'exploitation, soit lorsqu'ils
+en revenaient. De là, une facilité constante d'échanger des propos et
+de faire circuler d'une fosse à l'autre les histoires qui tiraient leur
+origine de la houillère. Les récits se transmettaient ainsi avec une
+rapidité merveilleuse, passant de bouche en bouche et s'accroissant
+comme il convient.
+
+Cependant, deux hommes plus instruits et de tempérament plus positif
+que les autres, avaient toujours résisté à cet entraînement. Ils
+n'admettaient à aucun degré l'intervention des lutins, des génies ou
+des fées.
+
+C'étaient Simon Ford et son fils. Et ils le prouvèrent bien en
+continuant d'habiter la sombre crypte, après l'abandon de la fosse
+Dochart. Peut-être la bonne Madge avait-elle quelque penchant au
+surnaturel, comme toute Écossaise des Hautes-Terres. Mais ces histoires
+d'apparitions, elle était réduite à se les raconter à elle-même, -- ce
+qu'elle faisait consciencieusement, d'ailleurs, pour ne point perdre
+les vieilles traditions.
+
+Simon et Harry Ford eussent-ils été aussi crédules que leurs camarades,
+ils n'auraient abandonné la houillère ni aux génies, ni aux fées.
+L'espoir de découvrir un nouveau filon leur eût fait braver toute la
+fantastique cohorte des lutins. Ils n'étaient crédules, ils n'étaient
+croyants que sur un point : ils ne pouvaient admettre que le gisement
+carbonifère d'Aberfoyle fût totalement épuisé. On peut dire, avec
+quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient à ce sujet « la
+foi du charbonnier », cette foi en Dieu que rien ne peut ébranler.
+
+C'est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstinés,
+immuables dans leurs convictions, le père et le fils prenaient leur
+pic, leur bâton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux,
+cherchant, tâtant la roche d'un coup sec, écoutant si elle rendait un
+son favorable.
+
+Tant que les sondages n'auraient pas été poussés jusqu'au granit du
+terrain primaire, Simon et Harry Ford étaient d'accord que la
+recherche, inutile aujourd'hui, pouvait être utile demain, et qu'elle
+devait être reprise. Leur vie entière, ils la passeraient à essayer de
+rendre à la houillère d'Aberfoyle son ancienne prospérité. Si le père
+devait succomber avant l'heure de la réussite, le fils reprendrait la
+tâche à lui seul.
+
+En même temps, ces deux gardiens passionnés de la houillère la
+visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s'assuraient de la
+solidité des remblais et des voûtes. Ils recherchaient si un éboulement
+était à craindre, et s'il devenait urgent de condamner quelque partie
+de la fosse. Ils examinaient les traces d'infiltration des eaux
+supérieures, ils les dérivaient, ils les canalisaient pour les envoyer
+à quelque puisard. Enfin, ils s'étaient volontairement constitués les
+protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel étaient
+sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fumées !
+
+Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu'il arriva à Harry,
+plus particulièrement, d'être frappé de certains phénomènes, dont il
+cherchait en vain l'explication.
+
+Ainsi, plusieurs fois, lorsqu'il suivait quelque étroite contre
+galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues à ceux qu'auraient
+pu produire de violents coups de pic, frappés sur la paroi remblayée.
+
+Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer,
+avait pressé le pas pour surprendre la cause de ce mystérieux travail.
+
+Le tunnel était désert. La lampe du jeune mineur, promenée sur la
+paroi, n'avait laissé voir aucune trace récente de coups de pince ou de
+pic. Harry se demandait donc s'il n'était pas le jouet d'une illusion
+d'acoustique, de quelque bizarre ou fantasque écho.
+
+D'autres fois, en projetant subitement une vive lumière vers une
+anfractuosité suspecte, il avait cru voir passer une ombre. Il s'était
+élancé... Rien, alors même qu'aucune issue n'eût permis à un être
+humain de se dérober à sa poursuite !
+
+A deux reprises depuis un mois, Harry, visitant la partie ouest de la
+fosse, entendit distinctement des détonations lointaines, comme si
+quelque mineur eût fait éclater une cartouche de dynamite.
+
+La dernière fois, après de minutieuses recherches, il avait reconnu
+qu'un pilier venait d'être éventré par un coup de mine.
+
+A la clarté de sa lampe, Harry examina attentivement la paroi attaquée
+par la mine. Elle n'était point faite d'un simple remblayage de
+pierres, mais d'un pan de schiste, qui avait pénétré à cette profondeur
+dans l'étage du gisement houiller. Le coup de mine avait-il eu pour
+objet de provoquer la découverte d'un nouveau filon ? N'avait-on voulu
+que produire un éboulement de cette portion de la houillère ? C'est ce
+que se demanda Harry, et, quand il fit connaître ce fait à son père, ni
+le vieil overman, ni lui ne purent résoudre la question d'une façon
+satisfaisante.
+
+« C'est singulier, répétait souvent Harry. La présence dans la mine
+d'un être inconnu semble impossible, et, cependant, elle ne peut être
+mise en doute ! Un autre que nous voudrait-il donc chercher s'il
+n'existe pas encore quelque veine exploitable ? Ou plutôt, ne
+tenterait-il pas d'anéantir ce qui reste des houillères d'Aberfoyle ?
+Mais dans quel but ? Je le saurai, quand il devrait m'en coûter la vie
+! »
+
+Quinze jours avant cette journée, pendant laquelle Harry Ford guidait
+l'ingénieur à travers le dédale de la fosse Dochart, il s'était vu sur
+le point d'atteindre le but de ses recherches.
+
+Il parcourait l'extrémité du sud-ouest de la houillère, un puissant
+fanal à la main.
+
+Tout à coup, il lui sembla qu'une lumière venait de s'éteindre, à
+quelques centaines de pieds devant lui, au fond d'une étroite cheminée,
+qui coupait obliquement le massif. Il se précipita vers la lueur
+suspecte...
+
+Recherche inutile. Comme Harry n'admettait pas pour les choses
+physiques d'explication surnaturelle, il en conclut que, certainement,
+un être inconnu rôdait dans la fosse. Mais, quoi qu'il fît, cherchant
+avec le plus extrême soin, scrutant les moindres anfractuosités de la
+galerie, il en fut pour sa peine, et ne put arriver à une certitude
+quelconque.
+
+Harry s'en remit donc au hasard pour lui dévoiler ce mystère. De loin
+en loin, il vit encore apparaître des lueurs qui voltigeaient d'un
+point à l'autre comme des feux de Saint-Elme; mais leur apparition
+n'avait que la durée d'un éclair et il fallut renoncer à en découvrir
+la cause.
+
+Si Jack Ryan et les autres superstitieux de la houillère eussent aperçu
+ces flammes fantastiques, ils n'auraient certainement pas manqué de
+crier au surnaturel !.
+
+Mais Harry n'y songeait même pas. Le vieux Simon non plus. Et lorsque
+tous deux causaient de ces phénomènes, dus évidemment à une cause
+purement physique :
+
+« Mon garçon, répondait le vieil overman, attendons ! Tout cela
+s'expliquera quelque jour ! »
+
+Toutefois, il faut observer que jamais, jusqu'alors, ni Harry, ni son
+père n'avaient été en butte à un acte de violence.
+
+Si la pierre, tombée ce jour même aux pieds de James Starr, avait été
+lancée par la main d'un malfaiteur, c'était le premier acte criminel de
+ce genre.
+
+James Starr, interrogé, fut d'avis que cette pierre s'était détachée de
+la voûte de la galerie. Mais Harry n'admit pas une explication si
+simple. La pierre, suivant lui, n'était pas tombée, elle avait été
+lancée. A moins de rebondir, elle n'eût jamais décrit une trajectoire,
+si elle n'eût été mue par une impulsion étrangère.
+
+Harry voyait donc là une tentative directe contre lui et son père, ou
+même contre l'ingénieur. Après ce qu'on sait, peut-être conviendra-t-on
+qu'il était fondé à le croire.
+
+ VII
+
+ Une expérience de Simon Ford
+
+Midi sonnait à la vieille horloge de bois de la salle, lorsque James
+Starr et ses deux compagnons quittèrent le cottage.
+
+La lumière, pénétrant à travers le puits d'aération, éclairait
+vaguement la clairière. La lampe d'Harry eût été inutile alors, mais
+elle ne devait pas tarder à servir, car c'était vers l'extrémité même
+de la fosse Dochart que le vieil overman allait conduire l'ingénieur.
+
+Après avoir suivi sur un espace de deux milles la galerie principale,
+les trois explorateurs -- on verra qu'il s'agissait d'une exploration
+-- arrivèrent à l'orifice d'un étroit tunnel. C'était comme une
+contre-nef dont la voûte reposait sur un boisage, tapissé d'une mousse
+blanchâtre. Elle suivait à peu près la ligne que traçait, à quinze
+cents pieds au-dessus, le haut cours du Forth.
+
+Pour le cas où James Starr eût été moins familiarisé qu'autrefois avec
+le dédale de la fosse Dochart, Simon Ford lui rappelait les
+dispositions du plan général, en les comparant au tracé géographique du
+sol.
+
+James Starr et Simon Ford marchaient donc en causant.
+
+En avant, Harry éclairait la route. Il cherchait, en projetant
+brusquement de vifs éclats lumineux vers les sombres anfractuosités, à
+découvrir quelque ombre suspecte.
+
+« Irons-nous loin ainsi, vieux Simon ? demanda l'ingénieur.
+
+-- Encore un demi-mille, monsieur James ! Autrefois, nous aurions fait
+cette route en berline, sur les tramways à traction mécanique ! Mais
+que ces temps sont loin !
+
+-- Nous nous dirigeons donc vers l'extrémité du dernier filon ? demanda
+James Starr.
+
+-- Oui. ! Je vois que vous connaissez encore bien la mine.
+
+-- Eh ! Simon, répondit l'ingénieur, il serait difficile d'aller plus
+loin, si je ne me trompe ?
+
+-- En effet, monsieur James. C'est là que nos rivelaines ont arraché le
+dernier morceau de houille du gisement ! Je me le rappelle comme si j'y
+étais encore ! C'est moi qui ai donné ce dernier coup, et il a retenti
+dans ma poitrine plus violemment que sur la roche ! Tout n'était plus
+que grès ou schiste autour de nous, et, quand le wagonnet a roulé vers
+le puits d'extraction, je l'ai suivi, le coeur ému, comme on suit
+un convoi de pauvre ! Il me semblait que c'était l'âme de la mine qui
+s'en allait avec lui ! »
+
+La gravité avec laquelle le vieil overman prononça ces paroles
+impressionna l'ingénieur, bien près de partager de tels sentiments. Ce
+sont ceux du marin qui abandonne son navire désemparé, ceux du laird
+qui voit abattre la maison de ses ancêtres !
+
+James Starr avait serré la main de Simon Ford. Mais, à son tour,
+celui-ci venait de prendre la main de l'ingénieur, et la pressant
+fortement :
+
+« Ce jour-là, nous nous étions tous trompés, dit-il. Non ! La vieille
+houillère n'était pas morte ! Ce n'était pas un cadavre que les mineurs
+allaient abandonner, et j'oserais affirmer, monsieur James, que son
+coeur bat encore !
+
+-- Parlez donc, Simon ! vous avez découvert un nouveau filon ? s'écria
+l'ingénieur, qui ne fut pas maître de lui. Je le savais bien ! votre
+lettre ne pouvait signifier autre chose ! Une communication à me faire,
+et cela dans la fosse Dochart ! Et quelle autre découverte que celle
+d'une couche carbonifère aurait pu m'intéresser ?...
+
+-- Monsieur James, répondit Simon Ford, je n'ai pas voulu prévenir un
+autre que vous...
+
+-- Et vous avez bien fait, Simon ! Mais dites-moi comment, par quels
+sondages, vous vous êtes assuré ?...
+
+-- Écoutez-moi, monsieur James, répondit Simon Ford. Ce n'est pas un
+gisement que j'ai retrouvé...
+
+-- Qu'est-ce donc ?
+
+-- C'est seulement la preuve matérielle que ce gisement existe.
+
+-- Et cette preuve ?
+
+-- Pouvez-vous admettre qu'il se dégage du grisou des entrailles du
+sol, si la houille n'est pas là pour le produire ?
+
+-- Non, certes ! répondit l'ingénieur. Pas de charbon, pas de grisou !
+Il n'y a pas d'effets sans cause...
+
+-- Comme il n'y a pas de fumée sans feu !
+
+-- Et vous avez constaté, à nouveau, la présence de l'hydrogène
+protocarboné ?...
+
+-- Un vieux mineur ne s'y laisserait pas prendre, répondit Simon Ford.
+J'ai reconnu là notre vieil ennemi, le grisou !
+
+-- Mais si c'était un autre gaz ! dit James Starr. Le grisou est
+presque sans odeur, il est sans couleur ! Il ne trahit véritablement sa
+présence que par l'explosion !...
+
+-- Monsieur James, répondit Simon Ford, voulez-vous me permettre de
+vous raconter ce que j'ai fait... et comment je l'ai fait... à ma
+façon, en excusant les longueurs ? »
+
+James Starr connaissait le vieil overman, et savait que le mieux était
+de le laisser aller.
+
+-- Monsieur James, reprit Simon Ford, depuis dix ans, il ne s'est pas
+passé un jour sans qu'Harry et moi, nous ayons songé à rendre à la
+houillère son ancienne prospérité, -- non, pas un jour ! S'il existait
+encore quelque gisement, nous étions décidés à le découvrir. Quels
+moyens employer ? Les sondages ? Cela ne nous était pas possible, mais
+nous avions l'instinct du mineur, et souvent on va plus droit au but
+par l'instinct que par la raison. -- Du moins, c'est mon idée...
+
+-- Que je ne contredis pas, répondit l'ingénieur.
+
+-- Or, voici ce qu'Harry avait une ou deux fois observé pendant ses
+excursions dans l'ouest de la houillère. Des feux, qui s'éteignaient
+soudain, apparaissaient quelquefois à travers le schiste ou le remblai
+des galeries extrêmes. Par quelle cause ces feux s'allumaient-ils ? Je
+ne pouvais et je ne puis le dire encore. Mais enfin, ces feux n'étaient
+évidemment dus qu'à la présence du grisou, et, pour moi, le grisou,
+c'était le filon de houille.
+
+-- Ces feux ne produisaient aucune explosion ? demanda vivement
+l'ingénieur.
+
+-- Si, de petites explosions partielles, répondit Simon Ford, et telles
+que j'en provoquai moi-même, lorsque je voulus constater la présence de
+ce grisou, vous vous souvenez de quelle manière on cherchait autrefois
+à prévenir les explosions dans les mines, avant que notre bon génie,
+Humphry Davy, eût inventé sa lampe de sûreté ?
+
+-- Oui, répondit James Starr. vous voulez parler du « pénitent » ? Mais
+je ne l'ai jamais vu dans l'exercice de ses fonctions.
+
+-- En effet, monsieur James, vous êtes trop jeune, malgré vos
+cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus
+que vous, j'ai vu fonctionner le dernier pénitent de la houillère. On
+l'appelait ainsi parce qu'il portait une grande robe de moine. Son nom
+vrai était le « fireman », l'homme du feu. A cette époque, on n'avait
+d'autre moyen de détruire le mauvais gaz qu'en le décomposant par de
+petites explosions, avant que sa légèreté l'eût amassé en trop grandes
+quantités dans les hauteurs des galeries. C'est pourquoi le pénitent,
+la face masquée, la tête encapuchonnée dans son épaisse cagoule, tout
+le corps étroitement serré dans sa robe de bure, allait en rampant sur
+le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l'air était pur, et,
+de sa main droite, il promenait, en l'élevant au-dessus de sa tête, une
+torche enflammée. Lorsque le grisou se trouvait répandu dans l'air de
+manière à former un mélange détonant, l'explosion se produisait sans
+être funeste, et, en renouvelant souvent cette opération, on parvenait
+à prévenir les catastrophes. Quelquefois, le pénitent, frappé d'un coup
+de grisou, mourait à la peine. Un autre le remplaçait. Ce fut ainsi
+jusqu'au moment où la lampe de Davy fut adoptée dans toutes les
+houillères. Mais je connaissais le procédé, et c'est en l'employant que
+j'ai reconnu la présence du grisou, et, par conséquent, celle d'un
+nouveau gisement carbonifère dans la fosse Dochart. »
+
+Tout ce que le vieil overman avait raconté du pénitent était
+rigoureusement exact. C'est ainsi que l'on procédait autrefois dans les
+houillères pour purifier l'air des galeries.
+
+Le grisou, autrement dit l'hydrogène protocarboné ou gaz des marais,
+incolore, presque inodore, ayant un pouvoir peu éclairant, est
+absolument impropre à la respiration. Le mineur ne saurait vivre dans
+un milieu rempli de ce gaz malfaisant, -- pas plus qu'on ne pourrait
+vivre au milieu d'un gazomètre plein de gaz d'éclairage. En outre, de
+même que celui-ci, qui est de l'hydrogène bicarboné, le grisou forme un
+mélange détonant, dès que l'air y entre dans une proportion de huit et
+peut-être même de cinq pour cent. L'inflammation de ce mélange se
+fait-elle par une cause quelconque, il y a explosion, presque toujours
+suivie d'épouvantables catastrophes.
+
+C'est à ce danger que pare l'appareil de Davy, en isolant la flamme des
+lampes dans un tube de toile métallique, qui brûle le gaz à l'intérieur
+du tube, sans jamais laisser l'inflammation se propager au-dehors.
+Cette lampe de sûreté a été perfectionnée de vingt façons. Si elle
+vient à se briser, elle s'éteint. Si, malgré les défenses formelles, le
+mineur veut l'ouvrir, elle s'éteint encore. Pourquoi donc les
+explosions se produisent-elles ? C'est que rien ne peut obvier à
+l'imprudence d'un ouvrier qui veut quand même allumer sa pipe, ni au
+choc de l'outil qui peut produire une étincelle.
+
+Toutes les houillères ne sont pas infectées par le grisou. Dans celles
+où il ne s'en produit pas, on autorise l'emploi de la lampe ordinaire.
+Telle est, entre autres, la fosse Thiers, aux mines d'Anzin. Mais,
+lorsque la houille du gisement exploité est grasse, elle renferme une
+certaine quantité de matières volatiles, et le grisou peut s'échapper
+avec une grande abondance. La lampe de sûreté seule est combinée de
+manière à empêcher des explosions d'autant plus terribles, que les
+mineurs qui n'ont pas été directement atteints par le coup de grisou,
+courent risque d'être instantanément asphyxiés dans les galeries
+remplies du gaz délétère, formé après l'inflammation, c'est-à-dire
+d'acide carbonique.
+
+Tout en marchant, Simon Ford apprit à l'ingénieur ce qu'il avait fait
+pour atteindre son but, comment il s'était assuré que le dégagement du
+grisou se faisait au fond même de l'extrême galerie de la fosse, dans
+sa portion occidentale, de quelle façon il avait provoqué à
+l'affleurement des feuillets de schistes quelques explosions
+partielles, ou plutôt certaines inflammations, qui ne laissaient aucun
+doute sur la nature du gaz, dont la fuite s'opérait à petite dose, mais
+d'une manière permanente.
+
+Une heure après avoir quitté le cottage, James Starr et ses deux
+compagnons avaient franchi une distance de quatre milles. L'ingénieur,
+entraîné par le désir et l'espoir, venait de faire ce trajet sans
+aucunement songer à sa longueur. Il réfléchissait à tout ce que lui
+disait le vieux mineur. Il pesait, mentalement, les arguments que
+celui-ci donnait en faveur de sa thèse. Il croyait, avec lui, que cette
+émission continue d'hydrogène protocarboné indiquait, avec certitude,
+l'existence d'un nouveau gisement carbonifère. Si ce n'eût été qu'une
+sorte de poche, pleine de gaz, comme il s'en rencontre quelquefois
+entre les feuillets, elle se fût promptement vidée, et le phénomène eût
+cessé de se produire. Mais loin de là. Au dire de Simon Ford,
+l'hydrogène se dégageait sans cesse, et l'on en pouvait conclure à
+l'existence de quelque important filon. Conséquemment, les richesses de
+la fosse Dochart pouvaient n'être pas entièrement épuisées. Toutefois,
+s'agissait-il d'une couche dont le rendement serait peu considérable,
+ou d'un gisement occupant un large étage du terrain houiller ? c'était
+là, véritablement, la grosse question.
+
+Harry, qui précédait son père et l'ingénieur, s'était arrêté.
+
+« Nous voici arrivés ! s'écria le vieux mineur. Enfin, grâce à Dieu,
+monsieur James, vous êtes là, et nous allons savoir... »
+
+La voix si ferme du vieil overman tremblait légèrement.
+
+« Mon brave Simon, lui dit l'ingénieur, calmez-vous ! Je suis aussi ému
+que vous l'êtes, mais il ne faut pas perdre de temps ! »
+
+A cet endroit, l'extrême galerie de la fosse formait en s'évasant une
+sorte de caverne obscure. Aucun puits n'avait été foncé dans cette
+portion du massif, et la galerie, profondément ouverte dans les
+entrailles du sol, était sans communication directe avec la surface du
+comté de Stirling.
+
+James Starr, vivement intéressé, examinait d'un oeil grave
+l'endroit où il se trouvait.
+
+On voyait encore sur la paroi terminale de cette caverne la marque des
+derniers coups de pic, et même quelques trous de cartouches, qui
+avaient provoqué l'éclatement de la roche, vers la fin de
+l'exploitation. Cette matière schisteuse était extrêmement dure, et il
+n'avait pas été nécessaire de remblayer les assises de ce cul-de-sac,
+au fond duquel les travaux avaient dû s'arrêter. Là, en effet, venait
+mourir le filon carbonifère, entre les schistes et les grès du terrain
+tertiaire. Là, à cette place même, avait été extrait le dernier morceau
+de combustible de la fosse Dochart.
+
+« C'est ici, monsieur James, dit Simon Ford en soulevant son pic, c'est
+ici que nous attaquerons la faille, car, derrière cette paroi, à une
+profondeur plus ou moins considérable, se trouve assurément le nouveau
+filon dont j'affirme l'existence.
+
+-- Et c'est à la surface de ces roches, demanda James Starr, que vous
+avez constaté la présence du grisou ?
+
+-- Là même, monsieur James, répondit Simon Ford, et j'ai pu l'allumer
+rien qu'en approchant ma lampe, à l'affleurement des feuillets. Harry
+l'a fait comme moi.
+
+-- A quelle hauteur ? demanda James Starr.
+
+-- A dix pieds au-dessus du sol », répondit Harry.
+
+James Starr s'était assis sur une roche. On eût dit que, après avoir
+humé l'air de la caverne, il regardait les deux mineurs, comme s'il se
+fût pris à douter de leurs paroles, si affirmatives cependant.
+
+C'est que, en effet, l'hydrogène protocarboné n'est pas complètement
+inodore, et l'ingénieur était tout d'abord étonné que son odorat, qu'il
+avait très fin, ne lui eût pas révélé la présence du gaz explosif. En
+tout cas, si ce gaz était mêlé à l'air ambiant, ce n'était qu'à bien
+faible dose. Donc, pas d'explosion à craindre, et l'on pouvait sans
+danger ouvrir la lampe de sûreté pour tenter l'expérience, ainsi que le
+vieux mineur l'avait déjà fait.
+
+Ce qui inquiétait James Starr en ce moment, ce n'était donc pas qu'il y
+eût trop de gaz mélangé à l'air, c'était qu'il n'y en eût pas assez, --
+et même pas du tout.
+
+« Se seraient-ils trompés ? murmura-t-il. Non ! Ce sont des hommes qui
+s'y connaissent ! Et pourtant !... » Il attendait donc, non sans une
+certaine anxiété, que le phénomène signalé par Simon Ford s'accomplît
+en sa présence. Mais, à ce moment, il paraît que ce qu'il venait
+d'observer, c'est-à-dire cette absence de l'odeur caractéristique du
+grisou, avait été aussi remarquée par Harry, car celui-ci, d'une voix
+altérée, dit :
+
+« Père, il semble que la fuite du gaz ne se fait plus à travers les
+feuillets de schiste !
+
+-- Ne se fait plus ! :.. » s'écria le vieux mineur.
+
+Et Simon Ford, après avoir hermétiquement serré ses lèvres, aspira
+fortement du nez, à plusieurs reprises.
+
+Puis, tout d'un coup, et d'un mouvement brusque :
+
+« Donne ta lampe, Harry ! » dit-il.
+
+Simon Ford prit la lampe d'une main qui s'agitait fébrilement. Il
+dévissa l'enveloppe de toile métallique qui entourait la mèche, et la
+flamme brûla à l'air libre.
+
+Ainsi qu'on s'y attendait, il ne se produisit aucune explosion; mais,
+ce qui était plus grave, il ne se fit pas même ce léger grésillement,
+qui indique la présence du grisou à faible dose.
+
+Simon Ford prit le bâton que tenait Harry, et, fixant la lampe à son
+extrémité, il l'éleva dans les couches d'air supérieures, là où le gaz,
+en raison de sa légèreté spécifique, aurait dû plutôt s'accumuler, en
+si minime quantité que ce fût.
+
+La flamme de la lampe, droite et blanche, ne décela aucune trace
+d'hydrogène protocarboné.
+
+« A la paroi ! dit l'ingénieur.
+
+-- Oui ! » répondit Simon Ford, en portant la lampe sur cette partie de
+la paroi à travers laquelle son fils et lui avaient, la veille encore,
+constaté la fuite du gaz.
+
+Le bras du vieux mineur tremblait, tandis qu'il essayait de promener la
+lampe à la hauteur des fissures du feuillet de schiste.
+
+« Remplace-moi, Harry », dit-il.
+
+Harry prit le bâton et présenta successivement la lampe aux divers
+points de la paroi où les feuillets semblaient se dédoubler... mais il
+secouait la tête, car ce léger craquement, particulier au grisou qui
+s'échappe, n'arrivait pas à son oreille.
+
+L'inflammation ne se fit pas. Il était donc évident qu'aucune molécule
+de gaz ne fusait à travers la paroi.
+
+« Rien ! » s'écria Simon Ford, dont le poing se tendit sous une
+impression de colère plutôt que de désappointement.
+
+Un cri s'échappa alors de la bouche d'Harry.
+
+« Qu'as-tu ? demanda vivement James Starr.
+
+-- On a bouché les fissures du schiste !
+
+-- Dis-tu vrai ? s'écria le vieux mineur.
+
+-- Regardez, père ! »
+
+Harry ne s'était pas trompé. L'obturation des fissures était nettement
+visible à la lumière de la lampe. Un lutage, récemment pratiqué et fait
+à la chaux, laissait voir sur la paroi une longue trace blanchâtre, mal
+dissimulée sous une couche de poussière de charbon.
+
+« Lui ! s'écria Hardy. Ce ne peut être que lui !
+
+-- Lui ! répéta James Starr.
+
+-- Oui ! répondit le jeune homme, cet être mystérieux qui hante notre
+domaine, celui que j'ai cent fois guetté sans pouvoir l'atteindre,
+l'auteur, dès à présent certain, de cette lettre qui voulait vous
+empêcher de venir au rendez-vous que vous donnait mon père, monsieur
+Starr, celui, enfin, qui nous a lancé cette pierre dans la galerie du
+puits Yarow ! Ah ! aucun doute n'est plus possible ! La main d'un homme
+est dans tout cela ! »
+
+Harry avait parlé avec une telle énergie, que sa conviction passa
+instantanément et tout entière dans l'esprit de l'ingénieur. Quant au
+vieil overman, il n'était plus à convaincre. D'ailleurs, on se trouvait
+en présence d'un fait indéniable : l'obturation des fissures à travers
+lesquelles le gaz s'échappait librement la veille.
+
+« Prends ton pic, Harry, s'écria Simon Ford. Monte sur mes épaules, mon
+garçon ! Je suis assez solide encore pour te porter ! »
+
+Harry avait compris. Son père s'accota à la paroi. Harry s'éleva sur
+ses épaules, de manière que son pic pût atteindre la trace suffisamment
+visible du lutage. Puis, à coups redoublés, il entama la partie de
+roche schisteuse que ce lutage recouvrait.
+
+Aussitôt un léger pétillement se produisit, semblable à celui que fait
+le vin de Champagne lorsqu'il s'échappe d'une bouteille,-- bruit qui,
+dans les houillères anglaises, est connu sous le nom onomatopique de «
+puff ».
+
+Harry saisit alors sa lampe, et il l'approcha de la fissure...
+
+Une légère détonation se fit entendre, et une petite flamme rouge, un
+peu bleuâtre à son contour, voltigea sur la paroi, comme eût fait un
+follet de feu Saint-Elme.
+
+Harry sauta aussitôt à terre, et le vieil overman, ne pouvant contenir
+sa joie, saisit les mains de l'ingénieur, en s'écriant :
+
+« Hurrah ! hurrah ! hurrah ! monsieur James ! Le grisou brûle ! Donc,
+le filon est là ! »
+
+ VIII
+
+ Un coup de dynamite
+
+L'experience annoncée par le vieil overman avait réussi. L'hydrogène
+protocarboné, on le sait, ne se développe que dans les gisements
+houillers. Donc, l'existence d'un filon du précieux combustible ne
+pouvait être mise en doute. Quelles étaient son importance et sa
+qualité ? on les déterminerait plus tard.
+
+Telles furent les conséquences que l'ingénieur déduisit du phénomène
+qu'il venait d'observer. Elles étaient en tout conformes à celles qu'en
+avait déjà tirées Simon Ford.
+
+« Oui, se dit James Starr, derrière cette paroi s'étend une couche
+carbonifère que nos sondages n'ont pas su atteindre ! Cela est fâcheux,
+puisque tout l'outillage de la mine abandonnée depuis dix ans, est
+maintenant à refaire ! N'importe ! Nous avons retrouvé la veine que
+l'on croyait épuisée, et, cette fois, nous l'exploiterons jusqu'au bout
+!
+
+-- Eh bien, monsieur James, demanda Simon Ford, que pensez-vous de
+notre découverte ? Ai-je eu tort de vous déranger ? Regrettez-vous
+cette dernière visite faite à la fosse Dochart ?
+
+-- Non, non, mon vieux compagnon ! répondit James Starr. Nous n'avons
+pas perdu notre temps, mais nous le perdrions maintenant, si nous ne
+retournions immédiatement au cottage. Demain, nous reviendrons ici.
+Nous ferons éclater cette paroi à coups de dynamite. Nous mettrons au
+jour l'affleurement du nouveau filon, et, après une série de sondages,
+si la couche paraît être importante, je reconstituerai une Société de
+la Nouvelle Aberfoyle, à l'extrême satisfaction des anciens
+actionnaires ! Avant trois mois, il faut que les premières bennes de
+houille aient été extraites du nouveau gisement !
+
+-- Bien parlé, monsieur James ! s'écria Simon Ford. La vieille
+houillère va donc rajeunir, comme une veuve qui se remarie !
+L'animation des anciens jours recommencera avec les coups de pioche,
+les coups de pic, les coups de mine, le roulement des wagons, le
+hennissement des chevaux, le grincement des bennes, le grondement des
+machines ! Je reverrai donc tout cela, moi ! J'espère, monsieur James,
+que vous ne me trouverez pas trop vieux pour reprendre mes fonctions
+d'overman ?
+
+-- Non, brave Simon, non, certes ! vous êtes resté plus jeune que moi,
+mon vieux camarade !
+
+-- Et, que saint Mungo nous protège ! vous serez encore notre « viewer
+» ! Puisse la nouvelle exploitation durer de longues années, et fasse
+le Ciel que j'aie la consolation de mourir sans en avoir vu la fin ! »
+
+La joie du vieux mineur débordait. James Starr la partageait tout
+entière, mais il laissait Simon Ford s'enthousiasmer pour deux.
+
+Seul, Harry demeurait pensif. Dans son souvenir reparaissait la
+succession des circonstances singulières, inexplicables, au milieu
+desquelles s'était opérée la découverte du nouveau gisement. Cela ne
+laissait pas de l'inquiéter pour l'avenir.
+
+Une heure après, James Starr et ses deux compagnons étaient de retour
+au cottage.
+
+L'ingénieur soupa avec grand appétit, approuvant du geste tous les
+plans que développait le vieil overman, et, n'eût été son impérieux
+désir d'être au lendemain, jamais il n'aurait mieux dormi que dans ce
+calme absolu du cottage.
+
+Le lendemain, après un déjeuner substantiel, James Starr, Simon Ford,
+Harry et Madge elle-même reprenaient le chemin déjà parcouru la veille.
+Tous allaient là en véritables mineurs. Ils emportaient divers outils
+et des cartouches de dynamite, destinées à faire sauter la paroi
+terminale. Harry, en même temps qu'un puissant fanal, prit une grosse
+lampe de sûreté qui pouvait brûler pendant douze heures. C'était plus
+qu'il ne fallait pour opérer le voyage d'aller et de retour, en y
+comprenant les haltes nécessaires à l'exploration, -- si une
+exploration devenait possible.
+
+« A l'oeuvre ! » s'écria Simon, lorsque ses compagnons et lui
+furent arrivés à l'extrémité de la galerie.
+
+Et sa main saisit une lourde pince qu'elle brandit avec vigueur.
+
+« Un instant, dit alors James Starr. Observons si aucun changement ne
+s'est produit et si le grisou fuse toujours à travers les feuillets de
+la paroi.
+
+-- Vous avez raison, monsieur Starr, répondit Harry. Ce qui était
+bouché hier pourrait bien l'être encore aujourd'hui ! »
+
+Madge, assise sur une roche, observait attentivement l'excavation et la
+muraille qu'il s'agissait d'éventrer.
+
+Il fut constaté que les choses étaient telles qu'on les avait laissées.
+Les fissures des feuillets n'avaient subi aucune altération.
+L'hydrogène protocarboné fusait au travers, mais assez faiblement. Cela
+tenait sans doute à ce que, depuis la veille, il trouvait un libre
+passage pour s'épancher. Toutefois, cette émission était si peu
+importante, qu'elle ne pouvait former avec l'air intérieur un mélange
+détonant. James Starr et ses compagnons allaient donc pouvoir procéder
+en toute sécurité. D'ailleurs, cet air se purifierait peu à peu, en
+gagnant les hautes couches de la fosse Dochart, et le grisou, perdu
+dans toute cette atmosphère, ne pourrait plus produire aucune explosion.
+
+« A l'oeuvre, donc ! » reprit Simon Ford.
+
+Et bientôt, sous sa pince, vigoureusement maniée, la roche ne tarda pas
+à voler en éclats.
+
+Cette faille se composait principalement de poudingues, interposés
+entre le grès et le schiste, tels qu'il s'en rencontre le plus souvent
+à l'affleurement des filons carbonifères.
+
+James Starr ramassait les morceaux que l'outil abattait, et il les
+examinait avec soin, espérant y découvrir quelque indice de charbon.
+
+Ce premier travail dura environ une heure. Il en résulta un évidement
+assez profond dans la paroi terminale.
+
+James Starr choisit alors l'emplacement où devaient être forés les
+trous de mine, travail qui s'accomplit rapidement sous la main d'Harry
+avec le fleuret et la massette. Des cartouches de dynamite furent
+introduites dans ces trous. Dès qu'on y eut placé la longue mèche
+goudronnée d'une fusée de sûreté, qui aboutissait à une capsule de
+fulminate, elle fut allumée au ras du sol. James Starr et ses
+compagnons se mirent à l'écart.
+
+« Ah ! monsieur James, dit Simon Ford, en proie à une véritable émotion
+qu'il ne cherchait pas à dissimuler, jamais, non, jamais mon vieux
+coeur n'a battu si vite ! Je voudrais déjà attaquer le filon !
+
+-- Patience, Simon, répondit l'ingénieur, vous n'avez pas la prétention
+de trouver derrière cette paroi une galerie tout ouverte ?
+
+-- Excusez-moi, monsieur James, répondit le vieil overman. J'ai toutes
+les prétentions possibles ! S'il y a eu bonne chance dans la manière
+dont Harry et moi nous avons découvert ce gîte, pourquoi cette chance
+ne continuerait-elle pas jusqu'au bout ? »
+
+L'explosion de la dynamite se produisit. Un roulement sourd se propagea
+à travers le réseau des galeries souterraines.
+
+James Starr, Madge, Harry et Simon Ford revinrent aussitôt vers la
+paroi de la caverne.
+
+« Monsieur James ! monsieur James ! s'écria le vieil overman. voyez !
+La porte est enfoncée !... »
+
+Cette comparaison de Simon Ford était justifiée par l'apparition d'une
+excavation, dont on ne pouvait estimer la profondeur.
+
+Harry allait s'élancer par l'ouverture...
+
+L'ingénieur, extrêmement surpris, d'ailleurs, de trouver là cette
+cavité, retint le jeune mineur.
+
+« Laisse le temps à l'air intérieur de se purifier, dit-il.
+
+-- Oui ! gare aux mofettes ! » s'écria Simon Ford.
+
+Un quart d'heure se passa dans une anxieuse attente. Le fanal, placé au
+bout d'un bâton, fut alors introduit dans l'excavation et continua de
+brûler avec un inaltérable éclat.
+
+« Va donc, Harry, dit James Starr, nous te suivrons. » L'ouverture
+produite par la dynamite était plus que suffisante pour qu'un homme pût
+y passer.
+
+Harry, le fanal à la main, s'y introduisit sans hésiter et disparut
+dans les ténèbres.
+
+James Starr, Simon Ford et Madge, immobiles, attendaient.
+
+Une minute -- qui leur parut bien longue -- s'écoula. Harry ne
+reparaissait pas, il n'appelait pas. En s'approchant de l'orifice,
+James Starr n'aperçut même plus la lueur de sa lampe, qui aurait dû
+éclairer cette sombre cavité.
+
+Le sol avait-il donc manqué subitement sous les pieds d'Harry ? Le
+jeune mineur était-il tombé dans quelque anfractuosité ? Sa voix ne
+pouvait-elle plus arriver jusqu'à ses compagnons ?
+
+Le vieil overman, ne voulant rien écouter, allait s'introduire à son
+tour par l'orifice, lorsque parut une lueur, vague d'abord, qui se
+renforça peu à peu, et Harry fit entendre ces paroles :
+
+« Venez, monsieur Starr ! venez, mon père ! La route est libre dans la
+Nouvelle-Aberfoyle. »
+
+ IX
+
+ La Nouvelle-Aberfoyle
+
+Si, par quelque puissance surhumaine, des ingénieurs eussent pu enlever
+d'un bloc et sur une épaisseur de mille pieds toute cette portion de la
+croûte terrestre qui supporte cet ensemble de lacs, de fleuves, de
+golfes et les territoires riverains des comtés de Stirling, de
+Dumbarton et de Renfrew, ils auraient trouvé, sous cet énorme
+couvercle, une excavation immense, et telle qu'il n'en existait qu'une
+autre au monde qui pût lui être comparée, -- la célèbre grotte de
+Mammouth, dans le Kentucky.
+
+Cette excavation se composait de plusieurs centaines d'alvéoles, de
+toutes formes et de toutes grandeurs. On eût dit une ruche, avec ses
+nombreux étages de cellules, capricieusement disposées, mais une ruche
+construite sur une vaste échelle, et qui, au lieu d'abeilles, eût suffi
+à loger tous les ichthyosaures, les mégathériums, et les ptérodactyles
+de l'époque géologique !
+
+Un labyrinthe de galeries, les unes plus élevées que les plus hautes
+voûtes des cathédrales, les autres semblables à des contrenefs,
+rétrécies et tortueuses, celles-ci suivant la ligne horizontale,
+celles-là remontant ou descendant obliquement en toutes directions, --
+réunissaient ces cavités et laissaient libre communication entre elles.
+
+Les piliers qui soutenaient ces voûtes, dont la courbe admettait tous
+les styles, les épaisses murailles, solidement assises entre les
+galeries, les nefs elles-mêmes, dans cet étage des terrains
+secondaires, étaient faits de grès et de roches schisteuses. Mais,
+entre ces couches inutilisables, et puissamment pressées par elles,
+couraient d'admirables veines de charbon, comme si le sang noir de
+cette étrange houillère eût circulé à travers leur inextricable réseau.
+Ces gisements se développaient sur une étendue de quarante milles du
+nord au sud, et ils s'enfonçaient même sous le canal du Nord.
+L'importance de ce bassin n'aurait pu être évaluée qu'après sondages,
+mais elle devait dépasser celle des couches carbonifères de Cardiff,
+dans le pays de Galles, et des gisements de Newcastle, dans le comté de
+Northumberland.
+
+Il faut ajouter que l'exploitation de cette houillère allait être
+singulièrement facilitée, puisque, par une disposition bizarre des
+terrains secondaires, par un inexplicable retrait des matières
+minérales à l'époque géologique où ce massif se solidifiait, la nature
+avait déjà multiplié les galeries et les tunnels de la
+Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Oui, la nature seule ! On aurait pu croire, tout d'abord, à la
+découverte de quelque exploitation abandonnée depuis des siècles. Il
+n'en était rien. On ne délaisse pas de telles richesses. Les termites
+humains n'avaient jamais rongé cette portion du sous-sol de l'Écosse,
+et c'était la nature qui avait ainsi fait les choses. Mais, on le
+répète, nul hypogée de l'époque égyptienne, nulle catacombe de l'époque
+romaine, n'auraient pu lui être comparés, -- si ce n'est les célèbres
+grottes de Mammouth, qui, sur une longueur de plus de vingt milles,
+comptent deux cent vingt-six avenues, onze lacs, sept rivières, huit
+cataractes, trente-deux puits insondables et cinquante-sept dômes, dont
+quelques-uns sont suspendus à plus de quatre cent cinquante pieds de
+hauteur.
+
+Ainsi que ces grottes, la Nouvelle-Aberfoyle était, non l'oeuvre
+des hommes, mais l'oeuvre du Créateur.
+
+Tel était ce nouveau domaine, d'une incomparable richesse, dont la
+découverte appartenait en propre au vieil overman. Dix ans de séjour
+dans l'ancienne houillère, une rare persistance de recherches, une foi
+absolue, soutenue par un merveilleux instinct de mineur, il lui avait
+fallu toutes ces conditions réunies pour réussir, là où tant d'autres
+auraient échoué. Pourquoi les sondages, pratiqués sous la direction de
+James Starr, pendant les dernières années d'exploitation, s'étaient-ils
+précisément arrêtés à cette limite, sur la frontière même de la
+nouvelle mine ? cela était dû au hasard, dont la part est grande dans
+les recherches de ce genre.
+
+Quoi qu'il en soit, il y avait là, dans le sous-sol écossais, une sorte
+de comté souterrain, auquel il ne manquait, pour être habitable, que
+les rayons du soleil, ou, à son défaut, la clarté d'un astre spécial.
+
+L'eau y était localisée dans certaines dépressions, formant de vastes
+étangs, ou même des lacs plus grands que le lac Katrine, situé
+précisément au-dessus. Sans doute, ces lacs n'avaient pas le mouvement
+des eaux, les courants, le ressac. Ils ne reflétaient pas la silhouette
+de quelque vieux château gothique. Ni les bouleaux ni les chênes ne se
+penchaient sur leurs rives, les montagnes n'allongeaient pas de grandes
+ombres à leur surface, les steamboats ne les sillonnaient pas, aucune
+lumière ne se réverbérait dans leurs eaux, le soleil ne les imprégnait
+pas de ses rayons éclatants, la lune ne se levait jamais sur leur
+horizon. Et pourtant, ces lacs profonds, dont la brise ne ridait pas le
+miroir, n'auraient pas été sans charme, à la lumière de quelque astre
+électrique, et, réunis par un lacet de canaux, ils complétaient bien la
+géographie de cet étrange domaine.
+
+Quoiqu'il fût impropre à toute production végétale, ce sous-sol eût,
+cependant, pu servir de demeure à toute une population. Et qui sait si,
+dans ces milieux à température constante, au fond de ces houillères
+d'Aberfoyle, aussi bien que dans celles de Newcastle, d'Alloa ou de
+Cardiff, lorsque leurs gisements seront épuisés, -- qui sait si la
+classe pauvre du Royaume-Uni ne trouvera pas refuge quelque jour ?
+
+ X
+
+ Aller et retour
+
+A la voix d'Harry, James Starr, Madge et Simon Ford s'étaient
+introduits par l'étroit orifice qui mettait en communication la fosse
+Dochart avec la nouvelle houillère.
+
+Ils se trouvaient alors à la naissance d'une galerie assez large. On
+aurait pu croire qu'elle avait été percée de main d'homme, que le pic
+et la pioche l'avaient évidée pour l'exploitation d'un nouveau
+gisement. Les explorateurs devaient se demander si, par un singulier
+hasard, ils n'avaient pas été transportés dans quelque ancienne
+houillère, dont les plus vieux mineurs du comté n'auraient jamais connu
+l'existence.
+
+Non ! C'étaient les couches géologiques qui avaient « épargné » cette
+galerie, à l'époque où se faisait le tassement des terrains
+secondaires. Peut-être quelque torrent l'avait-il parcourue autrefois,
+lorsque les eaux supérieures allaient se mélanger aux végétaux enlisés;
+mais, maintenant, elle était aussi sèche que si elle eût été forée,
+quelque mille pieds plus bas, dans l'étage des roches granitoïdes. En
+même temps, l'air y circulait avec aisance, -- ce qui indiquait que
+certains « éventoirs » naturels la mettaient en communication avec
+l'atmosphère extérieure.
+
+Cette observation, qui fut faite par l'ingénieur, était juste, et l'on
+sentait que l'aération s'opérait facilement dans la nouvelle mine.
+Quant à ce grisou qui fusait naguère à travers les schistes de la
+paroi, il semblait qu'il n'eût été contenu que dans une simple « poche
+», vide maintenant, et il était certain que l'atmosphère de la galerie
+n'en conservait pas la moindre trace. Cependant, et par précaution,
+Harry n'avait emporté que la lampe de sûreté, qui lui assurait un
+éclairage de douze heures.
+
+James Starr et ses compagnons éprouvaient alors une joie complète.
+C'était l'entière satisfaction de leurs désirs. Autour d'eux, tout
+n'était que houille. Une certaine émotion les rendait silencieux. Simon
+Ford, lui-même, se contenait. Sa joie débordait, non en longues
+phrases, mais par petites interjections.
+
+C'était peut-être imprudent, à eux, de s'engager si profondément dans
+la crypte. Bah ! ils ne songeaient guère au retour. La galerie était
+praticable, peu sinueuse. Nulle crevasse n'en barrait le passage, nulle
+« pousse » n'y propageait d'exhalaisons malfaisantes. Il n'y avait donc
+aucune raison pour s'arrêter, et, pendant une heure, James Starr,
+Madge, Harry et Simon Ford allèrent ainsi, sans que rien pût leur
+indiquer quelle était l'exacte orientation de ce tunnel inconnu.
+
+Et, sans doute, ils auraient été plus loin encore, s'ils ne fussent
+arrivés à l'extrémité même de cette large voie qu'ils suivaient depuis
+leur entrée dans la houillère.
+
+La galerie aboutissait à une énorme caverne, dont on ne pouvait estimer
+ni la hauteur, ni la profondeur. A quelle altitude s'arrondissait la
+voûte de cette excavation, à quelle distance se reculait sa paroi
+opposée ? les ténèbres qui l'emplissaient ne permettaient pas de le
+reconnaître. Mais, à la lueur de la lampe, les explorateurs purent
+constater que son dôme recouvrait une vaste étendue d'eau dormante --
+étang ou lac --, dont les rives pittoresques, accidentées de hautes
+roches, se perdaient dans l'obscurité.
+
+« Halte ! s'écria Simon Ford, en s'arrêtant brusquement. Un pas de
+plus, et nous roulions peut-être dans quelque abîme !
+
+-- Reposons-nous donc, mes amis, répondit l'ingénieur. Aussi bien, il
+faudra songer à retourner au cottage.
+
+-- Notre lampe peut nous éclairer pendant dix heures encore, monsieur
+Starr, dit Harry.
+
+-- Eh bien, faisons halte, reprit James Starr. J'avoue que mes jambes
+en ont besoin ! -- Et vous, Madge, est-ce que vous ne vous ressentez
+pas des fatigues d'une aussi longue course ?
+
+-- Mais pas trop, monsieur James, répondit la robuste Écossaise. Nous
+avions l'habitude d'explorer pendant des journées entières l'ancienne
+houillère d'Aberfoyle.
+
+-- Bah ! ajouta Simon Ford, Madge ferait dix fois cette route, s'il le
+fallait ! Mais j'insiste, monsieur James, ma communication valait-elle
+la peine de vous être faite ? Osez dire non, monsieur James, osez dire
+non !
+
+-- Eh ! mon vieux compagnon, il y a longtemps que je n'ai ressenti une
+telle joie ! répondit l'ingénieur. Le peu que nous avons exploré de
+cette merveilleuse houillère semble indiquer que son étendue est très
+considérable, au moins en longueur.
+
+-- En largeur et en profondeur aussi, monsieur James ! répliqua Simon
+Ford.
+
+-- C'est ce que nous saurons plus tard.
+
+-- Et moi, j'en réponds ! Rapportez-vous-en à mon instinct de vieux
+mineur. Il ne m'a jamais trompé !
+
+-- Je veux vous croire, Simon, répondit l'ingénieur en souriant. Mais
+enfin, tel que j'en puis juger par cette courte exploration, nous
+possédons les éléments d'une exploitation qui durera des siècles !
+
+-- Des siècles ! s'écria Simon Ford. Je le crois bien, monsieur James !
+Il se passera mille ans et plus, avant que le dernier morceau de
+charbon ait été extrait de notre nouvelle mine !
+
+-- Dieu vous entende ! répondit James Starr. Quant à la qualité de la
+houille qui vient affleurer ces parois...
+
+-- Superbe ! monsieur James, superbe ! répondit Simon Ford. Voyez cela
+vous-même ! » Et, ce disant, il détacha d'un coup de pic un fragment de
+roche noire.
+
+« Voyez ! voyez ! répéta-t-il en l'approchant de sa lampe. Les surfaces
+de ce morceau de charbon sont luisantes ! Nous aurons là de la houille
+grasse, riche en matières bitumeuses ! Et comme elle se détaillera en
+gailleteries, presque sans poussière ! Ah ! monsieur James, il y a
+vingt ans, voici un gisement qui aurait fait une rude concurrence au
+Swansea et au Cardiff ! Eh bien, les chauffeurs se le disputeront
+encore, et, s'il coûte peu à extraire de la mine, il ne s'en vendra pas
+moins cher au-dehors !
+
+-- En effet, dit Madge, qui avait pris le fragment de houille et
+l'examinait en connaisseuse. C'est là du charbon de bonne qualité. --
+Emporte-le, Simon, emporte-le au cottage ! Je veux que ce premier
+morceau de houille brûle sous notre bouilloire !
+
+-- Bien parlé, femme ! répondit le vieil overman, et tu verras que je
+ne me suis pas trompé.
+
+-- Monsieur Starr, demanda alors Harry, avez-vous quelque idée de
+l'orientation probable de cette longue galerie que nous avons suivie
+depuis notre entrée dans la nouvelle houillère ?
+
+-- Non, mon garçon, répondit l'ingénieur. Avec une boussole, j'aurais
+peut-être pu établir sa direction générale. Mais, sans boussole, je
+suis ici comme un marin en pleine mer, au milieu des brumes, lorsque
+l'absence de soleil ne lui permet pas de relever sa position.
+
+-- Sans doute, monsieur James, répliqua Simon Ford, mais, je vous en
+prie, ne comparez pas notre position à celle du marin, qui a toujours
+et partout l'abîme sous ses pieds ! Nous sommes en terre ferme, ici, et
+nous n'avons pas à craindre de jamais sombrer !
+
+-- Je ne vous ferai pas cette peine, vieux Simon, répondit James Starr.
+Loin de moi la pensée de déprécier la nouvelle houillère d'Aberfoyle
+par une comparaison injuste ! Je n'ai voulu dire qu'une chose, c'est
+que nous ne savons pas où nous sommes.
+
+-- Nous sommes dans le sous-sol du comté de Stirling, monsieur James,
+répondit Simon Ford, et cela, je l'affirme comme si...
+
+-- Écoutez ! » dit Harry en interrompant le vieil overman.
+
+Tous prêtèrent l'oreille, ainsi que le faisait le jeune mineur. Le nerf
+auditif, très exercé chez lui, avait surpris un bruit sourd, comme eût
+été un murmure lointain. James Starr, Simon et Madge ne tardèrent pas à
+l'entendre eux-mêmes. Il se produisait, dans les couches supérieures du
+massif, une sorte de roulement, dont on percevait distinctement le
+crescendo et le decrescendo successif, si faible qu'il fût.
+
+Tous quatre restèrent pendant quelques minutes, l'oreille tendue, sans
+proférer une parole.
+
+Puis, tout à coup, Simon Ford de s'écrier :
+
+« Eh ! par saint Mungo ! Est-ce que les wagonnets courent déjà sur les
+rails de la nouvelle Aberfoyle ?
+
+-- Père, répondit Harry, il me semble bien que c'est le bruit que font
+des eaux en roulant sur un littoral.
+
+-- Nous ne sommes pourtant pas sous la mer ! s'écria le vieil overman.
+
+-- Non, répondit l'ingénieur, mais il ne serait pas impossible que nous
+ne fussions sous le lit même du lac Katrine.
+
+-- Il faudrait donc que la voûte fût peu épaisse en cet endroit,
+puisque le bruit des eaux est perceptible ?
+
+-- Peu épaisse, en effet, répondit James Starr, et c'est ce qui fait
+que cette excavation est si vaste.
+
+-- Vous devez avoir raison, monsieur Starr, dit Harry.
+
+-- En outre, il fait si mauvais temps au-dehors, reprit James Starr,
+que les eaux du lac doivent être soulevées comme celles du golfe de
+Forth.
+
+-- Eh ! qu'importe, après tout, répondit Simon Ford. La couche
+carbonifère n'en sera pas plus mauvaise pour se développer au-dessous
+d'un lac ! Ce ne serait pas la première fois que l'on irait chercher la
+houille sous le lit même de l'Océan ! Quand nous devrions exploiter
+tout le fonds et le tréfonds du canal du Nord, où serait le mal ?
+
+-- Bien dit, Simon, s'écria l'ingénieur, qui ne put retenir un sourire
+en regardant l'enthousiaste overman. Poussons nos tranchées sous les
+eaux de la mer ! Trouons comme une écumoire le lit de l'Atlantique !
+Allons rejoindre à coups de pioche nos frères des États-Unis à travers
+le sous-sol de l'Océan ! Fonçons jusqu'au centre du globe, s'il le
+faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille !
+
+-- Croyez-vous rire, monsieur James ? demanda Simon Ford d'un air tant
+soit peu goguenard.
+
+-- Moi, rire ! vieux Simon ! Non ! Mais vous êtes si enthousiaste, que
+vous m'entraînez jusque dans l'impossible ! Tenez, revenons à la
+réalité, qui est déjà belle. Laissons là nos pics, que nous
+retrouverons un autre jour, et reprenons le chemin du cottage ! »
+
+Il n'y avait pas autre chose à faire pour le moment. Plus tard,
+l'ingénieur, accompagné d'une brigade de mineurs et muni des lampes et
+ustensiles nécessaires, reprendrait l'exploration de la
+Nouvelle-Aberfoyle. Mais il était urgent de retourner à la fosse
+Dochart. La route était facile, d'ailleurs. La galerie courait presque
+droit à travers le massif jusqu'à l'orifice ouvert par la dynamite.
+Donc, nulle crainte de s'égarer.
+
+Mais, au moment où James Starr se dirigeait vers la galerie, Simon Ford
+l'arrêta.
+
+« Monsieur James, lui dit-il, vous voyez cette caverne immense, ce lac
+souterrain qu'elle recouvre, cette grève que les eaux viennent baigner
+à nos pieds ? Eh bien, c'est ici que je veux transporter ma demeure,
+c'est ici que je me bâtirai un nouveau cottage, et, si quelques braves
+compagnons veulent suivre mon exemple, avant un an, on comptera un
+bourg de plus dans le massif de notre vieille Angleterre ! »
+
+James Starr, approuvant d'un sourire les projets de Simon Ford, lui
+serra la main, et tous trois, précédant Madge, s'enfoncèrent dans la
+galerie, afin de regagner la fosse Dochart.
+
+Pendant le premier mille, aucun incident ne se produisit. Harry
+marchait en avant, élevant la lampe au-dessus de sa tête. Il suivait
+soigneusement la galerie principale, sans jamais s'écarter dans les
+tunnels étroits qui rayonnaient à droite et à gauche. Il semblait donc
+que le retour dût s'accomplir aussi facilement que l'aller, lorsqu'une
+fâcheuse complication survint, qui rendit fort grave la situation des
+explorateurs.
+
+En effet, à un moment où Harry levait sa lampe, un vif déplacement de
+l'air s'opéra, comme s'il eût été causé par un battement d'ailes
+invisibles. La lampe, frappée de biais, s'échappa des mains d'Harry,
+tomba sur le sol rocheux de la galerie et se brisa.
+
+James Starr et ses compagnons furent subitement plongés dans une
+obscurité absolue. Leur lampe, dont l'huile s'était répandue, ne
+pouvait plus servir.
+
+« Eh bien, Harry, s'écria Simon Ford, veux-tu donc que nous nous
+rompions le cou en retournant au cottage ? »
+
+Harry ne répondit pas. Il réfléchissait. Devait-il voir encore la main
+d'un être mystérieux dans ce dernier accident ? Existait-il donc en ces
+profondeurs un ennemi dont l'inexplicable antagonisme pouvait créer, un
+jour, de sérieuses difficultés ? Quelqu'un avait-il intérêt à défendre
+le nouveau gîte carbonifère contre toute tentative d'exploitation ? En
+vérité, cela était absurde, mais les faits parlaient d'eux-mêmes, et
+ils s'accumulaient de manière à changer de simples présomptions en
+certitudes.
+
+En attendant, la situation des explorateurs était assez mauvaise. Il
+leur fallait, au milieu de profondes ténèbres, suivre pendant environ
+cinq milles la galerie qui conduisait à la fosse Dochart. Puis, ils
+auraient encore une heure de route avant d'avoir atteint le cottage.
+
+« Continuons, dit Simon Ford. Nous n'avons pas un instant à perdre.
+Nous marcherons en tâtonnant, comme des aveugles. Il n'est pas possible
+de s'égarer. Les tunnels qui s'ouvrent sur notre chemin ne sont que de
+véritables boyaux de taupinières, et, en suivant la galerie principale,
+nous arriverons inévitablement à l'orifice qui nous a livré passage.
+Ensuite, c'est la vieille houillère. Nous la connaissons, et ce ne sera
+pas la première fois qu'Harry ou moi nous nous y serons trouvés dans
+l'obscurité. D'ailleurs, nous retrouverons là les lampes que nous avons
+laissées. En route, donc ! -- Harry, prends la tête. Monsieur James,
+suivez-le. Madge, tu viendras après, et moi, je fermerai la marche. Ne
+nous séparons pas surtout, et qu'on se sente les talons, sinon les
+coudes ! »
+
+Il n'y avait qu'à se conformer aux instructions du vieil overman. Comme
+il le disait, en tâtonnant on ne pouvait guère se tromper de route. Il
+fallait seulement remplacer les yeux par les mains, et se fier à cet
+instinct qui, chez Simon Ford et son fils, était devenu une seconde
+nature.
+
+Donc, James Starr et ses compagnons marchèrent dans l'ordre indiqué.
+Ils ne parlaient pas, mais ce n'était pas faute de penser. Il devenait
+évident qu'ils avaient un adversaire. Mais quel était-il, et comment se
+défendre de ces attaques si mystérieusement préparées ? Ces idées assez
+inquiétantes affluaient à leur cerveau. Cependant, ce n'était pas le
+moment de se décourager.
+
+Harry, les bras étendus, s'avançait d'un pas assuré. Il allait
+successivement d'une paroi à l'autre de la galerie. Une anfractuosité,
+un orifice latéral se présentaient-ils, il reconnaissait à la main
+qu'il ne fallait pas s'y engager, soit que l'anfractuosité fût peu
+profonde, soit que l'orifice fût trop étroit, et il se maintenait ainsi
+dans le droit chemin.
+
+Au milieu d'une obscurité à laquelle les yeux ne pouvaient se faire,
+puisqu'elle était absolue, ce difficile retour dura deux heures
+environ. En supputant le temps écoulé, en tenant compte de ce que la
+marche n'avait pu être rapide, James Starr estimait que ses compagnons
+et lui devaient être bien près de l'issue.
+
+En effet, presque aussitôt, Harry s'arrêta.
+
+« Sommes-nous enfin arrivés à l'extrémité de la galerie ? demanda Simon
+Ford.
+
+-- Oui, répondit le jeune mineur.
+
+-- Eh bien, tu dois retrouver l'orifice qui établit la communication
+entre la Nouvelle-Aberfoyle et la fosse Dochart ?
+
+-- Non », répondit Harry, dont les mains crispées ne rencontraient que
+la surface pleine d'une paroi.
+
+Le vieil overman fit quelques pas en avant, et vint palper lui même la
+roche schisteuse.
+
+Un cri lui échappa.
+
+Ou les explorateurs s'étaient égarés pendant le retour, ou l'étroit
+orifice, creusé dans la paroi par la dynamite, avait été bouché
+récemment !
+
+Quoi qu'il en soit, James Starr et ses compagnons étaient emprisonnés
+dans la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XI
+
+ Les Dames de feu
+
+Huit jours après ces événements, les amis de James Starr étaient fort
+inquiets. L'ingénieur avait disparu sans qu'aucun motif pût être
+allégué à cette disparition. On avait appris, en interrogeant son
+domestique, qu'il s'était embarqué à Grantonpier, et on savait par le
+capitaine du steam-boat _Prince de Galles_ qu'il avait débarqué à
+Stirling. Mais, depuis ce moment, plus de traces de James Starr. La
+lettre de Simon Ford lui avait recommandé le secret, et il n'avait rien
+dit de son départ pour les houillères d'Aberfoyle.
+
+Donc, à Édimbourg, il ne fut plus question que de l'absence
+inexplicable de l'ingénieur. Sir W. Elphiston, le président de « Royal
+Institution », communiqua à ses collègues la lettre que lui avait
+adressée James Starr, en s'excusant de ne pouvoir assister à la
+prochaine séance de la Société. Deux ou trois autres personnes
+produisirent aussi des lettres analogues. Mais, si ces documents
+prouvaient que James Starr avait quitté Édimbourg -- ce que l'on savait
+de reste --, rien n'indiquait ce qu'il était devenu. Or, de la part
+d'un tel homme, cette absence, en dehors de ses habitudes, devait
+surprendre d'abord, inquiéter ensuite, puisqu'elle se prolongeait.
+
+Aucun des amis de l'ingénieur n'aurait pu supposer qu'il se fût rendu
+aux houillères d'Aberfoyle. On savait qu'il n'eût point aimé à revoir
+l'ancien théâtre de ses travaux. Il n'y avait jamais remis les pieds,
+depuis le jour où la dernière benne était remontée à la surface du sol.
+Cependant, puisque le steam-boat l'avait déposé au débarcadère de
+Stirling, on fit quelques recherches de ce côté.
+
+Les recherches n'aboutirent pas. Personne ne se rappelait avoir vu
+l'ingénieur dans le pays. Seul, Jack Ryan, qui l'avait rencontré en
+compagnie d'Harry sur un des paliers du puits Yarow, eût pu satisfaire
+la curiosité publique. Mais le joyeux garçon, on le sait, travaillait à
+la ferme de Melrose, à quarante milles dans le sud-ouest du comté de
+Renfrew, et il ne se doutait guère que l'on s'inquiétât à ce point de
+la disparition de James Starr. Donc, huit jours après sa visite au
+cottage, Jack Ryan eût continué à chanter de plus belle pendant les
+veillées du clan d'Irvine, -- s'il n'eût eu, lui aussi, un motif de
+vive inquiétude dont il sera bientôt parlé.
+
+James Starr était un homme trop considérable et trop considéré, non
+seulement dans la ville, mais dans toute l'Écosse, pour qu'un fait le
+concernant pût passer inaperçu. Le lord prévôt, premier magistrat
+d'Édimbourg, les baillis, les conseillers, dont la plupart étaient des
+amis de l'ingénieur, firent commencer les plus actives recherches. Des
+agents furent mis en campagne, mais aucun résultat ne fut obtenu.
+
+Il fallut donc insérer dans les principaux journaux du Royaume-Uni une
+note relative à l'ingénieur James Starr, donnant son signalement,
+indiquant la date à laquelle il avait quitté Édimbourg, et il n'y eut
+plus qu'à attendre. Cela ne se fit pas sans grande anxiété. Le monde
+savant de l'Angleterre n'était pas éloigné de croire à la disparition
+définitive de l'un de ses membres les plus distingués.
+
+En même temps que l'on s'inquiétait ainsi de la personne de James
+Starr, la personne d'Harry était le sujet de préoccupations non moins
+vives. Seulement, au lieu d'occuper l'opinion publique, le fils du
+vieil overman ne troublait que la bonne humeur de son ami Jack Ryan.
+
+On se rappelle que, lors de leur rencontre dans le puits Yarow, Jack
+Ryan avait invité Harry à venir, huit jours après, à la fête du clan
+d'Irvine. Il y avait eu acceptation et promesse formelle d'Harry de se
+rendre à cette cérémonie. Jack Ryan savait, pour l'avoir constaté en
+maintes circonstances, que son camarade était homme de parole. Avec
+lui, chose promise, chose faite.
+
+Or, à la fête d'Irvine, rien n'avait manqué, ni les chants, ni les
+danses, ni les réjouissances de toutes sortes, rien, -- si ce n'est
+Harry Ford.
+
+Jack Ryan avait commencé par lui en vouloir, parce que l'absence de son
+ami influait sur sa bonne humeur. Il en perdit même la mémoire au
+milieu d'une de ses chansons, et, pour la première fois, il resta court
+pendant une gigue, qui lui valait d'ordinaire des applaudissements
+mérités.
+
+Il faut dire ici que la note relative à James Starr, et publiée dans
+les journaux, n'était pas encore tombée sous les yeux de Jack Ryan. Ce
+brave garçon ne se préoccupait donc que de l'absence d'Harry, se disant
+bien qu'une grave circonstance avait seule pu l'empêcher de tenir sa
+promesse. Aussi, le lendemain de la fête d'Irvine, Jack Ryan
+comptait-il prendre le railway de Glasgow pour se rendre à la fosse
+Dochart, et il l'aurait fait, -- s'il n'eût été retenu par un accident
+qui faillit lui coûter la vie.
+
+Voici ce qui était arrivé pendant la nuit du 12 décembre. En vérité, le
+fait était de nature à donner raison à tous les partisans du
+surnaturel, et ils étaient nombreux à la ferme de Melrose.
+
+Irvine, petite ville maritime du comté de Renfrew, qui compte environ
+sept mille habitants, est bâtie dans un brusque retour que fait la côte
+écossaise, presque à l'ouverture du golfe de Clyde. Son port, assez
+bien abrité contre les vents du large, est éclairé par un feu important
+qui indique les atterrissages, de telle façon qu'un marin prudent ne
+peut s'y tromper. Aussi, les naufrages étaient-ils rares sur cette
+portion du littoral, et les caboteurs ou long-courriers, qu'ils
+voulussent, soit embouquer le golfe de Clyde pour se rendre à Glasgow,
+soit donner dans la baie d'Irvine, pouvaient-ils manoeuvrer sans
+danger, même par les nuits obscures.
+
+Lorsqu'une ville est pourvue d'un passé historique, si mince qu'il
+soit, lorsque son château a appartenu autrefois à un Robert Stuart,
+elle n'est pas sans posséder quelques ruines.
+
+Or, en Écosse, toutes les ruines sont hantées par des esprits. -- Du
+moins, c'est l'opinion commune dans les Hautes et Basses Terres.
+
+Les ruines les plus anciennes, et aussi les plus mal famées de cette
+partie du littoral, étaient précisément celles de ce château de Robert
+Stuart, qui porte le nom de Dundonald-Castle.
+
+A cette époque, le château de Dundonald, refuge de tous les lutins
+errants de la contrée, était voué au plus complet abandon. On allait
+peu le visiter sur le haut rocher qu'il occupait au-dessus de la mer, à
+deux milles de la ville. Peut-être quelques étrangers avaient-ils
+encore l'idée d'interroger ces vieux restes historiques, mais alors ils
+s'y rendaient seuls. Les habitants d'Irvine ne les y eussent point
+conduits, à quelque prix que ce fût. En effet, quelques histoires
+couraient sur le compte de certaines « Dames de feu » qui hantaient le
+vieux château.
+
+Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces
+fantastiques créatures. Naturellement, Jack Ryan était de ces derniers.
+
+La vérité est que, de temps à autre, de longues flammes apparaissaient,
+tantôt sur un pan de mur à demi éboulé, tantôt au sommet de la tour qui
+domine l'ensemble des ruines de Dundonald-Castle.
+
+Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l'assurait ?
+Méritaient-elles ce nom de « Dames de feu » que leur avaient donné les
+Écossais du littoral ? Ce n'était évidemment là qu'une illusion de
+cerveaux portés à la crédulité, et la science eût expliqué physiquement
+ce phénomène.
+
+Quoi qu'il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contrée la
+réputation bien établie de fréquenter les ruines du vieux château et
+d'y exécuter parfois d'étranges sarabandes, surtout pendant les nuits
+obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu'il fût, ne se serait
+point hasardé à les accompagner aux sons de sa cornemuse.
+
+« Le vieux Nick leur suffit ! disait-il, et il n'a pas besoin de moi
+pour compléter son orchestre infernal ! »
+
+On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte obligé
+des récits pendant la veillée. Aussi, Jack Ryan possédait-il tout un
+répertoire de légendes sur les Dames de feu, et ne se trouvait-il
+jamais à court, quand il s'agissait d'en conter à leur sujet !
+
+Donc, pendant cette dernière veillée, bien arrosée d'ale, de brandy et
+de whisky, qui avait terminé la fête du clan d'Irvine, Jack Ryan
+n'avait pas manqué de reprendre son thème favori, au grand plaisir et
+peut-être au grand effroi de ses auditeurs.
+
+La veillée se faisait dans une vaste grange de la ferme de Melrose, sur
+la limite du littoral. Un bon feu de coke brûlait dans un large trépied
+de tôle, au milieu de l'assemblée.
+
+Il y avait gros temps au-dehors. Des brumes épaisses roulaient sur les
+lames, qu'une forte brise de sud-ouest amenait du large. Une nuit très
+noire, pas une seule éclaircie dans les nuages, la terre, le ciel et
+l'eau se confondant dans de profondes ténèbres, c'était là de quoi
+rendre difficiles les atterrages de la baie d'Irvine, si quelque navire
+s'y fût aventuré avec ces vents qui battaient en côte.
+
+Le petit port d'Irvine n'est pas très fréquenté, -- du moins par les
+navires d'un certain tonnage. C'est un peu plus au nord que les
+bâtiments de commerce, à voiles ou vapeur, attaquent la terre,
+lorsqu'ils veulent donner dans le golfe de Clyde. Ce soir-là,
+cependant, quelque pêcheur, attardé sur le rivage, eût aperçu, non sans
+surprise, un navire qui se dirigeait vers la côte. Si le jour se fût
+fait tout à coup, ce n'est plus avec surprise, mais avec effroi, que ce
+bâtiment eût été vu, courant vent arrière, avec toute la toile qu'il
+pouvait porter. L'entrée du golfe manquée, il n'existait aucun refuge
+entre les roches formidables du littoral. Si cet imprudent navire
+s'obstinait à s'en approcher encore, comment parviendrait-il à se
+relever ?
+
+La veillée allait finir sur une dernière histoire de Jack Ryan. Ses
+auditeurs, transportés dans le monde des fantômes, étaient bien dans
+les conditions voulues pour faire acte de crédulité, le cas échéant.
+
+Tout à coup, des cris retentirent au-dehors.
+
+Jack Ryan suspendit aussitôt son récit, et tous quittèrent
+précipitamment la grange.
+
+La nuit était profonde. De longues rafales de pluie et de vent
+couraient à la surface de la grève.
+
+Deux ou trois pêcheurs, arc-boutés près d'un rocher, afin de mieux
+résister aux poussées de l'air, appelaient avec de grands éclats de
+voix.
+
+Jack Ryan et ses compagnons coururent à eux.
+
+Ces cris, ce n'était pas aux habitants de la ferme qu'ils
+s'adressaient, mais à un équipage qui, sans le savoir, courait à sa
+perte.
+
+En effet, une masse sombre apparaissait confusément à quelques
+encablures au large. C'était un navire, bien reconnaissable à ses feux
+de position, car il portait à sa hune de misaine un feu blanc, à
+tribord un feu vert, à bâbord un feu rouge. On le voyait donc par
+l'avant, et il était manifeste qu'il se dirigeait à toute vitesse vers
+la côte.
+
+« Un navire en perdition ? s'écria Jack Ryan.
+
+-- Oui, répondit un des pêcheurs, et maintenant il voudrait virer de
+bord, qu'il ne le pourrait plus !
+
+-- Des signaux, des signaux ! cria l'un des Écossais.
+
+-- Lesquels ? répliqua le pêcheur. Par cette bourrasque, on ne pourrait
+pas tenir une torche allumée ! »
+
+Et, pendant que ces propos s'échangeaient rapidement, de nouveaux cris
+étaient poussés. Mais comment eût-on pu les entendre au milieu de cette
+tempête ? L'équipage du navire n'avait plus aucune chance d'échapper au
+naufrage.
+
+« Pourquoi manoeuvrer ainsi ? s'écriait un marin.
+
+-- Veut-il donc faire côte ? répondit un autre.
+
+-- Le capitaine n'a donc pas eu connaissance du feu d'Irvine ? demanda
+Jack Ryan.
+
+-- Il faut le croire, répondit un des pêcheurs, à moins qu'il n'ait été
+trompé par quelque... »
+
+Le pêcheur n'avait pas achevé sa phrase, que Jack Ryan poussait un
+formidable cri. Fut-il entendu de l'équipage ? En tout cas, il était
+trop tard pour que le bâtiment pût se relever de la ligne des brisants
+qui blanchissait dans les ténèbres.
+
+Mais ce n'était pas, comme on aurait pu le croire, un suprême
+avertissement que Jack Ryan avait tenté de faire parvenir au bâtiment
+en perdition. Jack Ryan tournait alors le dos à la mer. Ses compagnons,
+eux aussi, regardaient un point situé à un demi mille en arrière de la
+grève.
+
+C'était le château de Dundonald. Une longue flamme se tordait sous les
+rafales au sommet de la vieille tour.
+
+« La Dame de feu ! » s'écrièrent avec grande terreur tous ces
+superstitieux Écossais.
+
+Franchement, il fallait une bonne dose d'imagination pour trouver à
+cette flamme une apparence humaine. Agitée comme un pavillon lumineux
+sous la brise, elle semblait parfois s'envoler du sommet de la tour,
+comme si elle eût été sur le point de s'éteindre, et, un instant après,
+elle s'y rattachait de nouveau par sa pointe bleuâtre.
+
+« La Dame de feu ! la Dame de feu ! » criaient les pêcheurs et les
+paysans effarés.
+
+Tout s'expliquait alors. Il était évident que le navire, désorienté
+dans les brumes, avait fait fausse route, et qu'il avait pris cette
+flamme, allumée au sommet du château de Dundonald, pour le feu
+d'Irvine. Il se croyait à l'entrée du golfe, située dix milles plus au
+nord, et il courait vers une franche terre, qui ne lui offrait aucun
+refuge !
+
+Que pouvait-on faire pour le sauver, s'il en était temps encore ?
+Peut-être eût-il fallu monter jusqu'aux ruines et tenter d'éteindre ce
+feu, pour qu'il ne fût pas possible de le confondre plus longtemps avec
+le phare du port d'Irvine !
+
+Sans doute, c'était ainsi qu'il convenait d'agir, sans retard; mais
+lequel de ces Écossais eût eu la pensée, et, après la pensée, l'audace
+de braver la Dame de feu ? Jack Ryan, peut-être, car il était
+courageux, et sa crédulité, si forte qu'elle fût, ne pouvait l'arrêter
+dans un généreux mouvement.
+
+Il était trop tard. Un horrible craquement retentit au milieu du fracas
+des éléments.
+
+Le navire venait de talonner par son arrière. Ses feux de position
+s'éteignirent. La ligne blanchâtre du ressac sembla brisée un instant.
+C'était le bâtiment qui l'abordait, se couchait sur le flanc et se
+disloquait entre les récifs.
+
+Et, à ce même instant, par une coïncidence qui ne pouvait être due
+qu'au hasard, la longue flamme disparut, comme si elle eût été arrachée
+par une violente rafale. La mer, le ciel, la grève furent aussitôt
+replongés dans les plus profondes ténèbres.
+
+« La Dame de feu ! » avait une dernière fois crié Jack Ryan, lorsque
+cette apparition, surnaturelle pour ses compagnons et lui, se fut
+évanouie subitement.
+
+Mais alors, le courage que ces superstitieux Écossais n'auraient pas eu
+contre un danger chimérique, ils le retrouvèrent en face d'un danger
+réel, maintenant qu'il s'agissait de sauver leurs semblables. Les
+éléments déchaînés ne les arrêtèrent pas. Au moyen de cordes lancées
+dans les lames -- héroïques autant qu'ils avaient été crédules --, ils
+se jetèrent au secours du bâtiment naufragé.
+
+Heureusement, ils réussirent, non sans que quelques-uns -- et le hardi
+Jack Ryan était du nombre -- se fussent grièvement meurtris sur les
+roches; mais le capitaine du navire et les huit hommes de l'équipage
+purent être déposés, sains et saufs, sur la grève.
+
+Ce navire était le brick norvégien _Motala_, chargé de bois du nord,
+faisant route pour Glasgow.
+
+Il n'était que trop vrai. Le capitaine, trompé par ce feu, allumé sur
+la tour du château de Dundonald, était venu donner en pleine côte, au
+lieu d'embouquer le golfe de Clyde.
+
+Et maintenant, du _Motala_, il ne restait plus que de rares épaves,
+dont le ressac achevait de briser les débris sur les roches du littoral.
+
+ XII
+
+ Les Exploits de Jack Ryan
+
+Jack Ryan et trois de ses compagnons, blessés comme lui, avaient été
+transportés dans une des chambres de la ferme de Melrose, où des soins
+leur furent immédiatement prodigués.
+
+Jack Ryan avait été le plus maltraité, car, au moment où, la corde aux
+reins, il s'était jeté à la mer, les lames furieuses l'avaient rudement
+roulé sur les récifs. Peu s'en était fallu, même, que ses camarades ne
+l'eussent rapporté sans vie sur le rivage.
+
+Le brave garçon fut donc cloué au lit pour quelques jours, -- ce dont
+il enragea fort. Cependant, lorsqu'on lui eut permis de chanter autant
+qu'il le voudrait, il prit son mal en patience, et la ferme de Melrose
+retentit, à toute heure, des joyeux éclats de sa voix. Mais Jack Ryan,
+dans cette aventure, ne puisa qu'un plus vif sentiment de crainte à
+l'égard de ces brawnies et autres lutins qui s'amusent à tracasser le
+pauvre monde, et ce fut eux qu'il rendit responsables de la catastrophe
+du _Motala_. On fût mal venu à lui soutenir que les Dames de feu
+n'existaient pas, et que cette flamme, si soudainement projetée entre
+les ruines, n'était due qu'à un phénomène physique. Aucun raisonnement
+ne l'eût convaincu. Ses compagnons étaient encore plus obstinés que lui
+dans leur crédulité. A les entendre, une des Dames de feu avait
+méchamment attiré le _Motala_ à la côte. Quant à vouloir l'en punir,
+autant mettre l'ouragan à l'amende ! Les magistrats pouvaient décréter
+toutes poursuites qui leur conviendraient. On n'emprisonne pas une
+flamme, on n'enchaîne pas un être impalpable. Et, s'il faut le dire,
+les recherches qui furent ultérieurement faites, semblèrent donner
+raison -- au moins en apparence -- à cette façon superstitieuse
+d'expliquer les choses.
+
+En effet, le magistrat, chargé de diriger une enquête relativement à la
+perte du _Motala_, vint interroger les divers témoins de la
+catastrophe. Tous furent d'accord sur ce point que le naufrage était dû
+à l'apparition surnaturelle de la Dame de feu dans les ruines du
+château de Dundonald.
+
+On le pense bien, la justice ne pouvait se payer de semblables raisons.
+Qu'un phénomène purement physique se fût produit dans ces ruines, pas
+de doute à cet égard. Mais était-ce accident ou malveillance ? c'est ce
+que le magistrat devait chercher à établir.
+
+Que ce mot « malveillance » ne surprenne pas. Il ne faudrait pas
+remonter haut dans l'histoire armoricaine pour en trouver la
+justification. Bien des pilleurs d'épaves du littoral breton ont fait
+ce métier d'attirer les navires à la côte afin de s'en partager les
+dépouilles. Tantôt un bouquet d'arbres résineux, enflammés pendant la
+nuit, guidait un bâtiment dans des passes dont il ne pouvait plus
+sortir. Tantôt une torche, attachée aux cornes d'un taureau et promenée
+au caprice de l'animal, trompait un équipage sur la route à suivre. Le
+résultat de ces manoeuvres était inévitablement quelque naufrage,
+dont les pillards profitaient. Il avait fallu l'intervention de la
+justice et de sévères exemples pour détruire ces barbares coutumes. Or,
+ne pouvait-il se faire que, dans cette circonstance, une main
+criminelle n'eût repris les anciennes traditions des pilleurs d'épaves ?
+
+C'est ce que pensaient les gens de la police, quoi qu'en eussent Jack
+Ryan et ses compagnons. Lorsque ceux-ci entendirent parler d'enquête,
+ils se divisèrent en deux camps : les uns se contentèrent de hausser
+les épaules; les autres, plus craintifs, annoncèrent que, très
+certainement, à provoquer ainsi les êtres surnaturels, on amènerait de
+nouvelles catastrophes.
+
+Néanmoins, l'enquête fut faite avec beaucoup de soin. Les gens de
+police se transportèrent au château de Dundonald, et ils procédèrent
+aux recherches les plus rigoureuses.
+
+Le magistrat voulut d'abord reconnaître si le sol avait conservé
+quelques empreintes de pas, pouvant être attribuées à d'autres pieds
+que des pieds de lutins. Il fut impossible de relever la plus légère
+trace, ni ancienne ni nouvelle. Cependant, la terre, encore tout humide
+des pluies de la veille, eût conservé le moindre vestige.
+
+« Des pas de brawnies ! s'écria Jack Ryan, lorsqu'il connut l'insuccès
+des premières recherches. Autant vouloir retrouver les traces d'un
+follet sur l'eau d'un marécage ! »
+
+Cette première partie de l'enquête ne produisit donc aucun résultat. Il
+n'était pas probable que la seconde partie en donnât davantage.
+
+Il s'agissait d'établir, en effet, comment le feu avait pu être allumé
+au sommet de la vieille tour, quels éléments avaient été fournis à la
+combustion, et enfin quels résidus cette combustion avait laissés.
+
+Sur le premier point, rien, ni restes d'allumettes, ni chiffons de
+papier, ayant pu servir à allumer un feu quelconque.
+
+Sur le second point, néant non moins absolu. On ne retrouva ni herbes
+desséchées, ni fragments de bois, dont ce foyer, si intense, avait
+pourtant dû être largement alimenté pendant la nuit.
+
+Quant au troisième point, il ne put être éclairci davantage. L'absence
+de toutes cendres, de tout résidu d'un combustible quelconque, ne
+permit pas même de retrouver l'endroit où le foyer avait dû être
+établi. Il n'existait aucune place noircie, ni sur la terre, ni sur la
+roche. Fallait-il donc en conclure que le foyer avait été tenu par la
+main de quelque malfaiteur ? C'était bien invraisemblable, puisque, au
+dire des témoins, la flamme présentait un développement gigantesque,
+tel que l'équipage du _Motala_ avait pu, malgré les brumes,
+l'apercevoir de plusieurs milles au large.
+
+« Bon ! s'écria Jack Ryan, la Dame de feu sait bien se passer
+d'allumettes ! Elle souffle, cela suffit à embraser l'air autour
+d'elle, et son foyer ne laisse jamais de cendres ! »
+
+Il résulta donc de tout ceci que les magistrats en furent pour leur
+peine, qu'une nouvelle légende s'ajouta à tant d'autres, légende qui
+devait perpétuer le souvenir de la catastrophe du _Motala_ et affirmer
+plus indiscutablement encore l'apparition des Dames de feu.
+
+Cependant, un si brave garçon que Jack Ryan, et d'une si vigoureuse
+constitution, ne pouvait demeurer longtemps alité. Quelques foulures et
+luxations n'étaient pas pour le coucher sur le flanc plus qu'il ne
+convenait. Il n'avait pas le temps d'être malade. Or, lorsque ce
+temps-là manque, on ne l'est guère dans ces régions salubres des
+Lowlands.
+
+Jack Ryan se rétablit donc promptement. Dès qu'il fut sur pied, avant
+de reprendre sa besogne à la ferme de Melrose, il voulut mettre certain
+projet à exécution. Il s'agissait d'aller faire visite à son camarade
+Harry, afin de savoir pourquoi celui-ci avait manqué à la fête du clan
+d'Irvine. De la part d'un homme tel qu'Harry, qui ne promettait jamais
+sans tenir, cette absence ne s'expliquait pas. Il était
+invraisemblable, d'ailleurs, que le fils du vieil overman n'eût pas
+entendu parler de la catastrophe du _Motala_ rapportée à grands détails
+par les journaux. Il devait savoir la part que Jack Ryan avait prise au
+sauvetage, ce qui en était advenu pour lui, et c'eût été trop
+d'indifférence de la part d'Harry que de ne pas pousser jusqu'à la
+ferme pour serrer la main de son ami Jack Ryan.
+
+Si donc Harry n'était pas venu, c'est qu'il n'avait pu venir.
+
+Jack Ryan eût plutôt nié l'existence des Dames de feu que de croire à
+l'indifférence d'Harry à son égard.
+
+Donc, deux jours après la catastrophe, Jack Ryan quitta la ferme,
+gaillardement, comme un solide garçon qui ne se ressentait aucunement
+de ses blessures. D'un joyeux refrain lancé à pleine poitrine, il fit
+résonner les échos de la falaise, et se rendit à la gare du railway
+qui, par Glasgow, conduit à Stirling et à Callander.
+
+Là, pendant qu'il attendait dans la gare, ses regards furent tout
+d'abord attirés par une affiche, reproduite à profusion sur les murs,
+et qui contenait l'avis suivant :
+
+« Le 4 décembre dernier, l'ingénieur James Starr, d'Édimbourg, s'est
+embarqué à Granton-pier sur le _Prince de Galles_. Il a débarqué le
+même jour à Stirling. Depuis ce temps, on est sans nouvelles de lui.
+
+« Prière d'adresser toute information le concernant au président de
+Royal Institution, à Édimbourg. »
+
+Jack Ryan, arrêté devant une de ces affiches, la lut par deux fois, non
+sans donner les signes de la plus extrême surprise.
+
+« Monsieur Starr ! s'écria-t-il. Mais, le 4 décembre, je l'ai
+précisément rencontré avec Harry sur les échelles du puits Yarow !
+voilà dix jours de cela ! Et, depuis ce temps, il n'aurait pas reparu !
+Cela expliquerait-il pourquoi mon camarade n'est pas venu à la fête
+d'Irvine ? »
+
+Et, sans prendre le temps d'informer par lettre le président de Royal
+Institution de ce qu'il savait relativement à James Starr, le brave
+garçon sauta dans le train, avec l'intention bien arrêtée de se rendre
+tout d'abord au puits Yarow. Cela fait, il descendrait jusqu'au fond de
+la fosse Dochart, s'il le fallait, pour retrouver Harry, et avec lui
+l'ingénieur James Starr.
+
+Trois heures après, il quittait le train à la gare de Callander, et se
+dirigeait rapidement vers le puits Yarow.
+
+« Ils n'ont pas reparu, se disait-il. Pourquoi ? Est-ce quelque
+obstacle qui les en a empêchés ? Est-ce un travail dont l'importance
+les retient encore au fond de la houillère ? Je le saurai ! »
+
+Et Jack Ryan, allongeant le pas, arriva en moins d'une heure au puits
+Yarow.
+
+Extérieurement, rien de changé. Même silence aux abords de la fosse.
+Pas un être vivant dans ce désert.
+
+Jack Ryan pénétra sous l'appentis en ruine qui recouvrait l'orifice du
+puits. Il plongea son regard dans ce gouffre... Il ne vit rien. Il
+écouta... Il n'entendit rien.
+
+« Et ma lampe ! s'écria-t-il. Ne serait-elle donc plus à sa place ? »
+
+La lampe, dont Jack Ryan se servait pendant ses visites à la fosse,
+était ordinairement déposée dans un coin, près du palier de l'échelle
+supérieure.
+
+Cette lampe avait disparu.
+
+« Voilà une première complication ! » dit Jack Ryan, qui commença à
+devenir très inquiet.
+
+Puis, sans hésiter, tout superstitieux qu'il fût :
+
+« J'irai, dit-il, quand il devrait faire plus noir dans la fosse que
+dans le tréfonds de l'enfer ! »
+
+Et il commença à descendre la longue suite d'échelles, qui
+s'enfonçaient dans le sombre puits.
+
+Il fallait que Jack Ryan n'eût point perdu de ses anciennes habitudes
+de mineur, et qu'il connût bien la fosse Dochart, pour se hasarder
+ainsi. Il descendait prudemment d'ailleurs. Son pied tâtait chaque
+échelon, dont quelques-uns étaient vermoulus. Tout faux pas eût
+entraîné une chute mortelle, dans ce vide de quinze cents pieds. Jack
+Ryan comptait donc chacun des paliers qu'il quittait successivement
+pour atteindre un étage inférieur. Il savait que son pied ne toucherait
+la semelle de la fosse qu'après avoir dépassé le trentième. Une fois
+là, il ne serait pas gêné, pensait-il, de retrouver le cottage, bâti,
+comme on sait, à l'extrémité de la galerie principale.
+
+Jack Ryan arriva ainsi au vingt-sixième palier, et, par conséquent,
+deux cents pieds, au plus, le séparaient alors du fond.
+
+A cet endroit, il baissa la jambe pour chercher le premier échelon de
+la vingt-septième échelle. Mais sa jambe, se balançant dans le vide, ne
+trouva aucun point d'appui.
+
+Jack Ryan s'agenouilla sur le palier. Il voulut saisir avec la main
+l'extrémité de l'échelle... Ce fut en vain.
+
+Il était évident que la vingt-septième échelle ne se trouvait pas à sa
+place, et, par conséquent, qu'elle avait été retirée.
+
+« Il faut que le vieux Nick ait passé par là ! » se dit-il, non sans
+éprouver un certain sentiment d'effroi.
+
+Debout, les bras croisés, voulant toujours percer cette ombre
+impénétrable, Jack Ryan attendit. Puis, il lui vint à la pensée que, si
+lui ne pouvait descendre, les habitants de la houillère, eux, n'avaient
+pu remonter. Il n'existait plus, en effet, aucune communication entre
+le sol du comté et les profondeurs de la fosse. Si cet enlèvement des
+échelles inférieures du puits Yarow avait été pratiqué depuis sa
+dernière visite au cottage, qu'étaient devenus Simon Ford, sa femme,
+son fils et l'ingénieur ? L'absence prolongée de James Starr prouvait
+évidemment qu'il n'avait pas quitté la fosse depuis le jour où Jack
+Ryan s'était croisé avec lui dans le puits Yarow. Comment, depuis lors,
+s'était fait le ravitaillement du cottage ? Les vivres n'avaient-ils
+pas manqué à ces malheureux, emprisonnés à quinze cents pieds sous
+terre ?
+
+Toutes ces pensées traversèrent l'esprit de Jack Ryan. Il vit bien
+qu'il ne pouvait rien par lui-même pour arriver jusqu'au cottage. Y
+avait-il eu malveillance dans ce fait que les communications étaient
+interrompues ? cela ne lui paraissait pas douteux. En tout cas, les
+magistrats aviseraient, mais il fallait les prévenir au plus vite.
+
+Jack Ryan se pencha au-dessus du palier.
+
+« Harry ! Harry ! » cria-t-il de sa voix puissante.
+
+Les échos se renvoyèrent à plusieurs reprises le nom d'Harry, qui
+s'éteignit enfin dans les dernières profondeurs du puits Yarow.
+
+Jack Ryan remonta rapidement les échelles supérieures, et revit la
+lumière du jour. Il ne perdit pas un instant. Tout d'une traite, il
+regagna la gare de Callander. Il ne lui fallut attendre que quelques
+minutes le passage de l'express d'Édimbourg, et, à trois heures de
+l'après-midi, il se présentait chez le lord-prévôt de la capitale.
+
+Là, sa déclaration fut reçue. Les détails précis qu'il donna ne
+permettaient pas de soupçonner sa véracité. Sir W. Elphiston, président
+de Royal Institution, non seulement collègue, mais ami particulier de
+James Starr, fut aussitôt averti, et il demanda à diriger les
+recherches qui allaient être faites sans délai à la fosse Dochart. On
+mit à sa disposition plusieurs agents, qui se munirent de lampes, de
+pics, de longues échelles de corde, sans oublier vivres et cordiaux.
+Puis, conduits par Jack Ryan, tous prirent immédiatement le chemin des
+houillères d'Aberfoyle.
+
+Le soir même, Sir W. Elphiston, Jack Ryan et les agents arrivèrent à
+l'orifice du puits Yarow, et ils descendirent jusqu'au vingt-septième
+palier, sur lequel Jack s'était arrêté, quelques heures auparavant.
+
+Les lampes, attachées au bout de longues cordes, furent envoyées dans
+les profondeurs du puits, et l'on put alors constater que les quatre
+dernières échelles manquaient.
+
+Nul doute que toute communication entre le dedans et le dehors de la
+fosse Dochart n'eût été intentionnellement rompue.
+
+« Qu'attendons-nous, monsieur ? demanda l'impatient Jack Ryan.
+
+-- Nous attendons que ces lampes soient remontées, mon garçon, répondit
+Sir W. Elphiston. Puis, nous descendrons jusqu'au sol de la dernière
+galerie, et tu nous conduiras...
+
+-- Au cottage, s'écria Jack Ryan, et, s'il le faut, jusque dans les
+derniers abîmes de la fosse ! »
+
+Dès que les lampes eurent été retirées, les agents fixèrent au palier
+les échelles de corde, qui se déroulèrent dans le puits. Les paliers
+inférieurs subsistaient encore. On put descendre de l'un à l'autre.
+
+Cela ne se fit pas sans de grandes difficultés. Jack Ryan, le premier,
+s'était suspendu à ces échelles vacillantes, et, le premier, il
+atteignit le fond de la houillère.
+
+Sir W. Elphiston et les agents l'eurent bientôt rejoint.
+
+Le rond-point, formé par le fond du puits Yarow, était absolument
+désert, mais Sir W. Elphiston ne fut pas médiocrement surpris
+d'entendre Jack Ryan s'écrier :
+
+« Voici quelques fragments des échelles, et ce sont des fragments à
+demi brûlés !
+
+-- Brûlés ! répéta Sir W. Elphiston. En effet, voilà des cendres
+refroidies depuis longtemps !
+
+-- Pensez-vous, monsieur, demanda Jack Ryan, que l'ingénieur James
+Starr ait eu intérêt à brûler ces échelles et à interrompre toute
+communication avec le dehors ?
+
+-- Non, répondit Sir W. Elphiston, qui demeura pensif. Allons, mon
+garçon, au cottage ! C'est là que nous saurons la vérité. »
+
+Jack Ryan hocha la tête, en homme peu convaincu. Mais, prenant une
+lampe des mains d'un agent, il s'avança rapidement à travers la galerie
+principale de la fosse Dochart.
+
+Tous le suivaient.
+
+Un quart d'heure plus tard, Sir W. Elphiston et ses compagnons avaient
+atteint l'excavation au fond de laquelle était bâti le cottage de Simon
+Ford. Aucune lumière n'en éclairait les fenêtres.
+
+Jack Ryan se précipita vers la porte, qu'il repoussa vivement.
+
+Le cottage était abandonné.
+
+On visita les chambres de la sombre habitation. Nulle trace de violence
+à l'intérieur. Tout était en ordre, comme si la vieille Madge eût
+encore été là. La réserve de vivres était même abondante, et eût suffi
+pendant plusieurs jours à la famille Ford.
+
+L'absence des hôtes du cottage était donc inexplicable. Mais pouvait-on
+constater d'une manière précise à quelle époque ils l'avaient quitté ?
+-- Oui, car, dans ce milieu où ne se succédaient ni les nuits, ni les
+jours, Madge avait coutume de marquer d'une croix chaque quantième de
+son calendrier.
+
+Ce calendrier était suspendu au mur de la salle. Or, la dernière croix
+avait été faite à la date du 6 décembre, c'est-à-dire un jour après
+l'arrivée de James Starr, -- ce que Jack Ryan fut en mesure d'affirmer.
+Il était donc manifeste que depuis le 6 décembre, c'est-à-dire depuis
+dix jours, Simon Ford, sa femme, son fils et son hôte avaient quitté le
+cottage. Une nouvelle exploration de la fosse, entreprise par
+l'ingénieur, pouvait-elle donner la raison d'une si longue absence ?
+Non, évidemment.
+
+Ainsi, du moins, le pensa Sir W. Elphiston. Après avoir minutieusement
+inspecté le cottage, il fut très embarrassé sur ce qu'il convenait de
+faire.
+
+L'obscurité était profonde. L'éclat des lampes, balancées aux mains des
+agents, étoilait seulement ces impénétrables ténèbres.
+
+Soudain, Jack Ryan poussa un cri.
+
+« Là ! là ! » dit-il.
+
+Et son doigt montrait une assez vive lueur, qui s'agitait dans l'obscur
+lointain de la galerie.
+
+« Mes amis, courons sur ce feu ! répondit Sir W. Elphiston.
+
+-- Un feu de brawnie ! s'écria Jack Ryan. A quoi bon ? Nous ne
+l'atteindrons jamais ! »
+
+Le président de Royal Institution et les agents, peu enclins à la
+crédulité, s'élancèrent dans la direction indiquée par la lueur
+mouvante. Jack Ryan, prenant bravement son parti, ne resta pas le
+dernier en route.
+
+Ce fut une longue et fatigante poursuite. Le falot lumineux semblait
+porté par un être de petite taille, mais singulièrement agile. A chaque
+instant, cet être disparaissait derrière quelque remblai; puis, on le
+revoyait au fond d'une galerie transversale. De rapides crochets le
+mettaient ensuite hors de vue. Il semblait avoir définitivement
+disparu, et, soudain, la lueur de son falot jetait de nouveau un vif
+éclat. En somme, on gagnait peu sur lui, et Jack Ryan persistait à
+croire, non sans raison, qu'on ne l'atteindrait pas.
+
+Pendant une heure de cette inutile poursuite, Sir W. Elphiston et ses
+compagnons s'enfoncèrent dans la portion sud-ouest de la fosse Dochart.
+Ils en arrivaient, eux aussi, à se demander s'ils n'avaient pas affaire
+à quelque follet insaisissable.
+
+A ce moment, cependant, il sembla que la distance commençait à diminuer
+entre le follet et ceux qui cherchaient à l'atteindre. Était-ce fatigue
+de l'être quelconque qui fuyait, ou cet être voulait-il attirer Sir W.
+Elphiston et ses compagnons là où les habitants du cottage avaient
+peut-être été attirés eux-mêmes ? Il eût été malaisé de résoudre la
+question.
+
+Toutefois, les agents, voyant s'amoindrir cette distance redoublèrent
+leurs efforts. La lueur, qui avait toujours brillé à plus de deux cents
+pas en avant d'eux, se tenait maintenant à moins de cinquante. Cet
+intervalle diminua encore. Le porteur du falot devint plus visible.
+Quelquefois, lorsqu'il retournait la tête, on pouvait reconnaître le
+vague profil d'une figure humaine, et, à moins qu'un lutin n'eût pris
+cette forme, Jack Ryan était forcé de convenir qu'il ne s'agissait
+point là d'un être surnaturel.
+
+Et alors, tout en courant plus vite :
+
+« Hardi, camarades ! criait-il. Il se fatigue ! Nous l'atteindrons
+bientôt, et, s'il parle aussi bien qu'il détale, il pourra nous en dire
+long ! »
+
+Cependant, la poursuite devenait plus difficile alors. En effet, au
+milieu des dernières profondeurs de la fosse, d'étroits tunnels
+s'entrecroisaient comme les allées d'un labyrinthe. Dans ce dédale, le
+porteur du falot pouvait aisément échapper aux agents.
+
+Il lui suffisait d'éteindre sa lanterne et de se jeter de côté au fond
+de quelque refuge obscur.
+
+« Et, au fait, pensait Sir W. Elphiston, s'il veut nous échapper,
+pourquoi ne le fait-il pas ? »
+
+Cet être insaisissable ne l'avait pas fait jusqu'alors; mais, au moment
+où cette pensée traversait l'esprit de Sir W. Elphiston, la lueur
+disparut subitement, et les agents, continuant leur poursuite,
+arrivèrent presque aussitôt devant une étroite ouverture que les roches
+schisteuses laissaient entre elles, à l'extrémité d'un étroit boyau.
+
+S'y glisser, après avoir ravivé leurs lampes, s'élancer à travers cet
+orifice qui s'ouvrait devant eux, ce fut pour Sir W. Elphiston, Jack
+Ryan et leurs compagnons l'affaire d'un instant.
+
+Mais ils n'avaient pas fait cent pas dans une nouvelle galerie, plus
+large et plus haute, qu'ils s'arrêtaient soudain.
+
+Là, près de la paroi, quatre corps étaient étendus sur le sol, quatre
+cadavres peut-être !
+
+« James Starr ! dit Sir W. Elphiston.
+
+-- Harry ! Harry ! » s'écria Jack Ryan, en se précipitant sur le corps
+de son camarade.
+
+C'étaient, en effet, l'ingénieur, Madge, Simon et Harry Ford, qui
+étaient étendus là, sans mouvement.
+
+Mais, alors, l'un de ces corps se redressa, et l'on entendit la voix
+épuisée de la vieille Madge murmurer ces mots :
+
+« Eux ! eux, d'abord ! »
+
+Sir W. Elphiston, Jack Ryan, les agents, essayèrent de ranimer
+l'ingénieur et ses compagnons, en leur faisant avaler quelques gouttes
+de cordial. Ils y réussirent presque aussitôt. Ces infortunés,
+séquestrés depuis dix jours dans la Nouvelle-Aberfoyle, mouraient
+d'inanition.
+
+Et, s'ils n'avaient pas succombé pendant ce long emprisonnement --
+James Starr l'apprit à Sir W. Elphiston --, c'est que trois fois ils
+avaient trouvé près d'eux un pain et une cruche d'eau ! Sans doute,
+l'être secourable auquel ils devaient de vivre encore n'avait pas pu
+faire davantage !...
+
+Sir W. Elphiston se demanda si ce n'était pas là l'oeuvre de cet
+insaisissable follet qui venait de les attirer précisément à l'endroit
+où gisaient James Starr et ses compagnons.
+
+Quoi qu'il en soit, l'ingénieur, Madge, Simon et Harry Ford étaient
+sauvés. Ils furent reconduits au cottage, en repassant par l'étroite
+issue que le porteur du falot semblait avoir voulu indiquer à Sir W.
+Elphiston.
+
+Et si James Starr et ses compagnons n'avaient pu retrouver l'orifice de
+la galerie que leur avait ouvert la dynamite, c'est que cet orifice
+avait été solidement bouché au moyen de roches superposées, que, dans
+cette profonde obscurité, ils n'avaient pu ni reconnaître ni disjoindre.
+
+Ainsi donc, pendant qu'ils exploraient la vaste crypte, toute
+communication avait été volontairement fermée par une main ennemie
+entre l'ancienne et la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XIII
+
+ Coal-city
+
+Trois ans après les événements qui viennent d'être racontés, les Guides
+Joanne ou Murray recommandaient, « comme grande attraction », aux
+nombreux touristes qui parcouraient le comté de Stirling, une visite de
+quelques heures aux houillères de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Aucune mine, en n'importe quel pays du nouveau ou de l'ancien monde, ne
+présentait un plus curieux aspect.
+
+Tout d'abord, le visiteur était transporté sans danger ni fatigue
+jusqu'au sol de l'exploitation, à quinze cents pieds au-dessous de la
+surface du comté.
+
+En effet, à sept milles, dans le sud-ouest de Callander, un tunnel
+oblique, décoré d'une entrée monumentale, avec tourelles, créneaux et
+mâchicoulis, affleurait le sol. Ce tunnel, à pente douce, largement
+évidé, venait aboutir directement à cette crypte si singulièrement
+creusée dans le massif du sol écossais.
+
+Un double railway, dont les wagons étaient mus par une force
+hydraulique, desservait, d'heure en heure, le village qui s'était fondé
+dans le sous-sol du comté, sous le nom un peu ambitieux peut-être de «
+Coal-city », c'est-à-dire la Cité du Charbon.
+
+Le visiteur, arrivé à Coal-city, se trouvait dans un milieu où
+l'électricité jouait un rôle de premier ordre, comme agent de chaleur
+et de lumière.
+
+En effet, les puits d'aération, quoiqu'ils fussent nombreux, n'auraient
+pas pu mêler assez de jour à l'obscurité profonde de la
+Nouvelle-Aberfoyle. Cependant, une lumière intense emplissait ce sombre
+milieu, où de nombreux disques électriques remplaçaient le disque
+solaire. Suspendus sous l'intrados des voûtes, accrochés aux piliers
+naturels, tous alimentés par des courants continus que produisaient des
+machines électromagnétiques -- les uns soleils, les autres étoiles -,
+ils éclairaient largement ce domaine. Lorsque l'heure du repos
+arrivait, un interrupteur suffisait à produire artificiellement la nuit
+dans ces profonds abîmes de la houillère.
+
+Tous ces appareils, grands ou petits, fonctionnaient dans le vide,
+c'est-à-dire que leurs arcs lumineux ne communiquaient aucunement avec
+l'air ambiant. Si bien que, pour le cas où l'atmosphère eût été
+mélangée de grisou dans une proportion détonante, aucune explosion
+n'eût été à craindre. Aussi l'agent électrique était-il invariablement
+employé à tous les besoins de la vie industrielle et de la vie
+domestique, aussi bien dans les maisons de Coal-city que dans les
+galeries exploitées de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Il faut dire, avant tout, que les prévisions de l'ingénieur James Starr
+-- en ce qui concernait l'exploitation de la nouvelle houillère --
+n'avaient point été déçues. La richesse des filons carbonifères était
+incalculable. C'était dans l'ouest de la crypte, à un quart de mille de
+Coal-city, que les premières veines avaient été attaquées par le pic
+des mineurs. La cité ouvrière n'occupait donc pas le centre de
+l'exploitation. Les travaux du fond étaient directement reliés aux
+travaux du jour par les puits d'aération et d'extraction, qui mettaient
+les divers étages de la mine en communication avec le sol. Le grand
+tunnel, où fonctionnait le railway à traction hydraulique, ne servait
+qu'au transport des habitants de Coal-city.
+
+On se rappelle quelle était la singulière conformation de cette vaste
+caverne, où le vieil overman et ses compagnons s'étaient arrêtés
+pendant leur première exploration. Là, au-dessus de leur tête,
+s'arrondissait un dôme de courbure ogivale. Les piliers qui le
+soutenaient allaient se perdre dans la voûte de schiste, à une hauteur
+de trois cents pieds, -- hauteur presque égale à celle du «
+Mammouth-Dôme », des grottes du Kentucky.
+
+On sait que cette énorme halle -- la plus grande de tout l'hypogée
+américain -- peut aisément contenir cinq mille personnes. Dans cette
+partie de la Nouvelle-Aberfoyle, c'était même proportion et aussi même
+disposition. Mais, au lieu des admirables stalactites de la célèbre
+grotte, le regard s'accrochait ici à des intumescences de filons
+carbonifères, qui semblaient jaillir de toutes les parois sous la
+pression des failles schisteuses. On eût dit des rondes-bosses de jais
+dont les paillettes s'allumaient sous le rayonnement des disques.
+
+Au-dessous de ce dôme s'étendait un lac comparable pour son étendue à
+la mer Morte des « Mammouth-Caves », -- lac profond dont les eaux
+transparentes fourmillaient de poissons sans yeux, et auquel
+l'ingénieur donna le nom de lac Malcolm.
+
+C'était là, dans cette immense excavation naturelle, que Simon Ford
+avait bâti son nouveau cottage, et il ne l'eût pas échangé pour le plus
+bel hôtel de Princes-street, à Édimbourg. Cette habitation était située
+au bord du lac, et ses cinq fenêtres s'ouvraient sur les eaux sombres,
+qui s'étendaient au-delà de la limite du regard.
+
+Deux mois après, une seconde habitation s'était élevée dans le
+voisinage du cottage de Simon Ford. Ce fut celle de James Starr.
+L'ingénieur s'était donné corps et âme à la Nouvelle-Aberfoyle. Il
+avait, lui aussi, voulu l'habiter, et il fallait que ses affaires l'y
+obligeassent impérieusement pour qu'il consentît à remonter au dehors.
+Là, en effet, il vivait au milieu de son monde de mineurs.
+
+Depuis la découverte des nouveaux gisements, tous les ouvriers de
+l'ancienne houillère s'étaient hâtés d'abandonner la charme et la herse
+pour reprendre le pic ou la pioche. Attirés par la certitude que le
+travail ne leur manquerait jamais, alléchés par les hauts prix que la
+prospérité de l'exploitation allait permettre d'affecter à la
+main-d'oeuvre, ils avaient abandonné le dessus du sol pour le
+dessous, et s'étaient logés dans la houillère, qui, par sa disposition
+naturelle, se prêtait à cette installation.
+
+Ces maisons de mineurs, construites en briques, s'étaient peu à peu
+disposées d'une façon pittoresque, les unes sur les rives du lac
+Malcolm, les autres sous ces arceaux, qui semblaient faits pour
+résister à la poussée des voûtes comme les contreforts d'une
+cathédrale. Piqueurs qui abattent la roche, rouleurs qui transportent
+le charbon, conducteurs de travaux, boiseurs qui étançonnent les
+galeries, cantonniers auxquels est confiée la réparation des voies,
+remblayeurs qui substituent la pierre à la houille dans les parties
+exploitées, tous ces ouvriers enfin, qui sont plus spécialement
+employés aux travaux du fond, fixèrent leur domicile dans la
+Nouvelle-Aberfoyle et fondèrent peu à peu Coal-city, située sous la
+pointe orientale du lac Katrine, dans le nord du comté de Stirling.
+
+C'était donc une sorte de village flamand, qui s'était élevé sur les
+bords du lac Malcolm. Une chapelle, érigée sous l'invocation de
+Saint-Gilles, dominait tout cet ensemble du haut d'un énorme rocher,
+dont le pied se baignait dans les eaux de cette mer subterranéenne.
+
+Lorsque ce bourg souterrain s'éclairait des vifs rayons projetés par
+les disques, suspendus aux piliers du dôme ou aux arceaux des
+contre-nefs, il se présentait sous un aspect quelque peu fantastique,
+d'un effet étrange, qui justifiait la recommandation des Guides Murray
+ou Joanne. C'est pourquoi les visiteurs affluaient.
+
+Si les habitants de Coal-city se montraient fiers de leur installation,
+cela va sans dire. Aussi ne quittaient-ils que rarement la cité
+ouvrière, imitant en cela Simon Ford, qui, lui, n'en voulait jamais
+sortir. Le vieil overman prétendait qu'il pleuvait toujours « là-haut
+», et, étant donné le climat du Royaume-Uni, il faut convenir qu'il
+n'avait pas absolument tort. Les familles de la Nouvelle-Aberfoyle
+prospéraient donc. Depuis trois ans, elles étaient arrivées à une
+certaine aisance, qu'elles n'eussent jamais obtenue à la surface du
+comté. Bien des bébés, qui étaient nés à l'époque où les travaux furent
+repris, n'avaient encore jamais respiré l'air extérieur.
+
+Ce qui faisait dire à Jack Ryan :
+
+« Voilà dix-huit mois qu'ils ont cessé de téter leurs mères, et,
+pourtant, ils n'ont pas encore vu le jour ! » Il faut noter, à ce
+propos, qu'un des premiers accourus à l'appel de l'ingénieur avait été
+Jack Ryan. Ce joyeux compagnon s'était fait un devoir de reprendre son
+ancien métier. La ferme de Melrose avait donc perdu son chanteur et son
+piper ordinaire. Mais ce n'est pas dire que Jack Ryan ne chantait plus.
+Au contraire, et les échos sonores de la Nouvelle-Aberfoyle usaient
+leurs poumons de pierre à lui répondre.
+
+Jack Ryan s'était installé au nouveau cottage de Simon Ford. On lui
+avait offert une chambre qu'il avait acceptée sans façon, en homme
+simple et franc qu'il était. La vieille Madge l'aimait pour son bon
+caractère et sa belle humeur. Elle partageait tant soit peu ses idées
+au sujet des êtres fantastiques qui devaient hanter la houillère, et,
+tous deux, quand ils étaient seuls, se racontaient des histoires à
+faire frémir, histoires bien dignes d'enrichir la mythologie
+hyperboréenne.
+
+Jack Ryan devint ainsi la joie du cottage. C'était, d'ailleurs, un bon
+sujet, un solide ouvrier. Six mois après la reprise des travaux, il
+était chef d'une brigade des travaux du fond.
+
+« Voilà qui est bien travaillé, monsieur Ford, disait-il, quelques
+jours après son installation. vous avez trouvé un nouveau filon, et, si
+vous avez failli payer de votre vie cette découverte, eh bien, ce n'est
+pas trop cher !
+
+-- Non, Jack, c'est même un bon marché que nous avons fait là !
+répondit le vieil overman. Mais ni M. Starr, ni moi, nous n'oublierons
+que c'est à toi que nous devons la vie !
+
+-- Mais non, reprit Jack Ryan. C'est à votre fils Harry, puisqu'il a eu
+la bonne pensée d'accepter mon invitation pour la fête d'Irvine...
+
+-- Et de n'y point aller, n'est-ce pas ? répliqua Harry, en serrant la
+main de son camarade. Non, Jack, c'est à toi, à peine remis de tes
+blessures, à toi, qui n'as perdu ni un jour, ni une heure, que nous
+devons d'avoir été retrouvés vivants dans la houillère !
+
+-- Eh bien, non ! riposta l'entêté garçon. Je ne laisserai pas dire des
+choses qui ne sont point ! J'ai pu faire diligence pour savoir ce que
+tu étais devenu, Harry, et voilà tout. Mais, afin de rendre à chacun ce
+qui lui est dû, j'ajouterai que sans cet insaisissable lutin...
+
+-- Ah ! nous y voilà ! s'écria Simon Ford. Un lutin !
+
+-- Un lutin, un brawnie, un fils de fée, répéta Jack Ryan, un
+petit-fils des Dames de feu, un Urisk, ce que vous voudrez enfin ! Il
+n'en est pas moins certain que, sans lui, nous n'aurions jamais pénétré
+dans la galerie, d'où vous ne pouviez plus sortir !
+
+-- Sans doute, Jack, répondit Harry. Il reste à savoir si cet être est
+aussi surnaturel que tu veux le croire.
+
+-- Surnaturel ! s'écria Jack Ryan. Mais il est aussi surnaturel qu'un
+follet, qu'on verrait courir son falot à la main, qu'on voudrait
+attraper, qui vous échapperait comme un sylphe, qui s'évanouirait comme
+une ombre ! Sois tranquille, Harry, on le reverra un jour ou l'autre !
+
+-- Eh bien, Jack, dit Simon Ford, follet ou non, nous chercherons à le
+retrouver, et il faudra que tu nous aides à cela.
+
+-- Vous vous ferez là une mauvaise affaire, monsieur Ford ! répondit
+Jack Ryan.
+
+-- Bon ! laisse venir, Jack ! »
+
+On se figure aisément combien ce domaine de la Nouvelle Aberfoyle
+devint bientôt familier aux membres de la famille Ford, et plus
+particulièrement à Harry. Celui-ci apprit à en connaître les plus
+secrets détours. Il en arriva même à pouvoir dire à quel point de la
+surface du sol correspondait tel ou tel point de la houillère. Il
+savait qu'au-dessus de cette couche se développait le golfe de Clyde,
+que là s'étendait le lac Lomond ou le lac Katrine. Ces piliers, c'était
+un contrefort des monts Grampians qu'ils supportaient. Cette voûte,
+elle servait de soubassement à Dumbarton. Au-dessus de ce large étang
+passait le railway de Balloch. Là finissait le littoral écossais. Là
+commençait la mer, dont on entendait distinctement les fracas, pendant
+les grandes tourmentes de l'équinoxe. Harry eût été un merveilleux «
+leader » de ces catacombes naturelles, et, ce que font les guides des
+Alpes sur les sommets neigeux, en pleine lumière, il l'eût fait dans la
+houillère, en pleine ombre, avec une incomparable sûreté d'instinct.
+
+Aussi l'aimait-il, cette Nouvelle-Aberfoyle ! Que de fois, sa lampe au
+chapeau, il s'aventurait jusque dans ses plus extrêmes profondeurs ! Il
+explorait ses étangs sur un canot qu'il manoeuvrait adroitement.
+Il chassait même, car de nombreux oiseaux sauvages s'étaient introduits
+dans la crypte, pilets, bécassines, macreuses, qui se nourrissaient des
+poissons dont fourmillaient ces eaux noires. Il semblait que les yeux
+d'Harry fussent faits aux espaces sombres, comme les yeux d'un marin
+aux horizons éloignés.
+
+Mais, courant ainsi, Harry était comme irrésistiblement entraîné par
+l'espoir de retrouver l'être mystérieux, dont l'intervention, pour dire
+le vrai, l'avait sauvé plus que toute autre, et les siens avec lui.
+Réussirait-il ? Oui, à n'en pas douter, s'il en croyait ses
+pressentiments. Non, s'il fallait conclure du peu de succès que ses
+recherches avaient obtenu jusqu'alors.
+
+Quant aux attaques dirigées contre la famille du vieil overman, avant
+la découverte de la Nouvelle-Aberfoyle, elles ne s'étaient pas
+renouvelées.
+
+Ainsi allaient les choses dans cet étrange domaine.
+
+Il ne faudrait pas s'imaginer que, même à l'époque où les linéaments de
+Coal-city se dessinaient à peine, toute distraction fût écartée de la
+souterraine cité, et que l'existence y fût monotone.
+
+Il n'en était rien. Cette population, ayant mêmes intérêts, mêmes
+goûts, à peu près même somme d'aisance, constituait, à vrai dire, une
+grande famille. On se connaissait, on se coudoyait, et le besoin
+d'aller chercher quelques plaisirs au-dehors se faisait peu sentir.
+
+D'ailleurs, chaque dimanche, promenades dans la houillère, excursions
+sur les lacs et les étangs, c'étaient autant d'agréables distractions.
+
+Souvent aussi, on entendait les sons de la cornemuse retentir sur les
+bords du lac Malcolm. Les Écossais accouraient à l'appel de leur
+instrument national. On dansait, et ce jour-là, Jack Ryan, revêtu de
+son costume de Highlander, était le roi de la fête.
+
+Enfin, de tout cela il résultait, au dire de Simon Ford, que Coal-city
+pouvait déjà se poser en rivale de la capitale de l'Écosse, de cette
+cité soumise aux froids de l'hiver, aux chaleurs de l'été, aux
+intempéries d'un climat détestable, et qui, dans une atmosphère
+encrassée de la fumée de ses usines, justifiait trop justement son
+surnom de « Vieille-Enfumée ».
+
+ XIV
+
+ Suspendu à un fil
+
+Dans de telles conditions, ses plus chers désirs satisfaits, la famille
+de Simon Ford était heureuse. Cependant, on eût pu observer qu'Harry,
+déjà d'un caractère un peu sombre, était de plus en plus « en dedans »,
+comme disait Madge. Jack Ryan, malgré sa bonne humeur si communicative,
+ne parvenait pas à le mettre « en dehors ».
+
+Un dimanche -- c'était au mois de juin --, les deux amis se promenaient
+sur les bords du lac Malcolm. Coal-city chômait. A l'extérieur, le
+temps était orageux. De violentes pluies faisaient sortir de la terre
+une buée chaude. On ne respirait pas à la surface du comté.
+
+Au contraire, à Coal-city, calme absolu, température douce, ni pluie ni
+vent. Rien n'y transpirait de la lutte des éléments du dehors. Aussi,
+un certain nombre de promeneurs de Stirling et des environs étaient-ils
+venus chercher un peu de fraîcheur dans les profondeurs de la houillère.
+
+Les disques électriques jetaient un éclat qu'eût certainement envié le
+soleil britannique, plus embrumé qu'il ne convient à un soleil des
+dimanches.
+
+Jack Ryan faisait remarquer ce tumultueux concours de visiteurs à son
+camarade Harry. Mais celui-ci ne semblait prêter à ses paroles qu'une
+médiocre attention.
+
+« Regarde donc, Harry ! s'écriait Jack Ryan. Quel empressement à venir
+nous voir. ! Allons, mon camarade ! Chasse un peu tes idées tristes
+pour mieux faire les honneurs de notre domaine ! Tu donnerais à penser,
+à tous ces gens du dessus, que l'on peut envier leur sort !
+
+-- Jack, répondit Harry, ne t'occupe pas de moi ! Tu es gai pour deux,
+et cela suffit !
+
+-- Que le vieux Nick m'emporte ! riposta Jack Ryan, si ta mélancolie ne
+finit pas par déteindre sur moi ! Mes yeux se rembrunissent, mes lèvres
+se resserrent, le rire me reste au fond du gosier, la mémoire des
+chansons m'abandonne ! voyons, Harry, qu'as-tu ?
+
+-- Tu le sais, Jack.
+
+-- Toujours cette pensée ?...
+
+-- Toujours.
+
+-- Ah ! mon pauvre Harry ! répondit Jack Ryan en haussant les épaules,
+si, comme moi, tu mettais tout cela sur le compte des lutins de la
+mine, tu aurais l'esprit plus tranquille !
+
+-- Tu sais bien, Jack, que les lutins n'existent que dans ton
+imagination, et que, depuis la reprise des travaux, on n'en a pas revu
+un seul dans la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+-- Soit, Harry ! mais, si les brawnies ne se montrent plus, il me
+semble que ceux auxquels tu veux rapporter toutes ces choses
+extraordinaires ne se montrent pas davantage !
+
+-- Je les retrouverai, Jack !
+
+-- Ah ! Harry ! Harry ! Les génies de la Nouvelle-Aberfoyle ne sont pas
+faciles à surprendre !
+
+-- Je les retrouverai, tes prétendus génies ! reprit Harry avec
+l'accent de la plus énergique conviction.
+
+-- Ainsi, tu prétends punir ?...
+
+-- Punir et récompenser, Jack. Si une main nous a emprisonnés dans
+cette galerie, je n'oublie pas qu'une autre main nous a secourus ! Non
+! je ne l'oublie pas !
+
+-- Eh ! Harry ! répondit Jack Ryan, es-tu bien sûr que ces deux
+mains-là n'appartiennent pas au même corps ?
+
+-- Pourquoi, Jack ? D'où peut te venir cette idée ?
+
+-- Dame... tu sais... Harry ! Ces êtres, qui vivent dans les abîmes...
+ne sont pas faits comme nous !
+
+-- Ils sont faits comme nous, Jack !
+
+-- Eh non ! Harry... non... D'ailleurs, ne peut-on supposer que quelque
+fou est parvenu à s'introduire...
+
+-- Un fou ! répondit Harry ! Un fou qui aurait une telle suite dans les
+idées ! Un fou, ce malfaiteur qui, depuis le jour où il a rompu les
+échelles du puits Yarow, n'a cessé de nous faire du mal !
+
+-- Mais il n'en fait plus, Harry. Depuis trois ans, aucun acte
+malveillant n'a été renouvelé ni contre toi, ni contre les tiens !
+
+-- Il n'importe, Jack, répondit Harry. J'ai le pressentiment que cet
+être mauvais, quel qu'il soit, n'a pas renoncé à ses projets. Sur quoi
+je me fonde pour te parler ainsi, je ne pourrais le dire. Aussi, Jack,
+dans l'intérêt de la nouvelle exploitation, je veux savoir qui il est
+et d'où il vient.
+
+-- Dans l'intérêt de la nouvelle exploitation ?... demanda Jack Ryan,
+assez étonné.
+
+-- Oui, Jack, reprit Harry. Je ne sais si je m'abuse, mais je vois dans
+toute cette affaire un intérêt contraire au nôtre. J'y ai souvent
+songé, et je ne crois pas me tromper. Rappelle-toi la série de ces
+faits inexplicables, qui s'enchaînent logiquement l'un à l'autre. Cette
+lettre anonyme, contradictoire de celle de mon père, prouve, tout
+d'abord, qu'un homme a eu connaissance de nos projets et qu'il a voulu
+en empêcher l'accomplissement. M. Starr vient nous rendre visite à la
+fosse Dochart. A peine l'y ai-je introduit, qu'une énorme pierre est
+lancée sur nous, et que toute communication est aussitôt interrompue
+par la rupture des échelles du puits Yarow. Notre exploration commence.
+Une expérience, qui doit révéler l'existence du nouveau gisement, est
+alors rendue impossible par l'obturation des fissures du schiste.
+Néanmoins, la constatation s'opère, le filon est trouvé. Nous revenons
+sur nos pas. Un grand souffle se produit dans l'air. Notre lampe est
+brisée. L'obscurité se fait autour de nous. Nous parvenons, cependant,
+à suivre la sombre galerie... Plus d'issue pour en sortir. L'orifice
+était bouché. Nous étions séquestrés. Eh bien, Jack, ne vois-tu pas
+dans tout cela une pensée criminelle ? Oui ! un être, insaisissable
+jusqu'ici, mais non pas surnaturel, comme tu persistes à le croire,
+était caché dans la houillère. Dans un intérêt que je ne puis
+comprendre, il cherchait à nous en interdire l'accès. Il y était !...
+Un pressentiment me dit qu'il y est encore, et qui sait s'il ne prépare
+pas quelque coup terrible ! -- Eh bien, Jack, dussé-je y risquer ma
+vie, je le découvrirai ! »
+
+Harry avait parlé avec une conviction qui ébranla sérieusement son
+camarade.
+
+Jack Ryan sentait bien qu'Harry avait raison, -- au moins pour le
+passé. Que ces faits extraordinaires eussent une cause naturelle ou
+surnaturelle, ils n'en étaient pas moins patents.
+
+Cependant, le brave garçon ne renonçait pas à sa manière d'expliquer
+ces événements. Mais, comprenant qu'Harry n'admettrait jamais
+l'intervention d'un génie mystérieux, il se rabattit sur l'incident qui
+semblait inconciliable avec le sentiment de malveillance dirigée contre
+la famille Ford.
+
+« Eh bien, Harry, dit-il, si je suis obligé de te donner raison sur un
+certain nombre de points, ne penseras-tu pas avec moi que quelque
+bienfaisant brawnie, en vous apportant le pain et l'eau, a pu vous
+sauver de...
+
+-- Jack, répondit Harry en l'interrompant, l'être secourable dont tu
+veux faire un être surnaturel existe aussi réellement que le malfaiteur
+en question, et, tous deux, je les chercherai jusque dans les plus
+lointaines profondeurs de la houillère.
+
+-- Mais as-tu quelque indice qui puisse guider tes recherches ? demanda
+Jack Ryan.
+
+-- Peut-être, répondit Harry. Écoute-moi bien. A cinq milles dans
+l'ouest de la Nouvelle-Aberfoyle, sous la portion du massif qui
+supporte le Lomond, il existe un puits naturel qui s'enfonce
+perpendiculairement dans les entrailles mêmes du gisement. Il y a huit
+jours, j'ai voulu en sonder la profondeur. Or, pendant que ma sonde
+descendait, alors que j'étais penché sur l'orifice de ce puits, il m'a
+semblé que l'air s'agitait à l'intérieur, comme s'il eût été battu de
+grands coups d'ailes.
+
+-- C'était quelque oiseau égaré dans les galeries inférieures de la
+houillère, répondit Jack.
+
+-- Ce n'est pas tout, Jack, reprit Harry. Ce matin même, je suis
+retourné à ce puits, et là, prêtant l'oreille, j'ai cru surprendre
+comme une sorte de gémissement...
+
+-- Un gémissement ! s'écria Jack. Tu t'es trompé, Harry ! C'est une
+poussée d'air.., à moins qu'un lutin...
+
+-- Demain, Jack, reprit Harry, je saurai à quoi m'en tenir.
+
+-- Demain ? répondit Jack en regardant son camarade.
+
+-- Oui ! Demain, je descendrai dans cet abîme.
+
+-- Harry, c'est tenter Dieu, cela !
+
+-- Non, Jack, car j'implorerai son aide pour y descendre. Demain, nous
+nous rendrons tous deux à ce puits avec quelques-uns de nos camarades.
+Une longue corde, à laquelle je m'attacherai, vous permettra de me
+descendre et de me retirer à un signal convenu. -- Je puis compter sur
+toi, Jack ?
+
+-- Harry, répondit Jack Ryan en hochant la tête, je ferai ce que tu me
+demandes, et cependant, je te le répète, tu as tort.
+
+-- Mieux vaut avoir tort de faire que remords de n'avoir pas fait, dit
+Harry d'un ton décidé. Donc, demain matin, à six heures, et silence !
+Adieu, Jack ! »
+
+Et, pour ne pas continuer une conversation dans laquelle Jack Ryan eût
+encore essayé de combattre ses projets, Harry quitta brusquement son
+camarade et rentra au cottage.
+
+Il faut, cependant, convenir que les appréhensions de Jack n'étaient
+point exagérées. Si quelque ennemi personnel menaçait Harry, s'il se
+trouvait au fond de ce puits où le jeune mineur allait le chercher,
+Harry s'exposait. Cependant, quelle vraisemblance d'admettre qu'il en
+fût ainsi ?
+
+« Et, au surplus, répétait Jack Ryan, pourquoi se donner tant de mal
+pour expliquer une série de faits, qui s'expliquaient si aisément par
+une intervention surnaturelle des génies de la mine ? »
+
+Quoi qu'il en soit, le lendemain, Jack Ryan et trois mineurs de sa
+brigade arrivaient en compagnie d'Harry à l'orifice du puits suspect.
+
+Harry n'avait rien dit de son projet, ni à James Starr, ni au vieil
+overman. De son côté, Jack Ryan avait été assez discret pour ne point
+parler. Les autres mineurs, en les voyant partir, avaient pensé qu'il
+ne s'agissait là que d'une simple exploration du gisement suivant sa
+coupe verticale.
+
+Harry s'était muni d'une longue corde, mesurant deux cents pieds. Cette
+corde n'était pas grosse, mais elle était solide. Harry ne devant ni
+descendre ni remonter à la force des poignets, il suffisait que la
+corde fût assez forte pour supporter son poids. C'était à ses
+compagnons qu'incomberait la tâche de le laisser glisser dans le
+gouffre, à eux de l'en retirer. Une secousse, imprimée à la corde,
+servirait de signal entre eux et lui.
+
+Le puits était assez large, ayant douze pieds de diamètre à son
+orifice. Une poutre fut placée en travers, comme un pont, de manière
+que la corde, en glissant à sa surface, pût se maintenir dans l'axe du
+puits. Précaution indispensable à prendre pour qu'Harry ne fût pas
+heurté, pendant la descente, aux parois latérales.
+
+Harry était prêt.
+
+« Tu persistes dans ton projet d'explorer cet abîme ? lui demanda Jack
+Ryan à voix basse.
+
+-- Oui, Jack », répondit Harry.
+
+La corde fut d'abord attachée autour des reins d'Harry, puis sous ses
+aisselles, afin que son corps ne pût basculer.
+
+Ainsi maintenu, Harry était libre de ses deux mains. A sa ceinture, il
+suspendit une lampe de sûreté, à son côté, un de ces larges couteaux
+écossais qui sont engainés dans un fourreau de cuir.
+
+Harry s'avança jusqu'au milieu de la poutre, autour de laquelle la
+corde fut passée.
+
+Puis, ses compagnons le laissant glisser, il s'enfonça lentement dans
+le puits. Comme la corde subissait un léger mouvement de rotation, la
+lueur de sa lampe se portait successivement sur chaque point des
+parois, et Harry put les examiner avec soin.
+
+Ces parois étaient faites de schiste houiller. Elles étaient assez
+lisses pour qu'il fût impossible de se hisser à leur surface.
+
+Harry calcula qu'il descendait avec une vitesse modérée, environ un
+pied par seconde. Il avait donc possibilité de bien voir, facilité de
+se tenir prêt à tout événement.
+
+Au bout de deux minutes, c'est-à-dire à une profondeur de cent vingt
+pieds à peu près, la descente s'était opérée sans incident. Il
+n'existait aucune galerie latérale dans la paroi du puits, lequel
+s'étranglait peu à peu, en forme d'entonnoir. Mais Harry commençait à
+sentir un air plus frais, qui venait d'en bas, -- d'où il conclut que
+l'extrémité inférieure du puits communiquait avec quelque boyau de
+l'étage inférieur de la crypte.
+
+La corde glissait toujours. L'obscurité était absolue. Le silence,
+absolu aussi. Si un être vivant, quel qu'il fût, avait cherché refuge
+dans ce mystérieux et profond abîme, ou il n'y était pas alors, ou
+aucun mouvement ne trahissait sa présence.
+
+Harry, plus défiant à mesure qu'il descendait, avait tiré le couteau de
+sa gaine, et il le tenait de sa main droite.
+
+A une profondeur de cent quatre-vingts pieds, Harry sentit qu'il avait
+atteint le sol inférieur, car la corde mollit et ne se déroula plus.
+Harry respira un instant. Une des craintes qu'il avait pu concevoir ne
+s'était pas réalisée, c'est-à-dire que, pendant sa descente, la corde
+ne fût coupée au-dessus de lui. Il n'avait, d'ailleurs, remarqué aucune
+anfractuosité dans les parois qui pût receler un être quelconque.
+
+L'extrémité inférieure du puits était fort rétrécie.
+
+Harry, détachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne
+s'était pas trompé dans ses conjectures.
+
+Un étroit boyau s'enfonçait latéralement dans l'étage inférieur du
+gisement. Il eût fallu se courber pour y pénétrer, et se traîner sur
+les mains pour le suivre.
+
+Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si
+elle aboutissait à quelque abîme.
+
+Il se coucha sur le sol et commença à ramper. Mais un obstacle l'arrêta
+presque aussitôt.
+
+Il crut sentir au toucher que cet obstacle était un corps qui obstruait
+le passage.
+
+Harry recula, d'abord, par un vif sentiment de répulsion, puis il
+revint.
+
+Ses sens ne l'avaient pas trompé. Ce qui l'avait arrêté, c'était, en
+effet, un corps. Il le saisit, et se rendit compte que, glacé aux
+extrémités, il n'était pas encore refroidi tout à fait.
+
+L'attirer à soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la
+lumière de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu'il ne faut à le
+dire.
+
+« Un enfant ! » s'écria Harry.
+
+L'enfant, retrouvé au fond de cet abîme, respirait encore, mais son
+souffle était si faible qu'Harry put croire qu'il allait cesser. Il
+fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite
+créature à l'orifice du puits, et la conduire au cottage, où Madge lui
+prodiguerait ses soins.
+
+Harry, oubliant toute autre préoccupation, rajusta la corde à sa
+ceinture, y attacha sa lampe, prit l'enfant qu'il soutint de son bras
+gauche contre sa poitrine, et, gardant son bras droit libre et armé, il
+fit le signal convenu, afin que la corde fût halée doucement.
+
+La corde se tendit, et la remontée commença à s'opérer régulièrement.
+
+Harry regardait autour de lui avec un redoublement d'attention. Il
+n'était plus seul exposé, maintenant.
+
+Tout alla bien pendant les premières minutes de l'ascension, aucun
+incident ne semblait devoir survenir, lorsque Harry crut entendre un
+souffle puissant qui déplaçait les couches d'air dans les profondeurs
+du puits. Il regarda au-dessous de lui et aperçut, dans la pénombre,
+une masse, qui, s'élevant peu à peu, le frôla en passant.
+
+C'était un énorme oiseau, dont il ne put reconnaître l'espèce, et qui
+montait à grands coups d'ailes.
+
+Le monstrueux volatile s'arrêta, plana un instant, puis fondit sur
+Harry avec un acharnement féroce.
+
+Harry n'avait que son bras droit dont il pût faire usage pour parer les
+coups du formidable bec de l'animal.
+
+Harry se défendit donc, tout en protégeant l'enfant du mieux qu'il put.
+Mais ce n'était pas à l'enfant, c'était à lui que l'oiseau s'attaquait.
+Gêné par la rotation de la corde, il ne parvenait pas à le frapper
+mortellement.
+
+La lutte se prolongeait. Harry cria de toute la force de ses poumons,
+espérant que ses cris seraient entendus d'en haut.
+
+C'est ce qui arriva, car la corde fut aussitôt halée plus vite.
+
+Il restait encore une hauteur de quatre-vingts pieds à franchir.
+L'oiseau se jeta plus violemment alors sur Harry. Celui-ci, d'un coup
+de son couteau, le blessa à l'aile; l'oiseau, poussant un cri rauque,
+disparut dans les profondeurs du puits.
+
+Mais, circonstance terrible, Harry, en brandissant son couteau pour
+frapper l'oiseau, avait entamé la corde, dont un toron était maintenant
+coupé.
+
+Les cheveux d'Harry se dressèrent sur sa tête.
+
+La corde cédait peu à peu, à plus de cent pieds au-dessus du fond de
+l'abîme !...
+
+Harry poussa un cri désespéré.
+
+Un second toron manqua sous le double fardeau que supportait la corde à
+demi tranchée.
+
+Harry lâcha son couteau, et, par un effort surhumain, au moment où la
+corde allait se rompre, il parvint à la saisir de la main droite
+au-dessus de la section. Mais, bien que son poignet fût de fer, il
+sentit la corde glisser peu à peu entre ses doigts.
+
+Il aurait pu ressaisir cette corde à deux mains, en sacrifiant l'enfant
+qu'il soutenait d'un bras... Il n'y voulut même pas penser.
+
+Cependant, Jack Ryan et ses compagnons, surexcités par les cris
+d'Harry, halaient plus vivement.
+
+Harry crut qu'il ne pourrait tenir bon jusqu'à ce qu'il fût remonté à
+l'orifice du puits. Sa face s'injecta. Il ferma un instant les yeux,
+s'attendant à tomber dans l'abîme, puis il les rouvrit...
+
+Mais, au moment où il allait lâcher la corde, qu'il ne tenait plus que
+par son extrémité, il fut saisi et déposé sur le sol avec l'enfant.
+
+La réaction se fit alors, et Harry tomba sans connaissance entre les
+bras de ses camarades.
+
+ XV
+
+ Nell au cottage
+
+Deux heures après, Harry, qui n'avait pas aussitôt recouvré ses sens,
+et l'enfant, dont la faiblesse était extrême, arrivaient au cottage
+avec l'aide de Jack Ryan et de ses compagnons.
+
+Là, le récit de ces événements fut fait au vieil overman, et Madge
+prodigua ses soins à la pauvre créature, que son fils venait de sauver.
+
+Harry avait cru retirer un enfant de l'abîme... C'était une jeune fille
+de quinze à seize ans, au plus. Son regard vague et plein d'étonnement,
+sa figure maigre, allongée par la souffrance, son teint de blonde que
+la lumière ne semblait avoir jamais baigné, sa taille frêle et petite,
+tout en faisait un être à la fois bizarre et charmant. Jack Ryan, avec
+quelque raison, la compara à un farfadet d'aspect un peu surnaturel.
+Était-ce dû aux circonstances particulières, au milieu exceptionnel
+dans lequel cette jeune fille avait peut-être vécu jusqu'alors, mais
+elle paraissait n'appartenir qu'à demi à l'humanité. Sa physionomie
+était étrange. Ses yeux, que l'éclat des lampes du cottage semblait
+fatiguer, regardaient confusément, comme si tout eût été nouveau pour
+eux.
+
+A cet être singulier, alors déposé sur le lit de Madge et qui revint à
+la vie comme s'il sortait d'un long sommeil, la vieille Écossaise
+adressa d'abord la parole :
+
+« Comment te nommes-tu ? lui demanda-t-elle.
+
+-- Nell, répondit la jeune fille.
+
+-- Nell, reprit Madge, souffres-tu ?
+
+-- J'ai faim, répondit Nell. Je n'ai pas mangé depuis... depuis... »
+
+A ce peu de mots qu'elle venait de prononcer, on sentait que Nell
+n'était pas habituée à parler. La langue dont elle se servait était ce
+vieux gaélique, dont Simon Ford et les siens faisaient souvent usage.
+
+Sur la réponse de la jeune fille, Madge lui apporta aussitôt quelques
+aliments. Nell se mourait de faim. Depuis quand était elle au fond de
+ce puits ? on ne pouvait le dire.
+
+« Combien de jours as-tu passés là-bas, ma fille ? » demanda Madge.
+
+Nell ne répondit pas. Elle ne semblait pas comprendre la question qui
+lui était faite.
+
+« Depuis combien de jours ?... reprit Madge.
+
+-- Jours ?... » répondit Nell, pour qui ce mot semblait être dépourvu
+de toute signification.
+
+Puis, elle secoua la tête comme une personne qui ne comprend pas ce
+qu'on lui demande.
+
+Madge avait pris la main de Nell et la caressait pour lui donner toute
+confiance :.
+
+« Quel âge as-tu, ma fille ? » demanda-t-elle, en lui faisant de bons
+yeux, bien rassurants.
+
+Même signe négatif de Nell.
+
+« Oui, oui, reprit Madge, combien d'années ?
+
+-- Années ?... » répondit Nell.
+
+Et ce mot, pas plus que le mot « jour », ne parut avoir de
+signification pour la jeune fille.
+
+Simon Ford, Harry, Jack Ryan et ses compagnons la regardaient avec un
+double sentiment de pitié et de sympathie. L'état de ce pauvre être,
+vêtu d'une misérable cotte de grosse étoffe, était bien fait pour les
+impressionner.
+
+Harry, plus que tout autre, se sentait irrésistiblement attiré par
+l'étrangeté même de Nell.
+
+Il s'approcha alors. Il prit dans sa main la main que Madge venait
+d'abandonner. Il regarda bien en face Nell, dont les lèvres ébauchèrent
+une sorte de sourire, et il lui dit :
+
+« Nell... là-bas.., dans la houillère... étais-tu seule ?
+
+-- Seule ! seule ! » s'écria la jeune fille en se redressant.
+
+Sa physionomie décelait alors l'épouvante. Ses yeux, qui s'étaient
+adoucis sous le regard du jeune homme, redevinrent sauvages.
+
+« Seule ! seule ! » répéta-t-elle, et elle retomba sur le lit de Madge,
+comme si les forces lui eussent manqué tout à fait.
+
+« Cette pauvre enfant est encore trop faible pour nous répondre, dit
+Madge, après avoir recouché la jeune fille. Quelques heures de repos,
+un peu de bonne nourriture, lui rendront ses forces. Viens, Simon !
+viens, Harry ! venez tous, mes amis, et laissons faire le sommeil ! »
+
+Sur le conseil de Madge, Nell fut laissée seule, et on put s'assurer,
+un instant après, qu'elle dormait profondément.
+
+Cet événement n'alla pas sans faire grand bruit, non seulement dans la
+houillère, mais aussi dans le comté de Stirling, et, peu après, dans
+tout le Royaume-Uni. Le renom d'étrangeté de Nell s'en accrut. On
+aurait trouvé une jeune fille enfermée dans la roche schisteuse, comme
+un de ces êtres antédiluviens qu'un coup de pic délivre de leur gangue
+de pierre, que l'affaire n'eût pas eu plus d'éclat.
+
+Sans le savoir, Nell devint fort à la mode. Les gens superstitieux
+trouvèrent là un nouveau texte à leurs récits légendaires. Ils
+pensaient volontiers que Nell était le génie de la Nouvelle Aberfoyle,
+et lorsque Jack Ryan le disait à son camarade Harry :
+
+« Soit, répondait le jeune homme, pour conclure, soit, Jack ! Mais, en
+tout cas, c'est le bon génie ! C'est celui qui nous a secourus, qui
+nous a apporté le pain et l'eau, lorsque nous étions emprisonnés dans
+la houillère ! Ce ne peut être que lui ! Quant au mauvais génie, s'il
+est resté dans la mine, il faudra bien que nous le découvrions un jour
+! »
+
+On le pense bien, l'ingénieur James Starr avait été informé tout
+d'abord de ce qui s'était passé.
+
+La jeune fille, ayant recouvré ses forces dès le lendemain de son
+entrée au cottage, fut interrogée par lui avec la plus grande
+sollicitude. Elle lui parut ignorer la plupart des choses de la vie.
+Cependant, elle était intelligente, on le reconnut bientôt, mais
+certaines notions élémentaires lui manquaient : celle du temps, entre
+autres. On voyait qu'elle n'avait été habituée à diviser le temps ni
+par heures, ni par jours, et que ces mots mêmes lui étaient inconnus.
+En outre, ses yeux, accoutumés à la nuit, se faisaient difficilement à
+l'éclat des disques électriques; mais, dans l'obscurité, son regard
+possédait une extraordinaire acuité, et sa pupille, largement dilatée,
+lui permettait de voir au milieu des plus profondes ténèbres. Il fut
+aussi constant que son cerveau n'avait jamais reçu les impressions du
+monde extérieur, que nul autre horizon que celui de la houillère ne
+s'était développé à ses yeux, que l'humanité tout entière avait tenu
+pour elle dans cette sombre crypte. Savait-elle, cette pauvre fille,
+qu'il y eût un soleil et des étoiles, des villes et des campagnes, un
+univers dans lequel fourmillaient les mondes ? On devait en douter
+jusqu'au moment où certains mots qu'elle ignorait encore prendraient
+dans son esprit une signification précise.
+
+Quant à la question de savoir si Nell vivait seule dans les profondeurs
+de la Nouvelle-Aberfoyle, James Starr dut renoncer à la résoudre. En
+effet, toute allusion à ce sujet jetait l'épouvante dans cette étrange
+nature. Ou bien Nell ne pouvait, ou elle ne voulait pas répondre; mais,
+certainement, il existait là quelque secret qu'elle eût pu dévoiler.
+
+« Veux-tu rester avec nous ? veux-tu retourner là où tu étais ? » lui
+avait demandé James Starr.
+
+A la première de ces deux questions : « Oh oui ! » avait dit la jeune
+fille. A la seconde, elle n'avait répondu que par un cri de terreur,
+mais rien de plus.
+
+Devant ce silence obstiné, James Starr, et avec lui Simon et Harry
+Ford, ne laissaient pas d'éprouver une certaine appréhension. Ils ne
+pouvaient oublier les faits inexplicables qui avaient accompagné la
+découverte de la houillère. Or, bien que depuis trois ans aucun nouvel
+incident ne se fût produit, ils s'attendaient toujours à quelque
+nouvelle agression de la part de leur invisible ennemi. Aussi
+voulurent-ils explorer le puits mystérieux. Ils le firent donc, bien
+armés et bien accompagnés. Mais ils n'y trouvèrent aucune trace
+suspecte. Le puits communiquait avec les étages inférieurs de la
+crypte, creusés dans la couche carbonifère.
+
+James Starr, Simon et Harry causaient souvent de ces choses. Si un ou
+plusieurs êtres malfaisants étaient cachés dans la houillère, s'ils
+préparaient quelques embûches, Nell aurait pu le dire peut-être, mais
+elle ne parlait pas. La moindre allusion au passé de la jeune fille
+provoquait des crises, et il parut bon de ne point insister. Avec le
+temps, son secret lui échapperait sans doute.
+
+Quinze jours après son arrivée au cottage, Nell était l'aide la plus
+intelligente et la plus zélée de la vieille Madge. Évidemment, ne plus
+jamais quitter cette maison où elle avait été si charitablement
+accueillie, cela lui semblait tout naturel, et peut-être même ne
+s'imaginait-elle pas que désormais elle pût vivre ailleurs. La famille
+Ford lui suffisait, et il va sans dire que, dans la pensée de ces
+braves gens, du moment que Nell était entrée au cottage, elle était
+devenue leur enfant d'adoption.
+
+Nell était charmante, en vérité. Sa nouvelle existence l'embellissait.
+C'étaient sans doute les premiers jours heureux de sa vie. Elle se
+sentait pleine de reconnaissance pour ceux auxquels elle les devait.
+Madge s'était pris pour Nell d'une sympathie toute maternelle. Le vieil
+overman en raffola bientôt à son tour. Tous l'aimaient, d'ailleurs.
+L'ami Jack Ryan ne regrettait qu'une chose : c'était de ne pas l'avoir
+sauvée lui-même. Il venait souvent au cottage. Il chantait, et Nell,
+qui n'avait jamais entendu chanter, trouvait cela fort beau; mais on
+eût pu voir que la jeune fille préférait aux chansons de Jack Ryan les
+entretiens plus sérieux d'Harry, qui, peu à peu, lui apprit ce qu'elle
+ignorait encore des choses du monde extérieur.
+
+Il faut dire que, depuis que Nell avait apparu sous sa forme naturelle,
+Jack Ryan s'était vu forcé de convenir que sa croyance aux lutins
+faiblissait dans une certaine mesure. En outre, deux mois après, sa
+crédulité reçut un nouveau coup.
+
+En effet, vers cette époque, Harry fit une découverte assez inattendue,
+mais qui expliquait en partie l'apparition des Dames de feu dans les
+ruines du château de Dundonald, à Irvine.
+
+Un jour, après une longue exploration de la partie sud de la houillère
+-- exploration qui avait duré plusieurs jours à travers les dernières
+galeries de cette énorme substruction --, Harry avait péniblement gravi
+une étroite galerie, évidée dans un écartement de la roche schisteuse.
+Tout à coup, il fut très surpris de se trouver en plein air. La
+galerie, après avoir remonté obliquement vers la surface du sol,
+aboutissait précisément aux ruines de Dundonald Castle. Il y existait
+donc une communication secrète entre la Nouvelle-Aberfoyle et la
+colline que couronnait le vieux château. L'orifice supérieur de cette
+galerie eût été impossible à découvrir extérieurement, tant il était
+obstrué de pierres et de broussailles. Aussi, lors de l'enquête, les
+magistrats n'avaient-ils pu y pénétrer.
+
+Quelques jours après, James Starr, conduit par Harry, vint reconnaître
+lui-même cette disposition naturelle du gisement houiller.
+
+« Voilà, dit-il, de quoi convaincre les superstitieux de la mine.
+Adieu, les brawnies, les lutins et les Dames de feu !
+
+-- Je ne crois pas, monsieur Starr, répondit Harry, que nous ayons lieu
+de nous en féliciter ! Leurs remplaçants ne valent pas mieux et peuvent
+être pires, assurément !
+
+-- En effet, Harry, reprit l'ingénieur, mais qu'y faire ? Évidemment,
+les êtres quelconques qui se cachent dans la mine, communiquent par
+cette galerie avec la surface du sol. Ce sont eux, sans doute, qui, la
+torche à la main, pendant cette nuit de tourmente, ont attiré le Motala
+à la côte, et, comme les anciens pilleurs d'épaves, ils en eussent volé
+les débris, si Jack Ryan et ses compagnons ne se fussent pas trouvés là
+! Quoi qu'il en soit, enfin, tout s'explique. Voilà l'orifice du
+repaire ! Quant à ceux qui l'habitaient, l'habitent-ils encore ?
+
+-- Oui, puisque Nell tremble, lorsqu'on lui en parle ! répondit Harry
+avec conviction. Oui, puisque Nell ne veut pas ou n'ose pas en parler !
+» Harry devait avoir raison. Si les mystérieux hôtes de la houillère
+l'eussent abandonnée, ou s'ils étaient morts, quelle raison aurait eue
+la jeune fille de garder le silence ?
+
+Cependant, James Starr tenait absolument à pénétrer ce secret. Il
+pressentait que l'avenir de la nouvelle exploitation pouvait en
+dépendre. On prit donc de nouveau les plus sévères précautions. Les
+magistrats furent prévenus. Des agents occupèrent secrètement les
+ruines de Dundonald-Castle. Harry lui-même se cacha, pendant plusieurs
+nuits, au milieu des broussailles qui hérissaient la colline. Peine
+inutile. On ne découvrit rien. Nul être humain n'apparut à travers
+l'orifice.
+
+On en arriva bientôt à cette conclusion, que les malfaiteurs avaient dû
+définitivement quitter la Nouvelle-Aberfoyle, et que, quant à Nell, ils
+la croyaient morte au fond de ce puits où ils l'avaient abandonnée.
+Avant l'exploitation, la houillère pouvait leur offrir un refuge
+assuré, à l'abri de toute perquisition. Mais, depuis, les circonstances
+n'étaient plus les mêmes. Le gîte devenait difficile à cacher. On
+aurait donc dû raisonnablement espérer qu'il n'y avait plus rien à
+craindre pour l'avenir. Cependant, James Starr n'était pas absolument
+rassuré. Harry, non plus, ne pouvait se rendre, et il répétait souvent :
+
+« Nell a été évidemment mêlée à tout ce mystère. Si elle n'avait plus
+rien à redouter, pourquoi garderait-elle le silence ? On ne peut douter
+qu'elle soit heureuse d'être avec nous ! Elle nous aime tous ! Elle
+adore ma mère ! Si elle se tait sur son passé, sur ce qui pourrait nous
+rassurer pour l'avenir, c'est donc que quelque terrible secret, que sa
+conscience lui interdit de dévoiler, pèse sur elle ! Peut-être aussi,
+dans notre intérêt plus que dans le sien, croit-elle devoir se
+renfermer dans cet inexplicable mutisme ! »
+
+C'est par suite de ces diverses considérations que, d'un accord commun,
+il avait été convenu qu'on écarterait de la conversation tout ce qui
+pouvait rappeler son passé à la jeune fille.
+
+Un jour, cependant, Harry fut amené à faire connaître à Nell ce que
+James Starr, son père, sa mère et lui-même croyaient devoir à son
+intervention.
+
+C'était jour de fête. Les bras chômaient aussi bien à la surface du
+comté de Stirling que dans le domaine souterrain. On s'y promenait un
+peu partout. Des chants retentissaient, en vingt endroits, sous les
+voûtes sonores de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Harry et Nell avaient quitté le cottage et suivaient à pas lents la
+rive gauche du lac Malcolm. Là, les éclats électriques se projetaient
+avec moins de violence, et leurs faisceaux se brisaient capricieusement
+aux angles de quelques pittoresques rochers qui soutenaient le dôme.
+Cette pénombre convenait mieux aux yeux de Nell, qui ne se faisaient
+que très difficilement à la lumière.
+
+Après une heure de marche, Harry et sa compagne s'arrêtèrent en face de
+la chapelle de Saint-Gilles, sur une sorte de terrasse naturelle, qui
+dominait les eaux du lac.
+
+« Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitués au jour, dit Harry, et
+certainement, ils ne pourraient supporter l'éclat du soleil.
+
+-- Non, sans doute, répondit la jeune fille, si le soleil est tel que
+tu me l'as dépeint, Harry.
+
+-- Nell, reprit Harry, en te parlant, je n'ai pu te donner une juste
+idée de sa splendeur ni des beautés de cet univers que tes regards
+n'ont jamais observé. -- Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour
+où tu es née dans les profondeurs de la houillère, se peut-il que tu ne
+sois jamais remontée à la surface du sol ?
+
+-- Jamais, Harry, répondit Nell, et je ne pense pas que, même petite,
+ni un père ni une mère m'y aient jamais portée. J'aurais certainement
+gardé quelque souvenir du dehors !
+
+-- Je le crois, répondit Harry. D'ailleurs, à cette époque, Nell, bien
+d'autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec
+l'extérieur étaient difficiles, et j'ai connu plus d'un jeune garçon ou
+d'une jeune fille, qui, à ton âge, ignoraient encore tout ce que tu
+ignores des choses de là-haut ! Mais maintenant, en quelques minutes,
+le railway du grand tunnel nous transporte à la surface du comté. J'ai
+donc hâte, Nell, de t'entendre me dire : « viens, Harry, mes yeux
+peuvent supporter la lumière du jour, et je veux voir le soleil ! Je
+veux voir l'oeuvre de Dieu ! »
+
+-- Je te le dirai, Harry, répondit la jeune fille, avant peu, je
+l'espère. J'irai admirer avec toi ce monde extérieur, et cependant...
+
+-- Que veux-tu dire, Nell ? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque
+regret d'avoir abandonné le sombre abîme dans lequel tu as vécu pendant
+les premières années de ta vie, et dont nous t'avons retirée presque
+morte ?
+
+-- Non, Harry, répondit Nell. Je pensais seulement que les ténèbres
+sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu'y voient des yeux habitués à
+leur profondeur ! Il y a des ombres qui passent et qu'on aimerait à
+suivre dans leur vol ! Parfois ce sont des cercles qui s'entrecroisent
+devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir ! Il existe, au
+fond de la houillère, des trous noirs, pleins de vagues lumières. Et
+puis, on entend des bruits qui vous parlent ! vois-tu, Harry, il faut
+avoir vécu là pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis
+t'exprimer !
+
+-- Et tu n'avais pas peur, Nell, quand tu étais seule ?
+
+-- Harry, répondit la jeune fille, c'est quand j'étais seule que je
+n'avais pas peur ! » La voix de Nell s'était légèrement altérée en
+prononçant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un
+peu, et il dit :
+
+« Mais on pouvait se perdre dans ces longues galeries, Nell. Ne
+craignais-tu donc pas de t'y égarer ?
+
+-- Non, Harry. Je connaissais, depuis longtemps, tous les détours de la
+nouvelle houillère !
+
+-- N'en sortais-tu pas quelquefois ?...
+
+-- Oui.., quelquefois.., répondit en hésitant la jeune fille,
+quelquefois, je venais jusque dans l'ancienne mine d'Aberfoyle.
+
+-- Tu connaissais donc le vieux cottage ?
+
+-- Le cottage.., oui.., mais, de bien loin seulement, ceux qui
+l'habitaient !
+
+-- C'étaient mon père et ma mère, répondit Harry, c'était moi ! Nous
+n'avions jamais voulu abandonner notre ancienne demeure !
+
+-- Peut-être cela aurait-il mieux valu pour vous !... murmura la jeune
+fille.
+
+-- Et pourquoi, Nell ? N'est-ce pas notre obstination à ne pas la
+quitter, qui nous a fait découvrir le nouveau gisement ? Et cette
+découverte n'a-t-elle pas eu des conséquences heureuses pour toute une
+population qui a reconquis ici l'aisance par le travail, pour toi,
+Nell, qui, rendue à la vie, as trouvé des coeurs tout à toi !
+
+-- Pour moi ! répondit vivement Nell... Oui ! quoi qu'il puisse arriver
+! Pour les autres.., qui sait ?...
+
+-- Que veux-tu dire ?
+
+-- Rien... rien !... Mais, il y avait danger à s'introduire, alors,
+dans la nouvelle houillère ! Oui ! grand danger ! Harry ! Un jour, des
+imprudents ont pénétré dans ces abîmes. Ils ont été loin, bien loin !
+Ils se sont égarés...
+
+-- Égarés ? dit Harry en regardant Nell.
+
+-- Oui... égarés... répondit Nell, dont la voix tremblait. Leur lampe
+s'est éteinte ! Ils n'ont pu retrouver leur chemin...
+
+-- Et là, s'écria Harry, emprisonnés pendant huit longs jours, Nell,
+ils ont été près de mourir ! Et sans un être secourable, que Dieu leur
+a envoyé, un ange peut-être, qui leur a secrètement apporté un peu de
+nourriture, sans un guide mystérieux qui, plus tard, a conduit jusqu'à
+eux leurs libérateurs, ils ne seraient jamais sortis de cette tombe !
+
+-- Et comment le sais-tu ? demanda la jeune fille.
+
+-- Parce que ces hommes c'était James Starr.., c'était mon père...
+c'était moi, Nell ! »
+
+Nell, relevant la tête, saisit la main du jeune homme, et elle le
+regarda avec une telle fixité, que celui-ci se sentit troublé jusqu'au
+plus profond de son coeur.
+
+« Toi ! répéta la jeune fille.
+
+-- Oui ! répondit Harry, après un instant de silence, et celle à qui
+nous devons de vivre, c'était toi,
+
+Nell ! Ce ne pouvait être que toi ! » Nell laissa tomber sa tête entre
+ses deux mains, sans répondre. Jamais Harry ne l'avait vue aussi
+vivement impressionnée.
+
+« Ceux qui t'ont sauvée, Nell, ajouta-t-il d'une voix émue, te devaient
+déjà la vie, et crois-tu qu'ils puissent jamais l'oublier ? »
+
+ XVI
+
+ Sur l'échelle oscillante
+
+Cependant, les travaux d'exploitation de la Nouvelle-Aberfoyle étaient
+conduits avec grand profit. Il va sans dire que l'ingénieur James Starr
+et Simon Ford -- les premiers découvreurs de ce riche bassin
+carbonifère -- participaient largement à ces bénéfices. Harry devenait
+donc un parti. Mais il ne songeait guère à quitter le cottage. Il avait
+remplacé son père dans les fonctions d'overman et surveillait
+assidûment tout ce monde de mineurs.
+
+Jack Ryan était fier et ravi de toute cette fortune qui arrivait à son
+camarade. Lui aussi, il faisait bien ses affaires. Tous deux se
+voyaient souvent, soit au cottage, soit dans les travaux du fond. Jack
+Ryan n'était pas sans avoir observé les sentiments qu'éprouvait Harry
+pour la jeune fille. Harry n'avouait pas, mais Jack riait à belles
+dents, lorsque son camarade secouait la tête en signe de dénégation.
+
+Il faut dire que l'un des plus vifs désirs de Jack Ryan était
+d'accompagner Nell, lorsqu'elle ferait sa première visite à la surface
+du comté. Il voulait voir ses étonnements, son admiration devant cette
+nature encore inconnue d'elle. Il espérait bien qu'Harry l'emmènerait
+pendant cette excursion. Jusqu'ici, cependant, celui-ci ne lui en avait
+pas fait la proposition, -- ce qui ne laissait pas de l'inquiéter un
+peu.
+
+Un jour, Jack Ryan descendait l'un des puits d'aération par lequel les
+étages inférieurs de la houillère communiquaient avec la surface du
+sol. Il avait pris l'une de ces échelles qui, en se relevant et en
+s'abaissant par oscillations successives, permettent de descendre et de
+monter sans fatigue. Vingt oscillations de l'appareil l'avaient abaissé
+de cent cinquante pieds environ, lorsque, sur l'étroit palier où il
+avait pris place, il se rencontra avec Harry, qui remontait aux travaux
+du jour.
+
+« C'est toi ? dit Jack, en regardant son compagnon, éclairé par la
+lumière des lampes électriques du puits.
+
+-- Oui, Jack, répondit Harry, et je suis content de te voir. J'ai une
+proposition à te faire...
+
+-- Je n'écoute rien avant que tu m'aies donné des nouvelles de Nell !
+s'écria Jack Ryan.
+
+-- Nell va bien, Jack, et si bien même que, dans un mois ou six
+semaines, je l'espère...
+
+-- Tu l'épouseras, Harry ?
+
+-- Tu ne sais ce que tu dis, Jack !
+
+-- C'est possible, Harry, mais je sais bien ce que je ferai !
+
+-- Et que feras-tu ?
+
+-- Je l'épouserai, moi, si tu ne l'épouses pas, toi ! répliqua Jack, en
+éclatant de rire. Saint Mungo me protège ! mais elle me plaît, la
+gentille Nell ! Une jeune et bonne créature qui n'a jamais quitté la
+mine, c'est bien la femme qu'il faut à un mineur ! Elle est orpheline
+comme je suis orphelin, et, pour peu que tu ne penses vraiment pas à
+elle, et qu'elle veuille de ton camarade, Harry !... »
+
+Harry regardait gravement Jack. Il le laissait parler, sans même
+essayer de lui répondre.
+
+« Ce que je dis là ne te rend pas jaloux, Harry ? demanda Jack Ryan
+d'un ton un peu plus sérieux.
+
+-- Non, Jack, répondit tranquillement Harry.
+
+-- Cependant, si tu ne fais pas de Nell ta femme, tu n'as pas la
+prétention qu'elle reste vieille fille ?
+
+-- Je n'ai aucune prétention », répondit Harry.
+
+Une oscillation de l'échelle vint alors permettre aux deux amis de se
+séparer, l'un pour descendre, l'autre pour remonter le puits.
+Cependant, ils ne se séparèrent pas.
+
+« Harry, dit Jack, crois-tu que je t'aie parlé sérieusement tout à
+l'heure à propos de Nell ?
+
+-- Non, Jack, répondit Harry.
+
+-- Eh bien, je vais le faire alors !
+
+-- Toi, parler sérieusement !
+
+-- Mon brave Harry, répondit Jack, je suis capable de donner un bon
+conseil à un ami.
+
+-- Donne, Jack.
+
+-- Eh bien, voilà ! Tu aimes Nell de tout l'amour dont elle est digne,
+Harry ! Ton père, le vieux Simon, ta mère, la vieille Madge, l'aiment
+aussi comme si elle était leur enfant. Or, tu aurais bien peu à faire
+pour qu'elle devînt tout à fait leur fille ! -- Pourquoi ne
+l'épouses-tu pas ?
+
+-- Pour t'avancer ainsi, Jack, répondit Harry, connais-tu donc les
+sentiments de Nell ?
+
+-- Personne ne les ignore, pas même toi, Harry, et c'est pour cela que
+tu n'es point jaloux ni de moi, ni des autres. -- Mais voici l'échelle
+qui va descendre, et...
+
+-- Attends, Jack, dit Harry, en retenant son camarade, dont le pied
+avait déjà quitté le palier pour se poser sur l'échelon mobile.
+
+-- Bon, Harry ! s'écria Jack en riant, tu vas me faire écarteler !
+
+-- Écoute sérieusement, Jack, répondit Harry, car, à mon tour, c'est
+sérieusement que je parle.
+
+-- J'écoute... jusqu'à la prochaine oscillation, mais pas plus !
+
+-- Jack, reprit Harry, je n'ai point à cacher que j'aime Nell.
+
+Mon plus vif désir est d'en faire ma femme...
+
+-- Bien, cela.
+
+-- Mais, telle qu'elle est encore, j'ai comme un scrupule de conscience
+à lui demander de prendre une détermination qui doit être irrévocable.
+
+-- Que veux-tu dire, Harry ?
+
+-- Je veux dire, Jack, que Nell n'a jamais quitté ces profondeurs de la
+houillère où elle est née, sans doute. Elle ne sait rien, elle ne
+connaît rien du dehors. Elle a tout à apprendre par les yeux, et
+peut-être aussi par le coeur. Qui sait ce que seront ses pensées,
+lorsque de nouvelles impressions naîtront en elle ! Elle n'a encore
+rien de terrestre, et il me semble que ce serait la tromper, avant
+qu'elle se soit décidée, en pleine connaissance, à préférer à tout
+autre le séjour dans la houillère. -- Me comprends-tu, Jack ?
+
+-- Oui... vaguement... Je comprends surtout que tu vas encore me faire
+manquer la prochaine oscillation !
+
+-- Jack, répondit Harry d'une voix grave, quand ces appareils ne
+devraient plus jamais fonctionner, quand ce palier devrait manquer sous
+nos pieds, tu écouteras ce que j'ai à te dire !
+
+-- A la bonne heure ! Harry. Voilà comment j'aime qu'on me parle ! --
+Nous disons donc qu'avant d'épouser Nell, tu vas l'envoyer dans un
+pensionnat de la vieille-Enfumée ?
+
+-- Non, Jack, répondit Harry, je saurai bien moi-même faire l'éducation
+de celle qui devra être ma femme !
+
+-- Et cela n'en vaudra que mieux, Harry !
+
+-- Mais, auparavant, reprit Harry, je veux, comme je viens de te le
+dire, que Nell ait une vraie connaissance du monde extérieur. Une
+comparaison, Jack. Si tu aimais une jeune fille aveugle, et si l'on
+venait te dire : « Dans un mois elle sera guérie ! » n'attendrais-tu
+pas pour l'épouser que sa guérison fût faite ?
+
+-- Oui, ma foi, oui ! répondit Jack Ryan.
+
+-- Eh bien, Jack, Nell est encore aveugle, et, avant d'en faire ma
+femme, je veux qu'elle sache bien que c'est moi, que ce sont les
+conditions de ma vie qu'elle préfère et accepte. Je veux que ses yeux
+se soient ouverts enfin à la lumière du jour !
+
+-- Bien, Harry, bien, très bien ! s'écria Jack Ryan. Je te comprends à
+cette heure. Et à quelle époque l'opération ?...
+
+-- Dans un mois, Jack, répondit Harry. Les yeux de Nell s'habituent peu
+à peu à la clarté de nos disques. C'est une préparation. Dans un mois,
+je l'espère, elle aura vu la terre et ses merveilles, le ciel et ses
+splendeurs ! Elle saura que la nature a donné au regard humain des
+horizons plus reculés que ceux d'une sombre houillère ! Elle verra que
+les limites de l'univers sont infinies ! »
+
+Mais, tandis qu'Harry se laissait ainsi entraîner par son imagination,
+Jack Ryan, quittant le palier, avait sauté sur l'échelon oscillant de
+l'appareil.
+
+« Eh ! Jack, cria Harry, où es-tu donc ?
+
+-- Au-dessous de toi, répondit en riant le joyeux compère. Pendant que
+tu t'élèves dans l'infini, moi, je descends dans l'abîme !
+
+-- Adieu, Jack ! répondit Harry, en se cramponnant lui-même à l'échelle
+remontante. Je te recommande de ne parler à personne de ce que je viens
+de te dire !
+
+-- A personne ! cria Jack Ryan, mais à une condition pourtant...
+
+-- Laquelle ?
+
+-- C'est que je vous accompagnerai tous les deux pendant la première
+excursion que Nell fera à la surface du globe !
+
+-- Oui, Jack, je te le promets », répondit Harry.
+
+Une nouvelle pulsation de l'appareil mit encore un intervalle plus
+considérable entre les deux amis. Leur voix n'arrivait plus que très
+affaiblie de l'un à l'autre.
+
+Et, cependant, Harry put encore entendre Jack crier :
+
+« Et lorsque Nell aura vu les étoiles, la lune et le soleil, sais-tu
+bien ce qu'elle leur préférera ?
+
+-- Non, Jack !
+
+-- Ce sera toi, mon camarade, toi encore, toi toujours ! »
+
+Et la voix de Jack Ryan s'éteignit enfin dans un dernier hurrah !
+
+Cependant, Harry consacrait toutes ses heures inoccupées à l'éducation
+de Nell. Il lui avait appris à lire, à écrire, -- toutes choses dans
+lesquelles la jeune fille fit de rapides progrès. On eût dit qu'elle «
+savait » d'instinct. Jamais intelligence plus vive ne triompha plus
+vite d'une aussi complète ignorance. C'était un étonnement pour ceux
+qui l'approchaient.
+
+Simon et Madge se sentaient chaque jour plus étroitement liés à leur
+enfant d'adoption, dont le passé ne laissait pas de les préoccuper,
+cependant. Ils avaient bien reconnu la nature des sentiments d'Harry
+pour Nell, et cela ne leur déplaisait point.
+
+On se rappelle que lors de sa première visite à l'ancien cottage, le
+vieil overman avait dit à l'ingénieur :
+
+« Pourquoi mon fils se marierait-il ? Quelle créature de là-haut
+conviendrait à un garçon dont la vie doit s'écouler dans les
+profondeurs d'une mine ! »
+
+Eh bien, ne semblait-il pas que la Providence lui eût envoyé la seule
+compagne qui pût véritablement convenir à son fils ? N'était-ce pas là
+comme une faveur du Ciel ?
+
+Aussi, le vieil overman se promettait-il bien que, si ce mariage se
+faisait, ce jour-là, il y aurait à Coal-city une fête qui ferait époque
+pour les mineurs de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Simon Ford ne savait pas si bien dire !
+
+Il faut ajouter qu'un autre encore désirait non moins ardemment cette
+union de Nell et d'Harry. C'était l'ingénieur James Starr. Certes, le
+bonheur de ces deux jeunes gens, il le voulait par-dessus tout. Mais un
+mobile, d'un intérêt plus général, peut-être, le poussait aussi dans ce
+sens.
+
+On le sait, James Starr avait conservé certaines appréhensions, bien
+que rien dans le présent ne les justifiât plus. Cependant, ce qui avait
+été pouvait être encore. Ce mystère de la nouvelle houillère, Nell
+était évidemment la seule à le connaître. Or, si l'avenir devait
+réserver de nouveaux dangers aux mineurs d'Aberfoyle, comment se mettre
+en garde contre de telles éventualités, sans en savoir au moins la
+cause ?
+
+« Nell n'a pas voulu parler, répétait souvent James Starr, mais ce
+qu'elle a tu jusqu'ici à tout autre, elle ne saurait le taire longtemps
+à son mari ! Le danger menacerait Harry comme il nous menacerait
+nous-mêmes. Donc, un mariage qui doit donner le bonheur aux époux et la
+sécurité à leurs amis, est un bon mariage, ou il ne s'en fera jamais
+ici-bas ! »
+
+Ainsi raisonnait, non sans quelque logique, l'ingénieur James Starr. Ce
+raisonnement, il le communiqua même au vieux Simon, qui ne fut pas sans
+le goûter. Rien ne semblait donc devoir s'opposer à ce qu'Harry devînt
+l'époux de Nell.
+
+Et qui donc l'aurait pu ? Harry et Nell s'aimaient. Les vieux parents
+ne rêvaient pas d'autre compagne pour leur fils. Les camarades d'Harry
+enviaient son bonheur, tout en reconnaissant qu'il lui était bien dû.
+La jeune fille ne relevait que d'elle-même et n'avait d'autre
+consentement à obtenir que celui de son propre coeur.
+
+Mais, si personne ne semblait pouvoir mettre obstacle à ce mariage,
+pourquoi, lorsque les disques électriques s'éteignaient à l'heure du
+repos, quand la nuit se faisait sur la cité ouvrière, lorsque les
+habitants de Coal-city avaient regagné leur cottage, pourquoi, de l'un
+des coins les plus sombres de la Nouvelle Aberfoyle, un être mystérieux
+se glissait-il dans les ténèbres ? Quel instinct guidait ce fantôme à
+travers certaines galeries si étroites qu'on devait les croire
+impraticables ? Pourquoi cet être énigmatique, dont les yeux perçaient
+la plus profonde obscurité, venait-il en rampant sur le rivage du lac
+Malcolm ? Pourquoi se dirigeait-il si obstinément vers l'habitation de
+Simon Ford, et si prudemment aussi, qu'il avait jusqu'alors déjoué
+toute surveillance ? Pourquoi venait-il appuyer son oreille aux
+fenêtres et essayait-il de surprendre des lambeaux de conversation à
+travers les volets du cottage ?
+
+Et, lorsque certaines paroles arrivaient jusqu'à lui, pourquoi son
+poing se dressait-il pour menacer la tranquille demeure ? Pourquoi,
+enfin ces mots s'échappaient-ils de sa bouche, contractée par la colère
+:
+
+« Elle et lui ! Jamais ! »
+
+ XVII
+
+ Un lever de soleil
+
+Un mois après -- c'était le soir du 20 août --, Simon Ford et Madge
+saluaient de leurs meilleurs « wishes » quatre touristes qui
+s'apprêtaient à quitter le cottage.
+
+James Starr, Harry et Jack Ryan allaient conduire Nell sur un sol que
+son pied n'avait jamais foulé, dans cet éclatant milieu, dont ses
+regards ne connaissaient pas encore la lumière.
+
+L'excursion devait se prolonger pendant deux jours. James Starr,
+d'accord avec Harry, voulait qu'après ces quarante-huit heures passées
+au-dehors, la jeune fille eût vu tout ce qu'elle n'avait pu voir dans
+la sombre houillère, c'est-à-dire les divers aspects du globe, comme si
+un panorama mouvant de villes, de plaines, de montagnes, de fleuves, de
+lacs, de golfes, de mers, se fût déroulé devant ses yeux.
+
+Or, dans cette portion de l'Écosse, comprise entre Édimbourg et
+Glasgow, il semblait que la nature eût voulu précisément réunir ces
+merveilles terrestres, et, quant aux cieux, ils seraient là comme
+partout, avec leurs nuées changeantes, leur lune sereine ou voilée,
+leur soleil radieux, leur fourmillement d'étoiles.
+
+L'excursion projetée avait donc été combinée de manière à satisfaire
+aux conditions de ce programme.
+
+Simon Ford et Madge eussent été très heureux d'accompagner Nell; mais,
+on les connaît, ils ne quittaient pas volontiers le cottage, et,
+finalement, ils ne purent se résoudre à abandonner, même pour un jour,
+leur souterraine demeure.
+
+James Starr allait là en observateur, en philosophe, très curieux, au
+point de vue psychologique, d'observer les naïves impressions de Nell,
+-- peut-être même de surprendre quelque peu des mystérieux événements
+auxquels son enfance avait été mêlée.
+
+Harry, lui, se demandait, non sans appréhension, si une autre jeune
+fille que celle qu'il aimait et qu'il avait connue jusqu'alors,
+n'allait pas se révéler pendant cette rapide initiation aux choses du
+monde extérieur.
+
+Quant à Jack Ryan, il était joyeux comme un pinson qui s'envole aux
+premiers rayons de soleil. Il espérait bien que sa contagieuse gaieté
+se communiquerait à ses compagnons de voyage. Ce serait une façon de
+payer sa bienvenue.
+
+Nell était pensive et comme recueillie.
+
+James Starr avait décidé, non sans raison, que le départ se ferait le
+soir. Mieux valait, en effet, que la jeune fille ne passât que par une
+gradation insensible des ténèbres de la nuit aux clartés du jour. Or,
+c'est le résultat qui serait obtenu, puisque, de minuit à midi, elle
+subirait ces phases successives d'ombre et de lumière, auxquelles son
+regard pourrait s'habituer peu à peu.
+
+Au moment de quitter le cottage, Nell prit la main d'Harry, et lui dit :
+
+« Harry, est-il donc nécessaire que j'abandonne notre houillère, ne
+fût-ce que quelques jours ?
+
+-- Oui, Nell, répondit le jeune homme, il le faut ! Il le faut pour toi
+et pour moi !
+
+-- Cependant, Harry, reprit Nell, depuis que tu m'as recueillie, je
+suis heureuse autant qu'on peut l'être. Tu m'as instruite. Cela ne
+suffit-il pas ? Que vais-je faire là-haut ? »
+
+Harry la regarda sans répondre. Les pensées qu'exprimait Nell étaient
+presque les siennes.
+
+« Ma fille, dit alors James Starr, je comprends ton hésitation, mais il
+est bon que tu viennes avec nous. Ceux que tu aimes t'accompagnent, et
+ils te ramèneront. Que tu veuilles, ensuite, continuer de vivre dans la
+houillère, comme le vieux Simon, comme Madge, comme Harry, libre à toi
+! Je ne doute pas qu'il en doive être ainsi, et je t'approuve. Mais, au
+moins, tu pourras comparer ce que tu laisses avec ce que tu prends, et
+agir en toute liberté. viens donc !
+
+-- Viens, ma chère Nell, dit Harry.
+
+-- Harry, je suis prête à te suivre », répondit la jeune fille.
+
+A neuf heures, le dernier train du tunnel entraînait Nell et ses
+compagnons à la surface du comté. vingt minutes après, il les déposait
+à la gare où se reliait le petit embranchement, détaché du railway de
+Dumbarton à Stirling, qui desservait la Nouvelle Aberfoyle.
+
+La nuit était déjà sombre. De l'horizon au zénith, quelques vapeurs peu
+compactes couraient encore dans les hauteurs du ciel, sous la poussée
+d'une brise de nord-ouest qui rafraîchissait l'atmosphère. La journée
+avait été belle. La nuit devait l'être aussi.
+
+Arrivés à Stirling, Nell et ses compagnons, abandonnant le train,
+sortirent aussitôt de la gare.
+
+Devant eux, entre de grands arbres, se développait une route qui
+conduisait aux rives du Forth.
+
+La première impression physique qu'éprouva la jeune fille, fut celle de
+l'air pur que ses poumons aspirèrent avidement.
+
+« Respire bien, Nell, dit James Starr, respire cet air chargé de toutes
+les vivifiantes senteurs de la campagne !
+
+-- Quelles sont ces grandes fumées qui courent au-dessus de notre tête
+? demanda Nell.
+
+-- Ce sont des nuages, répondit Harry, ce sont des vapeurs à demi
+condensées que le vent pousse dans l'ouest.
+
+-- Ah ! fit Nell, que j'aimerais à me sentir emportée dans leur
+silencieux tourbillon ! -- Et quels sont ces points scintillants qui
+brillent à travers les déchirures des nuées ?
+
+-- Ce sont les étoiles dont je t'ai parlé, Nell. Autant de soleils,
+autant de centres de mondes, peut-être semblables au nôtre ! » Les
+constellations se dessinaient plus nettement alors sur le bleu-noir du
+firmament, que le vent purifiait peu à peu.
+
+Nell regardait ces milliers d'étoiles brillantes qui fourmillaient
+au-dessus de sa tête.
+
+« Mais, dit-elle, si ce sont des soleils, comment mes yeux peuvent-ils
+en supporter l'éclat ?
+
+-- Ma fille, répondit James Starr, ce sont des soleils, en effet, mais
+des soleils qui gravitent à une distance énorme. Le plus rapproché de
+ces milliers d'astres, dont les rayons arrivent jusqu'à nous, c'est
+cette étoile de la Lyre, Wega, que tu vois là presque au zénith, et
+elle est encore à cinquante mille milliards de lieues. Son éclat ne
+peut donc affecter ton regard. Mais notre soleil se lèvera demain à
+trente-huit millions de lieues seulement, et aucun oeil humain ne
+peut le regarder fixement, car il est plus ardent qu'un foyer de
+fournaise. Mais viens, Nell, viens ! »
+
+On prit la route. James Starr tenait la jeune fille par la main. Harry
+marchait à son côté. Jack Ryan allait et venait comme eût fait un jeune
+chien, impatient de la lenteur de ses maîtres.
+
+Le chemin était désert. Nell regardait la silhouette des grands arbres
+que le vent agitait dans l'ombre. Elle les eût volontiers pris pour
+quelques géants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les
+hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne
+d'horizon qui s'accusait plus nettement, lorsque la route coupait une
+plaine, tout l'imprégnait de sentiments nouveaux et traçait en elle des
+impressions ineffaçables. Après avoir interrogé d'abord, Nell se
+taisait, et, d'un commun propos, ses compagnons respectaient son
+silence. Ils ne voulaient point influencer par leurs paroles
+l'imagination sensible de la jeune fille. Ils préféraient laisser les
+idées naître d'elles-mêmes en son esprit.
+
+A onze heures et demie environ, la rive septentrionale du golfe de
+Forth était atteinte.
+
+Là, une barque, qui avait été frétée par James Starr, attendait. Elle
+devait, en quelques heures, les porter, ses compagnons et lui, jusqu'au
+port d'Edimbourg.
+
+Nell vit l'eau brillante qui ondulait à ses pieds sous l'action du
+ressac et semblait constellée d'étoiles tremblotantes.
+
+« Est-ce un lac ? demanda-t-elle.
+
+-- Non, répondit Harry, c'est un vaste golfe avec des eaux courantes,
+c'est l'embouchure d'un fleuve, c'est presque un bras de mer. Prends un
+peu de cette eau dans le creux de ta main, Nell, et tu verras qu'elle
+n'est pas douce comme celle du lac Malcolm. »
+
+La jeune fille se baissa, trempa sa main dans les premiers flots et la
+porta à ses lèvres.
+
+« Cette eau est salée, dit-elle.
+
+-Oui, répondit Harry, la mer a reflué jusqu'ici, car la marée est
+pleine. Les trois quarts de notre globe sont recouverts de cette eau
+salée, dont tu viens de boire quelques gouttes !
+
+-- Mais si l'eau des fleuves n'est que celle de la mer que leur versent
+les nuages, pourquoi est-elle douce ? demanda Nell.
+
+-- Parce que l'eau se dessale en s'évaporant, répondit James Starr. Les
+nuages ne sont formés que par l'évaporation et renvoient sous forme de
+pluie cette eau douce à la mer.
+
+-- Harry, Harry ! s'écria alors la jeune fille, quelle est cette lueur
+rougeâtre qui enflamme l'horizon ? Est-ce donc une forêt en feu ? »
+
+Et Nell montrait un point du ciel, au milieu des basses brumes qui se
+coloraient dans l'est.
+
+« Non, Nell, répondit Harry. C'est la lune à son lever.
+
+-- Oui, la lune ! s'écria Jack Ryan, un superbe plateau d'argent que
+les génies célestes font circuler dans le firmament, et qui recueille
+toute une monnaie d'étoiles !
+
+-- Vraiment, Jack ! répondit l'ingénieur en riant, je ne te connaissais
+pas ce penchant aux comparaisons hardies !
+
+-- Eh ! monsieur Starr, ma comparaison est juste ! vous voyez bien que
+les étoiles disparaissent à mesure que la lune s'avance. Je suppose
+donc qu'elles tombent dedans !
+
+-- C'est-à-dire, Jack, répondit l'ingénieur, que c'est la lune qui
+éteint par son éclat les étoiles de sixième grandeur, et voilà pourquoi
+celles-ci s'effacent sur son passage.
+
+-- Que tout cela est beau ! répétait Nell, qui ne vivait plus que par
+le regard. Mais je croyais que la lune était toute ronde ?
+
+-- Elle est ronde quand elle est pleine, répondit James Starr,
+c'est-à-dire lorsqu'elle se trouve en opposition avec le soleil. Mais,
+cette nuit, la lune entre dans son dernier quartier, elle est écornée
+déjà, et le plateau d'argent de notre ami Jack n'est plus qu'un plat à
+barbe !
+
+-- Ah ! monsieur Starr, s'écria Jack Ryan, quelle indigne comparaison !
+J'allais justement entonner ce couplet en l'honneur de la lune :
+
+ Astre des nuits qui dans ton cours
+ Viens caresser...
+Mais non ! C'est maintenant impossible ! votre plat à barbe m'a coupé
+l'inspiration ! »
+
+Cependant, la lune montait peu à peu sur l'horizon. Devant elle
+s'évanouissaient les dernières vapeurs. Au zénith et dans l'ouest, les
+étoiles brillaient encore sur un fond noir que l'éclat lunaire allait
+graduellement pâlir. Nell contemplait en silence cet admirable
+spectacle, ses yeux supportaient sans fatigue cette douce lueur
+argentée, mais sa main frémissait dans celle d'Harry et parlait pour
+elle.
+
+« Embarquons-nous, mes amis, dit James Starr. Il faut que nous ayons
+gravi les pentes de l'Arthur-Seat avant le lever du soleil ! » La
+barque était amarrée à un pieu de la rive. Un marinier la gardait. Nell
+et ses compagnons y prirent place. La voile fut hissée et se gonfla
+sous la brise du nord-ouest.
+
+Quelle nouvelle impression ressentit alors la jeune fille ! Elle avait
+navigué quelquefois sur les lacs de la Nouvelle-Aberfoyle, mais
+l'aviron, si doucement manié qu'il fût par la main d'Harry, trahissait
+toujours l'effort du rameur. Ici, pour la première fois, Nell se
+sentait entraînée avec un glissement presque aussi doux que celui du
+ballon à travers l'atmosphère. Le golfe était uni comme un lac. A demi
+couchée à l'arrière, Nell se laissait aller à ce balancement. Par
+instants, en de certaines embardées, un rayon de lune filtrait jusqu'à
+la surface du Forth, et l'embarcation semblait courir sur une nappe
+d'argent toute scintillante. De petites ondulations chantaient le long
+du bordage. C'était un ravissement.
+
+Mais il arriva alors que les yeux de Nell se fermèrent
+involontairement. Une sorte d'assoupissement passager la prit. Sa tête
+s'inclina sur la poitrine d'Harry, et elle s'endormit d'un tranquille
+sommeil.
+
+Harry voulait la réveiller, afin qu'elle ne perdît rien des
+magnificences de cette belle nuit.
+
+« Laisse-la dormir, mon garçon, lui dit l'ingénieur. Deux heures de
+repos la prépareront mieux à supporter les impressions du jour. »
+
+A deux heures du matin, l'embarcation arrivait au pier de Granton. Nell
+se réveilla, dès qu'elle toucha terre.
+
+« J'ai dormi ? demanda-t-elle.
+
+-- Non, ma fille, répondit James Starr. Tu as simplement rêvé que tu
+dormais, voilà tout. »
+
+La nuit était très claire alors. La lune, à mi-chemin de l'horizon au
+zénith, dispersait ses rayons à tous les points du ciel.
+
+Le petit port de Granton ne contenait que deux ou trois bateaux de
+pêche, que balançait doucement la houle du golfe. La brise calmissait
+aux approches du matin. L'atmosphère, nettoyée de brumes, promettait
+une de ces délicieuses journées d'août que le voisinage de la mer rend
+plus belles encore. Une sorte de buée chaude se dégageait de l'horizon,
+mais si fine, si transparente, que les premiers feux du soleil devaient
+la boire en un instant. La jeune fille put donc observer cet aspect de
+la mer, lorsqu'elle se confond avec l'extrême périmètre du ciel. La
+portée de sa vue s'en trouvait agrandie, mais son regard ne subissait
+pas cette impression particulière que donne l'Océan, lorsque la lumière
+semble en reculer les bornes à l'infini.
+
+Harry prit la main de Nell. Tous deux suivirent James Starr et Jack
+Ryan qui s'avançaient par les rues désertes. Dans la pensée de Nell, ce
+faubourg de la capitale n'était qu'un assemblage de maisons sombres,
+qui lui rappelait Coal-city, avec cette seule différence que sa voûte
+était plus élevée et scintillait de points brillants. Elle allait d'un
+pas léger, et jamais Harry n'était obligé de ralentir le sien, par
+crainte de la fatiguer.
+
+« Tu n'es pas lasse ? lui demanda-t-il, après une demi-heure de marche.
+
+-- Non, répondit-elle. Mes pieds ne semblent même pas toucher à la
+terre ! Ce ciel est si haut au-dessus de nous que j'ai l'envie de
+m'envoler, comme si j'avais des ailes !
+
+-- Retiens-la ! s'écria Jack Ryan. C'est qu'elle est bonne à garder,
+notre petite Nell ! Moi aussi, j'éprouve cet effet, lorsque je suis
+resté quelque temps sans sortir de la houillère !
+
+-- Cela est dû, dit James Starr, à ce que nous ne nous sentons plus
+écrasés par la voûte de schiste qui recouvre Coal-city ! Il semble
+alors que le firmament soit comme un profond abîme dans lequel on est
+tenté de s'élancer. -- N'est-ce pas ce que tu ressens, Nell ?
+
+-- Oui, monsieur Starr, répondit la jeune fille, c'est bien cela.
+J'éprouve comme une sorte de vertige !
+
+-- Tu t'y feras, Nell, répondit Harry. Tu te feras à cette immensité du
+monde extérieur, et peut-être oublieras-tu alors notre sombre houillère
+!
+
+-- Jamais, Harry ! » répondit Nell.
+
+Et elle appuya sa main sur ses yeux, comme si elle eût voulu refaire
+dans son esprit le souvenir de tout ce qu'elle venait de quitter.
+
+Entre les maisons endormies de la ville, James Starr et ses compagnons
+traversèrent Leith-Walk. Ils contournèrent Calton Hill, où se
+dressaient dans la pénombre l'Observatoire et le monument de Nelson.
+Ils suivirent la rue du Régent, franchirent un pont, et arrivèrent par
+un léger détour à l'extrémité de la Canongate.
+
+Aucun mouvement ne se faisait encore dans la ville. Deux heures
+sonnaient au clocher gothique de Canongate-Church.
+
+En cet endroit, Nell s'arrêta.
+
+« Quelle est cette masse confuse ? demanda-t-elle en montrant un
+édifice isolé qui s'élevait au fond d'une petite place.
+
+-- Cette masse, Nell, répondit James Starr, c'est le palais des anciens
+souverains de l'Écosse, Holyrood, où se sont accomplis tant
+d'événements funèbres ! Là, l'historien pourrait évoquer bien des
+ombres royales, depuis l'ombre de l'infortunée Marie Stuart jusqu'à
+celle du vieux roi français Charles X ! Et pourtant, malgré ces
+funèbres souvenirs, lorsque le jour sera venu, Nell, tu ne trouveras
+pas à cette résidence un aspect trop lugubre ! Avec ses quatre grosses
+tours crénelées, Holyrood ne ressemble pas mal à quelque château de
+plaisance, auquel le bon plaisir de son propriétaire a conservé son
+caractère féodal ! -- Mais continuons notre marche. Là, dans l'enceinte
+même de l'ancienne abbaye d'Holyrood, se dressent ces roches superbes
+de Salisbury que domine l'Arthur-Seat. C'est là que nous monterons.
+C'est à sa cime, Nell, que tes yeux verront le soleil apparaître
+au-dessus de l'horizon de mer. »
+
+Ils entrèrent dans le Parc du Roi. Puis, s'élevant graduellement, ils
+traversèrent victoria-Drive, magnifique route circulaire, praticable
+aux voitures, que Walter Scott se félicite d'avoir obtenue avec
+quelques lignes de roman.
+
+L'Arthur-Seat n'est, à vrai dire, qu'une colline haute de sept cent
+cinquante pieds, dont la tête isolée domine les hauteurs environnantes.
+En moins d'une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait
+l'ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le crâne
+de ce lion auquel ressemble l'Arthur Seat, lorsqu'on l'observe du côté
+de l'ouest.
+
+Là, tous quatre s'assirent, et James Starr, toujours riche de citations
+empruntées au grand romancier écossais, se borna à dire :
+
+« Voici ce qu'a écrit Walter Scott, au huit de la _Prison d'Édimbourg_ :
+
+« Si j'avais à choisir un lieu d'où l'on pût voir le mieux possible le
+lever et le coucher du soleil, ce serait cet endroit même. »
+
+« Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder à paraître, et, pour
+la première fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur. »
+
+Les regards de la jeune fille étaient alors tournés vers l'est. Harry,
+placé près d'elle, l'observait avec une anxieuse attention.
+N'allait-elle pas être trop vivement impressionnée par les premiers
+rayons du jour ? Tous demeurèrent silencieux. Jack Ryan lui-même se tut.
+
+Déjà une petite ligne pâle, nuancée de rose, se dessinait au-dessus de
+l'horizon sur un fond de brumes légères. Un reste de vapeurs, égarées
+au Zénith, fut attaqué par le premier trait de lumière. Au pied
+d'Arthur-Seat, dans le calme absolu de la nuit, Édimbourg, assoupie
+encore, apparaissait confusément. Quelques points lumineux piquaient çà
+et là l'obscurité. C'étaient les étoiles matinales qu'allumaient les
+gens de la vieille ville. En arrière, dans l'ouest, l'horizon, coupé de
+silhouettes capricieuses, bornait une région accidentée de pics,
+auxquels chaque rayon solaire allait mettre une aigrette de feu.
+
+Cependant, le périmètre de la mer se traçait plus vivement vers l'est.
+La gamme des couleurs se disposait peu à peu suivant l'ordre que donne
+le spectre solaire. Le rouge des premières brumes allait par
+dégradation jusqu'au violet du zénith. De seconde en seconde, la
+palette prenait plus de vigueur : le rose devenait rouge, le rouge
+devenait feu. Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc
+diurne allait fixer sur la circonférence de la mer.
+
+En ce moment, les regards de Nell couraient du pied de la colline
+jusqu'à la ville, dont les quartiers commençaient à se détacher par
+groupes. De hauts monuments, quelques clochers aigus émergeaient çà et
+là, et leurs linéaments se profilaient alors avec plus de netteté. Il
+se répandait comme une sorte de lumière cendrée dans l'espace. Enfin,
+un premier rayon atteignit l'oeil de la jeune fille. C'était ce
+rayon vert, qui, soir ou matin, se dégage de la mer, lorsque l'horizon
+est pur.
+
+Une demi-minute plus tard, Nell se redressait et tendait la main vers
+un point qui dominait les quartiers de la nouvelle ville.
+
+« Un feu ! dit-elle.
+
+-- Non, Nell, répondit Harry, ce n'est pas un feu. C'est une touche
+d'or que le soleil pose au sommet du monument de Walter Scott ! »
+
+Et, en effet, l'extrême pointe du clocheton, haut de deux cents pieds,
+brillait comme un phare de premier ordre.
+
+Le jour était fait. Le soleil déborda. Son disque semblait encore
+humide, comme s'il fût réellement sorti des eaux de la mer. D'abord
+élargi par la réfraction, il se rétrécit peu à peu, de manière à
+prendre la forme circulaire. Son éclat, bientôt insoutenable, était
+celui d'une bouche de fournaise qui eût troué le ciel.
+
+Nell dut presque aussitôt fermer les yeux. Sur leurs paupières, trop
+minces, il lui fallut même appliquer ses doigts, serrés étroitement.
+
+Harry voulait qu'elle se retournât vers l'horizon opposé.
+
+« Non, Harry, dit-elle. Il faut que mes yeux s'habituent à voir ce que
+savent voir tes yeux ! »
+
+A travers la paume de ses mains, Nell percevait encore une lueur rose,
+qui blanchissait à mesure que le soleil s'élevait au dessus de
+l'horizon. Son regard s'y faisait graduellement. Puis, ses paupières se
+soulevèrent, et ses yeux s'imprégnèrent enfin de la lumière du jour.
+
+La pieuse enfant tomba à genoux, s'écriant :
+
+« Mon Dieu, que votre monde est beau ! »
+
+La jeune fille baissa les yeux alors et regarda. A ses pieds se
+déroulait le panorama d'Édimbourg : les quartiers neufs et bien alignés
+de la nouvelle ville, l'amas confus des maisons et le réseau bizarre
+des rues de l'Auld-Recky. Deux hauteurs dominaient cet ensemble, le
+château accroché à son rocher de basalte et Calton Hill, portant sur sa
+croupe arrondie les ruines modernes d'un monument grec. De magnifiques
+routes plantées rayonnaient de la capitale à la campagne. Au nord, un
+bras de mer, le golfe de Forth, entaillait profondément la côte, sur
+laquelle s'ouvrait le port de Leith. Au-dessus, en troisième plan, se
+développait l'harmonieux littoral du comté de Fife. Une voie, droite
+comme celle du Pirée, reliait à la mer cette Athènes du Nord. Vers
+l'ouest s'allongeaient les belles plages de Newhaven et de Porto-Bello,
+dont le sable teignait en jaune les premières lames du ressac. Au
+large, quelques chaloupes animaient les eaux du golfe, et deux ou trois
+steamers empanachaient le ciel d'un cône de fumée noire. Puis, au-delà,
+verdoyait l'immense campagne. De modestes collines bossuaient çà et là
+la plaine. Au nord, les Lomond-Hills, dans l'ouest, le Ben-Lomond et le
+Ben-Ledi réverbéraient les rayons solaires, comme si des glaces
+éternelles en eussent tapissé les cimes.
+
+Nell ne pouvait parler. Ses lèvres ne murmuraient que des mots vagues.
+Ses bras frémissaient. Sa tête était prise de vertiges. Un instant, ses
+forces l'abandonnèrent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle
+sublime, elle se sentit tout à coup faiblir, et tomba sans connaissance
+dans les bras d'Harry, prêts à la recevoir.
+
+Cette jeune fille, dont la vie s'était écoulée jusqu'alors dans les
+entrailles du massif terrestre, avait enfin contemplé ce qui constitue
+presque tout l'univers, tel que l'ont fait le Créateur et l'homme. Ses
+regards, après avoir plané sur la ville et sur la campagne, venaient de
+s'étendre, pour la première fois, sur l'immensité de la mer et l'infini
+du ciel.
+
+ XVIII
+
+ Du lac Lomond au lac Katrine
+
+Harry portant Nell dans ses bras, suivi de James Starr et de Jack Ryan,
+redescendit les pentes d'Arthur-Seat. Après quelques heures de repos et
+un déjeuner réconfortant qui fut pris à Lambret's-Hotel, on songea à
+compléter l'excursion par une promenade à travers le pays des lacs.
+
+Nell avait recouvré ses forces. Ses yeux pouvaient désormais s'ouvrir
+tout grands à la lumière, et ses poumons aspirer largement cet air
+vivifiant et salubre. Le vert des arbres, la nuance variée des plantes,
+l'azur du ciel, avaient déployé devant ses regards la gamme des
+couleurs.
+
+Le train qu'ils prirent à Général railway station, conduisit Nell et
+ses compagnons à Glasgow. Là, du dernier pont jeté sur la Clyde, ils
+purent admirer le curieux mouvement maritime du fleuve. Puis, ils
+passèrent la nuit à Comrie's Royal-hôtel.
+
+Le lendemain, de la gare d'« Édimbourg and Glasgow railway », le train
+devait les conduire rapidement, par Dumbarton et Balloch, à l'extrémité
+méridionale du lac Lomond.
+
+« C'est là le pays de Rob Roy et de Fergus Mac Gregor ! s'écria James
+Starr, le territoire si poétiquement célébré par Walter Scott ! -- Tu
+ne connais pas ce pays, Jack ?
+
+-- Je le connais par ses chansons, monsieur Starr, répondit Jack Ryan,
+et, lorsqu'un pays a été si bien chanté, il doit être superbe !
+
+-- Il l'est, en effet, s'écria l'ingénieur, et notre chère Nell en
+conservera le meilleur souvenir !
+
+-- Avec un guide tel que vous, monsieur Starr, répondit Harry, ce sera
+double profit, car vous nous raconterez l'histoire du pays pendant que
+nous le regarderons.
+
+-- Oui, Harry, dit l'ingénieur, autant que ma mémoire me le permettra,
+mais à une condition, cependant : c'est que le joyeux Jack me viendra
+en aide ! Lorsque je serai fatigué de raconter, il chantera !
+
+-- Il ne faudra pas me le dire deux fois », répliqua Jack Ryan en
+lançant une note vibrante, comme s'il eût voulu monter son gosier au
+_la_ du diapason.
+
+Par le railway de Glasgow à Balloch, entre la métropole commerciale de
+l'Écosse et l'extrémité méridionale du lac Lomond, on ne compte qu'une
+vingtaine de milles.
+
+Le train passa par Dumbarton, bourg royal et chef-lieu de comté, dont
+le château, toujours fortifié, conformément au traité de l'Union, est
+pittoresquement campé sur les deux pics d'un gros rocher de basalte.
+
+Dumbarton est situé au confluent de la Clyde et de la Leven. A ce
+propos, James Starr raconta quelques particularités de l'aventureuse
+histoire de Marie Stuart. En effet, ce fut de ce bourg qu'elle partit
+pour aller épouser François II et devenir reine de France. Là aussi,
+après 1815, le ministère anglais médita d'interner Napoléon; mais le
+choix de Sainte-Hélène prévalut, et voilà pourquoi le prisonnier de
+l'Angleterre alla mourir sur un roc de l'Atlantique, pour le plus grand
+profit de la légendaire mémoire.
+
+Bientôt, le train s'arrêta à Balloch, près d'une estacade en bois qui
+descendait au niveau du lac.
+
+Un bateau à vapeur, le _Sinclair_, attendait les touristes qui font
+l'excursion des lacs. Nell et ses compagnons s'y embarquèrent, après
+avoir pris leur billet pour Inversnaid, à l'extrémité nord du lac
+Lomond.
+
+La journée commençait par un beau soleil, bien dégagé de ces brumes
+britanniques, dont il se voile le plus ordinairement. Aucun détail de
+ce paysage, qui allait se dérouler sur un parcours de trente milles, ne
+devait échapper aux voyageurs du _Sinclair_. Nell, assise à l'arrière
+entre James Starr et Harry, aspirait par tous ses sens la poésie
+superbe, dont cette belle nature écossaise est si largement empreinte.
+
+Jack Ryan allait et venait sur le pont du _Sinclair_, interrogeant sans
+cesse l'ingénieur, qui, cependant, n'avait pas besoin d'être interrogé.
+A mesure que ce pays de Rob Roy se développait à ses regards, il le
+décrivait en admirateur enthousiaste.
+
+Dans les premières eaux du lac Lomond, apparurent d'abord de nombreuses
+petites îles ou îlots. C'était comme un semis. Le _Sinclair_ côtoyait
+leurs rives escarpées, et, dans l'entre-deux des îles, se dessinaient,
+tantôt une vallée solitaire, tantôt une gorge sauvage, hérissée de rocs
+abrupts.
+
+« Nell, dit James Starr, chacun de ces îlots a sa légende, et peut-être
+sa chanson, aussi bien que les monts qui encadrent le lac. On peut
+dire, sans trop de prétention, que l'histoire de cette contrée est
+écrite avec ces caractères gigantesques d'îles et de montagnes.
+
+-- Savez-vous, monsieur Starr, dit Harry, ce que me rappelle cette
+partie du lac Lomond ?
+
+-- Que te rappelle-t-elle, Harry ?
+
+-- Les mille îles du lac Ontario, si admirablement décrites par Cooper.
+Tu dois être comme moi frappée de cette ressemblance, ma chère Nell,
+car, il y a quelques jours, je t'ai lu ce roman qu'on a pu justement
+nommer le chef-d'oeuvre de l'auteur américain.
+
+-- En effet, Harry, répondit la jeune fille, c'est le même aspect, et
+le _Sinclair_ se glisse entre ces îles, comme faisait au lac Ontario le
+cutter de Jasper Eau-douce !
+
+-- Eh bien, reprit l'ingénieur, cela prouve que les deux sites
+méritaient d'être également chantés par deux poètes ! Je ne connais pas
+ces mille îles de l'Ontario, Harry, mais je doute que l'aspect en soit
+plus varié que celui de cet archipel du Lomond. Regardez ce paysage !
+voici l'île Murray, avec son vieux fort Lennox, où résida la vieille
+duchesse d'Albany, après la mort de son père, de son époux, de ses deux
+fils, décapités par ordre de Jacques Ier. Voici l'île Clar, l'île Cro,
+l'île Torr, les unes rocheuses, sauvages, sans apparence de végétation,
+les autres, montrant leur croupe verte et arrondie. Ici, des mélèzes et
+des bouleaux. Là, des champs de bruyères jaunes et desséchées. En
+vérité ! j'ai quelque peine à croire que les mille îles du lac Ontario
+offrent une telle variété de sites !
+
+-- Quel est ce petit port ? demanda Nell, qui s'était retournée vers la
+rive orientale du lac.
+
+-- C'est Balmaha, qui forme l'entrée des Highlands, répondit James
+Starr. Là commencent nos hautes terres d'Écosse. Les ruines que tu
+aperçois, Nell, sont celles d'un ancien couvent de femmes, et ces
+tombes éparses renferment divers membres de la famille des Mac Gregor,
+dont le nom est encore célèbre dans toute la contrée.
+
+-- Célèbre par le sang que cette famille a répandu et fait répandre !
+fit observer Harry.
+
+-- Tu as raison, répondit James Starr, et il faut bien avouer que la
+célébrité, due aux batailles, est encore la plus retentissante. Ils
+vont loin à travers les âges ces récits de combats...
+
+-- Et ils se perpétuent par les chansons », ajouta Jack Ryan.
+
+Et, à l'appui de son dire, le brave garçon entonna le premier couplet
+d'un vieux chant de guerre, qui relatait les exploits d'Alexandre Mac
+Gregor, du glen Sraë, contre sir Humphry Colquhour, de Luss.
+
+Nell écoutait, mais, de ces récits de combats, elle ne recevait qu'une
+impression triste. Pourquoi tant de sang versé sur ces plaines que la
+jeune fille trouvait immenses, là où la place, cependant, ne devait
+manquer à personne ?
+
+Les rives du lac, qui mesurent de trois à quatre milles, tendaient à se
+rapprocher aux abords du petit port de Luss. Nell put apercevoir un
+instant la vieille tour de l'ancien château. Puis, le _Sinclair_ remit
+le cap au nord, et aux yeux des touristes se montra le Ben Lomond, qui
+s'élève à près de trois mille pieds au-dessus du niveau du lac.
+
+« L'admirable montagne ! s'écria Nell, et, de son sommet, que la vue
+doit être belle !
+
+-- Oui, Nell, répondit James Starr. Regarde comme cette cime se dégage
+fièrement de la corbeille de chênes, de bouleaux, de mélèzes, qui
+tapissent la zone inférieure du mont ! De là, on aperçoit les deux
+tiers de notre vieille Calédonie. C'est ici que le clan de Mac Gregor
+faisait sa résidence habituelle, sur la partie orientale du lac. Non
+loin, les querelles des Jacobites et des Hanovriens ont plus d'une fois
+ensanglanté ces gorges désolées. Là, pendant les belles nuits, se lève
+cette pâle lune, que les vieux récits nomment « la lanterne de Mac
+Farlane ». Là, les échos répètent encore les noms impérissables de Rob
+Roy et de Mac Gregor Campbell ! »
+
+Le Ben Lomond, dernier pic de la chaîne des Grampians, mérite vraiment
+d'avoir été célébré par le grand romancier écossais. Ainsi que le fit
+observer James Starr, il existe de plus hautes montagnes, dont la cime
+revêt des neiges éternelles, mais il n'en est peut-être pas de plus
+poétique en aucun coin du monde.
+
+« Et, ajouta-t-il, quand je pense que ce Ben Lomond appartient tout
+entier au duc de Montrose ! Sa Grâce possède une montagne comme un
+bourgeois de Londres possède un boulingrin dans son jardinet. »
+
+Pendant ce temps, le _Sinclair_ arrivait au village de Tarbet, sur la
+rive opposée du lac, où il déposa les voyageurs qui se rendaient à
+Inverary. De cet endroit, le Ben Lomond apparaissait dans toute sa
+beauté. Ses flancs, zébrés par le lit des torrents, miroitaient comme
+des plaques d'argent en fusion.
+
+A mesure que le _Sinclair_ longeait la base de la montagne, le pays
+devenait de plus en plus abrupt. A peine, çà et là, des arbres isolés,
+entre autres quelques-uns de ces saules, dont les baguettes servaient
+autrefois à pendre les gens de petite condition.
+
+« Pour économiser le chanvre », fit observer James Starr.
+
+Le lac, cependant, se rétrécissait en s'allongeant vers le nord. Les
+montagnes latérales l'enserraient plus étroitement. Le bateau à vapeur
+longea encore quelques îles et îlots, Inveruglas, Eilad Whou, où se
+dressaient les vestiges d'une forteresse qui appartenait aux Mac
+Farlane. Enfin les deux rives se rejoignirent, et le _Sinclair_
+s'arrêta à la station d'Inverslaid.
+
+Là, pendant qu'on préparait leur déjeuner, Nell et ses compagnons
+allèrent visiter, près du lieu de débarquement, un torrent qui se
+précipitait dans le lac d'une assez grande hauteur. Il paraissait avoir
+été planté là comme un décor, pour le plaisir des touristes. Un pont
+tremblant sautait par-dessus les eaux tumultueuses, au milieu d'une
+poussière liquide. De cet endroit, le regard embrassait une grande
+partie du Lomond, et le _Sinclair_ ne paraissait plus être qu'un point
+à sa surface.
+
+Le déjeuner achevé, il s'agissait de se rendre au lac Katrine.
+Plusieurs voitures, aux armes de la famille Breadalbane -- cette
+famille qui assurait autrefois le bois et l'eau à Rob Roy fugitif --
+étaient à la disposition des voyageurs et leur offraient tout ce
+confort qui distingue la carrosserie anglaise.
+
+Harry installa Nell sur l'impériale, conformément à la mode du jour.
+Ses compagnons et lui prirent place auprès d'elle. Un magnifique
+cocher, à livrée rouge, réunit dans sa main gauche les guides de ses
+quatre chevaux, et l'attelage commença à gravir le flanc de la
+montagne, en côtoyant le lit sinueux du torrent.
+
+La route était fort escarpée. A mesure qu'elle s'élevait, la forme des
+cimes environnantes semblait se modifier. On voyait grandir superbement
+toute la chaîne de la rive opposée du lac et les sommets d'Arroquhar,
+dominant la vallée d'Inveruglas. A gauche pointait le Ben Lomond, qui
+découvrait ainsi le brusque escarpement de son flanc septentrional.
+
+Le pays compris entre le lac Lomond et le lac Katrine présentait un
+aspect sauvage. La vallée commençait par des défilés étroits qui
+aboutissaient au glen d'Aberfoyle. Ce nom rappela douloureusement à la
+jeune fille ces abîmes remplis d'épouvante, au fond desquels s'était
+écoulée son enfance. Aussi James Starr s'empressa-t-il de la distraire
+par ses récits.
+
+La contrée y prêtait, d'ailleurs. C'est sur les bords du petit lac
+d'Ard que se sont accomplis les principaux événements de la vie de Rob
+Roy. Là se dressaient des roches calcaires d'un aspect sinistre,
+entremêlées de cailloux, que l'action du temps et de l'atmosphère avait
+durcis comme du ciment. De misérables huttes, semblables à des tanières
+-- de celles qu'on appelle « bourrochs » --, gisaient au milieu des
+bergeries en ruine. On n'eût pu dire si elles étaient habitées par des
+créatures humaines ou des bêtes sauvages. Quelques marmots, aux cheveux
+déjà décolorés par l'intempérie du climat, regardaient passer les
+voitures avec de grands yeux ébahis.
+
+« Voilà bien, dit James Starr, ce que l'on peut plus particulièrement
+appeler le pays de Rob Roy. C'est ici que l'excellent bailli Nichol
+Jarvie, digne fils de son père le diacre, fut saisi par la milice du
+comte de Lennox. C'est à cet endroit même qu'il resta suspendu par le
+fond de sa culotte, heureusement faite d'un bon drap d'Écosse, et non
+de ces camelots légers de France ! Non loin des sources du Forth,
+qu'alimentent les torrents du Ben Lomond, se voit encore le gué que
+franchit le héros pour échapper aux soldats du duc de Montrose. Ah !
+s'il avait connu les sombres retraites de notre houillère, il aurait pu
+y défier toutes les recherches ! vous le voyez, mes amis, on ne peut
+faire un pas dans cette contrée, merveilleuse à tant de titres, sans
+rencontrer ces souvenirs du passé dont s'est inspiré Walter Scott,
+lorsqu'il a paraphrasé en strophes magnifiques l'appel aux armes du
+clan des Mac Gregor !
+
+-- Tout cela est bien dit, monsieur Starr, répliqua Jack Ryan, mais,
+s'il est vrai que Nichol Jarvie resta suspendu par le fond de sa
+culotte, que devient notre proverbe : « Bien malin celui qui pourra
+jamais prendre la culotte d'un Écossais ? »
+
+-- Ma foi, Jack, tu as raison, répondit en riant James Starr, et cela
+prouve tout simplement que, ce jour-là, notre bailli n'était pas vêtu à
+la mode de ses ancêtres !
+
+-- Il eut tort, monsieur Starr !
+
+-- Je n'en disconviens pas, Jack ! »
+
+L'attelage, après avoir gravi les abruptes rives du torrent,
+redescendit dans une vallée sans arbres, sans eaux, uniquement couverte
+d'une maigre bruyère. En certains endroits, quelques tas de pierres
+s'élevaient en pyramides.
+
+« Ce sont des cairns, dit James Starr. Chaque passant, autrefois,
+devait y apporter une pierre, pour honorer le héros couché sous ces
+tombes. De là est venu le dicton gaélique : « Malheur à qui passe
+devant un cairn sans y déposer la pierre du dernier salut ! » Si les
+fils avaient conservé la foi de leurs pères, ces amas de pierres
+seraient maintenant des collines. En vérité, dans cette contrée, tout
+contribue à développer cette poésie naturelle innée au coeur des
+montagnards ! Il en est ainsi de tous les pays de montagne.
+L'imagination y est surexcitée par ces merveilles, et, si les Grecs
+eussent habité un pays de plaines, ils n'auraient jamais inventé la
+mythologie antique ! »
+
+Pendant ces discours et bien d'autres, la voiture s'enfonçait dans les
+défilés d'une vallée étroite, qui eût été très propice aux ébats des
+brawnies familiers de la grande Meg Mérillies. Le petit lac d'Arklet
+fut laissé sur la gauche, et une route à pente raide se présenta, qui
+conduisait à l'auberge de Stronachlacar, sur la rive du lac Katrine.
+
+Là, au musoir d'une légère estacade, se balançait un petit steam-boat,
+qui portait naturellement le nom de _Rob-Roy_. Les voyageurs s'y
+embarquèrent aussitôt : il allait partir.
+
+Le lac Katrine ne mesure que dix milles de longueur, sur une largeur
+qui ne dépasse jamais deux milles. Les premières collines du littoral
+sont encore empreintes d'un grand caractère.
+
+« Voilà donc ce lac, s'écria James Starr, que l'on a justement comparé
+à une longue anguille ! On affirme qu'il ne gèle jamais. Je n'en sais
+rien, mais ce qu'il ne faut point oublier, c'est qu'il a servi de
+théâtre aux exploits de la _Dame du lac_. Je suis certain que, si notre
+ami Jack regardait bien, il verrait glisser encore à sa surface l'ombre
+légère de la belle Hélène Douglas !
+
+-- Certainement, monsieur Starr, répondit Jack Ryan, et pourquoi ne la
+verrais-je point ? Pourquoi cette jolie femme ne serait elle pas aussi
+visible sur les eaux du lac Katrine, que le sont les lutins de la
+houillère sur les eaux du lac Malcolm ? »
+
+En cet instant, les sons clairs d'une cornemuse se firent entendre à
+l'arrière du _Rob-Roy_.
+
+Là, un Highlander en costume national préludait, sur son « bag-pipe » à
+trois bourdons, dont le plus gros sonnait le _sol_, le second le _si_,
+et le plus petit l'octave du gros. Quant au chalumeau, percé de huit
+trous, il donnait une gamme de _sol_ majeur dont le _fa_ était naturel.
+
+Le refrain du Highlander était un chant simple, doux et naïf. On peut
+croire, véritablement, que ces mélodies nationales n'ont été composées
+par personne, qu'elles sont un mélange naturel du souffle de la brise,
+du murmure des eaux, du bruissement des feuilles. La forme du refrain,
+qui revenait à intervalles réguliers, était bizarre. Sa phrase se
+composait de trois mesures à deux temps, et d'une mesure à trois temps,
+finissant sur le temps faible. Contrairement aux chants de la vieille
+époque, il était en majeur, et l'on eût pu l'écrire comme suit, dans ce
+langage chiffré qui donne, non les notes, mais les intervalles des tons
+:
+
+ 5 | 1.2 | 3525 | 1.765 | 22.22
+ ···
+
+ 1.2 | 3525 | 1.765 | 11.11
+ ···
+
+Un homme véritablement heureux alors, ce fut Jack Ryan. Ce chant des
+lacs d'Écosse, il le savait. Aussi, pendant que le Highlander
+l'accompagnait sur sa cornemuse, il chanta de sa voix sonore un hymne,
+consacré aux poétiques légendes de la vieille Calédonie :
+
+ Beaux lacs aux ondes dormantes,
+ Gardez à jamais
+ Vos légendes charmantes,
+ Beaux lacs écossais !
+
+ Sur vos bords on trouve la trace
+ De ces héros tant regrettés,
+ Ces descendants de noble race,
+ Que notre Walter a chantés !
+ Voici la tour où les sorcières
+ Préparaient leur repas frugal;
+ Là, les vastes champs de bruyères,
+ Où revient l'ombre de Fingal.
+
+ Ici passent dans la nuit sombre
+ Les folles danses des lutins.
+ Là, sinistre, apparaît dans l'ombre
+ La face des vieux Puritains !
+ Et parmi les rochers sauvages,
+ Le soir, on peut surprendre encore
+ Waverley, qui, vers vos rivages,
+ Entraîne Flora Mac Ivor !
+
+ La Dame du Lac vient sans doute
+ Errer là sur son palefroi,
+ Et Diana, non loin, écoute
+ Résonner le cor de Rob Roy !
+ N'a-t-on pas entendu naguère
+ Fergus au milieu de ses clans,
+ Entonnant ses pibrochs de guerre,
+ Réveiller l'écho des Highlands
+
+ Si loin de vous, lacs poétiques,
+ Que le destin mène nos pas,
+ Ravins, rochers, grottes antiques,
+ Nos yeux ne vous oublieront pas !
+ Ô vision trop tôt finie,
+ Vers nous ne peux-tu revenir
+ A toi, vieille Calédonie,
+ A toi, tout notre souvenir !
+
+ Beaux lacs aux ondes dormantes,
+ Gardez à jamais
+ Vos légendes charmantes,
+ Beaux lacs écossais !
+
+Il était trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine,
+moins accidentées, se détachaient alors dans le double cadre du Ben An
+et du Ben venue. Déjà, à un demi-mille, se dessinait l'étroit bassin,
+au fond duquel le _Rob-Roy_ allait débarquer les voyageurs, qui se
+rendaient à Stirling par Callander.
+
+Nell était comme épuisée par la tension continue de son esprit. Un seul
+mot sortait de ses lèvres : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » chaque fois qu'un
+nouveau sujet d'admiration s'offrait à sa vue. Il lui fallait quelques
+heures de repos, ne fût-ce que pour fixer plus durablement le souvenir
+de tant de merveilles.
+
+A ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec
+émotion et lui dit :
+
+« Nell, ma chère Nell, bientôt nous serons rentrés dans notre sombre
+domaine ! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces
+quelques heures passées à la pleine lumière du jour ?
+
+-- Non, Harry, répondit la jeune fille. Je me souviendrai, mais c'est
+avec bonheur que je rentrerai avec toi dans notre bien-aimée houillère.
+
+-- Nell, demanda Harry d'une voix dont il voulait en vain contenir
+l'émotion, veux-tu qu'un lien sacré nous unisse à jamais devant Dieu et
+devant les hommes ? veux-tu de moi pour époux ?
+
+-- Je le veux, Harry, répondit Nell, en le regardant de ses yeux si
+purs, je le veux, si tu crois que je puisse suffire à ta vie... » Nell
+n'avait pas achevé cette phrase, dans laquelle se résumait tout
+l'avenir d'Harry, qu'un inexplicable phénomène se produisait.
+
+Le _Rob-Roy_, bien qu'il fût encore à un demi-mille de la rive,
+éprouvait un choc brusque. Sa quille venait de heurter le fond du lac,
+et sa machine, malgré tous ses efforts, ne put l'en arracher.
+
+Et si cet accident était arrivé, c'est que, dans sa portion orientale,
+le lac Katrine venait de se vider presque subitement, comme si une
+immense fissure se fût ouverte sous son lit. En quelques secondes, il
+s'était asséché, ainsi qu'un littoral au plus bas d'une grande marée
+d'équinoxe. Presque tout son contenu avait fui à travers les entrailles
+du sol.
+
+« Mes amis, s'était écrié James Starr, comme si la cause du phénomène
+se fût soudain révélée à son esprit, Dieu sauve la Nouvelle-Aberfoyle !
+
+ XIX
+
+ Une dernière menace
+
+Ce jour-là, dans la Nouvelle-Aberfoyle, les travaux s'accomplissaient
+d'une façon régulière. On entendait au loin le fracas des cartouches de
+dynamite, faisant éclater le filon carbonifère. Ici, c'étaient les
+coups de pic et de pince qui provoquaient l'abatage du charbon; là, le
+grincement des perforatrices, dont les fleurets trouaient les failles
+de grès ou de schiste. Il se faisait de longs bruits caverneux. L'air
+aspiré par les machines fusait à travers les galeries d'aération. Les
+portes de bois se refermaient brusquement sous ces violentes poussées.
+Dans les tunnels inférieurs, les trains de wagonnets, mus
+mécaniquement, passaient avec une vitesse de quinze milles à l'heure,
+et les timbres automatiques prévenaient les ouvriers de se blottir dans
+les refuges. Les cages montaient et descendaient sans relâche, halées
+par les énormes tambours des machines installées à la surface du sol.
+Les disques, poussés à plein feu, éclairaient vivement Coal-city.
+
+L'exploitation était donc conduite avec la plus grande activité. Le
+filon s'égrenait dans les wagonnets, qui venaient par centaines se
+vider dans les bennes, au fond des puits d'extraction. Pendant qu'une
+partie des mineurs se reposait après les travaux nocturnes, les équipes
+de jour travaillaient sans perdre une heure.
+
+Simon Ford et Madge, leur dîner terminé, s'étaient installés dans la
+cour du cottage. Le vieil overman faisait sa sieste accoutumée. Il
+fumait sa pipe bourrée d'excellent tabac de France. Lorsque les deux
+époux causaient, c'était pour parler de Nell, de leur garçon, de James
+Starr, de cette excursion à la surface de la terre. Où étaient-ils ?
+Que faisaient-ils en ce moment ? Comment, sans éprouver la nostalgie de
+la houillère, pouvaient-ils rester si longtemps au-dehors ?
+
+En ce moment, un mugissement d'une violence extraordinaire se fit
+soudain entendre. C'était à croire qu'une énorme cataracte se
+précipitait dans la houillère.
+
+Simon Ford et Madge s'étaient levés brusquement.
+
+Presque aussitôt les eaux du lac Malcolm se gonflèrent. Une haute
+vague, déferlant comme une lame de mascaret, envahit la rive et vint se
+briser contre le mur du cottage.
+
+Simon Ford, saisissant Madge, l'avait rapidement entraînée au premier
+étage de l'habitation.
+
+En même temps, des cris s'élevaient de toutes parts dans Coalcity,
+menacée par cette inondation subite. Ses habitants cherchaient refuge
+jusque sur les hautes roches schisteuses, qui formaient le littoral du
+lac.
+
+La terreur était au comble. Déjà quelques familles de mineurs, à demi
+affolées, se précipitaient vers le tunnel, pour gagner les étages
+supérieurs. On pouvait craindre que la mer n'eût fait irruption dans la
+houillère, dont les galeries s'enfonçaient jusque sous le canal du
+Nord. La crypte, si vaste qu'elle fût, aurait été entièrement noyée.
+Pas un des habitants de la Nouvelle-Aberfoyle n'eût échappé à la mort.
+
+Mais, au moment où les premiers fuyards atteignaient l'orifice du
+tunnel, ils se trouvèrent en face de Simon Ford, qui avait aussitôt
+quitté le cottage.
+
+« Arrêtez, arrêtez, mes amis ! leur cria le vieil overman. Si notre
+cité devait être envahie, l'inondation courrait plus vite que vous, et
+personne ne lui échapperait ! Mais les eaux ne croissent plus ! Tout
+danger paraît être écarté.
+
+-- Et nos compagnons qui sont occupés aux travaux du fond ? s'écrièrent
+quelques-uns des mineurs.
+
+-- Il n'y a rien à craindre pour eux, répondit Simon Ford.
+L'exploitation se fait à un étage supérieur au lit du lac ! »
+
+Les faits devaient donner raison au vieil overman. L'envahissement de
+l'eau s'était produit subitement; mais, réparti à l'étage inférieur de
+la vaste houillère, il n'avait eu d'autre effet que de surélever de
+quelques pieds le niveau du lac Malcolm. Coal-city n'était donc pas
+compromise, et l'on pouvait espérer que l'inondation, entraînée dans
+les plus basses profondeurs de la houillère, encore inexploitées,
+n'aurait fait aucune victime.
+
+Quant à cette inondation, si elle était due à l'épanchement d'une nappe
+intérieure à travers les fissures du massif, ou si quelque cours d'eau
+du sol s'était précipité par son lit effondré jusqu'aux derniers étages
+de la mine, Simon Ford et ses compagnons ne pouvaient le dire. Quant à
+penser qu'il s'agissait là d'un simple accident, tel qu'il s'en produit
+quelquefois dans les charbonnages, cela ne faisait doute pour personne.
+
+Mais, le soir même, on savait à quoi s'en tenir. Les journaux du comté
+publiaient le récit de cet étrange phénomène, dont le lac Katrine avait
+été le théâtre. Nell, Harry, James Starr et Jack Ryan, qui étaient
+revenus en toute hâte au cottage, confirmaient ces nouvelles, et
+apprenaient, non sans grande satisfaction, que tout se bornait à des
+dégâts matériels dans la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Ainsi donc, le lit du lac Katrine s'était subitement effondré. Ses eaux
+avaient fait irruption à travers une large fissure jusque dans la
+houillère. Au lac favori du romancier écossais, il ne restait plus de
+quoi mouiller les jolis pieds de la Dame du Lac, -- du moins dans toute
+sa partie méridionale. Un étang de quelques acres, voilà à quoi il
+était réduit, là où son lit se trouvait en contrebas de la portion
+effondrée.
+
+Quel retentissement eut cet événement bizarre ! C'était la première
+fois, sans doute, qu'un lac se vidait en quelques instants dans les
+entrailles du sol. Il n'y avait plus, maintenant, qu'à rayer celui-ci
+des cartes du Royaume-Uni, jusqu'à ce qu'on l'eût rempli de nouveau --
+par souscription publique --, après avoir préalablement bouché la
+fissure. Walter Scott en fût mort de désespoir, -- s'il eût encore été
+de ce monde !
+
+Après tout, l'accident était explicable. En effet, entre la profonde
+cavité et le lit du lac, l'étage des terrains secondaires se réduisait
+à une mince couche, par suite d'une disposition géologique particulière
+du massif.
+
+Mais, si cet éboulement semblait être dû à une cause naturelle, James
+Starr, Simon et Harry Ford se demandèrent, eux, s'il ne fallait pas
+l'attribuer à la malveillance. Les soupçons étaient revenus avec plus
+de force à leur esprit. Le génie malfaisant allait-il donc recommencer
+ses entreprises contre les exploitants de la riche houillère ?
+
+Quelques jours après, James Starr en causait au cottage avec le vieil
+overman et son fils.
+
+« Simon, dit-il, suivant moi, bien que le fait puisse s'expliquer de
+lui-même, j'ai comme un pressentiment qu'il rentre dans la catégorie de
+ceux dont nous recherchons encore la cause !
+
+-- Je pense comme vous, monsieur James, répondit Simon Ford; mais, si
+vous m'en croyez, n'ébruitons rien et faisons notre enquête nous-mêmes.
+
+-- Oh ! s'écria l'ingénieur, j'en connais le résultat d'avance !
+
+-- Eh ! quel sera-t-il ?
+
+-- Nous trouverons les preuves de la malveillance, mais non le
+malfaiteur !
+
+-- Cependant il existe ! répondit Simon Ford. Où se cache-t-il ? Un
+seul être, si pervers qu'il soit, pourrait-il mener à bien une idée
+aussi infernale que celle de provoquer l'effondrement d'un lac ?
+vraiment, je finirai par croire, avec Jack Ryan, que c'est quelque
+génie de la houillère, qui nous en veut d'avoir envahi son domaine ! »
+
+Il va sans dire que Nell, autant que possible, était tenue en dehors de
+ces conciliabules. Elle aidait, d'ailleurs, au désir qu'on avait de ne
+lui en rien laisser soupçonner. Son attitude témoignait, toutefois,
+qu'elle partageait les préoccupations de sa famille adoptive. Sa figure
+attristée portait la marque des combats intérieurs qui l'agitaient.
+
+Quoi qu'il en soit, il fut résolu que James Starr, Simon et Harry Ford
+retourneraient sur le lieu même de l'éboulement, et qu'ils essaieraient
+de se rendre compte de ses causes. Ils ne parlèrent à personne de leur
+projet. A qui n'eût pas connu l'ensemble des faits qui lui servaient de
+base, l'opinion de James Starr et de ses amis devait sembler absolument
+inadmissible.
+
+Quelques jours après, tous trois, montant un léger canot que
+manoeuvrait Harry, vinrent examiner les piliers naturels qui
+soutenaient la partie du massif, dans laquelle se creusait le lit du
+lac Katrine.
+
+Cet examen leur donna raison. Les piliers avaient été attaqués à coups
+de mine. Les traces noircies étaient encore visibles, car les eaux
+avaient baissé par suite d'infiltrations, et l'on pouvait arriver
+jusqu'à la base de la substruction.
+
+Cette chute d'une portion des voûtes du dôme avait été préméditée, puis
+exécutée de main d'homme.
+
+« Aucun doute n'est possible, dit James Starr. Et qui sait ce qui
+serait arrivé, si, au lieu de ce petit lac, l'effondrement eût ouvert
+passage aux eaux d'une mer !
+
+-- Oui ! s'écria le vieil overman avec un sentiment de fierté, il
+n'aurait pas fallu moins d'une mer pour noyer notre Aberfoyle ! Mais,
+encore une fois, quel intérêt peut avoir un être quelconque à la ruine
+de notre exploitation ?.
+
+-- C'est incompréhensible, répondit James Starr. Il ne s'agit pas là
+d'une bande de malfaiteurs vulgaires qui, de l'antre où ils s'abritent,
+se répandraient sur le pays pour voler et piller ! De tels méfaits,
+depuis trois ans, auraient révélé leur existence ! Il ne s'agit pas,
+non plus, comme j'y ai pensé quelquefois, de contrebandiers ou de faux
+monnayeurs, cachant dans quelque recoin encore ignoré de ces immenses
+cavernes leur coupable industrie, et intéressés par suite à nous en
+chasser. On ne fait ni de la fausse monnaie ni de la contrebande pour
+la garder ! Il est clair cependant qu'un ennemi implacable a juré la
+perte de la Nouvelle Aberfoyle, et qu'un intérêt le pousse à chercher
+tous les moyens possibles d'assouvir la haine qu'il trous a vouée !
+Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c'est dans l'ombre
+qu'il prépare ses embûches, mais l'intelligence qu'il y déploie fait de
+lui un être redoutable. Mes amis, il possède mieux que nous tous les
+secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il échappe à
+toutes nos recherches ! C'est un homme du métier, un habile parmi les
+habiles, à coup sûr, Simon. Ce que nous avons surpris de sa façon
+d'opérer en est la preuve manifeste. Voyons ! avez-vous jamais eu
+quelque ennemi personnel, sur lequel vos soupçons puissent se porter ?
+Cherchez bien. Il y a des monomanies de haine que le temps n'éteint
+pas. Remontez au plus haut dans votre vie, s'il le faut. Tout ce qui se
+passe est l'oeuvre d'une sorte de folie froide et patiente, qui
+exige que vous évoquiez sur ce point jusqu'à vos plus lointains
+souvenirs ! »
+
+Simon Ford ne répondit pas. On voyait que l'honnête overman, avant de
+s'expliquer, interrogeait avec candeur tout son passé. Enfin, relevant
+la tête :
+
+« Non, dit-il, devant Dieu, ni Madge, ni moi, nous n'avons jamais fait
+de mal à personne. Nous ne croyons pas que nous puissions avoir un
+ennemi, un seul !
+
+-- Ah ! s'écria l'ingénieur, si Nell voulait enfin parler !
+
+-- Monsieur Starr, et vous, mon père, répondit Harry, je vous en
+supplie, gardons encore pour nous seuls le secret de notre enquête !
+N'interrogez pas ma pauvre Nell ! Je la sens déjà anxieuse et
+tourmentée. Il est certain pour moi que son coeur contient à
+grand-peine un secret qui l'étouffe. Si elle se tait, c'est ou qu'elle
+n'a rien à dire, ou qu'elle ne croit pas devoir parler ! Nous ne
+pouvons pas douter de son affection pour nous, pour nous tous ! Plus
+tard, si elle m'apprend ce qu'elle nous a tu jusqu'ici, vous en serez
+instruits aussitôt.
+
+-- Soit, Harry, répondit l'ingénieur, et cependant ce silence, si Nell
+sait quelque chose, est vraiment bien inexplicable ! »
+
+Et comme Harry allait se récrier :
+
+« Sois tranquille, ajouta l'ingénieur. Nous ne dirons rien à celle qui
+doit être ta femme.
+
+-- Et qui le serait sans plus attendre, si vous le vouliez, mon père !
+
+-- Mon garçon, dit Simon Ford, dans un mois, jour pour jour, ton
+mariage se fera. -- vous tiendrez lieu de père à Nell, monsieur James ?
+
+-- Comptez sur moi, Simon », répondit l'ingénieur.
+
+James Starr et ses deux compagnons revinrent au cottage. Ils ne dirent
+rien du résultat de leur exploration, et, pour tout le monde de la
+houillère, l'effondrement des voûtes resta à l'état de simple accident.
+Il n'y avait qu'un lac de moins en Écosse.
+
+Nell avait peu à peu repris ses occupations habituelles. De cette
+visite à la surface du comté, elle avait gardé d'impérissables
+souvenirs qu'Harry utilisait pour son instruction. Mais cette
+initiation à la vie du dehors ne lui avait laissé aucun regret. Elle
+aimait, comme avant cette exploration, le sombre domaine où, femme,
+elle continuerait de demeurer, après y avoir vécu enfant et jeune fille.
+
+Cependant, le mariage prochain de Harry Ford et de Nell avait fait
+grand bruit dans la Nouvelle-Aberfoyle. Les compliments affluèrent au
+cottage. Jack Ryan ne fut pas le dernier à y apporter les siens. On le
+surprenait aussi à étudier au loin ses meilleures chansons pour une
+fête à laquelle toute la population de Coal-city devait prendre part.
+
+Mais il arriva que, pendant le mois qui précéda le mariage, la
+Nouvelle-Aberfoyle fut plus éprouvée qu'elle ne l'avait jamais été. On
+eût dit que l'approche de l'union de Nell et d'Harry provoquait
+catastrophes sur catastrophes. Les accidents se produisaient
+principalement dans les travaux du fond, sans que la véritable cause
+pût en être connue.
+
+Ainsi, un incendie dévora le boisage d'une galerie inférieure, et on
+retrouva la lampe que l'incendiaire avait employée. Harry et ses
+compagnons durent risquer leur vie pour arrêter ce feu, qui menaçait de
+détruire le gisement, et ils n'y parvinrent qu'en employant les
+extincteurs, remplis d'une eau chargée d'acide carbonique, dont la
+houillère était prudemment pourvue.
+
+Une autre fois, ce fut un éboulement dû à la rupture des étançons d'un
+puits, et James Starr constata que ces étançons avaient été
+préalablement attaqués à la scie. Harry, qui surveillait les travaux
+sur ce point, fut enseveli sous les décombres et n'échappa que par
+miracle à la mort.
+
+Quelques jours après, sur le tramway à traction mécanique, le train de
+wagonnets sur lequel Harry était monté, tamponna un obstacle et fut
+culbuté. On reconnut ensuite qu'une poutre avait été placée en travers
+de la voie.
+
+Bref, ces faits se multiplièrent tellement, qu'une sorte de panique se
+déclara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la présence
+de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.
+
+« Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs ! répétait Simon
+Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul ! »
+
+On recommença les recherches. La police du comté se tint sur pied nuit
+et jour, mais elle ne put rien découvrir. James Starr défendit à Harry,
+que cette malveillance semblait viser plus directement, de s'aventurer
+jamais seul hors du centre des travaux.
+
+On en agit de même à l'égard de Nell, à laquelle, sur les instances de
+Harry, on cachait, néanmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui
+pouvaient lui rappeler le souvenir du passé. Simon Ford et Madge la
+gardaient jour et nuit avec une sorte de sévérité, ou plutôt de
+sollicitude farouche. La pauvre enfant s'en rendait compte, mais pas
+une remarque, pas une plainte ne lui échappa. Se disait-elle que si
+l'on en agissait ainsi, c'était dans son intérêt ? Oui, probablement.
+Toutefois, elle aussi, à sa façon, semblait veiller sur les autres, et
+ne se montrait tranquille, que lorsque tous ceux qu'elle aimait étaient
+réunis au cottage. Le soir, quand Harry rentrait, elle ne pouvait
+retenir un mouvement de joie folle, peu compatible avec sa nature,
+d'ordinaire plus réservée qu'expansive. La nuit une fois passée, elle
+était debout, avant tous les autres. Son inquiétude la reprenait dès le
+matin, à l'heure de la sortie pour les travaux du fond.
+
+Harry aurait voulu, pour lui rendre le repos, que leur mariage fût un
+fait accompli, Il lui semblait que, devant cet acte irrévocable, la
+malveillance, devenue inutile, désarmerait, et que Nell ne se sentirait
+en sûreté que lorsqu'elle serait sa femme. Cette impatience était
+d'ailleurs partagée par James Starr aussi bien que par Simon Ford et
+Madge. Chacun comptait les jours.
+
+La vérité est que chacun était sous le coup des plus sinistres
+pressentiments. Cet ennemi caché, qu'on ne savait où prendre et comment
+combattre, on se disait tout bas que rien de ce qui concernait Nell ne
+lui était sans doute indifférent. Cet acte solennel du mariage d'Harry
+et de la jeune fille pouvait donc être l'occasion de quelque
+machination nouvelle de sa haine.
+
+Un matin, huit jours avant l'époque convenue pour la cérémonie, Nell,
+poussée sans doute par quelque sinistre pressentiment, était parvenue à
+sortir la première du cottage, dont elle voulait observer les abords.
+
+Arrivée au seuil, un cri d'indicible angoisse s'échappa de sa bouche.
+
+Ce cri retentit dans toute l'habitation, et attira en un instant Madge,
+Simon et Harry près de la jeune fille.
+
+Nell était pâle comme la mort, le visage bouleversé, les traits
+empreints d'une épouvante inexprimable. Hors d'état de parler, son
+regard était fixé sur la porte du cottage, qu'elle venait d'ouvrir. Sa
+main crispée y désignait ces lignes, qui avaient été tracées pendant la
+nuit et dont la vue la terrifiait :
+
+« Simon Ford, tu m'as volé le dernier filon de nos vieilles houillères
+! Harry, ton fils, m'a volé Nell ! Malheur à vous ! malheur à tous !
+malheur à la Nouvelle-Aberfoyle ! »
+
+ « SILFAX. »
+
+« Silfax ! s'écrièrent à la fois Simon Ford et Madge.
+
+-- Quel est cet homme ? demanda Harry, dont le regard se portait
+alternativement de son père à la jeune fille.
+
+-- Silfax ! répétait Nell avec désespoir, Silfax ! »
+
+Et tout son être frémissait en murmurant ce nom, pendant que Madge,
+s'emparant d'elle, la reconduisait presque de force à sa chambre.
+
+James Starr était accouru. Après avoir lu et relu la phrase menaçante :
+
+« La main qui a tracé ces lignes, dit-il, est celle qui m'avait écrit
+la lettre contradictoire de la vôtre, Simon ! Cet homme se nomme Silfax
+! Je vois à votre trouble que vous le connaissez ! Quel est ce Silfax ?
+
+ XX
+
+ Le pénitent
+
+Ce nom avait été toute une révélation pour le vieil overman.
+
+C'était celui du dernier « pénitent » de la fosse Dochart.
+
+Autrefois, avant l'invention de la lampe de sûreté, Simon Ford avait
+connu cet homme farouche, qui, au risque de sa vie, allait chaque jour
+provoquer les explosions partielles du grisou. Il avait vu cet être
+étrange, rôdant dans la mine, toujours accompagné d'un énorme harfang,
+sorte de chouette monstrueuse, qui l'aidait dans son périlleux métier
+en portant une mèche enflammée là où la main de Silfax ne pouvait
+atteindre. Un jour, ce vieillard avait disparu, et, en même temps que
+lui, une petite orpheline, née dans la mine et qui n'avait plus pour
+parent que lui, son arrière-grand-père. Cette enfant, évidemment,
+c'était Nell. Depuis quinze ans, tous deux auraient donc vécu dans
+quelque secret abîme, jusqu'au jour où Nell fut sauvée par Harry.
+
+Le vieil overman, en proie à la fois à un sentiment de pitié et de
+colère, communiqua à l'ingénieur et à son fils ce que la vue de ce nom
+de Silfax venait de lui révéler.
+
+Cela éclaircissait toute la situation. Silfax était l'être mystérieux
+vainement cherché dans les profondeurs de la Nouvelle Aberfoyle !
+
+« Ainsi, vous l'avez connu, Simon ? demanda l'ingénieur.
+
+-- Oui, en vérité, répondit l'overman. L'homme au harfang ! Il n'était
+déjà plus jeune. Il devait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi.
+Une sorte de sauvage, qui ne frayait avec personne, qui passait pour ne
+craindre ni l'eau ni le feu ! C'était par goût qu'il avait choisi le
+métier de pénitent, dont peu se souciaient. Cette dangereuse profession
+avait dérangé ses idées. On le disait méchant, et il n'était peut-être
+que fou. Sa force était prodigieuse. Il connaissait la houillère comme
+pas un, -- aussi bien que moi tout au moins. On lui accordait une
+certaine aisance. Ma foi, je le croyais mort depuis bien des années.
+
+-- Mais, reprit James Starr, qu'entend-il par ces mots : « Tu m'as volé
+le dernier filon de nos vieilles houillères » ?
+
+-- Ah ! voilà, répondit Simon Ford. Il y a longtemps déjà, Silfax, dont
+la cervelle, je vous l'ai dit, a toujours été dérangée, prétendait
+avoir des droits sur l'ancienne Aberfoyle. Aussi son humeur
+devenait-elle de plus en plus farouche à mesure que la fosse Dochart,
+-- sa fosse ! -- s'épuisait ! Il semblait que ce fussent ses propres
+entrailles que chaque coup de pic lui arrachât du corps ! -- Tu dois
+te. souvenir de cela, Madge ?
+
+-- Oui, Simon, répondit la vieille Écossaise.
+
+-- Cela me revient maintenant, reprit Simon Ford, depuis que j'ai vu le
+nom de Silfax sur cette porte; mais, je le répète, je le croyais mort,
+et je ne pouvais imaginer que cet être malfaisant, que nous avons tant
+cherché, fût l'ancien pénitent de la fosse Dochart !
+
+-- En effet, dit James Starr, tout s'explique. Un hasard a révélé à
+Silfax l'existence du nouveau gisement. Dans son égoïsme de fou, il
+aura voulu s'en constituer le défenseur, vivant dans la houillère, la
+parcourant nuit et jour, il aura surpris votre secret, Simon, et su que
+vous me demandiez en toute hâte au cottage. De là, cette lettre
+contradictoire de la vôtre; de là, après mon arrivée, le bloc de pierre
+lancé contre Harry et les échelles détruites du puits Yarow; de là,
+l'obturation des fissures à la paroi du nouveau gisement; de là, enfin,
+notre séquestration, puis notre délivrance, qui s'est accomplie grâce à
+la secourable Nell, sans doute, à l'insu et malgré ce Silfax !
+
+-- Vous venez de raconter les choses comme elles ont évidemment dû se
+passer, monsieur James, répondit Simon Ford. Le vieux pénitent est
+certainement fou, maintenant !
+
+-- Cela vaut mieux, dit Madge.
+
+-- Je ne sais, reprit James Starr en secouant la tête, car ce doit être
+une folie terrible que la sienne ! Ah ! je comprends que Nell ne puisse
+songer à lui sans épouvante, et je comprends aussi qu'elle n'ait pas
+voulu dénoncer son grand-père ! Quelles tristes années elle a dû passer
+près de ce vieillard !
+
+-- Bien tristes ! répondit Simon Ford, entre ce sauvage et son harfang,
+non moins sauvage que lui ! Car, bien sûr, il n'est pas mort, cet
+oiseau ! Ce ne peut être que lui qui a éteint notre lampe, lui qui a
+failli couper la corde à laquelle étaient suspendus Harry et Nell !...
+
+-- Et je comprends, dit Madge, que la nouvelle du mariage de sa
+petite-fille avec notre fils semble avoir exaspéré la rancune et
+redoublé la rage de Silfax !
+
+-- Le mariage de Nell avec le fils de celui qu'il accuse de lui avoir
+volé le dernier gisement des Aberfoyle ne peut, en effet, qu'avoir
+porté son irritation au comble ! reprit Simon Ford.
+
+-- Il faudra pourtant bien qu'il prenne son parti de cette union !
+s'écria Harry. Si étranger qu'il soit à la vie commune, on finira bien
+par l'amener à reconnaître que la nouvelle existence de Nell vaut mieux
+que celle qu'il lui faisait dans les abîmes de la houillère ! Je suis
+sûr, monsieur Starr, que si nous pouvions mettre la main sur lui, nous
+parviendrions à lui faire entendre raison !...
+
+-- On ne raisonne pas avec la folie, mon pauvre Harry ! répondit
+l'ingénieur. Mieux vaut sans doute connaître son ennemi que l'ignorer,
+mais tout n'est pas fini, parce que nous savons aujourd'hui ce qu'il
+est. Tenons-nous sur nos gardes, mes amis, et pour commencer, Harry, il
+faut interroger Nell ! Il le faut ! Elle comprendra que, à l'heure
+qu'il est, son silence n'aurait plus de raison. Dans l'intérêt même de
+son grand-père, il convient qu'elle parle. Il importe autant pour lui
+que pour nous, que nous puissions mettre à néant ses sinistres projets.
+
+-- Je ne doute pas, monsieur Starr, répondit Harry, que Nell ne vienne
+de son propre mouvement au-devant de vos questions. Vous le savez
+maintenant, c'est par conscience, c'est par devoir qu'elle s'est tue
+jusqu'ici. C'est par devoir, c'est par conscience qu'elle parlera dès
+que vous le voudrez. Ma mère a bien fait de la reconduire dans sa
+chambre. Elle avait grand besoin de se recueillir, mais je vais l'aller
+chercher...
+
+-- C'est inutile, Harry », dit d'une voix ferme et claire la jeune
+fille, qui entrait au moment même dans la grande salle du cottage.
+
+Nell était pâle. Ses yeux disaient combien elle avait pleuré; mais on
+la sentait résolue à la démarche que sa loyauté lui commandait en ce
+moment.
+
+« Nell ! s'était écrié Harry, en s'élançant vers la jeune fille.
+
+-- Harry, répondit Nell, qui d'un geste arrêta son fiancé, ton père, ta
+mère et toi, il faut aujourd'hui que vous sachiez tout. Il faut que
+vous n'ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne
+l'enfant que vous avez accueillie sans la connaître et qu'Harry pour
+son malheur, hélas ! a tirée de l'abîme.
+
+-- Nell ! s'écria Harry.
+
+-- Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence à Harry.
+
+-- Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n'ai jamais
+connu de mère que le jour où je suis entrée ici, ajouta-t-elle en
+regardant Madge.
+
+-- Que ce jour soit béni, ma fille ! répondit la vieille Écossaise.
+
+-- Je n'ai jamais connu de père que le jour où j'ai vu Simon Ford,
+reprit Nell, et d'ami que le jour où la main d'Harry a touché la mienne
+! Seule, j'ai vécu pendant quinze ans, dans les recoins les plus
+reculés de la mine, avec mon grand-père. Avec lui, c'est beaucoup dire.
+Par lui serait plus juste. Je le voyais à peine. Lorsqu'il disparut de
+l'ancienne Aberfoyle, il se réfugia dans ces profondeurs que lui seul
+connaissait. A sa façon, il était alors bon pour moi, quoique
+effrayant. Il me nourrissait de ce qu'il allait chercher au-dehors;
+mais j'ai le vague souvenir que, d'abord, pendant mes plus jeunes
+années, j'ai eu pour nourrice une chèvre, dont la perte m'a bien
+désolée. Grand-père, me voyant si chagrine, la remplaça d'abord par un
+autre animal, -- un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien était
+gai. Il aboyait. Grand-père n'aimait pas la gaieté. Il avait horreur du
+bruit. Il m'avait appris le silence, et n'avait pu l'apprendre au
+chien. Le pauvre animal disparut presque aussitôt. Grand-père avait
+pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d'abord me fit
+horreur; mais cet oiseau, malgré la répulsion qu'il m'inspirait, me
+prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en
+était venu à m'obéir mieux qu'à son maître, et cela même m'inquiétait
+pour lui. Grand-père était jaloux. Le harfang et moi, nous nous
+cachions le plus que nous pouvions d'être trop bien ensemble ! Nous
+comprenions qu'il le fallait !... Mais c'est trop vous parler de moi !
+C'est de vous qu'il s'agit...
+
+-- Non, ma fille, répondit James Starr. Dis les choses comme elles te
+viennent.
+
+-- Mon grand-père, reprit Nell, avait toujours vu d'un très mauvais
+&oelig;il votre voisinage dans la houillère. L'espace ne manquait pas,
+cependant. C'était loin, bien loin de vous qu'il se choisissait des
+refuges. Cela lui déplaisait de vous sentir là. Quand je le
+questionnais sur les gens de là-haut, son visage s'assombrissait, il ne
+répondait pas et devenait comme muet pour longtemps. Mais où sa colère
+éclata, ce fut quand il s'aperçut que, ne vous contentant plus du vieux
+domaine, vous sembliez vouloir empiéter sur le sien. Il jura que si
+vous parveniez à pénétrer dans la nouvelle houillère, connue de lui
+seul jusqu'alors, vous péririez ! Malgré son âge, sa force est encore
+extraordinaire, et ses menaces me firent trembler pour vous et pour lui.
+
+-- Continue, Nell, dit Simon Ford à la jeune fille, qui s'était
+interrompue un instant, comme pour mieux rassembler ses souvenirs.
+
+-- Après votre première tentative, reprit Nell, dès que grand père vous
+vit pénétrer dans la galerie de la Nouvelle-Aberfoyle, il en boucha
+l'ouverture et en fit une prison pour vous. Je ne vous connaissais que
+comme des ombres, vaguement entrevues dans l'obscure houillère; mais je
+ne pus supporter l'idée que des chrétiens allaient mourir de faim dans
+ces profondeurs, et, au risque d'être prise sur le fait, je parvins à
+vous procurer pendant quelques jours un peu d'eau et de pain !...
+J'aurais voulu vous guider au-dehors, mais il était si difficile de
+tromper la surveillance de mon grand-père ! vous alliez mourir ! Jack
+Ryan et ses compagnons arrivèrent... Dieu a permis que je les aie
+rencontrés ce jour-là ! Je les entraînai jusqu'à vous. Au retour, mon
+grand-père me surprit. Sa colère contre moi fut terrible. Je crus que
+j'allais périr de sa main ! Depuis lors, la vie devint insupportable
+pour moi. Les idées de mon grand-père s'égarèrent tout à fait. Il se
+proclamait le roi de l'ombre et du feu ! Quand il entendait vos pics
+frapper ces filons qu'il regardait comme les siens, il devenait furieux
+et me battait avec rage. Je voulus fuir. Ce fut impossible; tant il me
+gardait de près. Enfin, il y a trois mois, dans un accès de démence
+sans nom, il me descendit dans l'abîme où vous m'avez trouvée, et il
+disparut, après avoir vainement appelé l'harfang, qui resta fidèlement
+près de moi. Depuis quand étais-je là ? je l'ignore ! Tout ce que je
+sais, c'est que je me sentais mourir, quand tu es arrivé, mon Harry, et
+quand tu m'as sauvée ! Mais, tu le vois, la petite-fille du vieux
+Silfax ne peut pas être la femme d'Harry Ford, puisqu'il y va de ta
+vie, de votre vie à tous !
+
+-- Nell ! s'écria Harry.
+
+-- Non, reprit la jeune fille. Mon sacrifice est fait. Il n'est qu'un
+moyen de conjurer votre perte : c'est que je retourne près de mon
+grand-père. Il menace toute la Nouvelle-Aberfoyle !... C'est une âme
+incapable de pardon, et nul ne peut savoir ce que le génie de la
+vengeance lui aura inspiré ! Mon devoir est clair. Je serais la plus
+misérable des créatures si j'hésitais à l'accomplir. Adieu ! et merci !
+vous m'avez fait connaître le bonheur dès ce monde ! Quoi qu'il arrive,
+pensez que mon coeur tout entier restera au milieu de vous ! »
+
+A ces mots, Simon Ford, Madge, Harry fou de douleur, s'étaient levés.
+
+« Quoi, Nell ! s'écrièrent-ils avec désespoir, tu voudrais nous quitter
+! »
+
+James Starr les écarta d'un geste plein d'autorité, et, allant droit à
+Nell, il lui prit les deux mains.
+
+« C'est bien, mon enfant, lui dit-il. Tu as dit ce que tu devais dire;
+mais voici ce que nous avons à te répondre. Nous ne te laisserons pas
+partir, et, s'il le faut, nous te retiendrons par la force. Nous
+crois-tu donc capables de cette lâcheté d'accepter ton offre généreuse
+? Les menaces de Silfax sont redoutables, soit ! Mais, après tout, un
+homme n'est qu'un homme, et nous prendrons nos précautions. Cependant,
+peux-tu, dans l'intérêt de Silfax même, nous renseigner sur ses
+habitudes, nous dire où il se cache ? Nous ne voulons qu'une chose : le
+mettre hors d'état de nuire, et peut-être le ramener à la raison.
+
+-- Vous voulez l'impossible, répondit Nell. Mon grand-père est partout
+et nulle part. Je n'ai jamais connu ses retraites ! Je ne l'ai jamais
+vu endormi. Quand il avait trouvé quelque refuge, il me laissait seule
+et disparaissait. Lorsque j'ai pris ma résolution, monsieur Starr, je
+savais tout ce que vous pouviez me répondre. Croyez-moi ! Il n'y a
+qu'un moyen de désarmer mon grand-père : c'est que je parvienne à le
+retrouver. Il est invisible, lui, mais il voit tout. Demandez-vous
+comment il aurait découvert vos plus secrètes pensées, depuis la lettre
+écrite à M. Starr, jusqu'au projet de mon mariage avec Harry, s'il
+n'avait pas l'inexplicable faculté de tout savoir. Mon grand-père,
+autant que je puis en juger, est, dans sa folie même, un homme puissant
+par l'esprit. Autrefois, il lui est arrivé de me dire de grandes
+choses. Il m'a appris Dieu, et ne m'a trompée que sur un point : c'est
+quand il m'a fait croire que tous les hommes étaient perfides,
+lorsqu'il a voulu m'inspirer sa haine contre l'humanité tout entière.
+Lorsque Harry m'a rapportée dans ce cottage, vous avez pensé que
+j'étais ignorante seulement ! J'étais plus que cela. J'étais épouvantée
+! Ah ! pardonnez-moi ! mais, pendant quelques jours, je me suis crue au
+pouvoir des méchants, et je voulais vous fuir ! Ce qui a commencé à
+ramener mon esprit au vrai, c'est vous, Madge, non par vos paroles,
+mais par le spectacle de votre vie, alors que je vous voyais aimée et
+respectée de votre mari et de votre fils ! Puis, quand j'ai vu ces
+travailleurs, heureux et bons, vénérer M. Starr, dont je les ai crus
+d'abord les esclaves, lorsque pour la première fois j'ai vu toute la
+population d'Aberfoyle venir à la chapelle, s'y agenouiller, prier Dieu
+et le remercier de ses bontés infinies, alors je me suis dit : « Mon
+grand-père m'a trompée ! » Mais aujourd'hui, éclairée par ce que vous
+m'avez appris, je pense qu'il s'est trompé lui-même ! Je vais donc
+reprendre les chemins secrets par lesquels je l'accompagnais autrefois.
+Il doit me guetter ! Je l'appellerai... il m'entendra, et qui sait si,
+en retournant vers lui, je ne le ramènerai pas à la vérité ? »
+
+Tous avaient laissé parler la jeune fille. Chacun sentait qu'il devait
+lui être bon d'ouvrir son coeur tout entier à ses amis, au moment
+où, dans sa généreuse illusion, elle croyait qu'elle allait les quitter
+pour toujours. Mais quand, épuisée, les yeux pleins de larmes, elle se
+tut, Harry, se tournant vers Madge, dit :
+
+« Ma mère, que penseriez-vous de l'homme qui abandonnerait la noble
+fille que vous venez d'entendre ?
+
+-- Je penserais, répondit Madge, que cet homme est un lâche, et, s'il
+était mon fils, je le renierais, je le maudirais !
+
+-- Nell, tu as entendu notre mère, reprit Harry. Où que tu ailles, je
+te suivrai. Si tu persistes à partir, nous partirons ensemble...
+
+-- Harry ! Harry ! » s'écria Nell.
+
+Mais l'émotion était trop forte. On vit blêmir les lèvres de la jeune
+fille, et elle tomba dans les bras de Madge, qui pria l'ingénieur,
+Simon et Harry de la laisser seule avec elle.
+
+ XXI
+
+ Le mariage de Nell
+
+On se sépara, mais il fut d'abord convenu que les hôtes du cottage
+seraient plus que jamais sur leurs gardes. La menace du vieux Silfax
+était trop directe pour qu'il n'en fût pas tenu compte. C'était à se
+demander si l'ancien pénitent ne disposait pas de quelque moyen
+terrible qui pouvait anéantir toute l'Aberfoyle.
+
+Des gardiens armés furent donc postés aux diverses issues de la
+houillère, avec ordre de veiller jour et nuit. Tout étranger à la mine
+dut être amené devant James Starr, afin qu'il pût constater son
+identité. On ne craignit pas de mettre les habitants de Coal-city au
+courant des menaces dont la colonie souterraine était l'objet. Silfax
+n'ayant aucune intelligence dans la place, il n'y avait nulle trahison
+à craindre. On fit connaître à Nell toutes les mesures de sûreté qui
+venaient d'être prises, et, sans qu'elle fût rassurée complètement,
+elle retrouva quelque tranquillité. Mais la résolution d'Harry de la
+suivre partout où elle irait, avait plus que tout contribué à lui
+arracher la promesse de ne pas s'enfuir.
+
+Pendant la semaine qui précéda le mariage de Nell et d'Harry, aucun
+incident ne troubla la Nouvelle-Aberfoyle. Aussi les mineurs, sans se
+départir de la surveillance organisée, revinrent-ils de cette panique,
+qui avait failli compromettre l'exploitation.
+
+Cependant James Starr continuait à faire rechercher le vieux Silfax. Le
+vindicatif vieillard ayant déclaré que Nell n'épouserait jamais Harry,
+on devait admettre qu'il ne reculerait devant rien pour empêcher ce
+mariage. Le mieux aurait été de s'emparer de sa personne, tout en
+respectant sa vie. L'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle fut donc
+minutieusement recommencée. On fouilla les galeries jusque dans les
+étages supérieurs qui affleuraient les ruines de Dundonald-Castle, à
+Irvine. On supposait avec raison que c'était par le vieux château que
+Silfax communiquait avec l'extérieur et qu'il s'approvisionnait des
+choses nécessaires à sa misérable existence, soit en achetant, soit en
+maraudant. Quant aux « Dames de feu », James Starr eut la pensée que
+quelque jet de grisou, qui se produisait dans cette partie de la
+houillère, avait pu être allumé par Silfax et produire ce phénomène. Il
+ne se trompait pas. Mais les recherches furent vaines.
+
+James Starr, pendant cette lutte de tous les instants contre un être
+insaisissable, fut, sans en rien faire voir, le plus malheureux des
+hommes. A mesure que s'approchait le jour du mariage, ses craintes
+s'accroissaient, et il avait cru devoir, par exception, en faire part
+au vieil overman, qui devint bientôt plus inquiet que lui.
+
+Enfin le jour arriva.
+
+Silfax n'avait pas donné signe de vie.
+
+Dès le matin, toute la population de Coal-city fut sur pied. Les
+travaux de la Nouvelle-Aberfoyle avaient été suspendus. Chefs et
+ouvriers tenaient à rendre hommage au vieil overman et à son fils. Ce
+n'était que payer une dette de reconnaissance aux deux hommes hardis et
+persévérants, qui avaient rendu à la houillère la prospérité
+d'autrefois.
+
+C'était à onze heures, dans la chapelle de Saint-Gilles, élevée sur la
+rive du lac Malcolm, que la cérémonie allait s'accomplir.
+
+A l'heure dite, on vit sortir du cottage Harry donnant le bras à sa
+mère, Simon Ford donnant le bras à Nell.
+
+Suivaient l'ingénieur James Starr, impassible en apparence, mais au
+fond s'attendant à tout, et Jack Ryan, superbe dans ses habits de piper.
+
+Puis, venaient les autres ingénieurs de la mine, les notables de
+Coal-city, les amis, les compagnons du vieil overman, tous les membres
+de cette grande famille de mineurs, qui formait la population spéciale
+de la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Au-dehors, il faisait une de ces journées torrides du mois d'août, qui
+sont particulièrement pénibles dans les pays du Nord. L'air orageux
+pénétrait jusque dans les profondeurs de la houillère, où la
+température s'était élevée d'une façon anormale. L'atmosphère s'y
+saturait d'électricité, à travers les puits d'aération et le vaste
+tunnel de Malcolm.
+
+On aurait pu constater -- phénomène assez rare -- que le baromètre, à
+Coal-city, avait baissé d'une quantité considérable. C'était à se
+demander, vraiment, si quelque orage n'allait pas éclater sous la voûte
+de schiste, qui formait le ciel de l'immense crypte.
+
+Mais la vérité est que personne, au-dedans, ne se préoccupait des
+menaces atmosphériques du dehors.
+
+Chacun, cela va sans dire, avait revêtu ses plus beaux habits pour la
+circonstance.
+
+Madge portait un costume qui rappelait ceux du vieux temps. Elle était
+coiffée d'un « toy », comme les anciennes matrones, et sur ses épaules
+flottait le « rokelay », sorte de mantille quadrillée que les
+Écossaises portent avec une certaine élégance.
+
+Nell s'était promis de ne rien laisser voir des agitations de sa
+pensée. Elle défendit à son coeur de battre, à ses secrètes
+angoisses de se trahir, et la courageuse enfant parvint à montrer à
+tous un visage calme et recueilli.
+
+Elle était simplement mise, et la simplicité de son vêtement, qu'elle
+avait préféré à des ajustements plus riches, ajoutait encore au charme
+de sa personne. Sa seule coiffure était un « snood », ruban de couleurs
+variées, dont se parent ordinairement les jeunes Calédoniennes.
+
+Simon Ford avait un habit que n'aurait pas désavoué le digne bailli
+Nichol Jarvie, de Walter Scott.
+
+Tout ce monde se dirigea vers la chapelle de Saint-Gilles, qui avait
+été luxueusement décorée.
+
+Au ciel de Coal-city, les disques électriques, ravivés par des courants
+plus intenses, resplendissaient comme autant de soleils. Une atmosphère
+lumineuse emplissait toute la Nouvelle Aberfoyle.
+
+Dans la chapelle, les lampes électriques projetaient aussi de vives
+lueurs, et les vitraux coloriés brillaient comme des kaléidoscopes de
+feux.
+
+C'était le révérend William Hobson qui devait officier. A la porte même
+de Saint-Gilles, il attendait l'arrivée des époux.
+
+Le cortège approchait, après avoir majestueusement contourné la rive du
+lac Malcolm.
+
+En ce moment, l'orgue se fit entendre, et les deux couples, précédés du
+révérend Hobson, se dirigèrent vers le chevet de Saint-Gilles.
+
+La bénédiction céleste fut d'abord appelée sur toute l'assistance;
+puis, Harry et Nell restèrent seuls devant le ministre, qui tenait le
+livre sacré à la main.
+
+« Harry, demanda le révérend Hobson, voulez-vous prendre Nell pour
+femme, et jurez-vous de l'aimer toujours ?
+
+-- Je le jure, répondit le jeune homme d'une voix forte.
+
+-- Et vous, Nell, reprit le ministre, voulez-vous prendre pour époux
+Harry Ford, et... »
+
+La jeune fille n'avait pas eu le temps de répondre, qu'une immense
+clameur retentissait au-dehors.
+
+Un de ces énormes rochers, formant terrasse, qui surplombait la rive du
+lac Malcolm, à cent pas de la chapelle, venait de s'ouvrir subitement,
+sans explosion, comme si sa chute eût été préparée à l'avance.
+Au-dessous, les eaux s'engouffraient dans une excavation profonde, que
+personne ne savait exister là.
+
+Puis soudain, entre les roches éboulées, apparut un canot, qu'une
+poussée vigoureuse lança à la surface du lac.
+
+Sur ce canot, un vieillard, vêtu d'une sombre cagoule, les cheveux
+hérissés, une longue barbe blanche tombant sur sa poitrine, se tenait
+debout.
+
+Il avait à la main une lampe Davy, dans laquelle brillait une flamme,
+protégée par la toile métallique de l'appareil.
+
+En même temps, d'une voix forte, le vieillard criait :
+
+« Le grisou ! le grisou ! Malheur à tous ! malheur ! »
+
+En ce moment, la légère odeur qui caractérise l'hydrogène protocarboné
+se répandit dans l'atmosphère.
+
+Et s'il en était ainsi, c'est que la chute du rocher avait livré
+passage à une énorme quantité de gaz explosif, emmagasiné dans
+d'énormes « soufflards » dont les schistes obturaient l'orifice. Les
+jets de grisou fusaient vers les voûtes du dôme, sous une pression de
+cinq à six atmosphères.
+
+Le vieillard connaissait l'existence de ces soufflards, et il les avait
+brusquement ouverts, de manière à rendre détonante l'atmosphère de la
+crypte.
+
+Cependant James Starr et quelques autres, quittant précipitamment la
+chapelle, s'étaient élancés sur la rive.
+
+« Hors de la mine ! hors de la mine ! » cria l'ingénieur, qui, ayant
+compris l'imminence du danger, vint jeter ce cri d'alarme à la porte de
+Saint-Gilles.
+
+« Le grisou ! le grisou ! » répétait le vieillard, en poussant son
+canot plus avant sur les eaux du lac.
+
+Harry, entraînant sa fiancée, son père, sa mère, avait précipitamment
+quitté la chapelle.
+
+« Hors de la mine ! hors de la mine ! » répétait James Starr.
+
+Il était trop tard pour fuir ! Le vieux Silfax était là, prêt à
+accomplir sa dernière menace, prêt à empêcher le mariage de Nell et
+d'Harry, en ensevelissant toute la population de Coal-city sous les
+ruines de la houillère.
+
+Au-dessus de sa tête, volait son énorme harfang, dont le plumage blanc
+était taché de points noirs.
+
+Mais alors, un homme se précipita dans les eaux du lac, qui nagea
+vigoureusement vers le canot.
+
+C'était Jack Ryan. Il s'efforçait d'atteindre le fou, avant que
+celui-ci n'eût accompli son oeuvre de destruction.
+
+Silfax le vit venir. Il brisa le verre de sa lampe, et, après avoir
+arraché la mèche allumée, il la promena dans l'air.
+
+Un silence de mort planait sur toute l'assistance atterrée.
+
+James Starr, résigné, s'étonnait que l'explosion, inévitable, n'eût pas
+déjà anéanti la Nouvelle-Aberfoyle.
+
+Silfax, les traits crispés, se rendit compte que le grisou, trop léger
+pour se maintenir dans les basses couches, s'était accumulé vers les
+hauteurs du dôme.
+
+Mais alors le harfang, sur un geste de Silfax, saisissant dans sa patte
+la mèche incendiaire, comme il faisait autrefois dans les galeries de
+la fosse Dochart, commença à monter vers la haute voûte, que le
+vieillard lui montrait de la main.
+
+Encore quelques secondes, et la Nouvelle-Aberfoyle avait vécu !...
+
+A ce moment, Nell s'échappa des bras d'Harry.
+
+Calme et inspirée tout à la fois, elle courut vers la rive du lac,
+jusqu'à la lisière des eaux.
+
+« Harfang ! Harfang ! cria-t-elle d'une voix claire, à moi ! viens à
+moi ! »
+
+L'oiseau fidèle, étonné, avait hésité un instant. Mais soudain, ayant
+reconnu la voix de Nell, il avait laissé tomber la mèche enflammée dans
+les eaux du lac, et, traçant un large cercle, il était venu s'abattre
+aux pieds de la jeune fille.
+
+Les hautes couches explosives dans lesquelles le grisou s'était mélangé
+à l'air, n'avaient pas été atteintes !
+
+Alors un cri terrible retentit sous le dôme. Ce fut le dernier que jeta
+le vieux Silfax.
+
+A l'instant où Jack Ryan allait mettre la main sur le bordage du canot,
+le vieillard, voyant sa vengeance lui échapper, s'était précipité dans
+les eaux du lac.
+
+« Sauvez-le ! sauvez-le ! » s'écria Nell d'une voix déchirante.
+
+Harry l'entendit. Se jetant à son tour à la nage, il eut bientôt
+rejoint Jack Ryan et plongea à plusieurs reprises.
+
+Mais ses efforts furent inutiles.
+
+Les eaux du lac Malcolm ne rendirent pas leur proie. Elles s'étaient à
+jamais refermées sur le vieux Silfax.
+
+ XXII
+
+ La légende du vieux Silfax
+
+Six mois après ces événements, le mariage, si étrangement interrompu,
+d'Harry Ford et de Nell, se célébrait dans la chapelle de Saint-Gilles.
+Après que le révérend Hobson eut béni leur union, les jeunes époux,
+encore vêtus de noir, rentrèrent au cottage.
+
+James Starr et Simon Ford, désormais exempts de toute inquiétude,
+présidèrent joyeusement à la fête qui suivit la cérémonie et se
+prolongea jusqu'au lendemain.
+
+Ce fut dans ces mémorables circonstances que Jack Ryan, revêtu de son
+costume de piper, après avoir gonflé d'air l'outre de sa cornemuse,
+obtint ce triple résultat de jouer, de chanter et de danser tout à la
+fois, aux applaudissements de toute l'assemblée.
+
+Et, le lendemain, les travaux du jour et du fond recommencèrent, sous
+la direction de l'ingénieur James Starr.
+
+Harry et Nell furent heureux, il est superflu de le dire. Ces deux
+coeurs, tant éprouvés, trouvèrent dans leur union le bonheur
+qu'ils méritaient.
+
+Quant à Simon Ford, l'overman honoraire de la Nouvelle Aberfoyle, il
+comptait bien vivre assez pour célébrer sa cinquantaine avec la bonne
+Madge, qui ne demandait pas mieux, d'ailleurs.
+
+« Et après celle-là, pourquoi pas une autre ? disait Jack Ryan. Deux
+cinquantaines, ce ne serait pas trop pour vous, monsieur Simon !
+
+-- Tu as raison, mon garçon, répondit tranquillement le vieil overman.
+Qu'y aurait-il d'étonnant à ce que sous le climat de la
+Nouvelle-Aberfoyle, dans ce milieu qui ne connaît pas les intempéries
+du dehors, on devînt deux fois centenaire ? »
+
+Les habitants de Coal-city devaient-ils jamais assister à cette seconde
+cérémonie ? L'avenir le dira.
+
+En tout cas, un oiseau, qui semblait devoir atteindre une longévité
+extraordinaire, c'était le harfang du vieux Silfax. Il hantait toujours
+le sombre domaine. Mais après la mort du vieillard, bien que Nell eût
+essayé de le retenir, il s'était enfui au bout de quelques jours. Outre
+que la société des hommes ne lui plaisait décidément pas plus qu'à son
+ancien maître, il semblait qu'il eût gardé une sorte de rancune
+particulière à Harry, et que cet oiseau jaloux eût toujours reconnu et
+détesté en lui le premier ravisseur de Nell, celui à qui il l'avait
+disputée en vain dans l'ascension du gouffre.
+
+Depuis ce temps, Nell ne le revoyait qu'à de longs intervalles, planant
+au-dessus du lac Malcolm.
+
+Voulait-il revoir son amie d'autrefois ? voulait-il plonger ses regards
+pénétrants jusqu'au fond de l'abîme où s'était englouti Silfax ?
+
+Les deux versions furent admises, car le harfang devint légendaire, et
+il inspira à Jack Ryan plus d'une fantastique histoire.
+
+C'est grâce à ce joyeux compagnon qu'on chante encore dans les veillées
+écossaises la légende de l'oiseau du vieux Silfax, l'ancien pénitent
+des houillères d'Aberfoyle.
+
+ The End
+
+
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES INDES NOIRES ***
+
+This file should be named 8indn10.txt or 8indn10.zip
+Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 8indn11.txt
+VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 8indn10a.txt
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+Project Gutenberg eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US
+unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+We are now trying to release all our eBooks one year in advance
+of the official release dates, leaving time for better editing.
+Please be encouraged to tell us about any error or corrections,
+even years after the official publication date.
+
+Please note neither this listing nor its contents are final til
+midnight of the last day of the month of any such announcement.
+The official release date of all Project Gutenberg eBooks is at
+Midnight, Central Time, of the last day of the stated month. A
+preliminary version may often be posted for suggestion, comment
+and editing by those who wish to do so.
+
+Most people start at our Web sites at:
+http://gutenberg.net or
+http://promo.net/pg
+
+These Web sites include award-winning information about Project
+Gutenberg, including how to donate, how to help produce our new
+eBooks, and how to subscribe to our email newsletter (free!).
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+
+Those of you who want to download any eBook before announcement
+can get to them as follows, and just download by date. This is
+also a good way to get them instantly upon announcement, as the
+indexes our cataloguers produce obviously take a while after an
+announcement goes out in the Project Gutenberg Newsletter.
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+http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext04 or
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+Just search by the first five letters of the filename you want,
+as it appears in our Newsletters.
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+We produce about two million dollars for each hour we work. The
+time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours
+to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright
+searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our
+projected audience is one hundred million readers. If the value
+per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2
+million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text
+files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+
+We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002
+If they reach just 1-2% of the world's population then the total
+will reach over half a trillion eBooks given away by year's end.
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+This is ten thousand titles each to one hundred million readers,
+which is only about 4% of the present number of computer users.
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+
+eBooks Year Month
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+(Three Pages)
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+
+*END THE SMALL PRINT! FOR PUBLIC DOMAIN EBOOKS*Ver.02/11/02*END*
+
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index 0000000..152c2a2
--- /dev/null
+++ b/old/8indn10.zip
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@@ -0,0 +1,3727 @@
+<!DOCTYPE HTML PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.0 Transitional//EN">
+<html>
+<head>
+<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html; charset=iso-8859-1">
+<meta name="generator" content="HTML Tidy, see www.w3.org">
+<title>Les Indes noires</title>
+</head>
+<body>
+<h2>The Project Gutenberg EBook of Les Indes Noires, by Jules Verne</h2>
+<h3>(#24 in our series by Jules Verne)</h3>
+<pre>
+
+
+Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the
+copyright laws for your country before downloading or redistributing
+this or any other Project Gutenberg eBook.
+
+This header should be the first thing seen when viewing this Project
+Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the
+header without written permission.
+
+Please read the "legal small print," and other information about the
+eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is
+important information about your specific rights and restrictions in
+how the file may be used. You can also find out about how to make a
+donation to Project Gutenberg, and how to get involved.
+
+
+**Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts**
+
+**eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971**
+
+*****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!*****
+
+
+Title: Les Indes Noires
+
+Author: Jules Verne
+
+Release Date: February, 2004 [EBook #5081]
+[Yes, we are more than one year ahead of schedule]
+[This file was first posted on April 18, 2002]
+[Date last updated: January 16, 2005]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES INDES NOIRES ***
+
+
+
+
+This eBook was produced by Norman Wolcott.
+
+
+</pre>
+
+<center>
+<h4>Les Indes noires</h4>
+
+<h4>par</h4>
+
+<h4>JULES VERNE</h4>
+
+<h4>TABLE DES MATI&Egrave;RES</h4>
+</center>
+
+<table summary="Verne">
+<tr>
+<td>I &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Deux lettres contradictoires</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>II &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Chemin faisant</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>III &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Le sous-sol du Royaume-Uni</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>IV &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La fosse Dochart</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>V &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La Famille Ford</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>VI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Quelques ph&eacute;nom&egrave;nes inexplicables</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>VII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Une exp&eacute;rience de Simon Ford</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>VIII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Un coup de dynamite</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>IX &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La Nouvelle-Aberfoyle</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>X &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Aller et retour</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Les Dames de feu</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Les Exploits de Jack Ryan</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XIII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Coal-city</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XIV &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Suspendu &agrave; un fil</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XV &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Nell au cottage</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XVI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Sur l'&eacute;chelle oscillante</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XVII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Un lever de soleil</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XVIII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Du lac Lomond au lac Katrine</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XIX &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Une derni&egrave;re menace</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XX &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Le p&eacute;nitent</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XXI &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>Le mariage de Nell</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>XXII &nbsp; &nbsp;</td>
+<td>La l&eacute;gende du vieux Silfax</td>
+</tr>
+</table>
+
+<hr>
+<center>
+<h4>I</h4>
+
+<h4>Deux lettres contradictoires</h4>
+</center>
+
+<blockquote>
+<p><i>&laquo;&nbsp;Mr. J. R. Starr, ing&eacute;nieur,</i><br>
+<i>&nbsp;&nbsp;&laquo;&nbsp;30, Canongate.</i><br>
+<i>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&laquo;&nbsp;&Eacute;dimbourg.</i></p>
+</blockquote>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Si monsieur James Starr veut se rendre demain aux houill&egrave;res d'Aberfoyle, fosse Dochart, puits Yarrow, il lui sera fait une communication de nature &agrave; l'int&eacute;resser.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur James Starr sera attendu, toute la journ&eacute;e, &agrave; la gare de Callander, par Harry Ford, fils de l'ancien overman Simon Ford.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Il est pri&eacute; de tenir cette invitation secr&egrave;te.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Telle fut la lettre que James Starr re&ccedil;ut par le premier courrier &agrave; la date du 3 d&eacute;cembre 18.., &mdash; lettre qui portait le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle, comt&eacute; de Stirling, &Eacute;cosse.</p>
+
+<p>La curiosit&eacute; de l'ing&eacute;nieur fut piqu&eacute;e au vif. Il ne lui vint m&ecirc;me pas &agrave; la pens&eacute;e que cette lettre p&ucirc;t renfermer une mystification. Il connaissait, de longue date, Simon Ford, l'un des anciens contrema&icirc;tres des mines d'Aberfoyle, dont lui, James Starr, avait &eacute;t&eacute;, pendant vingt ans, le directeur, &mdash; ce que, dans les houill&egrave;res anglaises, on appelle le &laquo;&nbsp;viewer&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>James Starr &eacute;tait un homme solidement constitu&eacute;, auquel ses cinquante-cinq ans ne pesaient pas plus que s'il n'en e&ucirc;t port&eacute; que quarante. Il appartenait &agrave; une vieille famille d'&Eacute;dimbourg, dont il &eacute;tait l'un des membres les plus distingu&eacute;s. Ses travaux honoraient la respectable corporation de ces ing&eacute;nieurs qui d&eacute;vorent peu &agrave; peu le sous-sol carbonif&egrave;re du Royaume-Uni, aussi bien &agrave; Cardiff, &agrave; Newcastle que dans les bas comt&eacute;s de l'&Eacute;cosse. Toutefois, c'&eacute;tait plus particuli&egrave;rement au fond de ces myst&eacute;rieuses houill&egrave;res d'Aberfoyle, qui confinent aux mines d'Alloa et occupent une partie du comt&eacute; de Stirling, que le nom de Starr avait conquis l'estime g&eacute;n&eacute;rale. L&agrave; s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e presque toute son existence. En outre, James Starr faisait partie de la Soci&eacute;t&eacute; des antiquaires &eacute;cossais, dont il avait &eacute;t&eacute; nomm&eacute; pr&eacute;sident. Il comptait aussi parmi les membres les plus actifs de &laquo;&nbsp;Royal Institution&nbsp;&raquo;, et la <i>Revue d'&Eacute;dimbourg</i> publiait fr&eacute;quemment de remarquables articles sign&eacute;s de lui. C'&eacute;tait, on le voit, un de ces savants pratiques auxquels est due la prosp&eacute;rit&eacute; de l'Angleterre. Il tenait un haut rang dans cette vieille capitale de l'&Eacute;cosse, qui, non seulement au point de vue physique, mais encore au point de vue moral, a pu m&eacute;riter le nom d'&laquo;&nbsp;Ath&egrave;nes du Nord&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>On sait que les Anglais ont donn&eacute; &agrave; l'ensemble de leurs vastes houill&egrave;res un nom tr&egrave;s significatif. Ils les appellent tr&egrave;s justement les &laquo;&nbsp;Indes noires&nbsp;&raquo;, et ces Indes ont peut-&ecirc;tre plus contribu&eacute; que les Indes orientales &agrave; accro&icirc;tre la surprenante richesse du Royaume-Uni. L&agrave;, en effet, tout un peuple de mineurs travaille, nuit et jour, &agrave; extraire du sous-sol britannique le charbon, ce pr&eacute;cieux combustible, indispensable &eacute;l&eacute;ment de la vie industrielle.</p>
+
+<p>A cette &eacute;poque, la limite de temps, assign&eacute;e par les hommes sp&eacute;ciaux &agrave; l'&eacute;puisement des houill&egrave;res, &eacute;tait fort recul&eacute;e, et la disette n'&eacute;tait pas &agrave; craindre &agrave; court d&eacute;lai. Il y avait encore &agrave; exploiter largement les gisements carbonif&egrave;res des deux mondes. Les fabriques, appropri&eacute;es &agrave; tant d'usages divers, les locomotives, les locomobiles, les steamers, les usines &agrave; gaz, etc., n'&eacute;taient pas pr&egrave;s de manquer du combustible min&eacute;ral. Seulement, la consommation s'&eacute;tait tellement accrue pendant ces derni&egrave;res ann&eacute;es, que certaines couches avaient &eacute;t&eacute; &eacute;puis&eacute;es jusque dans leurs plus maigres filons. Abandonn&eacute;es maintenant, ces mines trouaient et sillonnaient inutilement le sol de leurs puits d&eacute;laiss&eacute;s et de leurs galeries d&eacute;sertes.</p>
+
+<p>Tel &eacute;tait, pr&eacute;cis&eacute;ment, le cas des houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Dix ans auparavant, la derni&egrave;re benne avait enlev&eacute; la derni&egrave;re tonne de houille de ce gisement. Le mat&eacute;riel du &laquo;&nbsp;fond [1*]&nbsp;&raquo;, machines destin&eacute;es &agrave; la traction m&eacute;canique sur les rails des galeries, berlines formant les trains subterran&eacute;s, tramways souterrains, cages desservant les puits d'extraction, tuyaux dont l'air comprim&eacute; actionnait des perforatrices, &mdash; en un mot, tout ce qui constituait l'outillage d'exploitation avait &eacute;t&eacute; retir&eacute; des profondeurs des fosses et abandonn&eacute; &agrave; la surface du sol. La houill&egrave;re, &eacute;puis&eacute;e, &eacute;tait comme le cadavre d'un mastodonte de grandeur fantastique, auquel on a enlev&eacute; les divers organes de la vie et laiss&eacute; seulement l'ossature.</p>
+
+<p>De ce mat&eacute;riel, il n'&eacute;tait rest&eacute; que de longues &eacute;chelles de bois, desservant les profondeurs de la houill&egrave;re par le puits Yarow le seul qui donn&acirc;t maintenant acc&egrave;s aux galeries inf&eacute;rieures de la fosse Dochart, depuis la cessation des travaux.</p>
+
+<p>A l'ext&eacute;rieur, les b&acirc;timents, abritant autrefois aux travaux du &laquo;&nbsp;jour&nbsp;&raquo;, indiquaient encore la place o&ugrave; avaient &eacute;t&eacute; fonc&eacute;s les puits de ladite fosse, compl&egrave;tement abandonn&eacute;e, comme l'&eacute;taient les autres fosses, dont l'ensemble constituait les houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Ce fut un triste jour, lorsque, pour la derni&egrave;re fois, les mineurs quitt&egrave;rent la mine, dans laquelle ils avaient v&eacute;cu tant d'ann&eacute;es.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur James Starr avait r&eacute;uni ces quelques milliers de travailleurs, qui composaient l'active et courageuse population de la houill&egrave;re. Piqueurs, rouleurs, conducteurs, remblayeurs, boiseurs, cantonniers, receveurs, basculeurs, forgerons, charpentiers, tous, femmes, enfants, vieillards, ouvriers du fond et du jour, &eacute;taient rassembl&eacute;s dans l'immense cour de la fosse Dochart, autrefois encombr&eacute;e du trop-plein de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Ces braves gens, que les n&eacute;cessit&eacute;s de l'existence allaient disperser &mdash; eux, qui pendant de longues ann&eacute;es, s'&eacute;taient succ&eacute;d&eacute; de p&egrave;re en fils dans la vieille Aberfoyle &mdash;, attendaient, avant de la quitter pour jamais, les derniers adieux de l'ing&eacute;nieur. La Compagnie leur avait fait distribuer, &agrave; titre de gratification, les b&eacute;n&eacute;fices de l'ann&eacute;e courante. Peu de chose, en v&eacute;rit&eacute;, car le rendement des filons avait d&eacute;pass&eacute; de bien peu les frais d'exploitation; mais cela devait leur permettre d'attendre qu'ils fussent embauch&eacute;s, soit dans les houill&egrave;res voisines, soit dans les fermes ou les usines du comt&eacute;.</p>
+
+<p>James Starr se tenait debout, devant la porte du vaste appentis, sous lequel avaient si longtemps fonctionn&eacute; les puissantes machines &agrave; vapeur du puits d'extraction.</p>
+
+<p>Simon Ford, l'overman de la fosse Dochart, alors &acirc;g&eacute; de cinquante-cinq ans, et quelques autres conducteurs de travaux l'entouraient.</p>
+
+<p>James Starr se d&eacute;couvrit. Les mineurs, chapeau bas, gardaient un profond silence.</p>
+
+<p>Cette sc&egrave;ne d'adieux avait un caract&egrave;re touchant, qui ne manquait pas de grandeur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mes amis, dit l'ing&eacute;nieur, le moment de nous s&eacute;parer est venu. Les houill&egrave;res d'Aberfoyle, qui, depuis tant d'ann&eacute;es, nous r&eacute;unissaient dans un travail commun, sont maintenant &eacute;puis&eacute;es. Nos recherches n'ont pu amener la d&eacute;couverte d'un nouveau filon, et le dernier morceau de houille vient d'&ecirc;tre extrait de la fosse Dochart&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, &agrave; l'appui de sa parole, James Starr montrait aux mineurs un bloc de charbon qui avait &eacute;t&eacute; gard&eacute; au fond d'une benne.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce morceau de houille, mes amis, reprit James Starr, c'est comme le dernier globule du sang qui circulait &agrave; travers les veines de la houill&egrave;re&nbsp;! Nous le conserverons, comme nous avons conserv&eacute; le premier fragment de charbon extrait, il y a cent cinquante ans, des gisements d'Aberfoyle. Entre ces deux morceaux, bien des g&eacute;n&eacute;rations de travailleurs se sont succ&eacute;d&eacute; dans nos fosses&nbsp;! Maintenant, c'est fini&nbsp;! Les derni&egrave;res paroles que vous adresse votre ing&eacute;nieur sont des paroles d'adieu. Vous avez v&eacute;cu de la mine, qui s'est vid&eacute;e sous votre main. Le travail a &eacute;t&eacute; dur, mais non sans profit pour vous. Notre grande famille va se disperser, et il n'est pas probable que l'avenir en r&eacute;unisse jamais les membres &eacute;pars. Mais n'oubliez pas que nous avons longtemps v&eacute;cu ensemble, et que, chez les mineurs d'Aberfoyle, c'est un devoir de s'entraider. Vos anciens chefs ne l'oublieront pas, non plus. Quand on a travaill&eacute; ensemble, on ne saurait &ecirc;tre des &eacute;trangers les uns pour les autres. Nous veillerons sur vous, et, partout o&ugrave; vous irez en honn&ecirc;tes gens, nos recommandations vous suivront. Adieu donc, mes amis, et que le Ciel vous assiste&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cela dit, James Starr pressa dans ses bras le plus vieil ouvrier de la houill&egrave;re, dont les yeux s'&eacute;taient mouill&eacute;s de larmes. Puis, les overmen des diff&eacute;rentes fosses vinrent serrer la main de l'ing&eacute;nieur, pendant que les mineurs agitaient leur chapeau et criaient&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Adieu, James Starr, notre chef et notre ami&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Ces adieux devaient laisser un imp&eacute;rissable souvenir dans tous ces braves c&oelig;urs. Mais, peu &agrave; peu, il le fallut, cette population quitta tristement la vaste cour. Le vide se fit autour de James Starr. Le sol noir des chemins, conduisant &agrave; la fosse Dochart, retentit une derni&egrave;re fois sous le pied des mineurs, et le silence succ&eacute;da &agrave; cette bruyante animation, qui avait empli jusqu'alors la houill&egrave;re d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Un homme &eacute;tait rest&eacute; seul pr&egrave;s de James Starr.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait l'overman Simon Ford. Pr&egrave;s de lui se tenait un jeune gar&ccedil;on, &acirc;g&eacute; de quinze ans, son fils Harry, qui, depuis quelques ann&eacute;es d&eacute;j&agrave;, &eacute;tait employ&eacute; aux travaux du fond.</p>
+
+<p>James Starr et Simon Ford se connaissaient, et, se connaissant, s'estimaient l'un l'autre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Adieu, Simon, dit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Adieu, monsieur James, r&eacute;pondit l'overman, ou plut&ocirc;t, laissez-moi ajouter&nbsp;: Au revoir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, au revoir, Simon&nbsp;! reprit James Starr. Vous savez que je serai toujours heureux de vous retrouver et de pouvoir parler avec vous du pass&eacute; de notre vieille Aberfoyle&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je le sais, monsieur James.</p>
+
+<p>&mdash; Ma maison d'&Eacute;dimbourg vous est ouverte&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'est loin, &Eacute;dimbourg&nbsp;! r&eacute;pondit l'overman en secouant la t&ecirc;te. Oui&nbsp;! loin de la fosse Dochart&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Loin, Simon&nbsp;! O&ugrave; comptez-vous donc demeurer&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ici m&ecirc;me, monsieur James&nbsp;! Nous n'abandonnerons pas la mine, notre vieille nourrice, parce que son lait s'est tari&nbsp;! Ma femme, mon fils et moi, nous nous arrangerons pour lui rester fid&egrave;les&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Adieu donc, Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, dont la voix, malgr&eacute; lui, trahissait l'&eacute;motion.</p>
+
+<p>&mdash; Non, je vous r&eacute;p&egrave;te&nbsp;: au revoir, monsieur James&nbsp;! r&eacute;pondit l'overman, et non adieu&nbsp;! Foi de Simon Ford, Aberfoyle vous reverra&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur ne voulut pas enlever cette derni&egrave;re illusion &agrave; l'overman. Il embrassa le jeune Harry, qui le regardait de ses grands yeux &eacute;mus. Il serra une derni&egrave;re fois la main de Simon Ford et quitta d&eacute;finitivement la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Voil&agrave; ce qui s'&eacute;tait pass&eacute; dix ans auparavant; mais, malgr&eacute; le d&eacute;sir que venait d'exprimer l'overman de le revoir quelque jour, James Starr n'avait plus entendu parler de lui.</p>
+
+<p>Et c'&eacute;tait apr&egrave;s dix ans de s&eacute;paration, que lui arrivait cette lettre de Simon Ford, qui le conviait &agrave; reprendre sans d&eacute;lai le chemin des anciennes houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Une communication de nature &agrave; l'int&eacute;resser, qu'&eacute;tait-ce donc&nbsp;? La fosse Dochart, le puits Yarow&nbsp;! Quels souvenirs du pass&eacute; ces noms rappelaient &agrave; son esprit&nbsp;! Oui&nbsp;! c'&eacute;tait le bon temps, celui du travail, de la lutte &mdash;, le meilleur temps de sa vie d'ing&eacute;nieur&nbsp;!</p>
+
+<p>James Starr relisait la lettre. Il la retournait dans tous les sens. Il regrettait, en v&eacute;rit&eacute;, qu'une ligne de plus n'e&ucirc;t pas &eacute;t&eacute; ajout&eacute;e par Simon Ford. Il lui en voulait d'avoir &eacute;t&eacute; si laconique.</p>
+
+<p>&Eacute;tait-il donc possible que le vieil overman e&ucirc;t d&eacute;couvert quelque nouveau filon &agrave; exploiter&nbsp;? Non&nbsp;!</p>
+
+<p>James Starr se rappelait avec quel soin minutieux les houill&egrave;res d'Aberfoyle avaient &eacute;t&eacute; explor&eacute;es avant la cessation d&eacute;finitive des travaux. Il avait lui-m&ecirc;me proc&eacute;d&eacute; aux derniers sondages, sans trouver aucun nouveau gisement dans ce sol ruin&eacute; par une exploitation pouss&eacute;e &agrave; l'exc&egrave;s. On avait m&ecirc;me tent&eacute; de reprendre le terrain houiller sous les couches qui lui sont ordinairement inf&eacute;rieures, telles que le gr&eacute;s rouge d&eacute;vonien, mais sans r&eacute;sultat. James Starr avait donc abandonn&eacute; la mine avec l'absolue conviction qu'elle ne poss&eacute;dait plus un morceau de combustible.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non, se r&eacute;p&eacute;tait-il, non&nbsp;! Comment admettre que ce qui aurait &eacute;chapp&eacute; &agrave; mes recherches se serait r&eacute;v&eacute;l&eacute; &agrave; celles de Simon Ford&nbsp;? Pourtant, le vieil overman doit bien savoir qu'une seule chose au monde peut m'int&eacute;resser, et cette invitation, que je dois tenir secr&egrave;te, de me rendre &agrave; la fosse Dochart&nbsp;!...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr en revenait toujours l&agrave;.</p>
+
+<p>D'autre part, l'ing&eacute;nieur connaissait Simon Ford pour un habile mineur, particuli&egrave;rement dou&eacute; de l'instinct du m&eacute;tier. Il ne l'avait pas revu depuis l'&eacute;poque o&ugrave; les exploitations d'Aberfoyle avaient &eacute;t&eacute; abandonn&eacute;es. Il ignorait m&ecirc;me ce qu'&eacute;tait devenu le vieil overman. Il n'aurait pu dire &agrave; quoi il s'occupait, ni m&ecirc;me o&ugrave; il demeurait, avec sa femme et son fils. Tout ce qu'il savait, c'est que rendez-vous lui &eacute;tait donn&eacute; au puits Yarow, et qu'Harry, le fils de Simon Ford, l'attendrait &agrave; la gare de Callander pendant toute la journ&eacute;e du lendemain. Il s'agissait donc &eacute;videmment de visiter la fosse Dochart.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;J'irai, j'irai&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit James Starr, qui sentait sa surexcitation s'accro&icirc;tre &agrave; mesure que s'avan&ccedil;ait l'heure.</p>
+
+<p>C'est qu'il appartenait, ce digne ing&eacute;nieur, &agrave; cette cat&eacute;gorie de gens passionn&eacute;s, dont le cerveau est toujours en &eacute;bullition, comme une bouilloire plac&eacute;e sur une flamme ardente. Il est de ces bouilloires dans lesquelles les id&eacute;es cuisent &agrave; gros bouillons, d'autres o&ugrave; elles mijotent paisiblement. Or, ce jour-l&agrave;, les id&eacute;es de James Starr bouillaient &agrave; plein feu.</p>
+
+<p>Mais, alors, un incident tr&egrave;s inattendu se produisit. Ce fut la goutte d'eau froide, qui allait momentan&eacute;ment condenser toutes les vapeurs de ce cerveau.</p>
+
+<p>En effet, vers six heures du soir, par le troisi&egrave;me courrier, le domestique de James Starr apporta une seconde lettre.</p>
+
+<p>Cette lettre &eacute;tait renferm&eacute;e dans une enveloppe grossi&egrave;re, dont la suscription indiquait une main peu exerc&eacute;e au maniement de la plume.</p>
+
+<p>James Starr d&eacute;chira cette enveloppe. Elle ne contenait qu'un morceau de papier, jauni par le temps, et qui semblait avoir &eacute;t&eacute; arrach&eacute; &agrave; quelque vieux cahier hors d'usage.</p>
+
+<p>Sur ce papier il n'y avait qu'une seule phrase, ainsi con&ccedil;ue&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Inutile &agrave; l'ing&eacute;nieur James Starr de se d&eacute;ranger, &mdash; la lettre de Simon Ford &eacute;tant maintenant sans objet.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et pas de signature.</p>
+
+<p>[1] L'exploitation d'une mine se divise en travaux du &laquo;&nbsp;fond&nbsp;&raquo; et travaux du &laquo;&nbsp;jour&nbsp;&raquo;; les uns s'accomplissant &agrave; l'int&eacute;rieur, les autres &agrave; l'exr&eacute;rieur.</p>
+
+<center>
+<h4>II</h4>
+
+<h4>Chemin faisant</h4>
+</center>
+
+<p>Le cours des id&eacute;es de James Starr fut brusquement arr&ecirc;t&eacute;, lorsqu'il eut lu cette seconde lettre, contradictoire de la premi&egrave;re.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'est-ce que cela veut dire&nbsp;?&nbsp;&raquo; se demanda-t-il.</p>
+
+<p>James Starr reprit l'enveloppe &agrave; demi d&eacute;chir&eacute;e. Elle portait, ainsi que l'autre, le timbre du bureau de poste d'Aberfoyle. Elle &eacute;tait donc partie de ce m&ecirc;me point du comt&eacute; de Stirling. Ce n'&eacute;tait pas le vieux mineur qui l'avait &eacute;crite, &mdash; &eacute;videmment. Mais, non moins &eacute;videmment, l'auteur de cette seconde lettre connaissait le secret de l'overman, puisqu'il contremandait formellement l'invitation faite &agrave; l'ing&eacute;nieur de se rendre au puits Yarow.</p>
+
+<p>&Eacute;tait-il donc vrai que cette premi&egrave;re communication f&ucirc;t maintenant sans objet&nbsp;? voulait-on emp&ecirc;cher James Starr de se d&eacute;ranger, soit inutilement, soit utilement&nbsp;? N'y avait-il pas l&agrave; plut&ocirc;t une intention malveillante de contrecarrer les projets de Simon Ford&nbsp;?</p>
+
+<p>C'est ce que pensa James Starr, apr&egrave;s m&ucirc;re r&eacute;flexion. Cette contradiction, qui existait entre les deux lettres, ne fit na&icirc;tre en lui qu'un plus vif d&eacute;sir de se rendre &agrave; la fosse Dochart. D'ailleurs, si, dans tout cela, il n'y avait qu'une mystification, mieux valait s'en assurer. Mais il semblait bien &agrave; James Starr qu'il convenait d'accorder plus de cr&eacute;ance &agrave; la premi&egrave;re lettre qu'&agrave; la seconde, &mdash; c'est-&agrave;-dire &agrave; la demande d'un homme tel que Simon Ford plut&ocirc;t qu'&agrave; cet avis de son contradicteur anonyme.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;En v&eacute;rit&eacute;, puisqu'on pr&eacute;tend influencer ma r&eacute;solution, se dit-il, c'est que la communication de Simon Ford doit avoir une extr&ecirc;me importance&nbsp;! Demain, je serai au rendez-vous indiqu&eacute; et &agrave; l'heure convenue&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le soir venu, James Starr fit ses pr&eacute;paratifs de d&eacute;part. Comme il pouvait arriver que son absence se prolonge&acirc;t pendant quelques jours, il pr&eacute;vint, par lettre, Sir W. Elphiston, le pr&eacute;sident de &laquo;&nbsp;Royal Institution&nbsp;&raquo;, qu'il ne pourrait assister &agrave; la prochaine s&eacute;ance de la Soci&eacute;t&eacute;. Il se d&eacute;gagea &eacute;galement de deux ou trois affaires, qui devaient l'occuper pendant la semaine. Puis, apr&egrave;s avoir donn&eacute; l'ordre &agrave; son domestique de pr&eacute;parer un sac de voyage, il se coucha, plus impressionn&eacute; que l'affaire ne le comportait peut-&ecirc;tre.</p>
+
+<p>Le lendemain, &agrave; cinq heures, James Starr sautait hors de son lit, s'habillait chaudement &mdash; car il tombait une pluie froide &mdash;, et il quittait sa maison de la Canongate, pour aller prendre &agrave; Granton-pier le steam-boat qui, en trois heures, remonte le Forth jusqu'&agrave; Stirling.</p>
+
+<p>Pour la premi&egrave;re fois, peut-&ecirc;tre, James Starr, en traversant la Canongate [1*], ne se retourna pas pour regarder Holyrood, ce palais des anciens souverains de l'&Eacute;cosse. Il n'aper&ccedil;ut pas, devant sa poterne, les sentinelles rev&ecirc;tues de l'antique costume &eacute;cossais, jupon d'&eacute;toffe verte, plaid quadrill&eacute; et sac de peau de ch&egrave;vre &agrave; longs poils pendant sur la cuisse. Bien qu'il f&ucirc;t fanatique de Walter Scott, comme l'est tout vrai fils de la vieille Cal&eacute;donie, l'ing&eacute;nieur, ainsi qu'il ne manquait jamais de le faire, ne donna m&ecirc;me pas un coup d'&oelig;il &agrave; l'auberge o&ugrave; Waverley descendit, et dans laquelle le tailleur lui apporta ce fameux costume en tartan de guerre qu'admirait si na&iuml;vement la veuve Flockhart. Il ne salua pas, non plus, la petite place o&ugrave; les montagnards d&eacute;charg&egrave;rent leurs fusils, apr&egrave;s la victoire du Pr&eacute;tendant, au risque de tuer Flora Mac Ivor. L'horloge de la prison tendait au milieu de la rue son cadran d&eacute;sol&eacute;&nbsp;: il n'y regarda que pour s'assurer qu'il ne manquerait point l'heure du d&eacute;part. On doit avouer aussi qu'il n'entrevit pas dans Nelher-Bow la maison du grand r&eacute;formateur John Knox, le seul homme que ne purent s&eacute;duire les sourires de Marie Stuart. Mais, prenant par High-street, la rue populaire, si minutieusement d&eacute;crite dans le roman de <i>L'Abb&eacute;</i>, il s'&eacute;lan&ccedil;a vers le pont gigantesque de Bridgestreet, qui relie les trois collines d'&Eacute;dimbourg.</p>
+
+<p>Quelques minutes apr&egrave;s, James Starr arrivait &agrave; la gare du &laquo;&nbsp;G&eacute;n&eacute;ral railway&nbsp;&raquo;, et le train le d&eacute;barquait, une demi-heure apr&egrave;s, &agrave; Newhaven, joli village de p&ecirc;cheurs, situ&eacute; &agrave; un mille de Leith, qui forme le port d'&Eacute;dimbourg. La mar&eacute;e montante recouvrait alors la plage noir&acirc;tre et rocailleuse du littoral. Les premiers flots baignaient une estacade, sorte de jet&eacute;e support&eacute;e par des cha&icirc;nes. A gauche, un de ces bateaux qui font le service du Forth, entre &Eacute;dimbourg et Stirling, &eacute;tait amarr&eacute; au &laquo;&nbsp;pier&nbsp;&raquo; de Granton.</p>
+
+<p>En ce moment, la chemin&eacute;e du <i>Prince de Galles</i> vomissait des tourbillons de fum&eacute;e noire, et sa chaudi&egrave;re ronflait sourdement. Au son de la cloche, qui ne tinta que quelques coups, les voyageurs en retard se h&acirc;t&egrave;rent d'accourir. Il y avait l&agrave; une foule de marchands, de fermiers, de ministres, ces derniers reconnaissables &agrave; leurs culottes courtes, &agrave; leurs longues redingotes, au mince lis&eacute;r&eacute; blanc qui cerclait leur cou.</p>
+
+<p>James Starr ne fut pas le dernier &agrave; s'embarquer. Il sauta lestement sur le pont du <i>Prince de Galles</i>. Bien que la pluie tomb&acirc;t avec violence, pas un de ces passagers ne songeait &agrave; chercher un abri dans le salon du steam-boat. Tous restaient immobiles, envelopp&eacute;s de leurs couvertures de voyage, quelques-uns se ranimant de temps &agrave; autre avec le gin ou le whisky de leur bouteille, &mdash; ce qu'ils appellent &laquo;&nbsp;se v&ecirc;tir &agrave; l'int&eacute;rieur&nbsp;&raquo;. Un dernier coup de cloche se fit entendre, les amarres furent largu&eacute;es, et le <i>Prince de Galles</i> &eacute;volua pour sortir du petit bassin, qui l'abritait contre les lames de la mer du Nord.</p>
+
+<p>Le Firth of Forth, tel est le nom que l'on donne au golfe creus&eacute; entre les rives du comt&eacute; de Fife, au nord, et celles des comt&eacute;s de Linlilhgow, d'&Eacute;dimbourg et Haddington, au sud. Il forme l'estuaire du Forth, fleuve peu important, sorte de Tamise ou de Mersey aux eaux profondes, qui, descendu des flancs ouest du Ben Lomond, se jette dans la mer &agrave; Kincardine.</p>
+
+<p>Ce ne serait qu'une courte travers&eacute;e que celle de Granton-pier &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de ce golfe, si la n&eacute;cessit&eacute; de faire escale aux diverses stations des deux rives n'obligeait &agrave; de nombreux d&eacute;tours. Les villes, les villages, les cottages s'&eacute;talent sur les bords du Forth entre les arbres d'une campagne fertile. James Starr, abrit&eacute; sous la large passerelle jet&eacute;e entre les tambours, ne cherchait pas &agrave; rien voir de ce paysage, alors ray&eacute; par les fines hachures de la pluie. Il s'inqui&eacute;tait plut&ocirc;t d'observer s'il n'attirait pas sp&eacute;cialement l'attention de quelque passager. Peut-&ecirc;tre, en effet, l'auteur anonyme de la seconde lettre &eacute;tait-il sur le bateau. Cependant, l'ing&eacute;nieur ne put surprendre aucun regard suspect.</p>
+
+<p>Le <i>Prince de Galles</i>, en quittant Granton-pier, se dirigea vers l'&eacute;troit pertuis qui se glisse entre les deux pointes de Southoueensferry et North-oueensferry, au-del&agrave; duquel le Forth forme une sorte de lac, praticable pour les navires de cent tonneaux. Entre les brumes du fond apparaissaient, dans de courtes &eacute;claircies, les sommets neigeux des monts Grampian.</p>
+
+<p>Bient&ocirc;t, le steam-boat eut perdu de vue le village d'Aberdour, l'&icirc;le de Colm, couronn&eacute;e par les ruines d'un monast&egrave;re du XII<sup>e</sup> si&egrave;cle, les restes du ch&acirc;teau de Barnbougle, puis Donibristle, o&ugrave; fut assassin&eacute; le gendre du r&eacute;gent Murray, puis l'&icirc;lot fortifi&eacute; de Garvie. Il franchit le d&eacute;troit de oueensferry, laissa &agrave; gauche le ch&acirc;teau de Rosyth, o&ugrave; r&eacute;sidait autrefois une branche des Stuarts &agrave; laquelle &eacute;tait alli&eacute;e la m&egrave;re de Cromwell, d&eacute;passa Blacknesscastle, toujours fortifi&eacute;, conform&eacute;ment &agrave; l'un des articles du trait&eacute; de l'Union, et longea les quais du petit port de Charleston, d'o&ugrave; s'exporte la chaux des carri&egrave;res de Lord Elgin. Enfin, la cloche du <i>Prince de Galles</i> signala la station de Crombie-Point.</p>
+
+<p>Le temps &eacute;tait alors tr&egrave;s mauvais. La pluie, fouett&eacute;e par une brise violente, se pulv&eacute;risait au milieu de ces mugissantes rafales, qui passaient comme des trombes.</p>
+
+<p>James Starr n'&eacute;tait pas sans quelque inqui&eacute;tude. Le fils d'Harry Ford se trouverait-il au rendez-vous&nbsp;? Il le savait par exp&eacute;rience&nbsp;: les mineurs, habitu&eacute;s au calme profond des houill&egrave;res, affrontent moins volontiers que les ouvriers ou les laboureurs ces grands troubles de l'atmosph&egrave;re. De Callander &agrave; la fosse Dochart et au puits Yarow, il fallait compter une distance de quatre milles. C'&eacute;taient l&agrave; des raisons qui pouvaient, dans une certaine mesure, retarder le fils du vieil overman. Toutefois, l'ing&eacute;nieur se pr&eacute;occupait davantage de l'id&eacute;e que le rendez-vous donn&eacute; dans la premi&egrave;re lettre e&ucirc;t &eacute;t&eacute; contremand&eacute; dans la seconde. &mdash; C'&eacute;tait, &agrave; vrai dire, son plus gros souci.</p>
+
+<p>En tout cas, si Harry Ford ne se trouvait pas &agrave; l'arriv&eacute;e du train &agrave; Callander, James Starr &eacute;tait bien d&eacute;cid&eacute; &agrave; se rendre seul &agrave; la fosse Dochart, et m&ecirc;me, s'il le fallait, jusqu'au village d'Aberfoyle. L&agrave;, il aurait sans doute des nouvelles de Simon Ford, et il apprendrait en quel lieu r&eacute;sidait actuellement le vieil overman.</p>
+
+<p>Cependant, le <i>Prince de Galles</i> continuait &agrave; soulever de grosses lames sous la pouss&eacute;e de ses aubes. On ne voyait rien des deux rives du fleuve, ni du village de Crombie, ni Torryburn, ni Torry-house, ni Newmills, ni Carridenhouse, ni Ilirkgrange, ni Salt-Pans, sur la droite. Le petit port de Bowness, le port de Grangemouth, creus&eacute; &agrave; l'embouchure du canal de la Clyde, disparaissaient dans l'humide brouillard. Culross, le vieux bourg et les ruines de son abbaye de C&icirc;teaux, Ilinkardine et ses chantiers de construction, auxquels le steam-boat fit escale, Ayrthcastle et sa tour carr&eacute;e du XIII<sup><small>e</small></sup> si&egrave;cle, Clackmannan et son ch&acirc;teau, b&acirc;ti par Robert Bruce, n'&eacute;taient m&ecirc;me pas visibles &agrave; travers les rayures obliques de la pluie.</p>
+
+<p>Le <i>Prince de Galles</i> s'arr&ecirc;ta &agrave; l'embarcad&egrave;re d'Alloa pour d&eacute;poser quelques voyageurs. James Starr eut le c&oelig;ur serr&eacute; en passant, apr&egrave;s dix ans d'absence, pr&egrave;s de cette petite ville, si&egrave;ge d'exploitation d'importantes houill&egrave;res qui nourrissaient toujours une nombreuse population de travailleurs. Son imagination l'entra&icirc;nait dans ce sous-sol, que le pic des mineurs creusait encore &agrave; grand profit. Ces mines d'Alloa, presque contigu&euml;s &agrave; celles d'Aberfoyle, continuaient &agrave; enrichir le comt&eacute;, tandis que les gisements voisins, &eacute;puis&eacute;s depuis tant d'ann&eacute;es, ne comptaient plus un seul ouvrier&nbsp;!</p>
+
+<p>Le steam-boat, en quittant Alloa, s'enfon&ccedil;a dans les nombreux d&eacute;tours que fait le Forth sur un parcours de dix-neuf milles. Il circulait rapidement entre les grands arbres des deux rives. Un instant, dans une &eacute;claircie, apparurent les ruines de l'abbaye de Cambuskenneth, qui date du XII<sup><small>e</small></sup> si&egrave;cle. Puis, ce furent le ch&acirc;teau de Stirling et le bourg royal de ce nom, o&ugrave; le Forth, travers&eacute; par deux ponts, n'est plus navigable aux navires de hautes m&acirc;tures.</p>
+
+<p>A peine le <i>Prince de Galles</i> avait-il accost&eacute;, que l'ing&eacute;nieur sautait lestement sur le quai. Cinq minutes apr&egrave;s, il arrivait &agrave; la gare de Stirling. Une heure plus tard, il descendait du train &agrave; Callander, gros village situ&eacute; sur la rive gauche du Teith.</p>
+
+<p>L&agrave;, devant la gare, attendait un jeune homme, qui s'avan&ccedil;a aussit&ocirc;t vers l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait Harry, le fils de Simon Ford.</p>
+
+<p>[1] Principale et c&eacute;l&egrave;bre rue du vieil &Eacute;dimbourg.</p>
+
+<center>
+<h4>III</h4>
+
+<h4>Le sous-sol du Royaume-Uni</h4>
+</center>
+
+<p>Il est convenable, pour l'intelligence de ce r&eacute;cit, de rappeler en quelques mots quelle est l'origine de la houille.</p>
+
+<p>Pendant les &eacute;poques g&eacute;ologiques, lorsque le sph&eacute;ro&iuml;de terrestre &eacute;tait encore en voie de formation, une &eacute;paisse atmosph&egrave;re l'entourait, toute satur&eacute;e de vapeurs d'eau et largement impr&eacute;gn&eacute;e d'acide carbonique. Peu &agrave; peu, ces vapeurs se condens&egrave;rent en pluies diluviennes, qui tomb&egrave;rent comme si elles eussent &eacute;t&eacute; projet&eacute;es du goulot de quelques millions de milliards de bouteilles d'eau de Seltz. C'&eacute;tait, en effet, un liquide charg&eacute; d'acide carbonique qui se d&eacute;versait torrentiellement sur un sol p&acirc;teux, mal consolid&eacute;, sujet aux d&eacute;formations brusques ou lentes, &agrave; la fois maintenu dans cet &eacute;tat semi-fluide autant par les feux du soleil que par les feux de la masse int&eacute;rieure. C'est que la chaleur interne n'&eacute;tait pas encore emmagasin&eacute;e au centre du globe. La cro&ucirc;te terrestre, peu &eacute;paisse et incompl&egrave;tement durcie, la laissait s'&eacute;pancher &agrave; travers ses pores. De l&agrave;, une ph&eacute;nom&eacute;nale v&eacute;g&eacute;tation, &mdash; telle, sans doute, qu'elle se produit peut-&ecirc;tre &agrave; la surface des plan&egrave;tes inf&eacute;rieures, V&eacute;nus ou Mercure, plus rapproch&eacute;es que la terre de l'astre radieux.</p>
+
+<p>Le sol des continents, encore mal fix&eacute;, se couvrit donc de for&ecirc;ts immenses; l'acide carbonique, si propre au d&eacute;veloppement du r&egrave;gne v&eacute;g&eacute;tal, abondait. Aussi les v&eacute;g&eacute;taux se d&eacute;veloppaient-ils sous la forme arborescente. Il n'y avait pas une seule plante herbac&eacute;e. C'&eacute;taient partout d'&eacute;normes massifs d'arbres, sans fleurs, sans fruits, d'un aspect monotone, qui n'auraient pu suffire &agrave; la nourriture d'aucun &ecirc;tre vivant. La terre n'&eacute;tait pas pr&ecirc;te encore pour l'apparition du r&egrave;gne animal.</p>
+
+<p>Voici quelle &eacute;tait la composition de ces for&ecirc;ts ant&eacute;diluviennes. La classe des cryptogames vasculaires y dominait. Les calamites, vari&eacute;t&eacute;s de pr&ecirc;les arborescentes, les l&eacute;pidodendrons, sortes de lycopodes g&eacute;ants, hauts de vingt-cinq ou trente m&egrave;tres, larges d'un m&egrave;tre &agrave; leur base, des ast&eacute;rophylles, des foug&egrave;res, des sigillaires de proportions gigantesques, dont on a retrouv&eacute; des empreintes dans les mines de Saint-&Eacute;tienne &mdash; toutes plantes grandioses alors, auxquelles on ne reconna&icirc;trait d'analogues que parmi les plus humbles sp&eacute;cimens de la terre habitable &mdash;, tels &eacute;taient, peu vari&eacute;s dans leur esp&egrave;ce, mais &eacute;normes dans leur d&eacute;veloppement, les v&eacute;g&eacute;taux qui composaient exclusivement les for&ecirc;ts de cette &eacute;poque.</p>
+
+<p>Ces arbres noyaient alors leur pied dans une sorte d'immense lagune, rendue profond&eacute;ment humide par le m&eacute;lange des eaux douces et des eaux marines. Ils s'assimilaient avidement le carbone qu'ils soutiraient peu &agrave; peu de l'atmosph&egrave;re, encore impropre au fonctionnement de la vie, et on peut dire qu'ils &eacute;taient destin&eacute;s &agrave; l'emmagasiner, sous forme de houille, dans les entrailles m&ecirc;mes du globe.</p>
+
+<p>En effet, c'&eacute;tait l'&eacute;poque des tremblements de terre, de ces secouements du sol, dus aux r&eacute;volutions int&eacute;rieures et au travail plutonique, qui modifiaient subitement les lin&eacute;aments encore incertains de la surface terrestre. Ici, des intumescences qui devenaient montagnes; l&agrave;, des gouffres que devaient emplir des oc&eacute;ans ou des mers. Et alors, des for&ecirc;ts enti&egrave;res s'enfon&ccedil;aient dans la cro&ucirc;te terrestre, &agrave; travers les couches mouvantes, jusqu'&agrave; ce qu'elles eussent trouv&eacute; un point d'appui, tel que le sol primitif des roches granito&iuml;des, ou que, par le tassement, elles formassent un tout r&eacute;sistant.</p>
+
+<p>En effet, l'&eacute;difice g&eacute;ologique se pr&eacute;sente suivant cet ordre dans les entrailles du globe&nbsp;: le sol primitif, que surmonte le sol de remblai, compos&eacute; des terrains primaires, puis les terrains secondaires dont les gisements houillers occupent l'&eacute;tage inf&eacute;rieur, puis les terrains tertiaires, et au-dessus, le terrain des alluvions anciennes et modernes.</p>
+
+<p>A cette &eacute;poque, les eaux, qu'aucun lit ne retenait encore et que la condensation engendrait sur tous les points du globe, se pr&eacute;cipitaient en arrachant aux roches, &agrave; peine form&eacute;es, de quoi composer les schistes, les gr&egrave;s, les calcaires. Elles arrivaient au dessus des for&ecirc;ts tourbeuses et d&eacute;posaient les &eacute;l&eacute;ments de ces terrains qui allaient se superposer au terrain houiller. Avec le temps &mdash; des p&eacute;riodes qui se chiffrent par millions d'ann&eacute;es &mdash;, ces terrains se durcirent, s'&eacute;tag&egrave;rent et enferm&egrave;rent sous une &eacute;paisse carapace de poudingues, de schistes, de gr&egrave;s compacts ou friables, de gravier, de cailloux, toute la masse des for&ecirc;ts enlis&eacute;es.</p>
+
+<p>Que se passa-t-il dans ce creuset gigantesque, o&ugrave; s'accumulait la mati&egrave;re v&eacute;g&eacute;tale, enfonc&eacute;e &agrave; des profondeurs variables&nbsp;? Une v&eacute;ritable op&eacute;ration chimique, une sorte de distillation. Tout le carbone que contenaient ces v&eacute;g&eacute;taux s'agglom&eacute;rait, et peu &agrave; peu la houille se formait sous la double influence d'une pression &eacute;norme et de la haute temp&eacute;rature que lui fournissaient les feux internes, si voisins d'elle &agrave; cette &eacute;poque.</p>
+
+<p>Ainsi donc un r&egrave;gne se substituait &agrave; l'autre dans cette lente, mais irr&eacute;sistible r&eacute;action. Le v&eacute;g&eacute;tal se transformait en min&eacute;ral. Toutes ces plantes, qui avaient v&eacute;cu de la vie v&eacute;g&eacute;tative sous l'active s&egrave;ve des premiers jours, se p&eacute;trifiaient. Quelques-unes des substances enferm&eacute;es dans ce vaste herbier, incompl&egrave;tement d&eacute;form&eacute;es, laissaient leur empreinte aux autres produits plus rapidement min&eacute;ralis&eacute;s, qui les pressaient comme e&ucirc;t fait une presse hydraulique d'une puissance incalculable. En m&ecirc;me temps, des coquilles, des zoophytes tels qu'&eacute;toiles de mer, polypiers, spirif&egrave;res, jusqu'&agrave; des poissons, jusqu'&agrave; des l&eacute;zards, entra&icirc;n&eacute;s par les eaux, laissaient sur la houille, tendre encore, leur impression nette et comme &laquo;&nbsp;admirablement tir&eacute;e [1*]&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>La pression semble avoir jou&eacute; un r&ocirc;le consid&eacute;rable dans la formation des gisements carbonif&egrave;res. En effet, c'est &agrave; son degr&eacute; de puissance que sont dues les diverses sortes de houilles dont l'industrie fait usage. Ainsi, aux plus basses couches du terrain houiller appara&icirc;t l'anthracite, qui, presque enti&egrave;rement d&eacute;pourvue de mati&egrave;re volatile, contient la plus grande quantit&eacute; de carbone. Aux plus hautes couches se montrent, au contraire, le lignite et le bois fossile, substances dans lesquelles la quantit&eacute; de carbone est infiniment moindre. Entre ces deux couches, suivant le degr&eacute; de pression qu'elles ont subie, se rencontrent les filons de graphites, les houilles grasses ou maigres. On peut m&ecirc;me affirmer que c'est faute d'une pression suffisante que la couche des marais tourbeux n'a pas &eacute;t&eacute; compl&egrave;tement modifi&eacute;e.</p>
+
+<p>Ainsi donc, l'origine des houill&egrave;res, en quelque point du globe qu'on les ait d&eacute;couvertes, est celle-ci&nbsp;: engloutissement dans la cro&ucirc;te terrestre des grandes for&ecirc;ts de l'&eacute;poque g&eacute;ologique, puis, min&eacute;ralisation des v&eacute;g&eacute;taux obtenue avec le temps, sous l'influence de la pression et de la chaleur, et sous l'action de l'acide carbonique.</p>
+
+<p>Cependant, la nature, si prodigue d'ordinaire, n'a pas enfoui assez de for&ecirc;ts pour une consommation qui comprendrait quelques milliers d'ann&eacute;es. La houille manquera un jour, &mdash; cela est certain. Un ch&ocirc;mage forc&eacute; s'imposera donc aux machines du monde entier, si quelque nouveau combustible ne remplace pas le charbon. A une &eacute;poque plus ou moins recul&eacute;e, il n'y aura plus de gisements carbonif&egrave;res, si ce n'est ceux qu'une &eacute;ternelle couche de glace recouvre au Gr&oelig;nland, aux environs de la mer de Baffin, et dont l'exploitation est &agrave; peu pr&egrave;s impossible. C'est le sort in&eacute;vitable. Les bassins houillers de l'Am&eacute;rique, prodigieusement riches encore, ceux du lac Sal&eacute;, de l'or&eacute;gon, de la Californie, n'auront plus, un jour, qu'un rendement insuffisant. Il en sera ainsi des houill&egrave;res du cap Breton et du Saint-Laurent, des gisements des Alleghanis, de la Pennsylvanie, de la Virginie, de l'Illinois, de l'Indiana, du Missouri. Bien que les g&icirc;tes carbonif&egrave;res du Nord-Am&eacute;rique soient dix fois plus consid&eacute;rables que tous les gisements du monde entier, cent si&egrave;cles ne s'&eacute;couleront pas sans que le monstre &agrave; millions de gueules de l'industrie n'ait d&eacute;vor&eacute; le dernier morceau de houille du globe.</p>
+
+<p>La disette, on le comprend, se fera plus promptement sentir dans l'ancien monde. Il existe bien des couches de combustible min&eacute;ral en Abyssinie, &agrave; Natal, au Zamb&egrave;ze, &agrave; Mozambique, &agrave; Madagascar, mais leur exploitation r&eacute;guli&egrave;re offre les plus grandes difficult&eacute;s. Celles de la Birmanie, de la Chine, de la Cochinchine, du Japon, de l'Asie centrale, seront assez vite &eacute;puis&eacute;es. Les Anglais auront certainement vid&eacute; l'Australie des produits houillers, assez abondamment enfouis dans son sol, avant le jour o&ugrave; le charbon manquera au Royaume-Uni. A cette &eacute;poque, d&eacute;j&agrave;, les filons carbonif&egrave;res de l'Europe, atteints jusque dans leurs derni&egrave;res veines, auront &eacute;t&eacute; abandonn&eacute;s.</p>
+
+<p>Que l'on juge par les chiffres suivants des quantit&eacute;s de houille qui ont &eacute;t&eacute; consomm&eacute;es depuis la d&eacute;couverte des premiers gisements. Les bassins houillers de la Russie, de la Saxe et de la Bavi&egrave;re comprennent six cent mille hectares; ceux de l'Espagne, cent cinquante mille; ceux de la Boh&ecirc;me et de l'Autriche, cent cinquante mille. Les bassins de la Belgique, longs de quarante lieues, larges de trois, comptent &eacute;galement cent cinquante mille hectares, qui s'&eacute;tendent sous les territoires de Li&egrave;ge, de Namur, de Mons et de Charleroi. En France, le bassin situ&eacute; entre la Loire et le Rh&ocirc;ne, Rive-de-Gier, Saint-&Eacute;tienne, Givors, &Eacute;pinac, Blanzy, le Creuzot &mdash; les exploitations du Gard, Alais, La Grand-Combe, &mdash; celles de l'Aveyron &agrave; Aubin &mdash; les gisements de Carmaux, de Bassac, de Graissessac &mdash;, dans le Nord, Anzin, Valenciennes, Lens, B&eacute;thune, recouvrent environ trois cent cinquante mille hectares.</p>
+
+<p>Le pays le plus riche en charbon, c'est incontestablement le Royaume-Uni. Celui-ci, en exceptant l'Irlande, &agrave; laquelle manque presque absolument le combustible min&eacute;ral, poss&egrave;de d'&eacute;normes richesses carbonif&egrave;res, &mdash; mais &eacute;puisables comme toutes richesses. Le plus important de ces divers bassins, celui de Newcastle, qui occupe le sous-sol du comt&eacute; de Northumberland, produit par an jusqu'&agrave; trente millions de tonnes, c'est-&agrave;-dire pr&egrave;s du tiers de la consommation anglaise et plus du double de la production fran&ccedil;aise. Le bassin du pays de Galles, qui a concentr&eacute; toute une population de mineurs &agrave; Cardiff, &agrave; Swansea, &agrave; Newport, rend annuellement dix millions de tonnes de cette houille si recherch&eacute;e qui porte son nom. Au centre, s'exploitent les bassins des comt&eacute;s d'York, de Lancaster, de Derby, de Stafford, moins productifs, mais d'un rendement consid&eacute;rable encore. Enfin, dans cette portion de l'&Eacute;cosse situ&eacute;e entre &Eacute;dimbourg et Glasgow, entre ces deux mers qui l'&eacute;chancrent si profond&eacute;ment, se d&eacute;veloppe l'un des plus vastes gisements houillers du Royaume-Uni. L'ensemble de ces divers bassins ne comprend pas moins de seize cent mille hectares, et produit annuellement jusqu'&agrave; cent millions de tonnes du noir combustible.</p>
+
+<p>Mais qu'importe&nbsp;! La consommation deviendra telle, pour les besoins de l'industrie et du commerce, que ces richesses s'&eacute;puiseront. Le troisi&egrave;me mill&eacute;naire de l'&egrave;re chr&eacute;tienne ne sera pas achev&eacute;, que la main du mineur aura vid&eacute;, en Europe, ces magasins dans lesquels, suivant une juste image, s'est concentr&eacute;e la chaleur solaire des premiers jours [2*].</p>
+
+<p>Or, pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; se passe cette histoire, l'une des plus importantes houill&egrave;res du bassin &eacute;cossais avait &eacute;t&eacute; &eacute;puis&eacute;e par une exploitation trop rapide. En effet, c'&eacute;tait dans ce territoire, qui se d&eacute;veloppe entre &Eacute;dimbourg et Glasgow, sur une largeur moyenne de dix &agrave; douze milles, que se creusait la houill&egrave;re d'Aberfoyle, dont l'ing&eacute;nieur James Starr avait si longtemps dirig&eacute; les travaux.</p>
+
+<p>Or, depuis dix ans, ces mines avaient d&ucirc; &ecirc;tre abandonn&eacute;es. On n'avait pu d&eacute;couvrir de nouveaux gisements, bien que les sondages eussent &eacute;t&eacute; port&eacute;s jusqu'&agrave; la profondeur de quinze cents et m&ecirc;me de deux mille pieds, et lorsque James Starr s'&eacute;tait retir&eacute;, c'&eacute;tait avec la certitude que le plus mince filon avait &eacute;t&eacute; exploit&eacute; jusqu'&agrave; complet &eacute;puisement.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait donc plus qu'&eacute;vident que, en de telles conditions, la d&eacute;couverte d'un nouveau bassin houiller dans les profondeurs du sous-sol anglais aurait &eacute;t&eacute; un &eacute;v&eacute;nement consid&eacute;rable. La communication annonc&eacute;e par Simon Ford se rapportait-elle &agrave; un fait de cette nature&nbsp;? C'est ce que se demandait James Starr, c'est ce qu'il voulait esp&eacute;rer.</p>
+
+<p>En un mot, &eacute;tait-ce un autre coin de ces riches Indes noires dont on l'appelait &agrave; faire de nouveau la conqu&ecirc;te&nbsp;? Il voulait le croire.</p>
+
+<p>La seconde lettre avait un instant d&eacute;rout&eacute; ses id&eacute;es &agrave; ce sujet, mais maintenant il n'en tenait plus compte. D'ailleurs, le fils du vieil overman &eacute;tait l&agrave;, l'attendant au rendez-vous indiqu&eacute;. La lettre anonyme n'avait donc plus aucune valeur.</p>
+
+<p>A l'instant o&ugrave; l'ing&eacute;nieur prenait pied sur le quai, le jeune homme s'avan&ccedil;a vers lui.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tu es Harry Ford&nbsp;? lui demanda vivement James Starr, sans autre entr&eacute;e en mati&egrave;re.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne t'aurais pas reconnu, mon gar&ccedil;on&nbsp;! Ah&nbsp;! c'est que, depuis dix ans, tu es devenu un homme&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Moi, je vous ai reconnu, r&eacute;pondit le jeune mineur, qui tenait son chapeau &agrave; la main. vous n'avez pas chang&eacute;, monsieur. vous &ecirc;tes celui qui m'a embrass&eacute; le jour des adieux &agrave; la fosse Dochart&nbsp;! &Ccedil;a ne s'oublie pas, ces choses-l&agrave;&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Couvre-toi donc, Harry, dit l'ing&eacute;nieur. Il pleut &agrave; torrents, et la politesse ne doit pas aller jusqu'au rhume.</p>
+
+<p>&mdash; Voulez-vous que nous nous mettions &agrave; l'abri, monsieur Starr&nbsp;? demanda Harry Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry. Le temps est pris. Il pleuvra toute la journ&eacute;e, et je suis press&eacute;. Partons.</p>
+
+<p>&mdash; A vos ordres, r&eacute;pondit le jeune homme.</p>
+
+<p>&mdash; Dis-moi, Harry, le p&egrave;re se porte bien&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Tr&egrave;s bien, monsieur Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Et la m&egrave;re&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; La m&egrave;re aussi.</p>
+
+<p>&mdash; C'est ton p&egrave;re qui m'a &eacute;crit, pour me donner rendez-vous au puits de Yarow&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, c'est moi.</p>
+
+<p>&mdash; Mais Simon Ford m'a-t-il donc adress&eacute; une seconde lettre pour contremander ce rendez-vous&nbsp;? demanda vivement l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Non, monsieur Starr, r&eacute;pondit le jeune mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Bien&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit James Starr, sans parler davantage de la lettre anonyme.</p>
+
+<p>Puis, reprenant&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et peux-tu m'apprendre ce que me veut le vieux Simon&nbsp;? demanda-t-il au jeune homme.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, mon p&egrave;re s'est r&eacute;serv&eacute; le soin de vous le dire lui-m&ecirc;me.</p>
+
+<p>&mdash; Mais tu le sais&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Je le sais.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, Harry, je ne t'en demande pas plus. En route donc, car j'ai h&acirc;te de causer avec Simon Ford. &mdash; A propos, o&ugrave; demeure-t-il&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Dans la mine.</p>
+
+<p>&mdash; Quoi&nbsp;! Dans la fosse Dochart&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Comment&nbsp;! ta famille n'a pas quitt&eacute; la vieille mine depuis la cessation des travaux&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pas un jour, monsieur Starr. vous connaissez le p&egrave;re. C'est l&agrave; qu'il est n&eacute;, c'est l&agrave; qu'il veut mourir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je comprends cela, Harry... Je comprends cela&nbsp;! Sa houill&egrave;re natale&nbsp;! Il n'a pas voulu l'abandonner&nbsp;! Et vous vous plaisez l&agrave;&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr, r&eacute;pondit le jeune mineur, car nous nous aimons cordialement, et nous n'avons que peu de besoins&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien, Harry, dit l'ing&eacute;nieur. En route&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et James Starr, suivant le jeune homme, se dirigea &agrave; travers les rues de Callander.</p>
+
+<p>Dix minutes apr&egrave;s, tous deux avaient quitt&eacute; la ville.</p>
+
+<p>[1] Il faut, d'ailleurs, remarquer que toutes ces plantes, dont les enpreintes ont &eacute;t&eacute; retrouv&eacute;es, appartiennent aux esp&egrave;ces aujourd'hui r&eacute;serv&eacute;es aux zones &eacute;quatoriales du globe. On peut donc conclure que, &agrave; cette &eacute;poque, la chaleur &eacute;tait &eacute;gale sur toute la terre, soit qu'elle y f&ucirc;t apport&eacute;e par des courants d'eaux chaudes, soit que les feux interieurs se fissent sentir &agrave; sa surface &agrave; travers la cro&ucirc;te poreuse. Ainsi s'explique la formation de gisements carbonif&egrave;res sous toutes les latitudes terestres.</p>
+
+<p>[2]Voici, en tenant compte de la progression de la consommation de la houille, ce que les derniers calculs assignent, en Europe, &agrave; l'&eacute;puisement des combustibles min&eacute;raux:</p>
+
+<blockquote>
+<table summary="Verne" style="FONT-SIZE: small; BORDER-TOP-STYLE: none; BORDER-RIGHT-STYLE: none; BORDER-LEFT-STYLE: none; BORDER-BOTTOM-STYLE: none">
+<tbody>
+<tr>
+<td>France</td>
+<td>dans</td>
+<td align="right">1140</td>
+<td>ans.</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Angleterre</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+<td align="right">800</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Belgique</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+<td align="right">750</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+</tr>
+
+<tr>
+<td>Allemagne</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+<td align="right">300</td>
+<td align="center">&mdash;</td>
+</tr>
+</tbody>
+</table>
+</blockquote>
+
+<p>En Am&eacute;rique, &agrave; raison de 500 millions de tonnes annuellement, les g&icirc;tes pourraient produire du charbon pendant 6000 ans.</p>
+
+<center>
+<h4>IV</h4>
+
+<h4>La fosse Dochart</h4>
+</center>
+
+<p>Harry Ford &eacute;tait un grand gar&ccedil;on de vingt-cinq ans, vigoureux, bien d&eacute;coupl&eacute;. Sa physionomie un peu s&eacute;rieuse, son attitude habituellement pensive, l'avaient, d&egrave;s son enfance, fait remarquer entre ses camarades de la mine. Ses traits r&eacute;guliers, ses yeux profonds et doux, ses cheveux assez rudes, plut&ocirc;t ch&acirc;tains que blonds, le charme naturel de sa personne, tout concordait &agrave; en faire le type accompli du Lowlander, c'est-&agrave;-dire un superbe sp&eacute;cimen de l'&Eacute;cossais de la plaine. Endurci presque d&egrave;s son bas &acirc;ge au travail de la houill&egrave;re, c'&eacute;tait, en m&ecirc;me temps qu'un solide compagnon, une brave et bonne nature. Guid&eacute; par son p&egrave;re, pouss&eacute; par ses propres instincts, il avait travaill&eacute;, il s'&eacute;tait instruit de bonne heure, et, &agrave; un &acirc;ge o&ugrave; l'on n'est gu&egrave;re qu'un apprenti, il &eacute;tait arriv&eacute; &agrave; se faire quelqu'un &mdash; l'un des premiers de sa condition &mdash;, dans un pays qui compte peu d'ignorants, car il fait tout pour supprimer l'ignorance. Si, pendant les premi&egrave;res ann&eacute;es de son adolescence, le pic ne quitta pas la main d'Harry Ford, n&eacute;anmoins le jeune mineur ne tarda pas &agrave; acqu&eacute;rir les connaissances suffisantes pour s'&eacute;lever dans la hi&eacute;rarchie de la houill&egrave;re, et il aurait certainement succ&eacute;d&eacute; &agrave; son p&egrave;re en qualit&eacute; d'overman de la fosse Dochart, si la mine n'e&ucirc;t pas &eacute;t&eacute; abandonn&eacute;e.</p>
+
+<p>James Starr &eacute;tait un bon marcheur encore, et, cependant, il n'aurait pas suivi facilement son guide, si celui-ci n'e&ucirc;t mod&eacute;r&eacute; son pas.</p>
+
+<p>La pluie tombait alors avec moins de violence. Les larges gouttes se pulv&eacute;risaient avant d'atteindre le sol. C'&eacute;taient plut&ocirc;t des rafales humides, qui couraient dans l'air, soulev&eacute;es par une fra&icirc;che brise.</p>
+
+<p>Harry Ford et James Starr &mdash; le jeune homme portant le l&eacute;ger bagage de l'ing&eacute;nieur &mdash; suivirent la rive gauche du fleuve pendant un mille environ. Apr&egrave;s avoir long&eacute; sa plage sinueuse, ils prirent une route qui s'enfon&ccedil;ait dans les terres sous les grands arbres ruisselants. De vastes p&acirc;turages se d&eacute;veloppaient d'un c&ocirc;t&eacute; et de l'autre, autour de fermes isol&eacute;es. Quelques. troupeaux paissaient tranquillement l'herbe toujours verte de ces prairies de la basse &Eacute;cosse. C'&eacute;taient des vaches sans cornes, ou de petits moutons &agrave; laine soyeuse, qui ressemblaient aux moutons des bergeries d'enfants. Aucun berger ne se laissait voir, abrit&eacute; qu'il &eacute;tait sans doute dans quelque creux d'arbre; mais le &laquo;&nbsp;colley&nbsp;&raquo;, chien particulier &agrave; cette contr&eacute;e du Royaume-Uni et renomm&eacute; pour sa vigilance, r&ocirc;dait autour du p&acirc;turage.</p>
+
+<p>Le puits Yarow &eacute;tait situ&eacute; &agrave; quatre milles environ de Callander. James Starr, tout en marchant, ne laissait pas d'&ecirc;tre impressionn&eacute;. Il n'avait pas revu le pays depuis le jour o&ugrave; la derni&egrave;re tonne des houill&egrave;res d'Aberfoyle avait &eacute;t&eacute; vers&eacute;e dans les wagons du railway de Glasgow. La vie agricole rempla&ccedil;ait, maintenant, la vie industrielle, toujours plus bruyante, plus active. Le contraste &eacute;tait d'autant plus frappant que, pendant l'hiver, les travaux des champs subissent une sorte de ch&ocirc;mage. Mais autrefois, en toute saison, la population des mineurs, au-dessus comme au-dessous, animait ce territoire. Les grands charrois de charbon passaient nuit et jour. Les rails, maintenant enterr&eacute;s sur leurs traverses pourries, grin&ccedil;aient sous le poids des wagons. A pr&eacute;sent, le chemin de pierre et de terre se substituait peu &agrave; peu aux anciens tramways de l'exploitation. James Starr croyait traverser un d&eacute;sert.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur regardait donc autour de lui d'un &oelig;il attrist&eacute;. Il s'arr&ecirc;tait par instants pour reprendre haleine. Il &eacute;coutait. L'air ne s'emplissait plus &agrave; pr&eacute;sent des sifflements lointains et du fracas haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noir&acirc;tres, que l'industriel aime &agrave; retrouver, m&ecirc;l&eacute;es aux grands nuages. Nulle haute chemin&eacute;e cylindrique ou prismatique vomissant des fum&eacute;es, apr&egrave;s s'&ecirc;tre aliment&eacute;e au gisement m&ecirc;me, nul tuyau d'&eacute;chappement s'&eacute;poumonant &agrave; souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussi&egrave;re de la houille, avait un aspect propre, auquel les yeux de James Starr n'&eacute;taient plus habitu&eacute;s.</p>
+
+<p>Lorsque l'ing&eacute;nieur s'arr&ecirc;tait, Harry Ford s'arr&ecirc;tait aussi. Le jeune mineur attendait en silence. Il sentait bien ce qui se passait dans l'esprit de son compagnon, et il partageait vivement cette impression, &mdash; lui, un enfant de la houill&egrave;re, dont toute la vie s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e dans les profondeurs de ce sol.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Oui, Harry, tout cela est chang&eacute;, dit James Starr. Mais, &agrave; force d'y prendre, il fallait bien que les tr&eacute;sors de houille s'&eacute;puisassent un jour&nbsp;! Tu regrettes ce temps&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je le regrette, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry. Le travail &eacute;tait dur, mais il int&eacute;ressait, comme toute lutte.</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, mon gar&ccedil;on&nbsp;! La lutte de tous les instants, le danger des &eacute;boulements, des incendies, des inondations, des coups de grisou qui frappent comme la foudre&nbsp;! Il fallait parer &agrave; ces p&eacute;rils&nbsp;! Tu dis bien&nbsp;! C'&eacute;tait la lutte, et, par cons&eacute;quent, la vie &eacute;mouvante&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Les mineurs d'Alloa ont &eacute;t&eacute; plus favoris&eacute;s que les mineurs d'Aberfoyle, monsieur Starr&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Harry, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; En v&eacute;rit&eacute;, s'&eacute;cria le jeune homme, il est &agrave; regretter que tout le globe terrestre n'ait pas &eacute;t&eacute; uniquement compos&eacute; de charbon&nbsp;! Il y en aurait eu pour quelques millions d'ann&eacute;es&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, Harry, mais il faut avouer, cependant, que la nature s'est montr&eacute;e pr&eacute;voyante en formant notre sph&eacute;ro&iuml;de plus principalement de gr&egrave;s, de calcaire, de granit, que le feu ne peut consumer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Voulez-vous dire, monsieur Starr, que les humains auraient fini par br&ucirc;ler leur globe&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! Tout entier, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. La terre aurait pass&eacute; jusqu'au dernier morceau dans les fourneaux des locomotives, des locomobiles, des steamers, des usines &agrave; gaz, et, certainement, c'est ainsi que notre monde e&ucirc;t fini un beau jour&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela n'est plus &agrave; craindre, monsieur Starr. Mais aussi, les houill&egrave;res s'&eacute;puiseront, sans doute, plus rapidement que ne l'&eacute;tablissent les statistiques&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela arrivera, Harry, et, suivant moi, l'Angleterre a peut-&ecirc;tre tort d'&eacute;changer son combustible contre l'or des autres nations&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Je sais bien, ajouta l'ing&eacute;nieur, que ni l'hydraulique, ni l'&eacute;lectricit&eacute; n'ont encore dit leur dernier mot, et qu'on utilisera plus compl&egrave;tement un jour ces deux forces. Mais n'importe&nbsp;! La houille est d'un emploi tr&egrave;s pratique et se pr&ecirc;te facilement aux divers besoins de l'industrie&nbsp;! Malheureusement, les hommes ne peuvent la produire &agrave; volont&eacute;&nbsp;! Si les for&ecirc;ts ext&eacute;rieures repoussent incessamment sous l'influence de la chaleur et de l'eau, les for&ecirc;ts int&eacute;rieures, elles, ne se reproduisent pas, et le globe ne se retrouvera jamais dans les conditions voulues pour les refaire&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr et son guide, tout en causant, avaient repris leur marche d'un pas rapide. Une heure apr&egrave;s avoir quitt&eacute; Callander, ils arrivaient &agrave; la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Un indiff&eacute;rent lui-m&ecirc;me e&ucirc;t &eacute;t&eacute; touch&eacute; du triste aspect que pr&eacute;sentait l'&eacute;tablissement abandonn&eacute;. C'&eacute;tait comme le squelette de ce qui avait &eacute;t&eacute; si vivant autrefois.</p>
+
+<p>Dans un vaste cadre, bord&eacute; de quelques maigres arbres, le sol disparaissait encore sous la noire poussi&egrave;re du combustible min&eacute;ral, mais on n'y voyait plus ni escarbilles, ni gailleteries, ni aucun fragment de houille. Tout avait &eacute;t&eacute; enlev&eacute; et consomm&eacute; depuis longtemps.</p>
+
+<p>Sur une colline peu &eacute;lev&eacute;e, se d&eacute;coupait la silhouette d'une &eacute;norme charpente que le soleil et la pluie rongeaient lentement. Au sommet de cette charpente apparaissait une vaste molette ou roue de fonte, et plus bas s'arrondissaient ces gros tambours, sur lesquels s'enroulaient autrefois les c&acirc;bles qui ramenaient les cages &agrave; la surface du sol.</p>
+
+<p>A l'&eacute;tage inf&eacute;rieur, on reconnaissait la chambre d&eacute;labr&eacute;e des machines, autrefois si luisantes dans les parties du m&eacute;canisme faites d'acier ou de cuivre. Quelques pans de murs gisaient &agrave; terre au milieu de solives bris&eacute;es et verdies par l'humidit&eacute;. Des restes de balanciers auxquels s'articulait la tige des pompes d'&eacute;juisement, des coussinets cass&eacute;s ou encrass&eacute;s, des pignons &eacute;dent&eacute;s, des engins de basculage renvers&eacute;s, quelques &eacute;chelons fix&eacute;s aux chevalets et figurant de grandes ar&ecirc;tes d'ichthyosaures, des rails port&eacute;s sur quelque traverse rompue que soutenaient encore deux ou trois pilotis branlants, des tramways qui n'auraient pas r&eacute;sist&eacute; au poids d'un wagonnet vide, &mdash; tel &eacute;tait l'aspect d&eacute;sol&eacute; de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>La margelle des puits, aux pierres &eacute;raill&eacute;es, disparaissait sous les mousses &eacute;paisses. Ici, on reconnaissait les vestiges d'une cage, l&agrave; les restes d'un parc o&ugrave; s'emmagasinait le charbon, qui devait &ecirc;tre tri&eacute; suivant sa qualit&eacute; ou sa grosseur. Enfin, d&eacute;bris de tonnes auxquelles pendait un bout de cha&icirc;ne, fragments de chevalets gigantesques, t&ocirc;les d'une chaudi&egrave;re &eacute;ventr&eacute;e, pistons tordus, longs balanciers qui se penchaient sur l'orifice des puits de pompes, passerelles tremblant au vent, ponceaux fr&eacute;missant au pied, murailles l&eacute;zard&eacute;es, toits &agrave; demi effondr&eacute;s qui dominaient des chemin&eacute;es aux briques disjointes, ressemblant &agrave; ces canons modernes dont la culasse est frett&eacute;e d'anneaux cylindriques, de tout cela il sortait une vive impression d'abandon, de mis&egrave;re, de tristesse, que n'offrent pas les ruines du vieux ch&acirc;teau de pierre, ni les restes d'une forteresse d&eacute;mantel&eacute;e.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est une d&eacute;solation&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit James Starr, en regardant le jeune homme qui ne r&eacute;pondit pas.</p>
+
+<p>Tous deux p&eacute;n&eacute;tr&egrave;rent alors sous l'appentis qui recouvrait l'orifice du puits Yarow, dont les &eacute;chelles donnaient encore acc&egrave;s jusqu'aux galeries inf&eacute;rieures de la fosse.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur se pencha sur l'orifice.</p>
+
+<p>De l&agrave; s'&eacute;panchait autrefois le souffle puissant de l'air aspir&eacute; par les ventilateurs. C'&eacute;tait maintenant un ab&icirc;me silencieux. Il semblait qu'on f&ucirc;t &agrave; la bouche de quelque volcan &eacute;teint.</p>
+
+<p>James Starr et Harry mirent pied sur le premier palier.</p>
+
+<p>A l'&eacute;poque de l'exploitation, d'ing&eacute;nieux engins desservaient certains puits des houill&egrave;res d'Aberfoyle, qui, sous ce rapport, &eacute;taient parfaitement outill&eacute;es&nbsp;: cages munies de parachutes automatiques, mordant sur des glissi&egrave;res en bois, &eacute;chelles oscillantes, nomm&eacute;es &laquo;&nbsp;engine-men&nbsp;&raquo;, qui, par un simple mouvement d'oscillation, permettaient aux mineurs de descendre sans danger ou de remonter sans fatigue.</p>
+
+<p>Mais ces appareils perfectionn&eacute;s avaient &eacute;t&eacute; enlev&eacute;s, depuis la cessation des travaux. Il ne restait au puits Yarow qu'une longue succession d'&eacute;chelles, s&eacute;par&eacute;es par des paliers &eacute;troits de cinquante en cinquante pieds. Trente de ces &eacute;chelles, ainsi plac&eacute;es bout &agrave; bout, permettaient de descendre jusqu'&agrave; la semelle de la galerie inf&eacute;rieure, &agrave; une profondeur de quinze cents pieds. C'&eacute;tait la seule voie de communication qui exist&acirc;t entre le fond de la fosse Dochart et le sol. Quant &agrave; l'a&eacute;ration, elle s'op&eacute;rait par le puits Yarow, que les galeries faisaient communiquer avec un autre puits dont l'orifice s'ouvrait &agrave; un niveau sup&eacute;rieur, &mdash; l'air chaud se d&eacute;gageant naturellement par cette esp&egrave;ce de siphon renvers&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Je te suis, mon gar&ccedil;on, dit l'ing&eacute;nieur, en faisant signe au jeune homme de le pr&eacute;c&eacute;der.</p>
+
+<p>&mdash; A vos ordres, monsieur Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Tu as ta lampe&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, et pl&ucirc;t au Ciel que ce f&ucirc;t encore la lampe de s&ucirc;ret&eacute; dont nous nous servions autrefois&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, r&eacute;pondit James Starr, les coups de grisou ne sont plus &agrave; craindre maintenant&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry n'&eacute;tait muni que d'une simple lampe &agrave; huile, dont il alluma la m&egrave;che. Dans la houill&egrave;re, vide de charbon, les fuites du gaz hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; ne pouvaient plus se produire. Donc, aucune explosion &agrave; redouter, et nulle n&eacute;cessit&eacute; d'interposer entre la flamme et l'air ambiant cette toile m&eacute;tallique qui emp&ecirc;che le gaz de prendre feu &agrave; l'ext&eacute;rieur. La lampe de Davy, si perfectionn&eacute;e alors, ne trouvait plus ici son emploi. Mais si le danger n'existait pas, c'est que la cause en avait disparu, et, avec cette cause, le combustible qui faisait autrefois la richesse de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Harry descendit les premiers &eacute;chelons de l'&eacute;chelle sup&eacute;rieure. James Starr le suivit. Tous deux se trouv&egrave;rent bient&ocirc;t dans une obscurit&eacute; profonde que rompait seul l'&eacute;clat de la lampe. Le jeune homme l'&eacute;levait au-dessus de sa t&ecirc;te, afin de mieux &eacute;clairer son compagnon.</p>
+
+<p>Une dizaine d'&eacute;chelles furent descendues par l'ing&eacute;nieur et son guide de ce pas mesur&eacute; habituel au mineur. Elles &eacute;taient encore en bon &eacute;tat.</p>
+
+<p>James Starr observait curieusement ce que l'insuffisante lueur lui laissait apercevoir des parois du sombre puits, qu'un cuvelage en bois, &agrave; demi pourri, rev&ecirc;tait encore.</p>
+
+<p>Arriv&eacute;s au quinzi&egrave;me palier, c'est-&agrave;-dire &agrave; mi-chemin, ils firent halte pour quelques instants.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;D&eacute;cid&eacute;ment, je n'ai pas tes jambes, mon gar&ccedil;on, dit l'ing&eacute;nieur en respirant longuement, mais enfin, cela va encore&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Vous &ecirc;tes solide, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, et c'est quelque chose, voyez-vous, que d'avoir longtemps v&eacute;cu dans la mine.</p>
+
+<p>&mdash; Tu as raison, Harry. Autrefois, lorsque j'avais vingt ans, j'aurais descendu tout d'une haleine. Allons, en route&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; tous deux allaient quitter le palier, une voix, encore &eacute;loign&eacute;e, se fit entendre dans les profondeurs du puits. Elle arrivait comme une onde sonore qui se gonfle progressivement, et elle devenait de plus en plus distincte.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! qui vient l&agrave;&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur en arr&ecirc;tant Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne pourrais le dire, r&eacute;pondit le jeune mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Ce n'est pas le vieux p&egrave;re&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Lui&nbsp;! monsieur Starr, non.</p>
+
+<p>&mdash; Quelque voisin, alors&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Nous n'avons pas de voisins au fond de la fosse, r&eacute;pondit Harry. Nous sommes seuls, bien seuls.</p>
+
+<p>&mdash; Bon&nbsp;! laissons passer cet intrus, dit James Starr. C'est &agrave; ceux qui descendent de c&eacute;der le pas &agrave; ceux qui montent.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tous deux attendirent.</p>
+
+<p>La voix r&eacute;sonnait en ce moment avec un magnifique &eacute;clat, comme si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; port&eacute;e par un vaste pavillon acoustique, et bient&ocirc;t quelques paroles d'une chanson &eacute;cossaise arriv&egrave;rent assez nettement aux oreilles du jeune mineur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La chanson des lacs&nbsp;! s'&eacute;cria Harry. Ah&nbsp;! je serais bien surpris si elle s'&eacute;chappait d'une autre bouche que de celle de Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Et qu'est-ce, ce Jack Ryan, qui chante d'une si superbe fa&ccedil;on&nbsp;? demanda James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Un ancien camarade de la houill&egrave;re&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>Puis, se pendant au-dessus du palier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! Jack&nbsp;! cria-t-il.</p>
+
+<p>&mdash; C'est toi, Harry&nbsp;? fut-il r&eacute;pondu. Attends-moi, j'arrive.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et la chanson reprit de plus belle.</p>
+
+<p>Quelques instants apr&egrave;s, un grand gar&ccedil;on de vingt-cinq ans, la figure gaie, les yeux souriants, la bouche joyeuse, la chevelure d'un blond ardent, apparaissait au fond du c&ocirc;ne lumineux que projetait sa lanterne, et il prenait pied sur le palier de la quinzi&egrave;me &eacute;chelle.</p>
+
+<p>Son premier acte fut de serrer vigoureusement la main que venait de lui tendre Harry.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Enchant&eacute; de te rencontrer&nbsp;! s'&eacute;cria-t-il. Mais, saint Mungo me prot&egrave;ge&nbsp;! si j'avais su que tu revenais &agrave; terre aujourd'hui, je me serais bien &eacute;pargn&eacute; cette descente au puits Yarow&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James Starr, dit alors Harry, en tournant sa lampe vers l'ing&eacute;nieur, qui &eacute;tait rest&eacute; dans l'ombre.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan. Ah&nbsp;! monsieur l'ing&eacute;nieur, je ne vous aurais pas reconnu. Depuis que j'ai quitt&eacute; la fosse, mes yeux ne sont plus habitu&eacute;s, comme autrefois, &agrave; voir dans l'obscurit&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Et moi, je me rappelle maintenant un gamin qui chantait toujours. voil&agrave; bien dix ans de cela, mon gar&ccedil;on&nbsp;! C'&eacute;tait toi, sans doute&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Moi-m&ecirc;me, monsieur Starr, et, en changeant de m&eacute;tier, je n'ai pas chang&eacute; d'humeur, voyez-vous&nbsp;? Bah&nbsp;! rire et chanter, cela vaut mieux, j'imagine, que pleurer et geindre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, Jack Ryan. &mdash; Et que fais-tu, depuis que tu as quitt&eacute; la mine&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je travaille &agrave; la ferme de Melrose, pr&egrave;s d'Irvine, dans le comt&eacute; de Renfrew, &agrave; quarante milles d'ici. Ah&nbsp;! &ccedil;a ne vaut pas nos houill&egrave;res d'Aberfoyle&nbsp;! Le pic allait mieux &agrave; ma main que la b&ecirc;che ou l'aiguillon&nbsp;! Et puis, dans la vieille fosse, il y avait des coins sonores, des &eacute;chos joyeux qui vous renvoyaient gaillardement vos chansons, tandis que l&agrave;-haut&nbsp;!... Mais vous allez donc rendre visite au vieux Simon, monsieur Starr&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Que je ne vous retarde pas...</p>
+
+<p>&mdash; Dis-moi, Jack, demanda Harry, quel motif t'a amen&eacute; au cottage aujourd'hui&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je voulais te voir, camarade, r&eacute;pondit Jack Ryan, et t'inviter &agrave; la f&ecirc;te du clan d'Irvine. Tu sais, je suis le &laquo;&nbsp;piper [1*] &nbsp;&raquo; de l'endroit&nbsp;! On chantera, on dansera&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Merci, Jack, mais cela m'est impossible.</p>
+
+<p>&mdash; Impossible&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, la visite de M. Starr peut se prolonger, et je dois le reconduire &agrave; Callander.</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! Harry, la f&ecirc;te du clan d'Irvine n'arrive que dans huit jours. D'ici l&agrave;, la visite de M. Starr sera termin&eacute;e, je suppose, et rien ne te retiendra plus au cottage&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, Harry, r&eacute;pondit James Starr. Il faut profiter de l'invitation que te fait ton camarade Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, j'accepte, Jack, dit Harry. Dans huit jours, nous nous retrouverons &agrave; la f&ecirc;te d'Irvine.</p>
+
+<p>&mdash; Dans huit jours, c'est bien convenu, r&eacute;pondit Jack Ryan. Adieu, Harry&nbsp;! votre serviteur, monsieur Starr&nbsp;! Je suis tr&egrave;s content de vous avoir revu&nbsp;! Je pourrai donner de vos nouvelles aux amis. Personne ne vous a oubli&eacute;, monsieur l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Et je n'ai oubli&eacute; personne, dit James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Merci pour tous, monsieur, r&eacute;pondit Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Adieu, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit Harry, en serrant une derni&egrave;re fois la main de son camarade.</p>
+
+<p>Et Jack Ryan, reprenant sa chanson, disparut bient&ocirc;t dans les hauteurs du puits, vaguement &eacute;clair&eacute;es par sa lampe.</p>
+
+<p>Un quart d'heure apr&egrave;s, James Starr et Harry descendaient la derni&egrave;re &eacute;chelle, et mettaient le pied sur le sol du dernier &eacute;tage de la fosse.</p>
+
+<p>Autour du rond-point que formait le fond du puits Yarow rayonnaient diverses galeries qui avaient servi &agrave; l'exploitation du dernier filon carbonif&egrave;re de la mine. Elles s'enfon&ccedil;aient dans le massif de schistes et de gr&egrave;s, les unes &eacute;tan&ccedil;onn&eacute;es par des trap&egrave;zes de grosses poutres &agrave; peine &eacute;quarries, les autres doubl&eacute;es d'un &eacute;pais rev&ecirc;tement de pierre. Partout des remblais rempla&ccedil;aient les veines d&eacute;vor&eacute;es par l'exploitation. Les piliers artificiels &eacute;taient faits de pierres arrach&eacute;es aux carri&egrave;res voisines, et maintenant ils supportaient le sol, c'est-&agrave;-dire le double &eacute;tage des terrains tertiaires et quaternaires, qui reposaient autrefois sur le gisement m&ecirc;me. L'obscurit&eacute; emplissait alors ces galeries, jadis &eacute;clair&eacute;es soit par la lampe du mineur soit par la lumi&egrave;re &eacute;lectrique, dont, pendant les derni&egrave;res ann&eacute;es, l'emploi avait &eacute;t&eacute; introduit dans les fosses. Mais les sombres tunnels ne r&eacute;sonnaient plus du grincement des wagonnets roulant sur leurs rails, ni du bruit des portes d'air qui se refermaient brusquement, ni des &eacute;clats de voix des rouleurs, ni du hennissement des chevaux et des mules, ni des coups de pic de l'ouvrier, ni des fracas du foudroyage qui faisait &eacute;clater le massif.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voulez-vous vous reposer un instant, monsieur Starr&nbsp;? demanda le jeune homme.</p>
+
+<p>&mdash; Non, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, car j'ai h&acirc;te d'arriver au cottage du vieux Simon.</p>
+
+<p>&mdash; Suivez-moi donc, monsieur Starr. Je vais vous guider, et, cependant, je suis s&ucirc;r que vous reconna&icirc;triez parfaitement votre route dans cet obscur d&eacute;dale des galeries.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, certes&nbsp;! J'ai encore dans la t&ecirc;te tout le plan de la vieille fosse.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry, suivi de l'ing&eacute;nieur et levant sa lampe pour le mieux &eacute;clairer, s'enfon&ccedil;a dans une haute galerie, semblable &agrave; une contre-nef de cath&eacute;drale. Leur pied, &agrave; tous deux, heurtait encore les traverses de bois qui supportaient les rails &agrave; l'&eacute;poque de l'exploitation.</p>
+
+<p>Mais &agrave; peine avaient-ils fait cinquante pas, qu'une &eacute;norme pierre vint tomber aux pieds de James Starr.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Prenez garde, monsieur Starr&nbsp;! s'&eacute;cria Harry, en saisissant le bras de l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Une pierre, Harry&nbsp;! Ah&nbsp;! ces vieilles vo&ucirc;tes ne sont plus assez solides, sans doute, et...</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry Ford, il me semble que la pierre a &eacute;t&eacute; jet&eacute;e... et jet&eacute;e par une main d'homme&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Jet&eacute;e&nbsp;! s'&eacute;cria James Starr. Que veux-tu dire, mon gar&ccedil;on&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Rien, rien... monsieur Starr, r&eacute;pondit &eacute;vasivement Harry, dont le regard, devenu s&eacute;rieux, aurait voulu percer ces &eacute;paisses murailles. Continuons notre route. Prenez mon bras, je vous prie, et n'ayez aucune crainte de faire un faux pas.</p>
+
+<p>&mdash; Me voil&agrave;, Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et tous deux s'avanc&egrave;rent, pendant qu'Harry regardait en arri&egrave;re, en projetant l'&eacute;clat de sa lampe dans les profondeurs de la galerie.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Serons-nous bient&ocirc;t arriv&eacute;s&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Dans dix minutes au plus.</p>
+
+<p>&mdash; Bien.</p>
+
+<p>&mdash; Mais, murmurait Harry, cela n'en est pas moins singulier. C'est la premi&egrave;re fois que pareille chose m'arrive. Il a fallu que cette pierre v&icirc;nt tomber juste au moment o&ugrave; nous passions&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Harry, il n'y a eu l&agrave; qu'un hasard&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Un hasard... r&eacute;pondit le jeune homme en secouant la t&ecirc;te. Oui... un hasard...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute;. Il &eacute;coutait.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'y a-t-il, Harry&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; J'ai cru entendre marcher derri&egrave;re nous&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit le jeune mineur, qui pr&ecirc;ta plus attentivement l'oreille.</p>
+
+<p>Puis&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non&nbsp;! je me serai tromp&eacute;, dit-il. Appuyez-vous bien sur mon bras, monsieur Starr. Servez-vous de moi comme d'un b&acirc;ton...</p>
+
+<p>&mdash; Un b&acirc;ton solide, Harry, r&eacute;pondit James Starr. Il n'en est pas de meilleur qu'un brave gar&ccedil;on tel que toi&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tous deux continu&egrave;rent &agrave; marcher silencieusement &agrave; travers la sombre nef.</p>
+
+<p>Souvent, Harry, &eacute;videmment pr&eacute;occup&eacute;, se retournait, essayant de surprendre, soit un bruit &eacute;loign&eacute;, soit quelque lueur lointaine.</p>
+
+<p>Mais, derri&egrave;re et devant lui, tout n'&eacute;tait que silence et t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>[1] Le <i>piper</i> est le joueur de cornemuse en &Eacute;cosse.</p>
+
+<center>
+<h4>V</h4>
+
+<h4>La Famille Ford</h4>
+</center>
+
+<p>Dix minutes apr&egrave;s, James Starr et Harry sortaient enfin de la galerie principale.</p>
+
+<p>Le jeune mineur et son compagnon &eacute;taient arriv&eacute;s au fond d'une clairi&egrave;re, &mdash; si toutefois ce mot peut servir &agrave; d&eacute;signer une vaste et obscure excavation. Cette excavation, cependant, n'&eacute;tait pas absolument d&eacute;pourvue de jour. Quelques rayons lui arrivaient par l'orifice d'un puits abandonn&eacute;, qui avait &eacute;t&eacute; fonc&eacute; dans les &eacute;tages sup&eacute;rieurs. C'&eacute;tait par ce conduit que s'&eacute;tablissait le courant d'a&eacute;ration de la fosse Dochart. Gr&acirc;ce &agrave; sa moindre densit&eacute;, l'air chaud de l'int&eacute;rieur &eacute;tait entra&icirc;n&eacute; vers le puits Yarow.</p>
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+<p>Donc, un peu d'air et de clart&eacute; p&eacute;n&eacute;trait &agrave; la fois &agrave; travers l'&eacute;paisse vo&ucirc;te de schiste jusqu'&agrave; la clairi&egrave;re.</p>
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+<p>C'&eacute;tait l&agrave; que Simon Ford habitait depuis dix ans, avec sa famille, une souterraine demeure, &eacute;vid&eacute;e dans le massif schisteux, &agrave; l'endroit m&ecirc;me o&ugrave; fonctionnaient autrefois les puissantes machines, destin&eacute;es &agrave; op&eacute;rer la traction m&eacute;canique de la fosse Dochart.</p>
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+<p>Telle &eacute;tait l'habitation &mdash; &agrave; laquelle il donnait volontiers le nom de &laquo;&nbsp;cottage&nbsp;&raquo; &mdash;, o&ugrave; r&eacute;sidait le vieil overman. Gr&acirc;ce &agrave; une certaine aisance, due &agrave; une longue existence de travail, Simon Ford aurait pu vivre en plein soleil, au milieu des arbres, dans n'importe quelle ville du royaume; mais les siens et lui avaient pr&eacute;f&eacute;r&eacute; ne pas quitter la houill&egrave;re, o&ugrave; ils &eacute;taient heureux, ayant m&ecirc;mes id&eacute;es, m&ecirc;mes go&ucirc;ts. Oui&nbsp;! il leur plaisait, ce cottage, enfoui &agrave; quinze cents pieds au-dessous du sol &eacute;cossais. Entre autres avantages, il n'y avait pas &agrave; craindre que les agents du fisc, les &laquo;&nbsp;stentmaters&nbsp;&raquo; charg&eacute;s d'&eacute;tablir la capitation, vinssent jamais y relancer ses h&ocirc;tes&nbsp;!</p>
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+<p>A cette &eacute;poque, Simon Ford, l'ancien overman de la fosse Dochart, portait vigoureusement encore ses soixante-cinq ans. Grand, robuste, bien taill&eacute;, il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; regard&eacute; comme l'un des plus remarquables &laquo;&nbsp;sawneys [1*]&nbsp;&raquo; du canton, qui fournissait tant de beaux hommes aux r&eacute;giments de Highlanders.</p>
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+<p>Simon Ford descendait d'une ancienne famille de mineurs, et sa g&eacute;n&eacute;alogie remontait aux premiers temps o&ugrave; furent exploit&eacute;s les gisements carbonif&egrave;res en &Eacute;cosse.</p>
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+<p>Sans rechercher arch&eacute;ologiquement si les Grecs et les Romains ont fait usage de la houille, si les Chinois utilisaient les mines de charbon bien avant l'&egrave;re chr&eacute;tienne, sans discuter si r&eacute;ellement le combustible min&eacute;ral doit son nom au mar&eacute;chal ferrant Houillos, qui vivait en Belgique dans le XII<sup>e</sup> si&egrave;cle, on peut affirmer que les bassins de la Grande-Bretagne furent les premiers dont l'exploitation fut mise en cours r&eacute;gulier. Au XI<sup>e</sup> si&egrave;cle, d&eacute;j&agrave;, Guillaume le Conqu&eacute;rant partageait entre ses compagnons d'armes les produits du bassin de Newcastle. Au XIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, une licence d'exploitation du &laquo;&nbsp;charbon marin&nbsp;&raquo; &eacute;tait conc&eacute;d&eacute;e par Henri III. Enfin, vers la fin du m&ecirc;me si&egrave;cle, il est fait mention des gisements de l'&Eacute;cosse et du pays de Galles.</p>
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+<p>Ce fut vers ce temps que les anc&ecirc;tres de Simon Ford p&eacute;n&eacute;tr&egrave;rent dans les entrailles du sol cal&eacute;donien, pour n'en plus sortir, de p&egrave;re en fils. Ce n'&eacute;taient que de simples ouvriers. Ils travaillaient comme des for&ccedil;ats &agrave; l'extraction du pr&eacute;cieux combustible. On croit m&ecirc;me que les charbonniers mineurs, tout comme les sauniers de cette &eacute;poque, &eacute;taient alors de v&eacute;ritables esclaves. En effet, au XVIII<sup>e</sup> si&egrave;cle, cette opinion &eacute;tait si bien &eacute;tablie en &Eacute;cosse, que, pendant la guerre du Pr&eacute;tendant, on put craindre que vingt mille mineurs de Newcastle ne se soulevassent pour reconqu&eacute;rir une libert&eacute; &mdash; qu'ils ne croyaient pas avoir.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, Simon Ford &eacute;tait fier d'appartenir &agrave; cette grande famille des houilleurs &eacute;cossais. Il avait travaill&eacute; de ses mains, l&agrave; m&ecirc;me o&ugrave; ses anc&ecirc;tres avaient mani&eacute; le pic, la pince, la rivelaine et la pioche. A trente ans, il &eacute;tait overman de la fosse Dochart, la plus importante des houill&egrave;res d'Aberfoyle. Il aimait passionn&eacute;ment son m&eacute;tier. Pendant de longues ann&eacute;es, il exer&ccedil;a ses fonctions avec z&egrave;le. Son seul chagrin &eacute;tait de voir la couche s'appauvrir et de pr&eacute;voir l'heure tr&egrave;s prochaine o&ugrave; le gisement serait &eacute;puis&eacute;.</p>
+
+<p>C'est alors qu'il s'&eacute;tait adonn&eacute; &agrave; la recherche de nouveaux filons dans toutes les fosses d'Aberfoyle, qui communiquaient souterrainement entre elles. Il avait eu le bonheur d'en d&eacute;couvrir quelques-uns pendant la derni&egrave;re p&eacute;riode d'exploitation. Son instinct de mineur le servait merveilleusement, et l'ing&eacute;nieur James Starr l'appr&eacute;ciait fort. On e&ucirc;t dit qu'il devinait les gisements dans les entrailles de la houill&egrave;re, comme un hydroscope devine les sources sous la couche du sol.</p>
+
+<p>Mais le moment arriva, on l'a dit, o&ugrave; la mati&egrave;re combustible manqua tout &agrave; fait &agrave; la houill&egrave;re. Les sondages ne donn&egrave;rent plus aucun r&eacute;sultat. Il fut &eacute;vident que le g&icirc;te carbonif&egrave;re &eacute;tait enti&egrave;rement &eacute;puis&eacute;. L'exploitation cessa. Les mineurs se retir&egrave;rent.</p>
+
+<p>Le croira-t-on&nbsp;? Ce fut un d&eacute;sespoir pour le plus grand nombre. Tous ceux qui savent que l'homme, au fond, aime sa peine, ne s'en &eacute;tonneront pas. Simon Ford, sans contredit, fut le plus atteint. Il &eacute;tait, par excellence, le type du mineur, dont l'existence est indissolublement li&eacute;e &agrave; celle de sa mine. Depuis sa naissance, il n'avait cess&eacute; de l'habiter, et, lorsque les travaux furent abandonn&eacute;s, il voulut y demeurer encore. Il resta donc. Harry, son fils, fut charg&eacute; du ravitaillement de l'habitation souterraine; mais quant &agrave; lui, depuis dix ans, il n'&eacute;tait pas remont&eacute; dix fois &agrave; la surface du sol.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Aller l&agrave;-haut&nbsp;! A quoi bon&nbsp;?&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait-il, et il ne quittait pas son noir domaine.</p>
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+<p>Dans ce milieu parfaitement sain, d'ailleurs, soumis &agrave; une temp&eacute;rature toujours moyenne, le vieil overman ne connaissait ni les chaleurs de l'&eacute;t&eacute;, ni les froids de l'hiver. Les siens se portaient bien. Que pouvait-il d&eacute;sirer de plus&nbsp;?</p>
+
+<p>Au fond, il &eacute;tait s&eacute;rieusement attrist&eacute;. Il regrettait l'animation, le mouvement, la vie d'autrefois, dans la fosse si laborieusement exploit&eacute;e. Cependant, il &eacute;tait soutenu par une id&eacute;e fixe.</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Non&nbsp;! non&nbsp;! la houill&egrave;re n'est pas &eacute;puis&eacute;e&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait-il.</p>
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+<p>Et celui-l&agrave; se serait fait un mauvais parti, qui aurait mis en doute devant Simon Ford qu'un jour l'ancienne Aberfoyle ressusciterait d'entre les mortes&nbsp;! Il n'avait donc jamais abandonn&eacute; l'espoir de d&eacute;couvrir quelque nouvelle couche qui rendrait &agrave; la mine sa splendeur pass&eacute;e. Oui&nbsp;! il aurait volontiers, s'il l'avait fallu, repris le pic du mineur, et ses vieux bras, solides encore, se seraient vigoureusement attaqu&eacute;s &agrave; la roche. Il allait donc &agrave; travers les obscures galeries, tant&ocirc;t seul, tant&ocirc;t avec son fils, observant, cherchant, pour rentrer chaque jour fatigu&eacute;, mais non d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;, au cottage.</p>
+
+<p>La digne compagne de Simon Ford, c'&eacute;tait Madge, grande et forte, la &laquo;&nbsp;goodwife&nbsp;&raquo;, la &laquo;&nbsp;bonne femme&nbsp;&raquo;, suivant l'expression &eacute;cossaise. Pas plus que son mari, Madge n'e&ucirc;t voulu quitter la fosse Dochart. Elle partageait &agrave; cet &eacute;gard toutes ses esp&eacute;rances et ses regrets. Elle l'encourageait, elle le poussait en avant, elle lui parlait avec une sorte de gravit&eacute;, qui r&eacute;chauffait le c&oelig;ur du vieil overman.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Aberfoyle n'est qu'endormie, Simon, lui disait-elle. C'est toi qui as raison. Ce n'est qu'un repos, ce n'est pas la mort&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Madge savait aussi se passer du monde ext&eacute;rieur et concentrer le bonheur d'une existence &agrave; trois dans le sombre cottage.</p>
+
+<p>Ce fut l&agrave; qu'arriva James Starr.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur &eacute;tait bien attendu. Simon Ford, debout sur sa porte, du plus loin que la lampe d'Harry lui annon&ccedil;a l'arriv&eacute;e de son ancien &laquo;&nbsp;viewer&nbsp;&raquo;, s'avan&ccedil;a vers lui.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Soyez le bienvenu, monsieur James&nbsp;! lui cria-t-il d'une voix qui r&eacute;sonnait sous la vo&ucirc;te du schiste. Soyez le bienvenu au cottage du vieil overman&nbsp;! Pour &ecirc;tre enfouie &agrave; quinze cents pieds sous terre, la maison de la famille Ford n'en est pas moins hospitali&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Comment allez-vous, brave Simon&nbsp;? demanda James Starr, en serrant la main que lui tendait son h&ocirc;te.</p>
+
+<p>&mdash; Tr&egrave;s bien, monsieur Starr. Et comment en serait-il autrement ici, &agrave; l'abri de toute intemp&eacute;rie de l'air&nbsp;? vos ladies qui vont respirer &agrave; Newhaven ou &agrave; Porto-Bello [2*] , pendant l'&eacute;t&eacute;, feraient mieux de passer quelques mois dans la houill&egrave;re d'Aberfoyle&nbsp;! Elles ne risqueraient point d'y gagner quelque gros rhume, comme dans les rues humides de la vieille capitale.</p>
+
+<p>&mdash; Ce n'est pas moi qui vous contredirai, Simon, r&eacute;pondit James Starr, heureux de retrouver l'overman tel qu'il &eacute;tait autrefois&nbsp;! vraiment, je me demande pourquoi je ne change pas ma maison de la Canongate pour quelque cottage voisin du v&ocirc;tre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; A votre service, monsieur Starr. Je connais un de vos anciens mineurs qui serait particuli&egrave;rement enchant&eacute; de n'avoir entre vous et lui qu'un mur mitoyen.</p>
+
+<p>&mdash; Et Madge&nbsp;?... demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; La bonne femme se porte encore mieux que moi, si cela est possible&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford, et elle se fait une joie de vous voir &agrave; sa table. Je pense qu'elle se sera surpass&eacute;e pour vous recevoir.</p>
+
+<p>&mdash; Nous verrons cela, Simon, nous verrons cela&nbsp;! dit l'ing&eacute;nieur, que l'annonce d'un bon d&eacute;jeuner ne pouvait laisser indiff&eacute;rent, apr&egrave;s cette longue marche.</p>
+
+<p>&mdash; Vous avez faim, monsieur Starr&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Positivement faim. Le voyage m'a ouvert l'app&eacute;tit. Je suis venu par un temps affreux&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! il pleut, l&agrave;-haut&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford d'un air de piti&eacute; tr&egrave;s marqu&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Simon, et les eaux du Forth sont agit&eacute;es aujourd'hui comme celles d'une mer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, monsieur James, ici, il ne pleut jamais. Mais je n'ai pas &agrave; vous peindre des avantages que vous connaissez aussi bien que moi&nbsp;! vous voil&agrave; arriv&eacute; au cottage. C'est le principal, et, je vous le r&eacute;p&egrave;te, soyez le bienvenu&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Simon Ford, suivi d'Harry, fit entrer dans l'habitation James Starr, qui se trouva au milieu d'une vaste salle, &eacute;clair&eacute;e par plusieurs lampes, dont l'une &eacute;tait suspendue aux solives colori&eacute;es du plafond.</p>
+
+<p>La table, recouverte d'une nappe &eacute;gay&eacute;e de fra&icirc;ches couleurs, n'attendait plus que les convives, auxquels quatre chaises, rembourr&eacute;es de vieux cuir, &eacute;taient r&eacute;serv&eacute;es.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Bonjour, Madge, dit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Bonjour, monsieur James, r&eacute;pondit la brave &Eacute;cossaise, qui se leva pour recevoir son h&ocirc;te.</p>
+
+<p>&mdash; Je vous revois avec plaisir, Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Et vous avez raison, monsieur James, car il est agr&eacute;able de retrouver ceux pour lesquels on s'est toujours montr&eacute; bon.</p>
+
+<p>&mdash; La soupe attend, femme, dit alors Simon Ford, et il ne faut pas la faire attendre, non plus que M. James. Il a une faim de mineur, et il verra que notre gar&ccedil;on ne nous laisse manquer de rien au cottage&nbsp;! &mdash; A propos, Harry, ajouta le vieil overman en se retournant vers son fils, Jack Ryan est venu te voir.</p>
+
+<p>&mdash; Je le sais, p&egrave;re&nbsp;! Nous l'avons rencontr&eacute; dans le puits Yarow.</p>
+
+<p>&mdash; C'est un bon et gai camarade, dit Simon Ford. Mais il semble se plaire l&agrave;-haut&nbsp;! &Ccedil;a n'avait pas du vrai sang de mineur dans les veines. &mdash; A table, monsieur James, et d&eacute;jeunons copieusement, car il est possible que nous ne puissions souper que fort tard.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Au moment o&ugrave; l'ing&eacute;nieur et ses h&ocirc;tes allaient prendre place&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un instant, Simon, dit James Starr, voulez-vous que je mange de bon app&eacute;tit&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ce sera nous faire tout l'honneur possible, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, il faut pour cela n'avoir aucune pr&eacute;occupation. &mdash; Or, j'ai deux questions &agrave; vous adresser.</p>
+
+<p>&mdash; Allez, monsieur James.</p>
+
+<p>&mdash; Votre lettre me parle d'une communication qui doit &ecirc;tre de nature &agrave; m'int&eacute;resser&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Elle est tr&egrave;s int&eacute;ressante, en effet.</p>
+
+<p>&mdash; Pour vous&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Pour vous et pour moi, monsieur James. Mais je d&eacute;sire ne vous la faire qu'apr&egrave;s le repas et sur les lieux m&ecirc;mes. Sans cela, vous ne voudriez pas me croire.</p>
+
+<p>&mdash; Simon, reprit l'ing&eacute;nieur, regardez-moi bien... l&agrave;... dans les yeux. Une communication int&eacute;ressante&nbsp;?... Oui... Bon&nbsp;!... Je ne vous en demande pas davantage, ajouta-t-il, comme s'il e&ucirc;t lu la r&eacute;ponse qu'il esp&eacute;rait dans le regard du vieil overman.</p>
+
+<p>&mdash; Et la deuxi&egrave;me question&nbsp;? demanda celui-ci.</p>
+
+<p>&mdash; Savez-vous, Simon, quelle est la personne qui a pu m'&eacute;crire ceci&nbsp;?&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, en pr&eacute;sentant la lettre anonyme qu'il avait re&ccedil;ue.</p>
+
+<p>Simon Ford prit la lettre, et il la lut tr&egrave;s attentivement.</p>
+
+<p>Puis, la montrant &agrave; son fils&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Connais-tu cette &eacute;criture&nbsp;? dit-il.</p>
+
+<p>&mdash; Non, p&egrave;re, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Et cette lettre &eacute;tait timbr&eacute;e du bureau de poste d'Aberfoyle&nbsp;? demanda Simon Ford &agrave; l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, comme la v&ocirc;tre, r&eacute;pondit James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Que penses-tu de cela, Harry&nbsp;? dit Simon Ford, dont le front s'assombrit un instant.</p>
+
+<p>&mdash; Je pense, p&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, que quelqu'un a eu un int&eacute;r&ecirc;t quelconque &agrave; emp&ecirc;cher M. James Starr de venir au rendez-vous que vous lui donniez.</p>
+
+<p>&mdash; Mais qui&nbsp;? s'&eacute;cria le vieux mineur. Qui donc a pu p&eacute;n&eacute;trer assez avant dans le secret de ma pens&eacute;e&nbsp;?...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et Simon Ford, pensif, tomba dans une r&ecirc;verie dont la voix de Madge le tira bient&ocirc;t.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Asseyons-nous, monsieur Starr, dit-elle. La soupe va refroidir. Pour le moment, ne songeons plus &agrave; cette lettre&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, sur l'invitation de la vieille femme, chacun prit place &agrave; la table &mdash; James Starr vis-&agrave;-vis de Madge, pour lui faire honneur &mdash;, le p&egrave;re et le fils l'un vis-&agrave;-vis de l'autre.</p>
+
+<p>Ce fut un bon repas &eacute;cossais. Et, d'abord, on mangea d'un &laquo;&nbsp;hotchpotch&nbsp;&raquo;, soupe dont la viande nageait au milieu d'un excellent bouillon. Au dire du vieux Simon, sa compagne ne connaissait pas de rivale dans l'art de pr&eacute;parer le hotchpotch.</p>
+
+<p>Il en &eacute;tait de m&ecirc;me, d'ailleurs, du &laquo;&nbsp;cockyleeky&nbsp;&raquo;, sorte de rago&ucirc;t de coq, accommod&eacute; aux poireaux, qui ne m&eacute;ritait que des &eacute;loges.</p>
+
+<p>Le tout fut arros&eacute; d'une excellente ale, puis&eacute;e aux meilleurs brassins des fabriques d'&Eacute;dimbourg.</p>
+
+<p>Mais le plat principal consista en un &laquo;&nbsp;haggis&nbsp;&raquo;, pouding national, fait de viandes et de farine d'orge. Ce mets remarquable, qui inspira au po&egrave;te Burns l'une de ses meilleures odes, eut le sort r&eacute;serv&eacute; aux belles choses de ce monde&nbsp;: il passa comme un r&ecirc;ve.</p>
+
+<p>Madge re&ccedil;ut les sinc&egrave;res compliments de son h&ocirc;te.</p>
+
+<p>Le d&eacute;jeuner se termina par un dessert compos&eacute; de fromage et de &laquo;&nbsp;cakes&nbsp;&raquo;, g&acirc;teaux d'avoine, finement pr&eacute;par&eacute;s, accompagn&eacute;s de quelques petits verres &laquo;&nbsp;d'usquebaugh&nbsp;&raquo;, excellente eau-de-vie de grains, qui avait vingt-cinq ans, &mdash; juste l'&acirc;ge d'Harry.</p>
+
+<p>Ce repas dura une bonne heure. James Starr et Simon Ford n'avaient pas seulement bien mang&eacute;, ils avaient aussi bien caus&eacute;,&mdash; principalement du pass&eacute; de la vieille houill&egrave;re d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Harry, lui, &eacute;tait plut&ocirc;t rest&eacute; silencieux. Deux fois il avait quitt&eacute; la table et m&ecirc;me la maison. Il &eacute;tait &eacute;vident qu'il &eacute;prouvait quelque inqui&eacute;tude depuis l'incident de la pierre, et il voulait observer les alentours du cottage. La lettre anonyme n'&eacute;tait pas faite, non plus, pour le rassurer.</p>
+
+<p>Ce fut pendant une de ces sorties que l'ing&eacute;nieur dit &agrave; Simon Ford et Madge&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un brave gar&ccedil;on que vous avez l&agrave;, mes amis&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur James, un &ecirc;tre bon et d&eacute;vou&eacute;, r&eacute;pondit vivement le vieil overman.</p>
+
+<p>&mdash; Il se pla&icirc;t avec vous, au cottage&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Il ne voudrait pas nous quitter.</p>
+
+<p>&mdash; Vous songerez &agrave; le marier, cependant&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Marier Harry&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. Et &agrave; qui&nbsp;? A une fille de l&agrave;-haut, qui aimerait les f&ecirc;tes, la danse, qui pr&eacute;f&eacute;rerait son clan &agrave; notre houill&egrave;re&nbsp;! Harry n'en voudrait pas&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Simon, r&eacute;pondit Madge, tu n'exigeras pourtant pas que jamais notre Harry ne prenne femme...</p>
+
+<p>&mdash; Je n'exigerai rien, r&eacute;pondit le vieux mineur, mais cela ne presse pas&nbsp;! Qui sait si nous ne lui trouverons point...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry rentrait en ce moment, et Simon Ford se tut.</p>
+
+<p>Lorsque Madge se leva de table, tous l'imit&egrave;rent et vinrent s'asseoir un instant &agrave; la porte du cottage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh bien, Simon, dit l'ing&eacute;nieur, je vous &eacute;coute&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, je n'ai pas besoin de vos oreilles, mais de vos jambes. &mdash; Vous &ecirc;tes-vous bien repos&eacute;&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Bien repos&eacute; et bien refait, Simon. Je suis pr&ecirc;t &agrave; vous accompagner partout o&ugrave; il vous plaira.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, dit Simon Ford, en se retournant vers son fils, allume nos lampes de s&ucirc;ret&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Vous prenez des lampes de s&ucirc;ret&eacute;&nbsp;! s'&eacute;cria James Starr, assez surpris, puisque les explosions de grisou n'&eacute;taient plus &agrave; craindre dans une fosse absolument vide de charbon.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur James, par prudence&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; N'allez-vous pas aussi, mon brave Simon, me proposer de rev&ecirc;tir un habit de mineur&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pas encore, monsieur James&nbsp;! pas encore&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit le vieil overman, dont les yeux brillaient singuli&egrave;rement sous leurs profondes orbites.</p>
+
+<p>Harry, qui &eacute;tait rentr&eacute; dans le cottage, en ressortit presque aussit&ocirc;t, rapportant trois lampes de s&ucirc;ret&eacute;.</p>
+
+<p>Harry remit une de ces lampes &agrave; l'ing&eacute;nieur, l'autre &agrave; son p&egrave;re, et il garda la troisi&egrave;me suspendue &agrave; sa main gauche, pendant que sa main droite s'armait d'un long b&acirc;ton.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;En route&nbsp;! dit Simon Ford, qui prit un pic solide, d&eacute;pos&eacute; &agrave; la porte du cottage.</p>
+
+<p>&mdash; En route&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. &mdash; Au revoir Madge&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Dieu vous assiste&nbsp;! r&eacute;pondit l'&Eacute;cossaise.</p>
+
+<p>&mdash; Un bon souper, femme, tu entends, s'&eacute;cria Simon Ford. Nous aurons faim &agrave; notre retour, et nous lui ferons honneur&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>[1] Le sawney, c'est l'&Eacute;cossais, comme John Bull est l'Anglais, et Paddy l'Irlandais.</p>
+
+<p>[2] Stations baln&eacute;aires des environs d'&Eacute;dimbourg.</p>
+
+<center>
+<h4>VI</h4>
+
+<h4>Quelques ph&eacute;nom&egrave;nes inexplicables</h4>
+</center>
+
+<p>On sait ce que sont les croyances superstitieuses dans les hautes et basses terres de l'&Eacute;cosse. En certains clans, les tenanciers du laird, r&eacute;unis pour la veill&eacute;e, aiment &agrave; redire les contes emprunt&eacute;s au r&eacute;pertoire de la mythologie hyperbor&eacute;enne. L'instruction, quoique largement et lib&eacute;ralement r&eacute;pandue dans le pays, n'a pas pu r&eacute;duire encore &agrave; l'&eacute;tat de fictions ces l&eacute;gendes, qui semblent inh&eacute;rentes au sol m&ecirc;me de la vieille Cal&eacute;donie. C'est encore le pays des esprits et des revenants, des lutins et des f&eacute;es. L&agrave; apparaissent toujours le g&eacute;nie malfaisant qui ne s'&eacute;loigne que moyennant finances, le &laquo;&nbsp;Seer&nbsp;&raquo; des Highlanders, qui, par un don de seconde vue, pr&eacute;dit les morts prochaines, le &laquo;&nbsp;May Moullach&nbsp;&raquo;, qui se montre sous la forme d'une jeune fille aux bras velus et pr&eacute;vient les familles des malheurs dont elles sont menac&eacute;es, la f&eacute;e &laquo;&nbsp;Branshie&nbsp;&raquo;, qui annonce les &eacute;v&eacute;nements funestes, les &laquo;&nbsp;Brawnies&nbsp;&raquo;, auxquels est confi&eacute;e la garde du mobilier domestique, l'&laquo;&nbsp;Urisk&nbsp;&raquo;, qui fr&eacute;quente plus particuli&egrave;rement les gorges sauvages du lac Katrine, &mdash; et tant d'autres.</p>
+
+<p>Il va de soi que la population des houill&egrave;res &eacute;cossaises devait fournir son contingent de l&eacute;gendes et de fables &agrave; ce r&eacute;pertoire mythologique. Si les montagnes des Hautes-Terres sont peupl&eacute;es d'&ecirc;tres chim&eacute;riques, bons ou mauvais, &agrave; plus forte raison les sombres houill&egrave;res devaient-elles &ecirc;tre hant&eacute;es jusque dans leurs derni&egrave;res profondeurs. Qui fait trembler le gisement pendant les nuits d'orage, qui met sur la trace du filon encore inexploit&eacute;, qui allume le grisou et pr&eacute;side aux explosions terribles, sinon quelque g&eacute;nie de la mine&nbsp;? C'&eacute;tait, du moins, l'opinion commun&eacute;ment r&eacute;pandue parmi ces superstitieux &Eacute;cossais. En v&eacute;rit&eacute;, la plupart des mineurs croyaient volontiers au fantastique, quand il ne s'agissait que de ph&eacute;nom&egrave;nes purement physiques, et on e&ucirc;t perdu son temps &agrave; vouloir les d&eacute;sabuser. O&ugrave; la cr&eacute;dulit&eacute; se f&ucirc;t-elle d&eacute;velopp&eacute;e plus librement qu'au fond de ces ab&icirc;mes&nbsp;?</p>
+
+<p>Or, les houill&egrave;res d'Aberfoyle, pr&eacute;cis&eacute;ment parce qu'elles &eacute;taient exploit&eacute;es dans le pays des l&eacute;gendes, devaient se pr&ecirc;ter plus naturellement &agrave; tous les incidents du surnaturel.</p>
+
+<p>Donc les l&eacute;gendes y abondaient. Il faut dire, d'ailleurs, que certains ph&eacute;nom&egrave;nes, inexpliqu&eacute;s jusqu'alors, ne pouvaient que fournir un nouvel aliment &agrave; la cr&eacute;dulit&eacute; publique.</p>
+
+<p>Au premier rang des superstitieux de la fosse Dochart, figurait Jack Ryan, le camarade d'Harry. C'&eacute;tait le plus grand partisan du surnaturel qui f&ucirc;t. Toutes ces fantastiques histoires, il les transformait en chansons, qui lui valaient de beaux succ&egrave;s pendant les veill&eacute;es d'hiver.</p>
+
+<p>Mais Jack Ryan n'&eacute;tait pas le seul &agrave; faire montre de sa cr&eacute;dulit&eacute;. Ses camarades affirmaient, non moins hautement, que les fosses d'Aberfoyle &eacute;taient hant&eacute;es, que certains &ecirc;tres insaisissables y apparaissaient fr&eacute;quemment, comme cela arrivait dans les Hautes-Terres. A les entendre, ce qui m&ecirc;me aurait &eacute;t&eacute; extraordinaire, c'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; qu'il n'en f&ucirc;t pas ainsi. Est-il donc, en effet, un milieu mieux dispos&eacute; qu'une sombre et profonde houill&egrave;re pour les &eacute;bats des g&eacute;nies, des lutins, des follets et autres acteurs des drames fantastiques&nbsp;? Le d&eacute;cor &eacute;tait tout dress&eacute;, pourquoi les personnages surnaturels n'y seraient pas venus jouer leur r&ocirc;le&nbsp;?</p>
+
+<p>Ainsi raisonnaient Jack Ryan et ses camarades des houill&egrave;res d'Aberfoyle. On a dit que les diff&eacute;rentes fosses communiquaient entre elles par les longues galeries souterraines, m&eacute;nag&eacute;es entre les filons. Il existait ainsi sous le comt&eacute; de Stirling un &eacute;norme massif, sillonn&eacute; de tunnels, trou&eacute; de caves, for&eacute; de puits, une sorte d'hypog&eacute;e, de labyrinthe subterran&eacute;, qui offrait l'aspect d'une vaste fourmili&egrave;re.</p>
+
+<p>Les mineurs des divers fonds se rencontraient donc souvent, soit lorsqu'ils se rendaient sur les travaux d'exploitation, soit lorsqu'ils en revenaient. De l&agrave;, une facilit&eacute; constante d'&eacute;changer des propos et de faire circuler d'une fosse &agrave; l'autre les histoires qui tiraient leur origine de la houill&egrave;re. Les r&eacute;cits se transmettaient ainsi avec une rapidit&eacute; merveilleuse, passant de bouche en bouche et s'accroissant comme il convient.</p>
+
+<p>Cependant, deux hommes plus instruits et de temp&eacute;rament plus positif que les autres, avaient toujours r&eacute;sist&eacute; &agrave; cet entra&icirc;nement. Ils n'admettaient &agrave; aucun degr&eacute; l'intervention des lutins, des g&eacute;nies ou des f&eacute;es.</p>
+
+<p>C'&eacute;taient Simon Ford et son fils. Et ils le prouv&egrave;rent bien en continuant d'habiter la sombre crypte, apr&egrave;s l'abandon de la fosse Dochart. Peut-&ecirc;tre la bonne Madge avait-elle quelque penchant au surnaturel, comme toute &Eacute;cossaise des Hautes-Terres. Mais ces histoires d'apparitions, elle &eacute;tait r&eacute;duite &agrave; se les raconter &agrave; elle-m&ecirc;me, &mdash; ce qu'elle faisait consciencieusement, d'ailleurs, pour ne point perdre les vieilles traditions.</p>
+
+<p>Simon et Harry Ford eussent-ils &eacute;t&eacute; aussi cr&eacute;dules que leurs camarades, ils n'auraient abandonn&eacute; la houill&egrave;re ni aux g&eacute;nies, ni aux f&eacute;es. L'espoir de d&eacute;couvrir un nouveau filon leur e&ucirc;t fait braver toute la fantastique cohorte des lutins. Ils n'&eacute;taient cr&eacute;dules, ils n'&eacute;taient croyants que sur un point&nbsp;: ils ne pouvaient admettre que le gisement carbonif&egrave;re d'Aberfoyle f&ucirc;t totalement &eacute;puis&eacute;. On peut dire, avec quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient &agrave; ce sujet &laquo;&nbsp;la foi du charbonnier&nbsp;&raquo;, cette foi en Dieu que rien ne peut &eacute;branler.</p>
+
+<p>C'est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstin&eacute;s, immuables dans leurs convictions, le p&egrave;re et le fils prenaient leur pic, leur b&acirc;ton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux, cherchant, t&acirc;tant la roche d'un coup sec, &eacute;coutant si elle rendait un son favorable.</p>
+
+<p>Tant que les sondages n'auraient pas &eacute;t&eacute; pouss&eacute;s jusqu'au granit du terrain primaire, Simon et Harry Ford &eacute;taient d'accord que la recherche, inutile aujourd'hui, pouvait &ecirc;tre utile demain, et qu'elle devait &ecirc;tre reprise. Leur vie enti&egrave;re, ils la passeraient &agrave; essayer de rendre &agrave; la houill&egrave;re d'Aberfoyle son ancienne prosp&eacute;rit&eacute;. Si le p&egrave;re devait succomber avant l'heure de la r&eacute;ussite, le fils reprendrait la t&acirc;che &agrave; lui seul.</p>
+
+<p>En m&ecirc;me temps, ces deux gardiens passionn&eacute;s de la houill&egrave;re la visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s'assuraient de la solidit&eacute; des remblais et des vo&ucirc;tes. Ils recherchaient si un &eacute;boulement &eacute;tait &agrave; craindre, et s'il devenait urgent de condamner quelque partie de la fosse. Ils examinaient les traces d'infiltration des eaux sup&eacute;rieures, ils les d&eacute;rivaient, ils les canalisaient pour les envoyer &agrave; quelque puisard. Enfin, ils s'&eacute;taient volontairement constitu&eacute;s les protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel &eacute;taient sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fum&eacute;es&nbsp;!</p>
+
+<p>Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu'il arriva &agrave; Harry, plus particuli&egrave;rement, d'&ecirc;tre frapp&eacute; de certains ph&eacute;nom&egrave;nes, dont il cherchait en vain l'explication.</p>
+
+<p>Ainsi, plusieurs fois, lorsqu'il suivait quelque &eacute;troite contre galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues &agrave; ceux qu'auraient pu produire de violents coups de pic, frapp&eacute;s sur la paroi remblay&eacute;e.</p>
+
+<p>Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer, avait press&eacute; le pas pour surprendre la cause de ce myst&eacute;rieux travail.</p>
+
+<p>Le tunnel &eacute;tait d&eacute;sert. La lampe du jeune mineur, promen&eacute;e sur la paroi, n'avait laiss&eacute; voir aucune trace r&eacute;cente de coups de pince ou de pic. Harry se demandait donc s'il n'&eacute;tait pas le jouet d'une illusion d'acoustique, de quelque bizarre ou fantasque &eacute;cho.</p>
+
+<p>D'autres fois, en projetant subitement une vive lumi&egrave;re vers une anfractuosit&eacute; suspecte, il avait cru voir passer une ombre. Il s'&eacute;tait &eacute;lanc&eacute;... Rien, alors m&ecirc;me qu'aucune issue n'e&ucirc;t permis &agrave; un &ecirc;tre humain de se d&eacute;rober &agrave; sa poursuite&nbsp;!</p>
+
+<p>A deux reprises depuis un mois, Harry, visitant la partie ouest de la fosse, entendit distinctement des d&eacute;tonations lointaines, comme si quelque mineur e&ucirc;t fait &eacute;clater une cartouche de dynamite.</p>
+
+<p>La derni&egrave;re fois, apr&egrave;s de minutieuses recherches, il avait reconnu qu'un pilier venait d'&ecirc;tre &eacute;ventr&eacute; par un coup de mine.</p>
+
+<p>A la clart&eacute; de sa lampe, Harry examina attentivement la paroi attaqu&eacute;e par la mine. Elle n'&eacute;tait point faite d'un simple remblayage de pierres, mais d'un pan de schiste, qui avait p&eacute;n&eacute;tr&eacute; &agrave; cette profondeur dans l'&eacute;tage du gisement houiller. Le coup de mine avait-il eu pour objet de provoquer la d&eacute;couverte d'un nouveau filon&nbsp;? N'avait-on voulu que produire un &eacute;boulement de cette portion de la houill&egrave;re&nbsp;? C'est ce que se demanda Harry, et, quand il fit conna&icirc;tre ce fait &agrave; son p&egrave;re, ni le vieil overman, ni lui ne purent r&eacute;soudre la question d'une fa&ccedil;on satisfaisante.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est singulier, r&eacute;p&eacute;tait souvent Harry. La pr&eacute;sence dans la mine d'un &ecirc;tre inconnu semble impossible, et, cependant, elle ne peut &ecirc;tre mise en doute&nbsp;! Un autre que nous voudrait-il donc chercher s'il n'existe pas encore quelque veine exploitable&nbsp;? Ou plut&ocirc;t, ne tenterait-il pas d'an&eacute;antir ce qui reste des houill&egrave;res d'Aberfoyle&nbsp;? Mais dans quel but&nbsp;? Je le saurai, quand il devrait m'en co&ucirc;ter la vie&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Quinze jours avant cette journ&eacute;e, pendant laquelle Harry Ford guidait l'ing&eacute;nieur &agrave; travers le d&eacute;dale de la fosse Dochart, il s'&eacute;tait vu sur le point d'atteindre le but de ses recherches.</p>
+
+<p>Il parcourait l'extr&eacute;mit&eacute; du sud-ouest de la houill&egrave;re, un puissant fanal &agrave; la main.</p>
+
+<p>Tout &agrave; coup, il lui sembla qu'une lumi&egrave;re venait de s'&eacute;teindre, &agrave; quelques centaines de pieds devant lui, au fond d'une &eacute;troite chemin&eacute;e, qui coupait obliquement le massif. Il se pr&eacute;cipita vers la lueur suspecte...</p>
+
+<p>Recherche inutile. Comme Harry n'admettait pas pour les choses physiques d'explication surnaturelle, il en conclut que, certainement, un &ecirc;tre inconnu r&ocirc;dait dans la fosse. Mais, quoi qu'il f&icirc;t, cherchant avec le plus extr&ecirc;me soin, scrutant les moindres anfractuosit&eacute;s de la galerie, il en fut pour sa peine, et ne put arriver &agrave; une certitude quelconque.</p>
+
+<p>Harry s'en remit donc au hasard pour lui d&eacute;voiler ce myst&egrave;re. De loin en loin, il vit encore appara&icirc;tre des lueurs qui voltigeaient d'un point &agrave; l'autre comme des feux de Saint-Elme; mais leur apparition n'avait que la dur&eacute;e d'un &eacute;clair et il fallut renoncer &agrave; en d&eacute;couvrir la cause.</p>
+
+<p>Si Jack Ryan et les autres superstitieux de la houill&egrave;re eussent aper&ccedil;u ces flammes fantastiques, ils n'auraient certainement pas manqu&eacute; de crier au surnaturel&nbsp;!.</p>
+
+<p>Mais Harry n'y songeait m&ecirc;me pas. Le vieux Simon non plus. Et lorsque tous deux causaient de ces ph&eacute;nom&egrave;nes, dus &eacute;videmment &agrave; une cause purement physique&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondait le vieil overman, attendons&nbsp;! Tout cela s'expliquera quelque jour&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Toutefois, il faut observer que jamais, jusqu'alors, ni Harry, ni son p&egrave;re n'avaient &eacute;t&eacute; en butte &agrave; un acte de violence.</p>
+
+<p>Si la pierre, tomb&eacute;e ce jour m&ecirc;me aux pieds de James Starr, avait &eacute;t&eacute; lanc&eacute;e par la main d'un malfaiteur, c'&eacute;tait le premier acte criminel de ce genre.</p>
+
+<p>James Starr, interrog&eacute;, fut d'avis que cette pierre s'&eacute;tait d&eacute;tach&eacute;e de la vo&ucirc;te de la galerie. Mais Harry n'admit pas une explication si simple. La pierre, suivant lui, n'&eacute;tait pas tomb&eacute;e, elle avait &eacute;t&eacute; lanc&eacute;e. A moins de rebondir, elle n'e&ucirc;t jamais d&eacute;crit une trajectoire, si elle n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; mue par une impulsion &eacute;trang&egrave;re.</p>
+
+<p>Harry voyait donc l&agrave; une tentative directe contre lui et son p&egrave;re, ou m&ecirc;me contre l'ing&eacute;nieur. Apr&egrave;s ce qu'on sait, peut-&ecirc;tre conviendra-t-on qu'il &eacute;tait fond&eacute; &agrave; le croire.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>VII</h4>
+
+<h4>Une exp&eacute;rience de Simon Ford</h4>
+</center>
+
+<p>Midi sonnait &agrave; la vieille horloge de bois de la salle, lorsque James Starr et ses deux compagnons quitt&egrave;rent le cottage.</p>
+
+<p>La lumi&egrave;re, p&eacute;n&eacute;trant &agrave; travers le puits d'a&eacute;ration, &eacute;clairait vaguement la clairi&egrave;re. La lampe d'Harry e&ucirc;t &eacute;t&eacute; inutile alors, mais elle ne devait pas tarder &agrave; servir, car c'&eacute;tait vers l'extr&eacute;mit&eacute; m&ecirc;me de la fosse Dochart que le vieil overman allait conduire l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s avoir suivi sur un espace de deux milles la galerie principale, les trois explorateurs &mdash; on verra qu'il s'agissait d'une exploration &mdash; arriv&egrave;rent &agrave; l'orifice d'un &eacute;troit tunnel. C'&eacute;tait comme une contre-nef dont la vo&ucirc;te reposait sur un boisage, tapiss&eacute; d'une mousse blanch&acirc;tre. Elle suivait &agrave; peu pr&egrave;s la ligne que tra&ccedil;ait, &agrave; quinze cents pieds au-dessus, le haut cours du Forth.</p>
+
+<p>Pour le cas o&ugrave; James Starr e&ucirc;t &eacute;t&eacute; moins familiaris&eacute; qu'autrefois avec le d&eacute;dale de la fosse Dochart, Simon Ford lui rappelait les dispositions du plan g&eacute;n&eacute;ral, en les comparant au trac&eacute; g&eacute;ographique du sol.</p>
+
+<p>James Starr et Simon Ford marchaient donc en causant.</p>
+
+<p>En avant, Harry &eacute;clairait la route. Il cherchait, en projetant brusquement de vifs &eacute;clats lumineux vers les sombres anfractuosit&eacute;s, &agrave; d&eacute;couvrir quelque ombre suspecte.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Irons-nous loin ainsi, vieux Simon&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Encore un demi-mille, monsieur James&nbsp;! Autrefois, nous aurions fait cette route en berline, sur les tramways &agrave; traction m&eacute;canique&nbsp;! Mais que ces temps sont loin&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Nous nous dirigeons donc vers l'extr&eacute;mit&eacute; du dernier filon&nbsp;? demanda James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Oui.&nbsp;! Je vois que vous connaissez encore bien la mine.</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, il serait difficile d'aller plus loin, si je ne me trompe&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; En effet, monsieur James. C'est l&agrave; que nos rivelaines ont arrach&eacute; le dernier morceau de houille du gisement&nbsp;! Je me le rappelle comme si j'y &eacute;tais encore&nbsp;! C'est moi qui ai donn&eacute; ce dernier coup, et il a retenti dans ma poitrine plus violemment que sur la roche&nbsp;! Tout n'&eacute;tait plus que gr&egrave;s ou schiste autour de nous, et, quand le wagonnet a roul&eacute; vers le puits d'extraction, je l'ai suivi, le c&oelig;ur &eacute;mu, comme on suit un convoi de pauvre&nbsp;! Il me semblait que c'&eacute;tait l'&acirc;me de la mine qui s'en allait avec lui&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La gravit&eacute; avec laquelle le vieil overman pronon&ccedil;a ces paroles impressionna l'ing&eacute;nieur, bien pr&egrave;s de partager de tels sentiments. Ce sont ceux du marin qui abandonne son navire d&eacute;sempar&eacute;, ceux du laird qui voit abattre la maison de ses anc&ecirc;tres&nbsp;!</p>
+
+<p>James Starr avait serr&eacute; la main de Simon Ford. Mais, &agrave; son tour, celui-ci venait de prendre la main de l'ing&eacute;nieur, et la pressant fortement&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce jour-l&agrave;, nous nous &eacute;tions tous tromp&eacute;s, dit-il. Non&nbsp;! La vieille houill&egrave;re n'&eacute;tait pas morte&nbsp;! Ce n'&eacute;tait pas un cadavre que les mineurs allaient abandonner, et j'oserais affirmer, monsieur James, que son c&oelig;ur bat encore&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Parlez donc, Simon&nbsp;! vous avez d&eacute;couvert un nouveau filon&nbsp;? s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, qui ne fut pas ma&icirc;tre de lui. Je le savais bien&nbsp;! votre lettre ne pouvait signifier autre chose&nbsp;! Une communication &agrave; me faire, et cela dans la fosse Dochart&nbsp;! Et quelle autre d&eacute;couverte que celle d'une couche carbonif&egrave;re aurait pu m'int&eacute;resser&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, je n'ai pas voulu pr&eacute;venir un autre que vous...</p>
+
+<p>&mdash; Et vous avez bien fait, Simon&nbsp;! Mais dites-moi comment, par quels sondages, vous vous &ecirc;tes assur&eacute;&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;coutez-moi, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford. Ce n'est pas un gisement que j'ai retrouv&eacute;...</p>
+
+<p>&mdash; Qu'est-ce donc&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; C'est seulement la preuve mat&eacute;rielle que ce gisement existe.</p>
+
+<p>&mdash; Et cette preuve&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pouvez-vous admettre qu'il se d&eacute;gage du grisou des entrailles du sol, si la houille n'est pas l&agrave; pour le produire&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, certes&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Pas de charbon, pas de grisou&nbsp;! Il n'y a pas d'effets sans cause...</p>
+
+<p>&mdash; Comme il n'y a pas de fum&eacute;e sans feu&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et vous avez constat&eacute;, &agrave; nouveau, la pr&eacute;sence de l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute;&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Un vieux mineur ne s'y laisserait pas prendre, r&eacute;pondit Simon Ford. J'ai reconnu l&agrave; notre vieil ennemi, le grisou&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais si c'&eacute;tait un autre gaz&nbsp;! dit James Starr. Le grisou est presque sans odeur, il est sans couleur&nbsp;! Il ne trahit v&eacute;ritablement sa pr&eacute;sence que par l'explosion&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, voulez-vous me permettre de vous raconter ce que j'ai fait... et comment je l'ai fait... &agrave; ma fa&ccedil;on, en excusant les longueurs&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr connaissait le vieil overman, et savait que le mieux &eacute;tait de le laisser aller.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur James, reprit Simon Ford, depuis dix ans, il ne s'est pas pass&eacute; un jour sans qu'Harry et moi, nous ayons song&eacute; &agrave; rendre &agrave; la houill&egrave;re son ancienne prosp&eacute;rit&eacute;, &mdash; non, pas un jour&nbsp;! S'il existait encore quelque gisement, nous &eacute;tions d&eacute;cid&eacute;s &agrave; le d&eacute;couvrir. Quels moyens employer&nbsp;? Les sondages&nbsp;? Cela ne nous &eacute;tait pas possible, mais nous avions l'instinct du mineur, et souvent on va plus droit au but par l'instinct que par la raison. &mdash; Du moins, c'est mon id&eacute;e...</p>
+
+<p>&mdash; Que je ne contredis pas, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Or, voici ce qu'Harry avait une ou deux fois observ&eacute; pendant ses excursions dans l'ouest de la houill&egrave;re. Des feux, qui s'&eacute;teignaient soudain, apparaissaient quelquefois &agrave; travers le schiste ou le remblai des galeries extr&ecirc;mes. Par quelle cause ces feux s'allumaient-ils&nbsp;? Je ne pouvais et je ne puis le dire encore. Mais enfin, ces feux n'&eacute;taient &eacute;videmment dus qu'&agrave; la pr&eacute;sence du grisou, et, pour moi, le grisou, c'&eacute;tait le filon de houille.</p>
+
+<p>&mdash; Ces feux ne produisaient aucune explosion&nbsp;? demanda vivement l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Si, de petites explosions partielles, r&eacute;pondit Simon Ford, et telles que j'en provoquai moi-m&ecirc;me, lorsque je voulus constater la pr&eacute;sence de ce grisou, vous vous souvenez de quelle mani&egrave;re on cherchait autrefois &agrave; pr&eacute;venir les explosions dans les mines, avant que notre bon g&eacute;nie, Humphry Davy, e&ucirc;t invent&eacute; sa lampe de s&ucirc;ret&eacute;&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, r&eacute;pondit James Starr. vous voulez parler du &laquo;&nbsp;p&eacute;nitent&nbsp;&raquo;&nbsp;? Mais je ne l'ai jamais vu dans l'exercice de ses fonctions.</p>
+
+<p>&mdash; En effet, monsieur James, vous &ecirc;tes trop jeune, malgr&eacute; vos cinquante-cinq ans, pour avoir vu cela. Mais moi, avec dix ans de plus que vous, j'ai vu fonctionner le dernier p&eacute;nitent de la houill&egrave;re. On l'appelait ainsi parce qu'il portait une grande robe de moine. Son nom vrai &eacute;tait le &laquo;&nbsp;fireman&nbsp;&raquo;, l'homme du feu. A cette &eacute;poque, on n'avait d'autre moyen de d&eacute;truire le mauvais gaz qu'en le d&eacute;composant par de petites explosions, avant que sa l&eacute;g&egrave;ret&eacute; l'e&ucirc;t amass&eacute; en trop grandes quantit&eacute;s dans les hauteurs des galeries. C'est pourquoi le p&eacute;nitent, la face masqu&eacute;e, la t&ecirc;te encapuchonn&eacute;e dans son &eacute;paisse cagoule, tout le corps &eacute;troitement serr&eacute; dans sa robe de bure, allait en rampant sur le sol. Il respirait dans les basses couches, dont l'air &eacute;tait pur, et, de sa main droite, il promenait, en l'&eacute;levant au-dessus de sa t&ecirc;te, une torche enflamm&eacute;e. Lorsque le grisou se trouvait r&eacute;pandu dans l'air de mani&egrave;re &agrave; former un m&eacute;lange d&eacute;tonant, l'explosion se produisait sans &ecirc;tre funeste, et, en renouvelant souvent cette op&eacute;ration, on parvenait &agrave; pr&eacute;venir les catastrophes. Quelquefois, le p&eacute;nitent, frapp&eacute; d'un coup de grisou, mourait &agrave; la peine. Un autre le rempla&ccedil;ait. Ce fut ainsi jusqu'au moment o&ugrave; la lampe de Davy fut adopt&eacute;e dans toutes les houill&egrave;res. Mais je connaissais le proc&eacute;d&eacute;, et c'est en l'employant que j'ai reconnu la pr&eacute;sence du grisou, et, par cons&eacute;quent, celle d'un nouveau gisement carbonif&egrave;re dans la fosse Dochart.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tout ce que le vieil overman avait racont&eacute; du p&eacute;nitent &eacute;tait rigoureusement exact. C'est ainsi que l'on proc&eacute;dait autrefois dans les houill&egrave;res pour purifier l'air des galeries.</p>
+
+<p>Le grisou, autrement dit l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; ou gaz des marais, incolore, presque inodore, ayant un pouvoir peu &eacute;clairant, est absolument impropre &agrave; la respiration. Le mineur ne saurait vivre dans un milieu rempli de ce gaz malfaisant, &mdash; pas plus qu'on ne pourrait vivre au milieu d'un gazom&egrave;tre plein de gaz d'&eacute;clairage. En outre, de m&ecirc;me que celui-ci, qui est de l'hydrog&egrave;ne bicarbon&eacute;, le grisou forme un m&eacute;lange d&eacute;tonant, d&egrave;s que l'air y entre dans une proportion de huit et peut-&ecirc;tre m&ecirc;me de cinq pour cent. L'inflammation de ce m&eacute;lange se fait-elle par une cause quelconque, il y a explosion, presque toujours suivie d'&eacute;pouvantables catastrophes.</p>
+
+<p>C'est &agrave; ce danger que pare l'appareil de Davy, en isolant la flamme des lampes dans un tube de toile m&eacute;tallique, qui br&ucirc;le le gaz &agrave; l'int&eacute;rieur du tube, sans jamais laisser l'inflammation se propager au-dehors. Cette lampe de s&ucirc;ret&eacute; a &eacute;t&eacute; perfectionn&eacute;e de vingt fa&ccedil;ons. Si elle vient &agrave; se briser, elle s'&eacute;teint. Si, malgr&eacute; les d&eacute;fenses formelles, le mineur veut l'ouvrir, elle s'&eacute;teint encore. Pourquoi donc les explosions se produisent-elles&nbsp;? C'est que rien ne peut obvier &agrave; l'imprudence d'un ouvrier qui veut quand m&ecirc;me allumer sa pipe, ni au choc de l'outil qui peut produire une &eacute;tincelle.</p>
+
+<p>Toutes les houill&egrave;res ne sont pas infect&eacute;es par le grisou. Dans celles o&ugrave; il ne s'en produit pas, on autorise l'emploi de la lampe ordinaire. Telle est, entre autres, la fosse Thiers, aux mines d'Anzin. Mais, lorsque la houille du gisement exploit&eacute; est grasse, elle renferme une certaine quantit&eacute; de mati&egrave;res volatiles, et le grisou peut s'&eacute;chapper avec une grande abondance. La lampe de s&ucirc;ret&eacute; seule est combin&eacute;e de mani&egrave;re &agrave; emp&ecirc;cher des explosions d'autant plus terribles, que les mineurs qui n'ont pas &eacute;t&eacute; directement atteints par le coup de grisou, courent risque d'&ecirc;tre instantan&eacute;ment asphyxi&eacute;s dans les galeries remplies du gaz d&eacute;l&eacute;t&egrave;re, form&eacute; apr&egrave;s l'inflammation, c'est-&agrave;-dire d'acide carbonique.</p>
+
+<p>Tout en marchant, Simon Ford apprit &agrave; l'ing&eacute;nieur ce qu'il avait fait pour atteindre son but, comment il s'&eacute;tait assur&eacute; que le d&eacute;gagement du grisou se faisait au fond m&ecirc;me de l'extr&ecirc;me galerie de la fosse, dans sa portion occidentale, de quelle fa&ccedil;on il avait provoqu&eacute; &agrave; l'affleurement des feuillets de schistes quelques explosions partielles, ou plut&ocirc;t certaines inflammations, qui ne laissaient aucun doute sur la nature du gaz, dont la fuite s'op&eacute;rait &agrave; petite dose, mais d'une mani&egrave;re permanente.</p>
+
+<p>Une heure apr&egrave;s avoir quitt&eacute; le cottage, James Starr et ses deux compagnons avaient franchi une distance de quatre milles. L'ing&eacute;nieur, entra&icirc;n&eacute; par le d&eacute;sir et l'espoir, venait de faire ce trajet sans aucunement songer &agrave; sa longueur. Il r&eacute;fl&eacute;chissait &agrave; tout ce que lui disait le vieux mineur. Il pesait, mentalement, les arguments que celui-ci donnait en faveur de sa th&egrave;se. Il croyait, avec lui, que cette &eacute;mission continue d'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; indiquait, avec certitude, l'existence d'un nouveau gisement carbonif&egrave;re. Si ce n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; qu'une sorte de poche, pleine de gaz, comme il s'en rencontre quelquefois entre les feuillets, elle se f&ucirc;t promptement vid&eacute;e, et le ph&eacute;nom&egrave;ne e&ucirc;t cess&eacute; de se produire. Mais loin de l&agrave;. Au dire de Simon Ford, l'hydrog&egrave;ne se d&eacute;gageait sans cesse, et l'on en pouvait conclure &agrave; l'existence de quelque important filon. Cons&eacute;quemment, les richesses de la fosse Dochart pouvaient n'&ecirc;tre pas enti&egrave;rement &eacute;puis&eacute;es. Toutefois, s'agissait-il d'une couche dont le rendement serait peu consid&eacute;rable, ou d'un gisement occupant un large &eacute;tage du terrain houiller&nbsp;? c'&eacute;tait l&agrave;, v&eacute;ritablement, la grosse question.</p>
+
+<p>Harry, qui pr&eacute;c&eacute;dait son p&egrave;re et l'ing&eacute;nieur, s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nous voici arriv&eacute;s&nbsp;! s'&eacute;cria le vieux mineur. Enfin, gr&acirc;ce &agrave; Dieu, monsieur James, vous &ecirc;tes l&agrave;, et nous allons savoir...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La voix si ferme du vieil overman tremblait l&eacute;g&egrave;rement.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mon brave Simon, lui dit l'ing&eacute;nieur, calmez-vous&nbsp;! Je suis aussi &eacute;mu que vous l'&ecirc;tes, mais il ne faut pas perdre de temps&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A cet endroit, l'extr&ecirc;me galerie de la fosse formait en s'&eacute;vasant une sorte de caverne obscure. Aucun puits n'avait &eacute;t&eacute; fonc&eacute; dans cette portion du massif, et la galerie, profond&eacute;ment ouverte dans les entrailles du sol, &eacute;tait sans communication directe avec la surface du comt&eacute; de Stirling.</p>
+
+<p>James Starr, vivement int&eacute;ress&eacute;, examinait d'un &oelig;il grave l'endroit o&ugrave; il se trouvait.</p>
+
+<p>On voyait encore sur la paroi terminale de cette caverne la marque des derniers coups de pic, et m&ecirc;me quelques trous de cartouches, qui avaient provoqu&eacute; l'&eacute;clatement de la roche, vers la fin de l'exploitation. Cette mati&egrave;re schisteuse &eacute;tait extr&ecirc;mement dure, et il n'avait pas &eacute;t&eacute; n&eacute;cessaire de remblayer les assises de ce cul-de-sac, au fond duquel les travaux avaient d&ucirc; s'arr&ecirc;ter. L&agrave;, en effet, venait mourir le filon carbonif&egrave;re, entre les schistes et les gr&egrave;s du terrain tertiaire. L&agrave;, &agrave; cette place m&ecirc;me, avait &eacute;t&eacute; extrait le dernier morceau de combustible de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est ici, monsieur James, dit Simon Ford en soulevant son pic, c'est ici que nous attaquerons la faille, car, derri&egrave;re cette paroi, &agrave; une profondeur plus ou moins consid&eacute;rable, se trouve assur&eacute;ment le nouveau filon dont j'affirme l'existence.</p>
+
+<p>&mdash; Et c'est &agrave; la surface de ces roches, demanda James Starr, que vous avez constat&eacute; la pr&eacute;sence du grisou&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; L&agrave; m&ecirc;me, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, et j'ai pu l'allumer rien qu'en approchant ma lampe, &agrave; l'affleurement des feuillets. Harry l'a fait comme moi.</p>
+
+<p>&mdash; A quelle hauteur&nbsp;? demanda James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; A dix pieds au-dessus du sol&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>James Starr s'&eacute;tait assis sur une roche. On e&ucirc;t dit que, apr&egrave;s avoir hum&eacute; l'air de la caverne, il regardait les deux mineurs, comme s'il se f&ucirc;t pris &agrave; douter de leurs paroles, si affirmatives cependant.</p>
+
+<p>C'est que, en effet, l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; n'est pas compl&egrave;tement inodore, et l'ing&eacute;nieur &eacute;tait tout d'abord &eacute;tonn&eacute; que son odorat, qu'il avait tr&egrave;s fin, ne lui e&ucirc;t pas r&eacute;v&eacute;l&eacute; la pr&eacute;sence du gaz explosif. En tout cas, si ce gaz &eacute;tait m&ecirc;l&eacute; &agrave; l'air ambiant, ce n'&eacute;tait qu'&agrave; bien faible dose. Donc, pas d'explosion &agrave; craindre, et l'on pouvait sans danger ouvrir la lampe de s&ucirc;ret&eacute; pour tenter l'exp&eacute;rience, ainsi que le vieux mineur l'avait d&eacute;j&agrave; fait.</p>
+
+<p>Ce qui inqui&eacute;tait James Starr en ce moment, ce n'&eacute;tait donc pas qu'il y e&ucirc;t trop de gaz m&eacute;lang&eacute; &agrave; l'air, c'&eacute;tait qu'il n'y en e&ucirc;t pas assez, &mdash; et m&ecirc;me pas du tout.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Se seraient-ils tromp&eacute;s&nbsp;? murmura-t-il. Non&nbsp;! Ce sont des hommes qui s'y connaissent&nbsp;! Et pourtant&nbsp;!...&nbsp;&raquo; Il attendait donc, non sans une certaine anxi&eacute;t&eacute;, que le ph&eacute;nom&egrave;ne signal&eacute; par Simon Ford s'accompl&icirc;t en sa pr&eacute;sence. Mais, &agrave; ce moment, il para&icirc;t que ce qu'il venait d'observer, c'est-&agrave;-dire cette absence de l'odeur caract&eacute;ristique du grisou, avait &eacute;t&eacute; aussi remarqu&eacute;e par Harry, car celui-ci, d'une voix alt&eacute;r&eacute;e, dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;P&egrave;re, il semble que la fuite du gaz ne se fait plus &agrave; travers les feuillets de schiste&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ne se fait plus&nbsp;!&nbsp;:..&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria le vieux mineur.</p>
+
+<p>Et Simon Ford, apr&egrave;s avoir herm&eacute;tiquement serr&eacute; ses l&egrave;vres, aspira fortement du nez, &agrave; plusieurs reprises.</p>
+
+<p>Puis, tout d'un coup, et d'un mouvement brusque&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Donne ta lampe, Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit-il.</p>
+
+<p>Simon Ford prit la lampe d'une main qui s'agitait f&eacute;brilement. Il d&eacute;vissa l'enveloppe de toile m&eacute;tallique qui entourait la m&egrave;che, et la flamme br&ucirc;la &agrave; l'air libre.</p>
+
+<p>Ainsi qu'on s'y attendait, il ne se produisit aucune explosion; mais, ce qui &eacute;tait plus grave, il ne se fit pas m&ecirc;me ce l&eacute;ger gr&eacute;sillement, qui indique la pr&eacute;sence du grisou &agrave; faible dose.</p>
+
+<p>Simon Ford prit le b&acirc;ton que tenait Harry, et, fixant la lampe &agrave; son extr&eacute;mit&eacute;, il l'&eacute;leva dans les couches d'air sup&eacute;rieures, l&agrave; o&ugrave; le gaz, en raison de sa l&eacute;g&egrave;ret&eacute; sp&eacute;cifique, aurait d&ucirc; plut&ocirc;t s'accumuler, en si minime quantit&eacute; que ce f&ucirc;t.</p>
+
+<p>La flamme de la lampe, droite et blanche, ne d&eacute;cela aucune trace d'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;A la paroi&nbsp;! dit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Simon Ford, en portant la lampe sur cette partie de la paroi &agrave; travers laquelle son fils et lui avaient, la veille encore, constat&eacute; la fuite du gaz.</p>
+
+<p>Le bras du vieux mineur tremblait, tandis qu'il essayait de promener la lampe &agrave; la hauteur des fissures du feuillet de schiste.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Remplace-moi, Harry&nbsp;&raquo;, dit-il.</p>
+
+<p>Harry prit le b&acirc;ton et pr&eacute;senta successivement la lampe aux divers points de la paroi o&ugrave; les feuillets semblaient se d&eacute;doubler... mais il secouait la t&ecirc;te, car ce l&eacute;ger craquement, particulier au grisou qui s'&eacute;chappe, n'arrivait pas &agrave; son oreille.</p>
+
+<p>L'inflammation ne se fit pas. Il &eacute;tait donc &eacute;vident qu'aucune mol&eacute;cule de gaz ne fusait &agrave; travers la paroi.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Rien&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Simon Ford, dont le poing se tendit sous une impression de col&egrave;re plut&ocirc;t que de d&eacute;sappointement.</p>
+
+<p>Un cri s'&eacute;chappa alors de la bouche d'Harry.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'as-tu&nbsp;? demanda vivement James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; On a bouch&eacute; les fissures du schiste&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Dis-tu vrai&nbsp;? s'&eacute;cria le vieux mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Regardez, p&egrave;re&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry ne s'&eacute;tait pas tromp&eacute;. L'obturation des fissures &eacute;tait nettement visible &agrave; la lumi&egrave;re de la lampe. Un lutage, r&eacute;cemment pratiqu&eacute; et fait &agrave; la chaux, laissait voir sur la paroi une longue trace blanch&acirc;tre, mal dissimul&eacute;e sous une couche de poussi&egrave;re de charbon.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Lui&nbsp;! s'&eacute;cria Hardy. Ce ne peut &ecirc;tre que lui&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Lui&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta James Starr.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! r&eacute;pondit le jeune homme, cet &ecirc;tre myst&eacute;rieux qui hante notre domaine, celui que j'ai cent fois guett&eacute; sans pouvoir l'atteindre, l'auteur, d&egrave;s &agrave; pr&eacute;sent certain, de cette lettre qui voulait vous emp&ecirc;cher de venir au rendez-vous que vous donnait mon p&egrave;re, monsieur Starr, celui, enfin, qui nous a lanc&eacute; cette pierre dans la galerie du puits Yarow&nbsp;! Ah&nbsp;! aucun doute n'est plus possible&nbsp;! La main d'un homme est dans tout cela&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry avait parl&eacute; avec une telle &eacute;nergie, que sa conviction passa instantan&eacute;ment et tout enti&egrave;re dans l'esprit de l'ing&eacute;nieur. Quant au vieil overman, il n'&eacute;tait plus &agrave; convaincre. D'ailleurs, on se trouvait en pr&eacute;sence d'un fait ind&eacute;niable&nbsp;: l'obturation des fissures &agrave; travers lesquelles le gaz s'&eacute;chappait librement la veille.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Prends ton pic, Harry, s'&eacute;cria Simon Ford. Monte sur mes &eacute;paules, mon gar&ccedil;on&nbsp;! Je suis assez solide encore pour te porter&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry avait compris. Son p&egrave;re s'accota &agrave; la paroi. Harry s'&eacute;leva sur ses &eacute;paules, de mani&egrave;re que son pic p&ucirc;t atteindre la trace suffisamment visible du lutage. Puis, &agrave; coups redoubl&eacute;s, il entama la partie de roche schisteuse que ce lutage recouvrait.</p>
+
+<p>Aussit&ocirc;t un l&eacute;ger p&eacute;tillement se produisit, semblable &agrave; celui que fait le vin de Champagne lorsqu'il s'&eacute;chappe d'une bouteille,&mdash; bruit qui, dans les houill&egrave;res anglaises, est connu sous le nom onomatopique de &laquo;&nbsp;puff&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>Harry saisit alors sa lampe, et il l'approcha de la fissure...</p>
+
+<p>Une l&eacute;g&egrave;re d&eacute;tonation se fit entendre, et une petite flamme rouge, un peu bleu&acirc;tre &agrave; son contour, voltigea sur la paroi, comme e&ucirc;t fait un follet de feu Saint-Elme.</p>
+
+<p>Harry sauta aussit&ocirc;t &agrave; terre, et le vieil overman, ne pouvant contenir sa joie, saisit les mains de l'ing&eacute;nieur, en s'&eacute;criant&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hurrah&nbsp;! hurrah&nbsp;! hurrah&nbsp;! monsieur James&nbsp;! Le grisou br&ucirc;le&nbsp;! Donc, le filon est l&agrave;&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>VIII</h4>
+
+<h4>Un coup de dynamite</h4>
+</center>
+
+<p>L'experience annonc&eacute;e par le vieil overman avait r&eacute;ussi. L'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute;, on le sait, ne se d&eacute;veloppe que dans les gisements houillers. Donc, l'existence d'un filon du pr&eacute;cieux combustible ne pouvait &ecirc;tre mise en doute. Quelles &eacute;taient son importance et sa qualit&eacute;&nbsp;? on les d&eacute;terminerait plus tard.</p>
+
+<p>Telles furent les cons&eacute;quences que l'ing&eacute;nieur d&eacute;duisit du ph&eacute;nom&egrave;ne qu'il venait d'observer. Elles &eacute;taient en tout conformes &agrave; celles qu'en avait d&eacute;j&agrave; tir&eacute;es Simon Ford.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Oui, se dit James Starr, derri&egrave;re cette paroi s'&eacute;tend une couche carbonif&egrave;re que nos sondages n'ont pas su atteindre&nbsp;! Cela est f&acirc;cheux, puisque tout l'outillage de la mine abandonn&eacute;e depuis dix ans, est maintenant &agrave; refaire&nbsp;! N'importe&nbsp;! Nous avons retrouv&eacute; la veine que l'on croyait &eacute;puis&eacute;e, et, cette fois, nous l'exploiterons jusqu'au bout&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, monsieur James, demanda Simon Ford, que pensez-vous de notre d&eacute;couverte&nbsp;? Ai-je eu tort de vous d&eacute;ranger&nbsp;? Regrettez-vous cette derni&egrave;re visite faite &agrave; la fosse Dochart&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, non, mon vieux compagnon&nbsp;! r&eacute;pondit James Starr. Nous n'avons pas perdu notre temps, mais nous le perdrions maintenant, si nous ne retournions imm&eacute;diatement au cottage. Demain, nous reviendrons ici. Nous ferons &eacute;clater cette paroi &agrave; coups de dynamite. Nous mettrons au jour l'affleurement du nouveau filon, et, apr&egrave;s une s&eacute;rie de sondages, si la couche para&icirc;t &ecirc;tre importante, je reconstituerai une Soci&eacute;t&eacute; de la Nouvelle Aberfoyle, &agrave; l'extr&ecirc;me satisfaction des anciens actionnaires&nbsp;! Avant trois mois, il faut que les premi&egrave;res bennes de houille aient &eacute;t&eacute; extraites du nouveau gisement&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien parl&eacute;, monsieur James&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. La vieille houill&egrave;re va donc rajeunir, comme une veuve qui se remarie&nbsp;! L'animation des anciens jours recommencera avec les coups de pioche, les coups de pic, les coups de mine, le roulement des wagons, le hennissement des chevaux, le grincement des bennes, le grondement des machines&nbsp;! Je reverrai donc tout cela, moi&nbsp;! J'esp&egrave;re, monsieur James, que vous ne me trouverez pas trop vieux pour reprendre mes fonctions d'overman&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, brave Simon, non, certes&nbsp;! vous &ecirc;tes rest&eacute; plus jeune que moi, mon vieux camarade&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et, que saint Mungo nous prot&egrave;ge&nbsp;! vous serez encore notre &laquo;&nbsp;viewer&nbsp;&raquo;&nbsp;! Puisse la nouvelle exploitation durer de longues ann&eacute;es, et fasse le Ciel que j'aie la consolation de mourir sans en avoir vu la fin&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La joie du vieux mineur d&eacute;bordait. James Starr la partageait tout enti&egrave;re, mais il laissait Simon Ford s'enthousiasmer pour deux.</p>
+
+<p>Seul, Harry demeurait pensif. Dans son souvenir reparaissait la succession des circonstances singuli&egrave;res, inexplicables, au milieu desquelles s'&eacute;tait op&eacute;r&eacute;e la d&eacute;couverte du nouveau gisement. Cela ne laissait pas de l'inqui&eacute;ter pour l'avenir.</p>
+
+<p>Une heure apr&egrave;s, James Starr et ses deux compagnons &eacute;taient de retour au cottage.</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur soupa avec grand app&eacute;tit, approuvant du geste tous les plans que d&eacute;veloppait le vieil overman, et, n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; son imp&eacute;rieux d&eacute;sir d'&ecirc;tre au lendemain, jamais il n'aurait mieux dormi que dans ce calme absolu du cottage.</p>
+
+<p>Le lendemain, apr&egrave;s un d&eacute;jeuner substantiel, James Starr, Simon Ford, Harry et Madge elle-m&ecirc;me reprenaient le chemin d&eacute;j&agrave; parcouru la veille. Tous allaient l&agrave; en v&eacute;ritables mineurs. Ils emportaient divers outils et des cartouches de dynamite, destin&eacute;es &agrave; faire sauter la paroi terminale. Harry, en m&ecirc;me temps qu'un puissant fanal, prit une grosse lampe de s&ucirc;ret&eacute; qui pouvait br&ucirc;ler pendant douze heures. C'&eacute;tait plus qu'il ne fallait pour op&eacute;rer le voyage d'aller et de retour, en y comprenant les haltes n&eacute;cessaires &agrave; l'exploration, &mdash; si une exploration devenait possible.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;A l'&oelig;uvre&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Simon, lorsque ses compagnons et lui furent arriv&eacute;s &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la galerie.</p>
+
+<p>Et sa main saisit une lourde pince qu'elle brandit avec vigueur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un instant, dit alors James Starr. Observons si aucun changement ne s'est produit et si le grisou fuse toujours &agrave; travers les feuillets de la paroi.</p>
+
+<p>&mdash; Vous avez raison, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry. Ce qui &eacute;tait bouch&eacute; hier pourrait bien l'&ecirc;tre encore aujourd'hui&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Madge, assise sur une roche, observait attentivement l'excavation et la muraille qu'il s'agissait d'&eacute;ventrer.</p>
+
+<p>Il fut constat&eacute; que les choses &eacute;taient telles qu'on les avait laiss&eacute;es. Les fissures des feuillets n'avaient subi aucune alt&eacute;ration. L'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; fusait au travers, mais assez faiblement. Cela tenait sans doute &agrave; ce que, depuis la veille, il trouvait un libre passage pour s'&eacute;pancher. Toutefois, cette &eacute;mission &eacute;tait si peu importante, qu'elle ne pouvait former avec l'air int&eacute;rieur un m&eacute;lange d&eacute;tonant. James Starr et ses compagnons allaient donc pouvoir proc&eacute;der en toute s&eacute;curit&eacute;. D'ailleurs, cet air se purifierait peu &agrave; peu, en gagnant les hautes couches de la fosse Dochart, et le grisou, perdu dans toute cette atmosph&egrave;re, ne pourrait plus produire aucune explosion.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;A l'&oelig;uvre, donc&nbsp;!&nbsp;&raquo; reprit Simon Ford.</p>
+
+<p>Et bient&ocirc;t, sous sa pince, vigoureusement mani&eacute;e, la roche ne tarda pas &agrave; voler en &eacute;clats.</p>
+
+<p>Cette faille se composait principalement de poudingues, interpos&eacute;s entre le gr&egrave;s et le schiste, tels qu'il s'en rencontre le plus souvent &agrave; l'affleurement des filons carbonif&egrave;res.</p>
+
+<p>James Starr ramassait les morceaux que l'outil abattait, et il les examinait avec soin, esp&eacute;rant y d&eacute;couvrir quelque indice de charbon.</p>
+
+<p>Ce premier travail dura environ une heure. Il en r&eacute;sulta un &eacute;videment assez profond dans la paroi terminale.</p>
+
+<p>James Starr choisit alors l'emplacement o&ugrave; devaient &ecirc;tre for&eacute;s les trous de mine, travail qui s'accomplit rapidement sous la main d'Harry avec le fleuret et la massette. Des cartouches de dynamite furent introduites dans ces trous. D&egrave;s qu'on y eut plac&eacute; la longue m&egrave;che goudronn&eacute;e d'une fus&eacute;e de s&ucirc;ret&eacute;, qui aboutissait &agrave; une capsule de fulminate, elle fut allum&eacute;e au ras du sol. James Starr et ses compagnons se mirent &agrave; l'&eacute;cart.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ah&nbsp;! monsieur James, dit Simon Ford, en proie &agrave; une v&eacute;ritable &eacute;motion qu'il ne cherchait pas &agrave; dissimuler, jamais, non, jamais mon vieux c&oelig;ur n'a battu si vite&nbsp;! Je voudrais d&eacute;j&agrave; attaquer le filon&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Patience, Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, vous n'avez pas la pr&eacute;tention de trouver derri&egrave;re cette paroi une galerie tout ouverte&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Excusez-moi, monsieur James, r&eacute;pondit le vieil overman. J'ai toutes les pr&eacute;tentions possibles&nbsp;! S'il y a eu bonne chance dans la mani&egrave;re dont Harry et moi nous avons d&eacute;couvert ce g&icirc;te, pourquoi cette chance ne continuerait-elle pas jusqu'au bout&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'explosion de la dynamite se produisit. Un roulement sourd se propagea &agrave; travers le r&eacute;seau des galeries souterraines.</p>
+
+<p>James Starr, Madge, Harry et Simon Ford revinrent aussit&ocirc;t vers la paroi de la caverne.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur James&nbsp;! monsieur James&nbsp;! s'&eacute;cria le vieil overman. voyez&nbsp;! La porte est enfonc&eacute;e&nbsp;!...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cette comparaison de Simon Ford &eacute;tait justifi&eacute;e par l'apparition d'une excavation, dont on ne pouvait estimer la profondeur.</p>
+
+<p>Harry allait s'&eacute;lancer par l'ouverture...</p>
+
+<p>L'ing&eacute;nieur, extr&ecirc;mement surpris, d'ailleurs, de trouver l&agrave; cette cavit&eacute;, retint le jeune mineur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Laisse le temps &agrave; l'air int&eacute;rieur de se purifier, dit-il.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! gare aux mofettes&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Simon Ford.</p>
+
+<p>Un quart d'heure se passa dans une anxieuse attente. Le fanal, plac&eacute; au bout d'un b&acirc;ton, fut alors introduit dans l'excavation et continua de br&ucirc;ler avec un inalt&eacute;rable &eacute;clat.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Va donc, Harry, dit James Starr, nous te suivrons.&nbsp;&raquo; L'ouverture produite par la dynamite &eacute;tait plus que suffisante pour qu'un homme p&ucirc;t y passer.</p>
+
+<p>Harry, le fanal &agrave; la main, s'y introduisit sans h&eacute;siter et disparut dans les t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>James Starr, Simon Ford et Madge, immobiles, attendaient.</p>
+
+<p>Une minute &mdash; qui leur parut bien longue &mdash; s'&eacute;coula. Harry ne reparaissait pas, il n'appelait pas. En s'approchant de l'orifice, James Starr n'aper&ccedil;ut m&ecirc;me plus la lueur de sa lampe, qui aurait d&ucirc; &eacute;clairer cette sombre cavit&eacute;.</p>
+
+<p>Le sol avait-il donc manqu&eacute; subitement sous les pieds d'Harry&nbsp;? Le jeune mineur &eacute;tait-il tomb&eacute; dans quelque anfractuosit&eacute;&nbsp;? Sa voix ne pouvait-elle plus arriver jusqu'&agrave; ses compagnons&nbsp;?</p>
+
+<p>Le vieil overman, ne voulant rien &eacute;couter, allait s'introduire &agrave; son tour par l'orifice, lorsque parut une lueur, vague d'abord, qui se renfor&ccedil;a peu &agrave; peu, et Harry fit entendre ces paroles&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Venez, monsieur Starr&nbsp;! venez, mon p&egrave;re&nbsp;! La route est libre dans la Nouvelle-Aberfoyle.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>IX</h4>
+
+<h4>La Nouvelle-Aberfoyle</h4>
+</center>
+
+<p>Si, par quelque puissance surhumaine, des ing&eacute;nieurs eussent pu enlever d'un bloc et sur une &eacute;paisseur de mille pieds toute cette portion de la cro&ucirc;te terrestre qui supporte cet ensemble de lacs, de fleuves, de golfes et les territoires riverains des comt&eacute;s de Stirling, de Dumbarton et de Renfrew, ils auraient trouv&eacute;, sous cet &eacute;norme couvercle, une excavation immense, et telle qu'il n'en existait qu'une autre au monde qui p&ucirc;t lui &ecirc;tre compar&eacute;e, &mdash; la c&eacute;l&egrave;bre grotte de Mammouth, dans le Kentucky.</p>
+
+<p>Cette excavation se composait de plusieurs centaines d'alv&eacute;oles, de toutes formes et de toutes grandeurs. On e&ucirc;t dit une ruche, avec ses nombreux &eacute;tages de cellules, capricieusement dispos&eacute;es, mais une ruche construite sur une vaste &eacute;chelle, et qui, au lieu d'abeilles, e&ucirc;t suffi &agrave; loger tous les ichthyosaures, les m&eacute;gath&eacute;riums, et les pt&eacute;rodactyles de l'&eacute;poque g&eacute;ologique&nbsp;!</p>
+
+<p>Un labyrinthe de galeries, les unes plus &eacute;lev&eacute;es que les plus hautes vo&ucirc;tes des cath&eacute;drales, les autres semblables &agrave; des contrenefs, r&eacute;tr&eacute;cies et tortueuses, celles-ci suivant la ligne horizontale, celles-l&agrave; remontant ou descendant obliquement en toutes directions, &mdash; r&eacute;unissaient ces cavit&eacute;s et laissaient libre communication entre elles.</p>
+
+<p>Les piliers qui soutenaient ces vo&ucirc;tes, dont la courbe admettait tous les styles, les &eacute;paisses murailles, solidement assises entre les galeries, les nefs elles-m&ecirc;mes, dans cet &eacute;tage des terrains secondaires, &eacute;taient faits de gr&egrave;s et de roches schisteuses. Mais, entre ces couches inutilisables, et puissamment press&eacute;es par elles, couraient d'admirables veines de charbon, comme si le sang noir de cette &eacute;trange houill&egrave;re e&ucirc;t circul&eacute; &agrave; travers leur inextricable r&eacute;seau. Ces gisements se d&eacute;veloppaient sur une &eacute;tendue de quarante milles du nord au sud, et ils s'enfon&ccedil;aient m&ecirc;me sous le canal du Nord. L'importance de ce bassin n'aurait pu &ecirc;tre &eacute;valu&eacute;e qu'apr&egrave;s sondages, mais elle devait d&eacute;passer celle des couches carbonif&egrave;res de Cardiff, dans le pays de Galles, et des gisements de Newcastle, dans le comt&eacute; de Northumberland.</p>
+
+<p>Il faut ajouter que l'exploitation de cette houill&egrave;re allait &ecirc;tre singuli&egrave;rement facilit&eacute;e, puisque, par une disposition bizarre des terrains secondaires, par un inexplicable retrait des mati&egrave;res min&eacute;rales &agrave; l'&eacute;poque g&eacute;ologique o&ugrave; ce massif se solidifiait, la nature avait d&eacute;j&agrave; multipli&eacute; les galeries et les tunnels de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Oui, la nature seule&nbsp;! On aurait pu croire, tout d'abord, &agrave; la d&eacute;couverte de quelque exploitation abandonn&eacute;e depuis des si&egrave;cles. Il n'en &eacute;tait rien. On ne d&eacute;laisse pas de telles richesses. Les termites humains n'avaient jamais rong&eacute; cette portion du sous-sol de l'&Eacute;cosse, et c'&eacute;tait la nature qui avait ainsi fait les choses. Mais, on le r&eacute;p&egrave;te, nul hypog&eacute;e de l'&eacute;poque &eacute;gyptienne, nulle catacombe de l'&eacute;poque romaine, n'auraient pu lui &ecirc;tre compar&eacute;s, &mdash; si ce n'est les c&eacute;l&egrave;bres grottes de Mammouth, qui, sur une longueur de plus de vingt milles, comptent deux cent vingt-six avenues, onze lacs, sept rivi&egrave;res, huit cataractes, trente-deux puits insondables et cinquante-sept d&ocirc;mes, dont quelques-uns sont suspendus &agrave; plus de quatre cent cinquante pieds de hauteur.</p>
+
+<p>Ainsi que ces grottes, la Nouvelle-Aberfoyle &eacute;tait, non l'&oelig;uvre des hommes, mais l'&oelig;uvre du Cr&eacute;ateur.</p>
+
+<p>Tel &eacute;tait ce nouveau domaine, d'une incomparable richesse, dont la d&eacute;couverte appartenait en propre au vieil overman. Dix ans de s&eacute;jour dans l'ancienne houill&egrave;re, une rare persistance de recherches, une foi absolue, soutenue par un merveilleux instinct de mineur, il lui avait fallu toutes ces conditions r&eacute;unies pour r&eacute;ussir, l&agrave; o&ugrave; tant d'autres auraient &eacute;chou&eacute;. Pourquoi les sondages, pratiqu&eacute;s sous la direction de James Starr, pendant les derni&egrave;res ann&eacute;es d'exploitation, s'&eacute;taient-ils pr&eacute;cis&eacute;ment arr&ecirc;t&eacute;s &agrave; cette limite, sur la fronti&egrave;re m&ecirc;me de la nouvelle mine&nbsp;? cela &eacute;tait d&ucirc; au hasard, dont la part est grande dans les recherches de ce genre.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, il y avait l&agrave;, dans le sous-sol &eacute;cossais, une sorte de comt&eacute; souterrain, auquel il ne manquait, pour &ecirc;tre habitable, que les rayons du soleil, ou, &agrave; son d&eacute;faut, la clart&eacute; d'un astre sp&eacute;cial.</p>
+
+<p>L'eau y &eacute;tait localis&eacute;e dans certaines d&eacute;pressions, formant de vastes &eacute;tangs, ou m&ecirc;me des lacs plus grands que le lac Katrine, situ&eacute; pr&eacute;cis&eacute;ment au-dessus. Sans doute, ces lacs n'avaient pas le mouvement des eaux, les courants, le ressac. Ils ne refl&eacute;taient pas la silhouette de quelque vieux ch&acirc;teau gothique. Ni les bouleaux ni les ch&ecirc;nes ne se penchaient sur leurs rives, les montagnes n'allongeaient pas de grandes ombres &agrave; leur surface, les steamboats ne les sillonnaient pas, aucune lumi&egrave;re ne se r&eacute;verb&eacute;rait dans leurs eaux, le soleil ne les impr&eacute;gnait pas de ses rayons &eacute;clatants, la lune ne se levait jamais sur leur horizon. Et pourtant, ces lacs profonds, dont la brise ne ridait pas le miroir, n'auraient pas &eacute;t&eacute; sans charme, &agrave; la lumi&egrave;re de quelque astre &eacute;lectrique, et, r&eacute;unis par un lacet de canaux, ils compl&eacute;taient bien la g&eacute;ographie de cet &eacute;trange domaine.</p>
+
+<p>Quoiqu'il f&ucirc;t impropre &agrave; toute production v&eacute;g&eacute;tale, ce sous-sol e&ucirc;t, cependant, pu servir de demeure &agrave; toute une population. Et qui sait si, dans ces milieux &agrave; temp&eacute;rature constante, au fond de ces houill&egrave;res d'Aberfoyle, aussi bien que dans celles de Newcastle, d'Alloa ou de Cardiff, lorsque leurs gisements seront &eacute;puis&eacute;s, &mdash; qui sait si la classe pauvre du Royaume-Uni ne trouvera pas refuge quelque jour&nbsp;?</p>
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+<p><br>
+</p>
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+<center>
+<h4>X</h4>
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+<h4>Aller et retour</h4>
+</center>
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+<p>A la voix d'Harry, James Starr, Madge et Simon Ford s'&eacute;taient introduits par l'&eacute;troit orifice qui mettait en communication la fosse Dochart avec la nouvelle houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Ils se trouvaient alors &agrave; la naissance d'une galerie assez large. On aurait pu croire qu'elle avait &eacute;t&eacute; perc&eacute;e de main d'homme, que le pic et la pioche l'avaient &eacute;vid&eacute;e pour l'exploitation d'un nouveau gisement. Les explorateurs devaient se demander si, par un singulier hasard, ils n'avaient pas &eacute;t&eacute; transport&eacute;s dans quelque ancienne houill&egrave;re, dont les plus vieux mineurs du comt&eacute; n'auraient jamais connu l'existence.</p>
+
+<p>Non&nbsp;! C'&eacute;taient les couches g&eacute;ologiques qui avaient &laquo;&nbsp;&eacute;pargn&eacute;&nbsp;&raquo; cette galerie, &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; se faisait le tassement des terrains secondaires. Peut-&ecirc;tre quelque torrent l'avait-il parcourue autrefois, lorsque les eaux sup&eacute;rieures allaient se m&eacute;langer aux v&eacute;g&eacute;taux enlis&eacute;s; mais, maintenant, elle &eacute;tait aussi s&egrave;che que si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; for&eacute;e, quelque mille pieds plus bas, dans l'&eacute;tage des roches granito&iuml;des. En m&ecirc;me temps, l'air y circulait avec aisance, &mdash; ce qui indiquait que certains &laquo;&nbsp;&eacute;ventoirs&nbsp;&raquo; naturels la mettaient en communication avec l'atmosph&egrave;re ext&eacute;rieure.</p>
+
+<p>Cette observation, qui fut faite par l'ing&eacute;nieur, &eacute;tait juste, et l'on sentait que l'a&eacute;ration s'op&eacute;rait facilement dans la nouvelle mine. Quant &agrave; ce grisou qui fusait nagu&egrave;re &agrave; travers les schistes de la paroi, il semblait qu'il n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; contenu que dans une simple &laquo;&nbsp;poche&nbsp;&raquo;, vide maintenant, et il &eacute;tait certain que l'atmosph&egrave;re de la galerie n'en conservait pas la moindre trace. Cependant, et par pr&eacute;caution, Harry n'avait emport&eacute; que la lampe de s&ucirc;ret&eacute;, qui lui assurait un &eacute;clairage de douze heures.</p>
+
+<p>James Starr et ses compagnons &eacute;prouvaient alors une joie compl&egrave;te. C'&eacute;tait l'enti&egrave;re satisfaction de leurs d&eacute;sirs. Autour d'eux, tout n'&eacute;tait que houille. Une certaine &eacute;motion les rendait silencieux. Simon Ford, lui-m&ecirc;me, se contenait. Sa joie d&eacute;bordait, non en longues phrases, mais par petites interjections.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait peut-&ecirc;tre imprudent, &agrave; eux, de s'engager si profond&eacute;ment dans la crypte. Bah&nbsp;! ils ne songeaient gu&egrave;re au retour. La galerie &eacute;tait praticable, peu sinueuse. Nulle crevasse n'en barrait le passage, nulle &laquo;&nbsp;pousse&nbsp;&raquo; n'y propageait d'exhalaisons malfaisantes. Il n'y avait donc aucune raison pour s'arr&ecirc;ter, et, pendant une heure, James Starr, Madge, Harry et Simon Ford all&egrave;rent ainsi, sans que rien p&ucirc;t leur indiquer quelle &eacute;tait l'exacte orientation de ce tunnel inconnu.</p>
+
+<p>Et, sans doute, ils auraient &eacute;t&eacute; plus loin encore, s'ils ne fussent arriv&eacute;s &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; m&ecirc;me de cette large voie qu'ils suivaient depuis leur entr&eacute;e dans la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>La galerie aboutissait &agrave; une &eacute;norme caverne, dont on ne pouvait estimer ni la hauteur, ni la profondeur. A quelle altitude s'arrondissait la vo&ucirc;te de cette excavation, &agrave; quelle distance se reculait sa paroi oppos&eacute;e&nbsp;? les t&eacute;n&egrave;bres qui l'emplissaient ne permettaient pas de le reconna&icirc;tre. Mais, &agrave; la lueur de la lampe, les explorateurs purent constater que son d&ocirc;me recouvrait une vaste &eacute;tendue d'eau dormante &mdash; &eacute;tang ou lac &mdash;, dont les rives pittoresques, accident&eacute;es de hautes roches, se perdaient dans l'obscurit&eacute;.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Halte&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford, en s'arr&ecirc;tant brusquement. Un pas de plus, et nous roulions peut-&ecirc;tre dans quelque ab&icirc;me&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Reposons-nous donc, mes amis, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Aussi bien, il faudra songer &agrave; retourner au cottage.</p>
+
+<p>&mdash; Notre lampe peut nous &eacute;clairer pendant dix heures encore, monsieur Starr, dit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, faisons halte, reprit James Starr. J'avoue que mes jambes en ont besoin&nbsp;! &mdash; Et vous, Madge, est-ce que vous ne vous ressentez pas des fatigues d'une aussi longue course&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Mais pas trop, monsieur James, r&eacute;pondit la robuste &Eacute;cossaise. Nous avions l'habitude d'explorer pendant des journ&eacute;es enti&egrave;res l'ancienne houill&egrave;re d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>&mdash; Bah&nbsp;! ajouta Simon Ford, Madge ferait dix fois cette route, s'il le fallait&nbsp;! Mais j'insiste, monsieur James, ma communication valait-elle la peine de vous &ecirc;tre faite&nbsp;? Osez dire non, monsieur James, osez dire non&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! mon vieux compagnon, il y a longtemps que je n'ai ressenti une telle joie&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Le peu que nous avons explor&eacute; de cette merveilleuse houill&egrave;re semble indiquer que son &eacute;tendue est tr&egrave;s consid&eacute;rable, au moins en longueur.</p>
+
+<p>&mdash; En largeur et en profondeur aussi, monsieur James&nbsp;! r&eacute;pliqua Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; C'est ce que nous saurons plus tard.</p>
+
+<p>&mdash; Et moi, j'en r&eacute;ponds&nbsp;! Rapportez-vous-en &agrave; mon instinct de vieux mineur. Il ne m'a jamais tromp&eacute;&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je veux vous croire, Simon, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur en souriant. Mais enfin, tel que j'en puis juger par cette courte exploration, nous poss&eacute;dons les &eacute;l&eacute;ments d'une exploitation qui durera des si&egrave;cles&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Des si&egrave;cles&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. Je le crois bien, monsieur James&nbsp;! Il se passera mille ans et plus, avant que le dernier morceau de charbon ait &eacute;t&eacute; extrait de notre nouvelle mine&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Dieu vous entende&nbsp;! r&eacute;pondit James Starr. Quant &agrave; la qualit&eacute; de la houille qui vient affleurer ces parois...</p>
+
+<p>&mdash; Superbe&nbsp;! monsieur James, superbe&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford. Voyez cela vous-m&ecirc;me&nbsp;!&nbsp;&raquo; Et, ce disant, il d&eacute;tacha d'un coup de pic un fragment de roche noire.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voyez&nbsp;! voyez&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta-t-il en l'approchant de sa lampe. Les surfaces de ce morceau de charbon sont luisantes&nbsp;! Nous aurons l&agrave; de la houille grasse, riche en mati&egrave;res bitumeuses&nbsp;! Et comme elle se d&eacute;taillera en gailleteries, presque sans poussi&egrave;re&nbsp;! Ah&nbsp;! monsieur James, il y a vingt ans, voici un gisement qui aurait fait une rude concurrence au Swansea et au Cardiff&nbsp;! Eh bien, les chauffeurs se le disputeront encore, et, s'il co&ucirc;te peu &agrave; extraire de la mine, il ne s'en vendra pas moins cher au-dehors&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, dit Madge, qui avait pris le fragment de houille et l'examinait en connaisseuse. C'est l&agrave; du charbon de bonne qualit&eacute;. &mdash; Emporte-le, Simon, emporte-le au cottage&nbsp;! Je veux que ce premier morceau de houille br&ucirc;le sous notre bouilloire&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien parl&eacute;, femme&nbsp;! r&eacute;pondit le vieil overman, et tu verras que je ne me suis pas tromp&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, demanda alors Harry, avez-vous quelque id&eacute;e de l'orientation probable de cette longue galerie que nous avons suivie depuis notre entr&eacute;e dans la nouvelle houill&egrave;re&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Avec une boussole, j'aurais peut-&ecirc;tre pu &eacute;tablir sa direction g&eacute;n&eacute;rale. Mais, sans boussole, je suis ici comme un marin en pleine mer, au milieu des brumes, lorsque l'absence de soleil ne lui permet pas de relever sa position.</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, monsieur James, r&eacute;pliqua Simon Ford, mais, je vous en prie, ne comparez pas notre position &agrave; celle du marin, qui a toujours et partout l'ab&icirc;me sous ses pieds&nbsp;! Nous sommes en terre ferme, ici, et nous n'avons pas &agrave; craindre de jamais sombrer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je ne vous ferai pas cette peine, vieux Simon, r&eacute;pondit James Starr. Loin de moi la pens&eacute;e de d&eacute;pr&eacute;cier la nouvelle houill&egrave;re d'Aberfoyle par une comparaison injuste&nbsp;! Je n'ai voulu dire qu'une chose, c'est que nous ne savons pas o&ugrave; nous sommes.</p>
+
+<p>&mdash; Nous sommes dans le sous-sol du comt&eacute; de Stirling, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford, et cela, je l'affirme comme si...</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;coutez&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit Harry en interrompant le vieil overman.</p>
+
+<p>Tous pr&ecirc;t&egrave;rent l'oreille, ainsi que le faisait le jeune mineur. Le nerf auditif, tr&egrave;s exerc&eacute; chez lui, avait surpris un bruit sourd, comme e&ucirc;t &eacute;t&eacute; un murmure lointain. James Starr, Simon et Madge ne tard&egrave;rent pas &agrave; l'entendre eux-m&ecirc;mes. Il se produisait, dans les couches sup&eacute;rieures du massif, une sorte de roulement, dont on percevait distinctement le crescendo et le decrescendo successif, si faible qu'il f&ucirc;t.</p>
+
+<p>Tous quatre rest&egrave;rent pendant quelques minutes, l'oreille tendue, sans prof&eacute;rer une parole.</p>
+
+<p>Puis, tout &agrave; coup, Simon Ford de s'&eacute;crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! par saint Mungo&nbsp;! Est-ce que les wagonnets courent d&eacute;j&agrave; sur les rails de la nouvelle Aberfoyle&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; P&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, il me semble bien que c'est le bruit que font des eaux en roulant sur un littoral.</p>
+
+<p>&mdash; Nous ne sommes pourtant pas sous la mer&nbsp;! s'&eacute;cria le vieil overman.</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, mais il ne serait pas impossible que nous ne fussions sous le lit m&ecirc;me du lac Katrine.</p>
+
+<p>&mdash; Il faudrait donc que la vo&ucirc;te f&ucirc;t peu &eacute;paisse en cet endroit, puisque le bruit des eaux est perceptible&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Peu &eacute;paisse, en effet, r&eacute;pondit James Starr, et c'est ce qui fait que cette excavation est si vaste.</p>
+
+<p>&mdash; Vous devez avoir raison, monsieur Starr, dit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; En outre, il fait si mauvais temps au-dehors, reprit James Starr, que les eaux du lac doivent &ecirc;tre soulev&eacute;es comme celles du golfe de Forth.</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! qu'importe, apr&egrave;s tout, r&eacute;pondit Simon Ford. La couche carbonif&egrave;re n'en sera pas plus mauvaise pour se d&eacute;velopper au-dessous d'un lac&nbsp;! Ce ne serait pas la premi&egrave;re fois que l'on irait chercher la houille sous le lit m&ecirc;me de l'Oc&eacute;an&nbsp;! Quand nous devrions exploiter tout le fonds et le tr&eacute;fonds du canal du Nord, o&ugrave; serait le mal&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Bien dit, Simon, s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, qui ne put retenir un sourire en regardant l'enthousiaste overman. Poussons nos tranch&eacute;es sous les eaux de la mer&nbsp;! Trouons comme une &eacute;cumoire le lit de l'Atlantique&nbsp;! Allons rejoindre &agrave; coups de pioche nos fr&egrave;res des &Eacute;tats-Unis &agrave; travers le sous-sol de l'Oc&eacute;an&nbsp;! Fon&ccedil;ons jusqu'au centre du globe, s'il le faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Croyez-vous rire, monsieur James&nbsp;? demanda Simon Ford d'un air tant soit peu goguenard.</p>
+
+<p>&mdash; Moi, rire&nbsp;! vieux Simon&nbsp;! Non&nbsp;! Mais vous &ecirc;tes si enthousiaste, que vous m'entra&icirc;nez jusque dans l'impossible&nbsp;! Tenez, revenons &agrave; la r&eacute;alit&eacute;, qui est d&eacute;j&agrave; belle. Laissons l&agrave; nos pics, que nous retrouverons un autre jour, et reprenons le chemin du cottage&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il n'y avait pas autre chose &agrave; faire pour le moment. Plus tard, l'ing&eacute;nieur, accompagn&eacute; d'une brigade de mineurs et muni des lampes et ustensiles n&eacute;cessaires, reprendrait l'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle. Mais il &eacute;tait urgent de retourner &agrave; la fosse Dochart. La route &eacute;tait facile, d'ailleurs. La galerie courait presque droit &agrave; travers le massif jusqu'&agrave; l'orifice ouvert par la dynamite. Donc, nulle crainte de s'&eacute;garer.</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; James Starr se dirigeait vers la galerie, Simon Ford l'arr&ecirc;ta.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur James, lui dit-il, vous voyez cette caverne immense, ce lac souterrain qu'elle recouvre, cette gr&egrave;ve que les eaux viennent baigner &agrave; nos pieds&nbsp;? Eh bien, c'est ici que je veux transporter ma demeure, c'est ici que je me b&acirc;tirai un nouveau cottage, et, si quelques braves compagnons veulent suivre mon exemple, avant un an, on comptera un bourg de plus dans le massif de notre vieille Angleterre&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr, approuvant d'un sourire les projets de Simon Ford, lui serra la main, et tous trois, pr&eacute;c&eacute;dant Madge, s'enfonc&egrave;rent dans la galerie, afin de regagner la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Pendant le premier mille, aucun incident ne se produisit. Harry marchait en avant, &eacute;levant la lampe au-dessus de sa t&ecirc;te. Il suivait soigneusement la galerie principale, sans jamais s'&eacute;carter dans les tunnels &eacute;troits qui rayonnaient &agrave; droite et &agrave; gauche. Il semblait donc que le retour d&ucirc;t s'accomplir aussi facilement que l'aller, lorsqu'une f&acirc;cheuse complication survint, qui rendit fort grave la situation des explorateurs.</p>
+
+<p>En effet, &agrave; un moment o&ugrave; Harry levait sa lampe, un vif d&eacute;placement de l'air s'op&eacute;ra, comme s'il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; caus&eacute; par un battement d'ailes invisibles. La lampe, frapp&eacute;e de biais, s'&eacute;chappa des mains d'Harry, tomba sur le sol rocheux de la galerie et se brisa.</p>
+
+<p>James Starr et ses compagnons furent subitement plong&eacute;s dans une obscurit&eacute; absolue. Leur lampe, dont l'huile s'&eacute;tait r&eacute;pandue, ne pouvait plus servir.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh bien, Harry, s'&eacute;cria Simon Ford, veux-tu donc que nous nous rompions le cou en retournant au cottage&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry ne r&eacute;pondit pas. Il r&eacute;fl&eacute;chissait. Devait-il voir encore la main d'un &ecirc;tre myst&eacute;rieux dans ce dernier accident&nbsp;? Existait-il donc en ces profondeurs un ennemi dont l'inexplicable antagonisme pouvait cr&eacute;er, un jour, de s&eacute;rieuses difficult&eacute;s&nbsp;? Quelqu'un avait-il int&eacute;r&ecirc;t &agrave; d&eacute;fendre le nouveau g&icirc;te carbonif&egrave;re contre toute tentative d'exploitation&nbsp;? En v&eacute;rit&eacute;, cela &eacute;tait absurde, mais les faits parlaient d'eux-m&ecirc;mes, et ils s'accumulaient de mani&egrave;re &agrave; changer de simples pr&eacute;somptions en certitudes.</p>
+
+<p>En attendant, la situation des explorateurs &eacute;tait assez mauvaise. Il leur fallait, au milieu de profondes t&eacute;n&egrave;bres, suivre pendant environ cinq milles la galerie qui conduisait &agrave; la fosse Dochart. Puis, ils auraient encore une heure de route avant d'avoir atteint le cottage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Continuons, dit Simon Ford. Nous n'avons pas un instant &agrave; perdre. Nous marcherons en t&acirc;tonnant, comme des aveugles. Il n'est pas possible de s'&eacute;garer. Les tunnels qui s'ouvrent sur notre chemin ne sont que de v&eacute;ritables boyaux de taupini&egrave;res, et, en suivant la galerie principale, nous arriverons in&eacute;vitablement &agrave; l'orifice qui nous a livr&eacute; passage. Ensuite, c'est la vieille houill&egrave;re. Nous la connaissons, et ce ne sera pas la premi&egrave;re fois qu'Harry ou moi nous nous y serons trouv&eacute;s dans l'obscurit&eacute;. D'ailleurs, nous retrouverons l&agrave; les lampes que nous avons laiss&eacute;es. En route, donc&nbsp;! &mdash; Harry, prends la t&ecirc;te. Monsieur James, suivez-le. Madge, tu viendras apr&egrave;s, et moi, je fermerai la marche. Ne nous s&eacute;parons pas surtout, et qu'on se sente les talons, sinon les coudes&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il n'y avait qu'&agrave; se conformer aux instructions du vieil overman. Comme il le disait, en t&acirc;tonnant on ne pouvait gu&egrave;re se tromper de route. Il fallait seulement remplacer les yeux par les mains, et se fier &agrave; cet instinct qui, chez Simon Ford et son fils, &eacute;tait devenu une seconde nature.</p>
+
+<p>Donc, James Starr et ses compagnons march&egrave;rent dans l'ordre indiqu&eacute;. Ils ne parlaient pas, mais ce n'&eacute;tait pas faute de penser. Il devenait &eacute;vident qu'ils avaient un adversaire. Mais quel &eacute;tait-il, et comment se d&eacute;fendre de ces attaques si myst&eacute;rieusement pr&eacute;par&eacute;es&nbsp;? Ces id&eacute;es assez inqui&eacute;tantes affluaient &agrave; leur cerveau. Cependant, ce n'&eacute;tait pas le moment de se d&eacute;courager.</p>
+
+<p>Harry, les bras &eacute;tendus, s'avan&ccedil;ait d'un pas assur&eacute;. Il allait successivement d'une paroi &agrave; l'autre de la galerie. Une anfractuosit&eacute;, un orifice lat&eacute;ral se pr&eacute;sentaient-ils, il reconnaissait &agrave; la main qu'il ne fallait pas s'y engager, soit que l'anfractuosit&eacute; f&ucirc;t peu profonde, soit que l'orifice f&ucirc;t trop &eacute;troit, et il se maintenait ainsi dans le droit chemin.</p>
+
+<p>Au milieu d'une obscurit&eacute; &agrave; laquelle les yeux ne pouvaient se faire, puisqu'elle &eacute;tait absolue, ce difficile retour dura deux heures environ. En supputant le temps &eacute;coul&eacute;, en tenant compte de ce que la marche n'avait pu &ecirc;tre rapide, James Starr estimait que ses compagnons et lui devaient &ecirc;tre bien pr&egrave;s de l'issue.</p>
+
+<p>En effet, presque aussit&ocirc;t, Harry s'arr&ecirc;ta.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Sommes-nous enfin arriv&eacute;s &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la galerie&nbsp;? demanda Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, r&eacute;pondit le jeune mineur.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, tu dois retrouver l'orifice qui &eacute;tablit la communication entre la Nouvelle-Aberfoyle et la fosse Dochart&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry, dont les mains crisp&eacute;es ne rencontraient que la surface pleine d'une paroi.</p>
+
+<p>Le vieil overman fit quelques pas en avant, et vint palper lui m&ecirc;me la roche schisteuse.</p>
+
+<p>Un cri lui &eacute;chappa.</p>
+
+<p>Ou les explorateurs s'&eacute;taient &eacute;gar&eacute;s pendant le retour, ou l'&eacute;troit orifice, creus&eacute; dans la paroi par la dynamite, avait &eacute;t&eacute; bouch&eacute; r&eacute;cemment&nbsp;!</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, James Starr et ses compagnons &eacute;taient emprisonn&eacute;s dans la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XI</h4>
+
+<h4>Les Dames de feu</h4>
+</center>
+
+<p>Huit jours apr&egrave;s ces &eacute;v&eacute;nements, les amis de James Starr &eacute;taient fort inquiets. L'ing&eacute;nieur avait disparu sans qu'aucun motif p&ucirc;t &ecirc;tre all&eacute;gu&eacute; &agrave; cette disparition. On avait appris, en interrogeant son domestique, qu'il s'&eacute;tait embarqu&eacute; &agrave; Grantonpier, et on savait par le capitaine du steam-boat <i>Prince de Galles</i> qu'il avait d&eacute;barqu&eacute; &agrave; Stirling. Mais, depuis ce moment, plus de traces de James Starr. La lettre de Simon Ford lui avait recommand&eacute; le secret, et il n'avait rien dit de son d&eacute;part pour les houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Donc, &agrave; &Eacute;dimbourg, il ne fut plus question que de l'absence inexplicable de l'ing&eacute;nieur. Sir W. Elphiston, le pr&eacute;sident de &laquo;&nbsp;Royal Institution&nbsp;&raquo;, communiqua &agrave; ses coll&egrave;gues la lettre que lui avait adress&eacute;e James Starr, en s'excusant de ne pouvoir assister &agrave; la prochaine s&eacute;ance de la Soci&eacute;t&eacute;. Deux ou trois autres personnes produisirent aussi des lettres analogues. Mais, si ces documents prouvaient que James Starr avait quitt&eacute; &Eacute;dimbourg &mdash; ce que l'on savait de reste &mdash;, rien n'indiquait ce qu'il &eacute;tait devenu. Or, de la part d'un tel homme, cette absence, en dehors de ses habitudes, devait surprendre d'abord, inqui&eacute;ter ensuite, puisqu'elle se prolongeait.</p>
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+<p>Aucun des amis de l'ing&eacute;nieur n'aurait pu supposer qu'il se f&ucirc;t rendu aux houill&egrave;res d'Aberfoyle. On savait qu'il n'e&ucirc;t point aim&eacute; &agrave; revoir l'ancien th&eacute;&acirc;tre de ses travaux. Il n'y avait jamais remis les pieds, depuis le jour o&ugrave; la derni&egrave;re benne &eacute;tait remont&eacute;e &agrave; la surface du sol. Cependant, puisque le steam-boat l'avait d&eacute;pos&eacute; au d&eacute;barcad&egrave;re de Stirling, on fit quelques recherches de ce c&ocirc;t&eacute;.</p>
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+<p>Les recherches n'aboutirent pas. Personne ne se rappelait avoir vu l'ing&eacute;nieur dans le pays. Seul, Jack Ryan, qui l'avait rencontr&eacute; en compagnie d'Harry sur un des paliers du puits Yarow, e&ucirc;t pu satisfaire la curiosit&eacute; publique. Mais le joyeux gar&ccedil;on, on le sait, travaillait &agrave; la ferme de Melrose, &agrave; quarante milles dans le sud-ouest du comt&eacute; de Renfrew, et il ne se doutait gu&egrave;re que l'on s'inqui&eacute;t&acirc;t &agrave; ce point de la disparition de James Starr. Donc, huit jours apr&egrave;s sa visite au cottage, Jack Ryan e&ucirc;t continu&eacute; &agrave; chanter de plus belle pendant les veill&eacute;es du clan d'Irvine, &mdash; s'il n'e&ucirc;t eu, lui aussi, un motif de vive inqui&eacute;tude dont il sera bient&ocirc;t parl&eacute;.</p>
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+<p>James Starr &eacute;tait un homme trop consid&eacute;rable et trop consid&eacute;r&eacute;, non seulement dans la ville, mais dans toute l'&Eacute;cosse, pour qu'un fait le concernant p&ucirc;t passer inaper&ccedil;u. Le lord pr&eacute;v&ocirc;t, premier magistrat d'&Eacute;dimbourg, les baillis, les conseillers, dont la plupart &eacute;taient des amis de l'ing&eacute;nieur, firent commencer les plus actives recherches. Des agents furent mis en campagne, mais aucun r&eacute;sultat ne fut obtenu.</p>
+
+<p>Il fallut donc ins&eacute;rer dans les principaux journaux du Royaume-Uni une note relative &agrave; l'ing&eacute;nieur James Starr, donnant son signalement, indiquant la date &agrave; laquelle il avait quitt&eacute; &Eacute;dimbourg, et il n'y eut plus qu'&agrave; attendre. Cela ne se fit pas sans grande anxi&eacute;t&eacute;. Le monde savant de l'Angleterre n'&eacute;tait pas &eacute;loign&eacute; de croire &agrave; la disparition d&eacute;finitive de l'un de ses membres les plus distingu&eacute;s.</p>
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+<p>En m&ecirc;me temps que l'on s'inqui&eacute;tait ainsi de la personne de James Starr, la personne d'Harry &eacute;tait le sujet de pr&eacute;occupations non moins vives. Seulement, au lieu d'occuper l'opinion publique, le fils du vieil overman ne troublait que la bonne humeur de son ami Jack Ryan.</p>
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+<p>On se rappelle que, lors de leur rencontre dans le puits Yarow, Jack Ryan avait invit&eacute; Harry &agrave; venir, huit jours apr&egrave;s, &agrave; la f&ecirc;te du clan d'Irvine. Il y avait eu acceptation et promesse formelle d'Harry de se rendre &agrave; cette c&eacute;r&eacute;monie. Jack Ryan savait, pour l'avoir constat&eacute; en maintes circonstances, que son camarade &eacute;tait homme de parole. Avec lui, chose promise, chose faite.</p>
+
+<p>Or, &agrave; la f&ecirc;te d'Irvine, rien n'avait manqu&eacute;, ni les chants, ni les danses, ni les r&eacute;jouissances de toutes sortes, rien, &mdash; si ce n'est Harry Ford.</p>
+
+<p>Jack Ryan avait commenc&eacute; par lui en vouloir, parce que l'absence de son ami influait sur sa bonne humeur. Il en perdit m&ecirc;me la m&eacute;moire au milieu d'une de ses chansons, et, pour la premi&egrave;re fois, il resta court pendant une gigue, qui lui valait d'ordinaire des applaudissements m&eacute;rit&eacute;s.</p>
+
+<p>Il faut dire ici que la note relative &agrave; James Starr, et publi&eacute;e dans les journaux, n'&eacute;tait pas encore tomb&eacute;e sous les yeux de Jack Ryan. Ce brave gar&ccedil;on ne se pr&eacute;occupait donc que de l'absence d'Harry, se disant bien qu'une grave circonstance avait seule pu l'emp&ecirc;cher de tenir sa promesse. Aussi, le lendemain de la f&ecirc;te d'Irvine, Jack Ryan comptait-il prendre le railway de Glasgow pour se rendre &agrave; la fosse Dochart, et il l'aurait fait, &mdash; s'il n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; retenu par un accident qui faillit lui co&ucirc;ter la vie.</p>
+
+<p>Voici ce qui &eacute;tait arriv&eacute; pendant la nuit du 12 d&eacute;cembre. En v&eacute;rit&eacute;, le fait &eacute;tait de nature &agrave; donner raison &agrave; tous les partisans du surnaturel, et ils &eacute;taient nombreux &agrave; la ferme de Melrose.</p>
+
+<p>Irvine, petite ville maritime du comt&eacute; de Renfrew, qui compte environ sept mille habitants, est b&acirc;tie dans un brusque retour que fait la c&ocirc;te &eacute;cossaise, presque &agrave; l'ouverture du golfe de Clyde. Son port, assez bien abrit&eacute; contre les vents du large, est &eacute;clair&eacute; par un feu important qui indique les atterrissages, de telle fa&ccedil;on qu'un marin prudent ne peut s'y tromper. Aussi, les naufrages &eacute;taient-ils rares sur cette portion du littoral, et les caboteurs ou long-courriers, qu'ils voulussent, soit embouquer le golfe de Clyde pour se rendre &agrave; Glasgow, soit donner dans la baie d'Irvine, pouvaient-ils man&oelig;uvrer sans danger, m&ecirc;me par les nuits obscures.</p>
+
+<p>Lorsqu'une ville est pourvue d'un pass&eacute; historique, si mince qu'il soit, lorsque son ch&acirc;teau a appartenu autrefois &agrave; un Robert Stuart, elle n'est pas sans poss&eacute;der quelques ruines.</p>
+
+<p>Or, en &Eacute;cosse, toutes les ruines sont hant&eacute;es par des esprits. &mdash; Du moins, c'est l'opinion commune dans les Hautes et Basses Terres.</p>
+
+<p>Les ruines les plus anciennes, et aussi les plus mal fam&eacute;es de cette partie du littoral, &eacute;taient pr&eacute;cis&eacute;ment celles de ce ch&acirc;teau de Robert Stuart, qui porte le nom de Dundonald-Castle.</p>
+
+<p>A cette &eacute;poque, le ch&acirc;teau de Dundonald, refuge de tous les lutins errants de la contr&eacute;e, &eacute;tait vou&eacute; au plus complet abandon. On allait peu le visiter sur le haut rocher qu'il occupait au-dessus de la mer, &agrave; deux milles de la ville. Peut-&ecirc;tre quelques &eacute;trangers avaient-ils encore l'id&eacute;e d'interroger ces vieux restes historiques, mais alors ils s'y rendaient seuls. Les habitants d'Irvine ne les y eussent point conduits, &agrave; quelque prix que ce f&ucirc;t. En effet, quelques histoires couraient sur le compte de certaines &laquo;&nbsp;Dames de feu&nbsp;&raquo; qui hantaient le vieux ch&acirc;teau.</p>
+
+<p>Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces fantastiques cr&eacute;atures. Naturellement, Jack Ryan &eacute;tait de ces derniers.</p>
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+<p>La v&eacute;rit&eacute; est que, de temps &agrave; autre, de longues flammes apparaissaient, tant&ocirc;t sur un pan de mur &agrave; demi &eacute;boul&eacute;, tant&ocirc;t au sommet de la tour qui domine l'ensemble des ruines de Dundonald-Castle.</p>
+
+<p>Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l'assurait&nbsp;? M&eacute;ritaient-elles ce nom de &laquo;&nbsp;Dames de feu&nbsp;&raquo; que leur avaient donn&eacute; les &Eacute;cossais du littoral&nbsp;? Ce n'&eacute;tait &eacute;videmment l&agrave; qu'une illusion de cerveaux port&eacute;s &agrave; la cr&eacute;dulit&eacute;, et la science e&ucirc;t expliqu&eacute; physiquement ce ph&eacute;nom&egrave;ne.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contr&eacute;e la r&eacute;putation bien &eacute;tablie de fr&eacute;quenter les ruines du vieux ch&acirc;teau et d'y ex&eacute;cuter parfois d'&eacute;tranges sarabandes, surtout pendant les nuits obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu'il f&ucirc;t, ne se serait point hasard&eacute; &agrave; les accompagner aux sons de sa cornemuse.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le vieux Nick leur suffit&nbsp;! disait-il, et il n'a pas besoin de moi pour compl&eacute;ter son orchestre infernal&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte oblig&eacute; des r&eacute;cits pendant la veill&eacute;e. Aussi, Jack Ryan poss&eacute;dait-il tout un r&eacute;pertoire de l&eacute;gendes sur les Dames de feu, et ne se trouvait-il jamais &agrave; court, quand il s'agissait d'en conter &agrave; leur sujet&nbsp;!</p>
+
+<p>Donc, pendant cette derni&egrave;re veill&eacute;e, bien arros&eacute;e d'ale, de brandy et de whisky, qui avait termin&eacute; la f&ecirc;te du clan d'Irvine, Jack Ryan n'avait pas manqu&eacute; de reprendre son th&egrave;me favori, au grand plaisir et peut-&ecirc;tre au grand effroi de ses auditeurs.</p>
+
+<p>La veill&eacute;e se faisait dans une vaste grange de la ferme de Melrose, sur la limite du littoral. Un bon feu de coke br&ucirc;lait dans un large tr&eacute;pied de t&ocirc;le, au milieu de l'assembl&eacute;e.</p>
+
+<p>Il y avait gros temps au-dehors. Des brumes &eacute;paisses roulaient sur les lames, qu'une forte brise de sud-ouest amenait du large. Une nuit tr&egrave;s noire, pas une seule &eacute;claircie dans les nuages, la terre, le ciel et l'eau se confondant dans de profondes t&eacute;n&egrave;bres, c'&eacute;tait l&agrave; de quoi rendre difficiles les atterrages de la baie d'Irvine, si quelque navire s'y f&ucirc;t aventur&eacute; avec ces vents qui battaient en c&ocirc;te.</p>
+
+<p>Le petit port d'Irvine n'est pas tr&egrave;s fr&eacute;quent&eacute;, &mdash; du moins par les navires d'un certain tonnage. C'est un peu plus au nord que les b&acirc;timents de commerce, &agrave; voiles ou vapeur, attaquent la terre, lorsqu'ils veulent donner dans le golfe de Clyde. Ce soir-l&agrave;, cependant, quelque p&ecirc;cheur, attard&eacute; sur le rivage, e&ucirc;t aper&ccedil;u, non sans surprise, un navire qui se dirigeait vers la c&ocirc;te. Si le jour se f&ucirc;t fait tout &agrave; coup, ce n'est plus avec surprise, mais avec effroi, que ce b&acirc;timent e&ucirc;t &eacute;t&eacute; vu, courant vent arri&egrave;re, avec toute la toile qu'il pouvait porter. L'entr&eacute;e du golfe manqu&eacute;e, il n'existait aucun refuge entre les roches formidables du littoral. Si cet imprudent navire s'obstinait &agrave; s'en approcher encore, comment parviendrait-il &agrave; se relever&nbsp;?</p>
+
+<p>La veill&eacute;e allait finir sur une derni&egrave;re histoire de Jack Ryan. Ses auditeurs, transport&eacute;s dans le monde des fant&ocirc;mes, &eacute;taient bien dans les conditions voulues pour faire acte de cr&eacute;dulit&eacute;, le cas &eacute;ch&eacute;ant.</p>
+
+<p>Tout &agrave; coup, des cris retentirent au-dehors.</p>
+
+<p>Jack Ryan suspendit aussit&ocirc;t son r&eacute;cit, et tous quitt&egrave;rent pr&eacute;cipitamment la grange.</p>
+
+<p>La nuit &eacute;tait profonde. De longues rafales de pluie et de vent couraient &agrave; la surface de la gr&egrave;ve.</p>
+
+<p>Deux ou trois p&ecirc;cheurs, arc-bout&eacute;s pr&egrave;s d'un rocher, afin de mieux r&eacute;sister aux pouss&eacute;es de l'air, appelaient avec de grands &eacute;clats de voix.</p>
+
+<p>Jack Ryan et ses compagnons coururent &agrave; eux.</p>
+
+<p>Ces cris, ce n'&eacute;tait pas aux habitants de la ferme qu'ils s'adressaient, mais &agrave; un &eacute;quipage qui, sans le savoir, courait &agrave; sa perte.</p>
+
+<p>En effet, une masse sombre apparaissait confus&eacute;ment &agrave; quelques encablures au large. C'&eacute;tait un navire, bien reconnaissable &agrave; ses feux de position, car il portait &agrave; sa hune de misaine un feu blanc, &agrave; tribord un feu vert, &agrave; b&acirc;bord un feu rouge. On le voyait donc par l'avant, et il &eacute;tait manifeste qu'il se dirigeait &agrave; toute vitesse vers la c&ocirc;te.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un navire en perdition&nbsp;? s'&eacute;cria Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, r&eacute;pondit un des p&ecirc;cheurs, et maintenant il voudrait virer de bord, qu'il ne le pourrait plus&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Des signaux, des signaux&nbsp;! cria l'un des &Eacute;cossais.</p>
+
+<p>&mdash; Lesquels&nbsp;? r&eacute;pliqua le p&ecirc;cheur. Par cette bourrasque, on ne pourrait pas tenir une torche allum&eacute;e&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, pendant que ces propos s'&eacute;changeaient rapidement, de nouveaux cris &eacute;taient pouss&eacute;s. Mais comment e&ucirc;t-on pu les entendre au milieu de cette temp&ecirc;te&nbsp;? L'&eacute;quipage du navire n'avait plus aucune chance d'&eacute;chapper au naufrage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pourquoi man&oelig;uvrer ainsi&nbsp;? s'&eacute;criait un marin.</p>
+
+<p>&mdash; Veut-il donc faire c&ocirc;te&nbsp;? r&eacute;pondit un autre.</p>
+
+<p>&mdash; Le capitaine n'a donc pas eu connaissance du feu d'Irvine&nbsp;? demanda Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Il faut le croire, r&eacute;pondit un des p&ecirc;cheurs, &agrave; moins qu'il n'ait &eacute;t&eacute; tromp&eacute; par quelque...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le p&ecirc;cheur n'avait pas achev&eacute; sa phrase, que Jack Ryan poussait un formidable cri. Fut-il entendu de l'&eacute;quipage&nbsp;? En tout cas, il &eacute;tait trop tard pour que le b&acirc;timent p&ucirc;t se relever de la ligne des brisants qui blanchissait dans les t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>Mais ce n'&eacute;tait pas, comme on aurait pu le croire, un supr&ecirc;me avertissement que Jack Ryan avait tent&eacute; de faire parvenir au b&acirc;timent en perdition. Jack Ryan tournait alors le dos &agrave; la mer. Ses compagnons, eux aussi, regardaient un point situ&eacute; &agrave; un demi mille en arri&egrave;re de la gr&egrave;ve.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait le ch&acirc;teau de Dundonald. Une longue flamme se tordait sous les rafales au sommet de la vieille tour.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La Dame de feu&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cri&egrave;rent avec grande terreur tous ces superstitieux &Eacute;cossais.</p>
+
+<p>Franchement, il fallait une bonne dose d'imagination pour trouver &agrave; cette flamme une apparence humaine. Agit&eacute;e comme un pavillon lumineux sous la brise, elle semblait parfois s'envoler du sommet de la tour, comme si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; sur le point de s'&eacute;teindre, et, un instant apr&egrave;s, elle s'y rattachait de nouveau par sa pointe bleu&acirc;tre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La Dame de feu&nbsp;! la Dame de feu&nbsp;!&nbsp;&raquo; criaient les p&ecirc;cheurs et les paysans effar&eacute;s.</p>
+
+<p>Tout s'expliquait alors. Il &eacute;tait &eacute;vident que le navire, d&eacute;sorient&eacute; dans les brumes, avait fait fausse route, et qu'il avait pris cette flamme, allum&eacute;e au sommet du ch&acirc;teau de Dundonald, pour le feu d'Irvine. Il se croyait &agrave; l'entr&eacute;e du golfe, situ&eacute;e dix milles plus au nord, et il courait vers une franche terre, qui ne lui offrait aucun refuge&nbsp;!</p>
+
+<p>Que pouvait-on faire pour le sauver, s'il en &eacute;tait temps encore&nbsp;? Peut-&ecirc;tre e&ucirc;t-il fallu monter jusqu'aux ruines et tenter d'&eacute;teindre ce feu, pour qu'il ne f&ucirc;t pas possible de le confondre plus longtemps avec le phare du port d'Irvine&nbsp;!</p>
+
+<p>Sans doute, c'&eacute;tait ainsi qu'il convenait d'agir, sans retard; mais lequel de ces &Eacute;cossais e&ucirc;t eu la pens&eacute;e, et, apr&egrave;s la pens&eacute;e, l'audace de braver la Dame de feu&nbsp;? Jack Ryan, peut-&ecirc;tre, car il &eacute;tait courageux, et sa cr&eacute;dulit&eacute;, si forte qu'elle f&ucirc;t, ne pouvait l'arr&ecirc;ter dans un g&eacute;n&eacute;reux mouvement.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait trop tard. Un horrible craquement retentit au milieu du fracas des &eacute;l&eacute;ments.</p>
+
+<p>Le navire venait de talonner par son arri&egrave;re. Ses feux de position s'&eacute;teignirent. La ligne blanch&acirc;tre du ressac sembla bris&eacute;e un instant. C'&eacute;tait le b&acirc;timent qui l'abordait, se couchait sur le flanc et se disloquait entre les r&eacute;cifs.</p>
+
+<p>Et, &agrave; ce m&ecirc;me instant, par une co&iuml;ncidence qui ne pouvait &ecirc;tre due qu'au hasard, la longue flamme disparut, comme si elle e&ucirc;t &eacute;t&eacute; arrach&eacute;e par une violente rafale. La mer, le ciel, la gr&egrave;ve furent aussit&ocirc;t replong&eacute;s dans les plus profondes t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La Dame de feu&nbsp;!&nbsp;&raquo; avait une derni&egrave;re fois cri&eacute; Jack Ryan, lorsque cette apparition, surnaturelle pour ses compagnons et lui, se fut &eacute;vanouie subitement.</p>
+
+<p>Mais alors, le courage que ces superstitieux &Eacute;cossais n'auraient pas eu contre un danger chim&eacute;rique, ils le retrouv&egrave;rent en face d'un danger r&eacute;el, maintenant qu'il s'agissait de sauver leurs semblables. Les &eacute;l&eacute;ments d&eacute;cha&icirc;n&eacute;s ne les arr&ecirc;t&egrave;rent pas. Au moyen de cordes lanc&eacute;es dans les lames &mdash; h&eacute;ro&iuml;ques autant qu'ils avaient &eacute;t&eacute; cr&eacute;dules &mdash;, ils se jet&egrave;rent au secours du b&acirc;timent naufrag&eacute;.</p>
+
+<p>Heureusement, ils r&eacute;ussirent, non sans que quelques-uns &mdash; et le hardi Jack Ryan &eacute;tait du nombre &mdash; se fussent gri&egrave;vement meurtris sur les roches; mais le capitaine du navire et les huit hommes de l'&eacute;quipage purent &ecirc;tre d&eacute;pos&eacute;s, sains et saufs, sur la gr&egrave;ve.</p>
+
+<p>Ce navire &eacute;tait le brick norv&eacute;gien <i>Motala</i>, charg&eacute; de bois du nord, faisant route pour Glasgow.</p>
+
+<p>Il n'&eacute;tait que trop vrai. Le capitaine, tromp&eacute; par ce feu, allum&eacute; sur la tour du ch&acirc;teau de Dundonald, &eacute;tait venu donner en pleine c&ocirc;te, au lieu d'embouquer le golfe de Clyde.</p>
+
+<p>Et maintenant, du <i>Motala</i>, il ne restait plus que de rares &eacute;paves, dont le ressac achevait de briser les d&eacute;bris sur les roches du littoral.</p>
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+<p><br>
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+<center>
+<h4>XII</h4>
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+<h4>Les Exploits de Jack Ryan</h4>
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+<p>Jack Ryan et trois de ses compagnons, bless&eacute;s comme lui, avaient &eacute;t&eacute; transport&eacute;s dans une des chambres de la ferme de Melrose, o&ugrave; des soins leur furent imm&eacute;diatement prodigu&eacute;s.</p>
+
+<p>Jack Ryan avait &eacute;t&eacute; le plus maltrait&eacute;, car, au moment o&ugrave;, la corde aux reins, il s'&eacute;tait jet&eacute; &agrave; la mer, les lames furieuses l'avaient rudement roul&eacute; sur les r&eacute;cifs. Peu s'en &eacute;tait fallu, m&ecirc;me, que ses camarades ne l'eussent rapport&eacute; sans vie sur le rivage.</p>
+
+<p>Le brave gar&ccedil;on fut donc clou&eacute; au lit pour quelques jours, &mdash; ce dont il enragea fort. Cependant, lorsqu'on lui eut permis de chanter autant qu'il le voudrait, il prit son mal en patience, et la ferme de Melrose retentit, &agrave; toute heure, des joyeux &eacute;clats de sa voix. Mais Jack Ryan, dans cette aventure, ne puisa qu'un plus vif sentiment de crainte &agrave; l'&eacute;gard de ces brawnies et autres lutins qui s'amusent &agrave; tracasser le pauvre monde, et ce fut eux qu'il rendit responsables de la catastrophe du <i>Motala</i>. On f&ucirc;t mal venu &agrave; lui soutenir que les Dames de feu n'existaient pas, et que cette flamme, si soudainement projet&eacute;e entre les ruines, n'&eacute;tait due qu'&agrave; un ph&eacute;nom&egrave;ne physique. Aucun raisonnement ne l'e&ucirc;t convaincu. Ses compagnons &eacute;taient encore plus obstin&eacute;s que lui dans leur cr&eacute;dulit&eacute;. A les entendre, une des Dames de feu avait m&eacute;chamment attir&eacute; le <i>Motala</i> &agrave; la c&ocirc;te. Quant &agrave; vouloir l'en punir, autant mettre l'ouragan &agrave; l'amende&nbsp;! Les magistrats pouvaient d&eacute;cr&eacute;ter toutes poursuites qui leur conviendraient. On n'emprisonne pas une flamme, on n'encha&icirc;ne pas un &ecirc;tre impalpable. Et, s'il faut le dire, les recherches qui furent ult&eacute;rieurement faites, sembl&egrave;rent donner raison &mdash; au moins en apparence &mdash; &agrave; cette fa&ccedil;on superstitieuse d'expliquer les choses.</p>
+
+<p>En effet, le magistrat, charg&eacute; de diriger une enqu&ecirc;te relativement &agrave; la perte du <i>Motala</i>, vint interroger les divers t&eacute;moins de la catastrophe. Tous furent d'accord sur ce point que le naufrage &eacute;tait d&ucirc; &agrave; l'apparition surnaturelle de la Dame de feu dans les ruines du ch&acirc;teau de Dundonald.</p>
+
+<p>On le pense bien, la justice ne pouvait se payer de semblables raisons. Qu'un ph&eacute;nom&egrave;ne purement physique se f&ucirc;t produit dans ces ruines, pas de doute &agrave; cet &eacute;gard. Mais &eacute;tait-ce accident ou malveillance&nbsp;? c'est ce que le magistrat devait chercher &agrave; &eacute;tablir.</p>
+
+<p>Que ce mot &laquo;&nbsp;malveillance&nbsp;&raquo; ne surprenne pas. Il ne faudrait pas remonter haut dans l'histoire armoricaine pour en trouver la justification. Bien des pilleurs d'&eacute;paves du littoral breton ont fait ce m&eacute;tier d'attirer les navires &agrave; la c&ocirc;te afin de s'en partager les d&eacute;pouilles. Tant&ocirc;t un bouquet d'arbres r&eacute;sineux, enflamm&eacute;s pendant la nuit, guidait un b&acirc;timent dans des passes dont il ne pouvait plus sortir. Tant&ocirc;t une torche, attach&eacute;e aux cornes d'un taureau et promen&eacute;e au caprice de l'animal, trompait un &eacute;quipage sur la route &agrave; suivre. Le r&eacute;sultat de ces man&oelig;uvres &eacute;tait in&eacute;vitablement quelque naufrage, dont les pillards profitaient. Il avait fallu l'intervention de la justice et de s&eacute;v&egrave;res exemples pour d&eacute;truire ces barbares coutumes. Or, ne pouvait-il se faire que, dans cette circonstance, une main criminelle n'e&ucirc;t repris les anciennes traditions des pilleurs d'&eacute;paves&nbsp;?</p>
+
+<p>C'est ce que pensaient les gens de la police, quoi qu'en eussent Jack Ryan et ses compagnons. Lorsque ceux-ci entendirent parler d'enqu&ecirc;te, ils se divis&egrave;rent en deux camps&nbsp;: les uns se content&egrave;rent de hausser les &eacute;paules; les autres, plus craintifs, annonc&egrave;rent que, tr&egrave;s certainement, &agrave; provoquer ainsi les &ecirc;tres surnaturels, on am&egrave;nerait de nouvelles catastrophes.</p>
+
+<p>N&eacute;anmoins, l'enqu&ecirc;te fut faite avec beaucoup de soin. Les gens de police se transport&egrave;rent au ch&acirc;teau de Dundonald, et ils proc&eacute;d&egrave;rent aux recherches les plus rigoureuses.</p>
+
+<p>Le magistrat voulut d'abord reconna&icirc;tre si le sol avait conserv&eacute; quelques empreintes de pas, pouvant &ecirc;tre attribu&eacute;es &agrave; d'autres pieds que des pieds de lutins. Il fut impossible de relever la plus l&eacute;g&egrave;re trace, ni ancienne ni nouvelle. Cependant, la terre, encore tout humide des pluies de la veille, e&ucirc;t conserv&eacute; le moindre vestige.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Des pas de brawnies&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan, lorsqu'il connut l'insucc&egrave;s des premi&egrave;res recherches. Autant vouloir retrouver les traces d'un follet sur l'eau d'un mar&eacute;cage&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cette premi&egrave;re partie de l'enqu&ecirc;te ne produisit donc aucun r&eacute;sultat. Il n'&eacute;tait pas probable que la seconde partie en donn&acirc;t davantage.</p>
+
+<p>Il s'agissait d'&eacute;tablir, en effet, comment le feu avait pu &ecirc;tre allum&eacute; au sommet de la vieille tour, quels &eacute;l&eacute;ments avaient &eacute;t&eacute; fournis &agrave; la combustion, et enfin quels r&eacute;sidus cette combustion avait laiss&eacute;s.</p>
+
+<p>Sur le premier point, rien, ni restes d'allumettes, ni chiffons de papier, ayant pu servir &agrave; allumer un feu quelconque.</p>
+
+<p>Sur le second point, n&eacute;ant non moins absolu. On ne retrouva ni herbes dess&eacute;ch&eacute;es, ni fragments de bois, dont ce foyer, si intense, avait pourtant d&ucirc; &ecirc;tre largement aliment&eacute; pendant la nuit.</p>
+
+<p>Quant au troisi&egrave;me point, il ne put &ecirc;tre &eacute;clairci davantage. L'absence de toutes cendres, de tout r&eacute;sidu d'un combustible quelconque, ne permit pas m&ecirc;me de retrouver l'endroit o&ugrave; le foyer avait d&ucirc; &ecirc;tre &eacute;tabli. Il n'existait aucune place noircie, ni sur la terre, ni sur la roche. Fallait-il donc en conclure que le foyer avait &eacute;t&eacute; tenu par la main de quelque malfaiteur&nbsp;? C'&eacute;tait bien invraisemblable, puisque, au dire des t&eacute;moins, la flamme pr&eacute;sentait un d&eacute;veloppement gigantesque, tel que l'&eacute;quipage du <i>Motala</i> avait pu, malgr&eacute; les brumes, l'apercevoir de plusieurs milles au large.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Bon&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan, la Dame de feu sait bien se passer d'allumettes&nbsp;! Elle souffle, cela suffit &agrave; embraser l'air autour d'elle, et son foyer ne laisse jamais de cendres&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il r&eacute;sulta donc de tout ceci que les magistrats en furent pour leur peine, qu'une nouvelle l&eacute;gende s'ajouta &agrave; tant d'autres, l&eacute;gende qui devait perp&eacute;tuer le souvenir de la catastrophe du <i>Motala</i> et affirmer plus indiscutablement encore l'apparition des Dames de feu.</p>
+
+<p>Cependant, un si brave gar&ccedil;on que Jack Ryan, et d'une si vigoureuse constitution, ne pouvait demeurer longtemps alit&eacute;. Quelques foulures et luxations n'&eacute;taient pas pour le coucher sur le flanc plus qu'il ne convenait. Il n'avait pas le temps d'&ecirc;tre malade. Or, lorsque ce temps-l&agrave; manque, on ne l'est gu&egrave;re dans ces r&eacute;gions salubres des Lowlands.</p>
+
+<p>Jack Ryan se r&eacute;tablit donc promptement. D&egrave;s qu'il fut sur pied, avant de reprendre sa besogne &agrave; la ferme de Melrose, il voulut mettre certain projet &agrave; ex&eacute;cution. Il s'agissait d'aller faire visite &agrave; son camarade Harry, afin de savoir pourquoi celui-ci avait manqu&eacute; &agrave; la f&ecirc;te du clan d'Irvine. De la part d'un homme tel qu'Harry, qui ne promettait jamais sans tenir, cette absence ne s'expliquait pas. Il &eacute;tait invraisemblable, d'ailleurs, que le fils du vieil overman n'e&ucirc;t pas entendu parler de la catastrophe du <i>Motala</i> rapport&eacute;e &agrave; grands d&eacute;tails par les journaux. Il devait savoir la part que Jack Ryan avait prise au sauvetage, ce qui en &eacute;tait advenu pour lui, et c'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; trop d'indiff&eacute;rence de la part d'Harry que de ne pas pousser jusqu'&agrave; la ferme pour serrer la main de son ami Jack Ryan.</p>
+
+<p>Si donc Harry n'&eacute;tait pas venu, c'est qu'il n'avait pu venir.</p>
+
+<p>Jack Ryan e&ucirc;t plut&ocirc;t ni&eacute; l'existence des Dames de feu que de croire &agrave; l'indiff&eacute;rence d'Harry &agrave; son &eacute;gard.</p>
+
+<p>Donc, deux jours apr&egrave;s la catastrophe, Jack Ryan quitta la ferme, gaillardement, comme un solide gar&ccedil;on qui ne se ressentait aucunement de ses blessures. D'un joyeux refrain lanc&eacute; &agrave; pleine poitrine, il fit r&eacute;sonner les &eacute;chos de la falaise, et se rendit &agrave; la gare du railway qui, par Glasgow, conduit &agrave; Stirling et &agrave; Callander.</p>
+
+<p>L&agrave;, pendant qu'il attendait dans la gare, ses regards furent tout d'abord attir&eacute;s par une affiche, reproduite &agrave; profusion sur les murs, et qui contenait l'avis suivant&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le 4 d&eacute;cembre dernier, l'ing&eacute;nieur James Starr, d'&Eacute;dimbourg, s'est embarqu&eacute; &agrave; Granton-pier sur le <i>Prince de Galles</i>. Il a d&eacute;barqu&eacute; le m&ecirc;me jour &agrave; Stirling. Depuis ce temps, on est sans nouvelles de lui.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pri&egrave;re d'adresser toute information le concernant au pr&eacute;sident de Royal Institution, &agrave; &Eacute;dimbourg.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Jack Ryan, arr&ecirc;t&eacute; devant une de ces affiches, la lut par deux fois, non sans donner les signes de la plus extr&ecirc;me surprise.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Monsieur Starr&nbsp;! s'&eacute;cria-t-il. Mais, le 4 d&eacute;cembre, je l'ai pr&eacute;cis&eacute;ment rencontr&eacute; avec Harry sur les &eacute;chelles du puits Yarow&nbsp;! voil&agrave; dix jours de cela&nbsp;! Et, depuis ce temps, il n'aurait pas reparu&nbsp;! Cela expliquerait-il pourquoi mon camarade n'est pas venu &agrave; la f&ecirc;te d'Irvine&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, sans prendre le temps d'informer par lettre le pr&eacute;sident de Royal Institution de ce qu'il savait relativement &agrave; James Starr, le brave gar&ccedil;on sauta dans le train, avec l'intention bien arr&ecirc;t&eacute;e de se rendre tout d'abord au puits Yarow. Cela fait, il descendrait jusqu'au fond de la fosse Dochart, s'il le fallait, pour retrouver Harry, et avec lui l'ing&eacute;nieur James Starr.</p>
+
+<p>Trois heures apr&egrave;s, il quittait le train &agrave; la gare de Callander, et se dirigeait rapidement vers le puits Yarow.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ils n'ont pas reparu, se disait-il. Pourquoi&nbsp;? Est-ce quelque obstacle qui les en a emp&ecirc;ch&eacute;s&nbsp;? Est-ce un travail dont l'importance les retient encore au fond de la houill&egrave;re&nbsp;? Je le saurai&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et Jack Ryan, allongeant le pas, arriva en moins d'une heure au puits Yarow.</p>
+
+<p>Ext&eacute;rieurement, rien de chang&eacute;. M&ecirc;me silence aux abords de la fosse. Pas un &ecirc;tre vivant dans ce d&eacute;sert.</p>
+
+<p>Jack Ryan p&eacute;n&eacute;tra sous l'appentis en ruine qui recouvrait l'orifice du puits. Il plongea son regard dans ce gouffre... Il ne vit rien. Il &eacute;couta... Il n'entendit rien.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et ma lampe&nbsp;! s'&eacute;cria-t-il. Ne serait-elle donc plus &agrave; sa place&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La lampe, dont Jack Ryan se servait pendant ses visites &agrave; la fosse, &eacute;tait ordinairement d&eacute;pos&eacute;e dans un coin, pr&egrave;s du palier de l'&eacute;chelle sup&eacute;rieure.</p>
+
+<p>Cette lampe avait disparu.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; une premi&egrave;re complication&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit Jack Ryan, qui commen&ccedil;a &agrave; devenir tr&egrave;s inquiet.</p>
+
+<p>Puis, sans h&eacute;siter, tout superstitieux qu'il f&ucirc;t&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;J'irai, dit-il, quand il devrait faire plus noir dans la fosse que dans le tr&eacute;fonds de l'enfer&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et il commen&ccedil;a &agrave; descendre la longue suite d'&eacute;chelles, qui s'enfon&ccedil;aient dans le sombre puits.</p>
+
+<p>Il fallait que Jack Ryan n'e&ucirc;t point perdu de ses anciennes habitudes de mineur, et qu'il conn&ucirc;t bien la fosse Dochart, pour se hasarder ainsi. Il descendait prudemment d'ailleurs. Son pied t&acirc;tait chaque &eacute;chelon, dont quelques-uns &eacute;taient vermoulus. Tout faux pas e&ucirc;t entra&icirc;n&eacute; une chute mortelle, dans ce vide de quinze cents pieds. Jack Ryan comptait donc chacun des paliers qu'il quittait successivement pour atteindre un &eacute;tage inf&eacute;rieur. Il savait que son pied ne toucherait la semelle de la fosse qu'apr&egrave;s avoir d&eacute;pass&eacute; le trenti&egrave;me. Une fois l&agrave;, il ne serait pas g&ecirc;n&eacute;, pensait-il, de retrouver le cottage, b&acirc;ti, comme on sait, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la galerie principale.</p>
+
+<p>Jack Ryan arriva ainsi au vingt-sixi&egrave;me palier, et, par cons&eacute;quent, deux cents pieds, au plus, le s&eacute;paraient alors du fond.</p>
+
+<p>A cet endroit, il baissa la jambe pour chercher le premier &eacute;chelon de la vingt-septi&egrave;me &eacute;chelle. Mais sa jambe, se balan&ccedil;ant dans le vide, ne trouva aucun point d'appui.</p>
+
+<p>Jack Ryan s'agenouilla sur le palier. Il voulut saisir avec la main l'extr&eacute;mit&eacute; de l'&eacute;chelle... Ce fut en vain.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait &eacute;vident que la vingt-septi&egrave;me &eacute;chelle ne se trouvait pas &agrave; sa place, et, par cons&eacute;quent, qu'elle avait &eacute;t&eacute; retir&eacute;e.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Il faut que le vieux Nick ait pass&eacute; par l&agrave;&nbsp;!&nbsp;&raquo; se dit-il, non sans &eacute;prouver un certain sentiment d'effroi.</p>
+
+<p>Debout, les bras crois&eacute;s, voulant toujours percer cette ombre imp&eacute;n&eacute;trable, Jack Ryan attendit. Puis, il lui vint &agrave; la pens&eacute;e que, si lui ne pouvait descendre, les habitants de la houill&egrave;re, eux, n'avaient pu remonter. Il n'existait plus, en effet, aucune communication entre le sol du comt&eacute; et les profondeurs de la fosse. Si cet enl&egrave;vement des &eacute;chelles inf&eacute;rieures du puits Yarow avait &eacute;t&eacute; pratiqu&eacute; depuis sa derni&egrave;re visite au cottage, qu'&eacute;taient devenus Simon Ford, sa femme, son fils et l'ing&eacute;nieur&nbsp;? L'absence prolong&eacute;e de James Starr prouvait &eacute;videmment qu'il n'avait pas quitt&eacute; la fosse depuis le jour o&ugrave; Jack Ryan s'&eacute;tait crois&eacute; avec lui dans le puits Yarow. Comment, depuis lors, s'&eacute;tait fait le ravitaillement du cottage&nbsp;? Les vivres n'avaient-ils pas manqu&eacute; &agrave; ces malheureux, emprisonn&eacute;s &agrave; quinze cents pieds sous terre&nbsp;?</p>
+
+<p>Toutes ces pens&eacute;es travers&egrave;rent l'esprit de Jack Ryan. Il vit bien qu'il ne pouvait rien par lui-m&ecirc;me pour arriver jusqu'au cottage. Y avait-il eu malveillance dans ce fait que les communications &eacute;taient interrompues&nbsp;? cela ne lui paraissait pas douteux. En tout cas, les magistrats aviseraient, mais il fallait les pr&eacute;venir au plus vite.</p>
+
+<p>Jack Ryan se pencha au-dessus du palier.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry&nbsp;! Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; cria-t-il de sa voix puissante.</p>
+
+<p>Les &eacute;chos se renvoy&egrave;rent &agrave; plusieurs reprises le nom d'Harry, qui s'&eacute;teignit enfin dans les derni&egrave;res profondeurs du puits Yarow.</p>
+
+<p>Jack Ryan remonta rapidement les &eacute;chelles sup&eacute;rieures, et revit la lumi&egrave;re du jour. Il ne perdit pas un instant. Tout d'une traite, il regagna la gare de Callander. Il ne lui fallut attendre que quelques minutes le passage de l'express d'&Eacute;dimbourg, et, &agrave; trois heures de l'apr&egrave;s-midi, il se pr&eacute;sentait chez le lord-pr&eacute;v&ocirc;t de la capitale.</p>
+
+<p>L&agrave;, sa d&eacute;claration fut re&ccedil;ue. Les d&eacute;tails pr&eacute;cis qu'il donna ne permettaient pas de soup&ccedil;onner sa v&eacute;racit&eacute;. Sir W. Elphiston, pr&eacute;sident de Royal Institution, non seulement coll&egrave;gue, mais ami particulier de James Starr, fut aussit&ocirc;t averti, et il demanda &agrave; diriger les recherches qui allaient &ecirc;tre faites sans d&eacute;lai &agrave; la fosse Dochart. On mit &agrave; sa disposition plusieurs agents, qui se munirent de lampes, de pics, de longues &eacute;chelles de corde, sans oublier vivres et cordiaux. Puis, conduits par Jack Ryan, tous prirent imm&eacute;diatement le chemin des houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Le soir m&ecirc;me, Sir W. Elphiston, Jack Ryan et les agents arriv&egrave;rent &agrave; l'orifice du puits Yarow, et ils descendirent jusqu'au vingt-septi&egrave;me palier, sur lequel Jack s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute;, quelques heures auparavant.</p>
+
+<p>Les lampes, attach&eacute;es au bout de longues cordes, furent envoy&eacute;es dans les profondeurs du puits, et l'on put alors constater que les quatre derni&egrave;res &eacute;chelles manquaient.</p>
+
+<p>Nul doute que toute communication entre le dedans et le dehors de la fosse Dochart n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; intentionnellement rompue.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Qu'attendons-nous, monsieur&nbsp;? demanda l'impatient Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Nous attendons que ces lampes soient remont&eacute;es, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit Sir W. Elphiston. Puis, nous descendrons jusqu'au sol de la derni&egrave;re galerie, et tu nous conduiras...</p>
+
+<p>&mdash; Au cottage, s'&eacute;cria Jack Ryan, et, s'il le faut, jusque dans les derniers ab&icirc;mes de la fosse&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>D&egrave;s que les lampes eurent &eacute;t&eacute; retir&eacute;es, les agents fix&egrave;rent au palier les &eacute;chelles de corde, qui se d&eacute;roul&egrave;rent dans le puits. Les paliers inf&eacute;rieurs subsistaient encore. On put descendre de l'un &agrave; l'autre.</p>
+
+<p>Cela ne se fit pas sans de grandes difficult&eacute;s. Jack Ryan, le premier, s'&eacute;tait suspendu &agrave; ces &eacute;chelles vacillantes, et, le premier, il atteignit le fond de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Sir W. Elphiston et les agents l'eurent bient&ocirc;t rejoint.</p>
+
+<p>Le rond-point, form&eacute; par le fond du puits Yarow, &eacute;tait absolument d&eacute;sert, mais Sir W. Elphiston ne fut pas m&eacute;diocrement surpris d'entendre Jack Ryan s'&eacute;crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voici quelques fragments des &eacute;chelles, et ce sont des fragments &agrave; demi br&ucirc;l&eacute;s&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Br&ucirc;l&eacute;s&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta Sir W. Elphiston. En effet, voil&agrave; des cendres refroidies depuis longtemps&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Pensez-vous, monsieur, demanda Jack Ryan, que l'ing&eacute;nieur James Starr ait eu int&eacute;r&ecirc;t &agrave; br&ucirc;ler ces &eacute;chelles et &agrave; interrompre toute communication avec le dehors&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit Sir W. Elphiston, qui demeura pensif. Allons, mon gar&ccedil;on, au cottage&nbsp;! C'est l&agrave; que nous saurons la v&eacute;rit&eacute;.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Jack Ryan hocha la t&ecirc;te, en homme peu convaincu. Mais, prenant une lampe des mains d'un agent, il s'avan&ccedil;a rapidement &agrave; travers la galerie principale de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Tous le suivaient.</p>
+
+<p>Un quart d'heure plus tard, Sir W. Elphiston et ses compagnons avaient atteint l'excavation au fond de laquelle &eacute;tait b&acirc;ti le cottage de Simon Ford. Aucune lumi&egrave;re n'en &eacute;clairait les fen&ecirc;tres.</p>
+
+<p>Jack Ryan se pr&eacute;cipita vers la porte, qu'il repoussa vivement.</p>
+
+<p>Le cottage &eacute;tait abandonn&eacute;.</p>
+
+<p>On visita les chambres de la sombre habitation. Nulle trace de violence &agrave; l'int&eacute;rieur. Tout &eacute;tait en ordre, comme si la vieille Madge e&ucirc;t encore &eacute;t&eacute; l&agrave;. La r&eacute;serve de vivres &eacute;tait m&ecirc;me abondante, et e&ucirc;t suffi pendant plusieurs jours &agrave; la famille Ford.</p>
+
+<p>L'absence des h&ocirc;tes du cottage &eacute;tait donc inexplicable. Mais pouvait-on constater d'une mani&egrave;re pr&eacute;cise &agrave; quelle &eacute;poque ils l'avaient quitt&eacute;&nbsp;? &mdash; Oui, car, dans ce milieu o&ugrave; ne se succ&eacute;daient ni les nuits, ni les jours, Madge avait coutume de marquer d'une croix chaque quanti&egrave;me de son calendrier.</p>
+
+<p>Ce calendrier &eacute;tait suspendu au mur de la salle. Or, la derni&egrave;re croix avait &eacute;t&eacute; faite &agrave; la date du 6 d&eacute;cembre, c'est-&agrave;-dire un jour apr&egrave;s l'arriv&eacute;e de James Starr, &mdash; ce que Jack Ryan fut en mesure d'affirmer. Il &eacute;tait donc manifeste que depuis le 6 d&eacute;cembre, c'est-&agrave;-dire depuis dix jours, Simon Ford, sa femme, son fils et son h&ocirc;te avaient quitt&eacute; le cottage. Une nouvelle exploration de la fosse, entreprise par l'ing&eacute;nieur, pouvait-elle donner la raison d'une si longue absence&nbsp;? Non, &eacute;videmment.</p>
+
+<p>Ainsi, du moins, le pensa Sir W. Elphiston. Apr&egrave;s avoir minutieusement inspect&eacute; le cottage, il fut tr&egrave;s embarrass&eacute; sur ce qu'il convenait de faire.</p>
+
+<p>L'obscurit&eacute; &eacute;tait profonde. L'&eacute;clat des lampes, balanc&eacute;es aux mains des agents, &eacute;toilait seulement ces imp&eacute;n&eacute;trables t&eacute;n&egrave;bres.</p>
+
+<p>Soudain, Jack Ryan poussa un cri.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;L&agrave;&nbsp;! l&agrave;&nbsp;!&nbsp;&raquo; dit-il.</p>
+
+<p>Et son doigt montrait une assez vive lueur, qui s'agitait dans l'obscur lointain de la galerie.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mes amis, courons sur ce feu&nbsp;! r&eacute;pondit Sir W. Elphiston.</p>
+
+<p>&mdash; Un feu de brawnie&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. A quoi bon&nbsp;? Nous ne l'atteindrons jamais&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le pr&eacute;sident de Royal Institution et les agents, peu enclins &agrave; la cr&eacute;dulit&eacute;, s'&eacute;lanc&egrave;rent dans la direction indiqu&eacute;e par la lueur mouvante. Jack Ryan, prenant bravement son parti, ne resta pas le dernier en route.</p>
+
+<p>Ce fut une longue et fatigante poursuite. Le falot lumineux semblait port&eacute; par un &ecirc;tre de petite taille, mais singuli&egrave;rement agile. A chaque instant, cet &ecirc;tre disparaissait derri&egrave;re quelque remblai; puis, on le revoyait au fond d'une galerie transversale. De rapides crochets le mettaient ensuite hors de vue. Il semblait avoir d&eacute;finitivement disparu, et, soudain, la lueur de son falot jetait de nouveau un vif &eacute;clat. En somme, on gagnait peu sur lui, et Jack Ryan persistait &agrave; croire, non sans raison, qu'on ne l'atteindrait pas.</p>
+
+<p>Pendant une heure de cette inutile poursuite, Sir W. Elphiston et ses compagnons s'enfonc&egrave;rent dans la portion sud-ouest de la fosse Dochart. Ils en arrivaient, eux aussi, &agrave; se demander s'ils n'avaient pas affaire &agrave; quelque follet insaisissable.</p>
+
+<p>A ce moment, cependant, il sembla que la distance commen&ccedil;ait &agrave; diminuer entre le follet et ceux qui cherchaient &agrave; l'atteindre. &Eacute;tait-ce fatigue de l'&ecirc;tre quelconque qui fuyait, ou cet &ecirc;tre voulait-il attirer Sir W. Elphiston et ses compagnons l&agrave; o&ugrave; les habitants du cottage avaient peut-&ecirc;tre &eacute;t&eacute; attir&eacute;s eux-m&ecirc;mes&nbsp;? Il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; malais&eacute; de r&eacute;soudre la question.</p>
+
+<p>Toutefois, les agents, voyant s'amoindrir cette distance redoubl&egrave;rent leurs efforts. La lueur, qui avait toujours brill&eacute; &agrave; plus de deux cents pas en avant d'eux, se tenait maintenant &agrave; moins de cinquante. Cet intervalle diminua encore. Le porteur du falot devint plus visible. Quelquefois, lorsqu'il retournait la t&ecirc;te, on pouvait reconna&icirc;tre le vague profil d'une figure humaine, et, &agrave; moins qu'un lutin n'e&ucirc;t pris cette forme, Jack Ryan &eacute;tait forc&eacute; de convenir qu'il ne s'agissait point l&agrave; d'un &ecirc;tre surnaturel.</p>
+
+<p>Et alors, tout en courant plus vite&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hardi, camarades&nbsp;! criait-il. Il se fatigue&nbsp;! Nous l'atteindrons bient&ocirc;t, et, s'il parle aussi bien qu'il d&eacute;tale, il pourra nous en dire long&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cependant, la poursuite devenait plus difficile alors. En effet, au milieu des derni&egrave;res profondeurs de la fosse, d'&eacute;troits tunnels s'entrecroisaient comme les all&eacute;es d'un labyrinthe. Dans ce d&eacute;dale, le porteur du falot pouvait ais&eacute;ment &eacute;chapper aux agents.</p>
+
+<p>Il lui suffisait d'&eacute;teindre sa lanterne et de se jeter de c&ocirc;t&eacute; au fond de quelque refuge obscur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et, au fait, pensait Sir W. Elphiston, s'il veut nous &eacute;chapper, pourquoi ne le fait-il pas&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Cet &ecirc;tre insaisissable ne l'avait pas fait jusqu'alors; mais, au moment o&ugrave; cette pens&eacute;e traversait l'esprit de Sir W. Elphiston, la lueur disparut subitement, et les agents, continuant leur poursuite, arriv&egrave;rent presque aussit&ocirc;t devant une &eacute;troite ouverture que les roches schisteuses laissaient entre elles, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; d'un &eacute;troit boyau.</p>
+
+<p>S'y glisser, apr&egrave;s avoir raviv&eacute; leurs lampes, s'&eacute;lancer &agrave; travers cet orifice qui s'ouvrait devant eux, ce fut pour Sir W. Elphiston, Jack Ryan et leurs compagnons l'affaire d'un instant.</p>
+
+<p>Mais ils n'avaient pas fait cent pas dans une nouvelle galerie, plus large et plus haute, qu'ils s'arr&ecirc;taient soudain.</p>
+
+<p>L&agrave;, pr&egrave;s de la paroi, quatre corps &eacute;taient &eacute;tendus sur le sol, quatre cadavres peut-&ecirc;tre&nbsp;!</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;James Starr&nbsp;! dit Sir W. Elphiston.</p>
+
+<p>&mdash; Harry&nbsp;! Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Jack Ryan, en se pr&eacute;cipitant sur le corps de son camarade.</p>
+
+<p>C'&eacute;taient, en effet, l'ing&eacute;nieur, Madge, Simon et Harry Ford, qui &eacute;taient &eacute;tendus l&agrave;, sans mouvement.</p>
+
+<p>Mais, alors, l'un de ces corps se redressa, et l'on entendit la voix &eacute;puis&eacute;e de la vieille Madge murmurer ces mots&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eux&nbsp;! eux, d'abord&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Sir W. Elphiston, Jack Ryan, les agents, essay&egrave;rent de ranimer l'ing&eacute;nieur et ses compagnons, en leur faisant avaler quelques gouttes de cordial. Ils y r&eacute;ussirent presque aussit&ocirc;t. Ces infortun&eacute;s, s&eacute;questr&eacute;s depuis dix jours dans la Nouvelle-Aberfoyle, mouraient d'inanition.</p>
+
+<p>Et, s'ils n'avaient pas succomb&eacute; pendant ce long emprisonnement &mdash; James Starr l'apprit &agrave; Sir W. Elphiston &mdash;, c'est que trois fois ils avaient trouv&eacute; pr&egrave;s d'eux un pain et une cruche d'eau&nbsp;! Sans doute, l'&ecirc;tre secourable auquel ils devaient de vivre encore n'avait pas pu faire davantage&nbsp;!...</p>
+
+<p>Sir W. Elphiston se demanda si ce n'&eacute;tait pas l&agrave; l'&oelig;uvre de cet insaisissable follet qui venait de les attirer pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; l'endroit o&ugrave; gisaient James Starr et ses compagnons.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, l'ing&eacute;nieur, Madge, Simon et Harry Ford &eacute;taient sauv&eacute;s. Ils furent reconduits au cottage, en repassant par l'&eacute;troite issue que le porteur du falot semblait avoir voulu indiquer &agrave; Sir W. Elphiston.</p>
+
+<p>Et si James Starr et ses compagnons n'avaient pu retrouver l'orifice de la galerie que leur avait ouvert la dynamite, c'est que cet orifice avait &eacute;t&eacute; solidement bouch&eacute; au moyen de roches superpos&eacute;es, que, dans cette profonde obscurit&eacute;, ils n'avaient pu ni reconna&icirc;tre ni disjoindre.</p>
+
+<p>Ainsi donc, pendant qu'ils exploraient la vaste crypte, toute communication avait &eacute;t&eacute; volontairement ferm&eacute;e par une main ennemie entre l'ancienne et la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XIII</h4>
+
+<h4>Coal-city</h4>
+</center>
+
+<p>Trois ans apr&egrave;s les &eacute;v&eacute;nements qui viennent d'&ecirc;tre racont&eacute;s, les Guides Joanne ou Murray recommandaient, &laquo;&nbsp;comme grande attraction&nbsp;&raquo;, aux nombreux touristes qui parcouraient le comt&eacute; de Stirling, une visite de quelques heures aux houill&egrave;res de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Aucune mine, en n'importe quel pays du nouveau ou de l'ancien monde, ne pr&eacute;sentait un plus curieux aspect.</p>
+
+<p>Tout d'abord, le visiteur &eacute;tait transport&eacute; sans danger ni fatigue jusqu'au sol de l'exploitation, &agrave; quinze cents pieds au-dessous de la surface du comt&eacute;.</p>
+
+<p>En effet, &agrave; sept milles, dans le sud-ouest de Callander, un tunnel oblique, d&eacute;cor&eacute; d'une entr&eacute;e monumentale, avec tourelles, cr&eacute;neaux et m&acirc;chicoulis, affleurait le sol. Ce tunnel, &agrave; pente douce, largement &eacute;vid&eacute;, venait aboutir directement &agrave; cette crypte si singuli&egrave;rement creus&eacute;e dans le massif du sol &eacute;cossais.</p>
+
+<p>Un double railway, dont les wagons &eacute;taient mus par une force hydraulique, desservait, d'heure en heure, le village qui s'&eacute;tait fond&eacute; dans le sous-sol du comt&eacute;, sous le nom un peu ambitieux peut-&ecirc;tre de &laquo;&nbsp;Coal-city&nbsp;&raquo;, c'est-&agrave;-dire la Cit&eacute; du Charbon.</p>
+
+<p>Le visiteur, arriv&eacute; &agrave; Coal-city, se trouvait dans un milieu o&ugrave; l'&eacute;lectricit&eacute; jouait un r&ocirc;le de premier ordre, comme agent de chaleur et de lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>En effet, les puits d'a&eacute;ration, quoiqu'ils fussent nombreux, n'auraient pas pu m&ecirc;ler assez de jour &agrave; l'obscurit&eacute; profonde de la Nouvelle-Aberfoyle. Cependant, une lumi&egrave;re intense emplissait ce sombre milieu, o&ugrave; de nombreux disques &eacute;lectriques rempla&ccedil;aient le disque solaire. Suspendus sous l'intrados des vo&ucirc;tes, accroch&eacute;s aux piliers naturels, tous aliment&eacute;s par des courants continus que produisaient des machines &eacute;lectromagn&eacute;tiques &mdash; les uns soleils, les autres &eacute;toiles -, ils &eacute;clairaient largement ce domaine. Lorsque l'heure du repos arrivait, un interrupteur suffisait &agrave; produire artificiellement la nuit dans ces profonds ab&icirc;mes de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Tous ces appareils, grands ou petits, fonctionnaient dans le vide, c'est-&agrave;-dire que leurs arcs lumineux ne communiquaient aucunement avec l'air ambiant. Si bien que, pour le cas o&ugrave; l'atmosph&egrave;re e&ucirc;t &eacute;t&eacute; m&eacute;lang&eacute;e de grisou dans une proportion d&eacute;tonante, aucune explosion n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; &agrave; craindre. Aussi l'agent &eacute;lectrique &eacute;tait-il invariablement employ&eacute; &agrave; tous les besoins de la vie industrielle et de la vie domestique, aussi bien dans les maisons de Coal-city que dans les galeries exploit&eacute;es de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
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+<p>Il faut dire, avant tout, que les pr&eacute;visions de l'ing&eacute;nieur James Starr &mdash; en ce qui concernait l'exploitation de la nouvelle houill&egrave;re &mdash; n'avaient point &eacute;t&eacute; d&eacute;&ccedil;ues. La richesse des filons carbonif&egrave;res &eacute;tait incalculable. C'&eacute;tait dans l'ouest de la crypte, &agrave; un quart de mille de Coal-city, que les premi&egrave;res veines avaient &eacute;t&eacute; attaqu&eacute;es par le pic des mineurs. La cit&eacute; ouvri&egrave;re n'occupait donc pas le centre de l'exploitation. Les travaux du fond &eacute;taient directement reli&eacute;s aux travaux du jour par les puits d'a&eacute;ration et d'extraction, qui mettaient les divers &eacute;tages de la mine en communication avec le sol. Le grand tunnel, o&ugrave; fonctionnait le railway &agrave; traction hydraulique, ne servait qu'au transport des habitants de Coal-city.</p>
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+<p>On se rappelle quelle &eacute;tait la singuli&egrave;re conformation de cette vaste caverne, o&ugrave; le vieil overman et ses compagnons s'&eacute;taient arr&ecirc;t&eacute;s pendant leur premi&egrave;re exploration. L&agrave;, au-dessus de leur t&ecirc;te, s'arrondissait un d&ocirc;me de courbure ogivale. Les piliers qui le soutenaient allaient se perdre dans la vo&ucirc;te de schiste, &agrave; une hauteur de trois cents pieds, &mdash; hauteur presque &eacute;gale &agrave; celle du &laquo;&nbsp;Mammouth-D&ocirc;me&nbsp;&raquo;, des grottes du Kentucky.</p>
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+<p>On sait que cette &eacute;norme halle &mdash; la plus grande de tout l'hypog&eacute;e am&eacute;ricain &mdash; peut ais&eacute;ment contenir cinq mille personnes. Dans cette partie de la Nouvelle-Aberfoyle, c'&eacute;tait m&ecirc;me proportion et aussi m&ecirc;me disposition. Mais, au lieu des admirables stalactites de la c&eacute;l&egrave;bre grotte, le regard s'accrochait ici &agrave; des intumescences de filons carbonif&egrave;res, qui semblaient jaillir de toutes les parois sous la pression des failles schisteuses. On e&ucirc;t dit des rondes-bosses de jais dont les paillettes s'allumaient sous le rayonnement des disques.</p>
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+<p>Au-dessous de ce d&ocirc;me s'&eacute;tendait un lac comparable pour son &eacute;tendue &agrave; la mer Morte des &laquo;&nbsp;Mammouth-Caves&nbsp;&raquo;, &mdash; lac profond dont les eaux transparentes fourmillaient de poissons sans yeux, et auquel l'ing&eacute;nieur donna le nom de lac Malcolm.</p>
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+<p>C'&eacute;tait l&agrave;, dans cette immense excavation naturelle, que Simon Ford avait b&acirc;ti son nouveau cottage, et il ne l'e&ucirc;t pas &eacute;chang&eacute; pour le plus bel h&ocirc;tel de Princes-street, &agrave; &Eacute;dimbourg. Cette habitation &eacute;tait situ&eacute;e au bord du lac, et ses cinq fen&ecirc;tres s'ouvraient sur les eaux sombres, qui s'&eacute;tendaient au-del&agrave; de la limite du regard.</p>
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+<p>Deux mois apr&egrave;s, une seconde habitation s'&eacute;tait &eacute;lev&eacute;e dans le voisinage du cottage de Simon Ford. Ce fut celle de James Starr. L'ing&eacute;nieur s'&eacute;tait donn&eacute; corps et &acirc;me &agrave; la Nouvelle-Aberfoyle. Il avait, lui aussi, voulu l'habiter, et il fallait que ses affaires l'y obligeassent imp&eacute;rieusement pour qu'il consent&icirc;t &agrave; remonter au dehors. L&agrave;, en effet, il vivait au milieu de son monde de mineurs.</p>
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+<p>Depuis la d&eacute;couverte des nouveaux gisements, tous les ouvriers de l'ancienne houill&egrave;re s'&eacute;taient h&acirc;t&eacute;s d'abandonner la charme et la herse pour reprendre le pic ou la pioche. Attir&eacute;s par la certitude que le travail ne leur manquerait jamais, all&eacute;ch&eacute;s par les hauts prix que la prosp&eacute;rit&eacute; de l'exploitation allait permettre d'affecter &agrave; la main-d'&oelig;uvre, ils avaient abandonn&eacute; le dessus du sol pour le dessous, et s'&eacute;taient log&eacute;s dans la houill&egrave;re, qui, par sa disposition naturelle, se pr&ecirc;tait &agrave; cette installation.</p>
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+<p>Ces maisons de mineurs, construites en briques, s'&eacute;taient peu &agrave; peu dispos&eacute;es d'une fa&ccedil;on pittoresque, les unes sur les rives du lac Malcolm, les autres sous ces arceaux, qui semblaient faits pour r&eacute;sister &agrave; la pouss&eacute;e des vo&ucirc;tes comme les contreforts d'une cath&eacute;drale. Piqueurs qui abattent la roche, rouleurs qui transportent le charbon, conducteurs de travaux, boiseurs qui &eacute;tan&ccedil;onnent les galeries, cantonniers auxquels est confi&eacute;e la r&eacute;paration des voies, remblayeurs qui substituent la pierre &agrave; la houille dans les parties exploit&eacute;es, tous ces ouvriers enfin, qui sont plus sp&eacute;cialement employ&eacute;s aux travaux du fond, fix&egrave;rent leur domicile dans la Nouvelle-Aberfoyle et fond&egrave;rent peu &agrave; peu Coal-city, situ&eacute;e sous la pointe orientale du lac Katrine, dans le nord du comt&eacute; de Stirling.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait donc une sorte de village flamand, qui s'&eacute;tait &eacute;lev&eacute; sur les bords du lac Malcolm. Une chapelle, &eacute;rig&eacute;e sous l'invocation de Saint-Gilles, dominait tout cet ensemble du haut d'un &eacute;norme rocher, dont le pied se baignait dans les eaux de cette mer subterran&eacute;enne.</p>
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+<p>Lorsque ce bourg souterrain s'&eacute;clairait des vifs rayons projet&eacute;s par les disques, suspendus aux piliers du d&ocirc;me ou aux arceaux des contre-nefs, il se pr&eacute;sentait sous un aspect quelque peu fantastique, d'un effet &eacute;trange, qui justifiait la recommandation des Guides Murray ou Joanne. C'est pourquoi les visiteurs affluaient.</p>
+
+<p>Si les habitants de Coal-city se montraient fiers de leur installation, cela va sans dire. Aussi ne quittaient-ils que rarement la cit&eacute; ouvri&egrave;re, imitant en cela Simon Ford, qui, lui, n'en voulait jamais sortir. Le vieil overman pr&eacute;tendait qu'il pleuvait toujours &laquo;&nbsp;l&agrave;-haut&nbsp;&raquo;, et, &eacute;tant donn&eacute; le climat du Royaume-Uni, il faut convenir qu'il n'avait pas absolument tort. Les familles de la Nouvelle-Aberfoyle prosp&eacute;raient donc. Depuis trois ans, elles &eacute;taient arriv&eacute;es &agrave; une certaine aisance, qu'elles n'eussent jamais obtenue &agrave; la surface du comt&eacute;. Bien des b&eacute;b&eacute;s, qui &eacute;taient n&eacute;s &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; les travaux furent repris, n'avaient encore jamais respir&eacute; l'air ext&eacute;rieur.</p>
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+<p>Ce qui faisait dire &agrave; Jack Ryan&nbsp;:</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; dix-huit mois qu'ils ont cess&eacute; de t&eacute;ter leurs m&egrave;res, et, pourtant, ils n'ont pas encore vu le jour&nbsp;!&nbsp;&raquo; Il faut noter, &agrave; ce propos, qu'un des premiers accourus &agrave; l'appel de l'ing&eacute;nieur avait &eacute;t&eacute; Jack Ryan. Ce joyeux compagnon s'&eacute;tait fait un devoir de reprendre son ancien m&eacute;tier. La ferme de Melrose avait donc perdu son chanteur et son piper ordinaire. Mais ce n'est pas dire que Jack Ryan ne chantait plus. Au contraire, et les &eacute;chos sonores de la Nouvelle-Aberfoyle usaient leurs poumons de pierre &agrave; lui r&eacute;pondre.</p>
+
+<p>Jack Ryan s'&eacute;tait install&eacute; au nouveau cottage de Simon Ford. On lui avait offert une chambre qu'il avait accept&eacute;e sans fa&ccedil;on, en homme simple et franc qu'il &eacute;tait. La vieille Madge l'aimait pour son bon caract&egrave;re et sa belle humeur. Elle partageait tant soit peu ses id&eacute;es au sujet des &ecirc;tres fantastiques qui devaient hanter la houill&egrave;re, et, tous deux, quand ils &eacute;taient seuls, se racontaient des histoires &agrave; faire fr&eacute;mir, histoires bien dignes d'enrichir la mythologie hyperbor&eacute;enne.</p>
+
+<p>Jack Ryan devint ainsi la joie du cottage. C'&eacute;tait, d'ailleurs, un bon sujet, un solide ouvrier. Six mois apr&egrave;s la reprise des travaux, il &eacute;tait chef d'une brigade des travaux du fond.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; qui est bien travaill&eacute;, monsieur Ford, disait-il, quelques jours apr&egrave;s son installation. vous avez trouv&eacute; un nouveau filon, et, si vous avez failli payer de votre vie cette d&eacute;couverte, eh bien, ce n'est pas trop cher&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, c'est m&ecirc;me un bon march&eacute; que nous avons fait l&agrave;&nbsp;! r&eacute;pondit le vieil overman. Mais ni M. Starr, ni moi, nous n'oublierons que c'est &agrave; toi que nous devons la vie&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais non, reprit Jack Ryan. C'est &agrave; votre fils Harry, puisqu'il a eu la bonne pens&eacute;e d'accepter mon invitation pour la f&ecirc;te d'Irvine...</p>
+
+<p>&mdash; Et de n'y point aller, n'est-ce pas&nbsp;? r&eacute;pliqua Harry, en serrant la main de son camarade. Non, Jack, c'est &agrave; toi, &agrave; peine remis de tes blessures, &agrave; toi, qui n'as perdu ni un jour, ni une heure, que nous devons d'avoir &eacute;t&eacute; retrouv&eacute;s vivants dans la houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, non&nbsp;! riposta l'ent&ecirc;t&eacute; gar&ccedil;on. Je ne laisserai pas dire des choses qui ne sont point&nbsp;! J'ai pu faire diligence pour savoir ce que tu &eacute;tais devenu, Harry, et voil&agrave; tout. Mais, afin de rendre &agrave; chacun ce qui lui est d&ucirc;, j'ajouterai que sans cet insaisissable lutin...</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! nous y voil&agrave;&nbsp;! s'&eacute;cria Simon Ford. Un lutin&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Un lutin, un brawnie, un fils de f&eacute;e, r&eacute;p&eacute;ta Jack Ryan, un petit-fils des Dames de feu, un Urisk, ce que vous voudrez enfin&nbsp;! Il n'en est pas moins certain que, sans lui, nous n'aurions jamais p&eacute;n&eacute;tr&eacute; dans la galerie, d'o&ugrave; vous ne pouviez plus sortir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Sans doute, Jack, r&eacute;pondit Harry. Il reste &agrave; savoir si cet &ecirc;tre est aussi surnaturel que tu veux le croire.</p>
+
+<p>&mdash; Surnaturel&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. Mais il est aussi surnaturel qu'un follet, qu'on verrait courir son falot &agrave; la main, qu'on voudrait attraper, qui vous &eacute;chapperait comme un sylphe, qui s'&eacute;vanouirait comme une ombre&nbsp;! Sois tranquille, Harry, on le reverra un jour ou l'autre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, Jack, dit Simon Ford, follet ou non, nous chercherons &agrave; le retrouver, et il faudra que tu nous aides &agrave; cela.</p>
+
+<p>&mdash; Vous vous ferez l&agrave; une mauvaise affaire, monsieur Ford&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Bon&nbsp;! laisse venir, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On se figure ais&eacute;ment combien ce domaine de la Nouvelle Aberfoyle devint bient&ocirc;t familier aux membres de la famille Ford, et plus particuli&egrave;rement &agrave; Harry. Celui-ci apprit &agrave; en conna&icirc;tre les plus secrets d&eacute;tours. Il en arriva m&ecirc;me &agrave; pouvoir dire &agrave; quel point de la surface du sol correspondait tel ou tel point de la houill&egrave;re. Il savait qu'au-dessus de cette couche se d&eacute;veloppait le golfe de Clyde, que l&agrave; s'&eacute;tendait le lac Lomond ou le lac Katrine. Ces piliers, c'&eacute;tait un contrefort des monts Grampians qu'ils supportaient. Cette vo&ucirc;te, elle servait de soubassement &agrave; Dumbarton. Au-dessus de ce large &eacute;tang passait le railway de Balloch. L&agrave; finissait le littoral &eacute;cossais. L&agrave; commen&ccedil;ait la mer, dont on entendait distinctement les fracas, pendant les grandes tourmentes de l'&eacute;quinoxe. Harry e&ucirc;t &eacute;t&eacute; un merveilleux &laquo;&nbsp;leader&nbsp;&raquo; de ces catacombes naturelles, et, ce que font les guides des Alpes sur les sommets neigeux, en pleine lumi&egrave;re, il l'e&ucirc;t fait dans la houill&egrave;re, en pleine ombre, avec une incomparable s&ucirc;ret&eacute; d'instinct.</p>
+
+<p>Aussi l'aimait-il, cette Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;! Que de fois, sa lampe au chapeau, il s'aventurait jusque dans ses plus extr&ecirc;mes profondeurs&nbsp;! Il explorait ses &eacute;tangs sur un canot qu'il man&oelig;uvrait adroitement. Il chassait m&ecirc;me, car de nombreux oiseaux sauvages s'&eacute;taient introduits dans la crypte, pilets, b&eacute;cassines, macreuses, qui se nourrissaient des poissons dont fourmillaient ces eaux noires. Il semblait que les yeux d'Harry fussent faits aux espaces sombres, comme les yeux d'un marin aux horizons &eacute;loign&eacute;s.</p>
+
+<p>Mais, courant ainsi, Harry &eacute;tait comme irr&eacute;sistiblement entra&icirc;n&eacute; par l'espoir de retrouver l'&ecirc;tre myst&eacute;rieux, dont l'intervention, pour dire le vrai, l'avait sauv&eacute; plus que toute autre, et les siens avec lui. R&eacute;ussirait-il&nbsp;? Oui, &agrave; n'en pas douter, s'il en croyait ses pressentiments. Non, s'il fallait conclure du peu de succ&egrave;s que ses recherches avaient obtenu jusqu'alors.</p>
+
+<p>Quant aux attaques dirig&eacute;es contre la famille du vieil overman, avant la d&eacute;couverte de la Nouvelle-Aberfoyle, elles ne s'&eacute;taient pas renouvel&eacute;es.</p>
+
+<p>Ainsi allaient les choses dans cet &eacute;trange domaine.</p>
+
+<p>Il ne faudrait pas s'imaginer que, m&ecirc;me &agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; les lin&eacute;aments de Coal-city se dessinaient &agrave; peine, toute distraction f&ucirc;t &eacute;cart&eacute;e de la souterraine cit&eacute;, et que l'existence y f&ucirc;t monotone.</p>
+
+<p>Il n'en &eacute;tait rien. Cette population, ayant m&ecirc;mes int&eacute;r&ecirc;ts, m&ecirc;mes go&ucirc;ts, &agrave; peu pr&egrave;s m&ecirc;me somme d'aisance, constituait, &agrave; vrai dire, une grande famille. On se connaissait, on se coudoyait, et le besoin d'aller chercher quelques plaisirs au-dehors se faisait peu sentir.</p>
+
+<p>D'ailleurs, chaque dimanche, promenades dans la houill&egrave;re, excursions sur les lacs et les &eacute;tangs, c'&eacute;taient autant d'agr&eacute;ables distractions.</p>
+
+<p>Souvent aussi, on entendait les sons de la cornemuse retentir sur les bords du lac Malcolm. Les &Eacute;cossais accouraient &agrave; l'appel de leur instrument national. On dansait, et ce jour-l&agrave;, Jack Ryan, rev&ecirc;tu de son costume de Highlander, &eacute;tait le roi de la f&ecirc;te.</p>
+
+<p>Enfin, de tout cela il r&eacute;sultait, au dire de Simon Ford, que Coal-city pouvait d&eacute;j&agrave; se poser en rivale de la capitale de l'&Eacute;cosse, de cette cit&eacute; soumise aux froids de l'hiver, aux chaleurs de l'&eacute;t&eacute;, aux intemp&eacute;ries d'un climat d&eacute;testable, et qui, dans une atmosph&egrave;re encrass&eacute;e de la fum&eacute;e de ses usines, justifiait trop justement son surnom de &laquo;&nbsp;Vieille-Enfum&eacute;e &nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XIV</h4>
+
+<h4>Suspendu &agrave; un fil</h4>
+</center>
+
+<p>Dans de telles conditions, ses plus chers d&eacute;sirs satisfaits, la famille de Simon Ford &eacute;tait heureuse. Cependant, on e&ucirc;t pu observer qu'Harry, d&eacute;j&agrave; d'un caract&egrave;re un peu sombre, &eacute;tait de plus en plus &laquo;&nbsp;en dedans&nbsp;&raquo;, comme disait Madge. Jack Ryan, malgr&eacute; sa bonne humeur si communicative, ne parvenait pas &agrave; le mettre &laquo;&nbsp;en dehors&nbsp;&raquo;.</p>
+
+<p>Un dimanche &mdash; c'&eacute;tait au mois de juin &mdash;, les deux amis se promenaient sur les bords du lac Malcolm. Coal-city ch&ocirc;mait. A l'ext&eacute;rieur, le temps &eacute;tait orageux. De violentes pluies faisaient sortir de la terre une bu&eacute;e chaude. On ne respirait pas &agrave; la surface du comt&eacute;.</p>
+
+<p>Au contraire, &agrave; Coal-city, calme absolu, temp&eacute;rature douce, ni pluie ni vent. Rien n'y transpirait de la lutte des &eacute;l&eacute;ments du dehors. Aussi, un certain nombre de promeneurs de Stirling et des environs &eacute;taient-ils venus chercher un peu de fra&icirc;cheur dans les profondeurs de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Les disques &eacute;lectriques jetaient un &eacute;clat qu'e&ucirc;t certainement envi&eacute; le soleil britannique, plus embrum&eacute; qu'il ne convient &agrave; un soleil des dimanches.</p>
+
+<p>Jack Ryan faisait remarquer ce tumultueux concours de visiteurs &agrave; son camarade Harry. Mais celui-ci ne semblait pr&ecirc;ter &agrave; ses paroles qu'une m&eacute;diocre attention.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Regarde donc, Harry&nbsp;! s'&eacute;criait Jack Ryan. Quel empressement &agrave; venir nous voir.&nbsp;! Allons, mon camarade&nbsp;! Chasse un peu tes id&eacute;es tristes pour mieux faire les honneurs de notre domaine&nbsp;! Tu donnerais &agrave; penser, &agrave; tous ces gens du dessus, que l'on peut envier leur sort&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jack, r&eacute;pondit Harry, ne t'occupe pas de moi&nbsp;! Tu es gai pour deux, et cela suffit&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Que le vieux Nick m'emporte&nbsp;! riposta Jack Ryan, si ta m&eacute;lancolie ne finit pas par d&eacute;teindre sur moi&nbsp;! Mes yeux se rembrunissent, mes l&egrave;vres se resserrent, le rire me reste au fond du gosier, la m&eacute;moire des chansons m'abandonne&nbsp;! voyons, Harry, qu'as-tu&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Tu le sais, Jack.</p>
+
+<p>&mdash; Toujours cette pens&eacute;e&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Toujours.</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! mon pauvre Harry&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan en haussant les &eacute;paules, si, comme moi, tu mettais tout cela sur le compte des lutins de la mine, tu aurais l'esprit plus tranquille&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tu sais bien, Jack, que les lutins n'existent que dans ton imagination, et que, depuis la reprise des travaux, on n'en a pas revu un seul dans la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>&mdash; Soit, Harry&nbsp;! mais, si les brawnies ne se montrent plus, il me semble que ceux auxquels tu veux rapporter toutes ces choses extraordinaires ne se montrent pas davantage&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je les retrouverai, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! Harry&nbsp;! Harry&nbsp;! Les g&eacute;nies de la Nouvelle-Aberfoyle ne sont pas faciles &agrave; surprendre&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je les retrouverai, tes pr&eacute;tendus g&eacute;nies&nbsp;! reprit Harry avec l'accent de la plus &eacute;nergique conviction.</p>
+
+<p>&mdash; Ainsi, tu pr&eacute;tends punir&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Punir et r&eacute;compenser, Jack. Si une main nous a emprisonn&eacute;s dans cette galerie, je n'oublie pas qu'une autre main nous a secourus&nbsp;! Non&nbsp;! je ne l'oublie pas&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! Harry&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan, es-tu bien s&ucirc;r que ces deux mains-l&agrave; n'appartiennent pas au m&ecirc;me corps&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pourquoi, Jack&nbsp;? D'o&ugrave; peut te venir cette id&eacute;e&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Dame... tu sais... Harry&nbsp;! Ces &ecirc;tres, qui vivent dans les ab&icirc;mes... ne sont pas faits comme nous&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ils sont faits comme nous, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh non&nbsp;! Harry... non... D'ailleurs, ne peut-on supposer que quelque fou est parvenu &agrave; s'introduire...</p>
+
+<p>&mdash; Un fou&nbsp;! r&eacute;pondit Harry&nbsp;! Un fou qui aurait une telle suite dans les id&eacute;es&nbsp;! Un fou, ce malfaiteur qui, depuis le jour o&ugrave; il a rompu les &eacute;chelles du puits Yarow, n'a cess&eacute; de nous faire du mal&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais il n'en fait plus, Harry. Depuis trois ans, aucun acte malveillant n'a &eacute;t&eacute; renouvel&eacute; ni contre toi, ni contre les tiens&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il n'importe, Jack, r&eacute;pondit Harry. J'ai le pressentiment que cet &ecirc;tre mauvais, quel qu'il soit, n'a pas renonc&eacute; &agrave; ses projets. Sur quoi je me fonde pour te parler ainsi, je ne pourrais le dire. Aussi, Jack, dans l'int&eacute;r&ecirc;t de la nouvelle exploitation, je veux savoir qui il est et d'o&ugrave; il vient.</p>
+
+<p>&mdash; Dans l'int&eacute;r&ecirc;t de la nouvelle exploitation&nbsp;?... demanda Jack Ryan, assez &eacute;tonn&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, reprit Harry. Je ne sais si je m'abuse, mais je vois dans toute cette affaire un int&eacute;r&ecirc;t contraire au n&ocirc;tre. J'y ai souvent song&eacute;, et je ne crois pas me tromper. Rappelle-toi la s&eacute;rie de ces faits inexplicables, qui s'encha&icirc;nent logiquement l'un &agrave; l'autre. Cette lettre anonyme, contradictoire de celle de mon p&egrave;re, prouve, tout d'abord, qu'un homme a eu connaissance de nos projets et qu'il a voulu en emp&ecirc;cher l'accomplissement. M. Starr vient nous rendre visite &agrave; la fosse Dochart. A peine l'y ai-je introduit, qu'une &eacute;norme pierre est lanc&eacute;e sur nous, et que toute communication est aussit&ocirc;t interrompue par la rupture des &eacute;chelles du puits Yarow. Notre exploration commence. Une exp&eacute;rience, qui doit r&eacute;v&eacute;ler l'existence du nouveau gisement, est alors rendue impossible par l'obturation des fissures du schiste. N&eacute;anmoins, la constatation s'op&egrave;re, le filon est trouv&eacute;. Nous revenons sur nos pas. Un grand souffle se produit dans l'air. Notre lampe est bris&eacute;e. L'obscurit&eacute; se fait autour de nous. Nous parvenons, cependant, &agrave; suivre la sombre galerie... Plus d'issue pour en sortir. L'orifice &eacute;tait bouch&eacute;. Nous &eacute;tions s&eacute;questr&eacute;s. Eh bien, Jack, ne vois-tu pas dans tout cela une pens&eacute;e criminelle&nbsp;? Oui&nbsp;! un &ecirc;tre, insaisissable jusqu'ici, mais non pas surnaturel, comme tu persistes &agrave; le croire, &eacute;tait cach&eacute; dans la houill&egrave;re. Dans un int&eacute;r&ecirc;t que je ne puis comprendre, il cherchait &agrave; nous en interdire l'acc&egrave;s. Il y &eacute;tait&nbsp;!... Un pressentiment me dit qu'il y est encore, et qui sait s'il ne pr&eacute;pare pas quelque coup terrible&nbsp;! &mdash; Eh bien, Jack, duss&eacute;-je y risquer ma vie, je le d&eacute;couvrirai&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry avait parl&eacute; avec une conviction qui &eacute;branla s&eacute;rieusement son camarade.</p>
+
+<p>Jack Ryan sentait bien qu'Harry avait raison, &mdash; au moins pour le pass&eacute;. Que ces faits extraordinaires eussent une cause naturelle ou surnaturelle, ils n'en &eacute;taient pas moins patents.</p>
+
+<p>Cependant, le brave gar&ccedil;on ne renon&ccedil;ait pas &agrave; sa mani&egrave;re d'expliquer ces &eacute;v&eacute;nements. Mais, comprenant qu'Harry n'admettrait jamais l'intervention d'un g&eacute;nie myst&eacute;rieux, il se rabattit sur l'incident qui semblait inconciliable avec le sentiment de malveillance dirig&eacute;e contre la famille Ford.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh bien, Harry, dit-il, si je suis oblig&eacute; de te donner raison sur un certain nombre de points, ne penseras-tu pas avec moi que quelque bienfaisant brawnie, en vous apportant le pain et l'eau, a pu vous sauver de...</p>
+
+<p>&mdash; Jack, r&eacute;pondit Harry en l'interrompant, l'&ecirc;tre secourable dont tu veux faire un &ecirc;tre surnaturel existe aussi r&eacute;ellement que le malfaiteur en question, et, tous deux, je les chercherai jusque dans les plus lointaines profondeurs de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>&mdash; Mais as-tu quelque indice qui puisse guider tes recherches&nbsp;? demanda Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Peut-&ecirc;tre, r&eacute;pondit Harry. &Eacute;coute-moi bien. A cinq milles dans l'ouest de la Nouvelle-Aberfoyle, sous la portion du massif qui supporte le Lomond, il existe un puits naturel qui s'enfonce perpendiculairement dans les entrailles m&ecirc;mes du gisement. Il y a huit jours, j'ai voulu en sonder la profondeur. Or, pendant que ma sonde descendait, alors que j'&eacute;tais pench&eacute; sur l'orifice de ce puits, il m'a sembl&eacute; que l'air s'agitait &agrave; l'int&eacute;rieur, comme s'il e&ucirc;t &eacute;t&eacute; battu de grands coups d'ailes.</p>
+
+<p>&mdash; C'&eacute;tait quelque oiseau &eacute;gar&eacute; dans les galeries inf&eacute;rieures de la houill&egrave;re, r&eacute;pondit Jack.</p>
+
+<p>&mdash; Ce n'est pas tout, Jack, reprit Harry. Ce matin m&ecirc;me, je suis retourn&eacute; &agrave; ce puits, et l&agrave;, pr&ecirc;tant l'oreille, j'ai cru surprendre comme une sorte de g&eacute;missement...</p>
+
+<p>&mdash; Un g&eacute;missement&nbsp;! s'&eacute;cria Jack. Tu t'es tromp&eacute;, Harry&nbsp;! C'est une pouss&eacute;e d'air.., &agrave; moins qu'un lutin...</p>
+
+<p>&mdash; Demain, Jack, reprit Harry, je saurai &agrave; quoi m'en tenir.</p>
+
+<p>&mdash; Demain&nbsp;? r&eacute;pondit Jack en regardant son camarade.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! Demain, je descendrai dans cet ab&icirc;me.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, c'est tenter Dieu, cela&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, car j'implorerai son aide pour y descendre. Demain, nous nous rendrons tous deux &agrave; ce puits avec quelques-uns de nos camarades. Une longue corde, &agrave; laquelle je m'attacherai, vous permettra de me descendre et de me retirer &agrave; un signal convenu. &mdash; Je puis compter sur toi, Jack&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Harry, r&eacute;pondit Jack Ryan en hochant la t&ecirc;te, je ferai ce que tu me demandes, et cependant, je te le r&eacute;p&egrave;te, tu as tort.</p>
+
+<p>&mdash; Mieux vaut avoir tort de faire que remords de n'avoir pas fait, dit Harry d'un ton d&eacute;cid&eacute;. Donc, demain matin, &agrave; six heures, et silence&nbsp;! Adieu, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et, pour ne pas continuer une conversation dans laquelle Jack Ryan e&ucirc;t encore essay&eacute; de combattre ses projets, Harry quitta brusquement son camarade et rentra au cottage.</p>
+
+<p>Il faut, cependant, convenir que les appr&eacute;hensions de Jack n'&eacute;taient point exag&eacute;r&eacute;es. Si quelque ennemi personnel mena&ccedil;ait Harry, s'il se trouvait au fond de ce puits o&ugrave; le jeune mineur allait le chercher, Harry s'exposait. Cependant, quelle vraisemblance d'admettre qu'il en f&ucirc;t ainsi&nbsp;?</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et, au surplus, r&eacute;p&eacute;tait Jack Ryan, pourquoi se donner tant de mal pour expliquer une s&eacute;rie de faits, qui s'expliquaient si ais&eacute;ment par une intervention surnaturelle des g&eacute;nies de la mine&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, le lendemain, Jack Ryan et trois mineurs de sa brigade arrivaient en compagnie d'Harry &agrave; l'orifice du puits suspect.</p>
+
+<p>Harry n'avait rien dit de son projet, ni &agrave; James Starr, ni au vieil overman. De son c&ocirc;t&eacute;, Jack Ryan avait &eacute;t&eacute; assez discret pour ne point parler. Les autres mineurs, en les voyant partir, avaient pens&eacute; qu'il ne s'agissait l&agrave; que d'une simple exploration du gisement suivant sa coupe verticale.</p>
+
+<p>Harry s'&eacute;tait muni d'une longue corde, mesurant deux cents pieds. Cette corde n'&eacute;tait pas grosse, mais elle &eacute;tait solide. Harry ne devant ni descendre ni remonter &agrave; la force des poignets, il suffisait que la corde f&ucirc;t assez forte pour supporter son poids. C'&eacute;tait &agrave; ses compagnons qu'incomberait la t&acirc;che de le laisser glisser dans le gouffre, &agrave; eux de l'en retirer. Une secousse, imprim&eacute;e &agrave; la corde, servirait de signal entre eux et lui.</p>
+
+<p>Le puits &eacute;tait assez large, ayant douze pieds de diam&egrave;tre &agrave; son orifice. Une poutre fut plac&eacute;e en travers, comme un pont, de mani&egrave;re que la corde, en glissant &agrave; sa surface, p&ucirc;t se maintenir dans l'axe du puits. Pr&eacute;caution indispensable &agrave; prendre pour qu'Harry ne f&ucirc;t pas heurt&eacute;, pendant la descente, aux parois lat&eacute;rales.</p>
+
+<p>Harry &eacute;tait pr&ecirc;t.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tu persistes dans ton projet d'explorer cet ab&icirc;me&nbsp;? lui demanda Jack Ryan &agrave; voix basse.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>La corde fut d'abord attach&eacute;e autour des reins d'Harry, puis sous ses aisselles, afin que son corps ne p&ucirc;t basculer.</p>
+
+<p>Ainsi maintenu, Harry &eacute;tait libre de ses deux mains. A sa ceinture, il suspendit une lampe de s&ucirc;ret&eacute;, &agrave; son c&ocirc;t&eacute;, un de ces larges couteaux &eacute;cossais qui sont engain&eacute;s dans un fourreau de cuir.</p>
+
+<p>Harry s'avan&ccedil;a jusqu'au milieu de la poutre, autour de laquelle la corde fut pass&eacute;e.</p>
+
+<p>Puis, ses compagnons le laissant glisser, il s'enfon&ccedil;a lentement dans le puits. Comme la corde subissait un l&eacute;ger mouvement de rotation, la lueur de sa lampe se portait successivement sur chaque point des parois, et Harry put les examiner avec soin.</p>
+
+<p>Ces parois &eacute;taient faites de schiste houiller. Elles &eacute;taient assez lisses pour qu'il f&ucirc;t impossible de se hisser &agrave; leur surface.</p>
+
+<p>Harry calcula qu'il descendait avec une vitesse mod&eacute;r&eacute;e, environ un pied par seconde. Il avait donc possibilit&eacute; de bien voir, facilit&eacute; de se tenir pr&ecirc;t &agrave; tout &eacute;v&eacute;nement.</p>
+
+<p>Au bout de deux minutes, c'est-&agrave;-dire &agrave; une profondeur de cent vingt pieds &agrave; peu pr&egrave;s, la descente s'&eacute;tait op&eacute;r&eacute;e sans incident. Il n'existait aucune galerie lat&eacute;rale dans la paroi du puits, lequel s'&eacute;tranglait peu &agrave; peu, en forme d'entonnoir. Mais Harry commen&ccedil;ait &agrave; sentir un air plus frais, qui venait d'en bas, &mdash; d'o&ugrave; il conclut que l'extr&eacute;mit&eacute; inf&eacute;rieure du puits communiquait avec quelque boyau de l'&eacute;tage inf&eacute;rieur de la crypte.</p>
+
+<p>La corde glissait toujours. L'obscurit&eacute; &eacute;tait absolue. Le silence, absolu aussi. Si un &ecirc;tre vivant, quel qu'il f&ucirc;t, avait cherch&eacute; refuge dans ce myst&eacute;rieux et profond ab&icirc;me, ou il n'y &eacute;tait pas alors, ou aucun mouvement ne trahissait sa pr&eacute;sence.</p>
+
+<p>Harry, plus d&eacute;fiant &agrave; mesure qu'il descendait, avait tir&eacute; le couteau de sa gaine, et il le tenait de sa main droite.</p>
+
+<p>A une profondeur de cent quatre-vingts pieds, Harry sentit qu'il avait atteint le sol inf&eacute;rieur, car la corde mollit et ne se d&eacute;roula plus. Harry respira un instant. Une des craintes qu'il avait pu concevoir ne s'&eacute;tait pas r&eacute;alis&eacute;e, c'est-&agrave;-dire que, pendant sa descente, la corde ne f&ucirc;t coup&eacute;e au-dessus de lui. Il n'avait, d'ailleurs, remarqu&eacute; aucune anfractuosit&eacute; dans les parois qui p&ucirc;t receler un &ecirc;tre quelconque.</p>
+
+<p>L'extr&eacute;mit&eacute; inf&eacute;rieure du puits &eacute;tait fort r&eacute;tr&eacute;cie.</p>
+
+<p>Harry, d&eacute;tachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne s'&eacute;tait pas tromp&eacute; dans ses conjectures.</p>
+
+<p>Un &eacute;troit boyau s'enfon&ccedil;ait lat&eacute;ralement dans l'&eacute;tage inf&eacute;rieur du gisement. Il e&ucirc;t fallu se courber pour y p&eacute;n&eacute;trer, et se tra&icirc;ner sur les mains pour le suivre.</p>
+
+<p>Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si elle aboutissait &agrave; quelque ab&icirc;me.</p>
+
+<p>Il se coucha sur le sol et commen&ccedil;a &agrave; ramper. Mais un obstacle l'arr&ecirc;ta presque aussit&ocirc;t.</p>
+
+<p>Il crut sentir au toucher que cet obstacle &eacute;tait un corps qui obstruait le passage.</p>
+
+<p>Harry recula, d'abord, par un vif sentiment de r&eacute;pulsion, puis il revint.</p>
+
+<p>Ses sens ne l'avaient pas tromp&eacute;. Ce qui l'avait arr&ecirc;t&eacute;, c'&eacute;tait, en effet, un corps. Il le saisit, et se rendit compte que, glac&eacute; aux extr&eacute;mit&eacute;s, il n'&eacute;tait pas encore refroidi tout &agrave; fait.</p>
+
+<p>L'attirer &agrave; soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la lumi&egrave;re de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu'il ne faut &agrave; le dire.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Un enfant&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Harry.</p>
+
+<p>L'enfant, retrouv&eacute; au fond de cet ab&icirc;me, respirait encore, mais son souffle &eacute;tait si faible qu'Harry put croire qu'il allait cesser. Il fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite cr&eacute;ature &agrave; l'orifice du puits, et la conduire au cottage, o&ugrave; Madge lui prodiguerait ses soins.</p>
+
+<p>Harry, oubliant toute autre pr&eacute;occupation, rajusta la corde &agrave; sa ceinture, y attacha sa lampe, prit l'enfant qu'il soutint de son bras gauche contre sa poitrine, et, gardant son bras droit libre et arm&eacute;, il fit le signal convenu, afin que la corde f&ucirc;t hal&eacute;e doucement.</p>
+
+<p>La corde se tendit, et la remont&eacute;e commen&ccedil;a &agrave; s'op&eacute;rer r&eacute;guli&egrave;rement.</p>
+
+<p>Harry regardait autour de lui avec un redoublement d'attention. Il n'&eacute;tait plus seul expos&eacute;, maintenant.</p>
+
+<p>Tout alla bien pendant les premi&egrave;res minutes de l'ascension, aucun incident ne semblait devoir survenir, lorsque Harry crut entendre un souffle puissant qui d&eacute;pla&ccedil;ait les couches d'air dans les profondeurs du puits. Il regarda au-dessous de lui et aper&ccedil;ut, dans la p&eacute;nombre, une masse, qui, s'&eacute;levant peu &agrave; peu, le fr&ocirc;la en passant.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait un &eacute;norme oiseau, dont il ne put reconna&icirc;tre l'esp&egrave;ce, et qui montait &agrave; grands coups d'ailes.</p>
+
+<p>Le monstrueux volatile s'arr&ecirc;ta, plana un instant, puis fondit sur Harry avec un acharnement f&eacute;roce.</p>
+
+<p>Harry n'avait que son bras droit dont il p&ucirc;t faire usage pour parer les coups du formidable bec de l'animal.</p>
+
+<p>Harry se d&eacute;fendit donc, tout en prot&eacute;geant l'enfant du mieux qu'il put. Mais ce n'&eacute;tait pas &agrave; l'enfant, c'&eacute;tait &agrave; lui que l'oiseau s'attaquait. G&ecirc;n&eacute; par la rotation de la corde, il ne parvenait pas &agrave; le frapper mortellement.</p>
+
+<p>La lutte se prolongeait. Harry cria de toute la force de ses poumons, esp&eacute;rant que ses cris seraient entendus d'en haut.</p>
+
+<p>C'est ce qui arriva, car la corde fut aussit&ocirc;t hal&eacute;e plus vite.</p>
+
+<p>Il restait encore une hauteur de quatre-vingts pieds &agrave; franchir. L'oiseau se jeta plus violemment alors sur Harry. Celui-ci, d'un coup de son couteau, le blessa &agrave; l'aile; l'oiseau, poussant un cri rauque, disparut dans les profondeurs du puits.</p>
+
+<p>Mais, circonstance terrible, Harry, en brandissant son couteau pour frapper l'oiseau, avait entam&eacute; la corde, dont un toron &eacute;tait maintenant coup&eacute;.</p>
+
+<p>Les cheveux d'Harry se dress&egrave;rent sur sa t&ecirc;te.</p>
+
+<p>La corde c&eacute;dait peu &agrave; peu, &agrave; plus de cent pieds au-dessus du fond de l'ab&icirc;me&nbsp;!...</p>
+
+<p>Harry poussa un cri d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;.</p>
+
+<p>Un second toron manqua sous le double fardeau que supportait la corde &agrave; demi tranch&eacute;e.</p>
+
+<p>Harry l&acirc;cha son couteau, et, par un effort surhumain, au moment o&ugrave; la corde allait se rompre, il parvint &agrave; la saisir de la main droite au-dessus de la section. Mais, bien que son poignet f&ucirc;t de fer, il sentit la corde glisser peu &agrave; peu entre ses doigts.</p>
+
+<p>Il aurait pu ressaisir cette corde &agrave; deux mains, en sacrifiant l'enfant qu'il soutenait d'un bras... Il n'y voulut m&ecirc;me pas penser.</p>
+
+<p>Cependant, Jack Ryan et ses compagnons, surexcit&eacute;s par les cris d'Harry, halaient plus vivement.</p>
+
+<p>Harry crut qu'il ne pourrait tenir bon jusqu'&agrave; ce qu'il f&ucirc;t remont&eacute; &agrave; l'orifice du puits. Sa face s'injecta. Il ferma un instant les yeux, s'attendant &agrave; tomber dans l'ab&icirc;me, puis il les rouvrit...</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; il allait l&acirc;cher la corde, qu'il ne tenait plus que par son extr&eacute;mit&eacute;, il fut saisi et d&eacute;pos&eacute; sur le sol avec l'enfant.</p>
+
+<p>La r&eacute;action se fit alors, et Harry tomba sans connaissance entre les bras de ses camarades.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XV</h4>
+
+<h4>Nell au cottage</h4>
+</center>
+
+<p>Deux heures apr&egrave;s, Harry, qui n'avait pas aussit&ocirc;t recouvr&eacute; ses sens, et l'enfant, dont la faiblesse &eacute;tait extr&ecirc;me, arrivaient au cottage avec l'aide de Jack Ryan et de ses compagnons.</p>
+
+<p>L&agrave;, le r&eacute;cit de ces &eacute;v&eacute;nements fut fait au vieil overman, et Madge prodigua ses soins &agrave; la pauvre cr&eacute;ature, que son fils venait de sauver.</p>
+
+<p>Harry avait cru retirer un enfant de l'ab&icirc;me... C'&eacute;tait une jeune fille de quinze &agrave; seize ans, au plus. Son regard vague et plein d'&eacute;tonnement, sa figure maigre, allong&eacute;e par la souffrance, son teint de blonde que la lumi&egrave;re ne semblait avoir jamais baign&eacute;, sa taille fr&ecirc;le et petite, tout en faisait un &ecirc;tre &agrave; la fois bizarre et charmant. Jack Ryan, avec quelque raison, la compara &agrave; un farfadet d'aspect un peu surnaturel. &Eacute;tait-ce d&ucirc; aux circonstances particuli&egrave;res, au milieu exceptionnel dans lequel cette jeune fille avait peut-&ecirc;tre v&eacute;cu jusqu'alors, mais elle paraissait n'appartenir qu'&agrave; demi &agrave; l'humanit&eacute;. Sa physionomie &eacute;tait &eacute;trange. Ses yeux, que l'&eacute;clat des lampes du cottage semblait fatiguer, regardaient confus&eacute;ment, comme si tout e&ucirc;t &eacute;t&eacute; nouveau pour eux.</p>
+
+<p>A cet &ecirc;tre singulier, alors d&eacute;pos&eacute; sur le lit de Madge et qui revint &agrave; la vie comme s'il sortait d'un long sommeil, la vieille &Eacute;cossaise adressa d'abord la parole&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Comment te nommes-tu&nbsp;? lui demanda-t-elle.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, r&eacute;pondit la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, reprit Madge, souffres-tu&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; J'ai faim, r&eacute;pondit Nell. Je n'ai pas mang&eacute; depuis... depuis...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A ce peu de mots qu'elle venait de prononcer, on sentait que Nell n'&eacute;tait pas habitu&eacute;e &agrave; parler. La langue dont elle se servait &eacute;tait ce vieux ga&eacute;lique, dont Simon Ford et les siens faisaient souvent usage.</p>
+
+<p>Sur la r&eacute;ponse de la jeune fille, Madge lui apporta aussit&ocirc;t quelques aliments. Nell se mourait de faim. Depuis quand &eacute;tait elle au fond de ce puits&nbsp;? on ne pouvait le dire.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Combien de jours as-tu pass&eacute;s l&agrave;-bas, ma fille&nbsp;?&nbsp;&raquo; demanda Madge.</p>
+
+<p>Nell ne r&eacute;pondit pas. Elle ne semblait pas comprendre la question qui lui &eacute;tait faite.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Depuis combien de jours&nbsp;?... reprit Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Jours&nbsp;?...&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Nell, pour qui ce mot semblait &ecirc;tre d&eacute;pourvu de toute signification.</p>
+
+<p>Puis, elle secoua la t&ecirc;te comme une personne qui ne comprend pas ce qu'on lui demande.</p>
+
+<p>Madge avait pris la main de Nell et la caressait pour lui donner toute confiance&nbsp;:.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Quel &acirc;ge as-tu, ma fille&nbsp;?&nbsp;&raquo; demanda-t-elle, en lui faisant de bons yeux, bien rassurants.</p>
+
+<p>M&ecirc;me signe n&eacute;gatif de Nell.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Oui, oui, reprit Madge, combien d'ann&eacute;es&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ann&eacute;es&nbsp;?...&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Nell.</p>
+
+<p>Et ce mot, pas plus que le mot &laquo;&nbsp;jour&nbsp;&raquo;, ne parut avoir de signification pour la jeune fille.</p>
+
+<p>Simon Ford, Harry, Jack Ryan et ses compagnons la regardaient avec un double sentiment de piti&eacute; et de sympathie. L'&eacute;tat de ce pauvre &ecirc;tre, v&ecirc;tu d'une mis&eacute;rable cotte de grosse &eacute;toffe, &eacute;tait bien fait pour les impressionner.</p>
+
+<p>Harry, plus que tout autre, se sentait irr&eacute;sistiblement attir&eacute; par l'&eacute;tranget&eacute; m&ecirc;me de Nell.</p>
+
+<p>Il s'approcha alors. Il prit dans sa main la main que Madge venait d'abandonner. Il regarda bien en face Nell, dont les l&egrave;vres &eacute;bauch&egrave;rent une sorte de sourire, et il lui dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell... l&agrave;-bas.., dans la houill&egrave;re... &eacute;tais-tu seule&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Seule&nbsp;! seule&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria la jeune fille en se redressant.</p>
+
+<p>Sa physionomie d&eacute;celait alors l'&eacute;pouvante. Ses yeux, qui s'&eacute;taient adoucis sous le regard du jeune homme, redevinrent sauvages.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Seule&nbsp;! seule&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;ta-t-elle, et elle retomba sur le lit de Madge, comme si les forces lui eussent manqu&eacute; tout &agrave; fait.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Cette pauvre enfant est encore trop faible pour nous r&eacute;pondre, dit Madge, apr&egrave;s avoir recouch&eacute; la jeune fille. Quelques heures de repos, un peu de bonne nourriture, lui rendront ses forces. Viens, Simon&nbsp;! viens, Harry&nbsp;! venez tous, mes amis, et laissons faire le sommeil&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Sur le conseil de Madge, Nell fut laiss&eacute;e seule, et on put s'assurer, un instant apr&egrave;s, qu'elle dormait profond&eacute;ment.</p>
+
+<p>Cet &eacute;v&eacute;nement n'alla pas sans faire grand bruit, non seulement dans la houill&egrave;re, mais aussi dans le comt&eacute; de Stirling, et, peu apr&egrave;s, dans tout le Royaume-Uni. Le renom d'&eacute;tranget&eacute; de Nell s'en accrut. On aurait trouv&eacute; une jeune fille enferm&eacute;e dans la roche schisteuse, comme un de ces &ecirc;tres ant&eacute;diluviens qu'un coup de pic d&eacute;livre de leur gangue de pierre, que l'affaire n'e&ucirc;t pas eu plus d'&eacute;clat.</p>
+
+<p>Sans le savoir, Nell devint fort &agrave; la mode. Les gens superstitieux trouv&egrave;rent l&agrave; un nouveau texte &agrave; leurs r&eacute;cits l&eacute;gendaires. Ils pensaient volontiers que Nell &eacute;tait le g&eacute;nie de la Nouvelle Aberfoyle, et lorsque Jack Ryan le disait &agrave; son camarade Harry&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Soit, r&eacute;pondait le jeune homme, pour conclure, soit, Jack&nbsp;! Mais, en tout cas, c'est le bon g&eacute;nie&nbsp;! C'est celui qui nous a secourus, qui nous a apport&eacute; le pain et l'eau, lorsque nous &eacute;tions emprisonn&eacute;s dans la houill&egrave;re&nbsp;! Ce ne peut &ecirc;tre que lui&nbsp;! Quant au mauvais g&eacute;nie, s'il est rest&eacute; dans la mine, il faudra bien que nous le d&eacute;couvrions un jour&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On le pense bien, l'ing&eacute;nieur James Starr avait &eacute;t&eacute; inform&eacute; tout d'abord de ce qui s'&eacute;tait pass&eacute;.</p>
+
+<p>La jeune fille, ayant recouvr&eacute; ses forces d&egrave;s le lendemain de son entr&eacute;e au cottage, fut interrog&eacute;e par lui avec la plus grande sollicitude. Elle lui parut ignorer la plupart des choses de la vie. Cependant, elle &eacute;tait intelligente, on le reconnut bient&ocirc;t, mais certaines notions &eacute;l&eacute;mentaires lui manquaient&nbsp;: celle du temps, entre autres. On voyait qu'elle n'avait &eacute;t&eacute; habitu&eacute;e &agrave; diviser le temps ni par heures, ni par jours, et que ces mots m&ecirc;mes lui &eacute;taient inconnus. En outre, ses yeux, accoutum&eacute;s &agrave; la nuit, se faisaient difficilement &agrave; l'&eacute;clat des disques &eacute;lectriques; mais, dans l'obscurit&eacute;, son regard poss&eacute;dait une extraordinaire acuit&eacute;, et sa pupille, largement dilat&eacute;e, lui permettait de voir au milieu des plus profondes t&eacute;n&egrave;bres. Il fut aussi constant que son cerveau n'avait jamais re&ccedil;u les impressions du monde ext&eacute;rieur, que nul autre horizon que celui de la houill&egrave;re ne s'&eacute;tait d&eacute;velopp&eacute; &agrave; ses yeux, que l'humanit&eacute; tout enti&egrave;re avait tenu pour elle dans cette sombre crypte. Savait-elle, cette pauvre fille, qu'il y e&ucirc;t un soleil et des &eacute;toiles, des villes et des campagnes, un univers dans lequel fourmillaient les mondes&nbsp;? On devait en douter jusqu'au moment o&ugrave; certains mots qu'elle ignorait encore prendraient dans son esprit une signification pr&eacute;cise.</p>
+
+<p>Quant &agrave; la question de savoir si Nell vivait seule dans les profondeurs de la Nouvelle-Aberfoyle, James Starr dut renoncer &agrave; la r&eacute;soudre. En effet, toute allusion &agrave; ce sujet jetait l'&eacute;pouvante dans cette &eacute;trange nature. Ou bien Nell ne pouvait, ou elle ne voulait pas r&eacute;pondre; mais, certainement, il existait l&agrave; quelque secret qu'elle e&ucirc;t pu d&eacute;voiler.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Veux-tu rester avec nous&nbsp;? veux-tu retourner l&agrave; o&ugrave; tu &eacute;tais&nbsp;?&nbsp;&raquo; lui avait demand&eacute; James Starr.</p>
+
+<p>A la premi&egrave;re de ces deux questions&nbsp;: &laquo;&nbsp;Oh oui&nbsp;!&nbsp;&raquo; avait dit la jeune fille. A la seconde, elle n'avait r&eacute;pondu que par un cri de terreur, mais rien de plus.</p>
+
+<p>Devant ce silence obstin&eacute;, James Starr, et avec lui Simon et Harry Ford, ne laissaient pas d'&eacute;prouver une certaine appr&eacute;hension. Ils ne pouvaient oublier les faits inexplicables qui avaient accompagn&eacute; la d&eacute;couverte de la houill&egrave;re. Or, bien que depuis trois ans aucun nouvel incident ne se f&ucirc;t produit, ils s'attendaient toujours &agrave; quelque nouvelle agression de la part de leur invisible ennemi. Aussi voulurent-ils explorer le puits myst&eacute;rieux. Ils le firent donc, bien arm&eacute;s et bien accompagn&eacute;s. Mais ils n'y trouv&egrave;rent aucune trace suspecte. Le puits communiquait avec les &eacute;tages inf&eacute;rieurs de la crypte, creus&eacute;s dans la couche carbonif&egrave;re.</p>
+
+<p>James Starr, Simon et Harry causaient souvent de ces choses. Si un ou plusieurs &ecirc;tres malfaisants &eacute;taient cach&eacute;s dans la houill&egrave;re, s'ils pr&eacute;paraient quelques emb&ucirc;ches, Nell aurait pu le dire peut-&ecirc;tre, mais elle ne parlait pas. La moindre allusion au pass&eacute; de la jeune fille provoquait des crises, et il parut bon de ne point insister. Avec le temps, son secret lui &eacute;chapperait sans doute.</p>
+
+<p>Quinze jours apr&egrave;s son arriv&eacute;e au cottage, Nell &eacute;tait l'aide la plus intelligente et la plus z&eacute;l&eacute;e de la vieille Madge. &Eacute;videmment, ne plus jamais quitter cette maison o&ugrave; elle avait &eacute;t&eacute; si charitablement accueillie, cela lui semblait tout naturel, et peut-&ecirc;tre m&ecirc;me ne s'imaginait-elle pas que d&eacute;sormais elle p&ucirc;t vivre ailleurs. La famille Ford lui suffisait, et il va sans dire que, dans la pens&eacute;e de ces braves gens, du moment que Nell &eacute;tait entr&eacute;e au cottage, elle &eacute;tait devenue leur enfant d'adoption.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait charmante, en v&eacute;rit&eacute;. Sa nouvelle existence l'embellissait. C'&eacute;taient sans doute les premiers jours heureux de sa vie. Elle se sentait pleine de reconnaissance pour ceux auxquels elle les devait. Madge s'&eacute;tait pris pour Nell d'une sympathie toute maternelle. Le vieil overman en raffola bient&ocirc;t &agrave; son tour. Tous l'aimaient, d'ailleurs. L'ami Jack Ryan ne regrettait qu'une chose&nbsp;: c'&eacute;tait de ne pas l'avoir sauv&eacute;e lui-m&ecirc;me. Il venait souvent au cottage. Il chantait, et Nell, qui n'avait jamais entendu chanter, trouvait cela fort beau; mais on e&ucirc;t pu voir que la jeune fille pr&eacute;f&eacute;rait aux chansons de Jack Ryan les entretiens plus s&eacute;rieux d'Harry, qui, peu &agrave; peu, lui apprit ce qu'elle ignorait encore des choses du monde ext&eacute;rieur.</p>
+
+<p>Il faut dire que, depuis que Nell avait apparu sous sa forme naturelle, Jack Ryan s'&eacute;tait vu forc&eacute; de convenir que sa croyance aux lutins faiblissait dans une certaine mesure. En outre, deux mois apr&egrave;s, sa cr&eacute;dulit&eacute; re&ccedil;ut un nouveau coup.</p>
+
+<p>En effet, vers cette &eacute;poque, Harry fit une d&eacute;couverte assez inattendue, mais qui expliquait en partie l'apparition des Dames de feu dans les ruines du ch&acirc;teau de Dundonald, &agrave; Irvine.</p>
+
+<p>Un jour, apr&egrave;s une longue exploration de la partie sud de la houill&egrave;re &mdash; exploration qui avait dur&eacute; plusieurs jours &agrave; travers les derni&egrave;res galeries de cette &eacute;norme substruction &mdash;, Harry avait p&eacute;niblement gravi une &eacute;troite galerie, &eacute;vid&eacute;e dans un &eacute;cartement de la roche schisteuse. Tout &agrave; coup, il fut tr&egrave;s surpris de se trouver en plein air. La galerie, apr&egrave;s avoir remont&eacute; obliquement vers la surface du sol, aboutissait pr&eacute;cis&eacute;ment aux ruines de Dundonald Castle. Il y existait donc une communication secr&egrave;te entre la Nouvelle-Aberfoyle et la colline que couronnait le vieux ch&acirc;teau. L'orifice sup&eacute;rieur de cette galerie e&ucirc;t &eacute;t&eacute; impossible &agrave; d&eacute;couvrir ext&eacute;rieurement, tant il &eacute;tait obstru&eacute; de pierres et de broussailles. Aussi, lors de l'enqu&ecirc;te, les magistrats n'avaient-ils pu y p&eacute;n&eacute;trer.</p>
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+<p>Quelques jours apr&egrave;s, James Starr, conduit par Harry, vint reconna&icirc;tre lui-m&ecirc;me cette disposition naturelle du gisement houiller.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave;, dit-il, de quoi convaincre les superstitieux de la mine. Adieu, les brawnies, les lutins et les Dames de feu&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je ne crois pas, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, que nous ayons lieu de nous en f&eacute;liciter&nbsp;! Leurs rempla&ccedil;ants ne valent pas mieux et peuvent &ecirc;tre pires, assur&eacute;ment&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, Harry, reprit l'ing&eacute;nieur, mais qu'y faire&nbsp;? &Eacute;videmment, les &ecirc;tres quelconques qui se cachent dans la mine, communiquent par cette galerie avec la surface du sol. Ce sont eux, sans doute, qui, la torche &agrave; la main, pendant cette nuit de tourmente, ont attir&eacute; le Motala &agrave; la c&ocirc;te, et, comme les anciens pilleurs d'&eacute;paves, ils en eussent vol&eacute; les d&eacute;bris, si Jack Ryan et ses compagnons ne se fussent pas trouv&eacute;s l&agrave;&nbsp;! Quoi qu'il en soit, enfin, tout s'explique. Voil&agrave; l'orifice du repaire&nbsp;! Quant &agrave; ceux qui l'habitaient, l'habitent-ils encore&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, puisque Nell tremble, lorsqu'on lui en parle&nbsp;! r&eacute;pondit Harry avec conviction. Oui, puisque Nell ne veut pas ou n'ose pas en parler&nbsp;!&nbsp;&raquo; Harry devait avoir raison. Si les myst&eacute;rieux h&ocirc;tes de la houill&egrave;re l'eussent abandonn&eacute;e, ou s'ils &eacute;taient morts, quelle raison aurait eue la jeune fille de garder le silence&nbsp;?</p>
+
+<p>Cependant, James Starr tenait absolument &agrave; p&eacute;n&eacute;trer ce secret. Il pressentait que l'avenir de la nouvelle exploitation pouvait en d&eacute;pendre. On prit donc de nouveau les plus s&eacute;v&egrave;res pr&eacute;cautions. Les magistrats furent pr&eacute;venus. Des agents occup&egrave;rent secr&egrave;tement les ruines de Dundonald-Castle. Harry lui-m&ecirc;me se cacha, pendant plusieurs nuits, au milieu des broussailles qui h&eacute;rissaient la colline. Peine inutile. On ne d&eacute;couvrit rien. Nul &ecirc;tre humain n'apparut &agrave; travers l'orifice.</p>
+
+<p>On en arriva bient&ocirc;t &agrave; cette conclusion, que les malfaiteurs avaient d&ucirc; d&eacute;finitivement quitter la Nouvelle-Aberfoyle, et que, quant &agrave; Nell, ils la croyaient morte au fond de ce puits o&ugrave; ils l'avaient abandonn&eacute;e. Avant l'exploitation, la houill&egrave;re pouvait leur offrir un refuge assur&eacute;, &agrave; l'abri de toute perquisition. Mais, depuis, les circonstances n'&eacute;taient plus les m&ecirc;mes. Le g&icirc;te devenait difficile &agrave; cacher. On aurait donc d&ucirc; raisonnablement esp&eacute;rer qu'il n'y avait plus rien &agrave; craindre pour l'avenir. Cependant, James Starr n'&eacute;tait pas absolument rassur&eacute;. Harry, non plus, ne pouvait se rendre, et il r&eacute;p&eacute;tait souvent&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell a &eacute;t&eacute; &eacute;videmment m&ecirc;l&eacute;e &agrave; tout ce myst&egrave;re. Si elle n'avait plus rien &agrave; redouter, pourquoi garderait-elle le silence&nbsp;? On ne peut douter qu'elle soit heureuse d'&ecirc;tre avec nous&nbsp;! Elle nous aime tous&nbsp;! Elle adore ma m&egrave;re&nbsp;! Si elle se tait sur son pass&eacute;, sur ce qui pourrait nous rassurer pour l'avenir, c'est donc que quelque terrible secret, que sa conscience lui interdit de d&eacute;voiler, p&egrave;se sur elle&nbsp;! Peut-&ecirc;tre aussi, dans notre int&eacute;r&ecirc;t plus que dans le sien, croit-elle devoir se renfermer dans cet inexplicable mutisme&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>C'est par suite de ces diverses consid&eacute;rations que, d'un accord commun, il avait &eacute;t&eacute; convenu qu'on &eacute;carterait de la conversation tout ce qui pouvait rappeler son pass&eacute; &agrave; la jeune fille.</p>
+
+<p>Un jour, cependant, Harry fut amen&eacute; &agrave; faire conna&icirc;tre &agrave; Nell ce que James Starr, son p&egrave;re, sa m&egrave;re et lui-m&ecirc;me croyaient devoir &agrave; son intervention.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait jour de f&ecirc;te. Les bras ch&ocirc;maient aussi bien &agrave; la surface du comt&eacute; de Stirling que dans le domaine souterrain. On s'y promenait un peu partout. Des chants retentissaient, en vingt endroits, sous les vo&ucirc;tes sonores de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Harry et Nell avaient quitt&eacute; le cottage et suivaient &agrave; pas lents la rive gauche du lac Malcolm. L&agrave;, les &eacute;clats &eacute;lectriques se projetaient avec moins de violence, et leurs faisceaux se brisaient capricieusement aux angles de quelques pittoresques rochers qui soutenaient le d&ocirc;me. Cette p&eacute;nombre convenait mieux aux yeux de Nell, qui ne se faisaient que tr&egrave;s difficilement &agrave; la lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>Apr&egrave;s une heure de marche, Harry et sa compagne s'arr&ecirc;t&egrave;rent en face de la chapelle de Saint-Gilles, sur une sorte de terrasse naturelle, qui dominait les eaux du lac.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitu&eacute;s au jour, dit Harry, et certainement, ils ne pourraient supporter l'&eacute;clat du soleil.</p>
+
+<p>&mdash; Non, sans doute, r&eacute;pondit la jeune fille, si le soleil est tel que tu me l'as d&eacute;peint, Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, reprit Harry, en te parlant, je n'ai pu te donner une juste id&eacute;e de sa splendeur ni des beaut&eacute;s de cet univers que tes regards n'ont jamais observ&eacute;. &mdash; Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour o&ugrave; tu es n&eacute;e dans les profondeurs de la houill&egrave;re, se peut-il que tu ne sois jamais remont&eacute;e &agrave; la surface du sol&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Jamais, Harry, r&eacute;pondit Nell, et je ne pense pas que, m&ecirc;me petite, ni un p&egrave;re ni une m&egrave;re m'y aient jamais port&eacute;e. J'aurais certainement gard&eacute; quelque souvenir du dehors&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je le crois, r&eacute;pondit Harry. D'ailleurs, &agrave; cette &eacute;poque, Nell, bien d'autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec l'ext&eacute;rieur &eacute;taient difficiles, et j'ai connu plus d'un jeune gar&ccedil;on ou d'une jeune fille, qui, &agrave; ton &acirc;ge, ignoraient encore tout ce que tu ignores des choses de l&agrave;-haut&nbsp;! Mais maintenant, en quelques minutes, le railway du grand tunnel nous transporte &agrave; la surface du comt&eacute;. J'ai donc h&acirc;te, Nell, de t'entendre me dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;viens, Harry, mes yeux peuvent supporter la lumi&egrave;re du jour, et je veux voir le soleil&nbsp;! Je veux voir l'&oelig;uvre de Dieu&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&mdash; Je te le dirai, Harry, r&eacute;pondit la jeune fille, avant peu, je l'esp&egrave;re. J'irai admirer avec toi ce monde ext&eacute;rieur, et cependant...</p>
+
+<p>&mdash; Que veux-tu dire, Nell&nbsp;? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque regret d'avoir abandonn&eacute; le sombre ab&icirc;me dans lequel tu as v&eacute;cu pendant les premi&egrave;res ann&eacute;es de ta vie, et dont nous t'avons retir&eacute;e presque morte&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry, r&eacute;pondit Nell. Je pensais seulement que les t&eacute;n&egrave;bres sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu'y voient des yeux habitu&eacute;s &agrave; leur profondeur&nbsp;! Il y a des ombres qui passent et qu'on aimerait &agrave; suivre dans leur vol&nbsp;! Parfois ce sont des cercles qui s'entrecroisent devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir&nbsp;! Il existe, au fond de la houill&egrave;re, des trous noirs, pleins de vagues lumi&egrave;res. Et puis, on entend des bruits qui vous parlent&nbsp;! vois-tu, Harry, il faut avoir v&eacute;cu l&agrave; pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis t'exprimer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et tu n'avais pas peur, Nell, quand tu &eacute;tais seule&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Harry, r&eacute;pondit la jeune fille, c'est quand j'&eacute;tais seule que je n'avais pas peur&nbsp;!&nbsp;&raquo; La voix de Nell s'&eacute;tait l&eacute;g&egrave;rement alt&eacute;r&eacute;e en pronon&ccedil;ant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un peu, et il dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mais on pouvait se perdre dans ces longues galeries, Nell. Ne craignais-tu donc pas de t'y &eacute;garer&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry. Je connaissais, depuis longtemps, tous les d&eacute;tours de la nouvelle houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; N'en sortais-tu pas quelquefois&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Oui.., quelquefois.., r&eacute;pondit en h&eacute;sitant la jeune fille, quelquefois, je venais jusque dans l'ancienne mine d'Aberfoyle.</p>
+
+<p>&mdash; Tu connaissais donc le vieux cottage&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Le cottage.., oui.., mais, de bien loin seulement, ceux qui l'habitaient&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'&eacute;taient mon p&egrave;re et ma m&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, c'&eacute;tait moi&nbsp;! Nous n'avions jamais voulu abandonner notre ancienne demeure&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Peut-&ecirc;tre cela aurait-il mieux valu pour vous&nbsp;!... murmura la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Et pourquoi, Nell&nbsp;? N'est-ce pas notre obstination &agrave; ne pas la quitter, qui nous a fait d&eacute;couvrir le nouveau gisement&nbsp;? Et cette d&eacute;couverte n'a-t-elle pas eu des cons&eacute;quences heureuses pour toute une population qui a reconquis ici l'aisance par le travail, pour toi, Nell, qui, rendue &agrave; la vie, as trouv&eacute; des c&oelig;urs tout &agrave; toi&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Pour moi&nbsp;! r&eacute;pondit vivement Nell... Oui&nbsp;! quoi qu'il puisse arriver&nbsp;! Pour les autres.., qui sait&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Que veux-tu dire&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Rien... rien&nbsp;!... Mais, il y avait danger &agrave; s'introduire, alors, dans la nouvelle houill&egrave;re&nbsp;! Oui&nbsp;! grand danger&nbsp;! Harry&nbsp;! Un jour, des imprudents ont p&eacute;n&eacute;tr&eacute; dans ces ab&icirc;mes. Ils ont &eacute;t&eacute; loin, bien loin&nbsp;! Ils se sont &eacute;gar&eacute;s...</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;gar&eacute;s&nbsp;? dit Harry en regardant Nell.</p>
+
+<p>&mdash; Oui... &eacute;gar&eacute;s... r&eacute;pondit Nell, dont la voix tremblait. Leur lampe s'est &eacute;teinte&nbsp;! Ils n'ont pu retrouver leur chemin...</p>
+
+<p>&mdash; Et l&agrave;, s'&eacute;cria Harry, emprisonn&eacute;s pendant huit longs jours, Nell, ils ont &eacute;t&eacute; pr&egrave;s de mourir&nbsp;! Et sans un &ecirc;tre secourable, que Dieu leur a envoy&eacute;, un ange peut-&ecirc;tre, qui leur a secr&egrave;tement apport&eacute; un peu de nourriture, sans un guide myst&eacute;rieux qui, plus tard, a conduit jusqu'&agrave; eux leurs lib&eacute;rateurs, ils ne seraient jamais sortis de cette tombe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et comment le sais-tu&nbsp;? demanda la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Parce que ces hommes c'&eacute;tait James Starr.., c'&eacute;tait mon p&egrave;re... c'&eacute;tait moi, Nell&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Nell, relevant la t&ecirc;te, saisit la main du jeune homme, et elle le regarda avec une telle fixit&eacute;, que celui-ci se sentit troubl&eacute; jusqu'au plus profond de son c&oelig;ur.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Toi&nbsp;! r&eacute;p&eacute;ta la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! r&eacute;pondit Harry, apr&egrave;s un instant de silence, et celle &agrave; qui nous devons de vivre, c'&eacute;tait toi,</p>
+
+<p>Nell&nbsp;! Ce ne pouvait &ecirc;tre que toi&nbsp;!&nbsp;&raquo; Nell laissa tomber sa t&ecirc;te entre ses deux mains, sans r&eacute;pondre. Jamais Harry ne l'avait vue aussi vivement impressionn&eacute;e.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ceux qui t'ont sauv&eacute;e, Nell, ajouta-t-il d'une voix &eacute;mue, te devaient d&eacute;j&agrave; la vie, et crois-tu qu'ils puissent jamais l'oublier&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XVI</h4>
+
+<h4>Sur l'&eacute;chelle oscillante</h4>
+</center>
+
+<p>Cependant, les travaux d'exploitation de la Nouvelle-Aberfoyle &eacute;taient conduits avec grand profit. Il va sans dire que l'ing&eacute;nieur James Starr et Simon Ford &mdash; les premiers d&eacute;couvreurs de ce riche bassin carbonif&egrave;re &mdash; participaient largement &agrave; ces b&eacute;n&eacute;fices. Harry devenait donc un parti. Mais il ne songeait gu&egrave;re &agrave; quitter le cottage. Il avait remplac&eacute; son p&egrave;re dans les fonctions d'overman et surveillait assid&ucirc;ment tout ce monde de mineurs.</p>
+
+<p>Jack Ryan &eacute;tait fier et ravi de toute cette fortune qui arrivait &agrave; son camarade. Lui aussi, il faisait bien ses affaires. Tous deux se voyaient souvent, soit au cottage, soit dans les travaux du fond. Jack Ryan n'&eacute;tait pas sans avoir observ&eacute; les sentiments qu'&eacute;prouvait Harry pour la jeune fille. Harry n'avouait pas, mais Jack riait &agrave; belles dents, lorsque son camarade secouait la t&ecirc;te en signe de d&eacute;n&eacute;gation.</p>
+
+<p>Il faut dire que l'un des plus vifs d&eacute;sirs de Jack Ryan &eacute;tait d'accompagner Nell, lorsqu'elle ferait sa premi&egrave;re visite &agrave; la surface du comt&eacute;. Il voulait voir ses &eacute;tonnements, son admiration devant cette nature encore inconnue d'elle. Il esp&eacute;rait bien qu'Harry l'emm&egrave;nerait pendant cette excursion. Jusqu'ici, cependant, celui-ci ne lui en avait pas fait la proposition, &mdash; ce qui ne laissait pas de l'inqui&eacute;ter un peu.</p>
+
+<p>Un jour, Jack Ryan descendait l'un des puits d'a&eacute;ration par lequel les &eacute;tages inf&eacute;rieurs de la houill&egrave;re communiquaient avec la surface du sol. Il avait pris l'une de ces &eacute;chelles qui, en se relevant et en s'abaissant par oscillations successives, permettent de descendre et de monter sans fatigue. Vingt oscillations de l'appareil l'avaient abaiss&eacute; de cent cinquante pieds environ, lorsque, sur l'&eacute;troit palier o&ugrave; il avait pris place, il se rencontra avec Harry, qui remontait aux travaux du jour.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est toi&nbsp;? dit Jack, en regardant son compagnon, &eacute;clair&eacute; par la lumi&egrave;re des lampes &eacute;lectriques du puits.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, r&eacute;pondit Harry, et je suis content de te voir. J'ai une proposition &agrave; te faire...</p>
+
+<p>&mdash; Je n'&eacute;coute rien avant que tu m'aies donn&eacute; des nouvelles de Nell&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Nell va bien, Jack, et si bien m&ecirc;me que, dans un mois ou six semaines, je l'esp&egrave;re...</p>
+
+<p>&mdash; Tu l'&eacute;pouseras, Harry&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Tu ne sais ce que tu dis, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'est possible, Harry, mais je sais bien ce que je ferai&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et que feras-tu&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je l'&eacute;pouserai, moi, si tu ne l'&eacute;pouses pas, toi&nbsp;! r&eacute;pliqua Jack, en &eacute;clatant de rire. Saint Mungo me prot&egrave;ge&nbsp;! mais elle me pla&icirc;t, la gentille Nell&nbsp;! Une jeune et bonne cr&eacute;ature qui n'a jamais quitt&eacute; la mine, c'est bien la femme qu'il faut &agrave; un mineur&nbsp;! Elle est orpheline comme je suis orphelin, et, pour peu que tu ne penses vraiment pas &agrave; elle, et qu'elle veuille de ton camarade, Harry&nbsp;!...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry regardait gravement Jack. Il le laissait parler, sans m&ecirc;me essayer de lui r&eacute;pondre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce que je dis l&agrave; ne te rend pas jaloux, Harry&nbsp;? demanda Jack Ryan d'un ton un peu plus s&eacute;rieux.</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, r&eacute;pondit tranquillement Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Cependant, si tu ne fais pas de Nell ta femme, tu n'as pas la pr&eacute;tention qu'elle reste vieille fille&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je n'ai aucune pr&eacute;tention&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>Une oscillation de l'&eacute;chelle vint alors permettre aux deux amis de se s&eacute;parer, l'un pour descendre, l'autre pour remonter le puits. Cependant, ils ne se s&eacute;par&egrave;rent pas.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry, dit Jack, crois-tu que je t'aie parl&eacute; s&eacute;rieusement tout &agrave; l'heure &agrave; propos de Nell&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, je vais le faire alors&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Toi, parler s&eacute;rieusement&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mon brave Harry, r&eacute;pondit Jack, je suis capable de donner un bon conseil &agrave; un ami.</p>
+
+<p>&mdash; Donne, Jack.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, voil&agrave;&nbsp;! Tu aimes Nell de tout l'amour dont elle est digne, Harry&nbsp;! Ton p&egrave;re, le vieux Simon, ta m&egrave;re, la vieille Madge, l'aiment aussi comme si elle &eacute;tait leur enfant. Or, tu aurais bien peu &agrave; faire pour qu'elle dev&icirc;nt tout &agrave; fait leur fille&nbsp;! &mdash; Pourquoi ne l'&eacute;pouses-tu pas&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Pour t'avancer ainsi, Jack, r&eacute;pondit Harry, connais-tu donc les sentiments de Nell&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Personne ne les ignore, pas m&ecirc;me toi, Harry, et c'est pour cela que tu n'es point jaloux ni de moi, ni des autres. &mdash; Mais voici l'&eacute;chelle qui va descendre, et...</p>
+
+<p>&mdash; Attends, Jack, dit Harry, en retenant son camarade, dont le pied avait d&eacute;j&agrave; quitt&eacute; le palier pour se poser sur l'&eacute;chelon mobile.</p>
+
+<p>&mdash; Bon, Harry&nbsp;! s'&eacute;cria Jack en riant, tu vas me faire &eacute;carteler&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; &Eacute;coute s&eacute;rieusement, Jack, r&eacute;pondit Harry, car, &agrave; mon tour, c'est s&eacute;rieusement que je parle.</p>
+
+<p>&mdash; J'&eacute;coute... jusqu'&agrave; la prochaine oscillation, mais pas plus&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jack, reprit Harry, je n'ai point &agrave; cacher que j'aime Nell.</p>
+
+<p>Mon plus vif d&eacute;sir est d'en faire ma femme...</p>
+
+<p>&mdash; Bien, cela.</p>
+
+<p>&mdash; Mais, telle qu'elle est encore, j'ai comme un scrupule de conscience &agrave; lui demander de prendre une d&eacute;termination qui doit &ecirc;tre irr&eacute;vocable.</p>
+
+<p>&mdash; Que veux-tu dire, Harry&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je veux dire, Jack, que Nell n'a jamais quitt&eacute; ces profondeurs de la houill&egrave;re o&ugrave; elle est n&eacute;e, sans doute. Elle ne sait rien, elle ne conna&icirc;t rien du dehors. Elle a tout &agrave; apprendre par les yeux, et peut-&ecirc;tre aussi par le c&oelig;ur. Qui sait ce que seront ses pens&eacute;es, lorsque de nouvelles impressions na&icirc;tront en elle&nbsp;! Elle n'a encore rien de terrestre, et il me semble que ce serait la tromper, avant qu'elle se soit d&eacute;cid&eacute;e, en pleine connaissance, &agrave; pr&eacute;f&eacute;rer &agrave; tout autre le s&eacute;jour dans la houill&egrave;re. &mdash; Me comprends-tu, Jack&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui... vaguement... Je comprends surtout que tu vas encore me faire manquer la prochaine oscillation&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jack, r&eacute;pondit Harry d'une voix grave, quand ces appareils ne devraient plus jamais fonctionner, quand ce palier devrait manquer sous nos pieds, tu &eacute;couteras ce que j'ai &agrave; te dire&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; A la bonne heure&nbsp;! Harry. Voil&agrave; comment j'aime qu'on me parle&nbsp;! &mdash; Nous disons donc qu'avant d'&eacute;pouser Nell, tu vas l'envoyer dans un pensionnat de la vieille-Enfum&eacute;e&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack, r&eacute;pondit Harry, je saurai bien moi-m&ecirc;me faire l'&eacute;ducation de celle qui devra &ecirc;tre ma femme&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Et cela n'en vaudra que mieux, Harry&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais, auparavant, reprit Harry, je veux, comme je viens de te le dire, que Nell ait une vraie connaissance du monde ext&eacute;rieur. Une comparaison, Jack. Si tu aimais une jeune fille aveugle, et si l'on venait te dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans un mois elle sera gu&eacute;rie&nbsp;!&nbsp;&raquo; n'attendrais-tu pas pour l'&eacute;pouser que sa gu&eacute;rison f&ucirc;t faite&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, ma foi, oui&nbsp;! r&eacute;pondit Jack Ryan.</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, Jack, Nell est encore aveugle, et, avant d'en faire ma femme, je veux qu'elle sache bien que c'est moi, que ce sont les conditions de ma vie qu'elle pr&eacute;f&egrave;re et accepte. Je veux que ses yeux se soient ouverts enfin &agrave; la lumi&egrave;re du jour&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien, Harry, bien, tr&egrave;s bien&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. Je te comprends &agrave; cette heure. Et &agrave; quelle &eacute;poque l'op&eacute;ration&nbsp;?...</p>
+
+<p>&mdash; Dans un mois, Jack, r&eacute;pondit Harry. Les yeux de Nell s'habituent peu &agrave; peu &agrave; la clart&eacute; de nos disques. C'est une pr&eacute;paration. Dans un mois, je l'esp&egrave;re, elle aura vu la terre et ses merveilles, le ciel et ses splendeurs&nbsp;! Elle saura que la nature a donn&eacute; au regard humain des horizons plus recul&eacute;s que ceux d'une sombre houill&egrave;re&nbsp;! Elle verra que les limites de l'univers sont infinies&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Mais, tandis qu'Harry se laissait ainsi entra&icirc;ner par son imagination, Jack Ryan, quittant le palier, avait saut&eacute; sur l'&eacute;chelon oscillant de l'appareil.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Eh&nbsp;! Jack, cria Harry, o&ugrave; es-tu donc&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Au-dessous de toi, r&eacute;pondit en riant le joyeux comp&egrave;re. Pendant que tu t'&eacute;l&egrave;ves dans l'infini, moi, je descends dans l'ab&icirc;me&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Adieu, Jack&nbsp;! r&eacute;pondit Harry, en se cramponnant lui-m&ecirc;me &agrave; l'&eacute;chelle remontante. Je te recommande de ne parler &agrave; personne de ce que je viens de te dire&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; A personne&nbsp;! cria Jack Ryan, mais &agrave; une condition pourtant...</p>
+
+<p>&mdash; Laquelle&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; C'est que je vous accompagnerai tous les deux pendant la premi&egrave;re excursion que Nell fera &agrave; la surface du globe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Jack, je te le promets&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit Harry.</p>
+
+<p>Une nouvelle pulsation de l'appareil mit encore un intervalle plus consid&eacute;rable entre les deux amis. Leur voix n'arrivait plus que tr&egrave;s affaiblie de l'un &agrave; l'autre.</p>
+
+<p>Et, cependant, Harry put encore entendre Jack crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et lorsque Nell aura vu les &eacute;toiles, la lune et le soleil, sais-tu bien ce qu'elle leur pr&eacute;f&eacute;rera&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Jack&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ce sera toi, mon camarade, toi encore, toi toujours&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et la voix de Jack Ryan s'&eacute;teignit enfin dans un dernier hurrah&nbsp;!</p>
+
+<p>Cependant, Harry consacrait toutes ses heures inoccup&eacute;es &agrave; l'&eacute;ducation de Nell. Il lui avait appris &agrave; lire, &agrave; &eacute;crire, &mdash; toutes choses dans lesquelles la jeune fille fit de rapides progr&egrave;s. On e&ucirc;t dit qu'elle &laquo;&nbsp;savait&nbsp;&raquo; d'instinct. Jamais intelligence plus vive ne triompha plus vite d'une aussi compl&egrave;te ignorance. C'&eacute;tait un &eacute;tonnement pour ceux qui l'approchaient.</p>
+
+<p>Simon et Madge se sentaient chaque jour plus &eacute;troitement li&eacute;s &agrave; leur enfant d'adoption, dont le pass&eacute; ne laissait pas de les pr&eacute;occuper, cependant. Ils avaient bien reconnu la nature des sentiments d'Harry pour Nell, et cela ne leur d&eacute;plaisait point.</p>
+
+<p>On se rappelle que lors de sa premi&egrave;re visite &agrave; l'ancien cottage, le vieil overman avait dit &agrave; l'ing&eacute;nieur&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pourquoi mon fils se marierait-il&nbsp;? Quelle cr&eacute;ature de l&agrave;-haut conviendrait &agrave; un gar&ccedil;on dont la vie doit s'&eacute;couler dans les profondeurs d'une mine&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Eh bien, ne semblait-il pas que la Providence lui e&ucirc;t envoy&eacute; la seule compagne qui p&ucirc;t v&eacute;ritablement convenir &agrave; son fils&nbsp;? N'&eacute;tait-ce pas l&agrave; comme une faveur du Ciel&nbsp;?</p>
+
+<p>Aussi, le vieil overman se promettait-il bien que, si ce mariage se faisait, ce jour-l&agrave;, il y aurait &agrave; Coal-city une f&ecirc;te qui ferait &eacute;poque pour les mineurs de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Simon Ford ne savait pas si bien dire&nbsp;!</p>
+
+<p>Il faut ajouter qu'un autre encore d&eacute;sirait non moins ardemment cette union de Nell et d'Harry. C'&eacute;tait l'ing&eacute;nieur James Starr. Certes, le bonheur de ces deux jeunes gens, il le voulait par-dessus tout. Mais un mobile, d'un int&eacute;r&ecirc;t plus g&eacute;n&eacute;ral, peut-&ecirc;tre, le poussait aussi dans ce sens.</p>
+
+<p>On le sait, James Starr avait conserv&eacute; certaines appr&eacute;hensions, bien que rien dans le pr&eacute;sent ne les justifi&acirc;t plus. Cependant, ce qui avait &eacute;t&eacute; pouvait &ecirc;tre encore. Ce myst&egrave;re de la nouvelle houill&egrave;re, Nell &eacute;tait &eacute;videmment la seule &agrave; le conna&icirc;tre. Or, si l'avenir devait r&eacute;server de nouveaux dangers aux mineurs d'Aberfoyle, comment se mettre en garde contre de telles &eacute;ventualit&eacute;s, sans en savoir au moins la cause&nbsp;?</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell n'a pas voulu parler, r&eacute;p&eacute;tait souvent James Starr, mais ce qu'elle a tu jusqu'ici &agrave; tout autre, elle ne saurait le taire longtemps &agrave; son mari&nbsp;! Le danger menacerait Harry comme il nous menacerait nous-m&ecirc;mes. Donc, un mariage qui doit donner le bonheur aux &eacute;poux et la s&eacute;curit&eacute; &agrave; leurs amis, est un bon mariage, ou il ne s'en fera jamais ici-bas&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Ainsi raisonnait, non sans quelque logique, l'ing&eacute;nieur James Starr. Ce raisonnement, il le communiqua m&ecirc;me au vieux Simon, qui ne fut pas sans le go&ucirc;ter. Rien ne semblait donc devoir s'opposer &agrave; ce qu'Harry dev&icirc;nt l'&eacute;poux de Nell.</p>
+
+<p>Et qui donc l'aurait pu&nbsp;? Harry et Nell s'aimaient. Les vieux parents ne r&ecirc;vaient pas d'autre compagne pour leur fils. Les camarades d'Harry enviaient son bonheur, tout en reconnaissant qu'il lui &eacute;tait bien d&ucirc;. La jeune fille ne relevait que d'elle-m&ecirc;me et n'avait d'autre consentement &agrave; obtenir que celui de son propre c&oelig;ur.</p>
+
+<p>Mais, si personne ne semblait pouvoir mettre obstacle &agrave; ce mariage, pourquoi, lorsque les disques &eacute;lectriques s'&eacute;teignaient &agrave; l'heure du repos, quand la nuit se faisait sur la cit&eacute; ouvri&egrave;re, lorsque les habitants de Coal-city avaient regagn&eacute; leur cottage, pourquoi, de l'un des coins les plus sombres de la Nouvelle Aberfoyle, un &ecirc;tre myst&eacute;rieux se glissait-il dans les t&eacute;n&egrave;bres&nbsp;? Quel instinct guidait ce fant&ocirc;me &agrave; travers certaines galeries si &eacute;troites qu'on devait les croire impraticables&nbsp;? Pourquoi cet &ecirc;tre &eacute;nigmatique, dont les yeux per&ccedil;aient la plus profonde obscurit&eacute;, venait-il en rampant sur le rivage du lac Malcolm&nbsp;? Pourquoi se dirigeait-il si obstin&eacute;ment vers l'habitation de Simon Ford, et si prudemment aussi, qu'il avait jusqu'alors d&eacute;jou&eacute; toute surveillance&nbsp;? Pourquoi venait-il appuyer son oreille aux fen&ecirc;tres et essayait-il de surprendre des lambeaux de conversation &agrave; travers les volets du cottage&nbsp;?</p>
+
+<p>Et, lorsque certaines paroles arrivaient jusqu'&agrave; lui, pourquoi son poing se dressait-il pour menacer la tranquille demeure&nbsp;? Pourquoi, enfin ces mots s'&eacute;chappaient-ils de sa bouche, contract&eacute;e par la col&egrave;re&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Elle et lui&nbsp;! Jamais&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XVII</h4>
+
+<h4>Un lever de soleil</h4>
+</center>
+
+<p>Un mois apr&egrave;s &mdash; c'&eacute;tait le soir du 20 ao&ucirc;t &mdash;, Simon Ford et Madge saluaient de leurs meilleurs &laquo;&nbsp;wishes&nbsp;&raquo; quatre touristes qui s'appr&ecirc;taient &agrave; quitter le cottage.</p>
+
+<p>James Starr, Harry et Jack Ryan allaient conduire Nell sur un sol que son pied n'avait jamais foul&eacute;, dans cet &eacute;clatant milieu, dont ses regards ne connaissaient pas encore la lumi&egrave;re.</p>
+
+<p>L'excursion devait se prolonger pendant deux jours. James Starr, d'accord avec Harry, voulait qu'apr&egrave;s ces quarante-huit heures pass&eacute;es au-dehors, la jeune fille e&ucirc;t vu tout ce qu'elle n'avait pu voir dans la sombre houill&egrave;re, c'est-&agrave;-dire les divers aspects du globe, comme si un panorama mouvant de villes, de plaines, de montagnes, de fleuves, de lacs, de golfes, de mers, se f&ucirc;t d&eacute;roul&eacute; devant ses yeux.</p>
+
+<p>Or, dans cette portion de l'&Eacute;cosse, comprise entre &Eacute;dimbourg et Glasgow, il semblait que la nature e&ucirc;t voulu pr&eacute;cis&eacute;ment r&eacute;unir ces merveilles terrestres, et, quant aux cieux, ils seraient l&agrave; comme partout, avec leurs nu&eacute;es changeantes, leur lune sereine ou voil&eacute;e, leur soleil radieux, leur fourmillement d'&eacute;toiles.</p>
+
+<p>L'excursion projet&eacute;e avait donc &eacute;t&eacute; combin&eacute;e de mani&egrave;re &agrave; satisfaire aux conditions de ce programme.</p>
+
+<p>Simon Ford et Madge eussent &eacute;t&eacute; tr&egrave;s heureux d'accompagner Nell; mais, on les conna&icirc;t, ils ne quittaient pas volontiers le cottage, et, finalement, ils ne purent se r&eacute;soudre &agrave; abandonner, m&ecirc;me pour un jour, leur souterraine demeure.</p>
+
+<p>James Starr allait l&agrave; en observateur, en philosophe, tr&egrave;s curieux, au point de vue psychologique, d'observer les na&iuml;ves impressions de Nell, &mdash; peut-&ecirc;tre m&ecirc;me de surprendre quelque peu des myst&eacute;rieux &eacute;v&eacute;nements auxquels son enfance avait &eacute;t&eacute; m&ecirc;l&eacute;e.</p>
+
+<p>Harry, lui, se demandait, non sans appr&eacute;hension, si une autre jeune fille que celle qu'il aimait et qu'il avait connue jusqu'alors, n'allait pas se r&eacute;v&eacute;ler pendant cette rapide initiation aux choses du monde ext&eacute;rieur.</p>
+
+<p>Quant &agrave; Jack Ryan, il &eacute;tait joyeux comme un pinson qui s'envole aux premiers rayons de soleil. Il esp&eacute;rait bien que sa contagieuse gaiet&eacute; se communiquerait &agrave; ses compagnons de voyage. Ce serait une fa&ccedil;on de payer sa bienvenue.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait pensive et comme recueillie.</p>
+
+<p>James Starr avait d&eacute;cid&eacute;, non sans raison, que le d&eacute;part se ferait le soir. Mieux valait, en effet, que la jeune fille ne pass&acirc;t que par une gradation insensible des t&eacute;n&egrave;bres de la nuit aux clart&eacute;s du jour. Or, c'est le r&eacute;sultat qui serait obtenu, puisque, de minuit &agrave; midi, elle subirait ces phases successives d'ombre et de lumi&egrave;re, auxquelles son regard pourrait s'habituer peu &agrave; peu.</p>
+
+<p>Au moment de quitter le cottage, Nell prit la main d'Harry, et lui dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry, est-il donc n&eacute;cessaire que j'abandonne notre houill&egrave;re, ne f&ucirc;t-ce que quelques jours&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Nell, r&eacute;pondit le jeune homme, il le faut&nbsp;! Il le faut pour toi et pour moi&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cependant, Harry, reprit Nell, depuis que tu m'as recueillie, je suis heureuse autant qu'on peut l'&ecirc;tre. Tu m'as instruite. Cela ne suffit-il pas&nbsp;? Que vais-je faire l&agrave;-haut&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Harry la regarda sans r&eacute;pondre. Les pens&eacute;es qu'exprimait Nell &eacute;taient presque les siennes.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ma fille, dit alors James Starr, je comprends ton h&eacute;sitation, mais il est bon que tu viennes avec nous. Ceux que tu aimes t'accompagnent, et ils te ram&egrave;neront. Que tu veuilles, ensuite, continuer de vivre dans la houill&egrave;re, comme le vieux Simon, comme Madge, comme Harry, libre &agrave; toi&nbsp;! Je ne doute pas qu'il en doive &ecirc;tre ainsi, et je t'approuve. Mais, au moins, tu pourras comparer ce que tu laisses avec ce que tu prends, et agir en toute libert&eacute;. viens donc&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Viens, ma ch&egrave;re Nell, dit Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, je suis pr&ecirc;te &agrave; te suivre&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit la jeune fille.</p>
+
+<p>A neuf heures, le dernier train du tunnel entra&icirc;nait Nell et ses compagnons &agrave; la surface du comt&eacute;. vingt minutes apr&egrave;s, il les d&eacute;posait &agrave; la gare o&ugrave; se reliait le petit embranchement, d&eacute;tach&eacute; du railway de Dumbarton &agrave; Stirling, qui desservait la Nouvelle Aberfoyle.</p>
+
+<p>La nuit &eacute;tait d&eacute;j&agrave; sombre. De l'horizon au z&eacute;nith, quelques vapeurs peu compactes couraient encore dans les hauteurs du ciel, sous la pouss&eacute;e d'une brise de nord-ouest qui rafra&icirc;chissait l'atmosph&egrave;re. La journ&eacute;e avait &eacute;t&eacute; belle. La nuit devait l'&ecirc;tre aussi.</p>
+
+<p>Arriv&eacute;s &agrave; Stirling, Nell et ses compagnons, abandonnant le train, sortirent aussit&ocirc;t de la gare.</p>
+
+<p>Devant eux, entre de grands arbres, se d&eacute;veloppait une route qui conduisait aux rives du Forth.</p>
+
+<p>La premi&egrave;re impression physique qu'&eacute;prouva la jeune fille, fut celle de l'air pur que ses poumons aspir&egrave;rent avidement.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Respire bien, Nell, dit James Starr, respire cet air charg&eacute; de toutes les vivifiantes senteurs de la campagne&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Quelles sont ces grandes fum&eacute;es qui courent au-dessus de notre t&ecirc;te&nbsp;? demanda Nell.</p>
+
+<p>&mdash; Ce sont des nuages, r&eacute;pondit Harry, ce sont des vapeurs &agrave; demi condens&eacute;es que le vent pousse dans l'ouest.</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! fit Nell, que j'aimerais &agrave; me sentir emport&eacute;e dans leur silencieux tourbillon&nbsp;! &mdash; Et quels sont ces points scintillants qui brillent &agrave; travers les d&eacute;chirures des nu&eacute;es&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ce sont les &eacute;toiles dont je t'ai parl&eacute;, Nell. Autant de soleils, autant de centres de mondes, peut-&ecirc;tre semblables au n&ocirc;tre&nbsp;!&nbsp;&raquo; Les constellations se dessinaient plus nettement alors sur le bleu-noir du firmament, que le vent purifiait peu &agrave; peu.</p>
+
+<p>Nell regardait ces milliers d'&eacute;toiles brillantes qui fourmillaient au-dessus de sa t&ecirc;te.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mais, dit-elle, si ce sont des soleils, comment mes yeux peuvent-ils en supporter l'&eacute;clat&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ma fille, r&eacute;pondit James Starr, ce sont des soleils, en effet, mais des soleils qui gravitent &agrave; une distance &eacute;norme. Le plus rapproch&eacute; de ces milliers d'astres, dont les rayons arrivent jusqu'&agrave; nous, c'est cette &eacute;toile de la Lyre, Wega, que tu vois l&agrave; presque au z&eacute;nith, et elle est encore &agrave; cinquante mille milliards de lieues. Son &eacute;clat ne peut donc affecter ton regard. Mais notre soleil se l&egrave;vera demain &agrave; trente-huit millions de lieues seulement, et aucun &oelig;il humain ne peut le regarder fixement, car il est plus ardent qu'un foyer de fournaise. Mais viens, Nell, viens&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On prit la route. James Starr tenait la jeune fille par la main. Harry marchait &agrave; son c&ocirc;t&eacute;. Jack Ryan allait et venait comme e&ucirc;t fait un jeune chien, impatient de la lenteur de ses ma&icirc;tres.</p>
+
+<p>Le chemin &eacute;tait d&eacute;sert. Nell regardait la silhouette des grands arbres que le vent agitait dans l'ombre. Elle les e&ucirc;t volontiers pris pour quelques g&eacute;ants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne d'horizon qui s'accusait plus nettement, lorsque la route coupait une plaine, tout l'impr&eacute;gnait de sentiments nouveaux et tra&ccedil;ait en elle des impressions ineffa&ccedil;ables. Apr&egrave;s avoir interrog&eacute; d'abord, Nell se taisait, et, d'un commun propos, ses compagnons respectaient son silence. Ils ne voulaient point influencer par leurs paroles l'imagination sensible de la jeune fille. Ils pr&eacute;f&eacute;raient laisser les id&eacute;es na&icirc;tre d'elles-m&ecirc;mes en son esprit.</p>
+
+<p>A onze heures et demie environ, la rive septentrionale du golfe de Forth &eacute;tait atteinte.</p>
+
+<p>L&agrave;, une barque, qui avait &eacute;t&eacute; fr&eacute;t&eacute;e par James Starr, attendait. Elle devait, en quelques heures, les porter, ses compagnons et lui, jusqu'au port d'Edimbourg.</p>
+
+<p>Nell vit l'eau brillante qui ondulait &agrave; ses pieds sous l'action du ressac et semblait constell&eacute;e d'&eacute;toiles tremblotantes.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Est-ce un lac&nbsp;? demanda-t-elle.</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit Harry, c'est un vaste golfe avec des eaux courantes, c'est l'embouchure d'un fleuve, c'est presque un bras de mer. Prends un peu de cette eau dans le creux de ta main, Nell, et tu verras qu'elle n'est pas douce comme celle du lac Malcolm.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La jeune fille se baissa, trempa sa main dans les premiers flots et la porta &agrave; ses l&egrave;vres.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Cette eau est sal&eacute;e, dit-elle.</p>
+
+<p>-Oui, r&eacute;pondit Harry, la mer a reflu&eacute; jusqu'ici, car la mar&eacute;e est pleine. Les trois quarts de notre globe sont recouverts de cette eau sal&eacute;e, dont tu viens de boire quelques gouttes&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mais si l'eau des fleuves n'est que celle de la mer que leur versent les nuages, pourquoi est-elle douce&nbsp;? demanda Nell.</p>
+
+<p>&mdash; Parce que l'eau se dessale en s'&eacute;vaporant, r&eacute;pondit James Starr. Les nuages ne sont form&eacute;s que par l'&eacute;vaporation et renvoient sous forme de pluie cette eau douce &agrave; la mer.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, Harry&nbsp;! s'&eacute;cria alors la jeune fille, quelle est cette lueur rouge&acirc;tre qui enflamme l'horizon&nbsp;? Est-ce donc une for&ecirc;t en feu&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et Nell montrait un point du ciel, au milieu des basses brumes qui se coloraient dans l'est.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non, Nell, r&eacute;pondit Harry. C'est la lune &agrave; son lever.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, la lune&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan, un superbe plateau d'argent que les g&eacute;nies c&eacute;lestes font circuler dans le firmament, et qui recueille toute une monnaie d'&eacute;toiles&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Vraiment, Jack&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur en riant, je ne te connaissais pas ce penchant aux comparaisons hardies&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! monsieur Starr, ma comparaison est juste&nbsp;! vous voyez bien que les &eacute;toiles disparaissent &agrave; mesure que la lune s'avance. Je suppose donc qu'elles tombent dedans&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; C'est-&agrave;-dire, Jack, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, que c'est la lune qui &eacute;teint par son &eacute;clat les &eacute;toiles de sixi&egrave;me grandeur, et voil&agrave; pourquoi celles-ci s'effacent sur son passage.</p>
+
+<p>&mdash; Que tout cela est beau&nbsp;! r&eacute;p&eacute;tait Nell, qui ne vivait plus que par le regard. Mais je croyais que la lune &eacute;tait toute ronde&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Elle est ronde quand elle est pleine, r&eacute;pondit James Starr, c'est-&agrave;-dire lorsqu'elle se trouve en opposition avec le soleil. Mais, cette nuit, la lune entre dans son dernier quartier, elle est &eacute;corn&eacute;e d&eacute;j&agrave;, et le plateau d'argent de notre ami Jack n'est plus qu'un plat &agrave; barbe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! monsieur Starr, s'&eacute;cria Jack Ryan, quelle indigne comparaison&nbsp;! J'allais justement entonner ce couplet en l'honneur de la lune&nbsp;:</p>
+
+<blockquote>Astre des nuits qui dans ton cours<br>
+Viens caresser...</blockquote>
+
+Mais non&nbsp;! C'est maintenant impossible&nbsp;! votre plat &agrave; barbe m'a coup&eacute; l'inspiration&nbsp;!&nbsp;&raquo;
+
+<p>Cependant, la lune montait peu &agrave; peu sur l'horizon. Devant elle s'&eacute;vanouissaient les derni&egrave;res vapeurs. Au z&eacute;nith et dans l'ouest, les &eacute;toiles brillaient encore sur un fond noir que l'&eacute;clat lunaire allait graduellement p&acirc;lir. Nell contemplait en silence cet admirable spectacle, ses yeux supportaient sans fatigue cette douce lueur argent&eacute;e, mais sa main fr&eacute;missait dans celle d'Harry et parlait pour elle.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Embarquons-nous, mes amis, dit James Starr. Il faut que nous ayons gravi les pentes de l'Arthur-Seat avant le lever du soleil&nbsp;!&nbsp;&raquo; La barque &eacute;tait amarr&eacute;e &agrave; un pieu de la rive. Un marinier la gardait. Nell et ses compagnons y prirent place. La voile fut hiss&eacute;e et se gonfla sous la brise du nord-ouest.</p>
+
+<p>Quelle nouvelle impression ressentit alors la jeune fille&nbsp;! Elle avait navigu&eacute; quelquefois sur les lacs de la Nouvelle-Aberfoyle, mais l'aviron, si doucement mani&eacute; qu'il f&ucirc;t par la main d'Harry, trahissait toujours l'effort du rameur. Ici, pour la premi&egrave;re fois, Nell se sentait entra&icirc;n&eacute;e avec un glissement presque aussi doux que celui du ballon &agrave; travers l'atmosph&egrave;re. Le golfe &eacute;tait uni comme un lac. A demi couch&eacute;e &agrave; l'arri&egrave;re, Nell se laissait aller &agrave; ce balancement. Par instants, en de certaines embard&eacute;es, un rayon de lune filtrait jusqu'&agrave; la surface du Forth, et l'embarcation semblait courir sur une nappe d'argent toute scintillante. De petites ondulations chantaient le long du bordage. C'&eacute;tait un ravissement.</p>
+
+<p>Mais il arriva alors que les yeux de Nell se ferm&egrave;rent involontairement. Une sorte d'assoupissement passager la prit. Sa t&ecirc;te s'inclina sur la poitrine d'Harry, et elle s'endormit d'un tranquille sommeil.</p>
+
+<p>Harry voulait la r&eacute;veiller, afin qu'elle ne perd&icirc;t rien des magnificences de cette belle nuit.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Laisse-la dormir, mon gar&ccedil;on, lui dit l'ing&eacute;nieur. Deux heures de repos la pr&eacute;pareront mieux &agrave; supporter les impressions du jour.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A deux heures du matin, l'embarcation arrivait au pier de Granton. Nell se r&eacute;veilla, d&egrave;s qu'elle toucha terre.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;J'ai dormi&nbsp;? demanda-t-elle.</p>
+
+<p>&mdash; Non, ma fille, r&eacute;pondit James Starr. Tu as simplement r&ecirc;v&eacute; que tu dormais, voil&agrave; tout.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La nuit &eacute;tait tr&egrave;s claire alors. La lune, &agrave; mi-chemin de l'horizon au z&eacute;nith, dispersait ses rayons &agrave; tous les points du ciel.</p>
+
+<p>Le petit port de Granton ne contenait que deux ou trois bateaux de p&ecirc;che, que balan&ccedil;ait doucement la houle du golfe. La brise calmissait aux approches du matin. L'atmosph&egrave;re, nettoy&eacute;e de brumes, promettait une de ces d&eacute;licieuses journ&eacute;es d'ao&ucirc;t que le voisinage de la mer rend plus belles encore. Une sorte de bu&eacute;e chaude se d&eacute;gageait de l'horizon, mais si fine, si transparente, que les premiers feux du soleil devaient la boire en un instant. La jeune fille put donc observer cet aspect de la mer, lorsqu'elle se confond avec l'extr&ecirc;me p&eacute;rim&egrave;tre du ciel. La port&eacute;e de sa vue s'en trouvait agrandie, mais son regard ne subissait pas cette impression particuli&egrave;re que donne l'Oc&eacute;an, lorsque la lumi&egrave;re semble en reculer les bornes &agrave; l'infini.</p>
+
+<p>Harry prit la main de Nell. Tous deux suivirent James Starr et Jack Ryan qui s'avan&ccedil;aient par les rues d&eacute;sertes. Dans la pens&eacute;e de Nell, ce faubourg de la capitale n'&eacute;tait qu'un assemblage de maisons sombres, qui lui rappelait Coal-city, avec cette seule diff&eacute;rence que sa vo&ucirc;te &eacute;tait plus &eacute;lev&eacute;e et scintillait de points brillants. Elle allait d'un pas l&eacute;ger, et jamais Harry n'&eacute;tait oblig&eacute; de ralentir le sien, par crainte de la fatiguer.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Tu n'es pas lasse&nbsp;? lui demanda-t-il, apr&egrave;s une demi-heure de marche.</p>
+
+<p>&mdash; Non, r&eacute;pondit-elle. Mes pieds ne semblent m&ecirc;me pas toucher &agrave; la terre&nbsp;! Ce ciel est si haut au-dessus de nous que j'ai l'envie de m'envoler, comme si j'avais des ailes&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Retiens-la&nbsp;! s'&eacute;cria Jack Ryan. C'est qu'elle est bonne &agrave; garder, notre petite Nell&nbsp;! Moi aussi, j'&eacute;prouve cet effet, lorsque je suis rest&eacute; quelque temps sans sortir de la houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela est d&ucirc;, dit James Starr, &agrave; ce que nous ne nous sentons plus &eacute;cras&eacute;s par la vo&ucirc;te de schiste qui recouvre Coal-city&nbsp;! Il semble alors que le firmament soit comme un profond ab&icirc;me dans lequel on est tent&eacute; de s'&eacute;lancer. &mdash; N'est-ce pas ce que tu ressens, Nell&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, monsieur Starr, r&eacute;pondit la jeune fille, c'est bien cela. J'&eacute;prouve comme une sorte de vertige&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tu t'y feras, Nell, r&eacute;pondit Harry. Tu te feras &agrave; cette immensit&eacute; du monde ext&eacute;rieur, et peut-&ecirc;tre oublieras-tu alors notre sombre houill&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Jamais, Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;pondit Nell.</p>
+
+<p>Et elle appuya sa main sur ses yeux, comme si elle e&ucirc;t voulu refaire dans son esprit le souvenir de tout ce qu'elle venait de quitter.</p>
+
+<p>Entre les maisons endormies de la ville, James Starr et ses compagnons travers&egrave;rent Leith-Walk. Ils contourn&egrave;rent Calton Hill, o&ugrave; se dressaient dans la p&eacute;nombre l'Observatoire et le monument de Nelson. Ils suivirent la rue du R&eacute;gent, franchirent un pont, et arriv&egrave;rent par un l&eacute;ger d&eacute;tour &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la Canongate.</p>
+
+<p>Aucun mouvement ne se faisait encore dans la ville. Deux heures sonnaient au clocher gothique de Canongate-Church.</p>
+
+<p>En cet endroit, Nell s'arr&ecirc;ta.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Quelle est cette masse confuse&nbsp;? demanda-t-elle en montrant un &eacute;difice isol&eacute; qui s'&eacute;levait au fond d'une petite place.</p>
+
+<p>&mdash; Cette masse, Nell, r&eacute;pondit James Starr, c'est le palais des anciens souverains de l'&Eacute;cosse, Holyrood, o&ugrave; se sont accomplis tant d'&eacute;v&eacute;nements fun&egrave;bres&nbsp;! L&agrave;, l'historien pourrait &eacute;voquer bien des ombres royales, depuis l'ombre de l'infortun&eacute;e Marie Stuart jusqu'&agrave; celle du vieux roi fran&ccedil;ais Charles X&nbsp;! Et pourtant, malgr&eacute; ces fun&egrave;bres souvenirs, lorsque le jour sera venu, Nell, tu ne trouveras pas &agrave; cette r&eacute;sidence un aspect trop lugubre&nbsp;! Avec ses quatre grosses tours cr&eacute;nel&eacute;es, Holyrood ne ressemble pas mal &agrave; quelque ch&acirc;teau de plaisance, auquel le bon plaisir de son propri&eacute;taire a conserv&eacute; son caract&egrave;re f&eacute;odal&nbsp;! &mdash; Mais continuons notre marche. L&agrave;, dans l'enceinte m&ecirc;me de l'ancienne abbaye d'Holyrood, se dressent ces roches superbes de Salisbury que domine l'Arthur-Seat. C'est l&agrave; que nous monterons. C'est &agrave; sa cime, Nell, que tes yeux verront le soleil appara&icirc;tre au-dessus de l'horizon de mer.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Ils entr&egrave;rent dans le Parc du Roi. Puis, s'&eacute;levant graduellement, ils travers&egrave;rent victoria-Drive, magnifique route circulaire, praticable aux voitures, que Walter Scott se f&eacute;licite d'avoir obtenue avec quelques lignes de roman.</p>
+
+<p>L'Arthur-Seat n'est, &agrave; vrai dire, qu'une colline haute de sept cent cinquante pieds, dont la t&ecirc;te isol&eacute;e domine les hauteurs environnantes. En moins d'une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait l'ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le cr&acirc;ne de ce lion auquel ressemble l'Arthur Seat, lorsqu'on l'observe du c&ocirc;t&eacute; de l'ouest.</p>
+
+<p>L&agrave;, tous quatre s'assirent, et James Starr, toujours riche de citations emprunt&eacute;es au grand romancier &eacute;cossais, se borna &agrave; dire&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voici ce qu'a &eacute;crit Walter Scott, au huit de la <i>Prison d'&Eacute;dimbourg</i>&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Si j'avais &agrave; choisir un lieu d'o&ugrave; l'on p&ucirc;t voir le mieux possible le lever et le coucher du soleil, ce serait cet endroit m&ecirc;me.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder &agrave; para&icirc;tre, et, pour la premi&egrave;re fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Les regards de la jeune fille &eacute;taient alors tourn&eacute;s vers l'est. Harry, plac&eacute; pr&egrave;s d'elle, l'observait avec une anxieuse attention. N'allait-elle pas &ecirc;tre trop vivement impressionn&eacute;e par les premiers rayons du jour&nbsp;? Tous demeur&egrave;rent silencieux. Jack Ryan lui-m&ecirc;me se tut.</p>
+
+<p>D&eacute;j&agrave; une petite ligne p&acirc;le, nuanc&eacute;e de rose, se dessinait au-dessus de l'horizon sur un fond de brumes l&eacute;g&egrave;res. Un reste de vapeurs, &eacute;gar&eacute;es au Z&eacute;nith, fut attaqu&eacute; par le premier trait de lumi&egrave;re. Au pied d'Arthur-Seat, dans le calme absolu de la nuit, &Eacute;dimbourg, assoupie encore, apparaissait confus&eacute;ment. Quelques points lumineux piquaient &ccedil;&agrave; et l&agrave; l'obscurit&eacute;. C'&eacute;taient les &eacute;toiles matinales qu'allumaient les gens de la vieille ville. En arri&egrave;re, dans l'ouest, l'horizon, coup&eacute; de silhouettes capricieuses, bornait une r&eacute;gion accident&eacute;e de pics, auxquels chaque rayon solaire allait mettre une aigrette de feu.</p>
+
+<p>Cependant, le p&eacute;rim&egrave;tre de la mer se tra&ccedil;ait plus vivement vers l'est. La gamme des couleurs se disposait peu &agrave; peu suivant l'ordre que donne le spectre solaire. Le rouge des premi&egrave;res brumes allait par d&eacute;gradation jusqu'au violet du z&eacute;nith. De seconde en seconde, la palette prenait plus de vigueur&nbsp;: le rose devenait rouge, le rouge devenait feu. Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc diurne allait fixer sur la circonf&eacute;rence de la mer.</p>
+
+<p>En ce moment, les regards de Nell couraient du pied de la colline jusqu'&agrave; la ville, dont les quartiers commen&ccedil;aient &agrave; se d&eacute;tacher par groupes. De hauts monuments, quelques clochers aigus &eacute;mergeaient &ccedil;&agrave; et l&agrave;, et leurs lin&eacute;aments se profilaient alors avec plus de nettet&eacute;. Il se r&eacute;pandait comme une sorte de lumi&egrave;re cendr&eacute;e dans l'espace. Enfin, un premier rayon atteignit l'&oelig;il de la jeune fille. C'&eacute;tait ce rayon vert, qui, soir ou matin, se d&eacute;gage de la mer, lorsque l'horizon est pur.</p>
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+<p>Une demi-minute plus tard, Nell se redressait et tendait la main vers un point qui dominait les quartiers de la nouvelle ville.</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Un feu&nbsp;! dit-elle.</p>
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+<p>&mdash; Non, Nell, r&eacute;pondit Harry, ce n'est pas un feu. C'est une touche d'or que le soleil pose au sommet du monument de Walter Scott&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>Et, en effet, l'extr&ecirc;me pointe du clocheton, haut de deux cents pieds, brillait comme un phare de premier ordre.</p>
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+<p>Le jour &eacute;tait fait. Le soleil d&eacute;borda. Son disque semblait encore humide, comme s'il f&ucirc;t r&eacute;ellement sorti des eaux de la mer. D'abord &eacute;largi par la r&eacute;fraction, il se r&eacute;tr&eacute;cit peu &agrave; peu, de mani&egrave;re &agrave; prendre la forme circulaire. Son &eacute;clat, bient&ocirc;t insoutenable, &eacute;tait celui d'une bouche de fournaise qui e&ucirc;t trou&eacute; le ciel.</p>
+
+<p>Nell dut presque aussit&ocirc;t fermer les yeux. Sur leurs paupi&egrave;res, trop minces, il lui fallut m&ecirc;me appliquer ses doigts, serr&eacute;s &eacute;troitement.</p>
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+<p>Harry voulait qu'elle se retourn&acirc;t vers l'horizon oppos&eacute;.</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Non, Harry, dit-elle. Il faut que mes yeux s'habituent &agrave; voir ce que savent voir tes yeux&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>A travers la paume de ses mains, Nell percevait encore une lueur rose, qui blanchissait &agrave; mesure que le soleil s'&eacute;levait au dessus de l'horizon. Son regard s'y faisait graduellement. Puis, ses paupi&egrave;res se soulev&egrave;rent, et ses yeux s'impr&eacute;gn&egrave;rent enfin de la lumi&egrave;re du jour.</p>
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+<p>La pieuse enfant tomba &agrave; genoux, s'&eacute;criant&nbsp;:</p>
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+<p>&laquo;&nbsp;Mon Dieu, que votre monde est beau&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
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+<p>La jeune fille baissa les yeux alors et regarda. A ses pieds se d&eacute;roulait le panorama d'&Eacute;dimbourg&nbsp;: les quartiers neufs et bien align&eacute;s de la nouvelle ville, l'amas confus des maisons et le r&eacute;seau bizarre des rues de l'Auld-Recky. Deux hauteurs dominaient cet ensemble, le ch&acirc;teau accroch&eacute; &agrave; son rocher de basalte et Calton Hill, portant sur sa croupe arrondie les ruines modernes d'un monument grec. De magnifiques routes plant&eacute;es rayonnaient de la capitale &agrave; la campagne. Au nord, un bras de mer, le golfe de Forth, entaillait profond&eacute;ment la c&ocirc;te, sur laquelle s'ouvrait le port de Leith. Au-dessus, en troisi&egrave;me plan, se d&eacute;veloppait l'harmonieux littoral du comt&eacute; de Fife. Une voie, droite comme celle du Pir&eacute;e, reliait &agrave; la mer cette Ath&egrave;nes du Nord. Vers l'ouest s'allongeaient les belles plages de Newhaven et de Porto-Bello, dont le sable teignait en jaune les premi&egrave;res lames du ressac. Au large, quelques chaloupes animaient les eaux du golfe, et deux ou trois steamers empanachaient le ciel d'un c&ocirc;ne de fum&eacute;e noire. Puis, au-del&agrave;, verdoyait l'immense campagne. De modestes collines bossuaient &ccedil;&agrave; et l&agrave; la plaine. Au nord, les Lomond-Hills, dans l'ouest, le Ben-Lomond et le Ben-Ledi r&eacute;verb&eacute;raient les rayons solaires, comme si des glaces &eacute;ternelles en eussent tapiss&eacute; les cimes.</p>
+
+<p>Nell ne pouvait parler. Ses l&egrave;vres ne murmuraient que des mots vagues. Ses bras fr&eacute;missaient. Sa t&ecirc;te &eacute;tait prise de vertiges. Un instant, ses forces l'abandonn&egrave;rent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle sublime, elle se sentit tout &agrave; coup faiblir, et tomba sans connaissance dans les bras d'Harry, pr&ecirc;ts &agrave; la recevoir.</p>
+
+<p>Cette jeune fille, dont la vie s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e jusqu'alors dans les entrailles du massif terrestre, avait enfin contempl&eacute; ce qui constitue presque tout l'univers, tel que l'ont fait le Cr&eacute;ateur et l'homme. Ses regards, apr&egrave;s avoir plan&eacute; sur la ville et sur la campagne, venaient de s'&eacute;tendre, pour la premi&egrave;re fois, sur l'immensit&eacute; de la mer et l'infini du ciel.</p>
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+<h4>XVIII</h4>
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+<h4>Du lac Lomond au lac Katrine</h4>
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+<p>Harry portant Nell dans ses bras, suivi de James Starr et de Jack Ryan, redescendit les pentes d'Arthur-Seat. Apr&egrave;s quelques heures de repos et un d&eacute;jeuner r&eacute;confortant qui fut pris &agrave; Lambret's-Hotel, on songea &agrave; compl&eacute;ter l'excursion par une promenade &agrave; travers le pays des lacs.</p>
+
+<p>Nell avait recouvr&eacute; ses forces. Ses yeux pouvaient d&eacute;sormais s'ouvrir tout grands &agrave; la lumi&egrave;re, et ses poumons aspirer largement cet air vivifiant et salubre. Le vert des arbres, la nuance vari&eacute;e des plantes, l'azur du ciel, avaient d&eacute;ploy&eacute; devant ses regards la gamme des couleurs.</p>
+
+<p>Le train qu'ils prirent &agrave; G&eacute;n&eacute;ral railway station, conduisit Nell et ses compagnons &agrave; Glasgow. L&agrave;, du dernier pont jet&eacute; sur la Clyde, ils purent admirer le curieux mouvement maritime du fleuve. Puis, ils pass&egrave;rent la nuit &agrave; Comrie's Royal-h&ocirc;tel.</p>
+
+<p>Le lendemain, de la gare d'&laquo;&nbsp;&Eacute;dimbourg and Glasgow railway&nbsp;&raquo;, le train devait les conduire rapidement, par Dumbarton et Balloch, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; m&eacute;ridionale du lac Lomond.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est l&agrave; le pays de Rob Roy et de Fergus Mac Gregor&nbsp;! s'&eacute;cria James Starr, le territoire si po&eacute;tiquement c&eacute;l&eacute;br&eacute; par Walter Scott&nbsp;! &mdash; Tu ne connais pas ce pays, Jack&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je le connais par ses chansons, monsieur Starr, r&eacute;pondit Jack Ryan, et, lorsqu'un pays a &eacute;t&eacute; si bien chant&eacute;, il doit &ecirc;tre superbe&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il l'est, en effet, s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, et notre ch&egrave;re Nell en conservera le meilleur souvenir&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Avec un guide tel que vous, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, ce sera double profit, car vous nous raconterez l'histoire du pays pendant que nous le regarderons.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Harry, dit l'ing&eacute;nieur, autant que ma m&eacute;moire me le permettra, mais &agrave; une condition, cependant&nbsp;: c'est que le joyeux Jack me viendra en aide&nbsp;! Lorsque je serai fatigu&eacute; de raconter, il chantera&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il ne faudra pas me le dire deux fois&nbsp;&raquo;, r&eacute;pliqua Jack Ryan en lan&ccedil;ant une note vibrante, comme s'il e&ucirc;t voulu monter son gosier au <i>la</i> du diapason.</p>
+
+<p>Par le railway de Glasgow &agrave; Balloch, entre la m&eacute;tropole commerciale de l'&Eacute;cosse et l'extr&eacute;mit&eacute; m&eacute;ridionale du lac Lomond, on ne compte qu'une vingtaine de milles.</p>
+
+<p>Le train passa par Dumbarton, bourg royal et chef-lieu de comt&eacute;, dont le ch&acirc;teau, toujours fortifi&eacute;, conform&eacute;ment au trait&eacute; de l'Union, est pittoresquement camp&eacute; sur les deux pics d'un gros rocher de basalte.</p>
+
+<p>Dumbarton est situ&eacute; au confluent de la Clyde et de la Leven. A ce propos, James Starr raconta quelques particularit&eacute;s de l'aventureuse histoire de Marie Stuart. En effet, ce fut de ce bourg qu'elle partit pour aller &eacute;pouser Fran&ccedil;ois II et devenir reine de France. L&agrave; aussi, apr&egrave;s 1815, le minist&egrave;re anglais m&eacute;dita d'interner Napol&eacute;on; mais le choix de Sainte-H&eacute;l&egrave;ne pr&eacute;valut, et voil&agrave; pourquoi le prisonnier de l'Angleterre alla mourir sur un roc de l'Atlantique, pour le plus grand profit de la l&eacute;gendaire m&eacute;moire.</p>
+
+<p>Bient&ocirc;t, le train s'arr&ecirc;ta &agrave; Balloch, pr&egrave;s d'une estacade en bois qui descendait au niveau du lac.</p>
+
+<p>Un bateau &agrave; vapeur, le <i>Sinclair</i>, attendait les touristes qui font l'excursion des lacs. Nell et ses compagnons s'y embarqu&egrave;rent, apr&egrave;s avoir pris leur billet pour Inversnaid, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; nord du lac Lomond.</p>
+
+<p>La journ&eacute;e commen&ccedil;ait par un beau soleil, bien d&eacute;gag&eacute; de ces brumes britanniques, dont il se voile le plus ordinairement. Aucun d&eacute;tail de ce paysage, qui allait se d&eacute;rouler sur un parcours de trente milles, ne devait &eacute;chapper aux voyageurs du <i>Sinclair</i>. Nell, assise &agrave; l'arri&egrave;re entre James Starr et Harry, aspirait par tous ses sens la po&eacute;sie superbe, dont cette belle nature &eacute;cossaise est si largement empreinte.</p>
+
+<p>Jack Ryan allait et venait sur le pont du <i>Sinclair</i>, interrogeant sans cesse l'ing&eacute;nieur, qui, cependant, n'avait pas besoin d'&ecirc;tre interrog&eacute;. A mesure que ce pays de Rob Roy se d&eacute;veloppait &agrave; ses regards, il le d&eacute;crivait en admirateur enthousiaste.</p>
+
+<p>Dans les premi&egrave;res eaux du lac Lomond, apparurent d'abord de nombreuses petites &icirc;les ou &icirc;lots. C'&eacute;tait comme un semis. Le <i>Sinclair</i> c&ocirc;toyait leurs rives escarp&eacute;es, et, dans l'entre-deux des &icirc;les, se dessinaient, tant&ocirc;t une vall&eacute;e solitaire, tant&ocirc;t une gorge sauvage, h&eacute;riss&eacute;e de rocs abrupts.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell, dit James Starr, chacun de ces &icirc;lots a sa l&eacute;gende, et peut-&ecirc;tre sa chanson, aussi bien que les monts qui encadrent le lac. On peut dire, sans trop de pr&eacute;tention, que l'histoire de cette contr&eacute;e est &eacute;crite avec ces caract&egrave;res gigantesques d'&icirc;les et de montagnes.</p>
+
+<p>&mdash; Savez-vous, monsieur Starr, dit Harry, ce que me rappelle cette partie du lac Lomond&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Que te rappelle-t-elle, Harry&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Les mille &icirc;les du lac Ontario, si admirablement d&eacute;crites par Cooper. Tu dois &ecirc;tre comme moi frapp&eacute;e de cette ressemblance, ma ch&egrave;re Nell, car, il y a quelques jours, je t'ai lu ce roman qu'on a pu justement nommer le chef-d'&oelig;uvre de l'auteur am&eacute;ricain.</p>
+
+<p>&mdash; En effet, Harry, r&eacute;pondit la jeune fille, c'est le m&ecirc;me aspect, et le <i>Sinclair</i> se glisse entre ces &icirc;les, comme faisait au lac Ontario le cutter de Jasper Eau-douce&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh bien, reprit l'ing&eacute;nieur, cela prouve que les deux sites m&eacute;ritaient d'&ecirc;tre &eacute;galement chant&eacute;s par deux po&egrave;tes&nbsp;! Je ne connais pas ces mille &icirc;les de l'Ontario, Harry, mais je doute que l'aspect en soit plus vari&eacute; que celui de cet archipel du Lomond. Regardez ce paysage&nbsp;! voici l'&icirc;le Murray, avec son vieux fort Lennox, o&ugrave; r&eacute;sida la vieille duchesse d'Albany, apr&egrave;s la mort de son p&egrave;re, de son &eacute;poux, de ses deux fils, d&eacute;capit&eacute;s par ordre de Jacques Ier. Voici l'&icirc;le Clar, l'&icirc;le Cro, l'&icirc;le Torr, les unes rocheuses, sauvages, sans apparence de v&eacute;g&eacute;tation, les autres, montrant leur croupe verte et arrondie. Ici, des m&eacute;l&egrave;zes et des bouleaux. L&agrave;, des champs de bruy&egrave;res jaunes et dess&eacute;ch&eacute;es. En v&eacute;rit&eacute;&nbsp;! j'ai quelque peine &agrave; croire que les mille &icirc;les du lac Ontario offrent une telle vari&eacute;t&eacute; de sites&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Quel est ce petit port&nbsp;? demanda Nell, qui s'&eacute;tait retourn&eacute;e vers la rive orientale du lac.</p>
+
+<p>&mdash; C'est Balmaha, qui forme l'entr&eacute;e des Highlands, r&eacute;pondit James Starr. L&agrave; commencent nos hautes terres d'&Eacute;cosse. Les ruines que tu aper&ccedil;ois, Nell, sont celles d'un ancien couvent de femmes, et ces tombes &eacute;parses renferment divers membres de la famille des Mac Gregor, dont le nom est encore c&eacute;l&egrave;bre dans toute la contr&eacute;e.</p>
+
+<p>&mdash; C&eacute;l&egrave;bre par le sang que cette famille a r&eacute;pandu et fait r&eacute;pandre&nbsp;! fit observer Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Tu as raison, r&eacute;pondit James Starr, et il faut bien avouer que la c&eacute;l&eacute;brit&eacute;, due aux batailles, est encore la plus retentissante. Ils vont loin &agrave; travers les &acirc;ges ces r&eacute;cits de combats...</p>
+
+<p>&mdash; Et ils se perp&eacute;tuent par les chansons&nbsp;&raquo;, ajouta Jack Ryan.</p>
+
+<p>Et, &agrave; l'appui de son dire, le brave gar&ccedil;on entonna le premier couplet d'un vieux chant de guerre, qui relatait les exploits d'Alexandre Mac Gregor, du glen Sra&euml;, contre sir Humphry Colquhour, de Luss.</p>
+
+<p>Nell &eacute;coutait, mais, de ces r&eacute;cits de combats, elle ne recevait qu'une impression triste. Pourquoi tant de sang vers&eacute; sur ces plaines que la jeune fille trouvait immenses, l&agrave; o&ugrave; la place, cependant, ne devait manquer &agrave; personne&nbsp;?</p>
+
+<p>Les rives du lac, qui mesurent de trois &agrave; quatre milles, tendaient &agrave; se rapprocher aux abords du petit port de Luss. Nell put apercevoir un instant la vieille tour de l'ancien ch&acirc;teau. Puis, le <i>Sinclair</i> remit le cap au nord, et aux yeux des touristes se montra le Ben Lomond, qui s'&eacute;l&egrave;ve &agrave; pr&egrave;s de trois mille pieds au-dessus du niveau du lac.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;L'admirable montagne&nbsp;! s'&eacute;cria Nell, et, de son sommet, que la vue doit &ecirc;tre belle&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Nell, r&eacute;pondit James Starr. Regarde comme cette cime se d&eacute;gage fi&egrave;rement de la corbeille de ch&ecirc;nes, de bouleaux, de m&eacute;l&egrave;zes, qui tapissent la zone inf&eacute;rieure du mont&nbsp;! De l&agrave;, on aper&ccedil;oit les deux tiers de notre vieille Cal&eacute;donie. C'est ici que le clan de Mac Gregor faisait sa r&eacute;sidence habituelle, sur la partie orientale du lac. Non loin, les querelles des Jacobites et des Hanovriens ont plus d'une fois ensanglant&eacute; ces gorges d&eacute;sol&eacute;es. L&agrave;, pendant les belles nuits, se l&egrave;ve cette p&acirc;le lune, que les vieux r&eacute;cits nomment &laquo;&nbsp;la lanterne de Mac Farlane&nbsp;&raquo;. L&agrave;, les &eacute;chos r&eacute;p&egrave;tent encore les noms imp&eacute;rissables de Rob Roy et de Mac Gregor Campbell&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Le Ben Lomond, dernier pic de la cha&icirc;ne des Grampians, m&eacute;rite vraiment d'avoir &eacute;t&eacute; c&eacute;l&eacute;br&eacute; par le grand romancier &eacute;cossais. Ainsi que le fit observer James Starr, il existe de plus hautes montagnes, dont la cime rev&ecirc;t des neiges &eacute;ternelles, mais il n'en est peut-&ecirc;tre pas de plus po&eacute;tique en aucun coin du monde.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et, ajouta-t-il, quand je pense que ce Ben Lomond appartient tout entier au duc de Montrose&nbsp;! Sa Gr&acirc;ce poss&egrave;de une montagne comme un bourgeois de Londres poss&egrave;de un boulingrin dans son jardinet.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Pendant ce temps, le <i>Sinclair</i> arrivait au village de Tarbet, sur la rive oppos&eacute;e du lac, o&ugrave; il d&eacute;posa les voyageurs qui se rendaient &agrave; Inverary. De cet endroit, le Ben Lomond apparaissait dans toute sa beaut&eacute;. Ses flancs, z&eacute;br&eacute;s par le lit des torrents, miroitaient comme des plaques d'argent en fusion.</p>
+
+<p>A mesure que le <i>Sinclair</i> longeait la base de la montagne, le pays devenait de plus en plus abrupt. A peine, &ccedil;&agrave; et l&agrave;, des arbres isol&eacute;s, entre autres quelques-uns de ces saules, dont les baguettes servaient autrefois &agrave; pendre les gens de petite condition.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Pour &eacute;conomiser le chanvre&nbsp;&raquo;, fit observer James Starr.</p>
+
+<p>Le lac, cependant, se r&eacute;tr&eacute;cissait en s'allongeant vers le nord. Les montagnes lat&eacute;rales l'enserraient plus &eacute;troitement. Le bateau &agrave; vapeur longea encore quelques &icirc;les et &icirc;lots, Inveruglas, Eilad Whou, o&ugrave; se dressaient les vestiges d'une forteresse qui appartenait aux Mac Farlane. Enfin les deux rives se rejoignirent, et le <i>Sinclair</i> s'arr&ecirc;ta &agrave; la station d'Inverslaid.</p>
+
+<p>L&agrave;, pendant qu'on pr&eacute;parait leur d&eacute;jeuner, Nell et ses compagnons all&egrave;rent visiter, pr&egrave;s du lieu de d&eacute;barquement, un torrent qui se pr&eacute;cipitait dans le lac d'une assez grande hauteur. Il paraissait avoir &eacute;t&eacute; plant&eacute; l&agrave; comme un d&eacute;cor, pour le plaisir des touristes. Un pont tremblant sautait par-dessus les eaux tumultueuses, au milieu d'une poussi&egrave;re liquide. De cet endroit, le regard embrassait une grande partie du Lomond, et le <i>Sinclair</i> ne paraissait plus &ecirc;tre qu'un point &agrave; sa surface.</p>
+
+<p>Le d&eacute;jeuner achev&eacute;, il s'agissait de se rendre au lac Katrine. Plusieurs voitures, aux armes de la famille Breadalbane &mdash; cette famille qui assurait autrefois le bois et l'eau &agrave; Rob Roy fugitif &mdash; &eacute;taient &agrave; la disposition des voyageurs et leur offraient tout ce confort qui distingue la carrosserie anglaise.</p>
+
+<p>Harry installa Nell sur l'imp&eacute;riale, conform&eacute;ment &agrave; la mode du jour. Ses compagnons et lui prirent place aupr&egrave;s d'elle. Un magnifique cocher, &agrave; livr&eacute;e rouge, r&eacute;unit dans sa main gauche les guides de ses quatre chevaux, et l'attelage commen&ccedil;a &agrave; gravir le flanc de la montagne, en c&ocirc;toyant le lit sinueux du torrent.</p>
+
+<p>La route &eacute;tait fort escarp&eacute;e. A mesure qu'elle s'&eacute;levait, la forme des cimes environnantes semblait se modifier. On voyait grandir superbement toute la cha&icirc;ne de la rive oppos&eacute;e du lac et les sommets d'Arroquhar, dominant la vall&eacute;e d'Inveruglas. A gauche pointait le Ben Lomond, qui d&eacute;couvrait ainsi le brusque escarpement de son flanc septentrional.</p>
+
+<p>Le pays compris entre le lac Lomond et le lac Katrine pr&eacute;sentait un aspect sauvage. La vall&eacute;e commen&ccedil;ait par des d&eacute;fil&eacute;s &eacute;troits qui aboutissaient au glen d'Aberfoyle. Ce nom rappela douloureusement &agrave; la jeune fille ces ab&icirc;mes remplis d'&eacute;pouvante, au fond desquels s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e son enfance. Aussi James Starr s'empressa-t-il de la distraire par ses r&eacute;cits.</p>
+
+<p>La contr&eacute;e y pr&ecirc;tait, d'ailleurs. C'est sur les bords du petit lac d'Ard que se sont accomplis les principaux &eacute;v&eacute;nements de la vie de Rob Roy. L&agrave; se dressaient des roches calcaires d'un aspect sinistre, entrem&ecirc;l&eacute;es de cailloux, que l'action du temps et de l'atmosph&egrave;re avait durcis comme du ciment. De mis&eacute;rables huttes, semblables &agrave; des tani&egrave;res &mdash; de celles qu'on appelle &laquo;&nbsp;bourrochs&nbsp;&raquo; &mdash;, gisaient au milieu des bergeries en ruine. On n'e&ucirc;t pu dire si elles &eacute;taient habit&eacute;es par des cr&eacute;atures humaines ou des b&ecirc;tes sauvages. Quelques marmots, aux cheveux d&eacute;j&agrave; d&eacute;color&eacute;s par l'intemp&eacute;rie du climat, regardaient passer les voitures avec de grands yeux &eacute;bahis.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; bien, dit James Starr, ce que l'on peut plus particuli&egrave;rement appeler le pays de Rob Roy. C'est ici que l'excellent bailli Nichol Jarvie, digne fils de son p&egrave;re le diacre, fut saisi par la milice du comte de Lennox. C'est &agrave; cet endroit m&ecirc;me qu'il resta suspendu par le fond de sa culotte, heureusement faite d'un bon drap d'&Eacute;cosse, et non de ces camelots l&eacute;gers de France&nbsp;! Non loin des sources du Forth, qu'alimentent les torrents du Ben Lomond, se voit encore le gu&eacute; que franchit le h&eacute;ros pour &eacute;chapper aux soldats du duc de Montrose. Ah&nbsp;! s'il avait connu les sombres retraites de notre houill&egrave;re, il aurait pu y d&eacute;fier toutes les recherches&nbsp;! vous le voyez, mes amis, on ne peut faire un pas dans cette contr&eacute;e, merveilleuse &agrave; tant de titres, sans rencontrer ces souvenirs du pass&eacute; dont s'est inspir&eacute; Walter Scott, lorsqu'il a paraphras&eacute; en strophes magnifiques l'appel aux armes du clan des Mac Gregor&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tout cela est bien dit, monsieur Starr, r&eacute;pliqua Jack Ryan, mais, s'il est vrai que Nichol Jarvie resta suspendu par le fond de sa culotte, que devient notre proverbe&nbsp;: &laquo;&nbsp;Bien malin celui qui pourra jamais prendre la culotte d'un &Eacute;cossais&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&mdash; Ma foi, Jack, tu as raison, r&eacute;pondit en riant James Starr, et cela prouve tout simplement que, ce jour-l&agrave;, notre bailli n'&eacute;tait pas v&ecirc;tu &agrave; la mode de ses anc&ecirc;tres&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Il eut tort, monsieur Starr&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je n'en disconviens pas, Jack&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'attelage, apr&egrave;s avoir gravi les abruptes rives du torrent, redescendit dans une vall&eacute;e sans arbres, sans eaux, uniquement couverte d'une maigre bruy&egrave;re. En certains endroits, quelques tas de pierres s'&eacute;levaient en pyramides.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ce sont des cairns, dit James Starr. Chaque passant, autrefois, devait y apporter une pierre, pour honorer le h&eacute;ros couch&eacute; sous ces tombes. De l&agrave; est venu le dicton ga&eacute;lique&nbsp;: &laquo;&nbsp;Malheur &agrave; qui passe devant un cairn sans y d&eacute;poser la pierre du dernier salut&nbsp;!&nbsp;&raquo; Si les fils avaient conserv&eacute; la foi de leurs p&egrave;res, ces amas de pierres seraient maintenant des collines. En v&eacute;rit&eacute;, dans cette contr&eacute;e, tout contribue &agrave; d&eacute;velopper cette po&eacute;sie naturelle inn&eacute;e au c&oelig;ur des montagnards&nbsp;! Il en est ainsi de tous les pays de montagne. L'imagination y est surexcit&eacute;e par ces merveilles, et, si les Grecs eussent habit&eacute; un pays de plaines, ils n'auraient jamais invent&eacute; la mythologie antique&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Pendant ces discours et bien d'autres, la voiture s'enfon&ccedil;ait dans les d&eacute;fil&eacute;s d'une vall&eacute;e &eacute;troite, qui e&ucirc;t &eacute;t&eacute; tr&egrave;s propice aux &eacute;bats des brawnies familiers de la grande Meg M&eacute;rillies. Le petit lac d'Arklet fut laiss&eacute; sur la gauche, et une route &agrave; pente raide se pr&eacute;senta, qui conduisait &agrave; l'auberge de Stronachlacar, sur la rive du lac Katrine.</p>
+
+<p>L&agrave;, au musoir d'une l&eacute;g&egrave;re estacade, se balan&ccedil;ait un petit steam-boat, qui portait naturellement le nom de <i>Rob-Roy</i>. Les voyageurs s'y embarqu&egrave;rent aussit&ocirc;t&nbsp;: il allait partir.</p>
+
+<p>Le lac Katrine ne mesure que dix milles de longueur, sur une largeur qui ne d&eacute;passe jamais deux milles. Les premi&egrave;res collines du littoral sont encore empreintes d'un grand caract&egrave;re.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Voil&agrave; donc ce lac, s'&eacute;cria James Starr, que l'on a justement compar&eacute; &agrave; une longue anguille&nbsp;! On affirme qu'il ne g&egrave;le jamais. Je n'en sais rien, mais ce qu'il ne faut point oublier, c'est qu'il a servi de th&eacute;&acirc;tre aux exploits de la <i>Dame du lac</i>. Je suis certain que, si notre ami Jack regardait bien, il verrait glisser encore &agrave; sa surface l'ombre l&eacute;g&egrave;re de la belle H&eacute;l&egrave;ne Douglas&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Certainement, monsieur Starr, r&eacute;pondit Jack Ryan, et pourquoi ne la verrais-je point&nbsp;? Pourquoi cette jolie femme ne serait elle pas aussi visible sur les eaux du lac Katrine, que le sont les lutins de la houill&egrave;re sur les eaux du lac Malcolm&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>En cet instant, les sons clairs d'une cornemuse se firent entendre &agrave; l'arri&egrave;re du <i>Rob-Roy</i>.</p>
+
+<p>L&agrave;, un Highlander en costume national pr&eacute;ludait, sur son &laquo;&nbsp;bag-pipe&nbsp;&raquo; &agrave; trois bourdons, dont le plus gros sonnait le <i>sol</i>, le second le <i>si</i>, et le plus petit l'octave du gros. Quant au chalumeau, perc&eacute; de huit trous, il donnait une gamme de <i>sol</i> majeur dont le <i>fa</i> &eacute;tait naturel.</p>
+
+<p>Le refrain du Highlander &eacute;tait un chant simple, doux et na&iuml;f. On peut croire, v&eacute;ritablement, que ces m&eacute;lodies nationales n'ont &eacute;t&eacute; compos&eacute;es par personne, qu'elles sont un m&eacute;lange naturel du souffle de la brise, du murmure des eaux, du bruissement des feuilles. La forme du refrain, qui revenait &agrave; intervalles r&eacute;guliers, &eacute;tait bizarre. Sa phrase se composait de trois mesures &agrave; deux temps, et d'une mesure &agrave; trois temps, finissant sur le temps faible. Contrairement aux chants de la vieille &eacute;poque, il &eacute;tait en majeur, et l'on e&ucirc;t pu l'&eacute;crire comme suit, dans ce langage chiffr&eacute; qui donne, non les notes, mais les intervalles des tons&nbsp;:</p>
+
+<pre>
+ 5 | 1.2 | 3525 | 1.765 | 22.22
+ &middot;&middot;&middot;
+
+ 1.2 | 3525 | 1.765 | 11.11
+ &middot;&middot;&middot;
+</pre>
+
+<p>Un homme v&eacute;ritablement heureux alors, ce fut Jack Ryan. Ce chant des lacs d'&Eacute;cosse, il le savait. Aussi, pendant que le Highlander l'accompagnait sur sa cornemuse, il chanta de sa voix sonore un hymne, consacr&eacute; aux po&eacute;tiques l&eacute;gendes de la vieille Cal&eacute;donie&nbsp;:</p>
+
+<blockquote>Beaux lacs aux ondes dormantes,<br>
+&nbsp; &nbsp; Gardez &agrave; jamais<br>
+Vos l&eacute;gendes charmantes,<br>
+&nbsp; &nbsp; Beaux lacs &eacute;cossais&nbsp;!<br>
+<br>
+Sur vos bords on trouve la trace<br>
+De ces h&eacute;ros tant regrett&eacute;s,<br>
+Ces descendants de noble race,<br>
+Que notre Walter a chant&eacute;s&nbsp;!<br>
+Voici la tour o&ugrave; les sorci&egrave;res<br>
+Pr&eacute;paraient leur repas frugal;<br>
+L&agrave;, les vastes champs de bruy&egrave;res,<br>
+O&ugrave; revient l'ombre de Fingal.<br>
+<br>
+Ici passent dans la nuit sombre<br>
+Les folles danses des lutins.<br>
+L&agrave;, sinistre, appara&icirc;t dans l'ombre<br>
+La face des vieux Puritains&nbsp;!<br>
+Et parmi les rochers sauvages,<br>
+Le soir, on peut surprendre encore<br>
+Waverley, qui, vers vos rivages,<br>
+Entra&icirc;ne Flora Mac Ivor&nbsp;!<br>
+<br>
+La Dame du Lac vient sans doute<br>
+Errer l&agrave; sur son palefroi,<br>
+Et Diana, non loin, &eacute;coute<br>
+R&eacute;sonner le cor de Rob Roy&nbsp;!<br>
+N'a-t-on pas entendu nagu&egrave;re<br>
+Fergus au milieu de ses clans,<br>
+Entonnant ses pibrochs de guerre,<br>
+R&eacute;veiller l'&eacute;cho des Highlands<br>
+<br>
+Si loin de vous, lacs po&eacute;tiques,<br>
+Que le destin m&egrave;ne nos pas,<br>
+Ravins, rochers, grottes antiques,<br>
+Nos yeux ne vous oublieront pas&nbsp;!<br>
+&Ocirc; vision trop t&ocirc;t finie,<br>
+Vers nous ne peux-tu revenir<br>
+A toi, vieille Cal&eacute;donie,<br>
+A toi, tout notre souvenir&nbsp;!<br>
+<br>
+Beaux lacs aux ondes dormantes,<br>
+ &nbsp; &nbsp; Gardez &agrave; jamais<br>
+Vos l&eacute;gendes charmantes,<br>
+&nbsp; &nbsp; Beaux lacs &eacute;cossais&nbsp;!<br>
+</blockquote>
+
+<p>Il &eacute;tait trois heures du soir. Les rives occidentales du lac Katrine, moins accident&eacute;es, se d&eacute;tachaient alors dans le double cadre du Ben An et du Ben venue. D&eacute;j&agrave;, &agrave; un demi-mille, se dessinait l'&eacute;troit bassin, au fond duquel le <i>Rob-Roy</i> allait d&eacute;barquer les voyageurs, qui se rendaient &agrave; Stirling par Callander.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait comme &eacute;puis&eacute;e par la tension continue de son esprit. Un seul mot sortait de ses l&egrave;vres&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon Dieu&nbsp;! mon Dieu&nbsp;!&nbsp;&raquo; chaque fois qu'un nouveau sujet d'admiration s'offrait &agrave; sa vue. Il lui fallait quelques heures de repos, ne f&ucirc;t-ce que pour fixer plus durablement le souvenir de tant de merveilles.</p>
+
+<p>A ce moment, Harry avait repris sa main. Il regarda la jeune fille avec &eacute;motion et lui dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell, ma ch&egrave;re Nell, bient&ocirc;t nous serons rentr&eacute;s dans notre sombre domaine&nbsp;! Ne regretteras-tu rien de ce que tu as vu pendant ces quelques heures pass&eacute;es &agrave; la pleine lumi&egrave;re du jour&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Non, Harry, r&eacute;pondit la jeune fille. Je me souviendrai, mais c'est avec bonheur que je rentrerai avec toi dans notre bien-aim&eacute;e houill&egrave;re.</p>
+
+<p>&mdash; Nell, demanda Harry d'une voix dont il voulait en vain contenir l'&eacute;motion, veux-tu qu'un lien sacr&eacute; nous unisse &agrave; jamais devant Dieu et devant les hommes&nbsp;? veux-tu de moi pour &eacute;poux&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je le veux, Harry, r&eacute;pondit Nell, en le regardant de ses yeux si purs, je le veux, si tu crois que je puisse suffire &agrave; ta vie...&nbsp;&raquo; Nell n'avait pas achev&eacute; cette phrase, dans laquelle se r&eacute;sumait tout l'avenir d'Harry, qu'un inexplicable ph&eacute;nom&egrave;ne se produisait.</p>
+
+<p>Le <i>Rob-Roy</i>, bien qu'il f&ucirc;t encore &agrave; un demi-mille de la rive, &eacute;prouvait un choc brusque. Sa quille venait de heurter le fond du lac, et sa machine, malgr&eacute; tous ses efforts, ne put l'en arracher.</p>
+
+<p>Et si cet accident &eacute;tait arriv&eacute;, c'est que, dans sa portion orientale, le lac Katrine venait de se vider presque subitement, comme si une immense fissure se f&ucirc;t ouverte sous son lit. En quelques secondes, il s'&eacute;tait ass&eacute;ch&eacute;, ainsi qu'un littoral au plus bas d'une grande mar&eacute;e d'&eacute;quinoxe. Presque tout son contenu avait fui &agrave; travers les entrailles du sol.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mes amis, s'&eacute;tait &eacute;cri&eacute; James Starr, comme si la cause du ph&eacute;nom&egrave;ne se f&ucirc;t soudain r&eacute;v&eacute;l&eacute;e &agrave; son esprit, Dieu sauve la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&nbsp;<br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XIX</h4>
+
+<h4>Une derni&egrave;re menace</h4>
+</center>
+
+<p>Ce jour-l&agrave;, dans la Nouvelle-Aberfoyle, les travaux s'accomplissaient d'une fa&ccedil;on r&eacute;guli&egrave;re. On entendait au loin le fracas des cartouches de dynamite, faisant &eacute;clater le filon carbonif&egrave;re. Ici, c'&eacute;taient les coups de pic et de pince qui provoquaient l'abatage du charbon; l&agrave;, le grincement des perforatrices, dont les fleurets trouaient les failles de gr&egrave;s ou de schiste. Il se faisait de longs bruits caverneux. L'air aspir&eacute; par les machines fusait &agrave; travers les galeries d'a&eacute;ration. Les portes de bois se refermaient brusquement sous ces violentes pouss&eacute;es. Dans les tunnels inf&eacute;rieurs, les trains de wagonnets, mus m&eacute;caniquement, passaient avec une vitesse de quinze milles &agrave; l'heure, et les timbres automatiques pr&eacute;venaient les ouvriers de se blottir dans les refuges. Les cages montaient et descendaient sans rel&acirc;che, hal&eacute;es par les &eacute;normes tambours des machines install&eacute;es &agrave; la surface du sol. Les disques, pouss&eacute;s &agrave; plein feu, &eacute;clairaient vivement Coal-city.</p>
+
+<p>L'exploitation &eacute;tait donc conduite avec la plus grande activit&eacute;. Le filon s'&eacute;grenait dans les wagonnets, qui venaient par centaines se vider dans les bennes, au fond des puits d'extraction. Pendant qu'une partie des mineurs se reposait apr&egrave;s les travaux nocturnes, les &eacute;quipes de jour travaillaient sans perdre une heure.</p>
+
+<p>Simon Ford et Madge, leur d&icirc;ner termin&eacute;, s'&eacute;taient install&eacute;s dans la cour du cottage. Le vieil overman faisait sa sieste accoutum&eacute;e. Il fumait sa pipe bourr&eacute;e d'excellent tabac de France. Lorsque les deux &eacute;poux causaient, c'&eacute;tait pour parler de Nell, de leur gar&ccedil;on, de James Starr, de cette excursion &agrave; la surface de la terre. O&ugrave; &eacute;taient-ils&nbsp;? Que faisaient-ils en ce moment&nbsp;? Comment, sans &eacute;prouver la nostalgie de la houill&egrave;re, pouvaient-ils rester si longtemps au-dehors&nbsp;?</p>
+
+<p>En ce moment, un mugissement d'une violence extraordinaire se fit soudain entendre. C'&eacute;tait &agrave; croire qu'une &eacute;norme cataracte se pr&eacute;cipitait dans la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Simon Ford et Madge s'&eacute;taient lev&eacute;s brusquement.</p>
+
+<p>Presque aussit&ocirc;t les eaux du lac Malcolm se gonfl&egrave;rent. Une haute vague, d&eacute;ferlant comme une lame de mascaret, envahit la rive et vint se briser contre le mur du cottage.</p>
+
+<p>Simon Ford, saisissant Madge, l'avait rapidement entra&icirc;n&eacute;e au premier &eacute;tage de l'habitation.</p>
+
+<p>En m&ecirc;me temps, des cris s'&eacute;levaient de toutes parts dans Coalcity, menac&eacute;e par cette inondation subite. Ses habitants cherchaient refuge jusque sur les hautes roches schisteuses, qui formaient le littoral du lac.</p>
+
+<p>La terreur &eacute;tait au comble. D&eacute;j&agrave; quelques familles de mineurs, &agrave; demi affol&eacute;es, se pr&eacute;cipitaient vers le tunnel, pour gagner les &eacute;tages sup&eacute;rieurs. On pouvait craindre que la mer n'e&ucirc;t fait irruption dans la houill&egrave;re, dont les galeries s'enfon&ccedil;aient jusque sous le canal du Nord. La crypte, si vaste qu'elle f&ucirc;t, aurait &eacute;t&eacute; enti&egrave;rement noy&eacute;e. Pas un des habitants de la Nouvelle-Aberfoyle n'e&ucirc;t &eacute;chapp&eacute; &agrave; la mort.</p>
+
+<p>Mais, au moment o&ugrave; les premiers fuyards atteignaient l'orifice du tunnel, ils se trouv&egrave;rent en face de Simon Ford, qui avait aussit&ocirc;t quitt&eacute; le cottage.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Arr&ecirc;tez, arr&ecirc;tez, mes amis&nbsp;! leur cria le vieil overman. Si notre cit&eacute; devait &ecirc;tre envahie, l'inondation courrait plus vite que vous, et personne ne lui &eacute;chapperait&nbsp;! Mais les eaux ne croissent plus&nbsp;! Tout danger para&icirc;t &ecirc;tre &eacute;cart&eacute;.</p>
+
+<p>&mdash; Et nos compagnons qui sont occup&eacute;s aux travaux du fond&nbsp;? s'&eacute;cri&egrave;rent quelques-uns des mineurs.</p>
+
+<p>&mdash; Il n'y a rien &agrave; craindre pour eux, r&eacute;pondit Simon Ford. L'exploitation se fait &agrave; un &eacute;tage sup&eacute;rieur au lit du lac&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Les faits devaient donner raison au vieil overman. L'envahissement de l'eau s'&eacute;tait produit subitement; mais, r&eacute;parti &agrave; l'&eacute;tage inf&eacute;rieur de la vaste houill&egrave;re, il n'avait eu d'autre effet que de sur&eacute;lever de quelques pieds le niveau du lac Malcolm. Coal-city n'&eacute;tait donc pas compromise, et l'on pouvait esp&eacute;rer que l'inondation, entra&icirc;n&eacute;e dans les plus basses profondeurs de la houill&egrave;re, encore inexploit&eacute;es, n'aurait fait aucune victime.</p>
+
+<p>Quant &agrave; cette inondation, si elle &eacute;tait due &agrave; l'&eacute;panchement d'une nappe int&eacute;rieure &agrave; travers les fissures du massif, ou si quelque cours d'eau du sol s'&eacute;tait pr&eacute;cipit&eacute; par son lit effondr&eacute; jusqu'aux derniers &eacute;tages de la mine, Simon Ford et ses compagnons ne pouvaient le dire. Quant &agrave; penser qu'il s'agissait l&agrave; d'un simple accident, tel qu'il s'en produit quelquefois dans les charbonnages, cela ne faisait doute pour personne.</p>
+
+<p>Mais, le soir m&ecirc;me, on savait &agrave; quoi s'en tenir. Les journaux du comt&eacute; publiaient le r&eacute;cit de cet &eacute;trange ph&eacute;nom&egrave;ne, dont le lac Katrine avait &eacute;t&eacute; le th&eacute;&acirc;tre. Nell, Harry, James Starr et Jack Ryan, qui &eacute;taient revenus en toute h&acirc;te au cottage, confirmaient ces nouvelles, et apprenaient, non sans grande satisfaction, que tout se bornait &agrave; des d&eacute;g&acirc;ts mat&eacute;riels dans la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Ainsi donc, le lit du lac Katrine s'&eacute;tait subitement effondr&eacute;. Ses eaux avaient fait irruption &agrave; travers une large fissure jusque dans la houill&egrave;re. Au lac favori du romancier &eacute;cossais, il ne restait plus de quoi mouiller les jolis pieds de la Dame du Lac, &mdash; du moins dans toute sa partie m&eacute;ridionale. Un &eacute;tang de quelques acres, voil&agrave; &agrave; quoi il &eacute;tait r&eacute;duit, l&agrave; o&ugrave; son lit se trouvait en contrebas de la portion effondr&eacute;e.</p>
+
+<p>Quel retentissement eut cet &eacute;v&eacute;nement bizarre&nbsp;! C'&eacute;tait la premi&egrave;re fois, sans doute, qu'un lac se vidait en quelques instants dans les entrailles du sol. Il n'y avait plus, maintenant, qu'&agrave; rayer celui-ci des cartes du Royaume-Uni, jusqu'&agrave; ce qu'on l'e&ucirc;t rempli de nouveau &mdash; par souscription publique &mdash;, apr&egrave;s avoir pr&eacute;alablement bouch&eacute; la fissure. Walter Scott en f&ucirc;t mort de d&eacute;sespoir, &mdash; s'il e&ucirc;t encore &eacute;t&eacute; de ce monde&nbsp;!</p>
+
+<p>Apr&egrave;s tout, l'accident &eacute;tait explicable. En effet, entre la profonde cavit&eacute; et le lit du lac, l'&eacute;tage des terrains secondaires se r&eacute;duisait &agrave; une mince couche, par suite d'une disposition g&eacute;ologique particuli&egrave;re du massif.</p>
+
+<p>Mais, si cet &eacute;boulement semblait &ecirc;tre d&ucirc; &agrave; une cause naturelle, James Starr, Simon et Harry Ford se demand&egrave;rent, eux, s'il ne fallait pas l'attribuer &agrave; la malveillance. Les soup&ccedil;ons &eacute;taient revenus avec plus de force &agrave; leur esprit. Le g&eacute;nie malfaisant allait-il donc recommencer ses entreprises contre les exploitants de la riche houill&egrave;re&nbsp;?</p>
+
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, James Starr en causait au cottage avec le vieil overman et son fils.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Simon, dit-il, suivant moi, bien que le fait puisse s'expliquer de lui-m&ecirc;me, j'ai comme un pressentiment qu'il rentre dans la cat&eacute;gorie de ceux dont nous recherchons encore la cause&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Je pense comme vous, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford; mais, si vous m'en croyez, n'&eacute;bruitons rien et faisons notre enqu&ecirc;te nous-m&ecirc;mes.</p>
+
+<p>&mdash; Oh&nbsp;! s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, j'en connais le r&eacute;sultat d'avance&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Eh&nbsp;! quel sera-t-il&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Nous trouverons les preuves de la malveillance, mais non le malfaiteur&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cependant il existe&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford. O&ugrave; se cache-t-il&nbsp;? Un seul &ecirc;tre, si pervers qu'il soit, pourrait-il mener &agrave; bien une id&eacute;e aussi infernale que celle de provoquer l'effondrement d'un lac&nbsp;? vraiment, je finirai par croire, avec Jack Ryan, que c'est quelque g&eacute;nie de la houill&egrave;re, qui nous en veut d'avoir envahi son domaine&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Il va sans dire que Nell, autant que possible, &eacute;tait tenue en dehors de ces conciliabules. Elle aidait, d'ailleurs, au d&eacute;sir qu'on avait de ne lui en rien laisser soup&ccedil;onner. Son attitude t&eacute;moignait, toutefois, qu'elle partageait les pr&eacute;occupations de sa famille adoptive. Sa figure attrist&eacute;e portait la marque des combats int&eacute;rieurs qui l'agitaient.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, il fut r&eacute;solu que James Starr, Simon et Harry Ford retourneraient sur le lieu m&ecirc;me de l'&eacute;boulement, et qu'ils essaieraient de se rendre compte de ses causes. Ils ne parl&egrave;rent &agrave; personne de leur projet. A qui n'e&ucirc;t pas connu l'ensemble des faits qui lui servaient de base, l'opinion de James Starr et de ses amis devait sembler absolument inadmissible.</p>
+
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, tous trois, montant un l&eacute;ger canot que man&oelig;uvrait Harry, vinrent examiner les piliers naturels qui soutenaient la partie du massif, dans laquelle se creusait le lit du lac Katrine.</p>
+
+<p>Cet examen leur donna raison. Les piliers avaient &eacute;t&eacute; attaqu&eacute;s &agrave; coups de mine. Les traces noircies &eacute;taient encore visibles, car les eaux avaient baiss&eacute; par suite d'infiltrations, et l'on pouvait arriver jusqu'&agrave; la base de la substruction.</p>
+
+<p>Cette chute d'une portion des vo&ucirc;tes du d&ocirc;me avait &eacute;t&eacute; pr&eacute;m&eacute;dit&eacute;e, puis ex&eacute;cut&eacute;e de main d'homme.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Aucun doute n'est possible, dit James Starr. Et qui sait ce qui serait arriv&eacute;, si, au lieu de ce petit lac, l'effondrement e&ucirc;t ouvert passage aux eaux d'une mer&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Oui&nbsp;! s'&eacute;cria le vieil overman avec un sentiment de fiert&eacute;, il n'aurait pas fallu moins d'une mer pour noyer notre Aberfoyle&nbsp;! Mais, encore une fois, quel int&eacute;r&ecirc;t peut avoir un &ecirc;tre quelconque &agrave; la ruine de notre exploitation&nbsp;?.</p>
+
+<p>&mdash; C'est incompr&eacute;hensible, r&eacute;pondit James Starr. Il ne s'agit pas l&agrave; d'une bande de malfaiteurs vulgaires qui, de l'antre o&ugrave; ils s'abritent, se r&eacute;pandraient sur le pays pour voler et piller&nbsp;! De tels m&eacute;faits, depuis trois ans, auraient r&eacute;v&eacute;l&eacute; leur existence&nbsp;! Il ne s'agit pas, non plus, comme j'y ai pens&eacute; quelquefois, de contrebandiers ou de faux monnayeurs, cachant dans quelque recoin encore ignor&eacute; de ces immenses cavernes leur coupable industrie, et int&eacute;ress&eacute;s par suite &agrave; nous en chasser. On ne fait ni de la fausse monnaie ni de la contrebande pour la garder&nbsp;! Il est clair cependant qu'un ennemi implacable a jur&eacute; la perte de la Nouvelle Aberfoyle, et qu'un int&eacute;r&ecirc;t le pousse &agrave; chercher tous les moyens possibles d'assouvir la haine qu'il trous a vou&eacute;e&nbsp;! Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c'est dans l'ombre qu'il pr&eacute;pare ses emb&ucirc;ches, mais l'intelligence qu'il y d&eacute;ploie fait de lui un &ecirc;tre redoutable. Mes amis, il poss&egrave;de mieux que nous tous les secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il &eacute;chappe &agrave; toutes nos recherches&nbsp;! C'est un homme du m&eacute;tier, un habile parmi les habiles, &agrave; coup s&ucirc;r, Simon. Ce que nous avons surpris de sa fa&ccedil;on d'op&eacute;rer en est la preuve manifeste. Voyons&nbsp;! avez-vous jamais eu quelque ennemi personnel, sur lequel vos soup&ccedil;ons puissent se porter&nbsp;? Cherchez bien. Il y a des monomanies de haine que le temps n'&eacute;teint pas. Remontez au plus haut dans votre vie, s'il le faut. Tout ce qui se passe est l'&oelig;uvre d'une sorte de folie froide et patiente, qui exige que vous &eacute;voquiez sur ce point jusqu'&agrave; vos plus lointains souvenirs&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Simon Ford ne r&eacute;pondit pas. On voyait que l'honn&ecirc;te overman, avant de s'expliquer, interrogeait avec candeur tout son pass&eacute;. Enfin, relevant la t&ecirc;te&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Non, dit-il, devant Dieu, ni Madge, ni moi, nous n'avons jamais fait de mal &agrave; personne. Nous ne croyons pas que nous puissions avoir un ennemi, un seul&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! s'&eacute;cria l'ing&eacute;nieur, si Nell voulait enfin parler&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Monsieur Starr, et vous, mon p&egrave;re, r&eacute;pondit Harry, je vous en supplie, gardons encore pour nous seuls le secret de notre enqu&ecirc;te&nbsp;! N'interrogez pas ma pauvre Nell&nbsp;! Je la sens d&eacute;j&agrave; anxieuse et tourment&eacute;e. Il est certain pour moi que son c&oelig;ur contient &agrave; grand-peine un secret qui l'&eacute;touffe. Si elle se tait, c'est ou qu'elle n'a rien &agrave; dire, ou qu'elle ne croit pas devoir parler&nbsp;! Nous ne pouvons pas douter de son affection pour nous, pour nous tous&nbsp;! Plus tard, si elle m'apprend ce qu'elle nous a tu jusqu'ici, vous en serez instruits aussit&ocirc;t.</p>
+
+<p>&mdash; Soit, Harry, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur, et cependant ce silence, si Nell sait quelque chose, est vraiment bien inexplicable&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et comme Harry allait se r&eacute;crier&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Sois tranquille, ajouta l'ing&eacute;nieur. Nous ne dirons rien &agrave; celle qui doit &ecirc;tre ta femme.</p>
+
+<p>&mdash; Et qui le serait sans plus attendre, si vous le vouliez, mon p&egrave;re&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Mon gar&ccedil;on, dit Simon Ford, dans un mois, jour pour jour, ton mariage se fera. &mdash; vous tiendrez lieu de p&egrave;re &agrave; Nell, monsieur James&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Comptez sur moi, Simon&nbsp;&raquo;, r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>James Starr et ses deux compagnons revinrent au cottage. Ils ne dirent rien du r&eacute;sultat de leur exploration, et, pour tout le monde de la houill&egrave;re, l'effondrement des vo&ucirc;tes resta &agrave; l'&eacute;tat de simple accident. Il n'y avait qu'un lac de moins en &Eacute;cosse.</p>
+
+<p>Nell avait peu &agrave; peu repris ses occupations habituelles. De cette visite &agrave; la surface du comt&eacute;, elle avait gard&eacute; d'imp&eacute;rissables souvenirs qu'Harry utilisait pour son instruction. Mais cette initiation &agrave; la vie du dehors ne lui avait laiss&eacute; aucun regret. Elle aimait, comme avant cette exploration, le sombre domaine o&ugrave;, femme, elle continuerait de demeurer, apr&egrave;s y avoir v&eacute;cu enfant et jeune fille.</p>
+
+<p>Cependant, le mariage prochain de Harry Ford et de Nell avait fait grand bruit dans la Nouvelle-Aberfoyle. Les compliments afflu&egrave;rent au cottage. Jack Ryan ne fut pas le dernier &agrave; y apporter les siens. On le surprenait aussi &agrave; &eacute;tudier au loin ses meilleures chansons pour une f&ecirc;te &agrave; laquelle toute la population de Coal-city devait prendre part.</p>
+
+<p>Mais il arriva que, pendant le mois qui pr&eacute;c&eacute;da le mariage, la Nouvelle-Aberfoyle fut plus &eacute;prouv&eacute;e qu'elle ne l'avait jamais &eacute;t&eacute;. On e&ucirc;t dit que l'approche de l'union de Nell et d'Harry provoquait catastrophes sur catastrophes. Les accidents se produisaient principalement dans les travaux du fond, sans que la v&eacute;ritable cause p&ucirc;t en &ecirc;tre connue.</p>
+
+<p>Ainsi, un incendie d&eacute;vora le boisage d'une galerie inf&eacute;rieure, et on retrouva la lampe que l'incendiaire avait employ&eacute;e. Harry et ses compagnons durent risquer leur vie pour arr&ecirc;ter ce feu, qui mena&ccedil;ait de d&eacute;truire le gisement, et ils n'y parvinrent qu'en employant les extincteurs, remplis d'une eau charg&eacute;e d'acide carbonique, dont la houill&egrave;re &eacute;tait prudemment pourvue.</p>
+
+<p>Une autre fois, ce fut un &eacute;boulement d&ucirc; &agrave; la rupture des &eacute;tan&ccedil;ons d'un puits, et James Starr constata que ces &eacute;tan&ccedil;ons avaient &eacute;t&eacute; pr&eacute;alablement attaqu&eacute;s &agrave; la scie. Harry, qui surveillait les travaux sur ce point, fut enseveli sous les d&eacute;combres et n'&eacute;chappa que par miracle &agrave; la mort.</p>
+
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, sur le tramway &agrave; traction m&eacute;canique, le train de wagonnets sur lequel Harry &eacute;tait mont&eacute;, tamponna un obstacle et fut culbut&eacute;. On reconnut ensuite qu'une poutre avait &eacute;t&eacute; plac&eacute;e en travers de la voie.</p>
+
+<p>Bref, ces faits se multipli&egrave;rent tellement, qu'une sorte de panique se d&eacute;clara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la pr&eacute;sence de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs&nbsp;! r&eacute;p&eacute;tait Simon Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>On recommen&ccedil;a les recherches. La police du comt&eacute; se tint sur pied nuit et jour, mais elle ne put rien d&eacute;couvrir. James Starr d&eacute;fendit &agrave; Harry, que cette malveillance semblait viser plus directement, de s'aventurer jamais seul hors du centre des travaux.</p>
+
+<p>On en agit de m&ecirc;me &agrave; l'&eacute;gard de Nell, &agrave; laquelle, sur les instances de Harry, on cachait, n&eacute;anmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui pouvaient lui rappeler le souvenir du pass&eacute;. Simon Ford et Madge la gardaient jour et nuit avec une sorte de s&eacute;v&eacute;rit&eacute;, ou plut&ocirc;t de sollicitude farouche. La pauvre enfant s'en rendait compte, mais pas une remarque, pas une plainte ne lui &eacute;chappa. Se disait-elle que si l'on en agissait ainsi, c'&eacute;tait dans son int&eacute;r&ecirc;t&nbsp;? Oui, probablement. Toutefois, elle aussi, &agrave; sa fa&ccedil;on, semblait veiller sur les autres, et ne se montrait tranquille, que lorsque tous ceux qu'elle aimait &eacute;taient r&eacute;unis au cottage. Le soir, quand Harry rentrait, elle ne pouvait retenir un mouvement de joie folle, peu compatible avec sa nature, d'ordinaire plus r&eacute;serv&eacute;e qu'expansive. La nuit une fois pass&eacute;e, elle &eacute;tait debout, avant tous les autres. Son inqui&eacute;tude la reprenait d&egrave;s le matin, &agrave; l'heure de la sortie pour les travaux du fond.</p>
+
+<p>Harry aurait voulu, pour lui rendre le repos, que leur mariage f&ucirc;t un fait accompli, Il lui semblait que, devant cet acte irr&eacute;vocable, la malveillance, devenue inutile, d&eacute;sarmerait, et que Nell ne se sentirait en s&ucirc;ret&eacute; que lorsqu'elle serait sa femme. Cette impatience &eacute;tait d'ailleurs partag&eacute;e par James Starr aussi bien que par Simon Ford et Madge. Chacun comptait les jours.</p>
+
+<p>La v&eacute;rit&eacute; est que chacun &eacute;tait sous le coup des plus sinistres pressentiments. Cet ennemi cach&eacute;, qu'on ne savait o&ugrave; prendre et comment combattre, on se disait tout bas que rien de ce qui concernait Nell ne lui &eacute;tait sans doute indiff&eacute;rent. Cet acte solennel du mariage d'Harry et de la jeune fille pouvait donc &ecirc;tre l'occasion de quelque machination nouvelle de sa haine.</p>
+
+<p>Un matin, huit jours avant l'&eacute;poque convenue pour la c&eacute;r&eacute;monie, Nell, pouss&eacute;e sans doute par quelque sinistre pressentiment, &eacute;tait parvenue &agrave; sortir la premi&egrave;re du cottage, dont elle voulait observer les abords.</p>
+
+<p>Arriv&eacute;e au seuil, un cri d'indicible angoisse s'&eacute;chappa de sa bouche.</p>
+
+<p>Ce cri retentit dans toute l'habitation, et attira en un instant Madge, Simon et Harry pr&egrave;s de la jeune fille.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait p&acirc;le comme la mort, le visage boulevers&eacute;, les traits empreints d'une &eacute;pouvante inexprimable. Hors d'&eacute;tat de parler, son regard &eacute;tait fix&eacute; sur la porte du cottage, qu'elle venait d'ouvrir. Sa main crisp&eacute;e y d&eacute;signait ces lignes, qui avaient &eacute;t&eacute; trac&eacute;es pendant la nuit et dont la vue la terrifiait&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Simon Ford, tu m'as vol&eacute; le dernier filon de nos vieilles houill&egrave;res&nbsp;! Harry, ton fils, m'a vol&eacute; Nell&nbsp;! Malheur &agrave; vous&nbsp;! malheur &agrave; tous&nbsp;! malheur &agrave; la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p align="right">&nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp; &nbsp;&laquo;&nbsp; SILFAX.&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Silfax&nbsp;! s'&eacute;cri&egrave;rent &agrave; la fois Simon Ford et Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Quel est cet homme&nbsp;? demanda Harry, dont le regard se portait alternativement de son p&egrave;re &agrave; la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Silfax&nbsp;! r&eacute;p&eacute;tait Nell avec d&eacute;sespoir, Silfax&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Et tout son &ecirc;tre fr&eacute;missait en murmurant ce nom, pendant que Madge, s'emparant d'elle, la reconduisait presque de force &agrave; sa chambre.</p>
+
+<p>James Starr &eacute;tait accouru. Apr&egrave;s avoir lu et relu la phrase mena&ccedil;ante&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;La main qui a trac&eacute; ces lignes, dit-il, est celle qui m'avait &eacute;crit la lettre contradictoire de la v&ocirc;tre, Simon&nbsp;! Cet homme se nomme Silfax&nbsp;! Je vois &agrave; votre trouble que vous le connaissez&nbsp;! Quel est ce Silfax&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XX</h4>
+
+<h4>Le p&eacute;nitent</h4>
+</center>
+
+<p>Ce nom avait &eacute;t&eacute; toute une r&eacute;v&eacute;lation pour le vieil overman.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait celui du dernier &laquo;&nbsp;p&eacute;nitent&nbsp;&raquo; de la fosse Dochart.</p>
+
+<p>Autrefois, avant l'invention de la lampe de s&ucirc;ret&eacute;, Simon Ford avait connu cet homme farouche, qui, au risque de sa vie, allait chaque jour provoquer les explosions partielles du grisou. Il avait vu cet &ecirc;tre &eacute;trange, r&ocirc;dant dans la mine, toujours accompagn&eacute; d'un &eacute;norme harfang, sorte de chouette monstrueuse, qui l'aidait dans son p&eacute;rilleux m&eacute;tier en portant une m&egrave;che enflamm&eacute;e l&agrave; o&ugrave; la main de Silfax ne pouvait atteindre. Un jour, ce vieillard avait disparu, et, en m&ecirc;me temps que lui, une petite orpheline, n&eacute;e dans la mine et qui n'avait plus pour parent que lui, son arri&egrave;re-grand-p&egrave;re. Cette enfant, &eacute;videmment, c'&eacute;tait Nell. Depuis quinze ans, tous deux auraient donc v&eacute;cu dans quelque secret ab&icirc;me, jusqu'au jour o&ugrave; Nell fut sauv&eacute;e par Harry.</p>
+
+<p>Le vieil overman, en proie &agrave; la fois &agrave; un sentiment de piti&eacute; et de col&egrave;re, communiqua &agrave; l'ing&eacute;nieur et &agrave; son fils ce que la vue de ce nom de Silfax venait de lui r&eacute;v&eacute;ler.</p>
+
+<p>Cela &eacute;claircissait toute la situation. Silfax &eacute;tait l'&ecirc;tre myst&eacute;rieux vainement cherch&eacute; dans les profondeurs de la Nouvelle Aberfoyle&nbsp;!</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ainsi, vous l'avez connu, Simon&nbsp;? demanda l'ing&eacute;nieur.</p>
+
+<p>&mdash; Oui, en v&eacute;rit&eacute;, r&eacute;pondit l'overman. L'homme au harfang&nbsp;! Il n'&eacute;tait d&eacute;j&agrave; plus jeune. Il devait avoir quinze ou vingt ans de plus que moi. Une sorte de sauvage, qui ne frayait avec personne, qui passait pour ne craindre ni l'eau ni le feu&nbsp;! C'&eacute;tait par go&ucirc;t qu'il avait choisi le m&eacute;tier de p&eacute;nitent, dont peu se souciaient. Cette dangereuse profession avait d&eacute;rang&eacute; ses id&eacute;es. On le disait m&eacute;chant, et il n'&eacute;tait peut-&ecirc;tre que fou. Sa force &eacute;tait prodigieuse. Il connaissait la houill&egrave;re comme pas un, &mdash; aussi bien que moi tout au moins. On lui accordait une certaine aisance. Ma foi, je le croyais mort depuis bien des ann&eacute;es.</p>
+
+<p>&mdash; Mais, reprit James Starr, qu'entend-il par ces mots&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tu m'as vol&eacute; le dernier filon de nos vieilles houill&egrave;res&nbsp;&raquo;&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Ah&nbsp;! voil&agrave;, r&eacute;pondit Simon Ford. Il y a longtemps d&eacute;j&agrave;, Silfax, dont la cervelle, je vous l'ai dit, a toujours &eacute;t&eacute; d&eacute;rang&eacute;e, pr&eacute;tendait avoir des droits sur l'ancienne Aberfoyle. Aussi son humeur devenait-elle de plus en plus farouche &agrave; mesure que la fosse Dochart, &mdash; sa fosse&nbsp;! &mdash; s'&eacute;puisait&nbsp;! Il semblait que ce fussent ses propres entrailles que chaque coup de pic lui arrach&acirc;t du corps&nbsp;! &mdash; Tu dois te. souvenir de cela, Madge&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Oui, Simon, r&eacute;pondit la vieille &Eacute;cossaise.</p>
+
+<p>&mdash; Cela me revient maintenant, reprit Simon Ford, depuis que j'ai vu le nom de Silfax sur cette porte; mais, je le r&eacute;p&egrave;te, je le croyais mort, et je ne pouvais imaginer que cet &ecirc;tre malfaisant, que nous avons tant cherch&eacute;, f&ucirc;t l'ancien p&eacute;nitent de la fosse Dochart&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; En effet, dit James Starr, tout s'explique. Un hasard a r&eacute;v&eacute;l&eacute; &agrave; Silfax l'existence du nouveau gisement. Dans son &eacute;go&iuml;sme de fou, il aura voulu s'en constituer le d&eacute;fenseur, vivant dans la houill&egrave;re, la parcourant nuit et jour, il aura surpris votre secret, Simon, et su que vous me demandiez en toute h&acirc;te au cottage. De l&agrave;, cette lettre contradictoire de la v&ocirc;tre; de l&agrave;, apr&egrave;s mon arriv&eacute;e, le bloc de pierre lanc&eacute; contre Harry et les &eacute;chelles d&eacute;truites du puits Yarow; de l&agrave;, l'obturation des fissures &agrave; la paroi du nouveau gisement; de l&agrave;, enfin, notre s&eacute;questration, puis notre d&eacute;livrance, qui s'est accomplie gr&acirc;ce &agrave; la secourable Nell, sans doute, &agrave; l'insu et malgr&eacute; ce Silfax&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Vous venez de raconter les choses comme elles ont &eacute;videmment d&ucirc; se passer, monsieur James, r&eacute;pondit Simon Ford. Le vieux p&eacute;nitent est certainement fou, maintenant&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Cela vaut mieux, dit Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne sais, reprit James Starr en secouant la t&ecirc;te, car ce doit &ecirc;tre une folie terrible que la sienne&nbsp;! Ah&nbsp;! je comprends que Nell ne puisse songer &agrave; lui sans &eacute;pouvante, et je comprends aussi qu'elle n'ait pas voulu d&eacute;noncer son grand-p&egrave;re&nbsp;! Quelles tristes ann&eacute;es elle a d&ucirc; passer pr&egrave;s de ce vieillard&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Bien tristes&nbsp;! r&eacute;pondit Simon Ford, entre ce sauvage et son harfang, non moins sauvage que lui&nbsp;! Car, bien s&ucirc;r, il n'est pas mort, cet oiseau&nbsp;! Ce ne peut &ecirc;tre que lui qui a &eacute;teint notre lampe, lui qui a failli couper la corde &agrave; laquelle &eacute;taient suspendus Harry et Nell&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; Et je comprends, dit Madge, que la nouvelle du mariage de sa petite-fille avec notre fils semble avoir exasp&eacute;r&eacute; la rancune et redoubl&eacute; la rage de Silfax&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Le mariage de Nell avec le fils de celui qu'il accuse de lui avoir vol&eacute; le dernier gisement des Aberfoyle ne peut, en effet, qu'avoir port&eacute; son irritation au comble&nbsp;! reprit Simon Ford.</p>
+
+<p>&mdash; Il faudra pourtant bien qu'il prenne son parti de cette union&nbsp;! s'&eacute;cria Harry. Si &eacute;tranger qu'il soit &agrave; la vie commune, on finira bien par l'amener &agrave; reconna&icirc;tre que la nouvelle existence de Nell vaut mieux que celle qu'il lui faisait dans les ab&icirc;mes de la houill&egrave;re&nbsp;! Je suis s&ucirc;r, monsieur Starr, que si nous pouvions mettre la main sur lui, nous parviendrions &agrave; lui faire entendre raison&nbsp;!...</p>
+
+<p>&mdash; On ne raisonne pas avec la folie, mon pauvre Harry&nbsp;! r&eacute;pondit l'ing&eacute;nieur. Mieux vaut sans doute conna&icirc;tre son ennemi que l'ignorer, mais tout n'est pas fini, parce que nous savons aujourd'hui ce qu'il est. Tenons-nous sur nos gardes, mes amis, et pour commencer, Harry, il faut interroger Nell&nbsp;! Il le faut&nbsp;! Elle comprendra que, &agrave; l'heure qu'il est, son silence n'aurait plus de raison. Dans l'int&eacute;r&ecirc;t m&ecirc;me de son grand-p&egrave;re, il convient qu'elle parle. Il importe autant pour lui que pour nous, que nous puissions mettre &agrave; n&eacute;ant ses sinistres projets.</p>
+
+<p>&mdash; Je ne doute pas, monsieur Starr, r&eacute;pondit Harry, que Nell ne vienne de son propre mouvement au-devant de vos questions. Vous le savez maintenant, c'est par conscience, c'est par devoir qu'elle s'est tue jusqu'ici. C'est par devoir, c'est par conscience qu'elle parlera d&egrave;s que vous le voudrez. Ma m&egrave;re a bien fait de la reconduire dans sa chambre. Elle avait grand besoin de se recueillir, mais je vais l'aller chercher...</p>
+
+<p>&mdash; C'est inutile, Harry&nbsp;&raquo;, dit d'une voix ferme et claire la jeune fille, qui entrait au moment m&ecirc;me dans la grande salle du cottage.</p>
+
+<p>Nell &eacute;tait p&acirc;le. Ses yeux disaient combien elle avait pleur&eacute;; mais on la sentait r&eacute;solue &agrave; la d&eacute;marche que sa loyaut&eacute; lui commandait en ce moment.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Nell&nbsp;! s'&eacute;tait &eacute;cri&eacute; Harry, en s'&eacute;lan&ccedil;ant vers la jeune fille.</p>
+
+<p>&mdash; Harry, r&eacute;pondit Nell, qui d'un geste arr&ecirc;ta son fianc&eacute;, ton p&egrave;re, ta m&egrave;re et toi, il faut aujourd'hui que vous sachiez tout. Il faut que vous n'ignoriez rien non plus, monsieur Starr, de ce qui concerne l'enfant que vous avez accueillie sans la conna&icirc;tre et qu'Harry pour son malheur, h&eacute;las&nbsp;! a tir&eacute;e de l'ab&icirc;me.</p>
+
+<p>&mdash; Nell&nbsp;! s'&eacute;cria Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Laisse parler Nell, dit James Starr, en imposant silence &agrave; Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Je suis la petite-fille du vieux Silfax, reprit Nell. Je n'ai jamais connu de m&egrave;re que le jour o&ugrave; je suis entr&eacute;e ici, ajouta-t-elle en regardant Madge.</p>
+
+<p>&mdash; Que ce jour soit b&eacute;ni, ma fille&nbsp;! r&eacute;pondit la vieille &Eacute;cossaise.</p>
+
+<p>&mdash; Je n'ai jamais connu de p&egrave;re que le jour o&ugrave; j'ai vu Simon Ford, reprit Nell, et d'ami que le jour o&ugrave; la main d'Harry a touch&eacute; la mienne&nbsp;! Seule, j'ai v&eacute;cu pendant quinze ans, dans les recoins les plus recul&eacute;s de la mine, avec mon grand-p&egrave;re. Avec lui, c'est beaucoup dire. Par lui serait plus juste. Je le voyais &agrave; peine. Lorsqu'il disparut de l'ancienne Aberfoyle, il se r&eacute;fugia dans ces profondeurs que lui seul connaissait. A sa fa&ccedil;on, il &eacute;tait alors bon pour moi, quoique effrayant. Il me nourrissait de ce qu'il allait chercher au-dehors; mais j'ai le vague souvenir que, d'abord, pendant mes plus jeunes ann&eacute;es, j'ai eu pour nourrice une ch&egrave;vre, dont la perte m'a bien d&eacute;sol&eacute;e. Grand-p&egrave;re, me voyant si chagrine, la rempla&ccedil;a d'abord par un autre animal, &mdash; un chien, me dit-il. Malheureusement, ce chien &eacute;tait gai. Il aboyait. Grand-p&egrave;re n'aimait pas la gaiet&eacute;. Il avait horreur du bruit. Il m'avait appris le silence, et n'avait pu l'apprendre au chien. Le pauvre animal disparut presque aussit&ocirc;t. Grand-p&egrave;re avait pour compagnon un oiseau farouche, un harfang, qui d'abord me fit horreur; mais cet oiseau, malgr&eacute; la r&eacute;pulsion qu'il m'inspirait, me prit en une telle affection, que je finis par la lui rendre. Il en &eacute;tait venu &agrave; m'ob&eacute;ir mieux qu'&agrave; son ma&icirc;tre, et cela m&ecirc;me m'inqui&eacute;tait pour lui. Grand-p&egrave;re &eacute;tait jaloux. Le harfang et moi, nous nous cachions le plus que nous pouvions d'&ecirc;tre trop bien ensemble&nbsp;! Nous comprenions qu'il le fallait&nbsp;!... Mais c'est trop vous parler de moi&nbsp;! C'est de vous qu'il s'agit...</p>
+
+<p>&mdash; Non, ma fille, r&eacute;pondit James Starr. Dis les choses comme elles te viennent.</p>
+
+<p>&mdash; Mon grand-p&egrave;re, reprit Nell, avait toujours vu d'un tr&egrave;s mauvais &oelig;il votre voisinage dans la houill&egrave;re. L'espace ne manquait pas, cependant. C'&eacute;tait loin, bien loin de vous qu'il se choisissait des refuges. Cela lui d&eacute;plaisait de vous sentir l&agrave;. Quand je le questionnais sur les gens de l&agrave;-haut, son visage s'assombrissait, il ne r&eacute;pondait pas et devenait comme muet pour longtemps. Mais o&ugrave; sa col&egrave;re &eacute;clata, ce fut quand il s'aper&ccedil;ut que, ne vous contentant plus du vieux domaine, vous sembliez vouloir empi&eacute;ter sur le sien. Il jura que si vous parveniez &agrave; p&eacute;n&eacute;trer dans la nouvelle houill&egrave;re, connue de lui seul jusqu'alors, vous p&eacute;ririez&nbsp;! Malgr&eacute; son &acirc;ge, sa force est encore extraordinaire, et ses menaces me firent trembler pour vous et pour lui.</p>
+
+<p>&mdash; Continue, Nell, dit Simon Ford &agrave; la jeune fille, qui s'&eacute;tait interrompue un instant, comme pour mieux rassembler ses souvenirs.</p>
+
+<p>&mdash; Apr&egrave;s votre premi&egrave;re tentative, reprit Nell, d&egrave;s que grand p&egrave;re vous vit p&eacute;n&eacute;trer dans la galerie de la Nouvelle-Aberfoyle, il en boucha l'ouverture et en fit une prison pour vous. Je ne vous connaissais que comme des ombres, vaguement entrevues dans l'obscure houill&egrave;re; mais je ne pus supporter l'id&eacute;e que des chr&eacute;tiens allaient mourir de faim dans ces profondeurs, et, au risque d'&ecirc;tre prise sur le fait, je parvins &agrave; vous procurer pendant quelques jours un peu d'eau et de pain&nbsp;!... J'aurais voulu vous guider au-dehors, mais il &eacute;tait si difficile de tromper la surveillance de mon grand-p&egrave;re&nbsp;! vous alliez mourir&nbsp;! Jack Ryan et ses compagnons arriv&egrave;rent... Dieu a permis que je les aie rencontr&eacute;s ce jour-l&agrave;&nbsp;! Je les entra&icirc;nai jusqu'&agrave; vous. Au retour, mon grand-p&egrave;re me surprit. Sa col&egrave;re contre moi fut terrible. Je crus que j'allais p&eacute;rir de sa main&nbsp;! Depuis lors, la vie devint insupportable pour moi. Les id&eacute;es de mon grand-p&egrave;re s'&eacute;gar&egrave;rent tout &agrave; fait. Il se proclamait le roi de l'ombre et du feu&nbsp;! Quand il entendait vos pics frapper ces filons qu'il regardait comme les siens, il devenait furieux et me battait avec rage. Je voulus fuir. Ce fut impossible; tant il me gardait de pr&egrave;s. Enfin, il y a trois mois, dans un acc&egrave;s de d&eacute;mence sans nom, il me descendit dans l'ab&icirc;me o&ugrave; vous m'avez trouv&eacute;e, et il disparut, apr&egrave;s avoir vainement appel&eacute; l'harfang, qui resta fid&egrave;lement pr&egrave;s de moi. Depuis quand &eacute;tais-je l&agrave;&nbsp;? je l'ignore&nbsp;! Tout ce que je sais, c'est que je me sentais mourir, quand tu es arriv&eacute;, mon Harry, et quand tu m'as sauv&eacute;e&nbsp;! Mais, tu le vois, la petite-fille du vieux Silfax ne peut pas &ecirc;tre la femme d'Harry Ford, puisqu'il y va de ta vie, de votre vie &agrave; tous&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Nell&nbsp;! s'&eacute;cria Harry.</p>
+
+<p>&mdash; Non, reprit la jeune fille. Mon sacrifice est fait. Il n'est qu'un moyen de conjurer votre perte&nbsp;: c'est que je retourne pr&egrave;s de mon grand-p&egrave;re. Il menace toute la Nouvelle-Aberfoyle&nbsp;!... C'est une &acirc;me incapable de pardon, et nul ne peut savoir ce que le g&eacute;nie de la vengeance lui aura inspir&eacute;&nbsp;! Mon devoir est clair. Je serais la plus mis&eacute;rable des cr&eacute;atures si j'h&eacute;sitais &agrave; l'accomplir. Adieu&nbsp;! et merci&nbsp;! vous m'avez fait conna&icirc;tre le bonheur d&egrave;s ce monde&nbsp;! Quoi qu'il arrive, pensez que mon c&oelig;ur tout entier restera au milieu de vous&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>A ces mots, Simon Ford, Madge, Harry fou de douleur, s'&eacute;taient lev&eacute;s.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Quoi, Nell&nbsp;! s'&eacute;cri&egrave;rent-ils avec d&eacute;sespoir, tu voudrais nous quitter&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>James Starr les &eacute;carta d'un geste plein d'autorit&eacute;, et, allant droit &agrave; Nell, il lui prit les deux mains.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;C'est bien, mon enfant, lui dit-il. Tu as dit ce que tu devais dire; mais voici ce que nous avons &agrave; te r&eacute;pondre. Nous ne te laisserons pas partir, et, s'il le faut, nous te retiendrons par la force. Nous crois-tu donc capables de cette l&acirc;chet&eacute; d'accepter ton offre g&eacute;n&eacute;reuse&nbsp;? Les menaces de Silfax sont redoutables, soit&nbsp;! Mais, apr&egrave;s tout, un homme n'est qu'un homme, et nous prendrons nos pr&eacute;cautions. Cependant, peux-tu, dans l'int&eacute;r&ecirc;t de Silfax m&ecirc;me, nous renseigner sur ses habitudes, nous dire o&ugrave; il se cache&nbsp;? Nous ne voulons qu'une chose&nbsp;: le mettre hors d'&eacute;tat de nuire, et peut-&ecirc;tre le ramener &agrave; la raison.</p>
+
+<p>&mdash; Vous voulez l'impossible, r&eacute;pondit Nell. Mon grand-p&egrave;re est partout et nulle part. Je n'ai jamais connu ses retraites&nbsp;! Je ne l'ai jamais vu endormi. Quand il avait trouv&eacute; quelque refuge, il me laissait seule et disparaissait. Lorsque j'ai pris ma r&eacute;solution, monsieur Starr, je savais tout ce que vous pouviez me r&eacute;pondre. Croyez-moi&nbsp;! Il n'y a qu'un moyen de d&eacute;sarmer mon grand-p&egrave;re&nbsp;: c'est que je parvienne &agrave; le retrouver. Il est invisible, lui, mais il voit tout. Demandez-vous comment il aurait d&eacute;couvert vos plus secr&egrave;tes pens&eacute;es, depuis la lettre &eacute;crite &agrave; M. Starr, jusqu'au projet de mon mariage avec Harry, s'il n'avait pas l'inexplicable facult&eacute; de tout savoir. Mon grand-p&egrave;re, autant que je puis en juger, est, dans sa folie m&ecirc;me, un homme puissant par l'esprit. Autrefois, il lui est arriv&eacute; de me dire de grandes choses. Il m'a appris Dieu, et ne m'a tromp&eacute;e que sur un point&nbsp;: c'est quand il m'a fait croire que tous les hommes &eacute;taient perfides, lorsqu'il a voulu m'inspirer sa haine contre l'humanit&eacute; tout enti&egrave;re. Lorsque Harry m'a rapport&eacute;e dans ce cottage, vous avez pens&eacute; que j'&eacute;tais ignorante seulement&nbsp;! J'&eacute;tais plus que cela. J'&eacute;tais &eacute;pouvant&eacute;e&nbsp;! Ah&nbsp;! pardonnez-moi&nbsp;! mais, pendant quelques jours, je me suis crue au pouvoir des m&eacute;chants, et je voulais vous fuir&nbsp;! Ce qui a commenc&eacute; &agrave; ramener mon esprit au vrai, c'est vous, Madge, non par vos paroles, mais par le spectacle de votre vie, alors que je vous voyais aim&eacute;e et respect&eacute;e de votre mari et de votre fils&nbsp;! Puis, quand j'ai vu ces travailleurs, heureux et bons, v&eacute;n&eacute;rer M. Starr, dont je les ai crus d'abord les esclaves, lorsque pour la premi&egrave;re fois j'ai vu toute la population d'Aberfoyle venir &agrave; la chapelle, s'y agenouiller, prier Dieu et le remercier de ses bont&eacute;s infinies, alors je me suis dit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mon grand-p&egrave;re m'a tromp&eacute;e&nbsp;!&nbsp;&raquo; Mais aujourd'hui, &eacute;clair&eacute;e par ce que vous m'avez appris, je pense qu'il s'est tromp&eacute; lui-m&ecirc;me&nbsp;! Je vais donc reprendre les chemins secrets par lesquels je l'accompagnais autrefois. Il doit me guetter&nbsp;! Je l'appellerai... il m'entendra, et qui sait si, en retournant vers lui, je ne le ram&egrave;nerai pas &agrave; la v&eacute;rit&eacute;&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Tous avaient laiss&eacute; parler la jeune fille. Chacun sentait qu'il devait lui &ecirc;tre bon d'ouvrir son c&oelig;ur tout entier &agrave; ses amis, au moment o&ugrave;, dans sa g&eacute;n&eacute;reuse illusion, elle croyait qu'elle allait les quitter pour toujours. Mais quand, &eacute;puis&eacute;e, les yeux pleins de larmes, elle se tut, Harry, se tournant vers Madge, dit&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Ma m&egrave;re, que penseriez-vous de l'homme qui abandonnerait la noble fille que vous venez d'entendre&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je penserais, r&eacute;pondit Madge, que cet homme est un l&acirc;che, et, s'il &eacute;tait mon fils, je le renierais, je le maudirais&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Nell, tu as entendu notre m&egrave;re, reprit Harry. O&ugrave; que tu ailles, je te suivrai. Si tu persistes &agrave; partir, nous partirons ensemble...</p>
+
+<p>&mdash; Harry&nbsp;! Harry&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Nell.</p>
+
+<p>Mais l'&eacute;motion &eacute;tait trop forte. On vit bl&ecirc;mir les l&egrave;vres de la jeune fille, et elle tomba dans les bras de Madge, qui pria l'ing&eacute;nieur, Simon et Harry de la laisser seule avec elle.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XXI</h4>
+
+<h4>Le mariage de Nell</h4>
+</center>
+
+<p>On se s&eacute;para, mais il fut d'abord convenu que les h&ocirc;tes du cottage seraient plus que jamais sur leurs gardes. La menace du vieux Silfax &eacute;tait trop directe pour qu'il n'en f&ucirc;t pas tenu compte. C'&eacute;tait &agrave; se demander si l'ancien p&eacute;nitent ne disposait pas de quelque moyen terrible qui pouvait an&eacute;antir toute l'Aberfoyle.</p>
+
+<p>Des gardiens arm&eacute;s furent donc post&eacute;s aux diverses issues de la houill&egrave;re, avec ordre de veiller jour et nuit. Tout &eacute;tranger &agrave; la mine dut &ecirc;tre amen&eacute; devant James Starr, afin qu'il p&ucirc;t constater son identit&eacute;. On ne craignit pas de mettre les habitants de Coal-city au courant des menaces dont la colonie souterraine &eacute;tait l'objet. Silfax n'ayant aucune intelligence dans la place, il n'y avait nulle trahison &agrave; craindre. On fit conna&icirc;tre &agrave; Nell toutes les mesures de s&ucirc;ret&eacute; qui venaient d'&ecirc;tre prises, et, sans qu'elle f&ucirc;t rassur&eacute;e compl&egrave;tement, elle retrouva quelque tranquillit&eacute;. Mais la r&eacute;solution d'Harry de la suivre partout o&ugrave; elle irait, avait plus que tout contribu&eacute; &agrave; lui arracher la promesse de ne pas s'enfuir.</p>
+
+<p>Pendant la semaine qui pr&eacute;c&eacute;da le mariage de Nell et d'Harry, aucun incident ne troubla la Nouvelle-Aberfoyle. Aussi les mineurs, sans se d&eacute;partir de la surveillance organis&eacute;e, revinrent-ils de cette panique, qui avait failli compromettre l'exploitation.</p>
+
+<p>Cependant James Starr continuait &agrave; faire rechercher le vieux Silfax. Le vindicatif vieillard ayant d&eacute;clar&eacute; que Nell n'&eacute;pouserait jamais Harry, on devait admettre qu'il ne reculerait devant rien pour emp&ecirc;cher ce mariage. Le mieux aurait &eacute;t&eacute; de s'emparer de sa personne, tout en respectant sa vie. L'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle fut donc minutieusement recommenc&eacute;e. On fouilla les galeries jusque dans les &eacute;tages sup&eacute;rieurs qui affleuraient les ruines de Dundonald-Castle, &agrave; Irvine. On supposait avec raison que c'&eacute;tait par le vieux ch&acirc;teau que Silfax communiquait avec l'ext&eacute;rieur et qu'il s'approvisionnait des choses n&eacute;cessaires &agrave; sa mis&eacute;rable existence, soit en achetant, soit en maraudant. Quant aux &laquo;&nbsp;Dames de feu&nbsp;&raquo;, James Starr eut la pens&eacute;e que quelque jet de grisou, qui se produisait dans cette partie de la houill&egrave;re, avait pu &ecirc;tre allum&eacute; par Silfax et produire ce ph&eacute;nom&egrave;ne. Il ne se trompait pas. Mais les recherches furent vaines.</p>
+
+<p>James Starr, pendant cette lutte de tous les instants contre un &ecirc;tre insaisissable, fut, sans en rien faire voir, le plus malheureux des hommes. A mesure que s'approchait le jour du mariage, ses craintes s'accroissaient, et il avait cru devoir, par exception, en faire part au vieil overman, qui devint bient&ocirc;t plus inquiet que lui.</p>
+
+<p>Enfin le jour arriva.</p>
+
+<p>Silfax n'avait pas donn&eacute; signe de vie.</p>
+
+<p>D&egrave;s le matin, toute la population de Coal-city fut sur pied. Les travaux de la Nouvelle-Aberfoyle avaient &eacute;t&eacute; suspendus. Chefs et ouvriers tenaient &agrave; rendre hommage au vieil overman et &agrave; son fils. Ce n'&eacute;tait que payer une dette de reconnaissance aux deux hommes hardis et pers&eacute;v&eacute;rants, qui avaient rendu &agrave; la houill&egrave;re la prosp&eacute;rit&eacute; d'autrefois.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait &agrave; onze heures, dans la chapelle de Saint-Gilles, &eacute;lev&eacute;e sur la rive du lac Malcolm, que la c&eacute;r&eacute;monie allait s'accomplir.</p>
+
+<p>A l'heure dite, on vit sortir du cottage Harry donnant le bras &agrave; sa m&egrave;re, Simon Ford donnant le bras &agrave; Nell.</p>
+
+<p>Suivaient l'ing&eacute;nieur James Starr, impassible en apparence, mais au fond s'attendant &agrave; tout, et Jack Ryan, superbe dans ses habits de piper.</p>
+
+<p>Puis, venaient les autres ing&eacute;nieurs de la mine, les notables de Coal-city, les amis, les compagnons du vieil overman, tous les membres de cette grande famille de mineurs, qui formait la population sp&eacute;ciale de la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Au-dehors, il faisait une de ces journ&eacute;es torrides du mois d'ao&ucirc;t, qui sont particuli&egrave;rement p&eacute;nibles dans les pays du Nord. L'air orageux p&eacute;n&eacute;trait jusque dans les profondeurs de la houill&egrave;re, o&ugrave; la temp&eacute;rature s'&eacute;tait &eacute;lev&eacute;e d'une fa&ccedil;on anormale. L'atmosph&egrave;re s'y saturait d'&eacute;lectricit&eacute;, &agrave; travers les puits d'a&eacute;ration et le vaste tunnel de Malcolm.</p>
+
+<p>On aurait pu constater &mdash; ph&eacute;nom&egrave;ne assez rare &mdash; que le barom&egrave;tre, &agrave; Coal-city, avait baiss&eacute; d'une quantit&eacute; consid&eacute;rable. C'&eacute;tait &agrave; se demander, vraiment, si quelque orage n'allait pas &eacute;clater sous la vo&ucirc;te de schiste, qui formait le ciel de l'immense crypte.</p>
+
+<p>Mais la v&eacute;rit&eacute; est que personne, au-dedans, ne se pr&eacute;occupait des menaces atmosph&eacute;riques du dehors.</p>
+
+<p>Chacun, cela va sans dire, avait rev&ecirc;tu ses plus beaux habits pour la circonstance.</p>
+
+<p>Madge portait un costume qui rappelait ceux du vieux temps. Elle &eacute;tait coiff&eacute;e d'un &laquo;&nbsp;toy&nbsp;&raquo;, comme les anciennes matrones, et sur ses &eacute;paules flottait le &laquo;&nbsp;rokelay&nbsp;&raquo;, sorte de mantille quadrill&eacute;e que les &Eacute;cossaises portent avec une certaine &eacute;l&eacute;gance.</p>
+
+<p>Nell s'&eacute;tait promis de ne rien laisser voir des agitations de sa pens&eacute;e. Elle d&eacute;fendit &agrave; son c&oelig;ur de battre, &agrave; ses secr&egrave;tes angoisses de se trahir, et la courageuse enfant parvint &agrave; montrer &agrave; tous un visage calme et recueilli.</p>
+
+<p>Elle &eacute;tait simplement mise, et la simplicit&eacute; de son v&ecirc;tement, qu'elle avait pr&eacute;f&eacute;r&eacute; &agrave; des ajustements plus riches, ajoutait encore au charme de sa personne. Sa seule coiffure &eacute;tait un &laquo;&nbsp;snood&nbsp;&raquo;, ruban de couleurs vari&eacute;es, dont se parent ordinairement les jeunes Cal&eacute;doniennes.</p>
+
+<p>Simon Ford avait un habit que n'aurait pas d&eacute;savou&eacute; le digne bailli Nichol Jarvie, de Walter Scott.</p>
+
+<p>Tout ce monde se dirigea vers la chapelle de Saint-Gilles, qui avait &eacute;t&eacute; luxueusement d&eacute;cor&eacute;e.</p>
+
+<p>Au ciel de Coal-city, les disques &eacute;lectriques, raviv&eacute;s par des courants plus intenses, resplendissaient comme autant de soleils. Une atmosph&egrave;re lumineuse emplissait toute la Nouvelle Aberfoyle.</p>
+
+<p>Dans la chapelle, les lampes &eacute;lectriques projetaient aussi de vives lueurs, et les vitraux colori&eacute;s brillaient comme des kal&eacute;idoscopes de feux.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait le r&eacute;v&eacute;rend William Hobson qui devait officier. A la porte m&ecirc;me de Saint-Gilles, il attendait l'arriv&eacute;e des &eacute;poux.</p>
+
+<p>Le cort&egrave;ge approchait, apr&egrave;s avoir majestueusement contourn&eacute; la rive du lac Malcolm.</p>
+
+<p>En ce moment, l'orgue se fit entendre, et les deux couples, pr&eacute;c&eacute;d&eacute;s du r&eacute;v&eacute;rend Hobson, se dirig&egrave;rent vers le chevet de Saint-Gilles.</p>
+
+<p>La b&eacute;n&eacute;diction c&eacute;leste fut d'abord appel&eacute;e sur toute l'assistance; puis, Harry et Nell rest&egrave;rent seuls devant le ministre, qui tenait le livre sacr&eacute; &agrave; la main.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harry, demanda le r&eacute;v&eacute;rend Hobson, voulez-vous prendre Nell pour femme, et jurez-vous de l'aimer toujours&nbsp;?</p>
+
+<p>&mdash; Je le jure, r&eacute;pondit le jeune homme d'une voix forte.</p>
+
+<p>&mdash; Et vous, Nell, reprit le ministre, voulez-vous prendre pour &eacute;poux Harry Ford, et...&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>La jeune fille n'avait pas eu le temps de r&eacute;pondre, qu'une immense clameur retentissait au-dehors.</p>
+
+<p>Un de ces &eacute;normes rochers, formant terrasse, qui surplombait la rive du lac Malcolm, &agrave; cent pas de la chapelle, venait de s'ouvrir subitement, sans explosion, comme si sa chute e&ucirc;t &eacute;t&eacute; pr&eacute;par&eacute;e &agrave; l'avance. Au-dessous, les eaux s'engouffraient dans une excavation profonde, que personne ne savait exister l&agrave;.</p>
+
+<p>Puis soudain, entre les roches &eacute;boul&eacute;es, apparut un canot, qu'une pouss&eacute;e vigoureuse lan&ccedil;a &agrave; la surface du lac.</p>
+
+<p>Sur ce canot, un vieillard, v&ecirc;tu d'une sombre cagoule, les cheveux h&eacute;riss&eacute;s, une longue barbe blanche tombant sur sa poitrine, se tenait debout.</p>
+
+<p>Il avait &agrave; la main une lampe Davy, dans laquelle brillait une flamme, prot&eacute;g&eacute;e par la toile m&eacute;tallique de l'appareil.</p>
+
+<p>En m&ecirc;me temps, d'une voix forte, le vieillard criait&nbsp;:</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le grisou&nbsp;! le grisou&nbsp;! Malheur &agrave; tous&nbsp;! malheur&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>En ce moment, la l&eacute;g&egrave;re odeur qui caract&eacute;rise l'hydrog&egrave;ne protocarbon&eacute; se r&eacute;pandit dans l'atmosph&egrave;re.</p>
+
+<p>Et s'il en &eacute;tait ainsi, c'est que la chute du rocher avait livr&eacute; passage &agrave; une &eacute;norme quantit&eacute; de gaz explosif, emmagasin&eacute; dans d'&eacute;normes &laquo;&nbsp;soufflards&nbsp;&raquo; dont les schistes obturaient l'orifice. Les jets de grisou fusaient vers les vo&ucirc;tes du d&ocirc;me, sous une pression de cinq &agrave; six atmosph&egrave;res.</p>
+
+<p>Le vieillard connaissait l'existence de ces soufflards, et il les avait brusquement ouverts, de mani&egrave;re &agrave; rendre d&eacute;tonante l'atmosph&egrave;re de la crypte.</p>
+
+<p>Cependant James Starr et quelques autres, quittant pr&eacute;cipitamment la chapelle, s'&eacute;taient &eacute;lanc&eacute;s sur la rive.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hors de la mine&nbsp;! hors de la mine&nbsp;!&nbsp;&raquo; cria l'ing&eacute;nieur, qui, ayant compris l'imminence du danger, vint jeter ce cri d'alarme &agrave; la porte de Saint-Gilles.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Le grisou&nbsp;! le grisou&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait le vieillard, en poussant son canot plus avant sur les eaux du lac.</p>
+
+<p>Harry, entra&icirc;nant sa fianc&eacute;e, son p&egrave;re, sa m&egrave;re, avait pr&eacute;cipitamment quitt&eacute; la chapelle.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Hors de la mine&nbsp;! hors de la mine&nbsp;!&nbsp;&raquo; r&eacute;p&eacute;tait James Starr.</p>
+
+<p>Il &eacute;tait trop tard pour fuir&nbsp;! Le vieux Silfax &eacute;tait l&agrave;, pr&ecirc;t &agrave; accomplir sa derni&egrave;re menace, pr&ecirc;t &agrave; emp&ecirc;cher le mariage de Nell et d'Harry, en ensevelissant toute la population de Coal-city sous les ruines de la houill&egrave;re.</p>
+
+<p>Au-dessus de sa t&ecirc;te, volait son &eacute;norme harfang, dont le plumage blanc &eacute;tait tach&eacute; de points noirs.</p>
+
+<p>Mais alors, un homme se pr&eacute;cipita dans les eaux du lac, qui nagea vigoureusement vers le canot.</p>
+
+<p>C'&eacute;tait Jack Ryan. Il s'effor&ccedil;ait d'atteindre le fou, avant que celui-ci n'e&ucirc;t accompli son &oelig;uvre de destruction.</p>
+
+<p>Silfax le vit venir. Il brisa le verre de sa lampe, et, apr&egrave;s avoir arrach&eacute; la m&egrave;che allum&eacute;e, il la promena dans l'air.</p>
+
+<p>Un silence de mort planait sur toute l'assistance atterr&eacute;e.</p>
+
+<p>James Starr, r&eacute;sign&eacute;, s'&eacute;tonnait que l'explosion, in&eacute;vitable, n'e&ucirc;t pas d&eacute;j&agrave; an&eacute;anti la Nouvelle-Aberfoyle.</p>
+
+<p>Silfax, les traits crisp&eacute;s, se rendit compte que le grisou, trop l&eacute;ger pour se maintenir dans les basses couches, s'&eacute;tait accumul&eacute; vers les hauteurs du d&ocirc;me.</p>
+
+<p>Mais alors le harfang, sur un geste de Silfax, saisissant dans sa patte la m&egrave;che incendiaire, comme il faisait autrefois dans les galeries de la fosse Dochart, commen&ccedil;a &agrave; monter vers la haute vo&ucirc;te, que le vieillard lui montrait de la main.</p>
+
+<p>Encore quelques secondes, et la Nouvelle-Aberfoyle avait v&eacute;cu&nbsp;!...</p>
+
+<p>A ce moment, Nell s'&eacute;chappa des bras d'Harry.</p>
+
+<p>Calme et inspir&eacute;e tout &agrave; la fois, elle courut vers la rive du lac, jusqu'&agrave; la lisi&egrave;re des eaux.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Harfang&nbsp;! Harfang&nbsp;! cria-t-elle d'une voix claire, &agrave; moi&nbsp;! viens &agrave; moi&nbsp;!&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>L'oiseau fid&egrave;le, &eacute;tonn&eacute;, avait h&eacute;sit&eacute; un instant. Mais soudain, ayant reconnu la voix de Nell, il avait laiss&eacute; tomber la m&egrave;che enflamm&eacute;e dans les eaux du lac, et, tra&ccedil;ant un large cercle, il &eacute;tait venu s'abattre aux pieds de la jeune fille.</p>
+
+<p>Les hautes couches explosives dans lesquelles le grisou s'&eacute;tait m&eacute;lang&eacute; &agrave; l'air, n'avaient pas &eacute;t&eacute; atteintes&nbsp;!</p>
+
+<p>Alors un cri terrible retentit sous le d&ocirc;me. Ce fut le dernier que jeta le vieux Silfax.</p>
+
+<p>A l'instant o&ugrave; Jack Ryan allait mettre la main sur le bordage du canot, le vieillard, voyant sa vengeance lui &eacute;chapper, s'&eacute;tait pr&eacute;cipit&eacute; dans les eaux du lac.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Sauvez-le&nbsp;! sauvez-le&nbsp;!&nbsp;&raquo; s'&eacute;cria Nell d'une voix d&eacute;chirante.</p>
+
+<p>Harry l'entendit. Se jetant &agrave; son tour &agrave; la nage, il eut bient&ocirc;t rejoint Jack Ryan et plongea &agrave; plusieurs reprises.</p>
+
+<p>Mais ses efforts furent inutiles.</p>
+
+<p>Les eaux du lac Malcolm ne rendirent pas leur proie. Elles s'&eacute;taient &agrave; jamais referm&eacute;es sur le vieux Silfax.</p>
+
+<p><br>
+</p>
+
+<center>
+<h4>XXII</h4>
+
+<h4>La l&eacute;gende du vieux Silfax</h4>
+</center>
+
+<p>Six mois apr&egrave;s ces &eacute;v&eacute;nements, le mariage, si &eacute;trangement interrompu, d'Harry Ford et de Nell, se c&eacute;l&eacute;brait dans la chapelle de Saint-Gilles. Apr&egrave;s que le r&eacute;v&eacute;rend Hobson eut b&eacute;ni leur union, les jeunes &eacute;poux, encore v&ecirc;tus de noir, rentr&egrave;rent au cottage.</p>
+
+<p>James Starr et Simon Ford, d&eacute;sormais exempts de toute inqui&eacute;tude, pr&eacute;sid&egrave;rent joyeusement &agrave; la f&ecirc;te qui suivit la c&eacute;r&eacute;monie et se prolongea jusqu'au lendemain.</p>
+
+<p>Ce fut dans ces m&eacute;morables circonstances que Jack Ryan, rev&ecirc;tu de son costume de piper, apr&egrave;s avoir gonfl&eacute; d'air l'outre de sa cornemuse, obtint ce triple r&eacute;sultat de jouer, de chanter et de danser tout &agrave; la fois, aux applaudissements de toute l'assembl&eacute;e.</p>
+
+<p>Et, le lendemain, les travaux du jour et du fond recommenc&egrave;rent, sous la direction de l'ing&eacute;nieur James Starr.</p>
+
+<p>Harry et Nell furent heureux, il est superflu de le dire. Ces deux c&oelig;urs, tant &eacute;prouv&eacute;s, trouv&egrave;rent dans leur union le bonheur qu'ils m&eacute;ritaient.</p>
+
+<p>Quant &agrave; Simon Ford, l'overman honoraire de la Nouvelle Aberfoyle, il comptait bien vivre assez pour c&eacute;l&eacute;brer sa cinquantaine avec la bonne Madge, qui ne demandait pas mieux, d'ailleurs.</p>
+
+<p>&laquo;&nbsp;Et apr&egrave;s celle-l&agrave;, pourquoi pas une autre&nbsp;? disait Jack Ryan. Deux cinquantaines, ce ne serait pas trop pour vous, monsieur Simon&nbsp;!</p>
+
+<p>&mdash; Tu as raison, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pondit tranquillement le vieil overman. Qu'y aurait-il d'&eacute;tonnant &agrave; ce que sous le climat de la Nouvelle-Aberfoyle, dans ce milieu qui ne conna&icirc;t pas les intemp&eacute;ries du dehors, on dev&icirc;nt deux fois centenaire&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p>
+
+<p>Les habitants de Coal-city devaient-ils jamais assister &agrave; cette seconde c&eacute;r&eacute;monie&nbsp;? L'avenir le dira.</p>
+
+<p>En tout cas, un oiseau, qui semblait devoir atteindre une long&eacute;vit&eacute; extraordinaire, c'&eacute;tait le harfang du vieux Silfax. Il hantait toujours le sombre domaine. Mais apr&egrave;s la mort du vieillard, bien que Nell e&ucirc;t essay&eacute; de le retenir, il s'&eacute;tait enfui au bout de quelques jours. Outre que la soci&eacute;t&eacute; des hommes ne lui plaisait d&eacute;cid&eacute;ment pas plus qu'&agrave; son ancien ma&icirc;tre, il semblait qu'il e&ucirc;t gard&eacute; une sorte de rancune particuli&egrave;re &agrave; Harry, et que cet oiseau jaloux e&ucirc;t toujours reconnu et d&eacute;test&eacute; en lui le premier ravisseur de Nell, celui &agrave; qui il l'avait disput&eacute;e en vain dans l'ascension du gouffre.</p>
+
+<p>Depuis ce temps, Nell ne le revoyait qu'&agrave; de longs intervalles, planant au-dessus du lac Malcolm.</p>
+
+<p>Voulait-il revoir son amie d'autrefois&nbsp;? voulait-il plonger ses regards p&eacute;n&eacute;trants jusqu'au fond de l'ab&icirc;me o&ugrave; s'&eacute;tait englouti Silfax&nbsp;?</p>
+
+<p>Les deux versions furent admises, car le harfang devint l&eacute;gendaire, et il inspira &agrave; Jack Ryan plus d'une fantastique histoire.</p>
+
+<p>C'est gr&acirc;ce &agrave; ce joyeux compagnon qu'on chante encore dans les veill&eacute;es &eacute;cossaises la l&eacute;gende de l'oiseau du vieux Silfax, l'ancien p&eacute;nitent des houill&egrave;res d'Aberfoyle.</p>
+
+<center>
+<h4>The End</h4>
+</center>
+
+<pre>
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES INDES NOIRES ***
+
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